Mot «Pas» [16342 fréquence]


01-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome I-Les Controverses.html
  A001000007 

 Pas être utilisés à des fins commerciales de toute nature!.

  A001000018 

 Article II. Les Ministres n'ont pas reçu Mission des Evêques Catholiques.

  A001000019 

 Article III. Les Ministres n'ont pas la Mission extraordinaire.

  A001000045 

 Article XVI. Nostre Eglise est perpetuelle; la pretendue ne l'est pas.

  A001000132 

 Mon mieux donq eut esté d'estr'ouÿ; a faute de quoy cest'escriture ne sera pas sans des bonnes commodités:.

  A001000133 

 Elle portera chez vous ce que vous ne voules pas prendre chez nous en l'assemblëe.

  A001000133 

 On verra par la que si je desavoüe mill'impietés qu'on impos'aux Catholiques, ce n'est pas pour m'eschapper de la meslëe, comme quelques uns ont dict, mais pour suyvre la sainte intention de l'Eglise: puysque je le metz en escrit a la veüe de chacun, et sous la censure des superieurs, asseuré que je suys quilz y trouveront beaucoup d'ignorance, mays non point, Dieu aydant, d'irreligion et contrarieté aux declarations de l'Eglise Romaine.

  A001000134 

 Il faut extremement bien sçavoir pour bien escrire; les espritz mediocres se doivent contenter du dire, ou l'action, la voix, la contenance, baillent lustr'a la parole; le mien qui est des moindres, ou, a tout rompre, de la plus basse marche des mediocres, ne peut pas reussir en cest exercice: aussy ni eusse pas pensé, si un gentilhomme grave et judicieux ne m'en eust sommé et donné le courage, ce que despuys plusieurs de mes principaux amis ont trouvé bon, l'advis desquelz je prise tant, que le mien n'a du tout point de creance vers moy qu'a faute d'autre..

  A001000135 

 [5] Le tems est mauvais, l'Evangile de paix peut a grand peyn'estre receu parmi tant de soupçons de guerre: si, ne me pers je pas de courage; les fruictz un peu tardifz se conservent beaucoup mieux que les printaniers; j'espere que si une fois Nostre Seigneur crie a vos oreilles son saint Epheta, ceste tardiveté reussira en beaucoup plus de fermeté..

  A001000143 

 .. Cest'escriture neantmoins ne laysse pas d'avoir ses commodités particulieres:.

  A001000144 

 ..... et monstre au net la pureté de la foy de l'Eglise, en fin, [parce] que je justifie ceste chaste Susanne des faux tesmoignages quon a porté contr'elle, on a dict que je ne suys pas Catholique; on s'est imaginé tant de laydeur et de difformité en la mere, pour..... 5.

  A001000144 

 Dequoy j'ay encores besoin par ce que quelques uns des vostres, quand ilz voyent que je ne parle pas en chaire comm'on introduysoit les Catholiques, disans mille blasphemes contre Dieu, forcés d'advoüer la verité que je preche, pour se flatter disent que je ne parle pas a la papiste.

  A001000144 

 Il asseurera chacun que je ne dis rien a Tonon que je ne veuille bien qu'on sache, si besoin estoit, a Necy et a Rome; dequoy ont besoin d'estr'asseurés ceux qui ne me tiennent pas pour Catholique par ce que je dis: que nos œuvres ne sont pas meritoires sinon entant quelles sont taintes au sang de N. S.; que le cors de N. S. est substantiellement, reellement et veritablement sous les especes de pain et de vin au tres st S. de Sac. de l'Eucharistie, mays non pas charnellement; que les Saints ont un'excellence beaucoup plus grande et de plus eminent calibre que les mortelz mondains, mays quelle n'a point d'autre proportion avec l'excellence divine que de la creature au Createur, du finy a l'infini; et semblables verités: c'est adire, que je presche la doctrine Catholique.

  A001000144 

 La 1. et principale c'est quelle portera chez vous ce que vous ne voules pas venir prendre chez nous en l'assemblee.

  A001000144 

 On connoistra que si je desavoüe mill'impietés quon impose aux Catholiques, je ne le fays pas pour m'eschapper de la meslëe, comme quelques uns ont pensé, mays pour suivre la sainte intention de l'Eglise: puysque le mettant par escrit je le propose a chacun, et m'en sousmetz a la censure des superieurs, laquelle y trouvera sans doute beaucoup d'ignorance, mays, Dieu aydant, point d'irréligion ou contrarieté aux declarations de l'Eglise Cathol., Ap. et Rom. [3].

  A001000145 

 Il faut extremement bien sçavoir pour bien escrire; les espritz mediocres se doivent contenter du dire, ou l'action, la voix, l'affection et contenance baillent lustr'a l'enseignement; le mien qui est des moindres, ou, a tout rompre, de la plus basse marche des mediocres, ne reussira pas en cest exercice: aussy ny pensois je pas, si un gentilhomme grave et judicieux ne m'en eut sommé et donné courage, a quoy despuys plusieurs de mes principaux amis m'ont poussé; en telles occasions je prise tant le jugement de mes amis que je ne me crois jamais moy mesme qu'a faute d'autre..

  A001000162 

 Nostre mere Eve voulut bien s'excuser sur le serpent, et son mary sur elle, mays l'excuse ne fut pas recevable: ilz eussent mieux faict de dire le bon peccavi, comme David, auquel incontinent la faute fut remise..

  A001000163 

 Or j'ay dict que leur scandale est purement ou presque purement passif..... Car on sçait bien que l'occasion de leur division et escart quilz pretendent avoir, c'est l'erreur, l'ignorance, l'idolatrie, quilz disent estr'en l'Eglise laquelle ilz ont abandonnee; et d'ailleur c'est chose toute certaine que l'Eglise en son cors general ne peut estre scandaleuse et est inscandalisable, comme son Espoux, qui luy communique par grace et assistence particuliere ce qui luy est naturel en proprieté: car en estant le chef il addresse ses pas au droit chemin, l'Eglise c'est son cors mistique, et par ce il prend a soy l'honneur et le mespris qui luy est faict; dont on ne peut dire quelle donne, prenne ou reçoive aucun scandale.

  A001000164 

 Ce traitté semblera peut estre a quelques [uns] un peu trop eschars: cela ne vient pas de ma sicheté mays de ma pauvreté; ma memoire a fort peu de moyens de reserve, ne s'entretient que du jour a la journëe, et je n'ay que fort peu de livres icy d'ou je me puyss'enrichir.

  A001000164 

 Je n'ay pas autre intention que de vous faire voir, Messieurs, que ceste Susanne est accusée a tort, et qu'elle a rayson de se lamenter de tous ceux qui se sont distancés de ses ordonnances, avec les parolles mesmes de son Espoux: Ilz m'ont hayé d'une hayne injuste.

  A001000164 

 Tant de grans personnages ont escrit en nostre aage, que la posterité n'a quasi plus rien a dire, mays seulement a considerer, apprendre, imiter, admirer: je ne diray donques rien icy de nouveau, et ne voudrois pas fair'autrement; tout est ancien, et ny a presque rien du mien que le fil et l'eguille, le reste ne m'a cousté que le descoudre et recoudre a ma façon, avec cest'advis de Vincent le Lirinois, c. 22.

  A001000164 

 Tout ce que tant de doctes hommes ont escrit tend la et y revient, mays non pas a droit fil, car chacun se propose un chemin particulier a tenir: je tascheray de reduyre toutes les lignes de mon discours a ce point, comm'au centre, le plus justement que je pourray; et la premiere Partie servira quasi egalement pour toutes sortes d'heretiques, la seconde s'addressera plus a ceux a la reunion desquels nous avons plus de devoir.

  A001000170 

 .. En fin, qui prend le scandale donné, c'est adire, qui a occasion de se scandalizer et le faict, ne peut avoir autr'excuse que celle d'Eve sur le serpent, celle d'Adam sur Eve, que nostre Dieu trouva n'estre pas de mise.

  A001000170 

 Car, quand a ceux qui les donnent, ilz ni ont point d'autre necessité que par la supposition et resolution quilz ont faict eux mesmes de vivre meschamment et vitieusement; ilz pourroyent silz vouloient, par la grâce de Dieu, n'infecter pas ny empunayser le monde des puantes exhalations de leurs pechés, mays estre bonn'odeur en Jesuchrist: le monde neantmoins est tant remply de pecheurs, qu'ores que plusieurs s'amendent et soyent remis en grace, il en demeure tousjours un nombre infiny qui rend tesmoignage qu' il est impossible que scandale n'advienne: malheur, au reste, par qui vient le scandale.

  A001000171 

 Les Capharnaites [9] se scandalizent ilz pas a bon escient sur les paroles de Nostre Seigneur, au recit de S t Jan, qu'ilz appellent parolle dure et non recevable? Mays a quel propos? par ce que N. S. est si bon que de les vouloir nourrir de sa chair, par ce quil dict des parolles de vie æternelle; et contre cette douceur ilz se pugnent.

  A001000171 

 Or, combien aye esté en vogue ceste troysiesme façon de scandale jusques a present, le tesmoignage de toutes les histoires ecclesiastiques y est en mille lieux; nous ne trouverons quasi pas tant de traitz pour y remarquer tous les autres vices que pour celuyci seul.

  A001000172 

 Le Filz de Dieu estoit venu pour paix et benediction, et non pas pour malheur aux hommes; sinon que quelque enragé osast rejetter sur Nostre Seig r sa sainte parole: V æ homini illi per quem scandalum veniet, et le voulut condamner par sa loy propre a estre jette en mer la pierr'au col.

  A001000172 

 N. S. estoit vray Sauveur, venu pour esclairer tout homme, et servir de lumiere pour la revelation des Gentilz et la gloire d'Israel; ce pendant Israël en prend l'occasion de son ignominie: voila pas grand malheur? Et quand il est dict quil est mis a la ruyne de plusieurs, il le faut entendre quand a l'evenement, non quand a l'intention de la divine Majesté; comme l'arbre de science du bien et du mal n'avoit rien dequoy apprendre a Adam le bien ni le mal, l'evenement pourtant luy donna ce nom la, par ce qu'Adam, y prenant du fruict, essaya le mal que luy apportoit sa desobeissance.

  A001000172 

 Vous y verres des bonnes raysons, et desquelles je me rends evictionnaire, qui vous feront voir clair comme le jour, que vous estes hors du train quil faut tenir pour aller a salut, et que ce n'a pas esté la faute de la sainte guide, mays la faute est de l'avoir abandonnëe.

  A001000174 

 N'est ce pas chose admirable de voir combien il y a eu de sortes d'heresies jusques a præsent, desquelles tous les autheurs se faysoyent fors d'en monstrer la source es Saintes Escritures?.

  A001000180 

 N'est-ce pas donq une chose estrange, que pouvans proufiter en toutes choses, pour mauvayses quelles soyent, nous convertissions tout a nostre perte? Que si du mal seulement nous prenons le mal, ce ne seroit pas grand [15] merveille, car c'est ce qui s'y presente de prime face; si des choses indifferentes et neutres nous nous servions en mal, la nature n'en seroit pas tant outragee, puysque ce sont armes a toutes mains: et neantmoins la couardise seroit tousjours grande, si, pouvans changer toutes choses en bien, par un'alchimie si aysëe et de si peu de frais, ou une seul'estincelle de charité suffit, nous avions le courage si lasche de demeurer en misere et nous procurer le, mal.

  A001000180 

 N'y a il pas dequoy pleurer icy la misere de l'homme, qui choppe et prend cheute a la pierre qui avoit esté mise pour son appuy et fermeté, qui fonde sa perdition sur la pierre de salvation? [16].

  A001000199 

 Est il pas plus honnorable de conceder a la puyssance de Jesuchrist le pouvoir faire le S t Sacrement, comme le croit l'Eglise, et a sa bonté le vouloir faire, que non pas le contraire? sans doute que c'est la plus grande gloire de N. S.; et par ce que nostre cerveau ne le peut comprendre, pour seconder nostre cerveau omnes quærunt quæ sua sunt, non quœ Jesu Christi..

  A001000207 

 Pour l'unité d'un chef, il ne faut pas oublier ce que dict S t Cyp., Ep.

  A001000210 

 En l'intercession des Saintz, il ne faut pas oublier le mot de Luther, escrit au duc George de Saxe, anno 1526 apud Cochlæum: Initio rogabo præterea, et certissime impetrabo, remissionem apud Dominum meum Jesum Christum super omnibus quæcumque Illustriss.

  A001000230 

 Les Ministres, n'ayant pas la Mission, n'ont pas l'autorité.

  A001000243 

 La mission est donques necessaire; vous ne le nieres pas, si vous ne sçaves quelque chose plus que vos maistres..

  A001000243 

 Saint Pol: Quomodo prædicabunt, nisi mittantur? Comme prœcheront ilz, s'ilz ne sont envoyés? Et Hieremie: Les prophetes prophetisent a faux, je ne les ay pas envoÿé; [23] et ailleurs: Non mittebam prophetas et ipsi currebant: Je ne les envoyois point, et ilz couroyent.

  A001000245 

 .. Comme croyrons nous que le peuple, et les princes seculiers, aÿe appellés Calvin, Brence, Luther, pour enseigner la doctrine que jamais il n'avoyt ouÿe? et devant, quand ilz commencerent a prescher et semer ceste doctrine, qui les avoit chargés de ce faire?.. Vous dites que le peuple devot vous a appellés, mays quel peuple? Car, ou il estoit Catholique, ou il ne l'estoit pas: sil estoit Catholique, comme vous eut il appellé et envoÿé præcher ce quil ne croyoit pas? et ceste vocation de quelque bien petite partie du peuple lhors Catholique, comme pouvoit elle contrevenir a tout le reste qui sy opposa? et comme vous pouvoit une partie du peuple donner authorité sur l'autre partie, affin que vous allassies de peuple en peuple distraissant tant que vous pouvies les ames de l'ancienne obeissance? car un peuple ne peut donner l'authorité que sur soymesme.

  A001000245 

 Il eut donq fallu ne point prescher sinon la ou vous esties appellés du peuple, ce que si vous eussies faict, vous n'eussies pas eu tant de suite.

  A001000245 

 Mays disons voir, quand Luther commença, qui l'appella? il ny avoit encor point de peuple qui pensast aux opinions quil a soustenües, comment [26] donques l'eut il appellé pour les prescher? Sil n'estoit pas Catholique, qu'estoit il donq? Lutherien? nompas, car je parle de la premiere fois; quoy donq? Qu'on responde donq, si l'on peut.

  A001000245 

 Qui a donné l'authorité aux premiers d'assembler les peuples, dresser des compaignies et bandes a part? Ce n'est pas le peuple, car ilz n'estoyent encor pas assemblés..

  A001000246 

 Mays, ne seroit ce pas tout brouiller, de permettr'a chacun de dire ce que bon luy sembleroit? a ce conte chacun seroit envoyé; car il ni a si fol qui ne trouve des compaignons, tesmoins les Tritheites, Anabaptistes, Libertins, Adamites.

  A001000250 

 Et qu'est ce dire que tout le Christianisme a failly, toute l'Eglise erré, et par tout la verité s'estr'esvanouÿe, sinon dire que N. S. a abandonné son Eglise, a rompu le sacré lien de mariage quil avoit contracté avec elle? Et vouloir mettr'en avant un'Eglise nouvelle, n'est ce pas vouloir bailler a ce sacré et saint Espoux une seconde femme? C'est ce que les ministres prætenduz de l'Eglise ont entrepris, c'est ce dequoy ilz se sont vantés; ceste persuasion estoit le but de leurs presches, de leurs desseins et de leurs escritz.

  A001000251 

 Or, quilz n'en eussent ny ayent en aucune façon, vous ne le pouves pas ignorer.

  A001000255 

 Si donques ilz ont estés envoyés par les seculiers, ilz ne sont pas envoyés a l'Apostolique ny legitimement, et leur mission est nulle..

  A001000256 

 Et de faict, les seculiers n'ont point de mission, et comme donq la donneront ilz? comme communiqueront ilz l'authorité quilz n'ont pas? Et partant S t Pol dict, parlant.de l'ordre de prestrise et pastoral: Nul ne s'attribue cest honneur sinon qui est appellé de Dieu, connu'Aaron.

  A001000256 

 Quicomque, donques, veut alleguer sa mission, ne la doit pas alleguer du peuple ny des princes seculiers, car Aaron ne fut pas apellé ainsy, et on ne le peut estre autrement que luy..

  A001000257 

 En fin, qui est moindre est beny par le plus grand, comme dict S t Pol: les peuples donques ne peuvent pas envoyer les pasteurs, car les pasteurs sont plus que les brebis, et la mission ne se faict pas sans benediction.

  A001000259 

 Les peuples n'ont donques peu donner mission ou commission legitime a ces nouveaux Embassadeurs; mays je dis plus, qu'encor quilz eussent peu ilz ne l'ont pas faict.

  A001000259 

 Que si ilz disent quil n'estoit Catholique, qu'estoit il donques? Il n'estoit [26] pas Lutherien, car on sçait bien que quand Luther commença a precher en Alemaigne il ny avoit point de Lutheriens, et que c'est luy qui en est la source: il n'estoit donq pas de la vraye Eglise, et comme pouvoit il faire mission pour la vraÿe prædication? Ilz n'ont donq point de vocation de ce costé la, sinon quilz ayent recours a l'invisible mission receüe d es principautés, puyssances et gouverneurs du monde de ces tenebres mondaynes, et malices spirituelles, contre lesquelz les bons Catholiques ont tousjours eü la guerre.

  A001000259 

 comme l'eut il apellé a precher ce quil ne croyoit pas? 2.

  A001000259 

 ou ce peuple et magistrat estoit de la vraye Eglise ou non: s'il estoit de la vraye Eglise, pourquoy est ce que Luther les en leva? l'eussent ilz bien apellé pour estre levés de leur bonne place et de l'Eglise? et silz n'en estoyent pas, comme pouvoyent ilz avoir le droit de mission et de vocation? hors la vraye Eglise il ny peut avoir aucune tell'authorité.

  A001000266 

 On ne peut pas faire sauter ceste mission si haut, que des Apostres elle soit tumbëe entre les mains de prædicateurs de ce tems, sans avoir touché pas un des Anciens et de nos devanciers: il eut fallu une bien longue sarbacane en la bouche des premiers fondateurs de l'Eglise, pour avoir appellé Luther et les autres sans que ceux qui estoyent entre deùx s'en fussent apperceu, ou bien (comme dict Calvin a un'autre occasion et malapropos), que ceux cy eussent eu les oreilles bien grandes: il failloit bien qu'elle fut conservëe entiere, si ceux cy la devoient trouver.

  A001000268 

 Outre cela, quoy quilz eussent eu mission en l'Eglise Romaine, ilz ne l'ont pas eu pour en sortir et distraire de son obeissance ses enfans: certes, le commissaire ne doit pas exceder les bornes de sa commission, ou c'est pour neant.

  A001000269 

 Luther, Œcolampade ou Calvin n'estoyent pas evesques; comme donques pouvoyent ilz communiquer aucune mission a leurs successeurs de la part de l'Eglise Romaine, qui proteste en tout et par tout quil ni a que les Evesques qui puyssent envoyer, et que cela n'appartient aucunement aux simples prestres? en quoy saint Hierosme mesme a mis la difference qui est entre le simple prestre et l'Evesque, en l'epistre ad Evagrium; et saint Augustin et Epiphane mettent Aerius en conte avec les hæretiques par ce quil tenoit le contraire..

  A001000274 

 Car, je vous prie, a quoy en serions nous, si ce prætexte de mission extraordinaire estoit recevable sans preuve? ne seroit ce pas un voile a toutes sortes de resveries? Arrius, Marcion, Montanus, Massalius, ne pourroyent ilz pas estre receuz a ce grade de reformateurs en prestant le mesme serment? 2.

  A001000274 

 Comment donques se voudront excuser et relever de ceste preuve pour leur mission ceux qui en nostr'aage en veulent avancer un'extraordinaire? quel privilege ont ilz plus qu'Apostolique et Mosaique? Que diray je plus? Si nostre sauverain Maistre, consubstantiel au Pere, duquel la mission est si authentique qu'elle presuppose [30] la communication de mesm'essence, luy mesme, dis je, qui est la source vive de toute mission Ecclesiastique, n'a pas voulu s'exempter de ceste preuve de miracles, quelle rayson y a il que ces nouveaux ministres soyent creus a leur seule parole? Nostre Seigneur allegue fort souvent sa mission pour mettre sa parole en credit: Comme mon Pere m'a envoyé, je vous envoÿe.

  A001000274 

 La mission de saint Jan Baptiste, quoy qu'elle ne fut du tout extraordinaire, ne fut elle pas authentiquëe par sa conception, sa nativité, et mesme par sa vie tant miraculeuse, a laquelle Nostre Seigneur donna si bon tesmoignage? Mays quand aux Apostres, qui ne sçait les miracles quilz faysoyent et le grand nombre d'iceux? leurs mouchoirs, leur ombre servoit a la prompte guerison des malades et a chasser le diable: Par les mains des Apostres estoyent faitz beaucoup de signes et merveilles parmi le peuple: et que ce fut en confirmation de leur prædication, saint Marc le dict tout ouvertement, es dernieres paroles de son Evangile, et saint Pol, aux Hebreux.

  A001000274 

 Mays aussy, pour donner authorité a sa mission, il met en avant ses miracles, ains atteste que, sil n'eust faict des œuvres que nul autre n'a faict parmi les Juifz, ilz n'eussent point eu de peché de ne croire point en luy; et ailleurs il leur dict: Ne croyes vous pas que mon Pere est en moy et moy en mon Pere? au moins croyes le par les œuvres.

  A001000274 

 Si donques ilz alleguent la mission extraordinaire, quilz nous monstrent quelques œuvres extraordinaires, autrement nous ne sommes pas obligés de les croire.

  A001000275 

 Et c'est ce que saint Pol enseigne, quand il ne veut que personne s'attribue l'honneur pastoral sinon celuy qui est appelle de Dieu, comm'Aaron: car la vocation d'Aaron fut faitte par l'ordinaire, Moyse, si que Dieu ne mit pas sa sainte parole en la bouche de Aaron immediatement, mays Moyse, auquel Dieu fit ce commandement: Parle a luy, et luy metz mes paroles en sa bouche; et je seray en ta bouche et en la sienne.

  A001000275 

 Et de faict, ou me monstrera on jamais une vocation legitime extraordinaire qui n'aÿe esté receüe par l'authorité ordinayre? Saint Pol fut appellé extraordinairement, mays ne fut il pas approuvé et authorisé par l'ordinaire, une et deux fois? et la mission receüe par l'authorité ordinaire est appellëe mission du Saint Esprit.

  A001000275 

 La mission de saint Jan Baptiste ne se peut pas bien dire extraordinaire, parce quil n'enseignoit rien contre l'eglise Mosaique, et par ce quil estoit de la race sacerdotale: si est ce neanmoins que la rareté de sa doctrine fut avouëe par l'ordinayre magistrat de l'eglise Judaique, en la belle legation qui luy fut faicte par les prestres et levites, la teneur de laquelle præsuppose une grande estime et reputation en laquelle il estoit vers eux; et les Phariseens mesmes, qui estoyent assis sur la chaire de Moise, ne venoyent ilz pas communiquer a son baptesme tout ouvertement, [32] sans scrupule? c'estoit bien recevoir sa mission a bon escient.

  A001000275 

 Nostre Seigneur mesme, qui estoit le Maistre, ne voulut il pas estre receu de Simeon qui estoit prestre, comm'il appert en ce quil benit Nostre Dame et Joseph, par Zacharie prestre, et par saint Jan; et mesmes pour sa Passion, qui estoit l'execution principale de sa mission, ne voulut il pas avoir le tesmoignage prophetique du grand Prestre qui estoit pour lhors? 4.

  A001000275 

 nous sommes obligés d'obeir a nos pasteurs ordinaires sous peyne d'estre publicains et payens; comment donques nous pourrions nous ranger sous autre discipline que la leur? les extraordinaires viendroyent pour neant, puysque nous serions obligés de ne les ouïr pas, en cas, comme j'ay dict, quilz fussent desavoüés des ordinaires.

  A001000276 

 Que si jamais elles n'ont prævalu ni prævaudront, la vocation extraordinaire ny est pas necessaire pour l'abolir: car Dieu ne hait rien de ce quil a faict, comment donq aboliroit il l'Eglis'ordinaire pour en faire d'extraordinaires? veu que c'est luy qui a edifié l'ordinaire sur soymesme, et l'a cimentee de son sang propre..

  A001000283 

 Au moins ne se devroyent ilz pas exempter de produyre des miracles sur une telle mutation, quoy que vous tiries prætexte de l'Escriture; puysque Nostre Seigneur ne s'en exempta pas, comme j'ay monstré cy dessus, encores que le changement quil faysoit fut puysé de la plus pure source des Escritures.

  A001000283 

 Mays quand a la premiere, dites moy, je vous prie, [35] trouves vous bon qu'on mette en comparaison la vocation de ces nouveaux ministres avec celle de Nostre Seigneur? Nostre Seigneur avoit il pas esté prophetisé en qualité de Messie? son tems n'avoit il pas esté determiné par Daniel? a-il faict action qui presque ne soit particulierement cottëe es Livres des Prophetes et figurëe es Patriarches? Il a faict changement de bien en mieux de la loy Mosaïque, mays ce changement la n'avoit il pas esté prædit? Il a changé par consequence le sacerdoce Aaronique en celuy de Melchisedech, beaucoup meilleur; tout cela n'est ce pas selon les tesmoignages anciens? Vos ministres n'ont point esté prophetisés en qualité de prædicateurs de la Parole de Dieu, ni le tems de leur venue, ni pas une de leurs actions; ilz ont faict un remuement sur l'Eglise beaucoup plus grand et plus aspre que Nostre Seigneur ne fit sur la Sinagogue, car ilz ont tout osté sans y remettre que certaines ombres, mays de tesmoignages ilz n'en ont point a cest effect.

  A001000284 

 On pense que tous ceux qui prophetisoyent exerceassent la charge de la prædication: ce qui n'estoit pas, comm'il appert des sergens de Saul et de Saul mesme.

  A001000286 

 Isaïe, voulant escrire dans un grand livre qui luy fut monstré, prit Urie prestre, quoy qu'a venir, et Zacharie prophete a tesmoins, comme s'il prenoyt le tesmoignage de tous les prestres et prophetes; et Malachie atteste il pas que les levres du prestre gardent la science, et demanderont la loy de sa bouche; car c'est l'ange du Seigneur des armëes? tant s'en faut que jamais ilz ayent retiré les Juifz de la communion de l'ordinaire..

  A001000288 

 Si donques il est question entre nous de l'authorité prophetique, elle nous demeurera, soit elle ordinaire ou extraordinaire, puysque nous en avons l'effect, non pas a vos ministres qui n'en ont jamais faict un brin de preuve: sinon quilz voulussent appeller propheties la vision de Zuingle, au livre inscrit, Subsidium de Eucharistia, et le livre intitulé, Querela Lutheri, ou la prædiction quil fit, l'an 25 de ce siecle, que sil præchoit encor deux ans il ne demeureroit ni Pape, ni prestres, ni moynes, ni clochers, ni Messe.

  A001000289 

 Je n'envoÿoys pas les prophetes et ilz couroyent; je ne parloys pas a eux et ilz prophetisoyent. J'ay ouÿ ce que les prophetes ont dict, prophetisans en mon nom le mensonge, et disans, j'ay songé, j'ay songé.

  A001000289 

 Vous sembl'il pas que ce soyent Luther et Zuingle avec leurs propheties et visions? ou Carolostade avec sa revelation quil disoit avoir eüe pour sa cene, qui donna occasion a Luther d'escrire son livre, Contra cœlestes prophetas? C'est [38] bien eux, au moins, qui ont ceste proprieté de n'avoir pas estés envoyés; c'est eux qui prennent leurs langues, et disent, le Seigneur a dict: car ilz ne sçauroyent jamais monstrer aucune preuve de la charge quilz usurpent, ilz ne sçauroyent produyre aucune legitime vocation, et, donques, comme veulent ilz precher? On ne peut s'enrooler sous aucun capitayne sans l'aveu du prince, et comment fustes vous si promtz a vous engager sous la charge de ces premiers ministres, sans le congé de vos pasteurs ordinaires, mesme pour sortir de l'estat auquel vous esties nay et nourry qui est l'Eglise Catholique? Ilz sont coulpables d'avoir faict de leur propr'authorité ceste levëe de bouclier, et vous de les avoir suyvis; dont vous estes inexcusables.

  A001000300 

 Mays ilz vont par deux chemins a ceste leur opinion de l'invisibilité de l'Eglise; car les uns disent qu'ell'est invisible par ce qu'elle consiste seulement es personnes esleües et prædestinëes, les autres attribuent cest'invisibilité a la rareté et dissipation des croyans et fidelles: dont les premiers tiennent l'Eglis'estre en tous tems invisible, les autres disent que cest'invisibilité a duré environ mill'ans, ou plus ou moins, c'est a dire, des saint Gregoire jusqu'a Luther, quand la papauté estoit paysible parmi le Christianisme; car ilz disent que durant ce tems la il y avoit plusieurs vrais Chrestiens secretz, qui ne descouvroyent pas leurs intentions, et se contentoyent de servir ainsy Dieu a couvert.

  A001000301 

 Tous ces discours ressentent le mal de chaud; ce sont des songes qu'on faict en veillant, qui ne valent pas celuy que Nabuchodonosor fit en dormant; aussy luy sont ilz du tout contraires, si nous croyons a l'interpretation de Daniel: car Nabuchodonosor vit une pierre taillëe d'un mont sans œuvre de mains, qui vint roulant et renversa la grande statue, et s'accreut tellement que devenue montaigne elle remplit toute [41] la terre; et Daniel l'entendit du royaume de Nostre Seigneur qui demeurera æternellement.

  A001000301 

 celuy de la triomphante remplira le ciel, non la terre seulement, et ne s'eslevera pas au tems des autres royaumes, comme porte l'interpretation de Daniel, mais apres la consommation du siecle; joint que d'estre taillé de la montaigne sans œuvre manuelle appartient a la generation temporelle de Nostre Seigneur, selon laquelle il a esté conceu au ventre de la Vierge, engendré de sa propre substance sans œuvre humayne, par la seule benediction du Saint Esprit.

  A001000305 

 Comme se peut entendre tout cecy d'une Eglise invisible? ou la chercherait on pour luy faire les plaintes, pour converser en icelle, pour la regir? Quand ell'envoyoit saint Pol, elle le recevoit, quand il la confirmoit, il y constituoit des prestres, il l'assembloit, il la saluoit, il la persecutoit, estoit par figure ou par foy seulement et par esprit? Je ne crois pas que chacun ne voye clerement que c'estoit effectz visibles et perceptibles de part et d'autre.

  A001000307 

 Esaïe, parl'ainsy d'elle: Ce vous sera une voÿe droite, si que les folz ne s'egareront point par icelle; faut il pas bien qu'elle soit descouverte et aysee a remarquer, puysque les plus grossiers mesmes s'y sçauront conduyre sans se faillir?.

  A001000307 

 Salomon, es Cantiques, parlant de l'Eglise, ne dict il pas: Les filles l'ont veüe et l'ont præchëe pour tresheureuse? Et puys, introduysant ses filles pleynes d'admiration, il leur faict dire: Qui est cellecy qui comparoist et se produit comm'une aurore en son lever, belle comme la lune, esleüe comme le soleil, terrible comm'un esquadron de gendarmerie bien ordonné? N'est ce pas la declairer visible? Et quand il faict qu'on l'apelle ainsy: Reviens, reviens, Sullamienne, reviens, reviens, affin qu'on te voÿe, et qu'elle responde: Qu'est ce que vous verres en ceste Sullamitesse sinon les troupes des armees? n'est ce pas encores la declairer visible? Qu'on regarde ces admirables [44] cantiques et repræsentations pastorales des amours du celest'Espoux avec l'Eglise, on verra que par tout ell'est tres visible et remarquable.

  A001000308 

 Les pasteurs et docteurs de l'Eglise sont visibles, donques l'Eglise est visible: car, je vous prie, les pasteurs de l'Eglise sont ilz pas une partie de l'Eglise, et faut il pas que les pasteurs et les brebis s'entrereconnoissent les uns et les autres? faut il pas que les brebis entendent la voix du pasteur et le suyvent? faut il pas que le bon pasteur aille rechercher la brebis esgarëe, quil reconnoisse son parc et bercaïl? Ce seroit de vray une belle sorte de pasteurs qui ne sceut connoistre son troupeau ni le voir.

  A001000309 

 C'est le propre de l'Eglise de faire la vraÿe prædication [45] de la Parole de Dieu, la vraye administration des Sacremens; et tout cela est il pas visible? comme donques veut on que le sujet soit invisible?.

  A001000310 

 Ne sçait on pas que les douze Patriarches, enfans du bon Jacob, furent la source vive de l'eglise d'Israel; et quand leur pere les eut assemblé devant soy pour les benir, on les voyoit, on s'entrevoyoit entr'eux.

  A001000314 

 Son plus beau est dedans, le dehors n'est pas si excellent: comme disoit l'Espoux es Cantiques: Tes yeux sont des yeux de colombe, sans ce qui est caché au dedans; Le miel et le laict sont sous ta langue, c'est a dire en ton cœur, voyla le dedans, et l'odeur de tes vestemens comme l'odeur de l'encens, voyla le service exterieur; et le Psalmiste: Toute la gloire de ceste fille royale est au par dedans, c'est l'interieur, Revestue de belles varietés en franges d'or, voyla l'exterieur..

  A001000316 

 Maintenant, si on dict que la loy Evangelique a esté donnée dans les cœurs interieurement, non sur les tables de pierre exterieurement, comme dict Hieremie, on doit respondre, qu'en l'interieur de l'Eglise et dans son cœur est tout le principal de sa gloire, qui ne laysse pas de rayonner jusques a l'exterieur qui la faict voir et reconnoistre; ainsy quand il est dict en l'Evangile, que l'heur'est venüe quand les vrays adorateurs adoreront le Pere en esprit et verité, nous sommes enseignés que l'interieur est le principal, et que l'exterieur est vain s'il ne tend et ne se va rendre dans l'interieur pour s'y spiritualizer..

  A001000317 

 De mesme, quand saint Pierre appelle l'Eglise mayson spirituelle, c'est par ce que tout ce qui part de [48] l'Eglise tend a la vie spirituelle, et que sa plus grande gloire est interieure, ou bien par ce que ce n'est pas une mayson faitte de chaux et sable, mays une mayson mistique de pierres vivantes, ou la charité sert de ciment..

  A001000318 

 La sainte Parole porte que le royaume de Dieu ne vient pas avec observation: le royaume de Dieu c'est l'Eglise; donq l'Eglise n'est pas visible.

  A001000318 

 Responce: Le royaume de Dieu, en ce lieu la, c'est Nostre Seigneur avec sa grace, ou, si vous voules, la compaignie de Nostre Seigneur pendant quil fut au monde, dont il s'ensuit: Car voicy le royaume de Dieu est parmi vous; et ce royaume icy ne comparut pas avec l'apparat et le fast d'une magnificence mondayne, comme les Juifz croyoyent; et puys, comm'on a dict, le plus beau joyau de ceste fille royale est caché au dedans, et ne se peut voir..

  A001000319 

 Quand a ce que saint Pol a dict aux Hebrieux, que nous ne sommes pas venus vers une montaigne maniable, comme celle de Sina, mays vers une Hierusalem cæleste, il ne faict pas a propos pour faire invisible l'Eglise; car saint Pol monstre en cest endroit que l'Eglise est plus magnifique et enrichie que la Sinagogue, et qu'elle n'est pas une montaigne naturelle comme celle de Sina, mays mistique, dont il ne s'ensuit aucune invisibilité: outre ce qu'on peut dire avec rayson quil parle vrayement de la Hierusalem cæleste, c'est a dire de l'Eglise triomphante, dont il y adjouste, la frequence des Anges, comme sil vouloit dire qu'en la vielle Loy Dieu fut veu en la montaigne en une façon espouvantable, et que la nouvelle nous conduit a le voir en sa gloire la haut en Paradis..

  A001000320 

 En fin, voyci l'argument que chacun crie estre le plus fort: je crois la sainte Eglise Catholique; si je la crois ne la vois pas; donques ell'est invisible.

  A001000320 

 I a il rien de plus foible au monde que ce fantosme de rayson? Les Apostres n'ont ilz pas creu Nostre Seigneur estre ressuscité, et l'ont ilz pas veu? Par ce que tu m'as veu, dict il luymesme a saint Thomas, tu as creu; et pour [49] le rendre croyant il luy dict: Voys mes mains, et apporte ta main et la metz dans mon costé, et ne soys plus incredule mais fidele: voyes comme la veüe n'empesche pas la foy, mays la produict.

  A001000320 

 Or, autre chose vit saint Thomas et autre chose il creut; il vit le cors, il creut l'esprit et la divinité, car sa veùe ne luy avoit pas appris de dire, Mon Seigneur et mon Dieu, mays la foy.

  A001000326 

 De vray, ceste ruse n'est pas petite, de destourner les yeux spirituelz des gens de l'Eglise militante a la prædestination eternelle, affin qu'esblouÿs a l'esclair de ce mistere inscrutable nous ne voyons pas ce qui est devant nous.

  A001000328 

 N'estoit ce pas la vraye Eglise celle que saint Pol apelloit, Colomne et fermeté de la verité, et mayson du Dieu vivant? sans doute, car estre colomne de verité ne peut appartenir a un'eglise errante et vagabonde.

  A001000329 

 Ceux ausquelz on les retient ne sont ilz pas mauvais et reprouvés? ains cela est propre aux reprouvés que leurs pechés soyent retenuz, et l'ordinaire des esleuz quilz leur soyent pardonnés: or, que ceux ausquelz saint Pierre avoit pouvoir de les retenir ou pardonner fussent en l'Eglise, il appert; car de ceux qui ne sont en l'Eglise il n'appartient qu'a Dieu seul d'en juger; ceux, donques, desquelz saint Pierre devoit juger n'estoyent pas hors de l'Eglise mays dedans, quoy quil en deut avoir de reprouvés..

  A001000329 

 N'est ce pas la vraÿe Eglise contre laquelle les portes d'enfer ne prævaudront point? et neantmoins en icelle il y a des hommes qui ont besoin qu'on deslie leurs pechés, et d'autres ausquelz il les faut retenir, comme Nostre Seigneur faict voir en la promesse et puyssance qu'il en donne a saint Pierre.

  A001000330 

 Et Nostre Seigneur nous enseigne il pas, qu'estans offensés par quelqu'un de nos freres, apres l'avoir repris et corrigé par deux fois en deux diverses façons, [51] nous le deferions a l'Eglise? Dis le a l'Eglise; que s'il n'entend l'Eglise, quil te soit comme ethnique et publicain.

  A001000330 

 Les bons, donques, ne sont pas seulement de la vraye Eglise, mays les mauvais encores jusques a tant quilz en soyent chassés: sinon qu'on veuille dire que l'Eglise a laquelle Nostre Seigneur nous renvoÿe soit l'eglise errante, peccante et antichrestienne; ce seroit blasphemer trop a la descouverte..

  A001000330 

 On ne peut icy s'eschapper, l'argument est inevitable; il s'agit d'un nostre frere qui ne soit ni payen ni publicain, mais sous la discipline et correction de l'Eglise, et par consequent membre de l'Eglise, et neantmoins n'est pas inconvenient quil soit reprouvé, acariastre et obstiné.

  A001000331 

 Or cestuyci, encor quil ni demeure pas a jamais, il y demeure neantmoins pour un tems, pendant quil y est retenu pour quelque service..

  A001000331 

 Quand Nostre Seigneur dict: Le serviteur ne demeure pas en la mayson a jamais, le filz y demeure tousjours, n'est ce pas autant que s'il disoit qu'en la mayson de l'Eglise y est l'esleu et le reprouvé pour un tems? car, qui peut estre ce serviteur qui ne demeure pas tousjours en la mayson, que celuy la qui sera jetté une fois es tenebres exterieures? et de faict, il monstre bien que c'est aussy [ce] quil entend, quand il dict immediatement devant: Qui faict peché est serviteur de peché.

  A001000333 

 Judas est il pas reprouvé? et toutefois il fut Apostre et Evesque, selon le Psalmiste, et saint Pierre, [52] qui dict qu' il eut part au ministere de l'apostolat, et tout l'Evangile, qui le met tousjours en conte au college des Apostres.

  A001000333 

 Nicolas Antiochien fut il pas diacre comme saint Estienne? et neantmoins plusieurs anciens Peres ne font point de difficulté pour tout cela de le tenir pour hæresiarque, comm'entr'autres Epiphane, Philastre, Hierosme; et de faict, les Nicolaites prirent occasion de luy de mettr'en avant leurs abominations, desquelz saint Jan en l'Apocalypse faict mention comme de vrais hæretiques.

  A001000334 

 Et tout cecy est semblable a la sainte parole de Nostre Seigneur, qui tient les scribes et pharisiens estre vrais pasteurs de la vraÿe Eglise de ce tems la, puys quil commande qu'on leur obeisse, et neantmoins ne les tient pas pour esleuz ains plustost pour reprouvés.

  A001000334 

 Or quell'absurdité seroit ce, je vous prie, si les seulz esleuz estoyent de l'Eglise? il s'ensuyvroit ce qu'ont dict les Donatistes, que nous ne pourrions pas connoistre nos prælatz, et par consequent ne leur pourrions rendre l'obeissance: car, comme connoistrions nous si ceux qui se diroyent prælatz et pasteurs seroyent de l'Eglise? puysque nous ne pouvons connoistre qui est prædestiné et qui non d'entre les vivans, comm'il se dira ailleurs; et s'ilz ne sont de l'Eglise, comme y peuvent ilz tenir le lieu de chefz? ce seroit bien un monstre des plus estranges qui se peut voir que le chef de l'Eglise ne fut de l'Eglise.

  A001000335 

 Ne sont ce pas tout autant de suffisantes preuves que non seulement les esleuz mais encores les reprouvés sont en l'Eglise? Il faut donq fermer la porte de nostre propre jugement a toutes sortes d'opinions, et a ce propos encores, avec [54] ceste non jamais asses considerëe proposition: Il y en a beaucoup d'apellés, mais peu de choysis.

  A001000335 

 Saint Jan faict semblable l'Eglise a l'aire d'une grange, en laquelle est non seulement le grain pour le grenier, mays encores la paille pour estre bruslëe au feu eternel; ne sont ce pas les esleuz et les reprouvés? Nostre Seigneur l'apparie au filet jetté dans la mer, dans lequel on tire et les bons et les mauvais poissons; a la compaignie de dix vierges dont il y en a cinq folles et cinq sages; a trois valetz dont l'un est faineant et partant jetté es tenebres exterieures; et en fin a un festin de noces dans lequel sont entrés et bons et mauvais, et les mauvais n'ayans la robbe convenante sont jettés es tenebres exterieures.

  A001000335 

 Tous ceux qui sont en l'Eglise sont apellés, mays tous ceux qui y sont ne sont pas esleuz; aussy Eglise ne veut pas dire election mays convocation..

  A001000336 

 Mays ou trouveront ilz en l'Escriture aucun lieu qui leur puysse servir de quelqu'excuse en tant d'absurdités, et contre des preuves si claires que celles que nous avons faict? il ne manque pas de contreraysons en ce point, jamays l'opiniastreté n'en laisse avoir faute a ses serviteurs..

  A001000337 

 Apporteront ilz donques ce qui est escrit aux Cantiques, de l'Espouse, que c'est un jardin fermé, une fontayne ou source cachetëe, un puys d'eau vivante, qu'elle est toute belle et sans aucune tache, ou, comme dict l'Apostre, glorieuse, sans ride, sainte, immaculëe? Je les prie de bon cœur quilz regardent ce quilz veulent conclure de cecy, car silz veulent conclure quil ni doive point avoir en l'Eglise que de saints immaculés, sans ride, glorieux, je leur feray voir avec ces mesmes passages quil ny a en l'Eglise ni esleu ni reprouvé: car, n'est ce pas « la voix humble mais veritable, » comme dict le grand Concile de Trente, « de tous les justes » et esleuz, « remettes nous nos debtes comme nous les remettons a nos debiteurs »? Je tiens saint Jaques pour esleu, et neantmoins il confesse: Nous offençons tous en plusieurs choses; saint Jan nous ferme la bouche et a tous les esleuz, affin que personne ne se vante d'estre sans peché, ains au contraire veut [que] chacun sache et confesse quil peche; je crois que David en son ravissement et extase sçavoit que c'estoit que des esleuz, et neantmoins il tenoit tout homme pour mensonger.

  A001000337 

 Si, donques, ces saintes qualités donnëes a l'espouse Eglise se doivent prendre risq a risq, quil ni ayt aucune tache ni ride, il faudra sortir hors de ce monde pour trouver la verification de ses beaux tiltres, les esleuz de ce monde n'en seront pas capables.

  A001000338 

 L'Espouse a des cheveux et des ongles qui ne sont pas vivantes, quoy qu'elle soit vivante; le senat est sauverain, mais non pas chasque senateur; l'armëe est victorieuse, mays nompas chasque soldat; ell'emporte la bataglie, mays plusieurs soldatz y demeurent mors.

  A001000338 

 Les meurs dependent de la volonté, la doctrine, de l'entendement: en l'entendement de l'Eglise jamais ny entra fauseté, ni en la volonté aucune meschanceté; elle peut par la grace de son Espoux dire comme luy: Qui d'entre vous, o conjurés ennemys, me reprendra de peché? Et ne s'ensuit pour tant pas qu'en l'Eglise il ni ayt des meschans; resouvenes vous de ce que j'ay dict ailleurs.

  A001000341 

 On produict le passage de saint Jan: Je connois mes brebis, et personne ne les levera de mes mains; et que ces brebis la sont les prædestinés qui sont seulz du bercail du Seigneur, on produict ce que saint Pol dict a Timothee: Le Seigneur connoist ceux qui sont a luy, et ce que saint Jan a dict des apostatz: Ilz sont sortis d'entre nous, mais ilz n'estoyent pas d'entre nous..

  A001000342 

 Mays quelle difficulté trouve l'on en tout cela? nous confessons que les brebis prædestinëes entendent la voix de leur pasteur, et ont toutes les proprietés qui sont descrittes en saint Jan, ou tost ou tard, mays nous confessons aussy qu'en l'Eglise, qui est la bergerie de Nostre Seigneur, il ni a pas seulement des brebis ains encores des boucz; autrement, pourquoy seroit il dict qu'a la fin du monde, au jugement, les brebis seront separëes, sinon par ce que jusques au jugement, pendant que l'Eglise est en ce monde, ell'a en soy des boucz avec les brebis? certes, si jamais ilz n'avoyent estés ensemble, jamais on ne les separeroit: et puys en fin de conte, si les prædestinés sont apellés brebis aussy le sont bien les reprouvés, tesmoin David: Vostre fureur est courroucëe sur les brebis de vostre parc; [57] J'ay erré comme la brebis qui est perdüe; et ailleurs, quand il dict: O vous qui regentes sur Israel, escoutes, vous qui conduyses Joseph comm' une oüaille: quand il dict Joseph, il entend les Josephois et le peuple Israelitique, parce qu'a Joseph fut donné la primogeniture, et l'aisné baille nom a la race.

  A001000342 

 Mays qui ne sçait qu'au peuple d'Israel tout n'estoit pas prædestiné ou esleü? et neantmoins ilz sont apellés brebis, et sont tous ensemble sous un mesme pasteur.

  A001000343 

 Semblablement, qui nie que Nostre Seigneur connoisse ceux qui sont a luy? Il sceut sans doute ce que Judas deviendroit, neantmoins Judas ne layssa pas d'estre de ses Apostres; il sceut ce que devoient devenir les disciples qui s'en retournerent en arriere pour la doctrine de la realité de la manducation de sa chair, et neantmoins il les receut pour ses disciples.

  A001000344 

 De mesme ce que saint Jan dict, Ilz sont sortis d'entre nous, mays n'estoyent pas d'entre nous, ne faict rien a propos, car je diray, comme dict sainct Augustin: ilz estoyent des nostres ou d'entre nous numero, et ne l'estoyent pas merito, c'est a dire, comme le mesme Docteur: « Ilz estoyent entre nous et des nostres par la communion des Sacremens, mays selon la particuliere proprieté de leurs vices ilz ne l'estoyent pas; » ilz estoyent ja heretiques en leur ame et de volonté, quoy que selon l'apparence exterieure ilz ne le fussent pas.

  A001000344 

 Et n'est pas a dire que les bons ne soyent avec les mauvais en l'Eglise, ains, au contrayre, comme pouvoient ilz sortir de la compaignie de l'Eglise silz ny estoyent? ilz estoyent sans doute de faict, mais de volonté ilz en estoyent deja dehors..

  A001000353 

 Ne sçait on pas la parole de Nostre Seigneur mesme: Si je suys une foys eslevé de terre j'attireray a moy toutes choses? a il pas esté eslevé en la Croix? a il pas souffert? et comme donques auroyt il layssé aller l'Eglise quil avoit attirëe, a vau de route? comm'auroit il lasché ceste prise qui luy avoit costé si cher? Le prince du monde, le diable, avoit il esté chassé avec le saint baston de la Croix pour un tems de trois ou quatre cens ans pour revenir maistriser mill'ans? voules vous evacuer en ceste sorte la force de la Croix? estes vous arbitres de si bonne foy que de vouloir si iniquement partager Nostre Seigneur, et mettre desormays un'alternative entre sa divine bonté et la malice diabolique? Non, non, quand un fort et puyssant guerrier garde sa forteresse tout y est en paix, que si un plus fort survient et le surmonte, il luy leve les armes et le despoüille.

  A001000354 

 La consommation des saintz estoyt elle ja faicte il y a onze cens ou douze cens ans? l'edification du cors mistique de Nostre Seigneur, qui est l'Eglise, avoit elle esté parachevee? Ou cesses de vous apeller ædificateur, ou dites que non; et si elle n'avoit esté achevëe, comme de faict elle ne l'est pas mesme maintenant, pour quoy faites vous ce tort a la bonté de Dieu que de dire quil ayt osté et levé aux hommes ce quil leur avoit donné? C'est une des qualités de la bonté de Dieu que, comme dict saint Pol, ses dons et ses graces sont sans pænitence, c'est a dire, il ne donne pas pour oster.

  A001000354 

 Sa divine providence, des qu'ell'eust creë l'homme, le ciel, la terre, et ce qui est au ciel et a la terre, les conserva et conserve perpetuellement, en façon que la generation du moindre oysillion n'est pas encores estainte; que dirons nous donques de l'Eglise? Tout ce monde ne luy costa de premier marché qu'une simple parole: Il le dict et tout fut faict, et il le conserve avec une perpetuelle et infallible providence; comment, je vous prie, eust il abandonné l'Eglise qui luy coste tout son sang, tant de peynes et travaux? Il a tiré l'Israel de l'Egipte, des desers, de la mer Rouge, de tant de calamités et captivités, et nous croirons quil ayt layssé engolfé le Christianisme en l'incredulité? Il a tant eu de soin de son Agar, et il mesprisera Sara? il a tant favorisé la servante qui devoit estre chassëe hors de la mayson, et n'aura tenu conte de l'Espouse legitime? il aura tant honnoré l'ombre, et il abandonnera le cors? O que ce [62] seroit bien pour neant que tant et tant de promesses auroyent estees faites de la perpetuité de cest'Eglise..

  A001000355 

 C'est de l'Eglise que le Psalmiste chante: Dieu l'a fondëe en eternité; Son trosne (il parle de l'Eglise, trosne du Messie filz de David, en la personne du Pere eternel) sera comme le soleil devant moy, et comme la lune parfaitte en eternité, et le tesmoin fidele au ciel; Je mettray sa race es siecles des siecles et son trosne comme les jours du ciel, c'est a diré, autant que le ciel durera; Daniel l'apelle Royaume qui ne se dissipera point eternellement, l'Ange dict a Nostre Dame que ce royaume n'auroit point de fin, et parle de l'Eglise comme nous le prouvons ailleurs; Isaïe avoit il pas predict en ceste façon de Nostre Seigneur: S'il met et expose sa vie pour le peché il verra une longue race, c'est a dire, de longue durëe? et ailleurs: Je feray un'alliance perpetuelle avec eux; apres: Tous ceux qui les verront (il parle de l'Eglise visible) les connoistront? Mays, je vous prie, qui a baillé charge a Luther et Calvin de revoquer tant de saintes et solemnelles promesses que Nostre Seigneur a faites a son Eglise, de perpetuité? n'est ce pas Nostre Seigneur qui, parlant de l'Eglise, dict que les portes d'enfer ne prevaudront point contr'elle? et comme verifiera-on ceste promesse si l'Eglise a esté abolie mill'ans ou plus? et ce doux adieu que Nostre Seigneur dict a ses Apostres, Ecce ego vobiscum sum usque ad consummationem seculi, comme l'entendrons nous si voulons dire que l'Eglise puisse perir?.

  A001000356 

 Mays voudrions nous bien casser la belle regle de Gamaliel qui, parlant de l'Eglise naissante, usa de ce discours: Si ce conseil ou cest'œuvre est des hommes elle se dissipera, mays si ell'est de Dieu vous ne sçauries la dissoudre? L'Eglise est ce pas l'œuvre de Dieu? et comment donques dirons nous qu'elle soit dissipëe? Si ce bel arbre ecclesiastique avoit esté planté de main d'homme, j'avoueroys aysement quil pourroit estre arraché, mays ayant esté planté de si bonne main qu'est celle de Nostre Seigneur, je ne sçaurois [63] conseiller a ceux qui entendent crier a tous propos que l'Eglise estoit perie sinon ce que dict Nostre Seigneur: Laisses la ces aveugles, car toute plante que le Pere celeste n'a pas plantée sera arrachëe, mays celle que Dieu a plantëe ne sera point arrachëe..

  A001000357 

 Quoy? ne falloit il pas que Nostre Seigneur regnat au milieu de ses ennemis jusqu'à ce quil eut mis sous ses pieds et assujetty tous ses adversaires? et comme s'accompliront ces authorités si l'Eglise, royaume de Nostre Seigneur, avoit esté perdu et destruict? comme regneroit il sans royaume, et comme regneroit il parmi ses ennemys sil ne regnoit ça bas au monde?.

  A001000358 

 Les Apostres n'ont pas remis l'Eglise a vie, mays la luy [ont] conservëe par leur ministere apres que Nostre Seigneur l'eust [64] establie; qui donques dict que l'ayant trouvé morte il l'a resuscitëe, a vostr'avis merite il pas d'estr'assis au trosne de temerité? Nostre Seigneur avoit mis le saint feu de sa charité au monde, les Apostres avec le souffle de leur prædication l'avoyent accreu et faict courir par tout le monde: on dict quil estoit estaint par mi les eaux d'ignorance et d'iniquité; qui le pourra rallumer? le souffler ni sert de rien, et quoy donques? il faudroit peut estre rebattre de nouveau avec les clouz et la lance sur Jesuchrist, pierre vivante, pour en faire sortir un nouveau feu, ou s'il suffira que Calvin ou Luther soient au monde pour le rallumer? Ce seroit bien de vray estre des troysiesmes Helies, car ni Helie ni saint Jan Baptiste n'en firent onques tant; ce seroit bien laysser tous les Apostres en arriere, qui porterent bien ce feu par le monde, mays ilz ne l'allumerent pas.

  A001000358 

 Mays, je vous prie, si cest'Espouse fut morte apres que du costé de son Espoux endormy sur la Croix ell'eust premierement la vie, si elle fut morte, dis je, qui l'eust resuscitëe? Ne sçait on pas que la resurrection des mors n'est pas moindre miracle que la creation, et beaucoup plus grand que la continuation et conservation? Ne sçait on pas que la reformation de l'homme [est] un bien plus profond mistere que la formation, et qu'en la formation Dieu dict, et il fut faict? il inspira l'ame vivante, et il ne l'eut pas si tost inspirëe que ce celest'homme commença a respirer; mays en la reformation Dieu employa trente trois ans, sua le sang et l'eau, mourut mesme sur ceste reformation.

  A001000360 

 Ne dites pas donques que la bonne semence est abolie ou estouffëe, car elle croit jusques a la consommation du siecle..

  A001000366 

 L'Eglise fut elle pas tout'abolie quand Adam et Eve pecherent? Responce: Adam et Eve n'estoyent pas Eglise, ains le commencement d'Eglise; et n'est pas vray que fut perdue alhors encor qu'ell'eust esté, car ilz ne pecherent pas en la doctrine ni au croire, mais au faire..

  A001000367 

 Aaron, sauverain Prestre, n'adora il pas le veau d'or avec tout son peuple? Responce: Aaron n'estoit encores pas sauverain Prestre ni chef du peuple, ains le fut par apres; et n'est pas vray que tout le peuple idolatrast, car les enfans de Levi n'estoyent ilz pas gens de Dieu? et se joignirent ilz pas a Moyse?.

  A001000368 

 Responce: Helie n'estoit pas seul en Israel homme de bien, puysquil y en avoit 7000 hommes qui ne s'estoient pas abandonné a l'idolatrie, et ce qu'en dict le Prophete n'est que pour mieux exprimer la justice de sa plainte; et n'est pas vray qu'encor que tout Israel eut manqué l'Eglise pourtant eut esté abolie, car Israel n'estoit pas toute l'Eglise, ains en estoit desja separé par le schisme de Hieroboam, et le royaume de Juda en estoit la meilleure et la principale partie; c'est d'Israel non de [66] Juda, aussy, de quoy Azarie prædit quil seroit sans prestre et sacrifice..

  A001000369 

 Qui ne sçait la plainte de David: Il ni a celuy, mesm'un tout seul, qui face bien? et qui ne sçait de l'autre costé quil y eut plusieurs gens de bien de son tems? Ces façons de parler sont frequentes, mays il n'en faut faire conclusion particuliere sur un chacun; davantage, on ne prouve pas par la que la foy eut manqué en l'Eglise, ni que l'Eglise fut morte, car il ne s'ensuit pas, si un cors est par tout malade donques il est mort.

  A001000369 

 Responce: Ce sont des façons de parler, et de detester le vice d'un peuple avec vehemence; et encores que les prophetes, pasteurs et prædicateurs usent de ces generales façons de parler, il ne les faut pas verifier sur chaque particulier, mays seulement sur une grande partie, comm'il appert par l'exemple d'Helie, qui se plaignoit d'estre seul, et neantmoins il y avoit encores 7000 fideles.

  A001000370 

 Responce: Qui vous dict que sous prætexte de l'Eglise il faille se confier au mensonge? ains, au contraire, qui s'appuÿe au jugement de l'Eglise s'appuÿe sur la colonne et fermeté de verité, qui se fie a l'infallibilité de l'Eglise ne se fie pas au mensonge, si ce n'est mensonge ce qui est escrit: Les portes d'enfer ne prævaudront point contre elle.

  A001000371 

 Est il pas escrit quil faut que la discession et la separation vienne, et que le sacrifice cessera, et qu'a grand peyne le Filz de l'homme trouvera la foy en [67] terre a son second retour visible, quand il viendra juger? Responce: Tous ces passages s'entendent de l'affliction que fera l'Antichrist en l'Eglise les trois ans et demy quil y regnera puyssamment; non obstant cela, l'Eglise durant ces troys ans mesme ne manquera pas, ains sera nourrie et conservëe parmi les desers et solitudes ou elle se retirera, comme dict l'Escriture..

  A001000377 

 I a il homme de jugement au monde qui ne connoisse clairement, quand il lira l'Apocalipse de saint Jan, que ce n'est pas pour ce tems quil est dict que la femme (c'est a dire, l'Eglise) s'en fuit en la solitude?...

  A001000379 

 La pierre taillëe du mont sans œuvre manuelle, n'est ce pas Jesus Christ, descendu de la race des Juifz sans œuvre de mariage? et ceste pierre la ne fracassa elle tous les royaumes de la terre, c'est a dire, toutes les dominations des idoles et dæmons? ne s'accreut elle pas jusqu'a remplir tout l'univers? C'est donq de ce mont quil est dict, præparé sur la cime [des] mons; c'est un mont eslevé sur le sommet de tous les mons, et toutes gens se rendront vers en iceluy.

  A001000379 

 Les Donatistes (les Calvinistes) rencontrent le mont, et [69] quand on leur dict, montés, ce n'est pas une montaigne, ce disent ilz, et plus tost y donnent et l'heurtent du front que d'y chercher une demeure.

  A001000379 

 Qui d'entre vous connoit l'Olimpe? personne, certes, ne plus ne moins que les habitateurs d'iceluy ne sçavent que c'est de nostre mont Chidabbe; ces montz sont retirés en certains quartiers, mays le mont d'Isaïe n'est pas de mesme, car il a remply toute la face de la terre.

  A001000379 

 Qui se perd et s'esgare de cest mont? qui choque et se casse la teste en iceluy? qui ignore la cité mise sur le mont? mays non, ne vous esmerveilles pas quil soit inconneu a ceux cy qui haissent les freres, qui haissent l'Eglise, car, par ce, vont ilz en tenebres et ne sçavent ou ilz vont, ilz se sont separés du reste de l'univers, ilz sont aveugles de mal talent.

  A001000380 

 Saint Hierosme entre en cest'escarmouche d'un autre costé, qui vous est bien aussy dangereux que l'autre, car il faict voir clairement que ceste dissipation prætendue, ceste retraitte et cachette, abolist la gloire [70] de la Croix de Nostre Seigneur; car, parlant a un schismatique reuni a l'Eglise, il dict ainsy: « Je me rejouys avec toy, et rends graces a Jesus Christ mon Dieu, de ce que tu t'es reduit de bon courage de l'ardeur de fauceté au goust et saveur de tout le monde; et ne dis pas comme quelquesuns: O Seigneur, sauves moy, car le saint a manqué, desquelz la voix impie evacue la Croix de Jesus Christ, assujettit le Filz de Dieu au diable, et le regret que le Seigneur a proferé des pecheurs, il l'entend estre dict de tous les hommes.

  A001000381 

 Et que diroit ce grand personnage de ceux qui non seulement nient qu'ell'aÿe esté generale et universelle, mays dient qu'elle n'estoit qu'en certaines personnes inconneües, sans vouloir determiner un seul petit vilage ou elle fut il y a quattre vingtz ans? n'est ce pas bien avilir les glorieux trophëes de Nostre Seigneur? Le Pere celeste, pour la grand'humiliation et aneantissement que Nostre Seigneur avoit subi en l'arbre de la Croix, avoit rendu son nom si glorieux que tout genou se devoit plier en sa reverence, mays ceux cy [71] ne prisent pas tant la Croix ni les actions du Crucifix, ostant de ce conte toutes les generations de mill'ans.

  A001000381 

 Le Pere luy avoit donné en heritage beaucoup de gens, par ce quil avoit livré sa vie a la mort, et avoyt esté mis au rang des meschans hommes et voleurs, mays ceux cy luy amaigrissent bien son lot, et roignent si fort sa portion qu'a grand peyne durant mill'ans aura il eu certains serviteurs secretz, ains n'en aura du tout point eu; car je m'addresse a vous, o devanciers, qui porties le nom de Chrestien, et qui aves estés en la vraye Eglise: ou vous avies la vraye foy, ou vous ne l'avies pas; si vous ne l'avies pas, o miserables, vous estes damnés, et si vous l'avies, pourquoy la celies vous aux autres? que n'en laissies vous des memoyres? que ne vous opposies vous a l'impieté, a l'idoletrie? ou si vous ne sçavies pas que Dieu a recommandé a un chacun son prochain? certes, On croit de cœur pour la justice, mays qui veut obtenir le salut il faut faire la confession de sa foy, et comme pouvies vous dire, J'ay creu, et par ce j'ay parlé? O miserables encores, qui ayant un si beau talent l'aves caché en terre; si ainsy est, vous estes es tenebres extérieures.

  A001000388 

 Mays quelle plus dommageable et temerayre persuasion pouvoyent ilz faire au Christianisme que cellela? Si donques l'Eglise peut errer, o Calvin, o Luther, a qui auray je recours en mes difficultés? a l'Escriture, disent ilz: mays que feray je, pauvr'homme? car c'est sur l'Escriture mesme ou j'ay difficulté; je ne suys pas en doute s'il faut adjouster foy a l'Escriture ou non, car qui ne sçait que c'est la parole de verité? ce qui me tient en peyne c'est l'intelligence de cest'Escriture, ce [73] sont les consequences d'icelle, lesquelles estans sans nombre, diverses et contraires sur un mesme sujet, ou qu'un chacun prend parti qui en l'une qui en l'autre, et que de toutes il ny en a qu'une salutaire, ah, qui me fera connoistre la bonne d'entre tant de mauvaises? qui me fera voir la vraye verité au travers de tant d'apparentes et masquëes vanités? Chacun se voudroit embarquer sur le navire du Saint Esprit, il ny en a qu'un, et celuy la seul prendra port, tout le reste court au naufrage; ah, quel danger de mesprendre: l'egale ventance et asseurance des patrons en deçoit la plus part, car tous se ventent d'en estre les maistres.

  A001000388 

 Quicomque dict que nostre Maistre ne nous a pas laissé des guides en un si dangereux et malaysé chemin, il dict quil nous veut perdre; quicomque dict quil nous a embarqués a la mercy [des vents] et de la marëe, sans nous donner un expert pilote qui sache bien entendre sur la bussole et la charte marine, il dict que ce Seigneur a faute de provoyance; quicomque dict que ce bon Pere nous a envoyés en cest'escole Ecclesiastique, sachant que l'erreur y estoit enseignëe, il dict quil a voulu nourrir nostre vice et nostre ignorance.

  A001000389 

 L'Eglise a condamné Berengaire; quicomque en veut debattre plus avant je le tiens comm'un payen et peager, affin d'obeir a mon Seigneur, qui ne me laysse pas en liberté en cest endroit, mays me commande: Tiens le comm'un payen et peager..

  A001000389 

 Mays qui considerera le tesmoignage que Dieu a donné pour l'Eglise, si authentique, il verra que dire, l'Eglise erre, n'est autre sinon dire, Dieu erre, ou se plaict et veut qu'on erre, qui seroit un grand blaspheme: car, n'est ce pas Nostre Seigneur qui dict: Si ton [frere] a peché (contre toy), dis le a l'Eglise; que si quelqu'un n'entend l'Eglise, quil te soit comme ethnique [74] et peager? Voyes vous comme Nostre Seigneur nous renvoÿe a l'Eglise en nos differens, et quelz qu'ilz soyent? mays combien plus es injures et differens plus importans? certes, si je suys obligé, apres l'ordre de la correction fraternelle, d'aller a l'Eglise pour fayre amander un vicieux qui m'aura offencé, combien plus seray je obligé d'y deferer celuy qui apelle toute l'Eglise Babilone, adultere, idolatre, mensongere, parjure? d'autant plus principalement qu'avec ceste sienne malveillance il pourra desbaucher et infecter tout'une province, le vice d'heresie estant si contagieux que comme chancre il se va tousjours traynant plus avant pour un tems.

  A001000389 

 Que si elle peut errer, ce ne sera plus moy, ou l'homme, qui nourrira cest erreur au monde, ce sera nostre Dieu mesme qui l'authorisera et mettra en credit, puysqu'il nous commande d'aller a ce tribunal pour y ouyr et recevoir justice: ou il ne sçait pas ce que s'y faict, ou il nous veut decevoir, ou c'est a bon escient que la vraÿe justice s'y administre, et les sentences sont irrevocables.

  A001000390 

 Ell'est bien tellement asseurëe et ferme que toutes les portes d'enfer, c'est a dire toutes les forces ennemies, ne sçauroient s'en rendre maistresses; et ne seroit ce pas place gaignëe pour l'ennemy si l'erreur y entrait, es choses qui sont pour l'honneur et le service du Maistre? Nostre Seigneur est le chef de l'Eglise; a on point d'honte d'oser dire que le cors d'un chef si saint soit adultere, prophane, corrompu? et qu'on ne die pas que ce soit de l'Eglise invisible, car s'il y a point: d'Eglise visible (comme je l'ay monstré cy dessus) [76] Nostre Seigneur en est le chef; oyes saint Pol: Et ipsum dedit caput supra omnem ecclesiam, non sur un'eglise de deux que vous imagines, mais sur tout'Eglise.

  A001000390 

 N'est ce pas a dire que la verité est soustenue fermement en l'Eglise? ailleurs la verité n'est soustenue que par intervales, ell'en tumbe souvent, mays en l'Eglise ell'y est sans vicissitude, immuablement, sans chanceler; bref, stable et perpetuelle.

  A001000390 

 [75] Les Juifz gardent une partie des Escritures, et beaucoup d'heretiques encores, mays pour cela ilz ne sont pas colomnes et fermetés de la verité.

  A001000397 

 Calvin se voudroit bien couvrir par une distinction, disant que l'Eglise peut errer en choses non necessaires au salut, non es autres, mays Beze confesse librement qu'ell'a tant erré [77] qu'elle n'est plus Eglise; et cela n'est ce pas errer en choses necessaires au salut? mesme quil avoüe qu'hors l'Eglise il ni a point de salvation.

  A001000397 

 Et dict de Beze quil a apris ceste façon de parler de ceux qui l'ont instruict en sa religion prætendue, c'est a dire, de Calvin; et de vray, si Calvin pensoit que l'Eglise Romayne n'eust pas erré es choses necessaires a salut il eust eu tort de s'en separer, car y pouvant faire son salut, et y estant le vray Christianisme, il eust esté obligé d'y demeurer pour son salut, lequel ne pouvoit estr'en deux lieux differentz..

  A001000397 

 Je ne suys pas maintenant en grand peyne de monstrer combien vos ministres ont avily la sainteté et majesté de l'Eglise.

  A001000398 

 On me dira peut estre que de Beze dict bien que l'Eglise Romayne qui est aujourdhuy erre en choses necessaires, et que partant il s'en est separé, mays quil ne dict pas que la vraÿe Eglise ait jamais erré.

  A001000399 

 Mays n'est ce pas violer tout le respect et la reverence deüe a ceste Reyne espouse du Roy celeste, d'avoir ramené sur ses terres quasi toutes les troupes que cy devant, avec tant de sang, de sueurs et de travaux, ell'avoyt par solemnelle punition bannies et chassées de ses confins, comme rebelles et conjurées ennemyes de sa coronne, j'entens, d'avoir remis sus pied tant d'heresies et fauses opinions que l'Eglise avoit condamnees comme entreprenans la sauverayneté sur l'Eglise, absoulvans ceux qu'ell'a condamnés, condamnés ceux qu'ell'avoit absoutz? Voyci des exemples..

  A001000400 

 Quoy quilz nient le mot ilz suyvent la chose et le cors de cest'hæresie, si hæresie se doit appeller, non atheisme; de quoy tant de doctes hommes les convainquent par leurs propres paroles que je ne m'y amuseray pas..

  A001000406 

 Vigilance (comm'escrit saint Hierosme, 1. Adversus Vigilantium, et 2 epistolis adversus eundem ) nia qu'on deut avoir en honneur les reliques des Saints, que les prieres des Saints fussent profitables, que les prestres deussent vivr'en cælibat, la pauvreté volontaire: que ne nies vous pas de tout cecy?.

  A001000408 

 Quand au premier trait, voyes de Beze en son traitté Des marques de l'Eglise; quand au second, n'est il pas d'accord avec ceste tant celebre sentence de Luther, que de Beze tient pour tresglorieux reformateur: Vides quam dives sit homo Christianus sive baptizatus, qui etiam volens non potest perdere salutem suam, quantiscumque peccatis, nisi nolit credere?.

  A001000415 

 Ah, je vous prie, n'est ce pas fouler aux pieds la majesté de l'Eglise, que de produyre comme reformations et reparations necessaires et saintes, ce qu'ell'a tant abominé lhors qu'elle estoit en ses plus pures annëes, et qu'ell'avoyt terrassé comm'impieté, ruyne et degast de la vraÿe doctrine? L'estomac delicat de ceste celeste Espouse n'avoit pieça peu soustenir la violence de ces venins, et l'avoit rejetté avec tel effort que plusieurs veynes de ses Martirs en estoyent esclattëes, et maintenant vous le luy repræsentes comm'une præcieuse medecine.

  A001000415 

 Imagines vous donques ceste [82] venerabl'antiquité, au ciel au tour du Maistre, qui regardent vos reformatoyres: ilz y sont allés combattans les opinions que les ministres adorent, ilz ont tenuz pour hæretiques ceux dont vous suyves les pas; penses vous que ce quilz ont jugé erreur, hæresie, blaspheme es Arriens, Manicheens, en Judas, ilz le trouvent maintenant sainteté, reformation, restauration? Qui ne voit que c'est icy le plus grand mespris qu'on peut fair'a la majesté de l'Eglise? Si vous voules venir a la succession de la vraye et sainte Eglise de ces premiers siecles, ne contrevenes donq pas a ce qu'ell'a si sollemnellement establi et constitué.

  A001000415 

 Or sus, ceste seul'alliance d'opinions, ou pour mieux dire, cest estroit parantage et consanguinité, que vos premiers maistres avoyent avec les plus cruelz, enviellis et conjurés ennemis de l'Eglise, vous devoyt elle pas destourner de les suyvre et vous renger sous leurs enseignes? Je n'ay cotté pas un'hæresie qui n'ait esté tenue pour telle en l'Eglise que Calvin et Beze confessent avoir esté vraÿe Eglise, a sçavoir, es premiers cinq cens du Christianisme.

  A001000415 

 Personne ne peut estre heritier en partie, et en partie non; acceptes l'heritage resolument: les charges ne sont pas si grandes qu'un peu d'humilité n'en face la rayson, dir'adieu a ses passions et opinions, et passer conte du different que vous aves [avec] l'Eglise; les honneurs sont infinis, d'estr' heritiers de Dieu, cohæritiers de Jesuchrist, en l'heureuse compaignie de tous les Bienheureux.

  A001000425 

 Je vous demande, Messieurs les clair voians, qui ne voules pas qu'en l'Eglise il y ait un chef, me sçauries vous donner exemple de quelque gouvernement d'apparence auquel tous les gouvernemens particuliers ne se soyent rapportés a un? Il faut laisser a part les Macedoniens, Babiloniens, Juifz, Medes, Perses, Arabes, Siriens, François, Espagnolz, Anglois, et un'infinité des plus remarquables, esquelles la chose est claire.

  A001000425 

 Messieurs qui [85] vous playses es histoires, je suys asseuré de vostre voix, vous ne permettres pas qu'on m'en demente.

  A001000425 

 Ores, l'Eglise estant une mayson et famille, le maistre d'icelle il ne faut pas douter quil ni en a qu'un seul, Jesuchrist, ainsy est elle appellëe mayson de Dieu.

  A001000426 

 Ou c'est une province, ou une ville, ou un'assemblee, ou un particulier: si c'est une province, ou est elle? ce n'est pas l'Angleterre, car quand ell'estoit Catholique, ou [lui trouvez-vous ce droit? si vous proposez une autre province,] ou sera elle? et pourquoy plustost celle la qu'un'autre? outre ce que pas une province n'a jamais demandé ce privilege.

  A001000433 

 Ce qu'estant ainsy, je vous dis que ce serviteur general, ce dispensateur et gouverneur, ce maistre valet de la maison de Nostre Seigneur, c'est saint Pierre, lequel a rayson de cela peut bien dire: O Domine, quia ego servus; et non pas seulement servus, mais doublement, quia qui bene præsunt duplici honore digni sunt; et non seulement servus tuus, mais encores filius ancillæ tuæ.

  A001000433 

 Saint Luc nous monstre bien que saint Pierre est ce serviteur, car, apres avoir raconté que Nostre Seigneur avoit dict par advertissement a ses disciples: Beati servi quos cum venerit Dominus invenerit vigilantes; amen, dico vobis, quod præcinget se, et faciet illos discumbere, et transiens ministrabit illis, saint Pierre seul interrogea Nostre Seigneur: Ad nos dicis hanc parabolam an et ad omnes? Nostre Seigneur, respondant a saint Pierre, ne dict pas: Qui putas erunt fideles, comm'il avoit [dit] beati servi, mais, Quis putas est dispensator fidelis et prudens, quem constituit Dominus super familiam suam ut det illis in tempore tritici mensuram? Et de faict, Theophylacte dict que saint Pierre fit ceste demande comme ayant la supresme charge de l'Eglise, et saint Ambroise, l. 7.

  A001000434 

 De plus, Nostre Seigneur demande que ce serviteur soit prudent et fidele, et saint Pierre a bien ces deux conditions: car, la prudence comme luy peut elle manquer, puysque ni la chair ni le sang ne le gouverne poinct, mais le Pere celeste? et la fidelité comme luy pourroit elle fallir, puysque Nostre Seigneur [dit]: Rogavi pro te ut non deficeret fides tua? lequel il faut croire que exauditus est pro sua reverentia, de quoy il donne bien bon tesmoignage quand il adjouste, Et tu conversus confirma fratres tuos, comme s'il vouloit dire: j'ay prié pour toy, et partant sois confirmateur des [88] autres, car pour les autres je n'ay pas prié sinon quilz eussent un refuge asseuré en toy..

  A001000434 

 Et de vray, si nous voulons un peu espelucher ceste parabole, qui peut estre le serviteur qui doit donner le froment sinon saint Pierre, auquel la charge de nourrir les autres a estëe donnëe: Pasce oves meas? Quand le maistre de la maison va dehors, il donne les clefz au maistre valet et œconome, et n'est ce pas a saint Pierre auquel Nostre Seigneur a dict: Tibi dabo claves regni cælorum? Tout se rapporte au gouverneur, et le reste des officiers s'appuyent sur iceluy, quand a l'authorité, comme tout l'edifice sur le fondement.

  A001000440 

 Vous me dires, ouy, mais Nostre Seigneur n'est pas mort, et d'abondant il est toujours avec son Eglise, pourquoy donques luy bailles vous un vicaire? Je vous respons que n'estant pas mort il n'a poinct de successeur, mais seulement un vicaire, et d'abondant, quil assiste vrayement a son Eglise en tout et par tout de sa faveur invisible, mais, affin de ne faire pas un cors visible sans un chef visible, il luy a encores voulu assister en la personne d'un lieutenant visible, par le moyen duquel, outre les faveurs invisibles, il administre perpetuellement son Eglise en maniere et [forme] convenable a la suavité de sa disposition..

  A001000441 

 La donques Isaïe, se plaignant des Juifz et de leurs prestres en la personne de Nostre Seigneur, de ce que ils ne voudroyent pas croyre, Manda, remanda, expecta, reexpecta, et ce qui s'ensuit, il adjouste: Idcirco hæc dicit Dominus, et partant le Seigneur a dict, Ecce ego mittam in fundamentis Sion lapidem..

  A001000445 

 Il est donq angulaire in fundamento fundatum, fondé sur le fondement; il sera fondement mais non pas premier, car il i aura ja un autre fondement, Ipso summo lapide angulari Christo.

  A001000445 

 Nostre Seigneur ne dict pas quil fondera une seule muraille de l'Eglise, mais toute, Ecclesiam meam.

  A001000450 

 Je ne m'amuseray pas beaucoup en ce point.

  A001000451 

 Je perdrois tems aussi de vous [prouver que vous] n'aves point de chef visible; vous ne le nies pas.

  A001000451 

 Les Anglois tiennent leur Reyne pour chef de leur eglise, contre la pure Parole de Dieu: si ne sont ilz pas si desesperés, que je sçache, qu'ilz veuillent qu'elle soit chef de l'Eglise Catholique, mais seulement de ces miserables pays.

  A001000451 

 Quant a vos evesques ou surveillans, vous ne vous estes pas contentés de les ravaler jusqu'aux rangs des ministres, mais les aves rendus inferieurs, affin de ne laisser rien en sa place.

  A001000451 

 Vous estes si esloignés de vouloir reconnoistre un chef universel, que mesme vous n'aves point de chef provincial; les ministres sont autant parmi vous l'un que l'autre, et n'ont aucune prerogative au Consistoire, ains sont inferieurs, et en science et en voix, au president qui n'est pas ministre.

  A001000452 

 La vraye Eglise doit avoir un chef visible en son gouvernement et administration, la vostre n'en a point, donques la vostre n'est pas la vraye Eglise.

  A001000464 

 C'est « le commencement de l'unité de prestrise, » c'est « le lien d'unité, » ce dict saint Cyprien; « Nous n'ignorons pas, » [dit] il encores, « qu'il y a un Dieu, qu'un Christ et Seigneur, lequel nous avons confessé, un Saint Esprit, un Evesque en l'Eglise Catholique.

  A001000464 

 Qu'on coure tout le monde, et par tout on verra mesme foy es Catholiques; que s'il y a quelque diversité d'opinion, ou ce ne seroit pas en chose appartenant a la foy, ou tout incontinent que le Concile general ou le Siege Romain en aura determiné, vous verres chacun se ranger a leur definition.

  A001000464 

 » Le bon Optatus disoit ainsy aux Donatistes: « Tu ne peux nier que tu ne sçaches qu'en la ville de Rome la principale chaire a esté premierement conferee a saint Pierre, en laquelle a esté assis le chef de tous les Apostres, saint Pierre, dont il fut appellé Cephas, chaire en laquelle l'unité fut de tous gardee, affin que les autres Apostres ne voulussent pas se pretendre et defendre chacun la sienne, et que des ores celuy la fust schismatique et pecheur, qui voudroit se bastir une autre chaire contre ceste unique chaire.

  A001000465 

 Au contraire, Messieurs, vos premiers maistres n'eurent pas plus tost esté sus pied, ilz n'eurent pas plus tost pensé de se bastir une tour de doctrine et de science qui allast toucher a descouvert dans le ciel, et leur acquist la grande et magnifique reputation de reformateurs, que Dieu, voulant empescher cest ambitieux dessein, permit entre eux une telle diversité de langage et de creance, qu'ilz commencerent a se cantonner qui ça qui la, si que toute leur besoigne ne fut qu'une miserable Babel et confusion.

  A001000465 

 Je diray seulement ce que vous ne pouves pas ignorer, et que je vois maintenant de mes yeux..

  A001000466 

 Il ne s'agit pas icy que les uns les fassent, les autres non, car ce ne seroit pas contrarieté de religion, mays ce que vous et quelques Suisses observes, les autres le condamnent comme contraire a la pureté de religion.

  A001000466 

 Les Puritains en Angleterre tiennent comme article de foy qu'il n'est pas loysible de precher, baptizer, prier, es eglises qui ont esté autrefois aux Catholiques, mais on n'est pas si despiteux de deça: mais notes que j'ay dict qu'ilz le tiennent pour article de foy, car ilz souffrent et les prisons et les bannissemens plustost que de s'en desdire.

  A001000466 

 Les huguenotz françois tiennent que selon la Parole de Dieu les prestres ne sont pas moindres que les Evesques; les Anglois ont des Evesques qui commandent aux prestres, et entre eux, deux Archevesques, dont l'un est appellé Primat, nom auquel Calvin veut si grand mal.

  A001000466 

 Ne sçaves pas qu'a Geneve l'on tient pour superstition de celebrer aucune feste des Saintz? et en Suisse on les fait, et vous en faites une de Nostre Dame.

  A001000466 

 Ne sçaves pas que l'un de vos plus grans ministres dict a Poissy que le Cors de Nostre Seigneur estoit « aussi loin de la cene que la terre du ciel »? et ne sçaves pas encores que cela est tenu pour faux par plusieurs des autres? l'un de vos maistres n'a il pas confessé dernierement la realité du Cors de Nostre Seigneur en la cene, et les autres la nient ilz pas? Me pourres vous nier, qu'au fait de la [95] justification vous soyes autant divisés entre vous autres comme vous Testes d'avec nous? tesmoin l' Anonyme disputateur.

  A001000466 

 Vous n'aves pas un mesme canon des Escritures; Luther n'y veut pas l'Epistre de saint Jaques, que vous receves.

  A001000467 

 Mays le pis est que vous ne vous sçauries accorder; car, ou prendres vous un arbitre asseuré? Vous n'aves point de chef en terre pour vous addresser a luy en vos difficultés; vous croyes que l'Eglise mesme peut s'abuser et abuser les autres; vous ne voudries mettre vostre ame en main si peu asseuree, ou vous n'en tenes pas grand conte.

  A001000481 

 Il ne dict pas que ce fust seulement pour dix ans, ou vingt ans, mais simplement que ces miracles accompagneront les croyans.

  A001000481 

 Il ne dict pas que les seulz Apostres feroient ces miracles, mais simplement ceux qui croiront.

  A001000481 

 Il ne dict pas que tous les croyans en particulier feroient des miracles, mais que ceux qui croiront seront suivis de ces signes.

  A001000482 

 Dieu mit en main de Moyse ces instrumens affin qu'il fust creu, dont Nostre Seigneur dict que s'il n'eust faict des miracles les Juifz n'eussent pas esté obligés de le croire.

  A001000482 

 Or sus, l'Eglise doit elle pas tousjours combattre l'infidelité? et pourquoy donques luy voudries vous oster ce bon baston que Dieu luy a mis en main? Je sçay bien qu'elle n'en a pas tant de necessité qu'au commencement; apres que la sainte plante de la foy a prins bonne racine on ne la doit pas si souvent arrouser; mais aussi, vouloir lever en tout l'effect, la necessité et cause demeurant en bonne partie, c'est tres mal philosopher..

  A001000489 

 Informations prinses deüement et authentiquement, on trouve que, sous le commencement de ce siecle, saint François [101] de Paule a fleuri en miracles indubitables, comme est la ressuscitation des mortz; on en trouve tout autant de saint Diegue d'Alcala: ce ne sont pas bruitz incertains, mais preuves assignees, informations prinses..

  A001000494 

 Cela l'appelles vous pas miracle? Je parle de chose voisine, j'ay leu l'acte public, j'ay parlé au notaire qui l'a receu et expedié, bien et deüement signé, Vion; il n'y manqua pas de tesmoins, car il y avoit du peuple a milliades.

  A001000494 

 Mays que m'arreste je faire a vous produire les miracles de nostre aage? saint Malachie, saint Bernard et saint François estoyent ilz pas de nostre Eglise? vous ne le sçauries nier; ceux qui ont escrit leurs vies sont tres saintz et doctes, car mesme saint Bernard a escrit celle de saint Malachie, et saint Bonaventure celle de saint François, auxquelz ni la suffisance ni la conscience ne manquoyent point, et neantmoins ilz y racontent plusieurs grans miracles: mays sur tout les merveilles qui se font maintenant, a nos portes, a la veüe de nos Princes et de toute nostre Savoye, pres de Mondevis, devroyent fermer la porte a toutes opiniastretés..

  A001000496 

 Les merveilles de l'Antichrist ne seront qu'une bouttade de trois ans et demy, mais les miracles de l'Eglise luy sont tellement propres que des qu'elle est fondee elle a tousjours esté reluisante en miracles; en l'Antichrist les miracles seront forcement, et ne dureront pas, mais en l'Eglise ilz y sont naturellement en sa surnaturelle nature, et partant ilz sont tousjours, et tousjours l'accompagnent, pour verifier la parole, ces signes suivront ceux qui croiront..

  A001000496 

 que les miracles de l'Antichrist ne sont pas telz que ceux que nous produisons pour l'Eglise, et partant ne s'ensuit pas que, si ceux la ne sont pas Marque d'Eglise ceux cy ne le soyent pas aussi; ceux la seront monstrés faux et combattus par des plus grans et solides, ceux cy sont solides, et personne n'en peut opposer de plus asseurés.

  A001000497 

 Ainsy « Quelques merveilles se sont faictes », dict saint Augustin, « chez les payens »: non pas pour preuve du paganisme, mays de l'innocence, de la virginité et fidelité, laquelle, ou qu'elle soit, est aymee et prisee de Dieu son autheur.

  A001000497 

 Que si Vespasien a gueri un aveugle et un boiteux, les medecins mesmes, au recit de Tacitus, trouverent que c'estoit un aveuglement et une perclusion qui n'estoyent pas incurables; ce n'est donques pas merveille si le diable les sceut guerir.

  A001000497 

 Un Juif estant baptizé se vint presenter a Paulus, evesque novatien, pour estre rebaptizé, dict Socrates; l'eau des fons tout incontinent s'esvanouit: ceste merveille ne se fit pas pour la confirmation du Novatianisme, mays du saint Baptesme, qui ne devoit pas estre reiteré.

  A001000499 

 Puys, une hirondelle ne faict pas le printems; c'est la suite perpetuelle et ordinaire des miracles qui est Marque de la vraye Eglise, non accident: mais ce seroit se battre avec l'ombre et le vent, de refuter ce bruit, si lasche et si debile que personne n'ose dire de quel costé il est venu..

  A001000499 

 Vous me confesseres que ce n'est pas de vostre mestier de faire des miracles, ni de chasser les diables; une fois il reussit mal a l'un de vos grans maistres qui s'en vouloit mesler, ce dict Bolsec: Illi de mortuis vivos suscitabant, ce dict Tertullien, [105] isti de vivis mortuos faciunt.

  A001000500 

 Aussi ne vous en demande je point; seulement je vous prie que vous confessies franchement que vous n'aves pas faict vostre apprentissage avec les Apostres, Disciples, Martyrs et Confesseurs, qui ont esté maistres du mestier..

  A001000501 

 Mays quand vous dites que vous n'aves besoin de miracles parce que vous ne voules establir une foy nouvelle, dites moy donq encores si saint Augustin, saint Hierosme, saint Gregoire, saint Ambroise et les autres preschoyent une nouvelle doctrine, et pourquoy donq se faisoit il tant de miracles et si signalés comme ilz produisent? Certes, l'Evangile estoit mieux receu au monde qu'il n'est maintenant, il y avoit de plus excellens pasteurs, plusieurs martyres et miracles avoyent precedé, mays l'Eglise ne laissoit pas d'avoir encores ce don des miracles, pour un plus grand lustre de la tres [106] sainte Religion.

  A001000502 

 Mais ne nous arrestons pas icy: aves vous espuré ceste Eglise? aves vous nettoyé ceste monnoye? monstres nous, donques, les caracteres qu'elle avoit quand vous dites qu'elle cheut en terre, et qu'elle commença a se rouiller.

  A001000502 

 Ne dites plus cela, je vous prie, [que] vous aves le metail et calibre; la foy, les Sacremens, sont ce pas des ingrediens necessaires pour la composition de l'Eglise? et vous aves tout changé, et de l'un et de l'autre; vous estes donques faux monnoyeurs, si vous ne monstres le pouvoir que vous pretendes de battre sur le coin du Roy telz calibres.

  A001000509 

 L'Ange dict, en l'Apocalipse, que le tesmoignage de Nostre Seigneur c'est l'esprit de prophetie: or, ce tesmoignage de l'assistance de Nostre Seigneur n'est pas seulement donné pour les infidelles, mais principalement pour les fidelles, ce dict saint Pol; comme donques diries vous que Nostre Seigneur l'ayant donné une fois a son Eglise il le luy leva par apres? le principal sujet pour lequel il luy a esté concedé y est encores, donques la concession dure tousjours.

  A001000516 

 Nous sçavons que les Sybilles furent comme les prophetesses des Gentilz, desquelles parlent presque tous les Anciens; Balaam aussi prophetisa, mais c'estoit pour la vraye Eglise; et partant leur prophetie n'authorisoit pas l'eglise; en laquelle elle se faisoit, mais celle pour laquelle elle se faisoit: quoy que je ne nie pas qu'entre les Gentilz il n'y eust une vraye Eglise de peu de gens, ayans la foy d'un vray Dieu et l'observation des commandemens naturelz en recommandation, par la grace divine; tesmoin Job en l'ancienne Escriture, et le bon Cornelius, avec ces autres soldatz craignans Dieu, en la nouvelle.

  A001000516 

 Ores, ou sont vos prophetes? et si vous n'en aves point, croyes que vous n'estes pas du cors pour l'edification duquel Nostre Seigneur [les] a laissés, au dire de saint Pol; aussi, Le tesmoignage de Nostre Seigneur c'est l'esprit de prophetie.

  A001000522 

 Je sçay que ces enseignemens ne sont pas commandemens absolus, quoy que le dernier fust commandement pour, un tems; aussi n'en veux je rien dire autre sinon que ce sont tres salutaires conseilz et exemples..

  A001000522 

 Le Filz de l'homme n'a pas lieu ou il puisse reposer sa teste; il a esté tout pauvre pour nous enrichir; il vivoit d'aumosnes, dict saint Luc: Mulieres aliquæ ministrabant ei de facultatibus suis; en deux Psalmes qui touchent proprement sa personne, comme interpretent saint Pierre et saint Pol, il est appellé mendiant; quand il envoye prescher ses Apostres, il les enseigne, Nequid tollerent in via nisi virgam tantum, et qu'ils ne portassent ni pochette, ni pain, ni argent a la ceinture, mays chaussés de sandales, et qu'ilz ne fussent affeublés [111] de deux robbes.

  A001000523 

 Or je dis â qui n'est pas marié, et aux vefves, qu'il leur sera bon de demeurer ainsy, comme moy.

  A001000524 

 Et l'humilité qu'il monstre d'estre venu enseigner, quand il dict: Le Filz de l'homme n'est pas venu pour estre servi, mays pour servir.

  A001000524 

 Les peres, certes, ne peuvent pas si fort estreindre les mains de leur posterité si elle n'y consent volontairement; les Rechabites toutefois sont loüés et benis de Dieu, en approbation de ceste volontaire obeissance avec laquelle ilz avoient renoncé a eux mesmes d'une extraordinaire et plus parfaicte renonciation..

  A001000524 

 Ne sont ce pas des perpetuelles repliques et expositions de ceste tant douce leçon, Apprenes de moy que je suis debonnaire et humble de courage? et de ceste autre, Si quelqu'un veut venir apres moy, qu'il renonce a soy mesme, qu'il prenne sa croix tous les jours, et qu'il me suive? Qui garde les commandemens il renonce asses a soy mesme pour estre sauvé, c'est bien asses s'humilier pour estre exalté, mais d'ailleurs il reste une autre obeissance, humilité et renoncement de soy mesme, auquel l'exemple et les enseignemens de Nostre Seigneur nous invitent.

  A001000526 

 Nostre Seigneur ne fut pas plus tost monté au ciel, qu'entre les Chrestiens chacun vendoit son bien et apportoit le prix aux pieds des Apostres; et saint Pierre, pratiquant la premiere regle, disoit: Aurum et argentum non est mihi.

  A001000537 

 Judas n'empescha point l'honneur de l'ordre apostolique, ni Lucifer de l'angelique, ni Nicolas du diaconat; ainsy ces abominables ne doivent empescher le lustre de tant de devotz monasteres que l'Eglise Catholique a conservés, parmi toute la dissolution de nostre siecle de fer, affin que pas une parole de son Espoux ne demeurast en vain, sans estre prattiquee..

  A001000538 

 Au moins, ne m'en sçauries vous monstrer aucun essay ni bonne volonté parmi vous autres, ou jusques aux ministres chacun se marie, chacun trafique pour assembler des richesses, personne ne reconnoist autre superieur que celuy que la force luy faict advoüer; signe evident que ceste pretendue eglise n'est pas celle pour laquelle Nostre Seigneur a presché, et tracé le tableau de tant de beaux exemples: car, si chacun se marie, que deviendra l'advis de saint Pol, Bonum est homini mulierem non tangere? si chacun court a l'argent et aux possessions, a qui s'addressera la parole de Nostre Seigneur, Nolite thesaurizare vobis thesauros in terra, et l'autre, Vade, vende omnia, da pauperibus? si chacun veut gouverner a son tour, ou se trouvera la prattique de ceste si solemnelle sentence, Qui [120] vult venire post me abneget semetipsum? Si donq vostre eglise se met en comparaison avec la nostre, la nostre sera la vraye Espouse, qui prattique toutes les paroles de son Espoux, et ne laisse pas un talent de l'Escriture inutile; la vostre sera fause, qui n'escoute pas la voix de l'Espoux, ains la mesprise: car il n'est pas raisonnable que, pour tenir la vostre en credit, on rende vaine la moindre syllabe de l'Escriture, laquelle, ne s'addressant qu'a la vraye Eglise, seroit vaine et inutile si en la vraye Eglise on n'employoit toutes ses pieces..

  A001000546 

 Mays quant a vostre eglise, on l'appelle par tout huguenote, calvinique, zuinglienne, heretique, pretendue, protestante, nouvelle ou sacramentaire; vostre eglise n'estoit point devant ces noms, ni ces noms devant vostre eglise, parce qu'ilz luy sont propres: personne [121] ne vous appelle Catholiques, vous ne l'oses pas quasi faire vous mesmes.

  A001000546 

 Voyla donques les noms nouveaux que ces reformateurs advoüent les uns pour les autres; vostre eglise, donques, n'ayant pas seulement le nom de Catholique, vous ne pouves dire en bonne conscience le Symbole des Apostres, ou vous vous juges vous mesmes, qui, confessans l'Eglise Catholique et universelle, persistes en la vostre qui ne l'est pas.

  A001000558 

 Or sus donques, quand fut ce que Rome perdit ceste foy tant celebree? quand cessa elle d'estre ce qu'elle estoit? en quelle saison, sous quel Evesque, par quel moyen, par quelle force, par quel progres, la religion estrangere s'empara elle de la cité et de tout le monde? quelles voix, quelz troubles, quelles lamentations engendra elle? hé, chacun dormoit il par tout le monde pendant que Rome, Rome, dis je, forgeoit de nouveaux Sacremens, nouveaux Sacrifices, nouvelles doctrines? ne se trouve il pas un seul historien, ni grec ni latin, ni voisin ni estranger, qui ayt mis ou laissé quelques marques en ses commentaires et memoires d'une chose si grande? ».

  A001000559 

 Remontons le cours des histoires jusqu'au pied de la Croix, regardons deça et dela, nous ne verrons jamais, en pas une saison, que ceste Eglise Catholique ait changé de face, c'est tousjours elle mesme en doctrine et en Sacremens..

  A001000560 

 Nous n'avons pas besoin contre vous, en ce point, d'autres tesmoins que des yeux de nos peres et ayeux, pour dire quand vostre eglise commença.

  A001000560 

 Que si vous la voules faire plus ancienne, dites ou elle estoit avant ce tems la: ne dites pas qu'elle estoit mais invisible, car, si on ne la voyoit point qui peut [savoir] qu'elle ait esté? puys Luther vous contredit qui confesse qu'au commencement il estoit tout seul..

  A001000560 

 Voules vous que je cotte par le menu comment, par quelz succes et actions, par quelles forces et violences, ceste reformation s'empara de Berne, Geneve, Lausanne et autres villes? quelz troubles et lamentations elle a engendrés? vous ne prendries pas playsir a ce recit, nous le voyons, nous le sentons: en un mot, vostre eglise n'a pas 80 ans, son autheur est Calvin, ses effectz, le malheur de nostre aage.

  A001000567 

 Quoy que l'Eglise fust ancienne, si ne seroit elle pas universelle en tems si elle avoit manqué en quelque saison.

  A001000568 

 Ne sçait on pas la parole de Nostre Seigneur: Si je suis une fois eslevè de terre j'attireray toutes choses a moy? a il pas esté levé en croix? et comme donques auroit il laissé aller l'Eglise qu'il avoit attiree, a vau de route? comme auroit il lasché ceste prise qui luy avoit costé si cher? Le diable, prince du monde, avoit il esté chassé avec le saint baston de la Croix pour un tems de trois ou quatre cens ans, pour par apres revenir maistriser mille ans? voules vous evacuer en ceste sorte la force de la Croix? voules vous si iniquement partager Nostre Seigneur, et mettre une alternative entre luy et le diable? Pour vray, quand un fort et puissant guerrier garde sa forteresse tout y est en paix, que si un plus fort survient et le surmonte, il luy leve les armes et le despouille.

  A001000569 

 La consommation des saintz estoit elle ja faicte il y a onze cens ans? l'edification du cors mistique de Nostre Seigneur, qui est l'Eglise, avoit elle esté parachevee? Ou cesses de vous appeller edificateurs, ou dites que non; et si elle n'avoit esté achevee, pourquoy faites vous ce tort a la bonté de Dieu, que dire qu'il ayt osté et levé aux hommes ce qu'il leur avoit donné? Les dons et graces de Dieu sont sans penitence, c'est a dire, il ne les donne pas pour oster.

  A001000571 

 N'est ce pas Nostre Seigneur qui, parlant de l'Eglise, a dict que les portes d'enfer ne prevaudront point contre elle, et qui promit a ses Apostres, pour eux et leurs successeurs, Voyci que je suis avec vous jusques [127] a la consommation du siecle? Si ce conseil, dict Gamaliel, ou ceste œuvre est des hommes elle se dissipera, mays si elle est de Dieu vous ne sçauries la dissoudre: l'Eglise est œuvre de Dieu, qui donques la dissipera? Laisses la ces aveugles, car toute plante que le Pere celeste n'a pas plantee sera arrachee, mays l'Eglise a esté plantee de Dieu et ne peut estre arrachee..

  A001000573 

 Si ceste Espouse fust morte apres qu'elle eut receu la vie du costé de son Espoux endormi sur la Croix, si elle fust morte, dis je, qui l'eust resuscitee? La resurrection d'un mort n'est pas moindre miracle que la création: en la creation Dieu dict, et il fut faict, il inspira l'ame vivante, et si tost qu'il l'eut inspiree l'homme commença a respirer; mays Dieu voulant reformer l'homme il employa trente trois ans, sua le sang et l'eau, et mourut sur l'œuvre.

  A001000573 

 « O voix impudente, » dict saint Augustin contre les Donatistes, « que l'Eglise ne soit point parce que tu n'y es pas.

  A001000575 

 Ne dites pas donques que la bonne semence soit abolie ou estouffee, car elle croist jusques a la fin du monde..

  A001000576 

 L'Eglise donques ne fut pas abolie quand Adam et Eve pecherent; car, ce n'estoit Eglise ains commencement d'Eglise: outre ce qu'ilz ne pecherent pas en la doctrine ni au croire, mais au faire..

  A001000577 

 Ni quand Aaron dressa le veau d'or; car, Aaron n'estoit pas encores sauverain Prestre ni chef du peuple, c'estoit Moyse, lequel n'idolatra pas, ni la race de Levi qui se joignirent a Moyse.

  A001000585 

 Que si vous ne voules pas de premier abord abandonner les livres de vos maistres, et n'aves point [130] les yeux sillés d'une trop excessive passion, si vous regardes de pres les Centuries de Magdebourg, vous n'y verres autre par tout que les actions des Catholiques; car, dict tres bien un docte de nostre aage, « s'ilz ne les y eussent recueillies ilz eussent laissé mille et cinq cens ans sans histoire.

  A001000586 

 Elle estoit, ce me dira peut estre quelqu'un, mais inconneüe: bonté de Dieu, qui ne dira le mesme? Adamites, Anabaptistes, chacun entrera en ce discours; j'ay ja monstré que l'Eglise militante n'est pas invisible, j'ay monstré qu'elle est universelle en tems, je vais monstrer qu'elle ne peut estre inconneüe..

  A001000586 

 Or, quant a vostre eglise, supposons ce gros mensonge pour verité, qu'elle ayt esté du tems des Apostres, si ne sera elle pas pourtant l'Eglise Catholique: car, la Catholique doit estre universelle en tems, elle doit donques tousjours durer; mais dites moy ou estoit vostre eglise il y a cent, deux cens, trois cens ans, et vous ne le sçauries faire, car elle n'estoit point; elle n'est donques pas la vraye Eglise.

  A001000591 

 La pierre taillee du mont sans œuvre manuelle, n'est ce pas Jesus Christ, descendu de la race des Juifz sans œuvre de mariage? et ceste pierre la ne fracassa elle pas tous les royaumes de la terre, c'est a dire, toutes les dominations des idoles et demons? ne s'accreut elle pas jusqu'a remplir le monde? C'est donq de ce mont qu'il est dit, preparé sur la cime des mons; c'est un mont eslevé sur le sommet des mons, et toutes gens se rendront vers iceluy.

  A001000591 

 Les Donatistes rencontrent le mont, et quand on leur dict, montés, ce n'est pas une montaigne, ce disent ilz, et plustost y choquent du front que d'y chercher une demeure.

  A001000591 

 Qui d'entre vous connoit l'Olimpe? personne, certes, ne plus ne moins que les habitateurs d'iceluy ne sçavent que c'est de nostre mont Chidabbe; ces montz sont retirés en certains quartiers, mays le mont d'Isaïe n'est pas de mesme, car il a rempli toute la face de la terre.

  A001000591 

 Qui se perd et s'esgare de ce mont? qui choque et se casse la teste en iceluy? qui ignore la cité mise sur le mont? mays non, ne vous esmerveilles pas qu'il soit inconneu a ceux cy qui haïssent les freres, qui haïssent l'Eglise, car, par ce, vont ilz en tenebres et ne sçavent ou ilz vont, ilz se sont separés du reste de l'univers, ilz sont aveugles de mal talent »: c'est saint Augustin qui a parlé..

  A001000593 

 Et que diroit ce grand personnage s'il vivoit maintenant? N'est ce pas bien avilir le trophee de Nostre Seigneur? le Pere celeste, pour la grande humiliation et aneantissement que son Filz subit en l'arbre de la Croix, avoit rendu son nom si glorieux que tous genoux se devoient plier en la reverence d'iceluy, et parce qu'il avoit livré sa vie a la mort, estant mis au rang des meschans et voleurs, il avoit en heritage beaucoup de gens; mays ceux cy ne prisent pas tant les passions du Crucifix, levans de sa portion les generations de mille annees, si que a peyne durant ce tems il ait eu quelques serviteurs secretz, qui en fin ne seront qu'hypocrites et meschans; car je m'addresse a vous, o devanciers, qui porties le nom de Chrestiens, et qui aves esté en la vraye Eglise: ou vous avies la foy, ou vous ne l'avies pas; si vous ne l'avies pas, o miserables, vous estes damnés, et si vous l'avies, que n'en laissies vous des memoires, que ne vous opposies vous a l'impieté? Ne sçavies vous que Dieu a recommandé le prochain a un chacun? et qu' on croit de cœur pour la justice, mays qui veut obtenir salut il faut faire la confession de foy? et comme pouvies vous dire, J'ay creu, et partant j'ay parlé? Vous estes encores miserables, qui ayant un si beau talent l'aves caché en terre.

  A001000599 

 Car l'Eglise sera comme le soleil, dict le Psalme, et le soleil n'esclaire pas tousjours egalement en toutes les contrees, il suffit qu'au bout de l'an nemo est qui se abscondat a calore ejus; ainsy suffira il qu'au bout du siecle la prediction de Nostre Seigneur soit verifiee, qu'il falloit que la penitence et remission des pechés fust preschee en toutes nations, commençant des Hierusalem..

  A001000599 

 L'universalité de l'Eglise ne requiert pas que toutes les provinces ou nations reçoivent tout a coup l'Evangile, il suffit que cela se fasse l'une apres l'autre; en telle sorte neantmoins que l'on voye tousjours l'Eglise, et qu'on connoisse que c'est celle la mesme qui a esté par tout le monde ou la plus grande partie, affin qu'on puisse dire: Venite ascendamus ad montem Domini.

  A001000607 

 Despuys, la mesme Eglise est venue a nostre aage, et tousjours Romaine et Papale, de façon qu'encores que nostre Eglise maintenant seroit beaucoup moindre qu'elle n'est, elle ne lairroit pas d'estre tres Catholique, parce que c'est la mesme Romaine qui a esté, et [qui a] possedé presque en toutes les provinces des nations et peuples innombrables.

  A001000615 

 Vostre eglise non seulement n'est pas catholique, mais encores ne le peut estre, n'ayant la force ni vertu de produire des enfans, mais seulement de desrobber les poussins d'autruy, comme faict la perdrix; et neantmoins c'est bien l'une des proprietés de l'Eglise d'estre feconde, c'est pour cela entre autres qu'elle est appellee colombe; et si son Espoux quand il veut benir un homme rend sa femme feconde, sicut vitis abundans in lateribus domus suæ, et faict habiter la sterile en une famille, mere joyeuse en plusieurs enfans, ne devoit il pas avoir luy mesme une Espouse qui fust feconde? Mesme que selon la sainte Parole, ceste deserte devoit avoir plusieurs enfans, ceste nouvelle Hierusalem devoit estre tres peuplee et avoir une grande generation: Ambulabunt gentes in lumine tuo, dict le Prophete, et reges in splendore ortus tui.

  A001000622 

 Prenes garde a ce que dict saint Jude: Malheur, ce dict, a ceux qui perissent en la contradiction de Coré; Coré estoit schismatique: ce sont des souilleures a un festin, banquetans sans crainte, se repaissans eux mesmes, nuees sans eaux qui sont transportees ça et la aux vens; ilz ont l'exterieur de l'Escriture, mays ilz n'ont pas la liqueur interieure de l'esprit: arbres infructueuses de l'automne; ilz n'ont que la feuille de la lettre, et n'ont point le fruict de l'intelligence: doublement mortz; mortz quant a la charité par la division, et quant a la foy par l'heresie: desracinés, qui ne peuvent plus porter fruict; flotz de mer agitee, escumans ses [139] confusions de desbatz, disputes et remuemens; planetes errantes, qui ne peuvent servir de guide a personne, et n'ont point de fermeté de foy mays changent a tous propos.

  A001000622 

 Quelle merveille donques si vostre prédication est sterile? vous n'aves que l'escorce sans le suc, comme voules vous qu'elle germe? vous n'aves que le fourreau sans espee, la lettre sans l'intelligence, ce n'est pas merveille si vous ne pouves dompter l'idolatrie »: ainsy saint Pol, parlant de ceux qui se separent de l'Eglise, il proteste sed ultra non proficient.

  A001000640 

 Si l'advis que saint Jan donne, de ne croire pas a toutes sortes d'espritz, fut onques necessaire, il l'est maintenant plus que jamais, quand tant de divers et contraires espritz, avec un'esgale asseurance, demandent creance parmi la Chrestienté en vertu de la Parole de Dieu; apres lesquelz on a veu tant de peuples s'escarter, [141] qui ça qui la, chacun a son humeur.

  A001000641 

 Helas, il ne manquoit [142] pas de pierres de touche pour descouvrir le bas or de leurs happelourdes, car Celuy qui nous fait dire que nous esprouvions les espritz, ne l'eut pas fait s'il n'eut sçeu que nous avions des Regles infallibles pour reconnoistre le saint d'avec le faint esprit.

  A001000641 

 O combien estoit il necessaire de ne s'abbandonner pas a ces espritz, et premier que de les suivre, esprouver s'ilz estoyent de Dieu ou non.

  A001000642 

 J'ay beau sçavoir que la Parole de Dieu est infallible, que pour tout cela je ne croiray pas que Jesus est le Christ Filz de Dieu vivant, si je ne suys asseuré que ce soit une parole revelee par le Pere celeste, et quand je sçauray cecy, encor ne seray je pas hors d'affaire, si je ne sçai comm'il le faut entendre, ou d'une filiation adoptive, a l'Arrienne, ou d'une filiation naturelle, a la Catholique..

  A001000642 

 La foy Chrestienne est fondëe sur [143] la Parole de Dieu; c'est cela qui la met au sauverain degré d'asseurance, comm'ayant a garend cest'eternelle et infallible verité; la foy qui s'appuÿe ailleurs n'est pas Chrestienne: donques la Parole de Dieu est la vraÿe Regle de bien croire, puysqu'estre Fondement et Regle en cest endroit n'est qu'une mesme chose.

  A001000642 

 Mays parce que ceste Regle ne regle point nostre croyance sinon quand ell'est appliquee, proposee et declairee, et que cecy se peut bien et mal faire, il ne suffit pas de sçavoir que la Parole de Dieu est la vraye et infallible Regle de bien croire, si je ne sçai quelle parole est de Dieu, ou ell'est, qui la doit proposer, appliquer et declairer.

  A001000646 

 L'Eglise, qui est la Regle d'application, ou elle se declaire en tout son cors universel, par une croyance generale de tous les Chrestiens, ou en ses principales et nobles parties, par un consentement de ses pasteurs et docteurs; et en ceste derniere façon, ou c'est en ses pasteurs assemblés en un lieu et en un tems, comm'en un Concile general, ou c'est en ses pasteurs divisés de lieux et d'aage mays assemblés en union et correspondance de foy, ou bien, en fin, ceste mesm'Eglise se declaire et parle par son chef ministerial: et ce sont quattre Regles explicantes et applicantes pour nostre foy, l'Eglise en cors, le Concile general, le consentement des Peres et le Pape; outre lesquelles nous ne devons pas en rechercher d'autres, celles ci suffisent pour affermir les plus inconstans..

  A001000647 

 Mays Dieu, qui se plait en la surabondance de ses faveurs, voulant ayder la foiblesse des hommes, ne laisse pas d'adjouster par fois a ces Regles ordinaires (je parle des l'establissement et fondation de l'Eglise), une Regle extraordinaire, trescertaine et de grand'importance; c'est le Miracle, tesmoignage extraordinaire de la vraye application de la Parole divine..

  A001000648 

 En fin, la Rayson naturelle peut encor estre ditte une Regle de bien croire, mays negativement, et non pas affirmativement; car qui diroit ainsy, telle proposition est article de foy donques ell'est selon la rayson naturelle, ceste consequence affirmative seroit mal tiree, puysque presque toute nostre foy est hors et par dessus nostre rayson; mays qui diroit, cela est un article de foy donques il ne doit pas estre contre la rayson naturelle, la consequence est bonne, car la rayson naturelle et la foy estans puysees de mesme source et sorties d'un mesm'autheur, elles ne peuvent estre contraires..

  A001000659 

 Si l'advis que S t Jan donn'aux Chrestiens, de ne croire pas a toutes sortes d'espritz, fut onques necessaire, il l'est encores maintenant plus que jamais, quand tant de divers et contraires espritz, avec un'egale asseurance, demandent creance parmi le Christianisme en vertu de la Parole de Dieu; apres lesquelz on a veu tant de peuples [141] s'escarter, qui ça qui la, chacun a son humeur.

  A001000660 

 Helas, il ne manquoit pas de pierres de touche pour connoistre le bas or avec lequel ilz pipoyent le monde, car Celuy qui nous faict dire que nous esprouvions les espritz silz sont bons ou mauvais, ne l'eut pas faict sil n'eust sceu que nous avions des Regles infallibles pour reconnoistre le saint d'avec le fainct esprit, le consolateur d'avec le desolateur.

  A001000660 

 O combien donques estoit il necessaire de ne s'abandonner pas a ces espritz, et premier que de les suyvre, esprouver silz estoyent de [142] Dieu ou non.

  A001000661 

 Or, ceste Parole a esté revelee.. La foy Chrestienne est fondëe sur la Parolle [143] que Dieu luymesme a revelee; c'est cela qui la met au supreme rang et degré d'asseurance et certitude, comm'ayant a tesmoin cest'eternelle et infallibl'authorité et verité premiere, qui ne peut non plus decevoir et mentir qu'elle peut estre deceüe et trompee; la foy qui n'a son fondement et appuy sur la Parole de Dieu n'est pas une foy Chrestienne: donques la Parole de Dieu est la vraye Regle de bien croire aux Chrestiens, puisqu'estre Fondement et Regle n'est qu'une mesme chose en cest endroit.

  A001000662 

 Or, je me tiendray tousjours sur une mesme demarche, car je monstreray, pnt, que les Regles que je produis sont vraÿes Regles, puys, comme vos docteurs les ont violëes: et par ce que je ne pourrois pas aysement prouver que nous autres Catholiques les avons gardé tres étroittement, sans faire des grandes interruptions et digressions, je reserveray ceste preuve pour la troysiesme Partie, qui servira encores d'une tres solide confirmation pour toute la seconde Partie.

  A001000683 

 Les Sadducæens erroyent, par ce quilz ne sçavoyent pas les Escritures; ilz eussent mieux faict d'y estr'ententifz, comme a un flambleau esclairant es obscurités, selon l'advis de S t Pierre, lequel ayant luymesme ouy la voix du Pere en la Transfiguration, se tient neantmoins pour plus asseuré es tesmoignages des Prophetes qu'en ceste sienne experience.

  A001000687 

 Je ne m'arresteray pas nomplus gueres en cest endroit.

  A001000688 

 Les promesses ont esté dittes a Abraham, dict saint Pol, et a sa semence; il n'est pas dict, et ses semences, comme en plusieurs, mais comm'en une, et a ta semence, qui est Christ: voyes, je vous prie, combien la variation du singulier au plurier eust gasté le sens misterieux de ceste parole.

  A001000688 

 Nostre Seigneur met en conte les iota, voire les seulz petitz pointz et accens de ces saintes paroles; combien donques est il jaloux de leur integrité? Les Ephrateens disoyent sibolleth, sans oublier pas une seule lettre, mais par ce quilz ne prononçoyent pas asses grassement, les Galaadites les esgorgeoyent sur le quay du Jordain.

  A001000696 

 Les Saintes Escritures ne sont ce pas le vray testament de Dieu æternel, bien scelé et signé en son sang, confirmé par la mort? que sil est ainsy, combien se faut il garder d'y remuer aucune chose? « Le testament, » dict ce grand Ulpien, « est une juste sentence de nostre volonté de ce que quelqu'un veut estre faict apres sa mort.

  A001000697 

 Nostre S r met en conte jusques au moindr'accent, au moindr'iota de l'Escriture, combien donques punira il ceux qui violeront leur integrité? Mes freres, dict S t Pol, je parle selon l'homme, mays personne ne mesprise le testament confirmé d'un homme, ni n'ordonne outre cela; et pour monstrer combien il importe de laisser l'Escritur'en sa naiveté, il met un exemple: Abrahæ dictæ sunt promissiones et semini ejus; non dicit, et seminibus, quasi in multis, sed quasi in uno, et semini tuo, qui est Christus: voyes vous, je vous prie, la variation du singulier au plurier combien ell'eust gasté le sens? Les Ephrateens disoyent sibollet, et n'oublioient pas une seule lettre, mays par ce quilz ne le prononçoyent pas asses grassement, les Galaadites les egorgeoyent sur le quai du Jordain.

  A001000704 

 Et quand a ceux ci il y [a] grand'apparence, au dire du mesme docteur Genebrard, qu'en l'assemblëe qui se fit en Hierusalem pour envoyer les 72 interpretes en Ægipte, ces Livres, qui n'estoyent encores en estre quand Esras fit le premier canon, furent alhors canonisés, au moins tacitement, puysqu'ilz furent envoyés avec les autres pour estre traduitz; hormis les Machabees, qui furent receuz en un'autr'assemblee par apres, en laquelle les præcedens furent derechef approuvés: mays comme que ce soit, par ce que ce second canon ne fut pas faict si authentiquement que le premier, ceste canonisation ne leur peut acquerir un'entiere et indubitabl'authorité parmi les Juifz, ni les esgaler aux Livres du premier rang..

  A001000705 

 Ceux du second rang sont l'Epistre aux Hebrieux, celle de saint Jaques, la seconde de saint Pierre, la second'et troisiesme de saint Jan, celle de saint Jude, l'Apocalipse, et certaines parties de saint Marc, de saint Luc et de l'Evangile et Epistre premiere de saint Jan: et ceuxci ne furent pas d'indubitabl'authorité en l'Eglise au commencement, mais, avec le tems, en fin furent reconneuz comme ouvrage sacré du Saint Esprit, et non pas tout a coup, mais a diverses fois.

  A001000706 

 A peu que je n'ay oublié de dire, vous ne deves point entrer en scrupule sur ce que je viens de deduyre, encor que Baruch ne soyt pas nommément cotté au Concile de Carthage, mais seulement en celuy de Florence et de Trente; car, d'autant que Baruch estoit secretaire de Jeremie, on mettoit en conte parmi les [157] Anciens le Livre de Baruch comm'un accessoire ou appendice de Jeremie, le comprenant sous iceluy, ainsy que cest excellent theologien Belarmin le prouve en ses Controverses.

  A001000706 

 Mays il me suffit d'avoir dict cecy; mon Memorial n'est pas obligé de s'arrester sur chasque particularité.

  A001000714 

 Avant le tems du Concile de Chartage ilz ne furent pas tous proposés pour canoniques par aucun decret de l'Eglise generale, mays y en a quelques uns de l'authorité desquelz les Anciens Peres ont douté; a sçavoir, d'Hester, Baruc, Thobie, Judith, la Sapience, l'Ecclesiastique, les Machabëes, l'Epistr'aux Hebrieux, celle de S t Jaques, la 2.

  A001000714 

 Mesme en quelques uns des autres Livres, de l'authorité desquelz jamais on ne douta parmi l'Eglise, il y a certaines parties lesquelles les Anciens n'ont pas tous tenu pour authentiques, comme l'histoire de Susanne en Daniel, le cantique des trois enfans et l'histoire de la mort du dragon au 14.

  A001000715 

 Et ne faut pas douter que le S t Esprit n'assiste en ce jugement a l'Eglise, car vos ministres mesme confessent que Dieu luy a remis en garde les Saintes Escritures, et veulent dire que c'est a cest'intention que S t Pol l'apelle colomne et fermeté de verite; et comme les garderoit elle, si elle ne les sçait connoistre et tirer du meslange des autres livres?.

  A001000715 

 Mays l'Eglise mesme, comme se peut elle resoudre qu'un Livre soit canonique?.. car elle n'est plus conduite par nouvelles revelations, mays par les anciennes apostoliques, esquelles ell'a l'infallibilité d'interpretation; que si les Anciens n'ont pas eu revelation de l'authorité d'un Livre, comme donques la peut elle sçavoir?.. Elle considere le tesmoignage de l'antiquité, la conformité que ce Livre a avec les autres ja receuz, et le commun goust [156] que le peuple Chrestien y prend: car, comm'on peut connoistre quell'est la propre viande et prouffitable des animaux quand on les y voit prendre goust et s'y nourrir saynement, ainsy quand l'Eglise voit que le peuple Chrestien savoure volontiers un Livre pour canonique, et y faict son prouffit, elle peut connoistre que c'est une pasture propre et saine aux espritz chrestiens; et comme, quand on veut sçavoir si un vin est de mesme creu qu'un autre, l'on les apparie, regardant si la couleur, l'odeur et le goust est pareil en tous deux, ainsy quand l'Eglise a bien consideré un Livre avoir le goust, l'odeur et la couleur, la sainteté du stile, de la doctrine et des misteres, semblable aux autres canoniques, et que d'ailleurs ell'a le tesmoignage de plusieurs bons et irreprochables tesmoins de l'antiquité, elle peut declairer le Livre pour frere germain des autres canoniques.

  A001000715 

 Si ces Livres ne furent pas des le commencement indubitables en l'Eglise, comm'est ce que le tems leur peut acquerir cest'authorité? Pour vray, l'Eglise ne sçauroit rendre un Livre canonique sil ne l'estoit, mays l'Eglise peut bien declairer qu'un Livr'est canonique qui n'estoit pas tenu pour tel d'un chacun, et ainsi le mettr'en credt parmi le Christianisme, nom pas changeant la substance du Livre, qui de soy estoit canonique, mays changeant la persuasion des Chrestiens, la rendant tres asseurëe de ce dont elle ne l'estoit pas.

  A001000716 

 Nous [sommes] en ce faict de pareille condition; car Calvin, et les bibles mesme de Geneve, et [157] les Lutheriens, reçoivent plusieurs Livres pour saintz, sacrés et canoniques qui n'ont pas esté advoüez par tous les Anciens pour telz, et desquelz on a esté en doute: si l'on en a douté ci devant, quelle rayson peuvent ilz avoir pour les tenir asseurés et certains maintenant? sinon celle qu'avoit S t Augustin, Ego vero Evangelia non crederem nisi me Catholicæ Ecclesiæ commoveret authoritas; ou comm'il dict ailleurs: Novum et Vetus Testamentum in illo Librorum numero recipimus quem sanctæ Ecclesiæ Catholicæ tradit authoritas..

  A001000722 

 Voyla les Livres sacrés et canoniques, que l'Eglise a receu et reconneu unanimement des douze centz ans en ça: et avec quell'authorité ont osé ces nouveaux reformeurs biffer tout en un coup tant de nobles parties de [158] la Bible? Ilz ont raclé une partie d'Hester, Baruch, Thobie, Judith, la Sapience, l'Ecclesiastique, les Maccabees; qui leur a dict que ces Livres ne sont pas legitimes et recevables? pourquoy desmembrent ilz ainsy ce sacré cors des Escritures?.

  A001000724 

 Et quand a la premiere: estes vous d'avis de ne recevoir pas ces Livres par ce quilz ne se trouvent pas en Hebreu ou Caldee? receves donques Tobie, car saint Hierosme atteste quil l'a traduit de Caldee en Latin, en l'epistre que vous cités vous mesme, qui me fait croire que vous n'estes guere gens a la bonne foy; et Judith, pourquoy non? qui a aussi bien esté escrit en Caldee, comme dict le mesme saint Hierosme, au Prologue; et si saint Hierosme dict quil n'a peu trouver le 2.

  A001000724 

 Ou trouves vous que la regle de bien recevoir les Saintes Escritures soyt, qu'elles soyent escrittes en ces langages la plustost qu'en Grec ou Latin? vous dittes quil ne faut rien recevoir en matiere de religion que ce qui est escrit, et apportes en vostre belle prefacé le dire des jurisconsultes: Erubescimus sine lege loqui; vous semble il pas que la dispute qui se faict sur la validité ou invalidité des Escritures soyt une des plus importantes en matiere de religion? sus donques, ou demeurés honteux, ou produises la Sainte Escriture pour la negative que vous soustenés: certes, le Saint Esprit se declaire aussi bien en Grec qu'en Caldee..

  A001000724 

 Puys donques que vous rejettes esgalement ces Livres escritz en Hebreu et Caldee avec les autres qui ne sont pas escritz en mesme langage, il vous faut chercher un autre prætexte que celuy que vous aves allegué, pour racler ces Livres du canon: quand vous dittes que vous les rejettes par ce quilz ne sont escritz ni en Hebreu ni en Caldee, ce n'est pas cela, car vous ne rejetteries pas, [160] a ce conte, Tobie, Judith, le premier des Machabees, l'Ecclesiastique, qui sont escritz ou en Hebreu ou en Caldee.

  A001000725 

 Laissés vous donq entendre, et dittes quilz sont apocriphes par ce que vous n'en pouves pas estre vous mesme le traducteur sur l'original, et que vous ne vous pouves fier au jugement du traducteur: il ni aura donq [161] rien d'asseuré que ce que vous aures conterollé? monstres moy ceste regle d'asseurance en l'Escriture.

  A001000725 

 On auroit, dittes vous, « grande difficulté de les restituer », puys qu'on ne les a pas en leur langue originaire.

  A001000725 

 Plus, estes vous bien asseuré d'avoir les textes hebreux des Livres du premier rang ainsy purs et netz comm'ilz estoyent au tems des Apostres et des 70? Gardes de mesprendre; certes, vous ne les suives pas tousjours, et ne sçauries en bonne conscience: monstres moy encor cecy en la Saint'Escriture.

  A001000726 

 » Dieu merci, nous ne sommes pas Juifz, nous sommes Catholiques: monstres moy par l'Escriture que l'Eglise Chrestienne [162] n'aye pas autant de pouvoir pour authoriser les Livres sacrés qu'en avoit la Mosaïque: il ni a en cela ni Escriture ni raison qui le monstre..

  A001000727 

 Estre inconstant ce n'est pas changer un doute en resolution, mais ouy bien changer de resolution en doute; ce n'est pas instabilité de s'affermir apres l'esbranlement, mays ouy bien de s'esbransler apres l'affermissement.

  A001000727 

 Mais il y a bien a dire entre douter d'une chose si ell'est recevable, et la rejetter: le doute n'empeche pas la resolution suivante, ains en est un præallable; rejetter præsuppose resolution.

  A001000727 

 Oüy, mais toute l'Eglise mesme ne les reçoit pas, dites vous.

  A001000727 

 Peut estre voules vous dire qu'anciennement quelques Catholiques douterent de leur authorité; c'est selon la division que j'ay faitte ci dessus: mais quoy pour cela? le doute de ceux la a il peu empecher la resolution de leurs successeurs? est ce a dire que si on n'est pas tout au premier coup resolu, il faille tousjours demeurer en bransle, incertain et irresolu? A l'on pas esté pour un tems incertain de l'Apocalipse et d'Ester? vous ne l'oseries nier, j'ay de trop bons [163] tesmoins; d'Ester, saint Athanase et saint Gregoire Nazianzene, de l'Apocalipse, le Concile de Laodicee: et néanmoins vous les receves; ou receves-les tous, puysqu'ilz sont d'esgale condition, ou n'en receves point, par mesme rayson.

  A001000728 

 Quand a saint Hierosme que vous allegués, ce n'est rien a propos, puysque de son tems l'Eglise n'avoit encor pas pris la resolution qu'ell'a prise despuys, touchant la canonisation de ces Livres, hormis pour celuy de Judith..

  A001000729 

 Et le canon Sancta Romana, qui est de Gelaise premier, je crois que vous l'aves rencontré a tastons, car il est tout contre vous; puysque, censurant les Livres apocriphes, il n'en nomme pas un de ceux que nous recevons, ains au contraire atteste que Tobie et les Maccabees estoyent receuz publiquement en l'Eglise..

  A001000730 

 Et la pauvre Glosse ne merite pas que vous la [164] glossies ainsy, puysqu'elle dict clairement que « ces Livres sont leuz, mais non peut estre generalement.

  A001000730 

 » Ce « peut estre » la garde de mentir, et vous l'aves oublié; et si elle met en conte ces Livres icy dont est question, comm'apocriplies, c'est parce qu'elle croyoit que apocriphe, volut dire, n'avoir point de certain autheur, et partant y enroolle comm'apocriphe le Livre des Juges: et sa sentence n'est pas si authentique qu'elle passe en chose jugee; en fin, ce n'est qu'une glosse..

  A001000733 

 en Hebreu; et bien, que [le premier y soit;] le second n'est que comme une epistre que [les Anciens] d'Israel envoyerent aux freres Juifz qui estoyent hors la Judee, et si ell'est escritte au langage le plus cohneu et commun de ce tems-la, s'ensuit il qu'elle ne soit pas recevable? Les Ægiptiens avoyent en usage le langage grec beaucoup plus que l'hebreu, comme monstra bien Ptolomee quand il procura la version des 72; voyla pourquoy ce 2.

  A001000734 

 Prenes garde, pour Dieu, que vostre jugement ne vous trompe; pourquoy, je vous prie, apelles vous faucetés ce que toute l'antiquité a tenu pour articles de foy? que ne censures vous plus tost vos fantasies, qui ne veulent embrasser la doctrine de ces Livres, que de censurer ces Livres, receuz de si long tems, par ce quilz ne secondent pas a vos humeurs? parce que vous ne voules pas croire ce que ces Livres enseignent, vous les condamnes; et que ne condamnes vous plustost vostre temerité, qui se rend incredule a leurs enseignemens?.

  A001000735 

 Ce n'est donq pas un petit gain a l'ennemy du Christianisme, d'avoir de plein sault raclé en la Sainte Escriture tant de nobles parties.

  A001000742 

 Maintenant, comme se pourroit tenir une bonne ame de donner ouverture a l'ardeur d'un saint zele, et d'entrer en une chrestienne cholere, sans peché, considerant avec quelle temerité ceux qui ne [158] font que crier, l'Escriture, l'Escriture, ont mesprisé, avily, prophané ce divin testament du Pere Eternel, comm'ilz ont falsifié ce sacré contract d'une si celebre alliance? Comm'oses vous biffer, o ministres calvinistes, tant de nobles parties du sacré cors des Bibles? Vous ostes Baruch, Thobie, Judith, Sapience, l'Ecclesiastique, les Machabëes; pourquoy demembres vous ainsy la S te Escriture? qui vous a dict quilz ne sont point sacrés? L'on en doute en l'ancienne [159] Eglise: et n'a on pas douté en l'ancienne Eglise d'Hester, de l'Epistr'aux Hebreux, de celle de S t Jaques, de S t Jude, de la seconde de S t Pierre et des deux dernieres de S t Jan, et sur tout de l'Apocalipse? que ne rayes vous aussy bien ceux ci que vous aves faict ceux la? Dites franchement que [ce que] vous en aves faict, ce n'a esté que pour contredire a l'Eglise: il vous fachoit de voir es Machabees l'intercession des Saintz et la priere pour les trepassés, l'Ecclesiastique vous piquoit en ce quil attestoit du liberal arbitre et de lhonneur des reliques; plus tost que de forcer vos cervelles, et les adjuster a l'Escriture, vous aves violé l'Escriture pour l'accommoder a vos cervelles, vous aves retranché la ste Parole pour ne retrancher point vos fantasies; comme vous laveres vous jamais [160] de ce sacrilege? Aves vous dégradé les Machabees, l'Ecclesiastique, Tobie et les autres par ce que quelques uns des Anciens ont douté de leur authorité? pourquoy receves vous donques les autres Livres, desquelz on a douté autant que de ceux ci? Que leur pouves vous opposer autre, sinon que leur doctrine vous est mal aysëe a concevoir? ouvres le cœur a la foy, et vous concevres aysement ce dont vostre incredulité vous prive; par ce que vous ne voules pas croire ce qu'ilz enseignent, vous les condamnes, condamnes plus tost vostre temerité, et receves l'Escriture.

  A001000743 

 pro canonicis habet. Que dires vous a cela? que les Juifz ne les avoient pas en leurs cathalogues? S t Augustin le confesse, mais estes vous Juifz ou Chrestiens? et si vous voules estre appellés Chrestiens, contentes vous que l'Eglise Chrestienne les reçoive: la lumiere du S t Esprit s'est elle estainte avec la Sinagogue? N. S. et les Apostres n'ont ilz pas eu autant de pouvoir que la Sinagogue? Et bien que l'Eglise n'ait pas pris l'authorité de ses Livres de la bouche des Scribes et Pharisiens, suffira il pas qu'elle l'ait prise du tesmoignage des Apostres? Or, il ne faut pas penser que l'ancienn'Eglise et ces tres anciens Docteurs eussent pris la hardiesse de mettre ces Livres au roole des canoniques si elle n'en [162] eust eu quelque advis par la Tradition des Apostres et leurs disciples, qui pouvoyent sçavoir en quel rang le Maistre mesme les tenoit; sinon que pour excuser nos fantasies, nous accusions de prophanation et sacrilege ces tant sts et graves Docteurs, avec toute l'Eglise ancienne.

  A001000747 

 Les raysons que les reformeurs ont avancees au chapitre precedent ne sont que biffes, comme nous avons veu, desquelles on se sert comme d'amusement, pour voir si quelque simple et foible cervelle s'en voudroit contenter: et de faict, quand on vient au joindre, ilz confessent que ni l'authorité de l'Eglise, ni de saint Hierosme, ni de la Glosse, ni du Caldee, ni de l'Hebreu, n'est pas cause suffisante pour recevoir ou rejetter quelque Escriture.

  A001000748 

 C'est leur coustume, quand ilz veulent [168] produire quelque opinion estrange, de ne parler pas clair et net, pour laisser a penser aux lecteurs quelque chose de mieux..

  A001000748 

 Pourquoy disent ilz donques, qu'ilz ne reçoivent pas les Livres sacrés « tant par le commun accord de l'Eglise que par l'interieure persuasion »? puysque le commun accord de l'Eglise n'y a ni rang ni lieu.

  A001000748 

 « Nous connoissons, » disent ilz, « ces Livres estre canoniques, non tant par le commun accord de l'Eglise: » a les ouÿr parler, ne diries vous pas qu'au moins en quelque façon ilz se laissent guider a l'Eglise? Leur parler n'est pas franc: il semble qu'ilz ne refusent pas du tout credit au commun accord des Chrestiens, mais que seulement ilz ne le reçoivent pas a mesme degré que leur persuasion interieure, et neantmoins ilz n'en tiennent aucun conte; mais ilz vont ainsy retenus en leur langage pour ne paroistre pas du tout incivilz et desraysonnables.

  A001000749 

 » O Dieu, quelle cachette, quel brouillait, quelle nuict; ne nous voyla pas bien esclaircis en un si important et grave different? On demande comme l'on peut connoistre les Livres canoniques, on voudroit bien avoir quelque regle pour les discerner, et l'on nous produit ce qui se passe en l'interieur de l'ame, que personne ne voit, personne ne connoit, sinon l'ame mesme et son Createur..

  A001000752 

 Cest esprit faict il ses persuasions indifferemment a chacun, ou seulement a quelques uns en particulier? si a chacun, et que veut dire que tant de milliades de Catholiques ne s'en sont jamais aperceuz, ni tant de femmes, laboureurs et autres parmi vous? si c'est a quelques uns en particulier, monstres les moy, je vous prie, et pourquoy a ceux la plus tost qu'aux autres? quelle marque me les fera connoistre et trier de la presse du reste des hommes? Me faudra il croire au [169] premier qui dira d'en estre? ce seroit trop nous mettre a l'abandon et a la mercy des seducteurs: monstres moy donques quelque regle infallible pour connoistre ces inspirés et persuadés, ou me permettes que je n'en croye pas un..

  A001000754 

 Certes, quand Dieu auroit revelé mille fois une chose a quelque particulier nous ne serions pas obligés de le croire, sinon que Dieu le marquast tellement que nous ne puissions plus revoquer en doute sa fidelité; mays nous ne voyons rien de tel en vos reformeurs.

  A001000754 

 Puys, quelle rayson y a il que le Saint Esprit aille inspirant ce que chacun doit croire a des je ne sçay qui, a Luther, a Calvin, ayant abandonné sans aucune telle inspiration les Conciles et l'Eglise tout entiere? Nous ne nions pas, pour parler clairement, que la connoissance des vrays Livres sacrés ne soit un don du Saint Esprit, mays nous disons que le Saint Esprit la donne aux particuliers par l'entremise de l'Eglise.

  A001000756 

 De Beze met en doute l'histoire de l'adultere, en l'Evangile de saint Jan (saint Augustin advise que [172] pieça les ennemis du Christianisme l'avoyent rayé de leurs livres, mais non pas de tous, comme dict saint Hierosme).

  A001000756 

 Es misterieuses parolles de l'Eucharistie, ne veut on pas esbranler l'authorité de ces motz, Qui pro vobis funditur, par ce que le texte grec monstre clairement que ce qui estoit au calice n'estoit pas vin, mais le sang du Sauveur? comme qui diroit en françois, Ceci est la coupe du nouveau testament en mon sang, laquelle sera respandue pour vous; car en ceste façon de parler, ce qui est en la coupe doit estre le vray sang, non le vin, puysque le vin n'a pas esté respandu pour nous, mais le sang, et que la coupe ne peut estre versee qu'a rayson de ce qu'elle contient.

  A001000757 

 Au contraire, Messieurs, saint Augustin proteste: « Ego vero Evangelio non crederem, nisi me Catholicæ Ecclesiæ commoveret authoritas: Je ne croirois pas a l'Evangile si l'authorité de l'Eglise Catholique ne m'esmouvoit; » et ailleurs: « Novum et Vetus Testamentum in illo Librorum numero recipimus quem sanctæ Ecclesiæ Catholicæ tradit authoritas: Nous recevons le Viel et Nouveau Testament au nombre de Livres que l'authorité de la saint'Eglise Catholique propose.

  A001000757 

 L'Eglise ne sçauroit rendre un livre canonique sil ne l'est, mais elle peut bien le faire reconnoistre pour tel, non pas changeant la substance du livre, mays changeant la persuasion des Chrestiens, la rendant tout'asseuree de ce dont ell'estoit douteuse.

  A001000758 

 Vous ne l'aves pas pris des Juifz, car les Livres Evangeliques n'y seroyent pas, ni du Concile de Laodicee, car l'Apocalipse n'y seroit pas, ni du Concile de Cartage ou de Florence, car l'Ecclesiastique et les Maccabees y seroyent; ou l'aves vous donq pris? Pour vray, jamais il ne fut parlé de semblable canon avant vous; l'Eglise ne vit onques canon des Escritures ou il n'y eut ou plus ou moins qu'au vostre: quelle apparence i a il que le Saint Esprit se soit recelé a toute l'antiquité, et qu'appres 1500 il ait descouvert a certains particuliers le roolle des vrayes Escritures? Pour nous, nous suyvons exactement la liste du Concile Laodicean, avec l'addition faitte au Concile [175] de Cartage et de Florence; jamais homme de jugement ne laissera ces Conciles, pour suivre les persuasions des particuliers..

  A001000764 

 Affin que les religionnaires de ce tems desreglassent du tout ceste premiere et tressainte Regle de nostre foy, ilz ne se sont pas contentés de raccourcir et defaire de tant de belles pieces, mays l'ont contournee et détournee chacun a sa poste, et [au lieu] d'adjuster leur sçavoir a ceste regle, ilz l'ont reglëe elle mesme a l'esquerre de leur propre suffisance, ou petite ou grande.

  A001000764 

 L'Eglise avoit generalement receu, il y a plus de mill'ans, la version latine que l'Eglise Catholique produit, saint Hierosme, tant sçavant homme, en estoit l'autheur ou le correcteur; quand voicy en nostr'aage s'eslever un espais brouillart [176] de l'esprit de tournoyement, lequel a tellement esblouy ces regrateurs de vielles opinions qui ont couru cy devant, que chacun a voulu tourner, qui d'un costé qui d'autre, et chacun au biais de son jugement, ceste sainte sacrëe Escriture de Dieu: en quoy, qui ne voit la prophanation de ce vase sacré de la sainte lettre, dans laquelle se conservoit le precieux basme de la doctrine Evangelique? Car, n'eust ce pas esté prophaner l'Arche de l'alliance, si quelqu'un eust voulu maintenir qu'un chacun la pouvoit prendre, la porter chez soy et la demonter toute et depecer, puys luy bailler telle forme quil eust voulu, pourveu quil y eust quelque apparence d'Arche? et qu'est ce autre chose soustenir que l'on peut prendre les Escritures, les tourner et accommoder chacun selon sa suffisance? Et neanmoins, des lors qu'on asseure que l'edition ordinaire de l'Eglise est si difforme quil la faut rebastir tout a neuf, et qu'un homme particulier y met la main et commence ce train, la porte est ouverte a la temerité: car si Luther l'ose faire, et pourquoy non Erasme? et si Erasme, pourquoy non Calvin ou Melancthon? pourquoy non Henricus [177] Mercerus, Sebastien Castalio, Beze, et le reste du monde? pourveu qu'on sache quelques vers de Pindare, et quatre ou cinq motz d'Hebreu, au pres de quelques bons Tresors de l'une et l'autre langue.

  A001000772 

 C'est une bien grande licence a ceux qui traduysent, de sçavoir quilz ne seront point conterollés que par ceux de leur province mesme; chaque province n'a pas tant d'yeux clairvoyans comme la France et l'Allemaigne.

  A001000772 

 Que si aux versions latines il y a tant de varieté d'opinions entre ces tournoyeurs, combien y en a il davantage es editions vulgaires et maternelles d'un chacun, esquelles chacun ne peut pas reprendre ni conteroller.

  A001000773 

 Ces peuples, donques, avoyent accoustumé de dire les Psalmes en Hebrieu, et neanmoins l'Hebreu n'estoit plus leur langue vulgaire, ainsy qu'on peut connoistre de plusieurs paroles dites en l'Evangile par Nostre Seigneur, qui estoyent siriacques, que les Evangelistes ont gardees, comme Abba, Haceldema, Golgotha, Pascha et autres, que les doctes tiennent n'estre pas hebraiques pures mais siriaques, quoy qu'elles soient appellees hebraiques par ce que c'estoit le langage vulgaire des Hebreux des la captivité de Babiloyne.

  A001000773 

 Mays disons candidement; ne sçavons nous pas que les Apostres parloyent toutes langues? et que veut dire quilz n'escrivirent leurs Evangiles et Epistres qu'en Hebrieu, comme saint Hierosme atteste de l'Evangile de saint Matthieu, en Latin, comme quelques uns pensent de celuy de saint Marc, et en Grec, comm'on tient des autres Evangiles; qui furent les trois langues choysies, des la Croix mesme de Nostre Seigneur, pour la prædication du Crucifix? Ne porterent ilz pas l'Evangile par tout le monde, et au monde ny avoit il point d'autre langage que ces trois la? si avoit a la verité, et neanmoins ilz ne jugerent pas estre expedient de diversifier en tant de langues leurs escritz: qui mesprisera donques la coustume de nostre Eglise, qui a pour son garand l'imitation des Apostres?.. Dequoy nous avons une notable trace et piste en l'Evangile: car le jour que Nostre Seigneur entra en Hierusalem, les troupes alloyent criant, Osanna filio David; benedictus qui venit in nomine Domini; osanna in excelsis; et ceste parole, Osanna, a estëe laissëe en son entier parmi les textes grecz de saint Marc et saint Jan, signe [180] que c'estoit la mesme parole du peuple: or est il que Osanna, ou bien Osianna (et l'un vaut l'autre, disent les doctes en la langue), est une parole hebraique, non siriacque, prise, avec le reste de ceste louange la qui fut donnëe a Nostre Seigneur, du Psalme 117.

  A001000774 

 Mays je vous advise que le saint Concile de Trente ne rejette pas les traductions vulgaires imprimëes par l'authorité des ordinaires, seulement il commande qu'on [181] n'entreprene pas de les lire sans congé des superieurs; ce qui est tres raisonnable, pour ne mettre pas ce couteau, tant affilé et tranchant a deux costés, en la main de qui s'en pourrait esgorger soymesme, dequoy nous parlerons cy apres; et partant il ne trouve pas bon que chacun qui sçait lire, sans autr'asseurance de sa capacité que celle quil prend de sa temerité, manie ce sacré memorial.

  A001000774 

 « Ni n'est certes rayson, » me souviens je avoir leu en un essay du S r de Montaigne, « de voir tracasser, » entre les mains de toutes personnes, « par une salle et par une cuysine, le saint Livre des sacrés misteres de nostre creance; ce n'est pas en passant et tumultuairement quil faut manier un estude si serieux et venerable; ce doit estre un'action destinee et rassise, alaquelle on doit tousjours adjouster ceste præface de nostr'office, Sursum corda, et y apporter le cors mesme, disposé en contenance qui tesmoigne une particuliere attention et reverence.

  A001000780 

 Ce desvit prend en partie ses raysons de ce que j'ay ja dict; car, sil n'est pas expedient de traduire ainsy a tous propos de province en province le [182] texte sacré de l'Escriture, la plus grande partie, et quasi tout ce qui est es offices, estant pris de la Sainte Escriture, il n'est pas convenable de le mettre nomplus en françois: sinon quil y a d'autant plus de danger de reciter es services publiqs la Saint'Escriture en vulgaire, que non seulement les vieux mays les jeunes enfans, non seulement les sages mais les folz, non seulement les hommes mais les femmes, et, en somme, qui sçait et qui ne sçait lire, pourroyent tous y prendre occasion d'errer, chacun a son goust.

  A001000780 

 Le Concile defend aussy que les services publiqs de l'Eglise ne se facent pas en vulgaire, mays en langue reglëe, chacun selon les anciens formulaires approuvés par l'Eglise.

  A001000780 

 Lises les passages de David ou il semble quil murmure contre Dieu de la prosperité des mauvais; vous verres l'indiscret vulgaire s'en flatter en ses impatiences: lises la ou il semble demander vengeance sur ses ennemis; et l'esprit de vengeance s'en affleublera: lises voir ces celestes et tresdivines amours es Cantiques des Cantiques; qui ne sçaura les bien spiritualizer n'y prouffitera qu'en mal: et ce mot d'Osëe, Vade et fac tibi filios fornicationum, et ces actes des anciens Patriarches, ne donneroyent ilz pas licence aux idiotz?.

  A001000781 

 L'unité et la grand'estendue de nos freres requiert que nous disions nos publiques prieres en un langage qui soit un a toutes nations; en ceste façon nos prieres sont universelles, par le moyen de tant de gens qui en chaque province peuvent entendre le Latin; et me semble en conscience que ceste seule rayson doit suffire, car, si nous contons bien, nos prieres ne sont pas moins entendues en Latin qu'en François.

  A001000781 

 » Il recite encores, le prenant de Theodoret, un bon et juste mot de saint Basile le Grand: l'escuyer de cuysine de l'Empereur voulut faire l'entendu a produire certains passages de l'Escriture; Tuum est de pulmento cogitare, non dogmata divina decoquere; comme sil eust dict: mesles vous de gouster vos sauces, non pas de gourmander la divine Parole.

  A001000787 

 Certes, nous ne refusons pas a personne de chanter avec le chœur, modestement et decemment; mays il semble plus convenable que les ecclesiastiques et deputés chantent pour l'ordinaire, comm'il fut faict a la dedicace du Temple de Salomon, 2 Parai.

  A001000787 

 Et quoy? n'est ce pas une prophanation et violation extreme d'avoir laissé a ceste cervelle esventëe un jugement de si grande consequence, et puys suivre aussy estroittement le triage d'un basteleur, es prieres publiques, comm'on fit jamais jadis l'interpretation des 70, qui furent si particulierement assistés du Saint Esprit? combien de motz, combien de sentences couche il la dedans, qui ne furent jamais en l'Escriture; c'est bien autre que de prononcer mal scibolleth.

  A001000787 

 La seule insuffisance de l'autheur, qui n'estoit qu'un ignorant, la lasciveté de laquelle il tesmoigne par ses escritz, sa vie tes prophane et qui n'avoit rien moins que du Chrestien, meritoit qu'on luy refusast la frequentation de l'eglise; et neanmoins son nom et ses psalmes sont comme sacrés en vos eglises, et les chante l'on parmi vous autres comme s'ilz estoyent de David: la ou, qui ne voit combien est violëe la sacrëe Parole? car le vers, sa mesure, sa contrainte ne permet pas qu'on suyve la proprieté des motz de l'Escriture, mais y mesle l'on du sien pour rendre le sens parfaict et comble, et a esté necessaire a cest ignorant rimeur de choisir un sens la ou il y en pouvoyt avoir plusieurs.

  A001000787 

 O que l'on se plaict a faire voir sa voix es eglises: mays vous trahit on pas en ces chantemens qu'on vous faict faire? Je n'ay ni la commodité ni le loysir de poursuivre le reste; quand vous cries ces vers du Psalme 8., ut sup..

  A001000788 

 Et quand a ceste façon de faire chanter indifferemment, en tous lieux et en toutes occupations, les Psalmes, qui ne voit que c'est un mespris de religion? N'est ce pas offencer la Majesté divine, de luy parler avec des paroles tant exquises comme celles des Psalmes sans aucune reverence ni attention? dire des prieres par voye d'entretien, n'est ce pas se mocquer de Celuy a qui on parle? Quand on voit, ou a Geneve ou ailleurs, un garçon de boutique se jouer au chant de ces Psalmes, et rompre le fil d'une tres belle priere pour dire, Monsieur, que vous plaict il? ne connoist on pas bien qu'il faict un accessoire du principal, et que ce n'est sinon pour passetems quil chante ceste divine chanson, quil croit neantmoins estre du Saint Esprit? Ne faict il pas bon voir ces cuysiniers chanter les Psalmes de la Pœnitence de David, et demander a chasque verset le lart, le chapon, la perdrix? « Ceste voix, » dict des Montaignes, « est trop divine pour n'avoir autre usage que d'exercer les poulmons et plaire aux oreilles.

  A001000788 

 » Je confesse qu'en particulier tous lieux sont bons a prier et toute contenance qui n'est pas peché, pourveu qu'on prie d'esprit, par ce que Dieu voit l'interieur, auquel gist la principale substance de l'orayson; mays je crois que qui prie en publiq doit faire demonstration exterieure de la reverence que les paroles propres quil profere demandent; autrement il scandalize le prochain, qui n'est pas tenu de penser quil ayt [186] de la religion en l'interieur, voyant le mespris en l'exterieur..

  A001000789 

 Pour vray, cest inconvenient de prier sans devotion arrive bien souvent aux Catholiques, mais ce n'est pas par l'adveu de l'Eglise, et je ne reprens pas maintenant les particuliers de vostre parti, mais le cors de vostre [église,] laquelle par ses traductions et libertés met en usage prophane ce qui devroit estre en tres grande reverence..

  A001000796 

 L'eunuche tresorier general d'Ethiopie estoyt bien fidele, puysqu'il estoit venu adorer au Temple de Hierusalem; il lisoyt Isaïe, il entendoit bien les paroles, puys quil demandoit de quel Prophete s'entendoit ce quil avoit leu; neantmoins il n'en avoit pas l'intelligence ni l'esprit, comme luy mesme confessoit: Et quomodo possum si non aliquis ostenderit mihi? Non seulement il n'entend pas, mays confesse de ne le pouvoir sil n'est enseigné; et nous verrons une lavandiere se vanter d'entendre aussy bien l'Escriture que saint Bernard.

  A001000796 

 Mays d'ou vient ceste discorde, si frequente et irreconciliable, qui est entre vous autres freres en Luther, sur ces seules paroles, Cecy est mon cors, et sur le point de la justification? [188] Certes, saint Pierre n'est pas de vostre advis, qui admoneste, en sa 2.

  A001000796 

 Mays ou est ceste Parole de Dieu? en l'Escriture; et l'Escriture est ce quelque chose de secret? non pas, ce dit on, aux fideles: a quoy faire donq ces interpreteurs, ces prædicans? si vous estes fideles, vous y entendres autant qu'eux; renvoyes les aux infideles, et gardes seulement quelques diacres pour vous donner le morceau de pain et verser le vin de vostre souper; si vous pouves vous repaistre vous mesmes au champ de l'Escriture, qu'aves vous a faire de pasteurs? quelque jeun'innocent et pur enfant qui sçaura lire en fera bien la rayson.

  A001000796 

 Ne connoisses vous pas l'esprit de division? il faut s'asseurer que l'Escriture est aysëe, affin que chacun la tirasse, qui ça qui la, que chacun en face le maistre, et qu'elle serve aux opinions et fantasies d'un chacun.

  A001000796 

 Origene et saint Hierosme, celluyla en sa præface sur les Cantiques, celluyci en la sienne sur Ezechiel, recitent quil n'estoit pas permis aux Juifz devant l'aage de 30 ans, lire les 3 premiers chapitres de Genese, le commencement et la fin d'Ezechiel ni les Cantiques des Cantiques, pour la profondité de leur difficulté, en laquelle peu de gens peuvent nager sans s'y perdre; et maintenant chacun en parle, chacun en juge, chacun s'en faict accroire..

  A001000797 

 Homme de bien, et qui a mon advis ne voudroit pas mentir, m'a raconté quil a ouy un'ministre en ce pais, traittant de la Nativité de Nostre Seigneur, asseurer quil n'estoit pas né en une creche, et exposer le texte, qui est expres au contraire, paraboliquement, disant: Nostre Seigneur dict bien quil est la vigne, et il ne l'est pas pour cela, de mesme, encor quil soit dict quil est né en une creche, il ny est pas né pour cela, mais en quelque lieu honnorable, qui en comparaison de sa grandeur se pouvoit appeller creche.

  A001000797 

 Ne voyla pas un beau sens et rare? mays la rayson estoit encores plus belle, par ce qu'a l'entendre autrement ce seroit contre nature, et qu'il faut interpreter l'Escriture par l'Escriture, ou nous trouvons que Nostre Seigneur n'en fit pas de mesme quand le serviteur le frappa: c'est le fruict de vostre triviale theologie.

  A001000799 

 Hic adscribenda sunt ea verba c. 35 Vincentii Lirinensis: Nam videas eos, etc. Cecy n'est ce pas [190] faire ce que dict Dieu en Ezechiel, 34, v. 18: Nonne satis vobis erat pascua bona depasci? insuper et reliquias pascuarum vestrarum conculcastis pedibus..

  A001000806 

 Qui ne voit quil ne parle pas des offices solemnelz en l'eglise, qui ne se faysoyent que par le pasteur, mays des cantiques qui se faysoyent par le don des langues, quil vouloyt estre entenduz; car, de vray, ne l'estans pas, cela detournoyt l'assemblëe et ne servoit de rien.

  A001000806 

 Vous verres que pour cela il ne veut pas qu'on diversifie le service en toutes sortes de langages, mais seulement que les exhortations et cantiques qui se faysoyent par le don des langues soyent interpretés, affin que l'eglise ou on se trouve sache que l'on dict: Et ideo, qui loquitur lingua, oret ut interpretetur.

  A001000809 

 Au Deuteronome est il pas dict que les commandemens de Dieu ne sont pas secretz ni celés? et le Psalmiste dict il pas: Præceptum Domini lucidum; Lucerna pedibus meis Mot tuum? Tout cela va bien, mays il s'entend estant prechëe et expliquëe et bien entendue, car, Quomodo credent sine prædicante? et tout ce que David grand prophete a dict, ne doit estre tiré en consequence sur un chacun..

  A001000810 

 Certes, saint Augustin trouva que saint Anthoyne, homme indocte, ne layssoit pas de sçavoir le chemin de Paradis, et luy avec sa doctrine en estoit bien loin alhors, parmi les erreurs des Manicheens..

  A001000810 

 Croyes qu'encores selon l'esprit il est veritable ce que disoit le Sage: Melior est pauper ambulans in simplicitate sua quam dives in pravis itineribus; et ailleurs: Simplicitas justorum diriget eos; et: Qui ambulat simpliciter ambulat confidenter. Ou je ne voudrois pas dire quil ne faille prendre peyne d'entendre, mays seulement qu'on ne se doit pas penser de trouver de soymesme son salut ni son pasturage, sans la conduicte de qui Dieu a constitué pour cest effect, selon le mesme Sage: Ne innitaris prudentiæ tuæ; et, Ne sis sapiens apud temetipsum: ce que ne font pas ceux qui pensent en leur seule suffisance connoistre toute sorte de misteres, sans observer l'ordre que Dieu a establi, qui en a faict entre nous les uns docteurs et pasteurs, non tous, et un chacun pour soymesme.

  A001000810 

 Mays on m'objecte a tous propos: ne dois je pas chercher la viande de mon ame et mon salut? pauvre homme, qui le nie? mays si chacun va aux pasturages comme les vielles oÿes, a quoy faire les bergers? cherche les pastiz, mays avec ton pasteur.

  A001000810 

 Se mocqueroit [192] on pas du malade qui voudroit chercher sa santé en Hipocrate sans l'ayde du medecin? ou de celuy qui voudroit chercher son droit en Justinien sans s'addresser au juge? Cherchez, luy diroit on, vostre santé, mais par le moyen des medecins; et vous, cherchez vostre droit et le procurez, mais par les mains du magistrat.

  A001000812 

 Voyes vous comme le peuple oyoyt la leçon publique de l'Evangile, et ne l'entendoit pas, sinon ce mot, Confiteor tibi, Pater? qu'il entendoit par coustume, par ce qu'on le disoit tous au commencement de la Messe, comme nous faysons maintenant: c'est sans doute que la leçon s'en faysoit en Latin, qui n'estoit pas leur langage vulgaire..

  A001000813 

 Jamais peuple ne fut mieux instruict, selon la malice du tems, que le peuple de Milan sous le cardinal Borromëe; mays l'instruction du peuple ne vient pas a force de tracasser les saintes Bibles, et lisotter ceste divin'Escriture, ni chanter ça et la en forme de fantasies les Psalmes, ains de les manier, lire, ouyr, chanter et prier avec apprehension vive de la majesté de Dieu a qui on parle, de qui on lit ou escoute on la Parole, tousjours avec ceste præface de l'ancienn'Eglise, Sursum corda..

  A001000827 

 Qui nie la tres excellente utilité de l'Escriture, sinon les huguenotz qui en levent des plus belles pieces comme vaynes? Elles sont tres utiles, certes; ce n'est pas une petite faveur que Dieu nous a faict de les nous conserver parmi tant de persecutions: mays l'utilité de l'Escriture ne rend pas les saintes Traditions inutiles, nom plus que l'usage d'un œïl, d'une jambe, d'une oreille, d'une main, ne rend pas l'autre inutile; [197] dont le Concile dict: Omnes Libros tam Veteris quam Novi Testamenti, nec non Traditiones ipsas, pari pietatis affectu ac reverentia suscipit et veneratur.

  A001000828 

 De mesme: Multa quidem et alia signa fecit Jesus quæ non sunt scripta in libro hoc; hæc autem scripta sunt ut credatis quod Jesus est Filius [Dei], et ut credentes vitam habeatis in nomine ejus: donques il ny a rien autre a croire que cela; belle consequence! Nous sçavons bien que Quæcumque scripta sunt ad nostram doctrinam scripta sunt; mays cela empechera il que les Apostres præchent? Hæc scripta sunt ut credatis quod Jesus est Filius Dei; mays cela ne suffit pas, car, quomodo credent sine prædicante? Les Escritures sont donnees pour nostre salut, mays nompas les Escritures seules, les Traditions y ont encor place: les oyseaux ont l'aisle droite pour voler; donques l'aysle gauche ny sert de rien? ains l'une ne va pas sans l'autre.

  A001000829 

 L'Escriture donques est Evangile, mais nom pas tout l'Evangile, car les Traditions sont l'autre partie: qui enseignera donques outre ce qu'ont enseigné les Apostres, maudict soit il; mays les Apostres ont enseigné par escrit et par Tradition, et tout est Evangile.

  A001000829 

 Quand ilz produysent ces paroles, Non addetis ad Mot quod ego præcipio vobis, nec auferetis ab eo; Sed licet nos aut angelus de cælo evangelizet vobis præterquam quod evangelizavimus vobis, anathema sit, ilz ne disent rien contre le Concile, qui dict expressement que la doctrine Evangelique ne consiste pas seulement es Escritures, mays encores es Traditions.

  A001000830 

 Et ny a pas seulement Tradition des ceremonies, et de certain ordre exterieur arbitraire et de bienseance, mays, comme dict le saint Concile, en doctrine qui appartient a la foy mesme et aux mœurs; quoy que, quand aux Traditions des mœurs, il y en a qui nous obligent tres étroittement, et d'autres qui ne nous sont proposëes que par conseil et bienseance, et cellescy n'estans observëes ne nous rendent pas coulpables, pourveu qu'elles soyent approuvëes et prisëes comme saintes, et ne soyent mesprisëes.

  A001000836 

 Nous confessons que la tressainte Escriture est tres excellente et tres utile; elle est escrite affin que nous croyons; rien ne luy peut estre contraire que le mensonge et l'impieté: mays pour establir ces verités il ne faut pas rejetter cellecy, a sçavoir, que les Traditions [199] sont tres utiles; donnees affin que nous croyons; rien ne leur est contraire que l'impieté et le mensonge; car pour establir une verité il ne faut jamais destruire l'autre.

  A001000837 

 Ce que saint Jan mesme confirme: Multa habens scribere vobis, nolui per chartam et atramentum; spero enim me futurum apud vos, et os ad os loqui; c'estoyent choses dignes d'estre escrites, neanmoins il ne l'a pas faict, mays les a dites, et au lieu d'Escriture en a faict Tradition..

  A001000837 

 N'est ce pas la Saint'Escriture de saint Pol qui dict, Itaque, fratres, tenete traditiones quas accepistis, sive per sermonem sive per epistolam? Hinc patet quod non omnia per epistolam tradiderunt Apostoli, sed multa etiam sine literis; eadem vero fide digna sunt tam ista quam illa, dict saint Chrysostome, en son commentaire sur ce lieu.

  A001000838 

 Formam habe sanorum verborum, quæ a me audisti: bonum depositum custodi, disoit saint Pol a son Timothee; n'estoit ce pas luy recommander la Parole Apostolique non escritte? et cela s'appelle Tradition.

  A001000838 

 Qu'y a il de plus clair pour la Tradition? Voyla la forme: l'Apostre parle, les tesmoins le rapportent, saint Timothëe le doit enseigner a d'autres, et ceux la aux autres; voyla pas une sainte substitution et fidecommis spirituel?.

  A001000839 

 Et quand a la fin il leur dict, Cætera cum venero disponam, il nous laysse a penser quil leur avoyt enseigné plusieurs choses bien remarquables, et neanmoins nous n'en avons aucun escrit ailleurs: sera il donq perdu pour l'Eglise? non certes, mais est venu par Tradition, autrement l'Apostre ne l'eust pas envié a la posterité et l'eust escrit..

  A001000839 

 Le mesm'Apostre loue il pas les Corinthiens de l'observation des Traditions? Quod per omnia, dict, mei memores estis, et sicut tradidi vobis præcepta mea servatis.

  A001000839 

 Si c'estoit en la seconde des Corinthiens, on pourroit dire que par ses commandemens il entend ceux de la premiere, quoy que le sens y seroit forcé (mays a qui ne veut marcher tout ombre sert), mays cecy est escrit en la premiere; il ne parle pas d'aucun Evangile, car il ne l'appelleroit pas præcepta mea: qu'estoit ce donques sinon une doctrine Apostolique non escritte? cela nous l'appelions Tradition.

  A001000852 

 Quicomque tient ce langage, Chrestiens, si vous le consideres bien vous verres quil veut estre [202] juge luy mesme, quoy quil ne le die pas a descouvert, plus rusé qu'Absalon..

  A001000853 

 Il dict que la conclusion de tout son discours est « que le vray Christ est la seule, vraye et perpetuelle marque de l'Eglise Catholique, entendant du vray Christ tel, » dict il, « quil s'est tres parfaittement declaré dés le commencement, tant es escritz prophetiques qu'apostoliques, en ce qui appartient a nostre salut; » plus bas il dict: « Voyla ce que j'avois a dire sur la vraye, unique et essentielle marque de la vraÿe Eglise, qui est la Parole escritte prophetique et apostolique, bien et deuement administrëe; » et plus haut il avoit confessé quil y avoit des grandes difficultés es Escrittures Saintes, mays « nom pas es pieces qui touchent a nostre creance.

  A001000854 

 Amen, amen, disons nous; mais nous ne demandons pas comment on doit interpreter l'Escriture, mays qui sera le juge: car, apres avoir conferé les passages aux passages et le tout au Simbole de la foy, nous trouvons que par ce passage, Tu es Petrus, et super hanc petram ædificabo Ecclesiam meam, et portæ inferi non prævalebunt; et tibi dabo claves regni cælorum, saint Pierre a esté chef ministerial et supreme œconome en l'Eglise de Dieu; vous dites, de vostre costé, que ce passage, Reges gentium dominantur eorum, vos autem non sic, ou cest autre (car ilz sont tous si foibles que je ne sçay pas lequel vous peut estre fondemental), Nemo potest aliud fundamentum ponere, etc., conferé avec les autres passages et a l'analogie de la foy, vous faict detester un chef ministerial: nous suyvons tous deux un mesme chemin en la recherche de la verité de ceste question, a sçavoir, sil y a en l'Eglise un vicaire general de Nostre Seigneur, et neantmoins je suys arrivé en l'affirmative, et vous, vous estes logés en la negative; qui jugera plus de nostre different?.. Certes, qui s'addressera a Theodore de Beze, il dira que vous aves mieux discouru que moy, mays ou se fondera il en ce jugement, sinon sur ce quil luy semble ainsy, selon le præjugé quil en a faict il y a si long tems? et [204] quil dise ce quil voudra, car qui l'a establi juge entre vous et moy?...

  A001000854 

 Mays a cela nous repliquons, Amen: mays nous disons que nostre different n'est pas la; c'est qu'es differens que nous aurons sur l'interpretation, et qui s'y trouveront de deux motz en deux motz, nous avons besoin d'un juge.

  A001000855 

 Je ne suys pas en doute sil faut adjouster foy a la sainte Parole; qui ne sçait qu'elle est au supreme grade de certitude? ce qui me tient en peyne c'est l'intelligence de ceste Escriture, ce sont les consequences et conclusions qu'on y attache, lesquelles estans diverses, sans nombre et contraires bien souvent sur un mesme sujet, ou chacun prend parti, qui d'un costé qui d'autre, qui me fera voir la verité au travers de tant de vanités? qui me fera voir ceste Escriture en sa naifve couleur? car le col de ceste colombe change autant d'apparences que ceux qui le regardent changent de postures et distances.

  A001000855 

 Prenes garde; avec ces parades nous tirons l'Escriture apres nos fantasies, nous ne la suyvons pas.

  A001000856 

 Quil y ayt mis la plus excellente bussole et la charte la plus juste du monde, mays dequoy sert cela si personne n'a le sçavoir d'en tirer quelque regle infallible pour conduire le navire? dequoy servira il quil y ait un tresbon timon, sil ny a un patron pour le mouvoir a la mesure qu'enseignera la charte? mays sil est permis a chacun de le tourner au fil que bon luy semblera, qui ne void que nous sommes perdus? Ce n'est pas l'Escriture qui a besoin de regle ni de lumiere estrangere, comme Beze pense que nous croyons; ce sont nos gloses, nos consequences, intelligences, interpretations, conjectures, additions et autres semblables mesnages du cerveau de l'homme, qui ne pouvant demeurer coy s'embesoigne [206] tousjours a nouvelles inventions: ni moins voulons nous un juge entre Dieu et nous, comm'il semble quil veuille inferer en son Epistre; c'est entr'un homme tel que Calvin, Beze, Luther, et entr'un autre tel que Echius, Fischer, Morus; car nous ne demandons pas si Dieu entend mieux l'Escriture que nous, mays si Calvin l'entend mieux que saint Augustin ou saint Cyprien.

  A001000856 

 Saint Hilaire dict tresbien: De intelligentia hæresis est, non de Scriptura, et sensus, non sermo, fit crimen; et saint Augustin: Non aliunde natæ sunt hæreses nisi dum Scripturæ bonæ intelliguntur non bene, et quod in eis non bene intelligitur etiam temere et audacter asseritur. C'est le vray jeu de Michol, de couvrir une statue faitte a poste dans le lict, des habitz de David; qui regarde cela pense avoir veu David, mays il s'abuse, David ny est pas: l'heresie couvre au lict de son cerveau la statue de sa propre opinion des habitz de la Sainte Escritture; qui voit ceste doctrine pense avoir veu la sainte Parole de Dieu, mays il se trompe, elle ny est point, les motz y sont mays non l'intelligence.

  A001000856 

 Scripturæ, dict saint Hierosme, non in legendo sed in intelligendo consistunt; sçavoir la loy n'est pas sçavoir les paroles, mays le sens..

  A001000857 

 J'ay esté long, mays cecy une fois bien entendu, n'est pas un petit moyen de se resouvre a une tressainte deliberation..

  A001000858 

 Autant en dis je des Traditions; car si chacun veut [207] produyre des Traditions, et que nous n'ayons poinct de juge en terre, pour mettre en dernier ressort difference entre celles qui sont recevables et celles qui ne le sont pas, a quoy, je vous prie, en serons nous? L'exemple est clair: Calvin trouve recevable l'Apocalipse, Luther le nie, autant en est il de l'Epistre de saint Jaques; qui reformera ces opinions des reformateurs? l'une ou l'autre est mal formëe, qui y mettra la main? Voyla une seconde necessité que nous avons d'une autre 3 e Regle outre la Parole de Dieu..

  A001000859 

 Il y a neanmoins tresgrande difference entre les premieres Regles et celle cy; car la premiere Regle, qui est la Parole de Dieu, est Regle infallible de soy mesme, et tres suffisante pour regler tous les entendemens du monde, la seconde n'est pas proprement Regle de soymesme, mays seulement entant qu'elle applique la premiere, et qu'elle nous propose la droitture contenue en la Parole sainte: ainsy qu'on dict les loix estre une regle des causes civiles; le juge ne l'est pas de soy mesme, puysque son jugement est obligé au reglement de la loy, neantmoins il est, et peut tresbien estre appellé, regle, par ce que l'application des loix estant sujette a varieté, quand il l'a une fois faicte il faut s'y arrester.

  A001000865 

 Or, n'est il pas raysonnable qu'aucun particulier s'attribue cest infallible jugement sur l'interpretation ou explication de la sainte Parole; car, a quoy en serions nous? Qui voudroit subir le joug du jugement d'un particulier? pourquoy plus tost de l'un que de l'autre? quil parle tant quil voudra de l'analogie, de l'entousiasme, du Seigneur, de l'Esprit, tout cela ne pourra jamais brider tellement mon cerveau que, sil faut s'embarquer a l'adventure, je ne me jette plus tost dans le vaysseau de mon jugement que dans celuy d'un autre, quand il parleroit Grec, Hebrieu, Latin, Tartarin, Moresque et tout ce que vous voudres.

  A001000872 

 Et de vray, ce sont les pasteurs qui ont charge d'instruire le peuple, et de prouvoir a son salut par les resolutions des doutes qui surviennent touchant la doctrine Chrestienne; les empereurs et les princes y doivent avoir zele, mais selon leur ministere, qui est par voÿe de justice, de police et de l'espëe, qu' ilz ne portent pas sans cause.

  A001000874 

 Pendant qu'on deliberoit, les senieurs ou prestres parlerent, comm'il est probable selon ces paroles, cum autem magna conquisitio fieret, qui monstrent qu'on debatit bien fort ceste question; mays quand il vint a resoudre et porter sentence, il ne se trouve personne qui parle qui ne soit Apostre: aussy ne trouve l'on pas es anciens Conciles et canoniques qu'autre que les Evesques ayt signé et defini; qui fut la cause que les Peres du Concile de Calcedoyne, y voyans entrer les religieux et laicz, crierent plusieurs foys: Mitte foras superfluos, Concilium episcoporum est.

  A001000874 

 Troysiesmement, qui y doit estre juge: et nous ne voyons pas que personne y portast sentence que 4 des Apostres, saint Pierre, saint Pol, saint Barnabas et saint Jaques, au jugement desquelz chacun acquiesça.

  A001000875 

 Au Concile de Constantinople, quoy quil ny fut pas ni aucun legat pour luy, par ce quil traittoit la mesme cause avec les Evesques occidentaux a Rome qui estoit traittëe a Constantinople par les orientaux, qui ne s'estoyent peu joindre qu'en esprit et deliberation, si est ce que par les lettres que les Peres de part et d'autre s'envoyerent, Damase, Evesque de Rome, est reconneu pour legitime chef et præsident.

  A001000875 

 Au Concile de Nicëe, les premiers qui souscrivent ce sont Hosius, evesque, Vitus et Modestus, prestres, envoÿés par le Saint Siege: et de vray, quelle occasion pouvoit faire que deux prestres souscrivissent devant les Patriarches, si ce n'eust esté quilz estoyent en lieutenance du supreme Patriarche? Que quand a saint Athanase, tant s'en faut quil y præsidast, quil ny fut pas assis ni ne souscrivit point, comme n'estant que diacre pour l'heure; et le grand Constantin non seulement ny præsida pas, ains s'assit au bas des Evesques, et ny voulut point estre comme pasteur mays comme brebis.

  A001000877 

 Il peut bien y avoir des laicz au Concile s'il est expedient, mays non pas pour y tenir lieu de juges.

  A001000884 

 C'est la mesm'Eglise, aussy chere au celest'Espoux qu'elle fut alhors, en plus de necessité qu'elle n'estoit alhors; quelle rayson y a il quil ne luy fist la mesme assistence quil luy fit alhors en pareille occasion? Consideres, je vous prie, l'importance de ces motz Evangeliques, Si quis Ecclesiam non audierit, sit tibi tanquam etnicus et publicanus; [216] et quand peut on jamais ouyr plus distinctement l'Eglise que par la voix d'un Concile general, ou les chefz de l'Eglise se trouvent tous ensemble pour dire et deduyre les difficultés? le cors ne parle pas par ses jambes ni par ses mains, mays seulement par son chef; ainsy, comme peut l'Eglise mieux prononcer sa sentence que par ses chefz? Mays Nostre Seigneur s'explique: Iterum dico vobis, quia si duo ex vobis consenserint super terram de omni re quamcumque petierint, fiet illis a Patre meo qui in cælis est; ubi enim sunt duo vel tres congregati in nomine meo, ibi sum in medio eorum.

  A001000886 

 En fin, quel plus estroit commandement avons nous que de prendre la pasture de la main de nos pasteurs? saint Pol ne dict il pas que le Saint Esprit les a colloqués au bercail pour nous regir, et que Nostre Seigneur les nous a donnés affin que nous ne soyons point flottans et emportés a tout vent de doctrine? quel respect donques devons nous porter aux ordonances [217] et canons qui partent de leur assemblëe generale? Certes, pris a part l'un de l'autre, leurs doctrines sont encores sujettes a l'espreuve, mays quand ilz sont ensemble, et que toute l'authorité ecclesiastique est ramassëe en un, qui peut conteroller l'arrest qui en sort? Si le sel s'esvanouÿt, en quoy le conservera-on? si les chefz sont aveugles, qui conduira le reste? si les colomnes tumbent, qui les soutiendra?.

  A001000893 

 Luther, au livre quil a faict Des Conciles,.. ne se contente pas d'esbranler les pierres descouvertes, mays va mettre la sappe jusques aux pierres fondamentales de l'Eglise.

  A001000894 

 Nous ne sommes pas en doute sil faut recevoir une doctrine a la volee, ou sil en faut faire l'espreuve a la touche de la Parole de Dieu; mays nous disons que quand un Concile general en a faict l'espreuve, nos cerveaux n'y ont plus rien a revoir, mays seulement a croire: que si une fois on remet les canons des Conciles a l'espreuve des particuliers, [220] autant de particuliers autant d'espreuves, autant d'espreuves autant d'opinions.

  A001000895 

 Bonté de Dieu; on sousmet a l'espreuve de Luther, Calvin et Beze la doctrine du Concile de Nicee, apres treze cens ans d'approbation, et on ne veut pas qu'on face l'espreuve de la doctrine calvinesque, toute nouvelle, toute douteuse, rappetassee et bigarrëe.

  A001000895 

 Que ne laissoit on a chacun faire son espreuve? [221] si celle de Nicee n'a pas peu arrester vos cerveaux, pourquoy voules vous par vos discours mettre un arrest aux cerveaux de vos compaignons, aussi gens de bien que vous, aussi doctes et pertinentz? Connoisses l'iniquité de ces juges: pour donner liberté a leurs opinions ilz avilissent les anciens Conciles, et veulent par les leurs brider celles des autres; ilz cherchent leur gloire, connoisses-le bien, et tout autant quilz en levent aux Anciens, ilz s'en attribuent..

  A001000897 

 Et neanmoins, Nostre Seigneur fit cest honneur a la sacrificature d'Aaron, que non obstant toute la mauvaise intention de ceux qui la possedoyent, le grand Prestre prophetisa et prononça une sentence tres certayne, Quia expedit ut unus moriatur homo pro populo, ut non tota gens pereat; ce quil ne dict pas de luy mesme et a cas, mays prophetiquement, dict l'Evangeliste, par ce quil estoit Pontife de ceste annëe la. Ainsy voulut Nostre Seigneur conduire ceste Sinagogue et l'authorité sacerdotale avec un remarquable honneur a la sepulture, pour luy faire succeder l'Eglise Catholique et le sacerdoce Evangelique; et la, ou la Sinagogue prit fin, qui fut en la resolution de faire mourir Nostre Seigneur, l'Eglise fut fondëe par ceste mort mesme: Opus consummavi quod dedisti mihi ut faciam, dict Nostre Seigneur aprës la cene, et en la cene Nostre Seigneur avoit institué le nouveau testament, si que le viel, avec ses ceremonies et son sacer [224] doce, perdit ses forces et ses privileges, quoy que la confirmation du nouveau ne se fit que par la mort du testateur, comme parle saint Pol.

  A001000897 

 Je sçai qu'es Conciles il y a des articles pour l'ordre et police ecclesiastique, qui peuvent estre changés et ne sont que temporelz, mays ce n'est pas aux particuliers d'y mettre la main: la mesm'authorité qui les a dressés les doit abroger, si quelqu'autre s'en mesle c'est pour neant; et ce n'est pas la mesm'authorité si ce n'est un Concile, ou le chef general, ou la coustume de toute l'Eglise.

  A001000897 

 Mays tout cecy s'entend des vrays Conciles, ou generaux, ou provinciaux advoüés par les generaux ou par le Siege Apostolique: tel que ne fut pas celuy des 400 prophetes assemblés par Achab; car il ne fut ni general, car ceux de Juda n'y furent point apellés, ni bien congregé, car il n'y eut point d'authorité sacerdotale, et ces prophetes n'estoyent pas legitimes et pour telz reconneuz par le roy de Juda, Josaphat, quand il dict: Non est hic propheta Domini, ut interrogemus per eum? comme sil eust voulu dire que les autres n'estoyent pas prophetes du Seigneur.

  A001000897 

 Tel ne fut pas nomplus l'assemblëe des prestres contre Nostre Seigneur, qui ne tint aucune [223] forme de Concile, mays fut une conspiration tumultuaire et sans aucune procedure requise,.. et laquelle tant s'en faut qu'elle eust asseurance en l'Escriture de l'assistence du Saint Esprit, qu'au contrayre elle en avoit esté declairëe privëe par les Prophetes; et de vray, la rayson vouloit que le Roy estant præsent les lieutenans perdissent l'authorité, et le grand Prestre præsent, la majesté du vicayre fut ravalëe a la condition des autres.

  A001000913 

 Mays nous ne devons pas seulement honorer leurs tesmoignages comme tres asseurés et irreprochables, ains encores bailler grand credit a leur doctrine sur toutes nos inventions et curiosités.

  A001000913 

 Nous ne les voulons pas icy pour autheurs de nostre foy, mays seulement pour tesmoins de la creance en laquelle vivoyt l'Eglise de ce tems la; personne n'en peut deposer plus pertinemment qu'eux qui y commandoyent, ilz sont irreprochables de tous costés; qui veut sçavoir le chemin que l'Eglise a tenu en ce tems la, quil le demande a ceux qui l'ont tres fidelement accompagnee: Sapientiam omnium antiquorum exquiret sapiens, et in prophetis vacabit; narrationem virorum nominatorum conservabit.

  A001000913 

 Nous ne sommes pas en doute si les Peres anciens doivent estre tenuz pour autheurs de nostre foy, nous sçavons mieux que tous vos ministres que non; ni ne sommes pas en dispute s'il faut recevoir pour certain ce qu'un ou deux Peres auront eu en opinion.

  A001000913 

 On ne requiert pas tant au tesmoin le sçavoir, que la preudhommie et bonne foy.

  A001000913 

 Outre cela, vous dites que vostre eglise a estëe taillëe.. a la regle et compas de l'Escriture; nous le nions, et disons que vous aves accourcy, estressy et plié ceste regle, comme faysoyent ceux de Lesbos, pour l'accomoder a vostre cerveau, et..... et reformëe selon la vraye intelligence de l'Escriture; nous le nions, et disons que les anciens Peres ont eu plus de suffisance et d'erudition que vous, et neantmoins ont jugé que l'intelligence des Escritures n'estoit pas telle que vous dittes; n'est ce pas une preuve tres certaine? Vous dites que selon les Escrittures il faut abolir la Messe; tous les anciens Peres le nient: a qui croirons nous, ou a ceste troupe d'Evesques et Martirs anciens, ou a ceste bande de nouveaux venuz? voyla ou nous en sommes.

  A001000913 

 Voicy nostre different: vous dites que vous aves reformé vostre eglise sur le patron [227] de l'Eglise ancienne; nous le nions, et prenons a tesmoins ceux qui l'ont veüe, qui l'ont conservëe, qui l'ont gouvernëe; n'est ce pas une preuve franche et nette de toute supercherie? icy nous ne produysons que la preudhommie et bonne foy des tesmoins.

  A001000920 

 Ainsy l'imposition de nom en saint Pierre n'est pas un petit argument de l'excellence particuliere de sa charge, selon la rayson mesme que Nostre Seigneur y attacha, Tu es Petrus, etc..

  A001000920 

 Sil change Jacob en Israel, la rayson est en realité sur le champ: Par ce que si tu as esté puyssant contre Dieu, combien plus surmonteras tu les hommes? Si que Dieu, par les noms quil impose, ne marque pas seulement les choses nommëes, mays nous instruit de leurs qualités et conditions: tesmoins [229] les Anges, qui ne portent point de noms que selon leurs charges, et saint Jan Baptiste, qui porte la grace en son nom quil annonça en sa prædication; ce qui est ordinaire a ceste sainte langue des Israelites.

  A001000922 

 Je sçai bien quil imposa nom aux deux freres Jan et Jaques, Boanerges, enfans de tonnerre, mays ni ce nom n'est point nom de superieurité ou commandement, ains d'obeissance, ni propre ou particulier, mays commun a deux; ni ne semble pas quil leur fut permanent, puysque jamais ilz n'en sont appellés despuys, mays que ce fut plus tost un tiltre de louange, a cause de l'excellence de leur prædication.

  A001000923 

 Mays je vous adviseray que Nostre Seigneur n'a pas changé le nom de saint Pierre, mays a seulement joint un nouveau nom a l'ancien quil avoit; peut estre affin quil se resouvint en son authorité de ce quil estoit de son estoc, et que la majesté du second nom fust attrempëe par l'humilité du premier, et que si le nom de Pierre le nous faisoit reconnoistre pour chef, le nom de Simon nous avisast quil n'estoit pas chef absolu, mays chef obeissant, subalterne et maistre valet.

  A001000924 

 Il ne parloit pas Latin, mays Syriac; il l'appella, donques, nompas Pierre mays Cepha, en ceste façon, Tu es Cepha, et super hoc cepha ædificabo; [232] comme qui diroit en Latin, Tu es Saxum, et super hoc saxum, ou en François, Tu es Roche, et sur ceste roche j'edifieray mon Eglise.

  A001000924 

 Mays nous n'equivoquons point icy; car ce n'est qu'un mesme mot, et pris sous la mesme signification, quand Nostre Seigneur a dict a Simon, Tu es Pierre, et quand il a dict, et sur ceste pierre j'edifieray mon Eglise: et ce mot de pierre n'estoit pas un nom propre d'homme, mays seulement il fut approprié a Simon Bar Jona; ce que vous entendres bien mieux si on le prend au langage auquel Nostre Seigneur le dict.

  A001000924 

 Or, je vous prie, quelle apparence y a il que Nostre Seigneur eust faict ceste grande præface, Beatus es Simon Bar Jona, quia caro et sanguis non revelavit tibi, sed Pater meus qui in cælis est; et ego dico tibi, pour ne dire autre sinon, quia tu es Petrus, puys, changeant tout a coup de propos, il allast parler d'autre chose? Et puys, quand il dict, et sur ceste pierre j'edifieray mon Eglise, ne voyes vous pas quil parle notoirement de la pierre delaquelle il avoit parlé præcedemment? et de quell'autre pierre avoit il parlé que de Simon, au quel il avoit dict, Tu es Pierre? Mays voicy tout l'equivoque qui peut faire scrupule a vos imaginations; c'est que peut estre penses vous que comme Pierre est maintenant un nom propre d'homme, il le fut aussy alhors, et que Petrus ne soit pas la mesme chose que petra, et que, partant, nous passions la signification de Pierre a la pierre, par equivocque du masculin au feminin.

  A001000925 

 Certes, la [version] latine a asses d'autres argumentz pour faire connoistre que ceste pierre n'est autre que saint Pierre, et partant, pour accomoder le mot a la personne a qui on le bailloit pour nom, qui estoit masculine, il luy a baillé une terminayson de mesme, a l'imitation du Grec, qui avoit mis, Tu es πέτρος, et super hanc τῇ πέτρᾷ; mays il ne reussit pas si heureusement en Latin qu'en Grec, par ce qu'en Latin, Petrus ne veut pas dire petra, mays en Grec πέτρος et petra n'est qu'une mesme chose; comme en François rocher et roche [est le mesme,] toutefois, s'il me failloit approprier ou l'un ou l'autre a un homme, je luy appliqueroys plus tost le nom de rocher que de roche, pour la correspondance du mot masculin a la personne masculine.

  A001000926 

 En fin, pour vous monstrer que c'est bien de saint Pierre duquel il dict, et super hanc petram, je produis les paroles suivantes; car c'est tout un de luy promettre l es clefz du royaume des cieux, et de luy dire, super hanc petram; et neantmoins nous ne pouvons pas douter que ce ne soit saint Pierre auquel il promet les [233] clefz du royaume des cieux, puys quil dict clairement, et tibi dabo claves regni cælorum: si donques nous ne voulons descoudre ceste piece de l'Evangile d'avec les paroles præcedentes et les suivantes, pour la joindre ailleurs a nostre poste, nous ne pouvons croire que tout cecy ne soit dict a saint Pierre et de saint Pierre, Tu es Petrus, et super hanc petram ædificabo Ecclesiam meam; ce que la vraÿe et pure Eglise Catholique, mesme selon la confession des ministres, a avoüé haut et cler en l'assemblëe de 630 Evesques au Concile de Calcedoyne..

  A001000927 

 .. La pierre sur laquelle on releve l'edifice c'est la premiere, les autres s'affermissent sur elle, celles qu'elle ne soustient ne sont pas de l'edifice; on peut bien remuer les autres pierres sans que le bastiment tumbe, mays qui leve la fondamentale, renverse la mayson.

  A001000935 

 En ce cas donques, puysque nous voyons que l'Escriture nous enseigne qu'il ni a point d'autre fondement que Nostre Seigneur, et que la mesme nous enseigne clairement que saint Pierre l'est encores, et plus outre encores que tous les Apostres le sont, il ne faut pas refuser le premier enseignement pour le second, ni le second pour le troysiesme, ains les laysser tous troys en leur entier; ce qui se fera aysement si nous considerons ces passages a la bonne foy et franchement..

  A001000935 

 Si donques, disent ilz, tous les douze Apostres sont fondemens de l'Eglise, comment attribues vous ce tiltre a saint Pierre en particulier? et si saint Pol dict que personne ne peut mettre autre fondement que Nostre Seigneur, comme oses vous dire que par ces paroles, Tu es Pierre, et [235] sur ceste pierre j'edifieray mon Eglise, saint Pierre ayt esté estably pour fondement de l'Eglise? que ne dites vous plustost, dict Calvin, que ceste pierre sur laquelle l'Eglise est fondëe n'est autre que Nostre Seigneur? que ne dites vous plustost, dict Luther, que c'est la confession de foy que saint Pierre avoit faict? Mays a la verité, ce n'est pas une bonne façon d'interpreter l'Escriture, que de renverser l'un des passages par l'autre, ou l'etirer par une intelligence forcëe a un sens estrange et mal advenant; il faut y laisser tant qu'on peut la naifveté et suavité du sens qui s'y presente.

  A001000936 

 Ainsy la supreme charge qu'eut saint Pierre en l'Eglise militante, a raison de laquelle il est apellé fondement de l'Eglise, comme chef et gouverneur, n'est pas outre l'authorité de son Maistre, ains n'est qu'une participation d'icelle; si que luymesme n'est pas fondement de ceste hiérarchie outre Nostre Seigneur, mays plus tost en Nostre Seigneur, comme nous l'appelions tressaint Pere en Nostre Seigneur, hors duquel il ne seroit rien.

  A001000936 

 Certes, nous ne reconnoissons point d'authorité seculiere outre celle de son Altesse; mays nous en reconnoissons bien plusieurs sous icelle, lesquelles ne sont pas proprement autres que celle de son Altesse, puysqu'elles en sont seulement certaynes portions et participations.

  A001000936 

 Et puys, aves vous bien consideré les paroles de saint Pol? Il ne veut pas qu'on reconnoisse aucun fondement outre Nostre Seigneur, mays ni saint Pierre ni les autres Apostres ne sont pas fondemens outre Nostre Seigneur, ains sous Nostre Seigneur; leur doctrine [n'est] pas outre celle de leur Maistre, mays celle la mesme de leur Maistre.

  A001000936 

 Saint Pol vous semble il pas se fayre asses entendre quand il dict: Vous estes suredifiés sur les fondemens des Prophetes et Apostres? mays affin qu'on sceut que ces fondemens n'estoient pas outre celuy quil præchoit, il adjouste: Ipso summo angulari lapide, Christo Jesu..

  A001000936 

 Vous nous faictes tort; nous ne le mettons pas pour fondement, Celuy la outre lequel on n'en peut point mettre d'autre, l'a mis luy mesme; si que, si Nostre Seigneur est vray fondement de l'Eglise, comm'il l'est, il faut croire que saint Pierre l'est encores, puysque Nostre Seigneur l'a mis en ce rang: que si quelqu'autre que Nostre Seigneur mesme luy eust donné ce grade, nous crierions tous avec vous: Nemo potest aliud fundamentum ponere præter id quod positum.

  A001000937 

 Ceste si grande difference faict qu'en comparayson, l'un ne soit pas apellé fondement au pris de l'autre, qui neanmoins pris a part peut estre appellé fondement, affin de laisser lieu a la proprieté des Parolles saintes: ainsy qu'encores quil soit le bon Pasteur il ne laysse de nous en donner sous luy, entre lesquelz et sa majesté il y a si grande difference, que luy mesme monstre quil est le seul Pasteur..

  A001000938 

 Tout de mesme, ce n'est pas bien philosopher de dire, tous les Apostres en general sont appellés fondemens de l'Eglise, donques saint Pierre ne l'est que comme les autres.

  A001000938 

 Toute l'Eglise a esté fondëe sur tous les Apostres, et toute sur saint Pierre en particulier; c'est donq saint Pierre qui en est le fondement, pris a part, ce que les autres ne sont pas, car a qui a il jamays esté dict en particulier, Tu es Pierre, etc.? Ce seroit violer l'Escriture, qui diroit que tous les Apostres en general n'ont pas esté fondement de l'Eglise; ce seroit aussy la violer, qui nieroit que saint Pierre ne l'eust esté particulierement: il faut que la parole generale sortisse son effect general, et la particuliere, le particulier, affin que rien ne demeure inutile et sans mistere en des si misterieuses Escritures..

  A001000939 

 Mays le lieu de saint Pol semble ne s'entendre pas tant de la personne des Apostres que de leur doctrine; car il n'est pas dict que nous soyons suredifiés sur les Apostres, mays, sur le fondement des Apostres, c'est a dire, sur la doctrine quilz ont annoncëe: ce qui est aysé a reconnoistre, puysqu'il ne dict pas seulement que nous sommes sur le fondement des Apostres, mays encores des Prophetes, et nous sçavons bien que les Prophetes n'ont pas autrement estés fondemens de l'Eglise Evangelique que par leur doctrine.

  A001000946 

 Et bien que saint Pierre ne fut pas encor chef et prince de l'Eglise, ce qui luy fut seulement conferé apres la resurrection du Maistre, il suffit quil estoit desja choisy pour tel et quil en avoit les erres; comme aussi les Apostres n'avoyent pas encores le pouvoir Apostolique, cheminans toute ceste benite compaignie plus comme disciples avec leur regent, pour apprendre les profondes leçons quilz ont par apres enseignëes aux autres, que comme Apostres ou envoyés, ce quilz firent despuys, lorsque le son de leur voix retentit par tout le monde.

  A001000946 

 Et ne nie pas nom plus que le reste des prælatz de l'Eglise n'ayent eu part [241] a l'usage des clefz; et quand aux Apostres, je confesse quilz y ont eu tout'authorité: je dis seulement que la collation des clefz est icy promise principalement a la personne de saint Pierre, et a l'utilité de toute l'Eglise; car encor que ce soit luy qui les ayt recettes, si est ce que ce n'est pas pour son prouffit particulier, mays pour celuy de l'Eglise.

  A001000946 

 Mays si cecy n'est violer l'Escriture, jamays homme ne la viola; car n'estoit ce pas a saint Pierre a qui il parloit? et comme pouvoit il mieux exprimer son intention que de dire, Et ego dico tibi; Dabo tibi? et puysque immediatement il venoit de parler de l'Eglise, ayant dict, portæ inferi non prævalebunt adversus eam, qui l'eust gardé de dire, et dabo illi claves regni, sil les eust voulu donner a toute l'Eglise immediatement? or il ne dict pas illi, mays, dabo tibi.

  A001000946 

 Que sil est permis d'aller ainsy devinant sur des paroles si claires, il ny aura rien en l'Escriture qui ne se puysse plier a tous sens: quoy que je ne nie pas que saint Pierre en cest endroit ne parlast en son nom et de toute l'Eglise, quand il fit ceste noble confession; non ja comme commis par l'Eglise ou par les disciples (car nous n'avons pas un brin de marque de ceste commission en l'Escriture, et la revelation sur laquelle il fonde sa confession avoit esté faite a luy seul, sinon que tout le college des Apostres eut nom Simon Barjona), mays comme bouche, prince et chef des autres, selon saint Chrysostome et saint Cyrille, et « pour la primauté de son apostolat, » comme dict saint Augustin.

  A001000946 

 Si que toute l'Eglise parla en la personne de saint Pierre comme en la personne de son chef, et saint Pierre ne parla pas en la personne de l'Eglise; car le cors ne parle qu'en son chef, et le chef parle en luymesme, non en son cors.

  A001000951 

 I a il rien de plus coignant que ces deux Escrittures? Car, Beatus es, Simon Barjona, quia caro et sanguis non revelavit tibi, sed Pater meus qui in cælis est, ne vaut il pas bien pour le moins, Vocabo servum meum Eliakim filium Helciæ? et, Ego dico tibi quia tu es Petrus, et super hanc petram ædificabo Ecclesiam meam, et portæ inferi, etc., ne vaut il pas tout autant, Induam illum tunica tua, et cingulo tuo confortabo eum, et potestatem tuam dabo in manu ejus, et erit quasi pater habitantibus Hierusalem et domui Juda? et qu'est ce autre chose estre le fondement ou pierre fondamentale d'une famille, que d'y estre comme pere, y avoir la surintendence, y estre gouverneur? Que si l'un a eu ceste asseurance, Dabo clavem David super humerum ejus, l'autre n'en a pas eu moins, qui a ceste promesse, Et tibi dabo claves regni cælorum; que si quand l'un aura ouvert, personne ne fermera, quand il aura fermé personne n'ouvrira, aussi, quand l'autre aura deslié personne ne liera, quand il aura lié personne ne desliera.

  A001000952 

 Ainsy Nostre Seigneur promettant les clefz a saint Pierre, luy remet l'authorité ordinaire, et luy donne cest office en proprieté, duquel il declaire l'usage quand il dict, Quodcumque, etc.; or, par apres, quand il faict la promesse aux Apostres, il ne leur donne pas les clefz ou l'authorité ordinaire, mays seulement les authorise en l'usage quilz feront, et en l'exercice des clefz.

  A001000952 

 Et quelle difference y a il? certes, toute telle quil y a entre la proprieté d'une authorité et l'usage: il se peut bien faire qu'un roy vivant, il ait ou la reyne ou son filz qui ait tout autant de pouvoir que le roy mesme a chastier, absoudre, donner, faire grace; il n'aura pourtant pas le sceptre, mays l'usage seulement; il aura bien la mesm'authorité, mays nom pas quand a la proprieté, ains seulement quand a l'usage et l'exercice; tout ce quil aura faict sera faict, mays il ne sera pas chef ni roy, ains faudra quil reconnoisse que son pouvoir est extraordinaire, par commission et delegation, au lieu que le pouvoir du roy, qui ne sera point plus grand, sera ordinaire et par proprieté.

  A001000952 

 Voyla combien est differente la promesse que Nostre Seigneur fit a saint Pierre, de celle quil fit aux autres Apostres; les Apostres ont tous mesme pouvoir avec saint Pierre, mays nom pas en mesme grade, d'autant quilz l'ont comme deleguez et commis, et saint Pierre, comme chef ordinaire et officier permanent.

  A001000952 

 Voyla que c'est qu'importe ceste promesse de donner les clefz a saint Pierre, promesse qui ne fut onques faitte aux autres Apostres: mays je dis que ce n'est pas tout un de promettre les clefz du Royaume, et de dire, quodcumque solveris, quoy que l'un soit explication de l'autre.

  A001000955 

 Je vous prie, ceste grace si particuliere et qui ne fut pas commune aux autres, tesmoin saint Thomas, ne monstre elle pas que saint Pierre estoit celluy la qui [246] major erat inter eos? tous sont tentés, et on ne prie que pour l'un.

  A001000955 

 Mays les paroles suivantes rendent tout cecy tres evident; car quelque Protestant pourroit dire quil a prié pour saint Pierre en particulier pour quelque autre respect que l'on peut imaginer (car l'imagination fournit tousjours asses d'appuy a l'opiniastreté), non par ce quil fut chef des autres, et que la foy des autres fut maintenue en leur pasteur: au contraire, Messieurs, c'est affin que, aliquando conversus confirmet fratres suos; il prie pour saint Pierre comme pour le confirmateur et l'appuy des autres, et cecy qu'est ce, que le declairer chef des autres? On ne sçauroit, a la verité, donner commandement a saint Pierre de confirmer les Apostres, qu'on ne le chargeast d'avoir soin d'eux; car, comme pourroit mettre ce commandement en faict, sans prendre garde a la foiblesse ou fermeté des autres pour les affermir et rasseurer? N'est ce pas le redire encor une fois fondement de l'Eglise? sil appuÿe, rasseure, affermit ou confirme les pierres mesme fondamentales, comme n'affermira il tout le reste? sil a charge de soutenir les colomnes de l'Eglise, comme ne soustiendra il tout le reste du bastiment? sil a charge de repaistre les pasteurs, ne sera il pas sauverain pasteur luy mesme? Le jardinier qui voit les ardeurs du soleil continuelles sur une jeune plante, pour la præserver de l'assechement qui la menace, ne porte de l'eau sur chasque branche, mais ayant bien trempé la racine croit que tout le reste est en asseurance, par ce [247] que la racine va dispersant l'humeur a tout le reste de la plante: ainsy Nostre Seigneur ayant planté ceste saint'assemblëe de Disciples, pria pour le chef et la racine, affin que l'eau de la foy ne manquast point a celuy qui devoit en assaisonner tout le reste, et que par l'entremise du chef, la foi fust tousjours conservëe en l'Eglise; il prie donques pour saint Pierre en particulier, mays au prouffit et utilité generale de toute l'Eglise..

  A001000955 

 Nostre Seigneur, qui devoit maintenir la foy en son Eglise, n'a point prié pour la foy d'aucun des autres en particulier, mays seulement de saint Pierre comme chef: car, quelle rayson penserions nous en ceste prærogative, Expetivit vos, tous tant que vous estes, ego autem rogavi pro te? n'est ce pas le mettre luy tout seul en conte pour tous comme chef et conducteur de toute la troupe? Mays qui ne voit combien ce lieu est pregnant a ceste intention? Regardons ce qui precede, et nous y trouverons que Nostre Seigneur avoit declaré a ses Apostres quil y en avoit un entr'eux plus grand que les autres, qui major est inter vos, et qui præcessor; et tout d'un train Nostre Seigneur luy va dire que l'adversaire cherchoyt de les cribler, tous tant quilz estoyent, et neantmoins quil avoit prié pour luy [en] particulier, affin que sa foy ne manquast.

  A001000956 

 Mays il faut, avant que fermer ce propos, que je vous die que saint Pierre ne perdit pas la foy quand il nia Nostre Seigneur, mays la crainte luy fit desavouer ce quil croyoit; c'est a dire, il ne s'oublia pas en la foy, mays en la confession de la foy; il croyoit bien, mais il parloit mal, et ne confessoit pas ce quil croyoit.

  A001000963 

 Mesme, que Nostre Seigneur en ceste parole met saint Pierre a part des autres, quand il le met en comparayson: diligis me, voyla saint Pierre d'un costé, plus his? voyla les Apostres de l'autre; et quoy que tous les Apostres ny fussent pas, si est ce que les principaux y estoyent, saint Jaques, saint Jan, saint Thomas et autres.

  A001000964 

 En l'Escriture, regir et paistre le peuple se prend pour une mesme chose, comm'il [est] aysé a voir en Ezechiel, au second des Rois; et es Psalmes en plusieurs endroitz, la ou, selon l'original, il y a pascere, nous avons regere, comme au Psalme second, Reges eos in virga ferrea, et de faict, entre regir et paistre les brebis avec une holette de fer il ny a pas difference; au Psalme 22, Dominus regit me, c'est a sçavoir, me gouverne comme pasteur; et quand il est dict que David avoit esté esleu pascere Jacob servum suum, et Israel hæreditatem suam; et pavit eos in innocentia cordis sui, c'est tout de mesme que sil disoit, regere, gubernare, præesse; et c'est avec la mesme façon de parler que les peuples sont appellés brebis de la [251] pasture de Nostre Seigneur, si que avoir commandement de paistre les brebis Chrestiennes, n'est autre que d'en estre le regent et pasteur..

  A001000965 

 Mays il y a du mistere en ceste institution, que nostre saint Bernard ne permet pas que j'oublie, ja que je l'ay pris pour guide en ce point.

  A001000965 

 Mays sil luy a dict, Repais mes brebis, ou il les luy recommandoit toutes, ou quelques unes seulement: si il n'en recommandoit que quelques unes, et quelles? je vous prie; n'eust ce pas esté ne luy en recommander point, de luy en recommander seulement quelques unes sans luy dire lesquelles, et luy donner en charge des brebis meconneües? si toutes, comme la parole le porte, donques il a esté le general pasteur de toute l'Eglise; et la chose va bien ainsy sans doute, c'est l'interpretation ordinayre des Anciens, c'est l'execution de ses promesses.

  A001000968 

 Ni ce que saint Pol est apellé l'Apostre des Gentilz, et saint Pierre, des Juifz; par ce que ce n'estoit pas pour diviser le gouvernement de l'Eglise, ni pour empecher l'un ou l'autre de convertir et les Gentilz et les Juifz indifferemment, mays pour leur assigner les quartiers ou ilz devoyent principalement travailler a la [254] predication, affin que chacun attaquant de son costé l'impieté, le monde fust plus tost rempli du son de l'Evangile..

  A001000969 

 Ni ce quil semble quil ne conneust pas que les Gentilz deussent appartenir a la bergerie de Nostre Seigneur, qui luy estoit commise; car ce quil dict au bon Cornelius, In veritate comperi quia non est personarum acceptor Deus, sed in omni gente qui timet eum et operatur justitiam acceptus est illi, n'est pas autre chose que ce quil avoit dict long tems au paravant, Omnis quicumque invocaverit nomen Domini salvus erit, et la prædiction quil avoit expliquëe, In semine tuo benedicentur omnes familiæ terræ; mays il n'estoit pas asseuré du tems auquel il failloit commencer la reduction des Gentilz, suyvant la sainte parole du Maistre, Eritis mihi testes in Hierusalem, et in omni Judæa, et Samaria, et usque ad ultimum terræ, et celle de saint Pol, Vobis quidem oportebat primum loqui Mot Dei, sed quoniam repellitis, ecce convertimur ad Gentes: [255] mesme que Nostre Seigneur avoit desja ouvert le sens des Apostres a l'intelligence de l'Escriture, quand il leur dict que oportebat prædicari in nomine ejus pænitentiam et remissionem peccatorum in omnes gentes, incipientibus a Hierosolima..

  A001000970 

 Ni ce que les Apostres ont faict des diacres sans le commandement de saint Pierre, es Actes des Apostres; car saint Pierre y estant authorisoit asses cest acte: outre ce que nous ne nions pas que les Apostres n'eussent pleyne administration en l'Eglise, sous l'authorité pastorale de saint Pierre..

  A001000979 

 Il ne fut jamais dict a pas un des autres Apostres, Tu es Pierre, et sur ceste pierre j'edifieray mon Eglise; ainsy ne fut il jamais dict a aucun des autres, Pasce oves meas: ilz furent egaux en l'apostolat, mays S t Pierre a eu luy seul ceste institution de la generale dignité pastorale.

  A001000980 

 C'est S t Pierre seul auquel ceste charge s'addresse; Dicit Jesus Simoni Petro, Simon Joannis, diligis me plus bis? c'est donq S t Pierre auquel N. S r parle; car pas un de la trouppe ne s'appelloit Simon Pierre, ou Simon Joannis, si ce n'est S t Pierre, filz de Jonas ou Johannah (que l'un n'est qu'un abbregé de l'autre).

  A001000980 

 Mesme, que N. S r met icy saint Pierre a part des autres, quand il le met en comparayson: M'aymes tu, voyla S t Pierre d'un costé, plus que les autres? voyla les Apostres de l'autre; et quoy que tous n'y fussent pas, les principaux y estoyent, S t Jaques, S t Jan, S t Thomas.

  A001000981 

 Au Psalme second, la ou, selon l'original, il y a pascere, nous avons regere, Reges eos in virga ferrea; aussi ny a il pas grande difference entre regir et paistre les brebis avec une holette de fer.

  A001000982 

 Et de faict, quand il luy dict, Repais mes brebis, ou il les luy recommandoit toutes ou quelques unes seulement; si quelques unes, n'eust ce pas esté ne luy en recommander point, puysqu'il ne luy specifioit pas lesquelles luy estoyent commises, et luy donner charge de brebis inconneues? Il les luy a donques recommandees toutes, le faisant pasteur general de toute l'Eglise; et la chose va bien ainsy, c'est l'interpretation ordinaire des Anciens, c'est l'execution des promesses.

  A001000982 

 Mays nostre S t Bernard ne me permet pas que j'oublie que N. S r fit trois repetitions ou recharges a S t Pierre; luy disant, p nt, Pasce agnos meos, 2 nt, oviculas, 3 nt, oves; non seulement affin de rendre ceste [253] institution plus solemnelle, mays encores pour monstrer qu'il luy donnoit en charge non seulement les peuples, qui sont comme agneaux et brebiettes, mays encores les pasteurs et Apostres, qui, comme brebis, nourrissent les agneaux et brebiettes, et leur sont meres..

  A001000985 

 Ni ce que S t Pol estoit l'Apostre des Gentilz, et S t Pierre, des Juifz; car ce ne fut pas une division du gouvernement de l'Eglise, mays une assignation des quartiers ou ilz devoyent principalement travailler [254] en la predication, affin que chacun attaquant de son costé l'impieté, le monde fust plus tost reduit a l'obeissance du Sauveur: et cela n'empechoit point que l'un et l'autre ne peust prescher parmi les Gentilz et les Juifz indifferemment, et que l'un ne fust chef en authorité..

  A001000986 

 Ni ce quil semble que S t Pierre ne conneust pas que les Gentilz deussent appartenir a la bergerie de N. S r; car ce qu'il dict au bon capitaine Cornelius, In veritate comperi quia non est personarum acceptor Deus, sed in omni gente qui timet eum et operatur justitiam acceptus est illi, n'est pas autre chose que ce qu'il avoit dict long tems au paravant, Omnis quicumque invocaverit nomen Domini salvus erit, et la prediction qu'il avoit expliquee, In semine tuo benedicentur omnes familæ terræ.

  A001000987 

 Ni ce que les Apostres ont faict des diacres sans le commandement de S t Pierre; car S t Pierre y estant authorisoit asses cest acte: outre ce que nous ne nions pas que les Apostres n'eussent pas pleine administration en l'Eglise, sous l'authorité pastorale de S t Pierre; et nos Evesques, en l'union du Saint Siege de Rome, ordonnent et des diacres et des prestres sans autre particulier commandement..

  A001000995 

 Il C'est chose bien digne de consideration en ce faict, que jamais les Evangelistes ne nomment les Apostres ensemble avec saint Pierre, quilz ne le mettent tousjours au haut bout, tousjours en teste de la troupe: ce qui ne peut estre faict a cas et fortune; tant par ce que c'est une observation perpetuelle es Evangiles, et que ce ne sont pas quatre ou cinq fois quilz sont nommés ensemble, mays tres souvent ou tous ou une partie, qu'aussi qu'es autres Apostres, les Evangelistes [257] n'observent point d'ordre: Duodecim Apostolorum nomina sunt hæc, dict saint Mathieu: primus Simon, qui dicitur Petrus, et Andreas frater ejus, Jacobus Zebedæi et Joannes frater ejus, Philip pus et Bartholomœus, Thomas et Mathœus publicanus, Jacobus Alphœi et Thaddœus, Simon Cananœus, et Judas Iscariotes qui tradidit eum. Saint Marc met saint Jaques second, saint Luc le met troysiesme; saint Mathieu met......

  A001000996 

 C'est chose bien digne de consideration en ce faict, que jamais les Evangelistes ne nomment ou tous les Apostres ou une partie d'iceux ensemble, quilz ne mettent tousjours saint Pierre au haut bout, tousjours en teste de la trouppe: ce qu'on ne sçauroit penser estre faict a cas fortuit, car c'est une observation perpetuelle entre les Evangelistes, et ce ne sont pas quattre ou cinq fois quilz sont nommés ainsy ensemble, mays tressouvent, et d'ailleurs, es autres Apostres, ilz n'observent point d'ordre: Duodecim Apostolorum nomina hœc sunt, dict saint Mathieu: primus Simon, qui dicitur Petrus, et Andreas frater ejus, Jacobus Zebedæi et Joannes frater ejus, Philippus et Bartholomœus, Thomas et Mathœus publicanus, Jacobus Alphœi et Thaddœus, Simon Cananœus et Judas Iscariotes.

  A001000996 

 Or sus, imaginons que nous voyons, es champs, es rues, es assemblëes, ce que nous lisons es Evangiles, et de vray [est] il encor plus certain que si nous l'avions veu; quand nous verrions par tout saint Pierre le premier, et tout le reste pesle mesle, ne jugerions nous pas que les autres sont esgaux et compaignons, et saint Pierre, le chef et cappitaine?.

  A001000998 

 Nunquid non habemus potestatem sororem mulierem circumducendi, sicut cæteri Apostoli, et fratres Domini, et Cephas? Qu'est ceci a dire, Dicite discipulis ejus, et Petro? Pierre estoit il pas Apostre? Ou il estoit moins ou plus que les autres, ou il estoit esgal: jamais homme, sil n'est du tout desesperé, ne dira quil fut moins; sil est egal, et va a pair des autres, pourquoy le met on a part? sil ny a rien en luy de particulier, pourquoy ne dict on aussi bien, Dicite discipulis ejus, et Andreæ, ou Joanni? Certes, il faut que ce soit quelque particuliere qualité qui soit en luy plus qu'es autres, et quil ne fut pas simple Apostre; de maniere qu'ayant dict, Dicite discipulis, ou, Sicut cæteri discipuli, on peut encor demeurer en doute de saint Pierre, comme plus qu'Apostre et disciple..

  A001001004 

 C'est chose bien digne de consideration a ce propos, que jamais les Evangelistes ne nomment ou tous les Apostres ou une partie d'iceux, quilz ne mettent tousjours S t Pierre au haut bout, tousjours [257] en teste de la compaignie: ce qu'on ne sçauroit penser estre faict sans mistere, car c'est une observation perpetuelle entre les Evangelistes, et ce ne sont pas quattre ou cinq fois quilz sont ainsy nommés, mays tres souvent, et d'ailleurs, es autres Apostres, ilz [258] n'observent point d'ordre.

  A001001004 

 Or sus, imaginons que nous voyons, es champs, es rues, es assemblees, ce que nous lisons es Evangiles, et de vray il est encor plus certain; quand nous verrions par tout et en toutes occasions S t Pierre marcher le premier, et tout le reste pesle mesle, ne jugerions nous pas que les autres sont esgaux et compaignons, et S t Pierre, le chef et cappitaine?.

  A001001006 

 Nunquid non habemus potestatem sororem mulierem circumducendi, sicut cœteri Apostoli, et fratres Domini, et Cephas? Qu'est ceci a dire, je vous prie, Dites aux disciples, et a Pierre, Pierre et les Apostres respondirent? comment? Pierre n'estoit il pas Apostre? Ou il estoit moins, ou esgal, ou plus que les autres; jamais homme ne dira, sil n'est du tout desesperé, quil fut moins; sil est egal, et va a pair des autres, pourquoy le met on a part? sil ny a rien en luy de particulier, pourquoy ne dict on aussi bien, Dicite discipulis ejus, et Jacobo, ou Joanni?.

  A001001007 

 Seulement une fois S t Pierre est nommé apres S t Jaques: Jacobus, Cepbas et Joannes dextras dederunt societatis. Mays a la verité, il y a trop de quoy douter que l'original ne fust pas de la façon, pour tirer aucune conclusion valable de ce seul passage: car S t Augustin, S t Ambroise, S t Hierosme, tant en leurs Commentaires qu'au texte, [260] n'ont pas escrit Jaques, Pierre et Jan, mays Pierre, Jaques, Jan, autant en a faict S t Chrysostome, au Commentaire; qui monstre la diversité des exemplaires, et rend la conclusion de part et d'autre douteuse.

  A001001008 

 Dignité laquelle on ne peut rejetter sur la viellesse de S t Pierre, car ce seroit une pure fantasie, et une trop grosse excuse a l'opiniastreté, qui n'a point de fondement en l'Escriture, et est contraire a la tradition des Anciens; et qu'il ne fut pas le plus ancien Apostre, l'Escriture le monstre ouvertement qui tesmoigne que S t André l'amena a N. S r; et quand aux autres qualités et conditions de S t Pierre, on n'en trouvera point de particulieres qui le puissent avancer plus que les autres, sinon celles qui le rendent chef de l'Eglise.

  A001001026 

 C'est luy qui le premier proposa de faire un Apostre; qui n'estoit pas un trait de petite authorité, car les Apostres n'ont pas tous eu des successeurs, et par la mort n'ont pas perdu leur dignité, mays saint Pierre, enseignant l'Eglise, monstre, et que Judas avoit perdu son apostolat, [265] et quil en failloit un autre en sa place, contre l'ordinaire de cest'authorité, qui continue es autres apres la mort, et delaquelle ilz feront encor exercice au jour du jugement, lhors quilz seront assis autour du Juge, jugeans les douze tribus d'Israel..

  A001001027 

 Les Apostres et Disciples n'ont pas plus tost receu le Saint Esprit, que saint Pierre, comme chef de l'embassade Evangelique, estant avec ses onse compagnons, commence a proposer, selon sa charge, la sainte nouvelle de salut aux Juifz en Hierusalem: c'est le premier catechiste de l'Eglise, et qui preche la pœnitence; les autres sont avec luy, et on les interroge tous, mays saint Pierre seul respond pour tous, comme chef de tous..

  A001001034 

 Saint Paul confesse quil est venu expres en Hierusalem [267] voir saint Pierre, et demeura quinze jours pres de luy; il y vit saint Jaques, mays il n'estoit pas venu pour le voir, ains seulement saint Pierre.

  A001001036 

 Si cecy n'est pas estre le premier et chef des Apostres, je confesse que les Apostres ne sont pas Apostres, les pasteurs, pasteurs, ni les docteurs, docteurs; car, en quelles autres plus expresses paroles et marques pourroit on faire connoistre un pasteur, un docteur, un Apostre, que celles que le Saint Esprit a mis es Escritures pour faire reconnoistre saint Pierre pour chef de l'Eglise? [268].

  A001001054 

 Il a le premier soin de la restauration et creüe de la compaignie Apostolique, comme chef et general: c'est luy qui le premier propose de faire un nouvel Apostre; qui ne fut pas un trait de petite authorité, car les Apostres n'ont pas tous eu des successeurs, et par la mort n'ont pas perdu leur dignité, mays S t Pierre, enseignant l'Eglise, monstra, et que Judas avoit perdu son apostolat [265] et qu'il en failloit un autre en sa place, contre l'ordinaire de ceste authorité, qui continue es autres apres la mort, et de laquelle ilz feront exercice au jour du jugement, lhors qu'ilz seront assis autour du Juge, jugeans les douze tribus d'Israel..

  A001001055 

 Les Apostres et Disciples n'ont pas plus tost receu le S t Esprit, que S t Pierre, comme chef de l'embassade Evangelique, estant avec ses onze compagnons, commence a proposer, selon sa charge, la sainte nouvelle de salvation aux Juifz en Hierusalem: c'est le premier catechiste de l'Eglise, et qui preche la penitence; les autres sont avec luy, et on les interroge tous, mays S t Pierre seul respond pour tous, comme chef de la troupe..

  A001001064 

 Si tout cecy mis ensemble ne nous faict reconnoistre S t Pierre pour chef de l'Eglise et des Apostres, je confesse que les Apostres ne sont pas Apostres, ni les pasteurs, pasteurs; car, en quelles autres plus expresses paroles et marques pourroit on faire connoistre l'authorité d'un Apostre et pasteur sur le peuple, que celles que le S t Esprit a mis es Escritures pour faire paroistre S t Pierre au dessus des Apostres, des pasteurs et de toute l'Eglise? [268].

  A001001116 

 J'ay fermement prouvé cy dessus que l'Eglise Catholique estoit une monarchie, en laquelle un chef ministerial gouvernoit tout le reste: ce n'a donq pas esté saint Pierre seulement qui en a esté le chef, mais faut que comme l'Eglise n'a pas manqué par la mort de saint Pierre, ainsy l'authorité d'un chef n'y ait pas manqué; autrement elle ne seroit pas une, ni au train auquel son fondateur l'avoit mise..

  A001001117 

 Et de vray, toutes les raysons pour lesquelles Nostre Seigneur mit un chef en ce cors, ne demandent pas tant quil y fust en ce commencement, ou les Apostres qui gouvernoyent l'Eglise estoyent saints, humbles, charitables, amateurs d'unité et concorde, qu'au progres et suite d'icelle, quand la charité rafredie chacun s'ayme soymesme, personne ne veut se tenir au dire d'autruy ni subir la discipline.

  A001001124 

 Ce n'a pas esté S t Pierre seulement qui a esté chef de l'Eglise, mais comme l'Eglise n'a pas defailli par la mort de S t Pierre, ainsy l'authorité d'un chef n'y a pas manqué; autrement l'Eglise ne seroit plus une, ni au train auquel Nostre Seigneur l'avoit mise..

  A001001129 

 Je ne fais pas ici profession de traitter les difficultés a fons de cuve, il me suffit d'avancer quelques principales raysons, et mettre au net nostre creance; que si je voulois m'amuser aux objections qu'on faict sur ce point, j'aurois plus d'ennuy que de peyne, et la pluspart sont si legeres qu'elles ne meritent pas qu'on y perde le tems.

  A001001131 

 Mays comme seroit il perpetuel si saint Pierre n'avoit point de successeur? car on ne peut pas douter que saint Pierre ne soit plus pasteur de l'Eglise, puysquil n'est plus en l'Eglise militante, ni mesme homme visible, qui est une condition requise pour administrer en l'Eglise visible.

  A001001131 

 Or nous avons monstré que saint Pierre a esté supreme chef ministeriel de l'Eglise, et que cest office ou dignité ne luy a pas esté baillé pour luy seulement, mays pour le bien et prouffit de toute l'Eglise, si que ce doit estre un office perpetuel en l'Eglise militante.

  A001001133 

 Il eut bien, a la verité, un siege en Antioche, mays celuy qui l'eut apres luy n'eut pas le vicariat general, par ce que saint Pierre vesquit long tems apres, et n'avoit pas deposé ceste charge; mays ayant choisi Rome pour son siege, il en mourut Evesque, et celuy qui luy succeda, luy succeda simplement, et s'assit en son siege qui estoit siege general de tout le monde et de l'evesché de Rome en particulier, si que l'Evesque de Rome demeura general lieutenant en l'Eglise et successeur de saint Pierre: ce que je vais prouver maintenant si solidement qu'autre que les opiniastres n'en pourra douter.

  A001001140 

 Ce n'est ici qu'un Memorial, et n'est pas rayson que je m'amuse a toutes sortes d'objections; on en faict sur ce point qui sont si legeres et vaines qu'elles ne meritent pas qu'on s'y amuse.

  A001001141 

 On ne succede qu'a celuy qui quitte et cede sa place, soit par deposition ou par la mort; qui faict que N. S. est tousjours Chef et sauverain Pontife de l'Eglise, auquel personne ne succede, par ce quil est tousjours vivant, et n'a cedé ou quitté son sacerdoce ou pontificat, quoy quil l'exerce en partie par ses ministres et serviteurs icy bas en l'Eglise militante, outre ce quil a une authorité si excellente qu'elle n'est pas en tout communicable: [276] mays ces ministres et vicaires cedent necessairement leurs offices et dignités, ou par deposition ou par la mort..

  A001001144 

 Il eut un siege en Antioche, mays celuy qui l'eut apres luy n'eut pas le vicariat general, par ce que S t Pierre vesquit longuement apres, qui n'avoit quitté ceste charge generale; mays ayant choisi Rome pour son siege, il en mourut Evesque, et celuy qui luy succeda, luy succeda simplement et purement, et s'assit en son siege, qui estoit siege de l'evesché de Rome et de tout le monde, si que l'Evesque de Rome demeura general lieutenant en l'Eglise pour Nostre Seigneur, et successeur de S t Pierre: ce que je vais prouver si fermement, qu'autre qu'un opiniastre n'en pourra douter.

  A001001144 

 Quelqu'un dira quil succeda au chef de l'Eglise quand a l'evesché de Rome, mays non pas quand a la primauté et charge generale; mays celuy la devroit monstrer que S t Pierre eut deux sieges, l'un pour Rome, l'autre pour l'univers, ce qui n'est point.

  A001001151 

 Ce tesmoignage faict voir, et que saint Pierre a preché a Rome, et quil y a esté Evesque; car sil n'y eust esté Evesque, comme eust il baillé la chaire a saint Clement quil n'y eust pas eüe? [281].

  A001001162 

 a esté cité par Gratien il y a 400 [ans], et par Isidore il y en a 900, et le grand Pere Vincent Lirinois en faict mention il y a environ mill'ans: ce que je dis par ce que tous les canons du Concile de Nicëe ne sont pas en estre, n'en estant demeuré que vingt; mays tant de graves autheurs en citent tant d'autres outre les vingt que nous avons, que nous avons a croire ce que disent ces bons Peres Alexandrins cy dessus, que les Arriens en ont faict perdre la pluspart..

  A001001163 

 Ou quilz nous dient quel autre Evesque est chef de l'Eglise et successeur de saint Pierre: au Concile de Nicëe, en celuy de Constantinople et de Calcedoyne, on ne voit pas qu'aucun Evesque s'usurpe la primauté; ell'est deferëe selon l'ancienne coustume au Pape, autre quelconque ny est nommé en pareil grade.

  A001001163 

 Pour Dieu, jettons l'œil sur ceste tresancienne et trespure Eglise des six premieres centeynes, et la regardons de toutes pars; que si nous la voyons croire fermement que le Pape fut successeur de saint Pierre, quelle temerité sera ce de le nier? Voicy, ce me semble, une rayson qui ne demande plus aucun credit, mays consiste en beau content: saint Pierre a eu des successeurs en son vicariat; et qui a jamais esté en reputation en l'Eglise ancienne, d'estre successeur de saint Pierre et chef de l'Eglise, que l'Evesque de Rome? Certes, tout tant quil y a d'autheurs anciens [285] donnent tous ce tiltre au Pape, et jamais aux autres, et comme donques dirons nous quil ne le soit pas? certes, c'est nier la verité conneüe.

  A001001170 

 Ce tesmoignage faict voir que S t Pierre a preché a Rome, et quil y a esté Evesque, car autrement, comment eust il baillé le siege a S t Clement quil n'y eust pas eu? [281].

  A001001180 

 Le Sinode d'Alexandrie, avec son Athanase, en la lettre a Fælix 2d, dict merveilles a ce propos, et entre autres raconte qu'au Concile de Nicee il n'estoit pas loisible de celebrer aucun Concile sans l'authorité du Siege de Rome, mays que les canons qui avoyent esté faictz a ce propos avoyent esté bruslés par les Arriens.

  A001001180 

 a esté cité par Gratien il y a 400 ans, et par Isidore il y en a 900, de quoy le grand Pere Vincent Lirinois faict mention il y a environ mille ans: ce que je dis par ce que tous les canons du Concile de Nicee ne sont pas en estre, n'en estant demeuré que 20, mays tant de graves autheurs en citent plusieurs autres outre les 20 que nous avons, que nous devons croire ce que disent ces bons Peres Alexandrins cy dessus, que les Arriens en ont faict perdre la pluspart.

  A001001187 

 Il ny a point de question ou les ministres s'exercent si fort pour combattre l'antiquité qu'en cellecy, car ilz taschent, a force de conjectures, præsomptions, dilemmes, explications et par tous moyens, de monstrer que saint Pierre ne fut onques a Rome; sauf Calvin, qui voyant que c'estoit dementir toute l'antiquité, et que cela n'estoit pas requis pour son opinion, se contente de dire qu'au moins saint Pierre ne fut pas long tems Evesque a Rome: Propter scriptorum consensum, non pugno quin illic mortuus fuerit, sed Episcopum fuisse, præsertim longo tempore, persuaderi nequeo.

  A001001187 

 Mays a la verité, quoy quil n'eust esté que fort peu de tems Evesque de Rome, sil y est mort Evesque, il y a laissé son siege et sa succession: [287] de façon que quand a Calvin, nous n'aurions pas grand cas a debattre, pourveu quil fut resolu de confesser fermement que saint Pierre est mort a Rome, et quil y estoit Evesque quand il mourut; et quand aux autres, nous avons asses prouvé cy dessus que saint Pierre est mort Evesque a Rome..

  A001001189 

 Nostre Seigneur donques monta au ciel l'annëe 18 de Tibere, et commanda a ses Apostres quilz arrestassent en Hierusalem douze ans, selon l'ancienne tradition de Thraseas martir, nom pas certes tous mais quelques uns, pour verifier la parole ditte par Isaïe et comme semble vouloir inferer saint Pol, et saint Barnabas, car saint Pierre fut en Lydde et Joppé avant que les [288] douze ans fussent escoulés, si que il suffisoit que quelques Apostres demeurassent en Hierusalem pour tesmoignage aux Juifz.

  A001001190 

 Mays avant que mourir, empoignant par la main son disciple saint Clement, il le constitua son successeur; charge a laquelle saint Clement ne voulut pas entendre ni en faire exercice qu'apres la mort de Linus et Cletus, qui avoyent estés coadjuteurs de saint Pierre en l'administration de l'evesché Romaine; si que, qui voudra sçavoir pourquoy quelques autheurs anciens mettent le premier au rang, apres saint Pierre, saint Clement, et quelques autres, saint Linus, je luy feray respondre par saint Epiphane, autheur digne de foy, et voicy ses paroles: Nemo miretur quod ante Clementem Linus et Cletus episcopatum.

  A001001190 

 Mays quand a moy, je me range volontiers, et avec rayson ce me semble, au parti de ceux qui asseurent: par ce que douter de ce qu'un homme de bien et d'entendement asseure resolument, c'est dementir le diseur; au contrayre, asseurer ce dont un autre doute, n'est que confesser que le douteux ne sçait pas tout, ce [292] quil a confessé premieement luy mesme doutant, car douter n'est autre que ne sçavoir pas fermement la verité d'une chose..

  A001001190 

 Parce donques que saint Clement avoit esté choisy par saint Pierre, comme luy [291] mesmé tesmoigne, et que neanmoins il ne voulut pas accepter la charge avant la mort de Linus et Cletus, les uns, en consideration de l'election faite par saint Pierre, le mettent le premier en rang, les autres, eu esgard au refus quil en fit et a l'exercice quil en laissa a Linus et Cletus, le mettent le 4 e.

  A001001191 

 Maintenant, ja que par ce petit discours de la vie de saint Pierre, qui est tres probable, vous aves veu que saint Pierre n'a pas tousjours esté pied coy a Rome, mays y ayant son siege n'a pas layssé de visiter plusieurs provinces, revenir en Hierusalem et faire l'office Apostolique, toutes ces frivoles raysons qu'on deduict de l'authorité negative des Epistres de saint Pol n'auront plus acces en vos jugemens; car, si on dict que saint Pol ait escrit a Rome et dés Rome, et quil n'ait point faict de mention de saint Pierre, on ne le trouvera pas estrange, par ce qu'a l'adventure saint Pierre ny estoit pas alhors.

  A001001191 

 Mays la [293] consequence seroit elle bonne: saint Pierre en ceste Epistre la ne donne point de signe que saint Pol fut avec luy, donques il n'a jamais esté a Rome? Ceste Epistre ne dict pas tout, et si elle ne dict pas quil y fut, aussi ne dict elle pas quil n'y fut pas; il est probable quil n'y estoit pas lhors, ou que sil y estoit, quil ne fut pas expedient de l'y nommer pour quelque rayson: autant en dis je de celles de saint Pol..

  A001001199 

 Mays quoy qu'il n'eust esté que fort peu de tems Evesque de Rome, sil y est mort Evesque, il y a laissé son siege et sa succession: [287] de façon que quand a Calvin, nous n'aurions pas grand cas a debattre, pourveu quil fut resolu de confesser fermement que S t Pierre est mort a Rome, et que quand il mourut il en estoit Evesque; mays quand a ceux qui le nient, nous avons asses prouvé que S t Pierre est mort Evesque a Rome..

  A001001199 

 Vray est que Calvin, voyant qu'il importoit peu pour son opinion, et que c'estoit dementir toute l'antiquité a descouvert, se contente de dire qu'au moins S t Pierre ne fut pas longuement Evesque a Rome: Propter, ce dict il, scriptorum consensum non pugno quin illic mortuus fuerit, sed Episcopum fuisse, præsertim longo tempore, persuaderi nequeo.

  A001001201 

 Donques N. S r monta aux cieux l'an 18 de Tibere, et commanda a ses Apostres quilz arrestassent en Hierusalem 12 ans, selon l'ancienne tradition de Thraseas martir, nom pas certes tous mais quelques uns, pour verifier la parole ditte par Isaïe comme semble vouloir inferer S t Pol, et S t Barnabas, dont S t Pierre fut en Lydde et Joppé [288] avant que les 12 ans fussent escoulés, si que il suffisoit que quelques Apostres demeurassent en Hierusalem pour tesmoignage aux Juifz.

  A001001202 

 Mays quand a moy, je me range volontiers, et avec rayson ce me semble, au parti de ceux qui asseurent et affirment: par ce que douter de ce qu'un homme de bien et d'entendement asseure resolument, c'est dementir le diseur; au contraire, asseurer ce dont un autre doute, n'est que confesser que le douteux ne [292] sçait pas tout, ce quil a confessé luy mesme doutant, car douter n'est autre chose que ne sçavoir rsolument la verité..

  A001001202 

 Or, avant que mourir, il empoigna par la main son disciple S t Clement, et le constitua son successeur; a quoy S t Clement ne voulut pas entendre ni en faire exercice qu'apres la mort de Linus et Cletus, qui avoyent estés coadjuteurs de S t Pierre en l'administration de l'Eglise Romaine; partant, qui veut sçavoir pourquoy quelques autheurs anciens mettent en rang S t Clement apres S t Pierre, et quelques autres, S t Linus, je luy feray respondre par S t Epiphane: Nemo miretur quod ante Clementem Linus et Cletus episcopatum assumpserunt, cum sub Apostolis hic fuerit contemporaneus Petro et Paulo, nam et illi contemporanei Apostolorum fuerunt; sive igitur adhuc ipsis superstitibus a Petro accepit impositionem manuum episcopatus, et eo recusato remoratus est, sive post Apostolorum successionem a Cleto Episcopo hic constituitur, non ita clare scimus. Parce donques que S t Clement avoit esté choisi par [291] S t Pierre, et que neanmoins il ne voulut pas accepter la charge avant la mort de Linus et Cletus, les uns, en consideration de l'election faite par S t Pierre, le mettent le premier en rang, les autres, eu esgard au refus quil en fit et a l'exercice quil en laissa a Linus et Cletus, le mettent le 4 e.

  A001001203 

 Maintenant que par ce petit discours vous aves veu que S t Pierre n'a pas tousjours esté pied coy a eRome, mays y ayant son siege n'a pas laissé de visiter plusieurs provinces, revenir en Hierusalem et faire l'office Apostolique, toutes ces frivoles raysons qu'on deduict de l'authorité negative des Epistres de S t Pol n'auront plus acces en vos jugemens; car, si on vous dict que S t Pol ait escrit a Rome et dés Rome sans faire mention de S t Pierre, on ne le trouvera pas estrange, par ce qu'a l'adventure S t Pierre ny estoit pas alhors.

  A001001203 

 Mays la [293] consequence seroit elle bonne: S t Pierre en ceste Epistre la ne donne point de signe que S t Pol fut avec luy, donques il n'a jamais esté a Rome? Ceste Epistre ne dict pas tout; il est probable quil n'estoit pas alhors a Rome, ou que sil y estoit, il ne fut pas expedient de l'y nommer pour quelque rayson: autant en dis je des Epistres de S t Pol.

  A001001270 

 On objecte que saint Gregoire ne vouloit estre appellé Evesque universel: mays Evesque universel se peut entendre, ou d'un qui soit tellement Evesque de l'univers que les autres Evesques ne soyent que vicaires et substitués, ce qui n'est point, car les Evesques sont vrayement princes spirituelz, chefz et Evesques, non lieutenantz du Pape mais de Nostre Seigneur, dont il les apelle freres; ou on peut entendre d'un qui est surintendant sur tous, et auquel les autres, qui sont surintendans en particulier, sont inferieurs voirement mays non pas vicaires ni substitués, et c'est ainsy que les Anciens l'ont appellé Evesque universel..

  A001001271 

 On produict le Concile de Carthage, qui defend que pas un ne s'appelle Princeps sacerdotum; mays c'est faute d'avoir autre entretien qu'on allegue cecy, car qui ne sçait que c'estoit un Concile provincial qui touche les Evesques de ceste province la, de laquelle l'Evesque de Rome n'estoit pas, la mer Mediterranëe est entredeux.

  A001001323 

 On produict le Concile de Carthage, qui defend que pas un ne s'appelle « Prince des prestres; » mays c'est faute d'autre entretien qu'on allegue cecy, car le Concile de Carthage estoit provincial, qui ne touche que les Evesques de ceste province la, de laquelle Rome n'est pas, la mer Mediterranee est entredeux.

  A001001335 

 Ce n'est pour vray pas sans mistere, que souvent en l'Evangile ou il est question que le general des Apostres parle, saint Pierre seul parle pour tous.

  A001001335 

 Et de vray, si le confirmateur fut tumbé, tout le reste fut il pas tumbé? si le confirmateur tumbe ou chancele, qui le confirmera? si le confirmateur n'est [303] pas ferme et stable quand les autres s'affoybliront, qui les affermira? car il est escrit: Si l'aveugle conduict l'aveugle, tumberont tous deux en la fosse; si l'instable et le foible veut soustenir et rasseurer le foible, ilz donneront tous deux en terre.

  A001001335 

 Ne voyes vous pas qu'en l'election de saint Matthias c'est luy seul qui parle et determine? Les Juifz demanderent a tous les Apostres: Quid faciemus viri fratres? saint Pierre seul respond pour tous: Pænitentiam agite, etc. Et c'est a ceste rayson que saint Chyrsostome et Origene l'ont appellé Os et verticem Apostolorum, comme nous avons veu cy dessus, par ce quil souloit parler pour tous les Apostres; et le mesme saint Chrysostome l'appelle Os Christi, par ce que ce quil dict pour toute l'Eglise et a toute l'Eglise, comme chef et pasteur, ce n'est pas tant parole humaine que de Nostre Seigneur: Amen, dico vobis, qui accipit si quem misero, me accipit; dont ce quil disoit et determinoit ne pouvoit estre faux.

  A001001336 

 Ainsy quand saint Pierre fut mis au fondement de l'Eglise, et que l'Eglise fut asseurëe que les portes d'enfer ne prævaudroyent point contre elle, ne fut ce pas asses dire que saint Pierre, comme pierre fondamentale du gouvernement et administration ecclesiastique, ne pouvoit se froisser et rompre par l'infidelité ou erreur, qui est la principale porte d'enfer? car, qui ne sçait que si le fondement renverse, si l'on y peut porter la sappe, que tout l'edifice renversera?.. Et quoy? si le pasteur mettoit ses brebis es pasturages venimeux, le parc se perdroit il pas incontinent? Les brebis vont suyvant le pasteur; s'il erre, tout se perd.

  A001001336 

 Et n'est pas raysonnable que les brebis..... De mesme, si le pasteur supreme ministerial peut conduire ses brebis es pasturages veneneux, on voit clairement que le parc est pour estre bien tost perdu; car, si le supreme pasteur ministerial conduit a mal, qui le redressera? sil s'egare, qui le ramenera? a la verité, il faut que nous ayons a le suivre simplement, non a le guider, autrement les brebis seroyent pasteurs.

  A001001337 

 l'Eglise ne peut pas tousjours estre ramassëe en un Concile general, et les trois premieres centeynes d'annëes il ne s'en fit point; es difficultés donques qui surviennent journellement, a qui se pourroit on mieux adresser, de qui pourroit on prendre loy plus asseurëe, regle plus certaine que du chef general et du Vicaire de Nostre Seigneur?.

  A001001338 

 Or tout cecy n'a pas eu lieu seulement en saint Pierre, mais en ses successeurs, car la cause demeurant l'effect demeure encores; l'Eglise a tousjours besoin d'un confirmateur infallible auquel on puysse s'addreser, d'un fondement que les portes d'enfer, et principalement l'erreur, ne puysse renverser, et que son pasteur ne puysse conduire a l'erreur ses enfans: les successeurs donques de saint Pierre ont tous ces mesmes privileges, qui ne suivent pas la personne, mays la dignité et la charge publique..

  A001001339 

 Que si quelqu'un veut respondre que Moise n'estoit pas præstre ni pasteur ecclesiastique, je le renvoyeray a ce que j'en ay dict ci dessus, car ce seroit estre enuyeux de faire ces repetitions.

  A001001340 

 Au Deuteronome: Facies quodcumque dixerint qui præsunt loco quem elegerit Dominus, et docuerint te juxta legem ejus; sequerisque sententiam eorum, nec declinabis ad dextram nec ad sinistram: qui autem superbierit, nolens obedire sacerdotis imperio, judicis sententia moriatur. Que dira on icy? Il falloit subir le jugement du sauverain Pontife; qu'on estoit obligé de suivre le jugement qui estoit jouxte la loy, non l'autre? ouy, mays en cela il failloit suivre la sentence du præstre, autrement si on ne l'eust pas suivie, ains examinee, c'eust esté pour neant qu'on fut allé a luy, et la difficulté et ambiguité n'eust jamais esté resolue parmi les opiniastres; dont il est dict simplement, q ui autem superbierit, nolens obedire sacerdotis imperio, judicis sententia moriatur; et en Malachie: Labia sacerdotis custodiunt scientiam, et legem requirent ex ore ejus; dont il s'ensuit que chacun ne pouvoit pas se resouvre es poins de la religion, ni produire la loy a sa fantasie, mais selon la proposition du Pontife.

  A001001340 

 Que si Dieu a eu une si grande prouvoyance a la religion et tranquillité de conscience des Juifz, que de leur establir un juge sauverain a la sentence duquel ilz devoyent acquiescer, il ne faut pas douter quil ne nous aÿe prouveu, au Christianisme, d'un pasteur qui ayt ceste mesm'authorité, pour nous lever les doutes et scrupules qui pourroyent survenir sur les declarations des Escritures..

  A001001341 

 Je vous prie, si en l'ombre il y avoit des illuminations de doctrine et des perfections de verité en la poitrine du Prestre, pour en repaistre et raffermir le peuple, qu'est ce que nostre grand Prestre n'aura pas? de nous, dis je, qui sommes au jour et au soleil levé? Le grand Prestre ancien n'estoit que vicaire et lieutenant de Nostre Seigneur, nomplus que le nostre, mays il semble quil præsidoit a la nuict, par ses illuminations, et le nostre præside au jour, par ses instructions; ministeriellement tous deux, et par la lumiere du Soleil de justice, lequel, bien quil soit levé, est neanmoins voilé a nos yeux par nostre propre mortalité, car le voir face a face ordinairement [307] n'appartient qu'a ceux qui sont delivrés du cors qui se corrompt..

  A001001341 

 Que si le grand Præstre portoit le Rational du jugement en la poitrine, ou estoyt le Urim et Thummim, doctrine et verité comme interpretent les uns, ou les illuminations et perfections comme disent les autres, qui n'est presque qu'une mesme chose, puysque la perfection consiste en verité et la doctrine n'est qu'illumination, penserons nous que le grand Præstre de la Loy nouvelle n'en ayt pas encores les effectz? a la verité, tout ce qui fut concedé de bon a l'ancienne Eglise et a la chambriere Agar, aura esté donné en beaucoup meilleure façon a Sara et a [306] l'Espouse: nostre grand Præstre donques a encores le Urim et Thummim en sa poitrine. Or, soit que ceste doctrine et verité ne fust autre que ces deux motz escritz au Rational, comme semble croire saint Augustin, et Hugues de saint Victor l'asseure, ou que ce fust le nom de Dieu, comme veut Rabbi Salomon, au récit de Vatable et Augustin Evesque d'Eugubbium, ou que ce fussent les seules pierres du Rational par lesquelles Dieu tout puyssant reveloit ses volontés au Prestre, comme veut ce docte homme François Ribera, la rayson pour laquelle le grand Præstre avoyt au Rational sur sa poitrine la doctrine et la verité, estoit sans doute par ce que judicabat judicii veritatem; mesme que par le Urim et Thummim les prestres estoyent instruitz du bon plaisir de Dieu, et leurs entendemens esclairés et perfectionnés par la revelation divine, comme le bon de Lyra l'a entendu, et Ribera l'a asses suffisamment prouvé, a mon advis: dont quand David voulut sçavoir sil devoit poursuivre les Amalecites, il dict au Præstre Abiathar, Applica ad me ephod, ou, le superhumeraire; ce quil fit sans doute pour reconnoistre la volonté de Dieu au Rational qui y estoit joint, comme va deduysant doctement ce docteur Ribera.

  A001001342 

 C'est a ce propos que saint Hierosme dict au Pape Damase: Qui tecum non colligit, spargit; hoc est, qui Christi non est, Antichristi est; et saint Bernard dict quil faut rapporter les scandales qui se font, « principalement en la foy, » au Siege de Rome: Dignum namque arbitror ibi potissimum resarciri damna fidei, ubi non possit fides sentire defectum: cui enim alteri sedi dictum est aliquando, Ego pro te rogavi, ut non deficiat fides tua? Saint Cyprien: Navigare audent ad Cathedram Petri, atque ad Ecclesiam principalem; nec cogitare eos esse Romanos, ad quos perfidia habere non possit accessum. Ne voyes vous pas quil parle des Romains a cause de la Chaire de saint Pierre, et dict que l'erreur n'y peut rien?.

  A001001344 

 Les Eusebiens y portent les accusations contre saint Athanase; saint Athanase qui estoit en Alexandrie, siege principal et patriarchal, vint respondre a Rome, y estant appellé et cité; les adversaires n'y voulurent pas comparoistre, sachans, dict Theodoret, mendacia sua manifesto fore detecta: les Eusebiens confessent l'authorité du Siege de Rome quand ilz y appellent saint Athanase, et saint Athanase quand il s'y præsente; mays sur tout les Eusebiens, hæretiques arriens, confessent asses combien son jugement est infallible, quand ilz n'y osent comparoistre de peur d'y estre condamnés.

  A001001345 

 La 1 re, le Pape ne pourroit estre venu a ce grade et a ceste monarchie sans le vouloir de Dieu; mays le vouloir de Dieu est tousjours venerable, donques il ne faut pas contredire a la primauté du Pape.

  A001001345 

 La 3 e, par ce quil ne faut pas resister a Dieu qui nous veut presser et charger de plusieurs princes, selon le dire de Salomon en ses Proverbes.

  A001001345 

 Que vous semble de Luther? est il pas Catholique? et neanmoins c'estoit au commencement de sa reformation..

  A001001352 

 En l'ancienne Loy le grand Prestre ne portoit pas le Rational sinon quand il estoit revestu des habitz pontificaux, et quil entroit devant le Seigneur: ainsy ne disons nous pas que le Pape en ses opinions particulieres ne puysse errer, comme fit Jean 22, ou estre du tout heretique, comme peut estre fut Honorius.

  A001001352 

 Et de vray, tout ce que dict un roy n'est pas loy ni edict, mays seulement ce que le roy dict comme roy, et determinant juridiquement; ainsy tout ce que dict le Pape n'est pas Droit canon ni loy, il faut quil veuille determiner et donner loy aux brebis, et quil y garde l'ordre et forme requise.

  A001001353 

 Et ne faut pas nomplus penser qu'en tout et par tout son jugement soit infallible, mays lhors seulement quil porte sentence en matiere de foy ou des actions necessaires a toute l'Eglise; car es cas particuliers, qui dependent du faict humain, il y peut errer sans doute, quoy que nous autres ne devions le contreroller en cest endroit qu'avec toute reverence, submission et discretion.

  A001001353 

 Le Saint Esprit est conducteur de l'Eglise, il la conduict par son pasteur; qui donques ne suit le pasteur, ne suit pas le Saint Esprit..

  A001001353 

 Les theologiens ont dict tout en un mot, quil peut errer in quæstionibus facti, non juris, quil peut errer extra Cathedram, hors la chaire de saint Pierre, c'est a dire, comme homme particulier, par escritz et mauvais exemples, mays non pas quand il est in Cathedra, c'est a dire, quand il veut faire une instruction et decret pour enseigner toute l'Eglise, quand il veut confirmer les freres comme supreme pasteur, et les veut conduyre es pasturages de la foy: car alhors ce n'est pas tant l'homme qui determine, resoult et definit, que c'est le benit Saint Esprit par l'homme, lequel, selon la promesse faicte par Nostre Seigneur a ses Apostres, enseigne toute verité a l'Eglise, ou, comme dict le Grec et semble que l'Eglise l'entende en une collecte de Pentecoste, conduict et meyne son Eglise en toute verité: Cum autem venerit ille Spiritus veritatis, docebit vos omnem veritatem, ou, deducet vos in omnem veritatem.

  A001001354 

 Ainsy est conduit le troupeau Chrestien par le Saint Esprit, mays sous la charge et conduite de son pasteur; lequel, neanmoins, ne court pas a la volëe, mays selon la necessité convoque les autres pasteurs, ou en partie ou generalement, regarde soigneusement la piste des devanciers, considere le Urim et Thummim de la Parole de Dieu, entre devant son Dieu par ses prieres et invocations, et s'estant ainsy diligemment enquesté du vray chemin, se met en campaigne hardiment et faict voile de bon cœur: heureux qui le suit et se range a la discipline de sa houlette, heureux qui s'embarque en son navire; car il repaistra de verité, il surgira au port de la sainte doctrine..

  A001001354 

 Mays le grand Cardinal Toletus remarque tresbien a propos sur ce lieu, quil n'est pas dict, portabit Ecclesiam in omnem veritatem, mays, deducet, pour monstrer que quoy que le Saint Esprit esclaire a l'Eglise, si veut il qu'elle use de la diligence requise a tenir le bon chemin; comme firent les Apostres, qui ayans a respondre sur une question d'importance, debattirent de part et d'autre, conferant les Escritures ensemble, ce qu'ayans faict diligemment, ilz conclurent par le Visum est Spiritui Sancto et nobis, c'est a dire, le Saint Esprit nous a esclairé, et nous avons marché, il nous a guidé, nous l'avons suivi jusques a ceste verité; il faut employer les moyens ordinaires pour la recherche de la verité, et neanmoins reconnoistre la treuve et l'abord en icelle de l'assistence du Saint Esprit.

  A001001355 

 Ainsy ne faict il jamais commandement general a toute l'Eglise es choses necessaires, qu'avec l'assistence du Saint Esprit, lequel ne manquant mesme pas aux especes des animaux es choses necessaires, par ce quil [314] les a establies, ne manquera pas aussi au Christianisme en ce qui luy est necessaire pour sa vie spirituelle.

  A001001355 

 Et comment seroit l'Eglise une et sainte, telle que les Escritures et simboles la descrivent? car, si elle suivoit un pasteur et que le pasteur errast, comme seroit elle sainte? si elle ne le suivoit pas, comme seroit elle une? et quelle desbauche verroit on parmi le Christianisme, pendant que les uns trouveroient et jugeroient une loy mauvayse, les autres, bonne, et que les brebis, au lieu de paistre et s'engraisser es pasturages de l'Escriture et sainte Parole, s'amuseroyent a conteroller les jugemens du superieur? Reste donq que selon la divine providence nous tenions pour fermé ce que saint Pierre fermera avec ses clefz, et pour ouvert ce quil ouvrira, estant assis en la chaire instruisant toute l'Eglise..

  A001001356 

 Et quand, escrivant contre le Roy d'Angleterre, Vivens, dict il, papatus hostis ero, exustus tuus hostis ero. Que dites vous de ce grand pere? sont ce pas des paroles dignes d'un tel reformateur? j'ay honte de lire, et ma main se fache de præsenter ces vilaynies; mays qui les vous cachera vous ne croires jamais quil soit tel quil est.

  A001001357 

 De Beze, qui dict que des long tems il ny a eu aucun Pape qui se soit soucié de la religion ni qui ayt esté theologien, veut il pas tromper quelqu'un? car il sçait bien qu'Adrien, Marcel et ces cinq derniers ont estés tres grans theologiens: a quoy faire, mentir? Mays disons quil y ait du vice et de l'ignorance: Cathedra tibi, vous dict saint Augustin, quid fecit Ecclesiæ Romanæ, in qua Petrus sedit et in qua hodie Anastasius sedet? quare appellas cathedram pestilentiæ Cathedram Apostolicam? Si propter homines, quos putas legem loqui et non facere, numquid Dominus Noster Jesus Christus propter Pharisæos, de quibus ait, Dicunt et non faciunt, cathedræ in qua sedebant ullam fecit injuriam? nonne illam cathedram Moisi commendavit, et illos servato cathedræ honore redarguit? ait enim: Super cathedram, etc. Hæc si cogitaretis, non propter homines quos infamatis blasphemaretis Cathedram Apostolicam cui non communicatis; sed quid est aliud quam nescire [quid] dicere, et tamen non posse nisi maledicere? [317].

  A001001357 

 Mays je vous entretiens trop sur un sujet qui ne demande pas grande inquisition.

  A001001370 

 Affin que Moyse fust creu, il [Dieu] luy donna le pouvoir des miracles; Nostre Seigneur, dict saint Marc, confirmoit ainsy la prædication Apostolique; si Nostre Seigneur n'eust faict tant de miracles, on n'eust pas peché de ne le croire pas, dict le mesme Seigneur; saint Pol tesmoigne que Dieu confirmoit la foy par miracles: donques le miracle est une juste rayson de croire, une juste preuve de la foy, et un argument pregnant pour persuader les hommes a creance; car si ainsy n'estoit, nostre Dieu ne s'en fut pas servi.

  A001001370 

 Car, ou le miracle est une juste persuasion et confirmation, ou non: si non, donques Nostre Seigneur ne confirmoit pas justement sa doctrine; si c'est une juste persuasion, donques en quel tems quilz se facent ilz nous obligent a les prendre pour une tres ferme rayson, aussy le sont ilz.

  A001001370 

 Et ne sert de rien de respondre que les miracles ne sont pas necessaires apres la foy semëe, car, outre ce que j'ay monstré le contraire cy devant, je ne dis pas maintenant quilz soyent necessaires, mays [318] seulement que la ou il plaict a la bonté de Dieu d'en fayre pour confirmation de quelqu'article, nous sommes obligés de le croire.

  A001001371 

 Les miracles que l'Antichrist fera seront tous faux, tant par ce que son intention sera de decevoir, que par ce que une partie ne seront qu'illusions et vaynes apparences magiques, l'autre partie ne seront pas miracles en nature mays seulement miracles devant les hommes, c'est a dire, ne surpasseront pas les forces de nature, mays pour estre extraordinaires sembleront miracles aux simples.

  A001001371 

 Or plusieurs playes sont mortelles en presence de quelques medecins, et incurables, qui [319] ne le seront pas en præsence des autres qui sont plus suffisans et ont quelque remede plus exquis; ainsy la plaïe sera mortelle selon le cours ordinaire de la medecine, mays le diable, qui a plus de suffisance en la connoissance des vertus des herbes, odeurs, minerales et autres drogues, que les hommes, fera ceste cure la par l'application secrette des medicamens inconneuz aux hommes: et semblera miracle a qui ne sçaura discerner entre la science humayne et diabolique, entre la diabolique et divine, en ce que la diabolique devance l'humayne de grande traitte, et la divine surpasse la diabolique d'une infinité; l'humayne ne sçait qu'une petite partie de la vertu qui est en nature, la diabolique sçait beaucoup davantage mays dans les confins de nature, la divine n'a point d'autre limite que son infinité.

  A001001372 

 Ainsy pourrois je dire, si Nostre Seigneur n'eust jamays faict autre miracle que de dire a la Samaritayne que l'homme qui habitoit avec elle n'estoit pas son mari, et que de convertir l'eau en vin, on eust peu penser quil y avoit de l'illusion et magie; mays ces merveilles partant de la mesme main qui faysoit voir les aveugles, parler les muetz, ouir les sourds, vivre les mortz, il ny eschoit plus aucun scrupule.

  A001001372 

 Car, ramener la privation en son habitude, le non estre a l'estre, et donner les operations vitales aux hommes, sont choses impossibles a toutes les puyssances humaynes, ce sont des coups du sauverain [320] Maistre; lequel quand puys apres il luy plaict faire des cures par sa toute puyssance, ou des mutations es choses, ne laysse pas de les faire reconnoistre pour miraculeuses, quoy que la nature secrette en peut faire tout autant, parce qu'ayant faict ce qui surpasse nature, il nous a ja rendus asseurés de sa qualité et de la valeur de la [merveille]: ainsy que quand un homme a faict un chef d'ceuvre, quoy quil face puys apres plusieurs ouvrages communs, on ne laisse pas de le tenir pour maistre..

  A001001373 

 Il semble que les miracles ne soyent pas necessaires, mays ilz le sont a la verité; et n'est pas sans cause que la suavité de la divine providence en fournit a son Eglise en toutes les saysons, car en toutes saysons il y a des heresies, lesquelles bien qu'elles soyent suffisamment rabbatues, voire a la capacité des moindres, par l'antiquité, majesté, unité, catholicisme, sainteté de l'Eglise, si est ce que chacun ne sçait pas priser ces « doüaires, » comme parle Optatus, a leur vraye [321] valeur, chacun n'entend pas et ne penetre pas ce langage: mays quand Dieu parle par œuvres, chacun l'entend, c'est une parole commune a toutes nations; comme l'escriture d'une sauvegarde n'est conneüe d'un chacun, mays si on y voit la croix blanche, les armes du Prince, chacun connoit que le tesmoignage et l'authorité sauveraine y court..

  A001001373 

 Or, semble il que les miracles soyent tesmoignages generaux pour les simples et plus rudes: car chacun ne peut pas sonder l'admirable convenance quil y a entre les Propheties et l'Evangile, la grande sapience de l'Escriture, et semblables marques illustres qui sont en la Religion Chrestienne, c'est un examen a faire aux doctes; mays il ni a celuy qui n'apprehende le tesmoignage d'un vray miracle, chacun entend ce langage entre les Chrestiens.

  A001001379 

 Les miracles qui se font en l'Eglise, monstrans ou est la vraye Eglise, font suffisante preuve de toute la creance de l'Eglise; car Dieu ne porteroit jamays tesmoignage a une eglise qui n'eust la vraÿe foy et fust errante, idolatre, trompeuse: mays ceste bonté supreme ne s'arreste pas la; elle a confirmé presque tous les pointz de la foy Catholique par tres illustres miracles, et, par une speciale providence de Dieu, nous trouvons que quasi sur tous les articles esquelz nous sommes en different avec les ministres, Nostre Seigneur a rendu tres illustre tesmoignage de la verité que nous prechons, par miracles irreprochables.

  A001001380 

 En quoy s'est faict le miracle? en ce que ce patient a esté remis de la privation a l'habitude, et une operation vitale luy a esté rendue, qui est l'ouÿe, car encor quil n'est pas dict quil fut sourd, si l'estoit il neanmoins, car le muet naturel est tousjours sourd.

  A001001393 

 Les Arriens nioyent [le miracle sur] l'aveugle qui fut gueri par l'atouchement du bord du drap qui couvroit les reliques de saint Gervais et Protais, et disoyent quil n'avoyt pas esté gueri; saint Ambroise respond: Negant cæcum illuminatum, sed ille non negat se sanatum.

  A001001394 

 Je veux icy mettre une piece empruntëe: « Quand nous lisons dans Bouchet les miracles des reliques de saint Hilaire, passe; son credit n'est pas asses grand pour nous oster la licence d'y contredire: mais de condamner d'un train toutes pareilles histoires me semble singuliere impudence.

  A001001395 

 Dites, pour Dieu, ce quilz racontent est il pas tres possible a Dieu? et sil est possible, comme oserons nous nier quil n'ait esté faict, puysque [328] tant de grans personnages en tesmoignent? On m'a dict plus d'une fois, est ce article de foy de croire ces contes? Ce n'est voirement pas article de foy, mays article de sagesse et discretion; car c'est une bestise trop notoire et une tres sotte arrogance de donner des dementies a ces anciens et graves personnages, sans autre fondement que parce que ce quilz disent n'est pas sortable a nos conceptions: sera il donq dict que nostre petite cervelle bornera la verité et mensonge, et fera loy a l'estre et au non estre? [329].

  A001001409 

 Dieu est autheur en nous de la rayson naturelle, et ne hait rien de ce quil a faict, si que, ayant marqué nostre entendement de ceste sienne lumiere, il ne faut pas penser que l'autre lumiere surnaturelle quil depart aux fidelles, combatte et soit contraire a la naturelle; elles sont filles d'un mesme Pere, l'une par l'entremise de nature, l'autre par l'entremise de moyens plus hautz et eslevés, elles donques peuvent et doivent demeurer ensemble comme seurs tres affectionnëes.

  A001001409 

 Soit en nature soit sur nature, la rayson est tousjours rayson, et la verité, verité; aussy n'est ce que le mesme œïl qui voit es obscurités d'une nuict bien sombre a deux pas devant luy, et celuy qui voit au beau jour de mydi tout le cercle de son horison, mays ce sont diverses lumieres qui luy esclairent: ainsy est il certain que la verité, et sur nature et en [330] nature, est tousjours la mesme, ce sont seulement diverses lumieres qui la monstrent a nos entendemens; la foy nous la monstre sur nature, et l'entendement en nature, mays la vérité n'est jamais contraire a soymesme..

  A001001410 

 .. Item, nos sens ne se trompent pas sur leur propre object quand l'application est bien faitte, et nostre experience prise a part, simple et nüe, ne peut estre deceüe: ce sont propositions de la philosophie, qui ont ceste rayson bien asseurëe, c'est que Dieu est autheur de nos sens, et les dresse, comme saint ouvrier et infallible, a leur propre fin et but; ce sont certes premiers principes, que ceux qui les leveroyent nous leveroyent tout discours et rayson.

  A001001410 

 Mon œil se peut tromper, jugeant une chose plus grande qu'elle n'est; mays la grandeur n'est pas le propre object de mon œil, car il est commun au toucher et a la main: et se peut tromper, estimant le mouvement estre ou il n'est point, comme ceux qui navigent le long de la rive voient, ce leur semble, les arbres et tours se remuer; mays le mouvement n'est pas propre object de la veüe, le toucher y a part encores: il se peut encores tromper si l'application n'est pas pure; car, sil y a du verre vert ou rouge en l'entredeux, il pensera vert ou rouge ce qui ne le sera pas..

  A001001411 

 Ainsy les yeux ni l'experience ne trompoyent pas ceux qui [331] voyoient et experimentoyent en Nostre Seigneur la forme et maniere humayne, car tout cela y estoit, mays quand ilz tiroient de la, consequence quil n'estoit pas Dieu, ilz se trompoyent.

  A001001411 

 De mesme, l'experience qui nous monstre que nous ne sçavons pas comme ces accidens sont sans leur naturelle substance, est tres veritable, mays si nostre jugement tire conclusion de la quil n'en soit rien, il se trompe et nous trompe encores; et nostre experience n'en peut mais, qui n'a point touché a ceste consequence..

  A001001418 

 Quand Luther, en la præface de l' Assertion des articles condamnés par Leon, dict que « l'Escriture est tres aysëe, intelligible et claire a chacun », et que chacun y peut connoistre la verité, et discerner entre les sectes et opinions quelle est la vraye, quelle est la fausse, dites, je vous prie, combat il pas la propre experience de tout le monde? et quand vous aves creu ceste sottise, connoisses vous pas tout ouvertement le contraire? Je ne sache homme si versé qui osast jurer, sil a point de conscience, quil sçait le vray sens, je ne dis pas de toute l'Escriture, mays de quelque partie d'icelle; et si, n'ay je jamais veu homme entre vous qui entende le sens d'un chapitre tout entier..

  A001001419 

 Quand Calvin et Bucer nient que nous ayons aucune liberté en nostre volonté, non seulement pour les actions surnaturelles, mays encores pour les naturelles et es commerces purement humains, n'attaque il pas la rayson naturelle et toute la philosophie, comme luy mesme confesse, et tout d'un train l'experience, et de vous, si vous parles franchement, et de tout le reste des hommes?.

  A001001420 

 Et quand Luther dict que le croire, esperer, aymer ne sont pas operations et actions de nostre volonté, mais pures passions sans aucune activité de nostre volonté, ne perd il pas tout en un coup le croire, l'esperer, l'aymer, et les change en estre creu, esperé et aymé, et combat le cœur de l'homme, qui connoist [333] bien que c'est luy qui croit, ayme, espere, par la grace de Dieu?.

  A001001421 

 Item, quand Luther dict que les enfans au Baptesme ont l'usage de l'entendement et rayson, et quand le sinode de Wittemberg dict que les enfans au Baptesme ont des mouvemens et inclinations semblables aux mouvemens de la foy et charité, et ce sans entendre, n'est ce pas se mocquer de Dieu, de nature, et de l'experience?.

  A001001422 

 Et quand on dict que nous pechons « incités, poussés, necessités, par la volonté, ordonance, decret et predestination de Dieu, » n'est ce pas blasphemer contre toute rayson et contre la majesté de la supreme bonté? Ah, voyla la belle theologie de Zuingle, Calvin et Beze: At enim dices, dict Beze, dices, non potuerunt resistere Dei voluntati, id est, decreto: fateor; sed sicut non potuerunt, ita etiam noluerunt.

  A001001422 

 Verum non poterant aliter velle: fateor quoad eventum et energiam, sed voluntas tamen Adami coacta non fuit. Bonté de Dieu, je vous appelle a garant: vous m'aves poussé a mal faire, vous l'aves ainsy decreté, ordonné, voulu, je ne pouvois faire autrement, je ne pouvois vouloir autrement, qu'y a il de ma faute? O Dieu de mon cœur, chastiés mon vouloir sil peut ne vouloir pas le mal et quil le veüille, mays sil luy est impossible de ne le vouloir pas, et vous luy soÿes cause de ceste impossibilité, qu'y peut il avoir de sa faute? Si cecy n'est contre rayson, je confesse quil ny a point de rayson au monde..

  A001001434 

 L'Eglise, qui estant sainte ne peut induire a l'erreur, estant catholique n'est pas astreinte a ce miserable siecle, mays doit avoir son estendue en long des les Apostres, en large par tout le monde, en profondité jusqu'au Purgatoire, en hauteur jusqu'au ciel, a sçavoir, toutes nations, tous les siecles passés, les Saints canonizés et nos ayeulz desquelz nous avons esperance, les Prelatz, les Conciles recens et anciens, tout par tout chantent Amen, amen, a ceste sainte creance.

  A001001434 

 Sa mort m'affermit, car, qui est mort pour nous, que ne fera il pas pour nous? Son sepulchre me console, et sa descente aux enfers, car je ne douteray point quil ne descente en l'obscurité de mon cors, etc. [337] Sa resurrection me ravive, car la nouvelle penetration de la pierre, l'agilité, subtilité, clarté, impassibilité de son cors n'est plus sujette aux loix trop grossieres de nos cervelles.

  A001001434 

 Son ascension me faict monter a ceste foy; car si son cors penetre, s'esleve par sa seule volonté, et se place sans place a la dextre du Pere, pourquoy ne sera il encor ça bas ou bon luy semble, sans y occuper autre place qu'a sa volonté? Ce qu' il sied a la dextre du Pere, me monstre que tout luy est sousmis, le ciel, la terre, les distances, les lieux et les dimensions: ce que de la il viendra juger les vivans et les morts, me pousse a la creance de l'illimitation de sa gloire, et que partant sa gloire n'est pas attachëe au lieu, mays ou quil soit il la porte avec soy; dont au tressaint Sacrement il y est sans laysser sa gloire ni ses perfections.

  A001001436 

 En fin, au Saint Sacrement, aussi bien qu'es saintes paroles de Nostre Seigneur, l'esprit y est, qui vivifie la chair, autrement elle ne proufiteroit de rien, mays la chair ne laisse pas d'y estre avec sa vie et son esprit.

  A001001436 

 Que dires vous? que les paroles de Nostre Seigneur sont esprit et vie? qui le nie, sinon vous qui dites que ce ne sont que tropes et figures? Mays a quel propos ceste consequence: les paroles de Nostre Seigneur sont esprit et vie, donques elles ne se doivent pas entendre de son cors? Et quand il dict, Filius hominis tradetur ad illudendum et flagellandum, etc. (car je metz pour exemple les premieres venues), ses paroles n'estoyent ce pas esprit et vie? dites donques qu'il a esté crucifié en figure.

  A001001436 

 Que la chair ne prouffite de rien? non pas la vostre ou la mienne qui ne sont que charoignes, ni nos sentimens charnelz; nom pas une chair simple, morte, sans esprit ni vie: mays celle du Sauveur, qui est tousjours garnie de l'Esprit vivifiant et de son Verbe, je dis qu'elle proufite a tous ceux qui la reçoivent dignement pour la vie æternelle.

  A001001437 

 Vous adjustes tout cecy a l'anormalogie de vostre foy, et comment? Nostre Seigneur est assis a la dextre, donq il n'est pas icy.

  A001001438 

 Dites moy donques, si la regle a besoin de reglement, qui la reglera? Ainsy le Simbole dict que Nostre Seigneur est descendu en enfer, et Calvin le veut regler a ce quil s'entende d'une descente imaginaire, l'autre le rapporte au sepulcre: n'est ce pas traitter ceste regle a la Lesbienne, et plier le niveau sur la pierre au lieu de tailler la pierre au niveau? Pour vray, comme saint Clement et saint Augustin l'appellent regle, aussy saint Ambroise l'appelle clef, mays sil faut une autre clef pour ouvrir ceste clef, ou la trouverons nous? monstres la nous; sera [ce] le cerveau des ministres, ou quoy? sera ce le Saint Esprit? mays chacun se ventera d'en avoir sa part.

  A001001438 

 Voicy une regle infallible de nostre foy: Dieu est tout puyssant; qui dict tout n'exclud rien, et vous voules regler ceste regle, et la limiter a ce qu'elle ne s'estende pas a la puyssance absolue, ou a la puyssance de placer un cors en deux lieux, ou le placer en un lieu sans quil y occupe l'espace exterieur.

  A001001439 

 Je ne voudrois pas que vous pensassies que j'ignorasse que le seul Simbole n'est pas la totale regle et mesure de la foy; car, et saint Augustin et le grand [341] Lirinensis appellent encores regle de nostre foy, le sentiment ecclesiastique.

  A001001443 

 Quand il ny auroit autre, ne connoisses vous pas quelz advantages et combien d'excellences la doctrine Catholique a sur vos opinions? [342].

  A001001445 

 Par exemple, ny a il pas plus de misericorde d'exhiber la realité de son Cors pour nostre viande, que de n'en donner que la figure, commemoration et manducation fiduciaire? n'est ce pas plus de justifier l'homme embellissant son ame par la grace, que sans l'embellir le justifier par une simple connivence ou non imputation? n'est ce pas une plus grande faveur de rendre l'homme et ses œuvres aggreables et bonnes, que de tenir seulement l'homme pour bon sans quil le soit en realité? n'est ce pas plus d'avoir layssé sept Sacremens pour la justification et sanctification du pecheur, que de n'en avoir laissé que deux, dont l'un ne serve de rien et l'autre de peu? n'est ce pas plus d'avoir laissé la puyssance d'absouvre en l'Eglise, que de n'en avoir point laissé? n'est ce pas plus d'avoir laissé une Eglise visible, universelle, signalëe, remarquable et perpetuelle, que de l'avoir layssé petite, secrette, dissipëe, sujette a corruption? n'est ce pas plus priser les travaux de Nostre Seigneur, de dire qu'une seule goutte de son sang suffisoit a racheter le monde, que de dire que s'il n'eut enduré les peynes des damnés il ni avoit rien de faict? la misericorde de Dieu n'est elle pas plus magnifiëe, de donner a ses Saintz la connoissance de ce qui se faict cy bas, le credit de prier pour nous, se rendre exorable a leurs intercessions, les avoir rendu glorieux des leur mort, que de les faire attendre et tenir « en suspens », comme parle Calvin, jusqu'au jugement, les rendre sourds a nos prieres et se rendre inexorable aux leurs? Cecy se verra plus clair en nos essais..

  A001001447 

 La doctrine Catholique ne peut partir d'aucune passion, puysque personne ne s'y range sinon avec ceste condition, de captiver son intelligence sous l'authorité des pasteurs; elle n'est point superbe, puysqu'elle apprend a ne se croire pas soymesme mays l'Eglise..

  A001001448 

 Voyes vous pas ceste Espouse qui n'a autre que miel et laict sous sa langue, qui ne respire que la plus grande gloire de son Espoux, son honneur et son obeissance? Sus donques, Messieurs, voules vous estre mis comme pierres vivantes es murailles de la celeste Hierusalem? leves vous des mains de ces bastisseurs desreglés, qui n'adjustent pas leurs conceptions a la foy, mais la foy a leurs conceptions; venes et vous presentes a l'Eglise, qui vous posera, si a vous ne tient, en ce celeste bastiment, a la vraye regle et proportion de la foy: car, jamais personne n'aura place la haut, qui n'aura esté poli et mis en œuvre sous la regle et l'esquierre cy bas.

  A001001456 

 Ces deux fautes fondamentales esquelles vos ministres vous ont conduit, d'avoir abandonné l'Eglise et d'avoir violé toutes les vrayes Regles de la Religion Chrestienne, vous rendent du tout inexcusables, Messieurs: car elles sont si grosses que vous ne pouvies pas les mesconnoistre, et sont si importantes que l'une des deux suffit pour vous faire perdre le vray Christianisme; puysque la foy hors de l'Eglise, ni l'Eglise sans la foy, ne vous sçauroit sauver, nomplus que l'œil hors la teste, ni la teste sans l'œil, ne sçauroit voir la lumiere.

  A001001457 

 .. Vous ne devies pas croire si legerement; si vous eussies bien advisé a vos affaires, vous eussies veu que ce n'estoit pas la Parole de Dieu quilz avançoyent, mais leurs propres conceptions voylëes des motz de l'Escritture, et eussies bien connu que jamais un si riche habit ne fut faict pour couvrir un si vilain cors comme est ceste heresie..

  A001001459 

 Lises les opuscules de Paulus Samosatenus, de Priscillien, d'Eunomius, Jovinien, et de ces autres pestes; vous verres un grand amas d'exemples, et presque pas une pagëe qui ne soit fardëe et colorëe de quelques sentences du Viel et Nouveau Testament.

  A001001459 

 Ne diries vous pas que c'est bien eux qui seulz et sans compaignon manient l'Escriture Sainte? Ilz en citent, a la verité, des morceaux, et a tous propos, « en public, en privé, » dict le grand Lirinensis, « en leurs discours, en leurs livres, es rues, es banquetz.

  A001001469 

 Mays nous [allons] voir cecy cy apres; il suffit maintenant, contre l'insolence de Zuingle et autres qui ont voulu rejetter ce nom, que toute l'Eglise ancienne en aÿe usé: car ce n'est pas avec une plus grand'authorité que le mot de Trinité, Consubstantiel, Personne, et cent autres sont demeurés en l'Eglise comme saints et legitimes; et c'est une tres inutile et sotte temerité de vouloir changer les motz ecclesiastiques que l'antiquité nous a laissé, outre le danger quil y auroit, qu'apres le changement des motz on n'allast au change de l'intelligence et creance, comme on voit ordinayrement que c'est l'intention de ces novateurs de paroles.

  A001001475 

 Ces deux passages donques ne sont pas advenans ni a propos pour vostre reformation; neanmoins, voyla tout..

  A001001475 

 Que si neanmoins l'un devoit estre forme de l'autre, le Baptesme seroit plustost forme de la predication, que la predication, du Baptesme; puysque la forme ne peut preceder, ains doit survenir a la matiere, et que la prædication precede le Baptesme, et le Baptesme survient par apres sur la prædication: dont saint Augustin n'auroit pas bien dict, quand il disoit: Accedit Mot ad elementum, et fit Sacramentum; car il eust plustost deu dire: Accedit elementum ad Mot.

  A001001475 

 Que si saint Hierosme, suyvant le sens mistique, veut que la prædication soit une sorte d'eau purifiante, il ne s'oppose pourtant pas aux autres [351] Peres, qui ont entendu le lavoir d'eau estre le Baptesme precisement, et la parole de vie, l'invocation de la tressainte Trinité, affin d'interpreter le passage de saint Pol par l'autre de saint Mathieu: Enseignes toutes gens, les baptisans au nom du Pere, et du Filz, et du Saint Esprit.

  A001001475 

 Voyla [pas des] passages bien clairs pour monstrer que la prædication [est] la vraye forme des Sacremens? Mays qui leur a dict quil ni a point d'autre Mot vitæ que la predication? je soustiens, au contraire, que ceste sainte invocation, Je te baptise au nom du Pere, et du Filz, et du Saint Esprit, est encores un Mot vitæ, comme l'ont dict saint Chrysostome et Theodoret; aussi sont bien les autres saintes prieres et invocations du nom de Dieu, qui ne sont pourtant pas prædications.

  A001001476 

 Et pour monstrer que le Baptesme est de Nostre Seigneur, non de celuy qui l'administre, il ne dict pas, Nunquid in prædicatione Pauli baptizati estis? mais plustost, Nunquid in nomine Pauli baptizati estis? monstrant que quoyque la prædication præcede, si n'est elle pas de l'essence du Baptesme, pour attribuer au prædicateur et catechiste le Baptesme comm'il est attribué a celuy le nom duquel y est invoqué.

  A001001476 

 Nostre Seigneur fit bien un admirable sermon apres la cene, recité par saint Jan, mays ce ne fut pas pour le mistere de la cene, qui estoit ja complet.

  A001001476 

 On ne dict pas qu'il ne soit convenable d'instruire le peuple des [353] Sacremens qu'on luy confere, mays seulement que ceste instruction n'est pas la forme des Sacremens.

  A001001476 

 Qui doute que saint Pol n'ait catechisé et instruict de la foy plusieurs Corinthiens qui ont estés baptisés? que si l'instruction et prædication estoit la forme du Baptesme, saint Pol n'avoit pas rayson de dire, Gratias ago Deo quod [352] neminem baptizavi nisi Crispum et Caium, etc.; car donner forme a une chose, n'est ce pas la faire? Bien plus, que saint Pol met a part le baptizer du precher: Non me misit Christus baptizare sed evangelizare.

  A001001477 

 Ilz violent encores la Tradition, l'authorité de l'Eglise, des Conciles, des Papes et des Peres, qui tous ont creu et croyent que le Baptesme des petitz enfans est vray et legitime: mays comme veut on que la predication y soit employëe? les enfans n'entendent pas ce qu'on dict, ilz ne sont pas capables de l'usage de rayson, a quoy faire les instruire? on peut bien precher devant eux, mays ce seroit pour neant, car leur entendement n'est pas encor ouvert pour recevoir l'instruction, comme instruction; elle ne les touche point, ni ne leur peut estre appliquëe, quel effect donq peut elle faire en eux? [leur] Baptesme donq seroit vain, puysqu'il seroit sans forme et [signification]: la forme donq du Baptesme n'est pas la prædication.

  A001001477 

 Item, la pluspart des baptesmes qui se font en l'Eglise Catholique se font sans aucune prædication; ilz ne sont donq pas vrays baptesmes, puysque la forme y manque: que ne rebaptizes vous donques ceux qui vont de nostre Eglise a la vostre? ce seroit un anabaptisme..

  A001001478 

 Y a il rien si clair en l'Escriture: Docete omnes gentes, baptizantes eos in nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti; ceste forme, au nom du Pere, etc., est elle pas invocatoire? certes, le mesme saint Pierre qui dict aux Juifz, Pœnitentiam agite, et baptizetur unusquisque vestrum in nomine Jesu Christi, in remissionem peccatorum vestrorum, dict peu apres au boiteux devant la belle porte, In nomine Jesu Christi Nazareni, surge et ambula: qui ne voit que ceste derniere parole est invocatoire? et pourquoy non la premiere, qui est de mesme substance? Ainsy saint Pol ne dict pas, Calix prædicationis de quo prædicamus, nonne communicatio Sanguinis Christi est? mays au contraire, Calix benedictionis cui benedicimus; on le consacroit donques et benissoit-on: ainsy au Concile de Laodicëe, c. 25, Non oportet Diaconum calicem benedicere.

  A001001485 

 Au contraire, le Concile de Florence et celuy de Trente declairent que « si quelqu'un dict que l'intention au moins de faire ce que faict l'Eglise n'est pas requise es ministres quand ilz conferent les Sacremens, il est anatheme »: ce sont les termes du Concile de Trente.

  A001001485 

 Comm'il suffit pour dire que je preche pour servir Dieu et pour le salut des ames, si lhors que je me veux præparer j'ay ceste intention, quoy que quand je suys en chaire je pense a ce que j'ay a dire et a m'en tenir en memoyre, et ne pense plus en ceste premiere intention: ou comme celuy qui a resolu de donner cent escus pour l'amour de Dieu, puys, sortant de sa mayson pour ce faire, pense a d'autres choses, et neanmoins distribue la somme; car encores quil n'aye pas la pensee dressëe actuellement en Dieu, si ne peut on pas dire quil n'aÿe son intention a Dieu en vertu de sa premiere deliberation, et quil ne face cest'œuvre de charité deliberement et a son escient.

  A001001485 

 Item, le Concile ne dict pas quil soit necessaire de vouloir faire ce que l'Eglise Romayne faict, mays seulement en general ce que l'Eglise faict, sans particulariser quelle est la vraye Eglise: ains, qui, pensant que l'eglise pretendue de Geneve fust la vraye Eglise, limiteroit son intention a l'intention de l'eglise de Geneve, se tromperoit si jamais homme se trompa en la connoissance [357] de la vraÿe Eglise, mays son intention suffiroit en cest endroit, puysque encores qu'elle se terminast a l'intention d'une eglise fausaire, si est ce qu'elle ne s'y termineroit que sous la forme et conception de la vraye Eglise, et l'erreur ne seroit que materiel, non formel, comme disent nos docteurs.

  A001001485 

 Item, n'est pas requis que nous ayons ceste intention actuellement quand nous conferons le Sacrement, mays suffit qu'on puysse dire avec verité que nous faysons telle et telle ceremonie et disons telle et telle parole, comme jetter l'eau, disans, Je te baptise au nom du Pere, etc., en intention de faire ce que les vrays Chrestiens font et que Nostre Seigneur a commandé, quoy que pour lhors nous ne soyons pas en attention, et ny pensions pas precisement.

  A001001485 

 Le Concile ne dict pas quil soit requis d'avoir l'intention particuliere de l'Eglise, car autrement les Calvinistes, qui n'ont pas intention au Baptesme de lever le peché originel, ne baptiseroyent pas bien, puysque l'Eglise a ceste intention la, mays seulement de faire en general ce que l'Eglise faict quand elle baptise, sans particulariser ni determiner quoy ni comment.

  A001001486 

 On ne peut raysonnablement douter que pour faire la Cene de Nostre Seigneur, ou le Baptesme, il ne faille faire ce que Nostre Seigneur a commandé pour cest effect, et non seulement quil le faille faire, mays quil le faille faire en vertu de ce commandement et institution: car on peut bien faire ces actions en vertu d'autre que du commandement de Nostre Seigneur, comme fairoit un [358] homme qui, dormant, songeroit et baptiseroit, ou bien estant ivre; pour vray les paroles y seroyent et l'element, mays elles n'auroyent point de force, ne procedans pas du commandement de qui les peut rendre vigoureuses et efficaces; ainsy que tout ce qu'un juge dict et escrit ne sont pas sentences judiciaires, mays seulement ce quil dict en qualité [de juge].

  A001001487 

 Il ne suffit donq pas de faire ce que Nostre Seigneur a commandé quand il dict, Hoc facite, mays le faut faire a l'intention que Nostre Seigneur l'a commandé, c'est a dire, in sui commemorationem; sinon avec ceste intention particuliere, au moins generale, sinon immediatement, au [359] moins mediatement, voulant faire ce que l'Eglise faict, laquelle a intention de faire ce que Nostre Seigneur a faict et commandé, si que on s'en rapporte a l'intention de l'Espouse, qui est adjustëe au commandement de l'Espoux..

  A001001487 

 Mays, a le dire franchement, ce commandement, Hoc facite, ne s'addresse il pas proprement au ministre de ce Sacrement? sans doute.

  A001001487 

 Or, n'est il pas dict simplement, Hoc facite, mays, facite in meam commemorationem; et comme peut on faire ceste sacrëe action en commemoration de Nostre Seigneur, sans avoir l'intention d'y faire ce que Nostre Seigneur a commandé, ou du moins ce que les Chrestiens, disciples de Nostre Seigneur, font? affin que, sinon immediatement, au moins par l'entremise de l'intention des Chrestiens ou de l'Eglise, on face ceste action en commemoration de Nostre Seigneur.

  A001001488 

 Or, comme peut estre faicte une action au nom de Dieu, qui se faict pour se mocquer de Dieu? Pour vray, l'action du Baptesme ne depend pas tellement des parolles, qu'elle ne se puysse faire en vertu et en authorité toute contraire aux parolles, si le cœur, qui est le moteur des paroles et de l'action, les dresse a une contraire fin et intention.

  A001001488 

 Pareillement, Nostre Seigneur ne dict pas qu'on die ces paroles, Ego te baptizo, simplement, mays commanda que toute l'action du Baptesme se fist in nomine Patris; si que il ne suffit pas qu'on die, in nomine Patris, mays faut que le lavement ou aspersion mesme se face in nomine Patris, et que ceste authorité anime et ravigore non seulement la parole, mays toute l'action du Sacrement, laquelle de soy n'auroit point de surnaturelle vertu.

  A001001488 

 Que sil se trouve es histoires que certains baptesmes faitz par jeu ont estés approuvés, il ne le faut trouver estrange, par ce qu'on peut faire en jeu plusieurs choses et neanmoins avoir l'intention de faire veritablement ce qu'on a veu faire; mays on appelle jeu tout ce qui se faict hors de saison et de discretion, quand il ne se faict pas par malice ou sans volonté.

  A001001488 

 Si donques Nostre Seigneur ne commande pas simplement qu'on face l'action du Baptesme ni qu'on die les paroles, mays l'action se face et les paroles se dient au nom du Pere, etc., il faut avoir au moins l'intention generale de faire le Baptesme en vertu du commandement de Nostre Seigneur, en son nom et de sa part; et quand a l'absolution, que l'intention y soit requise, il est plus qu'expres: Quorum remiseritis peccata, remittuntur eis, il laysse cela a leur deliberation.

  A001001502 

 N'avons nous pas rayson, tous tant que nous sommes de domestiques et enfans de l'Eglise, de nous porter pour appellans, et nous plaindre de la partialité des juges, laissans a part, pour ceste heure, l'incompetence d'iceux? Donques nous appelions des juges non instruitz a eux mesmes instruitz, et des jugemens faictz partie non ouye, a des jugemens partie ouye, supplians tous ceux qui voudront juger sur ce different, de considerer nos allegations et probations d'autant plus attentivement, qu'il y gist, non de la condamnation de la partie accusee, qui ne peut estre condamnee par ses inferieurs, mays du damnement ou sauvement de ceux mesmes qui en jugeront..

  A001001508 

 Nous soustenons donques que l'on peut prier pour les fideles trespassés, et que les prieres et bonnes actions des vivans les soulagent beaucoup et leur sont prouffitables; parce que tous ceux qui meurent en la grace de Dieu, et par consequent du nombre des esleus, ne vont pas tous de premier abord en Paradis, mays plusieurs vont au Purgatoire, ou ilz souffrent [363] une peyne temporelle, a la delivrance de laquelle nos prieres et bonnes actions peuvent ayder et servir.

  A001001514 

 Ce n'est pas une opinion receue a la volee que l'article du Purgatoire: il y a long tems que l'Eglise a soustenu ceste creance envers tous et contre tous.

  A001001520 

 de toutes sortes d'autheurs; apres, nous apporterons des raysons, et en fin, nous amenerons les argumens de partie contraire, lesquelz nous monstrerons n'estre pas de mise: ainsy conclurons pour la creance de l'Eglise Catholique.

  A001001531 

 Nous sçavons bien qu'ilz l'entendent de la purgation qui se fera a la fin du monde par le feu et conflagration generale, la ou seront purgés les reliquatz des pechés de ceux qui se trouveront vivans; mais nous ne laissons pas d'en tirer un bon argument pour nostre Purgatoire, car, si les personnes de ce tems la ont besoin de purgation avant que de ressentir l'effect de la benediction du Juge supreme, pourquoy est ce que ceux qui meurent avant ce tems n'en auront encores besoin? puysqu'il s'en peut trouver qui auront a la mort quelque reliquat de leurs imperfections.

  A001001531 

 Pour vray, si le Paradis ne peut recevoir aucune tache en ce tems la, il ne les recevra pas encores maintenant.

  A001001541 

 Mais outre ce, quand nous dirions que saint Pol use diversement d'un mesme mot en un mesme passage, ce ne seroit pas chose nouvelle, car il en use de ceste façon en autres lieux, mais si proprement que cela sert d'ornement a son langage, comme en la 2.

  A001001542 

 Il suffit que de ce passage on conclud ouvertement, que plusieurs qui prendront possession du royaume du Paradis passeront par le feu: or ce ne sera pas le feu d'enfer, ni le feu qui precedera le jugement; ce sera donques le feu de Purgatoire.

  A001001542 

 Je respons qu'il y a de la similitude en ce passage, car l'Apostre veut dire que celuy duquel les œuvres ne sont pas du tout solides, sera sauvé comme l'architecte qui s'eschappe du feu ne laissant pas pour cela de [372] passer par le feu, mays un feu d'autre calibre que n'est le feu qui brusle en ce monde.

  A001001542 

 On dira encores qu'il n'est pas dict qu'il sera sauvé par le feu, mays comme par le feu, et que partant on ne peut pas conclure le feu du Purgatoire en verité.

  A001001552 

 La premiere, c'est qu'ilz disent la priere avoir esté faicte pour monstrer la bonne affection qu'ilz avoyent a l'endroit des defuncts, non pas qu'ilz pensassent les defuncts en avoir besoin; mays l'Escriture y contredict par ces paroles, ut a peccatis solvantur..

  A001001553 

 Ilz objectent que c'est un manifeste erreur de prier pour la resurrection des morts avant le jugement, car c'est presupposer, ou que les ames resuscitent et par consequent meurent, ou que les cors ne resuscitent pas si ce n'est par l'entremise des prieres et bonnes actions des vivans, qui seroit contre l'article, Credo resurrectionem mortuorum: or, que ces erreurs soyent presupposés en ce lieu des Machabees, il appert par ces paroles: nisi enim eos qui ceciderant resurrecturos speraret, superfluum videretur et vanum pro defunctis orare. On respond que en cest endroit ilz ne prient pas pour la resurrection ni de [374] l'ame ni du cors, mays seulement pour la delivrance des ames; en quoy ilz presupposoyent l'immortalité de l'ame, car, s'ilz eussent creu que l'ame fust morte avec le cors, ilz n'eussent point pris de soin de leur delivrance; et par ce que, parmi les Juifz, la creance de l'immortalité de l'ame et de la resurrection des cors estoient tellement jointes ensemble que qui nioit l'une nioit l'autre, pour monstrer que Judas Machabeus croyoit l'immortalité de l'ame il dict qu'il croyoit la resurrection des cors.

  A001001557 

 Ni ne faudroit pas dire que le baptesme duquel parle saint Pol soit seulement un baptesme de tristesses et de larmes, non de jeusnes, prieres et autres actions, car avec ceste intelligence sa conclusion seroit tres mauvaise: il veut conclure que si les morts ne resuscitent point, et si l'ame est mortelle, qu'en vain s'afflige l'on pour les morts; mais, je vous prie, n'auroit on pas plus d'occasion de s'affliger par tristesse pour la mort des amis s'ilz ne resuscitent point, perdant toute esperance de jamais les revoir, que s'ilz resuscitent? Il entend donques des afflictions volontaires que l'on faisoit pour impetrer le repos des defuncts, lesquelles sans doute on prattiqueroit en vain si les ames estoyent mortelles, ou que les morts ne resuscitassent point; en quoy il se faut souvenir de ce qui a esté dict cy dessus, que l'article de la resurrection des morts et celuy de l'immortalité de l'ame estoyent conjoincts tellement ensemble en la creance des Juifz, que qui advouoit l'un, advouoit l'autre, et que qui nioit l'un, nioit l'autre.

  A001001557 

 Voicy donques le sens de ceste Escriture: si les morts ne resuscitent point, a quoy faire prend on peyne et affliction, priant et jeusnant pour les morts? et certes, ceste sentence de saint Pol ressemble a celle des Machabees cottee cy dessus: Superfluum est et vanum orare pro mortuis, si mortui non resurgunt. Qu'on me tourne et transfigure ce texte en tant d'interpretations que l'on voudra, qu'il n'y en aura pas une qui joigne bien a la sainte Lettre que celle cy.

  A001001564 

 Il ne faut donques pas croire que saint Mathieu eust exprimé l'intention de Nostre Seigneur par ces paroles, neque in hoc sœculo neque in alio, si en l'autre il n'y peut avoir remission; on se moqueroit de celuy qui diroit, je ne me marieray ni en ce monde ni en l'autre, comme s'il entendoit qu'en l'autre monde l'on peut se marier.

  A001001564 

 Mays de grace, dites moy, si saint Pierre eust dict en saint Jan, 13, Non lavabis mihi pedes in hoc sœculo neque in alio, n'eust il pas parlé gaussement, puysque en l'autre monde ilz ne peuvent estre lavés? aussi dict il, in æternum.

  A001001565 

 Quand il est dict, donec solvas ultimum quadrantem, n'est il pas presupposé qu'on le puisse payer, et qu'on puisse tellement diminuer la debte qu'il n'en reste plus que le dernier liard? que si comme quand il est dict au Psalme, Sede a dextris mets donec ponant inimicos tuos, etc., il s'ensuit tres bien, ergo aliquando ponet inimicos scabellum pedum, ainsy, disant non exies inde donec reddas, il monstre que aliquando reddet vel reddere potest.

  A001001565 

 Qui ne voit qu'en saint Luc 12, la comparaison est tiree non d'un homicide, ou de quelque criminel qui ne peut avoir esperance de son salut, mais d'un debiteur qui est mis en prison jusques a payement, lequel estant faict, incontinent il est mis dehors? Voicy donques l'intention de Nostre Seigneur: que, pendant que nous sommes en ce monde, nous taschions par la penitence et ses fruictz de payer, selon la puissance que nous en avons par le sang du Redempteur, la peyne a laquelle nos pechés nous ont obligés; puysque, si nous attendons la mort, nous n'en aurons pas si bon conte au Purgatoire, ou nous serons traittés a la rigueur..

  A001001566 

 On peut dire que ces peynes se souffriront en ce monde, mays saint Augustin et les autres Peres l'entendent pour l'autre monde; et puys, ne se peut il pas faire qu'un homme meure sur la premiere ou seconde offense de laquelle il est parlé icy, et celuy la, ou payera il les peynes deües a son offense? ou si vous voules qu'il ne les paye point, quel lieu luy donneres vous pour sa retraite apres ce monde? vous ne luy bailleres pas l'enfer, sinon que vous voulies adjouster a la sentence de Nostre Seigneur, qui ne baille l'enfer pour peyne qu'a ceux qui auront faict la troisiesme offense; le loger en Paradis vous ne le deves faire, parce que la nature de ce lieu celeste rejette toute sorte d'imperfection; n'allegues pas icy la misericorde du Juge, car il declare en cest endroit qu'il veut encores user de justice: faites donques comme les anciens Peres, et dites qu'il y a un lieu ou elles seront purgees, et puys s'en iront la haut en Paradis..

  A001001566 

 Tout cecy semble avoir esté dict par Nostre Seigneur mesme en saint Mathieu, 5, quand il dict: Qui irascitur fratri suo, reus erit judicio, qui dixerit fratri suo racha, reus erit consilio, qui dixerit fatue, reus erit gehennæ ignis. Icy il s'agit de la peyne qu'on doit recevoir par le jugement de Dieu, comme il appert par ces paroles, reus erit gehennæ [381] ignis; et neanmoins il n'y a que la troisiesme sorte d'offense qui soit punie par l'enfer; donques au jugement de Dieu, apres ceste vie, il y a des autres peynes, qui ne sont pas eternelles ni infernales; ce sont les peynes de Purgatoire.

  A001001567 

 Defaillir, qu'est ce autre que mourir? et les amis, que sont ilz autre que les Saints? les interpretes l'entendent tous ainsy; dont il s'ensuit deux choses, et que les Saints peuvent ayder les hommes trespassés, et que les trespassés peuvent estre aydés des Saints: car a quel autre propos peut on entendre ces paroles, facite amicos qui recipiant? il ne se peut entendre de l'aumosne, car souventefois l'aumosne est bonne et sainte, et toutefois ne nous acquiert pas des amis qui nous puissent recevoir en eternelz tabernacles, comme quand elle est faicte a des personnes mauvaises avec sainte et droitte intention.

  A001001573 

 Il y a un semblable passage en l'Apocalipse, 5: Quis dignus est aperire librum et solvere septem signacula ejus et nemo inventus est, neque in cælo, neque in terra, neque subtus terram; et plus bas au mesme chapitre: Et omnem creaturam, quæ in cælo est, et super terram, et sub terra, omnes audivi dicentes Sedenti in throno et Agno: Benedictio, et honor, et gloria, et potestas, in sæcula sæculorum; et quatuor animalia dicebant, Amen: ne constitue il pas icy une Eglise en laquelle Dieu soit loué sous terre? et que peut elle estre, si ce n'est celle du Purgatoire?.

  A001001578 

 Si sal evanuerit, in quo salietur? si Ecclesia erraverit, a quo corripietur? si Ecclesia, fida custos veritatis, veritatem amiserit, veritas a quo reperietur? si Christus Ecclesiam abjecerit, quem recipiet? qui neminem nisi per Ecclesiam admittit. Et si l'Eglise peut errer, et vous, Pierre Martyr, pourries vous pas errer? sans doute: je croiray donques plus tost que vous ayes erré que l'Eglise.

  A001001584 

 Mays cecy ne faict rien a nostre propos, car il est vray que saint Augustin dict qu'on peut douter du feu et de la qualité d'iceluy, mays non pas du Purgatoire: or, soit que la purgation se face ou par feu ou autrement, soit que le feu aye mesmes qualités que celuy d'enfer ou non, si est ce quil ne laysse pas d'y avoir une purgation et un Purgatoire; il ne met pas donques en doute le Purgatoire, mais la qualité d'iceluy; ce que ne nieront jamais ceux qui verront comm'il en parle au c. 16 et 24 du mesme Livre de la Cité, et au livre De cura pro mortuis agenda, et en mille autres lieux.

  A001001584 

 Mays comment est ce que les Peres n'ont pas creu a bon escient le Purgatoire, puysqu'Aerius, comme j'ay dict cy devant, a esté tenu pour hæretique par ce qu'il le nioyt? C'est pitié de voir l'audace avec laquelle Calvin traitte saint Augustin par ce quil pria et fit prier pour sa mere, sainte Monique, et pour tout prætexte apporte que saint Augustin, l. 21 Civit., c. 26, semble douter du feu de Purgatoire.

  A001001584 

 Quelle apparence y a [386] il qu'un seul Calvin soit infallible, et que toute l'antiquité aye bronché? On dict que les anciens Peres ont creu le Purgatoire pour s'accommoder au vulgaire: belle excuse; n'estoit ce pas aux Peres d'oster d'erreur le peuple s'ilz l'y voyoient entrer, nom pas l'y entretenir et y condescendre? ceste excuse donques ne faict qu'accuser les Anciens.

  A001001590 

 12, de laquelle Nostre Seigneur dict que les hommes reddent rationem in die judicii; il en faut rendre conte; l'autre merite le conseil, c'est a dire merite qu'on delibere s'il sera condamné ou non (car Nostre Seigneur s'accommode a la façon de parler des hommes); le 3 me seul est celluyla qui sans doute infalliblement sera damné: donques le p r et le 2 d sont pechés qui ne rendent [388] pas l'homme coulpable de la mort æternelle, mais d'une correction temporelle; et partant si l'homme meurt avec iceux, par accident ou autrement, il faut quil subisse le jugement d'une peyne temporelle, moyennant laquelle son ame estant purgëe il ira au Ciel avec les Heureux.

  A001001590 

 De ces pechés parle le Sage, Proverb., 24, Septies in die cadit justus: car le juste ne peut pecher, pendant quil est juste, de peché qui merite la damnation; il s'entend donq quil chet en des pechés ausquelz la damnation n'est pas deüe, que les Catholiques appellent venielz, lesquelz se peuvent purger en l'autre monde, au Purgatoire..

  A001001590 

 Or, quil y ait des pichés qui ne rendent pas l'homme coulpable de l'enfer, Nostre Seigneur le dict en saint Mathieu, 5.

  A001001590 

 Voicy deux invincibles raysons du Purgatoire: la 1., il y a des pichés legers au pris des autres et qui ne rendent pas l'homme coulpable de l'enfer; si donq l'homme meurt en iceux que deviendra il? le Paradis ne reçoit rien de souillé, Apoc. 21, l'enfer est une trop criminelle peyne, il n'est pas deu a son piché; il faut donques advouer quil arrestera en un Purgatoire, ou estant bien esmondé il ira par apris au Ciel.

  A001001590 

 c.: Qui irascitur fratri suo, reus erit judicio; qui dixerit fratri suo racha, reus erit consilio; qui dixerit fatue, reus erit gehennæ ignis. Qu'est ce, je vous prie, d'estre coulpable de gehenne du feu, sinon estre coulpable de l'enfer? or ceste peyne n'est deüe qu'a ceux qui appellent fatue: ceux qui montent en cholere et ceux qui expriment leur cholere par parole non injurieuse et diffamatoire, ne sont pas en mesme rang; ains l'un merite le jugement, c'est a dire, que sa colere soit mise en jugement, comme la parolle oyseuse, Mat.

  A001001648 

 Nous, François Delapesse Viallon, Seigneur dudit lieu, des Serrieres et de Sainct Marcel, prestre, Docteur es Droictz, Conseiller de S. A. R. et Maistre ordinaire en la Souveraine Chambre des Comptes de Savoye, Declarons avec serment, avoir veu soigneusement le traicté de la Primauté de sainct Pierre et des Marques de la vraye Esglise, contenant quinze cayers en feuillies; les douze premiers desquels sont tous escriptz de la main du Venerable Evesque de Geneve, François De Sales, que nous estimons Bienheureux, sauf le respect que nous devons au Sainct Siege, et les trois derniers sont escriptz par un sien secretaire dont nous ne recognoissons pas l'escriture, mais seulement qu'en divers endroitz il y a de la main dudit Venerable Prelat, par continuation ou correction.

  A001001714 

 Le 6 e cayer, qui contient 26 feuillets, c'est a dire, 52 pages, n'est pas escrit de la main du Serviteur de Dieu, mais de celle du Sieur George Roland, qui l'a escrit soubs le Serviteur de Dieu.


02-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome II-Defense de l'estendart de la Sainte Croix.html
  A002000007 

 Pas être utilisés à des fins commerciales de toute nature!.

  A002000098 

 Je sçay, Monseigneur, quelles raysons j'aurois pour n'oser pas offrir a un si grand Prince un si petit ouvrage, comme est celuy ci; mays je n'ignore pas aussi le privilege des primices, et me prometz que le bon œil que Vostre Altesse a jetté sur quelques unes [3] qui de mes autres actions, ne me sera pas moins favorable en celle ci, a laquelle je ne suis porté d'autre desir que d'estre tenu pour homme, qui est, qui doit, et veut estre a jamais,.

  A002000098 

 L'enfer qui n'a pas asses de charbon ni de fumee pour la noircir, produit neanmoins par fois quelques uns de ses barbouillés, qui, voilés du beau manteau de l'Escriture, jettent devant les yeux des simples gens certains brouïllartz de divers discours, pour faire paroistre au travers d'iceux ceste sainte Croix aussi noire et souille qu'elle fut onques.

  A002000098 

 On n'eut pas plus tost escrit le nom sacerdotal d'Aaron sur ceste ancienne et celebre baguette reservee dans l'Arche de l'alliance, que soudain elle bourgeonna et se trouva paree de ses feuilles, fleurs et fruitz, quoy qu'elle fust auparavant toute morte et sechee.

  A002000098 

 Or, entre plusieurs de la compaignie de la sainte Croix d'Annessi, qui pouvoyent et se sentoyent obligés de respondre a cest escrit, j'en pris fort librement la charge, et fus (a mon advis) advoué de sa divine bonté: car je n'eus pas si tost commencé a dresser cest advertissement, que, pour ne me laisser escrire de sa Croix en clerc d'armes, elle me mit sur les espaules la croix d'une aspre et longue maladie; au relever de laquelle je me [2] trouvay distrait a tant d'occupations, et l'imprimerie tant incommode, que je n'ay peu le produire jusques a ceste heure, qu'en fin il sort, et ne peut sortir sinon a l'abri de la faveur de Vostre Altesse.

  A002000124 

 L'honneur et gloire ne logent pas parmi les creatures pour y sejourner et vivre, mays seulement par maniere de passage: leur propre domicile c'est la divinité, comme aussi c'est le lieu de leur naissance.

  A002000125 

 L'ennemy de la Croix avec lequel j'entreprens de combattre dit ainsy son advis sur ce sujet (et les autres de son parti ne disent pas mieux): «... nous croyons de cœur et confessons de bouche que Dieu seul doit estre servi et honoré... De faict, combien que nous puissions honorer les uns les autres civilement, suivant ce qui est commandé aux [7] inferieurs d'honorer leurs superieurs, si est-ce que quand il est question d'honneur religieux ou conscientieux, ce sont choses non accordantes de donner tout honneur à un seul Dieu et à son Fils, et en departir une portion à aucun homme, ou à la croix materielle, ou à creature qui soit.

  A002000126 

 Or, je vous prie, Dieu est-il pas l'autheur et principe de l'ordre politique? Les roys regnent par luy... et par luy les princes maistrisent.

  A002000127 

 Cependant saint Paul n'est pas de cest advis: Soyes sujetz, dit-il, par la necessité, non seulement pour l'ire, mais aussi pour la conscience.

  A002000127 

 J'admire ce traitteur qui fait tant le Theologien, et [8] separe neanmoins l'honneur conscientieux d'avec le politique, comme si le politique n'estoit pas conscientieux.

  A002000129 

 Mais cest honneur deu aux Bienheureux ne peut estre que conscientieux et religieux; il n'est donques pas vray qu'il ne faille donner aucun honneur que politique aux creatures..

  A002000129 

 On ne peut invoquer celuy avec lequel on n'a point d'accointance ni de commerce, ou qui ne nous entend pas; mays on le peut bien aymer, par consequent honnorer, car l'un ne va pas sans l'autre.

  A002000129 

 Quelle rayson donques y [10] peut-il avoir pour ne les honnorer pas? Certes, quand nous n'aurions autre communion avec eux que la seule charité, puysqu'ilz nous devancent en tant de perfections, ce seroit asses pour les nous rendre honnorables.

  A002000133 

 Ainsy n'est-il pas dit que les Bienheureux mettent leurs couronnes sur la teste de Celuy qui est assis au throsne, car a la verité elles seroyent trop petites et de ridicule proportion pour ceste grande majesté; mais ilz les jettent aux piedz d'Iceluy, en reconnoissance que c'est de luy et de sa volonté qu'ilz les tiennent.

  A002000133 

 Ilz ne luy portent pas l'honneur qu'ilz tiennent de luy, mais le luy rapportent par le moyen d'un autre infiniment plus grand qu'ilz luy portent, le reconnoissans pour leur principe et createur.

  A002000142 

 Je ne suis pas digne, disoit-il, de porter ses soliers, ou d'en deslier les attaches. D'ou peut venir cest honneur des soliers sinon de l'esclat de la personne a qui ilz estoyent, qui rend saint Jean respectueux et reverend jusques a l'endroit de si peu de chose? Ainsy l'honnorable opinion que ces premiers Chrestiens avoyent de saint Pierre et saint Paul les rendoit honnorables jusques aux ombres et mouchoirs d'iceux, qu'ilz estimoyent moyens sortables a leurs guerisons..

  A002000142 

 Nous honnorons jusques aux plus simples appartenances des princes et roys, parce que nous honnorons beaucoup leurs personnes; mays nous ne tenons pas ce respect a l'endroit des personnes que nous honnorons moins.

  A002000144 

 Mays quelle jalousie pourroit avoir le soleil ou le feu de voir qu'on tint pour plus lumineux et chaud ce qui les approcheroit de plus pres? Ne se tiendroyent-ilz pas pour beaucoup plus mesprisés si l'on disoit le contraire, les privans de la vigueur qu'ilz ont de respandre et communiquer leurs belles qualités? Aussi, tant s'en faut que Dieu soit jaloux si l'on attribue quelque vertu excellente ou sainteté, et par consequent quelque honneur, aux creatures, que plustost seroit-il jaloux si on la leur levoit, puysque on le priveroit d'une des principales proprietés de sa bonté, qui est la communication.

  A002000144 

 Se moqueroit-on pas de la jalousie de celuy qui ne voudroit que sa femme aymast ni honnorast aucun autre que luy, ni parens, ni amis, ni ceux auxquelz luy mesme feroit honneur et reverence? Seroit-ce pas une jalousie desreglee, puysque l'honneur et l'amour qu'une femme doit a son mari l'oblige d'aymer et honnorer tous ceux qui l'attouchent? Certes la jalousie touche principalement a l'amour.

  A002000155 

 Mays affin que je paye en contant l'approbation que je desire de vous) touchant ce jugement, sans attendre que vous ayes leu tout mon advertissement (qui peut estre n'obtiendra pas ceste grace de vous que vous y employies beaucoup de tems), je vous veux mettre devant quelques pieces de ce beau traitté, affin que vous voyies que peut valoir le tout. Le tout n'est que de 62 petites pages: en la premiere il n'y a que le tiltre, lequel pour bon commencement est du tout mensonger, car il porte le nom « de la vertu de la [20] Croix et de la maniere de l'honorer », et le traitté n'est employé a autre qu'a persuader la Croix estre inutile et indigne d'honneur.

  A002000155 

 indignes de compassion et secours que le traitté de response, je n'eusse jamais dressé cest advertissement; [19] car le traitté n'est rien qui vaille, ce n'est pas seulement un mensonge bien agencé.

  A002000156 

 Certes Dieu est tout puissant, mais il n'est pas tout voulant.

  A002000156 

 Il peut bien mettre cent mille millions de mondes en estre, empescher les scandales et blasphemes, et toutefois il ne le fait pas; et sans avoir declairé de le vouloir faire il ne laisse pas de le pouvoir faire.

  A002000158 

 3. Et ceste proposition n'est-elle pas blasphematoire: « Le nom de Dieu, de la Trinité, des Anges et Prophetes, le commencement de l'Evangile de sainct Jean... et le signe de la Croix... ne sont pas choses simplement recevables... »? Qu'est-ce donques qui sera recevable?.

  A002000159 

 4. C'est de mesme quand il allegue pour inconvenient que « Nostre Dame ayt esté compagne des souffrances de nostre Sauveur »; car pour vray, si elle n'a esté compagne de ses souffrances, elle ne le sera pas de ses consolations ni de son paradis..

  A002000160 

 Je sçay qu'un bon excusant pourroit tirer toutes ces propositions a quelque sens moins inepte que celuy qu'elles portent de prime face, mais il feroit tort au traitteur qui l'entend comme il le dit; et n'est pas raysonnable que l'on reçoive a aucune sorte d'excuse celuy, lequel va pinçant par le menu tous les motz des hymnes et oraisons ecclesiastiques, pour les contourner a mauvais sens, contre la manifeste intention de l'Eglise.

  A002000164 

 Il fait dire a saint Athanase « qu'apres la venue de la Croix toute adoration des images a esté ostee... » C'est une fauseté; car saint Athanase ne parle pas des images, mais des idoles.

  A002000169 

 Mais est-il pas playsant quand il attribue une certaine vieille rime françoise aux Heures de l'usage de [24] Rome? Pour vray, un si grand nombre d'impertinences manifestes, avec cent autres telles (que je n'ay voulu cotter par le menu), en si peu de besoigne comme est le traitté, me fait croire que l'autheur ne peut estre sinon quelque arrogant pedant, ou quelque ministre hors d'haleyne et morfondu, ou si c'est quelque homme d'erudition, la rage et passion luy en aura levé l'usage; et de vray il fit ceste besoigne fort a la haste, et ne se bailla gueres de loysir apres la sortie des placquars..

  A002000172 

 Mais aussi n'ay-je pas voulu tant affecter la douceur et modestie que je n'aye laissé lieu a la juste liberté et naïfveté de langage.

  A002000172 

 Or je me nomme au contraire, non pour l'obliger a aucun respect (car a l'adventure que le rang [27] auquel je suis en ceste Eglise Cathedrale le mettra en humeur de me traitter plus mal), mais affin que s'il est encor a Geneve, d'ou son traitté est sorti, il sçache ou il trouvera son respondant s'il a quelque chose a demesler avec luy touchant ce different; l'asseurant qu'il ne me trouvera jamais que très bien affectionné a son service par tout ou il ne sera pas mal affectionné au Crucifix et a la Croix.

  A002000173 

 Et affin que les armes vous fussent plus a commodité, je vous en ay appresté autant qu'il m'a esté [28] possible en ces quattre livres: lesquelles, si elles ne sont ni dorees ni riches d'aucune belle graveure, je vous prieray de l'attribuer plustost a ma pauvreté que non pas a chicheté.

  A002000185 

 La croix et son nom estoit horrible et funeste, jusqu'à ce que le Filz de Dieu, voulant mettre en honneur les peynes et travaux et le crucifiement, sanctifia premierement le nom de croix, si que en l'Evangile il se trouve presque par tout en une signification honnorable et religieuse: Qui ne prend sa croix, disoit-il, et ne vient apres moy, n'est pas digne de moy.

  A002000186 

 Or est-il certain que deux pieces de bois, de pierre, ou de quelqu'autre matiere, traversantes l'une a l'autre font une croix, mays elles ne font pas pour cela la Croix de Jesus Christ, de laquelle seule, et non d'aucune autre, les Chrestiens font estat..

  A002000186 

 Si que, voulant monstrer que les passages des anciens Peres cités es placquars ne sont pas bien entenduz, il parle en ceste sorte: « Quelques passages des Anciens y sont alleguez, mais hors et bien loin du sens des autheurs; car, quand les Anciens ont parlé de la Croix, ils n'ont pas entendu de deux pieces traversantes l'une sur l'autre, ains du mystere de nostre redemption, dont le vray sommaire et accomplissement a esté en la Croix, mort et passion de Jesus Christ; et cest equivoque ou double signification de croix, n'estant apperceuë par les sophistes, fait qu'ils errent et font errer.

  A002000188 

 Et c'est ce que saint Pol enseigne, quand il ne veut que personne s'attribue l'honneur pastoral sinon celuy qui est appelle de Dieu, comm'Aaron: car la vocation d'Aaron fut faitte par l'ordinaire, Moyse, si que Dieu ne mit pas sa sainte parole en la bouche de Aaron immediatement, mays Moyse, auquel Dieu fit ce commandement: Parle a luy, et luy metz mes paroles en sa bouche; et je seray en ta bouche et en la sienne. Que si nous considerons les paroles de saint Pol, nous apprendrons mesme, 5.

  A002000188 

 Nostre Seigneur mesme, qui estoit le Maistre, ne voulut il pas estre receu de Simeon qui estoit prestre, comm'il appert en ce quil benit Nostre Dame et Joseph, par Zacharie prestre, et par saint Jan; et mesmes pour sa Passion, qui estoit l'execution principale de sa mission, ne voulut il pas avoir le tesmoignage prophetique du grand Prestre qui estoit pour lhors? 4.

  A002000189 

 Que si jamais elles n'ont prævalu ni prævaudront, la vocation extraordinaire ny est pas necessaire pour l'abolir: car Dieu ne hait rien de ce quil a faict, comment donq aboliroit il l'Eglis'ordinaire pour en faire d'extraordinaires? veu que c'est luy qui a edifié l'ordinaire sur soymesme, et l'a cimentee de son sang propre..

  A002000196 

 Au moins ne se devroyent ilz pas exempter de produyre des miracles sur une telle mutation, quoy que vous tiries prætexte de l'Escriture; puysque Nostre Seigneur ne s'en exempta pas, comme j'ay monstré cy dessus, encores que le changement quil faysoit fut puysé de la plus pure source des Escritures.

  A002000196 

 Mays quand a la premiere, dites moy, je vous prie, [35] trouves vous bon qu'on mette en comparaison la vocation de ces nouveaux ministres avec celle de Nostre Seigneur? Nostre Seigneur avoit il pas esté prophetisé en qualité de Messie? son tems n'avoit il pas esté determiné par Daniel? a-il faict action qui presque ne soit particulierement cottëe es Livres des Prophetes et figurëe es Patriarches? Il a faict changement de bien en mieux de la loy Mosaique, mays ce changement la n'avoit il pas esté prædit? Il a changé par consequence le sacerdoce Aaronique en celuy de Melchisedech, beaucoup meilleur; tout cela n'est ce pas selon les tesmoignages anciens? Vos ministres n'ont point esté prophetisés en qualité de prædicateurs de la Parole de Dieu, ni le tems de leur venue, ni pas une de leurs actions; ilz ont faict un remuement sur l'Eglise beaucoup plus grand et plus aspre que Nostre Seigneur ne fit sur la Sinagogue, car ilz ont tout osté sans y remettre que certaines ombres, mays de tesmoignages ilz n'en ont point a cest effect.

  A002000197 

 On pense que tous ceux qui prophetisoyent exerceassent la charge de la prædication: ce qui n'estoit pas, comm'il appert des sergens de Saul et de Saul mesme.

  A002000199 

 Isaïe, voulant escrire dans un grand livre qui luy fut monstré, prit Urie prestre, quoy qu'a venir, et Zacharie prophete a tesmoins, comme s'il prenoyt le tesmoignage de tous les prestres et prophetes; et Malachie atteste il pas que les levres du prestre gardent la science, et demanderont la loy de sa bouche; car c'est l'ange du Seigneur des armëes? tant s'en faut que jamais ilz ayent retiré les Juifz de la communion de l'ordinaire..

  A002000201 

 Si donques il est question entre nous de l'authorité prophetique, elle nous demeurera, soit elle ordinaire ou extraordinaire, puysque nous en avons l'effect, non pas a vos ministres qui n'en ont jamais faict un brin de preuve: sinon quilz voulussent appeller propheties la vision de Zuingle, au livre inscrit, Subsidium de Eucharistia, et le livre intitulé, Querela Lutheri, ou la prædiction quil fit, l'an 25 de ce siecle, que sil præchoit encor deux ans il ne demeureroit ni Pape, ni prestres, ni moynes, ni clochers, ni Messe.

  A002000202 

 Je n'envoÿoys pas les prophetes et ilz couroyent; je ne parloys pas a eux et ilz prophetisoyent. J'ay ouÿ ce que les prophetes ont dict, prophetisans en mon nom le mensonge, et disans, j'ay songé, j'ay songé.

  A002000202 

 Vous sembl'il pas que ce soyent Luther et Zuingle avec leurs propheties et visions? ou Carolostade avec sa revelation quil disoit avoir eue pour sa cene, qui donna occasion a Luther d'escrire son livre, Contra cœlestes prophetas? C'est [38] bien eux, au moins, qui ont ceste proprieté de n'avoir pas estés envoyés; c'est eux qui prennent leurs langues, et disent, le Seigneur a dict: car ilz ne sçauroyent jamais monstrer aucune preuve de la charge quilz usurpent, ilz ne sçauroyent produyre aucune legitime vocation, et, donques, comme veulent ilz precher? On ne peut s'enrooler sous aucun capitayne sans l'aveu du prince, et comment fustes vous si promtz a vous engager sous la charge de ces premiers ministres, sans le congé de vos pasteurs ordinaires, mesme pour sortir de l'estat auquel vous esties nay et nourry qui est l'Eglise Catholique? Ilz sont coulpables d'avoir faict de leur propr'authorité ceste levëe de bouclier, et vous de les avoir suyvis; dont vous estes inexcusables.

  A002000215 

 Mays ilz vont par deux chemins a ceste leur opinion de l'invisibilité de l'Eglise; car les uns disent qu'ell'est invisible par ce qu'elle consiste seulement es personnes esleües et prædestinëes, les autres attribuent cest'invisibilité a la rareté et dissipation des croyans et fidelles: dont les premiers tiennent l'Eglis'estre en tous tems invisible, les autres disent que cest'invisibilité a duré environ mill'ans, ou plus ou moins, c'est a dire, des saint Gregoire jusqu'a Luther, quand la papauté estoit paysible parmi le Christianisme; car ilz disent que durant ce tems la il y avoit plusieurs vrais Chrestiens secretz, qui ne descouvroyent pas leurs intentions, et se contentoyent de servir ainsy Dieu a couvert.

  A002000216 

 Tous ces discours ressentent le mal de chaud; ce sont des songes qu'on faict en veillant, qui ne valent pas celuy que Nabuchodonosor fit en dormant; aussy luy sont ilz du tout contraires, si nous croyons a l'in terpretation de Daniel: car Nabuchodonosor vit une pierre taillëe d'un mont sans œuvre de mains, qui vint roulant et renversa la grande statue, et s'accreut tellement que devenue montaigne elle remplit toute [41] la terre; et Daniel l'entendit du royaume de Nostre Seigneur qui demeurera æternellement.

  A002000216 

 celuy de la triomphante remplira le ciel, non la terre seulement, et ne s'eslevera pas au tems des autres royaumes, comme porte l'interpretation de Daniel, mais apres la consommation du siecle; joint que d'estre taillé de la montaigne sans œuvre manuelle appartient a la generation temporelle de Nostre Seigneur, selon laquelle il a esté conceu au ventre de la Vierge, engendré de sa propre substance sans œuvre humayne, par la seule benediction du Saint Esprit.

  A002000220 

 Comme se peut entendre tout cecy d'une Eglise invisible? ou la chercheroit on pour luy faire les plaintes, pour converser en icelle, pour la regir? Quand ell'envoyoit saint Pol, elle le recevoit, quand il la confirmoit, il y constituoit des prestres, il l'assembloit, il la saluoit, il la persecutoit, estoit par figure ou par foy seulement et par esprit? Je ne crois pas que chacun ne voye clerement que c'estoit effectz visibles et perceptibles de part et d'autre.

  A002000222 

 Esaïe parl'ainsy d'elle: Ce vous sera une voye droite, si que les folz ne s'egareront point par icelle; faut il pas bien qu'elle soit descouverte et aysee a remarquer, puysque les plus grossiers mesmes s'y sçauront conduyre sans se faillir?.

  A002000222 

 Salomon, es Cantiques, parlant de l'Eglise, ne dict il pas: Les filles l'ont veüe et l'ont præchëe pour tresheureuse? Et puys, introduysant ses filles pleynes d'admiration, il leur faict dire: Qui est cellecy qui comparoist et se produit comm'une aurore en son lever, belle comme la lune, esleüe comme le soleil, terrible comm'un esquadron de gendarmerie bien ordonné? N'est ce pas la declairer visible? Et quand il faict qu'on l'apelle ainsy: Reviens, reviens, Sullamienne, reviens, reviens, ajfin qu'on te voÿe, et qu'elle responde: Qu'est ce que vous verres en ceste Sullamitesse sinon les troupes des armees? n'est ce pas encores la declairer visible? Qu'on regarde ces admirables [44] cantiques et repræsentations pastorales des amours du celest'Espoux avec l'Eglise, on verra que par tout ell'est tres visible et remarquable.

  A002000223 

 Les pasteurs et docteurs de l'Eglise sont visibles, donques l'Eglise est visible: car, je vous prie, les pasteurs de l'Eglise sont ilz pas une partie de l'Eglise, et faut il pas que les pasteurs et les brebis s'entrereconnoissent les uns et les autres? faut il pas que les brebis entendent la voix du pasteur et le suyvent? faut il pas que le bon pasteur aille rechercher la brebis esgarëe, quil reconnoisse son parc et bercïl? Ce seroit de vray une belle sorte de pasteurs qui ne sceut connoistre son troupeau ni le voir.

  A002000224 

 C'est le propre de l'Eglise de faire la vraÿe prædication [45] de la Parole de Dieu, la vraÿe administration des Sacremens; et tout cela est il pas visible? comme donques veut on que le sujet soit invisible?.

  A002000225 

 Ne sçait on pas que les douze Patriarches, enfans du bon Jacob, furent la source vive de l'eglise d'Israel; et quand leur pere les eut assemblé devant soy pour les benir, on les voyoit, on s'entrevoyoit entr'eux.

  A002000229 

 Son plus beau est dedans, le dehors n'est pas si excellent: comme disoit l'Espoux es Cantiques: Tes yeux sont des yeux de colombe, sans ce qui est caché au dedans; Le miel et le laict sont sous ta langue, c'est a dire en ton cœur, voyla le dedans, et l'odeur de tes vestemens comme l'odeur de l'encens, voyla le service exterieur; et le Psalmiste: Toute la gloire de ceste fille royale est au par dedans, c'est l'interieur, Revestue de belles varietés en franges d'or, voyla l'exterieur..

  A002000231 

 Maintenant, si on dict que la loy Evangelique a esté donnée dans les cœurs interieurement, non sur les tables de pierre exterieurement, comme dict Hieremie, on doit respondre, qu'en l'interieur de l'Eglise et dans son cœur est tout le principal de sa gloire, qui ne laysse pas de rayonner jusques a l'exterieur qui la faict voir et reconnoistre; ainsy quand il est dict en l'Evangile, que l'heur'est venue quand les vrays adorateurs adoreront le Pere en esprit et verité, nous sommes enseignés que l'interieur est le principal, et que l'exterieur est vain s'il ne tend et ne se va rendre dans l'interieur pour s'y spiritualizer..

  A002000232 

 Mays jamais Catholique ne dit cela. Nous disons seulement que la Croix, comme plusieurs autres choses, a une vertu assistante qui n'est autre que Dieu mesme, qui, par la Croix, fait les miracles quand bon luy semble en tems et lieu, ainsy qu'il le declaira luy mesme de sa robbe quand il guerit ceste pauvre femme; car il ne dit pas: j'ay senti une vertu sortie de ma robbe, mays, j'ay apperceu une vertu sortir de moy; et tout de mesme n'avoit-il pas dit: qui est-ce qui a touché ma robbe? mays plustost, qui est-ce qui m'a touché? Comme donq il advoüa que toucher sa robbe par devotion c'est le toucher luy mesme, aussi fait-il sortir de luy la vertu necessaire a ceux qui touchent sa robbe.

  A002000232 

 Pourquoy ne diray-je de mesme que c'est Nostre Seigneur qui est la vertu, non inherente a la Croix, mays bien assistante? laquelle est plus grande ou moindre, non pas selon elle mesme, car estant vertu de Dieu et Dieu mesme elle est invariable, tous-jours une et esgale, mays elle n'est pas tous-jours esgale en l'exercice et selon les effectz; car en quelques endroitz, en certains lieux et occasions, il fait des merveilles et plus grandes et plus frequentes que non pas aux autres.

  A002000240 

 Voyes-vous pas comme il rendit respectable le mont sur lequel il apparut a Moyse en un buisson ardant? Leve tes soliers, dit-il, car la terre ou tu es est sainte.

  A002000242 

 Helisee garda soigneusement le manteau de Helie, et le tint pour honnorable instrument de miracle: pourquoy n'honnorerons-nous le bois duquel Nostre Seigneur [52] s'affeubla au jour de son exaltation et de la nostre? Que dires-vous de Jacob qui adora le bout de la verge de Joseph? n'eust-il pas honnoré la verge et sceptre du vray Jesus? Hester baysa le bout de la baguette d'or de son espoux, et qui empeschera l'ame devote de bayser par honneur la baguette du sien? Je sçai la diversité des leçons que l'on fait sur le passage de saint Paul, mais aussi sçai-je que celle-la de la Vulgaire est la plus asseuree et naïfve, mesme estant rapportee et confrontée avec ce qui est dit d'Hester; aussi est-elle suivie par saint Chrysostome..

  A002000245 

 La ou la distinction, si mal par vous menagee, de la croix supplice et de la croix instrument de supplice, ne vous sçauroit sauver; car la crucifixion ne se fait pas par l'affixion au supplice, mays a la croix ou gibbet.

  A002000245 

 Mays quand il n'y auroit autre que ce qu'elle est la vraye enseigne, le vray ordre et vrayes armoiries de nostre Roy, seroit-ce pas asses pour la rendre venerable? Les coquilles, toysons et jarretiers sont en honneur quand il plait aux princes les prendre pour enseigne de leur ordre: combien sera plus respectable la Croix du Roy des roys, qu'il a prise pour son enseigne? Dequoy voicy la preuve tiree de l'Escriture, que le traitteur a laissee par non sçavance.

  A002000245 

 N'est-ce pas chose bien remarquable que Nostre Seigneur a voulu prendre un de ses noms de la Croix, voulant qu'il luy demeurast perpetuel, voire apres sa resurrection, et comme la Croix est appellee Croix de Jesus, qu'aussi Jesus fust nommé Jesus crucifié? Cherches-vous Jesus de Nazareth crucifié? Nous prechons Jesus crucifié.

  A002000246 

 On luy diroit que la Croix n'a pas [55] esté seulement l'instrument des bourreaux pour crucifier Nostre Seigneur, mays aussi a esté celuy de Nostre Seigneur pour faire son grand sacrifice: ç'a esté son sceptre, son throsne et son espee.

  A002000253 

 Ce traitteur, oubliant ce qu'il a dit icy, ailleurs parle en ceste sorte: « Nous ne nions pas que, pour authorizer la predication de l'Evangile rejettee alors par les payens ayans la vogue presque par tout le monde, Dieu n'ait fait des miracles au nom de Jesus Christ crucifié.

  A002000253 

 J'ay monstré cy devant combien la Croix a de vertu, et combien nous avons de devoir de l'honnorer, par les consequences tirees a droit fil des saintes Escritures, ou, comme vous aves veu, je n'ay pas eu beaucoup de peyne a respondre aux argumens de ma partie, puysque ayant fait toutes ses propositions negatives, protestant de ne vouloir rien croire que ce qui est escrit, il n'a toutefois produit qu'un passage de l'Escriture, employé en un sens tres impertinent.

  A002000255 

 C'est donq signe que le danger de l'idolatrie n'est pas egal en l'un des sepulchres et en l'autre.

  A002000255 

 Et quant a l'exemple que vous apportes du sepulchre de Moyse, je ne sçai comme il ne vous a ouvert les yeux; car laissant a part la deshonneste comparaison que vous faites entre les Juifz et les Chrestiens, quant au danger de tomber en idolatrie, ne devies-vous pas raysonner en ceste sorte: Dieu qui n'a pas voulu que le sepulchre de Moyse ait esté conneu, pour prevenir l'idolatrie, a toutefois voulu que le sepulchre de Nostre Seigneur ait esté conneu et reconneu en l'Eglise Chrestienne, comme tout le monde sçait et personne ne le nie.

  A002000255 

 Et s'il n'y a pas lieu tant de danger d'idolatrie en la manifestation du sepulchre de Nostre Seigneur, que pour l'eviter il l'ait fallu tenir caché, pourquoy y en aura-il davantage en la Croix? [60].

  A002000257 

 Et n'est-ce pas une belle consequence? la Croix n'est pas enterree la ou elle fut [61] erigee, donques elle n'est pas venue a notice; comme si elle n'eust peu venir a notice sans estre enterree au lieu ou elle fut dressee.

  A002000257 

 Et pour vray, mes Freres, on ne croid pas sans rayson que la ait esté eslevé le Medecin ou le malade gisoit, et estoit bien convenable que la ou estoit tombé l'orgueil humain, [62] la s'inclinast aussi la divine misericorde.

  A002000257 

 Mais cela n'est gueres a nostre propos et n'importe pas beaucoup..

  A002000257 

 » Voyes-vous comme il extravague? Son intention estoit de prouver que la Croix n'estoit venue a notice; il le prouve parce qu'il n'est pas vraysemblable qu'elle ait esté enterree la ou elle est erigee.

  A002000258 

 Item: l'Eglise estoit persecutee, donq elle n'honnoroit pas la Croix.

  A002000258 

 « Item, » dit-il, « veu que les disciples et Apostres de Jesus Christ ont esté espars durant la mort d'icelui, et qu'apres son ascension ils ont esté prohibez de parler au nom de Jesus Christ, que Jerusalem peu apres a esté reduite à totale extremité et ruine, quelle apparence y a-il qu'elle ait esté adonc serree et honoree par ceux qui ont adheré à Jesus Christ? » Un enfant verroit cette ineptie: l'Eglise a esté persecutee, donq elle n'a pas serré la Croix.

  A002000259 

 Et disons encor qu'ilz la pouvoyent brusler; mays nous admirons d'autant plus la Providence supreme qui n'a pas permis la perte de ce sien Estendart..

  A002000259 

 Mais ce n'est que pour embrouiller que ce traitteur dit ceci, car nous ne disons pas que ce soyent les amis de la Croix qui l'ont ainsy enterree, ains plustost les ennemis d'icelle, affin d'en abolir la memoire, l'ont ainsy cachee.

  A002000259 

 Ni ne disons pas que ces mesmes ennemis ne l'ayent peu jetter en mer; au contraire nous disons qu'ilz l'ont peu jetter dans la mer, nonobstant la distance qui est entre le port de Japhet et la ville de Hierusalem, ou avec peyne ou sans peyne, par le moyen des rivieres qui l'eussent regorgee dans la mer.

  A002000260 

 « Qui est-ce, » dit-il, « qui ne rejettera [63] ceste fable, s'il considere la haine que portoyent les Juifs à toutes sortes d'images? » Mais je diray: qui est-ce qui ne rejettera l'ineptie de ce petit traitteur, s'il considere qu'on ne dit pas que ce soyent les Juifz, mais les Gentilz, qui ayent fait cela? et que ce n'est pas Esope qui raconte ce fait, mais une infinité de tres graves et anciens autheurs comme Eusebe, Ruffin, Paulin, Sulpice, Theodoret, Sozomene, Socrates.

  A002000260 

 » Voyes-vous a quel propos ce traitteur allegue la jalousie des Juifz, puysque on ne dit pas que ce fussent les Juifz, mais les Gentilz? et a quel propos il allegue le tems de la ville de Hierusalem, puysque ce fut apres son extermination?.

  A002000262 

 « La saincte histoire, » replique le traitteur, « nous enseigne bien une autre façon qu'ont tenue les ennemis de la Croix, en ce qu'ils ont rejetté la predication de l'Evangile... » Voyla pas une belle rayson? Je confesse que celle-la est une autre façon qu'ont tenue les ennemis de la Croix, mais il ne s'ensuit pas qu'ilz n'ayent tenu encor celle qui est recitee par ces anciens Peres; car l'une n'est pas contraire a l'autre, mays s'entresuivent..

  A002000265 

 Ce sont donques les parolles de saint Paulin: « Donques, » dit-il, « la Croix du Seigneur si long tems couverte, cachee aux Juifz au tems de la Passion, et qui ne fut point descouverte aux Gentilz, qui sans doute creuserent et tirerent beaucoup de terre pour l'edification du temple qu'ilz avoyent dressé sur le Mont de Calvaire, n'a-elle pas esté cachee par la main de Dieu, a ce que maintenant elle fust trouvee quand elle a esté religieusement cherchee? ».

  A002000265 

 Et cependant ce n'est pas un petit argument pour la vertu et honneur de la sainte Croix, que Dieu l'ayt ainsy conservee pres de trois cens et trente ans sous terre, sans que pourtant elle soit aucunement pourrie, et que les ennemis du Christianisme ayans fait tout leur possible pour en abolir la memoire, elle leur ait esté cachee pour estre revelee en un tems auquel elle fust saintement reveree; et pour tant plus rendre le miracle de l'invention et conservation de ceste sainte Croix illustre, avoir conservé deux autres croix qui donnassent occasion a la preuve miraculeuse que l'on eut de la vertu de la troisiesme.

  A002000273 

 Et, si lon croid quelques historiens, Helene estoit encore infidele alors, et Constantin mesme n'estoit pas ferme Chrestien et n'avoit rien en Syrie adonc; et quelques uns disent qu'elle ne fut trouvee du temps du grand Constantin, ains de Constantin son fils; joint qu'Eusebe, qui a escrit la vie de « Constantin et qui parle de ce que Helene a fait en Jerusalem, ne dit un seul mot de ceste invention de Croix.

  A002000274 

 Et quant a Panvinius, voyant Platine dire que ceste invention fut faite sous Eusebe, il se resoult, et dignement, a l'opinion contraire, ne laissant pas la chose indecise, comme presuppose le traitteur, qui s'enferre luy mesme quand, laissant les autheurs d'accord en l'invention de la Croix, il allegue seulement leur discorde en l'aage et tems d'icelle; car c'est purement confesser ce qu'il avoit premierement nié, a sçavoir, qu'il y a bon tesmoignage que Dieu a voulu que la Croix de son Filz vint a notice.

  A002000274 

 Or, qui vid jamais une rayson si desraysonnable, que pour l'incertitude du tems, on tire en consequence l'incertitude de la chose mesme? Combien de tems y a-il que le monde fut creé? Il n'y a chronologien qui n'en ayt son opinion a part; faut-il dire pourtant que le monde n'a pas esté creé? En quel aage mourut Nostre Seigneur? Qui dit a trente un, qui dit a trente deux, qui a trente quattre ans, et ce grand Irenee passe jusques a cinquante: faudroit-il donques dire, pour ceste diversité d'opinions de l'aage auquel Nostre Seigneur souffrit, que sa mort fust incertaine? Autant en diray-je du baptesme d'iceluy et de cent autres choses tesmoignees en l'Escriture, lesquelles estans tres certaines ont la circonstance du tems tres incertaine.

  A002000276 

 Et saint Ambroise ne se trouvera point contraire en cest endroit aux autres, car ce qu'il dit, les autres le disent, quoy qu'il ne die pas tout ce que les autres disent.

  A002000276 

 Il est vray, comme dit saint Ambroise, que la Croix de Nostre Seigneur fut conneuë par le tiltre; mais par ce que le tiltre estoit separé de la Croix, comme dit Sozomene, elle n'estoit pas encores du tout asses evidemment reconneuë, dit Ruffin.

  A002000277 

 Crucis, qui ne fait rien contre nous, puysque les Catholiques ne tiennent pas ce disciple pour maistre de leur foy; et ne disons pas que quelque particulier Catholique ne puisse avancer quelque chose mal asseuree, mais cela ne prejudicie point a la foy publique de l'Eglise. Cependant Discipulus ne baille pas ce conte-la pour chose asseuree, mais proteste de l'avoir pris du livre apocriphe de Nicodeme, ce que le traitteur a dissimulé.

  A002000282 

 Puys encor dit-il mal, car quoy que ceste valeur et ce merite de la Passion soyent infinis, et que nos sens ne les puissent comprendre, ilz sont neanmoins representables, autrement ilz ne seroyent pas croyables: rien n'est creu qui ne soit premier representé a nostre ouÿe, qui est un de nos sens.

  A002000282 

 [76] Ainsy les cieux nous representent et annoncent la gloire de Dieu; ainsy les Cherubins, quoy qu'invisibles et surmontans de bien loin la capacité de nos sens, n'ont pas laissé d'estre representés en l'ancienne Loy..

  A002000283 

 S'il entend les propres peynes, souffrances et passions de Nostre Seigneur, il est inepte de dire qu'elles sont irrepresentables; car, qu'est-ce que representoyent tant de sacrifices sanglans de l'ancienne Loy? Et qu'est-ce que represente maintenant l'Eucharistie, sinon la passion et mort du Sauveur? Jacob n'eut pas plus tost veu la robbe de son filz Joseph ensanglantee, que tout a coup il se representa tant vivement la mort presupposee d'iceluy, qu'il ne pouvoit estre consolé.

  A002000284 

 Autrement, ni Dieu, ni sa gloire ne sont pas du tout indicibles, car ilz seroyent incroyables, puysque nous ne croyons que par l'ouÿe..

  A002000284 

 Le traitteur donq ne peut pas dire que les souffrances de Nostre Seigneur sont irreprensentables pour estre infinies, et moins encor pour estre indicibles; car Dieu, qui est infini, ne laisse pas de nous estre representé en plusieurs sortes, et sa gloire mesme, quoy qu'elle soit indicible quant a la grandeur de ses perfections.

  A002000286 

 Je confesse tout cela, mays je dis aussi que cest article est representable, non pas certes parfaitement (car, qui representeroit jamais la valeur et le prix de ce sang divin, et la grandeur des travaux inteneurs du Sauveur?) mays il est representable comme les hommes et les maysons, dont on ne represente que les visages et façades exterieures.

  A002000287 

 Combien de saintes resolutions de mieux vivre a l'advenir, et de saintz desplaysirs et regretz de la vie passee prit-on a ceste occasion? Certes, la simple veuë d'un bois n'eust pas eu ce credit, si, par la, la toute puissante Passion du Sauveur n'eust esté vivement representee.

  A002000295 

 Voyla pas de grans tesmoignages de la vertu de la Croix? Tout le Christianisme en vouloit avoir en ce tems la, et Dieu, se monstrant favorable a ceste devotion, multiplioit le bois de la Croix a mesure que l'on en levoit des pieces; signe evident que l'Eglise de ce tems la avoit une autre forme que la reformation des novateurs..

  A002000332 

 Ce n'est donq pas merveille si saint Ambroise, parlant du clou de la Croix, dit que « c'est un remede pour le salut, et que par une puissance invisible il tourmente les diables »; et saint Cyrille, que jusques a son tems le bois de la Croix qui estoit en Hierusalem guerissoit les maladies, chassoit les diables et les charmes.

  A002000386 

 Et Sozomene, apres avoir raconté l'histoire de l'invention [91] de la Croix et les merveilles qui s'y firent: « Ni cela, » dit-il, « n'est pas tant esmerveillable, principalement puysque les Gentilz mesme confessent que cecy est un vers de la Sibile:.

  A002000407 

 Ce n'est donq pas merveille si saint Macaire et Heleine avoyent egale crainte, en l'invention de la Croix, « ou de prendre le gibbet d'un larron pour la Croix du Seigneur, ou que, rejettans le bois salutaire en guise de poutre d'un larron, ilz ne le violassent, » comme parle saint Paulin; ni que saint Hierosme ne pouvoit voir asses tost le jour « auquel, entrant en la caverne du Sauveur, il peust bayser et rebayser le saint bois de la Croix » avec la devote Marcelle.

  A002000407 

 Saint Chrysostome proteste « que si quelqu'un luy donnoit les sandales et robbes de saint Pierre, il les embrasseroit a bras ouvertz et les mettroit comme un celeste don dans le plus creux [94] de son cœur »; combien eust-il plus honnoré la Croix de son Redempteur? Et saint Augustin, lequel recite que plusieurs miracles s'estoyent faitz avec un peu de la terre du Mont de Calvaire apportee par Hesperius l'un de ses familiers, et entre autres qu'un paralytique y estant apporté avoit esté soudain gueri, et qu'il avoit mis ceste terre-la honnorablement en l'Eglise: quel respect eust-il porté a la Croix de Nostre Seigneur? Certes, il n'eust pas fait tant de diversions pour effacer la memoire des miracles que Dieu fait en icelle, et luy refuser un juste honneur, comme fait le traitteur, tout au long de son escrit..

  A002000419 

 » Et pour tout cela, la Croix ne lairra pas d'estre semblable au T latin, grec et hebreu, puysque il y aura peu de difference..

  A002000468 

 Et saint Justin le Martyr traittant avec Triphon, Tertullien avec Marcion, et saint Cyprien avec tous les Juifz, ont estimé de faire un bon et ferme argument, produisans les figures de l'Ancien Testament pour l'honneur et reverence de la Croix: pourquoy ne pourrois-je raysonner sur un mesme sujet, par pareilles raysons, avec un traitteur qui se dit estre Chrestien? Or, la briefveté a laquelle je me suis lié, ne me permet pas de prendre le loysir qu'il faudroit pour faire un si grand amas; aussi lira-on avec plus de fruit ce que j'en pourrois dire es autheurs que j'ay des-ja cités, et en Jonas d'Orleans, en saint Gaudence sur l'Exode, et en la Theogonie de Cosme Hierosolymitain.

  A002000468 

 J'aurois une belle campaigne, pour monstrer l'antiquité de l'image de la Croix, si je voulois m'estendre sus un monde de figures de l'Ancien Testament, lesquelles n'ont esté autres que les images de la Croix, et ne penserois pas que ce fust une petite preuve; car, quelle rayson y pourroit-il avoir que cest ancien peuple, outre la parole de Dieu, eust encor plusieurs signes pour se rafraischir coup sur coup l'apprehension de la Croix future, et qu'il ne nous fust pas loysible d'en avoir en nostre Eglise pour nous rafraischir la memoire de la crucifixion passee? Certes, il n'y auroit si bon traitteur qui ne s'eblouist quand je luy produirois les saintes observations qu'en a fait toute l'antiquité.

  A002000468 

 Je me contenteray seulement de mettre en avant celle que tous les [102] Anciens, d'un commun accord, appliquent a la Croix: c'est le Serpent d'airain, qui fut dressé pour la guerison de ceux qui estoyent morduz de serpens; duquel parlant le traitteur, il remarque qu'il ne fut pas mis ou « dressé sur un bois traversier, comme on le peint communement, car il estoit eslevé sur un estendard, » dit-il, « ou sur une perche, comme le texte le dit.

  A002000469 

 » Et apres avoir remonstré qu'en la religion des Romains on honnoroit et prisoit des pieces de bois qui estoyent peu differentes de la Croix, et que les faiseurs d'idoles se servoyent d'instrumens faitz en forme de croix pour faire les mesmes idoles; item, qu'ilz adoroyent les victoires, et que le dedans de leurs trophees (c'est a dire les instrumens sur lesquelz on portait les trophees) estoyent en forme de croix; item, que la religion des Romains, estant toute militaire, veneroit les enseignes et estendartz, juroit par iceux, et les prisoit plus que tous les dieux, et que les voyles ou drapeaux des estendartz n'estoyent que comme des manteaux et vestemens des croix, il conclud disant: « Je loue ceste diligence; vous n'aves pas voulu consacrer des croix nues et descouvertes, ou sans ornement.

  A002000469 

 » La ou cest autheur si clair voyant ne nie pas, mays confesse plustost, [104] que les Chrestiens adoroyent la Croix; ne mettant point autre difference entre les croix des Gentilz et les nostres, sinon en ce que les nostres estoyent nues et sans enrichissemens, et les leurs estoyent vestues de divers paremens..

  A002000471 

 La ou je ne me puis tenir de remarquer l'imposture du traitteur, lequel citant ce passage de saint Athanase, luy fait dire en ceste sorte: « Les Chrestiens monstroient qu'ils n'adoroient pas la Croix quand ils desassembloient ordinairement les deux principales pieces d'icelle, recognoissans que ce n'estoit que bois.

  A002000471 

 » A quoy il respond: « Pour vray, nous adorons la figure de la Croix, la composans de deux bois; que si quelqu'un des infidelles nous accuse que nous adorons le bois, nous pouvons aysement separer les deux pieces de bois, et gastans la forme de la Croix, tenans ces deux bois ainsy separés pour neant, persuader a cest infidelle que nous n'honnorons pas le bois, mais la figure de la Croix: ce que nous ne pouvons faire de la lance, du roseau et de l'esponge.

  A002000471 

 » Car au contraire, saint Athanase dit expressement que tous les fidelles adoroyent la Croix, mais non pas le bois.

  A002000472 

 Et de vray, au moins ce traitteur devoit considerer que si Constantin dressa son Labare en forme de croix, pour la vision qu'il avoit eue d'une Croix a la façon de laquelle il fit dresser les autres (comme le traitteur mesme confesse que cela s'est peu faire), ce ne sera pas Constantin qui aura fait la Croix le premier en matiere subsistante, mais plustost Dieu, qui luy en fit le premier patron sur lequel les autres furent dressees.

  A002000473 

 Et qui les avoit gardés d'en dresser jusques a ceste heure la, au moins dedans leurs maysons et oratoires? et comme pouvoit sçavoir Constantin que la maniere de flatter les [106] Chrestiens estoit de dresser des croix, s'il n'eust conneu qu'ilz en avoyent dressé auparavant et les honnoroyent? Pour vray, les Reformeurs n'eussent pas esté amis de ces anciens fideles, ni leur doctrine jugee Chrestienne, puysqu'ilz abattent leurs croix, et taschent de persuader que c'est une « corruption » d'en avoir introduit l'usage et que « c'est encor plus mal fait de le retenir; » ce sont les parolles mesmes du traitteur.

  A002000474 

 Ce n'est pas peu, a mon advis, d'avoir gaigné ceste confession sur les ennemis des croix, que les Chrestiens il y a treize cens ans aymoyent et desiroyent que l'on dressast des croix; et ne sçai comme on pourra appointer ce traitteur avec Calvin et les autres novateurs, car luy dit d'un costé que du tems de Constantin il y avoit corruption en l'Eglise, et Calvin avec les autres tiennent que l'Eglise a esté pure jusques presque au tems de Gregoire le Grand.

  A002000475 

 J'ay donq prouvé, non seulement que ce traitteur est ignorant d'avoir dit que Constantin estoit le premier qui avoit dressé des croix en matiere subsistante, mays encor, que l'erection des croix a esté prattiquee entre les plus anciens Chrestiens, car nous n'avons pas de gueres plus anciens autheurs que Justin et Tertullien.

  A002000482 

 Ce n'est donq pas ce que le traitteur disoit, que les images de la Croix furent seulement faittes du tems de Constantin, et qu'encores de ce tems la et long [111] tems apres on n'y adjoustoit point de Crucifix, car je ne vois pas qu'il puisse opposer a ceste authorité pour garantir la negative de fauseté et temerité..

  A002000482 

 Du despuys, un Juif print logis la dedans, et, sans avoir pris garde a ceste image, ayant invité un autre Juif a manger, il en fut extremement tancé, et quoy qu'il s'excusast de ne l'avoir pas veuë, il fut accusé et deferé comme mauvais Juif, ayant une image de Jesus de Nazareth; dont les principaux des Juifz, entrans dans la mayson ou estoit l'image, l'arracherent et la mirent en terre, puys exercerent sur elle toutes les semblables actions qui furent exercees sur Jesus Christ quand on le crucifia, jusques a luy bailler un coup de lance sur l'endroit du flanc.

  A002000482 

 Je ne sçay qui peut esmouvoir cest homme a faire ceste observation, car que peut-il importer que l'on ait fait des croix simples plustost que des images du Crucifix, puysqu'aussi bien c'est chose toute certaine qu'on ne dresse pas des croix sinon pour representer le Crucifix? mais avec cela, ceste observation est du tout fause, digne d'un homme qui mesprise l'antiquité.

  A002000483 

 « Par ce, » dit-il, « que chacun ne connoist pas les lettres ni ne s'addonne a la lecture, nos Peres ont advisé ensemble que ces choses, c'est a dire les misteres de nostre foy, nous fussent representés comme certains trophees es images pour soulager et ayder nostre memoire; car bien souvent, ne tenans pas par negligence la Passion de Jesus Christ en nostre pensee, voyans l'image de la crucifixion de Nostre Seigneur nous revenons a souvenance de la Passion du Sauveur, et nous prosternans nous adorons, non la matiere, mays Celuy qui est representé par l'image.

  A002000483 

 » L'image donques du Crucifix estoit, desja de ce tems-la, receuë [112] comme authorisee d'une fort ancienne coustume; d'ou vient donques ceste opinion au traitteur, de dire qu'anciennement l'on ne joignoit pas le Crucifix a la Croix, et quel interest a-il en cela sinon d'assouvir l'envie qu'il a de contredire a l'Eglise Catholique? L'image du Crucifix est autant recevable que celle de la Croix..

  A002000484 

 Et ne fut pas une petite consolation a ce grand capitaine et a ses gens, de voir ceste marque de Christianisme en un lieu qui de tems immemorable avoit esté privé de l'Evangile..

  A002000485 

 En ce cas, la croix ne sert pas de croix de ce costé-la (elle en a servi du costé du crucifix), elle sert comme de tableau; aussi ne peint-on pas Nostre Dame en crucifix, ni aucun autre Saint avec Nostre Seigneur..

  A002000485 

 Ou bien il parle de quelques croix ou peut estre il aura veu au dos du Crucifix quelque image de Nostre Dame, et lhors il aura grand tort de [113] vouloir tirer en consequence contre nous la diversité des volontés des graveurs et peintres, ou de ceux qui font faire les croix; car, a la verité, ceste façon de crucifix n'est gueres usitee en l'Eglise; si ne veux-je pas dire pourtant qu'il y ayt aucun mal en cela.

  A002000486 

 Certes, on trouve presque par tout en l'Evangile ou il est parlé de Nostre Dame, qu'elle estoit avec son Filz et auprès d'iceluy, et sur tout en sa Passion; ce ne seroit donq pas hors de rayson de la peindre encores aupres de luy en la Croix, non ja comme crucifiee pour nous, mays comme [114] celle de laquelle on peut dire, beaucoup plus proprement que de nul autre: Christo confixa est Cruci: Elle est clouee a Jesus Christ en la Croix.

  A002000486 

 Nostre Dame ne fut pas crucifiee, mays elle estoit bien sur la Croix quand son Filz y estoit, car la ou est le thresor d'une personne la est son cœur, et l'ame est plus la ou elle ayme que la ou elle anime.

  A002000493 

 Pyrrho n'entendroit rien au prix de ce traitteur; toute sa doctrine consiste a rendre toutes choses douteuses et esbranlees, il ne se soucie pas d'establir autre que l'incertitude; certes, il ne nie pas que ceste apparition ne soit probable, mays il veut aussi qu'elle soit probablement fause..

  A002000494 

 Or, quant a Zosimus, je ne sçai comme il l'ose produire en ceste cause ici contre tous les autheurs chrestiens; car premièrement, Zosimus est tout seul et ne peut point faire de pleine preuve; secondement, il ne nie pas ceste apparition mays seulement il s'en tait; tiercement, il est suspect, car il estoit ennemy de la Croix; quartement, encor qu'il fust exact rechercheur des faitz de Constantin, il ne l'estoit pas toutefois des merveilles de Dieu.

  A002000494 

 Qui ne sçait les sottises que les historiens payens, apres Tacitus et autres, ont imposees aux Chrestiens avec leur teste d'asne? Je vous laisse a penser s'ilz se sont espargnés a se taire en nos advantages et prerogatives, puysqu'ilz ne se sont pas espargnés a dire des fables et faire des contes pour honnir et vituperer le Christianisme.

  A002000496 

 » S'il eust cotté les autheurs et les defautz, quoy que c'eust esté sortir hors du chemin de mon affaire, je me fusse essayé d'affranchir ce grand Empereur de ses iniques accusations; et certes, je sçay bien en partie ce qui se pourrait dire pour charger Constantin de quelques imperfections, mais je ne veux pas faire accroire au traitteur qu'il soit plus sçavant que je le vois, ni presupposer qu'il en sçache plus que ce qu'il en dit, car je [119] le vois si passionné en cest endroit, que s'il eust sceu quelque chose en particulier il l'eust bien fait sonner..

  A002000497 

 Quartement, que ce ne fut pas une seule fois que ceste Croix apparut a Constantin, mays deux fois, a sçavoir, de jour en plein midi et de nuit encor.

  A002000497 

 Que si cela n'est pas approuver l'usage de la Croix, il n'y aura rien d'approuvé.

  A002000505 

 L'interpretation qu'on y veut apporter, de dire que lhors apparoistra le signe du Filz de l'homme, c'est a dire le Filz de l'homme mesme, qui par sa majesté se fera regarder de toutes partz comme une enseigne, est trop forcee et estiree; on voit a l'œil qu'elle ne sort pas ni ne coule des motz et paroles de l'Escriture, mais d'un prejugé auquel on veut accommoder les saintes paroles; c'est une conception qui ne suit pas l'Escriture, mais qui la veut tirer apres soy.

  A002000513 

 Le traitteur n'ose pas nier que l'image de la Croix n'ayt esté en ordinaire usage parmi les anciens Chrestiens.

  A002000514 

 Que pourroit-on mieux dire a la Catholique? et que disons-nous autre sinon qu'il faut honnorer la Croix pour la protestation de nostre foy, qu'il la faut decorer d'autant plus que ses ennemis la mesprisent, qu'il la faut apposer en toutes choses et en tous lieux comme une marque honnorable, qu'elle honnore plus et, par consequent, est plus honnorable que tous les diademes et couronnes, qu'il la faut mettre sur les couronnes et sceptres, que c'est un arbre beau et luisant orné de la pourpre du Roy et plus resplendissant que les astres? Et qu'ay-je protesté cy devant sinon qu'il ne faut rien attribuer a la seule Croix et au seul signe d'icelle, qu'elle ne vaut sinon comme outil sacré et saint instrument de la vertu miraculeuse de Dieu, que la Croix n'est rien si elle n'est Croix de Jesus Christ, que sa vertu ne luy est pas adherente mais assistante, c'est a sçavoir, Dieu mesme? Si Constantin a surmonté en la Croix, suivant la divine inscription, In hoc signo vinces, ç'a esté par Jesus Christ agent principal et premier; s'il a surmonté par la Croix, ç'a esté en Jésus Christ comme en la vertu assistante de la Croix.

  A002000521 

 Ainsi jadis fut ordonné que les instrumens des contracts qui se passoient devant notaires publics devoient avoir le signe de la Croix, comme il en est parlé au livre du Code; et en pareilles choses politiques nous ne rejettons pas l'usage de la Croix materielle.

  A002000525 

 Mays avant toutes choses il me faudra monstrer briefvement que la Croix represente Jesus Christ crucifié et la Passion d'iceluy, affin que l'humeur ne luy prenne pas de refuser l'image de la Croix a cest usage, comme il a fait cy devant de la vraye Croix.

  A002000526 

 Chacun ne peut pas lire les livres sacrés, ni avoir tousjours le predicateur aux aureilles; ce donq que fait l'Escriture et le predicateur en tems et lieu, la Croix le fait en toutes sortes d'occasions, en la mayson, au chemin, en l'eglise, sur le pont, en la montaigne; ce nous est un familier et perpetuel record de la Passion du Sauveur.

  A002000526 

 Et pour commencer: « Bien souvent, » dit saint Jean Damascene, « ne nous ressouvenans pas (et ce par negligence) de la Passion de Jesus Christ, voyans l'image de la crucifixion d'iceluy nous revenons en memoire de sa Passion.

  A002000532 

 C'est une playsante fantasie que celle du traitteur quand il trouve bon que l'on employe la Croix es choses politiques, mays non pas es sacrees.

  A002000532 

 » Mays cela, n'est-ce pas un usage religieux? La confession et protestation de la foy n'est-ce pas une action purement Chrestienne? Et de fait, qui prendroit la croix politiquement, elle ne representeroit que mal heur et malediction; si donques l'usage de la Croix n'est que religieux, pour estre bon ou peut-il estre mieux employé qu'es choses sacrees? Si la Croix est bien seante devant les villes et maysons pour monstrer que les habitans de telz lieux font profession de Chrestienté, ne sera-elle pas mieux a propos es eglises et temples pour monstrer que ceux qui s'y assemblent font profession de Chrestienté, que ce sont lieux chrestiens et non mosquees turquesques?.

  A002000562 

 Celuy qui faisoit faire la croix, l'ayant trouvee plus [133] pesante, cuyda que cest apprentif eust changé ou alteré le fin or qu'il luy avoit baillé, et commençoit fort a se fascher; mais le garçon luy fit ceste vraye et sainte excuse, que n'ayant pas le moyen de faire une croix entiere du sien pour dedier a Dieu, il avoit au moins voulu employer ce peu qu'il avoit pour rendre plus belle et grosse celle qu'il luy avoit fait, et qu'au reste il n'y avoit que du fin or.

  A002000563 

 Constantin, dit le traitteur, faisant eriger une croix de bronze, « il ne la mit pas en un temple, car alors les temples de Rome servoient encores aux idoles payennes.

  A002000563 

 Et non seulement on ne la fuit pas, mays est desiree et aymee, chacun en fait conte, elle reluit par tout et est eparse es murailles des maysons, aux sommetz, es livres, es cités, es rues, es lieux habités et inhabités.

  A002000563 

 La coustume donques estoit d'avoir des croix es eglises, et sur tout des que l'Empire fut chrestienné sous Constantin, car au paravant on n'en avoit pas si grande commodité.

  A002000563 

 » C'est le dire du grand saint Chrysostome qui, pour vray, n'eust pas eu a faire un si grand denombrement des lieux et choses esquelles la Croix estoit employee, si de son tems l'Eglise eust esté formee sur le patron de la reformation des huguenotz. Pourroit-on bien dire de Geneve, la Rochelle et autres telles villes ce que saint Chrysostome dit de l'Eglise de son tems? Nous n'y voyons aucune croix erigee ni aux portes de ville, ni devant les maysons, chasteaux, forteresses, contratz, testamentz: au contraire, on les a renversees, effacees autant que l'on a peu.

  A002000564 

 Ce n'est pas donq de nostre aage ni des hier que les choses sont allees si avant que la Croix a esté mise es temples, comme semble vouloir dire le traitteur.

  A002000571 

 Qu'advint-il? La contagion environne de toutes pars la cité, mais arrivant justement jusques au lieu ou la procession avoit esté, comme si elle eust veu la les bornes et limites de son pouvoir, non seulement elle n'osa pas entrer dedans, mais encor ce qui estoit des-ja d'infection fut par ce moyen repoussé: saint Gregoire de Tours, qui vivoit il y a pres de mill'ans, en est mon autheur.

  A002000572 

 Ainsy elle reluit en la Table sacree, ainsy en l'ordination des prestres, ainsy encor de rechef es Cenes mistiques avec le Cors de Jesus Christ; on la void celebrer par tout... » Qui ne void donq combien expressement saint Augustin et saint Chrysostome tesmoignent que la Croix estoit employee a tout, et sur tout es choses saintes et sacrees, qui n'estoyent pas estimees pour telles si elles n'estoyent signees de la Croix.

  A002000572 

 Partant, portons avec grande affection la Croix au dedans des maysons et es murailles (vous voyes qu'il parle du signe et image de la Croix), et es fenetres, et au front encores, et en l'esprit, car cela est le signe de nostre salut... » Et peu apres, parlant encores de la Croix, il dit ainsy: « Laquelle il ne faut pas simplement former avec le doigt au cors, mays premierement en l'esprit avec une grande foy; car si tu l'imprimes en ceste sorte en ta face, pas un des meschans demons, voyant la lance par laquelle il a receu la playe mortelle, ne t'osera attaquer.

  A002000572 

 » C'est le tesmoignage de saint Augustin, car jaçoit que ce sermon ne fust pas de saint Augustin, comme respond le traitteur (chose certes tres mal aysee a prouver contre le propre tiltre et inscription), si est-ce que ce point ici est de saint Augustin, car il dit tout le mesme en ses Traittés sur saint Jean qui sont indubitablement siens.

  A002000573 

 Je sçay qu'il y a plusieurs pointz en ce que j'ay dit qui se rapportent au simple signe de la Croix, mays il y en a beaucoup qui ne peuvent estre entenduz que de la croix faitte en matiere subsistante, comme quand il est dit que on mettoit la Croix es maysons, murailles, fenestres, en la Table sacree, et qu'avec le caractere d'icelle on dedioit les basiliques: or je n'ay pas osé separer ce que mes autheurs avoyent conjoint..

  A002000575 

 Mais que peut tout cela contre les images de la Croix et du Crucifix qui representent au vray la Passion de Nostre Seigneur, ainsy qu'elle est descritte en l'Evangile? Si un evesque trouvoit dans quelque eglise de sa charge l'image d'un Crucifix qui representast Nostre Seigneur non cloué mais attaché avec des cordes sur la croix, comme l'on voit par la faute des peintres, en plusieurs images, le bon et le mauvais larron penduz en ceste sorte, feroit-il pas son devoir de dechirer et rompre telle image? et faudroit-il dire pourtant qu'il rejettast l'usage des images propres et bien faittes?.

  A002000576 

 Je dis secondement, que la defense du Concile Elibertin, selon la portee de la rayson laquelle y est alleguee, ne s'estend pas aux images mobiles, mays a celles seulement qui sont peintes en et sur les murailles, et ne serait a l'adventure pas mal que telle defense fust observee parce que telles images sont sujettes a se gaster, desfaire et effacer, non sans quelque mespris de leur saint et sacré usage, qui est la rayson du Concile disant: « Ne quod colitur aut adoratur in parietibus depingatur: Affin que ce qui est honnoré ou adoré ne soit peint es murailles.

  A002000576 

 » Troisiesmement, je dis que puysqu'on ne peut pas sçavoir le propre et particulier motif de ce Concile, et qu'il n'estoit que provincial et de dix-neuf evesques seulement, il n'est raysonnable de le vouloir rendre [145] opposant au general consentement et a la coustume de l'Eglise ancienne qui recevoit les images aux eglises, comme j'ay prouvé cy devant.

  A002000581 

 Et saint Basile, beaucoup plus ancien, parlant de Jesus Christ, de sa Mere, de ses Apostres, Prophetes et Martyrs, il dit qu'il « honnore les histoires de leurs images et qu'il les adore tout ouvertement, car, » dit-il, « cecy estant baillé par les saintz Apostres, il ne le faut pas defendre, mays en toutes nos [148] eglises, nous dressons leurs histoires.

  A002000581 

 « Quand il est question de reformer les desordres, il faut ensuivre le dire de Jesus Christ en sainct Matthieu, chap. 19: Il n'estoit pas ainsi au commencement.

  A002000581 

 » C'est un discours du traitteur, auquel je responds en ceste sorte: si lhors que l'Eglise estoit pure, au commencement, on a fait le signe de la Croix, on l'a dressee, saluee et honnoree, c'est tres mal fait d'avoir introduit la presomption (qui ne se peut bonnement appeller reformation) d'abattre, mespriser et deshonnorer le signe de la Croix; certes, au commencement on ne faisoit pas ainsy.

  A002000631 

 Mays a quoy, je vous prie, visoit la bravade que les payens faisoyent aux Chrestiens, recitee par Minutius Felix au huitiesme Livre joint a ceux d'Arnobe: « Voicy des supplices pour vous, et des tormens et des croix, non plus pour adorer mays pour souffrir »? n'estoit-ce pas une presupposition de l'honneur que les Chrestiens faisoyent a la Croix qui leur faisoit avancer ces parolles: Ecce vobis supplicia, tormenta, et jam non adorandæ sed subeundæ cruces? En voyla bien asses pour convaincre le traitteur, qui a bien osé dire que du tems de la pure et primitive Eglise on n'a dressé ni veneré la Croix, ou bien, qui revient tout en un, qu'il ne luy faut porter aucun honneur religieux; car, a quel autre honneur se peut rapporter ce que j'ay produit jusques icy? [153].

  A002000638 

 item, Crucem tuam adoramus Domine, c'est à dire, Seigneur nous adorons ta Croix; qui sont propos blasphematoires, car c'est Jesus Christ à qui telle priere doit estre faite et dressee, c'est Jesus Christ qui est le Fils lequel doit estre baisé et non pas le bois de sa Croix... mais d'autant que l'Eglise Romaine s'addresse à la croix materielle, il appert que c'est idolatrie insupportable.

  A002000649 

 Et n'a pas esté seulement appellee la Croix aoree, c'est à dire adoree, mais aussi le Vendredi a esté dict Aoré, c'est à dire adoré, à cause de l'adoration de la Croix de ce jour-là... 7.

  A002000651 

 Ilz trouvent mauvais que l'on parle a la Croix, qu'on la salue, et beaucoup plus qu'on l'invoque, puysqu'elle n'a ni sentiment ni entendement; mais a ce conte il se faudroit moquer des saintz Prophetes, qui en mille endroitz ont addressé leurs paroles aux choses insensibles: O Cieux jettes la rosee d'en haut, et que les [156] nues pleuvent le Juste, que la terre s'ouvre et qu'elle germe le Sauveur; O cieux, oyes ce que je dis; J'invoque a tesmoins le ciel et la terre; Benisses, soleil et lune, le Seigneur; Loues-le, soleil et lune; Qu'as-tu, o mer, qui te fasse fuir, et toy, o Jordain, que tu sois retourné arriere? Saint André ne vit pas si tost la croix en laquelle il devoit estre crucifié qu'il s'escrie saintement: « O bonne Croix qui as receu ton ornement des membres de mon Seigneur, long tems desiree, soigneusement aymee, cerchee sans relasche, et en fin preparee a mon esprit desireux, reçois-moy d'entre les hommes et me rends a mon Maistre, affin que celuy-la me reçoive par toy, qui par toy m'a racheté.

  A002000657 

 Quand Josué demande au soleil qu'il cesse son mouvement, c'est prier Dieu qu'il l'arreste; quand nous demandons a la Croix qu'elle pardonne aux pecheurs, c'est prier le Crucifié qu'il nous pardonne par sa Passion; et si les paroles semblent mal addressees quant a leur propre signification, elles sont neanmoins redressees par l'intention de ceux qui les proferent, et n'y a aucune messeance, parce que ces façons de parler sont ordinaires, familieres et bien entendues de ceux qui ne sont pas chicaneurs et mal affectionnés..

  A002000658 

 Ce n'est pourtant pas pour absurdité que j'estime estre en l'estoffe de ceste rime-la que j'en parle ainsy, car elle ne contient rien qui n'aye une bonne intelligence, comme il appert asses de ce que j'ay dit cy devant..

  A002000658 

 Ne sçait-il pas qu'on [159] ne parle pas françois a Rome, et sur tout es offices? La mesdisance n'a soin que de parler, il ne luy chaud de sçavoir comment.

  A002000658 

 Or veut-il faire passer ceste calomnie sous corde, parce que bien souvent les libraires joignent avec les Heures en un mesme volume plusieurs traittés et oraisons, bien souvent mal a propos, sans congé ni rayson; mays luy qui ose bien censurer les œuvres de saint Augustin, et en rejetter plusieurs pieces comme n'ayans le style et la gravité assortissante aux autres, quoy qu'elles soyent comprises sous le mesme tiltre, n'a-il pas conneu que ces rimes françoises et autres telles oraisons ne sont pas des appartenances de l'office et des Heures de Rome? Il est sot s'il ne l'a consideré, il est imposteur s'il l'a consideré.

  A002000659 

 Si ne veux-je pas dire que la substance de ces devotions soit mauvaise; il y a, a l'adventure, quelques circonstances plustost legeres que vicieuses, mays c'est une vanité intolerable d'aller a la recherche de ces pointilles au milieu d'une dispute serieuse.

  A002000659 

 Une sottise ne laisse pas d'estre telle pour estre imprimee, ou attachee au bout de quelques beaux livres.

  A002000665 

 C'est donq une chicanerie estrange d'appeller cela idolatrie, puysque tout l'honneur en revient a Jesus Christ, qui n'est pas un idole mais vray Dieu..

  A002000665 

 Je dis qu'on bayse asses par honneur le prince et le roy quand on bayse le bout de [162] son manteau ou de son sceptre, ains on ne bayse pas autrement les mains aux souverains que baysant leurs manteaux; l'honneur fait a telles appartenances se rapporte a ceux de qui elles sont.

  A002000665 

 Le traitteur et de Beze trouvent mauvais que nous disions, Crucem tuam adoramus Domine: Seigneur nous adorons ta Croix; car c'est le Filz qui doit estre baysé et non pas la Croix, disent-ilz.

  A002000665 

 Mays attendant de respondre encor plus au long au Livre quatriesme, je dis qu'il n'y a pas autre inconvenient d'adorer la Croix aux Chrestiens, qu'aux Juifz l'Arche de l'alliance, comme j'ay monstré qu'ilz faisoyent, ci devant; ni de la bayser, que de bayser le bout de la verge de Joseph, comme fit Jacob selon la plus vraysemblable opinion, ou celle d'Assuerus, comme fit Hester selon la sainte parole.

  A002000667 

 Joseph fut appellé Sauveur, aussi fut bien Osee filz de Nun, mays ce mot n'eut pas tant d'estendue sur eux comme sur Nostre Seigneur.

  A002000669 

 En fin ce seroit bien en cest endroit ou auroit lieu la distinction tant prechee par le traitteur, de la croix tourment et de la croix instrument de tourment, car bien souvent, louant la Croix, on n'entend pas parler du seul bois ou signe de sa Croix, ains encores des tourmens et peynes que Nostre Seigneur a souffertz.

  A002000670 

 Je dis de plus que la rayson principale pour laquelle ce jour-la est appellé aoré, n'est pas l'adoration exterieure de la Croix, mais la sainteté de la mort du Sauveur, laquelle y est celebree, dont l'adoration exterieure n'est qu'une protestation..

  A002000671 

 « Le jour anniversaire revient qui represente la trois fois heureuse et vitale Croix de Nostre Seigneur, et la nous propose pour estre veneree, et nous fait chastes et nous rend plus robustes et promptz a la course de la carriere des saintes abstinences; nous, dis-je, qui d'un cœur sincere et avec levres chastes la venerons: nos qui sincero corde eam castisque labris veneramur. » Or sus donques, quel danger y a-il d'honnorer la Croix, la bayser, et de nommer le Vendredi aoré ou adoré, voire quand on le nommeroit ainsy pour l'adoration de la Croix qu'on fait ce jour-la? Pourquoy appelloit-on le jour de Pasque, Pasque, sinon parce qu'en iceluy se fit le passage du Seigneur, et de ce passage prit son nom et le jour et l'immolation laquelle s'y faisoit? Les jours prennent leur nom bien souvent de quelque action faite en [169] iceux; aussi le Vendredi peut estre dit aoré a l'occasion de l'adoration de la Croix faite en iceluy; mays comme on n'appelloit pas les tables, couteaux, nappes et autres appartenances de l'immolation de la Pasque du nom de Pasque, ainsy n'appelle-on pas aoré ni le lieu, ni l'estui, ni les doigtz, ni la main qui touchent la Croix, comme veut inferer le traitteur: la rayson est ouverte, parce que tout cela n'est pas dedié a la celebration de ceste action ou adoration comme le jour; mais le traitteur n'a ni regle ni mesure a faire des conséquences, pourveu qu'elles soyent contraires a l'antiquité ce luy est tout un..

  A002000687 

 Ce ne sont pas des contes de quelque vieille; Constantin asseura Eusebe de tout ceci, et Eusebe l'a despuys escrit, duquel j'ay presque suivi les propres paroles.

  A002000687 

 Un de ces porte-enseigne, se trouvant emmi une aspre et forte escarmouche, fut si poltron qu'il abandonna ce saint drapeau, et le remit a un autre pour se pouvoir sauver des coupz; il ne fut pas plus tost hors de la meslee et sauvegarde de la sainte enseigne, que le voyla transpercé d'une javeline au milieu du ventre, dont il meurt sur le champ.

  A002000689 

 » La rayson de leur retraitte est parce que, comme dit saint Cyrille, « quand ilz voyent la Croix ilz se resouviennent du Crucifix, ilz craignent Celuy qui a brisé la teste du dragon; » « et si la veuë seule d'un gibbet, » dit saint Chrysostome, « nous fait horreur, combien devons-nous croire que le diable ayt de frayeur quand il voit la lance par laquelle il a receu le coup mortel »? Je ne veux pas oublier a dire que parmi les barbares des Indes, long tems avant nostre aage, on trouva ceste marque de l'Evangile; nos croix y estoyent en diverses façons en credit, on en honnoroit les sepultures, on les appliquoit a se defendre des visions nocturnes et a les mettre sur les couches des enfans contre les enchantemens..

  A002000690 

 Il dit donq que le recit de Sozomene « estant confessé, « ne conclud pas qu'on doive adorer la croix materielle; car quand ils l'auroient adoree ou auroient fait chose non faisable, c'est chose resoluë qu'ils ne doivent [176] estre imitez.

  A002000690 

 » Voyla une objection bien extenuee; le discours de Sozomene est bien autre que cela, mais je l'ay desja recité ailleurs, et quoy que le traitteur se fasse beau jeu, si ne laisse-il pas d'estre bien empesché a respondre.

  A002000691 

 Apres ceste response le traitteur nous veut rejetter dessus nostre propre argument en ceste sorte: « La conclusion peut estre faite au contraire, assavoir, si la Croix doit estre adoree pource qu'elle fait miracle, il s'ensuit que la croix qui ne fait pas miracle ne doit estre adoree.

  A002000691 

 Ce n'est pas tant sanctifier et honnorer une chose de s'en servir a chose sainte, comme c'est la declairer sainte et honnorable.

  A002000691 

 Les prelatz qui font leur devoir sont dignes de double honneur; et, je vous prie, ceux qui ne font leur devoir doivent-ilz estre mesprisés? Au contraire saint Paul tesmoigne qu'on leur doit, ce nonobstant, honneur et reverence; la rayson est parce que leur bonne vie n'est pas la totale cause du devoir que l'on a de ces honneurs, mays la dignité du grade qu'ilz tiennent sur nous..

  A002000691 

 Si donq on me demande pourquoyj'honnore l'image de la Croix, j'apporteray ces deux raysons: parce qu'elle est une remembrance de Jesus Christ crucifié, et parce que Dieu fait bien souvent des merveilles par icelle, comme par un outil sacré; mais la premiere rayson est la principale et sert de rayson a la seconde, car la Croix ne represente pas la Passion parce que Dieu fait miracles par icelle, mais au contraire Dieu se sert plustost de la Croix pour faire des miracles que de plusieurs autres choses, parce que c'est l'image de sa Passion.

  A002000691 

 » Voyla pas une ignorance lourde? Le formel et premier fondement pour lequel la Croix est honnorable c'est la representation de Jesus Christ crucifié, que toutes les croix font autant l'une que l'autre; mays outre cela il y a des autres particulieres et secondes raysons qui rendent une croix plus honnorable et desirable que l'autre: si non seulement elle represente Nostre Seigneur, mays a esté touchee par iceluy ou par ses Saintz, ou a esté employee a quelque [177] œuvre miraculeuse, certes elle en sera d'autant plus honnorable, mays quand ni l'un ni l'autre ne se rencontreroit, l'image de la Croix ne laisseroit pourtant d'estre sainte a cause de sa representation.

  A002000692 

 Ainsy Constantin vit autour de la seule croix qui lui apparut au ciel ces motz: Surmonte par ce signe; mais cela ne s'entendoit pas seulement de la [180] croix particuliere qui estoit au ciel, ains encor des autres pareilles.

  A002000692 

 Hé pour Dieu, nos anciens Peres, arboristes spirituelz, nous descrivent la Croix pour un arbre tout pretieux, propre a la guerison et remede de nos maux, et sur tout des diableries et enchantemens; ilz nous font foy de plusieurs [179] asseurees experiences et preuves qu'ilz en ont faites: pourquoy ne priserons-nous toutes les croix, qui sont arbres de mesme espece et sorte que celles qui firent jadis miracle? pourquoy ne les jugerons-nous de mesme qualité et proprieté puysqu'elles sont de mesme forme et figure? Si ce n'est pas a tout propos et indifféremment que la Croix fait miracle, ce n'est pas qu'elle n'ait autant de vertu en nos armees qu'en celle de Constantin, mais que nous n'avons pas tant de disposition qu'on avoit alhors, ou que le souverain Medecin qui applique cest arbre salutaire ne juge pas expedient de l'appliquer a tel effect; mais c'est sans doute, qu'ayant tous-jours une mesme forme de representer la Passion, elle a tous-jours aussi une mesme vigueur et force autant qu'il est en soy.

  A002000692 

 Pline et Mathiole nous descrivent une herbe propre contre la peste, la colique, la gravelle, nous voyla a la cultiver pretieusement en nos jardins; peut estre neanmoins que de mille millions de plantes de ceste espece la, il n'y en aura pas trois qui ayent fait les operations que ces autheurs nous en promettent: nous les prisons donq toutes parce qu'estans de mesme sorte et espece que les trois ou quattre qui ont fait operation, elles sont aussi de mesme valeur ou qualité.

  A002000693 

 C'est grand cas que cest homme trouve estrange que nos exorcistes ne chassent pas tous-jours les diables des cors, et ne voudroit pas qu'on [181] trouvast estrange que les ministres n'en chasserent jamais un seul.

  A002000693 

 Cependant, Picard que vous appelles saint par moquerie, l'estoit a bon escient pour le zele qu'il avoit au service de Dieu; la Sorbonne vous desplait tous-jours, aussi est-ce un arsenal infallible contre vos academies. Et n'est pas vray que les croix de Rome soyent plus saintes que les autres, comme vous dites en gossant, car elles n'ont point d'autre qualité que celles des autres provinces, ni ne sont le siege de la sainteté plus que les autres; leur sainteté c'est le rapport qu'elles ont a Jesus Christ, lequel elles representent ou qu'elles soyent, et ne sont point le siege du Pape (duquel sans doute vous avies envie de parler, o petit traitteur, si un peu de [182] honte de sortir ainsy hors de propos ne vous eust retenu pour ce coup), du Pape, dis-je, lequel estant appellé Sainteté pour l'excellence de l'office qu'il a au service de Jesus Christ en l'Eglise, se tient neanmoins pour bien honnoré d'honnorer le seul signe de ceste premiere, absolue et souveraine Sainteté qui est Jesus Christ crucifié.

  A002000693 

 Mais quant aux exorcismes « du tant sainct et renommé docteur Picard et autres Sorbonistes » ou du « moine de sainct Benoist mené à Rome par le cardinal Gondy » qui ne peurent sortir leur effect, ainsy que dit le traitteur, ce n'est pas grand' merveille; l'oraison de saint Paul ne valut rien moins pour n'avoir obtenu le bannissement de cest esprit charnel; l'oraison obtient les miracles, mais non pas tousjours ni infalliblement, et ne faut pour cela mespriser sa vertu.

  A002000700 

 Est-il raysonnable que ce traitteur qui, a plusieurs passages de saint Augustin, ne respond autre sinon que les livres allegués ne sont pas de saint Augustin, sans autre rayson sinon qu'Erasme et les docteurs de Louvain l'ont ainsy jugé, est-il raysonnable, dis-je, qu'il soit receu a produire un huitiesme livre d'Arnobe Contre les Gentilz, puysque c'est chose asseuree qu'Arnobe n'en a escrit que sept? A l'adventure que le traitteur ne sçavoit pas ceci; mais un homme si aigre et chagrin a censurer les autres, ne peut estre excusé par l'ignorance, laquelle ne sert qu'aux humbles.

  A002000700 

 » Je viens de rencontrer ceste mesme objection en Illyricus au livre X du Catalogue des tesmoins de la verité pretendue, qui est, ce me semble, le lieu ou ce traitteur l'a puisee; mays il ne la couppe pas du tout si courte que cestuy-cy.

  A002000701 

 Mais je dis en second lieu, que quand ce huitiesme Livre seroit d'Arnobe, si ne faudroit-il pas l'entendre si cruement et dire que les Chrestiens de ce tems-la ne desirassent ni n'honnorassent les croix en aucune façon.

  A002000701 

 Ne les mettons pas en ces dissentions, baillons a leur dire un sens commode par lequel ilz ne s'offensent point les uns les autres, accommodons-les ensemble s'il se peut faire, et demeurons avec eux; c'est la vraye regle de bien lire les Anciens..

  A002000701 

 « Arnobe, » dit Illyricus, « vivoit environ l'an 330 »: environ ce tems-la vivoyent Constantin le Grand, saint Athanase, saint Anthoine, saint Hilarion, Lactance Firmien; un peu auparavant vivoyent Origene, Tertullien, Justin le Martyr; un peu apres, saint Chrysostome, saint Hierosme, saint Augustin, saint Ambroise, saint Ephrem: Constantin fait dresser des croix pour se rendre aggreable aux Chrestiens, et les rend adorables a ses soldatz; saint Athanase proteste que les Chrestiens adorent la Croix, et que c'est un pregnant remede contre les diables; saint Hilarion l'employe contre les desbordemens de la mer; Lactance, disciple d'Arnobe, fait un chapitre tout entier de la vertu de la Croix; Origene exhorte qu'on s'arme de la sainte Croix; Tertullien confesse que les Chrestiens sont religieux de la Croix, autant en fait Justin le Martyr; saint Chrysostome en parle comme nous avons veu, et saint Ephrem aussi; saint Ambroise asseure qu'en [187] ce signe de Jesus Christ gist le bon heur et prosperité de tous nos affaires; saint Hierosme loüe Paula prosternee devant la Croix; saint Augustin tesmoigne que ceste Croix est employee en tout ce qui concerne nostre salut: n'ay-je pas donq rayson de dire ce que saint Augustin dit a Julien, qui alleguoit saint Chrysostome contre la croyance des Catholiques: Itane, dit-il, ista verba sancti Joannis Episcopi audes tanquam e contrario tot taliumque sententiis collegarum ejus opponere, eumque ab illorum concordissima societate sejungere et eis adversarium constituere? Sera-il donq dit, petit traitteur, qu'il faille apposer ces paroles d'Arnobe « comme contraires a tant et de telles sentences de ses collegues, et le separer de leur tres accordante compaignie, et le leur constituer ennemy et adversaire »? Pour vray, si Arnobe vouloit que la Croix ne fust aucunement ni desiree ni honnoree, il desmentiroit tous les autres; si au contraire les autres Peres vouloyent que la Croix fust desiree et honnoree de toute sorte d'honneur et en toute façon, ilz desmentiroyent Arnobe, ou l'autheur du Livre que le traitteur luy attribue.

  A002000702 

 Arnobe, visant a l'intention des accusateurs plus qu'a leurs paroles, nie tout a fait leur dire: « Nous ne desirons pas, » dit-il, « les croix ni ne les honnorons; » cela s'entend en la sorte et qualité que vous cuides et selon le sens de vostre accusation.

  A002000702 

 Au rebours, la Croix n'a pas esté desiree ni honnoree comme une divinité ou comme les idoles, ce qui n'est point contraire a ce qu'ont dit les Anciens.

  A002000703 

 Si ne veux-je pas laisser a dire quel est l'autheur de ce huitiesme Livre que le traitteur a cité, qui est certes [189] digne de respect, car c'est Minutius Felix, advocat romain, lequel en cest endroit imite, voire mesme presque es paroles, Tertullien et Justin le Martyr, ne se contentant pas d'avoir respondu que les Chrestiens n'adoroyent ni ne desiroyent les croix a la façon qu'entendoyent les payens, mays par apres fait deux choses: l'une, c'est qu'il rejette l'accusation des Gentilz sur eux mesmes, monstrant que leurs estendars n'estoyent autre que des croix dorees et enrichies, [et que] leurs trophees de victoire non seulement estoyent des simples croix mays representoyent en certaine façon un homme crucifié: Signa ipsa et cantabra et vexilla castrorum, quid aliud quam auratæ cruces sunt et ornatæ? trophæa vestra victricia non tantum simplicis crucis faciem verum et affixi hominis imitantur; l'autre chose qu'il fait c'est de monstrer que le signe de la Croix est recommandable selon la nature mesme, alleguant que les voyles des navires et les jougz estoyent faitz en forme de croix, et qui plus est, que l'homme levant les mains au ciel pour prier Dieu representoit la mesme croix; puys conclud en ceste sorte: Ita signo crucis aut ratio naturalis innititur, aut vestra religio formatur. Tant s'en faut donques que Minutius rejette la Croix ou son honneur, sinon comme nous avons dit, qu'au contraire il l'establit plustost; mais le traitteur, qui n'a autre souci que de faire valoir ses conceptions a quel prix que ce soit, n'a pris qu'un petit morceau du dire de cest autheur qui luy a semblé propre a son intention.

  A002000704 

 Cependant que nous avons combattu pour Arnobe et soustenu qu'il n'a pas mesprisé la Croix, faisons luy en dire a luy mesme son opinion.

  A002000704 

 » Quelqu'un pourra dire que ces commentaires ne sont pas d'Arnobe le rhetoricien, mais il n'aura pas rayson de le dire.

  A002000708 

 L'eschappatoire ordinaire des huguenotz, de demander quelque passage expres en l'Escriture pour recevoir quelque article de creance, semble demeurer encor en main au traitteur, car il me dira: Ou est-il dit qu'il faille honnorer les images de la Croix et qu'elle ait les vertus que vous luy attribues? J'ay des-ja respondu au commencement du premier Livre, mays maintenant je dis, premierement, qu'on n'est pas obligé de faire voir expres en l'Escriture commandement de tout ce que l'on fait.

  A002000708 

 Me sçauroit-on monstrer qu'il faille avoir en honneur et respect le Dimanche et le tenir pour saint plus que le Jeudi? Item l'Eucharistie, si elle n'est autre qu'une simple commemoration de la Passion, comme presupposent les Reformés: on trouvera bien qu'il faut [192] s'esprouver soy mesme et ne la manger pas indignement, mais qu'il y faille aucun honneur exterieur, ou me le monstrera-on? Et pourquoy, je vous prie, aura-on plus de credit a brusler et briser les croix, les appeller idoles et sieges du diable, qu'a les dresser, honnorer et appeller saintes, pretieuses, triomphantes? car si cecy n'est escrit cela l'est encor moins.

  A002000709 

 Je dis, avec Nicephore Constantinopolitain, qu'il est [193] commandé d'honnorer la Croix « la ou il est commandé d'honnorer Jesus Christ; d'autant que l'image est inseparable de son patron, n'estant l'image et le patron qu'une chose, non par nature mais par habitude et rapport, et que l'image a communication avec son patron, de nom, d'honneur et d'adoration, non pas a la verité egalement mais respectivement.

  A002000709 

 » La verge de Moyse, d'Aaron, l'Arche de l'alliance et mille telles choses, ne furent-elles pas tenues pour saintes et sacrees et par consequent pour honnorables? ce n'estoyent toutefois que figures de la Croix; pourquoy donq ne nous sera honnorable l'image de la Croix? Disons ainsy: n'est-ce pas avoir en honneur une chose, de la tenir pour remede salutaire et miraculeux en nos maux? mais quel plus grand honneur peut-on faire aux choses que de les avoir en telle estime et recourir a elles pour telz effectz? or, les premiers et plus affectionnés Chrestiens avoyent ceste honnorable croyance de l'ombre de saint Pierre, neanmoins leur foy est loüee et ratifiee par le succes et par l'Escriture mesme, et cependant l'ombre n'est autre qu'une obscurité confuse et tres imparfaitte image et marque du cors, causee non d'aucune reelle application, mais d'une pure privation de lumiere.

  A002000710 

 Car l'idolatrie n'est pas de ce genre de choses dont on puisse dire: corrigez l'abus et retenez l'usage, d'autant qu'en quelque sorte qu'on prenne l'idole, elle ne vaut rien.

  A002000710 

 Icelui avoit esté basti par le commandement de Dieu, pourtant ce n'estoit pas une idole, car, combien que par la Loy generale Dieu eust defendu de faire image de chose qui fust au ciel, en la terre, ni és eaux sous la terre, si est-ce que n'estant astreint à sa Loy ains estant au dessus d'icelle, il a peu dispenser, comme de faict il a dispensé lui-mesme de sa Loy, et a commandé de faire ce serpent qui a esté figure de l'exaltation de Jesus Christ eslevé en croix, comme lui-mesme le tesmoigne en sainct Jean, chap. 3.

  A002000712 

 II. Vous dites que le commandement de faire ce Serpent d'airain a esté une dispense du commandement prohibitif de faire images; donques, de faire des images n'est pas idolatrie, ni les images ne sont pas idoles, car l'idolatrie est mauvaise en toute façon et est impossible qu'elle puisse estre loysible, « d'autant qu'en quelque sorte qu'on prenne l'idole, elle ne vaut rien.

  A002000713 

 Donq, avoir des images hors et outre l'Escriture n'est ni idolatrie ni superstition; et ne soyes pas si effronté de dire que la conservation et garde du Serpent d'airain fut superstition, car vous accuseres de connivence, lascheté et irreligion les plus saintz et fervens serviteurs que Dieu ayt eu en Israël, Moyse, Josué, Gedeon, Samuel, David, sous l'authorité et regne desquelz ceste image a esté transportee et conservee tant d'annees outre le tems pour lequel Dieu l'avoit commandee.

  A002000713 

 Item, que n'ayant esté dressé (quant a ce que porte le seul texte de l'Escriture) sinon affin qu'il fust remede a ceux qui estoyent morduz des serpens au desert, il ne laissa pas d'estre soigneusement conservé en la terre de promission parmi le peuple d'Israël, avec une honnorable memoire, l'espace d'environ 735 ans, comme vous dites.

  A002000713 

 Ne touchoit-il pas a eux de la lever si c'eust esté mal fait de la garder hors l'usage pour lequel elle avoit esté faite? ces espritz si roides et francz au service de leur Maistre, eussent-ilz dissimulé ceste faute? Item, que n'aves-vous remarqué que ceste image n'eust pas esté conservee si longuement si on n'en eust eu quelque conception honnorable? quelle rayson y pouvoit-il avoir de la retenir, ni pour sa forme ni pour sa matiere? Certes, elle ne pouvoit avoir autre rang que d'un recommandable et sacré memorial du benefice receu au desert, ou d'une sainte representation du mistere futur de l'exaltation du Filz de Dieu, qui sont deux usages religieux et honnorables, mays beaucoup plus propres a l'image de la Croix, qui sert de remembrance du mistere passé de la crucifixion et du mistere a advenir du jour du jugement.

  A002000713 

 » Que n'aves-vous aussi bien remarqué, pour vostre edification, que quoy qu'il n'en soit parlé en l'Escriture, si ne laissoit-ilz pas d'estre gardé et conservé pretieusement, mais qu'ayant esté fait hors et bien loin de la terre de promission il ne fut pas laissé ou il fut fait, mais fut transporté avec les autres meubles sacrés.

  A002000714 

 Ceux qui nous reprochent les idolatries ne sont pas des Ezechias, ce sont les racleures du peuple et des monasteres, gens passionnés qui osent accuser d'adultere la Susanne que le vray Daniel a mille fois prononcee innocente [200] en la Sainte Escriture.

  A002000714 

 Dont nous concluons au rebours de ce que vous aves fait, petit traitteur: si les saintes images en general, et specialement celle de la Croix, sont dressees par l'ordonnance de l'Eglise et par consequent de Dieu, quoy que vituperees par l'outrecuidance et defiance des hommes (qui ont cuidé que Dieu ne les pouvoit ni voir ni ouÿr sinon qu'ilz eussent renversé telles images), voire des images receües despuys un tems immemorable, combien doivent-elles estre retenues et conservees? Ezechias fit bien d'abattre le Serpent d'airain parce que le peuple idolatroit en iceluy; Moyse, Josué, Gedeon, Samuel et David firent bien de le retenir pendant que le peuple n'en abusoit pas: or l'Eglise, ni les Catholiques par son consentement, n'abusa onques de la Croix ni autres images; il les faut donques retenir.

  A002000714 

 En ce qu'anciennement l'encensement estoit tant conditionné qu'il [199] falloit qu'il fust offert par les Prestres et Levites, et qu'il fust bruslé sur le feu de l'autel au seul Temple de Hierusalem, ou estoit l'autel du parfum destiné a cest usage; ailleurs il n'estoit pas loysible, comme vous confesses vous mesme: Nadab et Abiu se trouverent mal d'avoir fait autrement.

  A002000714 

 Ni ne faut mettre en conte l'abus qui peut arriver chez quelque particulier; cela ne touche point a la cause publique, il n'est raysonnable d'y avoir esgard au prejudice du reste: le moyen de redresser l'usage de la Croix ne git pas a la renverser, mais a bien dresser et instruire les peuples.

  A002000721 

 Consalve Fernand escrit en une sienne lettre que les Chrestiens avoyent dressé une croix sur un mont du Japon; trois des principaux Japonois la vont coupper; ilz n'ont pas plus tost achevé que, commençans a s'entrebattre, deux demeurent mortz sur la place et ne sçeut-on onques que devint le troisiesme..

  A002000722 

 Quelques trouppes françoises vindrent ces annees passees sur les frontieres de nostre Savoye, en un village nommé Loëtte, et y avoit en ces compagnies quelques huguenotz meslés, selon le malheur de nostre aage; quelques uns d'entre eux entrent dans l'eglise un Vendredi pour y bauffrer certaine fricassee, quelques autres de leurs compagnons, mays Catholiques, leur remonstroyent qu'ilz les scandalisoyent et que leur capitaine ne l'entendoit pas ainsy.

  A002000724 

 L'autre est celle que dit saint Athanase, d'autant que si quelques payens, ou huguenotz, nous reprochoyent l'idolatrie comme si nous adorions le bois, nous separerions aysement les pieces de la Croix, et ne les honnorans plus on connoistroit que ce n'est pas pour la matiere que nous honnorons la Croix, mays pour la representation et remembrance; ce qu'on ne peut faire de la creche, lance et sepulchre, et autres telles choses, lesquelles neanmoins, estans employees expressement a la representation des saintz misteres, ne doivent pas estre privees d'honneur.

  A002000724 

 Mais ceste image de Cesaree, outre la representation, estoit une relique pretieuse de ceste devote femme, un memorial d'antiquité venerable et instrument d'un grand miracle, lesquelles qualités ne se trouvent pas seulement a l'assemblage, simetrie et proportion des lineamens et releveures d'une statue, mais encores a chaque piece d'icelle.

  A002000735 

 Et pour vray, puysque l'homme tout entier avec toutes ses actions et dependances doit honneur a Dieu, et qu'il est composé d'ame et de cors, d'interieur et d'exterieur, et qu'en l'exterieur il y a des actions indiffeérentes, ce n'est pas merveille si la religion, qui a le soin d'exiger de luy ce tribut, demande et reçoit en payement des actions exterieures, indifferentes et corporelles..

  A002000738 

 Combien est-ce qu'en font les tisserans, peintres, tailleurs et autres, que personne n'honnore ni ne prise? parce que ces croix (autant en dis-je des caracteres et figures croisees que nous voyons es images profanes, fenestres, bastimens), ces croix, dis-je, ne sont pas destinees a l'honneur de Dieu ni a aucun usage religieux; mais quand ce signe est employé au service [214] de l'honneur de Dieu, d'indifferent qu'il estoit il devient une ceremonie sacrosainte, de laquelle Dieu se sert a plusieurs grans effectz.

  A002000738 

 J'ay dit que ceste ceremonie estoit Chrestienne; d'autant que la Croix et tout ce qui la represente est folie aux payens, et scandale aux Juifz, lesquelz, comme a remarqué le docte Genebrard alleguant le Rabby Kimhi, l'ont en telle abomination, que mesme ilz ne la veulent pas nommer par son nom, mays l'appellent stamen et subtegmen, estaim et trame, qui sont les filetz que les tisserans croisent en faisant leur toile.

  A002000738 

 Je sçai qu'en l'ancienne Loy, voire en celle de nature, plusieurs choses se sont passees pour représenter la mort du Messie, mais ce n'ont esté que des ombres et marques obscures et confuses au pris de ce qui se fait maintenant; ce n'estoyent pas ceremonies ordinaires a ceste Loy, mais comme des eloyses qui les esclairoyent en passant.

  A002000743 

 Nous recognoissons donc qu'anciennement ceste coustume de se signer au front a esté introduite; par qui et comment, il ne conste pas.

  A002000743 

 Sermon des paroles de l'Apostre, chap. 3: Les sages de ce monde, dit-il, nous assaillent touchant la Croix de Christ, et disent, quel entendement avez-vous d'adorer un Dieu crucifié? Nous leur respondons: nous n'avons pas vostre entendement, nous n'avons point de honte de Jesus Christ ni de sa Croix, nous la fichons sur le front auquel lieu est le siege de pudeur; nous la mettons là, voire là, assavoir en la partie où la honte apparoist, afin que ce y soit fiché dont on n'aye point de honte.

  A002000743 

 « Nous n'ignorons pas, » dit le traitteur, « que quelques Anciens ont parlé du signe de la Croix et de la vertu d'icelle, mais ce n'a pas esté en l'intention ni pour la fin que l'on pretend aujourd'hui, car ils en usoyent comme d'une publique profession et confession de leur Chrestienté, soit en particulier, soit en public.

  A002000744 

 » Je luy demande qu'il me nomme ceux qui n'en ont pas parlé; car tous, ou bien peu s'en faut, en ont parlé: falloit-il donques dire « quelques uns », comme s'il ne parloit que de deux ou de trois?.

  A002000745 

 Il dit qu'ilz n'en ont pas parlé en l'intention qu'on pretend aujourd'huy: mais s'il entend de l'intention des Catholiques, je luy feray voir le contraire clair comme le soleil; s'il entend de l'intention que les ministres huguenotz imposent aux Catholiques, comme seroit ce que dit le traitteur d'attribuer au seul signe ce qui est propre au Crucifié, je confesse que les Anciens n'y ont pas pensé, c'est une imposture trop malicieuse..

  A002000746 

 Certes, Tertullien, Justin le Martyr, Minutius Felix, tesmoignent asses que le signe de la Croix n'estoit pas une si secrette profession de foy que tous les payens ne le conneussent bien..

  A002000748 

 Il dit fort gentilement qu'on ne sçait « par qui ni comment » ceste coustume de se signer a esté anciennement introduitte: la ou je luy replique, avec saint Augustin, que « Ce que l'Eglise universelle tient, et n'a point esté institué par les Conciles mais a tousjours esté observé, est tres bien creu n'avoir esté baillé sinon par l'authorité apostolique »; et avec saint Leon, qu' « Il ne faut pas douter que tout ce qui est receu en l'Eglise pour coustume de devotion, ne provienne de la tradition apostolique et de la doctrine du Saint Esprit.

  A002000769 

 L'ame ne se contente pas de prier si tout son [227] homme ne prie; elle fait prier quant et elle les yeux, les mains, les genoux.

  A002000769 

 Ne voit-on pas la diversité des affections en la contenance du Publicain et Pharisien? Par ou sont mises a neant les parolles produittes par le traitteur contre les saintes ceremonies:.

  A002000770 

 Voulant rendre rayson de ce que l'Escriture ne tesmoigne point expressement des miracles faitz par le bois de la Croix, au lieu de [228] dire que c'est parce que ces miracles-la ont esté faitz long teins apres que le Nouveau Testament fut escrit, qui est la vraye et claire rayson, il se met a dire en ceste sorte: « Certes, il semble qu'il n'y ait eu autre raison sinon que Dieu n'a pas voulu arrester les hommes à telles choses terriennes; comme aussi sainct Paul nous enseigne par son exemple que nous ne devons point cognoistre Jesus Christ selon la chair, 2.

  A002000771 

 J'ay monstré, au commencement du premier Livre, que ces reformés observent plusieurs ceremonies et coustumes outre et sans l'Escriture; ce n'est donq pas faute de trouver nos ceremonies en l'Escriture qu'ilz les blasment..

  A002000772 

 Il ne parle pas la le jargon huguenot, mais le vray et simple langage Catholique; la coustume de l'Eglise de Dieu luy sert de rayson.

  A002000773 

 Si pour honnorer et servir Dieu en esprit et verité il faut rejetter les ceremonies qui ne sont commandees en termes expres dans l'Escriture, donques saint Paul ne devoit pas ordonner aux hommes de prier descouvertz et les femmes affeublees, puysqu'il n'en avoit aucun commandement, ni les Apostres defendre le sang et suffoqué.

  A002000774 

 Je laisse a part la naïfve intelligence de ces parolles de Nostre Seigneur, qui oppose l'adoration en esprit a l'adoration propre aux Juifz, qui estoit presque toute en figures, ombres et ceremonies exterieures, et l'adoration en verité a l'adoration fause, vaine, heretique et schismatique des Samaritains; ce que je fais icy n'a pas besoin de plus long discours..

  A002000774 

 Les ceremonies sont-elles contraires a l'esprit et verité, pour bannir l'un par l'establissement de l'autre? Qui chargea Abraham, Aaron, Moyse, David, saint Paul, saint Pierre et mille autres, de prier les mains levees et les genoux en terre? et cela les empeschoit-il de prier en esprit et verité, ou d'estre vrays adorateurs? C'est une ignorance effrontee de tirer les Escritures a des sens tant ineptes; c'est une impieté formee, non pas une pieté reformee.

  A002000774 

 Mais qui ouÿt jamais telle consequence? il faut prier en esprit et verité, donques il ne faut pas prier avec ceremonie.

  A002000775 

 Si parce que saint Paul nous enseigne de ne connoistre pas Jesus Christ selon la chair il ne se faut amuser a la Croix, ni a semblables choses terriennes, pourquoy fait-on conte de la mort et Passion de Jesus Christ, qui n'appartiennent qu'a sa chair et pour le tems de sa mortalité? Que voules-vous dire, o traitteur? Qu'il ne faut connoistre Jesus Christ selon la chair? Si vous entendes selon vostre chair ou celle des autres hommes, je le confesse absolument; mais vous seres inepte de rejetter, par la, la Croix, car la Croix n'est ni selon vostre chair ni selon la mienne, elle luy est contraire et ennemie.

  A002000775 

 Si vous entendes selon la chair de Jesus Christ mesme, comme c'est le sens plus sortable, il ne faudra pas dire qu'absolument il ne faille connoistre et reconnoistre Jesus Christ selon [232] la chair; car n'est-il pas né de la Vierge selon la chair? n'est-il pas mort, resuscité et monté au ciel, selon la chair? n'a-il pas sa vraye chair a la dextre du Pere? n'est-ce pas sa chair reelle selon la verité, ou au moins le signe de sa chair selon la vanité de vos fantasies, qu'il nous a donnee en viande? faudroit-il donques oublier tout cela, avec le Mot caro factum est? Quand donques saint Paul dit qu'il ne connoit Jesus Christ selon la chair, c'est selon la chair de laquelle il parle ailleurs, disant que Jesus Christ es jour de sa chair a offert des prier es et supplications a son Pere; ou le mot de chair se prend pour mortalité, infirmité et passibilité, comme s'il eust dit que Jesus Christ, pendant les jours de sa chair mortelle, infirme et passible, a offert prieres et supplications a son Pere.

  A002000777 

 Les fumees et traces ne retirent pas le bon chien de la queste, mais l'y eschauffent et animent; ainsy esventant en la Croix, en la Creche, au Sepulchre, les passees et alleures de mon Sauveur, tant plus suis-je esmeu et affectionné a ceste benite recherche, il me tire par la apres soy comme par l'odeur de ses onguens.

  A002000777 

 Les mariniers, qui voguent a l'aspect et conduitte des estoilles, ne vont pas au ciel pour cela mais en terre, aussi ne visent-ilz pas au ciel sinon pour chercher la terre; au contraire, les Chrestiens, ne respirans qu'au ciel ou est leur thresor et le port asseuré de leurs esperances, regardent bien souvent aux choses d'icy bas, mais ce n'est pas pour aller a la terre, ains pour aller au ciel.

  A002000783 

 Puysqu'on peut prier par les saintes et legitimes ceremonies, pourquoy ne priera-on pas par le signe de la Croix, sainte et Chrestienne ceremonie? Mays parlons pour ce coup de la benediction des creatures qui a accoustumé d'estre faitte en l'Eglise, laquelle n'est autre qu'une priere et bon souhait par lequel on demande a Dieu quelque grace et bienfait pour la creature sur laquelle on a quelque advantage ou superiorité, car c'est sans contradiction que ce qui est moindre est beni par le meilleur.

  A002000785 

 Mays puysque le Sauveur, dira peut estre l'huguenot, benissant ses Apostres, n'usa point du signe de la Croix, pourquoy est-ce que vous l'employes? Pour vray, je ne sçai si le Sauveur fit ce signe, car l'Escriture qui ne l'asseure pas ne le nie pas aussi; si sçai-je bien que le Crucifix mesme, benissant, n'a pas eu besoin d'user du signe de la Croix, car qu'a-il besoin de s'invoquer soy mesme, ou protester que la benediction vient de luy? Au demeurant, [238] le signe de la Croix estoit asses es mains de Nostre Seigneur sans qu'il fist aucun mouvement.

  A002000786 

 Un certain simple homme print charge de le faire, et creusant sous les principales colomnes l'une apres l'autre mettoit du bois dessous pour les appuyer, puys y voulut mettre le feu affin que les colomnes tombassent, mays le diable, en forme horrible et noire, venoit empescher la force et prise du feu; ce qui fut soudain rapporté a Marcel Evesque du lieu, lequel courant en l'eglise, fit apporter de l'eau, laquelle ayant mise a l'autel, prosterné en terre il prioit nostre doux Seigneur qu'il ne laissast pas faire plus grand progres a l'impieté, et faisant le signe de la Croix sur l'eau, il commande a Equitius, son diacre, qu'il coure et aille arrouser le feu, de ceste eau benite, ce qu'il fit; et soudain le diable, qui ne pouvoit souffrir la force de ceste eau, s'enfuit, et le feu allumé par l'eau son contraire comme si c'eust esté huile, s'attache au bois et en peu de tems le consomme, si que les colomnes n'ayans plus leur appuy cheurent et tirerent a ruyne apres elles toutes les autres avec ce qu'elles portoyent.

  A002000787 

 Sozomene, qui raconte ceste histoire, ne dit pas qu'ilz fissent le signe de la Croix (affin que mon adversaire ne se trompe a penser que je me sois trompé, comme luy a fait si souvent), mais c'est saint Gregoire Nazianzene..

  A002000788 

 Ni ne faut pas trouver estrange que ces bons soldatz fissent le signe de la Croix pour boire, car c'estoit anciennement la coustume de benir non seulement la table et le repas, mais encor chaque viande a part, [243] et le boire encor.

  A002000788 

 Tesmoin saint Gregoire de Tours, en la gracieuse histoire qu'il escrit d'un prestre heretique qui voulant prévenir, non seulement a benir mais encor a manger, un bon prestre Catholique Romain (car le mot y est) qui estoit en mesme table, et l'ayant en effect prevenu au premier, second et troisiesme plat qu'on apporta sur table, au quatriesme en fin, l'ayant signé (l'humeur de son heresie ne portoit pas de rejetter le signe de la Croix comme fait celle des reformeurs), mettant le premier morceau en bouche il le trouva si chaud qu'il en creva, faisant un grand bruit, qui bailla occasion au nostre de dire, Periit memoria hujus cum sonitu, et a celuy qui les avoit chez soy, tous deux, de se faire Catholique sur le champ.

  A002000800 

 I. « Tant s'en faut que j'aye honte de la Croix de Jesus Christ, que je ne l'ay pas en un lieu secret, mays je la porte au front.

  A002000800 

 Or ça donq, que je n'aye pas le front nud, que la Croix de mon Seigneur le couvre.

  A002000802 

 I. Que ce traitteur voulant censurer les Anciens de ce qu'ilz approuvent une ceremonie non escritte, il ne met en avant aucune authorité escritte pour prouver sa censure: n'ayant point de commandement escrit de faire le signe de la Croix, il ne le veut pas faire; n'ayant aucune prohibition escritte de le faire, je ne cesseray aucunement de le faire..

  A002000803 

 Et quoy? ne seroit-ce pas honnestement et par ordre d'estre assis, debout, ou du tout prosterné en terre? Pourquoy n'est-ce pas honnestement fait de se signer au front? Quel commandement avoyent Isaac et Jacob de benir leurs enfans? saint Jean de porter des habitz si grossiers, habiter es desertz et non en la mayson de son pere, ne boire ni vin ni cervoise, ne manger que locustes et miel sauvage, et porter ceste ceinture de peau? quant a sa ceinture il imitoit son Helie, mays sans commandement; et cependant ce sont choses que les Evangelistes ont estimees remarquables, aussi les ont-ilz remarquees.

  A002000803 

 Quand Helisee frappoit sur les eaux avec le manteau de son maistre, quel commandement en avoit-il? n'estoit-ce pas pour imiter ce que son maistre avoit fait peu auparavant? Lever et imposer les mains pour benir, comme nous avons ja remarqué cy dessus, ou fut-il commandé? et neanmoins la prattique en est tesmoignee par toute l'Escriture..

  A002000804 

 Je le confesse, mais je dis qu'on peut aussi prier en celle ci, aussi bien que levant les mains et les yeux; et puysque aux generaux commandemens de prier [252] Dieu, confesser la foy et faire profession de sa religion, le signe de la Croix n'est point forclos, pourquoy est-ce qu'on l'en forclorra? Calvin, confessant qu'on ne sçauroit monstrer par aucun texte expres que jamais enfant fut baptisé par les Apostres, dit neanmoins tout hardiment que « toutefois ce n'est pas a dire qu'ilz ne les ayent baptisés, veu que jamais n'en sont exclus quand il est fait mention que quelque famille a esté baptisee.

  A002000804 

 Mais, parce qu'il n'est pas du tout expres en l'Escriture, les Apostres le laisserent expressement en l'autre partie de la doctrine Chrestienne et Evangelique, appellee Tradition: « Quelle que soit la conversation et action qui nous exerce, nous touchons nostre front du signe de la Croix.

  A002000804 

 » On ne peut pas, diray-je a mesme, monstrer expressement que l'oraison qui se fait par le signe de la Croix soit expressement commandee, toutefois ce n'est pas a dire qu'elle ne le soit, veu que jamais elle n'est excluse quand il est commandé de prier.

  A002000813 

 Mays, dit-il, sur quicomque vous verres Thau, ne le tues pas. Ce Thau, marque de sauvement, ne signifioit autre que la Croix; or, il estoit imprimé sur le front, c'est pourquoy nous faisons la Croix au front.

  A002000814 

 Mays quelle consequence en peut-on tirer contre nous? Faisons que ceste traduction fust la meilleure, n'y aurons-nous pas tousjours cest advantage, que le signe de la Croix, estant le plus excellent des purs et simples signes, et le grand signe du Filz de l'homme, il peut et doit estre entendu, plus proprement [259] qu'autre quelconque, sous le nom et mot absolu de marque ou signe? Car ainsy, quoy qu'il y peut avoir plusieurs signes du Filz de l'homme, quand toutefois il est parlé absolument du signe du Filz de l'homme, les Anciens l'ont entendu du signe de la Croix; et saint Hierosme, en l'epistre a Fabiole, prenant le signe d'Ezechiel, non pour la lettre Thau simplement, mays pour signe et marque en general, ne laisse pas pourtant de l'appliquer a la Croix: « Alhors, » dit-il, « selon la parole d'Ezechiel, le signe estoit fiché sur le front des gemissans; maintenant, portans la Croix nous disons, Seigneur, la lumiere de ta face est signee sur nous.

  A002000814 

 » Ce ne sont pas grand'nouvelles que cela; mille des nostres l'ont des-ja remarqué, et entre autres Sixte Sienois.

  A002000816 

 L'ancienne Vulgaire et generale edition merite bien ce credit, qu'on ne la laisse pas temerairement pour autre quelconque; et partant, puysque elle retient le Thau pour la marque de laquelle devoyent estre marqués ces gemissans, nous ne le devons pas rejetter pour peu..

  A002000817 

 C'est tres mal parlé de dire que plusieurs ont philosophé sur cela « à leur plaisir », entendant des anciennes considerations faittes sur ceste Prophetie; car ces anciens et graves espritz n'ont pas manié les Escritures a leur playsir, mais leur playsir par l'Escriture.

  A002000818 

 Aussi, quoy que saint Hierosme produise plusieurs sens, si ne sont-ilz pas contraires, mais peuvent tous joindre ensemble sur celuy que saint Hierosme estime le plus sortable, et lequel est plus doux et naïf: car le comble de connoissance, signifié par la fin et comble des lettres, qui est Thau, gist a sçavoir et prattiquer la Loy, laquelle est encor signifiee par Thau, d'autant que le mot Thorah, qui signifie la Loy, se commence par Thau.

  A002000818 

 C'est philosopher a l'honneur de Dieu, non pas a plaisir..

  A002000819 

 Mays, n'est-ce pas une trop grande ruse, de vouloir? faire croire que saint Hierosme ne s'est voulu arrester sur la troisiesme interpretation comme la sentant recherchee trop au loin, et que partant il a apporté l'autre? Certes, c'est une fauseté expresse; car, 1.

  A002000820 

 Ni saint Hierosme ne recherche pas le caractere des Samaritains, comme dit le traitteur, mais plustost celuy des Hebreux anciens, « duquel, » dit-il, « jusques a ce jourd'huy les Samaritains se servent », sçachant que c'estoit de cest ancien caractere duquel Ezechiel avoit indubitablement usé, puysque le changement n'estoit encor pas fait quand il fit et prononça sa Prophetie..

  A002000821 

 « Mais soit, » dit-il, « que la lettre Thau ait esté peinte en charactere Hebrieu, ou en charactere Samaritain par une seule figure, il est aisé à voir qu'il y a peu de similitude à une croix entiere: [264] car le charactere Hebrieu est fait ainsi, ﬨ, et le charactere Samaritain ainsi, T, qui n'est pas la vraye figure d'une croix, car il y defaut la partie du dessus, où estoit fiché l'escriteau ou titre de la croix, comme l'a bien remarqué Lypsius, au chap. 10.

  A002000821 

 » Ne voicy pas de grandes finesses?.

  A002000822 

 Ce n'est pas une croix, mais il ne s'en faut gueres.

  A002000822 

 Mais quelle plus grande similitude y peut-il avoir, sinon que le Thau fust une croix? Certes, nous ne disons pas que le Thau soit une croix, ains qu'il la ressemble; or, similia non sunt eadem.

  A002000823 

 Il a tort aussi d'alleguer que le caractere Hebreu est fait ainsy, ח, car c'est le caractere tel qu'on le fait aujourd'huy, duquel nous ne parlons pas, ains de celuy qui estoit au tems d'Ezechiel, lequel, comme dit saint Hierosme, ressembloit a la Croix..

  A002000824 

 Cela crois-je bien, que s'il eust eu plus de forme de croix qu'il n'a, les Juifz et Rabbins l'eussent changé en haine de la Croix, laquelle ilz detestent tant qu'ilz ne la veulent pas mesme nommer, comme a remarqué le docte Genebrard, et je l'ay dit ailleurs..

  A002000826 

 Mais si la parole Thau ne signifie pas seulement une borne et signe, ains encor une croix, comme l'asseure Genebrard, homme extremement ou incroyablement versé en la langue hebraïque, quelle plus grande lumiere voudroit-on en confirmation de nostre dire?.

  A002000828 

 » Ici je consens volontiers, et dis que ceste vision, estant spirituelle, elle a d'autant plus de rapport a l'esprit [267] de l'Evangile que non pas au cors de la Loy ancienne, en sorte que la chose n'ayant point esté reellement faitte sur la vielle et materielle Hierusalem, elle a deu estre reellement verifiee en la Hierusalem nouvelle et Chrestienne..

  A002000830 

 Et ceste parole, Vous ne briseres pas un os d'iceluy, est entendue de Jesus Christ par saint Jean, et neanmoins elle fut ditte immediatement de l'aigneau Pascal.

  A002000830 

 Item, ce qui est dit es Livres des Rois, Je luy seray Pere et il me sera filz, ne s'entend-il pas tout droit, et en son premier sens, du roy Salomon, filz de Bersabee? neanmoins cela se rapporte et revient au Sauveur du monde, sinon que, pour retenir vos inepties en crédit, vous rejetties encor l'Epistre aux Hebreux, car ce texte y est appliqué formellement a Jesus Christ.

  A002000830 

 Pour ne voir la raison qui a esmeu nos Peres a dire [269] quelque chose, on ne doit pour cela les juger des-raisonnables; il seroit mieux de dire comme cest autre: ce que j'en entens est beau, et aussi, crois-je, ce que je n'entens pas.

  A002000830 

 Qu'Ezechiel donques dresse sa Prophetie contre Hierusalem, si ne laissera-elle pas de devoir estre entendue pour le mistere de l'Eglise Evangelique.

  A002000831 

 » Ici je vous arreste, o traitteur, et vous somme de me dire si les termes d'Ezechiel ne portent pas que les gemissans seroyent marqués au front? vous ne le sçauries nier: ou donques ilz furent marqués, et lhors vous parles mal disant qu'ilz ne furent onques marqués, ou ilz ne furent point marqués, et lhors je vous demande quand c'est que la Prophetie fut verifiee ainsy exactement comme ses termes portent? Ce n'a pas esté en la Hierusalem temporelle, ce sera donq en la Hierusalem spirituelle, qui est l'Eglise.

  A002000842 

 Ceste alternative, ou en leur main, ou en leur front, ne monstre-elle [277] pas que sera une marque perceptible, et autre que d'estre affectionné a l'Antechrist? Et comme pourroit-elle, autrement, mettre difference entre ceux qui avoyent pouvoir de traffiquer, et ceux qui ne l'avoyent pas, si elle n'estoit visible? comme sçauroit-on ceux qui auroyent le nombre, ou le nom, ou la marque, si elle estoit au cœur? Or, ce qui est dit au chapitre seiziesme de l'Apocalipse, se rapporte a ce qui avoit esté dit au chapitre treiziesme; si donq en l'un des lieux la marque de l'Antechrist est descritte visible, elle sera aussi visible et exterieure en l'autre, la chose est toute claire: c'est donq mal entendu de dire que ceste marque de l'Antechrist n'est point reelle ni perceptible.

  A002000842 

 Le diable, qui n'est qu'un esprit, ne se contente pas de recevoir l'hommage des sorciers, mais leur imprime une marque corporelle, comme font foi mille informations et procedures faites contre eux: qui doute donques [276] que cest homme de peché, si exact disciple du diable, n'en face de mesme, et qu'il ne veuille avoir, comme anciennement plusieurs faisoyent, des serviteurs marqués et stigmatiqués? 4.

  A002000842 

 Que si l'Antechrist, comme singe, voulant faire et contrefaire le Christ, marquera ses gens au front, et par la les obligera a ne se point signer de la Croix, comme dit Hippolite, combien affectionnement devons-nous retenir l'usage de ce saint signe, pour protester que nous sommes Chrestiens et jamais n'obeirons a l'Antechrist? Les ministres avoyent enseigné leurs huguenotz que les couronnes des ecclesiastiques estoyent les marques de la beste, mais voyans qu'ilz ne pouvoyent porter une plus expresse marque de beste que de dire cela, puysque [278] d'un costé, la plus grande partie des papaux (qu'ilz appellent) ne la portent pas, et saint Jean tesmoigne que tous les sectateurs de la beste porteront sa marque, et d'autre costé, que ceux qui ne portent pas la couronne clericale ne laissent pas de trafiquer, et qu'au contraire le traffic est prohibé a ceux qui la portent, cela les a fait jetter a ceste interpretation, que la marque de la beste devoit estre invisible: c'est tousjours marque de beste, ou d'opiniastreté bestiale, comme je viens de monstrer..

  A002000843 

 Voyla dix raysons de faire et recevoir la Croix au front, tant au Baptesme et Confirmation qu'es autres occasions, a la suite de toute l'ancienne Eglise: dont saint Ambroise fait dire a la bienheuree sainte Agnes, que Nostre Seigneur l'avoit marquee en la face a fin qu'elle ne receust autre amoureux que luy; et saint Augustin, sur saint Jean: « Jesus Christ n'a pas voulu qu'une estoille fust son signe au front des fideles, mais sa Croix: par ou il fut humilié il est par la glorifié; » et Victor d'Utique descrivant le supplice fait a Armagaste, il dit que le tourment luy avoit tellement estiré le front, que la peau ne ressembloit qu'aux toiles d'araignes, tant elle estoit mince et estendue: « Le front, » dit-il, « sur lequel Jesus Christ avoit planté [279] l'estendart de sa Croix.

  A002000849 

 Dequoy la preuve n'est pas malaysee, car quand ilz sacrifient a leurs dieux, si quelqu'un y assiste ayant le front signé, ilz ne font aucunement leurs sacrifices.

  A002000849 

 Saint Chrysostome: « Il a appellé prix la Croix; laquelle il ne faut pas simplement [282] former du doigt au cors, mais, a la verité, premierement en l'ame; car, si en ceste façon tu l'imprimes en ta face, pas un des diables n'osera t'attaquer, voyant la lance par laquelle il a receu le coup mortel.

  A002000851 

 Lactance raconte que quelques Chrestiens, assistans a leurs maistres qui sacrifioyent aux idoles, faisans le signe de la Croix chasserent leurs dieux, si qu'ilz ne peurent figurer leurs devinations dans les entrailles de leurs victimes; ce qu'entendans les devins, ilz irritoyent ces seigneurs, a la sollicitation des demons, contre la Religion Chrestienne, et les induisoyent a faire mille outrages aux eglises: dont Lactance ayant conclud contre le paganisme pour la Religion Chrestienne, il dit en ceste sorte: « Mais les payens disent que ces dieux ne fuyent pas devant la Croix par crainte, mais par haine.

  A002000852 

 Julien, apprentif en ce mestier, demeure tout esbahi » de voir les diables vaincus par la Croix; le maistre sorcier le tance, et, contournant le fait a son advantage, luy dit: Ne penses pas, je vous prie, qu'ilz ayent eu peur; « ilz ont prins en abomination ce signe, non pas qu'ilz en ayent esté espouvantés.

  A002000854 

 Saint Gregoire le Grand, ancien et venerable Pere, fait ce recit; le traitteur, qui au plus ne peut estre que quelque vain ministre, l'accuse de niaiserie et mensonge: a qui croirons-nous? Grand cas si tout ce qui ne revient pas au goust de ces novateurs doit estre tenu pour fable.

  A002000855 

 Car il ne suffit pas de dire que quelque chose soit advenue, mais il faut sçavoir si Dieu en est l'autheur, si c'est chose qui tende au salut des hommes et à la gloire de Dieu... 2.

  A002000855 

 Et parlant de l'exemple de Julien l'Apostat, il dit que l'exemple d'un tel miserable ne doit estre allegué pour establir une doctrine en l'Eglise, cartel exemple n'est pas louable... tellement qu'on peut bien faire ceste conclusion: puis que Julian l'Apostat et semblables ont fait ce signe et en ont esté, comme on dit, secourus, il est apparent que cela ne procede de Dieu, ains qu'il est venu de Satan qui l'a de plus en plus voulu troubler et enlacer, par le juste jugement de Dieu.

  A002000855 

 « Dieu a permis souvent que des choses se fissent, lesquelles il n'approuvoit pas, comme infinis effects advenus jadis autour des oracles anciens le tesmoignent; et quand cela advient, dit Moyse au 13.

  A002000856 

 J'oppose que, puysqu'il s'est peu faire que les merveilles faittes a la Croix ayent esté faittes par la force de Dieu, pour engraver la pensee de la mort et passion de nostre Sauveur au cœur des hommes, comme le traitteur confesse, il a eu tort et s'est monstré trop passionné d'aller rechercher une autre cause de ces miracles, car celle ci est plus a l'honneur de Dieu et au salut des hommes que non pas de dire que le diable en a esté l'autheur, comme le mesme traitteur dit par apres.

  A002000856 

 Le mot de Tertullien est memorable; persuadant a sa femme de ne se remarier point a un infidelle: « Te cacheras-tu, » dit-il, « lhors que tu signes ton lit et ton cors? ne semblera-il pas que tu faces une action magique? » Voyes-vous comme Tertullien attribue aux payens le dire des huguenotz, a sçavoir, que le signe de la Croix sert a la magie? 4.

  A002000856 

 N'est-ce pas la gloire de Dieu et le bien des hommes que le diable soit dompté et rejetté? Certes, entre les grans effectz de la crucifixion du Filz de Dieu, il y conte luy-mesme celuy ci: Maintenant le prince de ce monde sera mis dehors; et c'est cela qui fait que le diable fuit devant la Croix comme devant la vive representation de ceste crucifixion.

  A002000856 

 leur contrarieté, incertitude et doute; il ne sçait a qui bailler l'honneur de ces evenemens: « Si c'est par la force de Jesus Christ... si c'est [288] par mauvais moyens... Il s'est peu faire que pour engraver une plus profonde pensee de la mort et passion de Jesus Christ... Que si ç'a esté Dieu donnant efficace d'erreur à Satan pour decevoir les hommes... » Quelz embarrassemens: monstre-il pas, avec ces irresolutions, qu'il est bien empesché, et qu'il va sondant le guay pour essayer s'il pourra trouver quelque response? 2.

  A002000857 

 Et de vray, qu'y aura-il de resolu au monde s'il est loysible de bailler ces sens aux miracles et actions extraordinaires? sera-il pas aysé a l'obstination d'attribuer la resuscitation des mortz mesmes aux illusions diaboliques? Mays qu'estoit-il besoin au diable de faire le fin avec Julien l'Apostat, nomplus qu'avec le Juif duquel saint Gregoire le Grand fait le recit? qu'eust-il pretendu par ceste simulation, avec des gens qui luy estoyent des-ja tout voués? que pouvoit-il acquerir davantage sur Julien, qui l'adoroit et descendoit pour se rendre a luy? Notes, je vous prie, le mot de saint Gregoire Nazianzene, quand il dit que Julien eut recours « au viel remede », c'est a sçavoir, a la Croix, remede qu'il avoit appris du tems qu'il estoit Catholique.

  A002000857 

 Le devin, au recit de ces anciens Peres, pour ne confesser pas la honteuse fuite de ses maistres estre procedee de peur, dit a Julien qu'ilz avoyent eu la [291] Croix en abomination, non a crainte.

  A002000858 

 Cela va bien; mais la Croix n'est pas faux prophete, c'est un signe saint, signe de Christianisme, comme a confessé le traitteur mesme, dont en la main de qui qu'il soit le diable le craint.

  A002000859 

 En fin, tant d'autres miracles se sont faitz par le signe de la Croix, outre la fuite des malins, qui ne se peuvent rapporter a aucune simulation ou stratageme d'iceluy, qu'on ne doit pas nomplus le croire de ceux ci.

  A002000859 

 Or, quand de ces merveilles quelqu'un auroit pris occasion de superstition, si ne faudroit-il pas pourtant attribuer ces merveilles au diable.

  A002000867 

 Il y a, en ceste histoire, trois ou quattre pointz de mauvaise digestion pour vostre estomach, o traitteur, si vous n'estes gueri despuys vostre traitté: les eglises des Saintz, ou l'on va prier Dieu; les saintes psalmodies avec les Litanies, en forme de processions; la benediction episcopale sur le peuple avec le signe de la Croix (Sanctus Episcopus illos consignans, dit saint Amphilochius, qui est mon autheur); le signe de la Croix employé pour faire ce miracle; et ce qu'il est dit, que saint Basile estant entré fit le divin mistere, fecit divinum mysterium, car c'est une phrase qui n'est pas sortable ni a la priere, laquelle ilz avoyent ja faitte toute la nuit, ni au sermon, car precher ne s'appelle pas, faire, mais publier, le divin mistere, ni certes a vostre cene, en laquelle il ne se fait rien de divin, mais s'administre seulement un pain ja fait et preparé.

  A002000867 

 Je ne vois pas que vous puissies respondre a ce tesmoignage de la vertu de la Croix; car si vous dites que le diable fit cela pour faire le matois, saint Amphiloche vous remonstre que, par ce miracle, les Catholiques furent consolés et plusieurs Ariens se convertirent: quel advantage donques eust recerché le diable en cest affaire? et je vous remonstre que vous n'aves pas asses d'honneur pour rendre suspect saint Basile de magie ou sorcelage, ni saint Amphiloche de mensonge ou fadaise.

  A002000868 

 Le traitteur dit que non, et ne sçait pourquoy nous disons qu'ouy et le prouvons par experience; est-ce pas ineptie de repliquer que c'est Dieu qui fait ces miracles, puysqu'on ne demande pas qui les fait, mais comment et [299] par quelz instrumens et moyens? C'est Dieu qui la guerit, et pouvoit la guerir sans la renvoyer a l'autre femme qui la signa; il ne veut pas, mais la renvoye a ces moyens desquelz il se veut servir.

  A002000868 

 Voulons-nous estre plus sages que luy, et dire que ces moyens ne sont pas sortables? il luy plait que nous les employions, les voulons-nous rejetter? Or c'est saint Augustin qui est autheur de ce recit, et l'estime tellement propre a la louange de Dieu, qu'il dit tout suivant qu'il avoit fort tancé ceste dame guerie de ce qu'elle n'avoit pas asses publié ce miracle.

  A002000869 

 Ou je ne puis oublier le Livre de Mathias Flaccus Illyricus, augmenté a Geneve, intitulé Cathalogus testium veritatis, lequel, par une authentique impudence, citant saint Anthoine contre nous en son rang, dit qu'il a leu sa vie et n'a pas trouvé qu'il ayt employé le signe de la Croix.

  A002000882 

 Apres que le traitteur a mis en campaigne sa solemnelle distinction entre l'honneur civil et l'honneur conscientieux, que j'ay suffisamment renversee en mon Avant-Propos, il fait de sursaut ceste desgainee: « Vray est que les questionnaires ne se sont pas teus là dessus, car on a demandé de quelle sorte d'honneur elle devoit estre adoree.

  A002000883 

 » Aussi n'estoit-ce pas le dessein de l'autheur des placquars, sinon de rendre conte de la devote erection de la Croix que nostre Confrerie d'Annessi fit aupres d'Annemasse, laquelle n'estoit pas une piece de la vraye Croix, mais seulement une image d'icelle..

  A002000891 

 Connoistre la bonté excellente d'une personne n'est pas l'honnorer; l'envieux et malin connoist l'excellence de son ennemy, et ne laisse pourtant de le vituperer.

  A002000891 

 Faire des reverences et demonstrations exterieures a quelqu'un n'est pas aussi l'honnorer; les flatteurs et affronteurs en font a ceux qu'ilz tiennent les plus indignes du monde.

  A002000893 

 Que s'il est dit quelquefois que les choses inanimees et les diables donnent honneur a Dieu, ce n'est pas que cest honneur-la sorte de ces choses comme de la cause, mais seulement comme d'un'occasion que les hommes en prennent d'honnorer Dieu; ou c'est parce que telles choses font les exterieures demonstrations d'honneur, lesquelles, quoy que privees de leur ame, qui est l'intention interieure, ne laissent pas de retenir devant les peuples le nom d'honneur, ainsy que l'homme mort est appellé homme.

  A002000893 

 Que si on honnore quelque chose insensible ou non vertueuse, ce ne sera pas pour y arrester et colloquer simplement et absolument l'honneur, mais pour le passer et rapporter a quelque vertu et vertueux.

  A002000898 

 Si elle ne l'est pas, il n'y a lieu que pour le simple honneur, tel qu'il peut estre mesme de pair a pair, voire de superieur a inferieur, et duquel parle l'Apostre quand il dit, Honore invicem prævenientes: vous prevenans en honneur; et saint Pierre disant, omnes honorate: honnores un chacun; dont il est dit mesmement qu'Assuerus honnora Mardochee.

  A002000900 

 Ceste premiere action n'est que le fondement et principe de tout l'edifice de l'adoration, ce n'est pas l'edifice mesme..

  A002000900 

 Mays en laquelle de ces actions consiste la vraye et propre substance de l'adoration? Ce n'est pas en la premiere, car les diables et ceux desquelz parle saint Paul, qui, connoissans Dieu, ne l'ont pas glorifié comme Dieu, ains secoüans le joug ont dit, nous ne servirons point, ilz l'ont conneu, mays non pas reconneu.

  A002000902 

 Je ne crois pas qu'aucun entende que les encensemens qu'ilz jettent [310] a Dieu soyent materielz, car saint Jean declaire, au contraire, que ce sont les oraisons des Saintz.

  A002000902 

 Que s'il est dit qu'ilz jettent leurs couronnes aux piedz de Celuy qui sied au throsne, bien que leur adoration soit exprimee par une action exterieure si ne se doit-elle pas entendre que de l'esprit; car, comme leurs couronnes et felicités sont spirituelles, aussi l'hommage, reconnoissance et sousmission qu'ilz en font, n'est que purement spirituelle..

  A002000902 

 Si l'adoration gist en ces actions exterieures, les Anges et bien heureux espritz ne pourroyent pas adorer, car ilz n'ont ni genoux ni teste pour les ployer et incliner; neanmoins ilz ont commandement d'adorer: Adores-le, o tous vous, Anges d'Iceluy.

  A002000903 

 2. Mais, pour Dieu, les paralytiques et percluz qui n'ont aucun encens, ni genoux, ni mouvement a leur disposition, peuvent-ilz pas adorer Dieu? ou s'ilz sont exemps de la loy qui dit: Tu adoreras le Seigneur ton Dieu?.

  A002000904 

 O Chrestiens de genoux, et materielz, vous sçaves si bien alleguer hors de propos et saison, quand vous combattes les sacrees ceremonies, que les vrays adorateurs adorent en esprit et en verité: certes, ces saintes paroles ne bannissent point les actions exterieures quand elles procedent de l'esprit et verité, mais ne voyes-vous pas tout ouvertement qu'elles decernent contre vous que la vraye et essentielle adoration gist en la volonté et action interieure?.

  A002000905 

 Et de fait, qui diroit jamais que les actions exterieures des hypocrites, voire les genuflexions de ceux qui baffoüoyent nostre Sauveur au jour de sa Passion, luy mettans la couronne d'espines en teste et le roseau en main, plians les genoux devant luy, fussent des vrayes adorations et non pas plustost des vrays vituperes et affrons? L'Escriture appelle bien cela adorer et saluer, mais elle declaire tout sur le champ qu'elle l'entend, non selon la realité et substance, mais selon l'exterieure apparence et feinte, disant qu'ilz se mocquoyent de luy.

  A002000905 

 Qui oseroit appeller ces malheureux vrays adorateurs, et non pas plustost vrays mocqueurs? Les choses portent aucunes fois le nom de ce dont elles ont les apparences, sans pour cela laisser d'estre indignes de le porter; comme quand les enfans de ce monde sont appellés prudens, et leur ruse ou finesse, [311] sagesse, quoy que ce ne soit que folie devant Dieu et en realité; ainsy appelle les impertinences du traitteur, raysons, quoy qu'elles soyent indignes de ce nom..

  A002000906 

 Il ne suffit pas pour estre mauvais, idolatre et sorcier, de faire ce que telles gens font, si on ne le fait a mesme intention et avec mesmes circonstances.

  A002000906 

 La consequence est sotte; car encor que ces actions soyent pareilles es uns et es autres d'estoffe et de matiere, si ne le sont-elles pas de forme, de façon et intention: or, Dieu ne regarde pas tant ce qui se fait, comme la maniere avec laquelle il se fait.

  A002000913 

 Dieu donques, comme Dieu, ne peut adorer, mais il peut bien honnorer, puysque le simple honneur n'a pour objet que la simple excellence, et non pas une excellence superieure, comme l'adoration.

  A002000913 

 Mais s'ilz n'adorent Dieu, pourront-ilz pas adorer autre que Dieu? Je dis que non, a proprement parler.

  A002000922 

 » Il parle la de l'adoration en sorte qu'il semble ne vouloir qu'elle appartienne qu'a Dieu, mais bien tost apres il l'estend encores aux creatures: « Heleine fit sagement qui esleva la Croix sur la teste des roys, a fin que la Croix de Jesus Christ spit adoree es roys; cela n'est pas insolence, mais devotion et pieté, lhors qu'on defere a la sacree Redemption.

  A002000923 

 » Le mesme, instruisant l'ame fidelle, au livre De la virginité: « Si un homme juste, » dit-il, « entre chez toy, luy allant au rencontre tu adoreras en terre a ses piedz avec crainte et tremblement, car ce ne sera pas luy que tu adoreras, mais Dieu qui l'envoye.

  A002000925 

 Ainsy saint Cyrille dit, contre Julien, que « nous n'adorons pas les Saintz comme dieux, mays nous les honnorons comme personnes principales.

  A002000926 

 Bref, l'adoration n'appartient pas egalement a Dieu et aux creatures, il y a a dire de l'infinité; celle qui est deuë a Dieu est si excellente en comparaison de tout autre faitte aux creatures, que n'y ayant presque aucune proportion, les autres adorations ne sont presque pas adoration au prix de celle qui appartient a Dieu.

  A002000926 

 Ce qu'estant ainsy, puysque le mot d'adoration signifie la reconnoissance qu'on fait de quelque superieure et eminente excellence, il joint beaucoup mieux a l'honneur deu a Dieu qu'a celuy des creatures, car il y trouve toute l'estendue et perfection de son objet, ce qu'il ne trouve pas ailleurs.

  A002000927 

 J'ay dit ceci, tant parce qu'en cest aage si fascheux et chicaneur il est expedient qu'on sçache parfaittement ce que valent les motz, qu'aussi pour respondre au traitteur qui, nous reprochant que nous adorons la Croix et les images, se baillant beau jeu sur nous, dit que « la replique est frivole de dire qu'on ne les adore pas puis qu'on ne met pas sa fiance en elles »; car je dis, au contraire, que le traitteur est extremement frivole de s'imaginer ceste replique pour nous, laquelle nous n'advouons pas ainsy crue comme elle est couchee, ains, nous tenans sur la demarche de l'Escriture Sainte et de nos devanciers, nous confessons qu'on peut loysiblement adorer les saintes creatures, notamment la Croix, et disons tout haut avec saint Athanase: « Nous adorons la figure de la Croix », et avec Lactance: « Flechisses le genou, et adores le bois venerable de la Croix.

  A002000928 

 Quand on dit, donques, qu'on [321] ne met pas sa fiance en la Croix, c'est pour monstrer qu'on ne l'adore pas en qualité de Dieu, et non pour dire qu'on ne l'adore pas en aucune façon; mays le traitteur traitte la Croix, nostre cause et la sienne, selon son humeur.

  A002000928 

 Vray est que le Catholique discret, sçachant que le mot d'adorer panche plus a l'honneur deu a Dieu qu'a celuy des creatures, et que le simple vulgaire le prend ordinairement a cest usage, le discret Catholique, dis-je, n'employera pas ce mot sans y joindre une bonne declairation; ni parmi les schismatiques, heretiques, reformeurs et bigearres, pour leur lever tout sujet de calomnier; ni devant les menus et debiles espritz, pour ne leur donner aucune occasion de mesprendre, car les Anciens ont fait ainsy.

  A002000934 

 Et parce que l'adoration n'est pas encor du tout propre et particuliere pour l'honneur de Dieu, mays peut encor estre employee pour les creatures, il [325] adjouste a l'adoration le mot de latrie, disant: tu serviras a iceluy seul. « Aussi ne dit-il pas, tu adoreras le seul Seigneur ton Dieu, mays ouy bien, tu serviras a iceluy seul, la ou au grec le mot de latrie est employé »; ceste observation est expressement du grand saint Augustin, es Questions sur le Genese.

  A002000934 

 Il faut bien cela pour engeoler le menu peuple; mays, que me respondra-il a ceste demande? la Magdeleine est aux piedz de Nostre Seigneur et les lave, Nostre Seigneur est aux piedz de saint Pierre et les lave; l'action de la Magdeleine est une tres humble adoration: dites-moy, traitteur mon amy, l'action de Nostre Seigneur que fut-elle? Si ce ne fut pas une adoration, comme il est vray, donq s'incliner, faire les reverences et plier les genoux n'est pas adorer comme vous avies dit.

  A002000934 

 Ilz font indubitablement deux adorations, l'une a Dieu, l'autre au Roy, et bien differentes; toutefois ilz ne font qu'une inclination exterieure: l'egalité, donques, de la sousmission externe n'infere pas egalité d'honneur ou adoration.

  A002000934 

 L'adoration, donques, ou l'honneur, n'aura pas la difference de sa grandeur ou petitesse de l'entendement.

  A002000934 

 Le patriarche Jacob, panché et prosterné a terre, adora sept fois son frere aisné Esaü; les freres de Joseph l'adorerent prosternés a terre; la [323] Thecuitaine cheut en terre devant David, l'adorant; les enfans des Prophetes, venans au rencontre d'Helisee, l'adorerent prosternés en terre; la Sunamite se jetta aux piedz d'Helisee; Judith, se prosternant en terre, adore Holofernes: ces saintes ames que pouvoyent-elles faire plus que cela, quant a l'exterieur, pour l'adoration de Dieu? L'adoration, donques, ne doit pas estre jugee selon les actions et demonstrations exterieures.

  A002000934 

 Nostre cors n'a pas tant de plis ni de postures que nostre ame, il n'a point de plus humble sousmission que de se jetter a terre devant quelqu'un; mais l'ame en a une infinité de plus grandes, de maniere que nous sommes contraintz d'employer les genuflexions, reverences et prostrations corporelles indifferemment, ores a l'honneur souverain de Dieu, ores a l'honneur inferieur des creatures; nous nous en servons comme des jettons, ores pour dix, ores pour cent, ores pour mille, laissans a la volonté de bailler diverse valeur a ces signes et maintiens exterieurs, par la diversité des intentions avec lesquelles elle les commande a son cors.

  A002000934 

 On peut adorer autre que Dieu, mays non pas servir autre que Dieu du service appellé, selon les Grecz, latrie.

  A002000934 

 Si l'action de Nostre Seigneur fut adoration aussi bien que celle de la Magdeleine (vous estes asses bon pour le vouloir soustenir, principalement si vous esties un peu surpris de colere), donq il adora les creatures: pourquoy donq ne voules-vous pas que nous en faisions de mesme? Pour vray, establir l'essence et les differences des adorations es actions exterieures, c'est la prendre sur Nostre Seigneur qui l'establit dans l'esprit; et sur le diable mesme, lequel ne se contente pas de demander a Jesus Christ qu'il s'incline, mays veut que, s'inclinant, il l'adore: Si te prosternant, dit-il, tu m'adores, je te donneray toutes ces choses; il ne se soucie point de l'inclination et prostration, si l'adoration ne l'accompagne.

  A002000934 

 Tel connoist en son ame quelque excellent advantage d'un autre sur luy, qui neanmoins ne le voudra pas reconnoistre a proportion de ce qu'il le connoist, ains beaucoup moins ou plus: tesmoin ceux qui, connoissans Dieu ne l'ont pas adoré comme Dieu.

  A002000943 

 En ceste sorte nous ne partageons pas les adorations ou honneurs selon les excellences, mais selon les differentes manieres de participer aux excellences; je dis donq ainsy:.

  A002000943 

 La seconde difference des adorations depend de la difference des façons ou manieres avec laquelle les choses qu'on adore participent les excellences pour lesquelles on les adore; car il ne suffit pas de participer a une grande excellence pour estre beaucoup honnorable, si on n'y participe excellemment.

  A002000943 

 On honnore toute sorte de magistratz pour l'excellence du prince duquel ilz sont les serviteurs et ministres; l'excellence pour laquelle on les honnore n'est qu'une, mais on ne les honnore pas egalement, parce que tous ne participent pas egalement a ceste excellence.

  A002000944 

 Mays Dieu, qui n'est capable d'autre excellence que de l'independante, n'est capable d'autre adoration que de l'independante; la maniere d'avoir la perfection avec dependance et d'ailleurs que de soy, est trop basse et vile pour Dieu, et beaucoup plus la maniere de l'avoir par imputation ou relation; ces menus honneurs ne sont pas sortables pour une excellence infinie..

  A002000944 

 Ou elle l'aura en soy, mays non pas de soy, comme ont plusieurs hommes et les Anges, qui ont reellement en eux les bontés et vertus pour lesquelles on les honnore, mays ilz ne les ont pas d'eux mesmes, ains par la grace de Dieu; et partant, l'honneur qui leur est deu est a la verité absolu, mays non pas supreme ni independant, ains subalterne et dependant, car, comme ilz tiennent leur excellence de Dieu, aussi l'honneur qu'on leur fait a rayson d'icelle doit estre rapporté a Dieu: de ceste sorte d'adoration n'est capable que la creature intelligente et vertueuse, car autre que celle-la ne peut avoir la vertu en soy, qui est l'excellence pour laquelle on honnore.

  A002000945 

 L'honneur absolu subalterne n'est que pour les creatures intelligentes, lesquelles seules ont en soy la vertu [330] qui requiert l'honneur absolu, mais elles ne l'ont pas de soy, et partant il est subalterne.

  A002000951 

 Ainsy la vraye Croix et l'image de la Croix meritent un mesme honneur entant que l'une et l'autre se rapportent a Jesus Christ, mais elles le meritent bien different entant que la vraye Croix appartient plus excellemment a Jesus Christ que ne fait pas l'image de la Croix; car la vraye Croix luy appartient comme relique, instrument de la Redemption, autel de son sacrifice et son image encor, mais l'image de la Croix ne luy appartient que comme remembrance de sa Passion.

  A002000951 

 La difference de leur adoration ne se prend pas du sujet auquel elles appartiennent, mais de la façon en laquelle elles luy appartiennent; elles appartiennent a un mesme sujet, mais non pas en mesme façon ains diversement, c'est ce qui en diversifie et rend differentes les venerations..

  A002000953 

 Pour vray, il ne les faut jamais appeller adorations simplement et sans bonnes limitations, car, si le mot d'adoration panche plus a signifier l'honneur deu a Dieu seul que le subalterne, et que partant il ne doit pas estre employé a signifier le subalterne sinon qu'il soit borné par quelque addition, combien moins le faut-il mettre en usage pour signifier les adorations relatives et imparfaittes, sinon qu'on aye limité la course de sa signification a la mesure de l'honneur qu'on veut nommer..

  A002000954 

 Il ne suffit pas d'appeller une de ces adorations adoration relative ou imparfaitte, car par ces paroles on ne mettroit aucune difference entre elles: toutes ont [333] part a ce nom d'adoration relative comme a leur genre, ceste estoffe leur est commune; elles sont toutes de ceste espece d'honneur qu'on appelle adoration, et toutes de ceste espece d'adoration qu'on appelle relative.

  A002000956 

 Ces honneurs relatifz et imparfaitz procedent des honneurs absolus et parfaitz, et non seulement en procedent, mais s'y rapportent et reduisent; ce n'est pas merveille s'ilz empruntent le nom du lieu de leur naissance et de leur finale retraitte.

  A002000956 

 L'homme en peinture est homme, un homme mort est homme, mais non pas simplement homme, ains homme par proportion, representation et relation: de mesme, l'honneur deu a l'image et au cors de cest homme, s'il est simplement homme, sera humain, non absolument, mays par proportion et relation; s'il est homme saint, l'honneur sera de dulie, mays respective et relative; si c'est l'image de Jesus Christ, l'honneur sera de latrie, mays respective.

  A002000956 

 Si on me demande quel amour me fait caresser le laquais de mon frere, voire son chien, je ne sçaurois nier que ce ne soit l'amour fraternel, et que ces affections et beneficences ne soyent fraternelles; non que j'estime le laquais ni le chien, mon frere, mays parce qu'ilz appartiennent a mon frere; aussi, la propension ou inclination que j'ay a leur bien, n'est pas simplement fraternelle et de mesme estoffe que celle que j'ay a l'endroit de mon frere, mais elle y a son rapport et relation, dont elle peut estre ditte fraternelle relative.

  A002000957 

 Le docte Bellarmin le prouve suffisamment, quand il ne produiroit autre que le Concile septiesme general, qui determine clairement qu'il faut honnorer les images mais non pas de latrie, car ce qui se dit a ce propos des images appartient a toutes autres appartenances exterieures de Dieu; et certes, puysque l'honneur de latrie est le souverain, il n'est deu qu'a la souveraine excellence.

  A002000957 

 Que si j'ay tousjours dit qu'il ne falloit pas mesme dire simplement qu'on adoroit les creatures, sinon qu'on y employast des circonstances qui restreignissent la signification du mot adorer, d'autant qu'il panche plus a l'honneur de Dieu qu'a celuy des creatures, combien plus ay-je rayson de dire qu'il ne faut jamais mettre en usage le mot seul de latrie pour aucun autre honneur que pour celuy de Dieu seul, puysque ce mot de latrie a esté particulierement choisi et destiné a ceste seule signification, et ne peut meshuy avoir autre usage sinon par proportion et extension.

  A002000964 

 Il est neanmoins imparfait et relatif, d'autant qu'il n'a pas Dieu pour son objet entant que Dieu se considere en soy mesme ou en sa propre nature, mais seulement entant qu'il est representé et reconneu en ses appartenances et dependances, par la relation et rapport qu'elles ont a sa divine Majesté.

  A002000971 

 Or, comme toutes ces qualités sont relatives et du tout rapportees a Jesus Christ, aussi l'honneur qu'on fait a la Croix en vertu d'icelles est tout relatif au mesme Seigneur, et partant, comme appartenant au Sauveur, c'est un honneur de latrie; comme ne luy appartenant pas directement mais relativement, c'est une latrie imparfaitte et relative, et laquelle ne doit pas simplement [339] estre ditte latrie, ni mesme adoration, selon saint Bonaventure, Livre III Sur les Sentences, comme j'ay deduit ci devant.

  A002000972 

 Or cela n'est pas tant adorer que coadorer, par accident et consequent, la robbe ou la Croix.

  A002001046 

 Ne disons-nous pas ordinairement: il appella cinquante cuirasses, cinquante lances, cent mousquetz, cent chevaux? n'appellons-nous pas, l'Enseigne d'une compaignie, celuy qui porte l'enseigne? Si parlans des chevaux nous entendons les chevaliers, si par les mousquetz, [342] lances, cuirasses, nous entendons ceux qui portent les mousquetz, lances et cuirasses, pourquoy par la Croix n'entendrons-nous bien le Crucifix? Ne parlons-nous pas souvent du Roy de France et du Duc de Savoye sous les noms de Fleur de lis et Croix blanche, parce que ce sont les armes de ces souverains Princes? pourquoy ne parlerons-nous du Sauveur sous le nom de la Croix, qui est sa vraye enseigne? C'est donq en ce sens qu'on s'addresse a la Croix, qu'on la salue et invoque; comme aussi nous nous addressons au siege et y appelions, pour dire qu'on appelle a celuy qui sied au siege.

  A002001046 

 Qui ne voit qu'en toutes ces parolles on considere la Croix comme un arbre auquel est pendant le pretieux fruit de vie, Createur du monde, comme un throsne sur lequel est assis le Roy des roys? C'est de mesme quand l'Eglise chante ce que le petit traitteur nous reproche: « O Croix qui dois estre adoree, ô Croix qui dois estre regardee, aimable aux hommes, plus saincte que tous, qui seule as mérité de porter le talent du monde; doux bois, doux cloux portans doux faix... » C'est la version du traitteur, qui n'est pas, certes, trop exacte; le latin est plus beau: O Crux adoranda, o Crux speciosa, hominibus amabilis, sanctior universis, quæ sola digna fuisti portare talentum mundi; dulce lignum, dulces clavos, dulcia ferens pondera... Et ailleurs: Crux fidelis, inter omnes arbor una nobilis, nulla silva talem profert, fronde, flore, germine; dulce lignum, dulces clavos, dulce pondus, sustinet; qui est une piece de l'hymne composé par le bon pere Fortunatus, Evesque de Poitiers.

  A002001054 

 ou quand Raab mit une cordelle rouge pendue a sa [344] fenestre, pour marque de la sauvegarde que les Israëlites devoyent a sa mayson: car quelle convenance ou proportion y a-il entre les choses signifiees et telz signes, qui se puisse dire naturelle? Je ne dis pas que ces signes ayent esté institués sans rayson ni mistere, mays je dis que de leur nature ilz n'avoyent aucun rapport a ce qu'ilz signifioyent, et qu'il a esté besoin que, par l'institution humaine, ilz ayent esté assignés et contournés a cest usage; la ou les signes naturelz, sans l'entremise d'aucune institution, par la naturelle liaison et proportion qu'ilz ont avec leurs objetz, ilz les signifient et representent..

  A002001057 

 Autres fois on honnore l'ambassadeur en guise du roy, de l'honneur propre au roy, et lhors, a proprement parler, c'est le roy qui est honnoré en son ambassadeur, et non pas l'ambassadeur mesme, parce que proprement l'ambassadeur n'est pas le roy, il tient seulement lieu pour le roy, et le represente par la fiction et supposition que les hommes en font.

  A002001057 

 Car, qui ne voit en ceste celebrité le triomphe deferé non a l'image, mays a Nostre Dame representee par l'image? et de plus, ceste image representer la Vierge, non d'une simple representation selon sa portee naturelle, mays d'une representation instituee [347] par la fiction et estimation arbitraire des hommes? Ainsy voit-on ordinairement les effigies et images deshonnorees pour les malfaiteurs qu'on ne peut attrapper: on pend et brusle leurs representations en leur place, comme si c'estoit eux, et lhors le deshonneur ne se fait pas a l'image proprement, mays au malfaiteur au lieu duquel elle est supposee; aussi ne dit-on pas, on a pendu l'image de tel ou tel malfaiteur, mays plustost, on a pendu tel et tel en effigie, d'autant que telles executions ne se font sur les images sinon entant qu'en icelles on tient, par la fiction du droit, les malfaiteurs estre chastiés, desfaitz et punis..

  A002001057 

 De mesme, quand quelqu'un prend possession de quelque chose pour un autre il n'est pas proprement possesseur, ains celuy pour lequel la possession est prise.

  A002001057 

 La volonté des hommes n'a pas ce pouvoir de bailler aucune reelle valeur aux choses outre celle qu'elles ont de leur nature, mays elle peut bien leur bailler un prix imaginaire et une estimation [346] supposee ou feinte, selon laquelle on les honnore ou deshonnore plus ou moins.

  A002001059 

 D'ou vient cela, sinon qu'ilz consideroyent ces croix-la en guise et au lieu de la vraye Croix? Et c'est ainsy que l'Eglise ordonne que le jour du Vendredi Saint le peuple, prosterné a genoux, vienne bayser l'image de la Croix; car ce n'est pas a l'image que l'on monstre que cest honneur se fait, sinon entant qu'elle represente Jesus Christ crucifié tel qu'il estoit au jour de sa Passion, duquel elle tient la place pour recevoir ceste action exterieure simplement, sans que l'intention s'arreste aucunement a la figure presente.

  A002001059 

 Qui ne void que les croix ni de l'un ni de l'autre des freres n'estoyent pas la vraye Croix du Sauveur? et neanmoins ilz s'addressent a icelles ne plus ne moins comme si c'eust esté la mesme Croix de salut.

  A002001069 

 Ce commandement, donq, ne rejetteroit pas asses toute idolatrie..

  A002001069 

 II. Un tas de schismatiques et chicaneurs confesse qu'il n'est pas defendu, au commandement dont il est question, d'avoir et faire des similitudes et images, mais seulement de les mettre et faire es eglises et temples.

  A002001069 

 Que si les eglises sont maysons du Roy des roys, les ornemens y sont fort convenables; le temple est image du Paradis, pourquoy n'y logera-on les portraitz de ce qui est en Paradis? quelles plus saintes tapisseries y peut-on attacher? Et outre tout cela, ceste interpratation, tant prisee par les novateurs, ne joint aucunement a l'intention de la loy qui veut rejetter toute idolatrie; car, ne peut-on pas avoir des idoles et idolatrer hors les temples aussi bien que dans iceux? Certes, l'idole de Laban ne laissoit pas d'estre idole, encor qu'elle ne fust en l'eglise ou Temple, ni le veau d'or aussi.

  A002001069 

 Voyla un grand exemple pour nous, qui le nous veut arracher des mains il doit apporter une grande authorité a garend; nostre exemple est en l'Escriture, il faut une aussi grande authorité pour nous en prohiber l'imitation, il ne suffira pas d'y apporter des discours.

  A002001071 

 Ainsy le buisson ardent et semblables apparences n'estoyent pas images de Dieu, mais signes d'iceluy; et tous les portraitz des choses spirituelles ne sont pas tant portraitz de ces choses-la, comme des formes et apparences par lesquelles ces choses-la ont esté manifestees.

  A002001071 

 Bien que je serois d'advis, apres le docte Bellarmin, qu'on ne multipliast pas beaucoup de telles images des choses invisibles, et qu'il ne fust loysible d'en faire sans le jugement de quelque discret theologien..

  A002001071 

 On ne rejette pas nomplus les images ou figures mistiques, comme d'un aigneau pour representer le Sauveur, ou de colombes pour signifier les Apostres, car ce ne sont pas images des choses qu'elles signifient, nomplus que les motz, ou les lettres, des choses qu'elles denotent; elles representent seulement, aux sens exterieurs, des choses lesquelles, par voye de discours, remettent en memoire les choses mistiquement signifiees par quelque secrette convenance.

  A002001071 

 Or telles images, a proprement [354] parler, doivent representer aux sens exterieurs la forme et figure des choses dont elles sont images, par la similitude qu'elles ont avec icelles: mais le sens exterieur n'est pas capable d'apprehender par aucune connoissance la nature de Dieu, infinie et invisible; et quelle forme ou figure peut avoir similitude avec une nature qui n'a ni forme ni figure, et qui est nompareille? Ce qui soit dit sans rejetter les images esquelles on represente Dieu le Pere en forme d'un viellard, et le Saint Esprit en forme de colombe ou de langues de feu; car elles ne sont pas images de Dieu le Pere, ou du Saint Esprit, a proprement parler, mais sont images des apparences et figures par lesquelles Dieu s'est manifesté, selon l'Escriture, lesquelles apparences et figures ne representoyent pas Dieu par maniere d'images, mais par maniere de simples signes.

  A002001072 

 Mays au bout de la, je dis que le commandement de Dieu a beaucoup plus d'estendue que ne porte ceste consideration; car, si ce commandement ne defend que les images de la Divinité, a quoy faire sera-il particularisé de ne faire similitude quelconque des choses qui [355] sont au ciel, en terre et es eaux? Item, qui adoreroit l'idole d'une chose creée, ne seroit-il pas idolatre, contre ce commandement? Donques, ceste interpretation n'est pas legitime ni sortable a la loy..

  A002001074 

 L'idolatrie gist en deux sortes d'actions: les unes sont interieures, par lesquelles on croit et reconnoit pour Dieu ce qui n'est pas Dieu; les autres sont exterieures, par lesquelles on proteste de l'interieur par les inclinations et sousmissions exterieures.

  A002001079 

 Et comme ceste interpretation ne rejette aucunement le vray usage des images, en quoy les Juifz et Turcz errent, aussi rejette-elle et abolit tout usage des images, statues et similitudes qui est contraire a l'honneur de Dieu, non seulement es temples et eglises, ce qui ne suffit pas, comme pensent follement plusieurs novateurs, ni seulement des similitudes faittes pour representer la Divinité, qui ne suffit pas nomplus, comme estiment plusieurs autres, mais absolument [358] tout usage idolatrique: qui est le vray et unique projet de ce premier commandement..

  A002001080 

 L'idolatrie [intérieure] ne consiste pas a se representer en l'ame les creatures par les especes et images intelligibles, mais seulement a se les representer comme divinités; tout de mesme, l'idolatrie exterieure ne consiste pas a se representer les creatures par les ressemblances et images sensibles, mais seulement a se les representer comme divinités: si que, comme le commandement, Tu n'auras autres dieux devant moy, ne defend point de se representer interieurement les creatures, aussi la prohibition, Tu ne te feras similitude quelconque, ne defend pas de se representer exterieurement les creatures, mais de les representer pour Dieu en les adorant et servant; c'est cela seul qui est defendu, tant pour l'interieur que pour l'exterieur..

  A002001082 

 Car la Croix, prinse en la façon que la prennent les Catholiques, ne peut estre ni idole ni sujet d'idolatrie, tant s'en faut qu'elle le soit, idole n'estant autre que la representation d'une chose qui n'est point de la condition qu'on la represente, et une image fause, comme dit le prophete Habacuch, et l'apostre saint Paul: or, la Croix represente une chose tres veritable, c'est a sçavoir, la mort et Passion du Sauveur; et ne la fait-on pas pour l'adorer et servir, mais pour adorer et servir en icelle et par icelle le Crucifix, suivant le vray mot de saint Athanase: Qui adorat imaginem, in illa adorat ipsum Regem.

  A002001082 

 De mesme, que l'on honnore la Croix en tout et par tout, puysqu'on ne l'honnore que pour tant plus honnorer Dieu; que toute la veneration qu'on luy porte est relative et dependante, ou accessoire, a l'endroit de la supreme adoration deuë a sa divine Majesté; que ce n'est qu'une branche de ce grand arbre: cela n'est en façon quelconque defendu, puysque ceste semblance et figure n'est pas employee a l'action pour laquelle les similitudes sont prohibees, qui est l'idolatrie.

  A002001098 

 III. De plus, il y eut encor une grande difference en la maniere de proceder a l'accusation; les dix tribus, quoy que superieures aux deux et demy, ne se ruent pas de premiere volee a la guerre, mais: 1.

  A002001098 

 ne demandans pas absolument que l'autel dont il estoit question fust rasé et renversé, mais simplement que les deux tribus et demy, en edifiant un autre autel, ne facent aucun schisme ou division en la religion; 4. et n'alleguent point d'autre autheur de leur correction que l'Eglise: Voici que dit toute la congregation de l'Eternel.

  A002001103 

 Les dix tribus, lesquelles, par tant de prerogatives et raysons, avoyent le droit de [367] correction, n'eurent pas si tost ouÿe la declairation de l'intention des deux tribus et demy, qu'ilz la reçoivent amiablement et, sans presser d'aucune replique ni recharge la response et excuse des accusés, se reposent tout entierement sur leur parole.

  A002001111 

 Que ferons-nous donq avec eux? cesserons-nous de nous employer a leur salut, puysqu'ilz n'en veulent pas seulement voir la marque? Mais comme pourrions-nous desesperer du salut d'aucun, emmi la consideration de la vertu et honneur de la Croix? arbre seul de toute nostre esperance, duquel l'honneur plus reconneu et certain gist en la vertu qu'il a de guerir non seulement les playes incurables et mortelles, mais aussi de guerir la mort mesme, et la rendre plus pretieuse et saine sous son ombre que la vie ne fut onques ailleurs..

  A002001120 

 L'enseigne de la Croix ne fut pas plus tost desployee, qu'elle fut exposee a la contradiction des Juifz, heretiques et perfides, desquelz parlant saint Paul: Plusieurs, disoit-il, cheminent, desquelz je vous parlois bien souvent, et maintenant je le dis en plorant, ennemis de la Croix de Jesus Christ. C'estoyent des reformeurs qui estimoyent indigne de la personne du Filz de Dieu qu'il eust esté crucifié, ainsy que le grand cardinal Baronius deduit doctement et au long en ses Annales.

  A002001137 

 Encor quil sache que les placquars quil veut combattre, ne demandent autr'honneur pour la Croix que a cause de la representation quelle fait de Nostre Seigneur, et par consequent un honneur respectif et qui se rapporte ailleurs, si ne laisse-il pas de dire, pag 5 et 6, que ces placquars contiennent choses idolatriques, que nos precheurs prechent l'idolatrie..

  A002001138 

 Mais il n'est pas possible de penser qu'il y ayt un'idolatrie chrestienne, nomplus que des tenebres lumineuses ou des froides chaleurs.

  A002001139 

 » Par ou il semble vouloir dire, qu'encor que nous adorions Jesuschrist et le reconnoissions pour seul Dieu avec le Pere et le S t Esprit, nous ne laissons pas d'estr'idolatres disans: Seigneur nous adorons ta Croix, qui sont, dit-il, paroles blasphematoires..

  A002001140 

 Mais il poursuit: « Vray est que les questionnaires ne se sont pas teuz la dessus, car on a demandé de quelle sorte d'honneur elle devoit estr'adoree.

  A002001141 

 » Aussi n'estoit ce pas le dessein de l'autheur des placquars sinon de rendre conte, par l'escrit quon distribua a Annemasse, de la devote erection de la Croix que nostre Confrerie y fit, laquelle n'estoit pas une piece de la vraye Croix, mais seulement un'image d'icelle..

  A002001143 

 Il faut donq sçavoir, premierement, que le mot d'adorer, en la saint'Escriture, ne veut dir'autre chose que faire reverence et veneration, comme de fait c'est sa vraye signification; si que il ne signifie pas seulement la reverence ou hommage fait a Dieu, mais aussi lhonneur et veneration fait aux hommes, aux Anges et autres choses crees et saintes.

  A002001144 

 Dequoy la rayson est par ce que l'adoration n'appartient pas egalement a Dieu et aux creatures, il y a a dire de l'infinité: l'adoration donques deüe a Dieu est si excellente en comparaison de celle que l'on fait aux creatures, que, ni ayant presque point de proportion, l'adoration des creatures n'est presque pas adoration au pris de celle que l'on fait a Dieu.

  A002001144 

 de Civit. c. 1, et epist. 59, ad Deogratias; et neanmoins a qui considerera de pres la maniere de parler de l'Escriture et des Anciens, il verra que le mot d'adorer panche un peu plus a la signification de lhonneur deu a Dieu seul, que non pas aux autres.

  A002001148 

 in Gen., que il n'est pas dit: Tu adoreras le seul Seigneur ton Dieu, mays ouÿ bien: Tu serviras au seul Seigneur ton Dieu, ou au grec le mot de latrie est employé, qui signifie un service deu a Dieu seul.

  A002001149 

 Et c'est a ceste consideration que bien souvent les Anciens ont employé d'autres motz plus generaux pour signifier la reverence dette aux Saintz et autres creatures, ou s'il ny ont pas employé d'autres motz ilz ont limité le mot d'adoration par quelque addition.

  A002001154 

 est la principale et formelle: car la premiere est bien souvent sans adoration, comm'es Diables, qui, reconnoissans la majesté de Dieu, ne l'adorent pourtant pas ains s'opposent tant quilz peuvent a son excellence, et ceux desquelz parle S t Pol, Rom. 1, qui, connoissans Dieu ne l'ont pas glorifié comme Dieu; la troysiesme peut estre faitte par mocquerie et hipocrisie; la seule seconde est tousjours vraÿe adoration..

  A002001156 

 Mays la vertu pour laquell'on reçoit honneur n'est pas tousjours nostre, ains bien souvent d'autruy: comm'on honore les superieurs quoy que mauvais, pour la vertu de Dieu et de la republique de laquell'ilz tiennent le lieu; ainsy les peres et maistres sont honnorables pour la participation quilz ont de la dignité de Dieu qui est supreme Pere, principe, recteur et Seig r; ainsy les vieux, parce que la viellesse est un signe de sagesse, comme tesmoignant de l'experience; ainsy les riches, comm'ayans un bon instrument pour ayder et conserver la republique.

  A002001161 

 Et par ce sembler pourra bien estr'esmeu a baiser et la roubbe et la chaire et l'image, sans estre pour cela trompé, puisquil ne juge pas la chos'estre presente, mays l'imagine comme presente; et l'imagination, n'estant qu'une premiere apprehension, n'affirme ni nie rien, et cependant ne laisse pas d'esmouvoir l'affection.

  A002001172 

 Elle se fait ainsy: il est defendu tresexpressement de faire les statues et similitudes de chose aucune quelle qu'elle soit, beaucoup plus de les venerer et adorer; il ne faut donq pas seulement avoir les images de la Croix, combien moins les adorer? Pour desfaire cest argument il faut seulement bien entendre comme les statues et similitudes sont prohibees, car en mesme façon ne faudra-il point avoir les images de la Croix, ni les venerer.

  A002001172 

 Que s'il ne faut avoir aucune similitude pour aucun usage que ce soit, il ne sera pas loysible nomplus d'avoir des Croix; mais s'il est permis de faire et avoir quelque similitude pour quelque particuliere occasion, il sera loysible d'avoir des Croix et les honnorer.

  A002001173 

 Premierement, je ne doute point que ceste prohibition ne soit une piece et appartenance du premier commandement, qui porte: Tu n'auras point de dieux estrangers devant moy, et partant je ne conte pas ceste prohibition pour second commandement, mais pour une partie du premier, auquel est [379] defendue l'idolatrie tout entiere: car l'idolatrie parfaitte git en deux sortes d'actions, interieures et exterieures; les interieures sont defendues par la premiere partie de ce premier commandement, qui porte: Tu n'auras point de dieux estrangers devant moy; les exterieures sont rejettees par les paroles suyvantes: Tu ne te feras aucun idole ou statue, et ce qui s'ensuit.

  A002001177 

 Certains autres ont dit qu'il n'estoyt voirement pas defendu d'avoir et faire des images, mais seulement d'en avoir es temples et eglises.

  A002001177 

 Mais ou fut-ce, je vous prie, que les images des Cherubins, et celles des vaches, lions et grenades, estoyent anciennement, sinon dans le Temple? et quand aux Cherubins, au lieu du Temple le plus sacré et considerable, Voyla [380] un exemple signalé pour nous; qui le nous voudra ravir, il faut quil apporte une grande authorité a garend, il ne suffira pas de faire des discours; nostre exemple est en l'Escriture et de Dieu, il faut l'Escriture ou l'Eglise pour nous en oster l'imitation.

  A002001178 

 Les images donq qu'on fait de Dieu, des Cherubins et Anges, ou des ames, ne sont pas tant images de ces choses la, comme des formes et apparences par lesquelles ces choses-la ont esté manifestees.

  A002001178 

 Mais je dis outre tout cela que la force de la prohibition, de ne faire similitudes de quoy que ce soit, portee au commandement de Dieu, n'est pas suffisamment deduitte par ceste consideration.

  A002001178 

 Or, tout ce qui est signe n'est pas image, quoy que ce qui est image soit signe: ainsin la colombe et les feux descendans estoyent signes, non image du Saint Esprit; ainsi quand les Anges parloyent en forme d'homme, ceste forme la estoit signe, non image de l'Ange.

  A002001178 

 Que si on parle des images et figures mistiques, comme d'un aigneau pour représenter Nostre Seigneur, de colombes pour representer les Apostres, ce ne sont non plus images des choses qu'elles représentent mistiquement que les motz sont images des choses quilz signifient, et les lettres des motz quelles denotent; car elles ne représentent pas ces choses la aux sens, comme font les images, mais des objetz tout differents par lesquels, avec beaucoup de discours, on se représente les choses mistiquement signifiees.

  A002001178 

 Quelle forme peut avoir aucune convenance avec Celuy qui n'a aucune forme? Et toutes les images que l'on fait de Dieu le Pere et du Saint Esprit ne servent a autre qu'a representer les figures et formes sous lesquelles et par lesquelles il s'est manifesté selon l'Escriture, lesquelles formes et figures ne représentoyent pas Dieu selon sa Divinité par maniere d'images et statues de Dieu, mais par maniere de simples signes.

  A002001194 

 Comme sainct Ambroise dit au livre du Trespas de Theodose: « Ce n'est pas le bois » (dit-il), « mais le Roy du Ciel que nous adorons au bois.

  A002001194 

 Les gibets des malfaicteurs n'ont point ceste honnorable condition, et les suppliciez ne peuvent tirer d'iceux de [407] l'honneur et profit, comme a fait nostre Seigneur de sa Croix; aussi ne l'endurent ils pas volontairement.

  A002001194 

 On ne venere pas les colonnes, creches et sepulchres pour ressembler à ceux de Jesus Christ: car cela n'est pas son image et ne le represente point Crucifié, auquel on dresse l'esprit en honnorant la Croix; laquelle, depuis l'Edict imperial de Constantin de n'y attacher plus les hommes, n'a plus aucun autre usage au monde que d'estre image representant Jesus Christ crucifié.

  A002001194 

 Sainct Ambroise, livre du Sacrement de l'Incarnation, c. 7, dit: « Quand nous venerons en Jesus Christ l'image de Dieu et sa Croix, ce n'est pas pour le diviser et separer en deux.

  A002001194 

 à Antioche: « Nous pouvons soudain monstrer que nous n'adorons pas le bois ou la matiere, mais la representation, en separant les deux bois de la Croix et ne leur faisant plus honneur; » comme dit le 2.

  A002001203 

 S t Ambroise, au livre du Trespas de Theodose, dit: « Non pas le bois, mais le Roy du Ciel est adoré au bois.

  A002001217 

 a Antioche, dit: « Nous pouvons monstrer que nous n'adorons pas le bois, mais la representation, si nous separons les deux bois qui font la Croix, et alhors n'y ferons plus honneur.

  A002001237 

 Car de cognoistre Dieu par l'esprit seulement [ne suffit pas], sinon que par mesme moyen l'on cognoisse le Fils de Dieu estre venu pour nostre redemption in carne; et sic inseparabiliter debemus agnoscere, et divinitatem et humanitatem, ut habeamus vitam æternam: vieille heresie tiree de Triphonis antro; contra quem le Pere sainct Augustin ayant disputé, combattu, et gagné la caverne de Dieu, ita posteritati scripsit, in suo tract. De fide et symbolo: Solet quosdam offendere, vel ipsos gentiles vel hæreticos, quod credamus assumptum terrenum Christi corpus in cælum; ut dicant terrenum aliquid in cælo esse non posse: nostras enim Scripturas non noverant, nec sciant quomodo dictum sit: Seminatur corpus animale, surget corpus spiritale..

  A002001241 

 Car raisonnablement les bons et vrays Catholiques adorent Jesus Christ pendu en la Croix, non pas le bois, or, ou autre matiere comme matiere et chose inanimee: car nous sommes tous d'accord que, in quantum est res insensibilis, puta lignum sculptum aut pictum, tunc nulla reverentia debetur ei, neque aliquis honor est exhibendus: mais considerants la Croix, in quantum est quædam res Christi, tunc adoranda est nobis adoratione Hyperduliæ.

  A002001241 

 Mais les pauvres abusez ne veulent pas entendre comme nous adorons la Croix.

  A002001495 

 Verrons nous pas encor, sous ton alme faveur,.


03-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome III-Introduction a la vie devote.html
  A003000007 

 Pas être utilisés à des fins commerciales de toute nature!.

  A003000342 

 Il est vray que cela est malaysé, et c'est pourquoy je desirerois que plusieurs y employassent leur soin avec plus d'ardeur qu'on n'a pas fait jusques a present; comme, tout foible que je suis, je m'essaye par cet escrit de contribuer quelque [6] secours a ceux qui d'un cœur genereux feront cette digne entreprise..

  A003000342 

 Mon intention est d'instruire ceux qui vivent es villes, es mesnages, en la cour, et qui par leur condition sont obligés de faire une vie commune quant a l'exterieur, lesquelz bien souvent, sous le pretexte d'une pretendue impossibilité, ne veulent seulement pas penser a l'entreprise de la vie devote, leur estant advis que, comme aucun animal n'ose gouster de la graine de l'herbe nommee palma Christi, aussi nul homme ne doit pretendre a la palme de la pieté chrestienne tandis qu'il vit emmi la presse des affaires temporelles.

  A003000343 

 Mais ce n'a toutefois pas esté par mon election ou inclination que cette Introduction sort en public: une ame vrayement pleine d'honneur et de vertu ayant, il y a quelque tems, receu de Dieu la grace de vouloir aspirer a la vie devote, desira ma particuliere assistance pour ce regard; et moy qui luy avois plusieurs sortes de devoirs, et qui avois long tems auparavant remarqué en elle beaucoup de disposition pour ce dessein, je me rendis fort soigneux de la bien instruire, et l'ayant conduitte par tous les exercices convenables a son desir et sa condition, je luy en laissay des memoires par escrit, affin qu'elle y eust recours a son besoin.

  A003000344 

 Et quant au reste des ornemens du langage, je n'y ay pas seulement voulu penser, comme ayant asses d'autres choses a faire.

  A003000346 

 En la troisiesme, je luy fay voir comme elle se doit exercer en plusieurs [8] vertus plus propres a son avancement, ne m'amusant pas sinon a certains advis particuliers qu'elle n'eust pas sceu aysement prendre ailleurs ni d'elle mesme.

  A003000347 

 Et saint Jean n'escrit il pas une de ses Epistres canoniques a la devote dame Electa?.

  A003000347 

 Les anciens Evesques et Peres de l'Eglise estoyent pour le moins autant affectionnés a leurs charges que nous, et ne laissoyent pourtant pas d'avoir soin de la conduitte particuliere de plusieurs ames qui recouroyent a leur assistance, comme il appert par leurs epistres; imitans en cela les Apostres qui, emmi la moisson generale de l'univers, recueilloyent neanmoins certains espis plus remarquables avec une speciale et particuliere affection.

  A003000347 

 Qui ne sçait que Timothee, Tite, Philemon, Onesime, sainte Thecle, Appia estoyent les chers enfans du grand saint Paul, comme saint Marc et sainte Petronille de saint Pierre? sainte Petronille, dis-je, laquelle, comme preuvent [9] doctement Baronius et Galonius, ne fut pas fille charnelle, mais seulement spirituelle, de saint Pierre.

  A003000349 

 Au demeurant, mon cher Lecteur, il est vray que j'escris de la vie devote sans estre devot, mais non pas certes sans desir de le devenir, et c'est encor cette affection qui me donne courage a t'en instruire; car, comme disoit un grand homme de lettres, la bonne [10] façon d'apprendre c'est d'estudier, la meilleure c'est d'escouter, et la tresbonne c'est d'enseigner.

  A003000360 

 Ainsy les pecheurs ne volent point en Dieu, ains font toutes leurs courses en la terre et pour la terre; les gens de bien qui n'ont pas encor atteint la devotion volent en Dieu par leurs bonnes actions, mais rarement, lentement et pesamment; les personnes devotes volent en Dieu frequemment, promptement et hautement.

  A003000360 

 La vraye et vivante devotion, o Philothee, presuppose l'amour de Dieu, ains elle n'est autre chose qu'un vray amour de Dieu; mais non pas toutefois un amour tel quel: car, entant que l'amour divin embellit nostre ame, il s'appelle grace, nous rendant aggreables a sa divine Majesté; entant qu'il nous donne la force de bien faire, il s'appelle charité; mais quand il est [14] parvenu jusques au degré de perfection auquel il ne nous fait pas seulement bien faire, ains nous fait operer soigneusement, frequemment et promptement, alhors il s'appelle devotion.

  A003000366 

 Le monde voit que les devotz jeusnent, prient et souffrent les injures, servent les malades, donnent aux pauvres, veillent, contraignent leur cholere, suffoquent et estouffent leurs passions, se privent des playsirs sensuelz et font telles et autres sortes d'actions, lesquelles en elles mesmes et de leur propre substance et qualité sont aspres et rigoureuses; mais le monde ne voit pas la devotion interieure et cordiale laquelle rend toutes ces actions aggreables, douces et faciles.

  A003000368 

 Or voyes, je vous prie, ceux qui sont sur l'eschelle: ce sont des hommes qui ont des cœurs angeliques, ou des Anges qui ont des cors humains; ilz ne sont pas jeunes, mais ilz le semblent estre, parce qu'ilz sont pleins de vigueur et agilité spirituelle; ilz ont des aisles pour voler, et s'eslancent en Dieu par la sainte orayson, mais ilz ont des pieds aussi pour cheminer avec les hommes par une sainte et amiable conversation; leurs visages sont beaux et gais, d'autant qu'ilz reçoivent toutes choses avec douceur et suavité; leurs jambes, leurs bras et leurs testes sont tout a descouvert, d'autant que leurs pensees, leurs affections et leurs actions n'ont aucun dessein ni motif que de plaire a Dieu.

  A003000374 

 Je vous prie, Philothee, seroit il a propos que l'Evesque voulust estre solitaire comme les Chartreux? Et si les mariés ne vouloient rien amasser non plus que les Capucins, si l'artisan estoit tout le jour a l'eglise comme le religieux, et le religieux tous-jours exposé a toutes sortes de rencontres pour le service du prochain, comme l'Evesque, cette devotion ne seroit elle pas ridicule, desreglee et insupportable? Cette faute neanmoins arrive bien souvent, et le monde qui ne discerne pas, ou ne veut pas discerner, entre la devotion et l'indiscretion de ceux qui pensent estre devotz, murmure et blasme la devotion, laquelle ne peut mais de ces desordres..

  A003000382 

 L'ami fidelle est un medicament de vie et d'immortalité; ceux qui craignent Dieu le treuvent. Ces divines paroles regardent principalement l' immortalité, comme vous voyes, pour laquelle il faut sur toutes choses avoir cet ami fidelle qui guide nos actions par ses advis et conseilz, et par ce moyen nous garantit [23] des embusches et tromperies du malin; il nous sera comme un tresor de sapience en nos afflictions, tristesses et cheutes; il nous servira de medicament pour alleger et consoler nos cœurs es maladies spirituelle; il nous gardera du mal, et rendra nostre bien meilleur; et quand il nous arrivera quelque infirmité, il empeschera qu'elle ne soit pas a la mort, car il nous en relevera..

  A003000384 

 Or, ce doit tous-jours estre un Ange pour vous: c'est a dire, quand vous l'aures treuvee, ne la considerés pas comme un simple homme, et ne vous confies point en iceluy ni en son sçavoir humain, mais en Dieu, lequel vous favorisera et parlera par l'entremise de cet homme, mettant dedans le cœur et dedans la bouche d'iceluy ce qui sera requis pour vostre bonheur; si que vous le deves escouter comme un Ange qui descend du ciel pour vous y mener.

  A003000390 

 L'ame qui monte du peché a la devotion est comparee a l'aube, laquelle s'eslevant ne chasse pas les tenebres en un instant, mais petit a petit.

  A003000390 

 La guerison, dit l'aphorisme, qui se fait tout bellement, est tous-jours plus asseuree; les maladies du cœur, aussi bien que celles du cors, viennent a cheval et en poste, mais elles s'en revont a pied et au petit pas..

  A003000390 

 Les Anges ont des aisles sur l'eschelle de Jacob, mais ilz ne volent pas, ains montent et descendent par ordre, d'eschellon en eschellon.

  A003000390 

 Saint Paul tout en un moment fut purgé d'une purgation parfaitte, comme fut aussi sainte Catherine de Gennes, sainte Magdeleine, sainte Pelagie et quelques autres; mais cette sorte de purgation est toute miraculeuse et extraordinaire en la grace, comme la resurrection des mortz en la nature, si que nous ne devons pas y pretendre.

  A003000391 

 Mais aussi, de l'autre costé, n'est-ce pas un extreme danger aux ames lesquelles, par une tentation contraire, se font accroire d'estre purgees de leurs imperfections le premier jour de leur purgation, se tenans pour parfaittes avant presque d'estre faittes, en se mettant au vol sans aisles? O Philothee, qu'elles sont en grand peril de recheoir, pour s'estre trop tost ostees d'entre les mains du medecin! Ha, ne vous levés pas avant que la lumiere soit arrivee, dit le Prophete; levés vous apres que vous aurès esté assis: et luy mesme pratiquant cette leçon et ayant esté des-ja lavé et nettoyé, demande de l'estre derechef..

  A003000392 

 Nostre victoire ne gist pas a ne les sentir point, mais a ne point leur consentir; mais ce n'est pas leur consentir que d'en estre incommodé.

  A003000397 

 Il arrive souvent que les confessions ordinaires de ceux qui vivent d'une vie commune et vulgaire sont pleines de grans defautz: car souvent on ne se prepare point ou fort peu, on n'a point la contrition requise, ains il advient maintes fois que l'on se va confesser avec une volonté tacite de retourner au peché, d'autant qu'on ne veut pas eviter l'occasion du peché, ni prendre les expediens necessaires a l'amendement de la vie; et en tous ces cas ici la confession generale est requise pour asseurer l'ame.

  A003000397 

 Vous voyes bien, Philothee, que je parle d'une confession generale de toute la vie, laquelle, certes, je confesse bien n'estre pas tous-jours absolument necessaire, mais je considere bien aussi qu'elle vous sera extremement utile en ce commencement: c'est pourquoy je vous la conseille grandement.

  A003000402 

 Ainsy il y a des penitens qui sortent en effect du peché et n'en quittent pourtant pas l'affection: c'est a dire, ilz proposent de ne plus pecher, mais c'est avec un certain contrecœur qu'ilz ont de se priver et abstenir des malheureuses delectations du peché; leur cœur renonce au peché et s'en esloigne, mais il ne laisse pas pour cela de se retourner souventefois de ce costé la, comme fit la femme de Loth du costé de Sodome.

  A003000402 

 Ilz s'abstiennent du peché comme les malades font des melons, lesquelz ilz ne mangent pas parce que le medecin les menace de mort s'ilz en mangent; mais ilz s'inquietent de s'en abstenir, ilz en parlent et marchandent s'il se pourrait faire, ilz les veulent au moins sentir, et estiment bien heureux ceux qui en peuvent manger.

  A003000402 

 Tous les Israëlites sortirent en effect de la terre d'Egypte, mays ilz n'en sortirent pas tous d'affection; c'est pourquoy emmi le desert plusieurs d'entre eux regrettoyent de n'avoir pas les oignons et les chairs d'Egypte.

  A003000403 

 Les ames lesquelles sorties de l'estat du peché ont encor ces affections et allanguissemens, ressemblent a mon advis aux filles qui ont les pasles couleurs, lesquelles ne sont pas malades, mais toutes leurs actions sont malades: elles mangent sans goust, dorment sans repos, rient sans joye, et se traisnent plustost que de cheminer; car de mesme, ces ames font le bien avec des lassitudes spirituelles si grandes, qu'elles ostent toute la grace a leurs bons exercices, qui sont peu en nombre et petitz en effect.

  A003000403 

 O Philothee, puisque vous voulés entreprendre la vie devote, il ne vous faut pas seulement quitter le peché, mais il faut tout a fait esmonder vostre cœur de toutes les affections qui dependent du peché; car, outre le danger qu'il y auroit de faire recheute, ces miserables affections allanguiroyent perpetuellement vostre esprit, et l'appesentiroyent en telle sorte qu'il ne pourroit pas faire les bonnes œuvres promptement, diligemment et frequemment, en quoy gist neanmoins la vraye essence de la devotion.

  A003000407 

 Une haine ou rancune foible et debile nous fait avoir a contrecœur celuy que nous haïssons et nous fait fuir sa compaignie; mais si c'est une haine mortelle et violente, non seulement nous fuyons et abhorrons celuy a qui nous la portons, ains nous avons a degoust et ne pouvons souffrir la conversation de ses alliés, parens et amis, non pas mesme son image, ni chose qui luy appartienne.

  A003000408 

 Que si vous n'estes encor pas duite a faire la meditation, voyes ce qui en sera dit en la seconde Partie..

  A003000424 

 Mays helas, mon Createur, au lieu de m'unir a vous par amour et service, je me suis rendue toute rebelle par mes desreglees affections, me separant et esloignant de vous pour me joindre au peché, n'honnorant non plus vostre bonté que si vous n'eussies pas esté mon Createur..

  A003000425 

 O mon ame, sçache que le Seigneur est ton Dieu; c'est luy qui t'a fait, et tu ne t'es pas faitte toy mesme.

  A003000442 

 Dieu ne vous a pas mise en ce monde pour aucun besoin qu'il eust de vous, qui luy estes du tout inutile, mais seulement affin d'exercer en vous sa bonté, vous donnant sa grace et sa gloire.

  A003000447 

 Helas, ce dires-vous, que pensois-je, o mon Dieu, quand je ne pensois point en vous? dequoy me resouvenois-je quand je vous oubliois? qu'aymois-je quand je ne vous aymois pas? Helas, je me devois repaistre de la verité, et je me remplissois de la vanité, et servois le monde qui n'est fait que pour me servir..

  A003000464 

 Mais cela consideres-le avec une comparayson de tant d'autres personnes qui valent mieux que vous, lesquelles sont destituees de ces benefices: les uns gastés de cors, de santé, de membres; les autres abandonnés a la merci des opprobres, et du mespris et deshonneur; les autres accablés de pauvreté; et Dieu n'a pas voulu que vous fussies si miserable..

  A003000465 

 Consideres les dons de l'esprit: combien y a-il au monde de gens hebetés, enragés, insensés; et pourquoy n'estes-vous pas du nombre? Dieu vous a favorisee.

  A003000466 

 Combien de fois vous a-il donné ses Sacremens? combien de fois, des inspirations, des lumieres interieures, des reprehensions pour vostre amendement? combien de fois vous a-il pardonné vos fautes? combien de fois, delivree des occasions de vous perdre ou vous esties exposee? Et ces annees passees, n'estoyent ce pas un loysir et commodité de vous avancer au bien de vostre ame? Voyes un peu par le menu combien Dieu vous a esté doux et gracieux..

  A003000471 

 Et comment mon ame ne sera-elle pas meshuy sujette a Dieu, qui a fait tant de merveilles et de graces en moy et pour moy?.

  A003000493 

 Est il possible que j'aye esté si desloyale, que je n'aye laissé pas un seul de mes sens, pas une des puissances de mon ame, que je n'aye gasté, violé et souillé, et que pas un jour de ma vie ne soit escoulé auquel je n'aye produit de si mauvais effectz? Est-ce ainsy que je devois contrechanger les benefices de mon Createur et le sang de mon Redempteur?.

  A003000496 

 Pour effacer les pechés passés, je m'en accuseray courageusement, et n'en laisseray pas un que je ne pousse dehors..

  A003000547 

 Ah, je me veux juger moy-mesme maintenant, affin [47] que je ne sois pas jugee; je veux examiner ma conscience et me condamner, m'accuser et me corriger, affin que le Juge ne me condamne en ce jour redoutable: je me confesseray donq, j'accepteray les advis necessaires, etc..

  A003000588 

 O puisqu'il vous a pieu, mon bon et souverain Seigneur, redresser mes pas en vos voÿes, non, jamais [51] plus je ne retourneray en arriere.

  A003000604 

 Voyes de vos yeux interieurs la Sainte Vierge qui vous convie maternellement: Courage, ma fille, ne veuille pas mespriser les desirs de mon Filz, ni tant de souspirs que je jette pour toy, respirant avec luy ton salut eternel.

  A003000618 

 [55] Ceux qui ont des afflictions en ce peuple devot, ne se tourmentent pas beaucoup et n'en perdent point contenance.

  A003000619 

 Vous aves meshui quitté Satan avec sa triste et malheureuse troupe, par les bonnes affections que vous aves conceuës, et neanmoins vous n'estes pas encor arrivee au Roy Jesus, ni jointe a son heureuse et sainte compaignie de devotz, ains vous aves esté tous-jours entre l'un et l'autre..

  A003000630 

 Quand vous seres arrivee devant vostre pere spirituel, imaginés-vous d'estre en la montagne de Calvaire sous [57] les pieds de Jesus Christ crucifié, duquel le sang pretieux distille de toutes partz pour vous laver de vos iniquités; car, bien que ce ne soit pas le propre sang du Sauveur, c'est neanmoins le merite de son sang respandu qui arrouse abondamment les penitens autour des confessionnaux.

  A003000648 

 Je ne dis pas que vous descouvrirés des pechés venielz, mais je dis que vous descouvrirés des affections et inclinations a iceux; or, l'un est bien different de l'autre: car nous ne pouvons jamais estre du tout purs des pechés venielz, au moins pour persister long tems en cette pureté; mais nous pouvons bien n'avoir aucune affection aux pechés venielz.

  A003000649 

 Le peché veniel, pour petit qu'il soit, desplait a Dieu, bien qu'il ne luy desplaise pas tant que pour iceluy il nous veuille damner ou perdre.

  A003000650 

 Ces affections, Philothee, sont directement contraires a la devotion, comme les affections au peché mortel le sont a la charité: elles allanguissent les forces de l'esprit, empeschent les consolations divines, ouvrent la porte aux tentations; et bien qu'elles ne tuent pas l'ame, elles la rendent extremement malade.

  A003000650 

 Et de mesme, les pechés venielz, arrivans en une ame devote et ne s'y arrestans pas long tems, ne l'endommagent pas beaucoup; mais si ces mesmes pechés demeurent dans l'ame pour l'affection qu'elle y met, ilz luy font perdre sans doute la suavité de l'onguent, c'est a dire la sainte devotion..

  A003000651 

 Ainsy le peché veniel ne tue pas nostre ame, mais il gaste pourtant la devotion, et embarrasse si fort de mauvaises habitudes et inclinations les puissances de l'ame, qu'elle ne peut plus exercer la promptitude de la charité, en laquelle gist la devotion; mais cela s'entend quand le peché veniel sejourne en nostre conscience par l'affection que nous y mettons.

  A003000651 

 Les araignes ne tuent pas les abeilles, mais elles gastent et corrompent leur miel, et embarrassent leurs rayons des toiles qu'elles y font, en sorte que les abeilles ne peuvent plus faire leur mesnage; et cela s'entend quand elles y font du sejour.

  A003000655 

 Ce n'est pas mal de le faire, mais ouy bien de s'y affectionner.

  A003000656 

 Les cerfz ayans prins trop de venaison s'escartent et retirent dedans leurs buissons, connoissans que leur graisse les charge en sorte qu'ilz ne sont pas habiles a courir, si d'adventure ilz estoyent attaqués: le cœur de l'homme se chargeant de ces affections inutiles, superflues et dangereuses, ne peut sans doute promptement, aysement et facilement courir apres son Dieu, qui est le vray point de la devotion.

  A003000656 

 Mais n'est-ce pas une chose ridicule, ains plustost lamentable, de voir des hommes faitz s'empresser et s'affectionner apres des bagatelles si indignes, comme sont les choses que j'ay nommees, lesquelles, outre leur inutilité, nous mettent en peril de nous desregler et desordonner a leur poursuitte? C'est pourquoy, ma chere Philothee, je vous dis qu'il se faut purger de ces affections; et, bien que les actes ne soient pas tous-jours contraires a la devotion, les affections neanmoins luy sont tous-jours dommageables.

  A003000656 

 Or, je ne dis pas que nous ne puissions user de ces choses dangereuses; mais je dis bien pourtant que nous ne pouvons jamais y mettre de l'affection sans interesser la devotion.

  A003000661 

 Nous avons encores, Philothee, certaines inclinations naturelles lesquelles, pour n'avoir prins leur origine de nos pechés particuliers, ne sont pas proprement peché, ni mortel ni veniel, mais s'appellent imperfections, et leurs actes, defautz et manquemens.

  A003000661 

 On a bien treuvé le moyen de changer les amandiers amers en amandiers doux, en les perçant seulement au pied pour en faire sortir le [67] suc; pourquoy est-ce que nous ne pourrons pas faire sortir nos inclinations perverses pour devenir meilleurs? Il n'y a point de si bon naturel qui ne puisse estre rendu mauvais par les habitudes vicieuses; il n'y a point aussi de naturel si revesche qui, par la grace de Dieu premierement, puis par l'industrie et diligence, ne puisse estre dompté et surmonté.

  A003000668 

 Le Sauveur ne s'appelle pas pour neant le pain descendu du ciel; car, comme le pain doit estre mangé avec toutes sortes de viandes, aussi le Sauveur doit estre medité, consideré et recherché en toutes nos oraysons et actions.

  A003000669 

 N'y mettes pas aussi davantage d'une heure, si vostre pere spirituel ne le vous dit expressement..

  A003000670 

 Si vous pouves faire cet exercice dans l'eglise, et que vous y treuvies asses de tranquillité, ce vous sera une chose fort aysee et commode parce que nul, ni pere, ni mere, ni femme, ni mari, ni autre quelconque ne pourra vous bonnement empescher de demeurer une heure dans l'eglise, la ou estant en quelque subjection vous ne pourries peut estre pas vous promettre d'avoir une heure si franche dedans vostre mayson..

  A003000674 

 Si faisant l'orayson vocale, vous sentés vostre cœur tiré et convié a l'orayson interieure ou mentale, ne refuses point d'y aller, mais laissés tout doucement couler vostre esprit de ce costé la, et ne vous soucies point de n'avoir pas achevé les oraysons vocales que vous vous esties proposees; car la mentale que vous aures faitte en leur place est plus aggreable a Dieu et plus utile a vostre ame.

  A003000679 

 Mais vous ne sçaves peut estre pas, Philothee, comme il faut faire l'orayson mentale; car c'est une chose laquelle, par malheur, peu de gens sçavent en nostre [73] aage.

  A003000680 

 Chacun sçait cette verité, mais chacun n'est pas attentif a l'apprehender.

  A003000680 

 Helas, Philothee, nous ne voyons pas Dieu qui nous est present; et, bien que la foy nous advertisse de sa presence, si est-ce que ne le voyans pas de nos yeux, nous nous en oublions bien souvent, et nous comportons comme si Dieu estoit bien loin de nous; car encor que nous sçachions bien qu'il est present a toutes choses, si est-ce que n'y pensans point, c'est tout autant comme si nous ne le sçavions pas.

  A003000680 

 Il veut dire qu'il n'y pensoit pas; car au reste il ne pouvoit ignorer que Dieu ne fust en tout et par tout.

  A003000680 

 Les aveugles ne voyans pas un prince qui leur est present, ne laissent pas de se tenir en respect s'ilz sont advertis de sa presence; mais la verité est que, d'autant qu'ilz ne le voyent pas, ilz s'oublient aysement qu'il soit present, et s'en estans oubliés, ilz perdent encor plus aysement le respect et la reverence.

  A003000682 

 Or, ceci n'est pas une simple imagination, mais une vraÿe verité; car encor que nous ne le voyons pas, si est-ce que de la haut, il nous considere: saint Estienne le vit ainsy au tems de son martyre.

  A003000683 

 Mais si le tressaint Sacrement de l'autel estoit present, alhors cette presence seroit reelle et non purement imaginaire; car les especes et apparences du pain seroient comme une tapisserie, derriere laquelle Nostre Seigneur reellement present nous voit et considere, quoy que nous ne le voyons pas en sa propre forme..

  A003000684 

 Vous userés donq de l'un de ces quatre moyens, pour mettre vostre ame en la presence de Dieu avant l'orayson; et ne faut pas les vouloir employer tous ensemblement, mays seulement un a la fois, et cela briefvement et simplement.

  A003000692 

 Apres ces deux pointz ordinaires de la meditation, il y en a un troisiesme qui n'est pas commun a toutes sortes de meditations: c'est celuy que les uns appellent fabrication du lieu, et les autres, leçon interieure.

  A003000692 

 Il est vray que l'on [78] peut bien employer quelque similitude et comparayson pour ayder a la consideration; mais cela est aucunement difficile a rencontrer, et je ne veux traitter avec vous que fort simplement, et en sorte que vostre esprit ne soit pas beaucoup travaillé a faire des inventions..

  A003000692 

 J'en dis de mesme quand vous mediteres la mort, ainsy que je l'ay marqué en la meditation d'icelle, comme aussi a celle de l'enfer, et en tous semblables mysteres ou il s'agit de choses visibles et sensibles; car, quant aux autres mysteres, de la grandeur de Dieu, de l'excellence des vertus, de la fin pour laquelle nous sommes creés, qui sont des choses invisibles, il n'est pas question de vouloir se servir de cette sorte d'imagination.

  A003000693 

 Or, par le moyen de cette imagination, nous enfermons nostre esprit dans le mystere que nous voulons mediter, affin qu'il n'aille pas courant ça et la, ne plus ne moins que l'on enferme un oyseau dans une cage, ou bien comme l'on attache l'espervier a ses longes, affin qu'il demeure dessus le poing.

  A003000697 

 Apres l'action de l'imagination, s'ensuit l'action de l'entendement que nous appelions meditation, qui n'est autre chose qu'une ou plusieurs considerations faites affin d'esmouvoir nos affections en Dieu et aux choses divines: en quoy la meditation est differente de l'estude [79] et des autres pensees et considerations, lesquelles ne se font pas pour acquerir la vertu ou l'amour de Dieu, mais pour quelques autres fins et intentions, comme pour devenir sçavant, pour en escrire ou disputer.

  A003000697 

 Mais si vous ne rencontres pas selon vostre souhait en l'une des considerations, apres avoir un peu marchandé et essayé, vous passeres a une autre; mais alles tout bellement et simplement en cette besoigne, sans vous y empresser..

  A003000702 

 Il ne faut pas pourtant, Philothee, s'arrester tant a ces affections generales que vous ne les convertissies en des resolutions speciales et particulieres pour vostre correction et amendement.

  A003000707 

 [82] Ceux qui se sont promenés en un beau jardin n'en sortent pas volontier sans prendre en leur main quatre ou cinq fleurs pour les odorer et tenir le long de la journee: ainsy nostre esprit ayant discouru sur quelque mystere par la meditation, nous devons choisir un ou deux ou trois pointz que nous aurons treuvés plus a nostre goust, et plus propres a nostre avancement, pour nous en resouvenir le reste de la journee et les odorer spirituellement.

  A003000709 

 C'est le grand fruit de la meditation, sans lequel elle est bien souvent, non seulement inutile, mais nuisible, parce que les vertus meditees et non prattiquees enflent quelquefois l'esprit et le courage, nous estant bien advis que nous sommes telz que nous avons resolu et delibvré d'estre, ce qui est sans doute veritable si les resolutions sont vives et solides; mais elles ne sont pas telles, ains vaines et dangereuses, si [83] elles ne sont prattiquees.

  A003000710 

 Un homme qui auroit receu dans un vaisseau de belle porcelaine, quelque liqueur de grand prix pour l'apporter dans sa mayson, il iroit doucement, ne regardant point a costé, mais tantost devant soy, de peur de heurter a quelque pierre ou faire quelque mauvais pas, tantost a son vase pour voir s'il panche point.

  A003000710 

 Vous en deves faire de mesme au sortir de la meditation: ne vous distrayes pas tout a coup, mais regardes simplement devant vous; comme seroit a dire, s'il vous faut rencontrer quelqu'un que vous soyes obligee d'entretenir ou ouïr, il n'y a remede, il faut s'accommoder a cela, mais en telle sorte que vous regardies aussi a vostre cœur, affin que la liqueur de la sainte orayson ne s'espanche que le moins qu'il sera possible..

  A003000712 

 Il vous arrivera quelquefois qu'incontinent apres la preparation, vostre affection se treuvera toute esmeuë en Dieu: alhors, Philothee, il luy faut lascher la bride, sans vouloir suivre la methode que je vous ay donnee; car bien que pour l'ordinaire, la consideration doit preceder les affections et resolutions, si est-ce que le Saint Esprit vous donnant les affections avant la consideration, vous ne deves pas rechercher la consideration, puisqu'elle ne se fait que pour esmouvoir l'affection.

  A003000718 

 Mais quand il ne le feroit pas, contentons-nous, Philothee, que ce nous est un honneur trop plus grand d'estre aupres de luy et a sa veuë.

  A003000718 

 Que s'il plaist a la divine Majesté de nous parler et s'entretenir avec nous par ses saintes inspirations et consolations interieures, ce nous sera sans doute un grand honneur et un playsir tres delicieux; mais s'il ne luy plaist pas de nous faire cette grace, nous laissans la sans nous parler, non plus que s'il ne nous voyoit pas et que nous ne fussions pas en sa presence, nous ne devons pourtant pas sortir, ains, au contraire, nous devons demeurer la, devant cette souveraine Bonté, avec un maintien devotieux et paisible; et lhors infalliblement il aggreera nostre patience, et remarquera nostre assiduité et perseverance, si qu'une autre fois, quand nous reviendrons devant luy, il nous favorisera et s'entretiendra avec nous par ses consolations, nous faysant voir l'amenité de la sainte orayson.

  A003000725 

 Et ne suffit pas [88] de faire cette resolution, mais il faut preparer les moyens pour la bien executer.

  A003000744 

 Et aussi, les conversations ne sont pas ordinairement si serieuses qu'on ne puisse de tems en tems en retirer le cœur pour le remettre en cette divine solitude..

  A003000744 

 Resouvenés vous donq, Philothee, de faire tous-jours plusieurs retraittes en la solitude de vostre cœur, pendant que corporellement vous estes parmi les conversations et affaires; et cette solitude mentale ne peut nullement estre empeschee par la multitude de ceux qui vous sont autour, car ilz ne sont pas autour de vostre cœur, ains autour de vostre cors, si que vostre cœur demeure luy tout seul en la presence de Dieu seul.

  A003000752 

 Le pelerin qui prend un peu de vin pour res-jouir son cœur et rafraischir sa bouche, bien qu'il s'arreste un peu pour cela, ne rompt pourtant pas son voyage, ains prend de la force pour le plus vistement et aysement parachever, ne s'arrestant que pour mieux aller..

  A003000756 

 Un levreau pressé des chiens accourut sous le cheval de ce saint Prelat, qui pour lhors voyageoit, comme a un refuge que le peril eminent de la mort luy suggeroit; et les chiens clabaudans tout autour n'osoyent entreprendre de violer l'immunité a laquelle leur proye avoit eu recours; spectacle certes extraordinaire, qui faisoit rire tout le train, tandis que le grand Anselme, pleurant et gemissant: Ha, vous ries, disoit-il, mais la pauvre beste ne rit pas; les ennemis de l'ame, poursuivie et mal menee par divers destours en toutes sortes de pechés, l'attendent au destroit de la mort pour la ravir et devorer, et elle, toute effrayee, cherche par tout secours et refuge; que si elle n'en treuve point, ses [97] ennemis s'en moquent et s'en rient.

  A003000761 

 Sans iceluy, on ne peut pas bien faire la vie contemplative, et ne sçauroit-on que mal faire la vie active; sans iceluy, le repos n'est qu'oysiveté, et le travail, qu'embarrassement; c'est pourquoy je vous conjure de l'embrasser de tout vostre cœur, sans jamais vous en departir..

  A003000768 

 Si, par quelque force forcee, vous ne pouves pas vous rendre présente a la celebration de ce souverain Sacrifice, d'une presence reelle, au moins faut-il que vous y porties vostre cœur pour y assister d'une presence spirituelle.

  A003000770 

 Mais si vous voules pendant la Messe faire vostre meditation sur les mysteres que vous ailes suivant de jour en jour, il ne sera pas requis que vous vous divertissies a faire ces particulieres actions; ains suffira qu'au commencement vous dressies vostre intention a vouloir adorer et offrir ce saint Sacrifice par l'exercice de vostre meditation et orayson, puisqu'en toute meditation se treuvent les actions susdites, ou expressement ou tacitement et virtuellement.

  A003000774 

 Et puis (affin que je le die une fois pour toutes), il y a tous-jours plus de bien et de consolation aux offices publiez de l'Eglise, que non pas aux actions particulieres, Dieu ayant ainsy ordonné que la communion soit preferee a toute sorte de particularité..

  A003000774 

 Outre cela, Philothee, les festes et Dimanches il faut assister a l'office des Heures et des Vespres, tant que vostre commodité le permettra; car ces jours-la sont dediés a Dieu, et faut bien faire plus d'actions a son honneur et gloire en iceux que non pas es autres jours.

  A003000775 

 Entres volontier aux confrairies du lieu ou vous estes, et particulierement en celles desquelles les exercices apportent plus de fruit et d'edification; car en cela vous ferés une sorte d'obeissance fort aggreable a Dieu, d'autant qu'encor que les confrairies ne soient pas commandees, elles sont neanmoins recommandees par l'Eglise, laquelle, pour tesmoigner qu'elle desire que plusieurs s'y enroolent, donne des indulgences et autres privileges aux confreres.

  A003000788 

 Soyes devote a la parole de Dieu: soit que vous l'escouties en devis familiers avec vos amis spirituelz, soit que vous l'escouties au sermon, oyes-la tous-jours avec attention et reverence; faites en bien vostre prouffit et ne permettes pas qu'elle tombe a terre, ains receves-la comme un pretieux baume dans vostre cœur, a l'imitation de la Tressainte Vierge, qui conservoit soigneusement dedans le sien toutes les paroles que l'on disoit a la louange de son Enfant.

  A003000790 

 Car bien que beaucoup des actions des Saintz ne soyent pas absolument imitables par ceux qui vivent emmi le monde, si est-ce que toutes peuvent estre suivies ou de pres ou de loin: la solitude de saint Paul premier ermite est imitee en vos retraittes spirituelles et reelles, desquelles nous parlerons, et avons parlé ci dessus; l'extreme [107] pauvreté de saint François, par les prattiques de la pauvreté telles que nous les marquerons, et ainsy des autres.

  A003000790 

 Il y en a d'autres ou il y a plus de sujet d'admiration que d'imitation, comme celle de sainte Marie Egyptienne, de saint Simeon Stylite, des deux saintes Catherine de Sienne et de Gennes, de sainte Angele et autres telles, lesquelles ne laissent pas neanmoins de donner un grand goust general du saint amour de Dieu..

  A003000797 

 Le playsir qu'on prend aux inspirations est un grand acheminement a la gloire de Dieu, et des-ja on commence a plaire par iceluy a sa divine Majesté; car si bien cette delectation n'est pas encor un entier consentement, c'est une certaine disposition a iceluy.

  A003000798 

 Ce fut ce qui arriva a l'Espouse; car, quoy que la douce voix de son Bienaymé luy eust touché le cœur d'un saint ayse, si est-ce neanmoins qu'elle ne luy ouvrit pas la porte, mais s'en excusa d'une excuse frivole; dequoy l'Espoux justement indigné, passa outre et la quitta.

  A003000806 

 Confesses vous humblement et devotement tous les huit jours, et tous-jours s'il se peut quand vous communieres, encor que vous ne senties point en vostre conscience aucun reproche de peché mortel; car par la Confession vous ne recevres pas seulement l'absolution des pechés venielz que vous confesserés, mays aussi une grande force pour les eviter a l'advenir, une grande lumiere pour les bien discerner, et une grace abondante pour reparer toute la perte qu'ilz vous avoient apportee.

  A003000808 

 De mesme, ne vous accuses pas de n'avoir pas prié Dieu avec telle devotion comme vous deves; mays si vous aves eu des distractions volontaires, ou que vous ayes negligé de prendre le lieu, le tems et la contenance requise pour avoir l'attention en la priere, accuses-vous en tout simplement, selon que vous treuverés y avoir manqué, sans alleguer cette generalité, qui ne fait ni froid ni chaud en la Confession..

  A003000808 

 Et bien, accuses-vous de cette particularité et dites: ayant veu un pauvre necessiteux, je ne l'ay pas secouru comme je pouvois, par negligence, ou par dureté de cœur, ou par mespris, selon que vous connoistres l'occasion de cette faute.

  A003000808 

 Ne faites pas seulement ces accusations superflues que plusieurs font par routine: je n'ay pas aymé Dieu tant que je devois; je n'ay pas prié avec tant de devotion que je devois; je n'ay pas cheri le prochain comme je devois; je n'ay pas receu les Sacremens avec la reverence que je devois, et telles semblables: la rayson est, parce qu'en disant cela vous ne dires rien de particulier qui puisse faire entendre au confesseur l'estat de vostre conscience, d'autant que tous les Saintz de Paradis et tous les hommes de la terre pourroyent dire les mesmes choses s'ilz se confessoyent.

  A003000808 

 Par exemple, vous vous accuses de n'avoir pas cheri le prochain comme vous devies; c'est peut estre parce qu'ayant veu quelque pauvre fort necessiteux, lequel vous pouvies aysement secourir et consoler, vous n'en aves eu nul soin.

  A003000809 

 Il faut donq dire le fait, le motif et la duree de nos pechés; car encores que communement on ne soit pas obligé d'estre si pointilleux en la declaration des pechés venielz, et que mesme on ne soit pas tenu absolument de les confesser, si est-ce que ceux qui veulent bien espurer leurs ames pour mieux atteindre a la sainte devotion, doivent estre soigneux de bien faire connoistre au medecin spirituel le mal, pour petit qu'il soit, duquel ilz veulent estre gueris..

  A003000809 

 Ne vous contentes pas de dire vos pechés venielz quant au fait, mais accuses-vous du motif qui vous a [113] induit a les commettre.

  A003000809 

 Par exemple, ne vous contentés pas de dire que vous aves menti sans interesser personne; mais dites si ç'a esté ou par vaine gloire, affin de vous loüer et excuser, ou par vaine joye, ou par opiniastreté.

  A003000810 

 Et s'il est encor besoin de particulariser les paroles pour vous [114] bien declarer, je pense qu'il seroit bon de les dire; car s'accusant ainsy naifvement, on ne descouvre pas seulement les pechés qu'on a fait, mais aussi les mauvaises inclinations, coustumes, habitudes et autres racines du peché, au moyen dequoy le pere spirituel prend une plus entiere connoissance du cœur qu'il traitte et des remedes qui luy sont propres.

  A003000812 

 Ne changes pas aysement de confesseur, mais en ayant choisi un, continues a luy rendre conte de vostre conscience aux jours qui sont destinés pour cela, luy disant naifvement et franchement les pechés que vous aures commis; et de tems en tems, comme seroit de mois en mois ou de deux mois en deux mois, dites-luy encor l'estat de vos inclinations, quoy que par icelles vous n'ayes pas peché, comme si vous esties tourmentee de la tristesse, du chagrin, ou si vous estes portee a la joye, aux desirs d'acquerir des biens, et semblables inclinations.

  A003000815 

 Que si les fruitz les plus tendres et sujetz a corruption, comme sont les cerises, les abricotz et les fraises, se conservent aysement toute l'annee estans confitz au sucre ou au miel, ce n'est pas merveille si nos cœurs, quoy que fresles et imbecilles, sont preservés de la corruption du peché lhors qu'ilz sont sucrés et emmiellés de la chair et du sang incorruptible du Filz de Dieu.

  A003000816 

 La response de sainte Catherine de Sienne fut gracieuse, quand luy estant opposé, a rayson de sa [117] frequente Communion, que saint Augustin ne loüoit ni ne vituperoit de communier tous les jours: Et bien, dit-elle, « puisque saint Augustin ne le vitupere pas, je vous prie que vous ne le vituperies pas non plus, » et je me contenteray..

  A003000816 

 » Ce sont les propres paroles de saint Augustin, avec lequel je ne vitupere ni loüe absolument que l'on communie tous les jours, mais laisse cela a la discretion du pere spirituel de celuy qui se voudra resouldre sur ce point; car la disposition requise pour une si frequente Communion devant estre fort exquise, il n'est pas bon de le conseiller generalement; et parce que cette disposition la, quoy qu'exquise, se peut treuver en plusieurs bonnes ames, il n'est pas bon non plus d'en divertir et dissuader generalement un chacun, ains cela se doit traitter par la consideration de l'estat interieur d'un chacun en particulier.

  A003000817 

 Puisque, comme je presuppose, vous n'aves nulle sorte d'affection du peché mortel, ni aucune affection au peché veniel, vous estes en la vraye disposition que saint Augustin requiert, et encores plus excellente, parce que non seulement vous n'aves pas l'affection de pecher, mais vous n'aves pas mesme l'affection du peché; si que, quand vostre pere spirituel le treuveroit bon, vous pourries utilement communier encores plus souvent que tous les Dimanches..

  A003000818 

 On ne peut pas bien arrester cecy en general, il faut faire ce que le pere spirituel dira; bien que je puisse dire asseurement que la plus grande distance des Communions est celle de mois a mois, entre ceux qui veulent servir Dieu devotement..

  A003000818 

 Plusieurs legitimes empeschemens peuvent neanmoins vous arriver, non point de vostre costé mais de la part de ceux avec lesquelz vous vives, qui donneroyent occasion au sage conducteur de vous dire que vous ne communies pas si souvent.

  A003000819 

 Si vous estes bien prudente, il n'y a ni mere, ni [118] femme, ni mari, ni pere qui vous empesche de communier souvent: car, puisque le jour de vostre Communion, vous ne laisseres pas d'avoir le soin qui est convenable a vostre condition, que vous en seres plus douce et plus gracieuse en leur endroit et que vous ne leur refuseres nulle sorte de devoirs, il n'y a pas de l'apparence qu'ilz veuillent vous destourner de cet exercice, qui ne leur apportera aucune incommodité, sinon qu'ilz fussent d'un esprit extremement coquilleux et desraysonnable; en ce cas, comme j'ay dit, a l'adventure que vostre directeur voudra que vous usies de condescendance..

  A003000820 

 C'est chose indecente, bien que non pas grand peché, de solliciter le payement du devoir nuptial le jour que l'on s'est communié, mais ce n'est pas chose malseante, ains plustost meritoire de le payer.

  A003000826 

 Et apres que vous aures dit les paroles sacrees: Seigneur, je ne suis pas digne, ne remues plus vostre teste ni vos levres, soit pour prier soit pour souspirer, mais ouvrant doucement et mediocrement vostre bouche, et eslevant vostre teste autant qu'il faut pour donner commodité au prestre de voir ce qu'il fait, receves pleine de foy, d'esperance et de charité Celuy lequel, auquel, par [120] lequel et pour lequel vous croyes, esperes et aymes.

  A003000827 

 Mais quand vous ne pourres pas avoir ce bien de communier reellement a la sainte Messe, communies au moins de cœur et d'esprit, vous unissant par un ardent desir a cette chair vivifiante du Sauveur..

  A003000829 

 Dites leur que ceux qui n'ont pas beaucoup d'affaires mondaines doivent souvent communier parce qu'ilz en ont la commodité, et ceux qui ont beaucoup d'affaires mondaines, parce qu'ilz en ont necessité, et que celuy qui travaille beaucoup et qui est chargé de peynes doit aussi manger les viandes solides et souventesfois.

  A003000829 

 Dites leur que vous receves le Saint Sacrement pour apprendre a le bien recevoir, parce que l'on ne fait gueres bien une action a laquelle on ne s'exerce pas souvent..

  A003000835 

 C'est un grand defaut en plusieurs qui, entreprenans l'exercice de quelque vertu particuliere, s'opiniastrent d'en produire des actions en toutes sortes [124] de rencontres, et veulent, comme ces anciens philosophes, ou tous-jours pleurer ou tous-jours rire; et font encor pis quand ilz blasment et censurent ceux qui, comme eux, n'exercent pas tous-jours ces mesmes vertus.

  A003000835 

 Le roy des abeilles ne se met point aux champs qu'il ne soit environné de tout son petit peuple, et la charité n'entre jamais dans un cœur qu'elle n'y loge avec soy tout le train des autres vertus, les exerçant et mettant en besoigne ainsy qu'un capitaine fait ses soldatz; mais elle ne les met pas en œuvre ni tout a coup, ni egalement, ni en tous tems, ni en tous lieux.

  A003000836 

 Il ne se presente pas souvent des occasions de prattiquer la force, la magnanimité, la magnificence; mais la douceur, la temperance, l'honnesteté et l'humilité sont des certaines vertus desquelles toutes les actions de nostre vie doivent estre teintes.

  A003000836 

 Il y a neanmoins des vertus lesquelles ont leur usage presque universel, et qui ne doivent pas seulement faire leurs actions a part, ains doivent encor respandre leurs qualités es actions de toutes les autres vertus.

  A003000837 

 Chaque vacation a besoin de prattiquer quelque speciale vertu: autres sont les vertus d'un prelat, autres celles d'un prince, autres celles d'un soldat, autres celles d'une femme mariee, autres celles d'une vefve; et bien que tous doivent avoir toutes les vertus, tous neanmoins ne les doivent pas egalement prattiquer, mais un chacun se doit particulierement addonner a celles qui sont requises au genre de vie auquel il est appellé..

  A003000837 

 Entre les exercices des vertus, nous devons preferer celuy qui est plus conforme a nostre devoir, et non pas celuy qui est plus conforme a nostre goust.

  A003000838 

 Choisissés donq, Philothee, les meilleures vertus et non pas les plus estimees, les [125] plus excellentes et non pas les plus apparentes, les meilleures et non pas les plus braves.

  A003000838 

 Entre les vertus qui ne regardent pas nostre devoir particulier, il faut preferer les plus excellentes et non pas les plus apparentes.

  A003000838 

 Les cometes paraissent pour l'ordinaire plus grandes que les estoiles et tiennent beaucoup plus de place a nos yeux; elles ne sont pas neanmoins comparables ni en grandeur ni en qualité aux estoiles, et ne semblent grandes sinon parce qu'elles sont proches de nous et en un sujet plus grossier au prix des estoiles.

  A003000839 

 Euloge Alexandrin, désirant faire quelque service particulier a Dieu, et n'ayant pas asses de force ni pour embrasser la vie solitaire ni pour se ranger sous l'obeissance d'un autre, retira chez soy un miserable tout perdu et gasté de ladrerie pour exercer en iceluy la charité et mortification; ce que pour faire plus dignement, il fit vœu de l'honnorer, traitter et servir comme un valet feroit son maistre et seigneur.

  A003000839 

 Or, sur quelque tentation survenue tant au ladre qu'a Euloge de se quitter l'un l'autre, ilz s'addresserent au grand saint Anthoine qui leur dit: « Gardes bien, mes enfans, de vous separer l'un de l'autre; car estans tous deux proches de vostre fin, si l'Ange ne vous treuve pas ensemble, vous coures grand peril de perdre vos couronnes.

  A003000846 

 Quand nous sommes combattus de quelque vice, il faut, tant qu'il nous est possible, embrasser la prattique de la vertu contraire, rapportant les autres a icelle; car par ce moyen nous vaincrons nostre ennemi et ne laisserons pas de nous avancer en toutes les vertus.

  A003000851 

 [129] Voyes vous, Philothee, c'estoit le zele tres ardent d'une parfaitte pureté qui provoquoit ce grand Saint a cette sorte de methode, et ce zele estoit une grande vertu, mais vertu neanmoins qui ne laissoit pas d'estre reprehensible.

  A003000852 

 C'est bon signe en un malade quand au sortir de sa maladie les jambes luy enflent, car cela denote que la nature des-ja renforcee rejette les humeurs superflues; mays ce mesme signe seroit mauvais en celuy qui ne seroit pas malade, car il [130] feroit connoistre que la nature n'a pas asses de force pour dissiper et resouldre les humeurs.

  A003000852 

 J'atteste Jesus auquel elle a servi et auquel je desire servir, que je ne mens ni d'un costé ni d'autre, ains produis naifvement ce qui est d'elle, comme Chrestien d'une Chrestienne; c'est a dire, j'en escris l'histoire, non pas un panegyrique, et que ses vices sont les vertus des autres.

  A003000853 

 J'adjouste que nous n'avons pas entrepris de nous rendre sinon gens de bien, gens de [131] devotion, hommes pieux, femmes pieuses, c'est pourquoy il nous faut bien employer a cela; que s'il plait a Dieu de nous eslever jusques a ces perfections angeliques, nous serons aussi des bons anges, mais en attendant exerçons-nous simplement, humblement et devotement aux petites vertus, la conqueste desquelles Nostre Seigneur a exposee a nostre soin et travail: comme la patience, la debonnaireté, la mortification du cœur, l'humilité, l'obeissance, la pauvreté, la chasteté, la tendreté envers le prochain, le support de ses imperfections, la diligence et sainte ferveur..

  A003000853 

 Mais pour tout cela, il ne faut pas pretendre a telles graces, puisqu'elles ne sont nullement necessaires pour bien servir et aymer Dieu, qui doit estre nostre unique pretention; aussi, bien souvent ne sont-ce pas des graces qui puissent estre acquises par le travail et industrie, puisque ce sont plustost des passions que des actions, lesquelles nous pouvons recevoir, mais non pas faire en nous.

  A003000853 

 Voyés-vous, Philothee, ces perfections ne sont pas vertus; ce sont plustost des recompenses que Dieu donne pour les vertus, ou bien encor plustost des eschantillons des felicités de la vie future, qui quelquefois sont presentés aux hommes pour leur faire desirer les pieces toutes entieres qui sont la haut en Paradis.

  A003000854 

 Certes, les pretentions si hautes et eslevees des choses extraordinaires sont grandement sujettes aux illusions, tromperies et fausetés; et arrive quelquefois que ceux qui pensent estre des anges ne sont pas seulement bons hommes, et qu'en leur fait il y a plus de grandeur es paroles et termes dont ilz usent, qu'au sentiment et en l'œuvre.

  A003000854 

 Laissons volontier les sureminences aux ames sur-eslevees: nous ne meritons pas un rang si haut au service de Dieu; trop heureux serons-nous de le servir en sa cuisine, en sa paneterie, d'estre des laquais, portefaix, garçons de chambre; c'est a luy par apres, si bon luy semble, de nous retirer en son cabinet et conseil privé.

  A003000854 

 Ouy, Philothee, car ce Roy de gloire ne recompense pas ses serviteurs selon la dignité des offices qu'ilz exercent, mais selon l'amour et humilité avec laquelle ilz les exercent.

  A003000859 

 Il y en a qui ne veulent souffrir sinon les tribulations qui sont honnorables, comme par exemple, d'estre blessés a la guerre, d'estre prisonniers de guerre, d'estre mal traittés pour la religion, de s'estre appauvris par quelque querelle en laquelle ilz soyent demeurés maistres; et ceux-ci n'ayment pas la tribulation, mais l'honneur qu'elle apporte.

  A003000860 

 Il y en a d'autres qui veulent bien avoir quelque incommodité du mal, ce leur semble, mays non pas l'avoir toute: ilz ne s'impatientent pas, disent-ilz, d'estre malades, mais de ce qu'ilz n'ont pas de l'argent pour se faire panser, ou bien de ce que ceux qui sont autour d'eux en sont importunés.

  A003000864 

 Le vray patient ne se plaint point de son mal ni ne desire qu'on le plaigne; il en parle naifvement, veritablement et simplement, sans se lamenter, sans se plaindre, sans l'aggrandir: que si on le plaint, il souffre patiemment qu'on le plaigne, sinon qu'on le plaigne de quelque mal qu'il n'a pas; car lhors il declare modestement qu'il n'a point ce mal la, et demeure en cette sorte paisible entre la verité et la patience, confessant son mal et ne s'en plaignant point..

  A003000864 

 Or, cela est vrayment une patience, mais une patience fause qui, en effect, n'est autre chose qu'une tres delicate et tres fine ambition et vanité: Ilz ont de la gloire, dit l'Apostre, mais non pas envers Dieu.

  A003000865 

 Es contradictions qui vous arriveront en l'exercice de la devotion (car cela ne manquera pas), resouvenes-vous de la parolle de Nostre Seigneur: La femme tandis qu'elle enfante a des grandes angoisses, mais voyant son enfant né elle les oublie, d'autant qu'un homme luy est né au monde; car vous aves conceu en vostre ame le plus digne enfant du monde, qui est Jesus Christ: avant qu'il soit produit et enfanté du tout, il ne se peut que vous ne vous ressenties du travail; mais ayés bon courage, car, ces douleurs passees, la joye eternelle vous demeurera d'avoir enfanté un tel homme au monde.

  A003000872 

 Il y en a qui se rendent fiers et morgans pour estre sur un bon cheval, pour avoir un pennache en leur chapeau, pour estre habillés somptueusement; mais qui ne void cette folie? car s'il y a de la gloire pour cela, elle est [140] pour l'oyseau et pour le tailleur; et quelle lascheté de courage est ce d'emprunter son estime d'un cheval, d'une plume, d'un goderon? Les autres se prisent et regardent pour des moustaches relevees, pour une barbe bien peignee, pour des cheveux crespés, pour des mains douillettes, pour sçavoir danser, joüer, chanter; mais ne sont ilz pas lasches de courage, de vouloir encherir leur valeur et donner du surcroist a leur reputation par des choses si frivoles et folastres? Les autres, pour un peu de science, veulent estre honnorés et respectés du monde, comme si chacun devoit aller a l'escole chez eux et les tenir pour maistres: c'est pourquoy on les appelle pedans.

  A003000872 

 La noblesse de la race, la faveur des grans, l'honneur populaire, ce sont choses qui ne sont pas en nous, mais ou en nos predecesseurs, ou en l'estime d'autruy.

  A003000872 

 Nous appelions vaine la gloire qu'on se donne ou pour ce qui n'est pas en nous, ou pour ce qui est en nous mais non pas a nous, ou pour ce qui est en nous et a nous, mais qui ne merite pas qu'on s'en glorifie.

  A003000876 

 Car, comme ceux qui viennent du Peru, outre l'or et l'argent qu'ilz en tirent, apportent encor des singes et perroquetz, parce qu'ilz ne leur coustent gueres et ne chargent pas aussi beaucoup leur navire; ainsy ceux qui pretendent a la vertu ne laissent pas de prendre leurs rangs et les honneurs qui leur sont deus, pourveu toutefois que cela ne leur couste pas beaucoup de soin et d'attention, et que ce soit sans en estre chargés de trouble, d'inquietude, de disputes et contentions.

  A003000876 

 Je ne parle neanmoins pas de ceux desquelz la dignité regarde le public, ni de certaines occasions particulieres qui tirent une grande consequence; car en cela, il faut que chacun conserve ce qui luy appartient, avec une prudence et discretion qui soit accompagnee de charité et courtoisie..

  A003000876 

 Les espritz bien nés ne s'amusent pas a ces menus fatras de rangs, d'honneurs, de salutations; ilz ont d'autres choses a faire: c'est le propre des espritz faineans.

  A003000876 

 Qui peut avoir des perles ne se charge pas de coquilles; et ceux qui pretendent a la vertu ne s'empressent point pour les honneurs.

  A003000881 

 Il ne faut pas craindre que la connoissance de ce qu'il a mis en nous nous enfle, pourveu que nous soyons attentifz a cette verité, que ce qui est de bon en nous n'est pas de nous.

  A003000881 

 Mais si voyans les graces que Dieu nous a faites, quelque sorte de vanité nous venoit chatouiller, le remede infallible sera de recourir a la consideration de nos ingratitudes, de nos imperfections, de nos miseres: si nous considerons ce que nous avons fait quand Dieu n'a pas esté avec nous, nous connoistrons bien que ce que nous faisons quand il est avec nous n'est pas de nostre façon ni de nostre creu; nous en jouirons voyrement et nous en resjouirons parce que nous l'avons, mais nous en glorifierons Dieu seul parce qu'il en est l'autheur.

  A003000882 

 La vraye humilité ne fait pas semblant de l'estre et ne dit gueres de paroles d'humilité, car elle ne desire pas seulement de cacher les autres vertus, mais encor et principalement elle souhaitte de se cacher soy mesme; et s'il luy estoit loysible de mentir, de feindre, ou de scandaliser le prochain, elle produiroit des actions d'arrogance et de fierté, affin de se receler sous icelles et y vivre du tout inconneuë et a couvert..

  A003000883 

 J'en dis de mesme de quelques paroles [147] d'honneur ou de respect qui, a la rigueur, ne semblent pas veritables; car elles le sont neanmoins asses, pourveu que le cœur de celuy qui les prononce ait une vraye intention d'honnorer et respecter celuy pour lequel il les dit; car encor que les motz signifient avec quelque exces ce que nous disons, nous ne faisons pas mal de les employer quand l'usage commun le requiert.

  A003000883 

 L'homme vrayement humble aymeroit mieux qu'un autre dist de luy qu'il est miserable, qu'il n'est rien, qu'il ne vaut rien, que non pas de le dire luy mesme: au moins, s'il sçait qu'on le die, il ne contredit point, mais acquiesce de bon cœur; car croyant fermement cela, il est bien ayse qu'on suive son opinion..

  A003000883 

 Or, je tiens cette regle si generale que je n'y apporte nulle exception: seulement j'adjouste que la civilité requiert que nous presentions quelquefois l'advantage a ceux qui manifestement ne le prendront pas, et ce n'est pourtant pas ni duplicité ni fause humilité; car alhors le seul offre de l'advantage est un commencement d'honneur, et puisqu'on ne peut le leur donner entier on ne fait pas mal de leur en donner le commencement.

  A003000883 

 Voyci donq mon ad vis, Philothee: ou ne disons point de paroles d'humilité, ou disons les avec un vray sentiment interieur, conforme a ce que nous prononçons exterieurement; n'abbaissons jamais les yeux qu'en humiliant nos cœurs; ne faisons pas semblant de vouloir estre des derniers, que de bon cœur nous ne voulussions l'estre.

  A003000884 

 Mais ne voit il pas que quand Dieu nous veut gratifier, c'est orgueil de refuser? que les dons de Dieu nous obligent a les recevoir, et que c'est humilité d'obeir et suivre au plus pres que nous pouvons ses desirs? Or, le desir de Dieu est que nous soyons parfaitz, nous unissans a luy et l'imitans au plus presque nous pouvons.

  A003000884 

 Plusieurs disent qu'ilz laissent l'orayson mentale pour les parfaitz, et qu'eux ne sont pas dignes de la faire; les autres protestent qu'ilz n'osent pas souvent communier, parce qu'ilz ne se sentent pas asses purs; les autres, qu'ilz craignent de faire honte a la devotion s'ilz s'en meslent, a cause de leur grande misere et fragilité; et les autres refusent d'employer leur talent au service de Dieu et du prochain parce, disent ilz, qu'ilz connoissent leur foiblesse et qu'ilz ont peur de s'enorgueillir s'ilz sont instrumens de quelque bien, et qu'en esclairant les autres ilz se consument.

  A003000885 

 Penser sçavoir ce qu'on ne sçait pas, c'est une sottise expresse; vouloir faire le sçavant de ce qu'on connoist bien que l'on ne sçait pas, c'est une vanité insupportable: pour moy, je ne voudrois pas mesme faire le sçavant de ce que je sçaurois, comme au contraire je n'en voudrois non plus faire l'ignorant.

  A003000886 

 En suite dequoy je vous diray que si pour les actions d'une vraye et naifve devotion, on vous estime vile, abjecte ou folle, l'humilité vous fera res-jouir de ce bienheureux opprobre, duquel la cause n'est pas en vous, mais en ceux qui le font.

  A003000886 

 Et quant a David, s'il dansa et sauta un peu plus que l'ordinaire bienseance ne requeroit devant l'Arche de l'alliance, ce n'estoit pas qu'il voulust faire le fol; mais tout simplement et sans artifice, il faisoit ces mouvemens exterieurs conformes a l'extraordinaire et demesuree allegresse qu'il sentoit en son cœur.

  A003000886 

 Il est vray que quand Michol sa femme luy en fit reproche comme d'une folie, il ne fut pas marri de se voir avili: ains perseverant en la naifve et veritable representation de sa joye, il tesmoigna d'estre bien ayse de recevoir un peu d'opprobre pour son Dieu.

  A003000886 

 Que si quelques grans serviteurs de Dieu ont fait semblant d'estre folz pour se rendre plus abjectz devant le monde, il les faut admirer et non pas imiter; car ilz ont eu des motifz pour passer a cet exces qui leur ont esté si particuliers et extraordinaires, que personne n'en doit tirer aucune consequence pour soy.

  A003000890 

 Or, je dis maintenant qu'il ne faut pas seulement aymer le mal, ce qui se fait par la vertu de la patience; mays il faut aussi cherir l'abjection, ce qui se fait par la vertu de l'humilité..

  A003000891 

 En voyci d'une autre sorte: nous allons visiter les malades; si on m'envoye au plus miserable, ce me sera une abjection selon le monde, c'est pourquoy je l'aymeray; si on m'envoye [152] a ceux de qualité, c'est une abjection selon l'esprit, car il n'y a pas tant de vertu ni de merite, et j'aymeray donques cette abjection.

  A003000891 

 Un jeune gentilhomme ou une jeune dame qui ne s'abandonnera pas au desreglement d'une troupe desbauchee, a parler, jouer, danser, boire, vestir, sera brocardé et censuré par les autres, et sa modestie sera nommee ou bigoterie ou affaiterie: aymer cela, c'est aymer son abjection.

  A003000892 

 Il y a mesme des fautes esquelles il n'y a aucun mal que la seule abjection; et l'humilité ne requiert pas qu'on les face expressement, mais elle requiert bien qu'on ne s'inquiete point quand on les aura commises: telles sont certaines sottises, incivilités et inadvertances, lesquelles comme il faut eviter avant qu'elles soyent faittes, pour obeir a la civilité et prudence, aussi faut il quand elles sont faittes, acquiescer a l'abjection qui nous en revient, et l'accepter de bon cœur pour suivre la sainte humilité.

  A003000892 

 Je dis bien davantage: si je me suis desreglé par cholere ou par dissolution a dire des parolles indecentes et desquelles Dieu et le prochain est offencé, je me repentiray vivement et seray extremement marri de l'offence, laquelle je m'essayeray de reparer le mieux qu'il me sera possible; mays je ne laisseray pas d'aggreer l'abjection et le mespris qui m'en arrive; et si l'un se pouvoit separer d'avec l'autre, je rejetterois ardemment le peché et garderois humblement l'abjection..

  A003000893 

 Mais quoy que nous aymions l'abjection qui s'ensuit du mal, si ne faut il pas laisser de remedier au mal qui l'a causee, par des moyens propres et legitimes, et sur tout quand le mal est de consequence.

  A003000893 

 Si j'ay fait une chose qui n'offense personne, je ne m'en excuseray pas, parce qu'encor que ce soit un defaut, si est-ce qu'il n'est pas permanent; je ne pourrois donques m'en excuser que pour l'abjection qui m'en revient; or c'est cela que l'humilité ne peut permettre: [153] mais si par mesgarde ou par sottise j'ay offensé ou scandalisé quelqu'un, je repareray l'offense par quelque veritable excuse, d'autant que le mal est permanent et que la charité m'oblige de l'effacer.

  A003000893 

 Si j'ay quelque mal abject au visage, j'en procureray la guerison, mais non pas que l'on oublie l'abjection laquelle j'en ay receuë.

  A003000894 

 Mais vous voulés sçavoir, Philothee, quelles sont les meilleures abjections; et je vous dis clairement que les plus prouffitables a l'ame et aggreables a Dieu sont celles que nous avons par accident ou par la condition de nostre vie, parce que nous ne les avons pas choisies, ains les avons receuës telles que Dieu nous les a envoyees, duquel l'election est tous-jours meilleure que la nostre.

  A003000899 

 Elle consent bien neanmoins a l'advertissement du Sage, qui nous admoneste d' avoir soin de nostre renommee, parce que la bonne renommee est une estime, non d'aucune excellence, mais seulement d'une simple et commune preud'hommie et integrité de vie, laquelle l'humilité n'empesche pas que nous ne reconnoissions en nous mesmes, ni par consequent que nous en desirions la reputation.

  A003000899 

 La loüange, l'honneur et la gloire ne se donnent pas aux hommes pour une simple vertu, mais pour une vertu excellente.

  A003000900 

 Conservons nos vertus, ma chere Philothee, parce qu'elles sont aggreables a Dieu, grand et souverain objet de toutes nos actions; mais comme ceux qui veulent garder les fruitz ne se contentent pas de les confire, ains les mettent dedans des vases propres a la conservation d'iceux, de mesme, bien que l'amour divin soit le principal conservateur de nos vertus, si est-ce que nous pouvons encor employer la bonne renommee comme fort propre et utile a cela..

  A003000900 

 Outre cela, comme les feuilles des arbres, qui d'elles mesmes ne sont pas beaucoup prisables, servent neanmoins de beaucoup, non seulement pour les embellir, mais aussi pour conserver les fruitz tandis qu'ilz sont encor tendres; ainsy la bonne renommee, qui de soy mesme n'est pas une chose fort desirable, ne laisse pas d'estre tres utile, non seulement pour l'ornement de nostre vie, mais aussi pour la conservation de nos vertus, et principalement des vertus encor tendres et foibles: l'obligation de maintenir nostre reputation et d'estre telz que l'on nous estime, force un courage genereux, d'une puissante et douce violence.

  A003000901 

 Il ne faut pas pourtant que nous soyons trop ardens, exactes et pointilleux a cette conservation, car ceux qui sont si douilletz et sensibles pour leur reputation ressemblent a ceux qui pour toutes sortes de petites [156] incommodités prennent des medecines: car ceux ci, pensans conserver leur santé la gastent tout a fait, et ceux la, voulans maintenir si delicatement leur reputation la perdent entierement; car par cette tendreté ilz se rendent bigearres, mutins, insupportables, et provoquent la malice des mesdisans.

  A003000902 

 Car, outre que telz jugemens se font par des niaises et sottes gens, quand on devroit perdre la renommee, si ne faudroit-il pas quitter la vertu ni se destourner du chemin d'icelle, d'autant qu'il faut preferer le fruit aux feuilles, c'est a dire le bien interieur et spirituel a tous les biens exterieurs.

  A003000902 

 Il faut estre jaloux, mays non pas idolatres de nostre renommee; et comme il ne faut offenser l'œil des bons, aussi ne faut-il pas vouloir contenter celuy des malins.

  A003000909 

 Mais prenes garde, Philothee, que ce chresme mystique composé de douceur et d'humilité soit dedans vostre cœur; car c'est un des grans artifices de l'ennemi de faire que plusieurs s'amusent aux paroles et contenances exterieures de ces deux vertus, qui n'examinans pas bien leurs affections interieures, pensent estre humbles et doux et ne le sont néanmoins nullement en effect; ce que l'on reconnoist parce que, nonobstant leur ceremonieuse douceur et humilité, a la moindre parole qu'on leur dit de travers, a la moindre petite injure qu'ilz reçoivent, ilz s'eslevent avec une arrogance nompareille.

  A003000909 

 Que si estans piqués et morduz par les mesdisans et ennemis nous devenons fiers, enflés et despités, c'est signe que nos humilités et douceurs ne sont pas veritables et franches, mais artificieuses et apparentes..

  A003000911 

 On ne prise pas tant la correction qui sort de la passion, quoy qu'accompagnee de rayson, que celle qui n'a aucune autre origine que la rayson seule: car l'ame raysonnable estant naturellement sujette a la rayson, elle n'est sujette a la passion que par tyrannie; et partant, quand la rayson est accompagnee de la passion elle se rend odieuse, sa juste domination estant avilie par la societé de la tyrannie.

  A003000912 

 Mais comment la repousseray je, me dires vous? Il faut, ma Philothee, qu'au premier ressentiment que vous en aures, vous ramassies promptement vos forces, non point brusquement ni impetueusement, mais doucement et neanmoins serieusement; car, comme on void es audiences de plusieurs senatz et parlemens, que les huissiers crians: Paix la, font plus de bruit que ceux qu'ilz veulent faire taire, aussi il arrive maintesfois que voulans avec impetuosité reprimer nostre cholere, nous excitons plus de trouble en nostre cœur qu'elle n'avoit pas fait, et le cœur estant ainsy troublé ne peut plus estre maistre de soy mesme..

  A003000914 

 Au surplus, lhors que vous estes en tranquillité et sans aucun sujet de cholere, faites grande provision de douceur et debonnaireté, disant toutes vos parolles et faisant toutes vos actions petites et grandes en la plus douce façon qu'il vous sera possible, vous resouvenant que l'Espouse, au Cantique des Cantiques, n'a pas seulement le miel en ses levres et au bout de sa langue, mais elle l'a encor dessous la langue, c'est a dire dans la poitrine; et n'y a pas seulement du miel, mais encor du lait; car aussi ne faut-il pas seulement avoir la parolle douce a l'endroit du prochain, mais encor toute la poitrine, c'est a dire tout l'interieur de nostre ame.

  A003000914 

 Et ne faut pas seulement avoir la douceur du miel, qui est aromatique et odorant, c'est a dire la suavité de la [165] conversation civile avec les estrangers, mais aussi la douceur du lait entre les domestiques et proches voysins: en quoy manquent grandement ceux qui en rue semblent des anges, et en la mayson, des diables..

  A003000919 

 Au contraire, celuy qui hait la mesdisance se tourmentera d'avoir fait une legere murmuration, et ne tiendra nul conte d'une grosse faute commise contre la chasteté, et ainsy des autres; ce qui n'arrive pour autre chose, sinon d'autant qu'ilz ne font pas le jugement de leur conscience par rayson, mais par passion..

  A003000919 

 Il faut donq avoir un desplaysir de nos fautes qui soit paisible, rassis et ferme; car comme un juge chastie bien mieux les meschans faysant ses sentences [166] par rayson et en esprit de tranquillité, que non pas quand il les fait par impetuosité et passion, d'autant que jugeant avec passion, il ne chastie pas les fautes selon qu'elles sont, mais selon qu'il est luy mesme; ainsy nous nous chastions bien mieux nous mesmes par des repentances tranquilles et constantes, que non pas par des repentances aigres, empressees et choleres, d'autant que ces repentances faittes avec impetuosité ne se font pas selon la gravité de nos fautes, mais selon nos inclinations.

  A003000920 

 Croyes moy, Philothee, comme les remonstrances d'un pere faittes doucement et cordialement, ont bien plus de pouvoir sur un enfant pour le corriger que non pas les choleres et courroux; ainsy, quand nostre cœur aura fait quelque faute, si nous le reprenons avec des remonstrances douces et tranquilles, ayans plus de compassion de luy que de passion contre luy, l'encourageans a l'amendement, la repentance qu'il en concevra entrera bien plus avant et le penetrera mieux que ne feroit pas une repentance despiteuse, ireuse et tempestueuse..

  A003000921 

 Pour moy, si j'avois par exemple grande affection de ne point tomber au vice de la vanité, et que j'y fusse neanmoins tombé d'une grande cheute, je ne voudrais pas reprendre mon cœur en cette sorte: N'es-tu pas miserable et abominable, qu'apres tant de resolutions tu t'es laissé emporter a la vanité? meurs de honte, ne leve plus les yeux au ciel, aveugle, impudent, traistre et desloyal a ton Dieu, et semblables choses; mais je voudrois le corriger raysonnablement et par voye de compassion: Or sus, mon pauvre cœur, nous voyla [167] tombés dans la fosse laquelle nous avions tant resolu d'eschapper; ah, relevons-nous et quittons-la pour jamais, reclamons la misericorde de Dieu et esperons en elle qu'elle nous assistera pour des-ormais estre plus fermes, et remettons-nous au chemin de l'humilité; courage, soyons meshui sur nos gardes, Dieu nous aydera, nous ferons prou.

  A003000922 

 Que si neanmoins quelqu'un ne treuve pas que son cœur puisse estre asses esmeu par cette douce correction, il pourra employer le reproche et une reprehension dure et forte pour l'exciter a une profonde confusion, pourveu qu'apres avoir rudement gourmandé et courroucé son cœur, il finisse par un allegement, terminant tout son regret et courroux en une douce et sainte confiance en Dieu, a l'imitation de ce grand penitent qui voyant son ame affligee la relevoit en cette sorte: Pourquoy es-tu triste, o mon ame, et pourquoy me troubles-tu? Espere en Dieu, car je le beniray encor comme le salut de ma face et mon vray Dieu..

  A003000923 

 Relevés donques vostre cœur quand il tombera, tout doucement, vous humiliant beaucoup devant Dieu pour la connoissance de vostre misere, sans nullement vous estonner de vostre cheute, puisque ce n'est pas chose admirable que l'infirmité soit infirme, et la foiblesse foible, et la misere chetifve.

  A003000927 

 Les Anges ont soin pour nostre salut et le procurent avec diligence, mais ilz n'en ont point pour cela de sollicitude, souci, ni d'empressement; car le soin et la diligence appartiennent a leur charité, mais aussi la sollicitude, le souci et l'empressement seroyent totalement contraires a leur felicité, puisque le soin et la diligence peuvent estre accompagnés de la tranquillité et paix d'esprit, mais non pas la sollicitude ni le souci, et beaucoup moins l'empressement.

  A003000927 

 Soyes donq soigneuse et diligente en tous les affaires que vous aurés en charge, ma Philothee, car Dieu vous les ayant confiés veut que vous en ayes un grand soin; mais s'il est possible n'en soyes pas en sollicitude et souci, c'est a dire, ne les entreprenes pas avec inquietude, anxieté et ardeur.

  A003000928 

 Les mouches ne nous inquietent pas par leur effort, mais par la multitude: ainsy les grans affaires ne nous troublent pas tant comme les menus, quand ilz sont en grand nombre.

  A003000929 

 Et gardes bien sur toutes choses de quitter sa main et sa protection, pensant d'amasser ou recueillir davantage; car s'il vous abandonne, vous ne feres point de pas sans donner du nés en terre.

  A003000929 

 Je veux dire, ma Philothee, que quand vous seres parmi les affaires et occupations communes, qui ne requierent pas une attention si forte et si pressante, vous regardies plus Dieu que les affaires; et quand les affaires sont de si grande importance qu'ilz requierent toute vostre attention pour estre bien faitz, de tems en tems vous regarderés a Dieu, comme font ceux qui navigent en mer lesquelz, pour aller a la terre qu'ilz desirent, regardent plus en haut au ciel que non pas en bas ou ilz voguent.

  A003000933 

 Car bien qu'estans voüees, et sur tout solemnellement, elles mettent l'homme en l'estat de perfection, si est ce que pour le mettre en la perfection il suffit qu'elles soyent observees, y ayant bien de la difference entre l'estat de perfection et la perfection, puysque tous les evesques et religieux sont en l'estat de perfection, et tous neanmoins ne sont pas en la perfection, comme il ne se voit que trop.

  A003000933 

 Je ne diray rien de ces trois vertus entant qu'elles sont voiiees solemnellement, parce que cela ne regarde que les religieux; ni mesme entant qu'elles sont voiiees simplement, d'autant qu'encor que le vœu donne tous-jours beaucoup de graces et de merite a toutes les vertus, si est ce que pour nous rendre parfaitz il n'est pas necessaire qu'elles soyent voiiees, pourveu qu'elles soyent observees.

  A003000933 

 Taschons donques, Philothee, de bien prattiquer ces trois vertus, un chacun selon sa vocation; car encor qu'elles ne nous mettent pas en l'estat de perfection, elles nous donneront neanmoins la [172] perfection mesme; aussi nous sommes tous obligés a la prattique de ces trois vertus, quoy que non pas tous a les prattiquer de mesme façon..

  A003000934 

 Obeisses quand ilz vous ordonneront chose aggreable, comme de manger, prendre de la recreation, car encor qu'il semble que ce n'est pas grande vertu d'obeir en ce cas, ce seroit neanmoins un grand vice de desobeir; obeisses es choses indifferentes, comme a porter tel ou tel habit, aller par un chemin ou par un autre, chanter ou se taire, et ce sera une obeissance des-ja fort recommandable; obeisses en choses malaysees, aspres et dures, et ce sera une obeissance parfaitte.

  A003000935 

 Pour apprendre aysement a obeir a vos superieurs, condescendés aysement a la volonté de vos semblables, cedant a leurs opinions en ce qui n'est pas mauvais, sans estre contentieuse ni revesche; accommodes-vous volontier aux desirs de vos inferieurs autant que la rayson le permettra, sans exercer aucune authorité imperieuse sur eux tandis qu'ilz sont bons.

  A003000936 

 On ne choisit pas pour l'ordinaire son prince et son evesque, son pere et sa mere, ni mesme souventefois son mari, mais on choisit bien son confesseur, son directeur.

  A003000943 

 Le cœur chaste est comme la mere perle qui ne peut recevoir aucune goutte d'eau qui ne vienne du ciel, car il ne peut recevoir aucun playsir que celuy du mariage, qui est ordonné du ciel; hors de la, il ne luy est pas permis seulement d'y penser, d'une pensee voluptueuse volontaire et entretenue.

  A003000944 

 Pour le troisiesme, n'attaches point vostre affection aux playsirs et voluptés qui sont commandees et ordonnees; car bien qu'il faille prattiquer les delectations necessaires, c'est a dire celles qui regardent la fin et institution du saint mariage, si ne faut-il pas pourtant y jamais attacher le cœur et l'esprit..

  A003000945 

 Ceux qui sont en viduité doivent avoir une chasteté courageuse qui ne mesprise pas seulement les objetz presens et futurs, mais qui resiste aux imaginations que.

  A003000946 

 Les vierges ont besoin d'une chasteté extremement simple et douillette, pour bannir de leur cœur toutes sortes de curieuses pensees et mespriser d'un mespris absolu toutes sortes de playsirs immondes, qui, a la verité, ne meritent pas d'estre desirés par les hommes, puisque les asnes et pourceaux en sont plus capables qu'eux.

  A003000946 

 » Car, comme le petit papillon voyant la flamme va curieusement voletant autour d'icelle pour essayer si elle est aussi douce que belle, et pressé de cette fantasie ne cesse point qu'il ne se perde au premier essay, ainsy les jeunes gens bien souvent se laissent tellement saisir de la fause et sotte estime qu'ilz ont du playsir des flammes voluptueuses, qu'apres plusieurs curieuses pensees ilz s'y vont en fin finale ruiner et perdre; plus sotz en cela que les papillons, d'autant que ceux-ci ont quelque occasion de cuider que le feu soit delicieux puisqu'il est si beau, ou ceux-la sçachans que ce qu'ilz recherchent est extremement deshonneste ne laissent pas pour cela d'en surestimer la folle et brutale delectation..

  A003000947 

 C'est tous-jours chose dangereuse de prendre des medicamens violens, parce que si l'on en prend plus qu'il ne faut, ou qu'ilz ne soyent pas bien preparés, on en reçoit beaucoup de nuisance: le mariage a esté beni et ordonné en partie pour remede a la concupiscence et c'est sans doute un tres bon remede, mais violent neanmoins, et par consequent tres dangereux s'il n'est discretement employé..

  A003000947 

 Mais quant a ceux qui sont mariés, c'est chose veritable, et que neanmoins le vulgaire ne peut penser, que la chasteté leur est fort necessaire, parce qu'en eux elle ne consiste pas a s'abstenir absolument des playsirs charnelz, mais a se contenir entre les playsirs.

  A003000948 

 Certes, sainte Catherine de Sienne vit entre les damnés plusieurs ames grandement tourmentees pour avoir violé la sainteté du mariage: [180] ce qui estoit arrivé, disoit-elle, non pas pour la grandeur du peché, car les meurtres et les blasphemes sont plus enormes, mais « d'autant que ceux qui le commettent n'en font point de conscience », et par consequent continuent longuement en iceluy..

  A003000955 

 Les abeilles non seulement ne veulent pas toucher les charognes, mais fuient et haïssent extremement toutes sortes de puanteurs qui en proviennent.

  A003000955 

 Saint Paul dit tout court: Que la fornication ne soit pas mesmement nommee entre vous.

  A003000956 

 A ce propos, je vous represente le mot que l'ancien Pere Jean Cassian rapporte comme sorti de la bouche du grand saint Basile, qui, parlant de soy mesme, dit un [182] jour: «Je ne sçay que c'est que des femmes, et ne suis pourtant pas vierge.

  A003000956 

 Il y a certaines privautés et passions indiscretes, folastres et sensuelles, qui a proprement parler ne violent pas la chasteté, et neanmoins elles l'affoiblissent, la rendent languissante et ternissent sa belle blancheur.

  A003000956 

 Or Cassianus ne croit pas, ni moy non plus, que saint Basile eust esgard a tel desreglement quand il s'accuse de n'estre pas vierge, car je pense qu'il ne disoit cela que pour les mauvaises et voluptueuses pensees, lesquelles, bien qu'elles n'eussent pas souillé son cors, avoient neanmoins contaminé le cœur, de la chasteté duquel les ames genereuses sont extremement jalouses..

  A003000963 

 Non, ne mettes pas cet esprit celeste dedans les biens terrestres; faites qu'il leur soit tous-jours superieur, sur eux, non pas en eux..

  A003000964 

 Il y a difference entre avoir du poison et estre empoisonné: les apothicaires ont presque tous des poisons pour s'en servir en diverses occurences, mais ilz ne sont pas pour cela empoisonnés, parce qu'ilz n'ont pas le poison dedans le cors, mais dedans leurs boutiques; ainsy pouves-vous avoir des richesses sans estre empoisonnee par icelles: ce sera si vous les aves en vostre mayson ou en vostre bourse, et non pas en vostre cœur.

  A003000965 

 On s'excuse sur la charge des enfans qui presse, sur la sagesse qui requiert qu'on s'establisse en moyens: jamais on n'en a trop, il se treuve tous-jours certaines necessités d'en avoir davantage; et mesme les plus avares, non seulement ne confessent pas de l'estre, mays ilz ne [185] pensent pas en leur conscience de l'estre; non, car l'avarice est une fievre prodigieuse, qui se rend d'autant plus insensible qu'elle est plus violente et ardente.

  A003000966 

 Celuy qui desire ardemment, longuement et avec inquietude de boire, quoy qu'il ne veuille pas boire que de l'eau, si tesmoigne-il d'avoir la fievre..

  A003000966 

 Si vous desirés longuement, ardemment et avec inquietude les biens que vous n'aves pas, vous aves beau dire que vous ne les voules pas avoir injustement, car pour cela vous ne laisseres pas d'estre vrayement avare.

  A003000967 

 Celuy qui possede un bien justement, n'a-il pas plus de rayson de le garder justement, que nous de le vouloir avoir justement? et pourquoy donques estendons-nous nostre desir sur sa commodité pour l'en priver? Tout au plus si ce desir est juste, certes, il n'est pas pourtant charitable; car nous ne voudrions nullement qu'aucun desirast, quoy que justement, ce que nous voulons garder justement.

  A003000968 

 Si vous affectionnes fort les biens que vous aves, si vous en estes fort embesoignee, mettant vostre cœur en iceux, y attachant vos pensees et craignant d'une crainte vive et empressee de les perdre, croyes-moy, vous aves encor quelque sorte de fievre; car les febricitans boivent l'eau qu'on leur donne avec un certain empressement, avec une sorte d'attention et d'ayse que ceux qui sont sains n'ont point accoustumé d'avoir: il n'est pas possible de se plaire beaucoup en une chose, que l'on n'y mette beaucoup d'affection.

  A003000969 

 Ne desirés donq point d'un desir entier et formé le bien que vous n'aves pas; ne mettes point fort avant vostre cœur en celuy que vous aves; ne vous desolés point des pertes qui vous arriveront, et vous aures quelque sujet de croire qu'estant riche en effect vous ne l'estes point d'affection, mays que vous estes pauvre d'esprit et par consequent bienheureuse, car le Royaume des deux vous appartient.

  A003000974 

 Ayes beaucoup plus de soin de rendre vos biens utiles et fructueux que les mondains n'en ont pas.

  A003000974 

 Dites moy, les jardiniers des grans princes ne sont-ilz pas plus curieux et diligens a cultiver et embellir les jardins qu'ilz ont en charge, que s'ilz leur appartenoyent en proprieté? Mais pourquoy cela? parce, sans doute, qu'ilz considerent ces jardins la comme jardins des princes et des rois, ausquelz ilz desirent de se rendre aggreables par ces services la.

  A003000974 

 Ma Philothee, les possessions que nous avons ne sont pas nostres: Dieu les nous a donnees a cultiver et veut que nous les rendions fructueuses et utiles, et partant nous luy faisons service aggreable d'en avoir soin.

  A003000977 

 Voules-vous faire encores davantage, ma Philothee? ne vous contentes pas d'estre pauvre comme les pauvres, mais soyes plus pauvre que les pauvres.

  A003000980 

 Il arrive quelque-fois chez nous un hoste que nous voudrions et devrions bien traitter, il n'y a pas moyen pour l'heure; on a ses beaux habitz en un lieu, on en auroit besoin en un autre ou il seroit requis de paroistre; il arrive que tous les vins de la cave se poussent et tournent, il n'en reste plus que les mauvais et verds; on se treuve aux champs dans quelque bicoque ou tout manque: on n'a lict, ni chambre, ni table, ni service.

  A003000981 

 Esaü se presenta a son pere avec ses mains toutes couvertes de poil, et Jacob en fit de mesme; mais parce que le poil qui estoit es mains de Jacob ne tenoit pas a sa peau, ains a ses gans, on luy pouvoit oster son poil sans l'offencer ni escorcher: au contraire, parce que le poil des mains d'Esaü tenoit a sa peau, qu'il avoit toute velue de son naturel, qui luy eust voulu arracher son poil luy eust bien donné de la douleur: il eust bien crié, il se fust bien eschauffé a la defense.

  A003000981 

 Quand nos moyens nous tiennent au cœur, si la tempeste, si le larron, si le chicaneur nous en arrache quelque partie, quelles plaintes, quelz troubles, quelles impatiences en avons-nous! mais quand nos biens ne tiennent qu'au soin que Dieu veut que nous en ayons et non pas a nostre cœur, si on nous les arrache, nous n'en perdrons pourtant pas le sens ni la tranquillité.

  A003000985 

 Mais si vous estes reellement pauvre, treschere Philothee, o Dieu, soyes-le encores d'esprit; faites de necessité vertu, et employes cette pierre pretieuse de [192] la pauvreté pour ce qu'elle vaut: son esclat n'est pas descouvert en ce monde, mais si est ce pourtant qu'il est extremement beau et riche.

  A003000987 

 Or, telle est pour l'ordinaire la pauvreté des seculiers, car parce qu'ilz ne sont pas pauvres par leur election, mais par necessité, on n'en tient pas grand conte; et en ce qu'on n'en tient pas grand conte, leur pauvreté est plus pauvre que celle [193] des religieux, bien que celle cy d'ailleurs ait une excellence fort grande et trop plus recommandable, a rayson du vœu et de l'intention pour laquelle elle a esté choisie..

  A003000987 

 Une pauvreté loüee, caressee, estimee, secourue et assistee, elle tient de la richesse, elle n'est pour le moins pas du tout pauvre; mais une pauvreté mesprisee, rejettee, reprochee et abandonnee, elle est vrayement pauvre.

  A003000988 

 Ne vous desolés point de n'estre pas si bien secourue qu'il seroit requis; car en cela consiste l'excellence de la pauvreté.

  A003000988 

 Ne vous plaignes donq pas, ma chere Philothee, de vostre pauvreté; car on ne se plaint que de ce qui desplait, et si la pauvreté vous desplait vous n'estes plus pauvre d'esprit, ains riche d'affection.

  A003000994 

 Et ne suffit pas qu'il soit mutuel, mais il faut que les parties qui s'entr'ayment sçachent leur reciproque affection, car si elles l'ignorent elles auront de l'amour, mais non pas de l'amitié.

  A003000994 

 Tout amour n'est pas amitié; car, 1.

  A003000994 

 on peut aymer sans estre aymé, et lhors il y a de l'amour, mais non pas de l'amitié, d'autant que l'amitié est un amour mutuel, et s'il n'est pas mutuel ce n'est pas amitié.

  A003001001 

 Et bien que ces sottes amours vont ordinairement fondre et s'abismer en des charnalités et lascivetés fort vilaines, si est ce que ce n'est pas le premier dessein de ceux qui les exercent; autrement ce ne seroyent plus amourettes, ains impudicités manifestes.

  A003001002 

 Les autres se laissent aller a cela par vanité, leur estant advis que ce ne soit pas peu de gloire de prendre et lier les cœurs par amour; et ceux ci, faysant leur election pour la gloire, dressent leurs pieges et tendent leurs toyles en des lieux specieux, relevés, rares et illustres.

  A003001002 

 Les autres sont portés et par leur inclination amoureuse et par la vanité tout ensemble, car encores qu'ilz ayent le cœur contourné a l'amour, si ne veulent-ilz pourtant pas en prendre qu'avec quelque advantage de gloire.

  A003001005 

 J'en veux bien prendre, me dira quelqu'un, mais non pas fort avant.

  A003001005 

 O qu'il dit bien, ce grand Evesque: Que penses-vous faire? Donner de l'amour, non pas? Mais personne n'en donne volontairement qui n'en prenne necessairement; qui prend est pris en ce jeu.

  A003001006 

 Helas, nous n'avons pas d'amour a beaucoup près de ce que nous avons besoin; je veux dire, il s'en faut infiniment que nous en ayons asses pour aymer Dieu, et cependant, miserables que nous sommes, nous le prodiguons et espanchons en choses sottes et vaynes et frivoles, comme si nous en avions de reste.

  A003001007 

 Ces amourettes font les mesmes nuysances a l'ame, car elles l'occupent tellement et tirent si puissamment ses mouvemens qu'elle ne peut pas apres suffire a aucune bonne œuvre; les feuilles, c'est a dire les entretiens, amusemens et muguetteries sont si frequentes qu'elles dissipent tout le loysir; et en fin elles attirent tant de tentations, distractions, soupçons et autres consequences, que tout le cœur en est foulé et gasté.

  A003001012 

 Je ne parle pas ici de l'amour simple de charité, car il doit estre porté a tous les hommes; mais je parle de l'amitié spirituelle, par laquelle deux ou trois ou plusieurs ames se communiquent leur devotion, leurs affections spirituelles, et se rendent un seul esprit entre elles.

  A003001012 

 Ne faites point d'amitié d'autre sorte, je veux dire des amitiés que vous faites; car il ne faut pas ni quitter ni mespriser pour cela les amitiés que la nature et les precedens devoirs vous obligent de cultiver, des parens, des alliés, des bienfaiteurs, des voysins et autres; je parle de celles que vous choisissés vous mesme..

  A003001013 

 Au monde, tous ne conspirent pas a mesme fin, tous n'ont pas le mesme esprit; il faut donq sans doute se tirer a part et faire des amitiés selon nostre pretention; et cette particularité fait voirement une partialité, mais une partialité sainte, qui ne fait aucune division sinon celle du bien et du mal, des brebis et des chevres, des abeilles et des freslons, separation necessaire..

  A003001013 

 Car attendu qu'en un monastere bien reglé le dessein commun de tous tend a la vraye devotion, il n'est pas requis d'y faire ces particulieres communications, de peur que cherchant en particulier ce qui est commun, on ne passe des particularités aux partialités; mais quant a ceux qui sont entre les mondains et qui embrassent la vraÿe vertu, il leur est necessaire de s'allier les uns aux autres par une sainte et sacree amitié; car par le moyen d'icelle ilz s'animent, ilz s'aydent, ilz s'entreportent au bien.

  A003001013 

 Et comme ceux qui cheminent en la plaine n'ont pas besoin de se prester la main, mais ceux qui sont es chemins scabreux et glissans s'entretiennent l'un l'autre pour cheminer plus seurement, ainsy ceux qui sont es Religions n'ont pas besoin des amitiés particulieres, mais ceux qui sont au monde en ont necessité pour s'asseurer et secourir les uns les autres, parmi tant de mauvais passages qu'il leur faut franchir.

  A003001014 

 Que s'il ne faut pas croire ceux qui disent que toutes choses sont en toutes choses, si nous faut-il pourtant adjouster foy que nous estions tous deux en l'un de nous, et l'un en l'autre; une seule pretention avions-nous tous deux, de cultiver la vertu et accommoder les desseins de nostre vie aux esperances futures, sortans ainsy hors de la terre mortelle avant que d'y mourir.

  A003001015 

 La perfection donques ne consiste pas a n'avoir point d'amitié, mais a n'en avoir que de bonne, de sainte et sacree.

  A003001019 

 Le miel d'Heraclee, qui est si veneneux, ressemble a l'autre qui est si salutaire: il y a grand danger de prendre l'un pour l'autre ou de les prendre meslés, car la bonté de l'un n'empescheroit pas la nuysance de l'autre.

  A003001020 

 Le miel d'Heraclee estant avalé excite un tournoyement de teste, et la fause amitié provoque un tournoyement d'esprit qui fait chanceler la personne en la chasteté et devotion, la portant a des regards affectés, mignards et immoderés, a des caresses sensuelles, a des souspirs desordonnés, a des petites plaintes de n'estre pas aymee, a des petites, mais recherchees, mais attrayantes contenances, galanterie, poursuitte des baysers, et autres privautés et faveurs inciviles, presages certains et indubitables d'une prochaine ruine de l'honnesteté; mais l'amitié sainte n'a des yeux que simples et pudiques, ni des caresses que pures et franches, ni des souspirs que pour le Ciel, ni des privautés que pour l'esprit, ni des plaintes sinon quand Dieu n'est pas aymé, marques infallibles de l'honnesteté.

  A003001022 

 Les jeunes gens qui font des contenances, grimaces et caresses, ou disent des parolles esquelles ilz ne voudroient pas estre surprins par leurs peres, meres, maris, femmes ou confesseurs tesmoignent en cela qu'ilz traittent d'autre chose que de l'honneur et de la conscience.

  A003001026 

 Gardes bien de venir a aucune sorte de composition avec cet ennemi; ne dites pas: je l'escouteray mais je ne feray rien de ce qu'il me dira, je luy presteray l'oreille mais je luy refuseray le cœur.

  A003001029 

 Le garçon duquel parle saint Ambroise au livre second de la Penitence, ayant fait un long voyage revint entierement delivré des folles amours qu'il avoit exercees, et tellement changé que la sotte amoureuse le rencontrant et luy disant: Ne me connois-tu pas? «je suis bien moy mesme»; Ouy dea, respondit-il, «mais moy je ne suis pas moy mesme»: l'absence luy avoit apporté cette heureuse mutation.

  A003001029 

 Si vous vous pouves esloigner de l'objet je l'appreuverois infiniment, car comme ceux qui ont esté [210] mordus des serpens ne peuvent pas aysement guerir en la presence de ceux qui ont esté autrefois blessés de la mesme morseure, aussi la personne qui est piquee d'amour guerira difficilement de cette passion, tandis qu'elle sera proche de l'autre qui aura esté atteinte de la mesme piqueure.

  A003001030 

 Je crie tout haut a quicomque est tombé dans ces pieges d'amourettes: taillés, tranchés, rompés; il ne faut pas s'amuser a descoudre ces folles amitiés, il les faut deschirer, il n'en faut pas desnouer les liaysons, il les faut rompre ou couper; aussi bien les cordons et liens n'en valent rien.

  A003001032 

 Ah, ce me dires vous, mais ne sera ce point une ingratitude, de rompre si impiteusement une amitié? O que bienheureuse est l'ingratitude qui nous rend aggreables a Dieu! Non, de par Dieu, Philothee, ce ne sera pas ingratitude, ains un grand benefice que vous feres a l'amant, car en rompant vos liens vous rompres les siens, puisqu'ilz vous estoyent communs, et bien [212] que pour l'heure il ne s'apperçoive pas de son bonheur, il le reconnoistra bien tost apres et avec vous chantera pour action de grace: O Seigneur, vous aves rompu mes liens, je vous sacrifieray l'hostie de loüange et invoqueray vostre saint Nom..

  A003001036 

 Et quelle rayson y a-il de recevoir pesle mesle les tares et imperfections de l'ami avec son amitié? Il le faut certes aymer nonobstant son imperfection, mais il ne faut ni aymer ni recevoir son imperfection; car l'amitié requiert la communication du bien et non pas du mal.

  A003001036 

 Il faut [214]sans doute supporter doucement l'ami en ses imperfections, mais non pas le porter en icelles, et beaucoup moins les transporter en nous..

  A003001036 

 Or donq, Philothee, il faut bien prattiquer en ce sujet la parolle que le Sauveur de nos ames souloit dire, ainsy que les [213] Anciens nous ont appris: «Soyes bons changeurs» et monnoyeurs, c'est a dire, ne recevés pas la fause monnoye avec la bonne, ni le bas or avec le fin or; separés le pretieux d'avec le chetif: ouy, car il n'y a presque celuy qui n'ait quelque imperfection.

  A003001036 

 Or, cela ne se doit aucunement faire, car chacun a bien asses de ses mauvaises inclinations sans se surcharger de celles des autres; et non seulement l'amitié ne requiert pas cela, mais au contraire, elle nous oblige a nous entr'ayder pour nous affranchir reciproquement de toutes sortes d'imperfections.

  A003001045 

 Si vous pouves supporter le jeusne, vous feres bien de jeusner quelques jours, outre les jeusnes que l'Eglise nous commande; car outre l'effect ordinaire du jeusne, d'eslever l'esprit, reprimer la chair, prattiquer la vertu et acquerir plus grande recompense au Ciel, c'est un grand bien de se maintenir en la possession de gourmander la gourmandise mesme, et tenir l'appetit sensuel et le cors sujet a la loy de l'esprit; et bien qu'on ne jeusne pas beaucoup, l'ennemi neanmoins nous craint davantage quand il connoist que nous sçavons jeusner.

  A003001046 

 N'eussent-ilz pas mieux fait de luy faire un traittement egal, et proportionné aux offices et travaux ausquelz leurs conditions les obligeoyent?.

  A003001047 

 Et partant, generalement, il est mieux de garder plus de forces corporelles qu'il n'est requis, que d'en ruiner plus qu'il ne faut; car on peut tous-jours les abbattre quand on veut, mays on ne les peut pas reparer tous-jours quand on veut..

  A003001048 

 C'est, comme je crois, une plus grande vertu de manger sans choix ce qu'on vous presente et en mesme ordre qu'on le vous presente, ou qu'il soit a vostre goust ou qu'il ne le soit pas, que de choisir tous-jours le pire.

  A003001048 

 Car encor que cette derniere façon de vivre semble plus austere, l'autre neanmoins a plus de resignation, car par icelle on ne renonce pas seulement a son goust, mais encor a son choix; et si, ce n'est pas une petite austerité de tourner son goust a toute main et le tenir sujet aux rencontres, joint que cette sorte de mortification ne paroist point, n'incommode personne, et est uniquement propre pour la vie civile.

  A003001048 

 J'estime plus que saint Bernard beut de l'huyle pour de l'eau ou du vin, que s'il eust beu de l'eau d'absynthe avec attention; car c'estoit signe qu'il ne pensoit pas a ce qu'il beuvoit.

  A003001049 

 La haire matte puissamment le cors; mais son usage n'est pas pour l'ordinaire propre ni aux gens mariés, ni aux delicates complexions, ni a ceux qui ont a supporter d'autres grandes peynes.

  A003001051 

 Balaam monté sur son asnesse alloit treuver Balac; mais parce qu'il n'avoit pas droite intention, l'Ange l'attendit en chemin avec une espee en main pour le tuer.

  A003001051 

 Lhors Balaam dit a l'Ange: Seigneur, j'ay peché, car je ne sçavois pas que tu te misses contre moy en la voÿe.

  A003001052 

 Certes, pour guerir la demangeaison il n'est pas tant besoin de se laver et baigner, comme de purifier le sang et rafraischir le foye; ainsy, pour nous guerir de nos vices il est voyrement bon de mortifier la chair, mais il est sur tout necessaire de bien purifier nos affections et rafraischir nos cœurs..

  A003001052 

 Helas, c'est toy qui me jettes dans le feu, et tu ne veux pas que je brusle; tu me jettes la fumee aux yeux, et tu ne veux pas qu'ilz [221] s'enflamment.

  A003001052 

 O pauvre ame, si ta chair pouvoit parler comme l'asnesse de Balaam, elle te diroit: pourquoy me frappes-tu, miserable? c'est contre toy, o mon ame, que Dieu arme sa vengeance, c'est toy qui es la criminelle; pourquoy me conduis-tu aux mauvaises conversations? pourquoy appliques-tu mes yeux, mes mains, mes levres aux lascivetés? pourquoy me troubles-tu par des mauvaises imaginations? Fay des bonnes pensees, et je n'auray pas de mauvais mouvemens; hante les gens pudiques, et je ne seray point agitee de ma concupiscence.

  A003001057 

 Il faut aymer le prochain comme soy mesme: pour monstrer qu'on l'ayme, il ne faut pas fuir d'estre avec luy, et pour tesmoigner qu'on s'ayme soy mesme, on doit demeurer en soy mesme quand on y est.

  A003001059 

 Il y a des conversations inutiles a toute autre chose qu'a la seule recreation, lesquelles se font par un simple divertissement des occupations serieuses; et quant a celles la, comme il ne faut pas s'y addonner, aussi peut-on leur donner le loysir destiné a la recreation..

  A003001060 

 Les autres conversations ont pour leur fin l'honnesteté, comme sont les visites mutuelles et certaines assemblees qui se font pour honnorer le prochain; et quant a celles la, comme il ne faut pas estre superstitieuse a les prattiquer, aussi ne faut-il pas estre du tout incivile a les mespriser, mais satisfaire avec modestie au devoir que l'on y a, affin d'eviter egalement la rusticité et la legereté..

  A003001062 

 Il y a des gens qui ne font nulle sorte de contenance ni de mouvement qu'avec tant d'artifice que chacun en est ennuyé; et comme celuy qui ne voudroit jamais se pourmener qu'en comptant ses pas, ni parler qu'en chantant, seroit fascheux au reste des hommes, ainsy ceux qui tiennent un maintien artificieux et qui ne font rien qu'a cadence, importunent extremement la conversation, et en cette sorte de gens il y a tous-jours quelque espece de presomption.

  A003001062 

 Pour vous res-jouir en Nostre Seigneur, il faut que le sujet de vostre joye soit non seulement loysible mays honneste: ce que je dis, parce qu'il y a des choses loysibles qui pourtant ne sont pas honnestes; et affin que vostre modestie paroisse, gardes-vous des insolences lesquelles sans doute sont tous-jours reprehensibles: faire tomber l'un, noircir l'autre, piquer le tiers, faire du mal a un fol, ce sont des risees et joyes sottes et insolentes..

  A003001063 

 Et a l'exemple encores de saint Ambroise, duquel parlant saint Augustin, il dit que souvent estant entré en sa chambre (car on ne refusoit l'entree a personne) il le regardoit lire; et apres avoir attendu quelque tems, de peur de l'incommoder, il s'en retournoit sans mot dire, pensant que ce peu de tems qui restait a ce grand Pasteur pour revigorer et recreer son esprit, apres le tracas de tant d'affaires, ne luy devoit pas estre osté.

  A003001063 

 Mais tous-jours, outre la solitude mentale a laquelle vous vous pouves retirer emmi les plus grandes conversations, ainsy que j'ay dit ci dessus, vous deves aymer la solitude locale et reelle, non pas pour aller es desertz, [224] comme sainte Marie Egyptienne, saint Paul, saint Anthoine, Arsenius et les autres Peres solitaires, mais pour estre quelque peu en vostre chambre, en vostre jardin et ailleurs, ou plus a souhait vous puissies retirer vostre esprit en vostre cœur, et recreer vostre ame par des bonnes cogitations et saintes pensees, ou par un peu de bonne lecture, a l'exemple de ce grand Evesque Nazianzene qui, parlant de soy mesme, «Je me pourmenois,» dit-il, «moy mesme avec moy mesme sur le soleil couchant, et passois le tems sur le rivage de la mer; car j'ay accoustumé d'user de cette recreation pour me relascher et secouer un peu des ennuis ordinaires;» et la dessus il discourt de la bonne pensee qu'il fit, que je vous ay recitee ailleurs.

  A003001068 

 Mais quant aux vrayes vefves, qui le sont non seulement de cors mais aussi de cœur, nul ornement ne leur est convenable, sinon l'humilité, la modestie et la devotion; car si elles veulent donner de l'amour aux hommes elles ne sont pas vrayes vefves, et si elles n'en veulent pas donner, pourquoy en portent-elles les outilz? Qui ne veut recevoir les hostes, il faut qu'il oste l'enseigne de son logis.

  A003001068 

 On ne treuve pas non plus mauvais que les vefves a marier se parent aucunement, pourveu qu'elles ne facent point paroistre de folastrerie, d'autant qu'ayans des-ja esté meres de famille, et passé par les regretz du vefvage, on tient leur esprit pour meur et attrempé.

  A003001069 

 Les hommes qui sont si lasches que de s'amuser a ces muguetteries sont par tout descriés comme hermaphrodites, et les femmes vaines sont tenues pour imbecilles en chasteté; au moins si elles en ont, elle n'est pas visible parmi tant de fatras et bagatelles.

  A003001069 

 On dit qu'on n'y pense pas mal, mais je replique, comme j'ay fait ailleurs, que le diable en pense tous-jours.

  A003001069 

 » Mais en cas que les jeunes ne se veuillent pas contenter de la bien-seance, il se faut arrester a l'advis des sages..

  A003001075 

 Ne parles donq jamais de Dieu ni de la devotion par maniere d'acquit et d'entretien, mais tous-jours avec attention et devotion: ce que je dis pour vous oster une remarquable vanité qui se treuve en plusieurs qui font profession de devotion, lesquelz a tous propos disent des parolles saintes et ferventes par maniere d'entregent et sans y penser nullement; et après les avoir dites, il leur est advis qu'ilz sont telz que les parolles tesmoignent, ce qui n'est pas.

  A003001079 

 Car, comme le poison du cors entre par la bouche, aussi celuy du cœur entre par l'oreille, et la langue qui le produit est meurtriere, d'autant qu'encor qu'a l'adventure le venin qu'elle a jetté n'ait pas fait son effect, pour avoir treuvé les cœurs des auditeurs munis de quelque contrepoison, si est ce qu'il n'a pas tenu a sa malice qu'elle ne les ait fait mourir.

  A003001079 

 Et que personne ne me die qu'il n'y pense pas, car Nostre Seigneur qui connoist les pensees a dit que la bouche parle de l'abondance du cœur; et si nous n'y pensions pas mal, le malin neanmoins en pense beaucoup, et se sert tous-jours secrettement de ces mauvais motz pour en transpercer le cœur de quelqu'un.

  A003001079 

 Gardes vous soigneusement de lascher aucune parole deshonneste; car encor que vous ne les disies pas avec mauvaise intention, si est ce que ceux qui les oyent, les peuvent recevoir d'une autre sorte.

  A003001079 

 Quant aux choses indecentes et folles, l'Apostre ne veut pas que seulement on les nomme, nous asseurant que rien ne corrompt tant les bonnes mœurs que les mauvais devis..

  A003001080 

 Et ceux qui pensent estre galans hommes a dire de telles parolles en conversation ne sçavent pas pourquoy les conversations sont faittes; car elles doivent estre comme essaims d'abeilles assemblees pour faire le miel de quelque doux et vertueux entretien, et non pas comme un tas de guespes qui se joignent pour succer quelque pourriture.

  A003001082 

 Saint Louys, quand les religieux vouloyent luy parler des choses relevees apres disner: Il n'est pas tems d'alleguer, disoit-il, mais de se recreer par quelque joyeuseté et quolibetz: que chacun die ce qu'il voudra honnestement; ce qu'il disoit favorisant la noblesse qui estoit autour de luy pour recevoir des caresses de sa Majesté.

  A003001086 

 Non, dit le saint Apostre, ne juges pas avant le tems, jusques a ce que le Seigneur vienne, qui revelera le secret des tenebres et manifestera les conseilz des cœurs.

  A003001086 

 O que les jugemens temeraires sont desaggreables a Dieu! Les jugemens des enfans des hommes sont temeraires parce qu'ilz ne sont pas juges les uns des autres, et jugeans [232] ilz usurpent l'office de Nostre Seigneur; ilz sont temeraires parce que la principale malice du peché depend de l'intention et conseil du cœur, qui est le secret des tenebres pour nous; ilz sont temeraires parce qu'un chacun a asses a faire a se juger soy mesme, sans entreprendre de juger son prochain.

  A003001087 

 Aucuns jugent temerairement non point par aigreur mais par orgueil, leur estant advis qu'a mesure qu'ilz depriment l'honneur d'autruy, ilz relevent le leur propre: espritz arrogans et presomptueux, qui s'admirent eux mesmes et se colloquent si haut en leur propre estime qu'ilz voyent tout le reste comme chose petite et basse: Je ne suis pas comme le reste des hommes, disoit ce sot Pharisien..

  A003001087 

 Il y a des cœurs aigres, amers et aspres de leur nature, qui rendent pareillement aigre et amer tout ce qu'ilz reçoivent et convertissent, comme dit le Prophete, le jugement en absynthe, ne jugeans jamais du prochain qu'avec toute rigueur et aspreté: ceux ci ont grandement besoin de tomber entre les mains d'un bon medecin spirituel, car cette amertume de cœur leur estant naturelle, elle est malaysee a vaincre; et bien qu'en soy elle ne soit pas peché, ains seulement une imperfection, elle est neanmoins dangereuse, parce qu'elle introduit et fait regner en l'ame le jugement temeraire et la mesdisance.

  A003001088 

 Quelques uns n'ont pas cet orgueil manifeste, ains seulement une certaine petite complaisance a considerer le mal d'autruy pour savourer et faire savourer plus [233] doucement le bien contraire duquel ilz s'estiment doués; et cette complaisance est si secrette et imperceptible, que si on n'a bonne veuë on ne la peut pas descouvrir, et ceux mesme qui en sont atteins ne la connoissent pas si on ne la leur monstre.

  A003001089 

 La charité craint de rencontrer le mal, tant s'en [234] faut qu'elle l'aille chercher; et quand elle le rencontre, elle en destourne sa face et le dissimule, ains elle ferme ses yeux avant que de le voir, au premier bruit qu'elle en apperçoit, et puis croit par une sainte simplicité que ce n'estoit pas le mal, mais seulement l'ombre ou quelque fantosme de mal; que si par force elle reconnoist que c'est luy mesme, elle s'en destourne tout incontinent et tasche d'en oublier la figure.

  A003001090 

 Mais pourquoy? parce, dit l'Esprit de Dieu, qu'il estoit juste: l'homme juste, quand il ne peut plus excuser ni le fait ni l'intention de celuy que d'ailleurs il connoist homme de bien, encor n'en veut-il pas juger, mais oste cela de son esprit et en laisse le jugement a Dieu.

  A003001092 

 Ce n'est donq pas mal fait de douter du prochain, non, car il n'est pas defendu de douter, ains de juger; mais il n'est pourtant pas permis ni de douter ni de soupçonner sinon rie a rie, tout autant que les raysons et argumens nous contraignent de douter; autrement les doutes et soupçons sont temeraires.

  A003001092 

 De voir ou connoistre une chose ce n'est pas en juger, car le jugement, au moins selon la phrase de l'Escriture, presuppose quelque petite ou grande, vraye ou apparente difficulté qu'il faille vuider; c'est pourquoy elle dit que ceux qui ne croyent point sont des-ja jugés, parce qu'il n'y a point de doute en leur damnation.

  A003001093 

 En fin, ceux qui ont bien soin de leurs consciences ne sont gueres sujetz au jugement temeraire; car comme les abeilles voyans le brouïllart ou tems nubileux se [237] retirent en leurs ruches a mesnager le miel, ainsy les cogitations des bonnes ames ne sortent pas sur des objetz embrouillés ni parmi les actions nubileuses des prochains: ains, pour en eviter le rencontre, se ramassent dedans le cœur pour y mesnager les bonnes resolutions de leur amendement propre.

  A003001101 

 La mesdisance dite par forme de gausserie est encores plus cruelle que toutes; car, comme la ciguë n'est pas de soy un venin fort pressant, ains asses lent et auquel on peut aysement remedier, mais estant pris avec le vin il est irremediable, ainsy la mesdisance qui de soy passerait legerement par une oreille et sortiroit par l'autre, comme l'on dit, s'arreste fermement en la cervelle des escoutans quand elle est presentee dedans quelque mot subtil et joyeux.

  A003001101 

 Ne voyes-vous pas l'artifice? Celuy qui veut tirer a l'arc tire tant qu'il peut la fleche a soy, mais ce n'est que pour la darder plus puissamment: il semble que ceux ci retirent leur mesdisance a eux, mais ce n'est que pour la descocher plus fermement, affin qu'elle penetre plus avant dedans les cœurs des escoutans.

  A003001102 

 Ne dites pas: un tel est un ivroigne, encores que vous l'ayes veu ivre; ni, il est adultere, pour l'avoir veu en ce peché; ni, il est inceste, pour l'avoir treuvé en ce malheur; car un seul acte ne donne pas le nom a la chose.

  A003001102 

 Noé s'enivra une fois et Loth une autre fois, et celuy ci de plus commit un grand inceste: ilz ne furent pourtant ivroignes ni l'un ni l'autre, ni le dernier ne fut pas inceste, ni saint Pierre sanguinaire pour avoir une fois respandu du sang, ni blasphemateur pour avoir une fois blasphemé.

  A003001103 

 Helas, puisque la bonté de Dieu est si grande qu'un seul moment suffit pour impetrer et recevoir sa grace, quelle asseurance pouvons-nous avoir qu'un homme qui estoit hier pecheur le soit aujourd'huy? Le jour precedent ne doit pas juger le jour present, ni le jour present ne doit pas juger le jour precedent: il n'y a que le dernier qui les juge tous.

  A003001104 

 Non, chere Philothee, il ne faut pas, pensant fuir le vice de la mesdisance, favoriser, flatter ou nourrir les autres, ains faut dire rondement et franchement mal du mal et blasmer les choses blasmables: ce que faisant, nous glorifions Dieu, moyennant que ce soit avec les conditions suivantes..

  A003001104 

 S'il se treuve une personne vrayement mesdisante, ne dites pas pour l'excuser qu'elle est libre et franche; une personne manifestement vaine, ne dites pas qu'elle est genereuse et propre; et les privautés dangereuses, ne les appellés [241] pas simplicités ou naifvetés; ne fardes pas la desobeissance du nom de zele, ni l'arrogance du nom de franchise, ni la lasciveté du nom d'amitié.

  A003001105 

 Mais sur tout il faut que je sois exactement juste en mes paroles pour ne dire pas un seul mot de trop: par exemple, si je blasme la privauté de ce jeune homme et de cette fille, parce qu'elle est trop indiscrete et perilleuse, o Dieu, Philothee, il faut que je tienne la balance bien juste pour ne point aggrandir la chose, pas mesme d'un seul brin.

  A003001105 

 Outre cela, encor faut-il qu'il m'appartienne de parler sur ce sujet, comme quand je suis des premiers de la compaignie, et que si je ne parle il semblera que j'appreuve le vice: que si je suis des moindres, je ne dois pas entreprendre de faire la censure.

  A003001107 

 Chacun se donne liberté de juger et censurer les princes et de mesdire des nations toutes entieres, selon la diversité des affections que l'on a en leur endroit: Philothee, ne faites pas cette faute; car outre l'offense de Dieu, elle vous pourroit susciter mille sortes de querelles..

  A003001108 

 Quand vous oyes mal dire, rendés douteuse l'accusation, si vous le pouves faire justement; si vous ne pouves pas, excuses l'intention de l'accusé; que si cela ne se peut, tesmoignes de la compassion sur luy, escartes ce propos-la, vous resouvenant et faisant resouvenir la compaignie que ceux qui ne tombent pas en faute en doivent toute la grace a Dieu.

  A003001112 

 Gardés-vous des duplicités, artifices et feintises; bien qu'il ne soit pas bon de dire tous-jours toutes sortes de verités, si n'est-il jamais permis de contrevenir a la verité.

  A003001113 

 Bien que quelquefois on puisse discretement et prudemment desguiser et couvrir la verité par quelque artifice de parolle, si ne faut-il pas prattiquer cela sinon en chose d'importance, quand la gloire et service de Dieu le requierent manifestement: hors de la, les artifices sont dangereux, car, comme dit la sacree Parolle, le Saint Esprit n'habite point en un esprit feint et double.

  A003001114 

 Saint Augustin avoit dit au quatriesme Livre de ses Confessions, que son ame et celle de son ami n'estoyent qu'une seule ame, et que cette vie luy estoit en horreur apres le trespas de son ami, parce qu'il ne vouloit pas vivre a moitié, et que aussi pour cela mesme il craignoit a l'adventure de mourir, affin que son ami ne mourust du tout.

  A003001115 

 Le parler peu, tant recommandé par les anciens sages, ne s'entend pas qu'il faille dire peu de paroles, mais de n'en dire pas beaucoup d'inutiles; car en matiere de parler, on ne regarde pas a la quantité, mais a la qualité.

  A003001116 

 Saint Louys ne treuvoit pas bon qu'estant en compaignie l'on parlast en secret et en conseil, et particulierement a table, affin que l'on ne donnast soupçon que l'on parlast des autres en mal: «Celuy,» disoit il, «qui est a table en bonne compaignie, qui a a dire quelque chose joyeuse et plaisante, la doit dire que tout le monde l'entende; si c'est chose d'importance, on la doit taire sans en parler.».

  A003001120 

 Ne festonne pas donq, repliqua l'Apostre, si je me demetz quelque peu de la rigueur et attention de mon esprit pour prendre un [246] peu de recreation, affin de m'employer par apres plus vivement a la contemplation.

  A003001122 

 Ayant joüé cinq, six heures aux eschecz, au sortir on est tout recreu et las d'esprit; jouer longuement a la paume, ce n'est pas recreer le cors, mais l'accabler.

  A003001122 

 Il se faut seulement garder de l'exces, soit au tems que l'on y employe soit au prix que l'on y met; car si l'on y employe trop de tems, ce n'est plus recreation, c'est occupation: on n'allege pas ni l'esprit ni le cors, au contraire on l'estourdit, on l'accable.

  A003001123 

 Je ne dis pas qu'il ne faille prendre playsir a joüer pendant que l'on joüe, car autrement on ne se recreeroit pas; mais je dis qu'il ne faut pas y mettre son affection pour le desirer, pour s'y amuser et s'en empresser.

  A003001127 

 Cela est bon pour monstrer que celuy qui gaigne ne fait pas tort aux autres, mais il ne s'ensuit pas que la convention ne soit desraysonnable et le jeu aussi; car le gain qui doit estre le prix de l'industrie, est rendu le prix du sort, qui ne merite nul prix puisqu'il ne depend nullement de nous..

  A003001127 

 Les jeux des dés, des cartes et semblables, esquelz le gain depend principalement du hazard, ne sont pas seulement des recreations dangereuses, comme les danses, mais elles sont simplement et naturellement mauvaises et blasmables; c'est pourquoy elles sont defendues par les lois tant civiles qu'ecclesiastiques.

  A003001127 

 Mais quel grand mal y a-il, me dires-vous? Le gain ne se fait pas en ces jeux selon la rayson, mais selon le sort, qui tombe bien souvent a celuy qui par habilité et industrie ne meritoit rien: la rayson est donq offensee en cela.

  A003001128 

 Car, n'est-ce pas occupation de tenir l'esprit bandé et tendu par une attention continuelle, et agité de perpetuelles inquietudes, apprehensions et empressemens? Y a-il attention plus triste, plus sombre et melancholique que celle [248] des joueurs? c'est pourquoy il ne faut pas parler sur le jeu, il ne faut pas rire, il ne faut pas tousser, autrement les voyla a despiter..

  A003001129 

 En fin, il n'y a point de joye au jeu qu'en gaignant, et cette joye n'est-elle pas inique, puisqu'elle ne se peut avoir que par la perte et le desplaysir du compaignon? cette resjouissance est certes infame.

  A003001134 

 Si neanmoins il faut manger des potirons, prenés garde qu'ilz soyent bien apprestés: si par quelque occasion de laquelle vous ne puissies pas vous bien excuser, il faut aller au bal, prenés garde que vostre danse soit bien apprestee.

  A003001142 

 Elle oste mesme la malice a celles qui sont aucunement mauvaises: c'est pourquoy les jeux de hazard qui autrement seroient blasmables, ne le sont pas, si quelquefois la juste condescendance nous y porte..

  A003001147 

 Or, entre toutes les parties exterieures du cors humain, il n'y en a point de plus noble, soit pour l'artifice soit pour l'activité, que l' œil, ni point de plus vile que les cheveux; c'est pourquoy le divin Espoux veut faire entendre qu'il n'a pas seulement aggreable les grandes œuvres des personnes devotes, mais aussi les moindres et plus basses; et que pour le servir a son goust, il faut avoir grand soin de le bien servir aux choses grandes et hautes et aux choses petites et abjectes, puysque nous pouvons egalement, et par les unes et par les autres, luy desrober son cœur par amour..

  A003001148 

 Mais tandis que la divine Providence ne vous envoye pas des afflictions si sensibles et si grandes, et qu'il ne requiert pas de vous vos yeux, donnes-luy pour le moins vos cheveux: je veux dire, supportes tout doucement les menues injures, ces petites incommodités, ces pertes de peu d'importance qui vous sont journalieres; car par le moyen de ces petites occasions, employees avec amour et dilection, vous gaigneres entierement [254] son cœur et le rendres tout vostre.

  A003001149 

 Et n'estime pas moins la petite et basse meditation qu'elle faisoit parmi les offices vilz et abjectz, que les extases et ravissemens qu'elle eut si souvent, qui ne luy furent peut estre donnés qu'en recompense de cette humilité et abjection.

  A003001150 

 Mettes la main a chose forte, vous exerçant a l'orayson et meditation, a l'usage des Sacremens, a donner de l'amour de Dieu aux ames, a respandre de bonnes inspirations dedans les cœurs, et en fin a faire des œuvres grandes et d'importance selon vostre vacation; mais n'oublies pas aussi vostre fuseau et vostre quenouille, c'est a dire, prattiqués ces petites et humbles vertus lesquelles comme fleurs croissent au pied de la Croix: le service des pauvres, la visitation des malades, le soin de la famille, avec les œuvres qui dependent d'iceluy, et l'utile diligence qui ne vous laissera point oysive; et parmi toutes ces choses-la, entrejettés des pareilles considerations a celles que je viens de dire de sainte Catherine..

  A003001150 

 Pour cela, je vous conseille tant que je puis d'imiter cette femme forte que le grand Salomon a tant loüee, laquelle, comme il dit, mettoit la main a choses fortes, genereuses et relevees, et neanmoins ne laissoit pas de filer et tourner le fuseau: Elle a mis la main a chose forte, et ses doigtz ont prins le fuseau.

  A003001155 

 Ce que je m'en vay vous dire, sont-ce pas iniquités et desraysons?.

  A003001155 

 Nous ne sommes hommes que par la rayson, et c'est pourtant chose rare de treuver des hommes vrayement raysonnables, d'autant que l'amour propre nous detraque ordinairement de la rayson, nous conduisant insensiblement a mille sortes de petites, mais dangereuses injustices et iniquités qui, comme les petitz renardeaux desquelz il est parlé aux Cantiques, demolissent les vignes; car, d'autant qu'ilz sont petitz on n'y prend pas garde, et parce qu'ilz sont en quantité ilz ne laissent pas de beaucoup nuire.

  A003001156 

 Nous voudrions que le prochain nous laschast son bien en le payant, n'est-il pas [257] plus juste qu'il le garde en nous laissant nostre argent? nous luy sçavons mauvais gré dequoy il ne nous veut pas accommoder, n'a-il pas plus de rayson d'estre fasché dequoy nous le voulons incommoder? Si nous affectionnons un exercice, nous mesprisons tout le reste et contrerollons tout ce qui ne vient pas a nostre goust.

  A003001156 

 S'il y a quelqu'un de nos inferieurs qui n'ait pas bonne grace ou sur lequel nous ayons une fois mis la dent, quoy qu'il face nous le recevons a mal, nous ne cessons de le contrister et tous-jours nous sommes a le calanger; au contraire, si quelqu'un nous est aggreable d'une grace sensuelle, il ne fait rien que nous n'excusions.

  A003001158 

 Toutes ces injustices sont petites, parce qu'elles n'obligent pas a restitution, d'autant que nous demeurons seulement dans les termes de la rigueur en ce qui nous est favorable; mais elles ne laissent pas de nous obliger a nous en amender, car ce sont des grans defautz de rayson et de charité; et, au bout de la, ce ne sont que tricheries, car on ne perd rien a vivre genereusement, noblement, courtoisement, et avec un cœur royal, egal et raysonnable.

  A003001158 

 Trajan estant censuré par ses confidens dequoy il rendoit, a leur advis, la majesté imperiale trop accostable: Ouy dea, dit-il, ne dois-je pas estre tel empereur a l'endroit des particuliers, que je desirerois rencontrer un empereur si j'estois particulier moy mesme? [259].

  A003001162 

 Ne desires pas les choses fort esloignees, c'est a dire qui ne peuvent arriver de long tems, comme font plusieurs qui par ce moyen lassent et dissipent leurs coeurs inutilement, et se mettent en danger de grande inquietude.

  A003001162 

 Si un jeune homme desire fort d'estre pourveu de quelque office avant que le tems soit venu, dequoy, je vous prie, luy sert ce desir? Si une femme mariee desire d'estre religieuse, a quel propos? Si je desire d'acheter le bien de mon voysin avant qu'il soit prest a le vendre, ne perds-je pas mon tems en ce desir? Si estant malade, je desire prescher ou dire la sainte Messe, visiter les autres malades et faire les exercices de ceux qui sont en santé, ces desirs ne sont-ilz pas vains, puysqu'en ce tems-la il n'est pas en mon pouvoir [260] de les effectuer? Et ce pendant ces desirs inutiles occupent la place des autres que je devrois avoir, d'estre bien patient, bien resigné, bien mortifié, bien obeissant et bien doux en mes souffrances, qui est ce que Dieu veut que je prattique pour lhors.

  A003001163 

 Non, je ne voudrois pas mesmement que l'on desirast d'avoir meilleur esprit ni meilleur jugement, car ces desirs sont frivoles et tiennent la place de celuy que chacun doit avoir de cultiver le sien tel qu'il est; ni que l'on desire les moyens de servir Dieu que l'on n'a pas, mais que l'on employe fidellement ceux qu'on a. Or, cela s'entend des desirs qui amusent le cœur; car quant aux simples souhaitz, ilz ne font nulle nuysance, pourveu qu'ilz ne soyent pas frequens..

  A003001164 

 Ne desirés pas les croix, sinon a mesure que vous aures bien supporté celles qui se seront presentees; car c'est un abus de desirer le martyre et n'avoir pas le courage de supporter une injure.

  A003001165 

 Choisisses donq, par l'advis de vostre pere spirituel, entre tant de desirs ceux qui peuvent estre prattiqués et executés maintenant; ceux-la, faites les bien valoir: cela fait, Dieu vous en envoyera d'autres, lesquelz aussi en leurs saisons vous prattiqueres, et ainsy vous ne perdres pas le tems en desirs inutiles.

  A003001165 

 Je ne dis pas qu'il faille perdre aucune sorte de bons desirs, mais je dis qu'il les faut produire par ordre; et ceux qui ne peuvent estre effectués presentement, il les faut serrer en quelque coin du cœur jusques a ce que leur tems soit venu, et ce pendant effectuer ceux qui sont meurs et de saison; ce que je ne dis pas seulement pour les spirituelz, mais pour les mondains: sans cela nous ne sçaurions vivre qu'avec inquietude et empressement.

  A003001165 

 La varieté des viandes (si principalement la quantité en est grande) charge tous-jours l'estomac, et s'il est foible, elle le ruine: ne remplisses pas vostre ame de beaucoup de desirs, ni mondains car ceux la vous gasteroyent du tout, ni mesme spirituelz car ilz vous embarrasseroyent.

  A003001171 

 Qui veut avoir des aigneletz beaux et mouchetés, comme Jacob, il faut comme luy presenter aux brebis quand elles s'assemblent pour parier, des belles baguettes de diverses couleurs; et qui veut avoir un heureux succes au mariage, devroit en ses noces se representer la sainteté et dignité de ce Sacrement; mais en lieu de cela il y arrive mille desreglemens en passe-tems, festins et paroles: ce n'est donq pas merveille si les effectz en sont desreglés..

  A003001174 

 Or cette union ne s'entend pas principalement du cors, ains du cœur, de l'affection et de l'amour..

  A003001174 

 Si on colle deux pieces de sapin ensemble, pourveu que la colle soit fine, l'union en sera si forte qu'on fendroit beaucoup plus tost les pieces es autres endroitz, qu'en l'endroit de leur conjonction; mais Dieu conjoint le mari a la femme en son propre sang, c'est pourquoy cette union est si forte que plustost l'ame se doit separer du cors de l'un et de l'autre, que non pas le mari de la femme.

  A003001177 

 C'est donq une sotte ventance d'amitié que de la vouloir exalter par la jalousie, car la jalousie est voirement marque de la grandeur et grosseur de l'amitié, mais non pas de la bonté, pureté et perfection d'icelle; puisque la perfection de l'amitié presuppose l'asseurance de la vertu de la chose qu'on ayme, et la jalousie en presuppose l'incertitude..

  A003001178 

 «Avec quel front,» dit saint Gregoire Nazianzene,« voules vous exiger la pudicité de vos femmes, si vous mesmes vives en impudicité? comme leur demandes vous ce que vous ne leur donnes pas?» Voules vous qu'elles soyent chastes? comportes vous chastement envers elles, et, comme dit saint Paul, Qu'un chacun sçache posseder son vaisseau en sanctification. Que si au contraire vous mesmes leur apprenés les fripponneries, ce n'est pas merveille que vous ayes du deshonneur en leur perte..

  A003001180 

 Le grand saint Louys, egalement rigoureux a sa chair et tendre en l'amour de sa femme, fut presque blasmé d'estre abondant en telles caresses, bien qu'en verité il meritast plustost louange de sçavoir demettre son esprit martial et courageux a ces menus offices requis a la conservation de l'amour conjugal; car bien que ces petites demonstrations de pure et franche amitié ne lient pas les cœurs, elles les approchent neanmoins, et servent d'un ageancement aggreable a la mutuelle conversation..

  A003001182 

 Or c'est pour [271] monstrer que ce n'est pas faire une bonne mayson de fourrer beaucoup de biens mondains en icelle, mais de bien eslever les enfans en la crainte de Dieu et en la vertu: en quoy on ne doit espargner aucune sorte de peyne ni de travaux, puisque les enfans sont la couronne du pere et de la mere.

  A003001183 

 Saint Paul laisse en partage aux femmes le soin de la mayson, c'est pourquoy plusieurs ont cette veritable opinion, que leur devotion est plus fructueuse a la famille que celle des maris qui, ne faisans pas une si ordinaire residence entre les domestiques, ne peuvent pas par consequent les addresser si aysement a la vertu.

  A003001191 

 J'expliqueray donques ce que je ne puis pas dire des unes, par ce que je diray des autres..

  A003001193 

 Manger, non point pour conserver la vie mais pour conserver la mutuelle conversation et condescendance que nous nous devons les uns aux autres, c'est chose grandement juste et honneste: et de mesme, la reciproque et legitime satisfaction des parties au saint Mariage est appellee par saint Paul devoir; mais devoir si grand, qu'il ne veut pas que l'une des parties [274] s'en puisse exempter sans le libre et volontaire consentement de l'autre, non pas mesme pour les exercices de la devotion, qui m'a fait dire le mot que j'ay mis au chapitre de la sainte Communion pour ce regard; combien moins donq peut-on s'en exempter pour des capricieuses pretentions de vertu ou pour les choleres et desdains..

  A003001194 

 Comme ceux qui mangent pour le devoir de la mutuelle conversation doivent manger librement et non comme par force, et de plus s'essayer de tesmoigner de l'appetit, aussi le devoir nuptial doit estre tous-jours rendu fidellement, franchement, et tout de mesme comme si c'estoit avec esperance de la production des enfans, encor que pour quelque occasion on n'eust pas telle esperance..

  A003001195 

 Manger non point pour les deux premieres raysons, mais simplement pour contenter l'appetit, c'est chose supportable mais non pas pourtant louable; car le simple playsir de l'appetit sensuel ne peut estre un objet suffisant pour rendre une action louable, il suffit bien si elle est supportable..

  A003001197 

 6. Or, l'exces du manger ne consiste pas seulement en la trop grande quantité, mais aussi en la façon et maniere de manger.

  A003001198 

 Car d'autant que la procreation des enfans est la premiere et principale fin du mariage, jamais on ne peut loysiblement se departir de l'ordre qu'elle requiert, quoy que pour quelque autre accident elle ne puisse pas pour lhors estre effectuee, comme il arrive quand la sterilité ou la grossesse des-ja survenue empesche la production et generation; car en ces occurrences le commerce corporel ne laisse pas de pouvoir estre juste et saint, moyennant que les regles de la generation soyent suivies, aucun accident ne pouvant jamais prejudicier a la loy que la fin principale du mariage a imposee.

  A003001199 

 Ne sont-ce pas de belles et honnestes humeurs d'un tel animal, par lesquelles il invite les mariés a ne point demeurer engagés d'affection aux sensualités et voluptés que selon leur vocation ilz auront exercees, mais icelles passees de s'en laver le cœur et l'affection, et de s'en purifier au plus tost, pour par apres avec toute liberté d'esprit prattiquer les autres actions plus pures et relevees..

  A003001201 

 Je pense avoir tout dit ce que je voulois dire, et fait entendre sans le dire ce que je ne voulois pas dire.

  A003001206 

 Que si la vraye vefve, pour se confirmer en l'estat de viduité, veut offrir a Dieu en vœu son cors et sa chasteté, elle adjoustera un grand ornement a sa viduité et mettra en grande asseurance sa resolution; car voyant qu'apres le vœu il n'est plus en son pouvoir de quitter sa chasteté sans quitter le Paradis, elle sera si jalouse de son dessein qu'elle ne permettra pas seulement aux plus simples pensees de mariage d'arrester en son cœur un seul moment, si que ce vœu sacré mettra une forte barriere entre son ame et toute sorte de projetz contraires a sa resolution.

  A003001207 

 Le vœu rend les œuvres faittes en suite d'iceluy plus aggreables a Dieu, fortifie le courage pour les faire, et ne donne pas seulement a Dieu les œuvres, qui sont comme les fruitz de nostre bonne volonté, mais luy dedie encores la volonté mesme, qui est comme l'arbre de nos actions.

  A003001208 

 Outre cela, il faut que ce renoncement de secondes noces se face purement et simplement pour, avec plus de pureté, contourner toutes ses affections en Dieu, et joindre de toutes pars son cœur avec celuy de sa divine Majesté; car si le desir de laisser les enfans riches ou quelqu'autre sorte de pretention mondaine arreste la vefve en viduité, elle en aura peut estre la loüange, mais non pas certes devant Dieu, puisque devant Dieu rien ne peut avoir une veritable louange que ce qui est fait pour Dieu..

  A003001211 

 Esperer en Dieu tandis que le mari sert de support, ce n'est pas chose si rare; mais d'esperer en Dieu quand on est destitué de cet appuy, c'est chose digne de grande loüange: c'est pourquoy on connoist plus aysement en la viduité, la perfection des vertus que l'on a eues au mariage.

  A003001212 

 Mais si les enfans sont en estat de n'avoir pas besoin d'estre conduitz, la vefve alhors doit ramasser toutes ses affections et cogitations pour les appliquer plus purement a son avancement en l'amour de Dieu..

  A003001213 

 Si quelque force forcee n'oblige la conscience de la vraye vefve aux embarrassemens exterieurs, telz que sont les procès, je luy conseille de s'en abstenir du tout, et suivre la methode de conduire ses affaires qui sera plus paisible et tranquille, quoy qu'il ne semblast pas que ce fust la plus fructueuse.

  A003001226 

 Si vous esties du monde, dit le Sauveur, le monde aymeroit ce qui est sien; mais parce que vous n'estes pas du monde, partant il vous hait.

  A003001227 

 Il est vray, Philothee; si nous nous relaschons par condescendance a rire, jouer, danser avec le monde, il s'en scandalisera, si nous ne le faysons pas, il nous accusera d'hypocrisie ou melancholie; si nous nous parons, il l'interpretera a quelque dessein, si nous nous demettons, ce sera pour luy vileté de cœur; nos gayetés [290] seront par luy nommees dissolutions, et nos mortifications tristesses, et nous regardant ainsy de mauvais œil, jamais nous ne pouvons luy estre aggreables.

  A003001227 

 Il n'est pas possible que nous le contentions, car il est trop bigearre: Jean est venu, dit le Sauveur, ne mangeant ni beuvant, et vous dites qu'il est endiable; le Filz de l'homme est venu en mangeant et beuvant, et vous dites qu'il est Samaritain.

  A003001228 

 Quoy que nous fassions, le monde nous fera tous-jours la guerre: si nous sommes longuement devant le confesseur, il demandera que c'est que nous pouvons tant dire; si nous y sommes peu, il dira que nous ne disons pas tout.

  A003001228 

 Soit que les moutons ayent des cornes ou qu'ilz n'en ayent point, qu'ilz soyent blancz ou qu'ilz soyent noirs, le loup ne laissera pas de les manger s'il peut.

  A003001229 

 Ce ne nous est pas une petite commodité pour bien asseurer le commencement de nostre devotion que d'en recevoir de l'opprobre et de la calomnie; car nous evitons par ce moyen le peril de la vanité et de l'orgueil, qui sont comme les sages femmes d'Egypte, ausquelles le Pharaon infernal a ordonné de tuer les enfans masles d'Israël le jour mesme de leur naissance.

  A003001233 

 Il vous faschera peut estre d'abord de quitter la gloire que les folz et moqueurs vous donnoyent en vos vanités; mais o Dieu, voudries vous bien perdre l'eternelle que Dieu vous donnera en verité? Les vains amusemens et passetems esquelz vous aves employé les annees passees se representeront encor a vostre cœur pour l'appaster et faire retourner de leur costé; mais auries vous bien le courage de renoncer a cette heureuse eternité pour des si trompeuses legeretés? Croyes-moy, si vous perseveres vous ne tarderes pas de recevoir des douceurs cordiales si delicieuses et aggreables, que vous confesseres que le monde n'a que du fiel en comparayson de ce miel, et qu'un seul jour de devotion vaut mieux que mille annees de la vie mondaine..

  A003001238 

 Et bien que ces trois actions ne se connoissent pas si manifestement en toutes autres sortes de pechés, si est-ce qu'elles se connoissent palpablement aux grans et enormes pechés..

  A003001239 

 Quand la tentation de quelque peché que ce soit dureroit toute nostre vie, elle ne sçauroit nous rendre desaggreables a la divine Majesté, pourveu qu'elle ne nous plaise pas et que nous n'y consentions pas; la ravson est, parce qu'en la tentation nous n'agissons pas mays nous souffrons, et puisque nous n'y prenons point playsir, nous ne pouvons aussi en avoir aucune sorte de coulpe.

  A003001240 

 Il y a neanmoins cette difference entre l'ame et cette princesse pour ce sujet, que la princesse ayant ouï la proposition deshonneste peut, si bon luy semble, chasser le messager et ne le plus ouïr; mais il n'est pas tous-jours au pouvoir de l'ame de ne point sentir la tentation, bien qu'il soit tous-jours en son pouvoir de ne point y consentir: c'est pourquoy, encor que la tentation dure et persevere long tems, elle ne peut nous nuire tandis qu'elle nous est desaggreable..

  A003001240 

 Que donq les ennemis de nostre salut nous presentent tant qu'ilz voudront d'amorces et d'appastz, qu'ilz demeurent tous-jours a la porte de nostre cœur pour entrer, qu'ilz nous facent tant de propositions qu'ilz voudront; mais tandis que nous aurons resolution de ne point nous plaire en tout cela, [295] il n'est pas possible que nous offensions Dieu, non plus que le prince espoux de la princesse que j'ay representee ne luy peut sçavoir mauvais gré du message qui luy est envoyé, si elle n'y a prins aucune sorte de playsir.

  A003001241 

 Mays quant a la delectation qui peut suivre la tentation, pour autant que nous avons deux parties en nostre ame, l'une inferieure et l'autre superieure, et que l'inferieure ne suit pas tous-jours la superieure ains fait son cas a part, il arrive maintesfois que la partie inferieure se plait en la tentation, sans le consentement, ains contre le gré de la superieure: c'est la dispute et la guerre que l'apostre saint Paul descrit, quand il dit que sa chair convoite contre son esprit, qu'il y a une loy des membres et une loy de l'esprit, et semblables choses..

  A003001242 

 C'en est de mesme de la charité, qui est nostre vie spirituelle, parmi les grandes et violentes tentations: car la tentation jettant sa delectation en la partie inferieure, couvre, ce semble, toute l'ame de cendres, et reduit l'amour de Dieu au petit pied, car il ne paroist plus en nulle part sinon au milieu du cœur, au fin fond de l'esprit; encores semble-il qu'il n'y soit pas, et a-on peyne de le treuver.

  A003001242 

 Il y est neanmoins en verité, puisque, quoy que tout soit en trouble en nostre [296] ame et en nostre cors, nous avons la resolution de ne point consentir au peché ni a la tentation, et que la delectation qui plait a nostre homme exterieur desplait a l'interieur, et quoy qu'elle soit tout autour de nostre volonté, si n'est-elle pas dans icelle: en quoy l'on voit que telle delectation est involontaire, et estant telle ne peut estre peché..

  A003001246 

 Le jeune homme duquel parle saint Hierosme, qui couché et attaché avec des escharpes de soye bien delicatement sur un lict mollet, estoit provoqué par toutes sortes de vilains attouchemens et attraitz d'une impudique femme, qui estoit couchee avec luy expres pour esbranler sa constance, ne devoit-il pas sentir d'estranges accidens? ses sens ne devoyent-ilz pas estre saisis de la delectation, et son imagination extrêmement occupee de cette presence des objetz voluptueux? Sans doute, et neanmoins parmi tant de troubles, emmi un si terrible orage de tentations et entre tant de voluptés qui sont tout autour de luy, il tesmoigne que son cœur n'est point vaincu et que sa volonté n'y consent nullement, puisque son esprit voyant tout rebellé contre luy, et n'ayant plus aucune des parties de son cors a son commandement sinon la langue, il se la coupa avec les [297] dens et la cracha sur le visage de cette vilaine ame qui tourmentait la sienne plus cruellement par la volupté, que les bourreaux n'eussent jamais sceu faire par les tourmens; aussi, le tyran qui se defioit de la vaincre par les douleurs, pensoit la surmonter par ces playsirs..

  A003001247 

 Ce qui dura fort longuement, jusques a tant qu'un jour Nostre Seigneur luy apparut, et elle luy dit: «Ou esties-vous, mon doux Seigneur, quand mon cœur estoit plein de tant de tenebres et d'ordures?» A quoy il respondit: «J'estois dedans ton cœur, ma fille.» «Et comment,» repliqua-elle, «habities-vous dedans mon cœur, dans lequel il y avoit tant de vilenies? habites-vous donq en des lieux si deshonnestes?» Et Nostre Seigneur luy dit: «Dis-moy, ces tiennes sales cogitations de ton cœur te donnoyent-elles playsir ou tristesse, amertume ou delectation?» Et elle dit: «Extreme amertume et tristesse.» Et luy repliqua: «Qui estoit celuy qui mettoit cette grande amertume et tristesse dedans ton cœur, sinon moy qui demeurois caché dedans le milieu de ton ame? Croy, ma fille, que si je n'eusse pas esté present, ces pensees qui estoyent autour de ta volonté et ne pouvoyent l'expugner l'eussent sans doute surmontee et seroyent [298] entrees dedans, eussent esté receuës avec playsir par ton liberal arbitre, et ainsy eussent donné la mort a ton ame; mais parce que j'estois dedans, je mettois ce desplaysir et cette resistance en ton cœur, par laquelle il se refusoit tant qu'il pouvoit a la tentation, et ne pouvant pas tant qu'il vouloit, il en sentoit un plus grand desplaysir et une plus grande haine contre icelle et contre soy mesme, et ainsy ces peynes estoyent un grand merite et un grand gain pour toy, et un grand accroissement de ta vertu et de ta force.».

  A003001248 

 O Dieu, quelle detresse a une ame qui ayme Dieu, de ne sçavoir seulement pas s'il est en elle ou non, et si l'amour divin, pour lequel elle combat, est du tout esteint en elle ou non! Mais c'est la fine fleur de la perfection de l'amour celeste que de faire souffrir et combattre l'amant pour l'amour, sans sçavoir s'il a l'amour pour lequel et par lequel il combat..

  A003001252 

 Ce que je dis affin que, s'il vous arrive jamais d'estre affligee de si grande tentation, vous sçachies que Dieu vous favorise d'une faveur extraordinaire, par laquelle il declare qu'il vous veut aggrandir devant sa face, et que neanmoins vous soyes tous-jours humble et craintive, ne vous asseurant pas de pouvoir vaincre les menues tentations apres avoir surmonté les grandes, sinon par une continuelle fidelité a l'endroit de sa Majesté.

  A003001252 

 Ma Philothee, ces grans assautz et ces tentations si puissantes ne sont jamais permises de Dieu que contre les ames lesquelles il veut eslever a son pur et excellent amour; mais il ne s'ensuit pas pourtant qu'apres cela elles soyent asseurees d'y parvenir, car il est arrivé [299] maintesfois que ceux qui avoyent esté constans en des si violentes attaques, ne correspondans pas par apres fidelement a la faveur divine, se sont treuvés vaincus en des bien petites tentations.

  A003001257 

 La princesse de laquelle nous avons parlé ne peut mais de la recherche deshonneste qui luy est faitte, puisque, comme nous avons presupposé, elle luy arrive contre son gré; mais si au contraire elle avoit par quelques attraitz donné sujet a la recherche, ayant voulu donner de l'amour a celuy qui la muguette, indubitablement elle seroit coulpable de la recherche mesme; et quoy qu'elle en fist la delicate, elle ne laisseroit pas d'en meriter du blasme et de la punition.

  A003001258 

 C'est tous-jours chose blasmable a la jeune [301] princesse de laquelle nous avons parlé, si non seulement elle escoute la proposition sale et deshonneste qui luy est faitte, mais encores apres l'avoir ouïe elle prend playsir en icelle, entretenant son cœur avec contentement sur cet objet; car bien qu'elle ne veuille pas consentir a l'execution reelle de ce qui luy est proposé, elle consent neanmoins a l'application spirituelle de son cœur par le contentement qu'elle y prend, et c'est tous-jours chose deshonneste d'appliquer ou le cœur ou le cors a chose deshonneste; ains la deshonnesteté consiste tellement a l'application du cœur, que sans icelle l'application du cors ne peut estre peché.

  A003001259 

 De mesme donq, si quelqu'un me propose quelque stratageme plein d'invention et d'artifice pour me venger de mon ennemi, et que je ne prenne pas playsir ni ne donne aucun consentement a la vengeance qui m'est [302] proposee, mais seulement a la subtilité de l'invention de l'artifice, sans doute je ne peche point, bien qu'il ne soit pas expedient que je m'amuse beaucoup a ce playsir, de peur que petit a petit il ne me porte a quelque delectation de la vengeance mesme..

  A003001259 

 Par exemple, si le galant qui luy veut donner de l'amour sonnoit exquisement bien du luth et qu'elle print playsir, non pas a la recherche qui est faitte de son amour, mais a l'harmonie et douceur du son du luth, il n'y auroit point de peché, bien qu'elle ne devrait pas continuer longuement en ce playsir, de peur de faire passage d'iceluy a la delectation de la recherche.

  A003001259 

 Quand la delectation qui suit la tentation a peu estre evitee, et que neanmoins on ne l'a pas evitee, il y a tous-jours quelque sorte de peché selon que l'on y a peu ou prou arresté, et selon la cause du playsir que nous y avons prins.

  A003001259 

 Une femme laquelle n'ayant point donné de sujet d'estre muguettee, prend neanmoins playsir a l'estre, ne laisse pas d'estre blasmable si le playsir qu'elle y prend n'a point d'autre cause que la muguetterie.

  A003001273 

 C'est chose bien aysee a un homme ou a une femme de s'empescher de l'adultere, mais ce n'est pas chose si facile de s'empescher des œillades, de donner ou recevoir de l'amour, de procurer des graces et menues faveurs, de dire et recevoir des parolles de cajolerie.

  A003001273 

 Il est bien aysé de ne point donner de corrival au mari ni de corrivale a la femme, quant au cors, mais il n'est pas si aysé de n'en point donner quant au cœur; bien aysé de ne point souiller le lict du mariage, mais bien malaysé de ne point interesser l'amour du mariage; bien aysé de ne point desrober le bien d'autruy, mais malaysé de ne point le muguetter et convoiter; bien aysé de ne point dire de faux tesmoignage en jugement, mais malaysé de ne point mentir en conversation; bien aysé de ne point s'enivrer, mais malaysé d'estre sobre; bien aysé de ne point desirer la mort d'autruy, mais malaysé de ne point [306] desirer son incommodité; bien aysé de ne le point diffamer, mais malaysé de ne le point mespriser..

  A003001273 

 Les loups et les ours sont sans doute plus dangereux que les mouches, mais si ne nous font-ilz pas tant d'importunité et d'ennui, ni n'exercent pas tant nostre patience.

  A003001279 

 Car si vous me croyes, vous ne vous opiniastreres pas a vouloir opposer la vertu contraire a la tentation que vous sentes, parce que ce seroit quasi vouloir disputer avec elle; mais apres avoir fait une action de cette vertu directement contraire, si vous aves eu le loysir de reconnoistre la qualité de la tentation, vous feres un simple retour de vostre cœur du costé de Jesus Christ crucifié, et par une action d'amour en son endroit vous luy bayseres les sacrés pieds..

  A003001279 

 Mesprises donques ces menues attaques et ne daignes pas seulement penser a ce qu'elles veulent dire, mais laisses les bourdonner autour de vos oreilles tant qu'elles voudront, et courir ça et la autour de vous, comme l'on fait des mouches; et quand elles viendront vous piquer et que vous les verres aucunement s'arrester en vostre cœur, ne faites autre chose que de tout simplement les oster, non point combattant contre elles ni leur respondant, mais faisant des actions contraires, quelles qu'elles soyent, et specialement de l'amour de Dieu.

  A003001285 

 Faites des œuvres d'abjection et d'humilité le plus que vous pourres, encores qu'il vous semble que ce soit a regret; car par ce moyen vous vous habitues a l'humilité et affoiblisses vostre vanité, en sorte que quand la tentation viendra, vostre inclination ne la pourra pas tant favoriser, et vous aures plus de force pour la combattre..

  A003001285 

 Parles souvent contre la vanité, et encores qu'il vous semble que ce soit a contrecœur, ne laisses pas de la bien mespriser, car par ce moyen vous vous engageres mesme de reputation au parti contraire; et a force de dire contre quelque chose, nous nous esmouvons a la haïr, bien qu'au commencement nous luy eussions de l'affection.

  A003001288 

 En somme, en tems de paix, c'est a dire lhors que les tentations du peché auquel vous estes sujette ne vous presseront pas, faites force actions de la vertu contraire, et si les occasions ne se presentent, alles au devant d'elles pour les rencontrer; car par ce moyen vous renforcerés vostre cœur contre la tentation future..

  A003001292 

 L'inquietude n'est pas une simple tentation, mais une source de laquelle et par laquelle plusieurs tentations arrivent: j'en diray donq quelque chose.

  A003001293 

 Que si elle ne rencontre pas soudain ce qu'elle desire, elle entre en des grandes inquietudes et impatiences, lesquelles n'ostans pas le mal precedent, ains au contraire l'empirans, l'ame entre en une angoisse et detresse desmesuree, avec une defaillance de courage et de force telle, qu'il luy semble que son mal n'ait plus de remede.

  A003001293 

 Si l'ame cherche les moyens d'estre delivree de son mal pour l'amour de Dieu, elle les cherchera avec patience, douceur, humilité et tranquillité, attendant sa delivrance plus de la bonté et providence de Dieu que de sa peyne, industrie ou diligence; si elle cherche sa delivrance pour l'amour propre, elle s'empressera et s'eschauffera a la queste des moyens, comme si ce bien dependoit plus d'elle que de Dieu: je ne dis pas qu'elle pense cela, mays je dis qu'elle s'empresse comme si elle le pensoit.

  A003001295 

 Quand donq vous serés pressee du desir d'estre delivree de quelque mal ou de parvenir a quelque bien, avant toute chose mettes vostre esprit en repos et tranquillité, faites rasseoir vostre jugement et vostre volonté, et puys, tout bellement et doucement, pourchasses l'issue de vostre desir, prenant par ordre les moyens qui seront convenables; et quand je dis tout bellement, je ne veux pas dire negligemment, mays sans empressement, trouble et inquietude; autrement en lieu d'avoir l'effect de vostre desir vous gasteres tout et vous embarrasseres plus fort..

  A003001297 

 Ne permettes pas a vos desirs, pour petitz qu'ilz soyent et de petite importance, qu'ilz vous inquietent; car apres les petitz, les grans et plus importans treuveroyent vostre cœur plus disposé au trouble et desreglement.

  A003001306 

 Contraries vivement aux inclinations de la tristesse; et bien qu'il semble que tout ce que vous feres en ce tems la se face froidement, tristement et laschement, ne [314] laisses pourtant pas de le faire; car l'ennemi, qui pretend de nous allanguir aux bonnes œuvres par la tristesse, voyant que nous ne laissons pas de les faire, et qu'estans faittes avec resistance elles en valent mieux, il cesse de nous plus affliger.

  A003001315 

 Que tout se renverse sans dessus dessous, je ne dis pas seulement autour de nous, mais je dis en nous, c'est a dire que nostre ame soit triste, joyeuse, en douceur, en amertume, en paix, en trouble, en clarté, en tenebres, en tentations, en repos, en goust, en desgoust, en secheresse, en tendreté, que le soleil la brusle ou que la rosee la rafraischisse, ha! si faut-il pourtant qu'a jamais et tous-jours la pointe de nostre cœur, nostre esprit, nostre volonté superieure, qui est nostre bussole, regarde incessamment et tende perpetuellement a l'amour de Dieu son Createur, son Sauveur, son unique et souverain bien.

  A003001316 

 Car, comme les avettes se voyans surprises du vent en la campaigne, embrassent des pierres pour se pouvoir balancer en l'air et n'estre pas si aysement transportees a la merci de l'orage, ainsy nostre ame ayant vivement embrassé par resolution le pretieux amour de son Dieu, demeure constante parmi l'inconstance et vicissitude des consolations et afflictions, tant spirituelles que temporelles, tant exterieures qu'interieures.

  A003001317 

 Je dis donq que la dévotion ne consiste pas en la douceur, suavité, consolation et tendreté sensible du cœur, qui nous provoque aux larmes et souspirs et nous donne une certaine satisfaction aggreable et savoureuse en quelques exercices spirituelz.

  A003001317 

 Non, chere Philothee, la devotion et cela ne sont pas une mesme chose; car il y a beaucoup d'ames qui ont de ces tendretés et consolations, qui neanmoins ne laissent pas d'estre fort vicieuses, et par consequent n'ont aucun vray amour de Dieu et, beaucoup moins, aucune vraye devotion.

  A003001317 

 Or, sur cela, qu'est ce que ne fit pas Saul pour tesmoigner que son [318] cœur estoit amolly envers David? il le nomma son enfant, il se mit a pleurer tout haut, a le loüer, a confesser sa debonnaireté, a prier Dieu pour luy, a presager sa future grandeur et a luy recommander la posterité qu'il devoit laisser apres soy.

  A003001317 

 Quelle plus grande douceur et tendreté de cœur pouvoit il faire paroistre? et pour tout cela, neanmoins, il n'avoit point changé son ame, ne laissant pas de continuer sa persecution contre David aussi cruellement qu'au paravant..

  A003001317 

 Saul poursuivant a mort le pauvre David, qui fuyoit devant luy es desers d'Engaddi, entra tout seul en une caverne en laquelle David avec ses gens estoyent cachés; David, qui en cette occasion l'eut peu mille fois tuer, luy donna la vie et ne voulut seulement pas luy faire peur, ains l'ayant laissé sortir a son ayse l'appella par apres pour luy remonstrer son innocence, et luy faire connoistre qu'il avoit esté a sa merci.

  A003001318 

 Mais quand ce vient a l'essay, on treuve que comme les pluyes passageres d'un esté bien chaud, qui tombans en grosses gouttes sur la terre ne la penetrent point et ne servent qu'a la production des champignons, ainsy ces larmes et tendretés tombans sur un cœur vicieux et ne le penetrans point, luy sont tout a fait inutiles: car pour tout cela, les pauvres gens ne quitteroyent pas un seul liard du bien mal acquis qu'ilz possedent, ne renonceroyent pas une [319] seule de leurs perverses affections, et ne voudroyent pas avoir pris la moindre incommodité du monde pour le service du Sauveur sur lequel ilz ont pleuré; en sorte que les bons mouvemens qu'ilz ont eus, ne sont que des certains champignons spirituelz, qui non seulement ne sont pas la vraye devotion, mais bien souvent sont des grandes ruses de l'ennemi, qui, amusant les ames a ces menues consolations, les fait demeurer contentes et satisfaittes en cela, a ce qu'elles ne cherchent plus la vraye et solide devotion, qui consiste en une volonté constante, resolue, prompte et active d'executer ce que l'on sçait estre aggreable a Dieu..

  A003001319 

 La devotion donq ne gist pas en ces tendretés et sensibles affections, qui quelquefois procedent de la nature qui est ainsy molle et susceptible de l'impression qu'on luy veut donner, et quelquefois viennent de l'ennemi qui, pour nous amuser a cela, excite nostre imagination a l'apprehension propre pour telz effectz..

  A003001322 

 Il faut, outre tout cela, renoncer de tems en tems a telles douceurs, tendretés et consolations, separans nostre cœur d'icelles et protestans qu'encor que nous les acceptions humblement et les aymions, parce que Dieu nous les envoye et qu'elles nous provoquent a son amour, ce ne sont neanmoins pas elles que nous cherchons, mais Dieu et son saint amour: non la consolation, mais le Consolateur; non la douceur, mais le doux Sauveur; non la tendreté, mais [324] Celuy qui est la suavité du ciel et de la terre; et en cette affection nous nous devons disposer a demeurer fermes au saint amour de Dieu, quoy que de nostre vie nous ne deussions jamais avoir aucune consolation, et de vouloir dire egalement sur le mont de Calvaire, comme sur celuy de Thabor: O Seigneur, il m'est bon d'estre avec vous, ou que vous soyes en croix, ou que vous soyes en gloire.

  A003001322 

 il nous faut beaucoup humilier devant Dieu; gardons-nous bien de dire pour ces douceurs: o que je suis bon! Non, Philothee, ce sont des biens qui ne nous rendent pas meilleurs, car, comme j'ay dit, la devotion ne consiste pas en cela; mais disons: o que Dieu est bon a ceux qui esperent en luy, a l'ame qui le recherche! Qui a le sucre en bouche ne peut pas dire que sa bouche soit douce, mais ouy bien que le sucre est doux: ainsy, encor que cette douceur spirituelle est fort bonne, et Dieu qui nous la donne est tresbon, il ne s'ensuit pas que celuy qui la reçoit soit bon.

  A003001326 

 Vous ferés donq ainsy que je vous viens de dire, tres-chere Philothee, quand vous aves des consolations; mais ce beau tems si aggreable ne durera pas tous-jours, ains il adviendra que quelquefois vous seres tellement privee et destituee du sentiment de la devotion, qu'il vous sera advis que vostre ame soit line terre deserte, infructueuse, sterile, en laquelle il n'y ait ni sentier ni chemin pour treuver Dieu, ni aucune eau de grace qui la puisse arrouser, a cause des secheresses qui, ce semble, la reduiront totalement en friche.

  A003001331 

 La duplicité et finesse d'esprit exercee es confessions et communications spirituelles que l'on fait avec son conducteur, attire les secheresses et sterilités: car puisque vous mentés au Saint Esprit, ce n'est pas merveille s'il vous refuse sa consolation; vous ne voules pas estre simple et naif comme un petit enfant, vous n'aures donq pas la dragee des petitz enfans..

  A003001332 

 Il a rempli de biens, dit Nostre Dame, les affamés, et les riches il les a laissé vuides: ceux qui sont riches des playsirs mondains ne sont pas capables des spirituelz..

  A003001332 

 Vous vous estes bien saoulee des contentemens mondains, ce n'est pas merveille si les delices spirituelles vous sont a desgoust: les colombes ja saoules, dit l'ancien proverbe, treuvent ameres les cerises.

  A003001333 

 Aves-vous bien conservé les fruitz des consolations receuës? vous en aures donq des nouvelles, car a celuy qui a, on luy en donnera davantage; et a celuy qui n'a pas ce qu'on luy a donné, mais qui l'a perdu par sa faute, on luy ostera mesme ce qu'il n'a pas; c'est a dire on le privera des graces qui luy estoient preparees.

  A003001334 

 Mais notés, Philothee, qu'il ne faut pas faire cet examen avec inquietude et trop de curiosité; ains apres avoir fidelement consideré nos deportemens pour ce regard, si nous treuvons la cause du mal en nous, il en faut remercier Dieu, car le mal est a moitié gueri quand on a [327] descouvert sa cause.

  A003001337 

 Alles a vostre confesseur, ouvres-luy bien vostre cœur, faites-luy bien voir tous les replis de vostre ame, prenes les advis qu'il vous donnera, avec grande simplicité et humilité: car Dieu qui ayme infiniment l'obeissance, rend souvent utiles les conseilz que l'on prend d'autruy, et sur tout des conducteurs des ames, encor que d'ailleurs il n'y eust pas grande apparence; comme il rendit prouffitables a Naaman les eaux du Jourdain, desquelles Helisee, sans aucune apparence de rayson humaine, luy avoit ordonné l'usage..

  A003001338 

 Je ne dis pas qu'on ne doive faire des simples souhaitz de la delivrance; mais je dis qu'on ne s'y doit pas affectionner, ains se remettre a la pure merci de la speciale providence de Dieu, affin que tant qu'il luy plaira il se serve de nous entre ces espines et parmi ces desers.

  A003001339 

 Quand le printems est beau les abeilles font plus de miel et moins de mouchons, parce qu'a la faveur du beau tems elles s'amusent tant a faire leur cueillette sur les fleurs qu'elles en oublient la production de leurs nymphes; mays quand le printems est aspre et nubileux elles font plus de nymphes et moins de miel, car ne pouvans pas sortir pour faire la cueillette du miel, elles s'employent a se peupler et multiplier leur race.

  A003001340 

 Ce n'est pas si grand cas de servir un prince en la douceur d'un tems paisible et parmi les delices de la cour, mais de le servir en l'aspreté de la guerre, parmi les troubles et persecutions, c'est une vraye marque de constance et fidelité..

  A003001348 

 Que nous ne devons jamais perdre courage entre les ennuis interieurs, ni dire comme le bon Geoffroy, « Jamais je ne seray joyeux, » car emmi la nuit nous devons attendre la lumiere; et reciproquement, au plus beau tems spirituel que nous puissions avoir, il ne faut pas dire, je ne seray jamais ennuyé: non, car, comme dit le Sage, es jours heureux, il se faut resouvenir du malheur.

  A003001348 

 Que quelquefois des bien grans orages s'eslevent parmi les secheresses et sterilités, et lhors il faut constamment combattre les tentations, car elles ne sont pas de Dieu; mais il faut souffrir patiemment les secheresses, puisque Dieu les a ordonnees pour nostre exercice.

  A003001349 

 Mais si vous observés les enseignemens que je vous ay donnés, vous accroistres grandement vostre perfection en l'exercice que vous feres entre ces afflictions interieures, desquelles je ne veux pas finir le propos que je ne vous die encor ce mot..

  A003001350 

 Mais le remede en cette occurrence, c'est de revigorer le cors par quelque sorte de legitime allegement et recreation; ainsy saint François ordonnoit a ses religieux qu'ilz fussent tellement moderés en leurs travaux, qu'ilz n'accablassent pas la ferveur de l'esprit..

  A003001350 

 Or, en telles occasions, il faut tous-jours se resouvenir de faire plusieurs actes de vertu avec la pointe de nostre esprit et volonté superieure; car encor que toute nostre ame semble dormir et estre accablee d'assoupissement et lassitude, si est-ce que les actions de nostre esprit ne laissent pas d'estre fort aggreables a Dieu, et pouvons dire en ce tems la, comme l'Espouse sacree: Je dors, mais mon cœur veille; et comme j'ay dit ci dessus, s'il y a moins de goust a travailler de la sorte, il y a pourtant plus de merite et de vertu.

  A003001350 

 Quelquefois les desgoustz, les sterilités et secheresses proviennent de l'indisposition du cors, comme quand par l'exces des veilles, des travaux et des jeusnes on se treuve accablé de lassitudes, d'assoupissemens, de pesanteurs et d'autres telles infirmités, lesquelles bien qu'elles dependent du cors ne laissent pas d'incommoder l'esprit, pour l'estroitte liaison qui est entre eux.

  A003001357 

 Nostre nature humaine deschoit aysement de ses bonnes affections, a cause de la fragilité et mauvaise inclination de nostre chair, qui appesantit l'ame et la tire tous-jours contrebas si elle ne s'esleve souvent en haut a vive force de resolution, ainsy que les oyseaux retombent soudain en terre s'ilz ne multiplient les eslancemens et traitz d'aisles pour se maintenir au vol. Pour cela, chere Philothee, vous aves besoin de reiterer et repeter fort souvent les bons propos que vous aves fait de servir Dieu, de peur que, ne le faysant pas, vous ne retombiés en vostre premier estat, ou plustost en un estat beaucoup pire car les cheutes spirituelles ont cela de propre, qu'elles nous precipitent tous-jours plus bas que n'estoit l'estat duquel nous estions montés en haut a la devotion..

  A003001364 

 Mais ne sont-ce pas la des belles, justes et dignes et genereuses resolutions? Pensés bien en vostre ame combien cette protestation est sainte, raysonnable et desirable..

  A003001367 

 Mais dites en verité, fustes-vous pas conviee par des doux attraitz du Saint Esprit? les cordes avec lesquelles Dieu tira vostre petite barque a ce port salutaire, furent-elles pas d'amour et charité? Comme vous alla-il amorçant avec son sucre divin, par les Sacremens, par la lecture, par l'orayson? Helas, chere Philothee, vous dormies, et Dieu veilloit sur vous et pensoit sur vostre cœur des pensees de paix, il meditoit pour vous des meditations d'amour..

  A003001368 

 Et vous pourres bien dire: O douceur ancienne, pourquoy ne t'ay-je plus tost savouree! Helas, neanmoins, encores ne le merities-vous pas alhors; et partant, reconnoissant quelle grace Dieu vous a fait de vous attirer en vostre jeunesse, dites avec David: O mon Dieu, vous m'aves esclairee et touchee des ma jeunesse, et jusques a jamais j'annonceray vostre misericorde.

  A003001369 

 Ha, je ne mourray pas mais je vivray, et raconteray de cœur, de bouche et par œuvres les merveilles de sa bonté..

  A003001369 

 Ne prenes-vous point a bonheur de sçavoir parler a Dieu par l'orayson, d'avoir affection a le vouloir aymer, d'avoir accoisé et pacifié beaucoup de passions qui vous inquietoyent, d'avoir evité plusieurs pechés et embarrassemens de conscience, et en fin, d'avoir si souvent communié de plus que vous n'eussies pas fait, vous unissant a cette souveraine source de graces eternelles? Ha, que ces graces sont grandes! il faut, ma Philothee, les peser au poids du sanctuaire.

  A003001374 

 Ce second point de l'exercice est un peu long; et pour le prattiquer je vous diray qu'il n'est pas requis que vous le facies tout d'une traitte, mays a plusieurs fois, [343] comme prenant ce qui regarde vostre deportement envers Dieu pour un coup, ce qui vous regarde vous mesme pour l'autre, ce qui concerne le prochain pour l'autre, et la consideration des passions pour le quatriesme.

  A003001374 

 Il n'est pas requis ni expedient que vous facies a genoux, sinon le commencement et la fin qui comprend les affections.

  A003001375 

 Bien qu'es jours que vous feres cet exercice et les autres il ne soit pas requis de faire une absolue retraitte des conversations, si faut-il en faire un peu, sur tout devers le soir, affin que vous puissies gaigner le lict de meilleure heure et prendre le repos de cors et d'esprit, necessaire a la consideration.

  A003001385 

 Si le mari d'une femme revient de loin, tout aussi tost que cette femme s'apperçoit de son retour et qu'elle sent sa voix, quoy qu'elle soit embarrassee d'affaires et retenue par quelque violente consideration emmi la presse, si est-ce que son cœur n'est pas retenu, mais abandonne les autres pensees pour penser a ce mari venu.

  A003001395 

 Le cœur bien ordonné dit plus souvent en soy mesme: que diront les Anges si je pense a telle chose? que non pas: que diront les hommes?.

  A003001397 

 Or, il n'y a pas grande humilité en une mouche de ne s'estimer rien au prix d'une montaigne, ni en une goutte d'eau de se tenir pour rien en comparayson de la mer, ni a une bluette ou estincelle de feu de se tenir pour rien au prix du soleil; mais l'humilité gist a ne [348] point nous surestimer aux autres et a ne vouloir pas estre surestimé par les autres: a quoy en estes-vous pour ce regard?.

  A003001405 

 Estes-vous point prompte a parler du prochain en mauvaise part, sur tout de ceux qui ne vous ayment pas? faites-vous point de mal au prochain ou directement ou indirectement? Pour peu que vous soyes raysonnable, vous vous en appercevres aysement..

  A003001409 

 Or il ne faut neanmoins pas se travailler sur un chacun de ces articles sinon tout doucement, considerant en quel estat nostre cœur a esté touchant iceux des nostre resolution, et quelles fautes notables nous y avons commises..

  A003001422 

 Humiliés-vous fort devant Dieu, reconnoissant que si vous n'aves pas beaucoup avancé, ç'a esté par vostre manquement, parce que vous n'aves pas fidellement, courageusement et constamment correspondu aux inspirations, clartés et mouvemens qu'il vous a donnés en l'orayson et ailleurs..

  A003001436 

 Repensés hardiment aux plus chers et violens amusemens qui ont occupé autrefois vostre cœur, et jugés en verité s'ilz n'estoyent pas pleins d'inquietude moleste et de pensees cuisantes et de soucis importuns, emmi lesquelz vostre pauvre cœur estoit miserable..

  A003001442 

 Or sus donq, pourquoy n'entreprendrons-nous pas d'acquerir ces suavités?.

  A003001443 

 Des vices, qui n'en a qu'un peu n'est pas content, et qui en a beaucoup est mescontent; mais des vertus, qui n'en a qu'un peu, encor a-il des-ja du contentement, et puis tous-jours plus en avançant.

  A003001447 

 Consideres l'exemple des Saintz de toutes sortes: qu'est-ce qu'ilz n'ont pas fait pour aymer Dieu et estre ses devotz? Voyes ces Martyrs invincibles en leurs resolutions, quelz tourmens n'ont-ilz pas souffert pour les maintenir? Mais sur tout, ces belles et florissantes dames, plus blanches que les lys en pureté, plus vermeilles que la rose en charité, les unes a douze, les autres a treize, quinze, vingt et vingt cinq ans, ont souffert mille sortes de martyres, plustost que de renoncer a leur resolution, non seulement en ce qui estoit de la profession de la foy, mais en ce qui estoit de la protestation de la devotion: les unes mourans plustost que de quitter la virginité, les autres plustost que de cesser de servir les affligés, et consoler les tourmentés, et ensevelir les trespassés.

  A003001448 

 Mon Dieu, qu'est ce que dit saint Augustin de sa mere Monique? avec quelle fermeté a-elle poursuivi son entreprinse de [356] servir Dieu en son mariage, en son vefvage! Et saint Hierosme, de sa chere fille Paula? parmi combien de traverses, parmi combien de varietés d'accidens! Mais qu'est-ce que nous ne ferons pas sur des si excellens patrons? Ilz estoyent ce que nous sommes, ilz le faisoyent pour le mesme Dieu, pour les mesmes vertus: pourquoy n'en ferons nous autant, en nostre condition et selon nostre vocation, pour nostre chere resolution et sainte protestation?.

  A003001453 

 Ouy sans doute; comme une femme enceinte prepare le berceau, les linges et bandelettes, et mesme une nourrice pour l'enfant qu'elle espere faire, encor qu'il ne soit pas au monde, ainsy Nostre Seigneur ayant sa bonté grosse et enceinte de vous, pretendant de vous enfanter au salut et vous rendre sa fille, prepara sur l'arbre de la Croix tout ce qu'il falloit pour vous: vostre berceau spirituel, vos linges et bandelettes, vostre nourrice et tout ce qui estoit convenable pour vostre bonheur.

  A003001454 

 Ceci est bien doux: ce cœur amiable de mon Dieu pensoit en Philothee, l'aymoit et luy procuroit mille moyens de salut, autant comme s'il n'eust point eu d'autre ame au monde en qui il eust pensé, ainsy que le soleil esclairant un endroit [358] de la terre ne l'esclaire pas moins que s'il n'esclairoit point ailleurs et qu'il esclairast cela seul; car tout de mesme Nostre Seigneur pensoit et soignoit pour tous ses chers enfans, en sorte qu'il pensoit a un chacun de nous comme s'il n'eust point pensé a tout le reste.

  A003001459 

 O Dieu, quelles resolutions sont-ce cy, que Dieu a pensees, meditees, projettees des son eternité! Combien [359] nous doivent-elles estre cheres et pretieuses, que devrions-nous souffrir plustost que d'en quitter un seul brin! Non pas certes si tout le monde devoit perir, car aussi tout le monde ensemble ne vaut pas une ame, et une ame ne vaut rien sans nos resolutions..

  A003001469 

 Non, nous ne serons plus nous mesmes, car nous aurons le cœur changé, et le monde qui nous a tant trompés sera trompé en nous, car ne s'appercevant pas de nostre changement que petit a petit, il pensera que nous soyons tous-jours des Esaü, et nous nous treuverons des Jacob..

  A003001474 

 Au demeurant, David, Roy plein d'affaires tres difficiles, prattiquoit bien plus d'exercices que je ne vous ay pas marqué.

  A003001474 

 Combien y a-il de lois civiles aux Digestes et au Code, lesquelles doivent estre observees; mais cela s'entend selon les occurrences, et non pas qu'il les faille toutes prattiquer tous les jours.

  A003001474 

 Le monde vous dira, ma Philothee, que ces exercices et ces advis sont en si grand nombre que qui voudra les observer il ne faudra pas qu'il vaque a autre chose.

  A003001474 

 Mais ne voyes vous pas la ruse? S'il falloit faire tous ces exercices tous les jours, a la verité ilz nous occuperoyent du tout, mais il n'est pas requis de les faire sinon en tems et lieu, chacun selon l'occurrence.

  A003001474 

 Saint Louys, Roy admirable et pour la guerre et pour la paix, et qui avec un soin nompareil administrait justice et manioit les affaires, oyoit tous les jours deux Messes, disoit l'espres et Complies avec son chapelain, faisoit sa meditation, visitoit les hospitaux, tous les vendredis se confessoit et prenoit la discipline, entendoit tres souvent les predications, [363] faisoit fort souvent des conferences spirituelles, et avec tout cela ne perdoit pas une seule occasion du bien public exterieur qu'il ne fist et n'executast diligemment, et sa cour estoit plus belle et plus florissante qu'elle n'avoit jamais esté du tems de ses predecesseurs.

  A003001475 

 Et s'il s'en treuve qui n'ayent pas ce don en aucune sorte de degré (ce que je ne pense pas pouvoir arriver que fort rarement), le sage pere spirituel leur fera aysement suppleer le defaut par l'attention qu'il leur enseignera d'avoir, ou a lire ou a ouïr lire les mesmes considerations qui sont mises es meditations.

  A003001475 

 Il est vray, sans doute, j'ay presupposé cela, et est vray encor que chacun n'a pas le don de l'orayson mentale; mais il est vray aussi que presque chacun le peut avoir, voyre les plus grossiers, pourveu qu'ilz ayent des bons conducteurs et qu'ilz veuillent travailler pour l'acquerir, autant que la chose le merite.

  A003001475 

 Le monde dira que je suppose presque par tout que ma Philothee ait le don de l'orayson mentale, et que neanmoins chacun ne l'a pas, si que cette Introduction ne servira pas pour tous.

  A003001480 

 Advoues hardiment que vous vous essayes de mediter, que vous aymeries mieux mourir que de pecher mortellement, que vous voules frequenter les Sacremens et suivre les conseilz de vostre directeur (bien que souvent il ne soit pas necessaire de le nommer, pour plusieurs raysons).

  A003001480 

 Faites profession ouverte de vouloir estre devote; je ne dis pas d'estre devote, mais je dis de le vouloir estre, et n'ayes point de honte des actions communes et requises qui nous conduisent a l'amour de Dieu.

  A003001480 

 Que si quelqu'un vous dit que l'on peut vivre devotement [365] sans la prattique de ces advis et exercices, ne le niés pas, mais respondés amiablement que vostre infirmité est si grande qu'elle requiert plus d'ayde et de secours qu'il n'en faut pas pour les autres..

  A003001481 

 Nos jours s'escoulent, la mort est a la porte: «La trompette,» dit saint Gregoire Nazianzene, «sonne la retraitte, qu'un chacun se prepare, car le jugement est proche.» La mere de saint Simphorien voyant qu'on le conduisoit au martyre crioit apres luy: «Mon filz, mon filz, souvienne-toy de la vie eternelle, regarde le Ciel et considere Celuy lequel y regne; la fin prochaine terminera bien tost la briefve course de cette vie.» Ma Philothee, vous diray-je de mesme, regardes le Ciel et ne le quittes pas pour la terre; regardes l'enfer, ne vous y jettes pas pour les momens; regardes Jesus Christ, ne le renies pas pour le monde; et quand la peyne de la vie devote vous semblera dure, chantés avec saint François:.

  A003001494 

 Animés les paroles qui y sont de vostre benediction, à ce que les ames, pour lesquelles je l'ay fait en puissent recevoir les inspirations sacrées que je leur desire, et particulierement celle d'implorer sur moy vostre immense misericorde, affin que monstrant aux autres le chemin de la devotion en ce monde, je ne sois pas repreuvé et confondu eternellement en l'autre: ains qu'avec eux je chante à jamais, pour cantique de triomphe, le mot que de tout mon cœur je prononce, pour tesmoignage de fidelité, entre les hasards de cette vie mortelle, VIVE JESUS, VIVE JESUS..

  A003001498 

 La bouquetiere Glycera changeoit en tant de sortes la disposition et le meslange des fleurs, qu'elle mettoit en ses bouquets, que le peintre Pausias voulant contrefaire à l'envy cette varieté d'ouvrage demeura court, ne pouvant pas diversifier sa peinture en tant de façons comme Glycera faisoit ses bouquets: ainsi le Sainct Esprit dispose et arrange les enseignemens de devotion, qu'il donne par les langues, et les plumes de ses serviteurs, avec tant de varieté, que la doctrine estant tousjours une mesme, les discours neantmoins qui s'en font sont bien differens, selon les diverses façons desquelles ils sont composez.

  A003001499 

 Il est vray que cela est malaysé: et c'est pourquoy je desirerois que plusieurs y employassent leur soin avec plus d'ardeur qu'on n'a pas fait jusques à present, comme tout foible que je suis, je m'essaye par cet escrit, de contribuer quelque secours à ceux qui avec un courageux dessein ont commencé cette entreprise..

  A003001499 

 Mon intention est d'instruire ceux qui vivent és villes, és mesnages, en la cour, et qui par leur condition sont obligez de faire une vie commune quant à l'exterieur, lesquels bien souvent sous le pretexte d'une pretendue impossibilité ne veulent seulement pas penser à l'entreprinse de la vie devote, leur estant advis, que comme nul animal n'ose gouster de la graine de l'herbe nommée Palma Christi, qu'aussi nul ne doit pretendre à la palme de pieté, et devotion, tandis qu'il vit emmy la presse des affaires temporelles: et je leur monstre que comme les meres perles vivent emmy la mer, sans prendre nulle goutte d'eau marine, et que vers les isles Chelidoines il y a des fontaines d'eau bien douce au milieu de la mer, et que les piraustes volent dedans les flammes sans [7*] brusler leurs aisles; ainsi peut une ame genereuse et constante vivre au monde sans recevoir aucune humeur mondaine, treuver des sources d'une douce pieté au milieu des ondes ameres de ce siecle, et voler entre les flammes de tant de convoitises que le monde allume de toutes parts, sans, brusler les aisles des sacrez desirs et sainctes affections de la vie devote.

  A003001500 

 Ce n'a toutefois pas esté par mon election ou inclination que cette Introduction sort en public.

  A003001501 

 C'est pourquoy tu ne verras rien d'exacte en cecy: ains seulement un amas d'advertissemens de bonne foy, expliquez par des paroles claires, et intelligibles: au moins ay je eu ce dessein, et quant au reste des ornemens du langage je n'y ay pas seulement voulu penser, comme ayant assez d'autres choses à faire.

  A003001504 

 Les anciens Evesques et Peres de l'Eglise estoient pour le moins autant affectionnez à leur charge que nous: et ne laissoyent pourtant pas d'avoir soin de la conduitte particuliere de plusieurs ames qui recouroient à leur assistence: comme il appert par leurs epistres, imitans les Apostres, qui emmy la moisson generale de l'univers recueilloient neantmoins certains espics plus remarquables, avec une speciale et particuliere affection.

  A003001504 

 Qui ne sçait que Thimothee, Tite, Philemon, Onesime, saincte Thecle, Appia estoient les chers enfans du grand sainct Paul, comme sainct Marc, et saincte Petronille de sainct Pierre: saincte Petronille, dis-je, laquelle, comme preuvent doctement Baronius, et Galonius, ne fut pas fille charnelle, mais seulement spirituelle de sainct Pierre: et sainct Jean n'escrit il pas une de ses Epistres canoniques à la devote dame Electa?.

  A003001507 

 Au demeurant, mon cher Lecteur, il est vray que j'escris de la vie devote, sans estre devot, mais non pas certes sans desir de le devenir: et c'est cette seule affection qui me pousse à t'en instruire.

  A003001536 

 Arelius peignoit toutes les faces des images qu'il faisoit à l'air et ressemblance des femmes qu'il aymoit, et chacun peint la devotion selon sa passion et fantesie: celuy qui est adonné au jeusne, pourveu qu'il jeusne, il se tiendra pour bien devot, quoy [13*] que son cœur soit plein de rancune; et n'osant pas tremper sa langue dedans le vin ny mesme dans l'eau, par sobrieté, ne se feindra point de la plonger dedans le sang du prochain par la medisance et calomnie; un autre s'estimera devot parce que il dit une grande multitude d'oraisons tous les jours; quoy qu'apres cela sa langue se fonde toute en parolles facheuses, arrogantes et injurieuses parmy ses domestiques et voisins: l'autre tire fort volontiers l'aumosne de sa bourse, pour la donner aux pauvres: mais il ne peut tirer la douceur de son cœur, pour pardonner à ses ennemis: l'autre pardonnera à ses ennemis, mais de tenir raison à ses creanciers, jamais qu'à vive force de justice.

  A003001537 

 La vraye et vivante devotion, ô Philothée, presuppose l'amour de Dieu, ains elle n'est autre chose qu'un amour de Dieu, mais non pas un amour tel quel: l'amour divin entant qu'il embelit nostre ame il s'apelle grace, nous rendant agreables à sa divine Majesté: entant qu'il nous donne la force d'operer, il s'apelle charité.

  A003001537 

 Les pecheurs ne volent point en Dieu; mais font toutes leurs courses en la terre et pour la terre: les gents de bien qui n'ont pas encore attaint à la devotion volent en Dieu par leurs bonnes actions; mais rarement, lentement, et negligemment.

  A003001537 

 Mais quand il est parvenu jusques au degré de perfection, auquel il ne nous fait pas seulement operer, mais nous fait operer soigneusement, frequemment et promptement, alors il s'apelle devotion.

  A003001543 

 Mais le monde ne voit pas la devotion interieure, et cordialle, laquelle rend toutes ces actions agreables, douces, et faciles.

  A003001545 

 Ils ne sont pas jeunes, mais ils le semblent estre, parce qu'ils sont plains de vigueur et agilité spirituelle: ils ont des aisles pour voler, et s'eslancer en Dieu par la [16*] sainte oraison: mais ils ont des pieds aussi pour cheminer avec les hommes par une saincte et amiable conversation: leurs visages sont beaux et guays, d'autant qu'ils reçoivent toutes choses avec douceur et suavité: leurs jambes, leurs bras et leurs testes sont toutes à decouvert, d'autant que leurs pensees, leurs affections et actions n'ont nul dessein ny motif, que de plaire à Dieu: le reste de leurs corps est couvert, mais d'une belle et legere robe, parce qu'ils usent de ce monde et des choses mondaines, mais d'une façon toute pure et sincere, n'en prenant que legerement ce qui est requis pour leur condition: telles sont les personnes devotes.

  A003001549 

 Je vous prie, Philothee, seroit il à propos que l'Evesque voulut estre solitaire comme le Chartreux; et si les mariez ne vouloient rien amasser non plus que les Capucins, si l'artisan estoit tout le jour à l'Eglise comme les religieux, et si le religieux estoit tousjours au tracas des affaires comme un advocat, cette devotion ne seroit elle pas ridicule, desreglée et insuportable? Cette faute neantmoins arrive bien souvent: et le monde qui ne [17*] discerne pas, ou ne veut pas discerner entre la devotion et indiscretion de ceux qui pensent estre devots, murmure et blasme la devotion, laquelle neantmoins ne peut mays de ces desordres..

  A003001551 

 Il est vray, Philothee, que la devotion purement contemplative, monastique, et religieuse ne se peut pas exercer en ces vocations: mais aussi, outre ces trois sortes de devotion, il y en a plusieurs autres propres à perfectionner ceux qui vivent és estats seculiers.

  A003001556 

 Il nous gardera du mal, et rendra [19*] nostre bien meilleur: et quand il nous arrivera des infirmités, il empeschera qu'elles ne soyent pas à la mort, car il nous en relevera..

  A003001558 

 C'est à dire, quand vous l'aurez treuvé, ne le considerez pas comme un simple homme, et ne vous confiés point en luy, ny en son sçavoir humain; mais en Dieu, lequel vous favorisera, et parlera par l'entremise de cest homme, mettant dedans le cœur et dans la bouche d'iceluy ce qui sera requis pour vostre bon-heur.

  A003001564 

 L'ame qui remonte du peché à la devotion est comparée à l'aube laquelle s'eslevant ne chasse pas les tenebres en mesme instant, mais petit à petit: la guerison, dit l'aphorisme, qui se fait tout bellement, est tousjours la plus asseurée: les maladies du cœur aussi bien que celles du corps viennent à cheval et en poste, mais elles s'en revont à pied et au petit pas.

  A003001564 

 Les Anges ont des aisles sur l'eschelle de Jacob, mais ils ne volent pourtant pas, ains montent et descendent par ordre d'eschelon en eschelon.

  A003001564 

 Mais cette sorte de purgation est toute miraculeuse et extraordinaire en la grace, comme la resurrection des morts en la nature: si que nous ne devons pas y pretendre.

  A003001565 

 L'exercice de la purgation de l'ame ne se peut ny doit finir qu'avec nostre vie: ne nous troublons donc point de nos imperfections, car nostre perfection consiste à les combatre, et nous ne sçaurions les combatre sans les voir, ny les vaincre sans les rencontrer: nostre victoire ne gist pas à ne les pas sentir, mais à ne point leur consentir.

  A003001565 

 Mais aussi de l'autre costé n'est ce pas [21*] un extreme danger aux ames, lesquelles par une tentation contraire se font à croire d'estre purgées de leurs imperfections le premier jour de leur purgation, se tenant pour parfaites avant presque que d'estre faites, et se mettant au vol sans aisles.

  A003001565 

 O Philothee, qu'elles sont en grand peril de recheoir, pour s'estre trop tost ostées d'entre les mains du medecin! Ha ne vous levez pas avant que la lumiere soit arrivée, dit le Prophete: levez vous apres que vous aurez esté assis; et luy mesme pratiquant cette leçon, ayant esté desja lavé et nettoyé demande de l'estre derechef.

  A003001565 

 Or, ce n'est pas leur consentir que de recevoir des incommoditez d'icelles: il faut bien que pour l'exercice de nostre humilité nous soyons quelque fois blessez en cette bataille spirituelle: mais nous ne sommes jamais tenus pour vaincus sinon lors que nous avons perdu ou la vie, ou le courage.

  A003001570 

 Ains il advient maintefois que l'on se va confesser avec une volonté tacite de retourner au peché, d'autant qu'on ne veut pas esviter l'occasion du peché, ny prendre les expedients necessaires à l'amandement de la vie: et en tous ces cas icy la confession generalle est fort requise pour asseurer l'ame.

  A003001570 

 Vous voyez bien, Philothee, que je parle d'une confession generalle de toute la vie, laquelle je confesse bien n'estre pas absolument necessaire.

  A003001574 

 Ainsi il y a des penitens qui sortent en effect du peché, et n'en quittent pas pourtant l'affection: c'est à dire ils proposent de ne plus pecher, mais c'est avec certain contrecœur, qu'ils ont de se priver et abstenir des malheureuses delectations du peché.

  A003001574 

 Ils s'abstiennent du peché, comme les malades font des melons: lesquels ils ne mangent pas, parce que le medecin les menasse de mort s'ils en mangent: mais ils s'inquietent de s'en abstenir: ils en parlent, et marchandent s'il se pourroit faire: ils les veulent au moins sentir, et estiment bien heureux ceux qui en peuvent manger.

  A003001574 

 Leur cœur renonce au peché et s'en eslogne; mais il ne laisse pas pour cela de se retourner souventesfois de ce costé là, comme fit la femme de Loth, du costé de Sodome.

  A003001574 

 Tous les Israëlites sortirent en effect de la terre d'Egipte, mais ils n'en sortirent pas tous d'affection: c'est pourquoy emmy le desert plusieurs d'entre eux regrettoient de n'avoir pas les oignons et les chairs d'Egypte.

  A003001575 

 Les ames lesquelles sorties de l'estet du peché ont encor ces affections, et alanguissemens, ressemblent à mon advis à ces filles qui ont les pasles couleurs; lesquelles ne sont pas malades, mais toutes leurs actions sont malades: elles mangent sans goust, dorment sans repos, rient sans joye, et se trainent plustost que de cheminer.

  A003001575 

 O Philothee, puis que vous voulez entreprendre la vie devote, il ne vous faut pas seulement quitter le peché, mais il faut tout [24*] à fait emonder vostre cœur et retrancher de vostre ame toutes les affections qui dependent du peché: car outre le danger, qu'il y auroit de faire recheute, toutes ces affections alanguiroient perpetuellement vostre esprit, et l'apesantiroient en telle sorte, qu'il ne pourroit pas faire les bonnes œuvres promptement, diligemment, et frequemment, en quoy gist neantmoins la vraye essence de la devotion.

  A003001579 

 Mais si c'est une haine mortelle, et violente, non seulement nous fuyons, et aborrons celuy à qui nous la portons, ains nous avons à degoust, et ne pouvons souffrir la conversation de ses alliez, parens et amis, non pas mesme son image ny chose qui luy apartient: ainsi quand le penitent ne hayt le péché que par une legere quoy que vraye contrition, il se resoult voirement bien de ne plus pecher: mais quand il le hayt d'une contrition puissante, et vigoureuse, non seulement il deteste le peché, ains encor toutes les affections, dependances, et acheminemens [25*] du peché.

  A003001596 

 Mais helas, mon Createur, en lieu de m'unir à vous par amour, et service, je me suis rendue toute rebelle par mes desreglees affections, me separant, et eslognant de vous, pour me joindre au peché et à l'iniquité, n'honorant non plus vostre bonté que si vous n'eussiez pas esté mon Createur..

  A003001599 

 O mon ame sçache que le Seigneur est ton Dieu: c'est luy qui t'a fait, et tu ne t'es pas faitte toy mesme.

  A003001615 

 Dieu ne vous a pas mise en ce monde pour aucun besoin qu'il eust de vous, qui luy estes du tout inutile: mais seulement afin d'exercer en vous sa bonté, vous donnant sa grace, et sa gloire.

  A003001620 

 Helas, ce direz vous, que pensois je, ô mon Dieu, quand je ne pensois point en vous? dequoy me resouvenois je quand je vous oubliois? qu'aimois je quand je ne vous aymois pas? helas je me devois repaistre de la verité, et je me remplissois de la vanité, et servois le monde qui n'est fait que pour me servir.

  A003001638 

 Mais cela considerez le avec une comparaison de tant d'autres personnes qui valent mieux que vous, lesquelles sont destituees de ces benefices: les uns gastez de corps, de santé, de membres: les autres abandonnez à la mercy des opprobres, du mespris et deshonneur: les autres accablez de pauvreté; et Dieu n'a pas voulu que vous fussiez si miserable..

  A003001639 

 Considerez les dons de l'esprit, combien y a il au monde de gens hebetez, enragez, insensez; et pourquoy n'estes vous pas du nombre? Dieu vous a favorisée.

  A003001640 

 Combien de fois vous a il donné ses Sacremens? combien de fois des inspirations, des lumieres interieures, des reprehensions pour vostre amandement? combien de fois vous a il pardonné vos fautes, combien de fois delivree des occasions de vous perdre où vous estiez exposee? Et ces annees passees, n'estoient ce pas un loisir et commodité de vous avancer au bien de vostre ame? voyez un peu par le menu, combien Dieu vous a esté doux et gracieux..

  A003001645 

 Et comment mon ame ne sera elle pas meshuy subjecte à Dieu qui a fait tant de merveilles et de graces en moy et pour moy?.

  A003001666 

 Est il possible que j'aye esté si desloyalle que je n'aye laissé pas un seul de mes sens, pas une des puissances de mon ame que je n'aye gasté, violé et souillé? et que pas un jour de ma vie ne se soit escoulé auquel je n'aye produit de si mauvais effects? est ce ainsi que je devois contrechanger les benefices de mon Createur, et le sang de mon Redempteur? [32*].

  A003001671 

 Pour effacer les pechez passez je m'en accuseray courageusement, et n'en laisseray pas un que je ne pousse dehors..

  A003001721 

 Ah je me veux juger moy mesme maintenant, afin que je ne sois pas jugé.

  A003001759 

 O puis qu'il vous a pieu, mon bon, et souverain Seigneur, redresser mes pas en vos voyes, non jamais plus je ne retourneray en derriere: allons, ô ma chere ame, allons en ce repos infini: cheminons à cette benite terre qui nous est promise: que faisons nous en cet Egypte?.

  A003001778 

 Courage, ma fille, ne vueille pas mespriser les desirs de mon Fils, ny tant de souspirs que je jette pour toy, respirant avec luy ton salut eternel.

  A003001794 

 Ceux qui ont des afflictions en ce peuple devot, ne se tourmentent pas beaucoup, et n'en perdent point contenance; bref, voyez les yeux du Sauveur qui les console, et que tous ensemblement ils aspirent à ce Sauveur..

  A003001795 

 Vous avez meshuy quitté le premier Roy avec sa triste, et mal heureuse troupe, par les bonnes affections que vous avez conceues, et neantmoins vous n'estes pas encore arrivee au second Roy, ny jointe à son heureuse, et sainte compagnie de devots: mais vous estes entre l'un et l'autre..

  A003001809 

 Ces Meditations sont propres pour vous conduire à une vraye contrition: mais vous ne sçavez peut estre pas, ô Philothee, comme il faut faire l'exercice de la saincte Meditation: car c'est une chose, laquelle par malheur peu de gens sçavent en nostre aage.

  A003001811 

 Ce fut l'apprehension de David quand il s'escrioit: Si je monte au Ciel, ô mon Dieu, vous y estes; si je descends en enfer vous y estes: et ainsi nous devons user des parolles de Jacob, lequel ayant veu l'eschelle sacree: ô que ce lieu, dit il, est redoutable; vrayement Dieu est icy, et je n'en sçavois rien: il veut dire qu'il n'y pensoit pas, car au reste il ne pouvoit ignorer que Dieu ne fut en tout, et par tout.

  A003001811 

 Helas Philothee, nous ne voyons pas Dieu qui nous est present: et bien que la foy nous advertisse de sa presence, si est ce que ne le voyans pas de nos yeux, nous nous en oublions bien souvent, et lors nous nous comportons comme si Dieu estoit bien loing de nous: car encor que nous sçachions bien qu'il est present à toutes choses, si est ce que n'y pensant point, c'est tout autant comme si nous ne le sçavions pas: c'est pourquoy tousjours avant l'oraison, il faut provoquer nostre ame à une atentive pensee, et consideration de cette presence de Dieu.

  A003001811 

 Le premier gist en une vive, et attentive aprehension de la toute-puissance de Dieu; c'est à dire que Dieu est en tout, et par tout, et qu'il n'y a lieu ny chose au monde où il ne soit, d'une tres veritable presence: de sorte que comme les oyseaux où qu'ils volent rencontrent tousjours l'air, ainsi où que nous allions, où que nous soyons nous trouvons Dieu present: chacun sçait cette verité, mais chacun n'est pas attentif à l'apprehender.

  A003001811 

 Les aveugles ne voyant pas un Prince qui leur est present, ne laissent pas de se maintenir en respect, s'ils sont advertis de sa presence: mais la verité est que parce que ils ne le voyent pas, ils s'oublient aysement qu'il soit present, et s'en estans oubliez ils perdent encore plus aysement le respect, et la reverence.

  A003001813 

 Car encor que nous le voyons pas, si est ce que de là haut il nous considere.

  A003001813 

 Le troisiesme moyen c'est de considerer nostre Sauveur lequel en son humanité regarde dés le Ciel toutes les personnes du monde, mais particulierement les Chrestiens qui sont ses enfans, et plus specialement ceux qui sont en priere, desquels il remarque les actions et deportemens: or cecy n'est pas une simple imagination, mais une vraye verité.

  A003001814 

 Mais si le tressaint Sacrement de l'autel estoit present, allors cette presence seroit reelle, et non purement imaginaire: car les especes et aparences du pain seroient comme une tapisserie dessous laquelle nostre Seigneur estant reellement present, il nous voit, et considere, quoy que nous ne le voyons pas en sa propre forme.

  A003001814 

 Vous userez donques, ô Philothee," de l'un de ces quatre moyens pour mettre vostre ame en la presence de Dieu avant l'oraison, et ne faut pas les vouloir employer tous ensemblement, mais seulement un à la fois, et cela briefvement, et simplement.

  A003001821 

 Apres ces deux poincts ordinaires de la meditation, il en y a un troisiesme qui n'est pas commun à toutes sortes de meditations.

  A003001821 

 Comme aussi à celle de l'enfer, et en tous semblables mysteres où il s'agit de choses visibles, et sensibles: car quant aux autres mysteres de la grandeur de Dieu, de l'excellence des vertus, de la fin pour laquelle nous sommes crées, qui sont des choses invisibles, il n'est pas question de vouloir se servir de cette sorte d'imagination.

  A003001821 

 Il est vray que l'on peut bien employer quelque similitude et comparaison pour ayder la consideration: mais cela est plus difficile à rencontrer, et je ne veux traitter avec vous que fort simplement, et en sorte que vostre esprit ne soit pas beaucoup travaillé à faire des inventions.

  A003001821 

 Or par le moyen de cette imagination nous enfermons nostre esprit dans le mystere que nous voulons mediter, afin qu'il n'aille pas courant ça, et là, ne plus ne moins que l'on enferme un oyseau dans une cage, ou bien comme l'on attache l'espervier à ses longes afin qu'il demeure dessus le poing.

  A003001825 

 Apres l'action de l'imagination s'ensuit l'action de l'entendement que nous appelions meditation, qui n'est autre chose qu'une ou plusieurs considerations faites afin d'esmouvoir nos affections en Dieu, et aux choses divines: en quoy la meditation est differente de l'estude, et des autres pensees, et considerations, lesquelles ne se font pas pour acquerir la vertu ou l'amour de Dieu, mais pour quelques autres fins, et intentions.

  A003001825 

 Mais si vous ne rencontrez pas selon vostre souhait en l'une des considerations apres avoir un peu marchandé, et essayé, vous passerez à une autre consideration: et sur tout gardez vous de vous empresser en cette besongne: mais allez tout bellement, et simplement.

  A003001833 

 Il ne faut pas pourtant, Philothee, s'arrester tant à ces affections generalles que vous ne les convertissiez en des resolutions specialles, et particulieres pour vostre correction, et amendement.

  A003001838 

 Ceux qui se sont promenez en un beau jardin n'en sortent pas volontiers, sans prendre en leur main quatre ou cinq fleurs pour les odorer et sentir le long de la journée: ainsi nostre esprit ayant discouru sur quelque mystere par la meditation, nous devons choisir, un, ou deux, ou trois poincts que nous aurons treuvez plus à nostre goust, et plus propres à nostre amendement, pour nous en resouvenir le reste de la journee, et les odorer spirituellement.

  A003001842 

 C'est le grand fruit de la meditation sans lequel elle est bien souvent, non seulement inutile mais nuisible, parce que les vertus meditées, et non pratiquées enflent bien souvent l'esprit, et le courage: nous estant bien advis que nous sommes tels que nous avons resolu, et deliberé d'estre: ce qui est sans doute veritable, quand les resolutions sont vives, et solides, mais elles ne sont pas telles, si elles ne sont pratiquees, ains sont vaines, et dangereuses.

  A003001844 

 Car bien que pour l'ordinaire la consideration doit preceder les affections et resolutions, si est ce que le Sainct Esprit vous donnant les affections avant la consideration, vous ne devez pas rechercher la consideration, puis qu'elle ne se fait que pour esmouvoir l'affection.

  A003001849 

 Mais quand il ne le feroit pas, ô Philothee, contentons nous que ce nous est honneur trop plus grand d'estre aupres de luy, et à sa veüe.

  A003001849 

 Mais s'il ne luy plait pas de nous faire cette grace, nous laissant là sans nous parler, non plus que s'il ne nous voyoit pas, et que nous ne fussions pas en sa presence: nous ne devons pourtant pas sortir, ains au contraire nous devons demeurer là devant cette souveraine bonté, avec un maintien devotieux, et paisible, et lors infalliblement il agreera nostre patience, et remarquera nostre assiduité, et perseverence: si que une autre fois quand nous reviendrons devant luy, il nous favorisera, et s'entretiendra avec nous par ses consolations, nous faisant voir l'amenité de la sainte Oraison.

  A003001854 

 Quand vous serez arrivée devant vostre Pere spirituel, imaginez vous que vous estes en la montagne de Calvaire sous les pieds de Jesus-Christ crucifié, duquel le sang precieux distille de toutes parts pour vous laver de vos iniquitez: car bien que ce ne soit pas le propre sang du Sauveur, c'est neantmoins le merite de ce sang respandu, qui arrouse abondamment les penitens au tour des confessionnaux.

  A003001871 

 Si vous estiez du monde, dit le Sauveur, le monde aimeroit ce qui est sien: mais [59*] parce que vous n'estes pas du monde, par tant il vous hayt.

  A003001872 

 Il n'est pas possible que nous le contentions, car il est trop bigearre.

  A003001872 

 Jean est venu, dit le Sauveur, ne mangeant ny beuvant, et vous dites qu'il est endiablé: le Fils de l'homme est venu en mangeant et beuvant, et vous dites qu'il est Samaritain! Il est vray, Philothee, si nous nous relaschons par condescendance, à rire, joüer, ou dancer avec le monde, il s'en scandalisera: si nous ne le faisons pas, il nous accusera d'hypocrisie ou melancolie; si nous nous parons, il l'interpretera à quelque dessein: si nous nous demettons, ce sera pour luy vileté de cœur; nos gayetez seront par luy nommées dissolutions, et nos mortifications tristesses, et nous regardant ainsi de mauvais œil, jamais nous ne pouvons luy estre agreables.

  A003001872 

 Soit que les moutons ayent des cornes, ou qu'ils n'en ayent point, qu'ils soient blancs, ou qu'ils soient noirs, le loup ne laissera pas de les manger s'il peut..

  A003001873 

 Si nous sommes longuement devant le Confesseur, il admirera que c'est que nous pouvons tant dire: si nous y sommes peu, il dira que nous ne disons pas tout: il espiera tous nos mouvemens, et pour une petite parolle de cholere, il protestera que nous sommes insupportables: le soing de nos affaires luy semblera avarice, et nostre douceur privauté: et quant aux enfans du monde, leurs coleres sont generositez, leurs avarices mesnages, leurs privautez [60*] entretiens honnorables: les haragnes gastent tousjours l'ouvrage des abeilles..

  A003001874 

 Ce ne nous est pas une petite commodité pour bien asseurer le commencement de nostre devotion, que d'en recevoir de l'opprobre et de la calomnie; car nous esvitons par ce moyen le peril de la vanité et de l'orgueil, qui sont comme les sages femmes d'Egypte, ausquelles le Pharaon infernal a ordonné de tuer les enfans masles d'Israël, le jour mesme de leur naissance.

  A003001878 

 Il vous faschera peut estre d'abord [61*] de quitter la gloire que les fols et mocqueurs vous donnoient en vos vanitez: mais ô Dieu! voudriez vous bien perdre l'eternelle, que Dieu vous donnera en verité? Les vains amusemens et passetemps, esquels vous avez employé les annees passées se representeront encore en vostre cœur, pour l'appaster et faire retourner de leur costé; mais auriez vous bien le courage de renoncer à ceste heureuse eternité pour des si trompeuses legeretez? Croyez moy, si vous perseverez vous ne tarderez pas de recevoir des douceurs cordiales, si delicieuses et agreables, que vous confesserez que le monde n'a que du fiel en comparaison de ce miel.

  A003001884 

 Je ne dis pas que vous decouvrirez des pechez veniels, mais je dis que vous decouvrirez des affections, et inclinations à iceux.

  A003001885 

 Le peché veniel pour petit qu'il soit desplait à Dieu, bien qu'il ne luy desplaise pas tant que pour iceluy il nous veuille damner ou perdre.

  A003001886 

 Elles alanguissent les forces de l'esprit, empeschent les consolations divines, ouvrent la porte aux tentations; et bien qu'elles ne tuent pas l'ame, elles la rendent extremement malade.

  A003001886 

 Et de mesme les pechez veniels arrivans en une ame devote, et n'y arrestans pas long temps, ne l'endommagent pas beaucoup.

  A003001887 

 Ainsi le peché veniel ne tue pas nostre ame, mais il gaste pourtant la devotion, et embarrasse si fort de mauvaises habitudes, et inclinations les puissances de l'ame, qu'elle ne peut plus exercer la promptitude de la charité en laquelle gist la devotion.

  A003001887 

 Les haragnes ne tuent pas les abeilles, mais elles gastent, et corrompent leur miel, et embarrassent leurs rayons des toiles qu'elles y font, en sorte que les abeilles ne peuvent plus faire leur mesnage: cela s'entend quand elles y font du sejour.

  A003001891 

 Ce n'est pas mal de le faire, mais ouy bien de s'y affectionner.

  A003001892 

 Les cerfs ayans pris trop de venaison s'escartent, et retirent dedans leurs buissons, cognoissans que leur graisse les charge en sorte qu'ils ne sont pas habiles à courir, si d'avanture ils estoient attaqués.

  A003001892 

 Mais n'est ce pas une chose ridicule, ains plustost lamentable, de voir des hommes faits s'empresser et affectionner apres des bagatelles si indignes, comme sont les choses que j'ay nommées, lesquelles, outre leur inutilité, nous mettent en peril de nous [65*] deresgler et desordonner à leur poursuitte? C'est pourquoy, ma chere Philothee, je vous dis qu'il se faut purger de ces affections: et bien que les actes ne soient pas tousjours contraires à la devotion, les affections neantmoins luy sont tousjours dommageables..

  A003001892 

 Or je ne dis pas que nous ne puissions user de ces choses dangereuses: mais je dis bien pourtant que nous ne pouvons jamais y mettre de l'affection, sans interesser la devotion.

  A003001896 

 Nous avons encore, ma chere Philothee, certaines inclinations naturelles, lesquelles pour n'avoir prins leur origine de nos pechez particuliers, ne sont pas proprement pechez ny mortel, ny veniel, mais s'appellent imperfections, et leurs actes, defauts et manquemens.

  A003001896 

 On a bien treuvé le moyen de changer les amendiers amers en amendiers doux, en les perçant seulement au pied pour en faire sortir le suc; pourquoy est ce que nous ne pourrons pas faire sortir nos inclinations perverses pour devenir meilleurs? Il n'y a point de si bon naturel qui ne puisse estre rendu mauvais par les habitudes vicieuses.

  A003001901 

 Et tout ainsy que la glace d'un miroiter ne sçauroit arrester nostre veuë, si elle n'estoit enduyte d'estain, ou de plomb par derriere, ainsi la Divinité [67*] ne pourroit estre bien contemplée par nous en ce bas monde, si elle ne se fust jointe à la sacrée humanité du Sauveur, duquel la vie et la mort sont l'object le plus proportionné, soüefve, delicieux, et profitable que nous puissions choisir pour nostre meditation ordinaire, Le Sauveur ne s'appelle pas pour neant le pain descendu du Ciel.

  A003001903 

 N'y mettez pas aussi d'avantage d'une heure, si vostre Pere spirituel ne le vous dit expressement.

  A003001903 

 Si vous pouvez faire cest exercice dedans l'Eglise, et que vous y treuviez assez de tranquilité, ce vous sera une chose fort aysée et commode: parce que nul, ny pere, ny mere, ny femme, ny mary, ny autre quelconque ne pourra vous bonnement refuser de demeurer au moins une petite heure chasque jour dans l'Eglise, là où estant en quelque subjection vous ne pourriez peut estre pas vous promettre d'avoir une heure si franche dedans vostre maison..

  A003001904 

 Au sortir de la meditation, ne vous distrahez pas tout à coup, mais regardez simplement devant vous, comme seroit à dire, s'il vous faut rencontrer quelqu'un que vous soyez obligée d'entretenir ou ouïr, il n'y a remede, il faut s'accommoder à cela, mais en telle sorte que vous regardiez aussi à vostre cœur, afin que la liqueur de la saincte oraison ne s'espanche que le moins qu'il sera possible..

  A003001904 

 Un homme qui auroit receu dans un vaisseau de belle porcelegne quelque liqueur de grand prix [68*] pour l'apporter dans sa maison, il iroit doucement ne regardant point à costé: mais tantost devant soy, de peur de heurter à quelque pierre, ou faire quelque mauvais pas, tantost à son vase pour voir s'il panche point; vous en devez faire de mesme.

  A003001908 

 Si faisant l'oraison vocale, vous sentez vostre cœur tiré et convié à l'oraison interieure ou mentale, ne refusez point d'y aller; mais laissez tout doucement couler vostre esprit de ce costé là, et [69*] ne vous souciez point de n'avoir pas achevé les oraisons vocales que vous vous estiez proposées; car la mentale que vous aurez faite en leur place est plus agreable à Dieu, et plus utile à vostre ame.

  A003001917 

 Et ne suffit pas de faire ceste resolution; mais il faut preparer les moyens pour la bien executer.

  A003001931 

 Le pelerin, qui prend un peu de vin pour resjouïr son cœur et rafraichir sa bouche, encore qu'il s'arreste un peu pour le prendre ne rompt pour cela pas son voyage, ains prend de la force pour le plus vistement, et aysement parachever, et ne s'arreste que pour mieux aller..

  A003001935 

 Sans iceluy on ne peut pas bien faire la vie contemplative, et on ne sçauroit que mal faire la vie active: sans iceluy le repos n'est qu'oisiveté, et le travail qu'empressement.

  A003001942 

 Si par quelque force forcée vous ne pouvez pas vous rendre presente à la celebration de ce souverain Sacrifice, d'une presence reelle, au moins faut il que vous y portiez vostre esprit, pour y assister d'une presence spirituelle.

  A003001948 

 Et puis (afin que je le die une fois pour toutes) il y a tousjours plus de bien et de consolation aux offices publiques de l'Eglise, que non pas aux actions particulieres: Dieu ayant ainsi ordonné que la communion soit preferée à toute sorte de particularité..

  A003001948 

 Outre cela, Philothee, les festes et Dimanches il faut assister à l'office des Heures et des Vespres, tant que vostre commodité le permettra; car ces jours là sont dediez à Dieu, et faut bien faire plus d'actions à son honneur et gloire en iceux, que non pas aux autres jours.

  A003001949 

 Entrez volontiers aux Confrairies du lieu où vous estes, et particulierement en celles, desquelles les exercices apportent plus de fruict et d'edification: car en cela vous ferez une sorte d'obéissance fort agreable à Dieu: d'autant qu'encor que les Confrairies ne soyent pas commandées, elles sont neantmoins recommandées par l'Eglise: laquelle pour tesmoigner qu'elle desire que plusieurs s'y enrollent, donne des Indulgences et autres privileges aux Confraires.

  A003001964 

 Ne laissez pas de vous confesser humblement et devotement tous les huict jours: et tousjours quand vous communierez, encor que vous ne sentiez point en vostre conscience aucun reproche de peché mortel; car par la confession vous ne recevez pas seulement l'absolution des pechez veniels que vous confesserez: mais aussi une [81*] grande force pour les esviter à l'advenir, une grande lumiere pour les bien discerner, et une grace abondante pour effacer toute la perte qu'ils vous avoyent apportée.

  A003001967 

 De mesme ne vous accusez pas de n'avoir pas prié Dieu avec telle devotion comme vous devez: mais si vous avez eu des distractions volontaires, ou que vous ayez negligé de prendre le lieu, le temps, et la contenance requise, pour avoir l'attention en la priere, accusez vous en tout simplement, selon que vous treuverez y avoir manqué, sans alleguer ceste generalité, qui ne fait ny froid ny chaud en la confession..

  A003001967 

 Et bien, accusez vous doncques de ceste particularité, et dites: ayant veu un pauvre necessiteux, je ne l'ay pas secouru comme je pouvois, par negligence, ou par dureté de cœur, [82*] ou par mespris, selon que vous cognoistrez l'occasion de ceste faute.

  A003001967 

 Je n'ay pas tant aimé Dieu que je devois, je n'ay pas prié avec tant de devotion comme je devois, je n'ay pas cheri le prochain comme je devois, je n'ay pas receu les Sacremens avec la reverence que je devois, et telles semblables.

  A003001967 

 Par exemple, vous vous accusez de n'avoir pas chery le prochain tant comme vous deviez: c'est peut estre, parce qu'ayant veu quelque pauvre fort necessiteux que vous pouviez fort aisement secourir et consoler, vous n'en avez eu nul soing.

  A003001968 

 Car s'accusant ainsi nayvement on ne decouvre pas seulement les pechés qu'on a fait; mais aussi les mauvaises inclinations, coustumes, habitudes, et autres racines du peché.

  A003001968 

 Ne vous contentez pas de dire vos pechez veniels quant au fait, mais accusez vous du motif qui vous a induit à les commettre.

  A003001968 

 Par exemple, ne vous contantez pas de dire que vous avez menty sans interesser personne, mais dites si ç'a esté ou par vaine gloire, afin de vous louer, et excuser, ou par vaine joye, ou par opiniastreté.

  A003001968 

 Si vous avez peché à jouer, expliquez si ç'a esté pour le desir du gain, ou pour le plaisir de la conversation, ainsi des autres: car encore que communement on ne soit pas obligé d'estre si pointileux en la declaration des pechez veniels, et que mesme on ne soit pas tenu absolument de les confesser; si est-ce que ceux qui veulent bien espurer leurs ames pour mieux atteindre à la saincte devotion, ils doivent estre soigneux de bien faire cognoistre au medecin spirituel, le mal pour petit qu'il soit, duquel ils veulent estre gueris.

  A003001969 

 Ne changez pas aysement de Confesseur; mais en ayant choisi un, continuez à luy rendre conte de vostre conscience aux jours qui sont destinez pour cela, luy disant nayvement les pechez que vous aurez commis, et de temps en temps, comme seroit de mois en mois, ou de deux mois en deux mois dittes luy encore l'estat de vos inclinations quoy que par icelles vous n'ayez pas peché.

  A003001973 

 Que si les fruits les plus tendres et sujets à la corruption, comme sont les cerises, les abricots et les fraises, se conservent aisement toute l'annee estans confits au sucre ou au miel; ce n'est pas merveille si nos cœurs quoy que fraisles et imbecilles sont preservez de la corruption du peché, lors qu'ils sont sucrés et emmielés de la chair et du sang incorruptible du Fils de Dieu.

  A003001974 

 Car parce que la disposition requise pour une si frequente Communion doit estre fort exquise, il n'est pas bon de le conseiller generallement.

  A003001974 

 Ce seroit imprudence de conseiller indistinctement à un chacun cet usage si frequent: mais ce seroit aussi une impudence de blasmer aucun pour iceluy, et sur tout quand il le feroit par l'advis de quelque digne Pere spirituel, La responce de sainte Catherine de Sienne fut gracieuse, quand luy estant opposé à raison de sa frequente Communion que sainct Augustin ne loüoit ny ne vituperoit de communier tous les jours: Et bien, dit elle, puis que S. Augustin ne le vitupere pas, je vous prie que vous ne le vituperiés pas aussi, et je me contante..

  A003001974 

 Et parce que cette disposition là quoy que exquise se peut treuver en plusieurs bonnes ames; il n'est pas bon non plus d'en divertir et dissuader generallement un chacun, ains cela se doit traitter par la consideration de l'estat interieur d'un chacun en particulier.

  A003001975 

 Vous estes en la vraye disposition que S. Augustin requiert, et encore plus excellente: parce que non seulement vous n'avez pas l'affection de pecher, mais vous n'avez pas mesme l'affection du peché: si que quand vostre Pere spirituel le treuveroit bon, vous pourriez utilement encore communier plus souvent que tous les Dimanches..

  A003001976 

 On ne peut pas bien arrester cecy en general, il faut faire ce que le Pere spirituel dira.

  A003001976 

 Plusieurs legitimes empeschemens peuvent neantmoins vous [86*] arriver: non point de vostre costé, mais de la part de ceux avec lesquels vous vivez, qui donneroient occasion au sage Pere spirituel de vous dire que vous ne communiez pas si souvent.

  A003001977 

 Si vous estes bien prudente, il n'y a ny maistre, ny femme, ny mary, ny pere, ny mere qui vous empesche de communier souvent: car puis que le jour de vostre Communion vous ne laisserez pas d'avoir le soing qui est convenable à vostre condition, que vous en serez plus douce et plus gratieuse en leur endroit, que vous ne leur refuserez nulles sortes de devoirs; il n'y a pas de l'apparence qu'ils veuillent vous destourner de cet exercice, qui ne leur apportera nulle incommodité, sinon qu'ils fussent d'un esprit extremement coquilleux et desraisonnable: et en ce cas, comme j'ay dit, à l'adventure que le Pere spirituel voudra que vous usiez de condescendence..

  A003001978 

 C'est chose indecente, bien que non pas grand peché, de soliciter le payement du devoir nuptial, le jour que l'on s'est communié; mais ce n'est pas chose mal seante, ains plustost [87*] meritoire de le payer.

  A003001984 

 Et apres que vous aurez dit les parolles sacrées, (Seigneur je ne suis pas digne) ne remuez plus vostre teste, ny vos levres, soit pour prier, soit pour souspirer: mais ouvrant doucement et mediocrement vostre bouche, et eslevant vostre teste autant qu'il faut pour donner commodité au Prestre pour voir ce qu'il faict, recevez pleine de foy, d'esperance et de charité, Celuy, lequel, auquel, par lequel, et pour lequel vous croyez, esperez et aymez.

  A003001985 

 Mais quand vous ne pourrez pas avoir le bien de communier reellement à la saincte Messe, communiez au moins de cœur et d'esprit, vous unissant par un ardant desir et une saincte confiance à ceste chair vivifiante du Sauveur..

  A003001987 

 Dites leur que ceux qui n'ont pas beaucoup d'affaires mondaines doivent souvent communier, parce que ils en ont la commodité: et ceux qui ont beaucoup d'affaires mondaines, parce que ils en ont necessité; et que celuy qui travaille beaucoup, et qui est chargé de peine, doit aussi manger des viandes solides et souventefois.

  A003001987 

 Dites leur que vous recevez souvent le S. Sacrement pour apprendre à le bien recevoir, par ce que l'on ne faict guiere bien une action à laquelle on ne s'exerce pas souvent..

  A003001993 

 Car bien qu'estant vouées, et sur tout solemnellement elles mettent l'homme en l'estat de perfection; si est-ce que elles ne le mettent pas en la perfection, sinon entant qu'elles sont observées: y ayant bien de la difference entre l'estat de perfection, et la perfection, puis que tous les Evesques et Religieux sont en l'estat de perfection, et tous [91*] neantmoins ne sont pas en la perfection, comme il ne se voit que trop.

  A003001993 

 Car encores que hors la Religion elles ne puissent pas nous mettre en l'estat de perfection, elles nous donneront neantmoins la perfection mesme: et nous sommes tous obligez à la pratique d'icelles, quoy que non pas tous à les pratiquer de mesme façon..

  A003001993 

 Je ne diray rien de ces trois vertus, entant qu'elles sont vouées solemnellement, parce que cela ne regarde que les Religieux: ny mesme entant qu'elles sont voüées simplement: d'autant qu'encor que le vœu donne tousjours beaucoup de graces et de merite à toutes les vertus, si est-ce qu'il n'importe pas qu'elles soient voüées ou non voüées, pourveu qu'elles soient observées.

  A003001997 

 Obeïssez quand ils vous ordonneront chose agreable, comme de manger, prendre de la recreation: car encore qu'il semble que ce n'est pas grande vertu d'obeir en ce cas, ce seroit neantmoins un grand vice de desobeïr.

  A003002000 

 On ne choisit pas pour l'ordinaire son Prince et son Evesque, son pere et sa mere, ny mesme souvantesfois son mary; mais on choisit bien son Confesseur, son directeur.

  A003002008 

 Hors de là, il n'est pas permis seulement d'y penser d'une pensée arrestée, volontaire, et entretenue.

  A003002009 

 Car bien qu'il faille pratiquer les delectations necessaires, c'est à dire celles qui dependent du sainct Mariage, si ne faut il pas pourtant jamais y attacher le cœur et l'esprit..

  A003002010 

 Or manger pour conserver la vie c'est chose bonne, saincte, et commandée; manger, non point pour conserver la vie, mais pour conserver la juste conversation que nous devons à nostre famille, c'est chose honneste et juste: manger par simple plaisir sans excez, c'est chose tolerable, non pas toutefois louable; mais manger avec exces, selon que l'exces est grand ou petit, c'est chose ou plus ou moins vituperable; et l'exces du manger et du boire ne consiste pas seulement en la quantité, et à trop manger, mais aussi en la façon et maniere de manger.

  A003002015 

 Les abeilles non seulement ne veulent pas toucher les charongnes, mais fuyent et hayssent extremement toutes sortes de puanteurs qui en proviennent.

  A003002015 

 S. Paul deffend tout court, que la fornication ne soit pas mesmement nommée entre vous.

  A003002022 

 Non, ne mettez pas cet esprit celeste dedans les biens terrestres: faites qu'il leur soit tousjours superieur, sur eux, et non pas en eux.

  A003002023 

 Ce sera, Philothee, si vous les avez en vostre maison, en vostre coffre, en vostre bourse, et non pas en vostre cœur.

  A003002023 

 Les apothicaires ont presque tous des poisons, pour s'en servir en diverses occurrences: mais ils ne sont pas pour cela empoisonnez, parce qu'ils n'ont pas le poison dedans le corps, mais dans leurs boutiques; ainsi pouvez vous avoir des richesses sans estre empoisonnée par icelles.

  A003002024 

 Jamais on n'en a trop: il se treuve tousjours certaines necessitez d'en avoir d'avantage: et mesme les plus avares, non seulement ne confessent pas de l'estre, mais ils ne pensent pas en leur conscience de l'estre..

  A003002025 

 Si vous desirez longuement, ardemment, et avec inquietude les biens que vous n'avez pas, vous avez beau dire que vous ne les voulez pas avoir injustement; car pour cela vous ne laisserez pas d'estre vrayement avare.

  A003002026 

 Celuy qui possede un bien justement, n'a il pas plus de raison de le garder justement, que nous de le vouloir avoir justement? Et pourquoy donc estendons nous nostre desir sur sa commodité pour l'en priver? tout au plus si ce desir est juste, certes il n'est pourtant pas charitable: car nous ne voudrions pas nullement qu'aucun desirast, quoy que justement, ce que nous voulons garder justement.

  A003002028 

 Il n'est pas possible de se plaire beaucoup en une chose, qu'on n'y mette beaucoup d'affection..

  A003002030 

 Ne desirez donc point d'un desir entier et formé le bien que vous n'avez pas: ne mettez point fort avant vostre cœur en celuy que vous avez: ne vous desolez point des pertes qui vous arriveront; et vous aurez quelque sujet de croire qu'estant riche en effet, vous ne estes point d'affection; mais que vous estes pauvre d'esprit, et par consequent bien-heureuse, car le Royaume des Cieux vous appartient..

  A003002035 

 Dites moy, les jardiniers des Roys et des Princes, ne sont ils pas plus curieux et diligens à cultiver et agencer les jardins qu'ils ont en charge, que s'ils leur appartenoient en proprieté? Mais pourquoy cela? parce, sans doute, qu'ils considerent ces jardins là, comme jardins du Roy, ou du Prince, auquel ils desirent de se rendre agreables par ce service là.

  A003002035 

 Je veux que vous ayez beaucoup plus de soing de rendre vos biens utiles et fructueux, que les mondains n'ont pas.

  A003002035 

 Ma Philothee, les possessions que nous avons ne sont pas nostres: Dieu les nous a données à cultiver, et veut que nous les rendions fructueuses et utiles: et partant nous luy faisons service agreable d'en avoir soin..

  A003002036 

 C'est pourquoy nous le devons avoir plus grand que les mondains n'ont pas des leurs; car ils ne font pas leurs travaux sur une si excellente consideration, puis qu'ils ne les font que pour l'amour d'eux-mesmes, et nous les faisons pour l'amour de Dieu.

  A003002036 

 Or afin qu'il ne vous deçoive, prattiquez la pauvreté; je ne dis pas celle d'esprit, mais je dis la pauvreté d'effect, emmy toutes les facultez et richesses que Dieu nous a données..

  A003002037 

 Il est vray que Dieu vous le rendra, non pas seulement en l'autre monde, [103*] mais en cellui-cy: car il n'y a rien qui fasse tant prosperer temporellement que l'aumosne: mais en attendant que Dieu vous le rende vous serez tousjours appauvrie de cela.

  A003002040 

 Voulez vous faire encore d'avantage, ma chere Philothee? Ne vous contentez pas d'estre pauvre comme les pauvres, mais soyez plus pauvre que les pauvres.

  A003002042 

 Il arrive quelquefois chez nous un hoste que nous voudrions et devrions bien traitter: il n'y a pas [104*] moyen pour l'heure: on a ses beaux habits en un lieu: on en auroit bien besoing en un autre, où il seroit requis de paroistre.

  A003002043 

 Mais parce que le poil qui estoit és mains de Jacob, ne tenoit pas à sa peau, ains à ses gans, on luy pouvoit oster son poil sans l'oflfencer ny escorcher.

  A003002043 

 Quand nos moyens nous tiennent au cœur, si la tempeste, si le larron, si le chiquaneur nous [105*] en arrache quelque partie, quelles plaintes, quels troubles, quelles impatiences en avons nous? Mais quand nos biens ne tiennent qu'au soin que Dieu veut que nous en ayons, et non pas à nostre cœur, si on nous les arrache, nous n'en perdons pourtant pas le sens, ny la tranquillité.

  A003002047 

 Son esclat n'est pas decouvert en ce monde: mais si est-ce pourtant qu'il est extremement beau et riche..

  A003002050 

 Et en ce qu'on n'en tient pas grand conte, leur pauvreté est plus pauvre que celle des Religieux, bien que celle-cy d'ailleurs ayt une excellence fort grande, et trop plus recommandable à raison du vœu, et de l'intention pour laquelle elle a esté choisie..

  A003002050 

 Or telle est pour l'ordinaire la pauvreté des seculiers: car parce qu'ils ne sont pas pauvres par leur election, mais par necessité, on n'en tient pas grand conte.

  A003002050 

 Une pauvreté louée, caressée, estimée, secourue et assistée, elle tient de la richesse: elle n'est pour le moins pas du tout pauvre; mais une pauvreté mesprisée, rejettée, reprochée et abandonnée, elle est vrayement pauvre.

  A003002051 

 Ne vous plaignés donc pas, ma chere Philothee, de vostre pauvreté: car on ne se plaint que de ce qui desplait; et si la pauvreté vous desplait, vous n'estes plus pauvre d'esprit, ains riche d'affection..

  A003002052 

 Ne vous desolez point de n'estre pas si bien secourue qu'il seroit requis, car en cela consiste l'excellence de la pauvreté.

  A003002058 

 Mais quant aux vrayes vefves, qui le sont, non seulement de corps, mais aussi de cœur, nul ornement ne leur est convenable, sinon l'humilité, la modestie et la devotion: car si elles veulent donner de l'amour aux [108*] hommes, elles ne sont pas vrayes vefves; et si elles n'en veulent pas donner, pourquoy en portent elles les outils? Qui ne veut recevoir les hostes, il faut qu'il oste l'enseigne de son logis.

  A003002058 

 On ne treuve pas non plus mauvais que les vefves à marier se parent aucunement, pourveu qu'elles ne fassent point paroistre de folastrerie; d'autant qu'ayant desja esté meres de famille, et passé par les regrets du vefvage, on tient leur esprit pour meur et attrempé.

  A003002059 

 Et les femmes vaines sont tenues pour imbecilles en chasteté: au moins si elles en ont, elle n'est pas visible parmi tant de fatras et bagatelles.

  A003002059 

 On dit qu'on n'y pense pas mal; mais je replique que le diable en y pense tousjours.

  A003002063 

 Pour monstrer qu'on l'aime, il ne faut pas [109*] fuïr d'estre avec luy; et pour tesmoigner qu'on s'aime soy-mesme, il se faut plaire avec soy-mesme, quand on y est: or on y est quand on est seul.

  A003002065 

 Et quant à celles-là, comme il ne faut pas s'y adonner, aussi peut on leur donner le loisir destiné à la recreation..

  A003002066 

 Et quant à celles-là, comme il ne faut pas estre superstitieuse à les prattiquer, aussi ne faut il pas estre du tout incivile à les mespriser, mais satisfaire avec modestie au devoir que l'on y a, afin d'esviter esgalement la rusticité et la legereté..

  A003002068 

 Ce que je dis, parce qu'il y a des choses loisibles qui pourtant ne sont pas honnestes; et afin que vostre modestie paroisse, gardez vous des insolences, lesquelles sans doute sont tousjours reprehensibles.

  A003002068 

 Et comme celuy qui ne voudroit jamais se promener qu'en contant ses pas, ny parler qu'en chantant, seroit fascheux au reste des hommes; ainsi ceux qui tiennent un maintien artificieux, et qui ne font rien qu'à cadence, importunent extremement la conversation, et en ceste sorte de gens il y a tousjours quelque espece de vanité et de presomption.

  A003002072 

 Et aussi les conversations ne sont pas ordinairement si serieuses qu'on ne puisse de temps en temps en retirer le cœur pour le remettre en ceste divine solitude..

  A003002072 

 Resouvenez vous cependant, ô Philothee, de faire tousjours plusieurs retraictes en la solitude de vostre cœur, pendant que corporellement vous estes parmy les conversations, ainsi que j'ay marqué cy dessus; et ceste solitude mentale ne peut nullement estre empeschée par la multitude de ceux qui vous sont autour, parce qu'ils ne sont pas autour de vostre cœur, ains autour de vostre corps: si que vostre cœur demeure luy tout seul en la presence de Dieu seul.

  A003002074 

 Outre la solitude mentale, vous devés aimer la solitude locale et reelle, non pas pour vous retirer dans les deserts, comme saincte Marie Egiptienne, sainct Paul premier hermite, et les autres Peres solitaires; mais pour vous retirer dedans vostre chambre ou en quelque autre lieu, auquel separée de tous les hommes, vous puissiés traitter cœur à cœur de vostre ame avec son Dieu, pour dire avec David: J'ay veillé et ay esté semblable au pelican de la solitude: J'ay esté fait comme le chat-huan ou le hyboux, dans les mazures et comme le passereau solitaire au toict.

  A003002078 

 Gardez vous soigneusement de lascher aucune parolle deshonneste: car encore que vous ne les dissiez pas avec mauvaise intention, si est-ce que ceux qui les oyent les peuvent recevoir d'une autre sorte.

  A003002078 

 La parolle deshonneste tombant dans un cœur foible, s'estend et se dilatte comme une goutte d'huile tombant sur le drap; et quelquefois elle saisit tellement le cœur, qu'elle le remplit de mille pensées et tentations lubriques: et ceux qui pensent estre galants hommes à dire de telles parolles en conversation, ne sçavent pas pourquoy les conversations sont faictes; car elles doivent estre comme esseins d'abeilles, assemblées pour faire le miel de quelque doux et vertueux entretien, et non pas comme un tas de guespes qui se joignent pour succer quelque pourriture.

  A003002083 

 Il est permis de corriger les inferieurs avec des parolles aspres et dures, en leur reprochant leur vie et leurs vices, comme l'Apostre S. Paul ne fait nulle difficulté d'apeller les Galates insensés; et S. Jean Baptiste les Juifs engeance de viperes, et lors ces parolles aspres ne tiennent pas lieu d'injure, ains de correction: et n'ont pas leur origine de l'ire, mais de la charité et du zele.

  A003002083 

 Or on en peut user ainsi avec les inferieurs: mais si vous me croyez, Philothée, ce sera si peu souvent, que l'on connoisse bien que ce n'est pas d'un esprit injurieux que ces parolles sortent de vostre bouche.

  A003002083 

 Que si vous pouvés absolument n'en point dire, ce sera chose beaucoup meilleure, à raison du danger qu'il y a de mesprendre entre nous autres, qui ne sommes pas parfaits comme saint Jean Baptiste, et saint Paul: et puis la verité est que si l'esprit de Dieu ne fait dire telles paroles, comme il faisoit en eux, elles n'apportent nulle sorte de correction.

  A003002083 

 Si je dis à un inferieur, vous estes un sot, ou une beste, il interpretera ces mots à cholere, non pas à correction; si que il n'en fera nullement son proffit: mais si je luy remonstre sa faute avec des paroles roides et fermes, sans tesmoignage de courroux, il s'en rendra plus aysement..

  A003002088 

 Les privautés dangereuses ne les appellés pas simplicités ny nayvetés: ne fardés pas la desobeïssance du nom de zele, ny la lasciveté du nom d'amitié: il faut blasmer les choses blasmables, selon qu'elles le sont, et rien plus.

  A003002088 

 Par exemple, si je blasme la privauté de ce jeune homme et de cette fille, parce qu'elle est trop grande et indiscrette; ô Dieu, Philothee, il faut que je tienne la balance bien droitte: et que puis que je les veux juger, que je ne die pas un seul mot de trop.

  A003002088 

 S'il n'y a qu'une foible apparence de mal, il ne faut pas que je die rien d'avantage.

  A003002088 

 S'il se treuve une personne qui soit vrayement medisante ne dittes pas pour l'excuser qu'elle est libre et franche.

  A003002088 

 Si l'on parle d'une personne manifestement subjette à la vanité, ne dittes pas qu'elle est genereuse et propre.

  A003002089 

 Avec tout cela encore ne faut il pas parler du prochain, ny le juger, sinon que le temps et le lieu le requierent.

  A003002089 

 Mais si je puis attendre de le dire à part, je me dois taire pour lors: car ny le temps, ny le lieu ne requierent pas que je juge..

  A003002090 

 Il faut encore qu'il m'appartienne de juger et parler, comme quand je suis des premiers, et que si je ne parle il semblera que j'appreuve le vice: alors je dois user de franchise en le reprouvant: car si je suis des moindres de la troupe, je ne dois pas entreprendre [115*] de juger.

  A003002092 

 Philothee, ne faites pas cette faute: car outre l'offence de Dieu, elle vous pourroit susciter mille sortes de querelles..

  A003002093 

 Escartés ce propos là, vous resouvenant et la compagnie, que ceux qui ne tombent pas en faute, en doivent toute la grace à Dieu.

  A003002093 

 Quand vous oyés mal dire, rendés douteuse l'accusation, si vous le pouvez faire justement: si vous ne pouvés pas, excusez l'intention de l'accusé: que si cela ne se peut, tesmoignés de la compassion sur luy.

  A003002097 

 Gardez vous des duplicitez, artifices, et feintises: car bien que il ne soit pas bon de dire tousjours toutes sortes de veritez, si n'est il jamais permis de contrevenir à la verité.

  A003002098 

 Bien que quelquefois on puisse discretement et prudemment desguiser et couvrir la verité par quelque artifice de parolle, si ne faut-il pas prattiquer cela sinon en choses d'importance, quand la gloire et service de Dieu le requierent manifestement: hors de là les artifices sont dangereux; car, comme dit la saincte parolle, le Sainct Esprit n'habite pas en un esprit feint et double.

  A003002099 

 Le parler peu, tant recommandé par les anciens Sages, ne s'entend pas qu'il faille dire peu de parolles, mais de n'en dire pas beaucoup d'inutiles: car en matiere de parler, on ne regarde pas à la quantité, mais à la qualité; et me semble qu'il faut fuir les deux extremitez.

  A003002100 

 Sainct Louys ne treuvoit pas bon qu'estant en compagnie l'on parlast en secret et en conseil, et particulierement à table, afin que l'on ne donne soupçon que l'on parle des autres en mal.

  A003002104 

 Ne t'estonne pas donq, repliqua l'Apostre, si je me demets quelque peu de la rigueur et attention de mon esprit, pour prendre un peu de recreation, affin de m'employer par apres plus vivement à la contemplation.

  A003002104 

 S. Jean l'Evangeliste, comme dit le bien-heureux Cassian, fut un jour trouvé par un chasseur, qu'il tenoit une perdrix sur son poing, laquelle il caressoit par recreation: le chasseur luy demanda pourquoy estant homme de telle qualité il passoit le temps en chose si basse et vile; et S. Jean luy dit: Pourquoy ne portes tu pas ton arc tousjours tendu? De peur, respondit le chasseur, que demeurant tousjours courbé il ne perde la force de s'estendre quand il en sera mestier.

  A003002106 

 Il se faut seulement garder de l'exces, soit au temps que l'on y employe, soit au prix que l'on y met: car si l'on y employe trop de temps, ce n'est plus recreation, c'est occupation; on n'allege pas ny l'esprit ny le corps, au contraire on l'estourdit, on l'accable.

  A003002106 

 Je ne dis pas, qu'il ne faille prendre plaisir à joüer, pendant qu'on joüe: car autrement on ne se recréeroit pas; mais je dis qu'il ne faut pas y mettre son affection, pour les desirer, pour s'y amuser et s'en empresser..

  A003002106 

 Joüer longuement à la paume ce n'est pas recreer le corps, mais l'accabler.

  A003002111 

 Si neantmoins il faut manger des potirons, prenez garde qu'ils soyent bien àpprestez; si par quelque occasion de laquelle vous ne puissiez pas bien vous excuser, il faut aller au bal, prenez garde que vostre danse soit bien apprestée.

  A003002116 

 Les jeux des dez, des cartes, et semblables esquels le gain depend principallement du hazard, ne sont pas seulement des recreations dangereuses, comme les danses, mais elles sont simplement et naturellement mauvaises et blasmables: c'est pourquoy elles sont defendues par les loix, tant civiles qu'ecclesiastiques.

  A003002116 

 Mais nous avons ainsi convenu, me direz vous: cela est bon, pour monstrer que celuy qui gaigne ne fait pas tort aux autres: mais il ne s'ensuit pas que la convention ne soit desraisonnable, et le jeu aussi: car le gain qui doit estre le prix de l'industrie, est rendu le prix du sort, qui ne merite nul prix, puis qu'il ne depend nullement de nous..

  A003002116 

 Mais quel grand mal a il, me direz vous? Le gain ne se fait pas en ces jeux selon la raison, mais selon le sort qui tumbe bien souvent à celluy qui par habilité et industrie ne meritoit rien: la raison est donq offencée en cela.

  A003002117 

 Car comme peut estre recreation un exercice auquel il faut tenir l'esprit bandé et tendu par une attention continuelle, et agité de perpetuelles inquietudes, apprehensions, et empressemens? Y a-il attention plus triste, plus sombre, et melancolique que celle des joüeurs? C'est pourquoy il ne faut pas parler sur le jeu, il ne faut pas rire, il ne faut pas tousser, autrement les voila à despiter.

  A003002118 

 En fin il n'y a point de joye au jeu qu'en gaignant: et ceste joye n'est elle pas inique, puis qu'elle ne se peut avoir que par la perte et le desplaisir du compagnon? ceste resjoüissance est certes infame.

  A003002127 

 Saint Louys quand des Religieux vouloient luy parler de choses relevées apres disner: Il n'est pas temps d'alleguer, disoit il, mais de se recreer par quelque joyeuseté et quolibets; que chacun die ce qu'il voudra honnestement: ce qu'il disoit, favorisant la noblesse qui estoit autour de luy pour recevoir des caresses de sa Majesté.

  A003002132 

 L'amitié est un amour mutuel: et si il n'est pas mutuel, ce n'est pas une amitié: et ne suffit pas qu'il soit mutuel, il faut encor que les parties qui s'entreaiment le sçachent: et qu'avec cela il y ayt entre elles quelque sorte de communication, qui soit le fondement de l'amitié.

  A003002139 

 O qu'il fait bon aimer en terre comme l'on aime au Ciel, et apprendre à s'entrecherir en ce monde, comme nous ferons eternellement en l'autre! Je ne parle pas icy de l'amour simple de charité, car il doit estre porté à tous les hommes: mais je parle de l'amitié spirituelle, par laquelle deux, ou trois, ou plusieurs ames se communiquent leur devotion, leurs affections spirituelles, et se rendent un seul esprit entre elles.

  A003002141 

 Ne faites point d'amitié d'autre sorte, je veux dire des amitiés que vous faites: car il ne faut pas ny quitter, ny mespriser pour cela les amitiés que la nature et les precedens devoirs vous obligent de cultiver, des parens, des alliez, des bien-facteurs, des voisins et autres: je parle de celles que vous choisissez vous-mesme..

  A003002146 

 Le miel d'Heraclee ressemble à l'autre: il y a grand danger de prendre l'un pour l'autre, car la bonté de l'un n'empescheroit pas la nuisance de l'autre.

  A003002152 

 Comme par exemple, si un jeune homme desire fort d'estre prouveu de quelque office avant que le temps soit venu, dequoy je vous prie luy sert ce desir? si une femme mariée desire d'estre religieuse, à quel propos? si je desire d'avoir le bien d'autruy justement, avant qu'il soit prest à le vendre, ne perds je pas mon temps en ce desir? Si estant malade je desire de faire les offices de ceux qui sont en santé, cela ce sont des desirs des femmes grosses, qui desirent les cerises fraisches en hyver, et la neige en esté.

  A003002153 

 Non je ne voudrois pas mesmement que l'on desirast d'avoir meilleur esprit, ny meilleur jugement: car ces desirs sont frivoles, et tiennent la place de celuy que chacun doit avoir de cultiver le sien tel qu'il est: ny que l'on desire les moyens de servir Dieu que l'on n'a pas, mais que l'on employe fidellement ceux qu'on a. Or cela s'entend des desirs qui amusent le cœur; car quant aux simples souhaits ils ne font nulle nuysance, pourveu qu'ils ne soyent pas frequens..

  A003002154 

 Ne desirez pas les croix, sinon à mesure que vous aurez bien supportées celles qui se seront presentées: car c'est un abus de desirer le martyre, et n'avoir pas le courage de supporter une injure.

  A003002155 

 Cela faict, Dieu vous en envoyera d'autres, lesquels aussi en leur saison vous prattiquerez, et ainsi vous ne perdrez pas le temps en desirs inutiles.

  A003002155 

 Je ne dis pas qu'il faille perdre aucune sorte de bons desirs, mais je dis qu'il les faut produire par ordre; et ceux qui ne peuvent estre effectuez presentement, il les faut serrer en quelque coing du cœur, jusques à ce que leur temps soit venu: et cependant effectuer ceux qui sont meurs et de saison; ce que je ne dis pas seulement pour les spirituels, mais pour les mondains: sans cela nous ne sçaurions vivre qu'avec inquietude et empressement..

  A003002155 

 Ne remplissez pas vostre ame de beaucoup de desirs: ny mondains, car ceux-là vous gasteroient du tout: ny mesme spirituels, car ils vous embarrasseroient.

  A003002159 

 Ce que je m'en vay vous dire sont ce pas des iniquitez et déraisons? [130*].

  A003002159 

 Nous ne sommes hommes que par la raison: et c'est pourtant chose rare de trouver des hommes vrayement raisonnables: d'autant que l'amour propre nous detraque ordinairement de la raison, nous conduisant insensiblement a mille sortes de petites mais dangereuses injustices et iniquitez, qui sont comme les petits renardeaux, desquels il est parlé aux Cantiques, qui demolissent les vignes: parce qu'ils sont petits on n'y prend pas garde, mais parce qu'ils sont en quantité ils ne laissent pas de beaucoup nuire.

  A003002160 

 Nous voulons vendre fort cher, et acheter à bon marché: nous voulons que l'on face justice en la maison d'autruy, et chez nous misericorde, et connivence: nous voulons qu'on prenne en bonne part nos parolles, et sommes chatouilleux et douillets à celles d'autruy: nous voudrions que le prochain nous laschast son bien en le bien payant; n'est il pas plus juste qu'il le garde en nous laissant nostre argent? Nous luy sçavons mauvais gré dequoy il ne nous veut pas accommoder; n'a il pas plus de raison d'estre fasché dequoy nous le voulons incommoder?.

  A003002161 

 S'il y a quelqu'un de nos inferieurs qui n'ait pas bonne grace, ou sur lequel nous ayons une fois mis la dent, quoy qu'il face nous le recevons à mal; nous ne cessons de le contrister, et tousjours nous sommes à le calanger.

  A003002161 

 Si nous affectionnons un exercice, nous mesprisons tout le reste, et contrerollons tout ce qui ne vient pas à nostre goust.

  A003002162 

 Toutes ces injustices sont petites, parce qu'elles n'obligent pas à restitution: d'autant que nous demeurons seulement dans les termes de la rigueur en ce qui nous est favorable; mais elles ne laissent pas de nous obliger à nous en amander, car ce sont des grands defauts de raison et de charité; et au bout de là ne sont que tricheries: car on ne perd [131*] rien à vivre genereusement, noblement, courtoisement, et avec un cœur esgal et raisonnable.

  A003002162 

 Trajan estant censuré par ses confidens dequoy il rendoit à leur advis la majesté imperiale trop accostable; Ouy dëa, dit il, ne dois je pas estre tel Empereur à l'endroit des particuliers, que je desirerois rencontrer un Empereur, si j'estois particulier moy-mesme?.

  A003002167 

 Si l'ame cherche les moyens d'estre deslivrée de son mal, pour l'amour de Dieu, elle les cherchera avec patience, douceur, humilité et tranquillité; attendant sa delivrance plus de la bonté et providence de Dieu que de sa peine, industrie ou diligence: si elle cherche sa delivrance pour l'amour propre, elle s'empressera et s'eschauffera à la queste des moyens, comme si ce bien dependoit plus d'elle que de Dieu: je ne dis pas qu'elle pense cela, mais je dis qu'elle s'empresse comme si elle le pensoit..

  A003002168 

 Que si elle ne rencontre pas soudain ce qu'elle desire elle entre en des grandes inquietudes et impatiences, lesquelles n'ostant pas le mal precedant ains au contraire l'empirant, l'ame entre en une angoisse et detresse demesurée, avec une defaillance de courage et de forces, telle, qu'il luy semble que son mal n'ait plus de remede.

  A003002170 

 Quand donques, ma Philothee, vous serés pressée de quelque desir d'estre delivrée de quelque mal, ou de parvenir à quelque bien, avant toute chose mettés vostre esprit en repos et tranquillité: faittes rasseoir vostre jugement et vostre volonté: et puis tout bellement et tout doucement pourchassés l'issue de vostre desir, prenant par ordre les moyens qui seront convenables: et quand je dis tout bellement je ne veux pas dire negligemment, mais sans empressement, trouble et inquietude: autrement en lieu d'avoir l'effet de vostre desir, vous gasterés tout, et vous embarrasserez plus fort..

  A003002172 

 Ne permettés pas à vos desirs, pour petits qu'ils soient, et de petite importance, qu'ils vous inquietent: car apres les petits les grands et plus importans treuveroient vostre cœur plus disposé au trouble et dereglement.

  A003002181 

 Contrariez vivement aux inclinations de la tristesse: et bien qu'il semble que tout ce que vous ferez en ce temps-là se face froidement, tristement, et laschement, ne laissez pourtant pas de le faire: car l'ennemy qui pretend de nous allanguir aux bonnes œuvres par la tristesse, voyant que nous ne laissons pas de les faire, et qu'estant faictes avec resistence elles en valent mieux, il cesse de nous plus affliger..

  A003002190 

 Soyez devote à la parolle de Dieu; et soit que vous l'escoutiez en devis familiers avec vos amis spirituels, soit que vous l'escoutiez au sermon, oyez la tousjours avec attention et reverence, faictes en bien vostre proffit, et ne permettez pas qu'elle tombe à terre, ains recevez la comme un precieux baume dans vostre cœur, à l'imitation de la tres-saincte Vierge, qui conservoit soigneusement dedans son cœur toutes les parolles que l'on disoit à la louange de son enfant; et resouvenez vous que nostre Seigneur recueille les parolles que nous luy disons en nos prieres, à mesure que nous recueillons celles qu'il nous dit par la predication..

  A003002191 

 Il y en a d'autres où il y a plus de sujet d'admiration que d'imitation, comme celle de saincte Marie Egyptienne, de S. Simeon Stilités, des deux sainctes Catherines, de Sienne, et de Gennes: de S. Angele, et autres telles, lesquelles ne laissent pas neantmoins de donner un grand goust general du saint amour de Dieu..

  A003002191 

 Lisez aussi les histoires et vies des Saincts, esquelles comme dans un miroûer vous verrez le pourtrait de la vie Chrestienne: et accommodez leurs actions à vostre proffit selon vostre vocation: car bien que beaucoup des actions des Saincts ne soyent pas imitables par ceux qui vivent emmy le monde; si est ce neantmoins que toutes peuvent estre suyvies ou de prés ou de loing.

  A003002197 

 Ce que je dis pour vous oster une remarquable vanité qui se treuve en plusieurs personnes qui font profession de devotion, lesquelles à tout propos disent des parolles sainctes et ferventes par maniere d'entregent, et sans y penser nullement: et apres les avoir dittes, il leur est advis qu'ils sont tels que leurs parolles tesmoignent, ce qui n'est pas.

  A003002201 

 C'est pourquoy le divin Espoux veut faire entendre qu'il n'a pas seulement agreables les grandes œuvres des personnes devotes, mais aussi les moindres et plus petites: et que pour le servir à son goust, il faut avoir grand soing de le bien servir aux choses grandes et hautes, et aux choses basses et abjettes, puis que nous pouvons esgallement et par les unes et par les autres luy desrober son cœur par amour..

  A003002202 

 Mais tandis que la divine providence ne vous envoye pas des afflictions si sensibles, et si grandes, et qu'il ne requiert pas de vous vos yeux, donnez luy pour le moins vos cheveux: je veux dire supportez tout doucement les menues injures, ces petites incommoditez, ces pertes de peu d'importance, qui vous sont journalieres: car par le moyen de ces petites occasions, employées avec amour, et dilection, vous gaignerez entierement son cœur, et le rendrez tout vostre.

  A003002203 

 Je n'estime pas moins, dis je, cette oraison, que les ravissemens et extases qu'elle eust, qui ne luy furent peut estre donnés que pour recompense de cette humilité et abjection.

  A003002203 

 Mais j'ay esté égallement consolé quand je l'ay veüe en la cuisine de son pere tourner humblement la broche, attiser le feu, aprester la viande, paistrir le pain, et faire tous les plus bas offices de la maison, avec un courage plein d'amour et de dilection envers son Dieu; et n'estime pas moins la petite et basse meditation qu'elle faisoit parmy ces offices vils et abjets, s'imaginant qu'aprestant pour son pere, elle aprestoit pour nostre Seigneur: et que sa mere tenoit la place de nostre Dame, ses freres des Apostres; s'excitant en cette sorte de servir toute la cour celeste, et s'employant à ces chetifs services avec une grande suavité, parce qu'elle sçavoit telle estre la volonté de Dieu.

  A003002204 

 Et pour moy, je vous conseille tant que je puis, d'imiter cette femme forte, de laquelle le grand Salomon a fait tant d'estime, laquelle, comme il dit, mettoit la main à choses fortes, genereuses et relevées, et neantmoins ne laissoit pas de filer et tourner le fuseau.

  A003002204 

 Mettez la main à chose forte, vous exerçant à l'oraison et meditation, à l'usage des Sacremens, à donner de l'amour de Dieu aux ames, à respendre des bonnes inspirations dedans les cœurs: et en fin à faire des œuvres grandes et d'importance selon vostre vocation: mais n'obliés pas aussi vostre fuseau et vostre quenouille: c'est à dire prattiqués ces petites et humbles vertus, lesquelles comme fleurs [139*] croissent au pied de la croix; le service des pauvres, la Visitation des malades, le soin de la famille, et toutes les œuvres qui dependent d'iceluy, et l'utile diligence qui provoque à ne point demeurer oisive, ny de cœur, ny de corps; et parmi toutes ces choses là entre-jettez des pareilles considerations que celles que je viens de dire de saincte Catherine..

  A003002209 

 C'est chose bien aisée à un homme ou à une femme de s'empescher de l'adultere: mais ce n'est pas chose si facile de s'empescher des œillades, de donner ou recevoir de l'amour, de procurer des graces et menues faveurs, de dire et recevoir des [140*] parolles de cajollerie.

  A003002209 

 Il est bien aisé de ne point donner de corival au mary, ny de corivale à la femme, quant au corps: mais il n'est pas si aysé de n'en point donner quant au cœur; bien aysé de ne point souiller le lict du Mariage, mais bien mal aysé de ne point interesser l'amour du Mariage: bien aysé de ne point desrober le bien d'autruy, mais mal aysé de ne point le muguetter et convoiter: bien aysé de ne point dire de faux tesmoignage en jugement, mais mal aysé de ne point mentir en conversation; bien aysé de ne point s'ennyvrer, mais mal aysé d'estre sobre: bien aysé de ne point desirer la mort d'autruy, mais mal aysé de ne point desirer son incommodité: bien aysé de ne le point diffamer, mais mal aysé de ne le point mespriser.

  A003002209 

 Les loups et les ours sont sans doute plus dangereux que les mouches: mais si ne nous font ils pas tant d'importunité et d'ennuy, ny n'exercent pas tant nostrê patience.

  A003002215 

 Le plaisir que l'on prend aux inspirations est un grand acheminement à la grace de Dieu, et desja on commence à plaire par iceluy à sa divine Majesté: car si bien cette delectation n'est pas encore un entier consentement, c'est une certaine disposition à iceluy; et si c'est un bon signe et chose fort utile de se plaire à oüir la parole de Dieu, qui est comme une inspiration exterieure, c'est chose bonne aussi et agreable à Dieu de se plaire en l'inspiration interieure.

  A003002216 

 Ce fut ce qui arriva à l'Espouse sacrée: car quoy que la douce voix de son bien-Aimé luy eust touché le cœur d'un sainct ayse, si est-ce neantmoins qu'elle ne luy ouvrit pas la porte, mais s'en excusa d'une excuse frivole: dequoy l'Espoux justement indigné il passa outre et la quitta: aussi le Gentilhomme qui apres avoir longuement recerché une Damoiselle, et luy avoir rendu son service agreable, en fin seroit rejette et mesprisé, auroit bien plus de sujet de mécontentement que si sa recerche n'avoit point esté agreée ny favorisée.

  A003002223 

 Et bien que ces trois actions ne se cognoissent pas si manifestement en toutes autres sortes de peché, si est-ce qu'elles se cognoissent palpablement aux grands et enormes pechez..

  A003002224 

 Quand la tentation de quel peché que ce soit dureroit toute nostre vie, elle ne sçauroit nous rendre desagreables à la divine Majesté, pourveu qu'elle ne nous plaise pas, et que nous n'y consentions pas: la raison est, parce qu'en la tentation nous n'agissons pas, mais nous souffrons: et puis que nous n'y prenons point de plaisir, nous ne pouvons aussi en avoir aucune sorte de coulpe.

  A003002225 

 Mais il y a ceste difference entre l'ame et ceste Princesse pour ce sujet, que la Princesse ayant ouy la proposition deshonneste peut si bon luy semble chasser le messager, et ne le plus ouïr; mais il n'est pas tousjours au pouvoir de l'ame de ne point sentir la tentation, bien qu'il soit tousjours en son pouvoir de ne point y consentir.

  A003002225 

 Que doncques les ennemis de nostre salut nous presentent tant qu'ils voudront d'amorces et d'apasts: qu'ils demeurent tousjours à la porte de nostre cœur pour entrer: qu'ils nous facent tant de propositions qu'ils voudront; mais tandis que nous aurons resolution de ne point nous plaire en tout cela, il n'est pas possible que nous offensions Dieu, non plus que le Prince espoux de la Princesse que j'ay representé, ne luy peut sçavoir mauvais gré du message qui luy est envoyé, si elle n'y a prins aucune sorte de plaisir.

  A003002226 

 Mais quant à la delectation qui peut suyvre la tentation, pour autant que nous avons deux parties en nostre ame, l'une inferieure, et l'autre superieure, et que l'inferieure ne suit pas tousjours la superieure, ains fait son cas à part; il arrive maintefois que la partie inferieure se plait en la tentation, sans le consentement, ains contre le gré de la superieure: c'est la dispute et la guerre que l'Apostre S. Paul descrit quand il dit que sa chair convoite contre son esprit; qu'il y a une loy des membres, et une loy de l'esprit, et semblables choses..

  A003002227 

 Car la tentation jettant sa delectation en la partie inferieure, couvre ce semble toute l'ame de cendres, et reduit l'amour de Dieu au petit pied, car il ne paroit plus nulle part, sinon au milieu du cœur, au fin fond de l'esprit, encor semble il qu'il n'y soit pas, et on a peine de le treuver: il y est neantmoins en verité, puisque quoy que tout soit en trouble en nostre ame et en nostre corps, nous avons la resolution de ne point consentir au peché ny à la tentation, et que la delectation qui plait à nostre homme exterieur desplait à l'interieur: et quoy qu'elle soit tout autour de nostre volonté, si n'est elle pas dans icelle; en quoy l'on voit que telle delectation est involontaire, et estant telle elle ne peut estre peché.

  A003002231 

 Le jeune homme duquel parle S. Hierosme, qui couché et attaché sur un lict mollet, estoit provoqué par toutes sortes de vilains attouchemens et attraits des impudiques femmes qui s'estoient couchées avec luy expres pour esbranler sa constance, ne devoit il pas sentir d'estranges esmotions charnelles? ses sens ne devoient ils pas estre saisis de la delectation, et son imagination extremement occupée de ceste presence des objets voluptueux? sans doute; et neantmoins parmi tant de troubles, emmy un si terrible orage de tentations, il tesmoigne que son cœur n'est point vaincu, que sa volonté qui sent tout autour de soy tant de voluptez n'y consent toutefois nullement: puis que son esprit voyant tout rebellé contre luy, et n'ayant plus aucune des parties de son corps à son commandement, sinon la langue, il se la coupa avec les dents, et la cracha sur le visage de ces vilaines ames qui tourmentoient la sienne plus cruellement par la volupté, que les borreaux n'eussent jamais sceu faire par les tourmens..

  A003002232 

 Et comment, repliqua-elle, habitiés-vous dedans mon cœur dans lequel il y avoit tant de vilenies? habités vous donques en des lieux si deshonnestes? Et nostre Seigneur luy dit: Dy moy, ces tiennes salles cogitations de ton cœur te donnoient-elles plaisir ou tristesse, amertume ou delectation? Et elle dit: Extreme amertume et tristesse: et il luy repliqua: Qui estoit celuy qui mettoit cette grande amertume et tristesse dedans ton cœur, sinon moy qui demeurois caché dedans le milieu de ton ame? Croy, ma fille, que si je n'eusse pas esté present, ces pensées qui estoient au tour de ta volonté et ne pouvoient l'expugner, l'eussent sans doute surmontée et seroient entrées dedans, et eussent esté recettes avec plaisir par le libre arbitre, et ainsi eussent donné la mort à ton ame: mais parce que j'estois dedans, je mettois ce deplaisir et cette resistance en ton cœur, par laquelle il se reffusoit tant qu'il pouvoit à la tentation: et ne pouvant pas tant qu'il vouloit il en sentoit un plus grand deplaisir, et une plus grande hayne contre icelle et contre soy-mesme: et ainsi ces peines estoient un grand merite, et un grand gain pour toy, et un grand accroissement de ta vertu et de ta force..

  A003002233 

 Voyez vous, Philothee, comme ce feu estoit couvert de la cendre, et que la tentation et delectation estoit mesme entrée dedans le cœur, et avoit environné la volonté, laquelle seule asistée de son Sauveur resistoit par des amertumes, des desplaisirs et detestations du mal qui luy estoit suggeré, refusant perpetuellement son consentement au peché qui l'environnoit? O Dieu quelle detresse à une ame qui ayme Dieu de ne sçavoir seulement pas si il est en elle ou non, et si l'amour divin pour lequel elle combat est du tout esteint en elle, ou non.

  A003002237 

 Ce que je dis affin que s'il vous arrivoit jamais d'estre affligée de si grandes tentations vous sçachiés que Dieu vous favorise d'une faveur extraordinaire, par laquelle il declare qu'il veut vous agrandir devant sa face: et que neantmoins vous soyés tous-jours humble et craintifve, ne vous asseurant pas de pouvoir vaincre les menuës tentations apres avoir surmonté les grandes, sinon par une continuelle fidellité à l'endroit de sa divine Majesté..

  A003002237 

 Ma Philothee, ces grands assauts et ces tentations si puissantes, ne sont jamais permises de Dieu que contre les ames, lesquelles il veut eslever à son pur et excellent amour: mais il ne s'ensuit pas pourtant qu'apres cela elles soient asseurées d'y parvenir: car il est [147*] arrivé maintefois que ceux qui avoient esté constans en des si violentes attaques, ne correspondant pas par apres fidellement à la faveur divine se sont treuvés vaincus en des biens petites tentations.

  A003002242 

 Mais si au contraire elle avoit par quelques attraits, donné sujet à la recherche, ayant voulu donner de l'amour au Prince qui la recherche, indubitablement elle seroit coulpable de la recherche mesme: et quoy qu'elle en fit la delicate, elle ne laisseroit pas d'en meriter du blasme et de la punition.

  A003002243 

 C'est tousjours chose blasmable à la jeune Princesse de laquelle nous avons parlé, si non seulement elle escoute la proposition salle et deshonneste qui luy est faicte, mais encore apres l'avoir ouïe elle prend plaisir en icelle, entretenant son cœur avec contentement sur cet object: car bien qu'elle ne vueille pas consentir à l'execution reelle de ce qui luy est proposé, elle consent neantmoins à l'application spirituelle de son cœur, par [149*] le contentement qu'elle y prend: et c'est tousjours chose deshonneste d'appliquer ou le cœur, ou le corps à chose deshonneste; ains la deshonnesteté consiste tellement à l'application du cœur, que sans icelle l'application du corps ne peut estre peché..

  A003002245 

 De mesme doncque si quelqu'un me propose quelque stratageme plein d'invention et d'artifice pour me venger de mon ennemy, et que je ne prenne pas plaisir, ny ne donne nul consentement à la vengeance qui m'est proposée, mais seulement à la subtilité de l'invention et de l'artifice, sans doute je ne peche point: bien qu'il ne soit pas expedient que je m'amuse beaucoup à ce plaisir, de peur que petit à petit il ne me porte à quelque delectation de la vengeance mesme..

  A003002245 

 Par exemple, si le galand qui luy veut donner de l'amour sonnoit exquisiment bien du luth, et qu'elle print plaisir, non pas à la recherche qui est faite de son amour, mais à l'harmonie et douceur du son du luth, il n'y auroit point de peché, bien qu'elle ne devroit pas continuer longuement en ce plaisir, de peur de faire passage d'iceluy à la delectation de la recherche.

  A003002245 

 Quand la delectation qui suyt la tentation a peu estre esvitee, et que neantmoins on ne l'a pas esvitée, il y a tousjours quelque sorte de peché selon que l'on y a peu ou prou arresté, et selon la cause du plaisir que nous y avons prins.

  A003002245 

 Une femme laquelle n'ayant point donné de sujet d'estre muguettée, prend neantmoins plaisir à l'estre, ne laisse pas d'estre blasmable, si le plaisir qu'elle y prend n'a point d'autre cause que la muguetterie.

  A003002261 

 Mesprisez doncques ces menues attaques, et ne daignez pas seulement penser à ce qu'elles veulent dire, mais laissez les bourdonner autour de vos aureilles, tant qu'elles voudront, et courir ça et là autour de vous, comme l'on fait des mousches; et quand elles viendront vous picquer, et que vous les verrez aucunement s'arrester en vostre cœur, ne faites autre chose que de tout simplement les oster, non point combattant contre elles, ny leur respondant, mais faisant des actions contraires quelles qu'elles soyent, et speciallement de l'amour de Dieu.

  A003002261 

 Que si vous me croyez, vous ne vous opiniastrerez pas à faire des actions de la vertu contraire à la tentation que vous sentez, parce que ce seroit quasi vouloir disputer avec elle: mais apres en avoir fait une, si vous avez eu le loisir de recognoistre la tentation, avec un simple retour de vostre cœur, et mouvement de vostre esprit, comme par maniere de diversion, vous ferez une action d'amour à l'endroit de Dieu, et irez baiser en esprit Jesus Christ crucifié: car l'amour de Dieu contenant en soy toutes les perfections de toutes les vertus, il est aussi un souverain remede contre tous vices: et vostre esprit s'accoustumant en toutes tentations de recourir à ce rendez-vous general, ne sera point obligé de regarder et examiner quelles tentations il a, mais simplement se sentant troublé il s'acoisera en ce grand remede..

  A003002266 

 Faictes des œuvres d'abjection et d'humilité le plus que vous pourrez, et encor qu'il vous semble que ce soit à regret: car par ce moyen vous vous habituez à l'humilité, et affaiblirez vostre vanité, en sorte, que quand la tentation viendra, vostre inclination ne la pourra pas tant favoriser, et vous aurez plus de force pour la combattre.

  A003002266 

 Par exemple, si vous vous sentez inclinée à la passion de la vanité, faites souvent des pensées de la misere de ceste vie humaine, combien ses vanitez seront ennuyeuses à la conscience au jour de la mort, combien elles sont indignes d'un cœur genereux, et que ce ne sont que badineries et amusemens de petits enfans, et semblables choses: parlez souvent contre la vanité; et encor'qu'il vous semble que ce soit à contre cœur ne laissez pas de la bien mespriser, car par ce moyen vous vous engagerez mesme de reputation au party contraire: et à force de dire contre quelque chose nous nous esmouvons à la haïr, bien qu'au commencement nous luy eussions de l'affection.

  A003002268 

 En somme, en temps de paix, c'est à dire lors que les tentations du peché auquel vous estes subjete ne vous presseront pas, faites force actions de la vertu contraire: et si les occasions ne se presentent pas, allez au devant d'elles pour les rencontrer: car par ce moyen vous renforcerez vostre cœur contre la tentation future..

  A003002272 

 Entre toutes les vertus, je vous recommande les deux bien-aimées de nostre Seigneur et lesquelles seules il a ordonné que nous aprinssions de luy, l'humilité et la douceur de cœur: mais prenés garde que ce soit de cœur: car c'est un des grands artifices de l'ennemy de faire que plusieurs s'amusent à dire des paroles et faire des gestes exterieures de ces deux vertus, lesquels n'examinant pas leurs affections interieures pensent estre humbles et doux, et ne le sont neantmoins nullement en effet: ce que l'on reconnoit, parce que nonobstant leur ceremonieuse douceur et humilité, à la moindre parolle qu'on leur dit de travers, ou la moindre petite injure qu'ils reçoivent, ils s'eslevent avec une arrogance non-pareille..

  A003002275 

 L'Espouse au Cantique des Cantiques n'a pas seulement le miel en ses levres, et au bout de sa langue, mais elle l'a encor dessous la langue, c'est à dire dans la poitrine: et n'y a pas seulement du miel, mais encor du laict: aussi ne faut il pas seulement avoir la parolle douce à l'endroit du prochain, mais aussi toute la poitrine, c'est à dire tout l'interieur de nostre ame; et ne faut pas seulement avoir la douceur du miel, qui est aromathique et odorant, c'est à dire la suavité de la conversation civile avec les estrangers, mais aussi la douceur du laict entre les domestiques et proches voisins: en quoy manquent grandement ceux qui en ruë semblent des Anges, et en la maison des diables..

  A003002279 

 Au contraire celluy qui hayt la medisance se tourmentera d'avoir fait une legere murmuration, et ne tiendra nul compte d'une grosse faute commise contre la chasteté, ainsi des autres: ce qui n'arrive pour autre chose, sinon qu'ils ne font pas le jugement de leur conscience par raison, mais par passion..

  A003002279 

 Il faut donques avoir un deplaisir de nos fautes qui soit paisible, rassis et ferme; car tout [156*] ainsi qu'un Juge chastie bien mieux les meschans faisant ses sentences par raison, et en esprit de tranquillité, que non pas quand il les fait par impetuosité et passion: d'autant que jugeant avec passion, il ne chastie pas les fautes selon qu'elles sont, mais selon qu'il est luy mesme; ainsi nous nous chastions bien mieux nous mesmes par des repentences tranquilles et constantes, que non pas par des repentences aigres, empressées et choleres, d'autant que ces repentances faites avec impetuosité ne se font pas selon la gravité de nos fautes, mais selon nos inclinations.

  A003002280 

 Et croyés moy, Philothee, tout ainsi que les remonstrances d'un pere, faites doucement, et cordiallement ont bien plus de pouvoir sur un enfant pour le corriger que non pas les choleres et courroux; ainsi quand nostre cœur aura fait quelque faute, si nous le reprenons avec des remonstrances douces et tranquilles, ayans plus de compassion de luy que de passion contre luy, l'encourageant à l'amandement, la repentence qu'il en concevra entrera bien plus avant, et elle penetrera mieux que ne feroit pas une repentence despiteuse, ireuse et tempestueuse..

  A003002281 

 Pour moy si j'avois, par exemple, grande affection de ne point tumber au vice de la vanité, et que j'y fusse neantmoins tumbé d'une grande cheute, je ne voudrois pas reprendre mon cœur en cette sorte; N'es tu pas miserable et abominable, qu'apres tant de resolutions tu t'es laissé emporter à cette vanité: meurs de honte, ne leve plus les yeux au Ciel, aveugle, impudent, traistre et desloyal à ton Dieu, et semblables choses: mais je voudrois le corriger raisonnablement et par voye de compassion; Or sus mon pauvre cœur, nous voila tumbés dans la fosse laquelle nous avions tant resolu d'eschaper, ah relevons nous, et quittons la pour jamais: reclamons la misericorde de Dieu et esperons en elle qu'elle nous assistera pour desormais estre plus fermes, et remettons nous au chemin de l'humilité: courage, soyons sur nos gardes, Dieu nous aydera, et desormais nous ferons prou..

  A003002282 

 Relevez doncques vostre cœur quand il tombera, tout doucement, [157*] vous humiliant beaucoup devant Dieu par la recognoissance de vostre misere, sans nullement vous estonner de vostre chêute, puis que ce n'est pas chose admirable que l'infirmité soit infirme, et la foiblesse foible, et la misere chetive.

  A003002288 

 Il y en a qui ne veulent souffrir sinon les tribulations qui sont honnorables; comme par exemple d'estre blessez à la guerre, d'estre prisonnier de guerre, d'estre mal traicté pour la Religion, de s'estre appauvry par quelque querelle, en laquelle ils soyent demeurez maistres: et ceux cy n'ayment pas la tribulation, mais l'honneur qu'elle apporte.

  A003002289 

 Il y en a d'autres qui veulent bien avoir quelque incommodité du mal ce leur semble, mais non pas toutes: ils ne s'impatientent pas, disent ils, d'estre malades, mais de ce qu'ils n'ont pas de l'argent pour se faire penser, ou bien de ce que ceux qui sont autour d'eux en sont importunez.

  A003002293 

 Es contradictions qui vous arriveront en l'exercice de la devotion (car cela ne manquera pas) resouvenez vous de la parole de nostre Seigneur: La femme tandis qu'elle enfante a des grandes angoisses, mais voyant son enfant nay elle les oublie, d'autant qu'un homme luy est nay au monde; car vous avez conceu en vostre ame le plus digne enfant du monde, qui est Jesus Christ: avant qu'il soit produit et enfanté du tout, il ne se peut que vous ne vous ressentiez du travail; mais ayez bon courage, car ces douleurs passées la joye eternelle vous demeurera d'avoir enfanté un tel homme au monde.

  A003002299 

 Les Anges ont soin de nostre salut, et le procurent avec diligence, mais ils n'en ont pour cela point de solicitude, de soucy ny d'empressement: car le soin et diligence appartient à leur charité: mais la solicitude, le soucy et l'empressement seroit totalement contraire à leur felicité, puis que le soin et la diligence peuvent estre accompagnez de tranquillité et paix [161*] d'esprit, mais non pas la sollicitude ny le soucy, et beaucoup moins l'empressement..

  A003002300 

 Mais s'il est possible n'en soyez pas en sollicitude et soucy, c'est à dire, ne les entreprenez pas avec inquietude, anxieté et ardeur: ne vous empressez point à la besongne, car toute sorte d'empressement trouble la raison et le jugement, et nous empesche mesme de bien faire la chose à laquelle nous nous empressons..

  A003002302 

 Les mouches ne nous inquietent pas par leur effort, mais par la multitude; ainsi les grandes affaires ne nous troublent pas tant comme les menues, quand elles sont en grand nombre.

  A003002304 

 Et gardés bien sur toutes choses de quitter sa main et sa protection, pensant d'amasser et recueillir d'avantage: car s'il vous abandonne vous ne ferés point de pas, sans donner du né en terre.

  A003002304 

 Je veux dire, ma Philothee, que quand vous serés parmi les affaires et occupations communes, qui ne requierent pas une attention si forte et si presente, vous regardiez plus Dieu que les affaires: et quand les affaires sont de si grande importance qu'elles requierent toute vostre attention pour les bien faire, de temps en temps, vous regarderez à Dieu, comme font ceux qui navigent en mer, lesquels pour aller à la terre qu'ils desirent, regardent plus en haut au Ciel que non pas en bas, où ils voguent: ainsi Dieu travaillera avec vous, en vous, et pour vous, et vostre travail sera suivy de consolations.

  A003002309 

 Nostre nature humaine decheoit aysement de ses bonnes affections, à cause de la fragilité et mauvaise inclination de nostre chair, qui appesantit l'ame et la tire tous jours contre bas, si elle ne s'esleve souvent en haut à vive force de resolutions; ainsi que les oyseaux retumbent souvent en terre, s'ils ne multiplient les eslancemans et traits d'aisle, pour se maintenir au vol. Pour cela, ma Philothee, vous avés besoin de reïterer et repeter fort souvent les bons propos que vous avés fait de servir Dieu, de peur que ne le [165*] faisant pas vous ne retumbiés en vostre premier estat, ou plustost en un estat beaucoup pire: car les cheutes spirituelles ont cela de propre qu'elles nous precipitent tousjours plus bas que n'estoit l'estat duquel nous estions montés en haut à la devotion.

  A003002315 

 Le troisiesme c'est que s'il vous arrivoit de tomber en quelque mauvaise action, vous vous en releveriez soudainement, moyennant la grace de Dieu; mais ne sont ce pas là des belles, justes, dignes, et genereuses resolutions? Pesez bien en vostre ame combien ceste protestation est saincte, raisonnable et desirable..

  A003002318 

 Mais dittes en verité, fustes vous pas conviée par des doux attraits du S. Esprit? les cordes avec lesquelles Dieu tira vostre petite barque à ce port [167*] salutaire, furent elles pas d'amour et charité? comme vous alla-il amorçant avec son sucre divin, par les Sacremens, par la lecture, par l'oraison? Helas ma fille, vous dormiez, et Dieu veilloit sur vous, et pensoit sur vostre cœur des pensées de paix: il meditoit pour vous des meditations d'amour..

  A003002319 

 Considerez en quel temps Dieu vous tira à ces grandes resolutions, car ce fut en la fleur de vostre aage; ah quel bon-heur d'apprendre tost ce que nous ne pouvons sçavoir que trop tard! S. Augustin ayant esté tiré à l'aage de trente ans s'escrioit: O ancienne beauté, comme t'ay je si tard cogneuë? Helas je te voyois, et ne te considerois point; et vous pourrez bien dire: O douceur ancienne, pourquoy ne t'ay je plustost savourée? helas neantmoins encore ne le meritiez vous pas alors: et partant recognoissant quelle grace Dieu vous a fait de vous attirer en vostre jeunesse, dites avec David: O mon Dieu vous m'avez esclairée et touchée dés ma jeunesse, et jusques à jamais j'annonceray vostre misericorde.

  A003002320 

 La bonne main de Dieu, dit David, a fait vertu, sa dextre m'a relevé; ah je ne mourray pas, mais je vivray, et raconteray de cœur, de bouche, et par œuvres les merveilles de sa bonté..

  A003002320 

 Ne prenez vous point à bon-heur de sçavoir parler à Dieu par l'oraison? d'avoir affection à le vouloir aimer? d'avoir accoisé et pacifié beaucoup de passions qui vous inquietoient? d'avoir esvité plusieurs pechez et embarrassemens de conscience? et en fin d'avoir si souvent communié de plus que vous n'eussiez pas fait, vous unissant à ceste souveraine source des graces eternelles? ah que ces graces sont grandes; il faut, ma fille, les peser au poids du Sanctuaire: c'est la main dextre de Dieu qui a fait tout cela.

  A003002325 

 Bien qu'és jours que vous ferez cet exercice et les autres, il ne soit pas requis de faire une absolue retraitte des conversations, si faut il en faire un peu, sur tout du costé du soir, afin que vous puissiez gaigner le lict de meilleure heure, et prendre le repos de corps et d'esprit, necessaire à la consideration; et parmi le jour il faut faire des frequentes aspirations en Dieu, à N. Dame, aux Anges, à toute la Hierusalem celeste: il faut encor que le tout se face d'un cœur amoureux de Dieu, et de la perfection de vostre ame.

  A003002325 

 Il n'est pas requis ny expedient que vous faciez à genoux sinon le commencement et la fin qui comprend les affections.

  A003002325 

 Le second poinct de l'exercice est un peu long, et pour le pratiquer je vous diray qu'il n'est pas requis que vous le faciez tout d'une traitte, mais à plusieurs fois: comme prenant ce qui regarde vostre deportement envers Dieu pour un coup, ce qui vous regarde vous mesme pour l'autre, ce qui concerne le prochain pour l'autre, et la consideration des passions pour le quatriesme.

  A003002346 

 Si le mary d'une femme revient de loing, tout aussi tost que cette femme s'apperçoit de son retour, et qu'elle sent sa voix, quoy qu'elle soit empressée d'affaire, et retenuë par quelque violente consideration emmy la presse, si est ce que son cœur n'est pas retenu, mais abandonne les autres pensées pour penser à ce mary venu.

  A003002355 

 Le cœur bien ordonné dit plus souvent en soy-mesme, Que diront les Anges si je pense à telle chose? que non pas, Que diront les hommes?.

  A003002357 

 Que vous estimés vous devant Dieu? rien sans doute: or il n'y a pas grande humilité en une mousche de ne s'estimer rien au pris d'une montaigne, ny en une goutte d'eau de se tenir pour rien en comparaison de la mer, ny à une bluette ou estincelle de se tenir pour rien au pris du soleil: mais l'humilité gist à ne point nous surestimer aux autres, et à ne vouloir pas estre surestimés par les autres: à quoy en estes vous pour ce regard? [172*].

  A003002365 

 Estes vous point prompte à parler du prochain en mauvaise part? sur tout de ceux qui ne vous ayment pas? faites vous point de mal au prochain, ou directement, ou indirectement? pour peu que vous soyés raisonnable vous vous en apercevrés aysement..

  A003002370 

 Or il ne faut neantmoins pas se travailler sur un chacun de ces articles, sinon tout doucement, considerant en quel estat nostre cœur a esté touchant iceux, dés nostre resolution, et quelles fautes notables nous y avons commis..

  A003002385 

 Humiliés vous fort devant Dieu, reconnoissant que si vous n'avés pas beaucoup avancé, ç'a esté par vostre manquement, parce que vous n'avez pas fidellement, courageusement et constamment correspondu aux inspirations, clartés et mouvemens que Dieu vous a données, en l'oraison, et ailleurs..

  A003002397 

 Repensés hardiment aux plus chers et violens amusemens, qui ont occupé autrefois vostre cœur; et jugez en verité s'ils n'estoient pas pleins d'inquietude moleste, et de pensees cuisantes, et de soucys importuns, emmy lesquels vostre pauvre cœur estoit miserable..

  A003002403 

 Or sus doncques, pourquoy n'entreprendrons nous pas d'acquérir ces suavitez?.

  A003002404 

 Des vices qui n'en a qu'un peu n'est pas contant, et qui en a beaucoup est mescontant: mais des vertus qui n'en a qu'un peu, encor a-il desja du contentement, et puis tousjours plus en avançant.

  A003002408 

 Considerez l'exemple des Saincts de toutes sortes; qu'est-ce qu'ils n'ont pas fait pour aymer Dieu et estre ses devots? Voyez ces Martyrs invincibles en leurs resolutions; quels tourmens n'ont ils pas soufferts pour la maintenir? mais sur tout ces belles et florissantes dames, plus blanches que le lys en pureté, plus vermeilles que la rose en charité; les unes à douze, les autres à treize, quinze, vingt, et vingt et cinq ans, ont souffert mille sortes de martyres, plustost que de renoncer à leur resolution, non seulement en ce qui estoit de la protestation de la foy, mais en ce qui estoit de la protestation de la devotion: les unes mourant plustost que de quitter la virginité, les autres plustost que de cesser de servir les affligez, et consoler les tourmentez, et ensevelir les trespassez.

  A003002409 

 Mon [177*] Dieu qu'est ce que dit sainct Augustin de sa mere Monique? avec quelle fermeté a elle poursuivie son entreprinse de servir Dieu en son mariage, en son vefvage? Et S. Hierosme de sa chere fille Paula parmy combien de traverses, parmy combien de varieté d'accidens? Mais qu'est ce que nous ne ferons pas sur ces si excellens patrons? Ils estoient ce que nous sommes, ils le faisoient pour le mesme Dieu, pour les mesmes vertus; pourquoy n'en ferons nous autant en nostre condition, selon nostre vocation, pour nostre chere resolution, et sainte protestation?.

  A003002414 

 Ouy, sans doute, comme une femme enceinte prepare le berceau, les linges et bandelettes, et mesme une nourrice pour l'enfant qu'elle pretend faire, encore qu'il ne soit pas au monde; ainsi, ma chere fille, nostre Seigneur ayant sa bonté grosse et enceinte de vous, preendant de vous enfanter au salut, et vous rendre sa fille, il prepara sur l'arbre de la Croix tout ce qu'il falloit pour vous, vostre berceau spirituel, [178*] vos linges et bandelettes, vostre nourrice, et tout ce qu'il falloit pour vostre bon-heur.

  A003002415 

 Ah mon Dieu, que nous devrions profondement mettre cecy en nostre memoire! Est il possible que j'aye esté aymé et si doucement aymé de mon Sauveur, qu'il allast penser en moy, en mon particulier, en toutes ces petites occurrences, par lesquelles il m'a tiré à luy: et combien doncques devons nous aymer, cherir, et bien employer tout cela à nostre utilité? Cecy est bien doux; ce cœur amiable de mon Dieu pensoit en Philothee, l'aymoit et luy procuroit mille moyens de salut, autant comme s'il n'eut point eu d'autre ame au monde en qui il eut pensé; ainsi que le Soleil esclairant un endroit de la terre, ne l'esclaire pas moins que s'il n'esclairast point ailleurs, et qu'il esclairast cela seul.

  A003002420 

 O Dieu quelles resolutions sont cecy, que Dieu a pensées, meditées, projettées dés son eternité? combien nous doivent elles estre cheres et precieuses? que devrions nous souffrir plustost que d'en quitter un seul brin? non pas certes si tout le monde devoit perir: car aussi bien tout le monde ensemble ne vaut pas une ame, et une ame ne vaut rien sans nos resolutions..

  A003002434 

 Non nous ne serons plus nous mesme: car nous aurons le cœur changé: et le monde qui nous a tant trompez, sera trompé en nous: car ne s'appercevant pas de nostre changement que petit à petit, il pensera que nous soyons tousjours des Esaü, et nous nous treuverons des Jacob..

  A003002439 

 Combien y a il de loix civiles aux Digestes et au Code, lesquelles doivent estre observées, mais cela s'entend selon les occurrences, et non pas qu'il les faille toutes prattiquer tous les jours? Au demeurant David, Roy plein d'affaires tres-difficiles, prattiquoit bien plus d'exercices que je ne vous ay pas marqués.

  A003002439 

 Le monde vous dira, ma Philothee, que ces exercices et ces advis sont en si grand nombre, que qui voudra les observer il ne faudra pas qu'il vacque à autre chose.

  A003002439 

 Mais ne voyés vous la ruse? S'il falloit faire tous ces exercices tous les jours, à la verité ils nous occuperoient du tout: mais il n'est pas requis de les faire, sinon en temps et lieu, chacun selon l'occurrence.

  A003002439 

 S. Louys, Roy admirable, et pour la guerre et pour la paix, et qui avec un soin nompareil administrait justice, et manioit les affaires, ouyoit tous les jours deux Messes, disoit Vespre et Complie avec son Chapelein: faisoit la méditation, visitoit les hospitaux, tous les vendredys se confessoit, et prenoit la discipline: ouyoit tres souvent les predications, faisoit fort souvent des conferences spirituelles: et avec tout cela ne perdoit pas une seule occasion du bien publiq exterieur, qu'il ne fist et n'executast diligemment.

  A003002440 

 Et s'il s'en treuve qui n'ayt pas ce don en aucune sorte de degré (ce que je ne pense pas pouvoir arriver que fort rarement) le sage Pere spirituel luy fera aysement suppleer le defaut par l'attention qu'il luy enseignera d'avoir ou à lire ou à ouïr lire les mesmes considerations qui sont mises és meditations..

  A003002440 

 Il est vray sans doute, j'ay presupposé cela: et est vray encores que chacun n'a pas le don de l'oraison mentale: mais il est vray aussi que presque chacun le peut avoir, voire les plus grossiers, pourveu qu'ils ayent des bons conducteurs, et qu'ils veuillent travailler pour l'acquerir, autant que la chose le merite.

  A003002440 

 Le monde dira, que je presuppose presque par tout que ma [182*] Philothée aye le don de l'oraison mentale, et que neantmoins chacun ne l'a pas: si que cette Introduction ne servira pas pour tous.

  A003002445 

 Faites profession ouverte de vouloir estre devote; je ne dis pas d'estre devote, mais je dis de le vouloir estre; et n'ayes point de honte des actions communes et requises qui nous conduisent à l'amour de Dieu; advoüés hardiment, que vous vous essaïés de mediter, que vous aymeriés mieux mourir que de pecher mortellement, que vous voulés frequenter les Sacremens, et suyvre les conseils de vostre Directeur (bien que souvent il ne soit pas necessaire de le nommer, pour plusieurs raisons) car cette franchise de confesser qu'on veut servir Dieu, et qu'on s'est consacré à son amour, [183*] d'une specialle affection, est fort aggreable à sa divine Majesté, qui ne veut point que l'on ayt honte de luy ny de sa Croix: et puis elle coupe chemin à beaucoup de semonces, que le monde voudroit faire au contraire, et nous oblige de reputation à la poursuitte.

  A003002445 

 Que si quelqu'un vous dit que l'on peut vivre devotement sans la prattique de ces advis et exercices, ne le niez pas, mais respondés amiablement, que vostre infirmité est si grande qu'elle requiert plus d'aydes et de secours qu'il n'en faut pas pour les autres..

  A003002446 

 Ma Philothee, ma fille, regardés le Ciel, et ne le quittez pas pour la terre.

  A003002446 

 Regardez l'enfer, ne vous y jettez pas pour ces vanitez: regardez vous vous mesme, et ne vous damnez pas pour aucune chose; regardez l'Eternité, et ne l'abandonnez pas pour les moments: regardez Jesus, ne le renoncez pas pour le monde.


04-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome IV-Vol.1-Traitte de l'amour de Dieu.html
  A004000007 

 Pas être utilisés à des fins commerciales de toute nature!.

  A004000031 

 Chapitre XVII. Que nous n'avons pas naturellement le pouvoir d'aymer Dieu sur toutes choses 35.

  A004000032 

 Chapitre XVIII. Que l'inclination naturelle que nous avons d'aymer Dieu n'est pas inutile.

  A004000044 

 Chapitre XI. Qu'il ne tient pas a la divine Bonté que nous n'ayons un tres excellent amour 52.

  A004000101 

 Chapitre IV. Qu'en ce monde l'amour prend sa naissance mais non pas son excellence, de la connoissance de Dieu.

  A004000136 

 Mays comme nous sçavons bien que toute la clarté du jour provient du soleil, et disons neanmoins pour l'ordinaire que le soleil n'esclaire pas sinon quand a descouvert il darde ses rayons en quelque endroit, de mesme, bien que toute la doctrine chrestienne soit de l'amour sacré, si est ce que nous n'honnorons pas indistinctement toute la theologie du tiltre de ce divin [4] amour, ains seulement les parties d'icelle qui contemplent l'origine, la nature, les proprietés et les operations d'iceluy en particulier..

  A004000139 

 En nostre aage aussi plusieurs en ont escrit, desquelz je n'ay pas eu le loysir de lire distinctement les livres, ains seulement par ci par la, autant qu'il estoit requis pour voir si celuy ci pourroit encor treuver place.

  A004000140 

 Je ne veux rien dire du Parenetique de ce fleuve d'eloquence qui flotte meshuy parmi toute la France par la multitude et varieté de ses sermons et beaux escritz; l'estroitte consanguinité spirituelle que mon ame a contractee avec la, sienne, lors que par l'imposition [6] de mes mains il receut le caractere sacré de l'ordre episcopal, pour le bonheur du diocese de Belley et l'honneur de l'Eglise, outre mille nœuds d'une sincere amitié qui nous lient ensemble, ne permettent pas que je puisse parler avec credit de ses ouvrages, entre lesquelz ce Parenetique de l'Amour divin fut une des premieres saillies de la non pareille affluence d'esprit que chacun admire en luy.

  A004000140 

 Mays en fin, la bienheureuse Therese de Jesus a si bien escrit des mouvemens sacrés de la dilection, en tous les livres qu'elle a laissés, qu'on est ravi de voir tant d'eloquence en une si grande humilité, tant de fermeté d'esprit en une si grande simplicité; et sa tres sçavante ignorance fait paroistre tres ignorante la science de plusieurs gens de lettres, qui, apres un grand tracas d'estude, se voyent honteux de n'entendre pas ce qu'elle escrit si heureusement de la prattique du saint amour.

  A004000141 

 Il me semble mesme que mon dessein n'est pas celuy des autres, sinon en general, entant que nous visons tous a la gloire du saint amour: mays de ceci la lecture t'en fera foy..

  A004000141 

 Or, quoy que ce Traitté que je te presente, mon cher Lecteur, suive de bien loin tous ces excellens livres, sans espoir de les pouvoir aconsuivre, si est ce que j'espere tant en la faveur des deux amans celestes auxquelz je le dedie, qu'encor te pourra-il rendre quelque sorte de service, et que tu y rencontreras beaucoup [7] de bonnes considerations qu'il ne te seroit pas si aysé de treuver ailleurs, comme reciproquement tu treuveras ailleurs plusieurs belles choses qui ne sont pas icy.

  A004000142 

 Que si outre cela tu treuves quelque autre chose, ce sont des surcroissances qu'il n'est presque pas possible d'eviter a celuy qui, comme moy, escrit entre plusieurs distractions: mais je croy bien pourtant que rien ne sera sans quelque sorte d'utilité.

  A004000144 

 Cependant, plusieurs peut estre aussi eussent treuvé mauvais de ne voir pas icy toute la suite de ce qui appartient au traitté du celeste amour.

  A004000144 

 Quelques uns peut estre treuveront que j'ay trop dit, [8] et qu'il n'estoit pas requis de prendre ainsy les discours jusques dans leurs racines; mays je pense que le divin amour est une plante pareille a celle que nous appelions angelique, de laquelle la racine n'est pas moins odorante et salutaire que le tige et les feuilles.

  A004000145 

 Je cite aucunefois l'Escriture Sainte en autres termes que ceux qui sont portés par l'edition ordinaire: o vray Dieu, mon cher Lecteur, ne me fay pas pour cela ce tort de croire que je veuille me departir de cette edition-la; ah non, car je sçai que le Saint Esprit l'a authorisee par le sacré Concile de Trente, et que partant nous nous y devons tous arrester; ains au contraire, je n'employe les autres versions que pour le service de celle ci, quand elles expliquent et confirment son vray sens.

  A004000146 

 J'ay souvent cité le sacré Psalmiste en vers, et ç'a esté pour recreer ton esprit et selon la facilité que j'en ay eu par la belle traduction de Philippe des Portes, abbé de Tiron, de laquelle neanmoins je me suis quelquefois departi: non certes cuydant de pouvoir faire mieux les vers que ce fameux poete, car je serois un grand impertinent si n'ayant jamais seulement pensé a cette sorte d'escrire, je pretendois d'y reuscir en un aage et en une condition de vie qui m'obligeroit de m'en retirer si jamais j'y avois esté engagé; mays en quelques endroitz ou il y pouvoit avoir plusieurs intelligences, je n'ay pas suivi ses vers parce que je ne voulois pas suivre son sens; comme au Psalme CXXXII, il a entendu un mot latin qui y est, des franges de la robbe, que j'ay estimé devoir estre pris pour le collet: c'est pourquoy j'ay fait la traduction a mon gré..

  A004000147 

 Je ne dis rien que je n'aye appris des autres: or, il [10] me seroit impossible de me resouvenir de qui j'ay receu chasque chose en particulier, mays je t'asseure bien que si j'avois tiré de quelque autheur des grandes pieces dignes de quelque remarque, je ferois conscience de ne luy en rendre pas la louange qu'il en meriteroit.

  A004000148 

 Car tout ainsy, dit-il, que les voyagers, sachans qu'il y a quelque beau jardin a vingt ou vingt cinq pas de leur chemin, se destournent aysement de si peu pour l'aller voir, ce qu'ilz ne feroyent pas s'ilz sçavoyent qu'il fust plus esloigné de leur route, de mesme ceux qui sçavent que la fin d'un chapitre n'est guere esloignee du commencement, ilz entreprennent volontier de le lire, ce qu'ilz ne feroyent pas, pour aggreable qu'en fust le sujet, s'il failloit beaucoup de tems pour en achever la lecture.

  A004000148 

 Je n'ay pas tous-jours exprimé la suite des chapitres, mais si tu y prens garde, tu treuveras aysement les nœuds de leur liayson.

  A004000149 

 J'admiray qu'il se treuvast des hommes qui, pour vouloir paroistre hommes, se monstrassent en effect si peu hommes; car je te laisse a penser, mon cher Lecteur, si la devotion n'est pas egalement pour les hommes comme pour les femmes, et s'il ne faut pas lire avec pareille attention et reverence la seconde Epistre de saint Jean, addressee a la sainte dame Electa, comme la troysiesme qu'il destine a Caïus, et si mille et mille lettres ou excellens traittés des anciens Peres de l'Eglise doivent estre tenus pour inutiles aux hommes, d'autant qu'ilz sont addressés a des saintes femmes de ce tems-la.

  A004000149 

 Un grand serviteur de Dieu m'advertit n'a guere que l'addresse que j'avois faite de ma parole a Philothee, en l' Introduction a la Vie devote, avoit empesché plusieurs hommes d'en faire leur proffit, d'autant qu'ilz n'estimoyent pas digne de la lecture d'un homme les advertissemens faitz pour une femme.

  A004000150 

 Toutefois, pour imiter en cette occasion le grand Apostre qui s'estimoit redevable a tous, j'ay changé d'addresse en ce Traitté, et parle a Theotime: que si d'aventure il se treuvoit des femmes (or cette impertinence seroit plus supportable en elles) qui ne voulussent pas lire les enseignemens qu'on fait a un homme, je les prie de croire que le Theotime auquel je parle est l'esprit humain, qui desire faire progres en la dilection sainte, esprit qui est egalement es femmes comme es hommes..

  A004000151 

 Et certes, comme je n'ay pas voulu suivre ceux qui mesprisent quelques livres qui traittent d'une certaine vie sureminente en perfection, aussi n'ay-je pas voulu parler de cette sureminence; car ni je ne puis censurer les autheurs, ni authoriser les censeurs d'une doctrine que je n'entens pas..

  A004000154 

 Mays je ne fay pas pourtant profession d'estre escrivain, car la pesanteur de mon esprit et la condition de ma vie, exposee au service et a l'abord de plusieurs, ne le me sçauroyent permettre.

  A004000154 

 Pour cela j'ay donq fort peu escrit, et beaucoup moins mis en lumiere; et pour suivre le conseil et la volonté de mes amis je te diray que c'est, affin que tu n'attribues pas la louange [14] du travail d'autruy a celuy qui n'en merite point du sien propre..

  A004000159 

 Or, despuis peu on a reimprimé cette Defense sous le tiltre prodigieux de la Pantalogie ou Tresor de la Croix, tiltre auquel jamais je ne pensay, comme en verité aussi ne suis-je pas homme d'estude ni de loysir ni de memoire pour pouvoir assembler tant de pieces de prix en un livre, qu'il puisse porter le tiltre de [17] Tresor ni de Pantalogie, et ces frontispices insolens me sont en horreur:.

  A004000166 

 Et moy, sachant la qualité de ces censeurs, je loue leur intention que je pense avoir esté bonne; mays j'eusse neanmoins desiré qu'il leur eust pleu de considerer que la premiere proposition est puisee de la commune et veritable doctrine des plus saintz et sçavans theologiens, que j'escrivois pour les gens qui vivent emmi le monde et les cours, qu'au partir de la j'inculque soigneusement l'extreme peril qu'il y a es danses; et que, quant à la seconde proposition, avec le mot de quolibet, elle n'est pas de moy, mais de cet admirable roy saint Loüys, docteur digne d'estre suivi en l'art de bien conduire les courtisans a la vie devote.

  A004000166 

 Troys ou quattre ans apres, je mis en lumiere l' Introduction a la Vie devote, pour les occasions et en la façon que j'ay remarqué en la Preface d'icelle; dont je n'ay rien a te dire, mon cher Lecteur, sinon que, si ce livret a receu generalement un gracieux et doux accueil, voire mesme parmi les plus graves prelatz et docteurs de l'Eglise, il n'a pas pourtant esté exempt d'une rude censure de quelques uns qui ne m'ont pas seulement blasmé, mais m'ont asprement baffoüé en publiq de ce que je dis a Philothee que le bal est une action de soymesme indifferente, et qu'en recreation on peut dire des quolibetz.

  A004000168 

 Et c'est une bonne partie de ce que je te communique maintenant que je dois a cette benite assemblee, parce que celle qui en est la Mere et y preside, sachant que j'escrivois sur ce sujet et que neanmoins malaysement pourrois-je tirer la besoigne au jour, si Dieu ne m'aydoit fort specialement et que je ne fusse continuellement pressé, ell'a eu un soin continuel de prier et faire prier pour cela, et [20] de me conjurer saintement de recueillir tous les petitz morceaux de loysir qu'elle estimoit pouvoir estre sauvés, par ci par la, de la presse de mes empeschemens, pour les employer a ceci: et parce que cette ame m'est en la consideration que Dieu sçait, elle n'a pas eu peu de pouvoir pour animer la mienne en cette occasion..

  A004000169 

 On ne reuscit pas tous-jours egalement: si je demeure court en ce Traitté, mon cher Lecteur, fay que ta bonté s'avance, et Dieu benira ta lecture..

  A004000179 

 Affin qu'une musique soit belle, il ne faut pas seulement que les voix soyent nettes, claires et bien distinguees, mays qu'elles soyent alliees en telle sorte les unes aux autres, qu'il s'en fasse une juste consonance et harmonie, par le moyen de l'union qui est en la distinction et la distinction qui est en l'union des voix, que non sans cause on appelle un accord discordant, ou plustost une discorde accordante..

  A004000180 

 Et c'est pourquoy, jamais, a proprement parler, nous n'attribuons la beauté corporelle sinon aux objetz des deux sens qui sont les plus connoissans et qui servent le plus a l'entendement, qui sont la veüe et l'ouye; si que nous ne disons pas: voyla des belles odeurs ou des belles saveurs; mays nous disons bien: voyla des belles voix et des belles couleurs..

  A004000180 

 Or, comme dit excellemment l'angelique saint Thomas apres le grand saint Denis, la beauté et la bonté, [23] bien qu'elles ayent quelque convenance, ne sont pas neanmoins une mesme chose: car le bien est ce qui plait a l'appetit et volonté, le beau, ce qui plait a l'entendement et a la connoissance; ou, pour le dire autrement, le bon est ce dont la jouissance nous delecte, le beau, ce dont la connoissance nous aggree.

  A004000182 

 Mais quant aux choses animees et vivantes, leur beauté n'est pas accomplie sans la bonne grace, laquelle, outre la convenance des parties parfaittes qui fait la beauté, adjouste la convenance des mouvemens, gestes et actions, qui est comme [24] l'ame et la vie de la beauté des choses vivantes.

  A004000187 

 Le pere de famille conduit sa femme, ses enfans et ses serviteurs par ses ordonnances et commandemens, auxquelz ilz sont obligés d'obeir, bien qu'ilz puissent ne le faire pas; que s'il a des serfz et esclaves, il les gouverne par la force, a laquelle ilz n'ont nul pouvoir de contredire; mays ses chevaux, ses boeufs, ses muletz, il les manie par industrie, les liant, bridant, piquant, enfermant, laschant..

  A004000189 

 C'est ainsy, Theotime, que Nostre Seigneur enseigne qu' il y a des eunuques qui sont telz pour le Royaume des cieux, c'est a dire qui ne sont pas eunuques d'impuissance naturelle, mais par l'industrie de laquelle leur volonté se sert pour les retenir dans la sainte continence.

  A004000189 

 C'est sottise de commander a un cheval qu'il ne s'engraisse pas, qu'il ne croisse pas, qu'il ne regimbe pas: si vous desirés tout cela, leves-luy le ratelier; il ne luy faut pas commander, il le faut gourmander pour le dompter..

  A004000189 

 Il faut oster ou donner a la faculté qui produit, les objetz et sujetz et les alimens qui la fortifient, selon que la rayson le requiert; il faut divertir les yeux, ou les couvrir de leur chaperon naturel et les fermer, si on veut qu'ilz ne voyent pas; et avec ces artifices on les reduira au point que la volonté desire.

  A004000189 

 Il ne faut pas, Theotime, commander a nos yeux de ne voir pas, ni a nos oreilles de n'ouïr pas ni a nos mains de ne toucher pas, ni a nostre stomach [26] de ne digerer pas, ni a nos cors de ne croistre pas ou de ne produire pas; car toutes ces facultés n'ont nulle intelligence, et partant sont incapables d'obeissance.

  A004000189 

 Il ne faut pas, certes, faire les ordonnances d'abstinence, sobrieté, continence a l'estomach, au gosier, au ventre; mais il faut commander aux mains de ne point fournir a la bouche les viandes et breuvages, qu'en telle et telle mesure.

  A004000189 

 Le medecin traittant un enfant de berceau, ne luy commande chose quelconque, mays il ordonne bien a la nourrice qu'elle luy fasse telle et telle chose; ou bien quelquefois il ordonne qu'elle mange telle ou telle viande, qu'elle prenne tel medicament, dont la qualité se respandant dans le laict, et le laict dans le cors du petit enfant, la volonté du medecin reussit en ce petit malade qui n'a pas seulement le pouvoir d'y penser.

  A004000189 

 Mais quant a nos sens et a la faculté de nourrir, croistre et produire, nous ne les pouvons pas gouverner si aysement, ains il nous y faut employer l'industrie et l'art.

  A004000189 

 Si l'on appelle un esclave, il vient; si on luy dit qu'il arreste, il arreste: mais il ne faut pas attendre cette obeissance d'un espervier ou faucon; qui le veut faire revenir, il luy faut monstrer le leurre, qui le veut accoiser, il luy faut mettre le chaperon.

  A004000190 

 Il est vray qu'elle ne les peut pas manier ni ranger si absolument comme elle fait les mains, les pieds ou la langue, a rayson des facultés sensitives, et notamment de la fantasie, qui n'obeissent pas d'une obeissance prompte et infallible a la volonté, et desquelles puissances sensitives la memoire et l'entendement ont besoin pour operer: mays toutefois, la volonté les remue, les employe et applique selon qu'il luy plaist, bien que non pas si fermement et invariablement que la fantasie variante et volage ne les divertisse maintefois, les distraisant ailleurs; de sorte que comme l'Apostre s'escrie: Je fay non le bien que je veux, mays le mal que je hay, aussi nous sommes souvent contrains de nous plaindre dequoy nous pensons, non le bien que nous aymons, mais le mal que nous haïssons..

  A004000194 

 La volonté donques, Theotime, domine sur la memoire, l'entendement et la fantasie, non par force mais par authorité, en sorte qu'elle n'est pas tous-jours infalliblement obeie, non plus que le pere de famille ne l'est pas aussi tous-jours par ses enfans et serviteurs.

  A004000194 

 Ton ennemi peut exciter en toy le sentiment de la tentation, mais tu peux, si tu veux, ou donner ou refuser le consentement.» Si tu permetz a l'appetit de te porter au peché, alhors tu seras sous iceluy et il te maistrisera, parce que quicomque fait le peché, il est serf du peché; mais avant que tu faces le peché, tandis que le peché n'est pas encor en ton consentement, mays seulement en ton sentiment, c'est a dire qu'il est encor en ton appetit et non en ta volonté, ton appetit est sous toy, et tu le maistriseras.

  A004000196 

 Si le bien est consideré en soy, selon sa naturelle bonté, il excite l'amour, premiere et principale passion; si le bien est regardé comme absent, il nous provoque au desir; si, estant desiré, on estime de le pouvoir obtenir, on entre en esperance; si on pense de ne le pouvoir pas obtenir, on sent le desespoir; mais quand on le possede comme present, il nous donne la joye.

  A004000198 

 «Entre nous autres Chrestiens,» dit le grand saint Augustin, «selon les Escritures Saintes et la doctrine saine, les citoyens de la sacree Cité de Dieu, vivans selon Dieu au pelerinage de ce monde, craignent, desirent, se deulent et se res-jouissent.» Ouy mesme le Roy souverain de cette Cité a craint, desiré, s'est doulu et res-joui jusques a pleurer, blesmir, trembler et suer le sang, bien qu'en luy ces mouvemens n'ont pas esté des passions pareilles aux nostres; dont [31] le grand saint Hierosme, et apres luy l'Escole, ne les a pas osé nommer du nom de passions, pour la reverence de la personne en laquelle ilz estoyent, ains du nom respectueux de propassions, pour tesmoigner que les mouvemens sensibles en Nostre Seigneur y tenoyent lieu de passions, bien qu'ilz ne fussent pas passions; d'autant qu'il ne patissoit ou souffroit chose quelconque de la part d'icelles, sinon ce que bon luy sembloit et comme il luy plaisoit, les gouvernant et maniant a son gré; ce que nous ne faysons pas, nous autres pecheurs, qui souffrons et patissons ces mouvemens en desordre contre nostre gré, avec un grand prejudice du bon estat et police de nos ames..

  A004000202 

 L'amour estant la premiere complaisance que nous avons au bien, ainsy que nous dirons tantost, certes il precede le desir; et d'effect, qu'est-ce que l'on desire, sinon ce que l'on ayme? Il precede la delectation; car, comme pourroit-on se res-jouir en la jouissance d'une chose, si on ne l'aymoit pas? Il precede l'esperance, car on n'espere que le bien qu'on ayme; il precede la hayne, car nous ne haïssons le mal que pour l'amour que nous avons envers le bien, ains le mal n'est pas mal sinon parce qu'il est contraire au bien: et c'en est de mesme.

  A004000205 

 Mais il y a une liberté en la volonté qui ne se treuve pas en la femme mariee; et c'est que la volonté peut rejetter son amour quand elle veut, appliquant l'entendement aux motifz qui l'en peuvent desgouster et prenant resolution de changer d'objet: car ainsy, pour faire vivre et regner l'amour de Dieu en nous, nous amortissons l'amour propre, et, si nous ne pouvons l'aneantir du tout, au moins nous l'affoiblissons, en sorte que, s'il vit en nous, il n'y regne plus; comme au contraire, nous pouvons, en quittant l'amour sacré, adherer a celuy des creatures, qui est l'infame adultere que le celeste Espoux reproche si souvent aux pecheurs.

  A004000205 

 Mays pour tout cela il ne s'ensuit pas que la volonté [33] ne soit encor regente sur l'amour, d'autant que la volonté n'ayme qu'en voulant aymer, et, de plusieurs amours qui se presentent a elle, elle peut s'attacher a celuy que bon luy semble: autrement il n'y auroit point d'amour ni prohibé ni commandé.

  A004000209 

 Il n'y a pas moins de mouvemens en l'appetit intellectuel ou raysonnable qu'on appelle volonté, qu'il y en a en l'appetit sensible ou sensuel; mays ceux la sont ordinairement appellés affections, et ceux cy, passions.

  A004000209 

 Or, tous ces mouvemens estoient en la partie raysonnable, puisque les sens, ni par consequent l'appetit sensuel, ne sont pas capables d'estre appliqués a ces objetz, et partant, ces mouvemens estoient des affections de l'appetit intellectuel ou raysonnable, et non pas des passions de l'appetit sensuel..

  A004000210 

 Combien de fois avons-nous des passions en l'appetit sensuel ou convoitise, contraires aux affections que nous sentons en mesme tems dans l'appetit raysonnable ou dans la volonté? Le jeune homme duquel parle saint Hierosme, se coupant la langue a belles dens, et la crachant sur le nés de cette maudite femme qui l'enflammoit a la volupté, ne tesmoignoit-il pas d'avoir en la volonté une extreme affection de desplaysir, contraire a la passion du playsir que, par force, on luy faisoit sentir en la convoitise et appetit sensuel? Combien de fois tremblons nous de crainte entre les [35] hazards ausquelz nostre volonté nous porte et nous fait demeurer? combien de fois haïssons nous les voluptés esquelles nostre appetit sensuel se plait, aymans les biens spirituelz esquelz il se desplait? En cela consiste la guerre que nous sentons tous les jours entre l'esprit et la chair; entre nostre homme exterieur, qui depend des sens, et l'homme interieur, qui depend de la rayson; entre le viel Adam, qui suit les appetitz de son Eve ou de sa convoitise, et le nouvel Adam, qui seconde la sagesse celeste et la sainte rayson..

  A004000211 

 Et certes, Theotime, ilz n'eurent pas tort de vouloir qu'il y eust des eupathies et bonnes affections en la partie raysonnable de l'homme, mais ilz eurent tort de dire qu'il n'y avoit point de passions en la partie sensitive et que la tristesse ne touchoit point le cœur de l'homme sage; car, laissant a part que eux mesmes en estoyent troublés, comme il a esté dit, se pourroit-il bien faire que la sagesse nous privast de la misericorde, qui est une vertueuse tristesse laquelle arrive en nos cœurs pour nous porter au desir de delivrer le prochain du mal qu'il endure? Aussi, le plus homme de bien de tout le paganisme, Epictete, ne suivit pas cet erreur, que les passions ne s'eslevassent point en l'homme sage, ainsy que saint Augustin atteste, lequel mesme monstre encores que la dissension des Stoïciens [36] avec les autres philosophes en ce sujet, n'a pas esté qu'une pure dispute de paroles et desbat de langage..

  A004000211 

 Les Stoïciens, ainsy que saint Augustin le rapporte, nians que l'homme sage puisse avoir des passions, confessoient neanmoins, ce semble, qu'il avoit des affections, lesquelles ilz appelloyent eupathies et bonnes passions, ou bien, comme Ciceron, constances; car ilz disoyent que le sage ne convoitoit pas, mays vouloit; qu'il n'avoit point de liesse, mays de joye; qu'il n'avoit point de crainte, mays de prevoyance et precaution: en sorte qu'il n'estoit esmeu sinon pour la rayson et selon la rayson.

  A004000218 

 Ce n'est certes pas sans mystere que les derniers entre ces freres emportent ainsy les advantages sur leurs aisnés.

  A004000228 

 Ne voyla pas toutes les parties d'un vif amour bien representees en ces choses inanimees?.

  A004000230 

 Ce mouvement d'amour estant donq ainsy dependant de la complaysance, en sa naissance, conservation et perfection, et se treuvant tous-jours inseparablement conjoint avec icelle, ce n'est pas merveille si ces grans espritz ont estimé que l'amour et la complaisance fussent une mesme chose, bien qu'en verité, l'amour estant une vraye passion de l'ame, il [43] ne peut estre la simple complaysance, mais faut qu'il soit le mouvement qui proceded'icelle..

  A004000231 

 Mais quand le bien devers lequel le cœur s'est retourné, incliné et esmeu, se treuve esloigné, absent ou futur, ou que l'union ne se peut pas encor faire si parfaittement qu'on pretend, alhors le mouvement d'amour par lequel le cœur tend, s'avance et aspire a cet objet absent, s'appelle proprement desir; car le desir n'est autre chose que l'appetit, convoitise ou cupidité des choses que nous n'avons pas, et que neanmoins nous pretendons d'avoir..

  A004000232 

 Nous pouvons bien dire: je desirerois d'estre jeune, mais nous ne dirons pas: je desire d'estre jeune, puisque cela n'est pas possible.

  A004000232 

 Or, ce sont des desirs, mais desirs imparfaitz lesquelz, ce me semble, a proprement parler s'appellent souhaitz: et de fait, telles affections ne s'expriment pas comme les desirs; car quand nous exprimons nos vrays desirs, nous disons: je desire, [44] mays quand nous exprimons nos desirs imparfaitz, nous disons: je desirerois, ou, je voudrois.

  A004000233 

 Ce n'est pas encor tout, Theotime, car il y a des desirs et souhaitz qui sont encor plus imparfaitz que ceux que nous venons de dire, d'autant que leur mouvement n'est pas arresté par l'impossibilité ou extreme difficulté, mais par la seule incompatibilité qu'ilz ont avec des autres desirs ou vouloirs plus puissans; comme quand un malade desire de manger des potirons ou melons, et quoy qu'il en ait a son commandement, il ne veut neanmoins pas en manger, parce qu'il craint d'empirer son mal: car qui ne voici deux desirs en cet [45] homme, l'un de manger des potirons, et l'autre de guerir? mays parce que celuy de guerir est plus grand, il estouffe et suffoque l'autre, l'empeschant de produire aucun effect.

  A004000233 

 Jephté souhaitoit de conserver sa fille, mays parce que cela estoit incompatible avec le desir d'observer son vœu, il voulut ce qu'il ne souhaitoit pas, qui estoit de sacrifier sa fille, et souhaita ce qu'il ne voulut pas, qui estoit de conserver sa fille.

  A004000233 

 Selon les souhaitz des choses impossibles, nous disons: je souhaitte, mais je ne puis; et selon les souhaitz des choses possibles, nous disons: je souhaitte, mais je ne veux pas.

  A004000237 

 Or, ceux la n'ont pas bien rencontré qui ont creu que la ressemblance estoit la seule convenance qui produisoit l'amour; car qui ne sçait que les viellars les plus sensés ayment tendrement et cherement les petitz enfans, et sont reciproquement aymés d'eux; que les sçavans ayment les ignorans, pourveu [47] qu'ilz soyent dociles, et les malades, leurs medecins? Que si nous pouvons tirer quelqu'argument de l'image d'amour qui se void es choses insensibles, quelle ressemblance peut faire tendre le fer a l'aymant? un aymant n'a-il pas plus de ressemblance avec un autre aymant ou avec une autre pierre, qu'avec le fer qui est d'un genre tout différent? Et bien que quelques uns, pour reduire toutes les convenances a la ressemblance, asseurent que le fer tire le fer, et l'aymant tire l'aymant, si est ce qu'ilz ne sçauroyent rendre rayson pourquoy l'aymant tire plus puyssamment le fer, que le fer ne tire le fer mesme.

  A004000238 

 Ainsy l'amour ne se fait pas tous-jours par la ressemblance et simpathie, ains par la correspondance et proportion, qui consiste en ce que par l'union d'une chose a une autre elles puissent recevoir mutuellement de la perfection et devenir meilleures.

  A004000238 

 La convenance donq qui cause l'amour ne consiste pas tous-jours en la ressemblance, mais en la proportion, rapport ou correspondance de l'amant a la chose aymee: car ainsy ce n'est pas la ressemblance qui rend aymable le medecin au malade, ains la correspondance de la necessité de l'un avec la suffisance de l'autre, d'autant que l'un a besoin du secours que l'autre peut donner; comme aussi le medecin ayme le malade, et le sçavant son apprentif, parce qu'ilz peuvent exercer leurs facultés sur eux.

  A004000238 

 La teste, certes, ne ressemble pas au cors, ni la main au bras, mais neanmoins, ces choses ont une si grande correspondance et joignent si proprement l'une a l'autre, que par leur mutuelle conjonction elles s'entreperfectionnent excellemment: c'est pourquoy, si ces parties-la avoyent chacune une ame distincte, [49] elles s'entr'aymeroyent parfaittement, non point par ressemblance, car elles n'en ont point ensemble, mays pour la correspondance qu'elles ont a leur mutuelle perfection.

  A004000252 

 Il faut pourtant prendre garde qu'il y a des unions naturelles, comme celle de ressemblance, consanguinité et de la cause avec son effect, et d'autres, lesquelles, n'estans pas naturelles, peuvent estre dites volontaires, car bien qu'elles soyent selon la nature, elles ne se font neanmoins que par nostre volonté; comme celle qui prend son origine des bienfaitz, qui unissent indubitablement celuy qui les reçoit a celuy qui les fait, celle de la conversation et compaignie, et autres semblables.

  A004000253 

 Ce n'est pas, Theotime, qu'il n'y ait quelque sorte de passions en l'homme lesquelles, comme le guy vient sur les arbres par maniere d'excrement et de surcroissance, naissent aussi bien souvent parmi l'amour et autour de l'amour; mais neanmoins elles ne sont pas ni l'amour ni partie de l'amour, ains sont des excremens et superfluités d'iceluy, lesquelles non seulement ne sont pas prouffitables pour maintenir ou perfectionner l'amour, mais au contraire l'endommagent grandement, l'affoiblissent, et en fin finale, si on ne les retranche, le ruinent tout a fait; dequoy voyci la rayson..

  A004000253 

 Mais a quelle sorte d'union tend-il? N'aves-vous pas remarqué, Theotime, que l'Espouse sacree exprime son souhait d'estre unie avec son Espoux, par le bayser, et que le bayser represente l'union spirituelle qui se fait par la reciproque communication des ames? Certes, c'est l'homme qui ayme, mais il ayme par la volonté, et partant, la fin de son amour est de la nature de sa volonté: mais sa volonté est spirituelle, c'est pourquoy l'union que son amour pretend est aussi spirituelle; d'autant plus que le cœur, siege et source de l'amour, non seulement ne seroit pas perfectionné par l'union qu'il auroit aux choses corporelles, mays en seroit avili.

  A004000255 

 Ce n'est pas que je ne sache ce qu'on dit de Cesar, et que je ne croye ce que tant de grans personnages ont asseuré d'Origene, que leur attention pouvoit a mesme tems s'appliquer a plusieurs objetz; mais pourtant, chacun confesse qu'a mesure qu'ilz l'appliquoyent a plus d'objetz, elle estoit moindre en chacun d'iceux.

  A004000255 

 Il y a donq de la difference entre voir, ouyr, ou sçavoir plus, et voir, ouyr, ou sçavoir mieux; car qui void mieux void moins, et qui void plus ne void pas si bien.

  A004000255 

 Ne voyons-nous pas que le feu, symbole de l'amour, forcé de sortir par la seule bouche du canon, fait un esclat prodigieux, qu'il feroit beaucoup moindre s'il avoit ouverture par deux ou par trois endroitz? Puis donq que l'amour est [56] un acte de nostre volonté, qui le veut avoir non seulement noble et genereux, mais fort, vigoureux et actif, il en faut retenir la vertu et la force dans les limites des operations spirituelles; car qui voudroit l'appliquer aux operations de la partie sensible ou sensitive de nostre ame, il affoibliroit d'autant les operations intellectuelles, esquelles, toutefois, consiste l'amour essentiel..

  A004000261 

 Le basilique, le romarin, la marjoleine, l'hysope, le clou de girofle, la cannelle, la noix muscade, les citrons et le musc, mis ensemble et demeurans en cors, rendent voirement une odeur bien aggreable par le meslange de leur bonne senteur; mays non pas a beaucoup pres de ce que fait l'eau qui en est distillee, en laquelle les suavités de tous ces ingrediens, separees de leur cors, se meslent beaucoup plus excellemment, s'unissans en une tres parfaite odeur qui penetre bien plus l'odorat qu'elles ne feroient pas, si avec elle et son eau les cors des ingrediens se treuvoyent conjointz et unis.

  A004000267 

 Secondement, nous avons en nous l'appetit sensitif, par le moyen duquel nous sommes portés a la recherche et a la fuite de plusieurs choses, par la connoissance sensitive que nous en avons; tout ainsy comme les animaux, desquelz les uns appetent une chose et les autres une autre, selon la connoissance qu'ilz ont qu'elle leur est convenable ou non: et en cet appetit reside, ou d'iceluy provient l'amour que nous appelions sensuel ou brutal, qui, a proprement parler, ne doit neanmoins pas estre appellé amour, ains simplement appetit..

  A004000271 

 Un pere, envoyant son filz ou en la cour ou aux estudes, ne laisse pas de pleurer en le licenciant, tesmoignant qu'encor qu'il veuille selon la portion superieure le despart de cet enfant pour son avancement a la vertu, neanmoins selon l'inferieure il a de la repugnance a la separation; et quoy qu'une fille soit mariee au gré de son pere et de sa mere, si est ce que prenant leur benediction elle excite les larmes, en sorte que la volonté superieure acquiesçant a son despart, l'inferieure monstre de la resistance.

  A004000272 

 Or, ce n'est pas pourtant a dire qu'il y ait en l'homme deux ames, ou deux natures, comme pensoient les Manicheens: «Non,» dit saint Augustin, livre huitiesme de ses Confessions, chapitre dixiesme, «ains la volonté, allechee par divers attraitz, esmeüe par diverses raysons, semble estre divisee en soy mesme, tandis qu'elle est tiree de deux costés, jusques a ce que prenant parti selon sa liberté, elle suit ou l'un ou l'autre;» car alhors la plus puissante volonté surmonte, et gaignant le dessus, ne laisse a l'ame que le ressentiment du mal que le debat luy a fait, que nous appelions contrecœur..

  A004000273 

 En suite dequoy il fit la priere que le calice de la Passion fust transporté de luy, c'est a dire qu'il en fust exempt; en quoy il exprime manifestement le vouloir de la portion inferieure de son ame, laquelle discourant sur les tristes et angoisseux objetz de la Passion qui luy estoit preparee, et de laquelle la vive image estoit representee en son imagination, il en [65] tira, par une consequence tres raysonnable, la fuite et esloignement d'iceux, dont il fait la demande a son Pere: par ou l'on remarque clairement que la portion inferieure de l'ame n'est pas la mesme chose que le degré sensitif d'icelle, ni la volonté inferieure une mesme chose avec l'appetit sensuel; car l'appetit sensuel, ni l'ame selon son degré sensitif, ne sont pas capables de faire aucune demande ni priere, qui sont des actes de la faculté raysonnable, et particulierement ilz ne sont pas capables de parler a Dieu, objet auquel les sens ne peuvent atteindre, pour en donner la connoissance a l'appetit.

  A004000273 

 Et ne faut pas dire qu'il souffrit seulement selon le cors, ni mesme selon l'ame entant qu'elle estoit sensible, ou, qui est la mesme chose, selon le sens; car luy mesme atteste, qu'avant qu'il souffrit aucun tourment exterieur, ni mesme qu'il vit les bourreaux aupres de soy, son ame estoit triste jusques-a la mort.

  A004000273 

 Mais ce mesme Sauveur ayant fait cet exercice de la portion inferieure, et tesmoigné que, selon icelle et les considerations qu'elle faisoit, sa volonté inclinoit a la fuite des douleurs et des peynes, il monstra par apres qu'il avoit la portion superieure, par laquelle adherant inviolablement a la volonté eternelle et au decret que le Pere celeste avoit fait, il accepte volontairement la mort, et nonobstant la repugnance de la partie inferieure de la rayson, il dit: Ah non, mon Pere, que ma volonté ne soit pas faite, ains la vostre.

  A004000277 

 Il y avoit trois parvis au Temple de Salomon: l'un estoit pour les Gentilz et estrangers, qui voulans recourir a Dieu venoyent adorer en Hierusalem; le second estoit pour les Israëlites, hommes et femmes (car la separation des femmes ne fut pas faite par Salomon); le troysiesme estoit pour les prestres et pour l'ordre Levitique; et en fin, outre tout cela, il y avoit le Sanctuaire, ou mayson sacree, en laquelle l e seul grand Prestre avoit acces une fois l'an.

  A004000278 

 Le grand Prestre, entrant dedans le Sanctuaire, obscurcissoit encor la lumiere qui entroit par la porte, jettant force parfums dedans son encensoir, la fumee desquelz rebouschoit les rayons de la clarté que l'ouverture de la porte rendoit; et toute la veüe qui se fait en la supreme pointe de l'ame est en certaine façon obscurcie et couverte par les renoncemens et resignations que l'ame fait, ne voulant pas tant regarder et voir la beauté de la verité et la verité de la bonté qui luy est presentee, qu'elle veut l'embrasser et l'adorer: de sorte que l'ame voudroit presque fermer les yeux, soudain qu'elle a commencé a. voir la dignité de la volonté de Dieu, affin que, sans s'occuper davantage a la considerer, elle peust plus puissamment et parfaitement l'accepter et, par une complaysance absolue, s'unir infiniment et se sous-mettre a elle..

  A004000279 

 La lumiere de la foy, representee par la manne cache [68] dans la cruche, par laquelle nous acquiesçons a la verité des mysteres que nous n'entendons pas; 2.

  A004000279 

 la suavité de la tressainte charité, representee es commandemens de Dieu, qu'elle comprend, par laquelle nous acquiesçons a l'union de nostre esprit avec celuy de Dieu, laquelle nous ne sentons presque pas.

  A004000280 

 L'ame de saint Paul se sentit pressee de deux divers desirs, l'un desquelz fut d'estre deslié de son cors pour aller au Ciel avec Jesus Christ, et l'autre, de demeurer en ce monde pour y servir a la conversion des peuples: l'un et l'autre desir estoit sans doute en la partie superieure, car ilz procedoient tous deux de la charité; mais la resolution de suivre le dernier ne se fit pas par discours, ains par une simple veüe et un simple sentiment de la volonté du Maistre, a laquelle la seule pointe de l'esprit de ce grand serviteur acquiesça, au prejudice de tout ce que le discours pouvoit conclure..

  A004000281 

 Mais si la foy, l'esperance et la charité se forment par ce saint acquiescement en la pointe de l'esprit, comment est-ce qu'au degré inferieur se peuvent faire les discours qui dependent de la lumiere de la foy? Ainsy que nous voyons que les advocatz au barreau [69] disputent avec beaucoup de discours sur les faitz et droitz des parties, et que le Parlement ou Senat resoult d'en haut toutes les difficultés par un arrest, lequel estant prononcé, les advocatz et auditeurs ne laissent pas de discourir entr'eux sur les motifs que le Parlement peut avoir eu, de mesme, Theotime, apres que les discours, et sur tout la grace de Dieu, ont persuadé a la pointe et supreme eminence de l'esprit d'acquiescer et former l'acte de la foy par maniere d'arrest, l'entendement ne laisse pas de discourir derechef sur cette mesme foy ja conceue, pour considerer les motifs et raysons d'icelle; mais cependant, les discours de theologie se font au parquet et barreau de la portion superieure de l'ame, et les acquiescemens, en haut, au siege et tribunal de la pointe de l'esprit.

  A004000286 

 Mays si celuy a qui nous voulons du bien ne l'a pas encor, nous le luy desirons, et partant, cet amour se nomme amour de desir..

  A004000289 

 Or, quand par cette dilection nous ne preferons pas de beaucoup un ami aux autres, elle s'appelle simple dilection; mais quand, au contraire, nous preferons grandement et de beaucoup un ami aux autres de sa sorte, alhors cette amitié s'appelle dilection d'excellence..

  A004000290 

 Que si l'estime et preference que nous faysons de l'ami, quoy qu'elle soit grande et n'en ait point d'egale, ne laisse pas neanmoins de pouvoir entrer en comparayson et proportion avec les autres, l'amitié s'appellera dilection eminente.

  A004000294 

 Au contraire, saint Augustin, ayant mieux consideré l'usage de la Parole de Dieu, monstre clairement que le nom d'amour n'est pas moins sacré que celuy de dilection, et que l'un et l'autre signifie parfois une affection sainte, et quelquefois aussi une passion depravee; alleguant a ces fins plusieurs passages de l'Escriture.

  A004000302 

 Ainsy, Theotime, nostre defaillance a besoin de l'abondance divine par disette et necessité, mays l'affluence divine n'a besoin de nostre indigence que par excellence de perfection et bonté: bonté qui neanmoins ne devient pas meilleure en se communiquant, car elle n'acquiert rien en se respandant hors de soy, au contraire elle donne; mays nostre indigence demeureroit manquante et miserable si l'abondance de la bonté ne la secouroit..

  A004000303 

 Nostre ame donques, considerant que rien ne la contente parfaittement et que sa capacité ne peut estre remplie par chose quelconque qui soit au monde, voyant que son entendement a une inclination infinie de sçavoir tous-jours davantage, et sa volonté un appetit insatiable d'aymer et treuver du bien, n'a-elle pas rayson d'exclamer: Ah, donques je ne suis pas faite pour ce monde! Il y a quelque souverain bien duquel je depens, et quelque ouvrier infini qui a imprimé en moy cet interminable desir de sçavoir et cet appetit qui ne peut estre assouvi: c'est pourquoy il faut que je tende et [76] m'estende vers luy, pour m'unir et joindre a sa bonté a laquelle j'appartiens et suis.

  A004000308 

 Or, bien que l'estat de nostre nature humaine ne soit pas maintenant doué de la santé et droitture originelle que le premier homme avoit en sa creation, et qu'au contraire nous soyons grandement depravés par le peché, si est ce toutefois que la sainte inclination d'aymer Dieu sur toutes choses nous est demeuree, comme aussi la lumiere naturelle par laquelle nous connoissons que sa souveraine bonté est aymable sur toutes choses; et n'est pas possible qu'un homme pensant attentivement en Dieu, voire mesme par le seul discours naturel, ne ressente un certain eslan d'amour que la secrette inclination de nostre nature suscite au fond du cœur, par lequel, a la premiere apprehension de ce premier et souverain object, la volonté est prevenue et se sent excitee a se complaire en iceluy..

  A004000314 

 Ilz l'ont certes aucunement glorifié, luy donnant des souverains filtres d'honneur, mays ilz ne l'ont pas glorifié comme il le falloit glorifier, c'est a dire ilz ne l'ont pas glorifié sur toutes choses; n'ayans pas eu le courage de ruiner l'idolatrie, ains communiquans avec les idolatres, retenans la verité qu'ilz connoissoient, en injustice, prisonniere dedans leurs cœurs, et preferans l'honneur et le vain repos de leurs vies a l'honneur qu'ilz devoient a Dieu, ilz se sont esvanouis en leurs discours..

  A004000314 

 Par les creatures visibles ilz ont conneu les choses invisibles de Dieu, voire mesme son eternelle vertu et Divinité, dit le grand Apostre; de sorte qu'ilz sont inexcusables, d'autant qu'ayans conneu Dieu, il z ne l'ont pas glorifié comme Dieu, ni ne luy ont pas fait action de graces.

  A004000315 

 N'est ce pas grande pitié, Theotime, de voir Socrate, au recit de Platon, parler en mourant des dieux comme s'il y en avoit plusieurs, luy qui sçavoit si bien qu'il n'y en avoit qu'un seul? N'est ce pas chose deplorable que Platon ayt ordonné que l'on sacrifie a plusieurs dieux, luy qui sçavoit si bien la verité de l'unité divine? Et Mercure Trismegiste n'est il pas lamentable, de lamenter et plaindre si laschement l'abolissement de l'idolatrie, luy qui en tant d'endroitz avoit parlé si dignement de la Divinité?.

  A004000316 

 Car quelle compassion, je vous prie, de voir cet excellent philosophe parler parfois de Dieu avec tant de goust, de sentiment et de zele, qu'on le prendroit pour un Chrestien sortant de quelque sainte et profonde meditation, et neanmoins ailleurs, d'occasion en occasion, mentionner les dieux a la payenne? Hé, ce bon homme, qui connoissoit si bien l'unité divine et avoit tant de goust de la bonté d'icelle, pourquoy n'a-il pas eu la sainte jalousie de l'honneur divin, affin de ne point gauchir ni dissimuler en un sujet de si grande importance?.

  A004000317 

 Car ainsy nostre cœur humain produit bien naturellement certains commencemens d'amour envers Dieu, mais d'en venir jusques a l'aymer sur toutes choses, qui est la vraye maturité de l'amour deu a cette supreme Bonté, cela n'appartient qu'aux cœurs animés et assistés de la grace celeste et qui sont en l'estat de la sainte charité; et ce petit amour imparfait, duquel la nature en elle mesme sent les eslans, ce n'est qu'un certain vouloir sans vouloir, un vouloir qui voudrait mais qui ne veut pas, un vouloir sterile qui ne produit point de vrays effectz, un vouloir paralytique qui void la piscine salutaire du saint amour mais qui n'a pas la force de s'y jetter; et en fin, ce vouloir est un avorton de la bonne volonté, qui n'a pas la vie de la genereuse vigueur [82] requise pour en effect preferer Dieu a toutes choses: dont l'Apostre, parlant en la personne du pecheur, s'escrie: Le vouloir est bien en moy, mais je ne treuve pas le moyen de l'accomplir..

  A004000321 

 Mais si nous ne pouvons pas naturellement aymer Dieu sur toutes choses, pourquoy donq avons-nous naturellement inclination a cela? la nature est-elle pas vaine de nous inciter a un amour qu'elle ne nous peut donner? pourquoy nous donne-elle la soif d'une eau si pretieuse, puisqu'elle ne peut nous en abbreuver? Ha, Theotime, que Dieu nous a esté bon! La perfidie que nous avions commise en l'offençant meritoit certes qu'il nous privast de toutes les marques de sa bienveuillance, et de la faveur qu'il avoit exercee envers nostre nature, Ihors qu'il imprima sur elle la lumiere de son divin visage et qu'il donna a nos cœurs l'allegresse de se sentir enclins a l'amour de la divine Bonté, affin que les Anges, voyans ce miserable homme, eussent occasion de dire par compassion: Est-ce la, la creature de parfaite beauté, l'honneur de toute la terre?.

  A004000322 

 Il vit que nous estions environnés de chair, un vent qui se dissipe en courant, et qui ne revient plus; c'est pourquoy, selon les entrailles de sa misericorde, il ne nous voulut pas du tout ruiner ni nous oster le signe de sa grace perdue, affin que le regardans, et sentans en nous cette arriance et propension a l'aymer, nous taschassions de ce faire, et que personne ne peust justement dire: [83] Qui nous monstrera le bien? Car encor que par la seule inclination naturelle nous ne puissions pas parvenir au bonheur d'aymer Dieu comme il faut, si est ce que, si nous l'employions fïdellement, la douceur de la pieté divine nous donneroit quelque secours, par le moyen duquel nous pourrions passer plus avant; que si nous secondions ce premier secours, la bonté paternelle de Dieu nous en fourniroit un autre plus grand, et nous conduiroit de bien en mieux, avec toute suavité, jusques au souverain amour auquel nostre inclination naturelle nous pousse: puisque c'est chose certaine qu'a celuy qui est fidele en peu de chose et qui fait ce qui est en son pouvoir, la benignité divine ne denie jamais son assistance pour l'avancer de plus en plus..

  A004000323 

 L'inclination donques d'aymer Dieu sur toutes choses, que nous avons par nature, ne demeure pas pour neant dans nos cœurs: car, quant a Dieu, il s'en sert comme d'une anse pour nous pouvoir plus suavement prendre et retirer a soy, et semble que, par cette impression, la divine Bonté tienne en quelque façon attachés nos cœurs, comme des petitz oyseaux, par un filet par lequel il nous puisse tirer quand il plaist a sa misericorde d'avoir pitié de nous; et quant a nous, elle nous est un indice et memorial de nostre premier Principe et Createur, a l'amour duquel elle nous incite, nous donnant un secret advertissement que nous appartenons a sa divine Bonté.

  A004000323 

 Tout de mesme que les cerfz ausquelz les grans princes font quelquefois mettre des colliers avec leurs armoiries, bien que par apres ilz les font lascher et mettre en liberté dans les forestz, ne laissent pas d'estre reconneus par quicomque les rencontre, non seulement pour avoir une fois esté pris par le prince duquel ilz portent les armes, mays aussi pour luy estre encor reservés: car ainsy conneut-on l'extreme viellesse d'un cerf qui fut rencontré, comme quelques historiens disent, trois cens ans apres la mort de Cesar, parce qu on luy treuva un collier ou estoit la devise de Cesar, et ces motz: Cesar m'a lasché.

  A004000334 

 Et pour cela, Dieu respondant par l'Ange au pere de Samson, qui luy demandoit son nom: [88] Pourquoy demandes-tu mon nom, dit-il, qui est admirable? comme s'il vouloit dire: Mon nom peut estre admiré, mais non pas prononcé par les creatures; il doit estre adoré, mais il ne peut estre compris que par moy, qui seul sçay proferer le propre nom par lequel au vray et naifvement j'exprime mon excellence.

  A004000334 

 Or, de nommer parfaitement cette supreme excellence, laquelle en sa tres singuliere unité comprend, ains surmonte toutes excellences, cela n'est pas au pouvoir de la creature, ni humaine ni angelique: car, comme il est dit en l'Apocalypse, Nostre Seigneur a un nom que personne ne sçait que luy mesme, parce que luy seul connoissant parfaitement son infinie perfection, luy seul aussi la peut exprimer par un nom proportionné; dont les Anciens ont dit que nul n'estoit vray theologien que Dieu, d'autant que nul ne peut connoistre totalement la grandeur infinie de la perfection divine, ni par consequent la representer par paroles, sinon luy mesme.

  A004000335 

 Ainsy la manne estoit une seule viande, laquelle comprenant en soy le goust et la vertu de toutes les autres viandes, on eut peu dire qu'elle avoit le goust du citron, du melon, du raisin, de la prune et de la poire; mais on eut encor plus veritablement dit qu'elle n'avoit pas tous ces goustz, ains un seul goust qui estoit le sien propre, lequel neanmoins contenoit en son unité tout ce qui pouvoit estre d'aggreable et desirable en toute la diversité des autres goustz; comme l'herbe dodecatheos, «laquelle,» ce dit Pline, «guerissant de toutes, maladies,» n'est ni rhubarbe, ni sené, ni rose, ni betoine, ni buglosse, ains un seul simple qui en l'unique simplicité de sa proprieté a autant de force que tous les autres medicamens ensemble.

  A004000336 

 Or, en l'exaltant reprenes vos forces, mais ne vous lasses pas pourtant; car jamais vous ne le comprendrés.

  A004000341 

 Et si, en cela nous n'offençons pas la verité; car encor qu'en Dieu il n'y ait pas multitude d'actions, ains un seul acte qui est la Divinité mesme, cet acte toutefois est si parfait, qu'il comprend excellemment la force et la vertu de tous les actes qui sembleroyent estre requis pour toute la diversité des effectz que nous voyons..

  A004000341 

 Mays il n'en est pas de mesme en Dieu, car il n'y a en luy qu'une tres simple infinie perfection, et en cette perfection, qu'un seul tres unique et tres pur acte: [90] ains, pour parler plus saintement et sagement, Dieu est une seule, tres souverainement unique et tres uniquement souveraine perfection; et cette perfection est un seul acte tres purement simple et tres simplement pur, lequel n'estant autre chose que la propre essence divine, il est par consequent tous-jours permanent et eternel.

  A004000348 

 Mais d'autre costé, voyons un imprimeur d'images qui, ayant mis sa feuille sur la planche taillee du mesme mystere de la Nativité, ne donnera qu'un seul coup de presse: en ce seul coup, Theotime, il fera tout son ouvrage, et soudain il tirera son image, laquelle en belle taille douce representera tres aggreablement tout ce qui a deu estre imaginé selon l'histoire sacree; et bien qu'il n'ayt fait qu'un seul mouvement, son ouvrage toutefois portera [92] grande quantité de personnages et d'autres choses differentes, bien distinguees, chacune en son ordre, en son rang, en son lieu, en sa distance et en sa proportion; et qui ne sçauroit pas le secret, il seroit tout estonné de voir sortir d'un seul acte une si grande varieté d'effectz.

  A004000358 

 Dieu donques, Theotime, n'a pas besoin de plusieurs actes, puisque un seul divin acte de sa toute puissante volonté suffit a la production de toute la varieté de ses œuvres, a rayson de son infinie perfection: mais nous autres mortelz avons besoin d'en traitter avec la methode et maniere d'entendre a laquelle nos petitz espritz peuvent arriver, selon laquelle, pour parler de la Providence divine, considerons, je vous prie, le regne du grand Salomon, comme un modele parfait de l'art de bien regner..

  A004000360 

 Mais d'autant que la disposition est inutile sans la creation ou levee des officiers, et que la creation est vaine sans la providence qui regarde a ce qui est requis pour la conservation des officiers creés ou erigés, et qu'en fin cette conservation qui se fait par le bon gouvernement n'est autre chose que la providence effectuee, partant, non seulement la disposition mais aussi la creation et le bon gouvernement de Salomon, furent appellés du nom de providence: aussi ne disons-nous pas qu'un homme ayt de la providence, sinon quand il gouverne bien..

  A004000360 

 Mais il ne s'arresta pas la, Theotime; car apres avoir fait son projet et deliberé en soy mesme des moyens propres pour en venir a bout, venant a la prattique, il crea tous les officiers selon qu'il avoit disposé, et, par un bon gouvernement, il fit faire toutes les provisions requises a leur entretenement et a l'execution de leurs charges: de sorte qu'ayant la connoissance de l'art de bien regner, il executa la disposition qu'il avoit fait a [95] part soy pour la creation de divers officiers, et mit en effect sa providence par le bon gouvernement dont il usa; et par ainsy, son art de regner, qui consistoit en la disposition et en la providence ou prouvoyance, fut prattiqué par la creation des officiers et par le gouvernement et bonne conduite.

  A004000363 

 Ce fut sans doute un accident fortuit, car cet homme n'alla pas au champ pour mourir, ains pour eviter la mort; ni le faucon ne cuyda pas escraser la teste d'un poëte, ains le test et l'escaille de la tortue, pour par apres en devorer la chair: et neanmoins il arriva au contraire, car la tortue demeura sauve, et le pauvre Æschilus mort.

  A004000364 

 Les adventures de l'ancien Joseph furent admirables en varieté et en passages d'une extremité a l'autre: ses freres qui l'avoyent vendu pour le perdre, furent tout estonnés de le voir devenu vice-roy, et apprehendoyent infiniment qu'il ne se ressentist du tort qu'ilz luy avoyent fait: Mais non, leur dit-il, ce n'est pas tant par vos menees que je suis envoyé ici, comme par la Providence divine; vous avés eu des mauvais desseins sur moy, mais Dieu les a reduitz a bien.

  A004000373 

 C'estoit la nature humaine de laquelle il avoit resolu de prendre une piece bien heureuse pour l'unir a sa Divinité; il vit que c'estoit une nature imbecille, un vent qui va et ne revient pas, c'est a dire qui se dissipe en allant; il eut esgard a la surprise que Satan avoit faitte au premier homme et a la grandeur de la tentation qui le ruina; il vit que toute la race des [101] hommes perissoit par la faute d'un seul: si que, par ces raysons, il regarda nostre nature en pitié et se resolut de la prendre a merci..

  A004000373 

 Il previt bien aussi que le premier homme abuseroit de sa liberté, et quittant la grace il perdroit la gloire; mais il ne voulut pas traitter si rigoureusement la nature humaine, comme il delibera de traitter l'angelique.

  A004000378 

 Or disant, Theotime, que Dieu avoit veu et voulu une chose premierement, et puis secondement une autre, observant ordre en ses volontés, je l'ay entendu selon qu'il a esté declaré cy devant; a sçavoir, qu'encor que tout cela s'est passé en un tres seul et tres simple acte, neanmoins par iceluy, l'ordre, la distinction et [102] la dependance des choses n'a pas esté moins observee que s'il y eust eu plusieurs actes en l'entendement et volonté de Dieu.

  A004000381 

 Certes, en l'arrousement du sang de Nostre Seigneur, fait par l' hysope de la Croix, nous avons esté remis en une blancheur incomparablement plus excellente que celle de la neige de l'innocence, sortans, comme Naaman, du fleuve de salut, plus purs et netz que si jamais nous n'eussions esté ladres; affin que la divine Majesté, ainsi qu'elle nous a ordonné de faire, ne fust pas vaincue par le mal, ains vainquist le mal par le bien, que sa misericorde, comme une huyle sacree, se tinst au dessus du jugement, et que ses miserations surmontassent toutes ses œuvres..

  A004000381 

 Les Anges ont plus de joye au Ciel, dit le Sauveur, sur un pecheur penitent, que sur nonante neuf justes, qui [104] n'ont pas besoin de penitence: et de mesme, l'estat de la redemption vaut cent fois mieux que celuy de l'innocence.

  A004000385 

 Car, Theotime, il ne s'est pas contenté, en l'exces sacré de sa misericorde, d'envoyer a son peuple, c'est a dire au genre humain, une redemption generale et universelle, par laquelle un chacun peut estre sauvé; mais il l'a diversifiee en tant de manieres, que sa liberalité reluisant en toute cette varieté, cette varieté reciproquement embellit aussi sa liberalité.

  A004000388 

 Telz furent les Apostres, David, Magdeleine [107] et plusieurs autres, qui pour un tems demeurerent hors de l'amour de Dieu; mais en fin, estans une bonne fois convertis, furent confirmés en la grace jusques a la mort: de sorte que des Ihors, demeurans voirement sujetz a quelques imperfections, ilz furent toutefois exemptz de tout peché mortel, et par consequent du peril de perdre le divin amour; et furent comme des amies sacrees de l'Espoux celeste, parees voirement de la robbe nuptiale de son tressaint amour, mais non pas pourtant couronnees, parce que la couronne est un ornement de la teste, c'est a dire de la premiere partie de la personne; or, la premiere partie de la vie des ames de ce rang ayant esté sujette a l'amour des choses terrestres, elles ne peuvent porter la couronne de l'amour celeste, ains leur suffit d'en porter la robbe, qui les rend capables du lit nuptial de l'Espoux divin et d'estre eternellement, bienheureuses avec luy..

  A004000393 

 Qui ne void qu'entre les Chrestiens les moyens du salut sont plus grans et puissans qu'entre les barbares, et que parmi les Chrestiens il y a des peuples et des villes ou les pasteurs sont plus fructueux et capables? Or, de nier que ces moyens exterieurs ne sovent pas des faveurs de la Providence divine, ou de revoquer en doute qu'ilz ne contribuent pas au salut et a la perfection des ames, ce seroit estre ingrat envers la Bonté celeste, et desmentir la veritable experience qui nous fait voir que, pour l'ordinaire, ou ces moyens exterieurs abondent, les interieurs ont plus d'effect et reussissent mieux..

  A004000394 

 Et bien que, quant aux hommes, la grace ne soit pas donnee selon leurs conditions naturelles, toutefois la divine Douceur, prenant playsir et, par maniere de dire, s'esgayant en la production des graces, elle les diversifie en infinies façons, affin que de cette varieté se fasse le bel esmail de sa redemption et misericorde; dont l'Eglise chante en la feste de chasque Confesseur Evesque: Il ne s'en est point treuvé de semblable a luy.

  A004000395 

 C'est donq une impertinence de vouloir rechercher pourquoy saint Paul n'a pas eu la grace de saint Pierre, ni saint Pierre celle de saint Paul; pourquoy saint Anthoine n'a pas esté saint Athanase, ni saint Athanase saint Hierosme: car on respondroit a ces demandes que l'Eglise est un jardin diapré de fleurs infinies, il y en faut donq de diverses grandeurs, de diverses couleurs, de diverses odeurs, et, en somme, de differentes perfections; toutes ont leur prix, leur grace et leur esmail, et toutes, en l'assemblage de leurs varietés, font une tres aggreable perfection de beauté..

  A004000395 

 Mais il se faut bien garder de jamais rechercher pourquoy la supreme Sagesse a departi une grace a l'un plustost qu'a l'autre, ni pourquoy il fait abonder ses faveurs en un endroit plustost qu'en l'autre: non, Theotime, n'entrés jamais en cette curiosité; car ayans tous suffisamment, ains abondamment, ce qui est requis pour le salut, quelle rayson peut avoir homme du monde de se plaindre, s'il plait a Dieu de departir ses graces plus largement aux uns qu'aux autres? Si quelqu'un s'enqueroit pourquoy Dieu a fait les melons plus gros que les frayses, ou les lys plus grans que les violettes, pourquoy le romarin n'est pas une rose, ou pourquoy l'œillet n'est pas un soucy, pourquoy le paon [110] est plus beau qu'une chauvesouris, ou pourquoy la figue est douce et le citron aigrelet, on se moqueroit de ses demandes et on luy diroit: pauvre homme, puisque la beauté du monde requiert la varieté, il faut qu'il y ait des differentes et inegales perfections es choses, et que l'une ne soit pas l'autre; c'est pourquoy les unes sont petites, les autres grandes, les unes aigres, les autres douces, les unes plus, et les autres moins belles.

  A004000399 

 En quoy il tesmoigne bien, Theotime, qu'il ne nous a pas laissé l'inclination naturelle de l'aymer, pour neant; car affin qu'elle ne soit oyseuse, il nous presse de l'employer par ce commandement general, et affin que ce commandement puisse estre prattiqué, il ne laisse homme qui vive auquel il ne fournisse abondamment tous les moyens requis a cet effect..

  A004000399 

 Hé, dit-il, je suis venu pour mettre le feu au monde, que pretens-je sinon qu'il arde? Mais pour declarer plus vivement l'ardeur de ce desir, il nous commande cet amour en termes admirables: Tu aymeras, dit-il, le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton ame, de toutes tes forces, c'est le premier et le plus grand commandement. Vray Dieu, Theotime, que le cœur divin est amoureux de nostre amour! Ne suffisoit-il pas qu'il eust publié une permission par laquelle il nous eust donné congé de l'aymer, comme Laban permit a Jacob d'aymer sa belle Rachel et de la gaigner par ses services? Mays non, il declare plus avant sa passion amoureuse envers nous, et nous commande de l'aymer de tout nostre pouvoir, affin que la consideration de sa Majesté et de nostre misere, qui font une tant infinie disparité et inegalité de luy a nous, ni autre pretexte quelconque, ne nous divertist de l'aymer.

  A004000400 

 Mais il ne se contente pas d'annoncer ainsy son extreme desir d'estre aymé, en public, en sorte que chacun puisse avoir part a son aymable semonce; ains il va mesme de porte en porte hurtant et frappant, protestant que si quelqu'un ouvre, il entrera chez luy et soupera avec luy, c'est a dire, il luy tesmoignera toute sorte de bienveuillance..

  A004000400 

 Or, vivre selon Dieu, c'est aymer; et qui n'ayme pas, il demeure en la mort.

  A004000401 

 Certes, cette riche, comble et plantureuse suffisance de moyens que Dieu eslargit aux pecheurs pour l'aymer, paroist presque par tout en l'Escriture: car voyes ce divin Amant a la porte; il ne bat pas simplement, il s'arreste a battre, il appelle l'ame: Sus, leve toy, ma bienaymee, depesche toy, et met sa main dans la serreure, pour voir s'il pourroit point ouvrir; s'il presche emmi les places, il ne presche pas simplement, mais il va criant, c'est a dire, il continue a crier; s'il exclame qu'on se convertisse, il semble qu'il ne l'a jamais asses repeté: Convertisses-vous, convertisses-vous, faites penitence, retournés a moy, vivés; pourquoy mourres-vous, mayson d'Israël? En somme, ce divin Sauveur n'oublie rien pour monstrer que ses miserations sont sur toutes ses œuvres, que sa misericorde surpasse son jugement, que sa redemption est copieuse, que son amour est infini, et, comme dit l'Apostre, qu'il est riche en misericorde, et que par consequent il voudrait que tous les hommes fussent sauvés, et qu'aucun ne perist.

  A004000401 

 L'Apostre, comme vous voyes, oppose les richesses de la bonté de Dieu aux thresors de la malice du cœur impenitent, et dit que le cœur malicieux est si riche en iniquité, que mesme il mesprise les richesses de la debonnaireté par laquelle Dieu l' attire a penitence; et notés que ce ne sont pas simplement les richesses de la bonté divine que l'obstiné mesprise, mais les richesses attrayantes a penitence, richesses qu'on ne peut bonnement ignorer.

  A004000401 

 Mon cher Theotime, Dieu n'exerce pas donques une simple suffisance de remedes pour convertir les obstinés, mais employe a cela les richesses de sa bonté.

  A004000401 

 Or, qu'est ce a dire tout cela, Theotime, sinon que Dieu ne nous donne pas seulement une simple suffisance de moyens pour l'aymer, et en l'aymant nous sauver, mais que c'est une suffisance riche, ample, magnifique, et telle qu'elle doit estre attendue d'une si grande bonté comme est la sienne? Le grand Apostre, parlant au pecheur obstiné: Mesprises-tu, dit-il, les richesses de la bonté, patience et longanimité de Dieu? ignores-tu que la benignité de Dieu t'amene a penitence? Mays toy, selon ta dureté et ton cœur [113] impenitent, tu te fays un thresor d'ire au jour de l'ire.

  A004000405 

 Or, comme vous voyes, Theotime, ce n'a pas esté par aucun merite des œuvres que nous eussions fait, mais selon sa misericorde qu'il nous a sauvés, par cette charité ancienne, ains eternelle, qui a esmeu sa divine Providence de nous attirer a soy.

  A004000406 

 Il y a certains oyseaux, Theotime, qu'Aristote nomme apodes, parce qu'ayans les jambes extremement courtes et les pieds sans force, ilz ne s'en servent non plus que s'ilz n'en avoyent point: que si une fois ilz prennent terre, ilz y demeurent pris, sans que jamais d'eux mesmes ilz puissent reprendre le vol, d'autant que n'ayans nul usage des jambes ni des pieds, ilz n'ont pas non plus le moyen de se pousser et relancer en l'air; et partant, ilz demeurent la croupissans et y meurent, sinon que quelque vent propice a leur impuissance, jettant ses bouffees sur la face de la terre, les vienne saisir et enlever, comme il fait plusieurs autres choses; car alhors, si employans leurs aysles ilz correspondent a cet eslan et premier essor que le vent leur donne, [115] le mesme vent continue aussi son secours envers eux, les poussant de plus en plus au vol..

  A004000407 

 Mais nous autres humains, nous ressemblons plustost aux apodes: car s'il nous advient de quitter l'air du saint amour divin pour prendre terre et nous attacher aux creatures, ce que nous faysons toutes les fois que nous offençons Dieu, nous mourons voirement, mais non pas d'une mort si entiere qu'il ne nous reste un peu de mouvement, et, avec cela, des jambes et des pieds, c'est a dire quelques menues affections qui nous peuvent faire faire quelques essays d'amour; mays cela pourtant est si foible, qu'en verité nous ne pouvons plus de nous mesmes desprendre nos cœurs du peché, ni nous relancer au vol de la sacree dilection, laquelle, chetifz que nous sommes, nous avons perfidement et volontairement quittee..

  A004000407 

 Theotime, les Anges sont comme les oyseaux que, pour leur beauté et rareté, on appelle oyseaux de Paradis, qu'on ne vit jamais en terre que mortz; car ces espritz celestes ne quitterent pas plus tost l'amour divin pour s'attacher a l'amour propre, que soudain ilz tomberent comme mortz, ensevelis es enfers, d'autant que ce que la mort fait es hommes, les separant pour jamais de cette vie mortelle, la cheute le fit es Anges, les separant pour tous-jours de la vie eternelle.

  A004000408 

 Mays son eternelle charité ne permet pas souvent a sa justice d'user de ce chastiment, ains excitant sa compassion, elle le provoque a nous retirer de nostre malheur: ce qu'il fait, envoyant le vent favorable de sa tressainte inspiration, laquelle venant avec une douce violence dans nos cœurs, elle les saisit et les esmeut, relevant nos pensees et poussant nos affections en l'air du divin amour..

  A004000409 

 Or, ce premier eslan ou esbranlement que Dieu donne en nos cœurs pour les inciter a leur bien, se fait voirement en nous, mais non pas par nous; car il arrive a l'improveu avant que nous y ayons ni pensé [116] ni peu penser, puisque nous n'avons aucune suffisance pour de nous mesmes, comme de nous mesmes, penser aucune chose qui regarde nostre salut; mais toute nostre suffisance est de Dieu, lequel ne nous a pas seulement aymés avant que nous fussions, mais encor affin que nous fussions, et que nous fussions saintz: en suite dequoy il nous previent es benedictions de sa douceur paternelle, et excite nos espritz pour les pousser a la sainte repentance et conversion.

  A004000410 

 N'est-il pas donq vray, mon cher Theotime, que cette premiere esmotion et secousse que l'ame sent, quand Dieu, la prevenant d'amour, l'esveille et l'excite a quitter le peché et se retourner a luy, et non seulement cette secousse, ains tout le resveil se fait en nous et pour nous, mays non pas par nous? Nous sommes esveillés, mays nous ne nous sommes pas esveillés de nous mesmes; c'est l'inspiration qui nous a esveillés, [117] et pour nous esveiller, elle nous a esbranlés et secoués.

  A004000414 

 Certes, au jour du jugement, les Ninivites et la reyne de Saba se leveront contre les Juifz et les convaincront d'estre dignes de damnation; parce que, quant aux Ninivites, estans idolatres et de nation barbare, a la voix de Jonas ilz se convertirent et firent penitence; et quant a la reyne de Saba, quoy qu'elle fust engagee dans les affaires d'un royaume, neanmoins, ayant ouï la renommee de [118] la sagesse de Salomon, elle quitta tout pour le venir ouïr: et cependant les Juifz, oyans de leurs oreilles la divine sagesse du vray Salomon, Sauveur du monde, voyans de leurs yeux ses miracles, touchans de leurs mains ses vertus et bienfaitz, ne laisserent pas de s'endurcir et resister a la grace qui leur estoit offerte.

  A004000417 

 Comme sera-il donq arrivé que quelques uns des Seraphins, voire le premier de tous, selon la plus probable et commune opinion des Anciens, soyent descheus, tandis qu'une multitude innombrable des autres Anges, inferieurs en nature et en grace, ont excellemment et courageusement perseveré? D'ou vient que Lucifer, tant eslevé par nature et sureslevé par grace, est tombé, et que tant d'Anges, moins avantagés, sont demeurés debout en leur fidelité? Certes, ceux qui ont perseveré en doivent toute la louange a Dieu, qui par sa misericorde les a creés et maintenus bons; mais Lucifer et tous ses sectateurs, a qui peuvent-ilz attribuer leur cheute sinon, comme dit saint Augustin, a leur propre volonté, qui a par sa liberté quitté la grâce divine qui les avoit si doucement prevenus? Comment es-tu tombé, o grand Lucifer, qui tout ainsy qu'une belle aube sortois en ce monde invisible, revestu de la charité premiere, comme du commencement de la clarté d'un beau jour qui devoit croistre jusques au [120] midy de la gloire eternelle? La grace ne t'a pas manqué, car tu l'avois, comme ta nature, la plus excellente de tous, mais tu as manqué a la grace; Dieu ne t'avoit pas destitué de l'operation de son amour, mais tu privas son amour de ta cooperation; Dieu ne t'eust jamais rejetté, si tu n'eusses rejetté sa dilection.

  A004000421 

 O Dieu, Theotime, si nous recevions les inspirations celestes selon toute l'estendue de leur vertu, qu'en peu de tems nous ferions de grans progres en la sainteté! Pour abondante que soit la fontaine, ses eaux n'entreront pas en un jardin selon leur affluence, mais selon la petitesse ou grandeur du canal par ou elles y sont conduites.

  A004000421 

 Quoy que le Saint Esprit, comme une source d'eau vive, aborde de toutes pars nostre cœur pour respandre sa grace en iceluy, toutefois, ne voulant pas qu'elle entre en nous sinon par le libre consentement [121] de nostre volonté, il ne la versera point que selon la mesure de son bon playsir et de nostre propre disposition et cooperation, ainsy que dit le sacré Concile, qui aussi, comme je pense, a cause de la correspondance de nostre consentement avec la grace, appelle la reception d'icelle reception volontaire..

  A004000422 

 En ce sens saint Paul nous exhorte de ne point recevoir la grace de Dieu en vain: car, comme un malade qui ayant receu la medecine en sa main ne l'avaleroit pas dans son estomach, auroit voirement receu la medecine, mais sans la recevoir, c'est a dire il l'auroit receüe en une façon inutile et infructueuse, de mesme, nous recevons la grace de Dieu en vain, quand nous la recevons a la porte du cœur et non pas dans le consentement du cœur; car ainsy nous la recevons sans la recevoir, c'est a dire nous la recevons sans fruit, puisque ce n'est rien de sentir l'inspiration sans y consentir.

  A004000422 

 Et comme le malade auquel on auroit donné en main la medecine, s'il la recevoit seulement en partie et non pas toute, elle ne feroit aussi l'operation qu'en partie et non pas entierement, ainsy, quand Dieu nous envoye une inspiration grande et puissante pour embrasser son saint amour, si nous ne consentons pas selon toute son estendue, elle ne profitera pas aussi qu'a cette mesure la.

  A004000422 

 Il arrive que, estans inspirés de faire beaucoup, nous ne consentons pas a toute l'inspiration, ains seulement a quelque partie d'icelle; comme firent ces bons personnages de l'Evangile, qui, sur l'inspiration que Nostre Seigneur leur fit de le suivre, vouloyent reserver, l'un d'aller premier ensevelir son pere, et l'autre d'aller prendre congé des siens..

  A004000423 

 A mesure que nostre cœur se dilate, ou, pour mieux parler, a mesure qu'il se laisse eslargir et dilater, et qu'il ne refuse pas le vuide de son consentement a la misericorde divine, elle verse tous-jours et [122] respand sans cesse dans iceluy ses sacrees inspirations, qui vont croissant et nous font croistre de plus en plus en l'amour sacré; mays quand il n'y a plus de vuide et que nous ne prestons pas davantage de consentement, elle s'arreste..

  A004000424 

 A quoy tient-il donques que nous ne sommes pas si avancés en l'amour de Dieu comme saint Augustin, saint François, sainte Catherine de Gennes, ou sainte Françoise? Theotime, c'est parce que Dieu ne nous en a pas fait la grace.

  A004000424 

 Et ne faut pas penser qu'on puisse rendre rayson de la faute que l'on fait au peché, car la faute ne seroit pas peché si elle n'estoit sans rayson..

  A004000424 

 Et pourquoy n'avons-nous pas correspondu? parce qu'estans libres nous avons ainsy abusé de nostre liberté.

  A004000424 

 Mais pourquoy avons-nous abusé de nostre liberté? Theotime, il ne faut pas passer plus avant, car, comme dit saint Augustin, la depravation de nostre volonté ne provient d'aucune cause, ains de la defaillance de la cause qui commet le peché.

  A004000424 

 Mais pourquoy est-ce que Dieu ne nous en a pas fait la grace? parce que nous n'avons pas correspondu comme nous devions, a ses inspirations.

  A004000426 

 Vous voyés, Theotime, l'advis de cet homme, qui ne fut presque pas homme, ains un Seraphin en terre.

  A004000427 

 Pour certain, la faute n'est pas de la part de Dieu, car, puisque sa divine Majesté nous ayde et fait cette grace que nous arrivions jusques a ce point, je croy qu'il ne manqueroit pas de nous en faire encor davantage, si ce n'estoit nostre faute et l'empeschement que nous y mettons de nostre part.» Soyons donques attentifs, Theotime, a nostre avancement en l'amour que nous devons a Dieu, car celuy qu'il nous porte ne nous manquera jamais.

  A004000432 

 Le propre lien de la volonté humaine, c'est la volupté et le playsir: «On monstre des noix a un enfant,» dit saint Augustin, «et il est attiré en aymant; il est attiré par le lien, non du cors, mais du cœur.» Voyés donq comme le Pere eternel nous tire: en nous enseignant il nous delecte, non pas en nous imposant aucune necessité; il jette dedans nos cœurs des délectations et playsirs spirituelz, comme des sacrees amorces par lesquelles il nous attire suavement a recevoir et gouster la douceur de sa doctrine..

  A004000432 

 Sans doute, Theotime, nous ne sommes pas tirés a Dieu par des liens de fer, comme les taureaux et les buffles, ains par maniere d'allechemens, d'attraitz delicieux et de saintes inspirations, qui sont en somme les liens d'Adam et d'humanité; c'est a dire proportionnés et convenables au cœur humain, auquel la liberté est naturelle.

  A004000433 

 La grace est si gracieuse et saisit si gracieusement nos cœurs pour les attirer, qu'elle ne gaste rien en la liberté de nostre volonté; elle touche puissamment, mais pourtant si delicatement, les ressortz de nostre esprit, que nostre franc arbitre n'en reçoit aucun forcement; la grace a des forces, non pour forcer, ains pour allecher le cœur; elle a une sainte violence, non pour violer, mais pour rendre amoureuse nostre liberté; elle agit fortement, mais si suavement, que nostre volonté ne demeure point accablee sous une si puissante action; elle nous presse, mais elle n'oppresse pas nostre franchise: si que nous pouvons, emmi ses forces, consentir ou resister a ses mouvemens selon qu'il nous plaist..

  A004000434 

 Voyés de grace, Theotime, le trait du Sauveur, quand il parle de ses attraitz: Si tu sçavois, veut il dire, le don de Dieu, sans doute tu serois esmeüe et attiree a demander l'eau de la vie eternelle, et peut estre que tu la demanderois; comme s'il disoit: Tu aurois le pouvoir [127] et serois provoquee a demander, et neanmoins tu ne serois pas forcee ni necessitee; ains seulement peut estre tu la demanderois: car ta liberté te demeureroit pour la demander ou ne la demander pas.

  A004000435 

 En somme, «si quelqu'un disoit que nostre franc arbitre ne coopere pas, consentant a la grace dont Dieu le previent, ou qu'il ne peut pas rejetter la grace et luy refuser son consentement,» il contrediroit a toute l'Escriture, a tous les anciens Peres, a l'experience, et serait excommunié par le sacré Concile de Trente.

  A004000435 

 Mais quand il est dit que nous pouvons rejetter l'inspiration celeste et les attraitz divins, on n'entend pas, certes, qu'on puisse empescher Dieu de nous inspirer ni de jetter ses attraitz en nos cœurs; car, comme j'ay des-ja dit, cela se fait «en nous» et «sans nous;» ce sont des faveurs que Dieu nous fait avant que nous y ayons pensé: il nous esveille lhors que nous dormons, et, par consequent, nous nous treuvons esveillés avant qu'y avoir pensé; mais il est en nous de nous lever ou de ne nous lever pas, et bien qu'il nous ayt esveillés sans nous, il ne nous veut pas lever sans nous.

  A004000435 

 Nous ne pouvons pas empescher que l'inspiration ne nous pousse et, par consequent, ne nous esbranle; mais si, a mesure qu'elle nous pousse, nous la repoussons pour ne point nous laisser aller a son mouvement, alhors nous resistons.

  A004000435 

 Que si, au contraire, amorcés peut estre de quelque verdure qu'ilz voyent en bas ou engourdis d'avoir croupi en terre, au lieu de seconder le vent ilz tiennent leurs aysles pliees et se jettent derechef en bas, ilz ont voirement receu en effect le mouvement du vent, mais en vain, puisqu'ilz ne s'en sont pas prevalus.

  A004000435 

 Theotime, [128] les inspirations nous previennent, et avant que nous y ayons pensé elles se font sentir, mais apres que nous les avons senties, c'est a nous d'y consentir pour les seconder et suivre leurs attraitz, ou de dissentir et les repousser: elles se font sentir a nous, sans nous, mais elles ne nous font pas consentir sans nous..

  A004000440 

 0 Jesus, que c'est un playsir delicieux de voir l'amour celeste, qui est le soleil des vertus, quand petit a petit, par des progres qui insensiblement se rendent sensibles, il va desployant sa clarté sur une ame, et ne cesse point qu'il ne l'ayt toute couverte de la splendeur de sa presence, luy donnant en fin la parfaitte beauté de son jour! 0 que cette aube est gaye, belle, amiable et aggreable! Mays pourtant il est vray que, ou l'aube n'est pas jour, ou, si elle est jour, c'est un jour commençant, un jour naissant, c'est plustost l'enfance du jour que le jour mesme: et de mesme, sans doute, ces mouvemens d'amour qui precedent l'acte de la foy requis a nostre justification, ou ilz ne sont pas amour, a proprement parler, ou ilz sont un amour commençant et imparfait; ce sont les premiers bourgeons verdoyans que l'ame eschauffee du soleil celeste, comme un arbre mystique, commence a jetter au printems, qui sont plustost presages de fruitz que fruitz..

  A004000442 

 C'est pourquoy Pachome se secoue des divertissemens, pour avec plus d'attention et de facilité recueillir et savourer la grace receüe, se retirant a part pour y penser; puis il estend son cœur et ses mains au ciel, ou l'inspiration l'attire, et commençant a desployer les aysles de ses affections, voletant entre la desfiance de soy mesme et la confiance en Dieu, il entonne d'un air humblement amoureux le cantique de sa conversion, par lequel il tesmoigne d'abord que des-ja il connoist un seul Dieu, Createur du ciel et de la terre; mais il connoist aussi qu'il ne le connoist pas encor asses pour le bien servir, et partant, il supplie qu'une plus grande connoissance luy soit donnee, affin qu'il puisse par icelle parvenir au parfait service de sa divine Majesté..

  A004000442 

 Il m'est advis, certes, que je voy en cet exemple un rossignol qui, se resveillant a la prime aube, commence a se secouer, s'estendre, desployer ses plumes, voleter de branche en branche dans son buisson, et petit a petit gazouiller son delicieux ramage: car n'aves-vous pas pris garde, comme le bon exemple de ces charitables Chrestiens excita et resveilla en sursaut le bienheureux Pachome? Certes, cet estonnement d'admiration qu'il [131] en eut ne fut autre chose que son resveil, auquel Dieu le toucha, comme le soleil touche la terre, avec un rayon de sa clarté, qui le remplit d'un grand sentiment de playsir spirituel.

  A004000443 

 Mais quelz sont ses attraitz? Le premier, par lequel il nous previent et resveille, se fait par luy «en nous» et «sans nous;» tous les autres se font aussi par luy, et «en nous,» mais non pas «sans nous.» Tires-moy, dit l'Espouse sacree, c'est a dire, commences le premier, car je ne sçaurois m'esveiller de moy mesme, je ne sçaurois me mouvoir si vous ne m'esmouves; mays quand vous m'aures esmeüe, alhors, o le cher Espoux de mon ame, nous courrons nous deux: vous courres devant moy en me tirant tous-jours plus avant, et moy je vous suivray a la course, consentant a vos attraitz; mays que personne n'estime que vous m'allies tirant apres vous comme une esclave forcee ou comme une charrette inanimee; ah non, vous me tires a l'odeur de vos parfums.

  A004000443 

 Si je vous vay suivant, ce n'est pas que vous me traisnies, c'est que vous m'alleches; vos attraitz sont puissans, mays non pas violens, [132] puisque toute leur force consiste en leur douceur.

  A004000447 

 Et voyci la merveille: car Dieu fait la proposition des mysteres de la foy a nostre ame parmi des obscurités et tenebres, en telle sorte que nous ne voyons pas les verités, ains seulement nous les entrevoyons; comme il arrive quelquefois que la terre estant couverte de brouillars nous ne pouvons voir le soleil, ains nous voyons seulement un peu plus de clarté du costé ou il est, de façon que, par maniere de dire, nous le voyons sans le voir, parce que d'un costé nous ne le voyons pas tant que nous puissions bonnement dire que nous le voyons, et d'autre part nous ne le voyons pas si peu que nous puissions dire que nous ne le voyons point; et c'est ce que nous appelions entrevoir.

  A004000448 

 Les Juifz virent les miracles et ouyrent les merveilles de Nostre Seigneur; mais estans indisposés a recevoir la foy, c'est a dire, leur volonté n'estant pas susceptible de la douceur et suavité de la foy, a cause de l'aigreur et malice dont ilz estoyent remplis, ilz demeurerent en leur infidelité: ilz voyoyent la force de l'argument, mais ilz ne savouroyent pas la suavité de la conclusion, et pour cela ilz n'acquiesçoyent pas a sa verité.

  A004000448 

 Mais ne faut il pas qu'en effect je sois infiniment aymable, puisque les sombres tenebres et les espais brouillars entre lesquelz je suis, non pas veüe mais seulement entreveüe, ne me peuvent empescher d'estre si aggreable, que l'esprit, me cherissant sur tout, fendant la presse de toutes autres connoissances, il me fait faire place et me reçoit comme sa reyne, dans le trosne le plus relevé qui soit en son palais, d'ou je donne la loy a toute science et assujettis tout discours et tout sentiment humain? Ouy vrayement, Theotime, tout ainsy que les chefz de l'armee d'Israël se despouillans de leurs vestemens, les mirent ensemble et en firent comme un trosne royal sur lequel ilz assirent Jehu, crians: Jehu est roy, de mesme, a l'arrivee de la foy, l'esprit se despouille de tous discours et argumens, et les sousmettant a la foy, il la fait asseoir sur iceux, la reconnoissant comme reyne, et crie avec une grande joye: Vive la foy! Les discours et argumens pieux, les miracles et autres avantages de la religion chrestienne, la rendent certes extremement croyable et connoissable; mays la seule foy la rend creüe et reconneüe, faysant aymer la beauté de sa verité [134] et croire la verité de sa beauté, par la suavité qu'elle respand en la volonté et la certitude qu'elle donne a l'entendement.

  A004000453 

 Comme estans exposés aux rayons du soleil de mydi, nous ne voyons presque pas plus tost la clarté que soudain nous sentons la chaleur, ainsy la lumiere de la foy n'a pas plus tost jetté la splendeur de ses verités en nostre entendement, que tout incontinent nostre volonté sent la sainte chaleur de l'amour celeste.

  A004000455 

 Certes, ou que nous veuillions ou que nous ne veuillions pas, nostre esprit tend au souverain bien: mays qui est ce souverain bien? Nous ressemblons a ces bons Atheniens qui faysoient sacrifice au vray Dieu, lequel neanmoins leur estoit inconneu, jusques a ce que le grand saint Paul leur en annonça la connoissance: car ainsy nostre cœur, par un profond et secret instinct, tend en toutes ses actions et pretend a la felicité, et la va cherchant ça et la, comme a tastons, sans sçavoir toutefois ni ou elle reside ni en quoy elle consiste, jusques a ce que la foy la luy monstre et luy en descrit les merveilles [138] infinies: et lhors ayant treuvé le tresor qu'il cherchoit, helas, quel contentement a ce pauvre cœur humain, quelle joye, quelle complaysance d'amour! Hé, je l'ay rencontré, Celuy que mon ame cherchoit sans le connoistre; o que ne sçavois-je a quoy tendoyent mes pretentions quand rien de tout ce que je pretendois ne me contentoit, parce que je ne sçavois pas ce que, en effect, je pretendois! Je pretendois d'aymer, et ne connoissois pas ce qu'il failloit aymer; et partant, ma pretention ne treuvant pas son veritable amour, mon amour estoit tous-jours en une veritable mais inconneüe pretention: j'avois bien asses de presentiment d'amour pour me faire pretendre, mays je n'avois pas asses de sentiment de la bonté qu'il failloit aymer, pour exercer l'amour..

  A004000473 

 Celuy qui, pour le retardement de ce bonheur, protestoit que ses larmes luy estoyent un pain ordinaire nuit et jour, tandis que son Dieu luy estoit absent, et que ses adversaires l'enqueroyent, ou est ton Dieu? helas, qu'eust il fait s'il n'eust eu quelque sorte d'esperance de pouvoir une fois jouir de ce bien apres lequel il souspiroit? Et la divine Espouse va toute esploree et alangourie d'amour, dequoy elle ne treuve pas si tost le Bienaymé qu'elle cherche: l'amour du Bienaymé avoit creé en elle le desir, le desir avoit fait naistre l'ardeur du pourchas, et cette ardeur luy causoit la langueur, qui eust aneanti et consumé son pauvre cœur si elle n'eust eu quelqu'esperance de rencontrer en fin ce qu'elle pourchassoit.

  A004000475 

 Et de vray, Theotime, entre esperer et aspirer il y a seulement cette difference: que nous esperons les choses que nous attendons, par le moyen d'autruy, et nous aspirons aux choses que nous pretendons, par nos propres moyens, de nous mesmes; et d'autant que nous parvenons a la jouissance de nostre souverain bien qui est Dieu, premierement et principalement par sa faveur, grace et misericorde, et que neanmoins cette mesme misericorde veut que nous cooperions a sa faveur, contribuans la foiblesse de nostre consentement a la force de sa grace, partant, nostre esperance est aucunement meslee d'aspirement: si que nous n'esperons pas tout a fait sans aspirer, et n'aspirons jamais sans tout a fait esperer; en quoy l'esperance tient tous-jours le rang principal, comme fondee sur la grace divine, sans laquelle, tout ainsy que nous ne pouvon pas seulement [141] penser a nostre souverain bien selon qu'il convient pour y parvenir, aussi ne pouvons-nous jamais sans icelle y aspirer comme il faut pour l'obtenir. L'aspirement donques est un rejetton de l'esperance, comme nostre cooperation l'est de la grace: et tout ainsy que ceux qui veulent esperer sans aspirer seront rejettés comme couards et negligens, de mesme ceux qui veulent aspirer sans esperer sont temeraires, insolens et presomptueux.

  A004000479 

 Je ne dis pas, toutefois, qu'il revienne tellement a nous, qu'il nous fasse aymer Dieu seulement pour l'amour de nous: o Dieu, nenny; car l'ame qui n'aymeroit Dieu que pour l'amour d'elle mesme, establissant la fin de l'amour qu'elle porte a Dieu en sa propre commodité, helas, elle commettroit un extreme sacrilege.

  A004000479 

 L'amour que nous prattiquons en l'esperance, Theotime, va certes a Dieu, mays il retourne a nous; il a son regard en la divine Bonté, mays il a de l'esgard a nostre utilité; il tend a cette supreme perfection, mays il pretend nostre satisfaction: c'est a dire, il ne nous porte pas en Dieu parce que Dieu est souverainement bon en soy mesme, mais parce qu'il est souverainement bon envers nous mesmes; ou, comme vous voyes, il y a du nostre et du nous mesme; et partant, cet amour est voirement amour, mais amour de convoitise et interessé.

  A004000481 

 Cet amour donq que nous appelions esperance, est un amour de convoitise, mais d'une sainte et bien ordonnee convoitise, par laquelle nous ne tirons pas Dieu a nous ni a nostre utilité, mays nous nous joignons a luy comme a nostre finale felicité.

  A004000481 

 Nous nous aymons ensemblement avec Dieu par cet amour, mays non pas nous preferant ou esgalant a luy en cet amour; l'amour de nous mesmes est meslé avec celuy de Dieu, mays celuy de Dieu surnage; nostre amour propre y entre voirement, mais comme simple motif, et non comme fin principale; nostre interest y tient quelque lieu, mays Dieu y tient le rang principal.

  A004000481 

 Ouy, sans doute, Theotime, car quand nous aymons Dieu comme nostre souverain bien, nous l'aymons pour une qualité par laquelle nous ne le rapportons pas à nous, mais nous a luy; nous ne sommes pas sa fin, sa pretention ni sa perfection, ains il est la nostre; il ne nous appartient pas, mais nous luy appartenons; il ne depend point de nous, ains nous de luy; et en somme, par la qualité de souverain bien, pour laquelle nous l'aymons, il ne reçoit rien de nous, ains nous recevons de luy; il exerce envers nous son affluence et bonté, et nous prattiquons nostre indigence et disett: de sorte que, aymer Dieu en tiltre du souverain bien, c'est l'aymer en tiltre honnorable et respectueux, par lequel nous l'advoüons estre nostre perfection, nostre repos et nostre fin, en la jouissance de laquelle consiste nostre bonheur..

  A004000482 

 Il y a des biens desquelz nous nous servons en les employant, comme sont nos esclaves, nos serviteurs, nos chevaux, nos habitz; et l'amour que nous leur [144] portons est un amour de pure convoitise, car nous ne les aymons pas que pour nostre prouffit.

  A004000482 

 Mais il y a des biens dont nous jouissons d'une jouissance de dependance, participation et sujettion, comme nous faysons de la bienveuillance de nos pasteurs, princes, pere, mere, ou de leur presence et faveur: car l'amour que nous leur portons est aussi, certes, amour de convoitise, quand nous les aymons entant qu'ilz sont nos princes, nos pasteurs, nos peres, nos meres, puisque ce n'est pas la qualité de pasteur, ni de prince, ni de pere, ni de mere, qui nous les fait aymer, ains parce qu'ilz sont telz en nostre endroit et a nostre regard; mays cette convoitise est un amour de respect, de reverence, d'honneur; car nous aymons, par exemple, nos peres, non parce qu'ilz sont nostres, mays parce que nous sommes a eux.

  A004000484 

 Or, quand je dis que nous aymons souverainement Dieu, je ne dis pas que nous l'aymions pour cela du souverain amour, car le souverain amour n'est qu'en la charité; mais en l'esperance l'amour est imparfait, parce qu'il ne tend pas a sa bonté infinie entant qu'elle est telle en elle mesme, ains seulement entant qu'elle nous est telle: et neanmoins, parce qu'en cette sorte d'amour il n'y a point de plus excellent motif que celuy qui provient de la consideration du souverain bien, nous disons que par iceluv nous aymons souverainement, quoy qu'en verité nul, par ce seul amour, ne puisse ni observer les commandemens de Dieu ni avoir la vie eternelle, parce que c'est un amour qui donne plus d'affection que d'effect, quand il n'est pas accompagné de la charité..

  A004000488 

 Et j'ay enclos en la pœnitence le propos de [146] reparer l'offence, parce que la repentance ne deteste pas asses le mal quand elle laisse volontairement subsister son principal effect, qui est l'offence et l'injure: or, elle le laisse subsister, tandis que le pouvant en quelque sorte reparer elle ne le fait pas..

  A004000489 

 Il y en a, certes, une qui est purement morale et humaine: comme fut celle d'Alexandre le Grand, lequel ayant tué son cher Clitus cuyda se laisser mourir de faim, tant la force de la pœnitence fut grande, dit Ciceron; et celle d'Alcibiades, qui, convaincu par Socrates de n'estre pas sage, se print a pleurer amerement, triste et affligé de n'estre pas ce qu'il devoit estre, dit saint Augustin.

  A004000494 

 Or cette sorte de repentance, attachee a la science et dilection de Dieu que la nature peut fournir, estoit une dependance de la religion morale; mays comme la rayson naturelle a donné plus de connoissance que d'amour aux philosophes, qui ne l'ont pas glorifié a [148] proportion de la notice qu'ilz en avoyent, aussi la nature a fourni plus de lumiere pour faire entendre combien Dieu estoit offencé par le peché, que de chaleur pour exciter le repentir requis a la reparation de l'offence..

  A004000500 

 Quelquefois encor nous sommes provoqués a pœnitence par la beauté de la vertu, qui nous donne autant de biens que le peché nous cause de maux: et de plus, nous y sommes maintefois excités par l'exemple des Saintz; car, qui eut jamais peu voir les exercices de l'incomparable pœnitence de Magdeleine, de Marie Ægiptiaque ou des penitens du monastere surnommé [150] Prison, dont saint Jean Clymacus a fait la description, sans estre esmeu a se repentir de ses pechés, puisque la seule lecture de l'histoire y provoque ceux qui ne sont pas du tout hebetés?.

  A004000503 

 Elle est a la verité louable, car ni la Sainte Escriture ni l'Eglise ne nous exciteroient pas par telz motifs, si la pœnitence qui en provient n'estoit bonne; et on void manifestement que c'est chose grandement raysonnable de se repentir du peché pour ces considerations, ains qu'il est impossible de ne se repentir pas, a qui les considere attentivement: mays pourtant c'est une pœnitence, certes, imparfaite, d'autant que l'amour divin n'y entre encor point.

  A004000503 

 Hé, ne voyes vous pas, Theotime, que toutes ces repentances se font pour l'interest de nostre ame, de sa felicité, de sa beauté interieure, de son honneur, de sa dignité, et, en un mot, pour l'amour de nous mesmes, mais amour neanmoins legitime, juste et bien reglé..

  A004000504 

 Et prenes garde que je ne dis pas que ces repentances rejettent l'amour de Dieu, mais je dis seulement qu'elles [151] ne le comprennent pas; elles ne le repoussent pas, mais elles ne le contiennent pas; elles ne sont pas contre luy, mais elles sont encor sans luy; il n'en est pas forclos, mais il n'y est pas non plus enclos.

  A004000504 

 La volonté qui embrasse le bien, simplement, est fort bonne, mais si elle l'embrasse en rejettant le mieux, elle est certes desreglee, non pas acceptant l'un, mais en repoussant l'autre: ainsy, le vœu de donner aujourd'huy l'aumosne est bon, mais le vœu de ne la donner qu'aujourd'huy seroit mauvais, parce qu'il forclorroit le mieux, qui est de la donner aujourd'huy et demain et tous-jours, quand on pourra.

  A004000506 

 Conclusion: la repentance qui forclost l'amour de Dieu est infernale, pareille a celle des damnés; la repentance qui ne rejette pas l'amour de Dieu, quoy qu'elle soit encor sans iceluy, est une bonne et desirable repentance, mais imparfaite, et qui ne peut nous donner le salut jusques a ce qu'elle ayt atteint a l'amour et qu'elle se soit meslee avec iceluy: si que, comme le grand Apostre a dit que s'il donnoit son cors a brusler et tous ses biens aux pauvres, sans avoir la charité, cela luy seroit inutile, aussi pouvons-nous dire en verité, que quand nostre penitence seroit si grande que sa douleur fist fondre nos yeux en larmes et fendre nos cœurs de regret, si nous n'avons pas le saint amour de Dieu tout cela ne nous serviroit de rien pour la vie eternelle..

  A004000513 

 Mais je ne veux pas dire neanmoins que l'amour parfait de Dieu, par lequel on l'ayme sur toutes choses, precede tous-jours cette repentance, ni que cette repentance precede tous-jours cet amour.

  A004000515 

 Dites-moy, de grace: c'est la proprieté de l'aymant de tirer a soy le fer et de se joindre a luy; mays ne voyons-nous pas que le fer touché de l'aymant, sans avoir ni l'aymant ni sa nature, ains seulement sa vertu et qualité attrayante, ne laisse pas de tirer et s'unir un autre fer? Ainsy la parfaite repentance, touchee du motif de l'amour sans avoir la propre action de l'amour, ne laisse pas d'en avoir la vertu et la qualité, c'est a dire le mouvement d'union pour rejoindre et reunir nos cœurs a la volonté divine.

  A004000515 

 Il arrive mesme parfois que la repentance, quoy que parfaite, ne contient pas en soy la propre action de l'amour, ains seulement la vertu et proprieté d'iceluy.

  A004000515 

 Mais, ce me dires-vous, quelle vertu ou proprieté de l'amour peut avoir la repentance, si elle n'a pas l'action? Theotime, le motif de la parfaite repentance, c'est la bonté de Dieu laquelle il nous desplait d'avoir offencee; or, ce motif n'est motif sinon parce qu'il esmeut et donne le mouvement, mais le mouvement que la bonté divine donne au cœur qui la considere ne peut estre que le mouvement d'amour, c'est a dire d'union: c'est pourquoy la vraye repentance, bien qu'il ne soit pas advis et qu'on ne voye pas la propre action de l'amour, reçoit neanmoins tous-jours le mouvement de l'amour et la qualité unissante d'iceluy, par laquelle elle nous reunit et rejoint a la divine bonté.

  A004000516 

 Ainsy le vin theriacal n'est pas appelle theriacal pour contenir la propre substance de la theriaque, car il n'y en a point du tout; mais on le nomme ainsy parce que la plante de la vigne ayant esté detrempee en theriaque, les raisins et le vin qui en sont provenus ont tiré la vertu et l'operation de la theriaque contre toute sorte de venins.

  A004000516 

 Si donques la penitence, selon l'Escriture, efface le peché, sauve l'ame, la rend aggreable a Dieu et la justifie, qui sont des effectz appartenans a l'amour et qui semblent ne devoir estre attribués qu'a luy, il ne le faut pas treuver estrange; car bien que l'amour ne se treuve pas tous-jours luy mesme en la pœnitence parfaitte, sa vertu neanmoins et sa proprieté y est tous-jours, s'y estant escoulee par le motif amoureux duquel elle provient..

  A004000517 

 Ains plustost, la fin de la pœnitence est dans le commencement de l'amour, comme le pied d'Esaü estoit dans la main de Jacob; de telle façon que lhors qu'Esaü achevoit sa naissance, Jacob commençoit la sienne, la fin de la naissance de l'un estant jointe, liee, et qui plus est, environnee du commencement de la naissance de l'autre; car ainsy le commencement de l'amour parfait ne suit pas seulement la fin de la pœnitence, mais il s'attache, il se lie, et, pour le dire en un mot, ce commencement d'amour se mesle avec la fin de la repentance, et en ce moment du meslange, la pœnitence et contrition merite la vie eternelle..

  A004000517 

 Ni ne faut pas non plus s'estonner que la force de l'amour naisse dedans la repentance avant que l'amour y soit formé; puisque nous voyons que par la reflexion des rayons du soleil battant sur la glace d'un mirouer, la chaleur, qui est la vertu et propre qualité du feu, s'augmente petit a petit si fort, qu'elle commence a brusler avant qu'elle ayt bonnement produit le feu, ou, au moins, avant que nous l'ayons apperceu.

  A004000518 

 Or, parce que cette repentance amoureuse se prattique ordinairement par des eslans ou eslevemens du cœur en Dieu, pareilz a ceux des anciens pœnitens: Je suis vostre, o mon Dieu, sauves-moy; Ayés misericorde de moy, ayés-en misericorde, car mon ame se confie en vous; Sauves-moy, Seigneur, car les eaux submergent mon ame; Faites-moy comme un de vos mercenaires; Seigneur, soyes-moy propice, a moy, pauvre pecheur, ce n'est pas sans rayson que quelques uns ont dit que l'orayson justifioit; car l'orayson repentante, ou la repentance suppliante, eslevant l'ame en Dieu et la reunissant a sa bonté, obtient sans doute le pardon, en vertu du saint amour qui luy donne le mouvement sacré.

  A004000522 

 Aussi, le grand saint Augustin prononce solemnellement cette remarquable parole: «Escoute une fois, o homme, et entens! N'es-tu pas tiré? prie affin que tu sois tiré;» en laquelle, son intention n'est pas de parler du premier mouvement que Dieu fait «en nous, sans nous,» [159] Ihors qu'il nous excite et esveille du sommeil de peché; car, comme pourrions nous demander le reveil, puisque personne ne peut prier avant qu'estre esveillé? mays il parle de la resolution que l'on prend d'estre fidele, car il estime que croire c'est estre tiré, et partant, il admonneste ceux qui ont esté excités a croire en Dieu, de demander le don de la foy.

  A004000522 

 Comme s'il eut voulu dire: Je ne suis plus dans l'obscurité de la nuit d'infidelité, des-ja les rayons de vostre foy esclairent sur l'orison de mon ame, mais neanmoins je ne croy pas encor convenablement, c'est une connoissance encor toute foyble et meslee de tenebres; helas, Seigneur, secoures moy.

  A004000522 

 Entre le premier reveil du peché ou de l'incredulité et la resolution finale que l'on prend de croire parfaitement, il y va souventefois beaucoup de tems, pendant lequel on peut prier, comme fit saint Pachome, ainsy que nous avons veu; et comme le pere du pauvre lunatique, lequel, au rapport de saint Marc, asseurant qu'il croyoit, c'est a dire qu'il commençoit a croire, conneut quand et quand qu'il ne croyoit pas asses, dont il s'escria: Hé, Seigneur, je croy, mais aydes mon incredulité.

  A004000522 

 Et personne, certes, ne pouvoit mieux sçavoir les difficultés qui se passent ordinairement entre le premier mouvement que Dieu fait en nous et la parfaite resolution de bien croire, que saint Augustin, qui, ayant receu une si grande varieté d'attraitz, par les paroles du glorieux saint Ambroyse, par la conference faite avec Potitian et mille autres moyens, ne laissa pas neanmoins d'user de tant de remises et d'avoir tant de peyne a se resoudre; si que a luy, de vray, plus qu'a nul autre, on eust peu bien dire, ce qu'il dit par apres aux autres: Helas, Augustin, si tu n'es pas tiré, si tu ne croys pas, «prie que tu sois tiré» et que tu croyes..

  A004000523 

 Nostre Seigneur tire les cœurs par les delectations qu'il leur donne, lesquelles font treuver la doctrine celeste douce et aggreable, mais avant que cette douceur ayt engagé et lié la volonté par ses amiables liens, pour la tirer a l'acquiescement et consentement parfait de la foy, comme Dieu ne manque pas d'exercer sa bonté sur nous par ses saintes inspirations, aussi nostre ennemi ne cesse point de prattiquer sa malice par ses tentations.

  A004000525 

 Voyes vous, Theotime, elle ne prieroit pas si elle n'estoit excitee, mais si tost qu'elle l'est et qu'elle sent les attraitz, elle prie qu'on la tire; estant tiree elle court, mays elle ne courroit pas si les parfums qui l'attirent, et par lesquelz on la tire, ne luy avivoient le cœur par la force de leur odeur precieuse; et comme elle court plus fort et qu'elle s'approche de plus pres de son celeste Espoux, elle sent tous-jours plus delicieusement les suavités qu'il respand, jusques a ce qu'en fin luy mesme s'escoule dedans son cœur par maniere de bausme respandu, si qu'elle s'escrie, comme surprise de ce contentement, non si tost attendu et inopiné: O mon Espoux, vous estes un bausme versé dans mon sein! ce n'est pas merveille si les jeunes ames vous cherissent.

  A004000526 

 Que si nous ne la repoussons pas, elle vient avec nous et nous environne, pour nous inciter et pousser tous-jours plus avant; et si nous ne l'abandonnons, elle ne nous abandonne point qu'elle ne nous ayt rendus au port de la tressainte charité, faysant pour nous les troys offices que le grand ange Raphaël fit pour son cher Tobie: car elle nous guide en tout nostre voyage de la sainte pœnitence, elle nous garentit des perilz et des assautz du diable, et nous console, anime et fortifie en nos difficultés..

  A004000530 

 Voyla donq en fin, mon cher Theotime, comme Dieu, par un progres plein de suavité ineffable, conduit l'ame qu'il fait sortir hors de l'Egypte du peché, d'amour en amour, comme de logement en logement, jusques a ce qu'il l'ayt fait entrer en la Terre de promission, je veux dire en la tressainte charité; laquelle, pour le dire en un mot, est une amitié et non pas un amour interessé, car par la charité nous aymons Dieu pour l'amour de luy mesme, en consideration de sa bonté tres souverainement aymable.

  A004000531 

 Et partant, Theotime, ce n'est pas un amour que les forces de la nature ni humaine ni angelique puissent produire, ains le Saint Esprit le donne et le respand en nos cœurs; et comme nos ames, qui donnent la vie a nos cors, n'ont pas leur origine de nos cors, mays sont mises dans nos cors par la providence naturelle de Dieu, ainsy la [164] charité, qui donne la vie a nos cœurs, n'est pas extraitte de nos cœurs, mays elle y est versee comme une celeste liqueur, par la providence surnaturelle de sa divine Majesté..

  A004000531 

 Il est choisi, dit l'Espouse sacree, entre mille: elle dit entre mille, mais elle veut dire entre tous; c'est pourquoy cette dilection n'est pas dilection de simple excellence, ains une dilection incomparable, car la charité ayme Dieu par une estime et preference de sa bonté, si haute et relevee au dessus de toute autre estime, que les autres amours, ou ne sont pas vrays amours en comparayson de cestuy-cy, ou s'ilz sont vrays amours, cestuy-cy est infiniment plus qu'amour.

  A004000531 

 Or cette amitié n'est pas une simple amitié, mais amitié de dilection, par laquelle nous faysons election de Dieu pour l'aymer d'amour particulier.

  A004000542 

 Allés donq, dit saint Bernard, allés, dis-je avec luy, allés, mon cher Theotime, et n'ayes point d'autres bornes que celles de vostre vie, et tandis qu'elle durera, courés apres ce Sauveur; mais courés ardemment et vistement, car, dequoy vous servira de le suivre, si vous n'estes si heureux que de l'aconsuivre? Escoutons le Prophete: J'ay incliné mon cœur a faire vos justifications eternellement; il ne dit pas qu'il les gardera pour un tems, mais pour jamais; et parce qu'il veut eternellement bien faire, il aura un eternel salaire.

  A004000542 

 Detestable, tu seras assis! hé, ne connois-tu pas que tu es au chemin, et que le chemin n'est pas fait pour s'asseoir mais pour marcher? Et il est tellement fait pour marcher, que marcher s'appelle cheminer; et Dieu, parlant a l'un de ses plus grans amis: Marche, luy dit-il, devant moy, et sois parfait..

  A004000543 

 De sorte que la charité mesme qui est en nostre Redempteur, entant qu'il est homme, quoy qu'elle soit grande au dessus de tout ce que les Anges et les hommes peuvent comprendre, si est-ce qu'elle n'est pas infinie en son estre et d'elle mesme; ains seulement en l'estime de sa dignité et de son merite, parce qu'elle est la charité [169] d'une personne d'infinie excellence, c'est a dire d'une Personne divine, qui est le Filz eternel du Pere tout puissant..

  A004000543 

 L'esprit de Dieu peut eslever le nostre et l'appliquer a toutes les actions surnaturelles qu'il luy plait, tandis qu'elles ne sont pas infinies: d'autant qu'entre les choses petites et les grandes, pour excessives qu'elles soyent, il y a tous-jours quelque sorte de proportion, pourveu que l'exces des excessives ne soit pas infini; mais entre le fini et l'infini il n'y a nulle proportion, et pour y en mettre, il faudroit, ou relever le fini et le rendre infini, ou ravaler l'infini et le rendre fini, ce qui ne peut estre.

  A004000543 

 La charité donq, entre nous, peut estre perfectionnee jusques a l'infini, mais exclusivement; c'est a dire, la charité peut estre rendue de plus en plus et tous-jours plus excellente, mais non pas que jamais elle puisse estre infinie.

  A004000550 

 Or je dis que Dieu fait cela, parce que la charité ne produit pas ses [170] accroissemens comme un arbre qui pousse ses rameaux et les fait sortir par sa propre vertu les uns des autres; ains, comme la foy, l'esperance et la charité sont des vertus qui ont leur origine de la Bonté divine, aussi en tirent-elles leur augmentation et perfection, a guise des avettes, lesquelles estant extraittes du miel prennent aussi leur nourriture d'iceluy..

  A004000552 

 Or, comme au thresor du Temple, les deux petites pittes de la pauvre vefve furent [171] estimees, et qu'en effect, par l'addition des petites pieces, les thresors s'aggrandissent et leur valeur s'augmente d'autant, ainsy les moindres petites bonnes œuvres, quoy que faites un peu laschement et non selon toute l'estendue des forces de la charité que l'on a, ne laissent pas d'estre aggreables a Dieu et d'avoir leur valeur aupres de luy: de sorte qu'encor que d'elles mesmes elles ne puissent pas causer aucun accroissement a l'amour precedent, estans de moindre vigueur que luy, la Providence divine toutefois, qui en tient compte et par sa bonté en fait estat, les recompense soudain de l'accroissement de la charité pour le present, et de l'assignation d'une plus grande gloire au Ciel pour l'advenir..

  A004000553 

 Theotime, les abeilles font le miel delicieux qui est leur ouvrage de haut prix, mays la cire, qu'elles font aussi, ne laisse pas pour cela de valoir quelque chose et de rendre leur travail recommandable: le cœur amoureux doit tascher de produire ses œuvres avec grande ferveur et de haute estime, afhn d'augmenter puissamment sa charité; mays si, toutefois, il en produit de moindres, il ne perdra point la recompense, car Dieu luy en sçaura gré, c'est a dire l'en aymera tous-jours un peu plus.

  A004000554 

 Certes, le sacré Concile de Trente parle ainsy: «Si quelqu'un dit que la justice receüe n'est pas conservee, et que mesmes elle n'est pas augmentee devant Dieu par bonnes œuvres, [172] mays que les œuvres sont seulement fruitz et signes de la justification acquise, et non pas cause de l'augmenter, anatheme.» Voyés-vous, Theotime, la justification qui se fait par la charité est augmentee par les bonnes œuvres, et, ce qu'il faut remarquer, c'est par les bonnes œuvres sans exception; car, comme dit excellemment saint Bernard sur un autre sujet, «rien n'est excepté ou rien n'est distingué.» Le Concile parle des bonnes œuvres indistinctement et sans reserve, nous donnant a connoistre, que non seulement les grandes et ferventes, ains aussi les petites et foibles, font augmenter la sainte charité; mais les grandes, grandement, et les petites, beaucoup moins..

  A004000555 

 Or, ce n'est pas merveille si l'amour sacré, comme roy des vertus, n'a rien, ou petit ou grand, qui ne soit aymable, puisque le baume, prince des arbres aromatiques, n'a ni escorce ni feuille qui ne soit odorante: et que pourroit produire l'amour, qui ne fust digne d'amour et ne tendist a l'amour? [173].

  A004000559 

 Neanmoins, le mesme amour qui luy donna ce grand assaut de douleur, luy donna quant et quant la force de le soustenir, et il le mit en action pour, avec une promptitude nompareille, remedier au mal de la chere compaigne de sa vie: si que, ouvrant de vistesse un buffet qui estoit la, il prend une eau cordiale infiniment pretieuse, et en ayant rempli sa bouche, il ouvre de force les levres et les dens serrees de cette bienaymee princesse; puis, soufflant et jettant cette pretieuse liqueur qu'il tenoit en sa bouche, dedans celle de sa pauvre pasmee, et espluyant au nez, sur les temples et sur l'endroit du cœur d'icelle le reste de la phiole, il la fit en fin revenir a soy et reprendre sentiment; puis il la releve doucement, et a force de remedes il la revigore et ravive en telle sorte, qu'elle commença a se lever sur pied et se promener tout bellement avec luy; mays non pas toutefois sans son ayde: car il l'alloit relevant et soustenant par dessous le bras, jusques a ce qu'en fin il luy mit un epitheme de si grande vertu et si pretieux sur l'endroit du cœur, que lhors, se sentant tout a fait remise en sa [174] premiere santé, elle marchoit toute seule d'elle mesme, son cher espoux ne la soustenant plus si fort, ains seulement luy tenant doucement sa main droite entre les siennes et son bras droit replié sur le sien et sur sa poitrine.

  A004000559 

 si elle eust rencontré quelque pas ou quelqu'endroit rabotteux et malaysé, il l'eust retenue et appuyee, et es montees, ou quand elle vouloit aller un peu viste, il la soustenoit et supportoit puissamment.

  A004000560 

 Or, tandis qu'il la fait ainsy passer entre les vertus par lesquelles il la dispose a ce saint amour, il ne la conduit pas seulement, mais il la soustient de telle façon, que comme elle, de son costé, marche tant qu'elle peut, aussi luy, pour sa part, la porte et la va soustenant; et ne sçauroit-on bonnement dire si elle va ou si elle est portee, car elle n'est pas tellement portee qu'elle n'aille, et va toutefois tellement, que si elle n'estoit portee elle ne pourroit pas aller; si que, pour parler a l'apostolique, elle doit dire: Je marche, non pas moy seule, ains la grace de Dieu avec moy..

  A004000563 

 Ne voyons-nous pas, Theotime, que souvent les hommes sains et robustes ont besoin qu'on les provoque a bien employer leur force et leur pouvoir, et que, par maniere de dire, on les conduise a l'œuvre par la main? Ainsy, Dieu nous ayant donné sa charité, et par icelle la force et le moyen de gaigner païs au chemin de la perfection, son amour neanmoins ne luy permet pas de nous laisser aller ainsy seulz; ains il le fait mettre en chemin avec nous, il le presse de nous presser, et sollicite son cœur de solliciter et pousser le nostre a bien employer la sainte charité qu'il nous a donnee, repliquant souvent par ses inspirations les advertissemens que saint Paul nous fait: Voyés de ne point recevoir la grace celeste en vain; Tandis que vous aves le tems faites tout le bien que vous pourres; Courés en sorte que vous emporties le prix.

  A004000565 

 Ne voyes-vous pas le jeune homme de l'Evangile, que Nostre Seigneur aymoit, et qui, par consequent, estoit en charité? il n'avoit, certes, nulle pensee de vendre tout ce qu'il avoit pour le donner aux pauvres et suivre Nostre Seigneur; ains, quand Nostre Seigneur luy en eut donné l'inspiration, encor n'eut-il pas le courage de l'executer.

  A004000566 

 Saint Anthoine fut assailli d'une effroyable legion de demons, desquelz ayant asses longuement soustenu les effortz, non sans une peyne et des tourmens incroyables, en fin il vit le toit de sa cellule se fendre, et un rayon celeste fondre dans l'ouverture, qui dissipa en un moment la noyre et tenebreuse trouppe de ses ennemis et luy osta toute la douleur des coups receus en cette bataille: dont il conneut la presence speciale de Dieu, et jettant un profond souspir du costé de la vision: «Ou esties vous, o bon Jesus,» dit-il, «ou esties vous? pourquoy ne vous estes vous pas treuvé ici des le commencement, pour remedier a ma peyne?» «Anthoine,» luy fut il respondu d'en haut, «j'estois ici, mais j'attendois l'issue de ton combat: or, parce que tu as esté brave et vaillant, je t'ayderay tous-jours.» Mais en quoy consistoit la vaillance et le courage de ce grand soldat spirituel? Il le declara luy mesme une autre fois, qu'estant attaqué par un diable qui avoüa d'estre l'esprit de fornication, ce glorieux Saint, apres plusieurs parolles dignes de son grand courage, commença a chanter le verset 7 du Psalme CXVII:.

  A004000589 

 Tout ainsy donq qu'une douce mere, menant son petit enfant avec elle l'ayde et supporte selon qu'elle void la necessité, luy laissant faire quelques pas de luy mesme es lieux moins dangereux et bien plains, tantost le prenant par la main et l'affermissant, tantost le mettant entre ses bras et le portant, de mesme Nostre Seigneur a un soin continuel de la conduite de ses enfans, c'est a dire de ceux qui ont la charité, les faisant marcher devant luy, leur tendant la main es difficultés, et les portant luy mesme es peynes qu'il void leur estre autrement insupportables.

  A004000591 

 Et quant a ceux-ci, ilz n'ont pas besoin de grande varieté de secours, ains, si quelque grande tentation ne leur survient, ilz peuvent faire une si courte perseverance avec la seule charité qui leur est donnee et les assistances par lesquelles ilz se sont convertis; car ilz arrivent au port sans navigation, et font leur pelerinage en un seul sault que la [181] puissante misericorde de Dieu leur fait faire si a propos, que leurs ennemis les voyent triompher avant que de les sentir combattre: de sorte que leur conversion et leur perseverance n'est presque qu'une mesme chose, et qui voudroit parler exactement selon la proprieté des motz, la grace qu'ilz reçoivent de Dieu, d'avoir aussi tost l'issue que le commencement de leur pretention, ne sçauroit estre bonnement appellee perseverance; bien que, toutefois, parce que quant a l'effect elle tient lieu de perseverance en ce qu'elle donne le salut, nous ne laissons pas aussi de la comprendre sous le nom de perseverance.

  A004000591 

 Mais la suite des secours et assistances n'est pas egale en tous ceux qui perseverent; car es uns elle est fort courte, comme en ceux qui se convertissent a Dieu peu avant leur mort, ainsy qu'il advint au bon larron; au sergent qui, voyant la constance de saint Jacques, fit sur le champ profession de foy et fut rendu compaignon du martyre de ce grand Apostre; au portier bienheureux qui gardoit les quarante Martyrs en Sebaste, lequel voyant l'un d'iceux perdre courage et quitter la palme du martyre, se mit en sa place, et en un moment se rendit Chrestien, martyr et glorieux tout ensemble; au notaire duquel il est parlé en la vie de saint Anthoine de Padoüe, qui ayant toute sa vie esté un faux vilain, fut neanmoins martyr en sa mort; et a mille autres, que nous avons veu et leu avoir esté si heureux que de mourir bons, ayant vescu mauvais.

  A004000593 

 Non certes que je veuille dire que la perseverance ayt son origine de nostre pouvoir, car au contraire, je sçay qu'elle procede de la misericorde divine, de laquelle elle est un don tres pretieux; mays je veux dire qu'encor qu'elle ne provient pas de nostre pouvoir, elle vient neanmoins en nostre pouvoir, par le moyen de nostre vouloir que nous ne sçaurions nier estre en nostre pouvoir: car bien [182] que la grace divine nous soit necessaire pour vouloir perseverer, si est ce que ce vouloir est en nostre pouvoir, parce que la grace celeste ne manque jamais a nostre vouloir tandis que nostre vouloir ne defaut pas a nostre pouvoir.

  A004000594 

 Ainsy, trescher Theotime, nous devons, selon l'advis du saint Concile, «mettre toute nostre esperance en Dieu qui parachèvera nostre salut qu'il a commencé en nous, pourveu que nous ne manquions pas a sa grace.» Car il ne faut pas penser que celuy qui dit au paralitique: Va et ne veuille plus pecher, ne luy donnast aussi le pouvoir d'eviter le vouloir qu'il luy defendoit; et certes, il n'exhorteroit jamais les fideles a perseverer, s'il n'estoit prest a leur en donner le pouvoir.

  A004000613 

 Que si ayans esté entés nous demeurons en luy, nous porterons sans doute, par la vie de la grace qu'il nous communiquera, le fruit de la gloire qui nous est preparé; que si nous sommes comme jettons et greffes rompus sur cet arbre, c'est a dire, que par nostre resistance nous rompions le progres et l'entresuite des effectz de sa debonnaireté, ce ne sera pas merveille si en fin on nous retranche du tout, et qu'on nous mette dans le feu eternel, comme branches inutiles..

  A004000619 

 Neanmoins, cette union a laquelle nostre cœur aspire ne peut arriver a sa perfection en cette vie mortelle; nous pouvons commencer nos amours en ce monde, mais non pas les consommer qu'en l'autre..

  A004000620 

 Elle le treuve donq, ce Bienaymé, car il luy fait sentir sa presence par mille consolations; elle le tient, car ce sentiment produit [187] des fortes affections par lesquelles elle le serre et l'embrasse; elle proteste de ne le quitter jamais, oh non, car ces affections passent en resolutions eternelles; et toutefois, elle ne pense pas le bayser du bayser nuptial jusques a ce qu'elle soit avec luy en la mayson de sa mere, qui est la Hierusalem celeste, comme dit saint Paul.

  A004000621 

 Icy, en cette vie caduque, l'ame est voirement espouse et fiancee de l' Aigneau immaculé, mais non pas encor mariee avec luy; la foy et les promesses se donnent, mais l'execution du mariage est differee: c'est pourquoy il y a tous-jours lieu de nous en desdire, quoy que jamais nous n'en ayons aucune rayson, puisque nostre fidele Espoux ne nous abandonne jamais que nous ne l'obligions a cela par nostre desloyauté et perfidie.

  A004000622 

 Il est vray, Theotime, qu'en attendant ce grand bayser d'indissoluble union, que nous recevrons de l'Espoux la haut en la gloire, il nous en donne quelques uns par mille ressentimens de son aggreable presence; car si l'ame n'estoit pas baysee, elle ne seroit pas tiree, ni ne courroit pas a l'odeur des parfums du Bienaymé.

  A004000622 

 Pour cela, selon la naifveté du texte hebrieu et [188] selon la traduction des septantes interpretes, elle souhaitte plusieurs baysers: Qu'il me bayse, dit-elle, des baysers de sa bouche! Mais d'autant que ces menus baysers de la vie presente se rapportent tous au bayser eternel de la vie future, comme essays, preparatifs et gages d'iceluy, la sacree vulgaire Edition a saintement reduit les baysers de la grace a celuy de la gloire, exprimant le souhait de l'amante celeste en cette sorte: Qu'il me bayse d'un bayser de sa bouche! comme si elle disoit: Entre tous les baysers, entre toutes les faveurs que l'Ami de mon cœur, ou le cœur de mon ame m'a preparés, hé, je ne souspire ni n'aspire qu'a ce grand et solemnel bayser nuptial qui doit durer eternellement, et en comparayson duquel les autres baysers ne meritent pas le nom de bayser, puisqu'ilz sont plustost signes de l'union future entre mon Bienaymé et moy, qu'ilz ne sont pas l'union mesme..

  A004000628 

 Certes, il n'y a pas de l'apparence que la charité du grand saint Jean, des Apostres et hommes apostoliques n'ait esté plus grande, tandis mesme qu'ilz vivoyent ici bas, que celle des petitz enfans, qui mourans en la seule grace baptismale, jouissent de la gloire immortelle..

  A004000629 

 Ce n'est pas l'ordinaire non plus que les hommes mortelz ayent plus de charité que les immortelz; et toutefois il y en a eu de mortelz qui, estans inferieurs en l'exercice de l'amour aux immortelz, les ont neanmoins devancés en la charité et habitude amoureuse.

  A004000629 

 Ce n'est pas l'ordinaire que les bergers soyent plus vaillans que les soldatz; et toutefois David, petit berger, [190] venant en l'armee d'Israël, treuva que tous estoyent plus habiles aux exercices des armes que luy, qui neanmoins se treuva plus vaillant que tous.

  A004000633 

 Et en fin, l'amour maternel, le plus pressant, le plus actif, le plus ardent de tous, amour infatigable et insatiable, que ne devoit-il pas faire dans le cœur d'une telle Mere et pour le cœur d'un tel Filz?.

  A004000634 

 Hé, n'allegués pas, je vous prie, que cette sainte Vierge fut neanmoins sujette au dormir; non, ne me dites pas cela, Theotime, car ne voyes-vous pas que son sommeil est un sommeil d'amour, de sorte que son Espoux mesme veut qu'on la laisse dormir tant qu'il luy plaira? Ah, gardés bien, je vous en conjure, dit-il, d'esveiller ma Bienaymee jusques a ce qu'elle le veuille.

  A004000636 

 Et puis, mon cher Theotime, ne saves vous pas que les songes mauvais procurés volontairement par les pensees depravees du jour, tiennent en quelque sorte lieu de peché, parce que ce sont comme des dependances et executions de la malice precedente? Ainsy, certes, les songes provenans des saintes affections de la veille sont estimés vertueux et sacrés.

  A004000636 

 Mon Dieu, Theotime, quelle consolation d'ouïr saint Chrysostome, racontant un jour a son peuple la vehemence de l'amour qu'il luy portoit! «La necessité du sommeil,» dit-il, «pressant nos paupieres, la tirannie de nostre amour envers vous excite les yeux de nostre esprit, et maintefois emmi mon sommeil il m'a esté advis que je vous parlois, car l'ame a accoustumé de voir en songe, par imagination, ce qu'elle pense parmi la journee: ainsy, ne vous voyans pas des yeux de la chair, nous vous voyons des yeux de la charité.» Hé, doux Jesus, qu'est-ce que devoit songer vostre tressainte Mere Ihors qu'elle dormoit et que son [193] cœur veilloit? Ne songeoit-elle point de vous voir encor plié dans ses entrailles, comme vous fustes neuf mois? ou bien pendant a ses mammelles et pressant doucement le sacré chicheron de son tetin virginal? Helas, que de douceurs en cette ame! Peut estre songea-elle maintefois que, comme Nostre Seigneur avoit jadis souvent dormi sur sa poitrine, ainsy qu'un petit aignelet sur le flanc mollet de sa mere, de mesme aussi elle dormoit dans son costé percé, comme une blanche colombe dans le trou d'un rocher asseuré.

  A004000645 

 Ah! dit saint Hierosme a son Paulin, «le docte Platon ne sceut onques ceci, l'eloquent Demosthenes l'a ignoré.» O que vos paroles, dit ce grand Roy, sont douces, Seigneur, a mon palais, plus douces que le miel a ma bouche! Nostre cœur n'est oit-il pas tout ardent, tandis qu'il nous parloit en chemin? disent ces heureux pelerins d'Emaüs, parlant des flammes amoureuses dont ilz estoyent touchés par la parole de la foy..

  A004000645 

 Dieu a empreint [196] sa piste, ses alleures et passees en toutes les choses creées; de sorte que la connoissance que nous avons de sa divine Majesté par les creatures, ne semble estre autre chose que la veüe des pieds de Dieu, et qu'en comparayson de cela la foy est une veüe de la face mesme de sa divine Majesté, laquelle nous ne voyons pas encores au plein jour de la gloire, mais nous la voyons, pourtant, comme en la prime aube du jour, ainsy qu'il advint a Jacob aupres du gay de Jaboc; car bien qu'il n'eust veu l'Ange avec lequel il lutta, sinon a la foible clarté du point du jour, si est-ce que tout ravi de contentement il ne laissa pas de s'escrier: J'ay veu le Seigneur face a face, et mon ame a esté sauvee.

  A004000646 

 Nous avons voirement creu tout ce qu'on nous avoit annoncé de ta gloire, o grande cité de Dieu, mays nous ne pouvions pas concevoir la grandeur infinie des abismes de tes delices..

  A004000646 

 Que si les verités divines sont de si grande suavité estans proposees en la lumiere obscure de la foy, o Dieu, que sera-ce quand nous les contemplerons en la clarté du midy de la gloire? La Reyne de Saba qui, a la grandeur de la renommee de Salomon, avoit tout quitté pour le venir voir, estant arrivee en sa presence et ayant escouté les merveilles de la sagesse qu'il respandoit en ses propos, toute esperdue et comme pasmee d'admiration, s'escria que ce qu'elle avoit appris par [197] ouï dire de cette celeste sagesse n'estoit pas la moitié de la connoissance que la veüe et l'experience luy en donnoyent.

  A004000650 

 Alexandre ayant englouti tout ce bas monde, qu'en effect, qu'en esperance, ouït dire a un chetif homme du monde qu'il y avoit encor plusieurs autres mondes; et comme un petit enfant qui veut pleurer pour une pomme qu'on luy refuse, cet Alexandre que les mondains appellent le Grand, plus fol neanmoins qu'un petit enfant, se prend a pleurer a chaudes larmes dequoy il n'y avoit pas apparence qu'il peust conquerir les autres mondes, puisqu'il n'avoit encor pas l'entiere possession de celuy cy.

  A004000650 

 Celuy qui jouissant plus pleinement du monde que jamais nul ne fit, en est toutefois si peu content qu'il pleure de tristesse dequoy il n'en peut avoir d'autres, que la folle persuasion d'un miserable cajolleur luy fait imaginer: dites-moy, je vous prie, Theotime, monstre-il pas que la soif de son cœur ne peut estre assouvie en cette vie, et que ce monde n'est pas suffisant pour le desalterer? O admirable, mays aymable inquietude du cœur humain! Soyes, soyes a jamais sans repos ni tranquillité quelcomque en cette terre, mon ame, jusques a ce que vous ayes rencontré les fraisches eaux de la vie immortelle et la tressainte Divinité, qui seules peuvent esteindre vostre alteration et accoiser vostre desir..

  A004000650 

 O Jesus! mon cher Theotime, quelle joye pour le cœur humain de voir la face de la Divinité, face tant desiree, ains face l'unique desir de nos ames! Nos cœurs ont une soif qui ne peut estre estanchee par les contentemens de la vie mortelle; contentemens desquelz les plus estimés et pourchassés, [198] s'ilz sont moderés, ilz ne nous desalterent pas, et s'ilz sont extremes, ilz nous estouffent.

  A004000656 

 Quand nous regardons quelque chose, quoy qu'elle nous soit presente elle ne s'unit pas a nos yeux elle mesme, ains seulement leur envoye une certaine representation ou image d'elle mesme, que l'on appelle espece sensible, par le moyen de laquelle nous voyons; et quand nous contemplons ou entendons quelque chose, ce que nous entendons ne s'unit pas non plus a nostre entendement sinon par le moyen d'une autre representation et image, tres delicate et spirituelle, que l'on nomme espece intelligible.

  A004000657 

 Nous voyons et entendons ainsy, Theotime, tout ce que nous voyons ou entendons en cette vie mortelle, ouy mesme les choses de la foy: car, comme le miroüer ne contient pas la chose que l'on y void ains seulement la representation et espece d'icelle, laquelle representation arrestee par le miroüer en produit une autre en l'œil qui regarde; de mesme, la parole de la foy ne contient pas les choses qu'elle annonce, ains seulement elle les represente, et cette representation des choses divines, qui est en la parole de la foy, en produit une autre, laquelle nostre entendement, moyennant la grace de Dieu, accepte et reçoit comme representation de la sainte verité, et nostre volonté s'y complait et l'embrasse comme une verité honnorable, utile, aymable et tres bonne.

  A004000658 

 O vray Dieu, quelle suavité a l'entendement humain, d'estre a jamais uni a son souverain object, recevant non sa representation mais sa presence, non aucune image ou espece mais la propre essence de sa divine verité et majesté! Nous serons la comme des enfans tres heureux de la Divinité, ayans l'honneur d'estre nourris de la propre substance divine, receüe en nostre ame par la bouche de nostre entendement; et ce qui surpasse toute douceur, c'est que, comme les meres [201] ne se contentent pas de nourrir leurs poupons de leur lait, qui est leur propre substance, si elles mesmes ne leur mettent le chicheron de leur tetin dans la bouche, affin qu'ilz reçoivent leur substance non en un cuillier ou autre instrument ains en leur propre substance et par leur propre substance, en sorte que cette substance maternelle serve de tuyau aussi bien que de nourriture pour estre receüe du bienaymé petit enfançon, ainsy Dieu, nostre Pere, ne se contente pas de faire recevoir sa propre substance en nostre entendement, c'est a dire de nous faire voir sa Divinité, mais par un abisme de sa douceur il appliquera luy mesme sa substance a nostre esprit, affin que nous l'entendions non plus en espece ou representation mais en elle mesme et par elle mesme, en sorte que sa substance paternelle et eternelle serve d'espece aussi bien que d'object a nostre entendement.

  A004000659 

 Bonheur infini, Theotime, et lequel ne nous a pas seulement esté promis, mais nous en avons des arres au tressaint Sacrement de l'Eucharistie, festin perpetuel de la grace divine; car en iceluy nous recevons le sang du Sauveur en sa chair et sa chair en son sang, son sang nous estant appliqué par sa chair, sa substance par sa substance, a nostre propre bouche corporelle, affin que nous sachions qu'ainsy nous appliquera-il son essence divine au festin eternel de la gloire.

  A004000665 

 Ainsy Dieu, qui est seul, n'est pas pourtant solitaire; car il est seul en sa tres unique et tres simple Divinité, mays il n'est pas solitaire, puisqu'il est Pere et Filz en deux Personnes.

  A004000673 

 Le Pere eternel, voyant l'infinie bonté et beauté de son essence si vivement, essentiellement et substantiellement exprimee en son Filz, et le Filz voyant reciproquement que sa mesme essence, bonté et beauté est originairement en son Pere comme en sa source et fontaine, hé, se pourroit-il faire que ce divin Pere et son Filz ne s'entr'aymassent pas d'un amour infini, puisque leur volonté par laquelle ilz ayment, et leur bonté pour laquelle ilz ayment, sont infinies en l'un et en l'autre?.

  A004000674 

 L'amour ne nous treuvant pas egaux, il nous egale; ne nous treuvant pas unis, il nous unit.

  A004000674 

 Or, le Pere et le Filz se treuvans non seulement egaux et unis, ains un mesme Dieu, une mesme bonté, une mesme essence et une mesme unité, quel amour doivent-ilz avoir l'un a l'autre! Mays cet amour ne se passe pas comme l'amour que les creatures intellectuelles ont entre elles ou envers leur Createur (car l'amour creé se fait par plusieurs et divers eslans, souspirs, unions et liaysons qui s'entresuivent et font la continuation de l'amour avec une douce vicissitude de mouvemens spirituelz); car l'amour divin du Pere eternel envers son Filz est prattiqué en un seul souspir, eslancé reciproquement par le Pere et le Filz, qui, en cette sorte, demeurent unis et liés ensemble.

  A004000689 

 Mais, o Dieu, si l'amitié humaine est tant agreablement aymable et respand une odeur si delicieuse sur ceux qui la contemplent, que sera-ce, mon bienaymé Theotime, de voir l'exercice sacré de l'amour reciproque du Pere envers le Filz eternel! Saint Gregoire Nazianzene raconte que l'amitié incomparable qui estoit entre luy et son grand saint Basile estoit celebree par toute la Grece, et Tertulien tesmoigne que les payens admiroient cet amour plus que fraternel qui regnoit entre les premiers Chrestiens: o quelle feste, quelle solemnité! de quelles louanges et benedictions doit estre celebree, de quelles admirations doit estre honnoree et aymee l'eternelle et souveraine amitié du Pere et du Filz! Qu'y a-il d'aymable et d'amiable si l'amitié ne l'est pas? et si l'amitié est amiable et aymable, quelle amitié le peut estre en comparayson de cette infinie amitié qui est entre le Pere et le Filz, et qui est un mesme Dieu tres unique avec eux? Nostre cœur, Theotime, s'abismera d'amour, en l'admiration de la beauté et suavité de l'amour que ce Pere eternel et ce Filz incomprehensible prattiquent divinement et eternellement.

  A004000693 

 L'entendement creé verra donq l'essence divine sans aucune entremise d'espece ou representation, mais il ne la verra pas neanmoins sans quelqu'excellente lumiere qui le dispose, esleve et renforce pour faire une veüe si haute et d'un object si sublime et esclattant; car, comme la chouette a bien la veüe asses forte pour voir la sombre lumiere de la nuict sereine, mais non pas toutefois pour voir la clarté du midi, qui est trop brillante pour estre receüe par des yeux si troubles et imbecilles, ainsy nostre entendement, qui a bien asses de force pour considerer les verités naturelles par son discours, et mesme les choses surnaturelles de la grace par la lumiere de la foy, ne sauroit pas neanmoins, ni par la lumiere de la nature ni par la lumiere de la foy, atteindre jusques a la veüe de la substance divine en elle mesme.

  A004000694 

 Tout ainsy, donq, que Dieu nous a donné la lumiere de la rayson par laquelle nous le pouvons connoistre comme Autheur de la nature, et la lumiere de la foy par laquelle nous le considerons comme source de la grace, de mesme il nous donnera la lumiere de gloire, par laquelle nous le contemplerons comme fontaine de la beatitude et vie eternelle: mays fontaine, Theotime, que nous ne contemplerons pas de loin, comme nous faisons maintenant par la foy, ains que nous verrons par la lumiere de gloire plongés et abismés en icelle.

  A004000705 

 Cette lumiere creée du soleil visible, qui est limitee et finie, est tellement veüe toute de tous ceux qui la regardent, qu'elle n'est pourtant jamais veüe totalement de pas un, ni mesme de tous ensemble.

  A004000705 

 Il en est presqu'ainsy de tous nos sens: entre plusieurs qui oyent une excellente musique, quoy que tous l'entendent toute, les uns pourtant ne l'oyent pas si bien ni avec tant de [211] playsir que les autres, selon que les aureilles sont plus ou moins delicates.

  A004000707 

 O Dieu, que ce qu'ilz voyent est admirable! mais o Dieu, que ce qu'ilz ne voyent pas l'est beaucoup plus! Et toutefois, Theotime, la tressainte beauté qu'ilz voyent estant infinie, elle les rend parfaitement satisfaitz et assouvis; et se contentans d'en jouir selon le rang qu'ilz tiennent au Ciel, a cause de la tres aymable Providence divine qui en a ainsy ordonné, ilz convertissent la connoissance qu'ilz ont de ne posseder pas ni ne pouvoir posseder totalement leur object, en une simple complaysance d'admiration, par laquelle ilz ont une joye souveraine de voir que la beauté qu'ilz ayment est tellement infinie qu'elle ne peut estre totalement conneüe que par elle mesme: car en cela consiste la divinité de cette Beauté infinie, ou la beauté de cette infinie Divinité.

  A004000715 

 En suite dequoy il leur fait faire cette priere: Ne me rejettés point de devant vostre face et ne m'ostés point vostre Saint Esprit; Et ne nous induises point en tentation; affin qu'ilz fassent leur salut avec un saint tremblement et une crainte sacree, sçachans qu'ilz ne sont pas plus invariables et fermes a conserver l'amour de Dieu que le premier Ange avec ses sectateurs, et Judas, [215] qui l'ayans receu le perdirent, et en le perdant se perdirent eternellement eux mesmes; ni que Salomon, qui, l'ayant une fois quitté, tient tout le monde en doute de sa damnation; ni que Adam, Eve, David, saint Pierre, qui estans enfans de salut ne laisserent pas de descheoir pour un tems de l'amour sans lequel il n'y a point de salut.

  A004000715 

 Nous ne faysons pas ces discours pour ces grandes ames d'eslite que Dieu, par une tres speciale faveur, maintient et confirme tellement en son amour, qu'elles sont hors le hazard de jamais le perdre; nous parlons pour le reste des mortelz, auxquelz le Saint Esprit addresse ces advertissemens: Qui est debout, qu'il prenne garde a ne point tomber.

  A004000717 

 Mays aves-vous jamais veu cette petite merveille que chacun sçait, et de laquelle chacun ne sçait pas la rayson? Quand on perce un tonneau bien plein, il ne respandra point son vin qu'on ne luy donne de l'air par dessus, ce qui n'arrive pas aux tonneaux [216] esquelz il y a des-ja du vuide, car on ne les a pas plus tost ouvertz que le vin en sort.

  A004000720 

 Il est impossible de voir la Divinité et ne l'aymer pas; mays ici bas, ou, sans la voir, nous l'entrevoyons seulement au travers des ombres de la foy, comme en un miroüer, nostre connoissance n'est pas si grande qu'elle ne laisse encor l'entree a la surprise des autres objetz et biens appareils, lesquelz, entre les obscurités qui se meslent en la certitude et verité de la foy, se glissent insensiblement comme petitz renardeaux, et demolissent nostre vigne fleurie.

  A004000724 

 Ainsy la charité est quelquefois tellement alangourie et [218] abbatue dans le cœur qu'elle ne paroist presque plus en aucun exercice, et neanmoins elle ne laisse pas d'estre entiere en la supreme region de l'ame; et c'est lhors que, sous la multitude des pechés venielz, comme sous des cendres, le feu du saint amour demeure couvert et sa lueur estouffee, quoy que non pas amorti ni esteint.

  A004000724 

 Car tout ainsy que la presence du diamant empesche l'exercice et l'action de la proprieté que l'aymant a d'attirer le fer, sans toutefois luy oster la proprieté, laquelle opere soudain que cet empeschement est esloigné, de mesme la presence du peché veniel n'oste pas voirement a la charité sa force et puissance d'operer mais elle l'engourdit en certaine façon et la prive de l'usage de son activité, si qu'elle demeure sans action, sterile et infeconde.

  A004000724 

 Certes, le peché veniel, ni mesme l'affection au peché veniel, n'est pas contraire a l'essentielle resolution de la charité, qui est de preferer Dieu a toutes choses: d'autant que par ce peché nous aymons quelque chose hors de la rayson, mais non pas contre la rayson; nous deferons un peu trop, et plus qu'il n'est convenable, a la creature, mais non pas en la preferant au Createur; nous nous amusons plus qu'il ne faut aux choses terrestres, mais nous ne quittons pas pour cela les celestes: en somme, cette sorte de peché nous retarde au chemin de la charité, mais il ne nous en oste pas, et partant, le peché veniel n'estant pas contraire a la charité, il ne la destruit jamais, ni en tout ni en partie..

  A004000724 

 L'ame est maintefois contristee et affligee dans le cors, jusques mesme a quitter plusieurs membres d'iceluy, qui demeurent privés de mouvement et sentiment, encores qu'elle n'abandonne pas le cœur, ou elle est tous-jours toute entiere jusques a l'extremité de la vie.

  A004000725 

 Certes, la concupiscence ayant conceu, elle engendre le peché; mais ce peché, quoy que peché, n'engendre pas tous-jours la mort de l'ame, ains seulement lhors qu'il a une malice entiere et qu'il est consommé et accompli, comme dit saint Jacques: qui en cela establit si clairement la difference entre le peché veniel et le peché mortel, que je ne sçay comme il s'est treuvé des gens en nostre siecle qui ayent eu la hardiesse de le nier..

  A004000725 

 Dieu fit sçavoir a l'Evesque d'Ephese qu'il avoit delaissé sa premiere charité; ou il ne dit pas qu'il estoit sans charité, mais seulement qu'elle n'estoit plus telle qu'au commencement, c'est a dire qu'elle n'estoit plus prompte, fervente, fleurissante et fructueuse: ainsy que nous avons accoustumé de dire d'un homme, qui de brave, joyeux et gaillard est devenu chagrin, paresseux et maussade: Ce n'est plus celuy d'autrefois; car nous ne voulons pas entendre que ce ne soit pas le mesme selon la substance, mais seulement selon les actions et exercices; et de mesme, Nostre Seigneur a dit qu'es derniers jours la charité de plusieurs se rafroidira, [219] c'est a dire, elle ne sera pas si active et courageuse, a cause de la crainte et de l'ennuy qui oppressera les cœurs.

  A004000726 

 Neanmoins, le peché veniel est peché, et par consequent il desplait a la charité, non comme chose qui luy soit contraire, mays comme chose contraire a ses operations et a son progres, voire mesme a son intention, laquelle estant que nous rapportions toutes nos operations a Dieu, elle est violee par le peché veniel, qui porte les actions par lesquelles nous le commettons, non pas voirement contre Dieu, mais hors de Dieu et de sa volonté: et comme nous disons d'un arbre qui a esté rudement touché et reduit en friche par la tempeste, que rien n'y est demeuré, parce qu'encor que l'arbre est entier, neanmoins il est resté sans fruit, de mesme, quand nostre charité est battue des affections que l'on a aux pechés venielz, nous disons qu'elle est diminuee et defaillie, non que l'habitude de l'amour ne soit entiere en nos espritz, mais parce qu'elle est sans les œuvres qui sont ses fruitz..

  A004000727 

 Aussi, les affections au peché veniel n'abolissent pas la charité, mays elles la tiennent comme un esclave, liee pieds et [220] mains, empeschant sa liberté et son action; cette affection nous attachant par trop a la jouissance des creatures, nous prive de la privauté spirituelle entre Dieu et nous, a laquelle la charité, comme vraye amitié, nous incite, et, par consequent, elle nous fait perdre les secours et assistances interieures, qui sont comme les espritz vitaux et animaux de l'ame, du defaut desquelz provient une certaine paralisie spirituelle, laquelle en fin si on n'y remedie nous conduit a la mort.

  A004000727 

 L'affection aux grans pechés rendoit tellement la verité prisonniere de l'injustice, entre les philosophes payens, que, comme dit le grand Apostre, co nnoissans Dieu, ilz ne le glorifioyent pas selon que cette connoissance requeroit: si que cette affection n'exterminant pas la lumiere naturelle, elle la rendoit infructueuse.

  A004000728 

 Nous ne sommes guere en cette vie mortelle sans beaucoup de tentations: or ces espritz vilz, paresseux et addonnés aux playsirs exterieurs, n'estans pas duitz aux combatz ni exercés aux armes spirituelles, ilz ne gardent jamais guere la charité, ains se laissent ordinairement surprendre a la coulpe mortelle.

  A004000729 

 En fin, Theotime, nous disons de ceux qui ont la complexion fort foible, qu'ilz n'ont point de vie, qu'ilz n'en ont pas une once, ou qu'ilz n'en ont pas plein le [221] poing, parce que ce qui doit bien tost finir semble en effect n'estre plus; et ces ames faineantes, addonnees aux playsirs et affectionnees aux choses transitoires, peuvent bien dire qu'elles n'ont plus de charité, puisque si elles en ont, elles sont en voÿe de la perdre bien tost..

  A004000733 

 Nous n'aymons pas Dieu sans intermission, d'autant qu'en cette vie mortelle la charité est en nous par maniere de simple habitude, de laquelle, comme les philosophes ont remarqué, nous usons quand il nous plait et non jamais contre nostre gré.

  A004000733 

 Quand donq nous n'usons pas de la charité qui est en nous, c'est a dire quand nous n'employons pas nostre esprit aux exercices de l'amour sacré, ains que le tenans diverti a quelque autre occupation, ou que paresseux en soy mesme il se tient inutile et negligent, alhors, Theotime, il peut estre touché de quelque object mauvais, et surpris de quelque tentation; et bien que l'habitude de la charité en mesme tems soit au fond de nostre ame et qu'elle face son office, nous inclinant a rejetter la suggestion mauvaise, si est-ce qu'elle ne nous presse pas ni nous porte a l'action de la resistance, qu'a mesure que nous la secondons, comme les habitudes ont coustume de faire: et partant, nous laissant en nostre liberté, il advient maintefois que le mauvais object ayant jetté bien avant ses attraitz dans nostre cœur, nous nous attachons a luy par une complaysance excessive, laquelle venant a croistre il nous est malaysé de nous en desfaire, et comme des espines, selon que dit Nostre Seigneur, [222] elle suffoque en fin la semence de la grace et dilection celeste.

  A004000734 

 Helas, Theotime, si nous ne nous amusions pas en la vanité des playsirs caduques, et sur tout en la complaysance de nostre amour propre, ains qu'ayans une fois la charité, nous fussions soigneux de voler droit, la part ou elle nous porte, jamais les suggestions et tentations ne nous attrapperoyent; mais parce que, comme colombes seduites et deceües de nostre propre estime, nous retournons sur nous mesmes et entretenons trop nos espritz parmi les creatures, nous nous treuvons souvent surpris entre les serres de nos ennemis, qui nous emportent et devorent..

  A004000735 

 Dieu ne veut pas empescher que nous ne soyons attaqués de tentations, affin que resistans, nostre charité soit plus exercee, et puisse par le combat emporter la victoire et par la victoire obtenir le triomphe; mais que nous ayons quelque sorte d'inclination a nous delecter en la tentation, cela vient de la condition de nostre nature, qui ayme tant le bien que pour cela elle est sujette d'estre allechee par tout ce qui a apparence de bien.

  A004000745 

 Nostre esprit, certes, ne sort pas petit a petit de son cors, ains en un moment, lhors que l'indisposition du cors est si grande qu'il ne peut plus y faire les actions de vie; et de mesme, a l'instant que le cœur est tellement detraqué en ses passions que la charité n'y peut plus regner, elle le quitte et abandonne; car elle est si genereuse qu'elle ne peut cesser de regner sans cesser d'estre..

  A004000745 

 Or nous allons, certes, petit a petit a ce [225] mespris de Dieu, mais nous n'y sommes pas plus tost parvenus, que soudain, en un moment, la sainte charité se separe de nous, ou, pour mieux dire, elle perit tout a fait.

  A004000746 

 Les habitudes que nous acquerons par nos seules actions humaines ne perissent pas par un seul acte contraire, car nul ne dira qu'un homme soit intemperant pour un seul acte d'intemperance, ni qu'un peintre ne soit pas bon maistre pour avoir une fois manqué a l'art; ains, comme toutes telles habitudes nous arrivent par la suite et impression de plusieurs actes, ainsy nous les perdons par une longue cessation de leurs actes, ou par une multitude d'actes contraires.

  A004000747 

 Il est vray que la charité s'agrandit par accroissement de degré a degré et de perfection a perfection, selon [226] que par nos oeuvres ou la reception des Sacremens nous luy faisons place; mais, toutefois, elle ne diminue pas par amoindrissement de sa perfection, car jamais on n'en perd un seul brin qu'on ne la perde toute.

  A004000748 

 Que si Agar, qui n'estoit qu'une ægyptienne, veyant son filz en danger de mourir n'eut pas le courage de demeurer au pres de luy, ains le voulut quitter, disant: Ah, je ne sçaurois voir mourir cet enfant! quelle merveille y a-il que la charité, fille de douceur et suavité celeste, ne puisse voir mourir son enfant, qui est le propos de ne jamais offencer Dieu? Si que, a mesure que nostre franc arbitre se resout de consentir au peché, donnant par mesme moyen la mort a ce sacré propos, la charité meurt avec iceluy, et dit en son dernier souspir: Hé non, jamais je ne verray mourir cet enfant.

  A004000753 

 Il est vray qu'ilz ne firent pas resistance au soleil, mais il les ayda aussi beaucoup a ne point resister; car il vint doucement respandre sa lumiere sur eux, se faisant entrevoir au travers de leurs paupieres, et par sa chaleur, comme par son amour, il alla dessiller leurs yeux et les pressa de voir son jour..

  A004000753 

 Mays les uns esveillés se levent, et gaignans païs allerent heureusement au giste; les autres, non seulement ne se levent pas, mais tournans le dos au soleil et enfonçans leurs chapeaux sur leurs yeux, passerent la leur journee a dormir, jusques a ce que, surpris de la nuit et voulans neanmoins aller au logis, ilz s'esgarent qui ça qui la dans une forest, a la merci des loups, sangliers et autres bestes sauvages.

  A004000753 

 Or dites, de grace, Theotime: ceux qui sont arrivés, ne devoyent-ilz pas sçavoir tout le gré de leur contentement au soleil, ou, pour parler chrestiennement, au Createur du soleil? Ouy certes, car ilz ne pensoyent nullement a s'esveiller quand il en estoit tems; le soleil leur fit ce bon office, et par une aggreable semonce de sa clarté et de sa chaleur, les vint aimablement resveiller.

  A004000754 

 Au contraire, ces pauvres errans n'avoyent-ilz pas tort de crier dans ce bois: Hé, qu'avons-nous fait au soleil pour quoy il ne nous a pas fait voir sa lumiere comme a nos compaignons, affin que nous fussions arrivés [229] au logis sans demeurer en ces effroyables tenebres? Car, qui ne prendroit la cause du soleil, ou plustost de Dieu, en main, mon cher Theotime, pour dire a ces chetifs malencontreux: Qu'est ce, miserables, que le soleil pouvoit bonnement faire pour vous, qu'il ne l'ayt fait? ses faveurs estoyent esgales envers tous vous autres qui dormiés: il vous aborda tous avec une mesme lumiere, il vous toucha de mesmes rayons, il respandit sur vous une chaleur pareille; et, malheureux que vous estes, quoy que vous vissiés vos compaignons levés prendre le bordon pour tirer chemin, vous tournastes le dos au soleil, et ne voulustes pas employer sa clarté ni vous laisser vaincre a sa chaleur..

  A004000755 

 Tous les hommes sont voyageurs en cette vie mortelle; presque tous nous nous sommes volontairement endormis en l'iniquité, et Dieu, Soleil de justice, darde sur tous, tres suffisamment ains abondamment, les rayons de ses inspirations, il eschauffe nos cœurs de ses benedictions, touchant un chascun des attraitz de son amour: hé, que veut dire donq que ces attraitz en attirent si peu et en tirent encor moins? Ah, certes, ceux qui estans attirés, puis tirés, suivent l'inspiration, ont grande occasion de s'en res-jouir, mais non pas de s'en glorifier: qu'ilz se resjouissent, parce qu'ilz jouissent d'un grand bien; mais qu'ilz ne s'en glorifient pas, puisque c'est par la pure bonté de Dieu, qui leur laissant l'utilité de son bienfait s'en est reservé la gloire..

  A004000756 

 Malheur sur malheur a ceux qui ne reconnoissent pas que leur malheur provient de leur malice!.

  A004000756 

 Mays ilz n'ont pas rayson de se douloir et plaindre sinon d'eux mesmes, qui ont mesprisé ains ont esté rebelles a la lumiere, revesches aux attraitz et se sont obstinés contre l'inspiration: de sorte qu'a leur malice seule doit estre a jamais malediction et confusion, puisqu'ilz sont seulz autheurs de leur perte, seulz ouvriers de leur damnation.

  A004000760 

 Qu'as-tu que tu n'ayes receu? dit le divin Apostre, parlant des dons de science, eloquence et autres telles qualités des pasteurs ecclesiastiques; et si tu l'as receu, pourquoy t'en glorifies [231] tu comme si tu ne l'avois pas receu? Il est vray, nous avons tout receu de Dieu, mais par dessus tout nous avons receu les biens surnaturelz du saint amour; que si nous les avons receus, pourquoy en prendrons-nous de la gloire?.

  A004000762 

 Car dis-moy, je te prie, ne m'advoueras-tu pas que si Dieu ne t'eust prevenu, tu n'eusses jamais senti sa bonté, ni par conséquent consenti a son amour? non, ni mesme tu n'eusses pas fait une seule bonne pensee pour luy: son mouvement a donné l'estre et la vie au tien, et si sa liberalité n'eust animé, excité et provoqué ta liberté par les puissans attraitz de sa suavité, ta liberté fut tous-jours demeuree inutile a ton salut.

  A004000762 

 Je confesse que tu as cooperé a l'inspiration en consentant, mais si tu ne le sçais pas, je t'apprens que ta cooperation a pris naissance de l'operation de la grace et de ta franche volonté tout ensemble, mais en [232] telle sorte neanmoins, que si la grace n'eust prevenu et rempli ton cœur de son operation, jamais il n'eust eu ni le pouvoir ni le vouloir de faire aucune cooperation..

  A004000762 

 Or dis moy donq maintenant, miserable, qu'as-tu fait en tout cela dequoy tu te puisses vanter? Tu as consenti, je le sçay bien; le mouvement de ta volonté a librement suivi celuy de la grace celeste: mais tout cela, qu'est-ce autre chose sinon recevoir l'operation divine et n'y resister pas? et qu'y a-il en cela que tu n'ayes receu? Ouy mesme, pauvre homme que tu es, tu as receu la reception de laquelle tu te glorifies et le consentement duquel tu te vantes.

  A004000763 

 Mays dis moy derechef, je te prie, homme vil et abject, es tu pas ridicule quand tu penses avoir part en la gloire de ta conversion parce que tu n'as pas repoussé l'inspiration? n'est ce pas la fantasie des voleurs et tirans, de penser donner la vie a ceux auxquelz ilz ne l'ostent pas? et n'est ce pas une forcenee impieté de penser que tu ayes donné la sainte, efficace et vive activeté a l'inspiration divine, parce que tu ne la luy as pas ostee par ta resistence? Nous pouvons empescher les effeetz de l'inspiration, mais nous ne les luy pouvons pas donner: elle tire sa force et venu de la bonté divine, qui est le lieu de son origine, et non de la volonté humaine, qui est le lieu de son abord.

  A004000763 

 N'estes vous pas donques un monstre d'ingratitude, de vous vouloir attribuer un bien que vous deves en tant de façons a vostre cher espoux?.

  A004000763 

 S'indigneroit on pas de la princesse de nostre parabole, si elle se vantoit d'avoir donné la vertu et proprieté aux eaux cordiales et autres medicamens, ou de s'estre guerie elle mesme, parce que si elle n'eust receu les remedes que le roy luy donna et versa dans sa bouche, lhors qu'a moytié morte elle n'avoit presque plus de sentiment, ilz n'eussent point eu d'operation? Ouy, luy diroit-on, ingrate que vous estes, vous pouvies vous opiniastrer a ne point recevoir les remedes, et mesme les ayant receus en vostre bouche vous les pouvies rejetter; mais il n'est pas vray pourtant que vous leur ayés donné la vigueur ou vertu, car ilz l'avoyent [233] par leur proprieté naturelle: seulement, vous aves consenti de les recevoir et qu'ilz fissent leur action; et encor n'eussies-vous jamais consenti, si le roy ne vous eust premierement revigoree et puis sollicitee a les prendre; onques vous ne les eussies receus s'il ne vous eust aydee a les recevoir, ouvrant vostre propre bouche avec ses doigtz et respandant la potion dedans icelle.

  A004000764 

 Le petit admirable poisson que l'on nomme echineis, remore, ou arrestenef, a bien le pouvoir d'arrester ou de n'arrester point le navire singlant en haute mer a plein voyle, mays il n'a pas le pouvoir de le faire ni voguer, ni singler, ni surgir; il peut empescher le mouvement, mais il ne le peut pas donner.

  A004000764 

 Nostre franc arbitre peut arrester et empescher la course de l'inspiration, et quand le vent favorable de la grace celeste enfle les voyles de nostre esprit, il est en nostre liberté de refuser nostre consentement et empescher par ce moyen l'effect de la faveur du vent; mays quand nostre esprit single et fait heureusement sa navigation, ce n'est pas nous qui faisons venir le vent de l'inspiration, ni qui en remplissons nos voyles, ni qui donnons le mouvement au navire de nostre cœur, ains seulement nous recevons le vent qui vient du Ciel, consentons a son mouvement et laissons aller le navire sous le vent, sans l'empescher par la remore de nostre resistence.

  A004000765 

 Et quant a celle qui a conceu la perle et qui est restee engrossee de la rosee, elle n'a rien en cela qu'elle ne tienne du ciel, non pas mesme son ouverture par laquelle elle a receu la rosee; car sans le ressentiment des rayons de l'aurore, qui l'ont doucement excitee, elle ne fust pas venue en la surface de la mer ni n'eust pas ouvert son escaille.

  A004000765 

 Le ciel prepare les gouttes de la fraiche rosee au primtems et les espluÿe sur la face de la mer, et les mereperles qui ouvrent leurs escailles reçoivent ces gouttes, lesquelles se convertissent en perles: mais au contraire, les mereperles qui tiennent leurs escailles fermees n'empeschent pas que les gouttes ne tumbent sur elles, elles empeschent neanmoins qu'elles ne tumbent pas dans elles.

  A004000765 

 Or, le ciel a il pas envoÿé sa rosee et son influence sur l'une et l'autre mereperle? pourquoy donq l'une a-elle par effect produit sa perle, et l'autre non? Le ciel avoit esté liberal pour celle qui est demeuree sterile, autant qu'il estoit requis pour l'emperler et rendre enceinte du bel union; mais elle a empesché l'effect de son benefice, se tenant fermee et couverte.

  A004000771 

 Et bien que le tressaint Esprit, parlant en l'Escriture Sainte, rende rayson en plusieurs endroitz de presque tout ce que nous sçaurions desirer, touchant ce que sa Providence fait en la conduite des hommes au saint amour et au salut eternel, si est-ce neanmoins qu'en plusieurs occasions il declare qu'il ne faut nullement se departir du respect qui est deu a sa volonté, de laquelle nous devons adorer le propos, le decret, le bon playsir et l'arrest; au bout duquel, comme souverain Juge et souverainement equitable, il n'est pas raysonnable qu'elle manifeste ses motifs, ains suffit qu'elle die simplement: et pour cause.

  A004000771 

 Que si nous devons charitablement porter tant d'honneur aux decretz des cours souveraines composees de juges corruptibles de la terre et de terre, que de croire qu'ilz n'ont pas esté faitz sans motifs, quoy que nous ne les sachions pas, hé, Seigneur Dieu, avec quelle reverence amoureuse devons-nous adorer l'equité de vostre providence supreme, laquelle est infinie en justice et bonté!.

  A004000772 

 C'est pourquoy ce divin Apostre conclud en cette sorte le long discours qu'il en avoit fait: O profondité des richesses de la sagesse et science de Dieu! que ses jugemens sont incomprehensibles et ses voyes imperceptibles! Qui [237] connoist les pensees du Seigneur? ou qui a esté son conseiller? Exclamation par laquelle il tesmoigne que Dieu fait toutes choses avec grande sagesse, science et rayson, mais en telle sorte neanmoins, que l'homme n'estant pas entré au divin conseil duquel les jugemens et projetz sont infiniment eslevés au dessus de nostre capacité, nous devons devotement adorer ses decretz comme tres equitables, sans en rechercher les motifs qu'il retient en secret par devers soy, affin de tenir nostre entendement en respect et humilité par devers nous..

  A004000773 

 Escoute une fois et entens! N'es-tu pas tiré? prie affin que tu sois tiré.» «Certes, c'est asses au Chrestien vivant encor de la foy et ne voyant pas ce qui est parfait, mays sçachant seulement en partie, de sçavoir et croire que Dieu ne deslivre personne de la damnation sinon par misericorde gratuite, par Jesus Christ Nostre Seigneur, et qu'il ne damne personne sinon par sa tres equitable verité, par le mesme Jesus Christ Nostre Seigneur: mais de sçavoir pourquoy il deslivre celuy cy plustost que celuy la, recherche qui pourra une si grande profondité de ses jugemens, mais qu'il se garde du precipice;» car «ses decretz ne sont pas pour cela injustes, encor qu'ilz soyent secretz.» «Mais pourquoy deslivre-il donq ceux ci plustost que ceux la? Nous disons derechef: O homme, qui es tu qui respondes a Dieu? S es jugemens sont incomprehensibles et ses voÿes inconneües; et adjoustons ceci: Ne t'enquiers pas des choses qui sont au dessus de toy et ne recherche pas ce qui est au dela de tes forces.» «Or, il ne fait pas misericorde a ceux ausquelz, par une verité tres secrete et tres esloignee des pensees humaines, il juge qu'il ne doit pas departir sa faveur ou misericorde.» [238].

  A004000773 

 «Personne,» dit-il, «ne vient au Sauveur sinon estant tiré: qui c'est qu'il tire et qui c'est qu'il ne tire pas, pourquoy il tire celuy cy et non pas celuy la, n'en veuille pas juger si tu ne veux errer.

  A004000774 

 Et certes, cette response est bien solide; mais, suivant l'advis du divin saint Paul et de saint Augustin, nous ne nous devons pas amuser a cette consideration, laquelle, quoy que bonne, n'est pas toutefois comparable a plusieurs autres que Dieu s'est reservé et qu'il nous fera connoistre en Paradis.

  A004000774 

 Or, pourquoy la divine Providence donne-elle des evenemens si divers a une si pareille naissance? Certes, on peut dire que la Providence de Dieu ne viole pas ordinairement les lois de la nature; si que l'un de ces bessons estant vigoureux, et l'autre estant trop foible pour supporter l'effort de la sortie du ventre maternel, celuy ci est mort avant que de pouvoir estre baptizé, et l'autre a vescu; la Providence n'ayant pas voulu empescher le cours des causes naturelles, lesquelles en cette occurrence auront esté la rayson de la privation du Baptesme en celuy qui ne l'a pas eu.

  A004000774 

 «Alhors,» dit saint Augustin, «ce ne sera plus chose secrette pourquoy l'un plustost que l'autre est eslevé, la cause estant esgale de l'un et de l'autre; ni pourquoy des miracles n'ont pas esté faitz parmi ceux entre lesquelz s'ilz eussent esté faitz ilz eussent fait penitence, et ont esté faitz parmi ceux qui n'estoyent pas pour croire.» Et ailleurs, ce mesme Saint, parlant des pecheurs dont Dieu laisse l'un en son iniquité et en releve l'autre: «Or, pourquoy il retient l'un,» dit-il, «et ne retient pas l'autre, il n'est pas possible de le comprendre ni loysible de s'en enquerir, puisqu'il suffit de savoir qu'il depend de luy qu'on demeure debout, et ne vient pas de luy qu'on tumbe;» et derechef: «Cela est caché et tres esloigné de l'esprit humain, au moins du mien.».

  A004000775 

 Et d'autant qu'il n'estoit pas expedient pour nostre salut que nous eussions connoissance de ces secretz, ains nous estoit plus utile de les ignorer pour nous tenir en humilité, pour cela Dieu ne les a pas voulu reveler, et mesme le saint Apostre n'a pas osé s'en enquerir, ains a tesmoigné l'insuffisance de nostre entendement pour ce sujet, lhors qu'il s'est escrié: O profondité des richesses de la sapience et science de Dieu! » Pourroit on parler plus saintement, Theotime, d'un si saint mystere? Aussi, ce sont les paroles d'un tressaint et judicieux Docteur de l'Eglise.

  A004000775 

 «Peut estre,» dit il, «que c'est par la prevision des biens qui se feront par celuy qui est tiré, entant qu'ilz proviennent aucunement de la volonté: mais de sçavoir dire quelz biens sont ceux, la prevision desquelz sert de motif a la divine volonté, ni je ne le sçay pas distinctement ni je ne m'en veux pas enquerir, et il n'y a point de rayson que de quelque sorte de convenance, de maniere que nous en pourrions dire quelqu'une, et c'en seroit une autre; c'est pourquoy nous ne sçaurions avec certitude marquer la vraye rayson ni le vray motif de la volonté de Dieu pour ce regard, car, comme dit saint Augustin, bien que la verité en soit tres certaine, elle est neanmoins tres esloignee de nos pensees, de sorte que nous n'en sçaurions rien dire d'asseuré, sinon par la revelation de Celuy auquel toutes choses sont conneües.

  A004000779 

 Aymons donq et adorons en esprit d'humilité cette profondité des jugemens de Dieu, Theotime, «la-quelle,» comme dit saint Augustin, «le saint Apostre ne descouvre pas, ains l'admire, quand il exclame: O profondité des jugemens de Dieu!» «Qui pourroit compter le sable de la mer, les gouttes de la pluye, et mesurer la largeur de l'abisme?» dit cet excellent esprit de saint Gregoire Nazianzene, «et qui pourra sonder la profondité de la divine sagesse, par laquelle elle a creé toutes choses et les modere comme elle veut et entend? Car de vray, il suffit qu'a l'exemple de l'Apostre, sans nous arrester a la difficulté et obscurité d'icelle, nous l'admirions: O profondité des richesses de la sagesse et de la science de Dieu! o que ses jugemens sont inscrutables et ses voÿes inaccessibles! Qui a conneu le sentiment du Seigneur? et qui a esté son conseiller?» Theotime, les raysons de la volonté divine ne peuvent estre penetrees par nostre esprit, jusques a ce que nous voyons la face de Celuy qui atteint de bout a bout fortement, et dispose toutes choses suavement, faisant tout ce qu'il fait en nombre, poids et mesure, et auquel le Psalmiste dit: Seigneur, vous aves tout fait en sagesse..

  A004000780 

 Combien de fois nous arrive-il d'ignorer comment et pourquoy les œuvres mesmes des hommes se font? Et donques, dit le mesme saint Evesque de Nazianze, «l'artisan n'est pas ignorant, encor que nous ignorons son artifice, ni de mesme, certes, les choses de ce monde [241] ne sont pas temerairement et imprudemment faites, encor que nous ne sachions pas leurs raysons.» Si nous entrons en la boutique d'un horloger, nous treuverons quelquefois un horologe qui ne sera pas plus gros qu'une orange, auquel il y aura neanmoins cent ou deux cens pieces, desquelles les unes serviront a la monstre, les autres a la sonnerie des heures et du resveille-matin; nous y verrons des petites roues dont les unes vont a droite, les autres a gauche, les unes tournent par dessus, les autres par bas, et le balancier qui a coups mesurés va balançant son mouvement de part et d'autre: et nous admirons comme l'art a sceu joindre une telle quantité de si petites pieces les unes aux autres, avec une correspondance si juste, ne sçachans ni a quoy chasque piece sert ni a quel effect elle est faitte ainsy, si le maistre ne le nous dit, et seulement en general nous sçavons que toutes servent pour la monstre ou pour la sonnerie.

  A004000780 

 On dit que les bons Indois s'amuseront des jours entiers aupres d'un horologe pour ouïr sonner les heures a point nommé, et ne pouvans deviner comme cela se fait, ilz ne dient pas pourtant que c'est sans art et rayson, ains demeurent ravis d'amour et d'honneur envers ceux qui gouvernent les horologes, les admirans comme gens plus qu'humains..

  A004000781 

 Et nous sçavons bien en general que ces pieces diversifiees en tant de sortes, servent toutes, ou pour faire paroistre comme en une monstre la tressainte justice de Dieu, ou pour manifester la triomphante misericorde de sa bonté, comme par une sonnerie de louange; mays de connoistre en particulier l'usage de chasque piece, ou comme elle est ordonnee a la fin generale, ou pourquoy elle est faite ainsy, nous ne le pouvons pas entendre, sinon que le souverain Ouvrier nous l'enseigne.

  A004000781 

 Or il ne nous manifeste pas son art, affin que nous l'admirions avec plus de reverence, jusqu'a ce qu'estans [242] au Ciel il nous ravisse en la suavité de sa sagesse, lhors qu'en l'abondance de son amour il nous descouvrira les raysons, moyens et motifs de tout ce qui se sera passé en ce monde au prouffit de nostre salut eternel..

  A004000782 

 Croyons donq, que comme Dieu est le facteur et Pere de toutes choses, aussi en a-il le soin par sa providence qui serre et embrasse toute la machine des creatures, et sur tout croyons qu'il preside a nos affaires, de nous autres qui le connoissons, encor que nostre vie soit agitee de tant de contrarietés d'accidens: dont la rayson nous est inconneüe affin, peut estre, que ne pouvans pas arriver a cette connoissance, nous admirions la rayson souveraine de Dieu qui surpasse toutes choses; car, envers nous, la chose est aysement mesprisee qui est aysement conneüe, mais ce qui surpasse la pointe de nostre esprit, plus il est difficile d'estre entendu, plus aussi il nous excite a une grande admiration.» Certes, les raysons de la providence celeste seroyent bien basses si nos petitz espritz y pouvoyent atteindre; elles seroyent moins aymables en leur suavité et moins admirables en leur majesté, si elles estoyent moins esloignees de nostre capacité..

  A004000782 

 «Nous ressemblons,» dit derechef le grand Nazianzene, «a ceux qui sont affligés du vertigo ou tournoyement de teste: il leur est advis que tout tourne sans dessus dessous autour d'eux, bien que ce soit leur cervelle et imagination qui tournent, et non pas les choses; car ainsy, rencontrans quelques evenemens desquelz les causes nous sont inconneües, il nous semble que les choses du monde sont administrees sans rayson parce que nous ne la sçavons pas.

  A004000783 

 Hé, que pouvons-nous craindre, ains, que ne devons-nous pas esperer, estans enfans d'un Pere si riche en bonté pour nous aymer et vouloir sauver, si sçavant pour preparer les moyens convenables a cela, et si sage pour les appliquer; si bon pour vouloir, si clairvoyant pour ordonner, si prudent pour executer!.

  A004000784 

 Car, qui peut penetrer le sens, l'intelligence et l'intention de Dieu? Qui a esté son conseiller pour sçavoir ses projetz et leurs motifs? ou qui l'a jamais prevenu par quelque service? N'est-ce pas luy, au contraire, qui nous previent es benedictions de sa grace pour nous couronner en la felicité de sa gloire? Ah, Theotime, toutes choses sont de luy qui en est le createur, toutes choses sont par luy qui en est gouverneur, toutes choses sont en luy qui en est le protecteur; a luy soit honneur et gloire es siecles des siecles, Amen.

  A004000788 

 Et cet amour qui est en son declin et qui va perissant et defaillant, est appellé amour imparfait; parce que, encores qu'il soit entier en l'ame, il n'y est pas ce semble entierement, c'est a dire, il ne tient quasi plus a l'ame et est sur le point de l'abandonner.

  A004000788 

 La charité, tandis qu'elle est en nous, produit force actions d'amour envers Dieu, par le frequent exercice desquelles nostre ame prend une certaine habitude et coustume d'aymer Dieu, qui n'est pas la charité, ains seulement un pli et inclination que la multitude des actions a donné a nostre cœur.

  A004000791 

 Or je veux maintenant dire ainsy: quand le saint amour de charité rencontre une ame maniable et qu'il fait quelque long sejour en icelle, il y produit un second amour, qui n'est pas un amour de charité quoy qu'il provienne de la charité, ains c'est un amour humain, lequel neanmoins ressemble tellement la charité, qu'encores que par apres elle perisse en l'ame, il est advis qu'elle y soit tous-jours, d'autant qu'elle y a laissé apres soy cette sienne image et ressemblance qui la represente; en sorte qu'un ignorant s'y tromperoit, ainsy que les oyseaux firent en la peinture des raysins de Zeuxis, qu'ilz cuyderent estre des vrays raysins, tant l'art avoit proprement imité la nature.

  A004000797 

 Nous avons veu des jeunes gens bien nourris en l'amour de Dieu, qui se detraquans, ont demeuré quelque tems au milieu de leur malheureuse decadence qu'on ne laissoit pas de voir en eux des grandes marques de leur vertu passee, et que, l'habitude acquise du tems de la charité repugnant au vice present, on avoit peyne durant quelques mois de discerner s'ilz estoyent hors de la charité ou non, et s'ilz estoyent vertueux ou vitieux; jusques a ce que le progres faisoit clairement connoistre que ces exercices vertueux ne prenoient pas leur origine de la charité presente, mais de la charité passee, non de l'amour parfait, mais de l'imparfait que la charité avoit laissé apres soy comme marque du logement qu'elle avoit fait en ces ames-la..

  A004000798 

 Que s'il ne peut faire les actions de l'amour parfait, il n'en est pourtant pas a mespriser, car la condition de sa nature est telle: ainsy les estoiles qui en comparayson du soleil sont fort imparfaites, sont neanmoins extremement belles regardees en particulier, et ne tenant point de rang en la presence du soleil elles en tiennent en son absence..

  A004000799 

 Si Jacob n'eust point abandonné sa parfaite Rachel et se fust tous-jours tenu pres d'elle au jour de ses noces, il n'eust pas esté trompé comme il fut; mais parce qu'il la laissa aller sans luy en la chambre, il fut tout estonné le matin suivant de treuver qu'en son lieu il n'avoit que l'imparfaite Lia, qu'il croyoit neanmoins estre sa chere Rachel: mais Laban l'avoit ainsy trompé.

  A004000800 

 Hé Dieu, n'est-ce pas une grande pitié de voir une ame qui se flatte en cette imagination d'estre sainte, demeurant en repos comme si elle avoit la charité, se treuver toutefois en fin que sa sainteté est fainte, et que son repos n'est qu'une lethargie et sa joye une manie? [250].

  A004000805 

 Mais remarqués que j'ay dit cet examen devoir estre fait des affections que vous aves presentement; car il n'est pas besoin de vous imaginer celles qui pourroyent naistre par apres, puis qu'il suffit que nous soyons fideles es occurrences presentes, selon la diversité des tems, et que chasque saison a bien asses de son travail et de sa peyne..

  A004000806 

 Que si toutefois vous voulies exercer vostre cœur a la vaillance spirituelle par la representation de diverses rencontres et de divers assautz, vous le pourries utilement faire, pourveu qu'apres les actes de cette vaillance imaginaire que vostre cœur aurait fait, vous ne vous estimassies point plus vaillant; car les enfans d'Ephraïm, qui faisoyent merveilles a bien descocher leurs arcs es essays de guerre qu'ilz faisoyent entr'eux, [251] quand ce vint au fait et au prendre, au jour de la bataille, ilz tournerent le dos, et n'eurent seulement pas l'asseurance de mettre leurs fleches au trait ni de regarder la pointe de celles de leurs ennemis..

  A004000807 

 Mais si la desfiance se rendoit si demesuree qu'il nous semblast de n'avoir ni force ni courage, et que partant il nous arrivast du desespoir sur le sujet des tentations imaginees, comme si nous n'estions pas en la charité et grace de Dieu, il nous faut alhors faire resolution, malgré nostre sentiment et descouragement, de bien estre fideles en tout ce qui nous arrivera, jusques a la tentation qui nous met en peyne, et esperer que lhors qu'elle arrivera Dieu multipliera sa grace, redoublera son secours et nous fera toute l'assistance requise, et que ne nous donnant pas la force pour une guerre imaginaire et non necessaire, il nous la donnera quand ce viendra au besoin.

  A004000808 

 Ainsy, mon cher Theotime, il n'est pas necessaire que nous ayons tous-jours le sentiment et mouvement du courage requis a surmonter le lion rugissant qui va ça et la rodant pour nous devorer; cela nous pourroit donner de la vanité et presomption: il suffit bien que nous ayons bon desir de combattre vaillamment, et une parfaite confiance que l'Esprit divin nous assistera de son secours lhors que l'occasion de l'employer se presentera..

  A004000808 

 Samson n'avoit certes pas tous-jours son [252] courage, ains il est marqué en l'Escriture, que le lion des vignes de Tamnatha venant a luy furieusement et rugissant, l'esprit de Dieu le saisit, c'est a dire, Dieu luy donna le mouvement d'une nouvelle force et d'un nouveau courage, et il mit en pieces le lion comme il enst fait un chevreau; et tout de mesme quand il desfit les mille Philistins qui le vouloyent desfaire en la campaigne de Lechi.

  A004000822 

 Cette ame, donques, avoit une telle complaysance et se sentoit tant honnoree en la bonté divine qui reluit en la vie, mort et passion du Sauveur, qu'il ne prenoit aucun playsir qu'en cet honneur; et c'est cela qui luy fait dire: Ja n'advienne que je me glorifie sinon en la Croix de mon Sauveur; comme il dit aussi, qu'il ne vivoit pas luy mesme, ains Jesus Christ vivoit en luy.

  A004000822 

 Mays par quel canal et conduit estoit venu le doux Jesus dans le cœur de saint Paul? Par le canal de la complaysance, comme il le declaire luy mesme disant: Ja n'advienne que je me glorifie sinon en la Croix de Nostre Seigneur Jesus Christ; car, si vous y prenes bien garde, entre se glorifier en une personne et se complayre en icelle, prendre a gloire et prendre a playsir une chose, il n'y a pas autre difference sinon que celuy qui prend une chose a gloire, outre le playsir il adjouste l'honneur, l'honneur n'estant pas sans playsir, bien que le playsir puisse estre sans honneur.

  A004000828 

 Ah, les justes et bons vous ayment! et comme pourroit-on estre bon et n'aymer pas une si grande bonté? Les princes terrestres ont leurs tresors es cabinetz de leur palais, leurs armes en leurs arsenalz: mays le Prince celeste, il a son tresor en son sein, ses armes dans sa poitrine; et parce que son tresor est sa bonté, comme ses armes sont ses amours, son sein et sa poitrine ressemble a celle d'une douce mere qui a deux beaux tetins comme deux cabinetz, riches en douceur de bon lait, armés d'autant de traitz pour assujettir le cher petit poupon comme il en peut faire de traittes en tettant..

  A004000828 

 Hé, n'a-elle pas rayson, cette belle ame, de s'escrier: O mon Roy, que vos richesses sont aymables et que vos amours sont riches! Hé, qui en a plus de joye, ou vous qui en jouïsses, ou moy qui m'en res-jouïs? Nous tressaillirons d'allegresse en la souvenance de vostre sein et de vos tetins si leçons en toute excellence de suavité: moy, parce que mon Bienaymé en jouït, vous, parce que vostre bienaymee s'en res-jouït; car ainsy nous en jouissons tous deux, puisque vostre bonté vous fait jouir de ma res-jouissance, et mon amour me fait res-jouir de vostre jouissance.

  A004000829 

 Notés cependant, Theotime, que la comparayson du lait et du vin semble si propre a l'Espouse sacree, qu'elle ne se contente pas de dire une fois que les mammelles de [261] son Espoux surpassent le vin, mais elle le repete par trois fois.

  A004000830 

 Or, le lait que nos ames succent es mammelles de la charité de Nostre Seigneur, vaut mieux incomparablement que le vin que nous tirons des discours humains: car ce lait prend son origine de l'amour celeste, qui le prepare a ses enfans avant mesme qu'ilz y ayent pensé; il a un goust amiable et suave, son odeur surpasse tous les parfums, il rend l'haleine franche et douce comme d'un enfant de lait, il donne une joye sans insolence, il enivre sans hebeter, il ne leve pas le sens, mais il le releve..

  A004000841 

 Or, quand nous accroissons et renforçons cette premiere complaysance par le moyen [263] de l'exercice de l'amour, ainsy que nous avons declaré es chapitres precedens, alhors nous attirons dedans nostre cœur les perfections divines, et jouissons de la divine bonté par la res-jouissance que nous y prenons, prattiquans cette premiere partie du contentement amoureux que l'Espouse sacree exprime disant: Mon Bien-aymé est a moy; mays parce que cette complaysance amoureuse estant en nous qui l'avons, ne laisse pas d'estre en Dieu en qui nous la prenons, elle nous donne reciproquement a sa divine bonté: si que par ce saint amour de complaysance nous jouissons des biens qui sont en Dieu comme s'ilz estoyent nostres, mays parce que les perfections divines sont plus fortes que nostre esprit, entrant en iceluy elles le possedent reciproquement; de sorte que nous ne disons pas seulement que Dieu est nostre par cette complaysance, mais aussi que nous sommes a luy..

  A004000842 

 Quand donques par cette attraction elle s'est unie au feu, si elle sçavoit parler ne pourroit-elle pas dire: Mon bienaymé feu est mien, puisque je l'ay attiré a moy et que je jouis de ses flammes; mais moy je suis aussi a luy, car si je l'ay tiré a moy, il me reduit en luy comme plus fort et plus noble: il est mon feu et je suis son herbe, je l'attire et il me brusle.

  A004000844 

 Mais comme donq se peut il entendre que les Anges qui voyent le Redempteur, et en iceluy tous les mysteres de nostre salut, desirent neanmoins encor de le voir? Theotime, ilz le voyent, certes, tous-jours, mais d'une veüe si aggreable et delicieuse que la complaysance qu'ilz en ont les assouvit sans leur oster le desir, et les fait desirer sans leur oster l'assouvissement; la jouissance n'est pas diminuee par le desir, ains en est perfectionnee, comme leur desir n'est pas estouffé, ains affiné par la jouissance..

  A004000844 

 Or en cette complaysance nous assouvissons tellement nostre ame de contentemens, que nous ne laissons pas de desirer de l'assouvir encor, et savourans la bonté divine nous la voudrions encor savourer; en nous rassasiant nous voudrions tous-jours manger, comme en mangeant nous nous sentons rassasier.

  A004000846 

 Le repos du cœur ne consiste pas a demeurer immobile, mais a n'avoir besoin de rien; il ne gist pas a n'avoir point de mouvement, mais a n'avoir point d'indigence de se mouvoir.

  A004000846 

 Or, bien que selon la condition ordinaire de cette vie mortelle nous n'ayons pas le repos en nostre mouvement, si est-ce toutefois, que lhors que nous faisons les essais des exercices de la vie immortelle, c'est a dire, que nous prattiquons les actes du saint amour, nous treuvons du repos dans le mouvement de nos affections et du mouvement au repos de la complaysance que nous avons en nostre Bienaymé, recevans par ce moyen des avant-goustz de la future felicité a laquelle nous aspirons..

  A004000846 

 Quand nostre volonté a rencontré Dieu, elle se repose en luy, y prenant une souveraine complaysance, et nenmoins elle ne laisse pas de faire le mouvement de son desir; car, comme elle desire d'aymer elle ayme aussi de desirer, elle a le desir de l'amour et l'amour du desir.

  A004000847 

 Qui desire Dieu en le possedant, ne le desire pas pour le chercher, mais pour exercer cette affection dedans le bien mesme duquel il jouit; car le cœur ne fait pas ce mouvement de desir comme pretendant a la jouissance pour l'avoir, puisqu'il l'a des-ja, mais comme s'estendant en la jouissance laquelle il a; non pour obtenir le bien, mais pour s'y recreer et entretenir; non pour en jouir, mais pour s'y esjouir: ainsy que nous marchons et nous esmouvons pour aller en quelque delicieux jardin, auquel estans arrivés nous ne laissons pas de marcher et nous remuer derechef, non plus pour y venir, mais pour nous pourmener et passer le tems en iceluv; nous avons marché pour aller jouir de l'amenité du jardin, y estans, nous marchons pour nous esjouir en la jouissance d'iceluy..

  A004000847 

 S'il est vray que le cameleon vive de l'air, par tout [266] ou il va dans l'air il a dequoy se repaistre: que s'il se remue d'un lieu a l'autre, ce n'est pas pour chercher dequoy se rassasier, mais pour s'exercer dedans son aliment comme les poissons dedans la mer.

  A004000851 

 La mort mesme ne peut attrister le cœur qui sçait que son souverain amour est vivant; c'est asses pour l'ame qui ayme, que celuy qu'elle ayme plus que soy mesme soit comblé de biens eternelz, puisqu'elle vit plus en celuy qu'elle ayme qu'en celuy qu'elle anime, ains qu'elle ne vit pas elle mesme, mais son Bienaymé vit en elle.

  A004000856 

 Quelle condoleance dans le cœur d'Agar sur la douleur de son Ismaël qu'elle voyoit presque perir de soif au desert! Quelle commiseration en l'ame de David sur la misere de son Absalon! Hé, ne voyes-vous pas le cœur maternel du grand Apostre, malade avec les malades, bruslant du zele pour les scandalisés, avec une douleur continuelle pour la perte des Juifz, et mourant tous les jours pour ses chers [268] enfans spirituelz? Mais sur tout, considerés comme l'amour tire toutes les peynes, tous les tourmens, les travaux, les souffrances, les douleurs, les blesseures, la passion, la croix et la mort mesme de nostre Redempteur dans le cœur de sa tres sacree Mere.

  A004000857 

 On void pour cela Cesar pleurer sur Pompee; et les filles de Hierusalem ne sceurent jamais s'empescher de pleurer sur Nostre Seigneur, bien que la pluspart d'entr'elles ne luy fussent pas grandement affectionnees; comme aussi les amis de Job, quoy que mauvais amis, firent des grans gemissemens voyans l'effroyable spectacle de son incomparable misere; et quel grand coup de douleur au cœur de Jacob, de penser que son cher enfant estoit trespassé d'une mort si cruelle comme est celle d'estre devoré d'une beste sauvage? Mais la commiseration, outre tout cela, se renforce merveilleusement par la presence de l'object miserable: pour cela la pauvre Agar s'esloignoit de son filz languissant, affin d'alleger en quelque sorte la douleur de compassion [269] qu'elle sentoit, disant: Je ne verray pas mourir l'enfant; comme au contraire Nostre Seigneur pleure voyant le sepulchre de son bienaymé Lazare et regardant sa chere Hierusalem; et nostre bon homme Jacob est outré de douleur quand il void la robbe ensanglantee de son pauvre petit Joseph..

  A004000864 

 Les angoisses de mon Bienaymé m'ont toute decoloree: car, comme pourroit une fidele amante voir tant de tourmens en celuy qu'elle ayme plus que sa vie, sans en devenir toute transie, havee et dessechee de douleur? les pavillons des nomades, perpetuellement exposés aux injures de l'air et de la guerre, sont presque tous-jours frippés et couvertz de poussiere, et moy, toute exposee aux regretz que par condoleance je reçois des travaux nompareilz de mon divin Sauveur, je suis toute couverte de detresse et transpercee de douleur; mais parce que les douleurs de Celuy que j'ayme proviennent de son amour, a mesure qu'elles m'affligent par compassion elles me delectent par complaysance, car, comme [272] pourroit une fidele amante n'avoir pas un extreme contentement de se voir tant aymee de son celeste Espoux?.

  A004000864 

 Quand je voy mon Sauveur sur le mont des Olives, avec son ame triste jusques a la mort, hé, Seigneur Jesus, ce dis-je, qui a peu porter ces tristesses de la mort dans l'ame de la vie, sinon l'amour, qui excitant la commiseration, attira par icelle nos miseres dans vostre cœur souverain? Or une ame devote, voyant cet abisme d'ennuis et de detresses en ce divin Amant, comme peut elle demeurer sans une douleur saintement amoureuse? Mays considerant d'ailleurs que toutes les afflictions de son Bienaymé ne procedent pas d'aucune imperfection ni manquement de force, ains de la grandeur de sa treschere dilection, elle ne peut qu'elle ne se fonde toute d'un amour saintement douloureux, si qu'elle s'escrie: Je suis noyre de douleur par compassion, mais je suis belle d'amour par complaysance.

  A004000865 

 L'amour esgale les amans: hé, je le voy, ce cher Amant, qu'il est un feu d'amour bruslant dans un buisson espineux de douleur, et j'en suis toute de mesme, je suis toute enflammee d'amour dedans les haillers de mes douleurs, je suis un lis environné d'espines, Hé, ne veuillés pas regarder seulement les horreurs de mes poignantes douleurs, mays voyés la beauté de mes aggreables amours.

  A004000865 

 Que si je porte le deuil sur la Passion et Mort de mon Roy, toute haslee et noiree de regret, je ne laisse pas d'avoir une douceur incomparable de voir l'exces de son amour emmi les travaux de ses douleurs; et les tentes de Salomon, toutes brodees et recamees en une admirable diversité d'ouvrages, ne furent jamais si belles que je suis contente, et par consequent douce, amiable et aggreable en la varieté des sentimens d'amour que j'ay parmi ces douleurs.

  A004000873 

 Ah! mais pourtant, o le sacré Bienaymé de mon ame, je ne desire pas de pouvoir desirer aucun bien a vostre Majesté, ains je me complais de tout mon cœur en ce supreme degré de bonté que vous aves, auquel ni par desir ni mesme par pensee on ne peut rien adjouster; mais si ce desir estoit possible, o Divinité infinie, o Infinité divine, mon ame voudroit estre ce desir et n'estre rien autre que cela, tant elle desireroit de desirer pour vous ce qu'elle se complait infiniment de ne pouvoir pas desirer, puisque l'impuissance de faire ce desir provient de l'infinie infinité de vostre perfection qui surpasse tout souhait et toute pensee! Hé, que j'ayme cherement l'impossibilité de vous pouvoir desirer aucun bien, o mon Dieu, puisqu'elle provient de l'incomprehensible immensité de vostre abondance, laquelle est si souverainement infinie, que s'il se treuvoit un desir infini il serait infiniment assouvi par l'infinité de vostre bonté, qui le convertirait en une infinie complaysance..

  A004000875 

 Et Ihors, mon Theotime, nous ne desirons pas la complaysance pour le playsir qu'elle nous donne, mais parce seulement que ce playsir est en Dieu: car, comme nous ne desirons pas la condoleance pour la douleur qu'elle met en nos cœurs, mais parce que cette douleur nous unit et associe a nostre Bienaymé douloureux, ainsy n'aymons-nous pas la complaysance parce, qu'elle nous rend du playsir, mais d'autant que ce playsir se prend en l'union du playsir et bien qui est en Dieu; auquel pour nous unir davantage, nous voudrions nous complaire d'une complaysance infiniment plus grande, a l'imitation de la tressainte Reyne et Mere d'amour, de laquelle l' ame sacree magnifioit et aggrandissoit perpetuellement Dieu; et affin que l'on sceust que cet aggrandissement se faysoit par la complaysance qu'elle avoit en la divine Bonté, elle declare que son esprit avoit tressailli de contentement en Dieu son Sauveur.

  A004000880 

 Mays il ne l'appelle pas plus tost par son nom, que toute fondue en playsir: Hé Dieu, dit elle, mon Maistre! Rien certes ne la peut assouvir, elle ne sçauroit se playre avec les Anges, non pas mesme avec son Sauveur s'il ne paroist en la forme en laquelle il luy avoit ravi son cœur.

  A004000885 

 L'honneur, mon cher Theotime, n'est pas en celuy que l'on honnore, mays en celuy qui honnore; car, combien de fois arrive-il que celuy que nous honnorons n'en sçait rien et n'y a seulement pas pensé? combien de fois louons-nous ceux qui ne nous connoissent pas ou qui dorment? Et toutefois, selon l'estime commune des hommes et leur ordinaire façon de concevoir, il semble que c'est faire du bien a quelqu'un quand on luy fait de l'honneur, et qu'on luy donne beaucoup quand on luy donne des tiltres et des louanges; et nous ne faysons pas difficulté de dire qu'une personne est riche d'honneur, de gloire, de reputation, de louange, encor qu'en verité nous sachions bien que tout cela, est hors de la personne honnoree et que bien souvent elle n'en reçoit aucune sorte de prouffit, suivant ce mot attribué au grand saint Augustin: «O pauvre Aristote, tu es loué ou tu es absent, et tu es bruslé ou tu es present.» Quel bien revient il, je vous prie, a Cesar et Alexandre le Grand, de tant de vaines paroles que plusieurs vaines ames employent a leur louange?.

  A004000899 

 Les cygales, Theotime, ont leur poitrine pleine de tuyaux, comme si elles [284] estoyent des orgues naturelles; et pour mieux chanter elles ne vivent que de la rosee, laquelle elles ne tirent pas par la bouche, car elles n'en ont point, ains la succent par une petite languette qu'elles ont au milieu de l'estomach, par laquelle elles jettent aussi, toutes, leurs sons avec tant de bruit qu'elles semblent n'estre que voix.

  A004000906 

 Car n'est ce pas comme s'il eust dit: Je suis une cygale mystique; mon ame, mes espritz, mes pensees, et toutes les facultés qui sont ramassees au dedans de moy sont des orgues: o qu'a jamais tout cela benisse le nom et retentisse les louanges de mon Dieu!.

  A004000938 

 Mays ces louanges que cette Mere d'honneur et de belle dilection, avec toutes les creatures ensemble, donne a la Divinité, quoy qu'excellentes et admirables, sont neanmoins si infiniment inferieures au merite infini de la bonté de Dieu, qu'elles n'ont aucune proportion avec iceluy; et partant, quoy qu'elles contentent grandement la sacree bienveuillance que le cœur amant a pour son Bienaymé, si est-ce qu'elles ne l'assouvissent pas.

  A004000938 

 Ouy, mon cher Theotime, toutes les benedictions que l'Eglise militante et triomphante donne a Dieu, sont benedictions angeliques et humaines, car si bien elles s'addressent au Createur, toutefois elles procedent de la creature; mais celles du Filz, elles sont divines, car elles ne regardent pas seulement Dieu comme les autres, ains elles proviennent de Dieu, car le Redempteur est vray Dieu.

  A004000940 

 Mais comme [294] ceux qui regardent au travers des treillis voyent et ne sont qu'entreveus, ainsy le divin amour de ce cœur, ou plustost ce cœur du divin amour, void tous-jours clairement les nostres et les regarde des yeux de sa dilection, mais nous ne le voyons pas pourtant, seulement nous l'entrevoyons: car, o Dieu! si nous le voyions ainsy qu'il est, nous mourrions d'amour pour luy puisque nous sommes mortelz, comme luy mesme mourut pour nous tandis qu'il estoit mortel, et comme il en mourrait encor, si maintenant il n'estoit immortel.

  A004000944 

 Car tout ainsy qu'estans en une chambre nous ne recevons pas la lumiere selon la grandeur de la clarté du soleil qui la respand, mays selon la grandeur de la fenestre par laquelle il la communique, de mesme les actions humaines du Sauveur ne sont pas infinies, bien qu'elles soyent d'infinie valeur, d'autant qu'encor que la Personne divine les fasse, elle ne les fait pas toutefois selon l'estendue de son infinité, mais selon la grandeur finie de son humanité par laquelle elle les fait: de sorte que comme les actions humaines de nostre doux Sauveur sont infinies en comparayson des nostres, aussi sont-elles finies en comparayson de l'essentielle infinité de la Divinité.

  A004000944 

 La louange donq qui part du Sauveur entant qu'il est homme, n'estant pas de tout point infinie, elle ne peut correspondre de toutes pars a la grandeur infinie de la Divinité a laquelle elle est destinee: c'est pourquoy, apres le premier ravissement d'admiration qui nous saisit quand nous avons rencontré une louange si glorieuse [296] comme est celle que le Sauveur donne a son Pere, nous ne laissons pas de reconnoistre que la Divinité est encor infiniment plus louable qu'elle ne peut estre louee, ni par toutes les creatures ni par l'humanité mesme du Filz eternel..

  A004000944 

 Toutes les actions humaines de nostre Sauveur sont infinies en valeur et merite, a rayson de la Personne qui les produit, qui est un mesme Dieu avec le Pere et le Saint Esprit; mays elles ne sont pas pourtant de nature et essence infinie.

  A004000945 

 Que si c'est cette beauté de la lumiere qui provoque les alouettes a chanter, comme il est fort probable, ce n'est pas merveille si elles chantent plus clairement a mesure qu'elles volent plus hautement, s'eslevant esgalement en chant et en vol, jusques a tant que ne pouvant presque plus chanter elles commencent a descendre de ton et de cors, rabbaissant petit a petit leur vol comme leur voix.

  A004000946 

 Alhors nous exclamons: «Gloire soit au Pere, et au Filz, et au Saint Esprit;» et affin qu'on sçache que ce n'est pas la gloire des louanges creées que nous souhaittons a Dieu par cet eslan, ains la gloire essentielle et eternelle qu'il a en luy mesme, par luy mesme, de luy mesme, et qui est luy mesme, nous adjoustons: «Ainsy qu'il l'avoit au commencement, et maintenant, et tous-jours, et es siecles des siecles, Amen;» comme si nous disions par souhait: Qu'a jamais Dieu soit glorifié de la gloire qu'il avoit avant toute creature, en son infinie eternité et eternelle infinité.

  A004000947 

 Et bien que, au commencement, l'ame amoureuse eut eu quelque sorte de desir de pouvoir asses louer son Dieu, si est-ce que revenant a soy elle proteste qu'elle ne voudroit pas le pouvoir asses louer, ains demeure en une tres humble complaysance, de voir que la divine Bonté est si tres infiniment louable qu'elle ne peut estre suffisamment louee que par sa propre infinité..

  A004000954 

 Cet amour, donq, voudroit bien voir les merveilles de l'infinie bonté de Dieu, mays il replie les aysles de ce desir sur son visage, confessant qu'il n'en peut reussir; il voudroit aussi rendre quelque digne service, mays il replie le desir sur ses pieds, advoüant qu'il n'en a pas le pouvoir; et ne luy reste que les deux aysles de complaysance et bienveuillance, avec lesquelles il vole et s'eslance en Dieu..

  A004000965 

 Ce traitte est donques difficile, sur tout a qui n'est pas homme de grande orayson..

  A004000966 

 Nous ne prenons pas ici le mot d'orayson pour la seule priere ou «demande de quelque bien, respandue devant Dieu par les fideles,» comme saint Basile la nomme; mays comme saint Bonaventure, quand il dit que l'orayson, a parler generalement, comprend tous les actes de contemplation, ou comme saint Gregoire Nissene, quand il enseignoit que «l'orayson est un entretien et conversation de l'ame avec Dieu;» ou bien comme saint Chrysostome, quand il asseure que «l'orayson est un devis avec la divine Majesté;» ou en fin comme saint Augustin et saint Damascene, quand ilz disent que l'orayson est «une montee ou eslevement de l'esprit en Dieu.» Oue si l'orayson est un colloque, un «devis» ou une «conversation» de l'ame avec Dieu, par icelle donq nous parlons a Dieu et Dieu reciproquement parle a nous, nous aspirons a luy et respirons en luy, et mutuellement il inspire en nous et respire sur nous..

  A004000970 

 L'amour desire le secret, et quoy que les amans n'ayent rien a dire de secret ilz se playsent toutefois a le dire secretement: et c'est en partie, si je ne me trompe, parce qu'ilz ne veulent parler que pour eux mesmes, et disans quelque chose a haute voix il leur est advis que ce n'est plus pour eux seulz, partie parce qu'ilz ne disent pas les choses communes a la façon commune, ains avec des traitz particuliers et qui ressentent la speciale affection avec laquelle ilz parlent Le langage de l'amour est commun quant aux paroles, mais quant a la maniere et prononciation il est si particulier que nul ne l'entend sinon les amans.

  A004000970 

 Le nom d'ami estant dit en commun n'est pas grande chose, mais estant dit a part, en secret, a l'oreille, il veut dire merveilles; et a mesure qu'il est dit plus secretement, sa signification en est plus aymable.

  A004000971 

 L'amour ne parle pas seulement par la langue, mais par les yeux, par les souspirs et contenances; ouy mesme le silence et la taciturnité luy tiennent lieu de parole.

  A004000976 

 Or toute meditation est une pensee, mais toute pensee n'est pas meditation, Maintefois nous avons des pensees [306] auxquelles nostre esprit s'attache sans dessein ni pretention quelcomque, par maniere de simple amusement, ainsy que nous voyons les mousches communes voler ça et la sur les fleurs sans en tirer chose aucune; et cette espece de pensee, pour attentive qu'elle soit, ne peut porter le nom de meditation, ains doit estre simplement appellee pensee.

  A004000979 

 Mays affin qu'on sache que les colombes ne font [308] pas leur grunement seulement es occasions de tristesse, ains encor en celles de l'amour et de la joye, l'Espoux sacré, descrivant le primtems naturel pour exprimer les graces du primtems spirituel, La voix, dit-il, de la tourterelle a esté ouÿe en nostre terre; parce qu'au primtems la tourterelle commence a s'eschauffer d'amour, ce qu'elle tesmoigne par son ramage qu'elle respand plus frequemment.

  A004000987 

 Et en somme, la meditation est mere de l'amour, mais la contemplation est sa fille: c'est pourquoy j'ay dit que la contemplation estoit une attention amoureuse, car l'on appelle les enfans du nom de leurs peres, et non pas les peres du nom de leurs enfans..

  A004000992 

 Mais qui a plus de force, je vous prie, ou l'amour pour faire regarder le Bienaymé ou la veüe pour le faire aymer? Theotime, la connoissance est requise a la production de l'amour, car jamais nous ne sçaurions aymer ce que nous ne connoissons pas; et a mesure que la connoissance attentive du bien s'augmente, l'amour aussi prend davantage de croissance, pourveu qu'il n'y ayt rien qui empesche son mouvement.

  A004000992 

 Mays neanmoins, il arrive maintefois que la connoissance ayant produit l'amour sacré, l'amour ne s'arrestant pas dans les bornes de la connoissance qui est en l'entendement, passe outre et s'avance bien fort au dela d'icelle: si que, en cette vie mortelle, nous pouvons avoir plus d'amour que de connoissance de Dieu; dont le grand saint Thomas asseure que souvent «les plus simples et les femmes abondent en devotion,» et sont ordinairement plus capables de l'amour divin que les habiles gens et sçavans.

  A004000993 

 Le fameux abbé de Saint André de Verceil, maistre de saint Anthoine de Padoüe, en ses Commentaires sur saint Denys, repete plusieurs fois que «l'amour penetre ou la science exterieure ne sçauroit atteindre,» et dit que «plusieurs Evesques ont jadis penetré le mistere de la Trinité, quoy qu'ilz ne fussent pas doctes;» admirant sur ce propos son disciple saint Anthoine de Padoüe «qui, sans science mondayne, avoit une si profonde theologie mistique, que comme un autre saint Jean Baptiste on le pouvoit nommer une lampe luisante et ardente.» «Le bienheureux frere Gilles, des premiers compaignons de saint François, dit un jour a saint Bonaventure: O que vous estes heureux, vous autres doctes, car vous sçaves maintes choses par lesquelles vous loües Dieu; mays nous autres idiotz que ferons nous? Et saint Bonaventure respondit: La grace de pouvoir aymer Dieu suffit.

  A004000994 

 La volonté, certes, ne s'apperçoit pas du bien que [315] par l'entremise de l'entendement, mais l'ayant une fois apperceu elle n'a plus besoin de l'entendement pour prattiquer l'amour, car la force du playsir qu'elle sent ou pretend sentir de l'union a son object, l'attire puissamment a l'amour et au desir de la jouissance d'iceluy.

  A004000994 

 Si que la connoissance du bien donne la naissance a l'amour, mais non pas la mesure; comme nous voyons que la connoissance d'une injure esmeut la cholere, laquelle, si elle n'est soudain estouffee, devient presque tous-jours plus grande que le sujet ne requiert: les passions ne suivant pas la connoissance qui les esmeut, mais la laissant bien souvent en arriere, elles s'avancent sans mesure ni limite quelcomque devers leur object..

  A004000995 

 Or cela arrive encor plus fortement en l'amour sacré, d'autant que nostre volonté n'y est pas appliquee par une connoissance naturelle, mays par la lumiere de la foy, laquelle nous asseurant de l'infinité du bien qui est en Dieu, nous donne asses de sujet de l'aymer de tout nostre pouvoir.

  A004001006 

 Et le grand saint Augustin, suivi par saint Thomas, dit qu'au Ciel nous n'aurons pas ces grandes vicissitudes, varietés, changemens et retours de pensees et cogitations «qui vont et reviennent d'object en object et de chose a autre; ains, qu'avec une seule pensee nous pourrons estre attentifs a la diversité de plusieurs choses» et en recevoir la connoissance.

  A004001012 

 Et en fin, nous regardons d'autres fois, non plusieurs ni une seule des perfections divines, ains seulement quelqu'action ou quelqu'œuvre divine a laquelle nous sommes attentifs; comme, par exemple, a l'acte de la misericorde par lequel Dieu pardonne les pechés, ou a l'acte de la creation, ou de la resurrection du Lazare, ou de la conversion de saint Paul: ainsy qu'un espoux qui ne regarderoit pas les yeux, ains seulement la douceur du regard que son espouse jette sur luy, ne considereroit point sa bouche, mais la suavité des paroles qui en sortent.

  A004001014 

 Et comme mangea-il son bornal avec son miel, sinon quand il vescut d'une vie nouvelle, reunissant son ame, plus douce que le miel, a son cors percé et navré de plus de trous qu'un bornai? Et lhors que, montant au Ciel, il prit possession de toutes les circonstances et dependances de sa divine gloire, que fit-il autre chose, sinon mesler le vin res-jouissant de la gloire essentielle de son ame avec le lait delectable de la felicité parfaite de son cors, en une sorte encor plus excellente qu'il n'avoit pas fait jusques a l'heure?.

  A004001015 

 Or, en tous ces divins mysteres, qui comprennent tous les autres, il y a dequoy bien manger et bien boire pour tous les chers amis, et dequoy s'enivrer pour les treschers amis: les uns mangent et boivent, mais ilz mangent plus qu'ilz ne boivent et ne s'enivrent pas; les autres mangent et boivent, mais ilz boivent beaucoup plus qu'ilz ne mangent, et ce sont ceux qui s'enivrent.

  A004001015 

 Sainte et sacree ivresse, qui, au contraire de la corporelle, nous aliene non du sens spirituel mais des sens corporelz; qui ne nous hebete ni abestit pas, ains nous angelise et, par maniere de dire, divinise; qui nous met hors de nous, non pour nous ravaler et ranger avec les bestes, comme fait l'ivresse terrestre, mais pour nous eslever au dessus de nous et nous ranger avec les Anges, en sorte que nous vivions plus en Dieu qu'en nous mesmes, estans attentifs et occupés par amour a voir sa beauté et nous unir a sa bonté..

  A004001020 

 Celuy, dit la bienheureuse Mere Therese de Jesus, qui a laissé par escrit que l'orayson de recueillement se fait comme quand un herisson ou une tortue se retire au dedans de soy, l'entendoit bien; hormis que ces bestes se retirent au dedans d'elles mesmes quand elles veulent, mais le recueillement ne gist pas en nostre volonté, ains il nous advient quand il plait a Dieu de nous faire cette grace..

  A004001020 

 Je ne parle pas icy, Theotime, du recueillement par lequel ceux qui veulent prier se mettent en la presence de Dieu, rentrans en eux mesmes, et retirans, par maniere de dire, leur ame dedans leur cœur pour parler a Dieu; car ce recueillement se fait par le commandement de l'amour, qui, nous provoquant a l'orayson, nous fait prendre ce moyen de la bien faire, de sorte que nous faysons nous mesmes ce retirement de nostre esprit.

  A004001020 

 Mais le recueillement duquel j'entens de parler ne se fait pas par le commandement de l'amour, ains par l'amour mesme; c'est a dire, nous ne le faysons pas nous mesmes par election, d'autant qu'il n'est pas en nostre pouvoir de l'avoir quand nous voulons et ne depend pas de nostre soin, mays Dieu le fait en nous, quand il luy plait, par sa tressainte grace.

  A004001022 

 O Dieu, dit l'ame alhors, a l'imitation de saint Augustin, ou vous allois-je cherchant, Beauté tres infinie! «Je vous cherchois dehors, et vous esties au milieu de mon cœur.» Toutes les affections de Magdeleyne et toutes ses pensees estoyent espanchees autour du sepulchre de son Sauveur qu'elle alloit questant ça et la; et bien qu'elle l'eust treuvé et qu'il parlast a elle, elle ne laisse pas de les laisser esparses, parce qu'elle ne s'appercevoit pas de sa presence; mais soudain [327] qu'il l'eut appellee par son nom, la voyla qu'elle se ramasse et s'attache toute a ses pieds: une seule parole la met en recueillement..

  A004001025 

 C'en est de mesme en cette sorte de recueillement de laquelle nous parlons; car a la seule presence de Dieu, au seul sentiment que nous avons qu'il nous regarde, ou des le Ciel ou de quelqu'autre lieu hors de nous, bien que pour lhors nous ne pensions pas a l'autre sorte de presence par laquelle il est en nous, nos facultés et puissances se ramassent et assemblent en nous mesmes pour la reverence de sa divine Majesté, que l'amour nous fait craindre d'une crainte d'honneur et de respect.

  A004001025 

 Mays ce doux recueillement de nostre ame en soy mesme ne se fait pas seulement par le sentiment de la presence divine au milieu de nostre cœur, ains en quelle maniere que ce soit que nous nous mettions en cette sacree presence.

  A004001030 

 L'ame, estant donq ainsy recueillie dedans elle mesme en Dieu ou devant Dieu, se rend parfois si doucement attentive a la bonté de son Bienaymé, qu'il luy semble que son attention ne soit presque pas attention, tant elle est simplement et delicatement exercee; comme il arrive en certains fleuves, qui coulent si doucement et egalement, qu'il semble a ceux qui les regardent ou navigent sur iceux de ne voir ni sentir aucun mouvement, parce qu'on ne les voici nullement ondoyer ni flotter.

  A004001032 

 Et ce qui est encor plus admirable, c'est que la volonté n'apperçoit point cet ayse et contentement qu'elle reçoit, jouissant insensiblement d'iceluy; d'autant qu'elle ne pense pas a soy, mais a Celuy la presence duquel luy donne ce playsir: comme il arive maintefois que, surpris d'un leger sommeil, nous entr'oyons seulement ce que nos amis disent autour de nous ou ressentons les caresses qu'ilz nous font, presque imperceptiblement, sans sentir que nous sentons..

  A004001033 

 Neanmoins l'ame qui en ce doux repos jouit de ce delicat sentiment de la presence divine, quoy qu'elle ne s'apperçoive pas de cette jouissance, tesmoigne toutefois clairement combien ce bonheur luy est precieux et aymable, quand on le luy veut oster ou que quelque chose l'en destourne: car alhors, la pauvre ame fait des plaintz, crie, voire quelquefois pleure, comme un petit enfant [331] qu'on a esveillé avant qu'il eust asses dormi, lequel, par la douleur qu'il ressent de son reveil, monstre bien la satisfaction qu'il avoit en son sommeil.

  A004001033 

 Non, Theotime, l'ame ainsy tranquille en son Dieu ne quitteroit pas ce repos pour tous les plus grans biens du monde..

  A004001035 

 Les peintres peignent ordinairement le bienaymé saint Jean, en la cene, non seulement reposant, mais dormant sur la poitrine de son Maistre; parce qu'il y fut assis a la façon des Levantins, en sorte que sa teste tendoit vers le sein de son cher Amant, sur lequel, comme il ne dormoit pas du sommeil corporel, n'y ayant aucune vraysemblance en cela, aussi ne doute-je point que se treuvant si pres des mammelles de la douceur eternelle, il n'y fit un profond, mistique et doux sommeil, [332] comme un enfant d'amour qui, attaché au tetin de sa mere, allaite en dormant et dort en allaitant.

  A004001040 

 Mais apres que la fraicheur du lait a aucunement appaysé la chaleur appetissante de leur petite poitrine, et que les aggreables vapeurs qu'il envoye a leur cerveau commencent a les endormir, Theotime, vous les verries fermer tout bellement leurs petitz yeux et ceder petit e petit au sommeil, sans [333] quitter neanmoins le tetin, sur lequel ilz ne font nulle action que celle d'un lent et presqu'insensible mouvement de levres, par lequel ilz tirent tous-jours le lait qu'ilz avalent imperceptiblement: et cela ilz le font sans y penser, mais non pas certes sans playsir, car si on leur oste le tetin avant que le profond sommeil les ait accablés, ilz s'esveillent et pleurent amerement, tesmoignans par la douleur qu'ilz ont en la privation qu'ilz avoyent beaucoup de douceur en la possession.

  A004001040 

 Que si on incommode cette pauvre petite pouponne et qu'on luy veuille oster la poupette, d'autant qu'elle semble endormie, elle monstre bien alhors, qu'encor qu'elle dorme pour tout le reste des choses elle ne dort pas neanmoins pour celle la; car elle apperçoit le mal de cette separation et s'en fasche, monstrant par la.

  A004001041 

 Mays dites moy, Theotime, l'ame recueillie en son Dieu, pourquoy, je vous prie, s'inquieteroit elle? n'a-elle pas sujet de s'accoiser et demeurer en repos? Car, que chercheroit elle? Elle a treuvé Celuy qu'elle cherchoit; que luy reste-il plus sinon de dire: J'ay treuvé mon cher Bienaymé, je le tiens et ne quitteray point.

  A004001041 

 Que si mesme elle ne le void pas par l'entendement elle ne s'en soucie point, se contentant de le sentir pres d'elle par l'ayse et satisfaction que la volonté en reçoit.

  A004001041 

 [334] Hé, la Mere de Dieu, Nostre Dame et Maistresse, estant grosse, ne voyoit pas son divin Enfant, mais le sentant dedans ses entrailles sacrees, vray Dieu, quel contentement en ressentoit-elle! Et sainte Elizabetli, ne jouit-elle pas admirablement des fruitz de la divine presence du Sauveur, sans le voir, au jour de la tressainte Visitation? L'ame non plus n'a aucun besoin, en ce repos, de la memoire, car elle a present son Amant; elle n'a pas aussi besoin de l'imagination, car qu'est-il besoin de se representer en image, soit exterieure soit interieure, celuy de la presence duquel on jouit? De sorte qu'en fin c'est la seule volonté qui attire doucement, et comme en tettant tendrement, le lait de cette douce presence, tout le reste de l'ame demeurant en quietude avec elle, par la suavité du playsir qu'elle prend..

  A004001042 

 On ne se sert pas seulement du vin emmiellé pour retirer et rappeller les avettes dans les ruches, mays on s'en sert encor pour les appayser; car, quand elles font des seditions et mutineries entr'elles, s'entretuant et desfaisant les unes les autres, leur gouverneur n'a point de meilleur remede que de jetter du vin emmiellé au milieu de ce petit peuple effarouché; d'autant que les particuliers desquelz il est composé, sentans cette suave et aggreable odeur, s'appaysent, et s'occupans a la jouissance de cette douceur demeurent accoysés et tranquilles.

  A004001046 

 Il y a des espritz actifs, fertiles et foisonnans en considerations; il y en a qui sont souples, replians et qui ayment grandement a sentir ce qu'ilz font, qui veulent tout voir et esplucher ce qui se passe en eux, retournans perpetuellement leur veue sur eux mesmes pour reconnoistre leur avancement; il y en a encor d'autres qui ne se contentent pas d'estre contens s'ilz ne sentent, regardent et savourent leur contentement, et sont semblables a ceux qui, estans bien vestus contre le froid, ne penseroyent pas l'estre s'ilz ne sçavoyent combien de robbes ilz portent, ou qui voyans leurs cabinetz pleins d'argent, ne penseroyent pas estre riches s'ilz ne sçavoyent le compte de leurs escus..

  A004001048 

 Neanmoins il ne faut pas croire qu'il y ait aucun peril de perdre cette sacree quietude par les actions du cors ou de l'esprit qui ne se font ni par legereté ni par indiscretion; car, comme dit la bienheureuse Mere Therese, c'est une superstition d'estre si jaloux de ce repos, que de ne vouloir ni tousser, ni cracher, ni respirer, de peur de le perdre: d'autant que Dieu qui donne cette paix, ne l'oste pas pour telz mouvemens necessaires, ni pour les distractions et divagations de l'esprit quand elles sont involontaires; et la volonté estant une fois bien amorcee a la presence divine ne laisse pas d'en savourer les douceurs, quoy que l'entendement ou la memoire se soyent eschappés et desbandés apres des pensees estrangeres et inutiles..

  A004001049 

 Il est vray qu'alhors la quietude de l'ame n'est pas si grande comme si l'entendement et la memoire conspiroyent avec la volonté, mais toutefois elle ne laisse pas d'estre une vraye tranquillité spirituelle, puisqu'elle regne en la volonté, qui est la maistresse de toutes les autres facultés.

  A004001055 

 Et d'autres fois elle sent parler l'Espoux, mais elle ne sçauroit luy parler, parce que l'ayse de l'ouïr ou la reverence qu'elle luy porte la tient en silence, ou bien parce qu'elle est en secheresse et tellement alangourie d'esprit qu'elle n'a de force que pour ouïr et non pas pour parler; comme il arrive corporellement quelquefois a ceux qui commencent a s'endormir ou qui sont grandement affoiblis par quelque maladie..

  A004001057 

 Et si l'on repliquoit: Mays pourquoy y demeures tu sans rien faire? Parce, diroit elle, que mon maistre ne m'y a pas placee affin que je fisse chose quelcomque, ains seulement affîn que j'y fusse immobile.

  A004001057 

 Et si on rechargeoit en cette sorte: Or dis-moy donq, statue, je te prie, tu ne vois point ton maistre, et comme prens tu du contentement a le contenter? Non certes, confesseroit elle, je ne le voy pas, car j'ay des yeux non pas pour voir, comme j'ay des pieds non pas pour marcher; mais je suis trop contente de sçavoir que mon cher maistre me void ici et prenne plavsir de m'y voir.

  A004001057 

 Mavs si l'on continuoit la dispute avec la statue et qu'on luy dist: Mays ne voudrois-tu pas bien avoir du mouvement pour t'approcher de l'ouvrier qui t'a fait, affin de luy faire quelque autre meilleur service? sans doute elle le nieroit et protesteroit qu'elle ne voudroit pas faire autre chose [341] sinon que son maistre le voulust.

  A004001057 

 Que si derechef on la pressoit en disant: Mays, pauvre statue, dequoy te sert-il d'estre la de la sorte? Hé Dieu! respondroit-elle, je ne suis pas icy pour mon interest et service, mais pour obeir et servir a la volonté de mon seigneur et sculpteur, et cela me suffit.

  A004001058 

 Ouy certes, Theotime, car si nous l'aymons, nous nous endormons non seulement a sa veue mais a son gré, et non seulement par sa volonté mais selon sa volonté; et semble que ce soit luy mesme, nostre Createur et Sculpteur celeste, qui nous jette la sur nos litz, comme des statues dans leurs niches, affin que nous nichions dans nos litz comme les oyseaux couchent dans leurs nids; puis a nostre resveil, si nous y pensons bien, nous treuvons que Dieu nous a tous-jours esté present, et que nous ne nous sommes pas non plus esloignés ni separés de luy.

  A004001059 

 Car, en somme, c'est le comble de l'amoureuse extase de n'avoir pas sa volonté en son contentement, mais en celuy de Dieu, ou de n'avoir pas son contentement en sa volonté, mais en celle de Dieu..

  A004001064 

 L'ame n'en est pas de mesme par nature, car elle a ses figures et ses bornes propres: elle a sa figure par ses habitudes et inclinations, et ses bornes par sa propre volonté; et quand elle est arrestee a ses inclinations et volontés propres, nous disons qu'elle est dure, c'est a dire opiniastre, obstinee: Je vous osteray, dit Dieu, vostre cœur de pierre, c'est a dire, je vous [343] osteray vostre obstination.

  A004001064 

 On appelle cœur de fer, de boys ou de pierre celuy qui ne reçoit pas aysement les impressions divines, ains demeure en sa propre volonté, emmi les inclinations qui accompaignent nostre nature depravee; au contraire, un cœur doux, maniable et traittable est appellé un cœur fondu et liquefié: Mon cœur, dit David parlant en la personne de Nostre Seigneur sur la croix, mon cœur est fait comme de la cire fondue, au milieu de mon ventre: Cleopatra, cette infame reyne d'Ægypte, voulant encherir sur tous les exces et toutes les dissolutions que Marc Anthoine avoit fait en banquetz, fit apporter a la fin d'un festin qu'elle faysoit a son tour, un bocal de fin vinaigre, dedans lequel elle jetta une des perles qu'elle portoit en ses oreilles, estimee deux centz cinquante mille escus; puis la perle estant resolue, fondue et liquefiee, elle l'avala, et eust encor enseveli l'autre perle, qu'elle avoit en l'autre oreille, dans la cloaque de son vilain estomach, si Lucius Plancus ne l'eust empeschee.

  A004001065 

 Mon ame, dit l'amante sacree, s'est toute fondue a mesme que mon Bienaymé a parlé; et qu'est ce a dire, elle s'est fondue, sinon, elle ne s'est plus contenue en elle mesme, ains s'est escoulee devers son divin [344] Amant? Dieu ordonna a Moyse qu'il parlast au rocher, et il produiroit des eaux; ce n'est donq pas merveille si luy mesme fit fondre l'ame de son amante lhors qu'il luy parloit en sa douceur.

  A004001066 

 Mays comme se fait cet escoulement sacré de l'ame en son Bienaymé? Une extreme complaysance de l'amant en la chose aymee produit une certaine impuissance spirituelle qui fait que l'ame ne se sent plus aucun pouvoir de demeurer en soy mesme; c'est pourquoy, comme un baume fondu, qui n'a plus de fermeté ni de solidité, elle se laisse aller et escouler en ce qu'elle [345] ayme: elle ne se jette pas par maniere d'eslancement ni elle ne se serre pas par maniere d'union, mais elle se va doucement coulant, comme une chose fluide et liquide, dedans la Divinité qu'elle ayme.

  A004001067 

 Car dites moy, je vous prie, Theotime, si une goutte d'eau elementaire jettee dans un ocean d'eau naphe, estoit vivante et qu'elle peust parler et dire l'estat auquel elle seroit, ne crieroit elle pas de grande joye: O mortelz, je vis voirement, mais je ne vis pas moy mesme, ains cet ocean vit en moy et ma vie est cachee en cet abisme..

  A004001067 

 Vous voyes donq bien, Theotime, que l'escoulement d'une ame en son Dieu n'est autre chose qu'une veritable extase, par laquelle l'ame est toute hors des bornes de son maintien naturel, toute meslee, absorbee et engloutie en son Dieu: dont il arrive que ceux qui parviennent a ce saint exces de l'amour divin, estans par apres revenuz a eux, ne voyent rien en la terre qui les contente, et vivans en un extreme aneantissement d'eux mesmes demeurent fort alangouris en tout ce qui appartient aux sens, et ont perpetuellement au cœur la maxime de la bienheureuse vierge Therese de Jesus: «Ce qui n'est pas Dieu ne m'est rien.» Et semble que telle fut la passion amoureuse de ce grand ami du Bienaymé, qui disoit: Je vis, mais non pas moy, ains Jesus Christ vit en moy; et: Nostre vie est cachee avec Jesus Christ en Dieu.

  A004001068 

 L'ame escoulee en Dieu ne meurt pas; car, comme pourroit-elle mourir d'estre abismee en la vie? mais elle vit sans vivre en elle mesme, parce que, comme [346] les estoiles sans perdre leur lumiere ne luisent plus en la presence du soleil, ains le soleil luit en elles et sont cachees en la lumiere du soleil, aussi l'ame, sans perdre sa vie, ne vit plus estant meslee avec Dieu, ains Dieu vit en elle.

  A004001072 

 Qui n'ayme pas beaucoup la chose publique, ne se met pas beaucoup en peyne si elle se ruine; qui n'ayme guere Dieu, ne hait non plus guere le peché.

  A004001073 

 Certes, Theotime, l'amour est ainsy aigredoux, et tandis que nous sommes en ce monde il n'a jamais une douceur parfaittement douce, parce qu'il n'est pas parfait ni jamais purement assouvi et satisfait; et neanmoins il ne laisse pas d'estre grandement aggreable, son aigreur affinant la suavité de sa douceur comme sa douceur aiguise la grace de son aigreur.

  A004001073 

 Mais cela, comme se peut-il faire? On a veu tel jeune homme entrer en conversation, libre, sain et fort gay, qui ne prenant pas garde a soy, sent bien, avant que d'en sortir, que l'amour se servant des regars, des maintiens, des paroles, voire mesme des cheveux d'une imbecille et foible creature, comme d'autant de fleches, aura feru et blessé son chetif cœur en sorte que le voyla tout triste, morne et estonné.

  A004001074 

 piqué un enfant, certes, vous auries beau luy dire: ah, mon enfant, l'abeille qui t'a piqué c'est celle la mesme qui fait le miel que tu treuves si bon; car, il est vray, diroit-il, son miel est bien doux a mon goust, mais sa piqueure est bien douloureuse, et tandis que son eguillon est dedans ma joüe je ne puis m'accoyser; et ne voyes vous pas que ma face en est toute enflee? Theotime, certes l'amour est une complaysance, et par consequent il est fort aggreable, pourveu qu'il ne laisse point dedans nos cœurs l'eguillon du desir; mais quand il le laisse, il laisse avec iceluy une grande douleur.

  A004001075 

 Les premiers traitz que nous recevons de l'amour s'appellent blesseures, parce que le cœur qui sembloit sain, entier et tout a soy mesme tandis qu'il n'aymoit pas, commence, lhors qu'il est atteint d'amour, a se separer et diviser de soy mesme pour se donner a l'objet aymé: or cette division ne se peut faire sans douleur, puisque la douleur n'est autre chose que la division des choses vivantes qui se tiennent l'une a l'autre.

  A004001075 

 Mays, Theotime, parlant de l'amour sacré, il y a en [349] la prattique d'iceluy une sorte de blesseure que Dieu luy mesme fait quelquefois en l'ame qu'il veut grandement perfectionner: car il luy donne des sentimens admirables et des attraitz non pareilz pour sa souveraine bonté, comme la pressant et sollicitant de l'aymer; et lhors elle s'eslance de force comme pour voler plus haut vers son divin objet, mays demeurant courte parce qu'elle ne peut pas tant aymer comme elle desire, o Dieu! elle sent une douleur qui n'a point d'egale.

  A004001075 

 O miserable que je suis, disoit l'un de ceux qui ont experimenté ce travail, qui me delivrera du cors de cette mortalité? Alhors, si vous y prenes garde, Theotime, ce n'est pas le desir d'une chose absente qui blesse le cœur, car l'ame sent que son Dieu est present, il l'a des-ja menee dans son cellier a vin, il a arboré sur son cœur l'estendart de l'amour; mays quoy que des-ja il la voye toute sienne, il la presse, et descoche de tems en tems mille et mille traitz de son amour, luy monstrant par des nouveaux moyens combien il est plus aymable qu'il n'est aymé: et elle, qui n'a pas tant de force pour l'aymer que d'amour pour s'efforcer, voyant ses effortz si imbecilles en comparayson du desir qu'elle a pour aymer dignement Celuy que nulle force ne peut asses aymer, helas, elle se sent outree d'un tourment incomparable; car, autant d'eslans qu'elle fait pour voler plus haut en son desirable amour, autant reçoit-elle de secousses de douleur..

  A004001076 

 Or ce desir qui ne peut reuscir est comme un dard dans le flanc d'un esprit genereux; [350] mais la douleur qu'on en reçoit ne laisse pas d'estre aymable, d'autant que quicomque desire bien d'aymer, ayme aussi bien a desirer, et s'estimeroit le plus miserable de l'univers s'il ne desiroit continuellement d'aymer ce qui est si souverainement aymable: desirant d'aymer il reçoit de la douleur, mays aymant a desirer il reçoit de la douceur..

  A004001077 

 Celuy des mortelz qui ne desire pas d'aymer davantage la divine Bonté, il ne l'ayme pas asses: la suffisance en ce divin exercice ne suffit pas a celuy qui s'y veut arrester comme si elle luy suffisoit.

  A004001077 

 Dieu, donq, tirant continuellement, s'il faut ainsy dire, des sagettes du carquois de son infinie beauté, blesse l'ame de ses amans, leur faysant clairement voir qu'ilz ne l'ayment pas a beaucoup pres de ce qu'il est aymable.

  A004001081 

 Les avettes ne blessent jamais qu'elles ne demeurent blessees a mort: voyans aussi le Sauveur de nos ames blessé d'amour pour nous jusques a la mort, et la mort de la croix, comme pourrions-nous n'estre pas blessés pour luy! mais je dis blessés d'une playe d'autant plus douloureusement amoureuse que la sienne a esté amoureusement douloureuse, et que jamais nous ne le pouvons tant aymer que son amour et sa mort le requierent.

  A004001082 

 C'est encor une autre blesseure d'amour, quand l'ame sent bien qu'elle ayme Dieu et que neanmoins Dieu la traitte comme s'il ne sçavoit pas d'estre aymé, ou comme s'il estoit en desfiance de son amour; car alhors, mon cher Theotime, l'ame reçoit des extremes angoisses, luy estant insupportable de voir et sentir le seul semblant que Dieu fait de se desfier d'elle.

  A004001083 

 Helas, [353] cette pauvre ame qui sent bien qu'elle est resolue de plustost mourir que d'offencer son Dieu, mais ne sent pas neanmoins un seul brin de ferveur, ains au contraire une froideur extreme qui la tient toute engourdie, et si foible qu'elle tumbe a tous coups en des imperfections fort sensibles, cette ame, dis-je, Theotime, elle est toute blessee, car son amour est grandement douloureux de voir que Dieu fait semblant de ne voir pas combien elle l'ayme, la laissant comme une creature qui ne luy appartient pas; et luy est advis qu'emmi ses defautz, ses distractions et froideurs, Nostre Seigneur descoche contre elle ce reproche: Comme peux-tu dire que tu m'aymes, puisque ton ame n'est pas avec moy? ce qui luy est un dard de douleur au travers de son cœur; mais un dard de douleur qui procede d'amour, car si elle n'aymoit pas elle ne seroit pas affligee de l'apprehension qu'elle a de ne pas aymer..

  A004001083 

 Saint Pierre estoit bien asseuré que Nostre Seigneur, sachant tout, ne pouvoit pas ignorer combien il estoit aymé de luy; mais parce que la repetition de cette demande, M'aymes tu? a l'apparence de quelque desfiance, saint Pierre s'en attriste grandement.

  A004001085 

 L'amour mesme nous blesse quelquefois par la seule consideration de la multitude de ceux qui mesprisent l'amour de Dieu, si que nous pasmons de detresse pour ce sujet, comme faysoit celuy qui disoit: Mon zele, o Seigneur, m'a fait secher de douleur parce que mes ennemis n'ont pas gardé ta loy.

  A004001086 

 Mays, comme que ce soit, cecy est admirable es blesseures receües par le divin amour, que la douleur en est aggreable; et tous ceux qui la sentent y consentent, et ne voudroyent pas changer cette douleur a toute la douceur de l'univers.

  A004001091 

 Certes, je sçai bien, Theotime, que Platon parloit ainsy de l'amour abject, vil et chetif des mondains, mays neanmoins ces proprietés ne laissent pas de se treuver en l'amour celeste et divin; car, voyes un peu ces premiers maistres de la doctrine chrestienne, c'est a dire ces premiers docteurs du saint amour evangelique, et oyes ce que disoit l'un d'entr'eux qui avoit le plus eu de travail: Jusques a maintenant, dit-il, nous avons faim et soif, et sommes nuds, et sommes souffletés, [356] et sommes vagabonds; nous sommes rendus comme les ballieures de ce monde et comme la racleure et peleure de tous.

  A004001092 

 Hé, ne prenes pas garde a mon teint, car je suis voirement brune, d'autant que mon Bienaymé, qui est mon soleil, a dardé les rayons de son amour sur moy; rayons qui esclairent par leur lumiere, mais qui par leur ardeur m'ont rendue haslee et noyrastre, et me touchant de leur splendeur ilz m'ont ostee ma couleur.

  A004001092 

 [357] La passion amoureuse me fait trop heureuse de me donner un tel Espoux comme est mon Roy, mais cette mesme passion qui me tient lieu de mere, puisqu'elle seule m'a mariee et non mes merites, elle a des autres enfans qui me donnent des assautz et des travaux nompareilz, me reduisans a telle langueur, que comme d'un costé je ressemble une reyne qui est au costé de son roy, aussi de l'autre je suis comme une vigneronne qui dans une chetifve cabanne garde une vigne, et une vigne encor qui n'est pas sienne..

  A004001095 

 Mais de faire les ouvertures en la chair par dehors, l'amour qui estoit dedans ne le pouvoit pas bonnement faire: c'est pourquoy l'ardent Seraphin venant au secours, darda des rayons d'une clarté si penetrante, qu'elle fit reellement les playes exterieures du Crucifix, en la chair, que l'amour avoit imprimees interieurement en l'ame.

  A004001097 

 Et en somme, comme penses-vous, Theotime, qu'une ame qui a une fois un peu a souhait tasté les consolations divines, puisse vivre en ce monde meslé de tant de miseres, sans douleur et langueur presque perpetuelle? On a maintefois ouy ce grand homme de Dieu, François Xavier, lançant sa voix au Ciel, lhors qu'il croyoit estre bien solitaire, en cette sorte: Hé, mon Seigneur, non, de grace, ne m'accablés pas d'une si grande affluence de consolations; ou si par vostre infinie bonté il vous plaist me faire ainsy abonder en delices, tirés-moy donq en Paradis, car, qui a une fois bien gousté en l'interieur vostre douceur il luy est force de vivre en amertume tandis qu'il ne jouit pas de vous.


05-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome V-Vol.2-Traitte de l'amour de Dieu.html
  A005000007 

 Pas être utilisés à des fins commerciales de toute nature!.

  A005000036 

 Chapitre IX. Suite du discours commencé; comme chacun doit aymer, quoy que non pas prattiquer, tous les conseilz evangeliques, et comme néanmoins chacun doit prattiquer ce qu'il peut.

  A005000054 

 Chapitre XII. Comme entre ces travaux intérieurs l'ame ne connoist pas l'amour qu'elle porte a son Dieu, et du trespas très aymable de la volonté.

  A005000100 

 Que le progrès au saint amour ne depend pas de la complexion naturelle.

  A005000157 

 Car il y a, certes, difference entre unir et joindre une chose a l'autre, et serrer ou presser une chose contre une autre ou sur une autre: d'autant que pour joindre et unir il n'est besoin que d'une simple application d'une chose a l'autre, en sorte qu'elles se touchent et soyent ensemble, ainsy que nous joignons les vignes aux ormeaux, et les jasmins aux treilles des berceaux que l'on fait es jardins; mais pour serrer et [5] presser il faut faire une application forte qui accroisse et augmente l'union: de sorte que serrer c'est intimement et fortement joindre, comme nous voyons que le lierre se joint aux arbres; car il ne s'unit pas seulement, mais il se presse et serre si fort à eux, que mesme il penetre et entre dans leurs escorces..

  A005000157 

 Nous ne parlons pas icy de l'union generale du cœur avec son Dieu, mais de certains actes et mouvemens particuliers que l'ame recueillie en Dieu fait par maniere d'orayson, affin de s'unir et joindre de plus en plus a sa divine bonté.

  A005000158 

 Mais toutefois ce pauvre petit fait bien ce qu'il peut de son costé, et se joint de toute sa force au sein maternel, non seulement consentant a la douce union que sa mere prattique, mais y contribuant ses foibles effortz de tout son cœur; et je dis ses foibles effortz, parce qu'ilz sont si imbecilles qu'ilz ressemblent presque plustost des essays d'union que non pas une union..

  A005000158 

 Or, alhors, Theotime, l'union est parfaitte, laquelle n'estant qu'une ne laisse pas de proceder de la mere et de l'enfant; en sorte neanmoins qu'elle depend toute de la mere, car elle a attiré a soy l'enfant, elle l'a premiere serré entre ses bras et pressé sur sa poitrine, et les forces du poupon ne sont pas si grandes qu'il eust peu se serrer et prendre si fort a sa mere.

  A005000159 

 Alhors l'ame, amorcee des delices de ces faveurs, non seulement consent et se preste a l'union que Dieu fait, mays de tout son pouvoir elle coopere, s'efforçant de se joindre et serrer de plus en plus a la divine bonté; de sorte, toutefois, qu'elle reconnoist bien que son union et liayson a cette souveraine douceur depend toute de l'operation divine, sans laquelle elle ne pourroit seulement pas faire le moindre essay du monde pour s'unir a icelle..

  A005000160 

 Nous usons mesme de ce mot, selon nostre langage, es choses morales: il me presse de faire cecy ou cela, il me presse de demeurer; c'est a dire, il n'employe pas seulement sa persuasion ou sa priere, mais il l'employe avec contention et effort: comme firent les pelerins en Emaüs, qui non seulement supplierent Nostre Seigneur, mais le presserent et serrerent a force, le contraignant d'une amoureuse violence d'arrester au logis avec eux..

  A005000162 

 Et puisque c'est une verité indubitable que le divin amour, tandis que nous sommes en ce monde, est un mouvement, ou au moins une habitude active et tendante au mouvement, lhors mesme qu'il est parvenu [8] a la simple union il ne laisse pas d'agir, quoy qu'imperceptiblement, pour l'accroistre et perfectionner de plus en plus..

  A005000163 

 Et le cœur humain, transplanté du monde en Dieu par le celeste amour, s'il s'exerce fort en l'orayson, certes, il s'estendra continuellement et se serrera a la Divinité s'unissant de plus en plus a sa bonté, mais par des accroissemens imperceptibles, desquelz on ne remarque pas bonnement le progres tandis qu'il se fait, ains quand il est fait.

  A005000164 

 Or, quand je parle du sacré sentiment de la presence de Dieu, en cet endroit, je n'entens pas parler du sentiment sensible, mais de celuy qui reside en la cime et supreme pointe de l'esprit, ou le divin amour regne et fait ses exercices principaux..

  A005000170 

 Et quelquefois aussi, comme il nous a attirés insensiblement a l'union, il continue insensiblement a nous ayder et secourir, et nous ne sçavons comme une si grande union se fait, mais nous sçavons bien que nos forces ne sont pas asses grandes pour la faire: si que nous jugeons bien par la que quelque secrette puissance fait son insensible action en nous; comme les nochers qui portent du fer, lhors que, sous un vent fort foible, ilz sentent leurs vaysseaux singler puissamment, connoissent qu'ilz sont proches des montaignes de l'aymant qui les tirent imperceptiblement, et voyent en cette sorte un connoissable et perceptible avancement provenant d'un moyen inconneu et imperceptible.

  A005000170 

 Quelquefois il nous semble que nous commençons a nous joindre et serrer a Dieu avant qu'il se joigne a nous, parce que nous sentons l'action de l'union de nostre costé sans sentir celle qui se fait de la part de Dieu; lequel toutefois, sans doute, nous previent tous-jours, bien que tous-jours nous ne sentions pas sa prevention, car s'il ne s'unissoit a nous, jamais nous ne nous unirions a luy; il nous choisit et saisit tous-jours avant que nous le choisissions ni saisissions.

  A005000173 

 Quelquefois cette union se fait de toutes les facultés de l'ame, qui se ramassent toutes autour de la volonté, non pour s'unir elles mesmes a Dieu, car elles n'en sont pas toutes capables, mais pour donner plus de commodité a la volonté de faire son union; car si les autres facultés estoyent appliquees une chacune a son object propre, l'ame, operant par icelles, ne pourroit pas si parfaitement s'employer a l'action par laquelle l'union se fait avec Dieu.

  A005000174 

 O beau petit Martial, que vous estes heureux d'estre saisi, pris, porté, uni, joint et serré sur la poitrine celeste du Sauveur et baysé de sa bouche sacree, sans que vous y cooperies qu'en ne faisant pas resistance a recevoir ces divines caresses! Au contraire, saint Simeon embrasse et serre Nostre Seigneur sur son sein, sans que Nostre Seigneur fasse aucun semblant de cooperer a cette union, bien que, comme chante la [12] tressainte Eglise, «le viellard portoit l'Enfant, mays l'Enfant gouvernoit le viellard.» Saint Bonaventure, touché d'une sainte humilité, non seulement ne s'unissoit pas a Nostre Seigneur, ains se retiroit de sa presence reelle, c'est a dire du tressaint Sacrement de l'Eucharistie, quand un jour oyant Messe, Nostre Seigneur se vint unir a luy, luy portant son divin Sacrement: or cette union faite, hé Dieu, Theotime, pensés de quel amour cette sainte ame serra son Sauveur sur son cœur! A l'opposite, sainte Catherine de Sienne, desirant ardemment Nostre Seigneur en la sainte Communion, pressant et poussant son ame et son affection devers luy, il se vint joindre a elle, entrant en sa bouche avec mille benedictions.

  A005000175 

 Et pour monstrer que tous-jours toute l'union se fait par la grace de Dieu, qui nous tire a soy et par ses attraitz esmeut nostre ame et anime le mouvement de nostre union envers luy, elle s'escrie, comme toute impuissante: Tirés moy; mais pour tesmoigner qu'elle ne se laissera pas tirer comme une pierre ou comme un forçat, ains qu'elle cooperera de [13] son costé et meslera son foible mouvement parmi les puissans attraitz de son Amant: nous courrons, dit-elle, a l'odeur de vos parfums.

  A005000176 

 Pour bien imprimer un cachet sur la cire, on ne le joint pas seulement, mais on le presse bien serré; ainsy veut-il que nous nous unissions a luy d'une union si forte et pressee que nous demeurions marqués de ses traitz..

  A005000182 

 Ne puis-je pas m'approcher d'une personne pour luy parler, pour le mieux voir, pour obtenir quelque chose de luy, pour odorer les parfums qu'il porte, pour m'appuyer sur luy? et lhors je m'approche voirement de luy et me joins a luy, mais rapprochement et union n'est pas ma principale pretention, ains je m'en sers seulement comme d'un moyen et d'une disposition pour obtenir une autre chose.

  A005000183 

 Hé, ce ne sont pas les allegresses que je cherche, c'est luy mesme; et par tout mon cœur amoureux me fait rechercher d'estre unie a cet aymable Enfant, mon cher Bienaymé.

  A005000183 

 Jacob, dit saint Bernard, tenant Dieu bien serré le veut bien quitter, pourveu qu'il reçoive sa benediction; mais Sulamite ne le quittera point quelle benediction qu'il luy donne, car elle ne veut pas les benedictions de Dieu, elle veut le Dieu des benedictions, disant avec David: Qu'y a-il au Ciel pour moy et que veux-je sur la terre sinon vous? vous estes le Dieu de mon cœur et mon partage a toute eternité.

  A005000184 

 O Dieu, Theotime, combien plus doit estre attachee et serree l'ame qui est amante de son Dieu, quand elle est unie a la divinité de l'infinie Douceur et qu'elle est prise et esprise en cet object d'incomparables [16] perfections! Telle fut celle du grand vaysseau d'election qui s'escrioit: Affin que je vive a Dieu, je suis affigé a la croix avec Jesus Christ; aussi proteste-il que rien, non pas la mort mesme, ne le peut separer de son Maistre.

  A005000185 

 Ainsy l'ame laquelle, par l'exercice de l'union, est parvenue jusques a demeurer prise et attachee a la divine Bonté, n'en peut estre tiree presque que par force et avec beaucoup de douleur; on ne la peut faire desprendre: si on destourne son imagination, elle ne laisse pas de se tenir prise par son entendement; que si on tire son entendement, elle se tient attachee par la volonté; et si on la fait encor [17] abandonner de la volonté par quelque distraction violente, elle se retourne de moment en moment du costé de son cher object, duquel elle ne se peut du tout desprendre, renouant tant qu'elle peut les doux liens de son union avec luy par des frequens retours qu'elle fait, comme a la desrobbee; experimentant en cela la peyne de saint Paul, car elle est pressee de deux desirs: d'estre delivree de toute occupation exterieure pour demeurer en son interieur avec Jesus Christ, et d'aller neanmoins a l'œuvre de l'obeissance que l'union mesme avec Jesus Christ luy enseigne estre requise..

  A005000186 

 Or, la bienheureuse Mere Therese dit excellemment, que l'union estant parvenue jusqu'a cette perfection que de nous tenir pris et attachés avec Nostre Seigneur, elle n'est point differente du ravissement, suspension ou pendement d'esprit; mais qu'on l'appelle seulement union, ou suspension, ou pendement, quand elle est courte, et quand elle est longue on l'appelle extase ou ravissement: d'autant qu'en effect, l'ame attachee a son Dieu si fermement et si serree qu'elle n'en puisse pas aysement estre desprise, elle n'est plus en soy mesme, mais en Dieu; non plus qu'un cors crucifié n'est plus en soy mesme, mais en la croix, et que le lierre attaché a la muraille n'est plus en soy, mais en la muraille..

  A005000187 

 Imagines vous donques, que saint Paul, saint Denis, saint Augustin, saint Bernard, saint François, sainte Catherine de Gennes ou de Sienne sont encor en ce monde, et qu'ilz dorment de lassitude apres plusieurs travaux pris pour l'amour de Dieu; representes vous d'autre part quelque bonne ame, mais non pas si sainte comme eux, qui fust en l'orayson d'union a mesme tems: je vous [18] demande, mon cher Theotime, qui est plus uni, plus serré, plus attaché a Dieu, ou ces grans Saintz qui dorment, ou cette ame qui prie? Certes, ce sont ces admirables amans; car ilz ont plus de charité, et leurs affections, quoy qu'en certaine façon dormantes, sont tellement engagees et prises a leur Maistre qu'elles en sont inseparables.

  A005000187 

 Mays, ce me dires vous, comme se peut-il faire qu'une ame qui est en l'orayson d'union, et mesme jusques a l'extase, soit moins unie a Dieu que ceux qui dorment, pour saintz qu'ilz soyent? Voyci que je vous dis, Theotime: celle la est plus avant en l'exercice de l'union, et ceux ci sont plus avant en l'union; ceux ci sont unis et ne s'unissent pas, puisqu'ilz dorment, et celle la s'unit, estant en l'exercice et prattique actuelle de l'union..

  A005000187 

 Or, nous ne parlons pas de cette union qui est permanente en nous par maniere d'habitude, soit que nous dormions, soit que nous veillions; nous parlons de l'union qui se fait par l'action et qui est un des exercices de la charité et dilection.

  A005000188 

 Hé, vous estes tout mien, quand seray-je tout vostre! L'aymant tire le fer et le serre: o Seigneur Jesus, mon Amant, soyes mon tire-cœur; serrés, pressés et unisses a jamais mon esprit sur vostre paternelle poitrine! Hé, puisque je suis fait pour vous, pourquoy ne suis-je pas en vous? Abismés cette goutte d'esprit que vous m'aves donnee, [19] dedans la mer de vostre bonté, de laquelle elle procede.

  A005000193 

 L'admiration se fait en nous par le rencontre d'une verité nouvelle que nous ne connoissions pas ni n'attendions pas de connoistre; et si a la nouvelle verité que nous rencontrons est jointe la beauté et bonté, l'admiration qui en provient est grandement delicieuse.

  A005000199 

 De maniere qu'en fin il faut conclure avec le grand saint Denis, que «l'amour divin est extatique, ne permettant pas que les amans soyent a eux mesmes, ains a la chose aymee;» a rayson dequoy cet admirable apostre saint Paul, estant en la possession de ce divin amour et fait participant de sa force extatique, d'une bouche divinement inspiree, Je vis, dit-il, non plus moy, mays Jesus Christ vit en moy; ainsy, comme un vray amoureux sorti hors de soy en Dieu, il vivoit non plus sa propre vie, mays la vie de son Bienaymé, comme souverainement aymable..

  A005000201 

 Or, l'extase de l'admiration estant seule ne nous fait pas meilleurs, suivant ce qu'en dit celuy qui avoit esté ravi en extase jusques au troisiesme ciel: Si je connoissois, dit-il, tous les misteres et toute la science, et je n'ay pas la charité, je ne suis rien.

  A005000201 

 Toutefois, les deux extases, de l'entendement et de la volonté, ne sont pas tellement appartenantes l'une a l'autre que l'une ne soit bien souvent sans l'autre: car, [24] comme les philosophes ont eu plus de la connoissance que de l'amour du Createur, aussi les bons Chrestiens en ont maintefois plus d'amour que de connoissance; et par consequent l'exces de la connoissance n'est pas tous-jours suivi de celuy de l'amour, non plus que l'exces de l'amour n'est pas tous-jours accompaigné de celuy de la connoissance, ainsy que j'ay remarqué ailleurs.

  A005000205 

 C'est pourquoy il ne se faut pas estonner si le malin esprit, pour faire le singe, tromper les ames, scandaliser les foibles et se transformer en esprit de lumiere, opere des ravissemens en quelques ames peu solidement instruites en la vraye pieté..

  A005000205 

 Mays ce qui est admirable, c'est que son extase passoit si avant qu'il ne sentoit mesme pas quand on luy appliquoit le feu, sinon apres qu'il estoit revenu a soy; et neanmoins, si quelqu'un parloit un peu fort et a voix claire, il l'entendoit comme de loin, et n'avoit aucune respiration.

  A005000206 

 Je ne dis pas qu'on ne puisse avoir des ravissemens, des visions, mesme prophetiques, sans avoir la charité; car je sçay bien que, comme on peut avoir la charité sans estre ravi et sans prophetiser, aussi peut-on estre ravi et prophetiser sans avoir la charité: mays je dis que celuy qui en son ravissement a plus de clarté en l'entendement pour admirer Dieu que de chaleur en la volonté pour l'aymer, il doit estre sur ses gardes, car il y a danger que cette extase ne soit fause et ne rende l'esprit plus enflé qu'edifié, le mettant [26] voirement, comme Saül, Balaam et Caïphe, entre les prophetes, mais le laissant néanmoins entre les repreuvés..

  A005000207 

 L'entiere observation des commandemens de Dieu n'est pas dans l'enclos des forces humaines, mais elle est bien pourtant dans les confins de l'instinct de l'esprit humain, comme tres conformes a la rayson et lumiere naturelle: de sorte que, vivans selon les commandemens de Dieu, nous ne sommes pas pour cela hors de nostre inclination naturelle.

  A005000207 

 Mays, outre les commandemens divins, il y a des inspirations celestes, pour l'execution desquelles il ne faut pas seulement que Dieu nous esleve au dessus de nos forces, mais aussi qu'il nous tire au dessus des instinctz et des inclinations de nostre nature; d'autant qu'encor que ces inspirations ne sont pas contraires a la rayson humaine, elles l'excedent toutefois, la surmontent et sont au dessus d'icelle: de sorte que lhors, nous ne vivons pas seulement une vie civile, honneste et chrestienne, mais une vie surhumaine, spirituelle, devote et extatique, c'est a dire une vie qui est en toute façon hors et au dessus de nostre condition naturelle..

  A005000208 

 Ne point desrobber, ne point mentir, ne point commettre de luxure, prier Dieu, ne point jurer en vain, aymer et honnorer son pere, ne point tuer, c'est vivre selon la rayson naturelle de l'homme; mais quitter tous nos biens, aymer la pauvreté, l'appeller et tenir en qualité de tres delicieuse maistresse, tenir les opprobres, mespris, abjections, persecutions, martyres pour des felicités et beatitudes, se contenir dans les termes d'une tres absolue chasteté, et en fin, vivre emmi le monde et en cette vie mortelle contre toutes les opinions et maximes du monde et contre le courant du fleuve de cette vie, par des ordinaires resignations, renoncemens et abnegations de nous mesmes, ce n'est pas vivre humainement, [27] mais surhumainement; ce n'est pas vivre en nous, mais hors de nous et au dessus de nous: et parce que nul ne peut sortir en cette façon au dessus de soy mesme si le Pere eternel ne le tire, partant cette sorte de vie doit estre un ravissement continuel et une extase perpetuelle d'action et d'operation..

  A005000214 

 Quand donques on void une personne qui en l'orayson a des ravissemens par lesquelz elle sort et monte au dessus de soy mesme en Dieu, et neanmoins n'a point d'extase en sa vie, c'est a dire ne fait point une vie relevee et attachee a Dieu, par abnegation des convoytises mondaines et mortification des volontés et inclinations naturelles, par une interieure douceur, simplicité, humilité, et sur tout par une continuelle charité, croyés, Theotime, que tous ses ravissemens sont grandement douteux et perilleux; ce sont ravissemens propres a faire admirer les hommes, mais non pas a les sanctifier.

  A005000221 

 Si un homme sçait d'estre aymé de qui [32] que ce soit, il est pressé d'aymer reciproquement; mais si c'est un homme vulgaire qui est aymé d'un grand seigneur, certes il est bien plus pressé; mais si c'est d'un grand monarque, combien est-ce qu'il est pressé davantage? Et maintenant, je vous prie, sachans que Jesus Christ, vray Dieu eternel, tout puissant, nous a aymés jusques a vouloir souffrir pour nous la mort, et la mort de la croix, o mon cher Theotime, n'est ce pas cela avoir nos coeurs sous le pressoir et les sentir presser de force, et en exprimer de l'amour par une violence et contrainte qui est d'autant plus violente qu'elle est toute aymable et amiable? Mais, comme est-ce que ce divin Amant nous presse? La charité de Jesus Christ nous presse, dit son saint Apostre, estimans ceci.

  A005000234 

 Le juste ne meurt jamais a l'improuveu, car c'est avoir bien prouveu a sa mort que d'avoir perseveré en la justice chrestienne jusques a la fin, mais il meurt bien quelquefois de mort subite ou soudaine; c'est pourquoy l'Eglise, toute sage, ne nous fait pas simplement requerir es Letanies, d'estre deslivrés de mort soudaine, mais «de mort soudaine et improuveue:» pour estre soudaine elle n'en est pas pire, sinon qu'elle soit encor improuveue.

  A005000235 

 En un homme dormant, il semble que toutes ses habitudes dorment avec luy, et qu'elles se resveillent aussi avec luy; ainsy donq, l'homme juste mourant subitement, ou accablé d'une mayson qui luy tumbe dessus, ou tué par le foudre, ou suffoqué d'un catherre, ou bien mourant hors de son bon sens par la violence de quelque fievre chaude, il ne meurt certes pas en l'exercice de l'amour divin, mais il meurt neanmoins en l'habitude d'iceluy; dont le Sage a dit: Le juste, s'il [37] est prevenu de la mort, il sera en refrigere; car il suffit pour obtenir la vie eternelle de mourir en l'estat et habitude de l'amour et charité..

  A005000235 

 Mais, comme pouvoyent ilz deceder en l'amour de Dieu, puisque mesme ilz ne pensoyent pas en Dieu lhors de leur trespas? Les sçavans hommes, Theotime, ne perdent pas leur science en dormant, autrement ilz seroyent ignorans a leur resveil et faudroit qu'ilz retournassent a l'escole; or c'en est de mesme de toutes les habitudes de prudence, de temperance, de foy, d'esperance, de charité; elles sont tous-jours dedans l'esprit des justes, bien qu'ilz n'en fassent pas tous-jours les actions.

  A005000236 

 Saint Augustin mourut en l'exercice de la sainte contrition, qui n'est pas sans amour; saint Hierosme, exhortant ses chers enfans a l'amour de" Dieu, du prochain et de la vertu; saint Ambroyse, tout ravi, devisant doucement avec son Sauveur, soudain apres avoir receu le tres divin Sacrement de l'autel; saint Anthoyne de Padoüe, apres avoir recité un hymne a la glorieuse Vierge Mere, et parlant en grande joye avec le Sauveur; saint Thomas d'Acquin, joignant les mains, eslevant ses yeux au ciel, haussant fortement sa voix et prononçant par maniere d'eslan, avec grande ferveur, ces paroles du Cantique, qui estoyent les dernieres qu'il avoit exposees: Venes, o mon cher Bienaymé, et sortons ensemble aux chams.

  A005000241 

 Aussi la confession de la foy n'est pas tant un acte de l'entendement et de la foy, comme c'est un acte de la volonté et de l'amour de Dieu; et c'est pourquoy le grand saint Pierre, gardant la foy dans son ame au jour de la Passion, perdit neanmoins la charité, ne voulant pas advoüer de bouche pour son Maistre, Celuy qu'il reconnoissoit pour tel en son cœur.

  A005000241 

 Les saintz Evesques Stanislaus et Thomas de Cantorberi furent aussi tués pour un sujet qui ne regardoit pas la foy, mais la charité; et en fin une grande partie de saintes Vierges et Martyres furent massacrees pour le zele qu'elles eurent a garder la chasteté que la charité leur avoit fait dedier a l'Espoux celeste..

  A005000241 

 Tous les Martirs, Theotime, moururent pour l'amour divin; car, quand on dit que plusieurs sont mortz pour la foy, on ne doit pas entendre que ç'ait esté pour la foy morte, ains pour la foy vivante, c'est a dire animee de la charité.

  A005000242 

 Le regret quelquefois empesche si longuement les affligés de [40] boire, de manger et de dormir, qu'en fin, affoiblis et alangouris ilz meurent; et lhors, le vulgaire dit qu'ilz sont mortz de regret, mais ce n'est pas la verité, car ilz meurent de defaillance de forces et d'exinanition: il est vray que cette defaillance leur estant arrivee a cause du regret, il faut advoüer, que s'ilz ne sont pas mortz de regret, ilz sont mortz a cause du regret et par le regret.

  A005000248 

 Le grand saint François, qui en ce sujet de l'amour celeste me revient tous-jours devant les yeux, ne pouvoit pas eschapper qu'il ne mourust par l'amour, a cause de la multitude et grandeur des langueurs, extases et defaillances que sa dilection envers Dieu luy donnoit; mais, outre cela, Dieu qui l'avoit exposé a la veüe de tout le monde comme un miracle d'amour, voulut que non seulement il mourust pour l'amour, ains qu'il mourust encor d'amour.

  A005000254 

 Et bien que le recit que je veux faire ne soit ni tant publié ni si bien tesmoigné comme la grandeur de la merveille qu'il contient le requerroit, il ne perd pas pour cela sa verité: car, comme dit excellemment saint Augustin, «a peyne sçait on les miracles,» pour magnifiques qu'ilz soyent, «au lieu mesme ou ilz se font,» et encor que ceux qui les ont veu les racontent, on a peyne de les croire; mays ilz ne laissent pas pour cela d'estre veritables, et en matiere de religion les ames bien faites ont plus de suavité a croire les choses esquelles il y a plus de difficulté et d'admiration..

  A005000254 

 Outre ce qui a esté dit, j'ay treuvé une histoire laquelle pour estre extremement admirable n'en est que plus croyable aux amans sacrés; puisque, comme dit le saint Apostre, la charité croid tres volontier toutes choses, c'est a dire elle ne pense pas aysement qu'on mente, et s'il n'y a des marques apparentes de fauseté en ce qu'on luy represente, elle ne fait pas difficulté de les croire, mais sur tout quand ce sont choses qui exaltent et magnifient l'amour de Dieu envers les hommes ou l'amour des hommes envers Dieu: d'autant que la charité, qui est reyne souveraine des vertus, se plaist, a la façon des princes, es choses qui servent a la gloire de son empire et domination.

  A005000262 

 On ne peut quasi pas bonnement douter que le grand saint Joseph ne fust trespassé avant la Passion et Mort du Sauveur, qui, sans cela, n'eust pas recommandé sa Mere a saint Jean.

  A005000263 

 Si les premiers Chrestiens furent ditz n'avoir qu' un cœur et une ame, a cause de leur parfaite mutuelle dilection; si saint Paul ne vivoit plus luy mesme, ains Jesus Christ vivoit en luy, a rayson de l'extreme union de son cœur a celuy de son Maistre, par laquelle son ame estoit comme morte en son cœur qu'elle animoit, pour vivre dans le cœur du Sauveur qu'elle aymoit; o [50] vray Dieu, combien est il plus veritable que la sacree Vierge et son Filz n'avoyent qu' une ame, qu' un cœur et qu'une vie, en sorte que cette sacree Mere, vivant ne vivoit pas elle, mais son Filz vivoit en elle! Mere la plus amante et la plus aymee qui pouvoit jamais estre; mays amante et aymee d'un amour incomparablement plus eminent que celuy de tous les ordres des Anges et des hommes, a mesure que les noms de Mere unique et de Filz unique sont aussi des noms au dessus de tous autres noms en matiere d'amour.

  A005000265 

 Or cette poitrine maternelle estant ainsy blessee d'amour, non seulement ne chercha pas la guerison de sa blesseure, mays ayma sa blesseure plus que toute guerison, gardant cherement les traitz de douleur qu'elle avoit receu, a cause de l'amour qui les avoit descochés dans son cœur, et desirant continuellement [52] d'en mourir, puisque son Filz en estoit mort, qui, comme dit toute l'Escriture Sainte et tous les docteurs, mourut entre les flammes de la charité, holocauste parfait pour tous les pechés du monde..

  A005000270 

 Ainsy, pour l'ordinaire, les Saintz qui moururent d'amour sentirent une grande varieté d'accidens et symptomes de dilection, avant que d'en venir au trespas; force eslans, force assautz, force extases, force langueurs, force agonies, et sembloit que leur amour enfantast par effort et a plusieurs reprises leur bienheureuse mort: ce qui se fit a cause de la debilité de leur amour, non encores absolument parfait, qui ne pouvoit pas continuer sa dilection avec une egale fermeté.

  A005000270 

 Les estoiles sont merveilleusement belles a voir et jettent des clartés aggreables, mais si vous y aves pris garde, c'est par brillemens, estincellemens et eslans qu'elles produisent leurs rayons, comme si elles enfantoyent la lumiere avec effort, a diverses reprises; soit que leur clarté estant foible ne puisse pas agir si continuellement avec egalité, soit que nos yeux imbecilles ne fassent pas leur veüe constante et ferme a cause de la grande distance qui est entr'eux et ces astres.

  A005000271 

 Ah non, Theotime, il ne faut pas mettre une impetuosité d'agitation en ce celeste amour du cœur maternel de la Vierge, car l'amour, de soy mesme, est doux, gracieux, paisible et tranquille: que s'il fait quelquefois des assautz, s'il donne des secousses a l'esprit, c'est parce qu'il y treuve de la resistance; mais quand les passages de l'ame luy sont ouvertz sans opposition ni contrarieté, il fait ses progres paisiblement, avec une suavité nompareille.

  A005000271 

 Non, elle ne pasma pas d'amour ni de compassion aupres de la Croix de son Filz, encor qu'elle eut alhors le plus ardent et douloureux acces d'amour qu'on puisse imaginer; car, bien que l'acces fut extreme, si fut-il toutefois esgalement fort et doux tout ensemble, puissant et tranquille, actif et paisible, composé d'une chaleur aiguë mais suave..

  A005000272 

 Je ne dis pas, Theotime, qu'en l'ame de la tressainte Vierge il n'y eut deux portions, et par consequent deux appetitz, l'un selon l'esprit et la rayson superieure, l'autre selon les sens et la rayson inferieure, en sorte qu'elle pouvoit sentir des repugnances et contrarietés de l'un a l'autre appetit; car ce travail se treuva mesme en Nostre Seigneur son Filz.

  A005000272 

 Mais je dis qu'en cette celeste Mere, toutes les affections estoyent si bien rangees et ordonnees, que le divin amour exerçoit en elle son empire et sa domination tres paisiblement, sans estre troublee par la diversité des volontés ou appetitz, ni par la contrarieté des sens, parce que les repugnances de l'appetit naturel ni les mouvemens des sens n'arrivoyent jamais jusques au peché, non pas mesme jusques au peché veniel; ains au contraire, tout cela estoit saintement et fidelement employé au service du saint amour pour l'exercice des autres vertus, lesquelles, pour la pluspart, ne peuvent estre prattiquees qu'entre les difficultés, oppositions et contradictions..

  A005000274 

 Et c'est pourquoy, comme le fer s'il estoit quitte de tous empeschemens et mesme de sa pesanteur, seroit attiré fortement, mais doucement et d'une attraction egale, par l'aymant, en sorte neanmoins que l'attraction serait tous-jours plus active et plus forte a mesure que l'un seroit plus pres de l'autre et que le mouvement seroit [56] proche de sa fin, ainsy la tressainte Mere n'ayant rien en soy qui empeschast l'operation du divin amour de son Filz, elle s'unissoit avec iceluy d'une union incomparable, par des extases douces, paysibles et sans effort; extases esquelles la partie sensible ne laissoit pas de faire ses actions, sans donner pour cela aucune incommodité a l'union de l'esprit, comme reciproquement la parfaite application de son esprit ne donnoit pas fort grand divertissement aux sens.

  A005000284 

 Or, le cœur se treuvant ouvert par le playsir, les impressions des qualités desquelles le playsir depend entrent aysement en l'esprit; et, avec elles, les autres encores qui sont au mesme sujet, bien qu'elles nous desplaysent, ne laissent pas d'entrer en nous parmi la presse du playsir, comme celuy qui sans robbe [60] nuptiale entra au festin parmi ceux qui estoyent parés.

  A005000285 

 Chose estrange, mais veritable: s'il y a deux luths unisones, c'est a dire de mesme son et accord, l'un pres de l'autre, et que l'on joüe de l'un d'iceux, l'autre, quoy qu'on ne le touche point, ne laissera pas de resonner comme celuy duquel on joue; la convenance de l'un a l'autre, comme par un amour naturel, faisant cette correspondance.

  A005000285 

 Le grand Apostre dit, comme je pense en ce sens, que la loy n'est point mise aux justes; car en verité, le juste n'est juste sinon parce qu'il a le saint amour, et s'il a l'amour il n'a pas besoin qu'on le presse par la rigueur de la loy, puisque l'amour est le plus pressant docteur et solliciteur pour persuader au cœur qu'il possede l'obeissance aux volontés et intentions du bienaymé.

  A005000285 

 Nous avons repugnance d'imiter ceux que nous haïssons, es choses mesmes qui sont bonnes; et les Lacedemoniens ne voulurent pas suivre le bon conseil d'un meschant homme, sinon apres qu'un homme de bien l'auroit prononcé; au contraire, on ne peut s'empescher de se conformer a ce qu'on ayme.

  A005000293 

 Mais notés, Theotime, que je ne traitte pas ici de l'obeissance qui est deüe a Dieu parce qu'il est nostre Seigneur et Maistre, nostre Pere et Bienfacteur; car cette sorte d'obeissance appartient a la vertu de justice et non pas a l'amour.

  A005000293 

 Non, ce n'est pas cela dont je parle a present; car encor qu'il n'y eust ni enfer pour punir les rebelles, ni Paradis pour recompenser les bons, et que nous n'eussions nulle sorte d'obligation ni de devoir a Dieu (et ceci soit dit par imagination de chose impossible et qui n'est presque pas imaginable), si est ce toutefois, que l'amour de bienveuillance nous porteroit a rendre toute obeissance [63] et sousmission a Dieu par election et inclination, voire mesme par une douce violence amoureuse, en consideration de la souveraine bonté, justice et droiture de sa divine volonté.

  A005000293 

 Voyons-nous pas, Theotime, qu'une fille, par une libre election qui procede de l'amour de bienveuillance, s'assujettit a un espoux, auquel, d'ailleurs, elle n'avoit aucun devoir? ou qu'un gentilhomme se sousmet au service d'un prince estranger, ou bien jette sa volonté es mains du superieur de quelqu'Ordre de Religion auquel il se rangera?.

  A005000294 

 Et en ce point consiste la tres profonde obeissance d'amour, laquelle n'a pas besoin d'estre excitee par menasses ou recompenses, ni par aucune loy ou par quelque commandement; car elle previent tout cela, se sousmettant a Dieu pour la seule tres parfaite bonté qui est en luy, a rayson de laquelle il merite que toute volonté luy soit obeissante, sujette et sousmise, se conformant et unissant a jamais en tout et par tout a ses intentions divines..

  A005000299 

 Or, d'autant que cette volonté signifiee de Dieu procede par maniere de desir et non par maniere de vouloir absolu, nous pouvons ou la suivre par obeissance, ou luy resister par desobeissance; car Dieu fait trois actes de sa volonté pour ce regard: il veut que nous puissions resister, il desire que nous ne resistions pas, et permet neanmoins que nous resistions si nous voulons.

  A005000299 

 Que nous puissions resister, cela depend de nostre naturelle condition et liberté; que nous resistions, cela depend de nostre malice; que nous ne resistions pas, c'est selon le desir de la divine Bonté.

  A005000300 

 Et comme les rayons du soleil ne laissent pas d'estre vrays rayons quand ilz sont rejettés et repoussés par [66] quelqu'obstacle, aussi la volonté signifiee de Dieu ne laisse pas d'estre vraye volonté de Dieu encor qu'on luy resiste, bien qu'elle ne face pas tant d'effectz comme si on la secondoit..

  A005000300 

 Et toutefois, ce desir est un vray desir; car, comme peut on exprimer plus naifvement le desir que l'on a qu'un ami face bonne chere, que de preparer un bon et excellent festin, comme fit ce roy de la parabole evangelique, puis l'inviter, presser et presque contraindre, par prieres, exhortations et poursuites, de venir, de s'asseoir a table et de manger? Certes, celuy qui a vive force ouvriroit la bouche a un ami, luy fourreroit la viande dans le gosier et la luy feroit avaler, il ne luy donneroit pas un festin de courtoisie, mais le traitteroit en beste et comme un chappon qu'on veut engraisser.

  A005000306 

 Or, bien que tous ne se sauvent pas, cette volonté neanmoins ne laisse pas d'estre une vraye volonté de Dieu, qui agit en nous selon la condition de sa nature et de la nostre: car sa bonté le porte a nous communiquer liberalement les secours de sa grace, affin que nous parvenions au bonheur de sa gloire; mais nostre nature requiert que sa liberalité nous laisse en liberté de nous en prevaloir pour nous sauver, ou de les mespriser pour nous perdre..

  A005000309 

 Regardons donq cent fois le jour cette amoureuse volonté de Dieu, et fondans nostre volonté dans icelle, escrions devotement: O Bonté d'infinie douceur, que vostre volonté est amiable! que vos faveurs sont desirables! Vous nous aves creés pour la vie eternelle, et vostre poitrine maternelle, enflee des mammelles sacrees d'un amour incomparable, abonde en lait de misericorde, soit pour pardonner aux penitens, soit pour perfectionner les justes: hé, pourquoy donq ne collons nous pas nos volontés a la vostre, comme les petitz enfans s'attachent au chicheron du tetin de leurs meres, pour succer le lait de vos eternelles benedictions!.

  A005000310 

 Il suffit de dire: je desire d'estre sauvé; mais il ne suffit pas de dire: je desire embrasser les moyens convenables pour y parvenir; ains il faut, d'une resolution absolue, vouloir et embrasser les graces que Dieu nous depart; car il faut que nostre volonté corresponde a celle de Dieu, et d'autant qu'elle nous donne les moyens de nous sauver, nous les devons recevoir, comme nous devons desirer le salut ainsy qu'elle le nous desire et parce qu'elle le desire..

  A005000311 

 Mais il arrive maintefois que les moyens de parvenir au salut, considerés en bloc ou en general sont aggreables a nostre cœur, et regardés en detail et particulier ilz luy sont effroyables: car n'avons nous pas veu le pauvre saint Pierre disposé a recevoir en general toutes sortes de peynes, et la mort mesme, pour suivre son Maistre, et neanmoins, quand ce vint au fait et au prendre, paslir, trembler et renier son Maistre a la voix d'une simple servante? Chacun pense pouvoir boire le calice de Nostre Seigneur avec luy, mais quand on le nous presente par effect, on s'enfuit, on quitte tout.

  A005000323 

 Mais pour exciter ce saint et salutaire amour des commandemens, nous devons contempler leur beauté, laquelle est admirable; car, comme il y a des œuvres [71] qui sont mauvaises parce qu'elles sont defendues, et des autres qui sont defendues parce qu'elles sont mauvaises, aussi y en a-il qui sont bonnes parce qu'elles sont commandees, et des autres qui sont commandees parce qu'elles sont bonnes et tres utiles: de sorte que toutes sont tres bonnes et tres aymables, parce que le commandement donne la bonté aux unes qui n'en auroyent point autrement, et donne un surcroist de bonté aux autres qui, sans estre commandees, ne laisseroyent pas d'estre bonnes.

  A005000323 

 Nous ne recevons pas le bien en bonne part quand il nous est presenté par une main ennemie; les Lacedemoniens ne voulurent pas suivre un fort sain et salutaire conseil d'un meschant homme jusques a ce qu'un homme de bien leur redist: au contraire, le present n'est jamais qu'aggreable quand un ami le fait.

  A005000330 

 Il y a difference entre commander et recommander: quand on commande on use d'authorité pour obliger, quand on recommande on use d'amitié pour induire et provoquer; le commandement impose necessité, le conseil et recommandation nous incite a ce qui est de plus grande utilité; au commandement correspond l'obeissance, et la creance au conseil; on suit le conseil affin de plaire, et le commandement pour ne pas desplaire.

  A005000330 

 Le commandement tesmoigne une volonté fort entiere et pressante de celuy qui ordonne, mais le conseil ne nous represente qu'une volonté de souhait; le commandement nous oblige, le conseil nous incite seulement; le commandement rend coulpables les transgresseurs, le conseil rend seulement moins louables ceux qui ne le suivent pas; les violateurs des commandemens meritent d'estre damnés, ceux qui negligent les conseilz meritent seulement d'estre moins glorifiés.

  A005000331 

 Et Dieu ne veut pas qu'un chacun observe tous les conseilz, ains seulement ceux qui sont convenables, selon la diversité des personnes, des tems, des occasions et des forces, ainsy que la charité le requiert; car c'est elle qui, comme reyne de toutes les vertus, de tous les commandemens, de tous les conseilz et en somme de toutes les lois et de toutes les actions chrestiennes, leur donne a tous et a toutes le rang, l'ordre, le tems et la valeur..

  A005000331 

 Le conseil se donne voirement en faveur de celuy [74] qu'on conseille, affin qu'il soit parfait: Si tu veux estre parfait, dit le Sauveur, va, vens tout ce que tu as et le donne aux pauvres, et me suis; mais le cœur amoureux ne reçoit pas le conseil pour son utilité, ains pour se conformer au desir de Celuy qui conseille, et rendre l'hommage qui est deu a sa volonté: et partant, il ne reçoit les conseilz sinon ainsy que Dieu le veut.

  A005000332 

 As-tu une santé foible, inconstante, qui a besoin de grand support? ne te charge pas donq volontairement de la pauvreté effectuelle, car la charité te le defend.

  A005000332 

 Non seulement la charité ne permet pas aux peres de famille de tout vendre pour donner aux pauvres, mais leur ordonne d'assembler honnestement ce qui est requis pour l'education et sustentation de la femme, des enfans et serviteurs; comme aussi aux rois et princes d'avoir des tresors qui, provenus d'une juste espargne et non de tyranniques inventions, servent comme de salutaires [75] preservatifs contre les ennemis visibles.

  A005000332 

 Saint Paul ne conseille-il pas aux mariés, passé le tems de l'orayson, de retourner au train bien reglé du commerce nuptial?.

  A005000332 

 Si ton pere ou ta mere ont une vraye necessité de ton assistance pour vivre, il n'est pas tems alhors de pratiquer le conseil de la retraitte en un monastere; car la charité t'ordonne que tu ailles en effect executer son commandement, d'honnorer, servir, ayder et secourir ton pere ou ta mere.

  A005000332 

 Tu es un prince, par la posterité duquel les sujetz de la couronne qui t'appartient doivent estre conservés en paix et asseurés contre la tyrannie, sedition et guerre civile; l'occasion donq d'un si grand bien t'oblige de produire en un saint mariage des legitimes successeurs: ce n'est pas perdre la chasteté, ou au moins c'est la perdre chastement, que de la sacrifier au bien public en faveur de la charité.

  A005000333 

 Les conseilz sont tous donnés pour la perfection du peuple chrestien, mays non pas pour celle de chasque Chrestien en particulier.

  A005000333 

 Tous donques ne peuvent pas, c'est a dire, il n'est pas expedient a tous d'observer tous-jours tous les conseilz, lesquelz estans donnés en faveur de la charité, elle sert de regle et de mesure a l'execution d'iceux..

  A005000335 

 En somme, c'est une eau sacree par laquelle le jardin de l'Eglise est fecondé, et bien qu'elle n'ait qu'une couleur sans couleur, les fleurs neanmoins qu'elle fait croistre ne laissent pas d'avoir une chacune sa couleur differente: elle fait des Martyrs plus vermeilz que la rose, des Vierges plus blanches que le lys; aux uns elle donne le fin violet de la mortification, aux autres le jaune des soucis du mariage, employant diversement les conseilz pour la perfection des ames qui sont si heureuses que de vivre sous sa conduite..

  A005000335 

 Tout est fait pour la charité, et la charité pour Dieu; tout doit servir a la charité, et elle, a personne, non pas mesme a son Bienaymé, duquel elle n'est pas servante, mais espouse, auquel elle ne fait pas service, ains elle luy fait l'amour.

  A005000340 

 Au contraire le meschant, des le siecle, c'est a dire tous-jours, a rompu le joug de la loy de Dieu, et a dit: Je ne serviray point; c'est pourquoy Dieu dit qu'il l'a appellé des le ventre de sa mere transgresseur et rebelle; et parlant au roy de Tyr il luy reproche qu'il avoit mis son cœur comme le cœur de Dieu: car l'esprit revolté veut que son cœur soit maistre de soy mesme et que sa propre volonté soit souveraine comme la volonté de Dieu; il ne veut pas que la volonté divine regne sur la sienne, ains veut estre absolu et sans dependance quelcomque.

  A005000340 

 Ce qui fut parfaitement verifié en la [78] primitive Eglise, lhors que, comme dit le glorieux saint Luc, en la multitude des croyans il n'y avoit qu'un cœur et qu'une ame; car il n'entend pas parler du cœur qui fait vivre nos cors, ni de l'ame qui anime les cœurs d'une vie humaine, mais il parle du cœur qui donne la vie celeste a nos ames, et de l'ame qui anime nos cœurs de la vie surnaturelle: cœur et ame tres unique des vrays Chrestiens, qui n'est autre chose que la volonté de Dieu.

  A005000340 

 O Seigneur eternel, ne le permettes pas! ains faites que jamais ma volonté ne soit faite, mais la vostre.

  A005000340 

 Puis, expliquant ce nom, il dit que ce sera: ma volonté en icelle; comme s'il disoit qu'entre ceux qui ne sont pas Chrestiens un chacun a sa volonté propre au milieu de son cœur, mays parmi les vrays enfans du Sauveur chacun quittera sa volonté, et n'y aura plus qu'une volonté maistresse, regente et universelle qui animera, gouvernera et dressera toutes les ames, tous les cœurs et toutes les volontés; et le nom d'honneur des Chrestiens ne sera autre chose sinon: la volonté de Dieu en eux; volonté qui regnera sur toutes les volontés et les transformera toutes en soy, de sorte que les volontés des Chrestiens et la volonté de Nostre Seigneur ne soyent plus qu'une seule volonté.

  A005000341 

 Or, quand nostre amour est extreme a l'endroit de la volonté de Dieu, nous ne nous contentons pas de faire seulement la volonté divine qui nous est signifiee es [79] commandemens, mais nous nous rangeons encor a l'obeissance des conseilz, lesquelz ne nous sont donnés que pour plus parfaitement observer les commandemens, auxquelz aussi ilz se rapportent, ainsy que dit excellemment saint Thomas.

  A005000342 

 David estoit un jour en son preside, et la garnison des Philistins en Bethleem; or il fit un souhait disant: O si quelqu'un me donnoit a boire de l'eau de la cisterne qui est a la porte de Bethleem! Et voyla qu'il n'eut pas plus tost dit le mot, que trois vaillans chevaliers partent de la, main et teste baissee, traversent l'armee ennemie, vont a la cisterne de Bethleem, puisent de l'eau et l'apportent a David; lequel, voyant le hazard auquel ces gentilzhommes s'estoyent mis pour contenter son appetit, ne voulut point boire cette eau conquise au peril de leur sang et de leur vie, ains la respandit en oblation au Dieu eternel.

  A005000343 

 Certes, ainsy que tesmoigne le divin Psalmiste, Dieu n'exauce pas seulement l'orayson de ses fideles, ains il exauce mesme encor le seul desir d'iceux, et la seule preparation qu'ilz font en leurs cœurs pour prier, tant il est favorable et propice a faire la volonté de ceux qui l'ayment.

  A005000343 

 Et pourquoy donq reciproquement ne serons nous si jaloux de suivre la sacree volonté de Nostre Seigneur, que nous fassions non seulement ce qu'il commande, mais encores ce qu'il tesmoigne d'aggreer et souhaitter? Les ames nobles n'ont pas besoin d'un plus fort motif pour embrasser un dessein que de sçavoir que le Bienaymé le desire: Mon ame, dit l'une d'icelles, s'est escoulee soudain que mon Ami a parlé..

  A005000347 

 Dieu, au commencement du monde, commanda a la terre de germer l'herbe verdoyante faisant sa semence, et tout arbre fruitier faisant son fruit, un chacun selon son espece, qui eust aussi sa semence en soy mesme: et ne voyons nous pas par experience que les plantes et fruitz n'ont pas leur juste croissance et maturité que quand elles portent leurs graines et pepins, qui leur servent de geniture pour la production de plantes et d'arbres de pareille sorte? Jamais nos vertus n'ont leur juste stature et suffisance qu'elles ne produisent en nous des desirs de faire progres, qui, comme semences spirituelles, servent en la production de nouveaux degrés de vertus; et me semble que la terre de nostre cœur a commandement de germer les plantes des vertus qui portent les fruitz des saintes œuvres, une chacune selon son genre, et qui ayt les semences des desirs et desseins de tous-jours multiplier et avancer en perfection: et la vertu qui n'a point la graine ou le pepin de ces desirs, elle n'est pas en la suffisance et maturité.

  A005000347 

 Et tu ne veux pas non plus empirer? Non, de vray.

  A005000347 

 Pour cela le grand saint Bernard escrivant au glorieux saint Guarin, abbé d'Aux, duquel la vie et les miracles ont tant rendu de bonne odeur en ce Diocese: «L'homme juste,» dit il, «ne dit jamais c'est asses, il a tous-jours faim et soif de la justice.» Certes, Theotime, quant aux biens temporelz, rien ne suffit a celuy auquel ce qui suffit ne suffit pas; car, qu'est ce qui peut suffire a un cœur auquel la suffisance n'est pas suffisante? Mais quant aux biens spirituelz, celuy n'en a pas ce qui luy suffit auquel il suffit d'avoir ce qui luy suffit, et la suffisance n'est pas suffisante, parce que la vraye suffisance es choses divines consiste en partie au desir de l'affluence.

  A005000347 

 «O donques,» dit saint Bernard au faineant, «tu ne veux pas t'avancer en la perfection? Non.

  A005000348 

 C'est une heresie de dire que Nostre Seigneur ne nous a pas bien conseillés, et un blaspheme de dire a Dieu: Retire toy de nous, nous ne voulons point la science de tes voyes; mais c'est une irreverence horrible contre Celuy qui avec tant d'amour et de suavité nous invite a la perfection, de dire: je ne veux pas estre saint, ni parfait, ni avoir plus de part en vostre bienveuillance, ni suivre les conseilz que vous me donnés pour faire progres en icelle..

  A005000348 

 Or, je ne dis pas, non plus que saint Bernard, que ce soit peché de ne prattiquer pas les conseilz: non certes, Theotime, car c'est la propre difference du commandement au conseil, que le commandement nous oblige sous peyne de peché, et le conseil nous invite sans peyne de peché.

  A005000349 

 Boire du vin contre l'advis du medecin, quand [83] on est vaincu de la soif ou de la fantasie d'en boire, ce n'est pas proprement mespriser le medecin ni son advis; mais dire: je ne veux point suivre l'advis du medecin, il faut que cela provienne d'une mauvaise estime qu'on a de luy.

  A005000349 

 De ne suivre pas le conseil de virginité affin de se marier, cela n'est pas mal fait; mais de se marier pour preferer le mariage a la chasteté, comme font les heretiques, c'est un grand mespris ou du Conseiller ou du conseil.

  A005000349 

 On peut bien sans pecher ne suivre pas les conseilz pour l'affection que l'on a ailleurs: comme, par exemple, on peut bien ne vendre pas ce que l'on a et ne le donner pas aux pauvres, parce qu'on n'a pas le courage de faire un si grand renoncement; on peut bien aussi se marier, parce qu'on ayme une femme, ou qu'on n'a pas asses de force en l'ame pour entreprendre la guerre qu'il faut faire a la chair: mais de faire profession de ne vouloir point suivre les conseilz, ni aucun d'iceux, cela ne se peut faire sans mespris de Celuy qui les donne.

  A005000349 

 Or, quant aux hommes, on peut souvent mespriser leur conseil et ne mespriser pas ceux qui le donnent, parce que ce n'est pas mespriser un homme d'estimer qu'il ait erré: mais quant a Dieu, rejetter son conseil et le mespriser, cela ne peut provenir que de l'estime que l'on fait qu'il n'a pas bien conseillé; ce qui ne peut estre pensé que par esprit de blaspheme, comme si Dieu n'estoit pas asses sage pour sçavoir, ou asses bon pour vouloir bien conseiller.

  A005000353 

 Si vous aves la migraine et [84] que l'odeur du musque vous nuyse, laisseres vous pour cela d'avouer que cette senteur soit bonne et aggreable? Si une robbe d'or ne vous est pas avenante, dirés vous qu'elle ne vaut rien? Si une bague n'est pas pour vostre doigt, la jetteres vous pour cela dans la boüe? Loues donq, Theotime, et aymes cherement tous les conseilz que Dieu a donné aux hommes.

  A005000354 

 Res-jouissons nous, Theotime, quand nous verrons des personnes entreprendre la suite des conseilz que nous ne pouvons ou ne devons pas observer; prions pour eux, benissons-les, favorisons-les et les aydons, car la charité nous oblige de n'aymer pas seulement ce qui est bon pour nous, mais d'aymer encor ce qui est bon pour le prochain..

  A005000355 

 Or, nous pouvons aysement en pratiquer plusieurs, quoy que non pas tous ensemble; car Dieu en a donné plusieurs affin que chacun en puisse observer quelques uns, et il n'y a jour que nous n'en ayons quelqu'occasion..

  A005000356 

 N'est il pas expedient a cause de vostre qualité que vous gardies la parfaite chasteté? gardes en donq au moins ce que sans faire tort a la charité vous en pourres garder.

  A005000356 

 Vous n'estes pas obligé de faire aucun vœu; mais faites en pourtant quelques uns qui seront jugés propres par vostre pere spirituel, pour vostre avancement en l'amour divin.

  A005000356 

 Vous n'estes pas obligé de rechercher celuy qui vous a offencé, car c'est a luy de revenir a soy et venir a vous pour vous donner satisfaction, puisqu'il vous a prevenu par injure et outrage; mays alles neanmoins, Theotime, faites ce que le Sauveur vous conseille, prevenes-le au bien, rendes-luy bien pour mal, jettes sur sa teste et sur son cœur un brasier ardent de tesmoignages de charité, qui le brusle tout et le force de vous aymer.

  A005000356 

 Vous n'estes pas obligé par la rigueur de la loy de donner a tous les pauvres que vous rencontres, ains seulement a ceux qui en ont un tres grand besoin; mays ne laisses pas pour cela, suivant le conseil du Sauveur, de donner volontier a tous les indigens que vous treuveres, autant que vostre condition et les veritables necessités de vos affaires le permettront.

  A005000357 

 Visiter les malades qui ne sont pas en extreme necessité, c'est une louable charité; les servir, est encor meilleur; mais se dedier a leur service, c'est l'excellence de ce conseil, que les Clercs de la Visitation des infirmes exercent par leur propre Institut, et plusieurs dames en divers lieux: a l'imitation de ce grand saint Sanson, gentilhomme et medecin romain, qui, en la ville de Constantinople ou il fut fait prestre, se dedia tout a fait, avec une admirable charité, au service des malades en un hospital qu'il y commença et que l'empereur Justinien esleva et paracheva; a l'imitation des saintes Catherines de Sienne et de Gennes, de sainte Elizabeth de Hongrie et des glorieux amis de Dieu, saint François et le bienheureux Ignace de Loyola, qui, au commencement de leurs Ordres, firent cet exercice avec une ardeur et utilité spirituelle incomparable..

  A005000358 

 Les vertus ont donq une certaine estendue de perfection, et pour l'ordinaire nous ne sommes pas obligés de les prattiquer en l'extremité de leur excellence; il suffit d'entrer si avant en l'exercice d'icelles, qu'en effect on y soit.

  A005000358 

 Mays de passer outre et s'avancer en la perfection, c'est un conseil; les actes heroïques des [87] vertus n'estans pas pour l'ordinaire commandes, ains seulement conseillés.

  A005000358 

 Mays quand il est force d'endurer le martyre ou renoncer a la foy, le martyre ne laisse pas d'estre martyre et un excellent acte d'amour et de force; neanmoins je ne sçay s'il le faut nommer acte heroïque, n'estant pas choisi par aucun exces d'amour, ains par la necessité de la loy qui en ce cas le commande.

  A005000358 

 Or, en la prattique des actes heroïques de la vertu consiste la parfaite imitation du Sauveur, qui, comme dit le grand saint Thomas, eut des l'instant de sa conception toutes les vertus en un degré heroïque; et certes, je dirois volontier plus qu'heroïque, puisqu'il n'estoit pas simplement plus qu'homme, mais infiniment plus qu'homme, c'est a dire vray Dieu.

  A005000363 

 Le moyen ordinaire c'est la predication; mais quelquefois, ceux auxquelz la parole ne proffite pas sont instruitz par la tribulation, selon le dire du Prophete: L' affliction donnera intelligence a l'ouïe; c'est a dire: ceux qui par l'ouïe des menasses celestes sur les meschans ne se corrigent pas, apprendront, la verité par l'evenement et les effectz, et deviendront sages sentans l'affliction.

  A005000363 

 Saint [90] Cyprien (ce n'est pas le grand Evesque de Cartage, ains un autre qui fut laïs, mais glorieux martir) fut touché voyant le diable confesser son impuissance sur ceux qui se confient en Dieu.

  A005000364 

 Car, comme Dieu donne, par l'entremise de la nature, a chasque animal les instinctz qui luy sont requis pour sa [91] conservation et pour l'exercice de ses proprietés naturelles, aussi, si nous ne resistons pas a la grace de Dieu, il donne a un chascun de nous les inspirations necessaires pour vivre, operer et nous conserver en la vie spirituelle.

  A005000364 

 Les ames, certes, qui ne se contentent pas de faire ce que par les commandemens et conseilz le divin Espoux requiert d'elles, mais sont promptes a suivre les sacrees inspirations, ce sont celles que le Pere eternel a preparees pour estre espouses de son Filz bienaymé.

  A005000368 

 Saint François ne fut pas seulement extreme en la prattique de la pauvreté, comme chacun sçait, mais il le fut encor en celle de la simplicité: il racheta un aigneau, de peur qu'on ne le tuast, parce qu'il representoit Nostre Seigneur; il portoit respect presqu'a toutes creatures, en contemplation de leur Createur, par une non accoustumee mais tres prudente simplicité; telles fois il s'est amusé a retirer les vermisseaux du chemin, affin que quelqu'un ne les foulast au passage, se resouvenant que son Sauveur s'estoit parangonné au vermisseau; il appelloit les creatures ses «freres et seurs,» par certaine consideration admirable que le saint amour luy suggeroit.

  A005000368 

 Saint [93] Hierosme recevant en son hospital de Bethleem les pelerins d'Europe qui fuyoient la persecution des Goths, ne leur lavoit pas seulement les pieds, mais s'abbaissoit jusques la que de laver encor et frotter les jambes de leurs chameaux, a l'exemple de Rebecca dont nous parlions n'a guere, qui non seulement puisa de l'eau pour Eliezer, mais aussi pour ses chameaux.

  A005000369 

 Il ne veut pas empescher, [94] non plus que Pharao, que les mistiques femmes d'Israël, c'est a dire les ames chrestiennes, enfantent des masles, pourveu qu'avant qu'ilz croissent on les tue: au contraire, dit le grand saint Hierosme, «entre les Chrestiens on n'a pas tant d'egard au commencement qu'a la fin.» Il ne faut pas tant avaler de viande qu'on ne puisse faire la digestion de ce que l'on en prend.

  A005000369 

 Or, en cette sorte d'inspirations il faut observer les regles que nous avons donnees pour les desirs en nostre Introduction: il ne faut pas vouloir suivre plusieurs exercices a la fois et tout a coup, car souvent l'ennemi tasche de nous faire entreprendre et commencer plusieurs desseins, affin qu'accablés de trop de besoigne nous n'achevions rien et laissions tout imparfait.

  A005000369 

 Quelquefois mesmement il nous suggere la volonté d'entreprendre de commencer quelque excellente besoigne, laquelle il prevoit que nous n'accomplirons pas, pour nous destourner d'en poursuivre une moins excellente que nous eussions aysement achevee; car il ne se soucie point qu'on fasse force desseins et commencemens, pourveu qu'on n'acheve rien.

  A005000370 

 Il ne faut pas mesme passer d'une Religion en une autre sans des motifs grandement considerables, dit saint Thomas apres l'abbé Nestorius, rapporté par Cassian..

  A005000370 

 Le grand saint Thomas est d'opinion qu'il n'est pas expedient de beaucoup consulter et longuement deliberer sur l'inclination que l'on a d'entrer en une bonne et bien formee Religion; et il a rayson, car la Religion estant conseillee par Nostre Seigneur en l'Evangile, qu'est-il besoin de beaucoup de consultations? Il suffit d'en faire une bonne avec quelque peu de personnes qui soyent bien prudentes et capables de tel affaire, et qui nous puissent ayder a prendre une courte et solide resolution: mais, des que nous avons deliberé et resolu, et en ce sujet et en tout autre qui regarde le service de Dieu, il faut estre fermes et invariables, sans se laisser nullement esbranler par aucune sorte d'apparence de plus grand bien; car bien souvent, dit le glorieux saint Bernard, le malin nous donne le change, et pour nous destourner d'achever un bien il nous en propose un autre qui semble meilleur, lequel apres que nous avons commencé, pour nous divertir de le parfaire il en presente un troisiesme, se contentant que nous fassions plusieurs commencemens, pourveu que nous ne fassions point de fin.

  A005000371 

 Il arrive que l'on quitte quelquefois le bien pour chercher le mieux, et que laissant l'un on ne treuve pas l'autre: mieux vaut la possession d'un petit tresor treuvé, que la pretention d'un plus grand qu'il faut aller chercher.

  A005000371 

 J'emprunte du grand saint Anselme, escrivant a Lanzon, une belle similitude: «Comme un arbrisseau [95] souvent transplanté ne sçauroit prendre racine, ni par consequent venir a sa perfection et rendre le fruit desiré», ainsy l'ame qui transplante son cœur de dessein en dessein ne sçauroit prouffiter ni prendre la juste croissance de sa perfection, puisque la perfection ne consiste pas en commencemens, mais en accomplissemens.

  A005000377 

 De s'habiller des habitz du sexe duquel on n'est pas, et s'exposer ainsy deguisé au voyage avec des hommes, cela est non seulement au dela, mais contraire aux regles ordinaires de la modestie chrestienne.

  A005000377 

 Les paroles du Saint n'eussent pas eu cette force, selon leur portee ordinaire, si Dieu n'y eust adjousté son inspiration: mais inspiration si extraordinaire qu'on croiroit que ce fut plustost une tentation, si le miracle de la reunion de ce pied coupé, fait par la benediction du Saint, ne l'eust authorisee..

  A005000378 

 Saint Jean, Evesque, surnommé le Silentiaire, quittant son evesché a l'insceu de tout son clergé, alla passer le reste de ses jours au monastere de Laura, sans qu'on peust onques avoir de ses nouvelles: cela n'estoit ce pas contre les regles de la tressainte residence? Et le grand saint Paulin, qui se vendit pour racheter l'enfant d'une pauvre vefve, comme le pouvoit il faire selon les lois ordinaires, puisqu'il n'estoit pas sien, ains a son Eglise et au public, par la consecration episcopale? Ces filles et femmes qui, poursuivies pour leur beauté, desfigurerent leurs visages par des blesseures volontaires affin de garder [99] leur chasteté sous la faveur d'une sainte laideur, ne faisoyent elles pas chose, ce semble, defendue?.

  A005000378 

 Saint Paul premier hermite, saint Anthoine, sainte Marie Egyptiaque ne se sont pas abismés en ces vastes solitudes, privés d'ouïr la Messe, de se communier et confesser, et privés, jeunes gens qu'ilz estoyent encor, de conduite et de toute assistance, sans une forte inspiration.

  A005000384 

 Mais je n'appelle pas humilité ce ceremonieux assemblage de paroles, de gestes, de baysemens de terre, de reverences, d'inclinations, quand il se fait, comme il advient souvent, sans aucun sentiment interieur de sa propre abjection et de la juste estime du prochain: car tout cela n'est qu'un vain amusement des foibles espritz, et doit plustost estre nommé phantosme d'humilité, qu'humilité.

  A005000385 

 Le deputé donq estant venu a la colomne, il n'eut pas si tost fait son ambassade, que le grand Simeon, sans delay, sans reserve, sans replique quelcomque, se print a vouloir descendre, avec une obeissance et humilité digne de sa rare sainteté; ce que voyant le delegué: «Arrestés,» dit-il, «o Simeon, demeurés la, perseverés constamment et ayes bon courage; poursuives vaillamment vostre entreprise, vostre sejour sur cette colomne est de Dieu.».

  A005000388 

 De mesme, tous les esleuz tournent la fleur de leur cœur, qui est l'obeissance aux commandemens, du costé de la volonté divine; mais les ames vivement esprises du saint amour ne regardent pas seulement cette divine Bonté par l'obeissance aux commandemens, ains aussi par l'union de toutes leurs affections, suivans le contour de ce divin Soleil en tout ce qu'il leur commande, conseille et inspire, sans reserve ni exception quelcomque.

  A005000388 

 Et pour conclure tout ce que nous avons dit de l'union de nostre volonté a celle de Dieu qu'on appelle signifiee, presque toutes les herbes qui ont les fleurs jaunes, et mesme la cicoree sauvage qui les a bleues, les tournent tous-jours du costé du soleil et suivent ainsy son contour; mais l' heliotropium ne contourne pas seulement ses fleurs, ains encor toutes ses feuilles, a la suite de ce grand luminaire.

  A005000392 

 Saint Basile dit que la volonté de Dieu nous est tesmoignee par ses ordonnances ou commandemens, et que lhors il n'y a rien a deliberer, car il faut simplement faire ce qui est ordonné; mais que pour tout le reste il est en nostre liberté de choisir a nostre gré ce que bon nous semblera, bien qu'il ne faille pas faire tout ce qui est loysible, ains seulement ce qui est expedient: et qu'en fin, pour bien discerner ce qui est convenable, il faut ouïr l'advis du sage pere spirituel..

  A005000393 

 Car l'ennemi en toutes occurrences les met en doute si c'est la volonté de Dieu qu'elles facent une chose plustost qu'une autre: comme, par exemple, si c'est la volonté de Dieu qu'elles mangent avec l'ami ou qu'elles ne mangent pas, qu'elles prennent des habitz gris ou noirs, qu'elles jeusnent le vendredi ou le samedi, qu'elles aillent a la recreation ou qu'elles s'en abstiennent; en quoy elles consument beaucoup de tems, et tandis qu'elles s'occupent et embarrassent a vouloir discerner ce qui est meilleur, elles perdent inutilement le loysir de faire plusieurs biens, desquelz l'execution seroit plus a la gloire de Dieu que ne sçauroit estre le discernement du bien et du mieux auquel elles se sont amusees..

  A005000394 

 Il y a mesme bien souvent de la superstition a vouloir faire cet examen; car, a quel propos mettra-on en difficulté s'il est mieux d'ouïr la Messe en une eglise qu'en une autre, de filer que de coudre, de donner l'aumosne a un homme qu'a une femme? Ce n'est pas bien servir un maistre, d'employer autant de tems a considerer ce qu'il faut faire comme a faire ce qui est requis.

  A005000394 

 On n'a pas accoustumé de peser la menue monnoye, ains seulement les pieces d'importance; le traffiq seroit trop ennuyeux et mangeroit trop de tems s'il failloit peser les solz, les liars, les deniers et les pittes: ainsy [105] ne doit on pas peser toutes sortes de menues actions pour sçavoir si elles valent mieux que les autres.

  A005000395 

 Or j'entens tous-jours quand il n'y a pas grande disproportion entre une œuvre et l'autre, et qu'il ne se rencontre point de circonstance considerable d'une part plus que de l'autre..

  A005000396 

 Et bien que les difficultés, tentations et diversités d'evenemens qui se rencontrent au progres de l'execution de nostre dessein, nous pourroyent donner quelque desfiance d'avoir bien choysi, il faut neanmoins demeurer ferme et ne point regarder tout cela, ains considerer que si nous eussions fait un autre choix nous eussions peut estre treuvé cent fois pis, outre que nous ne sçavons pas si Dieu veut que nous soyons exercés en la consolation ou en la tribulation, en la paix ou en la guerre.

  A005000422 

 Non pas mesme jettant les damnés dans la flamme.

  A005000435 

 Aymer la volonté de Dieu es consolations, c'est un bon amour, quand en verité on ayme la volonté de Dieu et non pas la consolation en laquelle elle est; neanmoins, c'est un amour sans contradiction, sans repugnance et sans effort, car, qui n'aymeroit une si digne volonté en un sujet si aggreable? 2.

  A005000435 

 Aymer la volonté divine en ses commandemens, conseilz et inspirations, c'est un second degré d'amour, beaucoup plus parfait; car il nous porte a renoncer et quitter nostre propre volonté, et nous fait abstenir et deporter de plusieurs voluptés, mais non pas de toutes.

  A005000437 

 Or, voyla toutefois le grand Job, comme roy des miserables de la terre, assis sur un fumier comme sur le throsne de la misere, paré de playes, d'ulceres, de pourriture, comme de vestemens royaux assortissans a la qualité de sa royauté, avec une si grande abjection et aneantissement que, s'il n'eust parlé, on ne pouvoit discerner si Job estoit un homme reduit en fumier, ou si le fumier estoit une pourriture en forme d'homme; or, le voyla, dis-je, le grand Job, qui s'escrie: Si nous avons receu des biens de la main de Dieu, pourquoy n'en recevrons nous pas aussi bien les maux? O Dieu, que cette parole est de grand amour! Il pese, Theotime, que c'est de la main de Dieu qu'il a receu les biens, tesmoignant qu'il n'avoit pas tant estimé les biens parce qu'ilz estoyent biens, comme parce qu'ilz provenoyent de la main du Seigneur: ce qu'estant ainsy, il conclud que donques il faut supporter amoureusement les adversités, puisqu'elles procedent de la mesme main du Seigneur, esgalement aymable lhors qu'elle distribue les afflictions comme quand elle donne les consolations.

  A005000442 

 Mays l'amour est alhors en son excellence quand nous ne recevons pas seulement avec douceur et patience les afflictions, ains nous les cherissons, nous les aymons et les caressons, a cause du bon playsir divin duquel elles procedent..

  A005000443 

 Et c'est l'importance, que l'ame fait cette resignation parmi tant de trouble, entre tant de contradictions et repugnances, qu'elle ne s'apperçoit presque pas de la faire; au moins il luy est advis que c'est si languidement, que ce ne soit pas de bon cœur ni comme il est [117] convenable: puisque ce qui se passe alhors pour le bon playsir divin se fait non seulement sans playsir et contentement, mays contre tout le playsir et contentement de tout le reste du cœur; auquel l'amour permet bien de se plaindre, au moins de ce qu'il ne se peut pas plaindre, et de dire toutes les lamentations de Job et de Hieremie, mais a la charge que tous-jours le sacré acquiescement se fasse dans le fond de l'ame, en la supreme et plus delicate pointe de l'esprit.

  A005000443 

 Et cet acquiescement n'est pas tendre ni doux, ni presque pas sensible, bien qu'il soit veritable, fort, indomptable et tres amoureux; et semble qu'il soit retiré au fin bout de l'esprit, comme dans le dongeon de la forteresse, ou il demeure courageux, quoy que tout le reste soit pris et pressé de tristesse.

  A005000443 

 Il est ainsy, Theotime: l'ame est quelquefois tellement pressee d'afflictions interieures, que toutes ses facultés et puissances en sont accablees, par la privation de tout ce qui la peut alleger, et par l'apprehension et impression de tout ce qui la peut attrister; si que, a l'imitation de son Sauveur, elle commence a s'ennuyer, a craindre, a s'espouvanter, puis a s'attrister d'une tristesse pareille a celle des mourans, dont elle peut bien dire: Mon ame est triste jusques a la mort; et du consentement de tout son interieur elle desire, demande et supplie que, s'il est possible, ce calice soit esloigné d'elle, ne luy restant plus que la fine supreme pointe de l'esprit, laquelle, attachee au cœur et bon playsir de Dieu, dit par un tres simple acquiescement: O Pere eternel, mais toutefois ma volonté ne soit pas faite, ains la vostre.

  A005000443 

 La bienheureuse Angele de Foligny fait une admirable description des peynes interieures esquelles quelquefois elle s'estoit treuvee, disant que son ame estoit en tourment «comme un homme qui, pieds et mains liés, seroit pendu par le col et ne seroit pourtant pas estranglé, mais demeureroit en cet estat entre mort et vif, sans esperance de secours,» ne pouvant ni se soustenir sur ses pieds, ni s'ayder des mains, ni crier de la bouche, ni mesme souspirer ou plaindre.

  A005000448 

 Certes, le cœur le plus indifferent du monde peut estre touché de quelque affection tandis qu'il ne sçait encor pas ou est la volonté de Dieu: Eliezer, estant arrivé a la fontaine de Haran, vid bien la vierge Rebecca et la treuva sans doute trop plus belle et aggreable; mais pourtant il demeura en indifference jusques a ce que, par le signe que Dieu luy avoit inspiré, il conneut que la volonté divine l'avoit preparee au filz de son maistre, car alhors il luy donna les pendans d'aureilles et les brasseletz d'or.

  A005000448 

 La resignation prefere la volonté de Dieu a toutes choses, mais elle ne laisse pas d'aymer beaucoup d'autres choses outre la volonté de Dieu.

  A005000449 

 Le cœur indifferent n'est pas comme cela, car sachant que la tribulation, quoy qu'elle soit laide, comme une [119] autre Lia, ne laisse pas d'estre fille, et fille bienaymee du bon playsir divin, il l'ayme autant que la consolation, laquelle neanmoins en elle mesme est plus aggreable; ains il ayme encor plus la tribulation, parce qu'il ne void rien d'aymable en elle que la marque de la volonté de Dieu.

  A005000450 

 En quoy il fut imité par le grand Evesque saint Martin qui, parvenu a la fin de sa vie, pressé d'un extreme desir d'aller a son Dieu, ne laissa pas pourtant de tesmoigner qu'il demeureroit aussi volontier entre les travaux de sa charge pour le bien de son cher troupeau; comme si apres avoir chanté ce cantique:.

  A005000461 

 il vinst par apres a faire cette exclamation: «O Seigneur, neanmoins, si je suis encor requis au service du [120] salut de vostre peuple, je ne refuse point le travail; vostre volonté soit faite.» Admirable indiffErence de l'Apostre, admirable celle de cet homme apostolique! Ilz voyent le Paradis ouvert pour eux, ilz voyent mille travaux en terre; l'un et l'autre leur est indiffErent au choix, et n'y a que la volonté de Dieu qui puisse donner le contrepoids a leurs cœurs: le Paradis n'est point plus aymable que les miseres de ce monde si le bon playsir divin est Egalement la et icy; les travaux leur sont un Paradis si la volonté divine se treuve en iceux, et le Paradis un travail si la volonté de Dieu n'y est pas, car, comme dit David, ilz ne demandent ni au ciel ni en la terre que de voir le bon playsir de Dieu accompli: O Seigneur, qu'y a-il au ciel pour moy, ou que veux-je en terre sinon vous?.

  A005000478 

 Voyés Abraham, l'espee au poing, le bras relevé, prest a donner le coup de mort a son cher unique enfant; il fait cela pour plaire a la volonté divine: et voyés en mesme tems un Ange, qui, de la part de cette mesme volonté, l'arreste court; et soudain il retient son coup, esgalement prest a sacrifier son filz et a ne le sacrifier pas, la vie et la mort d'iceluy luy estant indifferentes en la presence de la volonté de Dieu.

  A005000479 

 Ce fut esgalement la volonté de Dieu que saint Anthoine de Padoüe desirast le martyre et qu'il ne l'obtinst pas.

  A005000479 

 Ouy, Theotime, car Dieu bien souvent, pour nous exercer en cette sainte indifference, nous inspire des desseins fort relevés, desquelz pourtant il ne veut pas le succes; et lhors, comme il nous faut hardiment, courageusement et constamment commencer et suivre l'ouvrage tandis qu'il se peut, aussi faut il acquiescer doucement et tranquillement a l'evenement de l'entreprise, tel qu'il plaist a Dieu nous le donner.

  A005000480 

 Certes, Jonas eut grand tort de s'attrister dequoy, a son advis, Dieu n'accomplissoit pas sa prophetie sur Ninive.

  A005000480 

 Jonas fit la volonté de Dieu annonçant la subversion de Ninive, mais il mesla son interest et sa volonté propre avec celle de Dieu; c'est pourquoy, quand il void que Dieu n'execute pas sa prediction selon la rigueur des paroles dont il avoit usé en l'annonçant, il s'en fasche et murmure indignement.

  A005000480 

 Nous voulons que ce que nous entreprenons et manions reuscisse, mais il n'est pas raysonnable que [127] Dieu fasse toutes choses a nostre gré: s'il veut que Ninive soit menassee, et que neanmoins elle ne soit pas renversee, puisque la menasse suffit a la corriger, pourquoy Jonas s'en plaindra-il?.

  A005000481 

 Ayes soin de luy, fut il dit au maistre d'estable, en la parabole du pauvre homme mi mort entre Hierusalem et Hierico; «il n'est pas dit,» remarque saint Bernard, «gueris-le, mais, ayes soin de luy.» Ainsy les Apostres, avec une affection nompareille, prescherent premierement aux Juifz, bien qu'ilz sceussent qu'en fin il les faudroit quitter, comme une terre infructueuse, et se retourner du costé des Gentilz.

  A005000481 

 Mais si cela est ainsy, il ne faudra donq rien affectionner, ains laisser les affaires a la mercy des evenemens? Pardonnés-moy, Theotime, il ne faut rien oublier de tout ce qui est requis pour faire bien reuscir les entreprises que Dieu nous met en main, mais a la charge que si l'evenement est contraire nous le recevrons doucement et tranquillement; car nous avons commandement d'avoir un grand soin des choses qui regardent la gloire de Dieu et qui sont en nostre charge, mais nous ne sommes pas obligés ni chargés de l'evenement, car il n'est pas en nostre pouvoir.

  A005000482 

 Ainsy Dieu ne fut pas cause que David pecha, mais il luy infligea bien la peyne deüe a son peché; il ne fut pas la cause du peché de Saül, mais ouï bien qu'en punition la victoire perit entre les mains d'iceluy..

  A005000482 

 Il est vray, mon enfant, ta faute ne t'est pas advenue par la volonté de Dieu, car Dieu n'est pas autheur du peché; mays c'est bien pourtant la volonté divine que ta faute soit suivie de la defaite et du manquement de ton entreprise, en punition de ta faute: car si sa bonté ne luy peut permettre de vouloir ta faute, sa justice fait qu'il veut la peyne que tu en souffres.

  A005000482 

 Mays derechef, si l'entreprise faite par inspiration perit par la faute de ceux a qui elle estoit confiee, comme peut-on dire alhors qu'il faut acquiescer a la volonté de Dieu? car, me dira quelqu'un, ce n'est pas la volonté de Dieu qui empesche l'evenement, ains ma faute, de laquelle la volonté divine n'est pas la cause.

  A005000483 

 Quand donques il arrive que les desseins sacrés ne reuscissent pas, en punition de nos fautes, il faut egalement detester la faute par une solide repentance, et accepter la peyne que nous en avons; car, comme le peché est contre la volonté de Dieu, aussi la peyne est selon sa volonté..

  A005000487 

 Le laboureur ne sera jamais tancé s'il n'a pas belle cueillette, mais ouï bien s'il n'a pas bien labouré et ensemencé ses terres.

  A005000487 

 Que si nous ne sentons pas le progres et avancement de nos espritz en la vie devote tel que nous voudrions, ne nous troublons point, demeurons en paix, que tous-jours la tranquillité regne dans nos cœurs.

  A005000490 

 Et cependant, Theotime, ce n'est pas l'amour celeste qui fait ce trouble, car il ne se fasche que pour le peché; c'est nostre amour propre, qui voudroit que [131] nous fussions exemptz de la peyne et du travail que les assautz de l'ire nous donnent: ce n'est pas la coulpe qui nous desplait en ces eslans de la cholere, car il n'y a du tout point de peché; c'est la peyne d'y resister qui nous inquiete..

  A005000491 

 C'est le Philistin que les vrays Israëlistes doivent tous-jours combattre, sans que jamais ilz le puissent abbattre: ilz le peuvent affoiblir, mais non pas aneantir; il ne meurt jamais qu'avec nous, et vit tous-jours avec nous.

  A005000491 

 Il est en nous quand nous sentons la rebellion de l'appetit sensuel, mais il ne regne pas en nous sinon quand nous y consentons.

  A005000491 

 Il ne nous defend pas de sentir le peché, mais seulement d'y consentir; il n'ordonne pas que nous empeschions le peché de venir en nous et d'y estre, mais il commande qu'il n'y regne pas.

  A005000491 

 Jamais on ne dira a une femme grosse qu'elle n'ayt pas envie de manger des choses extraordinaires, car cela n'est pas en son pouvoir; mais on luy dira bien qu'elle die ses appetitz, affin que s'ilz sont de chose nuisible on divertisse son imagination, et que telle fantasie ne regne pas en sa cervelle.

  A005000491 

 Le medecin n'ordonnera jamais au febricitant de n'avoir pas soif, car ce seroit une impertinence trop grande; mais il luy dira bien qu'il s'abstienne de boire encor qu'il ayt soif.

  A005000492 

 Et remarques en fin, que non seulement nous ne devons pas nous inquieter en nos tentations ni en nos infirmités, mais nous devons nous glorifier d'estre infirmes, affin que la vertu divine paroisse en nous, soustenant nostre foiblesse contre l'effort de la suggestion et tentation: car le glorieux Apostre appelle ses infirmités, les eslans et rejettons d'impureté qu'il sentoit, et dit qu'il se glorifioit en icelles, parce que si bien il les sentoit par sa misere, neanmoins, par la misericorde de Dieu, il n'y consentoit pas..

  A005000492 

 Remarques encores, que si Nostre Seigneur permet ces cruelles revoltes en l'homme, ce n'est pas tous-jours pour le punir de quelque peché, ains pour manifester la force et vertu de l'assistance et grace divine.

  A005000497 

 Dieu hait souverainement le peché, et neanmoins il le permet tres sagement, pour laisser agir la creature raysonnable selon la condition de sa nature, et rendre les bons plus recommandables, quand, pouvans violer la loy, ilz ne la violent pas.

  A005000499 

 Cependant, pour obstinés que les pecheurs puissent estre, ne perdons pas courage de les ayder et servir; car, que sçavons nous si par aventure ilz feront penitence et seront sauvés? Bienheureux est celuy qui peut dire a ses prochains comme saint Paul: Je n'ay cessé ni jour ni nuit en vous admonestant un chacun de vous avec larmes; et partant je suis net du sang de tous, car je ne me suis point espargné que je ne vous aye annoncé tout le bon playsir de Dieu.

  A005000505 

 Mais il arrivoit quelquefois que le prince, pour essayer l'amour de cet aymable musicien, luy commandoit de chanter, et soudain, le laissant la en sa chambre, il s'en alloit a la chasse; mais le desir que le chantre avoit de suivre ceux de son maistre luy faisoit continuer aussi attentivement son chant comme si le prince eust esté present, quoy qu'en verité il n'avoit aucun playsir a chanter: car il n'avoit ni le playsir de la melodie, duquel sa surdité le privoit, ni celuy de plaire au prince, puisque [137] le prince estant absent ne jouissoit pas de la douceur des beaux airs qu'il chantoit..

  A005000505 

 Un musicien des plus excellens de l'univers, et qui jouoit parfaitement du luth, devint en peu de tems si extremement sourd qu'il ne luy resta plus aucun usage de l'ouïe; neanmoins il ne laissa pas pour cela de chanter et manier son luth delicatement a merveilles, a cause de la grande habitude qu'il en avoit, que sa surdité ne luy avoit pas ostee.

  A005000514 

 Ainsy nos cœurs, au commencement de leur devotion, ayment Dieu pour s'unir a luy, luy estre aggreables, et l'imiter en ce qu'il nous a aymés eternellement; mays, petit a petit, estans duitz et exercés au saint amour, ilz prennent imperceptiblement le change, et en lieu d'aymer Dieu pour plaire a Dieu, ilz commencent d'aymer pour le playsir qu'ilz ont eux mesmes es exercices du saint amour, et en lieu qu'ilz estoyent amoureux de Dieu, ilz deviennent amoureux de l'amour qu'ilz luy portent: ilz sont affectionnés a leurs affections, et ne se playsent plus en Dieu, mais au playsir qu'ilz ont en son amour, se contentans en cet amour entant qu'il est a eux, qu'il est dans leur esprit et qu'il en procede; car encor que cet amour sacré s'appelle amour de Dieu parce que Dieu est aymé par iceluy, il ne laisse pas d'estre nostre parce que [138] nous sommes les amans qui aymons par iceluy.

  A005000518 

 Vous connoistres bien cela, Theotime: car si ce rossignol mystique chante pour contenter Dieu, il chantera le cantique qu'il sçaura estre le plus aggreable a la divine Providence; mais s'il chante pour le playsir que luy mesme prend en la melodie de son chant, il ne chantera pas le cantique qui est le plus aggreable a la Bonté celeste, ains celuy qui est plus a son gré de luy mesme, et duquel il pense tirer plus de playsir.

  A005000519 

 Hé, vous vous trompés, mes chers amis, ne dites pas que c'est pour mieux aymer et servir Dieu: o nenni certes! c'est pour mieux servir vostre propre contentement, lequel vous-aymes plus que le contentement de Dieu.

  A005000519 

 La volonté de Dieu est en la maladie aussi bien et presqu'ordinairement mieux qu'en la santé: que si nous aymons mieux la santé, ne disons pas que c'est pour tant mieux servir Dieu; car, qui ne void que c'est la santé que nous cherchons en la volonté de Dieu, et non pas la volonté de Dieu en la santé..

  A005000519 

 Ne vois tu pas, dira-on a cet Evesque, que Dieu veut que tu chantes le cantique pastoral de sa dilection emmi ton troupeau, lequel en vertu de son saint amour il te commande par trois fois de paistre, en la personne du grand saint Pierre qui fut le premier des Pasteurs? Que me respondras-tu? qu'a Rome, qu'a Paris il y a plus de delices spirituelles, et qu'on y peut prattiquer le divin amour avec plus de suavité? O Dieu, ce n'est donq pas pour vous plaire que cet homme veut chanter, c'est pour le playsir qu'il prend a cela; ce n'est pas vous qu'il cherche en l'amour, c'est le contentement qu'il a es exercices du saint amour.

  A005000520 

 Celuy qui est en une fervente orayson ne sçait s'il est en orayson ou non, car il ne pense pas a l'orayson qu'il fait, ains a Dieu auquel il la fait.

  A005000520 

 Celuy qui priant Dieu s'apperçoit qu'il prie, n'est pas parfaittement attentif a prier; car il divertit son attention de Dieu, lequel il prie, pour penser a la priere par laquelle il le prie.

  A005000521 

 S'il eust aymé Thamar il n'eust pas fait cela, car Thamar estoit tous-jours Thamar; mais parce que ce n'estoit pas Thamar qu'il aymoit, ains l'infame playsir qu'il pretendoit en elle, soudain qu'il eut ce qu'il cherchoit, il la baffoüa felonnement et la traitta brutalement: son playsir estoit en Thamar, mais son amour estoit au playsir et non pas en Thamar; c'est pourquoy, le playsir passé, il eust volontier fait passer Thamar.

  A005000522 

 Plusieurs, certes, ne se plaisent point en l'amour divin sinon qu'il soit confit au sucre de quelque suavité sensible, et feroyent volontier comme les petitz enfans, auxquelz quand on donne du miel sur un morceau de pain, ilz lechent et succent le miel et jettent par apres le pain: car si la suavité estoit separable de l'amour ilz quitteroyent l'amour et tireroyent la suavité; c'est pourquoy ilz suivent l'amour a cause de la suavité, laquelle quand ilz n'y rencontrent pas, ilz ne tiennent conte de l'amour.

  A005000526 

 O que bienheureux est le cœur qui ayme Dieu sans aucun autre playsir que celuy qu'il prend de plaire a Dieu! car, quel playsir peut-on jamais avoir plus pur et parfait que celuy que l'on prend dans le playsir de la Divinité? Neanmoins, ce playsir de plaire a Dieu n'est pas a proprement parler l'amour divin, ains seulement un fruit d'iceluy, qui en peut estre separé ainsy qu'un citron de son citronnier.

  A005000528 

 On a veu tel enfant malade manger courageusement, avec un incroyable degoust, ce que sa mere luy donnoit, pour le seul desir qu'il avoit de la contenter; et alhors il mangeoit sans prendre aucun playsir en la viande, mais non pas sans un autre playsir plus estimable et relevé, qui estoit le playsir de plaire a sa mere et de la voir contente.

  A005000529 

 Ainsy arrive-il quelquefois, que nous n'avons nulle consolation es exercices de l'amour sacré, d'autant que, comme chantres sourds, nous n'oyons pas nostre propre voix ni ne pouvons jouir de la suavité de nostre chant; ains au contraire, outre cela, nous sommes pressés de mille craintes, troublés de mille tintamarres que l'ennemy fait autour de nostre cœur, nous suggerant que peut estre ne sommes-nous point aggreables a nostre Maistre et que nostre amour est inutile, ouy mesme qu'il est faux et vain, puisqu'il ne produit point de consolation.

  A005000530 

 Et bien qu'elle n'ait pas perdu le courage, elle est pourtant si terriblement attaquee, que si elle est sans coulpe elle n'est pas sans peyne: car, pour comble de son ennuy, elle est privee de la generale consolation que l'on a presque tous-jours en tous les autres maux de ce monde, qui est l'esperance qu'ilz ne seront pas perdurables et que l'on en verra la fin; si que le cœur en ces ennuis spirituelz, tumbe en une certaine impuissance de penser a leur fin, et par consequent d'estre allegé par l'esperance.

  A005000535 

 Et cela, d'autant que la merveille de sa delivrance fut si grande qu'elle occupoit son esprit en telle sorte, qu'encor qu'il eust asses de sentiment et de connoissance pour faire ce qu'il faisoit, neanmoins il n'en avoit pas asses pour connoistre qu'il le faisoit reellement et tout de bon: il voyoit bien l'Ange, mais il ne s'appercevoit pas que ce fut d'une vraye et naturelle vision; c'est pourquoy il n'avoit nulle consolation de sa delivrance, jusques a ce qu'en revenant a soy: Maintenant, dit-il, je connois en verité que Dieu a envoyé son Ange, et m'a deslivré de la main d'Herodes et de toute l'attente du peuple Juif.

  A005000535 

 Voyla une grande varieté d'actions fort sensibles; et saint Pierre neanmoins, qui avoit esté esveillé avant toutes choses, ne pensoit pas que ce qui se faisoit par l'Ange fust vray, ains estimoit que ce fust une vision imaginaire: il estoit esveillé et ne pensoit pas l'estre, il s'estoit chaussé et vestu et ne sçavoit pas qu'il l'eust fait, il marchoit et n'estimoit.

  A005000535 

 pas de marcher, il estoit deslivré et ne le croyoit pas.

  A005000536 

 Or il en est de mesme, Theotime, d'une ame qui est grandement chargee d'ennuis interieurs; car bien qu'elle ait le pouvoir de croire, d'esperer et d'aymer Dieu, et qu'en verité elle le fasse, toutefois elle n'a pas la force de bien discerner si elle croid, espere et cherit son Dieu, d'autant que la detresse l'occupe et accable si fort qu'elle ne peut faire aucun retour sur soy mesme pour voir ce qu'elle fait: et c'est pourquoy il luy est advis qu'elle n'a ni foy, ni esperance, ni charité, ains seulement des fantosmes et inutiles impressions de ces vertus la, qu'elle sent presque sans les sentir, et comme estrangeres, non comme domestiques de son ame.

  A005000536 

 Que si vous y prenes garde, vous treuveres que nos espritz sont tous-jours en pareil estat quand ilz sont puissamment occupés de quelque violente passion; car ilz font plusieurs actions comme en songe, et desquelles ilz ont si peu de sentiment qu'il ne leur est presque pas advis que ce soit en verité que les choses se passent.

  A005000543 

 et, comme porte la sainte version latine, apres les Septante: Nous fusmes faitz comme consolés; c'est a dire: l'admiration de la grandeur du bien qui nous arriva estoit si excessive qu'elle nous empeschoit de bien sentir la consolation que nous receusmes, et nous estoit advis que nous ne fussions pas veritablement consolés et que nous n'eussions pas une consolation en verité, ains seulement en figure et en songe..

  A005000544 

 Ainsy Magdeleyne, ayant rencontré son cher Maistre, n'en reçoit aucun allegement, d'autant qu'elle ne pensoit pas que ce fust luy, ains seulement le jardinier..

  A005000544 

 Il ne le treuve point es sens exterieurs, car ilz n'en sont pas capables; ni en l'imagination, qui est cruellement tourmentee de diverses impressions; ni en la rayson, troublee de mille obscurités de discours et apprehensions estranges: et bien qu'en fin elle le treuve en la cime et supreme region de l'esprit, ou cette divine dilection reside, si est ce neanmoins qu'elle le mesconnoist, et luy est advis que ce n'est pas luy, parce que la grandeur des ennuis et des tenebres l'empeschent de sentir sa douceur; elle le void sans le voir et le rencontre sans le connoistre, comme si c'estoit en songe et en image.

  A005000549 

 Et que devient la volonté humaine quand elle est entierement abandonnee au bon playsir divin? Elle [149] ne perit pas tout a fait, mais elle est tellement abismee et meslee avec la volonté de Dieu, qu'elle ne paroist plus et n'a plus aucun vouloir separé de celuy de Dieu..

  A005000549 

 Que devient la clarté des estoiles quand le soleil paroist sur nostre orizon? elle ne perit certes pas, mais elle est ravie et engloutie dans la souveraine lumiere du soleil avec laquelle elle est heureusement meslee et conjointe.

  A005000550 

 Voire mais, luy eust-on peu dire, il va en Egypte, pour passer en Palestine; il logera a Damiette, dans Acre et plusieurs autres lieux: n'aves vous pas intention, Madame, d'y aller aussi? A cela elle eust respondu: Non vrayement, je n'ay nulle intention sinon d'estre aupres de mon Roy, et les lieux ou il va me sont indifferens et de nulle consideration, sinon entant qu'il y sera; je vay sans desir d'aller, car je n'affectionne rien que la presence du Roy: c'est donq le Roy qui va, et qui veut le voyage, et quant a moy je ne vay pas, je suy; je ne veux pas le voyage, ains la seule presence du Roy; le sejour, le voyage et toute sorte de diversités m'estant tout a fait indifferentes..

  A005000551 

 Certes, si on demande a quelque serviteur qui est a la suite de son maistre, ou il va, il ne doit pas respondre qu'il va en tel ou tel lieu, ains seulement qu'il suit son maistre, car il ne va nulle part par sa volonté, ains seulement par celle de son maistre; ainsy, mon Theotime, une volonté resignee en celle de son Dieu ne doit avoir aucun vouloir, ains suivre simplement celuy de Dieu.

  A005000551 

 De sorte que ce n'est pas proprement comme les serviteurs suivent leurs maistres, car encor que le voyage se fasse par la volonté de leur maistre, leur suite toutefois se fait par leur propre volonté particuliere, bien qu'elle soit une volonté suivante et servante, sousmise et assujettie a celle de leur maistre: si que tout ainsy que le maistre et le serviteur sont deux, aussi la volonté du maistre et celle du serviteur sont deux.

  A005000551 

 Et comme celuy qui est dans un navire ne se remue pas de son mouvement propre, ains se laisse seulement mouvoir selon le mouvement du vaysseau [150] clans lequel il est, de mesme, le cœur qui est embarqué dans le bon playsir divin ne doit avoir aucun autre vouloir que celuy de se laisser porter au vouloir de Dieu.

  A005000551 

 Mais la volonté qui est morte a soy mesme pour vivre en celle de Dieu, elle est sans aucun vouloir particulier, demeurant non seulement conforme et sujette, mais toute aneantie en elle mesme et convertie en celle de Dieu: comme on diroit d'un petit enfant qui n'a encor point l'usage de sa volonté, pour vouloir ni aymer chose quelcomque que le sein et le visage de sa chere mere; car il ne pense nullement a vouloir estre d'un costé ni d'autre, ni a vouloir autre chose quelcomque sinon d'estre entre les bras de sa mere, avec laquelle il pense estre une mesme chose, et n'est nullement en soucy d'accommoder sa volonté a celle de sa mere, car il ne sent point la sienne et ne cuyde pas d'en avoir une, laissant le soin a sa mere d'aller, de faire et de vouloir ce qu'elle treuvera bon pour luy..

  A005000554 

 Et nous autres, Theotime, comme petitz enfans du Pere celeste, nous pouvons aller avec luy en deux sortes: car nous pouvons aller, premierement, marchans des pas de nostre propre vouloir, lequel nous conformons au sien, tenans tous-jours de la main de nostre obeissance celle de son intention divine et la suivant par tout ou elle nous conduit; qui est ce que Dieu requiert de nous par la signification de sa volonté, car puisqu'il veut que je fasse ce qu'il m'ordonne, il veut que j'aye le vouloir de le faire.

  A005000554 

 Il est croyable que la tressainte Vierge Nostre Dame recevoit tant de contentement de porter son cher petit Jesus entre ses bras, que le contentement empeschoit la lassitude, ou du moins rendoit la lassitude aggreable: car, si de porter une branche d' agnus castus soulage les voyageurs et les delasse, quel allegement ne recevoit pas la glorieuse Mere de porter l'Aigneau de Dieu immaculé? Que si parfois elle le laissoit marcher sur ses pieds avec elle, le tenant par la main, ce n'estoit pas qu'elle n'eust mieux aymé de l'avoir pendant a son col sur sa poitrine, mais elle le faisoit pour l'exercer a former ses pas et a cheminer luy mesme.

  A005000555 

 Et affin que vous le sachies, tandis que je suis parmi les delices de ces saintes caresses qui [153] surpassent toute suavité, il m'est advis que ma Mere est un arbre dé vie et que je suis en elle comme son fruit, que je suis son propre cœur au milieu de sa poitrine, ou son ame au milieu de son cœur: c'est pourquoy, comme son marcher suffit pour elle et pour moy, sans que je me mesle de faire aucun pas, aussi sa volonté suffit pour elle et pour moy, sans que je fasse aucun vouloir pour ce qui est d'aller ou de venir.

  A005000555 

 Et qui luy eust demandé: Mais au moins, n'alles vous pas avec vostre Mere? n'eust-il pas eu rayson de dire: Non, je ne vay nullement, ou si je vay la part ou ma Mere me porte, je n'y vay pas avec elle ni par mes propres pas, ains j'y vay par les pas de ma Mere, par elle et en elle.

  A005000555 

 Et qui luy eust repliqué: Mais au moins, o trescher divin Enfant, vous vous voules bien laisser porter a vostre douce Mere? Non fay certes, eust-il peu dire, je ne veux rien de tout cela, ains, comme ma toute bonne Mere marche pour moy, aussi elle veut pour moy: je luy laisse egalement le soin et d'aller et de vouloir aller pour moy ou bon luy semblera; et comme je ne marche que par ses pas, aussi je ne veux que par son vouloir, et des que je me treuve entre ses bras je n'ay aucune attention ni a vouloir ni a ne vouloir pas, laissant tout autre soin a ma Mere hormis celuy d'estre sur son sein, de succer son sacré chicheron, et de me tenir bien attaché a son col tres aymable pour la bayser amoureusement des baysers de ma bouche.

  A005000555 

 O divin Enfant de Marie, permettes a ma chetifve ame cet eslan de dilection! Or alles donq, o cher petit Enfant tres aymable, ou plustost, n'alles pas, mais demeures ainsy saintement collé a la poitrine de vostre douce Mere; alles tous-jours en elle et par elle, ou avec elle, et n alles jamais sans elle tandis que vous estes enfant.

  A005000555 

 Si on eust demandé au doux Enfant Jesus, estant porté entre les bras de sa Mere, ou il alloit, n'eust-il pas eu rayson de respondre: Je ne vay pas, c'est ma Mere qui va pour moy.

  A005000556 

 Et notés qu'il dit toute nostre sollicitude, c'est a dire, [154] autant celle que nous avons de recevoir les evenemens comme celle de vouloir ou ne vouloir pas; car il aura soin du succes de nos affaires et de vouloir pour nous ce qui sera le meilleur..

  A005000556 

 Le Sauveur de nos ames eut l'usage de rayson des l'instant de sa conception au ventre de sa Mere, et pouvoit faire tous ces discours; ouy mesme le glorieux saint Jean, son Precurseur, des le jour de la sainte Visitation: et bien que l'un et l'autre, pendant ce tems-la et celuy de l'enfance, jouit de sa propre liberté pour vouloir et ne vouloir pas les choses, si est-ce qu'ilz laisserent le soin, en ce qui estoit de leur conduite exterieure, a leurs meres, de faire et vouloir pour eux ce qui estoit requis.

  A005000563 

 Et sur ces paroles elle s'endormit, tandis que son pere, jugeant [156] a propos de la saigner, disposa ce qui estoit requis; et venant a elle, ainsy qu'elle se resveilla, apres l'avoir interrogee comme elle se treuvoit de son sommeil, il luy demanda si elle vouloit pas bien estre saignee pour guerir.

  A005000563 

 La fille d'un excellent medecin et chirurgien estant en fievre continue, et sachant que son pere l'aymoit uniquement, disoit a l'une de ses amies: Je sens beaucoup de peine, mais pourtant je ne pense point aux remedes, car je ne sçai pas ce qui pourroit servir a ma guerison; je pourrois desirer une chose et il m'en faudroit une autre: ne gaigne-je donq pas mieux de laisser tout ce soin a mon pere, qui sçait, qui peut et qui veut pour moy tout ce qui est requis a ma santé? J'aurais tort d'y penser, car il y pensera asses pour moy; j'aurois tort de vouloir quelque chose, car il voudra asses tout ce qui me sera proffitable: seulement donq j'attendray qu'il veuille ce qu'il jugera expedient, et ne m'amuseray qu'a le regarder quand il sera pres de moy, a luy tesmoigner mon amour filial et luy faire connoistre ma confiance parfaite.

  A005000564 

 Or dites moy maintenant, mon ami Theotime, cette fille ne tesmoigna elle pas un amour plus attentif et plus solide envers son pere que si elle eust eu beaucoup de soin de luy demander des remedes a son mal, de regarder comme on luy ouvroit la veyne ou comme le sang couloit, et de luy dire beaucoup de paroles de remerciment? Il n'y a, certes, doute quelcomque en cela; car, si elle eust pensé a soy, qu'eust elle gaigné sinon d'avoir du souci inutile, puisque son pere en avoit asses pour elle? regardant son bras, qu'eust elle fait sinon recevoir de la frayeur? et remerciant son pere, quelle vertu eust elle prattiquee sinon celle de la gratitude? N'a elle pas donq mieux fait de s'occuper toute es demonstrations de son amour filial, infiniment plus aggreable au pere que toute autre vertu? [157].

  A005000565 

 Es tu tumbé dans les filetz des adversités? hé, ne regarde pas ton adventure, ni les pieges esquelz tu es pris: regarde Dieu et le laisse faire, il aura soin de toy; jette ta pensee sur luy, et il te nourrira.

  A005000565 

 Pourquoy te mesles tu de vouloir ou ne vouloir pas les evenemens et accidens du monde, puisque tu ne sçais pas ce que tu dois vouloir, et que Dieu voudra tous-jours asses pour toy tout ce que tu pourras vouloir, sans que tu t'en mettes en peine? Attens donq en repos d'esprit les effectz du bon playsir divin, et que son vouloir te suffise puisqu'il est tous-jours tres bon; car ainsy ordonna-il a sa bienaymee sainte Catherine de Sienne: «Pense en moy,» lui dit il, «et je penseray pour toy.».

  A005000566 

 Et si vous y prenes garde, l'attente de l'ame est vrayement volontaire, et toutefois ce n'est pas une action, mais une simple disposition a recevoir ce qui arrivera; et lhors que les evenemens sont arrivés et receuz, l'attente se convertit en consentement ou acquiescement, mais avant la venue d'iceux, en verité l'ame est en une simple attente, indifferente a tout ce qu'il plaira a la volonté divine d'ordonner..

  A005000566 

 Il est fort malaysé de bien exprimer cette extreme indifference de la volonté humaine qui est ainsy reduite et trespassee en la volonté de Dieu: car il ne faut pas dire, ce me semble, qu'elle acquiesce a celle de Dieu, puisque l'acquiescement est un acte de l'ame qui declaire son consentement; il ne faut pas dire non plus qu'elle accepte ni qu'elle reçoit, d'autant que accepter et recevoir sont de certaines actions qu'on peut en certaine façon appeller actions passives, par lesquelles nous embrassons et prenons ce qui nous arrive; il ne faut pas dire aussi qu'elle permet, d'autant que la permission est une action de la volonté, et par consequent un certain vouloir oysif qui ne veut voirement rien faire, mais veut pourtant laisser faire.

  A005000566 

 Il me semble donq plustost, que l'ame qui est en cette indifference et qui ne veut rien, ains laisse vouloir a Dieu ce qu'il luy plaira, doit estre ditte avoir sa volonté en une simple et generale attente; d'autant qu'attendre [158] ce n'est pas faire ou agir, ains demeurer exposé a quelqu'evenement.

  A005000571 

 L'amour fit tout cela, Theotime: et c'est l'amour aussi qui, entrant en une ame affin de la faire heureusement mourir a soy et revivre a Dieu, la fait despouiller de tous les desirs humains et de l'estime de soy mesme, qui n'est pas moins attachee a l'esprit que la peau a la chair, et la desnue en fin des affections plus aymables, comme sont celles qu'elle avoit aux [160] consolations spirituelles, aux exercices de pieté et a la perfection des vertus, qui sembloyent estre la propre vie de l'ame devote..

  A005000585 

 Mais voyés, Theotime, combien cette loy d'amour est aymable! Hé, Seigneur Dieu, ne suffisoit il pas qu'il vous pleust de nous permettre ce divin amour, comme Laban permit celuy de Rachel a Jacob, sans qu'il vous pleust encor de nous y semondre par exhortations, de nous y pousser par vos commandemens? Mais non, Bonté divine, affin que ni vostre grandeur, ni nostre bassesse, ni pretexte quelcomque ne nous retardast de vous aymer, vous nous le commandés.

  A005000585 

 O vray Dieu, si nous le sçavions entendre, mon cher Theotime, quelle obligation aurions-nous a ce souverain Bien qui non seulement nous permet, mais nous commande de l'aymer! Helas, o Dieu, je ne sçay pas si je dois plus aymer vostre infinie beauté qu'une si divine bonté m'ordonne d'aymer, ou vostre divine bonté qui m'ordonne d'aymer une si tres infinie beauté! O beauté, combien estes vous aymable, m'estant octroyee par une si immense bonté! o bonté, que vous estes amiable de me communiquer une si eminente beauté!.

  A005000586 

 Si que les miserables damnés demeureront a jamais en une rage desesperee, de sçavoir une perfection si souverainement aymable sans en pouvoir jamais avoir ni la jouissance ni l'amour, parce que tandis qu'ilz l'ont peu aymer ilz n'ont pas voulu: ilz brusleront d'une soif d'autant plus violente que le souvenir de cette source des eaux de la vie eternelle aiguisera leurs ardeurs; ilz mourront immortellement, comme des chiens, d'une faim [167] d'autant plus vehemente, que leur memoire en affinera l'insatiable cruauté par le souvenir du festin duquel ilz auront esté privés:.

  A005000593 

 Certes, je ne voudrois pas asseurer que cette veùe de la beauté de Dieu, que les malheureux auront comme en eloyse et a guise d'un esclair, doive estre de mesme clarté que celle des Bienheureux; mais elle sera pourtant si claire qu' ilz verront le Filz de l'homme en sa majesté, ilz verront Celuy qu'ilz ont percé, et par la veüe de cette gloire connoistront la grandeur de leur perte.

  A005000593 

 O si Dieu avoit defendu a l'homme de l'aymer, que de regretz es ames genereuses! que ne feroyent elles pas pour en obtenir la permission! David entra au hazard d'un combat extremement rude, pour avoir la fille du Roy; et qu'est ce que ne fit pas Jacob pour pouvoir espouser Rachel, et le prince Sichem, pour avoir Dina en mariage? Les damnés s'estimeroyent bienheureux s'ilz pensoyent de pouvoir quelque fois aymer Dieu, et les Bienheureux s'estimeroyent damnés s'ilz croyoient de pouvoir estre une fois privés de cet amour sacré..

  A005000604 

 Et ne faut pas non plus, Theotime, que pendant l'enfance de nostre vie mortelle, nous laissions de faire ce qui est en nous, selon qu'il nous est commandé; puisque non seulement nous le pouvons, mais il est tres aysé, tout ce commandement estant de l'amour, et de l'amour de Dieu, qui, estant souverainement bon, est souverainement aymable.

  A005000604 

 Mais il ne faut pas pretendre a cet amour si extremement parfait, en cette vie mortelle, car nous n'avons pas encor ni le cœur, ni l'ame, ni l'esprit, ni les forces des Bienheureux: il suffit que nous aymions de tout le cœur et de toutes les forces que nous avons.

  A005000608 

 Or cela est ainsy, d'autant que le devoir par lequel on est tout aux uns n'est pas contraire au devoir par lequel on est tout aux autres..

  A005000608 

 Qui dit tout ne forclost rien; et toutefois, un homme ne laissera pas d'estre tout a Dieu, tout a son pere, tout a sa mere, tout au prince, tout a la republique, tout a ses enfans, tout a ses amis: en sorte qu'estant tout a un chacun, il sera encor tout a tous.

  A005000610 

 Certes, Theotime, la haut en Paradis Dieu se donnera tout a nous, et non pas en partie, puysque c'est un tout qui n'a point de parties; mais il se donnera pourtant diversement, et avec autant de differences qu'il y aura de Bienheureux: ce qui se fera ainsy, parce que, se donnant tout a tous et tout a un chacun, il ne se donnera jamais totalement ni a pas un en particulier, ni a tous en general.

  A005000610 

 Je fay hommage au prince souverain et je le fay encor au subalterne: j'engage donq envers l'un et envers l'autre toute ma fidelité, et toutefois je ne l'engage pas totalement ni a l'un ni a l'autre; car en celle que je preste, au souverain je n'exclus pas celle du subalterne, et en celle du subalterne je ne comprens pas celle du souverain.

  A005000610 

 Le miel de Narbonne est tout doux, si est bien celuy de Paris: tous deux sont pleins de douceur, mais l'un neanmoins est plein d'une meilleure, plus fine et plus forte douceur; et bien que l'un et l'autre soit tout doux, ni l'un ni l'autre n'est pas toutefois totalement doux.

  A005000610 

 Or nous nous donnerons a luy selon la mesure qu'il se donnera a nous, car nous le verrons voirement tous face a face ainsy qu'il est en sa beauté, et l'aymerons de cœur a cœur ainsy qu'il est en sa bonté; mays tous toutefois ne le verront pas avec une egale clarté, ni ne l'aymeront pas avec une egale suavité, ains un chacun le verra et l'aymera selon la particuliere mesure de gloire que la divine providence luy a preparee.

  A005000610 

 Que si au Ciel, ou ces paroles, Tu aymeras le [172] Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, seront si excellemment prattiquees, on aura des si grandes differences en l'amour, ce n'est pas merveille si en cette vie mortelle il y en a beaucoup..

  A005000611 

 Apelles faysoit mieux une fois qu'autre, il se surmontoit aucunefois soy mesme, car bien qu'il mit ordinairement tout son art et toute son attention a peindre Alexandre le Grand, si est ce qu'il ne l'y mettoit pas tous-jours totalement, ni si entierement qu'il ne luy restast des autres effortz; par lesquelz il n'employoit pas ni un plus grand artifice ni une plus grande affection, mais il l'employoit plus vivement et parfaitement: il appliquoit tous-jours tout son esprit a bien faire ces tableaux d'Alexandre, parce qu'il l'appliquoit sans reserve, mais il l'appliquoit aucunefois plus fortement et plus heureusement.

  A005000612 

 Et nonobstant cela, elle ne laisse pas de dire qu'Ezechias n'eut point son semblable entre tous les roys de Juda, ni devant ni apres luy, qu'il s'unit a Dieu et [173] ne se destourna point de luy: puis, traittant de Josias, elle dit qu' il n'y eut aucun roy devant luy qui luy fust semblable, qui se retournast au Seigneur de tout son cœur, de toute son ame et de toute sa force selon toute la loy de Moyse; nul aussi apres luy ne s'esleva de semblable.

  A005000612 

 Tous troys l'aymerent un chacun de tout son cœur, mais pas un d'entr'eux, ni tous troys ensemble ne l'aymerent totalement, ains chacun en sa façon particuliere: si que, comme tous trois furent semblables en ce qu'ilz donnerent un chacun tout son cœur, aussi furent-ilz dissemblables tous trois en la maniere de le donner.

  A005000612 

 Voyes donq, Theotime, je vous prie, voyes comme David, Ezechias et Josias aymerent Dieu de tout leur cœur, et que neanmoins ilz ne l'aymerent pas tous troys egalement, puisque aucun de ces troys n'eut son semblable en cet amour, ainsy que dit le sacré Texte.

  A005000614 

 Et pourquoy avoit il servi Laban, sinon pour avoir Rachel qu'il aymoit de toutes ses forces? Il sert Laban de toutes ses forces, il sert Dieu de toutes ses forces; il ayme Rachel de toutes ses forces, il ayme Dieu de toutes ses forces: mais il n'ayme pas pour cela Rachel comme Dieu, ni Dieu comme Rachel.

  A005000619 

 encor quatre vingtz dames qui n'estoyent voirement pas reynes, mais qui pourtant avoyent part au lit royal en qualité d'honnorables et legitimes amies; et finalement, 4.

  A005000620 

 Elles sont neanmoins vivantes, animees et enplumees de l'amour, et de l'amour vray, autrement elles n'eussent pas quitté le peché; mais amour neanmoins encor foible et jeune, qui, environné d'une quantité d'autres amours, ne peut pas produire tant de fruitz comme il feroit s'il possedoit entierement le cœur.

  A005000620 

 Et comme un phœnix nouvellement esclos de sa cendre, n'ayant encor que des petites plumes fluettes et des poilz foletz, ne peut faire que des petitz eslans par lesquelz il doit estre dit sauter plustost que voler, ainsy ces tendres jeunes ames, nouvellement nees dans la cendre de leur pœnitence, ne peuvent encor pas prendre l'essor et voler au plein air de l'amour sacré, retenues dans une multitude de mauvaises inclinations et habitudes depravees que les pechés de la vie passee leur ont laissé.

  A005000621 

 Certes, comme les menus desreglemens en paroles, en gestes, en habitz, en passetems et folastreries, ne sont pas a proprement parler contre la volonté de Dieu, aussi ne sont ilz pas selon icelle, ains hors d'icelle et sans icelle..

  A005000621 

 D'autant que tout ainsy que les jeunes fillettes ayment voirement bien leurs espoux, si elles en ont, mais ne laissent pas d'aymer grandement les bagues et bagatelles, et leurs compaignes avec lesquelles elles s'amusent esperdument a jouer, danser et folastrer, s'entretenans avec les petitz oyseaux, petitz chiens, escuyrieux et autres telz jouetz, aussi ces ames jeunes et novices ayment certes bien l'Espoux sacré, mais avec une multitude de distractions et divertissemens volontaires: de sorte que l'aymant par dessus toutes choses, elles ne laissent pas [178] de s'amuser a plusieurs choses qu'elles n'ayment pas selon luy, ains outre luy, hors de luy et sans luy.

  A005000622 

 Dieu vouloit qu'Adam aymast tendrement Eve, mais non pas aussi si tendrement que pour luy complaire il violast l'ordre que sa divine Majesté luy avoit donné: il n'ayma pas donq une chose superflue ni de soy mesme dangereuse, mais il l'ayma avec superfluité et dangereusement.

  A005000622 

 Et ces ames qui n'ayment rien que ce que Dieu veut qu'elles ayment, mais qui excedent en la façon d'aymer, ayment voirement la divine Bonté sur toutes choses, mais non pas en toutes choses; car les choses mesmes qu'il leur est non seulement permis mais ordonné [179] d'aymer selon Dieu, elles ne les ayment pas seulement selon Dieu, ains pour des causes et motifs qui ne sont pas certes contre Dieu, mais bien hors de Dieu: de sorte qu'elles ressemblent au phœnix qui, ayant ses premieres plumes et commençant a se renforcer, se guinde des-ja en plein air, mais n'a pourtant encor asses de force pour demeurer longuement au vol, dont il descend souvent prendre terre pour s'y reposer.

  A005000622 

 Mays il y a des ames qui, ayant des-ja fait quelque progres en l'amour divin, ont retranché tout l'amour qu'elles avoyent aux choses dangereuses, et neanmoins ne laissent pas d'avoir des amours dangereux et superflus, parce qu'elles affectionnent avec exces et par un amour trop tendre et passionné ce que Dieu veut qu'elles ayment.

  A005000622 

 Tel fut le pauvre jeune homme qui, ayant observé les commandemens de Dieu des son bas aage, ne desiroit pas les biens d'autruy, mais il affectionnoit trop tendrement ceux qu'il avoit; c'est pourquoy, quand Nostre Seigneur luy conseilla de les donner aux pauvres, il devint tout triste et melancholique: il n'aymoit rien que ce qui luy estoit loysible d'aymer, mais il l'aymoit d'un amour superflu et trop serré..

  A005000623 

 Et pour cela elles jouissent du lit nuptial du Salomon celeste, c'est a dire des unions, des recueillemens et des repos amoureux dont il a esté parlé au Livre V et VI; mais elles n'en jouissent pas en qualité d'espouses, parce que la superfluité avec laquelle elles affectionnent les choses bonnes, fait qu'elles n'entrent pas fort souvent en ces divines unions de l'Espoux, estant occupees et diverties pour aymer hors de luy et sans luy ce qu'elles ne devroyent aymer qu'en luy et pour luy.

  A005000627 

 Or il y a des autres ames qui n'ayment ni les superfluités ni avec superfluité, ains ayment seulement ce que Dieu veut et comme Dieu veut: ames heureuses, puisqu'elles ayment Dieu, et leurs amis en Dieu, et leurs ennemis pour Dieu; elles ayment plusieurs choses avec Dieu, mais pas une sinon en Dieu et pour Dieu; c'est Dieu qu'elles ayment non seulement sur toutes choses mais en toutes choses, et toutes choses en Dieu; semblables au phœnix parfaitement rajeuni et revigoré, que l'on ne void jamais qu'en l'air ou sur les coupeaux des montz qui sont en l'air.

  A005000628 

 Ame toute pure, qui n'ayme pas mesme le Paradis sinon parce que l'Espoux y est aymé; mais Espoux si souverainement aymé en son Paradis, que s'il n'avoit point de Paradis a donner il n'en seroit ni [182] moins aymable ni moins aymé par cette courageuse amante, qui ne sçait pas aymer le Paradis de son Espoux, ains seulement son Espoux de Paradis, et qui ne prise pas moins le Calvaire tandis que son Espoux y est crucifié, que le Ciel ou il est glorifié.

  A005000628 

 Mais en fin, au dessus de toutes ces ames, il y en a une tres uniquement unique, qui est la reyne des reynes, la plus aymante, la plus aymable et la plus aymee de toutes les amies du divin Espoux, qui non seulement ayme Dieu sur toutes choses et en toutes choses, mais n'ayme que Dieu en toutes choses, de sorte qu'elle n'ayme pas plusieurs choses, ains une seule chose, qui est Dieu; et parce que c'est Dieu seul qu'elle ayme en tout ce qu'elle ayme, elle l'ayme egalement par tout, selon que le bon playsir d'iceluy le requiert, hors de toutes choses et sans toutes choses.

  A005000628 

 Or, cette sacree amante n'ayme non plus son Roy avec tout l'univers que s'il estoit tout seul sans univers, parce que tout ce qui est hors de Dieu et n'est pas Dieu ne luy est rien.

  A005000628 

 Si ce n'est qu'Hester qu'Assuerus ayme, pourquoy l'aymera-il plus lhors qu'elle est parfumee et paree que lhors qu'elle est en son habit ordinaire? Si ce n'est que mon Sauveur que j'ayme, pourquoy n'aymeray-je pas autant la montaigne de Calvaire que celle de Tabor, puisqu'il est aussi veritablement en l'une qu'en l'autre? et pourquoy ne diray je pas aussi cordialement en l'une comme en l'autre: Il est bon d'estre icy? J'ayme le Sauveur en Egypte sans aymer l'Egypte; pourquoy ne l'aymeray-je pas au festin de Simon le Lepreux sans aymer le festin? et si je l'ayme entre les blasphemes qu'on respand sur luy sans aymer les blasphemes, pourquoy ne l'aymeray-je pas parfumé de l' unguent pretieux de Magdeleyne sans aymer ni l'unguent ni la senteur? C'est le vray signe que nous n'aymons que Dieu en toutes choses quand nous l'aymons egalement en toutes choses, puisqu'estant tous-jours egal a soy mesme, l'inegalité de nostre amour envers luy ne peut avoir origine que de la consideration de quelque chose qui n'est pas luy.

  A005000634 

 Ames rares et singulieres, qui n'ont plus aucune ressemblance avec les oyseaux dé ce monde, non pas mesme avec le phœnix, qui est si uniquement rare; ains sont seulement representees par cet oyseau que pour son excellente beauté et noblesse on dit n'estre pas de ce monde, ains du Paradis, dont il porte le nom: car ce bel oyseau desdaignant la terre, ne la touche jamais, vivant tous-jours en l'air; de sorte que lhors mesme qu'il veut se delasser, il ne s'attache aux arbres que par des petitz filetz ausquelz il demeure suspendu en l'air, hors duquel et sans lequel il ne peut ni voler ni reposer.

  A005000634 

 Et celuy qui s'escrioit: J'ay estimé toutes choses boüe et fange affin de m'acquerir Jesus Christ, ne tesmoigna-il pas qu'il n'aymoit rien hors de son Maistre, [183] et qu'il aymoit son Maistre hors de toutes choses? Et quel pouvoit estre le sentiment de ce grand amant qui souspiroit toute la nuit: «Mon Dieu est pour moy toutes choses?» Telz furent saint Augustin, saint Bernard, les deux saintes Catherines, de Sienne et de Gennes, et plusieurs autres, a l'imitation desquelz un chacun peut aspirer a ce divin degré d'amour.

  A005000634 

 Et de mesme, ces grandes ames n'ayment pas, a proprement parler, les creaturès en elles mesmes, ains en leur Createur, et leur Createur en icelles: que si elles s'attachent par la loy de la charité a quelque creature, ce n'est que pour se reposer en Dieu, unique et finale pretention de leur amour; si que, treuvant Dieu es creatures et les creatures en Dieu, elles ayment Dieu et non les creatures, comme ceux peschent aux perles qui, treuvans les perles dans les ouïstres, n'estiment toutefois leur pesche que pour les seules perles..

  A005000635 

 Et de mesme il arrive quelquefois aux ames qui sont au rang des uniques et parfaites amantes, qu'elles se demettent et relaschent bien fort, voire mesme jusques a commettre des grandes imperfections et des fascheux pechés venielz; comme on void en plusieurs dissentions asses aigres, survenues entre des grans serviteurs de Dieu, ouï mesme entre quelques uns des divins Apostres, que l'on ne peut nier estre tumbés en quelques imperfections, par lesquelles la charité n'estoit pas certes violee, mais ouy bien toutefois la ferveur d'icelle.

  A005000635 

 Et lhors il faut confesser que ces arbres sont fructueux, autrement ilz ne seroyent pas bons; mais il ne faut pas nier non plus que quelques uns de leurs fruitz ne soyent infructueux, car qui niera que les chatons et le guy des arbres ne soit un fruit infructueux? Et qui niera que les menues choleres et les petitz exces de joye, de risee, de vanité et autres telles passions, ne soyent des mouvemens inutiles et illegitimes? et toutefois le juste en produit sept fois le jour, c'est a dire bien souvent.

  A005000635 

 Les ames qui, comme jeunes filles, sont encor [184] embarrassees de plusieurs affections vaines et dangereuses, ne laissent pas d'avoir quelquefois des sentimens de l'amour plus pur et supreme; mais parce que ce ne sont que des eloyses et esclairs passagers, on ne peut pas dire que ces ames soyent pour cela hors de l'estat des jeunes filles novices et apprentisses.

  A005000635 

 Or, d'autant neanmoins que ces grandes ames aymoient pour l'ordinaire Dieu de l'amour parfaitement pur, on ne doit pas laisser de dire qu'elles ont esté en l'estat de la parfaite dilection: car, comme nous voyons que les bons arbres ne produisent jamais aucun fruit veneneux, mais ouï bien du fruit verd ou vereux et taré, du guy et de la mousse, ainsy les grans Saintz ne produisent jamais aucun peché mortel, mais ouï bien des actions inutiles, mal meures, aspres, rudes et mal assaysonnees.

  A005000640 

 Car, bien que la dilection soit un amour, si est ce qu'elle n'est pas un simple amour, ains un amour accompaigné de choix et d'election, ainsy que la parole mesme le porte, comme remarque le tres glorieux saint Thomas; car ce commandement nous enjoint un amour esleu entre mille, comme le Bienaymé de cet amour est exquis entre mille, ainsy que la bienaymee Sulamite l'a remarqué au Cantique.

  A005000641 

 Or, ne voyes vous pas, Theotime, que quicomque ayme Dieu de cette sorte, il a toute son ame et toute sa force dediee a Dieu? puisque tous-jours et a jamais, en toutes occurrences, il preferera la bonne grace de Dieu a toutes choses, et sera tous-jours prest de quitter tout l'univers pour conserver l'amour qu'il doit a la divine Bonté.

  A005000641 

 Qui aymeroit son pere d'un amour seulement fraternel, certes il ne l'aymeroit pas asses; qui aymeroit sa femme seulement comme son pere, il ne l'aymeroit pas convenablement; qui aymeroit son laquais de l'amour filial, il commettroit une impertinence.

  A005000645 

 On ne connoist pas tous-jours clairement, ni jamais tout a fait certainement, au moins «d'une certitude de foy,» si on a le vray amour de Dieu requis pour estre sauvé; mais on ne laisse pas pourtant d'en avoir plusieurs marques, entre lesquelles la plus asseuree et presque infallible paroist quand quelque grand amour des creatures s'oppose aux desseins de l'amour de Dieu: car alhors, si l'amour divin est en l'ame, il fait paroistre la grandeur du credit et de l'authorité qu'il a sur la volonté, monstrant par effect que non seulement il n'a point de maistre, mais que mesme il n'a point de compaignon, reprimant et renversant tout ce qui le contrarie, et se faisant obeir en ses intentions.

  A005000647 

 Et la sacree dilection, toutefois, ne laisse pas d'exceller au dessus de tous les autres amours, ainsy que les evenemens font voir quand la creature s'oppose au Createur; car alhors nous prenons le parti de la dilection sacree et luy sousmettons toutes nos autres affections..

  A005000647 

 Mais quand ce vint a mettre ces deux amours en comparayson, le bon Abraham fit bien voir lequel estoit le plus fort; car Sarai ne luy eut pas plus tost remonstré qu'Agar la mesprisoit, qu'il luy respondit: Agar ta chambriere est en ta puissance, fais-en comme tu voudras; si que Sarai affligea des lhors tellement cette pauvre Agar qu'elle fut contrainte de se retirer.

  A005000648 

 Une once de baume ne respandra pas tant d'odeur qu'une livre d'huile d'aspic, mais la senteur du baume sera tous-jours meilleure et plus aymable.

  A005000649 

 Ainsy, quand un cœur ayme Dieu en consideration de son infinie bonté, pour peu qu'il ayt de cette excellente dilection, il preferera la volonté de Dieu a toutes choses, et en toutes les occasions qui se presenteront il quittera tout pour se conserver en la grace de la souveraine Bonté, sans que chose quelconque l'en puisse separer: de sorte qu'encor que ce divin amour ne presse ni n'attendrisse tous-jours pas tant le cœur comme les autres amours, si est ce qu'es occurrences il fait des actions si relevees et excellentes qu'une seule vaut mieux que dix millions d'autres.

  A005000653 

 Et je dis ainsy avec un si grand soin, parce qu'il se treuve des personnes qui quitteroyent courageusement les biens, l'honneur et la vie propre pour Nostre Seigneur, lesquelles neanmoins ne quitteroyent pas pour luy quelqu'autre chose de beaucoup moindre consideration..

  A005000655 

 Ce que Nicephore n'eut pas plus tost apperceu, que soudain il accourut, et ayant rencontré son Saprice, se prosternant en terre: Helas, crioit il a haute voix, «o martyr de Jesus Christ, pardonnés moy, car je vous ay offencé!» Dequoy Saprice ne tenant conte, le pauvre Nicephore, gaignant vistement le devant par une autre rue, vint derechef en mesme humilité, le conjurant de luy pardonner, en ces termes: «O martyr de Jesus Christ, pardonnes l'offence que je vous ay faite, comme homme que je suis, sujet a faillir; car voyla que des-ormais une couronne vous est donnee par Nostre Seigneur que vous n'aves point renié, ains aves confessé son saint nom devant plusieurs tesmoins.» Mais Saprice, continuant en sa fierté, ne luy respondit pas un seul mot, ains les bourreaux seulement, admirans la perseverance de Nicephore: «Onques,» luy dirent ilz, «nous ne vismes un si grand fol; cet homme va mourir tout maintenant, qu'as-tu besoin de son pardon?» A quoy respondant Nicephore: «Vous ne sçaves pas,» dit il, «ce que je demande au confesseur de Jesus Christ, mais Dieu le sçait.» [193] Or tandis Saprice arriva au lieu du supplice, ou Nicephore derechef s'estant jette en terre devant luy: «Je vous supplie,» faisoit-il, «o martyr de Jesus Christ, de me vouloir pardonner, car il est escrit: Demandés, et il vous sera octroyé.» Paroles lesquelles ne sceurent onques fleschir le cœur felon et rebelle du miserable Saprice qui, refusant obstinement de faire misericorde a son prochain, fut aussi par le juste jugement de Dieu privé de la tres glorieuse palme du martyre; car les bourreaux luy commandans de se mettre a genoux affin de luy trancher la teste, il commença a perdre courage et de capituler avec eux, jusques a leur faire en fin finale cette deplorable et honteuse sousmission: «Hé, de grace, ne me coupés pas la teste, je m'en vay faire ce que les Empereurs ordonnent, et sacrifier aux idoles.» Ce que oyant le pauvre bon Nicephore, la larme a l'œil, il se print a crier: «Ah, mon cher frere, ne veuilles pas, je vous prie, ne veuilles pas transgresser la loy et renier Jesus Christ; ne le quittes pas, je vous supplie, et ne perdes pas la celeste couronne que vous aves acquise par tant de travaux et de tourmens.» Mais helas! ce lamentable prestre, venant a l'autel du martyre pour y consacrer sa vie a Dieu eternel, ne s'estoit pas souvenu de ce que le Prince des Martyrs avoit dit: Si tu apportes ton offrande a l'autel, et tu te resouviens, y estant, que ton frere a quelque chose contre toy, laisse la ton offrande, et va premierement te reconcilier a ton frere, et alhors revenant, tu presenteras ton oblation.

  A005000657 

 Comme peut vouloir mourir pour Dieu celuy qui ne veut pas vivre selon Dieu?.

  A005000657 

 Il est donq vray, mon Theotime, que ce ne nous est pas asses d'aymer Dieu plus que nostre propre vie, si nous ne l'aymons generalement, absolument et sans exception quelconque, plus que tout ce que nous affectionnons ou pouvons affectionner.

  A005000657 

 Mais, ce me dires vous, Nostre Seigneur a-il pas assigné l'extremité de l'amour qu'on peut avoir pour luy, quand il dit que plus grande charité ne peut-on avoir que d'exposer sa vie pour ses amis? Il est certes vray, Theotime, qu'entre les particuliers actes et tesmoignages de l'amour divin il n'y en a point de si grand que de subir la mort pour la gloire de Dieu; neanmoins il est vray aussi que ce n'est qu'un seul acte et un seul tesmoignage, qui est voirement le chef d'œuvre de la charité, mais outre lequel il y en a aussi plusieurs autres que la charité [195] requiert de nous, et les requiert d'autant plus ardemment et fortement que ce sont des actes plus aysés, plus communs et ordinaires a tous les amans, et plus generalement necessaires a la conservation de l'amour sacré.

  A005000657 

 O miserable Saprice, oseries vous bien dire que vous aymies Dieu comme il faut aymer Dieu, puisque vous ne preferies pas sa volonté a la passion de la hayne et rancune que vous avies contre le pauvre Nicephore? Vouloir mourir pour Dieu c'est le plus grand, mais non pas certes le seul acte de la dilection que nous devons a Dieu; et vouloir ce seul acte en rejettant les autres, ce n'est pas charité, c'est vanité.

  A005000658 

 Combien y a-il de gens qui mourroyent volontier pour leurs amis, qui neanmoins ne voudroyent pas vivre en leur service et obeir a leurs autres volontés? Tel expose [196] sa vie, qui n'exposeroit pas sa bourse.

  A005000662 

 Vous sçaves, Theotime, quelles furent les amours de Jacob pour sa Rachel; et que ne fit il pas pour en tesmoigner la grandeur, la force et la fidelité, des lhors qu'il l'eut saluee aupres du puitz de l'abbreuvoir? Car jamais onques plus il ne cessa de mourir d'amour pour elle; et pour l'avoir en mariage il servit avec une ardeur nompareille sept ans entiers, luy estant encor advis que ce ne fut rien, tant l'amour adoucissoit les travaux qu'il supportoit pour cette bienaymee, de laquelle estant par apres frustré, il servit derechef encor sept ans durant pour l'obtenir, tant il estoit constant, loyal et courageux en sa dilection.

  A005000663 

 Car dites la verité, Theotime; fut-ce pas une estrange et tres volage legereté en Rachel, de preferer un bouquet de petites pommes aux chastes amours d'un si aymable mari? Si c'eust esté pour des royaumes, pour des monarchies; mais pour une chetifve poignee de mandragores! Theotime, que vous en semble?.

  A005000666 

 N'est ce pas une lamentable merveille de voir David, si grand a surmonter la hayne, si courageux a pardonner l'injure, estre neanmoins si furieusement injurieux en l'amour, que non content de posseder justement une grande multitude de femmes, il va iniquement usurper et ravir celle du pauvre Urie, et, par une lascheté insupportable, affin de prendre plus a souhait l'amour de la femme, il donne cruellement la mort au mari? Qui n'admirera le cœur de saint Pierre, si hardi entre les soldatz armés que luy seul de toute la trouppe de son Maistre met le fer au poing et frappe, puis, peu apres, est si couard entre les femmes, qu'a la seule parole d'une servante il renie et deteste son Maistre? Et comme peut on treuver si estrange que Rachel quittast les caresses de son Jacob pour des pommes [199] de mandragore, puisqu'Adam et Eve quitterent bien la grace pour une pomme qu'un serpent leur offre a manger?.

  A005000667 

 Celuy qui a dit: Tu ne tueras point, a dit aussi: Tu ne seras point luxurieux; que si tu ne tues point, mais tu commetz la luxure, ce n'est donq pas pour l'amour de Dieu que tu ne tues pas, ains c'est par quelqu'autre motif qui te fait choisir ce commandement plustost que l'autre: choix qui fait l'heresie en matiere de charité.

  A005000667 

 Si quelqu'un me disoit qu'il ne me veut pas couper un bras pour l'amour qu'il me porte, et neanmoins me venoit arracher un œil, ou me rompre la teste, ou me percer le cors de part en part: Hé, ce dirois-je, comme me dites vous que c'est par amour que vous ne me coupes pas un bras, puisque vous m'arraches un œil qui ne m'est pas moins pretieux, ou que vous me donnes de vostre espee a travers le cors, qui m'est encores plus dangereux? C'est une maxime, que «le bien provient d'une cause vrayement entiere, et le mal de chasque defaut.» Pour faire un acte de vraye charité, il faut qu'il procede d'un amour entier, general et universel, qui s'estende a tous les commandemens divins; que si nous manquons d'amour en un seul commandement, nostre amour n'est plus entier ni universel, et le cœur dans lequel il est ne peut estre dit vrayement amant, ni par consequent vrayement bon.

  A005000671 

 Aristote a eu rayson de dire que le bien est voirement aymable, mays a un chacun principalement son bien propre, de sorte que l'amour que nous avons envers autruy provient de celuy que nous avons envers nous mesmes; car comme pouvoit dire autre chose un philosophe qui non seulement n'ayma pas Dieu, mays ne parla mesme presque jamais de l'amour de Dieu? Amour de Dieu neanmoins qui precede tout amour de nous mesmes, voire selon l'inclination naturelle de nostre volonté, ainsy que j'ay declairé au premier Livre..

  A005000673 

 Mais en cette vie mortelle, Theotime, nous ne sommes pas necessités de l'aymer si souverainement, d'autant que nous ne le connoissons pas si clairement.

  A005000673 

 Mais icy bas en terre, ou nous ne voyons pas cette souveraine bonté en sa beauté, ains l'entrevoyons seulement entre nos obscurités, nous sommes a la verité inclinés et allechés, mais non pas necessités de l'aymer plus que nous mesmes; ains plustost, au contraire, quoy que nous ayons cette sainte inclination naturelle d'aymer la Divinité sur toutes choses, nous n'avons pas neanmoins la force de la prattiquer, si cette mesme Divinité ne respand surnaturellement dans nos cœurs sa tressainte charité..

  A005000674 

 Hé, de grace, Theotime, la volonté toute destinee a l'amour du bien, comme en pourroit elle tant soit peu connoistre un souverain, sans estre de mesme tant soit peu inclinee a l'aymer souverainement? Entre tous les biens qui ne sont pas infinis, nostre volonté preferera tous-jours en son amour celuy qui luy est plus proche, et sur tout le sien propre; mais il y a si peu de proportion entre l'infini et le fini, que nostre volonté qui connoist un bien infini est sans doute esbranlee, inclinee et incitee de preferer l'amitié de l'abisme de cette bonté infinie a toute sorte d'autre amour et a celuy la encor de nous mesme..

  A005000677 

 Mais quant a nous, Theotime, mon cher ami, nous voyons bien que nous ne pouvons pas estre vrays hommes sans avoir inclination d'aymer Dieu plus que nous mesmes, ni vrays Chrestiens sans prattiquer cette inclination: aymons plus que nous mesmes Celuy qui nous est plus que tout et plus que nous mesmes.

  A005000677 

 Mais si, par imagination de chose impossible, il y avoit une infinie bonté a laquelle nous n'eussions nulle sorte d'appartenance et avec laquelle nous ne peussions avoir aucune union ni communication, nous l'estimerions certes plus que nous mesmes; car nous connoistrions qu'estant infinie, elle seroit plus estimable et aymable que nous, et par consequent nous pourrions faire des simples souhaitz de la pouvoir aymer: mais, a proprement parler, nous ne l'aymerions pas, puisque l'amour regarde l'union; et beaucoup moins pourrions nous avoir la charité envers elle, puisque la charité est une amitié et l'amitié ne peut estre que reciproque, ayant pour fondement la communication et pour fin l'union.

  A005000682 

 Le jeune Tobie, accompaigné de l'ange Raphaël, ayant abordé Raguel son parent, auquel neanmoins il estoit inconneu, Raguel ne l'eut pas plus tost regardé, dit l'Escriture, que se retournant devers Anne, sa femme: Tenes, dit il, voyes combien ce jeune, homme est semblable a mon cousin.

  A005000682 

 Ne remarques vous pas que Raguel, sans connoistre le petit Tobie, l'embrasse, le caresse, le bayse, pleure d'amour sur luy? D'ou provient cet amour sinon de celuy qu'il portoit au viel Tobie le pere, que cet enfant ressembloit si fort? Beni sois tu, dit il: mays pourquoy? non point, certes, [205] parce que tu es un bon jeune homme, car cela je ne le sçay pas encor, mays parce que tu es filz et ressembles a ton pere, qui est un tres homme de bien..

  A005000683 

 Hé, vray Dieu, Theotime, quand nous voyons un prochain creé a l'image et semblance de Dieu, ne devrions-nous pas dire les uns aux autres: Tenes, voyes cette creature, comme elle ressemble au Createur? ne devrions-nous pas nous jetter sur son visage, la caresser et pleurer d'amour pour elle? ne devrions-nous pas luy donner mille et mille benedictions? Et quoy donq? pour l'amour d'elle? Non certes, car nous ne sçavons pas si elle est digne d'amour ou de hayne en elle mesme.

  A005000688 

 Comme l'amour tend au bien de la chose aymee, ou s'y complaysant si elle l'a, ou le luy desirant et pourchassant si elle ne l'a pas, aussi il produit la hayne, par laquelle il fuit le mal contraire a la chose aymee, ou desirant et pourchassant de l'esloigner d'icelle si elle l'a des-ja, ou le divertissant et empeschant de venir si elle ne l'a pas encor: que si le mal ne peut ni estre empesché ni estre esloigné, l'amour au moins ne laisse pas de le faire haïr et detester.

  A005000689 

 C'est pourquoy l'ardeur ou zele que nous avons d'estre aymés ne peut souffrir que nous ayons des rivaux et compaignons; et si nous nous imaginons d'en avoir, nous entrons soudain en la passion de jalousie, laquelle, certes, a bien quelque ressemblance avec l'envie, mays ne laisse pas pour cela d'estre fort differente d'avec elle..

  A005000690 

 L'envie est tous-jours injuste, mays la jalousie est quelquefois juste, pourveu qu'elle soit moderee; car les mariés, par exemple, n'ont ilz pas rayson d'empescher que leur amitié ne reçoive diminution par le partage? 2.

  A005000690 

 Mays la jalousie n'est nullement marrie que le prochain ayt du bien, pourveu que ce ne soit pas le nostre; car le jaloux ne seroit pas marri que son compaignon fust aymé des autres femmes, pourveu que ce ne fust pas de la sienne, voire mesme, a proprement parler, on n'est pas jaloux d'un rival sinon apres qu'on estime d'avoir acquise l'amitié de la personne aymee: que si avant cela il y a quelque [208] passion, ce n'est pas jalousie, mais envie.

  A005000690 

 Nous ne presupposons pas de l'imperfection en celuy que nous envions, ains au contraire nous l'estimons avoir le bien que nous luy envions; mais nous presupposons bien que la personne de laquelle nous sommes jaloux soit imparfaite, changeante, corruptible et variable.

  A005000690 

 Que si quelquefois on est envieux de l'amour qui est porté a quelqu'un, ce n'est pas pour l'amour, ains pour les fruitz qui en dependent: un envieux se soucie peu que son compaignon soit aymé du prince, pourveu qu'il ne soit pas favorisé ni gratifié es occurrences..

  A005000694 

 Et si, il a rayson, ce grand Dieu tout uniquement bon, de vouloir tres parfaitement tout nostre cœur, [209] car nous avons un cœur petit, qui ne peut pas asses fournir d'amour pour aymer dignement la divine Bonté: n'est-il pas donques convenable que, ne luy pouvant donner tout l'amour qu'il seroit requis, il luy donne pour le moins tout celuy qu'il peut? Le bien qui est souverainement aymable ne doit-il pas estre souverainement aymé? Or, aymer souverainement, c'est aymer totalement..

  A005000695 

 Cette jalousie neanmoins que Dieu a pour nous, n'est pas en effect une jalousie de convoytise, ains de souveraine amitié; car ce n'est pas son interest que nous l'aymions, c'est le nostre.

  A005000695 

 Voyés un peu, Theotime, je vous prie, comme ce divin Amant exprime delicatement la noblesse et generosité de sa jalousie: Ilz m'ont laissé, dit-il, moy qui suis la source d'eau vive; comme s'il disoit: Je ne me plains pas dequoy ilz m'ont quitté, pour aucun dommage que leur abandonnement me puisse apporter; car quel dommage peut recevoir une source vive si on n'y vient pas puiser de l'eau? laissera-elle pour cela de ruisseler et flotter sur la terre? mais je regrette leur malheur, dequoy m'ayant laissé, ilz se sont amusés a des puitz sans eaux.

  A005000696 

 Et la rayson de cette demande de l'Amant divin est que, comme la mort est si forte qu'elle separe l'ame de toutes choses et de son cors mesme, aussi l'amour sacré, parvenu jusques au degré du zele, divise et esloigne l'ame de toutes autres affections et l'espure de tout meslange; d'autant qu'il n'est pas seulement aussi fort que la mort, ains il est aspre, inexorable, dur et impiteux a chastier le tort qu'on luy fait quand on reçoit avec luy des rivaux, comme l'enfer est violent a punir les damnés: et tout ainsy que l'enfer, plein d'horreur, de rage et de felonnie, ne reçoit aucun meslange d'amour, aussi l'amour jaloux ne reçoit aucun meslange d'autre affection, voulant que tout soit pour le Bienaymé.

  A005000696 

 Et pour ne jouïr pas seulement des affections de nostre cœur, ains aussi des effectz et operations de nos mains, il veut estre encor comme un cachet sur nostre bras droit, affin qu'il ne s'estende et ne soit employé que pour les œuvres de son service.

  A005000696 

 Sulamite, certes, avoit son coeur tout plein de l'amour celeste de son cher Amant, lequel, quoy qu'il ayt tout, ne se contente pas, mais par une sacree desfiance de jalousie veut encor estre sur le cœur qu'il possede, et le cachetter de soy mesme, affin que rien ne sorte de l'amour qui y est pour luy et que rien n'y entre qui puisse y faire du meslange; car il n'est pas assouvi de l'affection dont l'ame de sa Sulamite est comblee, si elle n'est invariable, toute pure, toute unique pour luy.

  A005000697 

 Cette petite distraction survenue a l'improuveu ne fut pas un peché ni une infidelité, ains une seule ombre de peché et une seule image d'infidelité; et neanmoins la tressainte Mere de l'Espoux celeste l'en tança si fort, et le glorieux saint Paul luy en fit une si grande confusion, qu'elle pensa fondre en larmes.

  A005000697 

 Un jour sainte Catherine de Sienne estoit en un ravissement qui ne luy ostoit pas l'usage des sens, et tandis que Dieu luy faisoit voir des merveilles, un sien frere passa pres d'elle, qui faysant du bruit la divertit, en sorte qu'elle se retourna pour le regarder un seul petit moment.

  A005000698 

 C'est pourquoy elle n'est pas jalouse d'une jalousie interessee, mais d'une jalousie pure, qui ne procede d'aucune convoitise, ains d'une noble et simple amitié: jalousie laquelle par apres s'estend jusques au prochain, avec l'amour duquel elle procede; car, puisque nous aymons le prochain pour Dieu comme nous mesmes, nous sommes aussi jaloux de luy pour Dieu comme nous le sommes de nous mesmes, de sorte que nous voudrions bien mourir pour l'empescher de perir..

  A005000698 

 Celles la craignent, et celles ci aussi, mais differemment, dit saint Augustin: la chaste espouse craint l'absence de son espoux, l'adultere craint la presence du sien; «celle la craint qu'il s'en aille, et celle ci craint qu'il [212] demeure;» celle la est si fort amoureuse qu'elle en est toute jalouse, celle ci n'est point jalouse parce qu'elle n'est pas amoureuse; celle ci craint d'estre chastiee, et celle la craint de n'estre pas asses aymee, ains, en verité, elle ne craint pas a proprement parler de n'estre pas aymee, comme font les autres jalouses qui s'ayment elles mesmes et veulent estre aymees, mais elle craint de n'aymer pas asses Celuy qu'elle void estre tant aymable que nul ne le peut asses dignement aymer selon la grandeur de l'amour qu'il merite, ainsy que j'ay dit n'a guere.

  A005000698 

 Mais, Theotime, qui veut voir cette jalousie delicatement et excellemment exprimee, il faut qu'il lise les enseignemens que la seraphique sainte Catherine de Gennes a faitz pour declarer les proprietés du pur amour, entre lesquelles elle inculque et presse fort celle-ci: que l'amour parfait, c'est a dire l'amour estant parvenu jusques au zele, ne peut souffrir l'entremise ou interposition, ni le meslange d'aucune autre chose, non pas mesme des dons de Dieu, voire jusques a cette rigueur, qu'il ne permet pas qu'on affectionne le Paradis sinon pour y aymer plus parfaitement la bonté de Celuy qui le donne; de sorte que les lampes de ce pur amour n'ont point d'huile, de lumignon ni de fumee, elles sont toutes feu et flamme que rien du monde ne peut esteindre; et ceux qui ont ces lampes ardentes en leurs mains, ont la tressainte crainte des chastes espouses, non pas celle des femmes adulteres.

  A005000699 

 Or, comme le zele est une ardeur enflammee ou une inflammation ardente de l'amour, il a aussi besoin d'estre sagement et prudemment prattiqué; autrement, sous pretexte d'iceluy, on violeroit les termes de la modestie ou discretion, et seroit aysé de passer du zele a la cholere et d'une juste affection a une inique passion: c'est pourquoy, n'estant pas ici le lieu de marquer les conditions du zele, mon Theotime, je vous advertis que pour l'execution d'iceluy vous ayes tous-jours recours a celuy que Dieu vous a donné pour vostre conduite en la vie devote.

  A005000703 

 Un chevalier desira qu'un peintre fameux luy fit un cheval courant, et le peintre le luy ayant presenté sur le dos et comme se vautrant, le chevalier commençoit a se courroucer, quand le peintre retournant l'image sans dessus dessous: Ne vous fasches pas, monsieur, dit-il; pour changer la posture d'un cheval courant en celle d'un cheval vautrant, il ne faut que renverser le tableau.

  A005000704 

 Imagines vous, Theotime, la comparayson qu'il y a entre ceux qui jouissent de la lumiere du soleil et ceux qui n'ont que la petite clarté d'une lampe: ceux la ne sont point envieux ni jaloux les uns des autres, car ilz sçavent bien que cette lumiere la est tres suffisante pour tous, que la jouissance de l'un n'empesche point la jouissance de l'autre, et que chacun ne la possede pas moins, encor que tous la possedent generalement, que si un chacun luy seul la possedoit en particulier; mays quant a la clarté d'une lampe, parce qu'elle est petite, courte et insuffisante pour plusieurs, chacun la veut avoir en sa chambre, et qui l'a est envié des autres.

  A005000704 

 Le soleil ne regarde pas moins une rose avec mille millions d'autres fleurs que s'il ne regardoit qu'elle seule; et Dieu ne respand pas moins son amour sur une ame, encor qu'il en ayme une infinité d'autres, que s'il n'aymoit que celle la seule, la force de sa dilection ne diminuant point pour la multitude des rayons qu'elle respand, ains demeurant tous-jours toute pleine de son immensité..

  A005000705 

 Ceux que vous haïsses, o Seigneur, ne les haïssois-je pas, et ne sechois-je pas de regret sur vos ennemis? Mon zele m'a fait pasmer, parce que mes ennemis ont oublié vos paroles.

  A005000705 

 Voyes, je vous prie, Theotime, ce grand Roy, de quel zele il est animé, et comme il employe les passions de son ame au service de la sainte jalousie: il ne hait pas simplement l'iniquité, mays il l'abomine, il seche de detresse en la voyant, il tumbe en defaillance et definement de cœur, il la persecute, il la renverse et l'extermine.

  A005000706 

 Cette jalousie, Theotime, faisoit mourir et pasmer tous les jours ce saint Apostre: Je meurs, dit-il, tous les jours pour vostre gloire; Qui est infirme, que je ne sois aussi infirme? qui est scandalisé, que je ne brusle? Voyés, disent les Anciens, voyés quel amour, quel soin et quelle jalousie une mere-poule a pour ses poussins (car Nostre Seigneur n'a pas estimé cette comparayson indigne de son Evangile).

  A005000706 

 La poule est une poule, c'est a dire un animal sans courage ni generosité quelcomque, tandis qu'elle n'est pas mere; mais quand elle l'est devenue elle a un cœur de lion, tous-jours la teste levee, [216] tous-jours les yeux hagards, tous-jours elle va roulant sa veüe de toutes pars, pour peu qu'il y ait apparence de peril pour ses petitz; il n'y a ennemi aux yeux duquel elle ne se jette pour la defense de sa chere couvee, pour laquelle elle a un souci continuel qui la fait tous-jours aller glossant et plaignant: que si quelqu'un de ses poussins perit, quelz regretz! quelle cholere! C'est la jalousie des peres et meres pour leurs enfans, des pasteurs pour leurs ouailles, des freres pour leurs freres.

  A005000707 

 Elle craint de n'estre pas toute a son sacré Berger, et d'estre tant soit peu amusee apres ceux qui se veulent rendre ses rivaux; car elle ne veut qu'en façon du monde les playsirs, les honneurs et les biens exterieurs puissent occuper un seul brin de son amour, qu'elle a tout dedié a son cher Sauveur.

  A005000707 

 En la jalousie humaine nous craignons que la chose aymee ne soit possedee par quelqu'autre; mais le zele que nous avons envers Dieu fait que, au contraire, nous redoutons sur toutes choses que nous ne soyons pas asses entierement possedés par iceluy.

  A005000707 

 La jalousie humaine nous fait apprehender de n'estre pas asses aymés; la jalousie chrestienne nous met en peyne de n'aymer pas asses.

  A005000711 

 Ce bon pere de famille que Nostre Seigneur descrit en l'Evangile, conneut bien que les serviteurs ardens et violens sont coustumiers d'outrepasser l'intention de leur maistre; car les siens s'offrans a luy pour aller sarcler son champ affin d'en arracher l'ivroÿe: Non, leur dit-il, je ne le veux pas, de peur que d'adventure avec l'ivroye vous ne tiries aussi le froment..

  A005000711 

 Non pas certes que le divin amour, pour vehement qu'il soit, puisse estre excessif en soy mesme ni es mouvemens ou inclinations qu'il donne aux espritz; mays parce qu'il employe a l'execution de ses projetz l'entendement, luy ordonnant de chercher les moyens de les faire reuscir, et la hardiesse ou cholere pour surmonter les difficultés qu'il rencontre, il advient tres souvent que l'entendement propose et fait prendre des voyes trop aspres et violentes, et que la cholere ou audace, estant une fois esmeüe et ne se pouvant contenir dedans les limites de la rayson, emporte le cœur dans le desordre: en sorte que le zele est, par ce moyen, exercé indiscrettement et desreglement, qui le rend mauvais et blasmable.

  A005000712 

 Or, ce n'est pas bon mesnage, disent nos gens des chams, de tenir des paons en la mayson, car encor qu'ilz chassent aux araignes et en desfont le logis, ilz gastent toutefois tant les couvertz et les toictz que leur utilité n'est pas comparable au grand degast qu'ilz font.

  A005000714 

 Or, ayant fait ce bel exploit de zele il ne s'arresta pas la, mais en fit grande feste au grand saint Denis Areopagite par une lettre qu'il luy en escrivit, de laquelle il receut une excellente responce, digne de l'esprit apostolique dont ce grand disciple de saint Paul estoit animé: car il luy fit voir clairement que son zele avoit esté indiscret, imprudent et impudent tout ensemble, d'autant qu'encor que le zele de l'honneur deu aux choses saintes soit bon et louable, si est ce qu'il avoit esté prattiqué contre toute rayson, sans consideration ni jugement quelcomque, puisqu'il avoit employé les coups de pieds, les outrages, injures et reproches, en un lieu, en une occasion et contre des personnes qu'il devoit honnorer, aymer et respecter; si que le zele ne pouvoit estre bon, estant exercé avec un si grand desordre.

  A005000715 

 [220] Carpus, homme eminent en pureté et sainteté de vie, et lequel il y a grande apparence avoir esté Evesque de Candie, en conceut un si grand courroux qu'onques il n'en avoit souffert de tel; et se laissa porter si avant en cette passion que, s'estant levé a la minuit pour prier selon sa coustume, il concluoit a part soy qu'il n'estoit pas raysonnable que les hommes impies vescussent davantage, priant par grande indignation la divine Justice de faire mourir d'un coup de foudre ces deux pecheurs ensemble, le payen seducteur et le Chrestien seduit.

  A005000716 

 Ainsy y a-il des personnes qui ne pensent pas qu'on puisse avoir beaucoup de zele si on n'a beaucoup de cholere, n'estimans pas de pouvoir rien accommoder s'ilz ne gastent tout; bien qu'au contraire, le vray zele ne se serve presque jamais de la cholere, car, comme on n'applique pas le fer et le feu aux malades que lhors qu'on ne peut faire autrement, aussi le saint zele n'employe la cholere qu'es extremes necessités.

  A005000720 

 Mais nous autres, qui sommes presque tous des certaines petites gens, nous n'avons pas tant de pouvoir sur nos mouvemens; nostre cheval n'est pas si bien dressé que nous le puissions pousser et faire parer a nostre guise.

  A005000721 

 Or un jour que Nostre Seigneur passoit en Samarie, il envoya en une ville pour y faire prendre son logis, mais les habitans, sachans que Nostre Seigneur estoit Juif de nation et qu'il alloit en Hierusalem, ne le volurent pas loger; ce que voyans saint Jean et saint Jaques, ilz dirent a Nostre Seigneur: Voules vous que nous commandions au feu qu'il descende et qu'il les brusle? Et Nostre Seigneur, se retournant devers eux, les tança, disant: Vous ne sçaves de quel esprit vous estes; le Filz de l'homme n'est pas venu pour perdre les ames, mais pour les sauver..

  A005000721 

 Saint Denis, parlant a ce Demophile qui vouloit donner le nom de zele a sa rage et furie: Celuy, dit il, qui veut corriger les autres, doit premierement «avoir soin d'empescher que la cholere ne deboute la rayson de l'empire et domination que Dieu luy a donné en l'ame, et qu'elle n'excite une revolte, sedition et confusion dans nous mesmes; de façon que nous n'appreuvons pas vos impetuosités poussees d'un zele indiscret, quand mille fois vous repeteries Phinees et Helie, car telles paroles ne pleurent pas a Jesus Christ quand elles luy furent dites par ses Disciples, qui n'avoyent pas encor participe de ce doux et benin esprit.» Phinees, Theotime, voyant un certain malheureux Israëlite offencer Dieu avec une Moabite, il les tua tous deux; Helie avoit predit la mort d'Ochosias, lequel, indigné de cette prediction, envoya deux capitaines l'un apres l'autre, avec chacun cinquante soldatz pour le prendre, et l'homme de Dieu fit descendre le feu du ciel qui les devora.

  A005000722 

 Ce n'est pas le fait de tout le monde de sçavoir se courroucer quand il faut et comme il faut..

  A005000724 

 Parce qu'une fois le grand saint Paul apelle les Galates insensés, represente aux Candiotz leurs mauvaises inclinations et resiste en face au glorieux saint [225] Pierre son superieur, faut-il prendre licence d'injurier les pecheurs, blasmer les nations, contreroller et censurer nos conducteurs et prelatz? Certes, chacun n'est pas saint Paul pour sçavoir faire ces choses a propos; mays les espritz aigres, chagrins, presumptueux et mesdisans, servans a leurs inclinations, humeurs, aversions et outrecuydances, veulent couvrir leur injustice du manteau du zelef, et chacun, sous le nom de ce feu sacré, se laisse bruler a ses propres passions.

  A005000725 

 Le zele specieux est ambitionné, c'est celuy auquel chacun veut employer son talent; sans prendre garde que ce n'est pas le zele que l'on y cherche, mais la gloire et l'assouvissement de l'outrecuydance, cholere, chagrin et autres passions..

  A005000726 

 Et comme nostre Sauveur porta de sorte les pechés du monde, et fut fait tellement anatheme, sacrifié pour le peché et delaissé de son Pere qu'il ne laissa pas d'estre perpetuellement le Filz bienaymé, auquel le Pere prenoit son bon playsir, aussi le saint Apostre desira bien d'estre anatheme et separé de son Maistre pour estre abandonné d'iceluy et delaissé a la merci des opprobres et punitions deues aux Juifz, mais il ne desira pas pourtant jamais d'estre privé de la charité et grace de son Seigneur, de laquelle rien aussi ne le pouvoit jamais separer; c'est a dire, il desira d'estre traitté comme un homme separé de Dieu, mais il ne desira pas d'en estre par effect separé, ni privé de sa grace, car cela ne peut estre saintement desiré.

  A005000726 

 O excellence de courage et de ferveur d'esprit incroyable! il imite Jesus Christ qui pour nous fut fait malediction, qui prit nos infirmités et porta nos maladies; ou, affin que je parle plus sobrement, luy le premier apres le Sauveur ne refuse pas de souffrir et d'estre reputé impie a leur occasion.» Ainsy donq, Theotime, comme nostre Sauveur fut fouetté, condamné, crucifié, en qualité d'homme voué, destiné et dedié a porter et supporter les opprobres, ignominies et punitions deues a tous les pecheurs du monde, et a servir de sacrifice general pour le peché, ayant esté fait comme anatheme, separé et abandonné de son Pere eternel, de mesme [227] aussi, selon la veritable doctrine de ce grand Nazianzene, le glorieux Apostre saint Paul desira d'estre comblé d'ignominie, crucifié, separé, abandonné et sacrifié pour le peché des Juifz, affin de porter pour eux l' anatheme et la peine qu'ilz meritoyent.

  A005000727 

 L'ardeur du vray zele est pareille a celle du chasseur, qui est diligent, soigneux, actif, laborieux et tres affectionné au pourchas, mais sans cholere, sans ire, sans trouble; car si le travail des chasseurs estoit cholere, ireux, chagrin, il ne seroit pas si aymé ni affectionné: et de mesme, le vray zele a des ardeurs extremes, mais constantes, fermes, douces, laborieuses, egalement amiables et infatigables; tout au contraire, le faux zele est turbulent, brouillon, insolent, fier, cholere, passager, egalement impetueux et inconstant..

  A005000731 

 La charité de Jesus Christ nous presse, dit [229] le grand Apostre: ouy certes, Theotime, elle nous force et violente par son infinie douceur, prattiquee en tout l'ouvrage de nostre redemption, auquel s'est apparue la benignité et amour de Dieu envers les hommes; car, qu'est-ce que ce divin Amant ne fit pas en matiere d'amour?.

  A005000734 

 Car, bien que les cruelz supplices fussent tres suffisans pour faire mourir qui que ce fut, si est ce que la mort ne pouvoit jamais entrer dans la vie de Celuy qui tient les clefs de la vie et de la mort, si le divin amour, qui manie ces clefs, n'eust ouvert les portes a la mort affin qu'elle allast saccager ce divin cors et luy ravir la vie; l'amour ne se contentant pas de l'avoir rendu mortel pour nous, s'il ne le rendoit mort.

  A005000734 

 Et partant il n'est pas dit que son esprit s'en alla, le quitta et se separa de luy; mais, au contraire, qu' il mit son esprit dehors, l'expira, le rendit et le remit es mains de son Pere eternel: si que saint Athanase remarque qu'il baissa la teste pour mourir, affin de consentir et pencher a la venue de la mort, laquelle autrement n'eust osé s'approcher de luy; et criant a pleine voix il remet son esprit a son Pere, pour monstrer que comme il avoit asses de force et d'haleyne pour ne point mourir, il avoit aussi tant d'amour qu'il ne pouvoit plus vivre sans faire revivre par sa mort ceux qui sans cela ne pouvoyent jamais eviter la mort, ni pretendre a la vraye vie.

  A005000735 

 Mays, Theotime, gardés bien pourtant de dire que cette mort amoureuse du Sauveur se soit faite par maniere de ravissement; car l'object pour lequel sa charité le porta a la mort n'estoit pas tant aymable qu'il peust ravir a soy cette divine ame, laquelle sortit donq de son cors par maniere d'extase, poussee et lancee par l'affluence et force de l'amour, comme l'on void la myrrhe pousser dehors sa premiere liqueur par sa seule abondance, sans qu'on la presse ni tire aucunement, selon ce que luy mesme disoit, ainsy que nous avons remarqué: Personne ne m'oste ni ravit mon ame, mais je la donne volontairement.

  A005000743 

 Les payens, quoy qu'ennemis de sa divine Majesté, prattiquoyent parfois quelques vertus humaines et civiles desquelles la condition n'estoit pas au dessus des forces de l'esprit raysonnable: or, vous pouves penser, Theotime, combien cela estoit peu de chose.

  A005000744 

 Excuse qui n'eust pas esté a propos si ces sages femmes eussent esté Hebrieuses, et n'est pas croyable que Pharao eust donné une commission si impiteuse contre les Hebrieuses a des femmes Hebrieuses, de mesme nation et religion; et aussi Josephe tesmoigne qu'en effect elles estoyent Egyptiennes.

  A005000744 

 Les sages femmes auxquelles Pharao donna charge de faire perir tous les masles des Israëlites estoyent sans doute Egyptiennes et payennes, car s'excusant dequoy elles n'avoyent pas executé la volonté du Roy: Les femmes Hebrieuses, disoyent elles, ne sont pas comme les Egyptiennes, car elles sçavent l'art de recevoir les enfans, et devant que nous allions a elles, elles ont enfanté.

  A005000745 

 Voyes-vous donq, Theotime, combien il est vray que Dieu fait estat des vertus, encor qu'elles soyent prattiquees par des personnes qui sont d'ailleurs mauvaises? S'il n'eust aggreé la misericorde des sages femmes et la justice de la guerre des Babyloniens, eust-il pris le soin, je vous prie, de les salarier? et si Daniel n'eust sceu que l'infidelité de Nabuchodonosor n'empescheroit pas que Dieu n'aggreast ses aumosnes, pourquoy les luy eust il conseillees? Certes, l'Apostre nous asseure que les payens, qui n'ont pas la foy, font naturellement ce qui appartient a la loy: et quand ilz le font, qui peut douter qu'ilz ne fassent bien et que Dieu n'en fasse conte? Les payens conneurent que le mariage estoit bon et necessaire, ilz virent qu'il estoit convenable d'eslever les enfans es artz, en l'amour de la patrie, en la vie civile, et ilz le firent: or je vous laisse a penser si Dieu ne treuvoit pas bon cela, puisqu'il avoit donné la lumiere de la rayson et l'instinct naturel a cette intention..

  A005000746 

 La rayson naturelle est un bon arbre que Dieu a planté en nous, les fruitz qui en proviennent ne peuvent estre que bons: fruitz qui en comparayson de ceux qui procedent de la grace sont a la verité de tres petit prix, mais non pas pourtant de nul prix, puisque Dieu les a prisés et pour iceux a donné des recompenses temporelles; ainsy que, selon le grand saint Augustin, il salaria les vertus morales des Romains de la grande estendue et magnifique reputation de leur Empire..

  A005000747 

 Il ne sçauroit voirement marcher, ni se lever, ni crier a l'ayde, non pas mesme parler, sinon languidement, a cause de son cœur failly, mais il peut bien ouvrir les yeux, remuer les doigtz, souspirer, dire quelque parole de plainte; actions foibles, et nonobstant lesquelles il mourroit miserablement sur son sang, si le misericordieux Samaritain ne luy eust appliqué son huyle et son vin, et ne l'eust emporté au logis pour le faire panser et traitter a ses propres despens.

  A005000747 

 Le pecheur n'est pas en la condition des diables, [237] desquelz la volonté est tellement detrempee et incorporee au mal qu'elle ne peut vouloir aucun bien.

  A005000747 

 Le peché rend sans doute l'esprit malade, qui partant ne peut pas faire des grandes et fortes operations, mais ouy bien des petites, car toutes les actions des malades ne sont pas malades: encor parle on, encor void on, encor ouït on, encor boit on.

  A005000747 

 Non, Theotime, le pecheur en ce monde n'est pas ainsy: il est la, emmi le chemin entre Hierusalem et Hierico, blessé a mort, mais non pas encor mort, car, dit l'Evangile, il est laissé a moitié vivant; et comme il est a moitié vif, il peut aussi faire des actions a moitié vives.

  A005000752 

 Telles sont donques les vertus humaines, Theotime, lesquelles, quoy qu'elles soyent en un cœur bas, terrestre et grandement occupé de peché, elles ne sont neanmoins aucunement infectees de la malice d'iceluy, estant d'une nature si franche et innocente qu'elle ne peut estre corrompue par la societé de l'iniquité, selon qu'Aristote mesme a dit «que la vertu estoit une habitude de laquelle aucun ne peut abuser.» Que si les vertus, estant ainsy bonnes en elles mesmes, ne sont pas recompensees d'un loyer eternel lhors qu'elles sont prattiquees par les infideles ou par ceux qui sont en peché, il ne s'en faut nullement estonner: puisque le cœur pecheur duquel elles procedent n'est pas capable du bien [239] eternel, s'estant d'ailleurs destourné de Dieu, et que l'heritage celeste appartenant au Filz de Dieu, nul n'y doit estre associé qui ne soit en luy, et son frere adoptif; laissant a part que la convention par laquelle Dieu promet le Paradis ne regarde que ceux qui sont en sa grace, et que les vertus des pecheurs n'ont aucune dignité ni valeur que celle de leur nature, qui par consequent ne les peut relever au merite des recompenses surnaturelles, lesquelles pour cela mesme sont appellees surnaturelles, d'autant que la nature et tout ce qui en depend ne peut ni les donner ni les meriter..

  A005000753 

 Toutes les œuvres vertueuses d'un cœur ami de Dieu sont dediees a Dieu: car, le cœur qui s'est donné soy mesme, comme n'a-il pas donné tout ce qui depend de luy mesme? qui donne l'arbre sans reserve, ne donne-il pas aussi les feuilles, les fleurs et les fruitz? Le juste fleurira comme la palme, il croistra comme le cedre du Liban.

  A005000754 

 Les Spartes ayans ouï une tres belle sentence de la bouche d'un meschant homme, n'estimerent pas qu'elle deut estre receüe si premierement elle n'estoit prononcee par la bouche d'un homme de bien: pour donq la rendre digne de reception, ilz ne firent autre chose que de la faire derechef proferer par un homme vertueux.

  A005000755 

 Car, comme ce grand prophete et prince Job, quoy qu'il fut issu de race payenne et habitant de la terre Hus, ne laissa pas d'appartenir a Dieu, ainsy les vertus morales, quoy que provenues d'un cœur pecheur, ne laissent pas d'appartenir a Dieu; mays quand ces mesmes vertus se treuvent en un cœur vrayement chrestien, c'est a dire doué du saint amour, alhors non seulement elles appartiennent a Dieu, mais elles ne sont point inutiles en Nostre Seigneur, ains sont rendues fructueuses et pretieuses devant les yeux de sa bonté.

  A005000755 

 Et notés, Theotime, que toute œuvre vertueuse doit estre estimee œuvre du Seigneur, voire mesme quand elle seroit prattiquee par un infidele: car sa divine Majesté dit a Ezechiel que Nabuchodonosor et son armee avoyent travaillé pour [241] luy, parce qu'ilz avoyent fait une guerre legitime et juste contre les Tyriens; monstrant asses par la que la justice des injustes est sienne, tend a luy et luy appartient, bien que les injustes qui font la justice ne soyent pas siens, ne tendent pas a luy et ne luy appartiennent pas.

  A005000760 

 Ainsy toutes les vertus reçoivent un nouveau lustre et une excellente dignité par la presence de l'amour sacré; mais la foy, l'esperance, la crainte de Dieu, la pieté, la penitence et toutes les autres vertus qui d'elles mesmes tendent particulierement a Dieu et a son honneur, elles ne reçoivent pas seulement l'impression du divin amour, par laquelle elles sont eslevees a une grande valeur, mais elles se penchent totalement vers luy, s'associant avec luy, le suivant et servant en toutes occasions: car en fin, mon cher Theotime, la Parole sacree attribue une certaine proprieté et force de sauver, de sanctifier et de glorifier, a la foy, a l'esperance, a la pieté, a la crainte de Dieu, a la penitence; qui tesmoigne bien que ce sont des vertus de grand prix, et qu'estant prattiquees en un cœur qui a l'amour de Dieu, elles se rendent excellemment plus fructueuses et saintes que les autres, [243] lesquelles de leur nature n'ont pas une si grande convenance avec l'amour sacré.

  A005000760 

 La charité donques est une vertu nompareille, qui n'embellit pas seulement le cœur auquel elle se treuve, mais benit et sanctifie aussi toutes les vertus qu'elle rencontre en iceluy, par sa seule presence, les embaumant et parfumant de son odeur celeste, par le moyen de laquelle elles sont rendues de grand prix devant Dieu: ce qu'elle fait neanmoins beaucoup plus excellemment en la foy, en l'esperance, et es autres vertus qui d'elles mesmes ont une nature tendante a la pieté..

  A005000766 

 Je vous dis maintenant, mon cher Theotime, que la charité et dilection sacree, plus belle cent fois que Rachel, mariee a l'esprit humain, souhaite sans cesse de produire des saintes operations: que si au commencement elle n'en peut enfanter elle mesme de sa propre extraction par l'union sacree qui luy est uniquement propre, elle appelle les autres vertus, comme ses fïdeles servantes, et les associe a son mariage, commandant au cœur de les employer, affin que d'elles il fasse naistre des saintes operations; mais operations qu'elle ne laisse pas d'adopter et estimer siennes, parce qu'elles sont produites par son ordre et commandement et d'un cœur qui luy appartient, d'autant que, comme nous avons declairé ailleurs, l'amour est maistre du cœur, et par consequent de toutes les œuvres des autres vertus faites par son consentement.

  A005000766 

 L'autre est l'amour affectif ou affectueux, qui, comme un petit Benjamin, est grandement delicat, tendre, aggreable et aymable; mais en cela plus heureux que Benjamin, que la charité, sa mere, ne meurt pas en le produisant, ains prend, ce semble, une nouvelle vie par la suavité qu'elle en ressent..

  A005000766 

 Mais, outre cela, cette divine dilection ne laisse pas d'avoir deux actes issus proprement et extraitz d'elle mesme; dont l'un est l'amour effectif, qui, comme un autre Joseph, usant de la plenitude de l'authorité royale, sousmet et range tout le peuple de nos facultés, puissances, passions et affections a la volonté de Dieu, affin qu'il soit aymé, obei et servi sur toutes choses, rendant par ce moyen executé le grand commandement celeste: Tu aymeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton ame, de tout ton esprit, de toutes tes forces.

  A005000767 

 Ainsy donques, Theotime, les actions vertueuses des enfans de Dieu appartiennent toutes a la sacree dilection: les unes, parce qu'elle mesme les produit de sa propre nature; les autres, d'autant qu'elle les sanctifie [246] par sa vitale presence; et les autres, en fin, par l'authorité et le commandement dont elle use sur les autres vertus, desquelles elle les fait naistre: et celles ci, comme elles ne sont pas, a la verité, si eminentes en dignité que les actions proprement et immediatement issues de la dilection, aussi excellent-elles incomparablement au dessus des actions qui ont toute leur sainteté de la seule presence et societé de la charité..

  A005000768 

 Ainsy, entre toutes les vertus, mon cher Theotime, la gloire de nostre salut et de nostre victoire sur l'enfer est deferee a l'amour divin, qui, comme prince et general de toute l'armee des vertus, fait tous les exploitz par lesquelz nous obtenons le triomphe: car l'amour sacré a ses actions propres, issues et procedees de luy mesme, par lesquelles il fait des miracles d'armes sur nos ennemis; puis, outre cela, il dispose, commande et ordonne les actions des autres vertus, qui pour cette cause sont nommees actes commandés ou ordonnés de l'amour; que si en fin quelques vertus font leurs operations sans son commandement, [247] pourveu qu'elles servent a son intention, qui est l'honneur de Dieu, il ne laisse pas de les advoüer siennes.

  A005000768 

 Mais pourtant, apres qu'on luy a donné toute la gloire en gros, on ne laisse pas d'en distribuer les pieces a chaque partie de l'armee, en disant ce que l'avant garde, le cors et l'arriere garde ont fait; comme les François, les Italiens, les Allemans, les Espagnolz se sont comportés; ouy mesme on loue les particuliers qui se seront signalés au combat.

  A005000768 

 Mais tous-jours reciproquement aussi, apres qu'on a eslevé ces vertus particulieres, il faut rapporter tout leur honneur a l'amour sacré, qui a toutes donne la sainteté qu'elles ont: car, que veut dire autre chose le glorieux Apostre, inculquant que la charité est benigne, patiente, qu' elle croid tout, espere tout, supporte tout, sinon que la charité ordonne et commande a la patience de patienter, et a l'esperance d'esperer, et a la foy de croire? Il est vray, Theotime, qu'avec cela il signifie encor que l'amour est l'ame et la vie de toutes les vertus; comme s'il vouloit dire, que la patience n'est pas asses patiente, ni la foy asses fidele, ni l'esperance asses confiante, ni la debonnaireté asses douce, si l'amour ne les anime et vivifie: et c'est cela mesme que nous fait entendre ce mesme vaysseau d'election, quand il dit que sans la charité rien ne luy proffite, et qu'il n'est rien; car c'est comme s'il disoit que sans l'amour il n'est ni patient, ni debonnaire, ni constant, ni fidele, ni esperant ainsy qu'il est convenable pour estre serviteur de Dieu, qui est le vray et desirable estre de l'homme.

  A005000768 

 Or, neanmoins, quoy qu'en gros nous disions, apres le divin Apostre, que la charité souffre tout, elle croid tout, elle espere tout, elle supporte tout, et en somme qu'elle fait tout, si est-ce que nous ne laissons pas de distribuer en particulier la louange du salut des Bienheureux aux autres vertus, selon qu'elles ont excellé en un chacun; car nous disons que la foy en a sauvé les uns, l'aumosne quelques autres, la temperance, l'orayson, l'humilité, l'esperance, la chasteté les autres, parce que les actions de ces vertus ont paru avec lustre en ces Saintz.

  A005000768 

 Que si mesme quelques troupes amies surviennent a l'improuveüe et se joignent a l'armee, on ne laissera pas d'attribuer l'honneur de leur faction au general, parce qu'encor qu'elles n'ayent pas receu ses commandemens, elles l'ont neanmoins servi, et suivi ses intentions.

  A005000773 

 Et comme le tige communique sa saveur a tous les fruitz que les greffes produisent, en telle sorte que chasque fruit ne laisse pas de garder la proprieté naturelle du greffe duquel il est procedé, ainsy la charité respand tellement son excellence et dignité es actions des autres vertus, que neanmoins elle laisse a une chacune d'icelles la valeur et bonté particuliere qu'elle a de sa condition naturelle..

  A005000774 

 Ainsy, mon Theotime, si avec une egale charité l'un souffre la mort du martyre, et l'autre la faim du jeusne, qui ne void que le prix de ce jeusne ne sera pas pour cela egal a celuy du martyre? Non, Theotime; car, qui oseroit dire que le martyre en soy mesme ne soit pas plus excellent que le jeusne? Que s'il est plus excellent, la charité survenante ne luy ostant pas l'excellence qu'il a, ains la perfectionnant, luy laissera par consequent les avantages qu'il avoit naturellement sur le jeusne.

  A005000774 

 Certes, nul homme de bon sens n'egalera la chasteté nuptiale a la virginité, ni le bon usage des richesses a l'entiere abnegation d'icelles: et qui oseroit dire que la [250] charité survenante a ces vertus leur ostast leurs proprietés et privileges? puisqu'elle n'est pas une vertu destruisante et appauvrissante, ains bonifiante, vivifiante et enrichissante tout ce qu'elle treuve de bon es ames qu'elle gouverne.

  A005000774 

 Toutes les fleurs perdent l'usage de leur lustre et de leur grace parmi les tenebres de la nuit; mais au matin, le soleil rendant ces mesmes fleurs visibles et aggreables n'egale pas toutefois leurs beautés et leurs graces, et sa clarté, respandue egalement sur toutes, les fait neanmoins inegalement claires et esclattantes, selon que plus ou moins elles se treuvent susceptibles des effectz de sa splendeur: et la lumiere du soleil, pour egale qu'elle soit sur la violette et sur la rose, n'egalera jamais pourtant la beauté de celle la a la beauté de celle ci, ni la grace d'une marguerite a celle du lys; mays pourtant, si la lumiere du soleil estoit fort claire sur la violette, et fort obscurcie par les brouillars sur la rose, alhors sans doute elle rendroit plus aggreable aux yeux la violette que la rose.

  A005000777 

 L'Espouse sacree blesse son Espoux avec un seul de ses cheveux, desquelz il fait tant d'estat qu'il les compare aux troupeaux des chevres de Galaad, et n'a pas plus tost loué les yeux de sa devote amante, qui sont les parties les plus nobles de tout le visage, que soudain il lotie la cheveleure, qui est la plus fresle, vile et abjecte; affin que l'on sceust qu'en une ame esprise du divin amour, les exercices qui semblent fort chetifs sont neanmoins grandement agreables a sa divine Majesté..

  A005000781 

 Mays, ce me dires vous, quelle est cette valeur, je vous prie, que le saint amour donne a nos actions? O mon Dieu, Theotime! certes, je n'aurois pas l'asseurance de le dire si le Saint Esprit ne l'avoit luy mesme declaré en termes fort expres par le grand apostre saint Paul, qui parle ainsy: Ce qui a present est momentanee [252] et leger de nostre tribulation, opere en nous sans mesure en la sublimité un poids eternel de gloire.

  A005000782 

 Et comme les graines qui ne produiroyent d'elles mesmes que des melons de goust fade, en produisent des sucrins et muscatz si elles sont detrempees en l'eau sucree ou musquee, ainsy nos cœurs qui ne sçauroyent pas projetter une seule bonne pensee pour le service de Dieu, estans detrempés en la sacree dilection par le Saint Esprit qui habite en nous, ilz produisent des actions sacrees qui tendent et nous portent a la gloire immortelle.

  A005000782 

 Mays qui peut donner tant de vertu a ces momens passagers et a ces tribulations si legeres? L'escarlatte et la pourpre, ou fin cramoysi violet, est un drap grandement pretieux et royal, mais ce n'est pas a rayson de la laine, ains a cause de la teinture: les œuvres des bons Chrestiens sont de si grande valeur que pour icelles on nous donne le Ciel; mays, Theotime, ce n'est pas parce qu'elles procedent de nous et sont la laine de nos cœurs, ains parce qu'elles sont teintes au sang du Filz de Dieu; je veux dire, que c'est d'autant que le Sauveur sanctifie nos œuvres par le merite de son sang.

  A005000782 

 Nous sommes, quant a nous, branches seches, inutiles, infructueuses, qui ne sommes pas suffisans de penser quelque chose de nous mesme comme de nous mesme, mais toute nostre suffisance est de Dieu, qui nous a rendus officiers idoines et capables [253] de sa volonté; et partant, soudain que par le saint amour le nom du Sauveur, grand Evesque de nos ames, est gravé en nos cœurs, nous commençons a porter des fruitz delicieux pour la vie eternelle.

  A005000783 

 Mais sa bonté neanmoins n'en a pas ainsy disposé; ains, en consideration de son Filz nostre Sauveur, a voulu traitter avec nous de prix fait, nous recevant a gages et s'engageant de promesses vers nous qu'il nous salariera selon nos œuvres, de salaires [254] eternelz.

  A005000783 

 Or, ce n'est pas que nostre service luy soit ni necessaire ni utile; car apres que nous aurons fait tout ce qu'il nous a commandé, nous devons neanmoins advouer, par une tres humble verité ou veritable humilité, qu'en effect nous sommes serviteurs tres inutiles et tres infructueux a nostre Maistre, qui, a cause de son essentielle surabondance de bien, ne peut recevoir aucun proffit de nous; ains, convertissant toutes nos œuvres a nostre propre advantage et commodité, il fait que nous le servons autant inutilement pour luy que tres utilement pour nous, qui par des si petitz travaux gaignons des si grandes recompenses..

  A005000784 

 Il n'estoit donq pas obligé de nous payer nostre service s'il ne l'eust promis.

  A005000784 

 Mays ne penses pas pourtant, Theotime, qu'en cette promesse il ayt tellement volu manifester sa bonté qu'il ayt oublié de glorifier sa sagesse, puisque au contraire il y a observé fort exactement les reges de l'equité, meslant admirablement la bienseance avec la liberalité: car nos œuvres sont voirement extremement petites et nullement comparables a la gloire, en leur quantité, mais elles luy sont neanmoins fort proportionnees en qualité, a rayson du Saint Esprit qui, habitant dans nos cœurs par la charité, les fait en nous, par nous et pour nous, avec un art si exquis, que les mesmes œuvres qui sont toutes nostres sont encor mieux toutes siennes, parce que, comme il les produit en nous, nous les produisons reciproquement en luy, comme il les fait pour nous, nous les faysons pour luy, et comme il les opere avec nous, nous cooperons aussi avec luy..

  A005000790 

 Toutes les vertus ne s'acquierent pas ensemblement en un instant, ains les unes apres les autres, a mesure que la rayson, qui est comme l'ame de nostre cœur, s'empare tantost d'une passion, tantost de l'autre, pour [257] la moderer et gouverner.

  A005000791 

 C'est donq un signe evident que ce cœur la n'est pas porté a la liberalité par le motif et la consideration de la rayson: dont il s'ensuit que cette liberalité qui semble estre vertu n'en a que l'apparence, puisqu'elle ne procede pas de la rayson, qui est le vray motif des vertus, ains de quelque autre motif estranger.

  A005000791 

 Qui ayme la liberalité et n'ayme pas la chasteté, il monstre bien qu'il n'ayme [258] pas la liberalité pour la beauté de la rayson; car cette beauté est encor plus grande en la chasteté, et ou la cause est plus forte, les effectz devroyent estre plus fortz.

  A005000791 

 Si Jacob aymoit Rachel en consideration de ce qu'elle estoit fille de Laban, pourquoy mesprisoit il Lia, qui estoit non seulement fille, ains fille aisnee du mesme Laban? Mais parce qu'il aymoit Rachel a cause de la beauté qu'il treuva en elle, jamais il ne sceut tant aymer la pauvre Lia, quoy que feconde et sage fille, d'autant qu'elle n'estoit pas si belle a son gré.

  A005000792 

 Je vous prie, Theotime, quelle prudence peut avoir un homme intemperant, injuste et poltron, puisqu'il choisit le vice et laisse la vertu? Et comme peut-on estre juste sans estre prudent, fort et temperant, puisque la justice n'est autre chose qu'une perpetuelle, forte et constante volonté de rendre a un chacun ce qui luy appartient, et que la science par laquelle le droit s'administre est nommee jurisprudence, et que pour rendre a chacun ce qui luy appartient il nous faut vivre sagement et modestement, et empescher les desordres de l'intemperance en nous, affin de nous rendre ce qui nous appartient a nous mesmes? Et le [259] mot de vertu ne signifie-il pas une force et vigueur appartenante a l'ame en proprieté, ainsy que l'on dit les herbes et pierres pretieuses avoir telle et telle vertu ou proprieté? Mais la prudence est-elle pas imprudente en l'homme intemperant? La force sans prudence, justice et temperance n'est pas une force, mais une forcenerie; et la justice est injuste en l'homme poltron, qui ne l'ose pas rendre, en l'intemperant, qui se laisse emporter aux passions, et en l'imprudent, qui ne sçait pas discerner entre le droit et le tort.

  A005000792 

 La justice n'est pas justice, si elle n'est prudente, forte et temperante; ni la prudence n'est pas prudence, si elle n'est temperante, juste et forte; ni la force n'est pas force, si elle n'est juste, prudente et temperante; ni la temperance n'est pas temperance, si elle n'est prudente, forte et juste: et en somme, une vertu n'est pas vertu parfaite si elle n'est accompaignee de toutes les autres..

  A005000793 

 Il est bien vray, Theotime, qu'on ne peut pas exercer toutes les vertus ensemble, parce que les sujetz ne s'en presentent pas tout a coup; ains il y a des vertus que quelques uns des plus saintz n'ont jamais eu occasion de prattiquer: car saint Paul premier hermite, par exemple, quel sujet pouvoit il avoir d'exercer le pardon des injures, l'affabilité, la magnificence, la debonnaireté? Mais toutefois, telles ames ne laissent pas d'estre tellement affectionnees a l'honnesteté de la rayson, qu'encor qu'elles n'ayent pas toutes les vertus quant a l'effect, elles les ont toutes quant a l'affection, estant prestes et disposees de suivre et servir la rayson en toutes occurrences, sans exception ni reserve..

  A005000794 

 Combien y a-il de personnes qui, par leur condition naturelle, sont sobres, simples, douces, taciturnes, voire mesme chastes et honnestes? Or tout cela semble estre vertu, et n'en a toutefois pas le merite, non plus que les mauvaises inclinations ne sont dignes d'aucun blasme, jusques a ce que, sur telles humeurs naturelles, nous ayons enté le libre et volontaire consentement.

  A005000794 

 Il y a certaines inclinations qui sont estimees vertus et ne le sont pas, ains des faveurs et avantages de la nature.

  A005000794 

 Plusieurs pensent avoir les vertus quand ilz n'exercent pas les vices contraires: celuy qui ne fut onques assailli se peut voirement vanter de n'avoir pas esté fuyart, mais non pas d'avoir esté vaillant; celuy qui n'est pas affligé se peut louer de n'estre pas impatient, mais non pas d'estre patient.

  A005000794 

 [260] Ce n'est pas vertu de ne manger guere par nature, mais ouy bien de s'abstenir par election; ce n'est pas vertu d'estre taciturne par inclination, mais ouy bien de se taire par rayson.

  A005000795 

 Certes, le grand saint Augustin, en une epistre qu'il escrit a saint Hierosme, monstre que nous pouvons avoir quelque sorte de vertu sans avoir les autres, et que neanmoins nous n'en pouvons point avoir de parfaites sans les avoir toutes; mais que quant aux vices on peut avoir les uns sans avoir les autres, ains il est impossible de les avoir tous ensemble: de sorte qu'il ne s'ensuit pas que qui a perdu toutes les vertus ait par consequent tous les vices, puisque presque toutes les vertus ont deux vices opposés, non seulement contraires a la vertu, mais aussi contraires entre eux mesmes.

  A005000795 

 «Catilina,» dit saint Augustin, «estoit sobre, vigilant, patient a souffrir le froid, le chaud et la faim; c'est pourquoy il luy estoit advis, et a ses complices, qu'il fut grandement constant: mais cette force n'estoit pas prudente, puisqu'il choisissoit le mal en lieu du bien; elle n'estoit pas temperante, car il se relaschoit a des vilaines ordures; elle n'estoit pas juste, puisqu'il conjuroit contre sa patrie: elle n'estoit donq pas une constance, mais une opiniastreté, laquelle pour tromper les sotz portoit le nom de constance.» [261].

  A005000802 

 L'amour celeste excelle en l'une et l'autre façon: car treuvant des vertus en une ame (et pour l'ordinaire au moins y treuve-il la foy, l'esperance et la penitence), il les anime, il leur commande, et les employe heureusement au service de Dieu; et pour le reste des vertus, qu'il ne treuve pas, il fait luy mesme leurs factions, ayant autant et plus de force luy seul qu'elles ne sçauroyent avoir toutes ensemble..

  A005000803 

 Certes, le grand Apostre ne dit pas seulement que la charité nous donne la patience, benignité, constance, simplicité; mais il dit qu'elle mesme elle est patiente, benigne, constante: et c'est le propre des supremes vertus, entre les Anges et les hommes, de pouvoir non seulement ordonner aux inferieures qu'elles operent, mais aussi de pouvoir elles mesmes faire ce qu'elles commandent aux autres.

  A005000808 

 Nostre Seigneur lie tous-jours l'accomplissement des commandemens a la charité: Qui a mes commandemens, dit-il, et les observe, c'est celuy qui m'ayme; Celuy qui ne m'ayme pas ne garde pas mes commandemens; Si quelqu'un m'ayme, il gardera mes paroles.

  A005000809 

 On peut, certes, bien avoir quelque vertu et demeurer quelque peu de tems sans offencer, encores que l'on n'ayt pas le divin amour; mais tout ainsy que nous voyons parfois des arbres arrachés de terre faire quelques productions, non toutefois parfaites ni pour long tems, de mesme un cœur separé de la charité peut voirement produire quelques actes de vertu, mais non pas longuement..

  A005000810 

 Les vertus ont leurs commencemens, leurs progres et leur perfection, et je ne nie pas que sans la charité elles ne puissent naistre, voire mesme faire progres; mays qu'elles ayent leur perfection pour porter le tiltre de vertus faittes, formees et accomplies, cela depend de la charité, qui leur donne la force de voler en Dieu, [267] et recueillir de la misericorde d'iceluy le miel du vray merite et de la sanctification des cœurs esquelz elles se treuvent..

  A005000813 

 Au demeurant, la perfection de l'amour divin est si souveraine qu'elle perfectionne toutes les vertus et ne peut estre perfectionnee par icelles, non pas mesme par l'obeissance, qui est celle laquelle peut le plus respandre de perfection sur les autres; car, encor bien que l'amour soit commandé et qu'en aymant nous prattiquions l'obeissance, si est ce neanmoins que l'amour ne tire pas sa perfection de l'obeissance, ains de la bonté de celuy qu'il ayme, d'autant que l'amour n'est pas excellent parce qu'il est obeissant, mais parce qu'il ayme un bien excellent.

  A005000817 

 Nous voyons, dit il, des navires qui portent des inscriptions fort illustres: il y en a qu'on appelle Victoire, les autres, Vaillance, les autres, Soleil; mais pour cela elles ne laissent pas d'estre sujettes aux vens et aux vagues.

  A005000818 

 Pour Dieu, Theotime, je vous prie, quelle vertu pouvoyent avoir ces gens-la qui volontairement, et comme a prix fait, renversoyent toutes les lois de la religion? Seneque avoit fait un livre Contre les superstitions, dans lequel il avoit repris l'impieté payenne avec beaucoup de liberté: Or «cette liberté,» dit le grand saint Augustin, «se treuva en ses escritz et non pas en sa vie,» puisque mesme il conseilla «que l'on rejettast de cœur la superstition, mais qu'on ne laissast pas de la prattiquer es actions; car voicy ses paroles: Lesquelles superstitions le sage observera comme commandees par les lois, non pas comme aggreables aux dieux.» Comme pouvoyent estre vertueux ceux qui, comme rapporte saint Augustin, estimoyent «que le sage se devoit tuer quand il ne pouvoit ou ne devoit plus supporter» les calamités de cette vie? et toutefois ne vouloyent pas advouer que les calamités fussent miserables, ni les miseres calamiteuses, ains maintenoyent que le sage estoit tous-jours heureux et sa vie bien heureuse.

  A005000819 

 Aussy, celuy d'entre les Stoïciens et capitaines qui, pour s'estre tué soy mesme en la ville d'Utique affin d'eviter une calamité qu'il estimoit indigne de sa vie, a esté tant loué par les cervelles profanes, fit cette action avec si peu de veritable vertu, que, comme dit saint Augustin, «il ne tesmoigna pas un courage qui voulut eviter la deshonnesteté, mais une ame infirme qui n'eut pas l'asseurance d'attendre l'adversité; car s'il eust estimé chose infame de vivre sous la victoire de Cesar, pourquoy eust il commandé d'esperer en la [270] douceur de Cesar? Comme n'eust-il conseillé a son filz de mourir avec luy,» si la mort estoit meilleure et plus honneste que la vie? Il se tua donq, ou parce qu'il envia a Cesar la gloire qu'il eust eu de luy donner la vie, ou parce qu'il apprehenda la honte de vivre sous un vainqueur qu'il haïssoit: en quoy il peut estre loué d'un gros, et encor, a l'adventure, grand courage, mais non pas d'un sage, vertueux et constant esprit.

  A005000820 

 Et quant a Lucrece (affin que nous n'oubliions pas aussi les valeurs du sexe moins courageux), ou elle fut chaste parmi la violence et le forcenement du filz de Tarquinius, ou elle ne le fut pas.

  A005000820 

 Si Lucrece ne fut pas chaste, pourquoy loue-on donq la chasteté de Lucrece? si Lucrece fut chaste et innocente en cet accident la, Lucrece ne fut elle pas meschante de tuer l'innocente Lucrece? «Si elle fut adultere, pourquoy est elle tant loüee? si elle fut pudique, pourquoy fut elle tuee?» Mais elle craignoit l'opprobre et la honte de ceux qui eussent peu croire que la deshonnesteté «qu'elle avoit soufferte violemment, tandis qu'elle estoit en vie, eust aussi esté soufferte volontairement si, apres icelle, elle fust demeuree en vie; elle eut peur qu'on l'estimast complice du peché, si ce qui avoit esté fait en elle vilainement estoit supporté par elle patiemment.» Et donq, faut-il, pour fuir la honte et l'opprobre qui depend de l'opinion des hommes, accabler l'innocent et tuer le juste? faut il maintenir l'honneur aux despens de la vertu, et la reputation au peril de l'equité? Telles furent les vertus des plus vertueux payens, envers Dieu et envers eux mesmes..

  A005000821 

 Et pour les vertus qui regardent le prochain, ilz foulerent aux pieds, et fort effrontement, par leurs lois mesmes, la principale, qui est la pieté; car Aristote, le plus grand cerveau d'entr'eux, prononce cette horrible [271] et tres impiteuse sentence: «Touchant l'exposition,» c'est a dire l'abandonnement «des enfans, ou leur education, la loy soit telle: qu'il ne faut rien nourrir de ce qui est privé de quelque membre; et quant aux autres enfans, si les lois et coustumes de la cité defendent qu'on n'abandonne pas les enfans, et que le nombre des enfans se multiplie a quelqu'un en sorte qu'il en ayt des-ja au double de la portee de ses facultés, il fa.ut prevenir et procurer l'avortement» Seneque, ce sage tant loüé: «Nous tuons,» dit il, «les monstres; et nos enfans, s'ilz sont manques, debiles, imparfaitz ou monstrueux, nous les rejettons et abandonnons.» De sorte que ce n'est pas sans cause que Tertulien reproche aux Romains qu'ilz exposoyent leurs enfans aux ondes, au froid, a la faim et aux chiens; et cela non par force de pauvreté, car, comme il dit, les presidens mesmes et magistratz prattiquoyent cette desnaturee cruauté.

  A005000822 

 Certes, si les payens ont prattiqué quelques vertus, ç'a esté pour la pluspart en faveur de la gloire du monde, et par consequent ilz n'ont eu de la vertu que l'action, et non pas le motif et l'intention.

  A005000822 

 Or la vertu n'est pas vraye vertu si elle n'a la vraye intention.

  A005000822 

 «La convoitise humaine a fait la force des payens,» dit le Concile d'Auranges, «et la charité divine a fait celle des Chrestiens.» Les vertus des payens, dit saint Augustin, ont esté non vrayes, mais vraysemblables, [272] parce qu'elles ne furent pas exercees pour la fin convenable, mais pour des fins perissables: «Fabritius sera moins puni que Catilina, non pas que celuy la fut bon, mays parce que celuy ci fut pire; non que Fabritius eut des vrayes vertus, mais parce qu'il ne fut pas si esloigné des vrayes vertus: si que, au jour du jugement, les vertus des payens les defendront, non affin qu'ilz soyent sauvés, mais affin qu'ilz ne soyent pas tant damnés.» Un vice estoit osté par un autre vice entre les payens, les vices se faysans place les uns aux autres sans en laisser aucune a la vertu; et pour ce seul unique vice de la vayne gloire ilz reprimoyent l'avarice et plusieurs autres vices, voire mesme quelquefois ilz mesprisoyent la vanité par vanité; dont l'un d'entr'eux, qui sembloit le plus esloigné de la vanité, foulant aux pieds le lit bien paré de Platon: Que fais tu, Diogene? luy dit Platon.

  A005000823 

 Ce ne fut pas l'amour de l'honnesteté, mais l'amour de l'honneur qui poussa ces sages mondains a l'exercice des vertus; et leurs vertus de mesme furent aussi differentes des vrayes vertus comme l'honneur de l'honnesteté, et l'amour du merite d'avec l'amour de la recompense.

  A005000824 

 Ainsy nos anciens Peres ont appellé les vertus des payens vertus et non vertus tout ensemble: vertus, parce qu'elles en ont la lueur et l'apparence; non vertus, parce que non seulement elles n'ont pas eu cette chaleur vitale de l'amour de Dieu qui seule les pouvoit perfectionner, mais elles n'en estoyent pas susceptibles, puisqu'elles estoyent en des sujetz infideles.

  A005000825 

 Je veux bien, Theotime, qu'il y eust quelque fermeté de courage en Caton, et que cette fermeté fust louable en soy: mais qui veut se prevaloir de son exemple, il faut que ce soit en un juste et bon sujet; non pas se donnant la mort, mais la souffrant lhors que la vraye vertu le requiert, non pour la vanité de la gloire, mais pour la gloire de la verité: comme il advint a nos Martyrs, qui, avec des courages invincibles, firent tant de miracles de constance et valeur, que les Catons, les Horaces, les Seneques, les Lucreces, les Arries ne meritent certes nulle consideration en comparayson.

  A005000829 

 Le grand ami de Dieu, Abraham, n'eut de Sara, sa femme principale, que son trescher unique Isaac, qui seul aussi fut son heritier universel; et bien qu'il eust encor Ismael d'Agar, et plusieurs autres enfans de [275] Cetura, ses femmes servantes et moins principales, si est ce toutefois qu'il ne leur donna sinon quelques presens et legatz pour les des-jetter et exhereder, d'autant que n'estans pas advoüés de la femme principale ilz ne pouvoyent pas aussi luy succeder.

  A005000829 

 Mays quand les vertus morales, ouӱ mesme les vertus surnaturelles, produisent leurs actions en l'absence de la charité, comme elles font entre les schismatiques, au rapport de saint Augustin, et quelquefois parmi les mauvais Catholiques, elles n'ont nulle valeur pour le Paradis; non pas mesme l'aumosne, quand elle nous porteroit a distribuer toute nostre substance aux pauvres; ni le martire non plus, quand nous livrerions nostre cors aux flammes pour estre bruslés.

  A005000829 

 Or ilz ne furent pas advoüés parce que, quant aux enfans de Cetura ilz nasquirent tous apres la mort de Sara; et pour le regard d'Ismael, quoy que sa mere Agar l'eust conceu par l'authorité de Sara sa maistresse, toutefois, se voyant grosse, elle la mesprisa, et ne fit pas cet enfant sur les genoux d'icelle, comme Bala fit les siens sur les genoux de Rachel.

  A005000833 

 Elles perissent sur leurs arbres, et ne peuvent estre conservees en la main de Dieu, parce qu'elles sont vuides de vraye valeur; comme il est dit en l'Apocalipse a l'Evesque de Sardes, lequel estoit estimé un arbre vivant, a cause de plusieurs vertus qu'il prattiquoit, et neanmoins il estoit mort, parce qu'estant en peché, ses vertus n'estoyent pas des vrays fruitz vivans, mays des escorces mortes, et des amusemens pour les yeux, non des pommes savoureuses, utiles a manger..

  A005000834 

 De sorte que nous pouvons tous lancer cette veritable voix, a l'imitation du saint Apostre: Sans la charité je ne suis rien, rien ne me profite; et celle cy, avec saint Augustin: Mettes dans un cœur «la charité, tout proffite; ostés du cœur la charité, rien ne proffite.» Or je dis, rien ne proffite pour la vie eternelle, quoy que, comme nous disons ailleurs, les œuvres vertueuses des pecheurs ne soyent pas inutiles pour la vie temporelle; mays, Theotime mon amy, que proffite-il a l'homme s'il gaigne tout le monde temporellement et qu'il perde son ame eternellement? [279].

  A005000838 

 Car, comme le Sauveur, parlant de la petite Talithe de Jaïrus, dit qu'elle n'estoit pas morte, ains dormoit seulement, parce que devant estre soudain resuscitee, sa mort seroit de si peu de duree qu'elle ressembleroit plustost un sommeil qu'une vraye mort, ainsy les œuvres des justes, et sur tout des esleuz, que le peché survenu fait mourir, ne sont pas dites œuvres mortes, ains seulement amorties, mortifiees, assoupies ou pasmees, parce qu'au prochain retour de la sainte dilection elles doivent, ou du moins peuvent bien tost revivre et resusciter.

  A005000838 

 Que si, par apres, elles perdent leur vie et valeur par le peché survenant, elles sont dites œuvres amorties, esteintes ou mortifiees seulement; mais non pas œuvres mortes, si principalement on a esgard aux esleuz.

  A005000839 

 Certes, le tressaint Concile de Trente veut que l'on anime les penitens retournés en la sacree dilection de Dieu eternel, par ces paroles de l'Apostre: Abondés en tout bon œuvre, sachans que vostre travail n'est point inutile en Nostre Seigneur; car Dieu n'est pas injuste pour oublier vostre œuvre et la dilection que vous aves monstree en son nom.

  A005000839 

 Dieu donques n'oublie pas les œuvres de ceux qui, ayans perdu la dilection par le peché, la recouvrent par la penitence.

  A005000839 

 Or Dieu oublie les œuvres [281] quand elles perdent leur merite et leur sainteté par le peché survenant, et il s'en resouvient quand elles retournent en vie et valeur par la presence du saint amour: de sorte mesme que, affin que les fideles soyent recompensés de leurs bonnes œuvres, tant par l'accroissement de la grace et de la gloire future que par l'effectuelle jouissance de la vie eternelle, il n'est pas necessaire que l'on ne retombe point au peché, ains suffit, selon le sacré Concile, que l'on «trespasse en la grace» et charité de Dieu..

  A005000840 

 Que si neanmoins, par apres, ce pauvre homme tombé en peché se releve et retourne en l'amour divin par penitence, Dieu ne se resouviendra plus de son peché; et s'il ne se resouvient plus du peché, il se resouviendra donques des bonnes œuvres precedentes et de la recompense qu'il leur avoit promise, puisque le peché, qui seul les avoit ostees de la memoire divine, est totalement effacé, aboli, aneanti: si que alhors la justice de Dieu oblige sa misericorde, ou plustost la misericorde de Dieu oblige sa justice, de regarder derechef les bonnes œuvres passees, comme si jamais il ne les avoit oubliees; autrement le sacré penitent n'eust pas osé dire a son Maistre: Rendes moy l'allegresse de vostre salutaire, et me confirmes de vostre esprit principal. Car, comme vous voyes, non seulement il requiert une nouveauté d'esprit et de cœur, mais il pretend qu'on luy rende l'allegresse que le peché luy avoit ravie: or cette allegresse n'est autre chose que le vin du celeste amour, qui res-jouit le cœur de l'homme..

  A005000841 

 Il n'est pas du peché, en cet endroit, comme des [282] œuvres de charité: car les œuvres du juste ne sont pas effacees, abolies ou aneanties par le peché survenant, ains elles sont seulement oubliees, mais le peché du meschant n'est pas seulement oublié, ains il est effacé, nettoyé, aboli, aneanti par la sainte penitence; c'est pourquoy le peché survenant au juste, ne fait pas revivre les pechés autrefois pardonnés, d'autant qu'ilz ont esté tout a fait aneantis, mais l'amour revenant en l'ame du penitent, fait bien revivre les saintes œuvres d'autrefois, parce qu'elles n'estoyent pas abolies, ains seulement oubliees.

  A005000841 

 Il n'est pas raysonnable que le peché ayt autant de force contre la charité comme la charité en a contre le peché, car le peché procede de nostre foiblesse, et la charité de la puissance divine: si le peché abonde en malice pour ruiner, la grace surabonde pour reparer; et la misericorde de Dieu, par laquelle il efface le peché, s'exalte tous-jours et se rend glorieusement triomphante contre la rigueur du jugement, par lequel Dieu avoit oublié les bonnes œuvres qui precedoyent le peché.

  A005000842 

 Mays que les œuvres saintes, qui comme douces abeilles font le miel du merite, estant noyees dans le peché puissent par apres revivre, quand, couvertes des cendres de la penitence, on les remet au soleil de la grace et charité, tous les theologiens le disent et enseignent bien clairement; et lhors il ne faut pas douter qu'elles ne soyent utiles et fructueuses comme avant le peché.

  A005000846 

 Les bestes ne pouvant connoistre la fin de leurs actions, tendent voirement a leur fin, mais n'y pretendent pas, car pretendre c'est tendre a une chose par dessein avant que d'y tendre par effect; elles jettent leurs actions a leur fin, mais elles ne projettent point, ains suivent leurs instinctz sans election ni intention.

  A005000847 

 Car, outre le secours du souffreteux auquel l'aumosne tend specialement, ne peut on pas pretendre, 1.

  A005000847 

 de plaire a Dieu? qui sont trois diverses fins, dont la premiere est moindre, la seconde n'est pas presque plus excellente, et la troisiesme est beaucoup plus eminente [285] que la fin ordinaire de l'aumosne: si que nous pouvons, comme vous voyes, donner diverses perfections a nos actions, selon la varieté des motifs, fins et intentions que nous prenons en les faysant..

  A005000848 

 Or, si je veux, je puis assembler toutes ces intentions et jeusner pour tout cela, mais en ce cas il faut tenir bonne police a ranger ces motifs: car si je jeusnois principalement pour espargner, plus que pour obeir a l'Eglise, plus pour bien estudier que pour plaire a Dieu, qui ne void que je pervertis le droit et l'ordre, preferant mon interest a l'obeissance de l'Eglise et au contentement de mon Dieu? Jeusner pour espargner est [286] bon; jeusner pour obeir a l'Eglise est meilleur; jeusner pour plaire a Dieu est tres bon: mais encores qu'il semble que de trois biens on ne puisse pas composer un mal, si est-ce que qui les colloqueroit en desordre, preferant le moindre au meilleur, il feroit sans doute un desreglement blasmable..

  A005000848 

 Tenes, voyla cet homme qui entre en charge pour servir le public et pour acquerir de l'honneur: s'il a plus de pretention de s'honnorer que de servir la chose publique, ou qu'il soit egalement desireux de l'un et de l'autre, il a tort et ne laisse pas d'estre ambitieux, car il renverse l'ordre de la rayson, egalant ou preferant son interest au bien public; mais si, pretendant pour sa fin principale de servir le public, il est bien ayse aussi parmi cela d'accroistre l'honneur de sa famille, certes, on ne le sçauroit blasmer, parce que non seulement ses deux pretentions sont honnestes, mais elles sont bien rangees.

  A005000849 

 Un homme qui n'invite qu'un de ses amis n'offence nullement les autres; mais s'il les invite tous et qu'il donne les premieres seances aux moindres, reculant les plus honnorables au bas bout, n'offence-il pas ceux ci et ceux la tout ensemble? ceux ci parce qu'il les deprime contre la rayson, ceux la parce qu'il les fait paroistre sotz.

  A005000854 

 Purifions donq, Theotime, tant que nous pourrons, toutes nos intentions: et puisque nous pouvons respandre sur toutes les actions des vertus le motif sacré du divin amour, pourquoy ne le ferons nous pas? rejettans es occurrences toutes sortes de motifs vicieux, comme la vayne gloire et l'interest propre, et considerans tous les bons motifs que nous pouvons avoir d'entreprendre l'action qui se presente alhors, affin de choisir celuy du saint amour, qui est le plus excellent de tous, pour en arrouser et detremper tous les autres.

  A005000855 

 Nous ne disons pas que nous allons a Lyon, mais a Paris, quand nous n'allons a Lyon que pour aller a Paris; ni que nous allons chanter, mais que nous allons servir Dieu, quand nous n'allons chanter que pour servir Dieu..

  A005000855 

 Vous voyes bien, mon cher Theotime, qu'en ce retour d'esprit nous parfumons tous les autres motifs, de l'odeur et sainte suavité de l'amour, puisque nous ne les suivons pas en qualité de motifs simplement vertueux, mais en qualité de motifs voulus, aggreés, aymés et cheris de Dieu.

  A005000857 

 Qui ne sçait qu'il y a eu des pauvres de Lyon qui, pour louer avec exces la mendicité, se firent heretiques, et de mendians devindrent des faux belitres? Qui ne sçait la vanité des Enthousiastes, Messaliens, Euchites, qui quitterent la dilection pour vanter l'orayson? Qui ne sçait qu'il y a eu des heretiques qui, pour exalter la charité envers les pauvres, deprimoyent la charité envers Dieu, attribuant tout le salut des hommes a la vertu de l'aumosne, selon que saint Augustin le tesmoigne? quoy que le saint Apostre exclame que qui donne tout son bien aux pauvres, et il n'a pas la charité, cela ne luy proffite point..

  A005000863 

 Or ilz ne sont pas seulement inseparables de la charité, ains, toutes choses bien considerees et a proprement parler, ilz sont les principales vertus, proprietés et qualités de la charité.

  A005000866 

 Et je metz ainsy cette double crainte es deux derniers degrés, pour accorder toutes les traductions avec la sainte et sacree edition ordinaire; car si en l'Hebrieu le mot de crainte est repeté par deux fois, ce n'est pas sans mystere, ains pour monstrer qu'il y a un don de crainte filiale, qui n'est autre chose que le don de pieté, et un don de la crainte servile, qui est le commencement de tout nostre acheminement a la souveraine sagesse..

  A005000870 

 Telle, certes, est la crainte de l'ame qui a [294] l'excellente dilection: car elle s'asseure tant de la souveraine bonté de son Espoux, qu'elle ne craint pas de le perdre, mais elle craint bien toutefois de ne jouir pas asses de sa divine presence et que quelqu'occasion ne le fasse absenter pour un seul moment; elle a bien confiance de ne luy desplaire jamais, mais elle craint de ne luy plaire pas autant que l'amour le requiert; son amour est trop courageux pour entrer voire mesme au seul soupçon d'estre jamais en sa disgrace, mais il est aussi si attentif qu'elle craint de ne luy estre pas asses unie: ouy mesme, l'ame arrive quelquefois a tant de perfection qu'elle ne craint plus de n'estre pas asses unie a luy, son amour l'asseurant qu'elle le sera tous-jours, mais elle craint que cette union ne soit pas si pure, simple et attentive comme son amour luy fait pretendre.

  A005000872 

 Ainsy la divine Bonté, voulant coucher en l'ame humaine une grande diversité de vertus et les rehausser en fin de son amour sacré, il se sert de l'eguille de la crainte servile et mercenaire, de laquelle, pour l'ordinaire, nos cœurs sont premierement piqués; mais pourtant elle n'y est pas laissee, ains, a mesure que les vertus sont tirees et couchees en l'ame, la crainte servile et mercenaire en sort, selon le dire du bienaymé Disciple, que la charité parfaite pousse la crainte dehors.

  A005000872 

 Or, la crainte initiale ou des apprentifs procede du vray amour, mais amour encor tendre, foible et commençant; la crainte filiale procede de l'amour ferme, [295] solide et des-ja tendant a la perfection; mais la crainte des espouses provient de l'excellence et perfection amoureuse des-ja toute acquise: et quant aux craintes serviles et mercenaires, elles ne procedent voirement pas de l'amour, mais elles precedent ordinairement l'amour pour luy servir de fourrier, ainsy que nous avons dit ailleurs, et sont bien souvent tres utiles a son service.

  A005000872 

 Vous verres toutefois, Theotime, une honneste dame, qui, ne voulant pas manger son pain en oysiveté, non plus que celle que Salomon a tant loüee, couchera la soye en une belle varieté de couleurs sur un satin bien blanc, pour faire une broderie de plusieurs belles fleurs, qu'elle rehaussera par apres fort richement d'or et d'argent selon les assortissemens convenables.

  A005000876 

 Toutefois, encor que la dame dont nous avons parlé ne veuille pas laisser l'eguille en l'ouvrage quand il sera fait, si est ce que, tandis qu'elle y a quelque chose a faire, si elle est contrainte de se divertir pour quelqu'autre occurrence, elle laissera l'eguille piquee dans l'œillet, la rose ou la pensee qu'elle brode, pour la treuver plus a propos quand elle retournera pour ouvrer.

  A005000883 

 Dieu envoye souvent [à l'âme] la crainte servile, comme un autre Eliezer (Eliezer aussi veut dire ayde de Dieu), pour traitter le mariage entre elle et l'amour sacré; que si l'ame vient sous la conduite de la crainte, ce n'est pas qu'elle la veuille espouser, car en effect, si tost que l'ame rencontre l'amour, elle s'unit a luy et quitte la crainte..

  A005000884 

 Le brave prince Jonathas, allant a la charge sur les Philistins emmi les tenebres de la nuit, voulut avoir son escuyer avec soy, et ceux qu'il ne tuoit pas, son escuyer les tuoit: et l'amour, en voulant faire quelque entreprise hardie, il ne se sert pas seulement de ses propres motifs, ains aussi des motifs de la crainte servile et mercenaire; et les tentations que l'amour ne desfait pas, la crainte d'estre damné les renverse.

  A005000884 

 Si la tentation d'orgueil, d'avarice ou de quelque playsir voluptueux m'attaque: Hé, ce diray-je, sera-il bien possible que pour des choses si vaynes mon cœur voulust quitter la grace de son Bienaymé! Mais si cela ne suffit pas, l'amour excitera la crainte: Hé, ne vois-tu pas, miserable cœur, que secondant cette tentation, les effroyables flammes d'enfer t'attendent, et que tu perds l'heritage eternel du Paradis? On se sert de tout es extremes necessités; comme le mesme Jonathas fit, quand, passant ces aspres rochers qui estoyent entre luy et les Philistins, il ne se servoit pas seulement de ses pieds, mais gravissoit et grimpoit a belles mains comme il pouvoit.

  A005000885 

 Ainsy Joseph, envoyant a son pere plusieurs charges de toutes les richesses d'Egypte, ne luy donna pas seulement les tresors, comme principaux presens, mais aussi les asnes qui les portoyent..

  A005000885 

 Et comme celuy qui donne une grenade la donne voirement pour les grains et le suc qu'elle a au dedans, mais ne laisse pas pourtant de donner aussi l'escorce, comme une dependance d'icelle, de mesme, bien que le Saint Esprit, entre ses dons sacrés, confere celuy de la crainte amoureuse aux ames des siens, affin qu'elles craignent Dieu en pieté, comme leur Pere et leur Espoux, si est-ce, toutefois, qu'il ne laisse pas de leur donner encor la crainte servile et mercenaire, comme un accessoire de l'autre plus excellente.

  A005000886 

 Or, bien que la crainte servile et mercenaire soit grandement utile pour cette vie mortelle, si est-ce qu'elle est indigne d'avoir place en l'eternelle, en laquelle il y aura une asseurance sans crainte, une paix sans desfiance, un repos sans soucy; mais les services neanmoins que ces craintes servantes et mercenaires auront rendu a l'amour y seront recompensés: de sorte que, si ces craintes, comme des autres Moyse et Aaron, n'entrent pas en la Terre de promission, leur posterité neanmoins et leurs ouvrages y entreront.

  A005000897 

 Mais cette crainte, toutefois, prattiquee par maniere d'eslan ou sentiment naturel, n'est ni louable ni vituperable en nous, puisqu'elle ne procede pas de nostre election: elle est neanmoins un effect d'une tres bonne cause, et cause d'un tres bon effect, car elle provient de la connoissance naturelle que Dieu nous a donné de sa providence, et nous fait reconnoistre combien nous dependons de la toute puissance souveraine, nous incitant a l'implorer; et se treuvant en une ame fidele, elle luy fait beaucoup de biens.

  A005000898 

 Nostre Seigneur, qui estoit venu pour nous apporter la loy d'amour, ne laisse pas de nous inculquer cette crainte: Craignes, dit-il, Celuy qui peut jetter le cors et l'ame en la gehenne.

  A005000899 

 A cette crainte on en peut adjouster une autre, certes moins malicieuse, mais autant inutile, comme fut celle du juge Felix, qui, oyant parler du jugement divin, fut tout espouvanté, et toutefois ne laissa pas pour cela de continuer en son avarice; et celle de Balthazar, qui, voyant cette main prodigieuse qui escrivoit sa condamnation contre la paroy, fut tellement effrayé qu'il changea de visage, et les jointures de ses reins se desserroyent, et ses genoux tremoussans s'entrehurtoy ent l'un a l'autre, et neanmoins ne fit point penitence.

  A005000899 

 Certes, celuy qui ayme le peché et le voudroit volontier commettre malgré la volonté de Dieu, encor qu'il ne le veuille commettre craignant seulement d'estre damné, il a une crainte horrible et detestable; car, bien qu'il n'ait pas la volonté de venir a l'execution du peché, il a neanmoins l'execution en sa volonté, puisqu'il la voudroit faire si la crainte ne le tenoit, et c'est comme par force qu'il n'en vient pas aux effectz.

  A005000899 

 Que si la crainte ne forclost pas la volonté de pecher, [302] ni l'affection au peché, certes elle est meschante et pareille a celle des diables, qui cessent souvent de nuire de peur d'estre tormentés par l'exorcisme, sans cesser neanmoins de desirer et vouloir le mal, qu'ilz meditent a jamais; pareille a celle du miserable forçat, qui voudroit manger le cœur du comite, quoy qu'il n'ose quitter la rame de peur d'estre battu; pareille a la crainte de ce grand heresiarque du siecle passé, qui confesse d'avoir haï Dieu, d'autant qu'il punissoit les meschans.

  A005000900 

 La crainte donq de ceux qui, comme esclaves, observent la loy de Dieu pour eviter l'enfer est fort bonne; mais beaucoup plus noble et desirable est la crainte des Chrestiens mercenaires, qui, comme serviteurs a gages, travaillent fidellement, non pas certes principalement pour aucun amour qu'ilz ayent encores envers leurs maistres, mais pour estre salariés de la recompense qui leur est promise.

  A005000901 

 Mais en fin, quand nous craignons d'offencer Dieu, non point pour eviter la peyne de l'enfer ou la perte du Paradis, mais seulement parce que Dieu estant nostre tres bon Pere nous luy devons honneur, respect, obeissance, alhors nostre crainte est filiale, d'autant qu'un enfant bien né n'obeit pas a son pere en consideration du pouvoir qu'il a de punir sa desobeissance, ni aussi parce qu'il le peut exhereder, ains simplement parce qu'il est son pere; en sorte qu'encor que le pere serait viel, impuissant et pauvre, il ne laisserait pas de le servir avec egale diligence, ains, comme la pieuse cigoigne, il l'assisterait avec plus de soin et d'affection: ainsy que Joseph, voyant le bon homme Jacob son pere, vieux, necessiteux et reduit sous son sceptre, il ne laissa pas de l'honnorer, servir et reverer avec une tendreté plus que filiale, et telle, que ses freres l'ayant reconneüe, estimerent qu'elle opereroit encor apres sa mort, et l'employerent pour obtenir pardon de luy, disans: Vostre pere nous a commandé que nous vous dissions de sa part: Je vous prie d'oublier le crime de vos freres, et le peché et malice qu'ilz ont exercé envers vous.

  A005000902 

 Car, comme les jeunes garçons qui commencent a monter a cheval, quand ilz sentent leur cheval porter un peu plus haut, ne serrent pas seulement les genoux, ains se prennent a belles mains a la selle, mais quand ilz sont un peu plus exercés ilz se tiennent seulement en leurs serres, de mesme les novices et apprentifs au service de Dieu, se treuvans esperdus parmi les assautz que leurs ennemis leur livrent au commencement, ilz ne se servent pas seulement de la crainte filiale, mais aussi de la mercenaire et servile, et se tiennent comme ilz peuvent pour ne point deschoir de leur pretention.

  A005000902 

 Toutefois, quand il arrive que cette crainte filiale est jointe, meslee et detrempee avec la crainte servile de la damnation eternelle, ou bien avec la crainte mercenaire de perdre le Paradis, elle ne laisse pas d'estre fort aggreable a Dieu, et s'appelle crainte initiale, c'est a dire crainte des apprentifs, qui entrent es exercices de l'amour divin.

  A005000906 

 Ainsy, qui diroit: le fruit de la vigne c'est le raysin, le moust, le vin, l'eau de vie, la liqueur res-jouissant le cœur de l'homme, le breuvage confortant l'estomach, il ne voudroit pas dire que ce fussent des fruitz de differente espece, ains seulement qu'encor que ce ne soit qu'un seul fruit, il a neanmoins une quantité de diverses proprietés, selon qu'il est employé diversement..

  A005000906 

 Mays voyes, Theotime, que ce divin Apostre contant ces douze fruitz du Saint Esprit, il ne les met que pour un seul fruit; car il ne dit pas: les fruitz de [305] l'Esprit sont la charité, la joye, mais seulement: le fruit de l'Esprit est la charité, la joye.

  A005000908 

 Contentement lequel est si fort, que les eaux des tribulations et les fleuves des persecutions ne le peuvent esteindre; ains, non seulement il ne perit pas, mais il s'enrichit parmi les pauvretés, il s'agrandit es abjections et humilités, il se res-jouit entre les larmes, il se renforce d'estre abandonné de la justice et privé de l'assistance d'icelle lhors que, la reclamant, nul ne luy en donne; il se recree emmi la compassion et commiseration lhors qu'il est environné des miserables et souffreteux; il se delecte de renoncer a toutes sortes de delices sensuelles et mondaines pour obtenir la pureté et netteté de cœur; il fait vaillance d'assoupir les guerres, noises et dissensions, et de mespriser les grandeurs et reputations temporelles; il se revigore d'endurer toutes sortes de souffrances, et tient que sa vraye vie consiste a mourir pour le Bienaymé..

  A005000908 

 Mais, quand non seulement nous nous res-jouissons en cette divine dilection et jouissons de sa delicieuse douceur, ains que nous establissons toute nostre gloire en icelle, comme en la couronne de nostre honneur, alhors elle n'est pas seulement un fruit doux a nostre gosier, mais elle est une beatitude et felicité tres desirable; non seulement parce qu'elle nous asseure la felicité de l'autre vie, mais parce qu'en celle ci elle nous donne un contentement d'inestimable valeur.

  A005000914 

 Ne voyons nous pas les hommes qui ont donné leur cœur en proye a l'amour vil et abject des femmes, comme ilz ne desirent que selon cet amour, ilz n'ont playsir qu'en cet amour, ilz n'esperent ni desesperent que pour ce sujet, ilz ne craignent ni n'entreprennent que pour cela, ilz n'ont a contrecœur ni ne fuyent que ce qui les en destourne, ilz ne s'attristent que de ce qui les en prive, ilz n'ont de cholere que par jalousie, ilz ne triomphent que par cette infamie.

  A005000918 

 Ne voyes-vous pas comme Moyse transformoit le serpent en baguette, le saisissant seulement par la queue? Certes, de mesme, donnant une bonne fin a nos passions, elles prennent la qualité de vertus..

  A005000919 

 S'il m'arrive quelque vayne esperance, je puis resister luy opposant ce juste descouragement: O homme insensé, sur quelz fondemens bastis tu cette esperance? Ne vois tu pas que ce grand auquel tu esperes est aussi pres de la mort que toy mesme? Ne connois tu pas l'instabilité, foiblesse et imbecillité des espritz humains? aujourd'huy, ce cœur duquel tu pretens est a toy; demain, un autre l'emportera pour soy.

  A005000920 

 Il guerit ses disciples de la crainte mondaine, leur imprimant dans le cœur une crainte superieure: Ne craignes pas, dit il, ceux qui tuent les cors, mais craignes Celuy qui peut damner l'ame et le cors pour la gehenne.

  A005000920 

 Voulant une autre fois les guerir d'une basse joye, il leur en assigne une plus relevee: Ne vous res-jouisses pas, dit il, dequoy les espritz malins vous sont sujetz, mais dequoy vos noms sont escritz au Ciel; et luy mesme aussi rejette la joye par la tristesse: Malheur a vous qui ries, car vous pleureres..

  A005000921 

 L'appetit de manger est rendu grandement spirituel si, avant que de le prattiquer, on luy donne le motif de l'amour: Hé non, Seigneur, ce n'est pas pour contenter ce chetif ventre, ni pour assouvir cet appetit, que je vay a table, mais pour, selon vostre providence, entretenir ce cors que vous m'aves donné sujet a cette misere; ouy, Seigneur, parce qu'ainsy il vous a pleu.

  A005000921 

 Si j'espere l'assistance d'un ami, ne puis-je pas dire: Vous aves establi nostre vie en sorte, Seigneur, que nous ayons a prendre secours, soulagement et consolation les uns des autres; et parce qu'il vous plaist, j'employeray donq cet homme, duquel vous m'aves donnee l'amitié a cette intention.

  A005000925 

 Pour l'ire, nous l'avons veu au discours du zele; pour le desespoir, sinon qu'on le reduise a la juste desfiance de nous mesmes, ou bien au sentiment que nous devons avoir de la vanité, foiblesse et inconstance des faveurs, assistances et promesses du monde, je ne voy pas quel service le divin amour en peut tirer..

  A005000928 

 La tristesse procede aussi d'autres fois de la condition naturelle, quand l'humeur melancholique domine en nous; et celle cy n'est pas voirement vicieuse en soy mesme, mais nostre ennemy pourtant s'en sert grandement pour ourdir et tramer mille tentations en nos ames.

  A005000930 

 Certes, la tristesse de la vraye penitence ne doit pas tant estre nommee tristesse que desplaysir, ou sentiment et detestation du mal: tristesse qui n'est jamais ni ennuyeuse ni chagrine; tristesse qui n'engourdit point l'esprit, ains qui le rend actif, prompt et diligent; tristesse qui n'abbat point le cœur, ains le releve par la priere et l'esperance, et luy fait faire les eslans de la ferveur de devotion; tristesse laquelle, au fort de ses amertumes, produit tous-jours la douceur d'une incomparable consolation, suivant le precepte du grand saint Augustin: Que le penitent s'attriste tous-jours, mais que tous-jours il se res-jouisse de sa tristesse.

  A005000930 

 Nous voyons aussi maintefois des penitences fort empressees, troublees, impatientes, pleureuses, ameres, souspirantes, inquietes, grandement aspres et melancholiques, lesquelles en fin se treuvent infructueuses et sans suite d'aucun veritable amendement, parce qu'elles ne procedent pas des vrays motifz de la vertu de penitence, mays de l'amour propre et naturel..

  A005000930 

 [316] «La tristesse,» dit Cassian, qui opere la solide penitence et l'aggreable repentance de laquelle on ne se repent jamais, elle «est obeissante, affable, humble, debonnaire, souëfve, patiente, comme estant issue et descendue de la charité: si que s'estendant a toute douleur de cors et contrition d'esprit, elle est, en certaine façon, joyeuse, animee et revigoree de l'esperance de son proffït; elle retient toute la suavité de l'affabilité et longanimité, ayant en elle mesme les fruitz du Saint Esprit que le saint Apostre raconte: Or les fruitz du Saint Esprit sont, charité, joye, paix, longanimité, bonté, benignité, foy, mansuetude, continence.» Telle est la vraye penitence, et telle la bonne tristesse, qui certes n'est pas proprement triste ni melancholique, ains seulement attentive et affectionnee a detester, rejetter et empescher le mal du peché pour le passé et pour l'advenir.

  A005000932 

 Certes, il y a des actions qui dependent tellement de la disposition et complexion corporelle, qu'il n'est pas en nostre pouvoir de les faire a nostre gré; car un melancholique ne sçauroit tenir ni ses yeux, ni sa parole, ni son visage en la mesme grace et suavité qu'il auroit s'il estoit deschargé de cette mauvaise humeur; mais il peut bien, quoy que sans grace, dire des paroles gracieuses, honteuses et courtoises, et, malgré son inclination, faire par rayson les choses convenables, en paroles et en oeuvres de charité, douceur et condescendance.

  A005000932 

 On est excusable de n'estre pas tous-jours gay, car on n'est pas maistre de la gayeté pour l'avoir quand on veut; mais on n'est pas excusable de n'estre pas tous-jours bonteux, maniable et condescendant, car cela est tous-jours au pouvoir de nostre volonté, et ne faut sinon se resoudre de surmonter l'humeur et inclination contraire..

  A005000940 

 Or je ne pense pas qu'il veuille dire que l'amour sacré soit distribué aux hommes ni aux Anges en suite, et moins encor en vertu des conditions naturelles; ni qu'il veuille dire que la distribution de l'amour divin soit faite aux hommes selon leurs qualités et habilités naturelles: car ce seroit desmentir l'Escriture, et violer la regle ecclesiastique par laquelle les Pelagiens furent declarés heretiques..

  A005000942 

 Il est pourtant vray que ces ames ainsy faites, estant une fois bien purifiees de l'amour des creatures, font des merveilles en la dilection sainte, l'amour treuvant une grande aysance a se dilater en toutes les facultés du cœur; et de la procede une tres aggreable suavité, laquelle ne paroist pas en ceux qui ont l'ame aigre, aspre, melancholique et revesche..

  A005000943 

 Le cœur de naturel doux aymera plus aysement, plus aimablement, plus doucement, mais non pas plus solidement ni plus parfaitement; ains, l'amour qui naistra emmi les espines et repugnances d'un naturel aspre et sec, sera plus brave et plus glorieux, comme l'autre sera aussi plus delicieux et gracieux..

  A005000943 

 Neanmoins, si deux personnes, dont l'une est aymante et douce, l'autre chagrine et amere, par condition naturelle, ont une charité egal, elles aymeront sans doute egalement Dieu, mais non pas semblablement.

  A005000948 

 Un thresor ne suffit pas au gré de ce divin Amant, ains il veut que nous ayons tant de thresors que notre thresor soit composé de plusieurs thresors; c'est a dire, Theotime, qu'il faut avoir un desir insatiable d'aymer Dieu, pour joindre tous-jours dilection a dilection.

  A005000949 

 C'est nostre partie sensuelle et animale qui appete de manger, mais c'est nostre partie raysonnable qui desire cet appetit; et d'autant que la partie sensuelle n'obeit pas tous-jours a la partie raysonnable, il arrive maintefois que nous desirons l'appetit et ne le pouvons pas avoir.

  A005000949 

 Le malade degousté n'a pas appetit de manger, mais il appete d'avoir appetit; il ne desire pas la viande, mais il desire de la desirer.

  A005000949 

 O Dieu, qui nous fera la grace, Theotime, que nous bruslions de ce desir, qui est le desir des pauvres et la preparation de leur cœur, que Dieu exauce volontier! Qui n'est pas asseuré d'aymer Dieu, il est pauvre; et s'il desire d'aymer, il est mendiant, mais mendiant de l'heureuse mendicité de laquelle le Sauveur a dit: Bienheureux sont les mendians d'esprit, car a eux appartient le Royaume des deux..

  A005000949 

 Theotime, de sçavoir si nous aymons Dieu sur toutes choses il n'est pas en nostre pouvoir, si Dieu mesme ne le nous revele, mais nous pouvons bien sçavoir si nous desirons de l'aymer, et quand nous sentons en nous le desir de l'amour sacré, nous sçavons que nous commençons d'aymer.

  A005000957 

 Quicomque desire quelque chose qu'il ne desire pas pour Dieu, il en desire moins Dieu..

  A005000962 

 David, et apres luy saint Louys, parmi tant de hasards, de travaux et d'affaires qu'ilz eurent, soit en paix, soit en guerre, ne laissoyent pas de chanter en verité:.

  A005000962 

 La curiosité, l'ambition, l'inquietude, avec l'inadvertence et inconsideration de la fin pour laquelle nous sommes en ce monde, sont cause que nous avons mille fois plus d'empeschemens que d'affaires, plus de tracas que d'oeuvre, plus d'occupation que de besoigne; et ce sont ces embarrassemens, Theotime, c'est a dire les niaises, vaynes et superflues occupations desquelles nous nous chargeons, qui nous divertissent de l'amour de Dieu, et non pas les vrays et legitimes exercices de nos vocations.

  A005000969 

 Saint Bernard ne perdoit rien du progres qu'il desiroit faire en ce saint amour, quoy qu'il fut es cours et armees des grans princes, ou il s'employoit a reduire les affaires d'estat au service de la gloire de Dieu: il changeoit de lieu, mais il ne changeoit point de cœur, ni son cœur d'amour, ni son amour d'object; et, pour parler son propre langage, ces mutations se faisoyent en luy, mais non pas de luy, puisque, bien que ses [325] occupations fussent fort differentes, il estoit indifferent a toutes occupations et different de toutes occupations; ne recevant pas la couleur des affaires et des conversations, comme le cameleon celle des lieux ou il se treuve, ains demeurant tous-jours tout uni a Dieu, tous-jours blanc en pureté, tous-jours vermeil de charité et tous-jours plein d'humilité..

  A005000984 

 Mais ne voyes vous pas aussi que ces pauvres gens estoyent non seulement parmi les Babiloniens, ains encor captifs des Babiloniens? Quicomque est esclave [326] des faveurs de la cour, du succes du palais, de l'honneur de la guerre, o Dieu, c'en est fait, il ne sçauroit chanter le cantique de l'amour divin; mais celuy qui n'est en cour, en guerre, au palais, que par devoir, Dieu l'assiste, et la douceur celeste luy sert d'epitheme sur le cœur, pour le preserver de la peste qui regne en ces lieux la..

  A005000991 

 Le rossignol n'ayme pas moins sa melodie quand il fait ses pauses que quand il chante; le cœur devot n'ayme pas moins l'amour quand il se divertit pour les necessités exterieures que quand il prie: leur silence et leur voix, leur action et leur contemplation, leur occupation et leur repos chantent egalement en eux le cantique de leur dilection.

  A005000995 

 Il y a des ames qui font des grans projetz de faire des excellens services a Nostre Seigneur, par des actions eminentes et des souffrances extraordinaires, mais actions et souffrances desquelles l'occasion n'est pas presente ni ne se presentera peut estre jamais; et sur cela pensent d'avoir fait un trait de grand amour: en quoy elles se trompent fort souvent, comme il appert en ce que, embrassant par souhait, ce leur semble, des grandes croix futures, elles fuyent ardemment la charge des presentes, qui sont moindres.

  A005000995 

 N'est ce pas une extreme tentation d'estre si vaillant en imagination et si lasche en l'execution?.

  A005000996 

 Hé, Dieu nous garde de ces ardeurs imaginaires, qui nourrissent bien souvent dans le fond de nos cœurs la vayne et secrette estime de nous mesme! Les grandes œuvres ne sont pas tous-jours en nostre chemin; mais nous pouvons a toutes heures en faire des petites excellemment, c'est a dire, avec un grand amour.

  A005000997 

 Les avettes picorent dans les lys, les flambes et les roses, mais elles ne font pas moins de buttin sur les menues petites fleurs du romarin et du thim; ains elles y cueillent non seulement plus de miel, mais encor de meilleur miel, parce que dedans ces petitz vases, le [329] miel se treuvant plus serré, s'y conserve aussi bien mieux.

  A005001002 

 Si je jeusne, mais pour espargner, mon jeusne n'est pas de bonne espece; si c'est par temperance, mais que j'aye quelque peché [330] mortel en mon ame, le poids manque a cette œuvre, car c'est la charité qui donne le poids a tout ce que nous faysons; si c'est seulement par conversation et pour m'accommoder a mes compaignons, cette œuvre n'est pas marquee au coin d'une intention appreuvee: mais si je jeusne par temperance, et que je sois en la grace de Dieu, et que j'aye intention de plaire a sa divine Majesté par cette temperance, l'œuvre sera une bonne monnoye, propre pour accroistre en moy le thresor de la charité..

  A005001003 

 Il y a des personnes qui mangent beaucoup, et sont tous-jours maigres, extenuees et alangouries, parce qu'elles n'ont pas la force digestive bonne; il y en a d'autres qui mangent peu, et sont tous-jours en bon point et vigoureuses, parce qu'elles ont l'estomach bon.

  A005001006 

 Ce sont les propres paroles du divin Apostre, lesquelles, comme dit le grand saint Thomas en les expliquant, sont suffisamment prattiquees quand nous avons l'habitude de la tressainte charité, par laquelle, bien que nous n'ayons pas une expresse et attentive intention de faire chasque œuvre pour Dieu, cette intention neanmoins est contenue couvertement en l'union et communion que nous avons avec Dieu, par laquelle tout ce que nous pouvons faire de bon est dedié avec nous a sa divine Bonté.

  A005001006 

 Il n'est pas besoin qu'un enfant demeurant en la mayson et puissance de son pere declaire que ce qu'il acquiert est acquis a son pere, car sa personne estant a son pere, tout ce qui en depend luy appartient aussi: il suffit aussi que nous soyons enfans de Dieu par dilection, pour rendre tout ce que nous faisons entierement destiné a sa gloire..

  A005001007 

 Mais il est vray aussi que, comme si l'on ente la vigne sur l'olivier il ne luy communique pas seulement plus parfaitement son goust, mais la rend encor participante de son suc, ne vous contentes pas aussi d'avoir la charité et avec elle la prattique des vertus, mais faites que ce soit par et pour elle que vous les prattiques, affin qu'elles luy puissent estre justement attribuees..

  A005001008 

 Quand un peintre tient et conduit la main de l'apprentif, le trait qui en procede est principalement attribué au peintre; parce qu'encor que l'apprentif ait contribué le mouvement de sa main et l'application du pinceau, si est ce que le maistre a aussi de sa part tellement meslé son mouvement avec celuy de l'apprentif, qu'imprimant en iceluy, l'honneur de ce qui est de bien au trait luy est specialement deferé, encor qu'on ne laisse pas de louer l'apprentif a cause de la souplesse avec laquelle il a accommodé son mouvement a la conduite du maistre.

  A005001010 

 Je sçai que quelques uns n'estiment pas que cette oblation si generale de nous mesme estende sa vertu et porte son influence sur les actions que nous prattiquons par apres, sinon a mesure qu'en l'exercice d'icelles nous appliquons en particulier le motif de la dilection, les dediant specialement a la gloire de Dieu.

  A005001010 

 Mais tous confessent neanmoins, avec saint Bonaventure, loué d'un chacun en ce sujet, que si j'ay resolu en mon cœur de donner cent escuz pour Dieu, quoy que par apres je fasse a loysir la distribution de cette somme, ayant l'esprit distrait et sans attention, toute la distribution neanmoins ne laissera pas d'estre faite par amour, a cause qu'elle procede du premier projet que le divin amour me fit faire de donner tout cela..

  A005001011 

 Et pourquoy donq, je vous prie, ne seront-ilz l'un comme l'autre estimés faire la distribution des pieces de leurs sommes en vertu de leurs premiers propos et fondamentales resolutions? et si l'un, distribuant ses escuz sans attention, ne laisse pas de jouir de l'influence de son premier dessein, pourquoy l'autre, distribuant ses actions, ne jouira-il pas du fruit de sa premiere intention? Celuy qui destinement s'est rendu esclave amiable de la divine Bonté, luy a par consequent dedié toutes ses actions..

  A005001013 

 Certes, saint Bonaventure advoüe qu'un homme qui s'est acquis une si grande inclination et coustume de bien faire que souvent il le fait sans speciale attention, ne laisse pas de meriter beaucoup par telles actions, lesquelles sont anoblies par la dilection, de laquelle elles proviennent comme de la racine et source originaire de cette heureuse habitude, facilité et promptitude..

  A005001018 

 Mais, Theotime, il ne se faut pas arrester la: ains, pour faire un excellent progres en la devotion, il faut non seulement au commencement de nostre conversion, et puis tous les ans, destiner nostre vie et toutes nos actions a Dieu, mais aussi il les luy faut offrir tous les jours, selon l'exercice du matin que nous avons enseigné [335] a Philothee; car en ce renouvellement journalier de nostre oblation nous respandons sur nos actions la vigueur et vertu de la dilection, par une nouvelle application de nostre cœur a la gloire divine, au moyen dequoy il est tous-jours plus sanctifié..

  A005001019 

 Et comme se pourroit il faire, je vous prie, qu'une ame laquelle a tous momens s'eslance en la divine Bonté, et souspire incessamment des paroles de dilection pour tenir tous-jours son cœur dans le sein de ce Pere celeste, ne fust pas estimee faire toutes ses bonnes actions en Dieu et pour Dieu? Celle qui dit: Hé, Seigneur, je suis vostre; Mon Bienaymé est tout mien, et moy je suis toute sienne; «Mon Dieu, vous estes mon tout;» O Jesus, vous estes ma vie; hé, qui me fera la grace que je meure a moy mesme, affin que je ne vive qu'a vous! O aymer! o s'acheminer! o mourir a soy mesme! o vivre a Dieu!» O estre en Dieu! O Dieu! ce qui n'est pas vous mesme ne m'est rien: celle la, dis-je, ne dedie-elle pas continuellement ses actions au celeste Espoux? O que bienheureuse est l'ame qui a une fois bien fait le despouillement et la parfaite resignation de soy mesme entre les mains de Dieu, dont nous avons parlé ci dessus; car par apres elle n'a a faire qu'un petit souspir et regard en Dieu pour renouveller et confirmer son despouillement, sa resignation et son oblation, avec la protestation qu'elle ne veut rien que Dieu et pour Dieu, et qu'elle ne s'ayme, ni chose du monde, qu'en Dieu et pour l'amour de Dieu..

  A005001027 

 Et tandis, ilz arrivent sur le mont destiné, ou soudain Abraham construit un autel, arrange le bois sur iceluy, lie son Isaac et le colloque sur le bucher; il estend sa main droite, empoigne et tire a soy le glaive, il hausse le bras, et comme il est prest de descharger le coup pour immoler cet enfant, l'Ange crie d'en haut: Abraham, Abraham; qui respond: Me voyci. Et l'Ange luy dit: Ne tue pas l'enfant, c'est asses; maintenant je connois que tu crains Dieu, et n'as pas espargné ton filz pour l'amour de moy.

  A005001029 

 Car d'un costé c'est voirement une merveille, mais non pas si grande, de voir que Abraham, des-ja viel et consommé en la science d'aymer Dieu, et fortifié de la recente vision et parole divine, face ce dernier effort de loyauté et dilection envers un Maistre duquel il avoit si souvent senti et savouré la suavité et providence; mais de voir Isaac, au primtems de son aage, encor tout novice et apprentif en l'art d'aymer son Dieu, s'offrir, sur la seule parole de son pere, au glaive et au feu pour estre un holocauste d'obeissance a la divine volonté, c'est chose qui surpasse toute admiration..

  A005001030 

 D'autre part, neanmoins, ne voyes vous pas, Theotime, qu'Abraham remasche et roule plus de trois jours dans son ame l'amere pensee et resolution de cet aspre sacrifice? N'aves vous point de pitié de son cœur paternel, quand, montant seul avec son filz, cet enfant plus simple qu'une colombe luy disoit: Mon pere, ou est la victime? et qu'il luy respondoit: Dieu y prouvoyra, mon filz.

  A005001031 

 Nous avons la liberté de faire le bien et le mal; mais de choisir le mal ce n'est pas user, ains abuser de cette liberté.

  A005001036 

 Comme peut on avoir un cœur et n'aymer pas une si infinie Bonté? Or ce sujet est aucunement proposé au chapitre I et II du II e Livre, et des le chapitre VIII du III e Livre jusques a la fin, et au chapitre IX du Livre X..

  A005001036 

 La Bonté divine consideree en elle mesme n'est pas seulement le premier motif de tous, mais le plus grand, le plus noble et le plus puissant, car c'est celuy qui ravit les Bienheureux et comble leur felicité.

  A005001046 

 O Dieu, mon Theotime, quelle asses digne dilection pourrions nous avoir pour l'infinie bonté de nostre Createur, qui de toute eternité a projetté de nous creer, conserver, gouverner, racheter, sauver et glorifier tous en general et en particulier? Hé! qui estois-je lhors que je n'estois pas? moy, [343] dis-je, qui estant maintenant quelque chose, ne suis rien qu'un simple chetif vermisseau de terre.

  A005001047 

 Il faut considerer les bienfaitz divins en leur seconde source meritoire; car ne sçaves vous pas, Theotime, que le grand Prestre de la Loy portoit sur ses espaules et sur sa poitrine les noms des enfans d'Israël, c'est a dire, des pierres pretieuses esquelles les noms des chefs d'Israël estoyent gravés? Hé, voyes Jesus, nostre grand Evesque, et regardes-le des l'instant de sa conception; consideres qu'il nous portoit sur ses espaules, acceptant la charge de nous racheter par sa mort, et la mort de la croix.

  A005001052 

 Or en fin, pour conclusion, la Mort et Passion de Nostre Seigneur est le motif le plus doux et le plus violent qui puisse animer nos cœurs en cette vie mortelle: et c'est la verité que les abeilles mistiques font leur plus excellent miel dans les playes de ce Lyon de la tribu de Juda, esgorgé, mis en pieces et deschiré sur le mont de Calvaire; et les enfans de la Croix se glorifient en leur admirable probleme, que le monde n'entend pas: de la mort, qui devore tout, est sortie la viande de nostre consolation; et de la mort, plus forte que tout, est issue la douceur du miel de nostre amour.

  A005001128 

 Or je dis ceci, Philothee, affin que vous sachies que la convenance au bien delaquelle la volonté reçoit complaysance, n'est pas une convenance de la seule volonté, mais de l'homme mesme avec le bien, laquelle neanmoins ne peut sentir avec complaysance que par la faculté que nous appelions volonté, car c'est l'homme qui a la convenance.

  A005001133 

 Premier: troys grans parvis, dont l'un estoit pour les Gentilz et estrangers, qui voulans recourir a Dieu venoyent adorer en Hierusalem; le [356] second estoit pour les Israelites, hommes et femmes (car la separation des femmes ne fut pas faite par Salomon); le troysiesme estoit pour les prestres et pour tout l'ordre hierarchique; et en fin, outre tous ces parvis, il y avoit le Sanctuaire, ou mayson sacree, en laquelle le seul grand Prestre avoit acces une fois l'an.

  A005001133 

 est de discourir selon les revelations generales; la quatriesme n'est pas a proprement parler une puissance de discourir ou raysonner, ains plus tost une certaine eminente et supreme pointe de la rayson et faculté mentale, qui n'est point conduite par la lumiere du discours ni de la rayson, mays par une simple veüe de l'entendement, lequel acquiesce et se sousmet avec la volonté au secret et bon playsir de Dieu..

  A005001134 

 Le grand Prestre, entrant dedans le Sanctuaire, obscurcissoit encor cette lumiere qui entroit par la porte, jettant force parfums dans son encensoir, la fumee desquelz rebouschoit les rayons de clarté que l'ouverture de la porte pouvoit rendre; et cette simple veüe qui se fait en la supreme portion de l'ame est aussi obscurcie par les acquiescemens, renoncemens et resignations que l'ame fait en Dieu, ne voulant pas tant regarder et voir qu'offrir et acquiescer: de sorte que presque elle ferme les yeux, soudain qu'ell'a commencé a voir la volonté de Dieu, affin [que], sans s'amuser a la contempler et considerer, elle puisse tant mieux l'adorer, accepter, s'y complayre et acquiescer amoureusement par l'union de sa volonté propre a celle de son Dieu..

  A005001134 

 Nul n'entre au Sanctuaire que le grand Prestre; en cette pointe de l'ame les discours n'y entrent point, ains [357] seulement cette supreme et universelle et grande veûe, par laquelle nous connoissons que la volonté divine est souverainement bonne et digne d'estr'aymee en tout generalement et non pas seulement particulierement en quelque chose, et non pas seulement en general mais en particulier en chasque chose.

  A005001136 

 Aussi l'acte de la foy n'est pas un discours, mays un tres simple acquiescement de l'entendement aux choses revelees, et revelees non par une claire lumiere mays par une lumiere obscure, quoy que tres certaine; or l'acte de l'esperance n'est autre chose que le simple mouvement de la volonté a ce que la foy enseigne, entant quil nous est utile et promis, pour l'unir a nous et le rendre nostre; et l'acte de la charité, un mouvement de la volonté au bien que la foy nous monstre, entant quil est bon simplement, pour nous unir a iceluy et nous rendre siens.

  A005001136 

 De sorte que ces troys divines vertus ne sont point fondees sur le discours, ains sur l'acquiescement de l'entendement; elles ont vrayment leur assiete sur la supreme cime de l'ame, en laquelle ne se fait aucun discours ains une simple veiie et regard, par lequel l'entendement estant esclairé d'une lumiere extremement obscure mais infiniment certaine, non seulement il acquiesce a la certitude pour croire invariablement et tres fermement, mais aussi il acquiesce a l'obscurité, ne desirant pas sçavoir ni voir, ains croire simplement en toute asseurance et sousmission..

  A005001138 

 En ce sanctuaire de nostr'ame Dieu parle a nostre esprit, l'instruisant de ce quil faut croyre, esperer, aymer, non point par maniere de discours, mais par maniere d'inspiration et illustration ou illumination, luy proposant les saintes verités de la foy et, par maniere de dire, les luy faysant aucunement entrevoir parmi des obscurités, tenebres et nuages: en sorte que nostr'entendement en reçoit un'obscure connoissance, laquelle, quoy qu'obscure, est tellement aggreable a la volonté, qu'elle s'y complait grandement, et par sa complaysance porte l'entendement a un parfait acquiescement qu'il fait sans reserve ni exception quelcomque, croyant fermement ces sacrees verités de la foy, qu'il entrevoit aucunement et quil ne void nullement, qu'il entreconnoit et ne connoist pas, [359] c'est a dire qu'il ne sçait que par ouӱ dire, car, comme dit l'Apostre, la foy est par l'ouӱe.

  A005001139 

 Mays faut il pas qu'en effect je sois infiniment belle, puisque [parmi] les noyres obscurités et au travers de tant de tenebres sombres, entre lesquelles je ne puis estre veiie ains seulement entreveüe, neanmoins encor suis-je si aggreable que le roy de l'ame, qui est l'esprit, m'ayme tres uniquement, et fendant la presse de toutes autres connoissances me reçoit et me loge dans sa plus belle chambre, et me fait asseoir comme reyne dans le trosne plus relevé de ses acquiescemens, d'ou je donne la loy et assujettis, comme mon captif, tout discours et tout sentiment humain.

  A005001140 

 Certes, rien n'est si croyable que la s te religion Chrestienne, mais néanmoins chacun ne la croit pas.

  A005001140 

 Quelle merveille fut ce que tant de merveilles miraculeuses furent faites par N. S r entre les Juifz, et que les Juifz entr'icelles creurent si peu a la sainte verité? Car ces merveilles rendoyent la doctrine de Celuy qui les faysoit infiniment croyable; mais dautant que les cœurs n'estoyent pas disposés a recevoir le don de la foy, et que sans la foy ce qui est le plus croyable n'est pas creu, partant ilz demeurerent en leur infidelité: ilz voyoyent le fond des argumens, et n'acquiesçoyent point a la conclusion.

  A005001142 

 Sa longueur est de deux coudees et demi, pour la perseverance et longanimité entre les œuvres de la vie purgative, illuminative et unitive; et par ce que l'union ne se fait qu'a demi en ce monde, aussi la troysiesme mesure n'est que de demi coudee: ou bien la longanimité es œuvres requises a nostre perfection, au secours du prochain, au service de Dieu, et ce service n'a pas icy sa pleyne mesure.

  A005001146 

 Et comm'est ce que sa bonté pourroit mieux tesmoigner la volonté qu'ell'a de nous sauver, que faysant pour nous une si riche provision des moyens necessaires a cet effect, les nous offrant si liberalement, et nous pressant si chaudement de les recevoir, de les embrasser et de les employer? Il est vray, [363] Philothee, que Dieu ne nous veut pas porter au salut, d'une volonté absolue et inevitable, sinon Ihors quil void la nostre suivre volontairement les attraitz de la sienne.

  A005001146 

 Il veut que nous y aillions, puisquil nous y exhorte, mais que nous y aillions volontairement et librement, selon la liberté et franchise de nostre volonté, laquelle il veut attirer et allecher affin qu'elle coure a l'odeur de ses parfuns, mays il ne veut pas la violenter ni necessiter; c'est pourquoy, bien quil veuille faire veritablement nostre salut, il ne le veut pas inevitablement faire..

  A005001146 

 Mays par ce qu'encor quil ne nous ayme pas, il ne laisse pas de desirer de nous aymer, il nous invite a nous laisser conduire a sa grace................................

  A005001146 

 Non certes, car il ne nous veut pas tirer par les cordages desquelz on tiroyt jadis les veaux et les moutons aux sacrifices, sans leur consentement et par force, ains par les liens d'Adam, par les liens de charité, d'amour et d'affection, comm'Abraham mena le s t enfant Isaac et le mit sur le bucher pour l'immoler.

  A005001146 

 O Dieu, mais sil le veut, pourquoy ne nous sauvons pas tous? C'est par ce quil ne le veut pas de sa volonté inevitable, ains de sa volonté attrayante, laquelle exerce suffisamment en nous sa bonté pour nous rendre capables du salut, mays qui n'exerce pas pourtant sa toute puissance pour nous mettre hors du danger et du pouvoir de nous damner si nous voulons.

  A005001147 

 Il conserve soigneusement le privilege [de] nostre liberté entre les graces de sa liberalité: il comble quelquefois la liberté de doux attraitz ou d'attrayantes douceurs, mais il ne l'estouffe jamais, il ne la suffoque point, ains luy laisse tous-jours l'aspiration et respiration libre pour recevoir ou rejetter son inspiration; car en fin ce sont des douceurs, et ce ne seroyent pas des douceurs si c'estoyent des violences: il la tire sans la tiranniser, et cela, ce me semble, ne tesmoigne pas moins la verité de la volonté de Dieu pour nostre salut; ains, au contraire, ceste volonté est dautant plus veritable qu'elle est plus douce et plus suave, dautant plus aymable qu'ell'est plus amiable..

  A005001154 

 Ce n'est pas que les payens n'eussent des repentances et pœnitences quand ilz avoyent fait quelques fautes contre leurs amis; car, comme Ciceron dit, 4 Tuscul., quand Alexandre eut tué Clytus, a peine se peut il empescher de se tuer soymesme, tant la force de la penitence fut grande: tanta vis fuit poenitendi.

  A005001154 

 Civit., convaincu par Socrates de n'estre pas sage, il se mit a pleurer, estant triste d'estre ce quil devoit n'estre pas.

  A005001156 

 Au contraire, la tressainte pœnitence est une grande partie de la philosophie chrestienne, en laquelle quicomque dit quil ne peche point, non seulement il n'est pas sage, mais il est forcené; et quicomque croid de remedier son peché sans pœnitence, il est insensé.

  A005001156 

 C'est pourquoy cette vertu est une vertu morale, lhors que pour avoir offencé Dieu nous nous en repentons, demandons pardon, et pour reparation du peché excitons en nostre ame un volontaire desplaysir; mais elle ne laisse pas d'estre un vray don de Dieu, car bien que nous puissions avoir quelque sorte de repentance de nos pechés, entant que par iceux nous avons violé la loy naturelle et le dictamen rationis, l'ordonnance, la conduite et l'advis de la rayson, [si est] ce [que] quand nostre repentir se fait pour Dieu, et forclost [la volonté de pecher,] il ne peut [estre] que de Dieu, et vray don de Dieu..

  A005001158 

 Que si la repentance [que nous avons conçeue] du peché n'est pas si grande qu'elle nous porte a vouloir satisfaire a celuy qui est offencé, et reparer l'injure au mieux quil se peut, ce n'est pas une vraye penitence, ains un foible commencement de pœnitence, une penitence foible, debile et sans vigueur..

  A005001171 

 Presque tous les precedens Philosophes n'ont pas estés si pieux.

  A005001172 

 Et ceste repentance morale est attachee a la connoissance et amour de Dieu que la nature peut fournir, et [est] une dependance de la religion morale; et comme la nature peut fournir a l'homme plus de connoissance que d'amour des choses divines, ains en a fourni, ainsy que dit saint Paul des Philosophes, qui ayans conneu Dieu ne l'ont pas glorifié comme Dieu (y ayant plus d'aysance de bien penser que de bien dire, et infiniment plus de bien dire que de bien faire), aussi la nature a fourni plus de connoissance que Dieu estoit offencé par le peché, que de repentance pour reparation de l'offence.

  A005001176 

 Non, Philothee, car comme le grand Apostre a dit que sil donnoit son cors a bruler et tout son bien aux pauvres, et quil n'eut pas la charité cela ne luy prouffite de rien, aussi pouvons nous dire que quand nous aurions une repentance si grande que nous fondissions en larmes et que le regret nous fit pasmer, ains mourir tout a fait, et nous n'avons pas la charité, tout cela ne prouffite de rien pour la vie eternelle..

  A005001176 

 Quand donq nous sommes touchés par quelqu'un de ces motifz et qu'en vertu d'iceux nous detestons nos pechés, nous faysons une louable pœnitence (car la crainte de perdre ce que nous devons desirer ne peut estre que louable, et quand le desir d'une chose est louable, la crainte de son contraire est louable aussi: desirer le Paradis est chose louable; donques, craindre l'enfer est chose louable), mays imparfaite encor et laquelle ne suffit pas pour nous mettre en la grace de Dieu.

  A005001177 

 Or, ma chere Philothee, en toutes ces repentances le s t amour de Dieu n'y entre point; car ne voyes vous pas que c'est la crainte de la peyne, le desir du Paradis, l'interest de nostre ame, pour sa beauté interieure, son honneur, sa dignité, son propre bien, et, en un mot, nostre propre amour, quoy qu'amour s t et juste, qui nous porte a repentance, et non l'amour que nous devons a Dieu [369] comme au souverain bien et premiere bonté, alaquelle, comm'au supreme objet de nostre volonté et affection, nous devrions regarder simplement..

  A005001178 

 Et qui seroit le pere qui treuvast bonne la volonté d'un enfant, quand il dirait que si son pere ne luy avoit præparé un bon hæritage il l'offenceroit? Mays je dis que ces repentances que la consideration de nostre propre interest, quoy que spirituel et louable, produit en nous, n'enferment point et ne comprenent point encor l'amour [de] Dieu; elles ne le rejettent pas, mais elles ne le contiennent pas non plus; elles ne sont pas contre luy, mais elles sont encor sans luy; il n'en est pas exclus ou forclos, mais il n'y est enclos non plus.

  A005001178 

 Il y a, certes, bien de la difference entre dire: je suis dans la nef de l'eglise et ne veux pas entrer dans le chœur, et dire: je ne suis encor que dans la nef de l'eglise; car l'un a fait tout le chemin quil veut faire, et l'autre n'en a voirement pas fait davantage, mais il n'est ni hors de desir ni hors d'esperance d'en faire davantage.

  A005001178 

 Je ne dis pas que ces repentances rejettent l'amour de Dieu: non certes, Philothee, car si par exemple, quelqu'un se repentant d'offencer Dieu pour ce que par le peché il perd le Paradis, entendant et deliberant que si Dieu ne donnoit point de Paradis a ceux qui vivent bien, il ne voudroit pas bien vivre, helas, il commettroit un grand peché, car il præfereroit son interest et son bien propre a la bonté et Majesté divine; il aymeroit mieux le don que le Donnateur, qui seroit un'affection fort desordonnee et desreglee.

  A005001178 

 Le bien n'est pas bien pour nous quand il forclost le mieux qui est en nostre liberté et qui nous est plus propre..

  A005001180 

 Que si elles ne sont pas si puissantes qu'elles nous desengagent du tout de l'affection du peché, ou elles ne sont pas attritions, ou elles sont attritions des impœnitens: car, par exemple, n'arrive-il pas maintefois qu'un homme se repentira estrangement d'un peché, comme d'avoir battu son pere ou sa mere, par ce que la difformité de ce peché, et lhorreur, et mesme les exaggerations et vehementes reprehensions d'iceluy quil ouira dire a un bon praedicateur, le toucheront, et neanmoins ne se repentira nullement de la fornication quil a commise? Il y a des pechés desquelz la vilenie et le malheur est plus sensible que des autres, et comme souvent ilz sont plus attrayans que les autres avant quilz soyent commis, ilz desplaysent aussi plus fort estans perpetrés.

  A005001180 

 Tel qui a le bien d'autruy et ne le veut nullement rendre ne laissera pas d'avoir des grans remors et extremes repentances d'avoir tué un homme; la cholere l'a transporté, ell'est passee, et par consequent la repentance est aysee.

  A005001186 

 C'est pourquoy, comme le vin theriacal n'est pas appellé theriacal pour avoir la substance de theriaque, mais seulement la vertu et l'operation de la theriaque contre tous venins, aussi la repentance amoureuse n'est pas appellee amoureuse pour avoir tous-jours la substance et propre action de l'amour, mais par ce qu'elle contient, ou l'action propre de l'amour, ou la vertu, le mouvement et l'operation de l'amour, qui est de reunir l'affection et la volonté a Dieu tres estroittement et inseparablement.

  A005001186 

 Car la souveraine bonté de Dieu estant le motif de nostre repentance, elle luy donne le mouvement, car elle ne seroit pas le motif si elle ne donnoit le mouvement: or, le mouvement que la bonté donne c'est le mouvement de l'amour, or le mouvement de l'amour c'est le mouvement d'union; c'est pourquoy la vraye repentance, bien quil ne soit pas advis et qu'on n'y voye pas l'amour, neanmoins ell'a le mouvement d'amour, et unit a Dieu.

  A005001186 

 Et comme nous voyons que le vin theriacal ne s'appelle pas theriacal par ce que la theriaque en elle mesme soit meslee avec ce vin, mais seulement par [ce] que la vertu et proprieté de la theriaque y est, et quil la contient et l'a en soy; de mesme la repentance, quand ell'est excellente, ne contient pas tous-jours l'amour en luy mesme et selon son action, mais bien que quelquefois l'amour ne se treuve pas en la repentance selon son action propre, il y est neanmoins tous-jours en sa vertu et proprieté.

  A005001187 

 Et ne faut pas treuver estrange, Philothee, que la vertu et force de l'amour naisse dedans la repentance avant que l'amour y soit du tout formé, [puisque nous voyons] que par la reflexion des rayons du soleil dardés sur la glace d'un mirouer, la chaleur, qui est la vertu et proprieté du feu, s'augmente petit [a petit] si fort, qu'en fin, avant qu'elle produise le feu elle brusle, en sorte que commençant a brusler elle produit le feu; ainsy l'ame qui considerant la souveraine Bonté reçoit les rayons de ses attraitz, [372] fayt reflection sur soymesme et sur ses pechés [avec une certaine chaleur] affective, qui est la proprieté de l'amour, lequel par apres jette ses flammes et fait son action manifeste et son operation formee.

  A005001187 

 Il est avec elle, quand par la propre action de l'amour nous venons a repentance; il est en elle, quand l'amour ne paroist voirement pas en la propre forme et condition de son action, mais il agit neanmoins en la repentance, ou sa vertu, force et proprieté pour luy.

  A005001193 

 Ainsy, certes, le peché veniel n'extermine pas la charité, ains seulement il la tient captive, prisonniere et esclave, et comme accablee, en sorte qu'elle ne puisse pas exercer sa douce activité et aimable promptitude pour produire la multitude des saintes actions qu'elle desire.

  A005001193 

 En somme, les pechés venielz diminuent la charité en son exercice et non en sa substance, c'est a dire ilz ne diminuent pas la charité, mais l'exercice d'icelle, et notamment en ce que la charité requiert que nous rapportions nos actions a Dieu.

  A005001193 

 Le peché mortel n'abolist pas la lumiere naturelle, mais il la tient prisonniere, captive et esclave, en sorte qu'elle ne fait pas son operation; comme dit le grand Apostre, que les Philosophes detenoyent la verité en injustice, parce que connoissans la verité d'un seul Dieu ilz ne le glorifioyent pas comme Dieu, ains cachoyent et retenoyent l'efficace de la verité dans la multitude de leurs vices.

  A005001193 

 [Il y a donq un peché qui n'engendre] pas la mort, et partant qui n'est pas mortel; et neanmoins il est peché, et partant il desplait a la charité, non comme chose qui luy soit contraire, mais comme chose qui est contraire a ses actions et a son excellence, a son progres.

  A005001195 

 Certes, nous ne changeons pas d'esprit quand, estans assoupis de l'appetit de dormir, nous ne sçavons presque ce que nous faysons, et quand, estans bien esveillés, nous discourons sagement sur nos affaires; mais pourtant il semble que nous en ayons moins quand nous en avons moins l'usage, dautant que d'avoir une chose et n'en point user c'est l'avoir en vain.

  A005001195 

 Et en somme, la charité, qui nous est donnee pour agir selon la volonté de Dieu, n'arreste guere en un cœur qui ne l'employe pas: ou ell'agit ou elle perit; elle veut avoir des enfans, comme Rachel, [374] ou mourir.

  A005001195 

 Si que ces ames paresseuses et addonnees a leurs playsirs exterieurs ne gardent guere la charité, car ne pouvans guere demeurer en cette vie mortelle sans beaucoup de tentations, et ces vilz espritz ne s'exerçeans guere aux armes spirituelles, ni ne veillans pas sur leurs affections, elles se laissent aysement surprendre au peché; et comme.................................................

  A005001201 

 ...si, au contraire, la mere perle tient son ouïtre fermee, les goustes ne laisseront pas de tumber sur elle, mais non pas dans elle.

  A005001201 

 Et dites moy, Philothee, de quoy peut on accuser le ciel en cette diversité d'evenemens? a-il pas envoyé sa rosee et ses influences sur l'un'et l'autre mere perle? pourquoy donq l'une a elle par effect produit sa perle, et l'autre non? Il n'y a rien en celle qui l'a produit qu'elle ne doive reconnoistre du ciel, non pas mesme son ouverture par laquelle ell'a receu la goutte; car, sans la souefve fraicheur de la rousee et le sentiment des premiers rayons de l'aube qui l'ont doucement excitee, elle n'eut pas ouvert son escaille.

  A005001201 

 Mays comme celle qui s'est emperlee et comm'engrossee de sa chere geniture s'en peut voirement donner de la joye et non pas de la louange, ainsy celle qui demeure sterile n'en peut accuser le ciel, qui avoit esté autant liberal envers elle quil estoit requis pour la rendre enceinte de la perle: tout le manquement vient d'elle, et s'en doit donner tout le blasme.

  A005001202 

 L'autre aussi futvivement touché de [375] la clarté et chaleur du soleil, qui au travers de[ses] paupieres fait certaine transparence comme des petitz esclairs autour de la prunelle de ses yeux fermés; mais non seulement il, n'ouvre pas les yeux, qu'au contraire, tournant le dos au soleil, il met sa face en terre, et se rendormant, passe-la sa journee, jusques a ce que, se voyant surpris de la nuit, il se plaint par des cris effroyables de quoy il demeure exposé a la merci des loups, ou mesme des lions rugissans, si toutefois ceci arriva en Affrique..

  A005001203 

 Qui ne void, ma chere Philothee, que si le premier de ces deux voyageurs se vantoit de s'estr'eveillé, d'avoir esté esclairé, d'avoir veu, comme si cela luy estoit arrivé de son industrie, on se mocqueroit de luy et on luy diroit: Miserable, es tu allé querir les rayons du soleil? leur as tu donné la force d'esclairer? est ce de toy quilz tiennent la proprieté quilz ont de rendre les choses visibles, et de donner aux yeux la commodité de voir? Il est vray que tu pouvois t'empescher d'ouvrir tes yeux, mays il n'est pas vray que sans eux tu les eusses ouvertz, ains il est vray que c'est eux qui te les ont fait ouvrir: ilz t'ont rendu voyant, et tu ne les as pas rendu visibles.

  A005001203 

 Tu n'as pas resisté a leur clarté, il est vray, mais ilz t'ont fort aydé a ne point resister: ilz sont venus a toy, ilz se sont fait entrevoir a ta prunelle au travers de ta paupiere, ilz t'ont pressé par leur chaleur a leur faire place, et sont allés, comme par amour, dessiller tes yeux et ouvrir tes paupieres.

  A005001204 

 Mays, au contraire, si le second se plaignoit du soleil et disoit: Hé, qu'ay-je fait au soleil pour quoy il ne m'ayt pas fait voir sa lumiere comm'a mon compagnon, affin que je fisse mon voyage et ne demeurasse pas icy en ces effroyables tenebres? dites-moy, Philothee, ne prendrions nous pas la cause du soleil en main, et ne dirions nous pas a cet insensé: Chetif ingrat que tu es, qu'est ce que le soleil pouvoit faire qu'il n'ayt fait? les faveurs quil t'a faites ont esté de son costé esgales a celles de ton compaignon; que si les mesmes effectz ne s'en sont pas ensuivis, c'est que tu en as empeché la production: le soleil t'a abordé avec une lumiere egale, il t'a touché des mesmes rayons, il t'a jetté une mesme chaleur; et, malheureux que tu es, tu luy as tourné le dos pour dormir ton saoul..

  A005001210 

 Car, puis que le salut depend de la grace, pourquoy blasmera on de leur perte ceux qui n'ont pas eu la grace sans laquelle ilz ne pouvoyent eviter de perir? Mays sil est ainsy, disentles autres, que les repreuvés sont rejettes de la gloire par ce quilz ont rejetté la grace, silz sont abandonnés a la malediction par ce quilz ont abandonné la benediction, donques les esleuz ont une grande part a lhonneur de leur salut par ce quilz ont consenti a la grace, ont cooperé a l'inspiration et secondé le mouvement celeste.

  A005001210 

 Et c'est une excuse vulgaire de l'indevot, quil ne peut aymer Dieu autant quil desireroit, par ce que Dieu ne luy en fait pas la grace; et une tentation asses ordinaire, de penser que les devotz puissent rapporter leur devotion a leur diligence et leur diligence a leur gloire particuliere, comme silz avoyent rendue la grace effective et vigoureuse pour faire son operation en eux..

  A005001212 

 ...et a poussé en elle l'eau cordiale de l'inspiration, laquelle faysant son operation l'a remise en sentiment et revigoree: qu'y a-t-il en tout ceci qu'elle n'ayt receu? Que si elle repliquoit qu'au moins elle a receu les remedes: Ingrate que tu es, luy dirois-je, il est vray, tu as receu [377] les remedes; mais recevoir du bien n'est ce pas a l'indigent et souffreteux? ne suffit il pas pour t'oster tout sujet de vanité que tu n'as rien que tu n'ayes receu? Ouy, chetifve creature, tu as tout receu; et ce que tu ne consideres pas, c'est que tu as receu le pouvoir mesme de recevoir, qui est un bienfait tres particulier de ton Sauveur: car sans luy, non seulement tu n'ouvrois point la bouche, tu ne pensois point a ton salut, mais tu ne pouvois pas y penser, tant les ressortz du mouvement de ton ame estoyent empeschés du catharre de ton iniquité.

  A005001212 

 Que si tu n'as pas resisté a la faveur celeste comme tu pouvois faire: O insensee, tu n'as pas resisté, et tu le pouvois faire; mays n'es tu pas miserable de t'attribuer ta guerison et ta vie par ce que tu ne t'es pas tuee et precipitee? es tu bien si forcenee que de penser obliger ton Bienfacteur par ce que tu n'as pas rejetté son bienfait, et ne l'as pas offencé tandis quil t'obligeoit en te secourant?.

  A005001218 

 ...verra clairement quil confesse que la volonté de Dieu a eu des grans motifs et fortes raysons au decret de ce repoussement du peuple Juif, mays quil ne faut pas neanmoins en faire la recherche, ains que nous....................................................................................

  A005001226 

 Ainsy Cæsar pleure sur Pompé, et plusieurs des filles de Hierusalem pleuroyent sur Nostre Seigneur, bien que une partie d'entr'elles ne luy eusse pas grande affection.

  A005001233 

 Mes yeux se [sont] presque escoulés, disans: quand me consoleres vous? Bref, le langage d'amour ne consiste pas es paroles, mais es regars, es souspirs, es contenances, voire mesme au silence: c'est pourquoy la theologie mistique ne consiste pas a ouïr parler de Dieu, ni a lire, ni a escrire de Dieu, mais a ouïr parler Dieu, a sentir ses mouvemens, ses inspirations et ses clartés; ni nous ne parlons pas de Dieu seulement, mais a Dieu; c'est a luy a qui on parle de luy, et c'est luy qui parle de soy mesme a nous.

  A005001238 

 Saches donq, Philothee, que toute pensee n'est pas meditation: car, quand nous pensons a quelque chose sans aucun dessein de tirer prouffit de nostre pensee, nous faysons une simple pensee, et pour attentive qu'elle soit, elle n'est autre chose que pensee; que si nous pensons attentivement a quelque chose pour apprendre les causes, les effectz, les circonstances, cette pensee est nommee estude; mays quand nous pensons a quelque chose, non pour apprendre et nous instruire, mais pour nous affectionner en icelle, cela s'appelle mediter.

  A005001240 

 v. 4, 5, 6: car si nous recevons les mysteres par la foy, et nous ne les considérons pas attentivement pour nous exciter a l'amour, nous mangeons spirituellement, mais nous ne ruminons pas, et sommes immondes.

  A005001250 

 Il est vray que le regard ayant excité l'amour, l'amour ne s'arreste pas es bornes jusques auxquelles le regard l'a poussé, car en ce monde nous pouvons avoir plus d'amour que de connoissance; dont S t Thomas asseure que «les plus simples et les femmes abondent en devotion,» et sont ordinairement plus capables de l'amour de Dieu.

  A005001251 

 Ainsy donques, l'amour en ce monde ne suit pas tous-jours la connoissance, ains la laisse bien souvent en arriere et s'avance sans [385] mesure ni limite quelcomque devers son object, principalement quand l'object est infiniment aymable..

  A005001251 

 Ammon se meurt pour Thamar: comment est ce que cest amour a pris un tel accroissement? Ce n'est pas par la connoissance, sans doute, car il ne l'avoit point excessivement admiree; que si l'entendement fut allé de pair avec la volonté, a mesme que la volonté estoit transportee a cett'extremité d'amour, l'entendement eut esté transporté en l'extremité de l'admiration.

  A005001251 

 La connoissance est requise a la production de l'amour, car jamais la volonté ne sçauroit aymer une chose qu'elle ne connoist pas, et a mesure que la connoissance croist, nostr'amour s'augmente davantage, sil n'y a rien qui empesche son mouvement naturel.

  A005001251 

 Ne voyons nous pas, Philothee, que la cholere esmeüe par la connoissance de quelqu'injure fort legere, si promptement elle n'est bridee, elle passe tout outre et devient infiniment plus grande que le sujet ne requiert? La connoissance donne la naissance aux passions, mais non pas la mesure.

  A005001251 

 [384] Il est vray, la volonté ne connoit pas le bien que par l'entremise [de] l'entendement; mais apres qu'elle l'a conneu, elle mesme en sent le playsir, et le playsir la porte plus avant en l'amour: si que en mangeant, l'appetit va croissant.

  A005001252 

 Adjoustes que nous autres Chrestiens n'appliquons pas nostre volonté par la connoissance du discours, ni de la doctrine et science, mais par la connoissance de la foy, laquelle nous asseurant de l'infinité de la bonté divine, nous donne asses de mouvement pour nous la faire aymer de tout nostre pouvoir, encor que nous n'en ayons que cett'obscure mais certaine connoissance.

  A005001255 

 Ce n'est donq pas par nature mays par accident, a cause de nostre vanité, que la science empesche la devotion..

  A005001259 

 Ou bien il regarde seulement en general la bonté divine qui occupe son cœur, sans penser nullement aux autres attributz, c'est a dire aux autres grandeurs; comme si un homme arrestoit sa veiie sur le beau teint de son espouse sans estre attentif ni aux traitz ni au reste de la grace de son visage, et lhors il regarde tout le visage, car le teint estant respandu sur tout son visage, on ne le peut regarder qu'on ne voye tout, quoy qu'on ne soit pas attentif a tout: ainsy le cœur regarde la bonté divine, et bien qu'il voye en cette bonté la justice, la puissance, la sapience, il n'est neanmoins attentif qu'a la seule bonté..

  A005001261 

 Autrefois, on ne regarde pas ni un seul attribut, ni tout ensemble, mays une seule action ou un seul ouvrage de Dieu, et on demeure attentif a cela; comm'en l'acte de bonté par lequel il pardonne les pechés, et lhors on dit: Vous estes bon, Seig r, et en vostre bonté apprenes moy vos justifications..

  A005001266 

 63, qui a laissé par escrit que l'orayson de recueillement est comme quand un herisson ou une tortue se retire au dedans de soy, l'entendoit bien; hormis que ces bestes ci rentrent dedans soy quand elles veulent, mais le recueillement ne gist pas en nostre volonté, mais seulement quand il plait a Dieu de nous faire cette grace.

  A005001266 

 Car on n'entend pas parler de ce recueillement que tous ceux qui veulent prier doivent faire, rentrant en eux mesme comme l'enfant prodigue, et retirant par maniere de dire l'ame dedans le cœur pour parler a N. S.; mais d'un recueillement qui se fait, non par le commandement de l'amour, mais en vertu de l'amour: c'est l'amour qui le fait luy mesme, et ne le fait pas faire..

  A005001268 

 Les facultés estant donques esparses et dissipees en varieté d'occupations exterieures, ne, retourneroyent jamais d'elles mesmes au dedans de l'ame si elles n'avoyent quelque sentiment que le Bien-aymé y est: elles le cherchent, et ne s'apperçoivent pas quil est au milieu d'elles, mays il leur parle, il leur dit que c'est luy, et soudain elles se retournent a luy.

  A005001271 

 Son Bienaymé estoit tout a elle, et elle toute a luy; et elle n'eslançoit pas ses [391] facultés bien loin, ains les ramassoit et recueilloit en elle mesme, puisque son Bien Aymé estoit dedans son cœur, en sa propre poitrine, entre ses mammelles.

  A005001274 

 Telles sont les ferveurs du grand S t Aug in en ses Confessions; ou vous voyes fort souvent des souspirs, des exclamations et des traitz amoureux dont l'un n'attend pas l'autre, mais semblent a une girandole de feus artificielz qui jettent de toutes pars des flammes: car ainsy, en cette ferveur, l'ame jette un meslange et confusion d'actions et passions amoureuses, sans autre methode que celle que l'empressement lui suggere, qui est de se haster et ne tenir aucune methode.

  A005001277 

 Mays ce recueillement ne se fait pas seulement par ce sentiment de la presence de Dieu au fond de nostre ame lhors que les puissances se recueillent autour du Bienaymé, ains aussi quand nous nous mettons en la presence de Dieu en quelle façon que ce soit.

  A005001279 

 Quelquefois, l'ame estant ainsy toute ramassee en elle mesme, ou [394] devant Dieu, si elle se represente Dieu hors d'elle mesme, ou autour de Dieu, si elle se le represente et le sent dedans soy mesme, ell'entre en une si grande paix, en un repos si tranquille, et ressent un'attention si delicate, si amiable et si douce, quil semble que son attention ne soit presque pas attention, tant ell'est presqu'imperceptible et exercee delicatement.

  A005001280 

 Alhors il arrive que l'ame fait des plaintz, crie, voire pleure, tout ainsy que fait un petit enfant, lequel, si on l'esveille avant quil ayt achevé son sommeil, en s'esveillant crie, gemit et pleure; et bien quil ne sentit pas en dormant le bien quil recevoit du sommeil, neanmoins il le tesmoigne asses par la douleur quil ressent de son reveil præcipité, involontaire et contraint: que si on l'eut laissé assovir de sommeil, il se fut reveillé joyeux et sans pleur.

  A005001280 

 Or, l'ame qui est en ce doux sommeil et qui n'a que la seule simple attention delicieuse de son Espoux, ne voudroit jamais partir de la, ni changer ce repos, non pas mesme au plus grand bien de ce monde.

  A005001282 

 Mais [396] apres que la fraicheur du lait a aucunement appaysé la chaleur appetissante de leur petite poitrine, et que les douces vapeurs quil envoye au cerveau commencent a les endormir, Philothee, vous les verries fermer leurs petitz yeux tout bellement et ceder au sommeil, sans quilz facent plus aucun'autre action que celle d'un lent et tendre mouvement des levres, avec lequel ilz succent et avalent imperceptiblement le lait, sans y penser certes, mais non pas sans playsir, car si [on] leur oste ce bien ilz s'esveillent et pleurent amerement; si que tesmoignans de l'aigreur en la privation, ilz font asses connoistre qu'ilz avoyent de la douceur en la possession.

  A005001282 

 Que si on incommode ce cher enfant, et que, par ce quil semble endormi, on veuille luy oster le testin, il monstre bien alhors quil ne dort pas pour ce regard, quoy quil dorme pour tout le reste; car il apperçoit le mal de cette privation, qui tesmoigne bien quil savouroit le bien de la jouissance.

  A005001283 

 Certes, Philothee, il n'y dormit pas du sommeil naturel, car il n'y a pas de l'apparence; et quand il dit quil estoit couché ou panché au sein de son Maistre il ne veut nullement dire quil y fut gisant et dormant, ains seulement quil estoit assis en sorte qu'il estoit contorné devers le sein de son Maistre, selon la coustume des Levantins.

  A005001284 

 (Ces deux exemples sont admirables et les faut bien faire valoir.) Elle n'a pas besoin de la memoire, car ell'a present son object; elle n'a pas besoin de l'imagination, car qu'est-il besoin de s'imaginer celuy que l'on a en presence reelle? Car imaginer n'est autre chose que se representer une chose en image, quoy qu'image interieure, et celuy qui a le cors n'a pas besoin de regarder l'image, ains l'image luy seroit une diversion.

  A005001284 

 Elle ne luy demande rien, car elle ne veut que luy qu'ell'a treuvé; elle ne cherche plus rien, car ell'a treuvé Celuy qu'elle cherchoit; elle ne s'amuse pas a discourir par l'entendement, par ce qu'elle void d'une veüe simple et si douce son Bienaymé, que le discours la divertiroit et mettroit en travail: et mesme quelquefois elle ne le void point par l'entendement, et ne se soucie point de le voir, se contentant de le sentir par le seul ayse de la volonté, comme la S te Vierge, qui ayant N. S. en son ventre, le sentoit sans le voir, ou comme S te Elizabeth qui, sans le voir, jouissoit du fruit de sa presence en la Visitation.

  A005001286 

 Or en cette tranquillité il arrive quelquefois une tentation subtile: car si l'esprit a qui Dieu la donne est grandement actif, fertile et foisonnant en considerations, ou qui ayme grandement sentir ce quil fait et retourner sa veue sur soymesme, pour se voir et reconnoistre son avancement ou savourer son contentement... Car il y a des espritz de cette condition, qui veulent tout voir et sçavoir ce qui se passe en eux, et ne se contentent pas de savourer le bien silz ne savourent encor le contentement; et, [par] maniere de dire, encor quilz soyent contens, il leur est advis quilz ne le sont pas s'ilz ne sentent le contentement d'estre contens, et sont comme ceux qui, se sentans bien vestus contre le froid, ne penseroyent pas l'estre [398] silz ne contoyent combien de robbes ilz portent, ou comme ceux qui, estantz bien rassassiés ou desalterés, ne seroyent pas contens silz ne sçavoyent la quantité et qualité de ce qu'ilz ont beu et mangé..

  A005001288 

 Mays pourtant il ne faut pas croire qu'il y ait peril de perdre cette sainte quietude par les actions ni du cors ni de l'esprit qui ne se font point par legereté ni par indiscretion; car il faut croire la B. M. Therese, laquelle estime que c'est superstition d'estre si jaloux de cette quietude que de ne vouloir ni tousser, ni cracher, ni respirer, pour la mieux conserver: car, certes, Dieu qui donne cette paix ne l'oste pas pour telz mouvemens exterieurs, non, ni mesme pour les distractions et evagations involontaires de l'esprit; car la volonté estant une fois bien amorcee ne laisse pas de savourer le fruit de cette quietude, quoy que l'entendement ou la memoire s'eschappent..

  A005001289 

 Et alhors, la paix sans doute n'est pas si grande comme si l'entendement et la memoyre conspiroyent, mais elle ne laisse pas d'estre vraye paix, puisqu'ell'est en la volonté, reyne de toutes nos facultés.

  A005001292 

 Car imagines vous quil ne leur eut dit sinon: Demeures icy, ou que, quand il leur dit: Dormes et vous reposes, il leur eut enjoint de dormir, et quil n'eut pas dit cela pour les reprendre, leur permettant de dormir au tems auquel il sçavoit bien quilz ne le pourroyent pas faire: car en ce cas-la, silz fussent demeurés-la dormans, ilz eussent esté en la presence de leur Maistre, qui n'estoit guere loin, sans le sentir en façon quelcomque; et l'enfant qui dort dans le giron de sa mere est certes en sa presence, sans neanmoins s'en appercevoir.

  A005001292 

 Et notes, Philothee, qu'il y a difference entre se mettre en la presence de Dieu et se tenir ou estre en la presence de Dieu: car pour s'y mettre il faut appliquer son ame et la rendre actuellement attentive a cette presence, ainsy que je le dis en l' Introduction; mais apres qu'on s'est mis en la presence de Dieu, on s'y tient et on y persevere tous-jours tandis qu'ou par l'entendement ou par la volonté on fait quelque chose en Dieu ou pour Dieu: comme, par exemple, regardant Dieu ou quelque chose pour son amour; ou bien ne le regardant pas ni aucune chose pour son amour, mais luy parlant; ou mesme ne regardant ni ne parlant mais l'escoutant; ou encor ne regardant, ni ne parlant, ni n'escoutant, mais attendant sil nous regardera ou sil nous parlera; ou en fin, ne faysant rien de tout cela, mais simplement demeurant ou il nous a mis, par ce quil nous y a mis.

  A005001293 

 Mays dequoy te sert-il d'estre lâ? Je n'y suis pas pour mon service, mais par la volonté de mon maistre, et son gré suffit pour me contenter.

  A005001293 

 Mays ne voudrois-tu pas bien avoir du mouvement pour t'approcher [de] luy et luy faire quelqu'autre service? Non pas, certes, sinon quil le voulut.

  A005001293 

 Mays que fay tu lâ? Je n'y fay rien, car mon maistre ne m'y a pas placee affin que je fisse chose quelcomque, mais seulement [401] affin que j'y fusse.

  A005001293 

 Mays tu ne le vois pas? Non, je ne le voy pas, mais luy me void, la ou il m'a mis.

  A005001295 

 Car en fin, comme dient tous les Saintz qui ont traitté de cette matiere, c'est la vraye et essentielle extase de l'amour de n'avoir pas sa volonté en soy mesme, mais en la volonté de Dieu, ni n'avoir pas son contentement en soymesme, mais au contentement de Dieu.

  A005001299 

 Je ne parle pas icy de l'union generale que l'amant a avec la chose aymee et alaquelle l'amour tend, mais je parle d'une certaine union par laquelle l'ame recueillie en Dieu, comme nous avons dit cy devant, avec toutes ses puissances, elle se joint et unit a son object bienaymé, et demeure comme toute collee en luy..

  A005001303 

 Or icy donques (et ceci doit estre au commencement du chap.) nous ne parlons pas de l'union generale du cœur avec Dieu, mais de certains actes particuliers que le cœur fait, pour non seulement estr'uni, mais estre plus uni, plus serré et plus joint a Dieu.

  A005001307 

 Quelquefois cett'union se fait de toutes les facultés de l'ame, qui se ramassent autour de la volonté, non pour s'unir elles mesme a Dieu, car elles n'en sont pas toutes capables, mais pour ne point destourner la volonté, ains luy donner toute commodité de s'unir de plus en plus a ce divin objet; c'est pourquoy, de peur de la destourner, elles la suivent, car si les autres puissances estoyent appliquees a leurs particuliers objectz, l'ame qui opere par elles seroit distraitte et divertie par la varieté des actions, et ne pourroit pas si parfaitement s'employer a celle de l'amour.

  A005001312 

 Mays en cet endroit nous ne parlons pas du lien permanent par lequel nostr'ame est attachee a Dieu en vertu des resolutions que la sainte charité nous donne: c'est sans doute, Philothee, que la charité est un lien et lien de perfection; et qui a plus de charité, il est plus attaché a Dieu, plus indissolublement, plus inseparablement, plus estroittement.

  A005001320 

 L'ame n'en est pas de mesme par nature: non certes, Philothee, car ell'a ses figures, ses bornes et limites spirituelles, en sorte que elle n'est pas aysement pliable ni maniable par autruy.

  A005001321 

 Et comme le vin, plus il est fort moins il peut estre retenu dans le tonneau quil ne s'espanche et ne sorte par dessus, ainsy l'amour de l'Espoux ne pouvoit demeurer en son cœur quil ne se respandit; et parce que l'amour ne va pas sans l'ame, l'ame mesme de l'Espoux s'estoit respandue, dont ell'adjouste: Vostre nom est un'huile respandue; vous ne respandes pas seulement vos affections, mais vous estes vous mesme un baume respandu.

  A005001322 

 Elle commence par une parfaite complaysance que l'amant prend en la chose aymee; cette complaysance engendre une certaine impuissance spirituelle qui fait que l'ame ne se sent plus aucune force ni vigueur pour se tenir en elle mesme, ne pouvant plus demeurer en soy ou elle n'a plus aucun'attention ni playsir, ains comm'un baume fondu qui n'a plus aucune subsistence, elle se laisse tout'aller et s'escoule toute en son amant: elle ne se jette pas, ni elle ne se joint pas, ni elle ne se serre pas, mais elle tumbe, par maniere de dire, et flue, comm'une cire fondue, en ce qu'ell'ayme; elle ne peut se soustenir en elle mesme, ains se dissout et se deffait, s'escoulant toute dans le cœur qu'ell'ayme.

  A005001322 

 Ne voyes vous pas, Philothee, les nuees comm'elles demeurent la en l'air suspendues, comme si elles estoyent attachees au ciel? elles demeurent en elles mesme et se soustiennent, en sorte que quelquefois elles semblent des rideaux [411] qui sont tendus pour nous cacher le ciel.

  A005001323 

 Car dites moy, Philothee, si une goute d'eau naturelle jettee dedans un ocean de eau naphe ou d'eau imperiale, pouvoit parler et dire ce qu'ell'est devenue, ne dirait elle pas: Je suis, ains je ne suis plus moy mesme, mais cet ocean est en moy et mon estre est caché en cet abisme d'eau imperiale.

  A005001328 

 Les paroles, les yeux, le maintien, voyre mesme les cheveux, luy servent de sagettes; et tel qui entre en conversation, libre, sain et gay, ne prenant pas garde aux traitz et attraitz de l'amour, s'en reva engagé, blessé et triste.

  A005001328 

 Mays cette blesseure d'amour n'est pas seulement appellee blesseure par ce que, comm'un trait ou dard descoché sur nos cœurs, elle penetre jusques au fons intime de l'esprit, mais aussi parce qu'elle est douloureuse et en verité pique l'ame.

  A005001329 

 Car tout ainsy que si une abeille avoit piqué le visage d'un enfant, vous auries beau luy dire: ah, mon cher enfant, c'est l'abeille mesme qui a fait le miel que tantost vous avés gousté avec tant de playsir; il vous diroit: il est vray, mais son eguillon m'a percé, et tandis quil est dans ma joue je ne puis vivre en repos; ne voyes vous pas comme ma joue en est emflee? Aussi il est vray que l'amour est un mouvement de complaysance, pourveu quil ne nous laisse point l'eguillon du desir; mais quand il le laisse, sans doute nous avons un'extreme douleur, mais parce que c'est une douleur d'amour ell'est aymable et amiable.

  A005001330 

 (Il faut mettre ceci par comparayson. Une ville prise par les Romains, lhors que les soldatz de Rome se sont renduz les plus fortz, ilz arborent l'estendart, et cœt.; ainsy le Roy paysible des cœurs, Jesus Christ, ayant pris le cœur de sa chere Sulamite et l'ayant remply de mille passions amoureuses, il mit l'estendart d'amour sur son cœur.) Or lhors, tout'amoureuse qu'ell'est, il la presse, et descoche de tems en tems mille traitz d'amour, par exces, luy monstrant combien il est encor plus aymable qu'elle ne l'ayme: et elle, qui n'a pas tant de force pour aymer que d'amour pour s'efforcer d'aymer davantage, voyant ses effortz n'estre pas asses fortz pour aymer selon son desir Celuy que nulle force ne peut asses aymer, helas, elle se sent toute blessee; et autant d'eslancemens qu'elle fait, autant elle reçoit de secousses d'amour.

  A005001330 

 Ell'est attiree puissamment, et elle se sent impuissante a voler ou est sa proye, par ce qu'ell'est encor attachee aux miseres de cette vie mortelle; la voyla donq terriblement tourmentee: O miserable homme que je suis,qui me delivrera du cors de cette mortalité? Alhors ce n'est pas le desir de chose absente, car elle sent son Espoux present, il l' a menee en son cellier a vin, il a arboré sur son cœur l'estendart de l'amour, comme sur une ville pleyne de passions amoureuses.

  A005001330 

 Les [414] premiers traitz que nous recevons de l'amour s'appellent blesseures, par ce que le cœur qui sembloit sain et entier et tout a soy mesme tandis quil n'aymoit pas, il commence a recevoir du tourment, a se separer et diviser de soymesme pour se donner a l'objet aymé: or la douleur se fait par la division des choses qui se treuvent l'un'a l'autre et sont unies.

  A005001332 

 Et le desir qui ne peut reuscir est comm'un dard dans les flancz d'un courage genereux; mays pourtant la douleur que l'on en reçoit est une douleur aggreable, car quicomque desire d'aymer, il ayme aussi a desirer, et s'estimeroit le plus miserable homme du monde sil ne desiroit pas d'aymer ce quil voyd estre si souverainement aymable: il desire d'aymer, voyla sa douleur; mays il ayme a desirer, voyla sa consolation..

  A005001333 

 Dieu, donq, comme tirant des sagettes du carquoys de son infinie beauté, blesse l'ame, luy faysant clairement voir qu'elle ne l'ayme pas asses; car qui ayme Dieu en ce monde en sorte quil ne voudroit et ne desire l'aymer davantage, il ne l'ayme pas comm'il faut.

  A005001333 

 Vray Dieu, Philothee, que vay-je dire! Les Bienheureux qui sont au Ciel n'ont pas tous un egal amour, et voyans tous neanmoins que Dieu est plus aymable qu'ilz ne l'ayment ni l'aymeront jamais, sans doute ilz periroyent et pasmeroyent eternellement d'un desir d'aymer davantage, si la tressainte volonté de Dieu, quilz voyent avoir si misericordieusement et surabondamment recompensé leurs merites par l'amour (je parle des esleuz qui ont esté en usage de franc arbitre), ne leur imposoit l'admirable repos dont ilz jouissent; car ilz ayment si uniquement la volonté de Dieu, que le contentement de Dieu les contente et sa volonté arreste la leur, et acquiescent parfaitement d'estre bornés en leur amour pour l'amour de la volonté divine.

  A005001335 

 Helas! alhors l'ame, quoy qu'asseuree, ressent neanmoins des cruelles douleurs; car comme ceux qui ont des extremes aversions et répugnances a quelque chose n'en peuvent seulement pas [417] voir les ombres et les figures, non pas mesm'ouir les noms, aussi un'ame extremement amoureuse ne peut mesmement pas souffrir les semblans que Dieu fait de se desfier de nostre amour.

  A005001335 

 Un jour on faysoit des exorcismes sur une personne possedëe, et le malin esprit estant pressé de respondre quel estoit son nom, il dit quil estoit «ce malheureux privé d'amour.» S te Catherine de Genes, qui estoit la presente, se sentit esmouvoir toutes les entrailles entendant le mot de privation d'amour: et comme les demons voyans le seul signe de l'amour de Dieu, oyans le seul nom de son amour, qui est Jesus et la Croix, tremblent, sont tourmentés et fuyent, par ce quilz haissent souverainement l'amour qui fit incarner le Filz de Dieu, ainsy ceux qui aiment Dieu tremoussent aux moindres signes ou paroles qui representent la privation de cet amour, comme sont ces paroles de desfiance: M'aymes-tu? car encor que nous sachions qu'elles ne sont pas de desfiance, neanmoins, par ce qu'elles en ont l'apparence, elles nous affligent..

  A005001335 

 Un'autre blesseure d'amour est quand l'ame sçait qu'ell'ayme Dieu, mais Dieu la traitte comme sil ne sçavoit pas que l'ame est en amour; et bien qu'elle sache bien que Dieu n'est pas en desfiance de son amour, neanmoins il la traitte en sorte quil semble estre en desfiance.

  A005001337 

 D'autrefois cette blesseure se fait par la seule consideration de la multitude de ceux qui mesprisent l'amour de Dieu qui est tant aymable, si que ilz pasment de douleur, comme celuy qui disoyt: Mon zele me fait secher de douleur par ce que mes ennemis n'ont pas gardé ta loy.

  A005001338 

 Certes, l'amour est ainsy aigredoux, et tandis que nous sommes en ce monde il n'a jamais sa douceur pure, par ce quil n'y est pas parfait ni assovi; neanmoins il ne laisse pas d'estr'aggreable, et son aigreur mesme rend plus aymable sa douceur, comme sa douceur rend son aigreur extremement suave..

  A005001339 

 † Et ce qui est admirable c'est que les cœurs blessés de l'amour, non seulement sentent la douleur, mays y consentent, et ne voudroyent pour chose du monde ne l'avoir pas.

  A005001342 

 Hé, ne prenes pas garde que suis brune, car mon Bienaymé, qui est mon soleil, a dardé ses rayons amoureux sur moy; rayons qui m'esclairent, mais qui me rendent haslee et bruslee, et ce mesme soleil qui me donne sa clarté m'oste ma couleur.

  A005001342 

 L'amour qui me rend si heureuse que de me donner un si excellent ami comm'est mon Salomon, a des autres enfans qui me donnent des assaux et me reduisent a telle langueur, que comme d'un costé je ressemble a une reyne qui est a costé de son roy, d'autre part je ressemble a une vigneronne qui dans une vile cabanne garde les vignes; et si encor ne gardé je pas ma vigne, car toutes mes douleurs amoureuses sont encor dediees a mon Bienaymé..

  A005001344 

 Ne void on pas les brebis de Laban, comm'estant en amour leur imagination porte coup sur leurs petitz aigneletz, pour les faire blancz ou taquettés selon les baguettes qu'elles regardent en ce tems-lâ? Et defait, les femmes grosses, ayant l'imagination affinee par l'amour, que ne font elles pas es cors de leurs enfans? Une forte imagination fait blanchir en une nuit un homme, detraque sa santé et toutes ses humeurs.

  A005001344 

 Or, si l'amour terrestre a ce pouvoir, qu'est ce que ne pourra pas le celeste? [422].

  A005001352 

 Dieu est jaloux de nous, et nous le devons estre de luy; mays sa jalousie et la nostre ne sont pas de mesme espece, a rayson de la difference des objetz: car Dieu a de la jalousie pour nous en deux façons.

  A005001352 

 Et la rayson est par ce que nos ames n'ont pas asses d'amour pour aymer dignement ce s t Amant, et voulant partager leur amour elles le destruysent; joint qu'estant souverainement aymable, rien ne doit tenir rang egal a luy dedans nostre cœur: c'est pourquoy il le veut tout, c'est a dire, que toutes nos autres affections soyent dependentes, ou au moins sujettes, ou, au fin moins, inferieures a celle que nous luy portons..

  A005001353 

 Or cette jalousie semble estre une jalousie de convoytise, mays elle ne l'est pourtant pas, car Dieu ne desire pas tout nostre amour pour son utilité, mais pour la nostre.

  A005001353 

 Voyons nous pas, Philothee, un pere ou une mere extremement jaloux de leur fille? voire mesme un frere? Quel regret a Absalom quand il vit Tamar violee, a Jacob et ses enfans quand Dina fut defleuree! Ce n'estoit pas qu'ilz eussent praetention sur l'une ni sur lautre, mais c'estoit par ce que les aymans d'un vray amour d'amitié ilz desiroyent qu'elles fussent exemptes de mal.

  A005001354 

 Mays quant a nous autres, nous avons de la jalousie pour Dieu en un'autre façon, car nous ne voulons pas quil n'ayme plusieurs choses avec nous, ains toutes les choses; et a mesure que nous l'aymons davantage, nous desirons quil ayme plusieurs autres avec nous, dautant que son cœur infini et son amour immense est plus que suffisant pour aymer toutes les creatures quil luy plait, en sorte que l'amour quil porte a toutes ne soit point diminué par celuy quil porte a une chacune, ni celuy quil porte a une chacune, par celuy quil porte a toutes..

  A005001355 

 Chacun possede la lumiere du soleil tout ainsy que si un seul la possedoit; ils en ont tous abondamment, et partant on n'est point envieux l'un sur lautre pour cela, comme si elle ne suffisoit pas pour tous: mays quant a la lumiere de la lampe, par ce qu'ell'est insuffisante pour plusieurs, chacun la veut avoir toute pour sa chambre ou pour son logis.

  A005001356 

 L'amour est une passion de complaysance laquelle engendre la hayne du mal contraire a ce que nous aymons; et comme l'amour tend au bien de la chose aymee, ou s'y complaysant si elle l'a, ou le luy desirant et pourchassant si elle ne l'a pas, aussi ce mesm'amour engendre la hayne laquelle fuit le mal contraire a la chose aymee, ou le haissant simplement, ou desirant et pourchassant de l'esloigner et oster si elle a des-ja le mal, ou desirant de l'empescher et divertir si elle ne l'a pas..

  A005001356 

 Le zele est une passion amoureuse que les Philosophes n'ont pas bien conneüe, car ilz ont creu que c'estoit une mesme chose avec l'envie; au moins Aristote le definit: «Une tristesse du bien d'autruy par ce que nous ne l'avons pas,» qui est, en effect, la vraye definition de l'envie.

  A005001360 

 Il ne la hait pas seulement, mays il l'abomine, il la fuit, il s'essaye de l'empescher et esloigner: Arriere de moy, o malins, et je sonderayles commandemens de mon Dieu.

  A005001360 

 Par ce que nous l'aymons souverainement nous devons aussi hair tout ce qui luy est contraire, entant quil luy est contraire; et non seulement le hair, mais le fuir; et non seulement le fuir, mays l'empescher d'estre si nous pouvons; et non seulement l'empescher d'estre, mais si nous ne pouvons pas l'empescher, estre extremement marris quil soyt; et non seulement estre marris, mays avoir une s te affection d'ire pour vanger, entant quil nous appartient, la contrarieté faite a Dieu.

  A005001362 

 effect du zele envers Dieu est bien contraire a la jalousie humaine, car en lieu que nous craignons que la chose aimee ne soit possedee par quelqu'autre et qu'elle ne soit divisee, le zele envers Dieu nous fait craindre que nous mesme ne l'aymions pas asses purement et uniquement, et que nous ne soyons en quelque sorte divisés ou partagés selon l'esprit.

  A005001363 

 Mays en quoy consiste cette crainte? La jalousie que nous avons pour Dieu ne nous met point en peyne si Dieu en ayme des autres ou sil ne nous ayme pas bien, mais si nous ne l'aymons pas bien nous mesme, si nous avons chose qui luy puisse desplaire.

  A005001364 

 Quand nous aymons ardemment d'estr'aymés de quelcun le zele devient jalousie; car l'amitié humaine, quoy qu'elle soit ou vertu ou fort semblable a la vertu, si est ce qu'ell'a cette imperfection, qu'estant communiquee a plusieurs elle n'est pas si bien exercee envers un chacun, et estant departie a beaucoup de personnes sa force en devient moindre pour chacune d'icelles.

  A005001365 

 C'est pourquoy la jalousie n'est pas peché de soy mesme, bien que, procedant d'un amour imparfait et de chose estimee imparfaite, perissable, sujette a changement, maintefois elle trouble, et cause mille pechés.

  A005001365 

 La jalouzie n'est jamais qu'en matiere d'amour; et l'envie est en toutes matieres, d'honneur, de richesse, de beauté, et, comme je pense, elle ne regarde pas l'amour sinon qu'avec l'amour il y ait quelqu'autre consideration, d'estime, d'honneur, de preference: c'est a dire, elle ne regarde pas tant l'amour que les fruitz de l'amour; mais la jalouzie regarde droittement l'amour, et non les fruitz de l'amour..

  A005001365 

 Mays la jalousie n'est nullement marrie que chacun jouisse du sien, ains seulement lhors que la jouissance du compaignon empesche la nostre; car un homme, pour jaloux quil soit, ne sera jamais marri que celuy duquel il est jaloux soit aymé des autres femmes, pourveu que ce ne soit pas de la sienne: non pas mesme nous ne sommes pas jaloux, a proprement parler, de nos corrivaux, tandis que nous n'estimons d'avoir acquise l'amitié de la personne aymee (que si il y a de la passion pour cela, c'est une passion d'envie), mais oüy bien lhors que nous l'avons [430] acquise et que nous nous desfions qu'un autre ne l'emporte.

  A005001366 

 Et la rayson est parce que, comme la mort est si forte qu'elle separe l'ame de toutes choses et de son cors [431] (mesme, l'amour, aussi puissant qu'elle, separe l'ame de toutes affections et la rend pure de tout meslange: dautant que ce n'est pas un simple amour, mais un amour zelé et jaloux, lequel est aussi aspre, dur et animé a chatier le tort qu'on luy fait, admettant avec luy quelque corrival, comme l'enfer a punir les damnés; et comme l'enfer, plein d'horreur, de hayne, ne reçoit aucun meslange d'amour, aussi l'amour ne reçoit aucun meslange d'autre affection.

  A005001367 

 Ce tant si petit divertissement, survenu par surprise, ne fut pas, certes, un peché ni un'infidelité, ains une seul'ombre de peché et une seule apparence d'infidelité; et neanmoins, la sainte Vierge nostre Dame l'en tança si fort, et le glorieux Apostre luy en fit une si grande confusion, qu'elle pensa fondre en larmes.

  A005001367 

 Un jour S te Catherine de Siene estant ravie d'un ravissement qui ne luy ostoit pas l'usage des sens, tandis que Dieu luy monstroit ses merveilles, un sien frere passa pres d'elle, et par le bruit quil fit la provoqua a se retourner devers luy et le regarder un seul petit moment, apres lequel elle remit ses yeux sur le divin objet dont sort Espoux l'avoit gratifiee.

  A005001368 

 Ainsy, Philothee, l'Apostre, jaloux des ames des Chorinthiens, proteste que ce n'est pas pour luy quil est jaloux, mais pour son Maistre: Je suis jaloux de vous, ou, sil faut ainsy dire, je vous jalouze de la jalousie de Dieu, par ce que je vous ay promis a luy de vous preenter une vierge chaste.

  A005001368 

 Celle la n'est point jalouse par ce qu'elle n'est point amoureuse, celle ci est si fort amoureuse qu'elle en est toute jalouse; mais elle n'est pas jalouse de sa propre jalousie, ell'est jalouse de la jalousie de son espoux: elle ne craint pas de n'estre pas aymee, comme font les autres jalouses, qui est la jalousie qui regarde son interest; mais elle craint de n'aymer pas asses, qui est la jalousie qui regarde l'interest de son espoux.

  A005001368 

 L'adultere craint son mari, si fait bien aussi la chaste espouse, mais differemment: car, comme dit le grand s t Aug in, l'adultere craint la presence, la chaste espouse craint l'absence; l'une craint quil ne vienne, lautre quil ne s'en aille; l'une craint d'estre chastiee, lautre craint de n'estre pas aymee; ains celle ci ne craint pas tant de n'estre pas aymee comme elle craint de n'aymer pas asses.

  A005001368 

 Mays voyes cette jalousie delicatement exprimee par S te Catherine de Genes presqu'en tous les enseignemens des proprietés du pur amour qu'elle donne si admirablement; car il ne se peut rien adjouster a ce qu'elle dit pour monstrer que l'amour parfait, c'est a dire parvenu jusques au zele, ne peut souffrir l'interposition ni le meslange d'aucune autre affection dans le cœur quil possede, non pas mesme des dons de Dieu, car il ne veut pas mesme qu'on [432] affectionne le Paradis sinon pour y plus aymer Dieu.

  A005001369 

 Non pas certes que le s t amour, pour vehement quil soit, puisse estre excessif en soymesme ni en ses inclinations; mais par ce quil employe a l'execution de ses ordonnances l'entendement, auquel il commande de chercher les moyens de faire reuscir ses intentions, et la hardiesse et cholere pour les prattiquer, il advient que souvent l'entendement prend des voyes insolentes, trop aspres et violentes, et que l'audace ou cholere estant esmeüe fait plus [433] qu'on ne luy commande, et que par ainsy le zele est exercé indiscrettement et desreglement, dont il devient mauvais..

  A005001371 

 Carpus, homme excellent en pureté et sainteté, et lequel il y a grande apparence avoir esté Evesque de Candie, en eut un tel desplaysir qu'onque en sa vie il n'en avoit souffert de tel; et se laissa porter si avant par [434] cette passion que, s'estant levé selon sa coustume pour prier a la minuit, plein d'un'indignation implacable, il concluoyt a part soy quil n'estoit pas raysonnable que les hommes impies vescussent plus long tems, et sur cela prioit que sans misericorde il fit mourir d'un coup de foudre ces deux hommes ensemble.

  A005001374 

 Il est vray qu'estant puissant et courageux, il fait d'abord beaucoup de besoigne; mais il est aussi si ardant, si rude, si remuant, si inconsideré, si indiscret, qu'ordinairement il ne fait point de bien qu'il ne face quant et quand beaucoup de maux Ce n'est pas bon mesnage, disent nos œconomes, de tenir des paons, car si bien ilz chassent aux araignes et en desfont les maysons, ilz gastent tant les couvertz et le toict, que leur besoigne [436] n'est pas comparable a leur degast.

  A005001375 

 Mays nous autres, qui sommes presque tous des petites gens, nous n'avons pas tant d'authorité; nostre cheval n'est pas si bien dressé que nous le puissions pousser et faire parer quand il nous plait.

  A005001377 

 Si c'est une ire inspiree, ou au moins excitee par le S t Esprit, ce n'est plus l'ire de l'homme; mais si elle n'est pas excitee du S t Esprit, quoy quil semble qu'elle serve au zele ne le croyons pas, au moins ayons beaucoup de desfiance de son service, car le zele doit estre juste, et la cholere n'opere point la justice..

  A005001378 

 Les chasseurs sont ardens, diligens, laborieux au pourchas sans cholere, et silz entroyent en cholere, ilz ne chasseroyent pas si bien..

  A005001379 

 Mays l'amour propre nous trompe souvent, et prætent le zele pour exercer ses passions sous un honnorable praetexte; et parce que le zele se sert quelquefois de la cholere, la cholere en contre-change se sert souvent du nom de zele pour s'excuser et couvrir son ignominie: car de se servir du zele mesme, en verité, cela ne se peut; dautant que c'est le propre de toutes les vertus, mais surtout de la charité, d'estre «si bonnes que nul ne peut en abuser.» Et y a des personnes qui ne pensent pas y avoir autre sorte de zele que la cholere, ni autre instrument du zele que l'ire, et qui ne pensent rien accommoder s'ilz ne gastent tout; ou, au contraire, le vray zele n'employe la cholere que fort rarement et es extremes maux, car comm'on n'applique le feu et le fer aux malades que rarement et quand on ne peut moins faire, aussi le zele n'employe la cholere qu'es extremités..

  A005001380 

 Le zele requiert que celuy qui repousse l'injure faite a Dieu ayt charge de ce faire; la cholere pousse souvent ceux qui ne doivent pas sinon compatir, pleurer, demander a Dieu le remede.

  A005001381 

 NOTA. Fortis ut mors dilectio, dura sicut infernus œmulatio; la mort separe l'ame du cors, et l'enfer separe l'ame de nostre Seig r et de son Paradis (non pas de sa grace, car c'est le peché qui en separe, auquel l'amour n'est pas comparé): [439] ainsy s t Paul, ainsy Moyse, anathema a Christo ut Christus anathema a Pâtre, propter amorem.

  A005001382 

 C., que luy disoyent ses Disciples qui n'avoyent pas encor participé de ce bon, doux et benin esprit.» Voyes vous, Philothee, Phinees voyant un Israelite se souiller de luxure avec une Moabite il les tua tous deux; Helie avoit prædit la mort d'Ochozias, lequel, indigné de cette prædiction, envoya deux cappitaines de cinquante hommes l'un apres lautre pour le prendre, et il fit descendre le feu du ciel qui les devora, et tous leurs compaignons.

  A005001382 

 Et le grand s t Denis dit excellemment a Demophile, que celuy qui veut corriger les autres doit premierement «avoir soin d'empescher que lacholere ne deboute la rayson de l'empire et domination que Dieu luy a donné en l'ame, et qu'elle n'excite une revolte et sedition et confusion dans nous mesme.» Et apres, il dit au mesme: «De façon que nous n'appreuvons pas vos impetuosités poussées d'un zele indiscret, quand mille fois vous repeteries Phinees et Helie; car telles paroles ne pleurent pas a Jes.

  A005001382 

 Or un jour que nostre Seigneur passoit au pais de Samarie, il envoya en une ville pour y apprester son logis, mais les bourgeois, sachans que N. S. estoit Juif de nation et quil alloit en Hierusalem, ne le voulurent pas loger; ce que [440] voyans S t Jean et S t Jaques, ilz dirent a N. S.: Voules vous que nous commandions au feu quil descende et quil les brusle? Et N. S. se retournant devers eux les tança, disant: Vous ne sçaves de quel esprit vous estes; le Filz de l'homme n'est pas venu pour perdre les ames, mais pour les sauver..

  A005001384 

 En fin, la discretion qui accompaigne le vray zele luy fait non seulement discerner que c'est quil doit entreprendre, mays comment il le doit entreprendre; elle ne fait pas seulement choysir un juste sujet, mays des moyens convenables pour empescher le mal et conserver le bien..

  A005001392 

 Ilz quitterent leurs femmes, ceux qui en avoyent; despuis, s'ilz les reprirent, ce fut avec changement d'affection, car en lieu quilz les avoyent precedemment par affection nuptiale, ilz les eurent par affection de frere a seur, dit S t Paul: N'avons nous pas ce pouvoir, mulierem sororem circumducendi?.

  A005001392 

 L'Ange commanda a s t Pierre quil mit premier ses sandales, et il les mit les premieres, encor que ce ne soit pas l'ordinaire de prendre les souliers avant que de s'habiller: ainsy, aux uns Dieu commande d'enseigner avant que d'estudier, comm'il fit aux Apostres, a s t François, a Isaie, et ilz le firent; aux autres d'estudier avant qu'enseigner, et ilz le font.

  A005001398 

 ...qui a descouvert une beauté nouvelle par la contemplation, ne se contente pas de l'admirer, mais va de plus en plus enfonçant sa consideration sur son objet pour treuver davantage de merveilles.

  A005001398 

 Que si Dieu l'arreste en la premiere admiration, il ne laisse pas de s'attacher, ne pouvant s'assovir de voir ce quil n'a encor point [445] veu.

  A005001399 

 Et tous-jours vous sçaurés que l'extase de l'amour est la meilleure, car lautre ne nous fait pas meilleurs si ell'est seule, le s t Apostre disant: Si je connoissois tous les misteres et toute science, et je n'ay pas la charité, je ne suis rien. C'est pourquoy le malin esprit peut extasier, pour parler ainsy, et ravir l'entendement, representant des merveilleuses intelligences qui le tiennent suspens, et par le moyen de telles illusions il peut provoquer la volonté a certaine [446] sorte d'amour imparfait, tendre et fort aggreable a la nature; comm'en effect il a souvent abusé plusieurs personnes par de telles amorces et faulses extases..

  A005001399 

 Neanmoins, les deux extases ne sont pas tellement appartenantes l'un'a lautre que l'une ne soit souvent sans lautre: car, comme les Philosophes ont eu plus de connoissance de la Divinité quilz n'ont eu d'amour pour elle, aussi les simples Chrestiens ont souvent plus d'amour que de connoissance; et par consequent l'exces de la connoissance n'est pas tous-jours suivi de l'exces de l'amour, non plus que l'exces de l'amour de celuy de la connoissance.

  A005001400 

 Il estoit tellement aliené des sens quil ne sentoit mesme pas quand on le brusloit, ains, apres estre revenu a soy il en souffroit la douleur; et neanmoins si quelqu'un luy parloit un peu fort et a voix claire il l'entendoit comme de loin, et n'avoit nulle respiration..

  A005001401 

 Je ne dis pas quil ne se puisse faire qu'on ayt des ravissemens, des visions, voire qu'on puisse avoir l'esprit de prophetie sans avoir la charité; car c'est chose certaine que comm'on peut avoir la charité sans estre ravi, aussi on peut estre ravi, avoir des visions et prophetiser sans avoir la charité: mays je dis que celuy qui a plus de clarté en l'entendement, par le ravissement, que de chaleur en la volonté pour aymer Dieu, il doit estre en grand peyne [447] et souci, ou que son ravissement ne soit naturel, ou quil soit procuré par le malin, ou quil n'en devienne plus enflé qu'edifié, et quil ne soit, comme Saul, Balaam et Caiphe, entre les prophetes, et non entre les esleuz..

  A005001401 

 Sur le Mag., chap. 16: car si bien ilz ne parlent pas tous de l'extase, neanmoins ce quilz disent du discernement des visions, revelations, instinetz et inspirations est convenable pour le discernement des vrayes et faulses extases.

  A005001402 

 C'est lhors que nous ne vivons pas selon nostre rayson naturelle, mais au dessus; lhors que nous ne nous contentons pas de vivre selon les vertus civiles et morales, mais selon les perfections divines et chrestiennes; lhors que, renonçans mesme aux choses loysibles, nous passons outre a une vie plus relevee que la vie humaine.

  A005001402 

 Mays, outre les commandemens, il y a des conseilz et des inspirations evangeliques, qui nous eslevent a une vie qui, a la verité, n'est pas contraire, mais qui excede et surpasse toute l'inclination naturelle: et lhors que nous prattiquons ces conseilz et inspirations nous faysons une vie surhumaine, c'est a dire une vie qui est hors et au dessus de nostre condition naturelle..

  A005001402 

 Voyes-vous, Philothee, les commandemens de Dieu sont tous conformes a la rayson mesme naturelle, et bien quilz ne puissent pas estre exactement observés par les seules forces de la nature, si est ce que nostre nature nous incline a les vouloir observer.

  A005001404 

 Ainsy le Chrestien meurt a sa vie naturelle, et ne perd neanmoins pas la vie, mais il la cache en Dieu avec Jesus Christ.

  A005001404 

 Il colloque en Dieu toutes ses consolations, tous ses playsirs, toutes ses richesses, tous ses honneurs, et cependant les couvre, affin qu'on ne les voye pas, d'humilité, d'abjection; si que, avec Jesus Christ, il couvre (comme Jesus Christ qui cacha sa Divinité) sa gloire, sa felicité sous l'ignominie de la croix: ainsy nous cachons nostre vie, c'est a dire nostre esperance, nostre consolation, la grace abondante, sous la croix.

  A005001407 

 Quand donques vous voyes un homme qui a des extases et est hors et dessus soy en l'orayson, et neanmoins il ne l'est pas en sa vie, il vit selon le sens, selon le monde, et n'a point d'exces de pieté, de mortification, de conversation en sa vie: quil ayt tant d'exces quil voudra en l'orayson, telz ravissemens sont grandement perilleux et douteux; ce sont ravissemens qui le peuvent rendre plus admirable, mais non pas plus saint.

  A005001419 

 Mays pourtant l'amour qui fait tant de divisions, ne separe pas ordinairement l'ame d'avec son cors, ains permet que l'ame et le cors demeurent jointz et liés ensemble, se contentant de rendre le cors spirituel et l'ame spirituelle.

  A005001420 

 Tous les esleuz meurent en l'amour de Dieu; car l'amour de Dieu et la grace n'estant non plus differens que le feu entant quil est lumineux et beau, et le feu entant quil est chaud et ardent, qui ne meurt en l'amour de Dieu ne meurt pas en la grace de Dieu, et qui meurt hors de la grace de Dièu il n'est pas esleu, car ceux la seulz sont esleuz desquelz Dieu praevoit quilz mourront en sa grace.

  A005001421 

 Neanmoins, es Martirs, l'amour ne donne pas la mort, ce sont les tyrans, et l'amour la fait souffrir..

  A005001421 

 Tous les Martirs meurent pour l'amour de Dieu: car si bien on dit quilz meurent pour la foy, c'est a dire pour ne point renoncer la foy ou pour la soustenir, si est ce quilz ne mourroyent pas pour la foy si la charité ne les animoyt et silz n'aymoyent la foy; or ilz n'aymeroyent pas la foy silz n'aymoyent Celuy que la foy annonce.

  A005001422 

 Mays ceux que l'amour de Dieu consume petit a petit, les extasiant, fondant leur cœur, les allanguissant, leur ostant le boyre et le manger, et en somme abbregeant leur vie, ilz meurent par l'amour: car comme ceux que le regret ou desplaysir empesche de [454] manger et de dormir, petit a petit tumbent en defaillance de forces et en fin meurent (ilz ne meurent pas de regret, mais par le regret, car ilz meurent de foiblesse: le regret les empesche de manger et dormir, le defaut du manger et dormir les affoiblit, et en fin, destitués de force naturelle, ilz meurent); ainsy l'amour de Dieu occupant grandement l'esprit des saintz amants, petit a petit la digestion et les autres functions animales et vitales manquent a leur office; l'ame ne leur pouvant asses fournir de forces a rayson du divertissement qu'ell'a sur l'object de l'amour, en fin la mort s'en ensuit.

  A005001424 

 Il est dedans leur ame, mais alhors, pour l'ordinaire, il n'est pas en exercice et ne fait pas d'action, car estant en un homme dormant, il semble qu'il dorme aussi, comme toutes les autres habitudes, de science, de prudence, de foy, d'esperance; car alhors la science est en un homme dormant, car sil la perdoit en s'endormant, il faudroit quil retournast a l'escole pour l'apprendre: on la treuve en se resveillant, et la foy et l'esperance et toutes les autres vertus, desquelles la condition naturelle est que quand nous les avons nous nous en puissions servir quand nous voulons, et qu'elles ne nous servent pas sinon que nous voulions.

  A005001424 

 Les uns meurent en la s te charité, qui est l'amour habituel, en l'habitude de l'amour, ayans l'amour dedans le cœur, mais non pas en l'action de l'amour; et de cette mort meurent ordinairement les esleuz.

  A005001424 

 Or il arrive maintefois que les gens de bien et les esleuz meurent de mort soudaine, et lhors qu'en effect ilz ne pensoyent pas a Dieu, comme font ceux qui meurent apoplectiques ou letargiques, ou qui meurent de mal de chaud, en resverie et frenesie: car bien que les saintz et esleuz ne meurent jamais de mort improuveue, par ce que toute leur vie n'est presque qu'une meditation de la mort, si est [ce] quilz meurent bien de certains genres de mort esquelz ilz n'ont pas l'usage de rayson, ni par consequent l'usage [456] de la charité et de l'amour.

  A005001424 

 Or, ceux ci sont bienheureux, mourans en la charité et en l'amour de Dieu, quoy que non pas en l'usage de l'amour, parce quilz meurent en Dieu; car, comme dit le Sage, Sap. 4.

  A005001424 

 Or, quand nous dormons nous ne voulons rien, c'est pourquoy alhors ces habitudes ne sont pas en usage.

  A005001424 

 Quand les justes dorment, ilz ne perdent pas pour cela la grace de Dieu, ni sa charité ou son amour.

  A005001429 

 Hé Dieu, quelle mort devoit faire ce grand Patriarche! Il estoit vice pere de N. S., en lieu du Pere eternel qui, quant a ce qui regardoit la vie de N. S., ne vouloit pas employer ordinairement sa Majesté.

  A005001429 

 Mays quant a s t Joseph, il m'est impossible de douter quil ne mourut non seulement en l'amour, mais par l'amour et d'amour; car qui croiroit que le cher Enfant de son cœur, son Sauveur et son Dieu, ne l'assistast pas a l'heure de son trespas, et quil ne mourut pas entre les bras de Celuy quil avoit si souvent porté entre les siens? Beati misericordes: il avoit tant receu de douceurs, de misericorde, de charité, de ce bon Pere nourricier lhors quil vint au monde, quil ne pouvoit quil ne luy rendit la pareille.

  A005001429 

 Son ame ne pouvant pas aymer son Sauveur a souhait parmi les distractions [460] de cette vie, et tout le service pour lequel N. S. l'avoit pris pour luy tenir lieu de vray pere estant achevé, il dit, ou explicitement ou virtuellement, au Pere eternel: O Pere, j'ay achevé l'œuvre que vous m'avies donné en charge; et puis, se tournant vers son Filz: Mon Filz, je remetz mon esprit entre vos mains, comme vostre Pere eternel avoit remis vostre cors entre les miennes..

  A005001430 

 Et si bien ces histoires ne sont pas tant ni si bien publiees ni tesmoignees comme leur grandeur le requerroit, elles ne perdent pas pour cela leur verité: et, comme dit excellemment s t Augustin, 1.

  A005001430 

 de Civit. c. 8, les miracles qui se font, pour illustres qu'ilz soyent, «a peyne les sçait on au lieu mesme ou ilz se font,» et encor que ceux qui les ont veu les racontent, on a peyne de les croire; mays pour cela ilz ne laissent pas d'estres veritables, et en matiere de religion les ames bien faites ont plus de suavité a croire les choses esquelles il y a plus de difficulté et d'admiration..

  A005001434 

 Et le medecin le voyant mort, se jetta sur sa poitrine, et fondant en larmes et souspirs: «En verité,» dit il tout haut, «o serviteur de Dieu, Basile, si vous eussies voulu, vous ne fussies non plus mort maintenant que quand je vous vis hier que vous ne mourustes pas.».

  A005001443 

 [Ce n'est pas bien] servir un maistre, d'employer autant de tems a considerer ce qu'on doit comm'a faire.

  A005001444 

 Et quand il y auroit un peu plus de prieres en l'un qu'en l'autre, neanmoins ce n'est pas chose qui face une difference remarquable pour laquelle la volonté de Dieu soit plus tost en l'une qu'en lautre.

  A005001444 

 Mays es menues actions ordinaires et qui ne sont pas de grande consequence, esquelles mesme la faute seroit aysement reparable quand il y en auroit, il n'est pas besoin de plus grand'attention pour discerner ce que Dieu veut, que celle qui est ordinaire et par laquelle on n'est point arresté; ains il se faut contenter de ce que d'abord l'amour de Dieu et du prochain nous suggere.

  A005001444 

 Si ma profession ne m'oblige pas a l'office des Heures canoniques, qu'est il besoin que je me mette en peyne sil est mieux de dire tous les jours l'Office de N. D. ou le Rosaire? [465] L'un et lautre est bon, et n'y sçauroit avoir tant de difference entre l'un et lautre quil faille pour cela faire un grand examen, lequel tandis que je ferois, j'aurois des-ja dit ou l'un ou l'autre des deux.

  A005001445 

 Car si bien les difficultés et evenemens qui s'en ensuivront sembleront nous donner desfiance d'avoir bien choysi, neanmoins c'est faute de voir ce qui fut arrivé faysant un autre choix, qui eut esté cent fois pis; et encor, c'est que nous ne sçavons pas si Dieu veut que nous soyons exercé en la consolation par le bon succes, ou en la patience et abjection par le mauvais..

  A005001445 

 Es choses mesme de consequence il ne faut pas penser de treuver la volonté de Dieu a force d'examen; mays apres avoir demandé la lumiere du S t Esprit et le conseil de nostre directeur, ou de deux ou troys personnes spirituelles et sages, prendr'au nom de Dieu la resolution, et ne douter point, par apres, de faire mauvais choix.

  A005001447 

 Voyes les lis des chams, et toutes les fleurs de la varieté et multitude desquelles la terre est diapree au primtems: elles n'ont pas une seule feuille que la providence de [466] Dieu ne la leur ayt ordonnee.

  A005001447 

 Voyes vous ces cheveux de nos testes? ilz nous importent peu, et quand nous serions chauves, comm'Helisee et saint Pierre, nous n'en vaudrions pas moins; neanmoins tous ces cheveux sont contés, la providence de Dieu en tient le roolle et ne veut pas qu'un seul perisse.

  A005001447 

 Voyes vous ces petitz moyneaux? ilz semblent estre de fort peu de consideration en comparayson du reste du monde, pas un neanmoins ne meurt que par le decret de la providence de Dieu.

  A005001452 

 Et l'importance est qu'elle dit cela parmi tant de trouble, de contradiction et de repugnances, qu'a peyne s'apperçoit on qu'elle le die; au moins, parmi de si grans tourmens, il semble a l'ame que ce qui se dit, se dit languidement et comm'a demi, qu'on ne le die pas de bon cœur, puisqu'on le dit sans playsir, sans contentement, et contre le consentement de tout le reste du cœur..

  A005001453 

 Or l'amour, voyant que Dieu veut telles souffrances nous arriver, permet bien a l'ame de se plaindre dequoy mesme elle ne se peut plaindre, et de dire toutes les lamentations de Job, mais en fin il fait tous-jours l'acquiescement dans le fond du cœur, et un acquiescement amoureux, bien que non pas tendre; mais amoureux d'un amour fort, indomptable, et lequel retiré dans la pointe de l'esprit, comme dans le dongeon de la forteresse, quoy que tout le reste soit pris et coupé, demeure courageux et acquiesce parfaitement a la volonté divine.

  A005001453 

 S te Angele de Foligni fait un'admirable similitude, disant que son ame estoit en tel tourment quelquefois «comme un homme qui, pieds et mains liés, seroit pendu par le col et ne serait pourtant pas estranglé, mais demeurerait en cet estat entre mort et vif, sans avoir aucun'esperance d'estre delivré ni estre secouru,» ne pouvant ni s'appuyer des pieds, ni s'ayder des mains, ni crier de la bouche, non pas mesme se plaindre ni jetter de souspirs.

  A005001461 

 L'indifference nous porte a l'exclamation de David: O Dieu de mon cœur, et le seul heritage que je prœtens! Qu'y a-il au ciel pour moy, et que veux-je en terre sinon vous? Qui ne cherche que Dieu, ni en terre parmi les miseres, ni au Ciel parmi les fœlicités, qu'est ce qui ne luy est pas indifferent?.

  A005001471 

 Ainsy ne fut il pas autheur que David respandit le sang innocent d'Urie, mais il imposa bien a David, pour peyne de ce peché, la dilation de l'edification du Temple, ne voulant pas quil en reuscit; et ne fut pas cause du peché de Saul, mais ouï bien qu'en peyne de son peché la victoire perit entre ses mains..

  A005001471 

 Il est vray, mon enfant, ta faute ne t'est pas advenue par la volonté de Dieu, car Dieu n'est pas autheur du peché; mays c'est bien pourtant la volonté de Dieu que de ta faute s'en ensuive la defaite de ton entreprise, car Dieu est autheur de la peyne: sa bonté fait quil ne peut estr'autheur, ni vouloir le peché, et sa justice fait quil veut la peyne.

  A005001471 

 Mays si l'entreprise faite pour la gloire de Dieu et par son inspiration perit par la faute de celuy a qui Dieu l'avoit confiee, il semble qu'alhors il n'y ait point de volonté de Dieu alaquelle on se doive conformer: car, me dira celuy la, ce n'est pas la volonté de Dieu, c'est ma faute.

  A005001472 

 Quand donques il arrive que pour nos pechés les entreprises ne reuscissent pas, il faut detester par vraye penitence nostre peché, et accepter par amour la peyne du peché; dautant que le peché est contre la volonté de Dieu, et la peyne selon sa volonté..

  A005001475 

 Voyes en fin son indifference au combat a droite et a gauche, et sur tout comme leur tristesse est joyeuse, leur pauvreté riche, leur mort vitale, leurs deshonneurs honnorables; c'est a dire, comm'ilz sont joyeux d'estre tristes, contens d'estre pauvres, vivans d'estre revigorés par les perilz de la mort, et glorieux d'estre avilis: qui tesmoigne bien que leurs afflictions et tribulations [473] n'arrivoyent pas jusques a la cime de l'esprit, en laquelle nostre volonté faysant hommage a celle de Dieu, se resjouit de la voir prattiquee, soit en la tribulation, soit en la consolation..

  A005001477 

 Faysons de nostre costé tout ce que nous pourrons pour les acquerir, n'oublions rien pour cette entreprise, car cela est de nostre devoir, c'est une volonté signifiee de Dieu que nous fassions cela soigneusement, diligemment et constamment; mais les fruitz de ce soin, de cette diligence, ce ne sont pas des volontés signifiees, ce sont des effectz de la volonté effective de Dieu: c'est pourquoy il faut demeurer en une simple attente de l'evenement de nos diligences, pour le recevoir tel qu'il plaira a Dieu nous le donner, sans nous inquieter pour cela..

  A005001477 

 Il faut mesme demeurer sousmis en cette sorte a la volonté de Dieu en l'acquisition des vertus, et ne vouloir pas les vertus qu'a mesure qu'il plaist a Dieu nous les donner.

  A005001478 

 Si donques il vous vient en la pensee que par vostre faute vous n'avances pas en la vertu, demandes pardon a Dieu, humilies vous devant sa misericorde; cela fait, demeures en paix, et ayant detesté vostre faute, embrasses amoureusement l'evenement de la retardation des vertus..

  A005001478 

 Voire, dirés vous, mais si c'est par ma faute que mon avancement en la vertu est retardé, comment ne m'inquieteray je pas? Je l'ay souvent dit en l' Introduction, qu'il ne faut pas avoir un repentir inquiet, mays rassis, ferme, constant.

  A005001486 

 Car si nostre chantre chante pour Dieu, il chantera plus volontier le cantique que Dieu desirera le plus de luy; mais sil chante pour le playsir quil prend a chanter, il ne chantera pas le cantique qui est plus aggreable a Dieu, ains celuy qui luy est plus aggreable a luy mesme.

  A005001487 

 Il est vray, mais ce n'est donq pas pour Dieu, c'est pour cette suavité que tu travailles; ce n'est pas Dieu, c'est son amour que tu aymes.

  A005001487 

 Mais, mes chers amis, Dieu ne veut pas que tu chantes ce cantique-lâ, il veut que tu chantes celuy de ta vocation, parmi le travail...................................................................................................

  A005001487 

 Ne vois tu pas, dira-on a cet Evesque, que Dieu te veut en ton diocæse, puis quil t'en a donné la charge, et non pas a la cour, ni mesme a Romme parmi ces delices spirituelles? Ouy; mais, icy dira-il, je prattique l'amour divin a Romme avec plus de suavité.

  A005001493 

 Le cœur indifferent ne travaillant plus pour aucun playsir, non pas mesme pour le plus pur playsir qu'on puisse avoir, qui est le playsir de plaire a Dieu, il ne travaille que pour l'amour de la volonté de Dieu: amour pur, desnué et quitte de toute autre sorte d'interest.

  A005001499 

 Mais acquiesces vous pas au sien? Non, je n'acquiesce pas, car je n'y pense pas: ce n'est pas par acquiescement, c'est par union de ma volonté; non, ce n'est pas par union, c'est par unité, mays unité en laquelle ma volonté ne tient point de rang ni de place, ni ne fait point de vouloir ni d'acquiescement, ains est reduite en la volonté de Dieu..

  A005001499 

 Mais dites-moy, chere ame, vous vous treuves par tout ou vostre Espoux veut? Ouy, je m'y treuve par son vouloir et non pas par le mien, car je n'en ay point que le sien.

  A005001500 

 Il ne faut pas dire, ce me semble, qu'elle fait un acquiescement, ni qu'elle accepte, ni mesme qu'elle reçoit, car la reception semble estre une action passive ou une passion active: il semble plustost que l'ame, sans rien faire, est en une simple attente, qui n'est qu'une disposition a laisser faire.

  A005001501 

 Et comme un homme embarqué ne se remue point de son mouvement, mais seulement se laisse remuer, ainsy un cœur embarqué sur la volonté et providence de Dieu il n'a plus aucun vouloir par son election, mays en vertu de l'election qu'il a fait de ne rien vouloir de soy mesme, mais suivre le vouloir de Dieu; il ne se [478] porte pas a vouloir, mais se laisse porter a vouloir, sans election ni consideration quelconque, par la seule non resistance; il ne pense pas s'il a une volonté a sousmettre, il n'en sent point, mais se laisse porter et emporter au gré de la volonté divine, avec laquelle il pense estre une mesme chose: c'est la souveraine perfection de l'union.

  A005001506 

 Un'once de baume ne respandra pas tant d'odeur que fera une livre d'huile d'aspic, mais pourtant l'odeur du baume sera tous-jours meilleure et plus prætieuse..

  A005001507 

 Car cet amour par lequel on ayme Dieu en qualitéde Dieu, si bién il ne presse pas tant l'ame, et n'est pas si ardent comme les autres amours pour multiplier les actes d'amour, si est ce qu'es occurrences il fait des actions si relevees qu'une seule vaut mieux que dix millions d'autres.

  A005001508 

 Car, voyes vous pas, Philothee, que quicomque ayme Dieu de cette sorte, il a tout son cœur, toute son ame, toutes ses puissances et toutes ses forces dedié a Dieu? puis que toutes fois et quantes quil sera requis quitter tout pour son amour, il le fera sans reserve quelcomque..

  A005001509 

 L'enfant est tout a son pere, et si, il est tout a sa mere; et ne s'ensuit pas que pour estre tout a l'un il ne soit pas tout a lautre, ni ne s'ensuit pas qu'outre cela il ne soit tout a son prince, car l'une de ces totalités ne forclost pas lautre; ains, estant tout a l'un, il peut estre tout a lautre.

  A005001511 

 Ainsy, au reng des uniques et parfaites amantes, il arrive quelques fois que cet amour si relevé cesse pour un peu, et l'on prattique seulement l'amour des reynes, ou celluy des simples amies, ou mesme celuy des fillettes, jusques a commettre des pechés venielz, par des affections qui, n'estant pas contraires a l'amour de Dieu, sont neanmoins outre cet amour et sans l'amour de Dieu.

  A005001511 

 En pas un rang neanmoins, ces amours ne sont sans meslange des amours des autres rangs: car au premier, ou l'ame est encor tout'adonnee aux pechés venielz par l'amour qu'ell'a a plusieurs vaines, impertinentes et dangereuses choses, il se peut faire, ains il se fait ordinairement, que quelques petitz rayons de l'amour du second, troysiesme, voyre quatriesme rang, s'y treuvent; mais c'est quelquefois, et foiblement.

  A005001511 

 Et lhors cette production est vaine, mais non pas l'arbre; ces fruitz sont infructueux, mais non pas l'arbre, puis qu'il en a des autres bien assaissonnés.

  A005001511 

 Je ne dis pas que celuy qui fait ces actions ou qui a ces affections soit sans l'amour de Dieu, mais je dis que les affections quil a sont hors et sans l'amour de Dieu; c'est pourquoy elles sont pechés venielz, desquelz personne, que l'on soit asseuré, n'a jamais esté exempt, sinon la très uniquement unique parfaite Mere du Sauveur.

  A005001513 

 Et neanmoins, c'est toute nostre ame qui ayme, tout nostre cœur, quoy que non pas totalement, toute nostre force, quoy que non pas totalement, ains selon qu'elle peut tendre a nostre Seigneur, et que nous en sommes les maistres; car nostr'ame entant que vegetante et sensuelle, elle n'est pas nostre par obeissance, ni moralement, ains la seule ame intellectuelle et spirituelle..

  A005001514 

 Helas! aussi, quel honneur que Dieu ne nous permette pas seulement, mais nous commande de l'aymer! Il doit estre mis au commencement pour la definition de la charité, et monstrer que cet amour n'est pas seulement un'amitié mais une dilection, et non seulement une dilection mais une charité, car c'est un amour d'excellence.

  A005001514 

 que ce n'est pas seulement un amour, mais une amitié de dilection; 4.

  A005001514 

 que ce n'est pas seulement un'amitié d'excellence, mais de parfaite excellence et sureminence.

  A005001514 

 que ce n'est pas seulement un'amitié, mais un'amitié d'excellence, et par consequent une charité; 5.

  A005001514 

 que ce n'est pas seulement une dilection, mais un'amitié; 3.

  A005001521 

 Que si elles ne trouvent point de vertus naturelles en l'ame ou la charité les produit, elles suppleent a leur defaut; y ayant cette difference entre le meslange du vin et de l'eau et celuy des vertus infuses et acquises, que le vin seul est meilleur que l'eau, ou les vertus infuses estans seules, ne sont pas si bonnes comme quand elles sont meslees avec les acquises, la grace ne destruisant point la nature, ains la perfectionnant sans qu'elle perde rien de sa force.

  A005001527 

 Le peché n'abolit pas les bonnes œuvres, ains seulement les mortifie, empeschant leur vertu; mays la grace ne mortifie pas seulement le peché, elle l'abolit absolument.

  A005001527 

 Le peché ruine nostr'ame, et les actions bonnes que nous avons faites præcedemment sont par luy non exterminees mais mortifiees; elles ont encor leur estre, mais infructueux pour nous quant a la vie eternelle: que si la grace revient, qui est un œuvre de Dieu, non seulement elle vivifie nostre ame, mais toutes œuvres que le peché avoit mortifiees; et outre cela elle ne mortifie pas seulement la vie mortelle du peché, mais elle l'abolit entierement.

  A005001533 

 Voulés-vous donq grandement prouffiter? Ne vous contentés pas de faire toutes vos œuvres en charité, comme l'Apostre commande, mays, comme luy mesme conseille, faites tout en son nom: Soit que vous beuvies, mangies, soit que vous fassies quelque autre chose, faites tout au nom de N. S. Ouvrés, salués, aymes, serves pour Dieu..


06-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome VI-Les vrays entretiens spirituels.html
  A006000007 

 Pas être utilisés à des fins commerciales de toute nature!.

  A006000073 

 Nous confessons neantmoins (ce que tout le monde croira facilement d'un ouvrage qui est passé par des mains si indignes que les nostres) que quielque diligence et quelque soin que nous y ayons apporté, il ne nous a pas esté possible de faire ce recueil si exactement qu'il ne nous soit eschappé beaucoup de choses excellentes, et que celles que nous avons retenues n'ayent aussi perdu beaucoup de leur force et des advantages qu'elles avoyent en sortant d'une si digne et si venerable bouche.

  A006000073 

 Que si bien ils ne sont pas elabourés à l'égal du reste de ses livres, si les discours n'en sont pas si bien tissus, s'il se rencontre quelque chose qui pourroit sembler a quelqu'un moins digne de son eminente doctrine et de la reputation que ses autres œuvres luy ont acquise, ce n'est pas de merveille, car jamais il ne les a veus ni leus; et vous sçavez que les enfans sevrés de la mammelle de leur mere avant le temps, ne se portent pas si bien que ceux qui en sont entierement nourris: tousjours il y a de la compassion aux enfans qui naissent apres le decés de leur pere..

  A006000074 

 Certes, ce bien-heureux Pere de nos ames n'eust oncques pensé que ses familiers Entretiens deussent avoir autre jour que celuy de nostre parloir, auquel, avec une incroyable naïfveté et familiarité, il respondoit à nos petites demandes: aussi n'estoit-ce pas nostre resolution de les communiquer au public, ains seulement en conserver les menus escrits pour la consolation particuliere de nos maisons, à l'usage desquelles ils estoient destinés.

  A006000075 

 Jouissons toutes ensemble de ces si utiles et agreables Entretiens; conservons-nous dans l'esprit de nostre Regle par leur frequente et attentive lecture, mais sur tout par la pratique fidele des saints enseignemens dont ils sont pleins: et à mesure qu'on les exprime extérieurement, imprimons-les profondement dans nos cœurs, à fin qu'ils n'en soient jamais effacés, et que nous ne soyons pas un jour obligées de rendre compte d'un si precieux talent, si nous ne l'avons fait profiter.

  A006000075 

 Neantmoins, ayant tousjours esté un des Salutaires conseils et desirs de nostre bien-heureux Pere, Instituteur et Fondateur, et qu'il nous a declaré dans l'un de ses Entretiens, que l'esprit de nos maisons fust communiqué au prochain, pour donc ne pas frustrer du fruict des saintes instructions que nous avons receuës, l'obeissance et la charité veut que nous en fassions part au public: elle ordonne aussi qu'ils nous soyent particulierement dediés, comme à celles à qui ils sont particulierement propres, puisque c'est à nous à qui nostre bien-heureux Pere les a faits.

  A006000075 

 Peut estre y trouverez-vous quelques choses qui sont si particulieres pour nos maisons, que vous jugerez n'estre pas à propos de les publier si librement, l'esprit du monde n'estant pas tousjours disposé à recevoir [3] les escrits de pieté avec la simplicité et la reverence qui leur est dette.

  A006000094 

 Or, si elle mange attirée de la delectation qu'elle en pense recevoir, alors elle desobeit non pas par desobeissance, mais par friandise: ou bien elle mange parce qu'elle n'estime point la Regleet n'en veut tenir compte ni se sousmettre à icelle, et alors elle desobeit par mespris et desobeissance..

  A006000095 

 Car qui mange contre le commandement, consequemment ou ensemblement, il commet desobeissance, quoy que s'il la pouvoit eviter en mangeant il ne la voudroit pas commettre; comme celuy qui [6] en beuvant trop voudroit bien ne s'enivrer pas, quoy que neantmoins en beuvant il s'enivre: mais celuy qui mange par mespris de la Regle et par desobeissance, veut la desobeissance mesme, en sorte qu'il ne feroit pas l'œuvre ni ne la voudroit pas s'il n'estoit esmeu à ce faire par la volonté qu'il a de desobeir.

  A006000095 

 Il s'ensuit encor, que celuy qui desobeit par quelque allechement ou surprise de passion voudroit bien pouvoir contenter sa passion sans desobeir, et à mesme temps qu'il prend plaisir, par exemple, à manger, il est marri que ce soit avec desobeissance; [mais celuy qui desobeit par desobeissance et mespris n'est pas marri de desobeir, ains au contraire il prend son plaisir à desobeir: de maniere qu'en l'un] la desobeissance suit ou accompaigne l'œuvre, mais en l'autre, la desobeissance precede l'œuvre et luy sert de cause et de motif, quoy que par friandise.

  A006000095 

 L'un rencontre la desobeissance en la chose qu'il veut, et voudroit bien ne la rencontrer pas; et l'autre l'y recherche, et ne veut la chose qu'avec intention de l'y trouver.

  A006000096 

 Or, ceste desobeissance formelle et ce mespris des choses bonnes et saintes n'est jamais sans quelque peché, pour le moins veniel, non pas mesme és choses qui ne sont que conseillées: car bien qu'on puisse ne point suivre les conseils des choses saintes, par l'élection d'autres choses, sans aucunement offenser, si est-ce qu'on ne peut pourtant les laisser par mespris et contemnement, sans offense; d'autant que tout bien ne nous oblige pas à le suivre, mais ouy bien à l'honorer et estimer, et par consequent, à plus forte raison, à ne le point mespriser et vilipender..

  A006000097 

 Davantage, il s'ensuit que celuy qui viole la Regle et Constitutions par mespris, il l'estime vile et inutile, qui est une tres grande presomption et outrecuidance: ou bien, s'il l'estime utile et ne veut pas pourtant se sousmettre à icelle, alors il rompt son dessein avec grand interest du prochain, auquel il donne scandale et [7] mauvais exemple, il contrevient à la societé et promesse faite à la compagnie, et met en desordre une maison devote, qui sont des tres grandes fautes..

  A006000101 

 Quand elle conteste que la Regle ou commandement n'est pas à propos..

  A006000103 

 Ces signes, pourtant, ne sont pas si certains que quelquefois ils n'arrivent pour d'autres causes que pour celle du mespris: car il peut arriver qu'une personne se mocque de celuy qui la reprend, pour le peu d'estime qu'elle fait de luy, et qu'elle persevere par infirmité, et qu'elle conteste par despit et colere, et qu'elle desbauche les autres pour avoir des compaignes et excuser son mal.

  A006000104 

 Si faut-il que j'adjouste un mot d'une tentation qui peut arriver sur ce poinct: c'est que quelquefois une [8] personne n'estime pas d'estre desobeissante et libertine quand elle ne mesprise qu'une ou deux regles, lesquelles luy semblent de peu d'importance, pourveu qu'elle observe toutes les autres.

  A006000106 

 Ne plaise pas à Dieu que jamais aucune des Filles de la Visitation s'esgare si fort du chemin de l'amour de Dieu, qu'elle s'aille perdre dedans ce mespris des Regles, par desobeissance, dureté et obstination de cœur; car, que luy pourroit-il arriver de pis ni de plus malheureux? attendu mesme qu'il y a si peu de regles particulieres et propres de la Congregation; la pluspart et quasi toutes estant, ou bien des regles generales qu'il faudroit qu'elles observassent en leurs maisons du monde si elles vouloient vivre tant soit peu avec honneur, reputation et crainte de Dieu, [9] ou bien qui regardent la manifeste bienseance d'une maison devote ou les officieres en particulier..

  A006000110 

 Comme, par exemple, si une fille rompt le silence parce qu'elle n'est pas attentive qu'elle soit en silence, et partant elle ne s'en ressouvenoit pas, d'autant qu'elle pensoit à d'autres choses, ou bien elle est surprise de quelque esmotion de parler, laquelle devant qu'elle ayt bien pensé de reprimer elle aura dit quelque chose, sans doute elle ne peche point: car l'observation du silence n'est pas de si grande importance qu'on soit obligé d'avoir une telle attention qu'on ne puisse pas l'oublier; ains au contraire, estant chose tres-bonne pendant le silence de s'occuper en d'autres saintes et pieuses pensées, si estant attentive à icelles on s'oublie d'estre en silence, cet oubli provenant d'une si bonne cause ne peut estre mauvais, ni par consequent le manquement de silence qui provient d'iceluy..

  A006000110 

 J'ay dit qu'il arrive rarement de n'offenser pas Dieu quand nous laissons volontairement de faire un bien propre à nostre avancement, parce qu'il se peut faire qu'on ne le laisse pas volontairement, ains par oubli, inadvertance, surreption; et lors il n'y a aucun peché, petit ni grand, sinon que la chose que nous oublions fust de si grande importance que nous fussions obligés de nous tenir attentifs pour ne point tomber en oubli, inadvertance et surreption.

  A006000111 

 Mais si elle oublioit de servir une malade, qui faute de service fust en danger, et qu'on luy eust enjoint ce [11] service, pour lequel on se reposeroit sur elle, l'excuse ne seroit pas bonne de dire: Je n'y ay pas pensé, je ne m'en suis pas ressouvenue.

  A006000115 

 Si avant que m'incliner corporellement à mon Superieur je n'ay pas fait l'inclination interieure, par une humble election de luy estre soubmis, qu'au moins cette election accompagne ou suive de pres l'inclination exterieure.

  A006000124 

 Car encor que nous ne courions pas, il suffit que, Dieu aydant, nous courrons: ceste Congregation, non plus que les autres Religions, n'estant pas une assemblée de personnes parfaites, mais de personnes qui pretendent de se perfectionner; non de personnes courantes, mais de personnes qui pretendent courir, et lesquelles pour cela apprennent premierement à marcher le petit pas, puis à se haster, puis à cheminer à demi course, puis en fin à courir..

  A006000124 

 Et ne faut jamais se fascher si d'abord on [14] ne court pas apres le Sauveur, pourveu que l'on die tousjours: Tirez moy, et que l'on ayt le courage bon pour dire: Nous courrons.

  A006000124 

 Il faut en fin qu'elle soit genereuse, pour ne point s'estonner des difficultés, ains au contraire aggrandir son courage par icelles; car, comme dit saint Bernard, celuy là n'est pas bien vaillant, auquel le cœur ne croist pas entre les peines et contradictions.

  A006000125 

 C'est un advertissement que le grand Apostre saint Paul, fait aux Romains, XIV: L'un, dit-il, croid de pouvoir manger de tout; l'autre, qui est infirme, mange des herbes: que celuy qui mange ne mesprise point celuy qui ne mange pas, et que celuy qui ne mange pas ne juge point celuy qui mange.

  A006000125 

 Et ainsi en toutes autres choses qui ne sont ni commandées ni defendues, qu'une chacune abonde en son sens: c'est à dire, qu'une chacune [15] jouïsse et use de sa liberté, sans juger ni contreroller les autres qui ne feront point comme elle, voulant faire trouver sa façon meilleure; puisque mesme il se peut faire qu'une personne mange avec tel renoncement de sa propre volonté qu'une autre jeuneroit, et qu'une personne ne die pas ses coulpes par le mesme renoncement par lequel l'autre les dira..

  A006000125 

 Que chacun abonde en son sens: celuy qui mange, mange en Nostre Seigneur, et celuy qui ne mange pas, ne mange pas en Nostre Seigneur; et tant l'un que l'autre rendent graces à Dieu. Les Raglas ne commandent pas beaucoup de jeunes, neantmoins il se pourra faire que quelques unes, pour des nacessités particuliares, obtiendront l'obedience d'en faire davantage: que celles qui jeuneront ne mesprisent point celles qui mangent, ni celles qui mangent celles qui jeuneront.

  A006000126 

 Elle ne veut donques pas tirer les autres à son train, ains suit simplement, humblement et tranquillement son chemin.

  A006000126 

 La genereuse devotion ne veut pas avoir des compagnons en tout ce qu'elle fait, ains seulement en sa pretention, qui est la gloire de Dieu et l'avancement du prochain en l'amour divin; et pourveu qu'on s'achemine droitement à ce but là, elle ne se met pas en peine par quel chemin c'est.

  A006000126 

 Pourveu que celuy qui jeune, jeune pour Dieu, et que celuy qui ne jeune pas, ne jeune pas aussi pour Dieu, elle est toute satisfaite tant de l'un que de l'autre.

  A006000126 

 Que si mesme il arrivoit qu'une personne mangeast, non pas pour Dieu, mais par inclination, ou qu'elle ne fist pas la discipline, non pas pour Dieu, mais par naturelle aversion, encor faudroit-il que celles qui font les exercices contraires ne la jugeassent point; ains que, sans la censurer, elles suivissent leur chemin doucement et suavement, sans mespriser ni juger au prejudice des infirmes, se ressouvenant que si en ces occasions les unes secondent peut estre trop mollement leurs inclinations et aversions, en des autres occurrences les autres en font bien de mesme.

  A006000128 

 Advoüons franchement que les autres Congregations sont meilleures, plus riches et plus excellentes, mais non pas pourtant plus aymables ni desirables pour nous, puisque Nostre Seigneur a voulu que ce fust nostre patrie et nostre barque, et que nostre cœur fust marié à cest Institut; suivant le dire de celuy auquel quand on demanda quel estoit le plus agreable sejour et le meilleur aliment pour l'enfant: Le sein, dit-il, et le lait de sa mere; car bien qu'il y ait de plus beaux seins et de meilleurs laits, si est ce que pour luy il n'y en a point de plus propre ni de plus aymable.

  A006000133 

 Ce ne seroit pas grande chose de s'estre aneanti et despouillé de soy-mesme (ce qui se fait par des actes de confusion), si ce n'est oit pour se donner tout à Dieu, ainsi que saint Paul nous l'enseigne quand il dit: Despoüillez-vous du vieil homme, et vous revestez du nouveau; car il ne faut pas demeurer nud, ains se revestir de Dieu.

  A006000133 

 Ce petit reculement ne se fait que pour mieux s'eslancer en Dieu par un acte d'amour et de confiance, car il ne se faut pas confondre tristement et avec inquietude: c'est l'amour propre qui donne ces confusions-là, parce que nous sommes marris de n'estre pas parfaits, non tant pour l'amour de Dieu que pour l'amour de nous-mesmes..

  A006000133 

 Il est bien bon de se deffier de soy-mesme, mais de quoy nous serviroit-il de le faire, sinon pour jetter toute nostre confiance en Dieu et nous attendre à sa misericorde? Les fautes et les infidelités que nous commettons tous les jours nous doivent bien apporter de la honte et confusion lors que nous voulons approcher de Nostre Seigneur: et ainsi lisons-nous qu'il y a des grandes ames, comme sainte Catherine de Sienne et la Mere Therese, qui lors qu'elles estoient tombées en quelque defaut, avoient de ces grandes confusions; [20] aussi est il bien raisonnable qu'ayant offencé Dieu nous nous retirions un peu par humilité, et demeurions confus, car si seulement nous avons offencé un amy, nous avons bien honte de l'aborder: mais il n'en faut pas demeurer là, car ces vertus d'humilité, d'abjection et de confusion, sont des vertus mitoyennes, par lesquelles nous devons monter à l'union de nostre ame avec son Dieu.

  A006000134 

 Et il est tousjours [21] en nostre pouvoir de faire de ces actes, et quoy que nous ayons de la difficulté, il n'y a pourtant pas de l'impossibilité; et c'est en ces occasions là et parmi ces difficultés, que nous devons tesmoigner de la fidelité à Nostre Seigneur; car bien que nous fassions ces actes sans goust et sans aucune satisfaction il ne s'en faut pas mettre en peine, puisque Nostre Seigneur les ayme mieux ainsi.

  A006000134 

 Et ne dites pas que vous le dites voirement, mais que ce n'est que de bouche; car si le cœur ne le vouloit, la bouche n'en diroit pas un mot.

  A006000134 

 Et si bien vous ne sentez pas une telle confiance, si ne faut-il pas laisser d'en faire les actes, et dire à Nostre Seigneur: Encore, mon Seigneur, que je n'aye aucun sentiment de confiance en vous, je sçay pourtant que vous estes mon Dieu, que je suis toute vostre, et n'ay esperance qu'en vostre bonté; ainsi je m'abandonne toute entre vos mains.

  A006000135 

 Voila donc pour la conclusion de ce premier poinct, qu'il est tres-bon d'avoir de la confusion quand nous avons la cognoissance et sentiment de nostre misere et imperfection; mais qu'il ne faut pas s'arrester là, ni pour cela tomber en descouragement, ains relever son cœur en Dieu par une sainte confiance, le fondement de laquelle doit estre en luy et non pas en nous; d'autant que nous changeons et il ne change jamais, et demeure tousjours aussi bon et misericordieux quand nous sommes foibles et imparfaits que quand nous sommes forts et parfaits.

  A006000136 

 Mais nous autres, nous ne voulons pas nous abandonner sinon pour nous laisser à la mercy de la volonté de Dieu..

  A006000137 

 De mesme, je ne sçay pas si l'année qui vient tous les fruits de la terre seront tempestés: s'il arrive qu'ils le soient, ou qu'il y ayt de la peste, ou autres tels evenemens, il est tout evident que c'est le bon plaisir de Dieu, et partant je m'y conforme.

  A006000137 

 Il arrivera que vous n'aurez pas de la consolation en vos exercices: il est certain que c'est le bon plaisir de Dieu, c'est pourquoy il faut demeurer avec une extreme indifference entre la desolation et la consolation; de mesme en faut-il faire en toutes les choses qui nous arrivent, és habits qui nous sont donnés, és viandes qui nous sont presentées.

  A006000137 

 La volonté de son bon plaisir regarde les evenemens des choses que nous ne pouvons pas prevoir: comme, par exemple, je ne sçay pas si je mourray demain, je voy que c'est le bon plaisir de Dieu, et partant je m'abandonne à son bon plaisir et meurs de bon cœur.

  A006000138 

 Cest estat du delaissement de soy-mesme comprend aussi l'abandonnement au bon plaisir de Dieu en toutes tentations, aridités, secheresses, aversions et repugnances qui arrivent en la vie spirituelle; car en toutes ces choses l'on y void le bon plaisir de Dieu, quand elles n'arrivent pas par nostre defaut et qu'il n'y a pas du peché..

  A006000138 

 Il faut de plus remarquer qu'il y a des choses esquelles il faut joindre la volonté de Dieu signifiée à celle de son bon plaisir: comme si je tombe malade d'une grosse fievre, je voy en cest evenement que le bon plaisir de Dieu est que je demeure en indifference de la santé ou de la maladie; mais la volonté de Dieu signifiée est que moy, qui ne suis pas sous l'obeissance, j'appelle le medecin et que j'applique tous les remedes que je puis (je ne dis pas les plus exquis, mais les communs et ordinaires), et que les Religieux, qui sont sous un Superieur, reçoivent les remedes et traittement qui leur sont presentés, en simplicité et soubmission; car Dieu le nous a signifié en ce qu'il donne la vertu aux remedes, la Sainte Escriture le nous enseigne en plusieurs endroits et l'Eglise l'ordonne.

  A006000138 

 Or cela fait, que la maladie surmonte le remede, ou le remede surmonte le mal, il en faut estre en parfaite indifference, en telle sorte que si la maladie et la santé estoient là devant nous et que Nostre Seigneur nous dist: Si tu choisis la santé je ne t'en osteray pas un grain de ma grace, si tu choisis la maladie je ne te l'augmenteray pas aussi de rien, mais au choix de la maladie il y a un peu plus de mon bon plaisir; alors l'ame qui s'est entierement delaissée et abandonnée entre les mains de Nostre Seigneur choisira sans doute la maladie, pour cela seulement qu'il y a un peu plus du bon plaisir de Dieu; ouy mesme quand ce seroit pour demeurer toute sa vie dans un lict, sans faire autre chose que souffrir, elle ne voudroit pour rien du monde desirer un autre estat que celuy-là.

  A006000141 

 Elle ne fait rien sinon demeurer aupres de Nostre Seigneur, sans avoir souci d'aucune chose, non pas mesme de son corps ni de son ame; car puisqu'elle s'est embarquée sous la providence de Dieu, qu'a-t'elle affaire de penser ce qu'elle deviendra? Nostre Seigneur, auquel elle s'est toute delaissée, y pensera assez pour elle.

  A006000141 

 Je n'entens pas pourtant de dire qu'il ne faille pas penser és choses ausquelles nous sommes obligés chacun selon, sa charge; car il ne faut pas qu'un Superieur, sous ombre de s'estre abandonné à Dieu et se reposer en son soin, neglige de lire et d'apprendre les enseignemens qui sont propres pour l'exercice de sa charge.

  A006000142 

 Que si nous reservons quelque chose, de laquelle nous ne nous confions pas en luy, il nous la laisse, comme s'il disoit: Vous pensez estre assez sages pour faire ceste chose-là sans moy, je vous laisse gouverner, vous verrez comme vous vous en trouverez.

  A006000143 

 Or je dis en premier lieu, qu'il n'arrive jamais, pour abandonnés que nous [28] soyons, que nostre franchise et la liberté de nostre arbitre ne nous demeurent, de sorte qu'il nous vient tousjours quelque desir et quelque volonté; mais ce ne sont pas des volontés absolues et des desirs formés, car si tost qu'une ame qui s'est delaissée au bon plaisir de Dieu apperçoit en soy quelque volonté, elle la fait incontinent mourir en la volonté de Dieu..

  A006000143 

 Vous dites maintenant, s'il est bien possible que nostre volonté soit tellement morte en Nostre Seigneur que nous ne sçachions plus ce que nous voulons ou ce que nous ne voulons pas.

  A006000144 

 Vous voudriez aussi sçavoir si une ame encore bien imparfaite pourroit demeurer utilement devant Dieu avec ceste simple attention à sa sainte presence en l'oraison Et je vous dis que si Dieu vous y met, vous y pouvez bien demeurer, car il arrive assez souvent que Nostre Seigneur donne ces quietudes et tranquillités à des ames qui ne sont pas bien purgées; mais tandis qu'elles ont encore besoin de se purger, elles doivent, hors l'oraison, faire des remarques et des considérations necessaires à leur amendement; car, quand bien Dieu les tiendroit tousjours fort recueillies, il leur reste encor assez de liberté pour discourir avec l'entendement sur plusieurs choses indifferentes: pourquoy donc ne pourront-elles pas considerer et faire des resolutions pour leur amendement et pour la pratique des vertus? Il y a des personnes fort parfaites ausquelles Nostre Seigneur ne donne jamais de telles douceurs ni de ces quietudes, qui font tout avec la partie superieure de leur ame, et font mourir leur volonté dans la volonté de Dieu à vive force et avec la pointe de la raison: et ceste mort icy est la mort de la croix, laquelle est beaucoup plus excellente et plus genereuse que l'autre, que l'on doit plustost appeller un endormissement qu'une mort; car ceste ame qui s'est embarquée dans la nef de la providence de Dieu se laisse aller et vogue doucement, comme une personne qui dormant dans un vaisseau sur [29] une mer tranquille ne laisse pas d'avancer.

  A006000145 

 Il ne faut pas aussi entendre qu'en toutes ces choses icy de l'abandonnement et de l'indifference nous n'ayons jamais des desirs contraires à la volonté de Dieu, et que nostre nature ne repugne aux evenemens de son bon plaisir; car cela peut souvent arriver.

  A006000145 

 Je desire toutesfois que vous remarquiez que je ne dis pas qu'il faille sentir ceste resolution d'estre ainsi toute à Dieu, mais seulement qu'il la faut avoir et cognoistre en nous, parce qu'il ne faut pas s'amuser à ce que nous sentons ou que nous ne sentons pas, d'autant que la pluspart de nos sentimens et satisfactions ne sont que des amusemens de nostre amour propre.

  A006000151 

 Ainsi Dieu a voulu diversifier les saisons, et que l'esté fust suivi de l'automne et l'hiver suivi du printemps, pour nous monstrer que rien n'est permanent en ceste vie, que les choses temporelles sont perpetuellement muables, inconstantes et sujettes au changement: et le defaut de la cognoissance de ceste verité est, comme j'ay dit, ce qui nous rend muables et changeans en nos humeurs; d'autant que nous ne nous servons pas de la raison que Dieu nous a donnée, laquelle raison nous rend immuables, fermes et solides, et partant semblables à Dieu..

  A006000151 

 O que ceste consideration est utile! car le defaut d'icelle est ce qui nous porte au descouragement et bijarrerie d'esprit, inquietude, varieté d'humeurs, inconstance et instabilité en nos resolutions; car nous ne voudrions pas rencontrer en nostre chemin nulle difficulté, nulle contradiction et nulle peine; nous Voudrions avoir tousjours des consolations sans secheresses ni aridités, des biens sans meslange d'aucun mal, la santé sans maladie, le repos sans travail, la paix sans trouble.

  A006000152 

 Dieu n'a pas seulement fait ceste grace à l'homme, de [33] le rendre seigneur des animaux, par le moyen du don qu'il luy a fait de la raison, par laquelle il l'a rendu semblable à luy; mais encore il luy a donné plein pouvoir sur toutes sortes d'accidens et evenemens.

  A006000152 

 Qu'est-ce à dire cela, sinon que par l'usage de la raison il demeurera ferme et constant en la diversité des accidens et evenemens de ceste vie mortelle? Que le temps soit beau ou qu'il pleuve, que l'air soit calme ou que le vent souffle, l'homme sage ne s'en soucie pas, sçachant bien que rien n'est stable et permanent en ceste vie, et que ce n'est pas icy le lieu de repos.

  A006000152 

 Que s'il rencontre la pauvreté il ne s'en afflige pas, car il sçait bien que les richesses ne sont point en ceste vie sans la pauvreté; s'il est mesprisé, il sçait bien que l'honneur icy bas n'a point de permanence, ains est ordinairement suivi du deshonneur ou du mespris.

  A006000153 

 C'est un abus tres-grand que de ne vouloir point souffrir [34] ou sentir de mutations et changemens en nos humeurs, tandis que nous ne nous gouvernerons point par la raison, et que nous ne voudrons pas nous laisser gouverner.

  A006000153 

 L'on dit communement: voyez cest enfant, il est bien jeune, mais il a pourtant desja l'usage de la raison; ainsi plusieurs ont l'usage de la raison, lesquels, comme enfans, ne se conduisent pourtant pas par le commandement de la raison.

  A006000153 

 Mais il ne faut pas seulement considerer ceste varieté, changement, mutation et instabilité és choses transitoires et materielles de ceste vie mortelle; nullement, ains il les faut considerer encor estre aussi dans le succes de nostre vie spirituelle, où la fermeté et constance est d'autant plus necessaire, que la vie spirituelle est relevée au dessus de la vie mortelle et corporelle.

  A006000154 

 Et non seulement ils sont bijarres et inconstans en cela, mais ils le sont mesme en leur conversation: ils veulent que l'on s'accommode à leurs humeurs, et ne se veulent point accommoder à celles des autres; ils se laissent emporter à leurs inclinations et particulieres affections et passions, sans que pourtant cela soit estimé vicieux parmi les mondains, et pourveu qu'ils n'incommodent pas beaucoup l'esprit du prochain, on ne les tient pas [35] pour bijarres et inconstans.

  A006000154 

 Mais en la Religion on ne peut pas tant se laisser emporter à ses passions; car pour les choses exterieures, les Regles y sont pour nous tenir reglés au prier, au manger et dormir et ainsy des autres exercices, tousjours à mesme heure, quand l'obeissance ou la cloche nous le signifie; et puis, nous n'avons tousjours qu'une mesme conversation, car nous ne pouvons pas nous separer..

  A006000155 

 Et que veut dire cela? n'est-elle pas autant capable d'estre aymée aujourd'huy qu'elle estoit hier? Si nous regardions à ce que nous dicte la raison, nous verrions qu'il falloit aymer ceste personne parce que c'est une creature qui porte l'image de la divine Majesté; ainsi nous aurions autant de suavité en sa conversation que nous en avions eu autrefois..

  A006000155 

 Maintenant je suis joyeux parce que toutes choses me succedent selon ma volonté; tantost je seray triste parce qu'il me sera arrivé une petite contradiction que je n'attendois pas.

  A006000155 

 Mais ne sçaviez-vous pas que ce n'est point icy le lieu où le plaisir se trouve pur, sans meslange de desplaisir, que ceste vie est meslée de semblables accidens? Aujourd'huy que vous avez de la consolation en l'oraison, vous estes encouragée et bien resolue de servir Dieu; mais demain, que vous serez en secheresse, vous n'aurez point de cœur pour le service de Dieu: Mon Dieu, je suis si alangourie et abattue, dites-vous.

  A006000155 

 Or dites-moy un peu, si vous vous gouverniez par la raison, ne verriez-vous pas que s'il estoit bon de servir Dieu hier, qu'il est encore tres-bon de le servir aujourd'huy, et qu'il sera tres-bon de le servir demain? car c'est tousjours le mesme Dieu, aussi digne d'estre aymé quand vous estes en secheresse que quand vous estes en consolation.

  A006000158 

 Si je parlois devant des personnes qui ne m'entendissent pas, je tascherois de leur inculquer le mieux qu'il me seroit possible ce que je viens de dire; mais vous sçavez que j'ay tousjours tasché de vous inculquer bien avant dans la memoire ceste tres-sainte egalité d'esprit, comme estant la vertu la plus necessaire et particuliere de la Religion.

  A006000159 

 Le grand saint Chrysostome dit: O homme, qui te fasches dequoy toutes choses ne te succedent pas comme tu voudrois, n'as-tu point de honte de voir que cela que tu voudrois ne s'est pas mesme trouvé dans la famille de Nostre Seigneur? Considere, je te prie, la vicissitude, le changement et la diversité des succes qui s'y rencontrent.

  A006000159 

 Nostre Dame reçoit la nouvelle qu'elle concevroit du Saint Esprit un fils, qui seroit Nostre Seigneur et Sauveur: quelle joye, quelle jubilation pour elle en ceste heure sacrée de l'Incarnation du Verbe eternel! Peu apres, saint Joseph s'apperçoit qu'elle est enceinte, et sçachant bien que ce n'estoit pas de luy qu'elle l'estoit, ô Dieu, quelle affliction! en quelle detresse ne fut-il pas! Et Nostre Dame, quelle extremité de douleur et affliction ne ressentit-elle pas en son ame, voyant son cher Espoux sur le point de la quitter, sa modestie ne luy permettant de descouvrir à saint Joseph l'honneur et la grace dont Dieu l'avoit gratifiée! Un peu apres ceste bourrasque passée, l'Ange [38] ayant descouvert à saint Joseph le secret de ce mystere, quelle consolation ne receurent-ils pas!.

  A006000160 

 Et ne sçavez-vous pas que les Egyptiens sont ennemis des Israëlites? qui nous recevra? Et semblables choses, que nous eussions bien alleguées à l'Ange si nous eussions esté en la place de saint Joseph; lequel ne dit pas un mot pour s'excuser de faire l'obeissance, ains il partit à la mesme heure, et fit tout ce que l'Ange luy avoit commandé..

  A006000160 

 Lors que Nostre Dame produit son Fils, les Anges annoncent sa naissance, les pasteurs et les Roys Mages le viennent adorer: je vous laisse à penser quelle jubilation et quelle consolation d'esprit n'eurent-ils pas parmi tout cela! Mais attendez, car ce n'est pas tout.

  A006000160 

 O que ce fut sans doute un sujet de douleur tres-grand à Nostre Dame et à saint Joseph! O que l'Ange traitte bien saint Joseph en vray Religieux! Prens l'Enfant, dit-il, et la M ere, et fuis en Egypte, et y demeure jusques à ce que je te le die. Qu'est-ce que cecy? Le pauvre saint Joseph n'eust-il pas peu dire: Vous me dites que j'aille, ne sera-t'il pas assez à temps de partir demain au matin? où voulez-vous que j'aille de nuict? Mon equipage n'est pas dressé; comment voulez-vous que je porte l'Enfant? auray-je les bras assez forts pour le porter continuellement en un si long voyage? Quoy? entendez-vous que la Mere le porte à son tour? helas! ne voyez-vous pas bien que c'est une jeune fille, qui est encore si tendre? Je n'ay ni cheval ni argent pour faire le voyage.

  A006000163 

 Il faut premierement sçavoir que quand on dit l'Ange du Seigneur, il ne faut pas entendre que ce soit comme l'on dit de nous autres, l'Ange d'un tel ou d'une telle; car cela veut dire nostre Ange gardien, qui a soin de nous de la part de Dieu; mais Nostre Seigneur, qui est le roy et la guide des Anges mesmes, n'a pas besoin, ou n'avoit pas besoin durant le cours de sa vie mortelle d'un Ange gardien.

  A006000164 

 Car l'homme est un abregé du monde, ou, pour mieux dire, un petit monde, auquel se rencontre tout ce que l'on void au grand monde universel: les passions representent les bestes et les animaux qui sont sans raison; les sens, les inclinations, les affections, les puissances, les facultés de nostre ame, tout cela a sa signification particuliere; mais je ne me veux pas arrester à cela, ains je veux suivre mon discours commencé..

  A006000165 

 O Dieu, avec quelle franchise, cordialité, sincerité, simplicité et fidelle confiance ne devons-nous pas traitter avec ces aydes qui nous sont données de la part de Dieu pour nostre avancement spirituel! Non certes autrement que comme avec nos bons Anges: nous les devons regarder tout de mesme, car nos bons Anges sont appellés nos Anges gardiens parce qu'ils sont chargés de nous assister de leurs inspirations, de nous defendre en nos perils, de nous reprendre en nos defauts, de nous exciter en la poursuite de la [42] vertu; ils sont chargés de porter nos prieres devant le throsne de la majesté, bonté et misericorde de Nostre Seigneur, et de nous rapporter l'interinement de nos requestes; et les graces que Dieu nous veut faire, il nous les fait par l'entremise ou intercession de nos bons Anges.

  A006000166 

 Je considere en apres pourquoy Nostre Seigneur, qui est la Sapience eternelle, ne prend pas soin de sa famille, je veux dire d'avertir saint Joseph, ou bien sa tres-douce Mere, de tout ce qui leur devoit arriver.

  A006000166 

 Ne pouvoit-il pas bien dire à l'oreille de son beau-pere saint Joseph: Allons nous en en Egypte, nous y serons tel temps? puisque c'est une chose toute asseurée qu'il avoit l'usage de raison dés l'instant de sa conception aux entrailles de la tres-sainte Vierge; mais il ne vouloit pas faire ce miracle de parler devant que le temps fust venu.

  A006000166 

 Ne pouvoit-il pas bien l'inspirer au cœur de sa tres-sainte Mere ou de son bien-aymé Pere putatif saint Joseph, Espoux de la tres-sacrée Vierge? pourquoy donc ne fit-il pas tout cela plustost que d'en laisser la [43] charge à l'Ange, qui estoit beaucoup inferieur à Nostre Dame? Cecy n'est pas sans mystere.

  A006000166 

 Nostre Seigneur ne voulut pas se gouverner luy-mesme, ains se laisser porter où l'on vouloit et par qui l'on vouloit; il semble qu'il ne s'estimoit pas assez sage pour se conduire luy-mesme, ni sa famille, ains laisse gouverner l'Ange tout ainsi qu'il luy plaist, encor qu'il n'ayt point de science ni de sapience pour entrer en comparaison avec sa divine Majesté..

  A006000167 

 Ne vous semble-t'il pas que l'Ange commet une grande indiscretion de s'adresser plustost à saint Joseph qu'à Nostre Dame, laquelle est le chef de la maison, portant avec elle le thresor du Pere eternel? n'eust-elle pas eu raison de s'offencer de ceste procedure et façon de traitter? Sans doute elle eust peu dire à son Espoux: Pourquoy iray-je en Egypte, puisque mon Fils ne m'a point revelé que je le deusse faire, ni moins l'Ange ne m'en a parlé? Or Nostre Dame ne dit rien de tout cela, elle ne s'offence point dequoy l'Ange s'adressa à saint Joseph, ains elle obeit tout simplement parce qu'elle sçait que Dieu l'a ainsi ordonné; elle ne s'informe point pourquoy, ains il luy suffit que Dieu le veut ainsi, et qu'il prend plaisir que l'on se sousmette sans consideration.

  A006000168 

 Ne voyez-vous pas que Dieu prend plaisir de traitter ainsi avec les hommes, pour leur apprendre la tres-sainte et tres-amoureuse sousmission? Saint Pierre estoit un vieil homme, rude et grossier, et saint Jean, au contraire, estoit jeune, doux, agreable; et neantmoins Dieu veut que saint Pierre conduise les autres et soit le Supérieur universel, et que saint Jean soit [45] l'un de ceux qui sont conduits et qui luy obeissent.

  A006000168 

 Voudrions nous attendre qu'il nous envoyast des Anges pour nous annoncer ce qui est de sa volonté? Il ne le fit pas à Nostre Dame mesme (au moins en ce subjet), ains voulut la luy faire sçavoir par l'entremise de saint Joseph, auquel elle estoit subjette comme à son superieur.

  A006000168 

 À quelle raison donne-t'on ceste charge? pourquoy a-t'on dit cela? à quelle fin fait-on une telle chose à celle cy plustost qu'à l'autre? Grande pitié, dés qu'une fois on s'est laissé aller à esplucher tout ce que l'on void faire! Que ne faisons nous pas pour perdre la tranquillité de nos cœurs? Il ne nous faut point d'autres raisons sinon que Dieu le veut ainsi, et cela nous doit suffire.

  A006000170 

 Le pauvre saint Joseph n'eust-il pas eu raison de faire quelque replique? Vous me dites que je parte; est-ce si promptement? Tout à ceste heure: pour nous monstrer la promptitude que le Saint Esprit requiert de nous lors qu'il nous dit: Leve toy, sors de toy-mesme et de telle imperfection.

  A006000171 

 Saint Joseph n'eust-il pas peu dire à l'Ange: Vous me dites que je meine l'Enfant et la Mere; dites-moy donc, s'il vous plaist, de quoy les nourriray-je en chemin? car vous sçavez bien, mon seigneur, que nous n'avons point d'argent.

  A006000172 

 Est-ce si grande merveille de nous voir broncher quelquefois? Mais je suis si miserable, si remplie d'imperfection! Le cognoissez-vous bien? benissez Dieu dequoy il vous a donné ceste cognoissance, et ne vous lamentez pas tant: vous [48] estes bien-heureuse de cognoistre que vous n'estes que la misere mesme.

  A006000172 

 Mais je considere qu'il n'est pas seulement requis de nous reposer en la divine Providence pour ce qui regarde les choses temporelles, ains beaucoup plus pour ce qui appartient à nostre vie spirituelle et à nostre perfection.

  A006000173 

 Mon Dieu! je ne suis pas fidelle à Nostre Seigneur, et partant je n'ay point de consolation en l'oraison.

  A006000173 

 Se peut-il imaginer une affliction plus extreme que celle que saint Joseph ressentit lors qu'il s'apperceut que la glorieuse Vierge estoit enceinte, sçachant bien que ce n'estoit pas de son fait? Son affliction et sa detresse estoit d'autant plus grande que la passion de l'amour est plus vehemente que les autres passions de l'ame; et de plus, en l'amour, la jalousie est l'extremité de la peine, ainsi que le declare l'Espouse au Cantique des Cantiques: L'amour, dit-elle, est fort comme la mort, car l'amour fait les mesmes effets en l'ame qu'au corps la mort; mais la jalousie est dure comme l'enfer.

  A006000174 

 Je le croy, mais est-elle comparable à celle de laquelle nous venons de parler? Il ne se peut; et si cela est, considerez, je vous prie, si nous avons raison de nous en plaindre et lamenter, puisque saint Joseph ne se plaint point, ni n'en tesmoigne rien en son exterieur: il n'en est point plus amer en sa conversation, il n'en fit pas la mine à Nostre Dame, il ne la traitta point mal; ains simplement il souffre sa peine, et ne veut faire autre chose que la quitter: Dieu sçait ce qu'il pouvoit faire en ce sujet.

  A006000174 

 Mon aversion, dira quelqu'un, est si grande envers ceste personne, que je ne luy sçaurois presque parler qu'avec une grande peine, ceste action me desplaist si fort! C'est tout un, il n'en faut point pourtant entrer en bijarrerie contre elle, comme si elle en pouvoit mais; ains il se faut comporter comme Nostre Dame et saint Joseph: il faut estre tranquille en nostre peine, et laisser le soin à Nostre Seigneur de nous l'oster quand il luy plaira Il estoit bien au pouvoir de Nostre Dame d'apaiser ceste bourrasque, mais elle ne le voulut pourtant pas faire, ains laissa pleinement l'issue de ceste affaire à la divine Providence..

  A006000175 

 Mais quand elle est troublée, inquietée et agitée des diverses bourrasques des passions, et que l'on se laisse gouverner par elles et non par la raison qui nous rend semblables à Dieu, lors nous ne sommes nullement capables de representer la belle et tres-aymable image de Nostre Seigneur crucifié, ni la diversité de ses excellentes vertus, ni nostre ame ne peut pas estre capable de luy servir de lict nuptial.

  A006000176 

 Je remarque en fin que l'Ange dit à saint Joseph qu'il demeurast en Egypte jusques à ce qu'il l'advertist de revenir, et que le bon Saint ne luy dit point: Et quand sera-ce, Seigneur, que vous me le direz? pour nous enseigner que quand on nous fait commandement d'embrasser quelque exercice, il ne faut pas dire: Sera-ce pour long temps? ains il le faut embrasser tout simplement, imitant la parfaite obeissance d'Abraham, lors que Dieu luy commanda de luy sacrifier son fils.

  A006000177 

 De mesme, mes filles, quand on nous donne quelque charge ne disons pas: Mon Dieu! je suis si brusque, si l'on me donne telle charge je feray mille traits d'empressement; je suis desja si distraite, si l'on me donne un tel office je le seray bien plus; mais si l'on me laissoit dans ma cellule, je serois si modeste, si tranquille, si recueillie.

  A006000177 

 Et ne sçavez-vous pas ce que je vous ay desja dit autrefois et qu'il n'est pas mauvais de redire, que la vertu ne requiert pas que nous soyons privés de l'occasion de trebucher en l'imperfection qui luy est contraire? « Il ne suffit pas, » dit Cassian, « pour estre patient et bien doux en soy-mesme, d'estre privé de la conversation des hommes; car il m'est arrivé, estant en ma cellule tout seul, de me passionner quand mon fusil ne prenoit pas feu, » tellement que je le jettois par colere..

  A006000177 

 Il ne seroit pas bien de prendre des charges et offices par sa propre election, de crainte que nous n'y fissions pas nostre devoir: mais quand c'est par obeissance, n'apportons jamais nulle excuse; car Dieu est pour nous, et nous fera profiter davantage en la perfection que si nous n'avions rien à faire.

  A006000177 

 Ne pouvoit-il pas bien dire: Vous me faites emporter l'Enfant; vous nous faites fuir un ennemy, et vous nous allez mettre entre les mains de mille et mille autres que nous trouverons en Egypte, d'autant que nous sommes d'Israël.

  A006000184 

 Ainsi la pluspart des amitiés que font les hommes n'ayant pas une bonne fin, et ne se conduisant pas par la raison, ne meritent aucunement le nom d'amitié..

  A006000184 

 Mais cela ne se doit pas appeller amitié, d'autant qu'il faut que la correspondance de l'amitié se trouve entre les deux qui s'ayment, et que ceste amitié se contracte par l'entremise de la raison.

  A006000185 

 Il faut de plus, outre l'entremise de la raison, qu'il y ayt une certaine correspondance, ou de vocation ou de pretention ou de qualité, entre ceux qui contractent de l'amitié: ce que l'experience nous enseigne clairement, car n'est-il pas vray qu'il n'y a point de plus vraye amitié ni de plus forte que celle qui est entre les freres? L'on n'appelle pas l'amour que les peres portent à leurs enfans amitié, ni celuy que les enfans ont pour leurs peres, parce qu'il n'y a pas ceste correspondance dont [55] nous parlons, ains sont differens: l'amour des peres estant un amour majestueux et plein d'authorité, et celuy des enfans pour leurs peres, un amour de respect et de sousmission; mais entre les freres, à cause de la ressemblance de leur condition, la correspondance de leur amour fait une amitié ferme, forte et solide.

  A006000186 

 Ce qui est dit de Dieu se doit aussi entendre de l'amour du prochain, pourveu toutesfois que l'amour de Dieu surnage tousjours au dessus et tienne le premier rang: mais apres, nous devons aymer nos Sœurs de toute l'estendue de nostre cœur, et ne nous contenter pas de les aymer comme nous-mesme, ainsi que les commandemens de Dieu nous obligent; mais nous les devons aymer plus que nous-mesme, pour observer les regles de la perfection evangelique, qui requiert cela de nous.

  A006000187 

 Il ne faudroit pas aussi si frequemment user de caresses, et à tout propos dire des paroles emmiellées, les jettant à belles poignées sur les premieres qu'on rencontre; car tout ainsi que si l'on mettoit trop de sucre sur une [58] viande elle tourneroit à dégoust, à cause qu'elle seroit trop douce et trop fade, de mesme les caresses trop frequentes seroyent rendues dégoustantes et l'on ne s'en soucieroit plus, sçachant que cela se fait par coustume.

  A006000187 

 Je dis qu'il faut user de caresses en certains temps; car il ne seroit pas à propos d'estre aupres d'une malade avec autant de gravité que l'on seroit ailleurs, ne la voulant non plus caresser que si elle estoit en pleine santé.

  A006000188 

 Ainsi voyons-nous qu'il ne nous faut pas estonner si nous ne sommes pas esgalement doux et suaves, pourveu que nous aymions nostre prochain de l'amour du cœur, selon toute son estendue, et comme Nostre Seigneur nous a aymés: c'est à dire plus que nous-mesmes, le preferant tousjours à nous en toutes choses dans l'ordre de la sainte charité, et ne luy refusant jamais rien que nous puissions contribuer [60] pour son utilité, excepté de nous damner, ainsi que nous avons desja dit.

  A006000188 

 C'est bien la verité, que nous devons tous avoir ceste pretention d'atteindre et donner droit dans le blanc de la vertu, laquelle nous devons desirer ardemment: [59] mais pourtant nous ne devons pas perdre courage quand nous ne rencontrons pas droittement l'essence de la vertu, ni nous estonner, pourveu que nous donnions dans le rond, c'est à dire au plus pres que nous pourrons; car c'est une chose que les Saints mesmes n'ont pas sceu faire en toutes les vertus, n'y ayant que Nostre Seigneur et Nostre Dame qui l'ayent peu faire.

  A006000188 

 Neantmoins, tous deux estoient grandement vertueux; mais l'un avoit plus de douceur, l'autre une plus grande austerité de vie, et tous deux (quoy que non pas esgalement ni doux ni rigoureux) ont esté des grands Saints.

  A006000189 

 Ainsi, mes cheres filles, il faut tesmoigner que nous aymons nos Sœurs et que nous nous plaisons avec elles, pourveu que la sainteté accompagne tousjours les tesmoignages que nous leur rendons de nostre affection, et que Dieu n'en puisse pas, non seulement estre offensé, mais qu'il en puisse estre glorifié et loué.

  A006000190 

 C'est à ceux qui ont plus besoin de nous auxquels nous devons tesmoigner nostre amour plus particulierement; car c'est là où nous monstrons mieux que nous aymons par charité, que non pas en aymant ceux qui nous donnent plus de consolation que de peine.

  A006000190 

 Je dis à cela, que bien que nous soyons obligés d'aymer davantage ceux qui sont plus vertueux, de l'amour de complaisance, nous ne les devons pas pourtant plus aymer de l'amour de bienveuillance, et ne leur devons pas tesmoigner plus de signes d'amitié; et cela pour deux raisons.

  A006000190 

 La premiere est que Nostre Seigneur ne l'a pas fait, ains il semble qu'il ayt plus monstré d'affection aux imparfaits qu'aux parfaits, puisqu'il a dit qu'il n'estoit pas venu pour les justes, ains pour les pecheurs.

  A006000190 

 Mais hors de là, il faut tascher de faire que nous aymions tous esgalement, puisque Nostre Seigneur n'a pas dit: Aymez ceux qui sont plus vertueux, ains indifferemment: Aymez-vous les uns les autres ainsi que je vous ay aymés, sans en exclure aucun, pour imparfait qu'il soit..

  A006000190 

 On demande sur ce sujet si on oseroit tesmoigner davantage d'affection à une Sœur que l'on estime plus vertueuse, que non pas à une autre.

  A006000191 

 Il se peut faire qu'une Sœur laquelle vous verrez chopper fort souvent et commettre force imperfections, sera plus vertueuse et plus agreable à Dieu (ou pour la grandeur du courage qu'elle conserve parmi ses imperfections, ne se laissant point troubler ni inquieter de se voir si sujette à tomber, ou bien par l'humilité qu'elle en retire, ou encores par l'amour de son abjection) que non pas une autre laquelle aura une douzaine de vertus, ou naturelles ou bien acquises, et laquelle aura moins d'exercice et de travail, et par consequent peut estre, moins de courage et d'humilité que non pas l'autre que l'on void si sujette à faillir.

  A006000191 

 La seconde raison pour laquelle nous ne devons pas rendre des tesmoignages d'amitié aux uns plus qu'aux autres, et ne devons nous laisser aller à les aymer davantage, est que nous ne pouvons pas juger qui sont [62] les plus parfaits et qui ont le plus de vertu; car les apparences exterieures sont trompeuses, et bien souvent ceux qui vous semblent estre les plus vertueux (comme j'ay dit autre part) ne le sont pas devant Dieu, qui est celuy-là seul qui peut les recognoistre.

  A006000191 

 Saint Pierre fut choisi pour estre le chef des Apostres, quoy qu'il fust sujet à beaucoup d'imperfections, en sorte qu'il en commettoit mesme apres qu'il eut receu le Saint Esprit; mais parce que nonobstant ces defauts, il avoit tous jours un grand courage et ne s'en estonnoit point, Nostre Seigneur le rendit son lieutenant et le favorisa par dessus tous les autres, de sorte que nul n'eust eu raison de dire qu'il ne meritoit pas d'estre precipué et avantagé par dessus saint Jean ou les autres Apostres..

  A006000192 

 Et toutes doivent sçavoir que nous les aymons de cest amour du cœur; et partant il n'est pas besoin d'user de tant de paroles, que nous les aymons cherement, que nous avons une certaine inclination à les aymer particulierement, [63] et autres semblables; car pour avoir une inclination pour une plus que pour les autres, l'amour que nous luy portons n'en est pas plus parfait, ains peut estre, plus sujet à changement à la moindre petite chose qu'elle nous fera.

  A006000192 

 Que si tant est qu'il soit vray que nous ayons de l'inclination à en aymer une plustost que l'autre, nous ne devons nous amuser à y penser, et encor moins à le luy dire; car nous ne devons pas aymer par inclination, ains aymer nostre prochain, ou parce qu'il est vertueux, ou pour l'esperance que nous avons qu'il le deviendra, mais principalement parce que telle est la volonté de Dieu..

  A006000193 

 C'est à ce souverain degré de l'amour du prochain que les Religieux et Religieuses, et nous autres qui sommes consacrés au service de Dieu, sommes appellés; car, ce [64] n'est pas assez d'assister le prochain de nos commodités temporelles, ce n'est pas encor assez, dit saint Bernard, d'employer nostre propre personne à souffrir pour cest amour: mais il faut passer plus avant, nous laissant employer pour luy par la tres-sainte obeissance, et par luy tout ainsi que l'on voudra, sans que jamais nous y resistions.

  A006000193 

 Car quand nous nous employons nous-mesmes, et par le choix de nostre propre volonté ou propre election, cela donne tousjours beaucoup de satisfaction à nostre amour propre; mais à nous laisser employer es choses que l'on veut, et que nous ne voulons pas, c'est à dire que nous ne choisissons pas, c'est là où gist le souverain degré de l'abnegation: comme quand nous voudrions prescher, on nous envoye servir les malades; quand nous voudrions prier pour le prochain, on nous envoye servir le prochain.

  A006000193 

 En quoy il nous apprend que de s'employer, voire de donner sa vie pour le prochain, n'est pas tant que de se laisser employer au gré des autres, ou par eux ou pour eux; et ce fut ce qu'il avoit appris de nostre doux Sauveur sur la croix.

  A006000193 

 O mieux vaut tousjours, sans comparaison, ce que l'on nous fait faire (j'entends ce qui n'est pas contraire à Dieu et qui ne l'offense point) que ce que nous faisons ou choisissons à faire nous-mesme..

  A006000193 

 Or pour bien tesmoigner que nous l'aymons, il faut luy procurer tout le bien que nous pouvons, tant pour l'ame que pour le corps, priant pour luy, et le servant cordialement quand l'occasion s'en presente: d'autant que l'amitié qui se termine en belles paroles n'est pas grand'chose, et n'est pas s'aymer comme Nostre Seigneur nous a aymés, lequel ne s'est pas contenté de nous asseurer qu'il nous aymoit, mais a voulu passer plus outre, en faisant tout ce qu'il a fait pour preuve de son amour.

  A006000196 

 Il ne se faut pas donc estonner ni descourager quand nous commettons des imperfections et des defauts devant nos Sœurs; ains au contraire, il faut estre bien aises que nous soyons recognuës pour telles que nous sommes.

  A006000196 

 Je ne dis pas que si on avoit quelque don extraordinaire de Dieu il faille le dire à tout le monde, non; mais quant à nos petites consolations et nos petits biens, [66] je voudrois que l'on ne fist pas les reservées, ains que, quand l'occasion s'en presenteroit, non par forme de jactance ou vanterie, ains de simple confiance, l'on se les communiquast rondement et naïfvement les unes aux autres; et pour ce qui regarde nos defauts, que nous ne nous missions pas en peine de les couvrir; car pour ne les laisser pas voir au dehors ils n'en sont pas meilleurs.

  A006000196 

 Les Sœurs ne croiront pas pour cela que vous n'en ayez point, et vos imperfections seront peut estre plus dangereuses que si elles estoyent descouvertes et qu'elles vous causassent de la confusion, ainsi qu'elles font à celles qui sont plus faciles à les laisser paroistre à l'exterieur.

  A006000196 

 Les enfans quand ils ont quelque belle plume ou quelque autre chose qu'ils estiment jolie, ils ne sont pas en repos qu'ils n'ayent rencontré tous leurs petits compagnons pour leur monstrer leur plume et faire qu'ils ayent part à leur joye; comme aussi ils veulent qu'ils ayent part à leur douleur, car dés lors qu'ils ont un peu de mal au bout du doigt ils ne cessent de le dire à tous ceux qu'ils rencontrent, à fin que l'on les plaigne et qu'on souffle un peu sur leur mal.

  A006000196 

 Or je ne dis pas qu'il faille estre tout à fait comme ces enfans; mais je dis que ceste confiance doit faire que les Sœurs ne soyent pas chiches de communiquer leurs petits biens et petites consolations à leurs Sœurs, ne craignant pas aussi que leurs imperfections soyent remarquées par elles.

  A006000197 

 En fin pour conclusion de ce discours, il faut se ressouvenir tousjours que, pour quelque manquement de suavité que l'on commet quelques fois par mesgarde, l'on ne se doit pas fascher ni juger que l'on n'ayt point de cordialité; car l'on ne laisse pas d'en avoir.

  A006000197 

 Un acte [67] fait par cy, par là, pourveu qu'il ne soit pas frequent, ne fait pas l'homme vicieux, specialement quand on a bonne volonté de s'amender..

  A006000201 

 Dites-vous, ma fille, si vous devez rire au chœur et au refectoire, quand, sur quelque rencontre inopinée, les autres rient? Je vous dis que dans le chœur il ne faut nullement contribuer à la joye des autres; ce n'en est pas le lieu, et ce defaut doit estre vivement corrigé.

  A006000201 

 Pour le refectoire, si je m'appercevois que toutes rient, je rirois avec elles; mais si j'en voyois une douzaine sans rire, je ne rirois pas et ne me mettrois point en peine d'estre appellée trop serieuse..

  A006000203 

 Ce que j'ay dit que nous devons rendre nostre amour si esgal envers les Sœurs, que nous en ayons autant pour les unes que pour les autres, cela veut dire autant que nous le pouvons; car il n'est pas en nostre pouvoir d'avoir autant de suavité en l'amour que nous avons pour celles à qui nous avons moins d'alliance et correspondance d'humeur, qu'avec les autres, avec lesquelles nous avons de la sympathie.

  A006000205 

 Comme aussi, pour dire une chose qui se peut dire en douze paroles, j'en dis vingt de gayeté de cœur et sans nul besoin; cela est inutile, sinon, toutesfois, que cette multiplication se fist par l'ignorance de celle qui parle, qui ne se sçait pas autrement expliquer, alors il n'y a pas peché..

  A006000206 

 Il ne faut pas tenir tousjours l'esprit bandé, il seroit dangereux de devenir melancolique.

  A006000206 

 Je ne voudrois pas que l'on fist scrupule quand on auroit passé toute une recreation à parler de choses indifferentes; une autre fois l'on parlera de choses bonnes..

  A006000207 

 De dire une parole de joyeuseté qui la mortifie un peu, pourveu que cela ne l'attriste, si je l'avois fait sans intention, mais par simple recreation, je ne m'en confesserojs pas.

  A006000207 

 Deux ou trois paroles en passant, puis l'on se radresse, cela ne merite pas seulement que l'on y prenne garde.

  A006000207 

 Quand nous tendons à la perfection, il faut tendre au blanc, et ne se pas mettre en peine quand nous ne rencontrons pas tousjours.

  A006000214 

 L'humilité nous fait aneantir en toutes les choses qui ne sont pas necessaires pour nostre advancement en la grace, comme seroit de bien parler, avoir un beau maintien, de grands talents pour le maniement des choses exterieures, un grand esprit, de l'eloquence, et semblables; car en ces choses exterieures il faut desirer que les autres y fassent mieux que nous.

  A006000219 

 Ce que pour mieux entendre, il faut sçavoir qu'il y a en nous deux sortes de biens: les uns qui sont en nous et de nous, et les autres qui sont en nous, mais non pas de nous.

  A006000219 

 Mais d'autant qu'elle, nous fait plus abaisser et humilier par la cognoissance de ce que nous sommes de nous-mesmes, par le peu d'estime qu'elle fait de tout ce qui est en nous et de nous, d'autant aussi nous fait-elle grandement estimer à cause des biens qui sont en nous, et non pas de nous, qui sont la foy, l'esperance, l'amour de Dieu, pour peu que nous en ayons, comme aussi une certaine capacité que Dieu nous a donnée de nous unir à luy par le moyen de la grace; et quant à nous autres, nostre vocation, qui nous donne asseurance, autant que nous la pouvons avoir en ceste vie, de la possession de la gloire et felicité eternelle.

  A006000219 

 Quand je dis que nous avons des biens qui sont de nous, je ne veux pas dire qu'ils ne viennent de Dieu et que nous les ayons de nous-mesmes; car en verité, de nous-mesmes nous n'avons autre chose que la misere et le neant: mais je veux dire que ce sont des biens que Dieu a tellement mis en nous qu'ils semblent estre de nous; et ces biens sont la santé, les richesses, [74] les sciences, et autres semblables.

  A006000220 

 Ils ont tres-grand tort; car les biens que Dieu a mis en nous veulent estre recognus, estimés et grandement honnorés, et non pas tenus au mesme rang de la basse estime que nous devons faire de ceux qui sont en nous et qui sont de nous.

  A006000221 

 Et ainsi elle fait ce discours en elle-mesme: si Dieu m'appelle à un estat de perfection si haute qu'il n'y en ayt point en ceste vie de plus relevée, qu'est-ce qui me pourra empescher d'y parvenir, puisque je suis tres-asseurée que Celuy qui a commencé l'œuvre de ma perfection la parfera? Mais prenez garde que tout cecy se fait sans aucune presomption, d'autant que ceste confiance n'empesche pas que nous ne nous tenions tousjours sur nos gardes, de crainte de faillir; ains elle nous rend plus attentifs sur nous-mesmes, plus vigilans et soigneux de faire ce qui nous peut servir pour l'avancement de nostre perfection..

  A006000221 

 Mais remarquez que je dis, tout ce qu'on luy commande ou conseille, pour difficile qu'il soit; car je vous puis asseurer qu'elle ne juge pas que faire des miracles luy soit chose impossible, luy estant commandé d'en faire.

  A006000222 

 L'humilité ne gist pas seulement à nous défier de nous-mesmes, ains aussi à nous confier en Dieu; et la défiance de nous-mesmes et de nos propres forces produit la confiance en Dieu, et de ceste confiance naist la generosité d'esprit de laquelle nous parlons.

  A006000223 

 Apres cest acte de confiance se devroit immediatement faire celuy de generosité, disant: Puisque je suis tres asseuré que la grace de Dieu ne me manquera point, je veux encore croire qu'il ne permettra pas que je manque à correspondre à sa grace.

  A006000223 

 Pareillement, à faute de ceste generosité, il se fait fort peu d'actes de vraye contrition; d'autant qu'apres nous estre humiliés et confondus devant la divine Majesté en consideration de nos grandes infidelités, nous ne venons pas à faire cest acte de confiance, nous relevant le courage par une asseurance que nous devons avoir que la divine Bonté nous donnera sa grace, pour desormais luy estre fidelles et correspondre plus parfaitement à son amour.

  A006000224 

 Mais vous me demanderez s'il n'est jamais permis de douter de n'estre pas capables de faire les choses qui nous sont commandées.

  A006000225 

 Lors, Achaz se mesfiant de la bonté de Dieu et de sa liberalité: Non, dit-il, je ne le feray pas, d'autant que je ne veux pas tenter Dieu. Mais le miserable ne disoit pas cela pour l'honneur qu'il portoit à Dieu; car au contraire, il refusoit de l'honnorer, parce que Dieu vouloit estre glorifié en ce temps là par des miracles, et Achaz refusoit de luy en demander un qu'il luy avoit signifié qu'il desireroit faire.

  A006000226 

 Je dis qu'il ne vous faut pas tous-jours croire quand vous dites, poussées peut estre de découragement, que vous estes des miserables et toutes remplies d'imperfections; non plus qu'il ne faut pas croire que vous n'en ayez point quand vous n'en dites rien, estant pour l'ordinaire telles que vos œuvres vous font paroistre.

  A006000226 

 Mais vous me dites, que possible vous avez plusieurs miseres interieures et de grandes imperfections que vos Superieurs ne cognoissent pas, et qu'ils se fondent sur les apparences exterieures par lesquelles vous avez peut estre trompé leurs esprits.

  A006000227 

 Mais j'entends bien la finesse: c'est que nous craignons de n'en pas sortir à nostre honneur; nous avons nostre reputation en si grande recommandation, que nous ne voulons point estre tenus pour apprentifs en l'exercice de nos charges, ains pour maistres et maistresses qui ne font jamais des fautes..

  A006000227 

 Mais vous me dites que l'on void plusieurs Saints qui ont fait grande resistance pour ne pas recevoir les [80] charges que l'on leur vouloit donner.

  A006000227 

 Or, ce qu'ils en ont fait n'a pas esté seulement à cause de la basse estime qu'ils faisoyent d'eux-mesmes, mais principalement à cause de ce qu'ils voyoient que ceux qui les vouloyent mettre en ces charges se fondoyent sur des vertus apparentes, comme sont les jeusnes, les aumosnes, les penitences et aspretés du corps, et non sur les vrayes vertus interieures, qu'ils tenoyent closes et couvertes sous la sainte humilité.

  A006000228 

 Les Filles de la Visitation sont toutes appellées à une tres-grande perfection, et leur entreprise est la plus haute et la plus relevée que l'on sçauroit penser; d'autant qu'elles n'ont pas seulement pretention de s'unir à la volonté de Dieu, comme doivent avoir toutes les creatures, mais de plus, elles pretendent de s'unir à ses desirs, voire mesme à ses intentions, je dis avant mesme qu'elles soyent presque signifiées; et s'il se pouvoit penser quelque chose de plus parfait et un degré de plus grande perfection que de se conformer à la volonté de Dieu, à ses désirs et à ses intentions, elles entreprendroyent [82] sans doute d'y monter, puisqu'elles ont une vocation qui les y oblige.

  A006000230 

 Certes, vous avez raison de dire qu'il vous semble, d'autant qu'en verité cela n'est pas.

  A006000230 

 Vous me direz que l'on ne peut pas emmy ces grandes tenebres faire ces considerations, veu qu'il semble que nous ne pouvons pas seulement dire une parole à Nostre Seigneur.

  A006000231 

 Mais vous me dites que si vous n'y faites point d'attention, que vous ne vous en souviendrez pas pour le dire.

  A006000231 

 Or ne voila pas des enfances tres-grandes? Si nous avons commis quelques infidelités, bon de les dire; si nous avons esté fidelles il le faut aussi dire, mais courtement, sans exagerer ni l'un ni l'autre; car il faut tout dire à ceux qui ont la charge de nos ames..

  A006000231 

 Qui est mieux en ce temps, dites-vous, de parler à Dieu de nostre peine et de nostre misere, ou bien de luy parler de quelque autre chose? Je vous dis qu'en cecy, comme en toute sorte de tentations, il est mieux de divertir nostre esprit de son trouble et de sa peine, parlant à Dieu de quelque autre chose, que non pas de luy parler de nostre douleur; car indubitablement, si nous le voulons faire, ce ne sera point sans un attendrissement que nous ferons sur nostre cœur, agrandissant tout de nouveau nostre douleur, nostre nature estant telle qu'elle ne peut voir ses douleurs sans en avoir une grande compassion.

  A006000232 

 Je dis qu'il le faut dire en vostre reveuë, mais non pas par maniere de confession, ains pour tirer instruction comment l'on s'y doit comporter: je dis quand l'on ne void pas clairement d'avoir donné quelque sorte de consentement; car si vous allez dire: Je m'accuse dequoy durant deux jours j'ay eu de grands mouvemens de colere, mais je n'y ay pas consenti, vous dites vos vertus au lieu de dire vos defauts.

  A006000232 

 Mais pour les confessions ordinaires, il seroit mieux de n'en point parler, puisque vous ne le faites que pour vous satisfaire; et si bien il vous en vient un peu de peine ne le faisant pas, il la faut souffrir comme une autre à laquelle vous ne pourriez pas mettre remede.

  A006000236 

 Le pauvre Abraham ne perdit son esperance pourtant, ains il espera contre l'esperance mesme, que si bien il obeissoit au commandement qui luy estoit fait de tuer son fils, Dieu ne lairroit pas pourtant de luy tenir parole.

  A006000237 

 Grande est certes la confiance que Dieu requiert que nous ayons en son soin paternel et en sa divine providence: mais pourquoy ne l'aurions-nous pas, veu que jamais personne n'y a peu estre trompé? Nul ne se confie en Dieu, qui ne retire les fruicts de sa confiance.

  A006000238 

 Cecy, mes tres-cheres Sœurs, m'a semblé estre bon à vous dire sur le sujet de vostre départ; car si bien vous n'estes pas capables de la dignité apostolique à cause de vostre sexe, vous estes neantmoins capables en quelque façon de l'office apostolique, et vous pouvez rendre plusieurs services à Dieu, procurant en certaine [88] façon l'avancement de sa gloire comme les Apostres.

  A006000238 

 Et n'ayez nul souci si vostre travail sera suivi du fruict que vous en pretendez, car ce n'est pas à vous que l'on demandera le fruict, ains seulement si vous vous serez employés fidellement à bien cultiver ces terres steriles et seches; l'on ne vous demandera pas si vous aurez bien recueilli, ains seulement si vous aurez eu soin de bien ensemencer..

  A006000238 

 Mais ne vous contentez pas de cela: faites qu'ils vivent, et d'une vie plus parfaite par le moyen de la doctrine que vous leur enseignerez; ils auront la vie en croyant à ma parole que vous leur exposerez, mais ils auront une vie plus abondante par le bon exemple que vous leur donnerez.

  A006000239 

 ; mais vous ne lairrez pas d'exercer l'office apostolique en la communication de vostre maniere de vie, ainsi que je viens de dire..

  A006000239 

 De mesme, mes cheres filles, estes-vous maintenant commandées d'aller çà et là en divers lieux, pour faire [89] que les araes ayent la vie, et qu'elles vivent d'une meilleure vie: car, qu'est-ce que vous allez faire sinon tascher de donner cognoissance de la perfection de vostre Institut, et par le moyen de ceste cognoissance attirer plusieurs ames à embrasser toutes les observances qui y sont comprises et encloses? Mais sans prescher et conferer les Sacremens et remettre les pechés, ainsi que faisoyent les Apostres, n'allez-vous pas donner la vie aux hommes? mais, pour parler plus proprement, n'allez-vous pas donner la vie aux filles? puisque peut estre cent et cent filles qui se retireront à vostre exemple dans vostre Religion, se fussent perdues demeurant au monde, lesquelles iront jouïr au Ciel, pour toute eternité, de la felicité incomprehensible.

  A006000239 

 Et n'est-ce pas par vostre moyen que la vie leur sera donnée, et qu'elles vivront d'une vie plus abondante, c'est à dire d'une vie plus parfaite et plus agreable à Dieu? vie qui les rendra capables de s'unir plus parfaitement à la divine Bonté, car elles recevront de vous les instructions necessaires pour acquerir le vray et pur amour de Dieu, qui est ceste vie plus abondante que Nostre Seigneur est venu donner aux hommes.

  A006000239 

 Vous ne prescherez pas, non, car [90] vostre sexe ne le permet, bien que sainte Magdelaine et sainte Marthe sa sœur l'ayent fait.

  A006000240 

 Ne dites pas: Je n'ay point de talent pour bien parler.

  A006000240 

 Que si vous n'avez point de vertu, ou que vous n'en apperceviez point en vous, ne vous mettez pas en peine; car si vous entreprenez pour la gloire de Dieu et pour satisfaire à l'obeissance la conduite des ames ou quelque autre exercice quel qu'il soit, Dieu aura soin de vous, et sera obligé de vous pourvoir de tout ce qui vous sera necessaire, tant pour vous que pour celles que Dieu vous donnera en charge..

  A006000241 

 Il est vray, c'est une chose de grande consequence et de grande importance que celle que vous entreprenez; mais pourtant vous auriez tort si vous n'en esperiez un bon succes, veu que vous ne l'entreprenez pas par vostre choix, ains pour satisfaire à l'obeissance.

  A006000242 

 Je veux dire, si la divine Providence permet qu'il vous arrive des afflictions ou mortifications, ne les refusez point, ains acceptez-les de bon cœur, amoureusement et tranquillement; que si elle ne vous en envoye point, ou qu'elle ne permette pas qu'il vous en arrive, ne les desirez point ni ne les demandez point.

  A006000242 

 Non, mes cheres filles, ne demandez rien et ne refusez rien; recevez ce que l'on vous donnera, et ne demandez point ce que l'on ne vous presentera point ou que l'on ne vous voudra pas donner: en ceste pratique vous trouverez la paix pour vos ames.

  A006000242 

 Ouy, mes cheres Sœurs, tenez vos cœurs en ceste sainte indifference de recevoir tout ce que l'on vous donnera, et de ne point desirer ce que l'on ne vous donnera pas.

  A006000243 

 Et pourquoy cela? La raison en est toute evidente, d'autant que si celles qui sont au chœur pour chanter les Offices n'y estoient pas, les autres y seroyent en leur place; s'il n'y avoit point de Sœurs domestiques pour apprester le disner, les Sœurs du chœur y seroyent employées; si une telle Sœur n'estoit pas Superieure, il y en auroit une autre.

  A006000243 

 Jettant mes yeux sur le sujet de vostre despart et sur les ressentimens inevitables que vous aurez toutes en vous separant les unes des autres, j'ay pensé que je vous devois dire quelque petite chose qui peust amoindrir ceste douleur, quoy que je ne veuille dire qu'il ne soit loisible de pleurer un peu; car il le faut faire, d'autant qu'on ne s'en pourroit pas tenir, ayant demeuré si doucement et si amoureusement assez long temps ensemble en la pratique des mesmes exercices, ce qui a tellement uni vos cœurs, qu'ils ne peuvent sans doute souffrir nulle division ni separation.

  A006000246 

 Mais qui eust peu croire cela, puisqu'en les enserrant dans leur petite maison nous ne pensions à autre chose que de les faire mourir au monde? Elles furent sacrifiées, ains elles se sacrifierent elles-mesmes volontairement; et Dieu se contenta tellement de leur sacrifice, qu'il ne leur donna pas seulement une nouvelle vie pour elles-mesmes, ains une vie si abondante qu'elles la peuvent par sa grace communiquer à plusieurs ames, ainsi que l'on void maintenant..

  A006000247 

 Quelle grace, je vous prie, d'estre employées au service des ames que Dieu ayme si cherement, et pour lesquelles sauver Nostre Seigneur a tant souffert! Certes, c'est un honneur nompareil et duquel vous devez, mes cheres filles, faire un tres-grand estat: et pour vous y employer fidellement, ne plaignez ni peine, ni soin, ni travail, car tout vous sera cherement recompensé, bien qu'il ne faille pas se servir de ce motif pour vous encourager, ains de celuy de vous rendre plus agreables à Dieu et d'augmenter d'autant plus sa gloire..

  A006000248 

 Ne nous amusons point à desirer ni à pretendre rien, laissons-nous tout à fait entre les mains de la divine Providence, qu'elle fasse de nous ce qu'il luy plaira; car à quel propos desirer une chose plustost qu'une autre? tout ne nous doit-il pas estre indifferent? Pourveu que nous plaisions à Dieu, et que nous aymions sa divine volonté, cela nous doit suffire.

  A006000248 

 Quand on nous donneroit le choix, les plus abjects seroyent les plus desirables et ceux qu'il faudrait embrasser plus amoureusement; mais cela n'estant pas à nostre choix, embrassons les uns comme les autres d'un mesme cœur.

  A006000248 

 Tant que nous n'avons pas besoin de la pratique d'une vertu, il est mieux que nous ne l'ayons pas; quand nous en aurons besoin, [98] pourveu que nous soyons fidelles en celles dont nous avons presentement la pratique, tenons-nous asseurés que Dieu nous donnera chaque chose en son temps.

  A006000250 

 Ne craignez pas que rien vous manque, car il sera tousjours avec vous tant que vous n'en choisirez point d'autre; ayez seulement un grand soin d'accroistre vostre amour et vostre fidelité envers sa divine Bonté, vous tenant le plus pres de luy qu'il vous sera possible, et tout vous succedera en bien.

  A006000256 

 Mais j'ay consideré que si je vous donnois quelques loix que vous eussiez desja, vous n'en feriez pas grande estime: j'en ay donc choisi trois tant seulement, qui sont d'une utilité nompareille estant bien observées, et qui apportent une tres-grande suavité à l'ame qui les considere, parce qu'elles sont toutes d'amour et extremement delicates pour la perfection de la vie spirituelle; ce sont trois secrets qui lont d'autant plus excellens pour acquerir la perfection qu'ils sont moins cognus de ceux qui font profession de l'acquerir, au moins de la plus grande partie..

  A006000257 

 Vous aurez peut-estre veu, mais non pas remarqué, que les colombes tandis qu'elles couvent leurs œufs, elles ne bougent de dessus jusques à ce que leurs petits colombeaux soyent esclos, et quand ils le sont, elles continuent de les couver et fomenter tandis qu'ils en ont besoin.

  A006000258 

 Et ne faudroit pas jamais douter que Dieu nous manquast, car son amour est infini pour l'ame qui se repose en luy.

  A006000258 

 Hé! ne voyez-vous pas que la colombe ne pense qu'à son bien-aymé colombeau et à luy plaire, en ne bougeant de dessus ses œufs? et cependant rien ne luy manque, luy, en recompense de sa confiance, prenant tout le soin d'elle.

  A006000258 

 O quelle agreable et profitable loy est celle-cy, de ne rien faire que pour Dieu et luy laisser tout le soin de nous-mesmes! Je ne dis pas seulement pour ce qui regarde le temporel, car je n'en veux pas parler où il n'y a que nous autres, cela s'entend assez sans le dire; mais je dis pour ce qui regarde le spirituel et l'avancement de nos ames en la perfection.

  A006000259 

 Ce desir est celuy que nous avons apporté venant en Religion, qui est d'embrasser les vertus religieuses, c'est l'une des branches de l'amour de Dieu et l'une des plus hautes qui soit en cest arbre divin; mais ce desir ne se doit pas estendre plus loin que les moyens qui nous sont marqués dans nos Regles et Constitutions pour parvenir à ceste perfection que nous avons pretendu d'acquerir en nous obligeant à la poursuite; ains il le faut couver et fomenter tout le temps de nostre vie, à fin de faire que ce desir devienne un beau petit colombeau qui puisse ressembler à son Pere, qui est la perfection mesme.

  A006000259 

 Et ce pendant, n'ayons autre attention que de nous tenir sur nos œufs, c'est à dire ramassés dans les moyens qui nous sont prescrits pour nostre perfection, laissant tout le soin de nous-mesmes à nostre unique et tres-aymable Colombeau, qui ne permettra pas que rien nous manque de ce qui nous sera necessaire pour luy plaire..

  A006000260 

 C'est une grande pitié, certes, de voir des ames, dont le nombre n'est que trop grand, qui pretendant à la perfection s'imaginent que tout consiste à faire une grande multitude de desirs, et s'empressent beaucoup à [106] chercher ores ce moyen et tantost un autre pour y parvenir, et ne sont jamais contentes ni tranquilles en elles-mesmes; car dés qu'elles ont un desir, elles taschent vistement d'en concevoir un autre, et semble qu'elles sont comme les poules, lesquelles n'ont pas si tost fait un œuf qu'elles en chargent aussi tost un autre, laissant là celuy qu'elles ont fait sans le couver, de sorte qu'il n'en reussit point de poussin.

  A006000260 

 La colombe n'en fait pas de mesme, car elle couve et fomente ses petits jusques à tant qu'ils soyent capables de voler et aller à la cueillette pour se nourrir.

  A006000261 

 Il semble que ces ames empressées à la queste de leur perfection ayent mis en oubli, ou qu'elles ne sçachent pas ce que dit Jeremie: O pauvre homme, que fais-tu de te confier en ton travail et en ton industrie? Ne [107] sçais-tu pas que c'est à toy voirement de bien cultiver la terre, de la labourer et ensemencer, mais que c'est à Dieu de donner l'accroissement aux plantes et faire que tu ayes une bonne recolte et la pluye favorable à tes terres ensemencées? Tu peux bien arroser, mais pourtant tout cela ne te serviroit de rien si Dieu ne benissoit ton travail et ne te donnoit, par sa pure grace et non par tes sueurs, une bonne recolte: dépens donc entierement de sa divine bonté.

  A006000262 

 C'est bien dit qu'il faut tousjours s'avancer, respondis-je; mais nostre avancement ne se fait pas comme vous pensez, par la multitude des exercices de pieté, ains par la perfection avec laquelle nous les faisons, nous confiant tousjours plus en nostre cher Colombeau et nous desfiant davantage de nous-mesmes.

  A006000263 

 Grande folie de ceux qui s'amusent à desirer d'estre martyrisés aux Indes, et ne s'appliquent pas à ce qu'ils ont à faire selon leur condition! mais grande tromperie aussi à ceux qui veulent plus manger qu'ils ne peuvent digerer.

  A006000263 

 Lire force livres spirituels, [109] sur tout quand ils sont nouveaux, bien parler de Dieu et de toutes les choses les plus spirituelles pour nous exciter, disons-nous, à devotion, ouïr force predications, faire des conferences à tout propos, communier bien souvent, se confesser encores plus, servir les malades, bien parler de tout ce qui se passe en nous pour manifester la pretention que nous avons de nous perfectionner, et au plus tost qu'il se pourra: ne sont-ce pas là des choses fort propres pour nous perfectionner et parvenir au but de nos desseins? Ouy, pourveu que tout cela se fasse selon qu'il est ordonné, et que ce soit tousjours avec dependance de la grace de Dieu; c'est à dire que nous ne mettions point nostre confiance en tout cela, pour bon qu'il soit, ains en un seul Dieu, qui nous peut seul faire tirer le fruict de tous nos exercices..

  A006000263 

 Nous n'avons pas assez de chaleur spirituelle pour bien digerer tout ce que nous embrassons pour nostre perfection, et cependant nous ne voulons pas nous retrancher de ces anxietés d'esprit que nous avons à tant desirer de beaucoup faire.

  A006000265 

 Mais que veut dire donc que mangeant si peu de ces viandes spirituelles qui nourrissent nos ames à l'immortalité, ils estoyent neantmoins tousjours si en bon point, c'est à dire si forts et courageux pour entreprendre l'acquisition des vertus, et parvenir à la perfection et au but de leur pretention? Et nous autres, qui mangeons beaucoup, sommes tousjours si maigres, c'est à dire si lasches et languissans à la poursuite de nos entreprises, et semble, sinon tant que les consolations spirituelles marchent, que nous n'avons nul courage ni vigueur au service de Nostre Seigneur? Or il faut donc imiter ces saints Religieux, nous appliquant à nostre besogne, c'est à dire à ce que Dieu requiert de nous selon nostre vocation, fervemment et humblement, et ne penser qu'en cela, n'estimant pas de trouver nul moyen de nous perfectionner meilleur que celuy-là.

  A006000266 

 J'adjouste aussi humblement, à fin que l'on n'ayt point de sujet de s'excuser; car ne dites pas: Je n'ay point d'humilité, il n'est pas en mon pouvoir de l'avoir; car le Saint Esprit, qui est la bonté mesme, la donne à qui la luy demande.

  A006000266 

 Non pas ceste humilité, c'est à dire ce sentiment de nostre petitesse qui nous fait si fort humilier en toutes choses si gracieusement; mais je veux dire l'humilité qui nous fait cognoistre nostre propre abjection, et qui nous la fait aymer l'ayant recognuë estre en nous; car cela est la vraye humilité..

  A006000266 

 Non pas de celle que vous entendez, quant au sentiment, laquelle Dieu donne à qui bon luy semble, et qui n'est pas en nostre pouvoir d'acquerir quand il nous plaist.

  A006000268 

 Il ne se plaint point que Dieu lui ayt osté les moyens qu'il avoit de faire tant de bonnes œuvres, ains il dit avec la colombe: Plus l'on m'en oste et plus j'en fais; non des aumosnes, car il n'a pas de quoy, mais en ce seul acte de sousmission et de patience qu'il fit se voyant privé de tous ses biens et de ses enfans, il fit plus qu'il n'avoit fait par toutes les grandes charités qu'il faisoit durant le temps de sa prosperité, et se rendit plus agreable à Dieu en ce seul acte de patience, qu'il n'avoit fait en tant et tant de bonnes œuvres qu'il avoit faites durant sa vie; car il falloit avoir un amour plus fort et genereux pour cest acte seul, qu'il n'avoit esté besoin pour tous les autres mis ensemble..

  A006000268 

 Qu'est-ce qu'il ne faisoit pas tandis qu'il estoit en sa premiere prosperité? quelles bonnes oeuvres ne faisoit-il pas? Il le dit luy-mesme en ceste façon: J'estois le pied du boiteux, c'est à dire je le faisois porter ou je le mettois sur mon asne ou mon chameau; j'estois l'œil de l'aveugle, en le faisant [113] conduire; j'estois en fin le pourvoyeur du famelique et le refuge de tous les affligés.

  A006000268 

 Qu'est-ce à dire cela? C'est que lors que leurs petits colombeaux sont un peu gros, le maistre du colombier les leur vient oster, et soudain elles se mettent à en couver des autres; mais si on ne les leur oste pas, elles s'amusent aupres de ceux-là longuement, et partant elles en font moins.

  A006000269 

 Il nous en faut donc faire de mesme pour observer ceste aymable loy des colombes, nous laissant despouiller par nostre souverain Maistre de nos petits colombeaux, c'est à dire des moyens d'executer nos desirs, quand il luy plaist de nous en priver, pour bons qu'ils soyent, sans nous plaindre ni lamenter jamais de luy comme s'il nous faisoit grand tort; ains nous devons nous appliquer à doubler, non nos desirs ni nos exercices, mais la perfection avec laquelle nous les faisons, taschant par ce moyen de gagner plus par un seul acte, comme indubitablement nous ferons, que nous ne ferions pas avec cent autres faits selon nostre propension et affection.

  A006000269 

 Nostre Seigneur ne veut pas que nous portions sa croix sinon par le bout, et il veut estre honnoré comme les grandes dames, lesquelles font porter la queue de leurs robes; il veut pourtant que nous portions la croix qu'il nous met sur les espaules, qui est la nostre mesme.

  A006000270 

 Les mortifications, dit-elle, ne me coustoyent rien durant ce temps-là, ains ce m'estoyent des consolations; les obeissances m'estoyent des allegresses; je n'avois pas si tost ouy le premier son de la cloche, que j'estois levée; je ne laissois point passer de pratique de vertu, et tout cela je le faisois avec une paix et tranquillité tres-grande: mais maintenant que je suis en desgoust et que je suis ordinairement en secheresse en l'oraison, je n'ay nul courage, ce me semble, pour mon amendement, je n'ay point ceste ardeur que je soulois avoir en mes exercices; en fin, la gelée et la froidure est passée chez moy.

  A006000270 

 O il ne faut pas ainsi faire; ains, plus Dieu nous prive de la consolation, et plus nous devons travailler pour luy tesmoigner nostre fidelité.

  A006000270 

 O que ce sont là des œufs bien aymables! et tout cela est bien bon, et les petits colombeaux ne manquent point, qui sont les effects; car, qu'est-ce qu'elle ne fait pas? Ses œuvres de charité sont en si grand nombre! sa modestie paroist devant toutes les Sœurs, elle est d'une edification nompareille, elle se fait admirer de tous ceux qui la voyent ou qui la cognoissent.

  A006000270 

 Si elle est en l'oraison, quels saints desirs ne fait-elle pas de luy plaire! elle s'attendrit en sa presence, elle s'escoule toute en son Bien-Aymé, elle se laisse entierement entre les bras de sa divine providence.

  A006000270 

 Un seul acte fait avec secheresse d'esprit vaut mieux que plusieurs faits avec une grande tendreté, parce que, comme j'ay desja dit en parlant de Job, il se fait avec un amour plus fort, quoy qu'il ne soit pas si tendre ni si agreable.

  A006000271 

 C'est cette tres-sainte egalité d'esprit, mes cheres ames, que je vous souhaitte: je ne dis pas l'egalité d'humeur ni d'inclination, je dis l'egalité d'esprit; car je ne fais, ni desire que vous fassiez nul estat des tracasseries que fait la partie inferieure de nostre ame, qui est celle qui cause les inquietudes et bijarreries, quand la partie superieure ne fait pas son devoir en se rendant maistresse, et ne fait pas bon guet pour découvrir ses ennemis, ainsi que le Combat spirituel dit qu'il faut faire, à fin qu'elle soit promptement advertie des remuemens et assauts que luy fait la partie inferieure, qui naissent de nos sens et de nos inclinations et passions, pour luy faire la guerre et l'assujettir à ses loix.

  A006000276 

 Mais il faut bien en cecy, comme en toute autre chose, faire difference entre les inclinations et affections; car quand ces choses ne sont que des inclinations et non pas des affections, il ne s'en faut point mettre en peine, parce qu'il ne depend pas de nous de n'avoir point de mauvaises inclinations, ouy bien des affections.

  A006000276 

 Or ces mouvemens arrivent parce que l'on n'a pas mis toutes ses volontés en commun, qui est pourtant une chose qui se doit faire entrant en Religion; car chaque Sœur devroit laisser sa volonté propre hors la porte pour n'avoir que celle de Dieu..

  A006000276 

 Si donques il arrive qu'en changeant la robbe d'une Sœur pour [120] luy en donner une autre moindre, la partie inferieure s'esmeuve un petit, cela n'est pas peché, pourveu qu'avec la raison elle l'accepte de bon cœur pour l'amour de Dieu; et ainsi de tous les autres sentimens qui nous arrivent.

  A006000277 

 Elle ne regarde pas tant ce qui est du vivre ou du vestir comme des exercices spirituels; car qui vous viendroit demander: Que voulez-vous faire demain? vous respondriez: Je ne sçay; aujourd'huy je feray une telle chose qui m'est commandée, demain je ne sçay pas ce que je feray parce que je ne sçay pas ce que l'on me commandera.

  A006000278 

 Or, il ne faut pas seulement vouloir en general la desappropriation, mais en particulier; car il n'y a rien de si aisé que de dire de gros en gros: Il faut renoncer à nous-mesmes et quitter nostre propre volonté; mais quand il faut venir à la pratique, c'est là où gist la difficulté.

  A006000279 

 Pour en faire le despouillement, il les faut renoncer entre les mains de Nostre Seigneur, et puis demander les affections qu'il veut que nous ayons pour eux; car il ne faut pas demeurer sans affections, ni les avoir esgales et indifferentes, il faut aymer chacun en son degré; la charité donne le rang aux affections.

  A006000280 

 Les seconds biens sont ceux du corps: la beauté, la santé et semblables choses qu'il faut renoncer; et puis, il ne faut plus aller au miroir regarder si on est belle, ni se soucier non plus de la santé que de la maladie, au moins quant à la partie superieure; car la nature se ressent tousjours, et crie quelquefois, specialement quand l'on n'est pas bien parfait.

  A006000282 

 De mesme, à la rencontre de ceux que nous aymons, il ne se peut pas faire que nous ne soyons esmeus de joye et de contentement; c'est pourquoy cela n'est point contraire à la vertu.

  A006000283 

 Ainsi vous voyez que la vertu n'est pas une chose si terrible qu'on s'imagine.

  A006000284 

 Or, nos affections sont si pretieuses, puisqu'elles doivent estre toutes employées à aymer Dieu, qu'il faut bien prendre garde de ne les pas loger en des choses inutiles; et une faute, pour petite qu'elle puisse estre, faite avec affection, est plus contraire à la perfection que cent autres faites par surprinse et sans affection,.

  A006000284 

 Vous pourrez aussi facilement cognoistre si vous estes attachée à quelque chose lors que vous n'aurez pas la commodité de faire ce que vous avez proposé; car si vous n'y avez point d'affection, vous demeurerez autant en repos de ne la pas faire comme si vous l'eussiez faite, et au contraire, si vous vous en troublez, c'est la marque que vous y avez mis vostre affection.

  A006000285 

 Il y a encor une autre raison qui rend ces premieres amitiés dont nous avons parlé moindres que les secondes: c'est qu'elles ne sont pas de durée, parce que la cause en estant fresle, dés qu'il arrive quelque traverse, elles se refroidissent et alterent; ce qui n'arrive pas à celles qui sont fondées en Dieu, parce que la cause en est solide et permanente..

  A006000286 

 De maniere que quand ceux auxquels je fais ces caresses sçauroyent que je les leur fais parce que je leur ay de l'aversion, ils ne s'en devroyent point offencer, ains les estimer et cherir davantage que si elles partoyent d'une affection sensible; car les aversions sont naturelles, et d'elles-mesmes ne sont pas mauvaises quand nous ne les suivons pas; au contraire, c'est un moyen de pratiquer mille sortes de bonnes vertus, et Nostre Seigneur mesme nous a plus à gré quand avec une extreme repugnance nous luy allons baiser les pieds, que si nous y allions avec beaucoup de suavité.

  A006000287 

 Ce n'est donc pas pour Dieu [127] que vous l'aymez, car ceste derniere personne est aussi bien à Dieu que la premiere, et vous la devriez davantage aymer, car il y a davantage à faire pour Dieu.

  A006000287 

 Souvent nous pensons aymer une personne pour Dieu, et nous l'aymons pour nous-mesmes; nous nous servons de ce pretexte, et disons que c'est pour cela que nous l'aymons, mais en verité nous l'aymons pour la consolation que nous en avons: car n'y a-t'il pas plus de suavité de voir venir à vous une ame pleine de bonne affection, qui suit extremement bien vos conseils et qui va fidelement et tranquillement dans le chemin que vous luy avez marqué, que d'en voir une autre toute inquietée, embarrassée et foible à suivre le bien, et à qui il faut dire mille fois une mesme chose? sans doute vous aurez plus de suavité.

  A006000288 

 Autant en faut-il dire pour ce qui regarde le temporel; car pourveu que la maison soit accommodée, nous ne devons pas nous soucier si c'est par nostre moyen ou par un autre.

  A006000288 

 Et non seulement il n'en faut pas estre marrie, mais il faut estre disposée à contribuer tout ce que nous pouvons pour cela, jusques à nostre peau, s'il en estoit besoin; car, pourveu que Dieu soit glorifié, nous ne nous devons pas soucier par qui; de telle sorte que [128] s'il se presentoit une occasion de faire quelque œuvre de vertu et que Nostre Seigneur nous demandast qui nous aymerions mieux qui la fist, il faudroit respondre: Seigneur, celle qui la pourra faire plus à vostre gloire.

  A006000289 

 Ainsi nous ne pouvons pas juger de nostre avancement, mais ouy bien de celuy d'autruy; car nous n'osons pas nous asseurer, quand nous faisons une bonne action, que nous l'ayons faite avec perfection, d'autant que l'humilité le nous defend.

  A006000289 

 Je responds que nous ne cognoistrons jamais nostre propre perfection, car il nous arrive comme à ceux qui navigent sur mer; ils ne sçavent pas s'ils avancent, mais le maistre pilote, qui sçait l'air où ils navigent, le cognoist.

  A006000293 

 La premiere, et celle qui le porte par eminence au dessus des autres, c'est la bien-seance de nostre maintien exterieur: et à cette vertu sont opposés deux vices, à sçavoir, la dissolution en nos gestes et contenances, c'est à dire la legereté; l'autre vice qui ne luy est pas moins contraire, est une contenance affectée.

  A006000293 

 La seconde qui porte le nom de modestie, est l'interieure bien-seance de nostre entendement et de nostre volonté: celle-cy a de mesme deux vices opposés, qui sont la curiosité en l'entendement, la multitude des desirs de sçavoir et d'entendre toutes choses et l'instabilité en nos entreprises, passant d'un exercice à un autre sans nous arrester à rien; l'autre vice, c'est une certaine stupidité et nonchalance d'esprit, qui ne veut pas mesme sçavoir ni apprendre les choses necessaires pour nostre [131] perfection, imperfection qui n'est pas moins dangereuse que l'autre.

  A006000294 

 La seconde raison est qu'elle ne nous assujettit pas seulement pour un temps, mais tousjours et en tout lieu, aussi bien estans seuls qu'en compagnie, et en tout temps, ouy mesme en dormant.

  A006000294 

 Un grand Saint l'escrivit à un sien disciple, disant qu'il se couchast modestement en la presence de Dieu, ainsi comme feroit celuy à qui Nostre Seigneur, estant encor en vie, commanderoit de dormir et se coucher en sa presence; et bien, dit-il, que tu ne le voyes pas et n'entendes pas le commandement qu'il t'en fait, ne laisse pas de le faire tout de mesme que si tu le voyois, parce qu'en effet il t'est present et te garde pendant que tu dors.

  A006000295 

 Et ce qu'il dit à son disciple saint Timothée, qu' il faut que l'Evesque soit orné, s'entend qu'il soit orné de modestie et non pas de riches vestemens, à fin que par son maintien modeste, il baille confiance à chacun de l'aborder, évitant également la rusticité comme la legereté, à fin que donnant la liberté aux mondains de l'approcher, ils ne croyent pas qu'il soit mondain comme eux..

  A006000296 

 Car dites-moy, celuy qui ne voudroit point rire à la recreation sinon comme l'on rit hors ce temps-là, ne seroit-il pas importun? Il y a des gestes et des contenances qui seroyent immodestie hors de ce temps-là, qui là ne le sont [133] nullement; de mesme, celuy qui voudroit rire lors que l'on est parmi les occupations serieuses, et relascher son esprit comme l'on fait tres-raisonnablement en la recreation, ne seroit-il pas estimé leger et immodeste? L'on doit aussi observer le lieu, les personnes, les conversations esquelles on est, mais tout particulierement la qualité de la personne.

  A006000296 

 La modestie d'une femme du monde est autre que celle d'une Religieuse: une fille qui estant dans le monde voudroit tenir la veuë aussi basse comme nos Sœurs, ne seroit pas estimée, non plus que nos Sœurs si elles ne la tenoyent plus basse que les filles du monde.

  A006000297 

 Le Pere donc faisant la correction à Pastor, le bon Arsenius se jetta en terre aux pieds du Pere, demandant humblement pardon, disant que si bien on ne l'avoit pas remarqué, qu'il avoit neantmoins [135] tousjours fait ceste faute là, que c'estoit sa contenance ordinaire de la cour, qu'il en demandoit penitence.

  A006000297 

 Le Religieux Pastor dit lors: O mon Pere, ne vous mettez point en peine, il n'y aura pas grande façon à le luy dire, il en sera bien aise; et pour cela, demain, s'il vous plaist, à l'heure de l'assemblée je me mettray de la mesme façon que luy, et vous m'en ferez la correction devant tous, et ainsi il entendra qu'il ne le faut pas faire.

  A006000297 

 Le grand saint Arsenius, lequel fust esleu par le Pape saint Damase pour instruire et eslever le fils de l'Empereur Theodose, Arcadius, qui luy devoit succeder au gouvernement de l'Empire, apres avoir esté honnoré plusieurs années en la cour, et autant favorisé de l'Empereur qu'homme du monde, il s'ennuya en fin de toutes ces vanités, bien qu'il ne vescust pas moins chrestiennement qu'honnorablement en la cour, et se resolut de se retirer au desert avec les saints Peres hermites qui y vivoyent: il executa fort courageusement [134] son dessein.

  A006000298 

 De plus, je remarque la bonté d'Arsenius à se rendre coulpable et sa fidélité à s'en corriger, bien que ce fust une chose si legere qu'elle n'estoit pas mesme une immodestie estant en la cour, quoy qu'elle le fust estant parmi ces Peres.

  A006000298 

 En apres, remarquez que ce n'est pas un mauvais jugement de penser que le Superieur fait la correction à un autre de quelque faute que vous faites comme luy, à fin que sans vous reprendre, vous-mesme vous en amendiez; mais il faut s'humilier profondement, voyant qu'il vous recognoist foible, et sçait bien que vous ressentiriez la correction s'il la vous faisoit.

  A006000298 

 L'on ne peut pas estre si tost défait de toutes ses imperfections; il ne faut jamais s'estonner d'en voir beaucoup en soy, pourveu que l'on ayt la volonté de les combattre.

  A006000299 

 De mesme, la volonté qui n'est pas retenue par la modestie passe d'un sujet à un autre pour s'esmouvoir à aymer Dieu et à desirer plusieurs moyens de le servir, et cependant il ne faut point tant de choses.

  A006000300 

 Elle fuit aussi l'autre extremité du vice qui luy est opposé, qui est la stupidité et nonchalance d'esprit qui ne veut pas sçavoir ce qui est necessaire.

  A006000300 

 J'ay dit que ceste vertu s'occupe principalement à assujettir l'entendement; et cela parce que la curiosité que nous avons naturellement est tres dangereuse, et fait que nous ne sçavons jamais parfaitement une chose, d'autant que nous ne mettons pas assez de temps pour la bien apprendre.

  A006000302 

 La science n'est pas necessaire pour aymer Dieu, ainsi que dit saint Bonaventure; car une simple femme est autant capable d'aymer Dieu comme les plus doctes hommes du monde.

  A006000305 

 Il y a des paroles qui seroyent immodestie en tout autre temps qu'en celuy de la recreation, où justement et avec bonne raison on doit relascher un peu l'esprit; et qui ne voudroit parler ni laisser parler les autres sinon de choses hautes et relevées en ce temps-là, feroit une immodestie; car n'avons-nous pas dit que la modestie regarde le temps, les lieux et les personnes? A ce propos, je lisois l'autre jour que saint Pachome, d'abord qu'il fut entré au desert pour mener une vie monastique, eut de grandes tentations, et les malins esprits luy apparoissoyent souvent en diverses manieres.

  A006000306 

 Il y a temps de rire et temps de ne pas rire; comme aussi, temps de parler et de se taire, comme nous monstra ce glorieux Saint en ces tentations.

  A006000307 

 Ce qui faisoit ainsi parler ce Saint estoit, si je ne me trompe, à cause qu'il parloit à des courtisans qu'il voyoit tellement pancher du costé de la delicatesse, qu'il estoit besoin de leur parler ainsi un peu plus asprement; comme ceux qui veulent redresser un jeune arbrisseau ne le redressent pas seulement au pli qu'ils veulent luy donner, mais ils le font mesme courber de l'autre costé à fin qu'il ne retourne à son pli.

  A006000307 

 De celle-cy, il n'est pas besoin de dire autre chose, sinon qu'il faut eviter la saleté et messeance en la façon de s'habiller; comme aussi l'autre extremité, qui est un trop grand soin de nous bien habiller, avec curiosité affectée d'estre bien accommodé, cela est vain; mais la netteté a esté fort recommandée par saint Bernard, comme estant un grand indice de la pureté et netteté de l'ame.

  A006000307 

 Il ne faut pas voirement avoir trop de delicatesse, mais aussi il ne faut point estre sale.

  A006000307 

 Il y a une chose qui semble nous contrarier en ce point, en la Vie de saint Hilarion; car un jour parlant à quelque gentilhomme qui l'estoit allé voir, il luy dit « qu'il n'y avoit point d'apparence de rechercher la netteté en un cilice, » voulant dire qu'il ne falloit point rechercher de la netteté en nos corps, qui ne sont que charognes puantes et toutes pleines d'infection: mais cela estoit plus admirable en ce grand Saint, que non pas imitable.

  A006000308 

 Je vous asseure, ma chere fille, que vous le renvoyez peut estre comme font les citoyens d'une ville dans laquelle se fait la nuict une sedition, quand ils chassent les seditieux et ennemis; mais ils ne les mettent pas hors de la ville, si bien qu'ils se vont cachant de rue en rue, jusques à ce que le jour vient, qu'ils se jettent sur les habitans et demeurent en fin maistres.

  A006000308 

 Mais de garder la secheresse d'esprit, en sorte que nous ne parlions pas apres que le sentiment est passé, avec autant de confiance, de douceur et de tranquillité qu'auparavant, ô cela il faut avoir grand soin de ne le pas faire.

  A006000308 

 Vous ne voulez pas avoir du sentiment, mais aussi vous ne voulez pas sousmettre vostre jugement qui vous fait croire que la correction a esté faite mal à propos, ou bien qu'elle a esté faite par passion ou chose semblable: qui ne void que ce seditieux se jettera sur vous et vous accablera de mille sortes de confusions, si promptement vous ne le chassez bien loin?.

  A006000308 

 Vous rejettez le sentiment que vous avez de la correction qui vous est faite, mais non pas si fortement et soigneusement qu'il ne se cache en quelque petit coin de vostre cœur au moins quelque partie du sentiment.

  A006000308 

 Vous renvoyez bien loin le sentiment, dites-vous, mais cela ne laisse pas de demeurer.

  A006000309 

 Mais vostre sentiment ne s'accoise pas, ains il vous suggere de regarder le tort que l'on vous fait.

  A006000309 

 O Dieu! ce n'est pas le temps de sousmettre son jugement, pour luy faire croire et confesser que la correction est bonne et qu'elle a esté faite bien à propos; ô non! c'est apres que vostre ame sera raccoisée et tranquillisée; car pendant le trouble il ne faut dire ni faire aucune chose, sinon demeurer fermes et resolus de ne consentir point à nostre passion, pour raison que [144] nous eussions de le faire; car jamais nous ne manquerions de raisons en ce temps-là, il nous en viendroit à la foule: mais il n'en faut pas escouter une seule, pour bonne qu'elle puisse sembler, ains se tenir proche de Dieu, comme j'ay dit, nous divertissant, apres nous estre humiliés et sousmis devant sa Majesté, luy parlant d'autre chose..

  A006000310 

 Mais remarquez ce mot que je me plais grandement à dire à cause de son utilité: humiliez-vous d'une humilité douce et paisible, et non pas d'une humilité chagrine et troublée; car c'est nostre malheur, nous portons devant Dieu des actes d'humilité despiteux et ennuyeux, et par ce moyen nous ne raccoisons pas nos esprits, et ces actes sont infructueux.

  A006000310 

 Vous vous surmontez bien, dites-vous, à leur parler; mais s'ils ne vous parlent pas ainsi que vous desirez, cela redouble la tentation.

  A006000311 

 Or, il s'en alla de ce pas jetter à genoux devant Dieu, demandant pardon de sa faute et se plaignant dequoy, apres avoir tant demeuré dans le desert, il n'estoit point encore mortifié, ce disoit-il.

  A006000311 

 Saint François mesme, sur le dernier temps de sa vie, apres tant de ravissemens et d'unions amoureuses avec Dieu, apres avoir tant fait pour sa gloire et s'estre surmonté en tant de sortes, un jour qu'il plantoit des choux dans le jardin, il arriva qu'un Frere, voyant qu'il ne les plantoit pas bien, l'en reprit; et le Saint fut esmeu d'un si puissant mouvement de colere de se voir repris, qu'il prononça à moitié une injure contre ce Frere qui l'avoit repris.

  A006000311 

 Saint Pachome donc, [145] commença de faire agrandir son monastere et faire une grande quantité de cellules; son frere Jean, ou pour ne sçavoir pas son dessein, ou bien pour le zele qu'il avoit à la pauvreté, luy fit un jour une grande correction, luy disant si c'estoit ainsi qu'il falloit et vouloit imiter Nostre Seigneur, lequel n'avoit pas où reposer son chef tandis qu'il estoit en ceste vie, faisant faire un si grand couvent? et plusieurs semblables choses.

  A006000312 

 Vous ne sçavez peut estre pas qu'il y a en nous-mesmes un certain monastere dont l'amour propre est superieur, et partant il impose des penitences; et ceste peine est la penitence qu'il vous impose pour la faute que vous avez faite d'avoir fasché la Superieure, parce que peut estre elle ne vous estimera pas tant comme elle eust fait si vous n'eussiez pas failli..

  A006000314 

 Ce n'est pas cela que vous demandez, je le voy bien; mais comment vous pourriez faire pour affermir tellement vostre esprit en Dieu, que rien ne l'en puisse destacher ni retirer.

  A006000314 

 Les pechés veniels mesmes ne sont pas capables de nous destourner de la voye qui conduit à Dieu: ils nous arrestent sans doute un peu en nostre chemin, mais ils ne nous en destournent pas pourtant, et beaucoup moins les simples distractions; et cecy je l'ay dit en l' Introduction..

  A006000314 

 Pardonnez-moy, ma fille, la moindre mousche de distraction ne retire pas vostre esprit de Dieu, ainsi que vous dites, car rien ne nous retire de Dieu que le peché; et la resolution que nous avons faite le matin de tenir nostre esprit uni à Dieu et attentif à sa presence, fait que nous y demeurons tousjours, voire mesme quand nous dormons, puisque nous le faisons au nom de Dieu et selon sa tres-sainte volonté.

  A006000314 

 Vous dites que ce n'est pas encor cela que vous demandez, mais que c'est que vous pourriez faire pour empescher que la moindre mousche ne retirast vostre esprit de Dieu ainsi qu'elle fait; vous voulez dire la moindre distraction.

  A006000314 

 Voyez donc si nous n'avons pas raison de nous coucher modestement, ainsi que nous avons dit.

  A006000315 

 Pour ce qui est de l'oraison, elle ne nous est pas moins utile ni moins agreable à Dieu pour y avoir beaucoup de distractions; ains elle nous sera peut estre plus utile que si nous y avions beaucoup de consolations, parce qu'il y a plus de travail, pourveu neantmoins que nous ayons la fidelité de nous retirer de ces distractions et n'y laissions point arrester nostre esprit volontairement.

  A006000316 

 Il leur semble que quand elles ne sentent pas Dieu, qu'elles ne sont pas en sa presence, et cela est une ignorance; car une personne qui va souffrir le martyre pour Dieu, et neantmoins elle ne pensera point en Dieu pendant ce temps-là, sinon en sa peine, quoy qu'elle n'ayt point le sentiment de la foy elle ne laisse pas de meriter en faveur de sa premiere resolution, et faire un acte de grand amour.

  A006000316 

 Il y a bien à dire d'avoir la presence de Dieu (j'entends estre en sa presence), et d'avoir le sentiment de sa presence; il n'y a que Dieu seul qui nous puisse faire ceste grace; car de vous donner les moyens d'acquerir ce sentiment, il ne m'est pas possible..

  A006000317 

 Demandez-vous comment il faut faire pour se tenir tousjours avec un grand respect devant Dieu, comme estans tres-indignes de ceste grace? Il n'y a point d'autre moyen de le faire que comme vous le dites: regarder qu'il est nostre Dieu, et que nous sommes ses foibles creatures, indignes de cest honneur; comme faisoit saint François, qui passa toute une nuict interrogeant Dieu en ces termes: « Qui estes-vous, et qui suis-je? » En fin, si vous me demandez: Comment pourray-je faire pour acquerir l'amour de Dieu? je vous diray: En le voulant aymer; et au lieu de vous appliquer à penser et demander comment vous pourrez faire pour unir vostre esprit à Dieu, que vous vous mettiez en la pratique par une continuelle application de vostre esprit à Dieu, et je vous asseure que vous parviendrez bien plus [150] tost à vostre pretention par ce moyen-là que non pas par aucune autre voye; car à mesure que nous nous dissipons nous sommes moins recueillis, et partant moins capables de nous unir et joindre avec la divine Majesté, qui nous veut tout sans reserve.

  A006000317 

 Il y a certes des ames qui s'occupent tant à penser comment elles feront, qu'elles n'ont pas le temps de faire; et toutesfois, en ce qui regarde nostre perfection, qui consiste en l'union de nostre ame avec la divine Bonté, il n'est question que de peu sçavoir et de beaucoup faire.

  A006000318 

 C'est que vous voudriez que je vous enseignasse une voye de perfection toute faite, en sorte qu'il n'y eust qu'à la mettre sur la teste, comme vous feriez vostre robbe, et que par ce moyen vous vous trouvassiez parfaite sans peine, c'est à dire que je vous donnasse la perfection toute faite; car ce que je dis, qu'il faut faire, n'est pas trouvé agreable à la nature; ce n'est pas ce [151] que nous voudrions.

  A006000319 

 Ces ames qui veulent gouster de toutes les methodes et de tous les moyens qui nous conduisent ou peuvent conduire à la perfection, en font de mesme; car l'estomac de leur volonté n'ayant pas assez de chaleur pour digerer et mettre en pratique tant de moyens, il se fait une certaine crudité et indigestion qui leur oste la paix et tranquillité d'esprit aupres de Nostre Seigneur, qui est cest un necessaire, que Marie a choisi, et ne luy sera point osté.

  A006000320 

 Il luy respondroit: ne mangez point de telles ou telles viandes, parce qu'elles engendrent des crudités qui causent par apres des douleurs; elle ne voudroit pourtant pas s'en abstenir.

  A006000320 

 Je voudrois bien tenir mon ame recueillie, [153] et neantmoins je ne veux pas retrancher tant de sortes de reflexions inutiles; cela ne se peut.

  A006000320 

 Mais vous dites que vous demeurez tousjours si foible, qu'encor que vous fassiez souvent des fortes resolutions de ne pas tomber en l'imperfection dont vous desirez de vous amender, l'occasion se presentant vous ne laissez pas de donner du nez en terre.

  A006000320 

 Mon Dieu! je voudrois bien estre fermement invariable en mes exercices, mais je voudrois bien aussi n'y avoir pas tant de peine: en un mot, je voudrois trouver la besogne toute faite.

  A006000320 

 Voulez-vous que je vous die pourquoy nous demeurons si foibles? c'est parce que nous ne voulons pas nous abstenir des viandes mal saines; comme si une personne laquelle voudroit bien n'avoir point de mal d'estomac, demandoit à un medecin comment elle pourroit faire.

  A006000321 

 Au reste, ce n'est pas estre foible de tomber quelquesfois en des pechés veniels, pourveu que nous nous en relevions tout incontinent par un retour de nostre ame en Dieu, nous humiliant tout doucement.

  A006000321 

 Certes, si bien ils nous arrestent un peu, comme j'ay dit, ils ne nous destournent pourtant pas de la voye: un seul regard de Dieu les efface.

  A006000321 

 Il ne faut pas que nous pensions pouvoir vivre sans en faire tousjours quelques uns, car il n'y a eu que Nostre Dame qui ayt eu ce privilege.

  A006000322 

 En fin il faut sçavoir que nous ne devons jamais cesser de faire des bonnes resolutions, encore que nous voyons bien que selon nostre ordinaire nous ne les pratiquons pas, voire, quand bien nous verrions qu'il est impossible de les pratiquer quand l'occasion s'en presentera; et cela, il le faut faire avec plus de fermeté que si nous sentions en nous assez de courage pour reussir de nostre entreprise, disant à Nostre Seigneur: Il est vray que je n'auray pas la force de faire ou supporter telle chose de moy-mesme, mais je m'en resjouïs, d'autant que ce sera vostre force qui le fera en moy; et sur cest appui, allez à la bataille courageusement, et ne doutez point que vous n'en rapportiez la victoire.

  A006000322 

 Et pourquoy cela, sinon parce que Nostre Seigneur voyant qu'elles ne se feroyent pas grand mal en tombant, les a laissées marcher toutes seules, ce qu'il n'a pas fait lors qu'elles estoyent dans les precipices des grandes tentations, d'où il les a tirées par sa main toute-puissante.

  A006000322 

 Nostre Seigneur fait envers nous tout de mesme comme un bon pere ou une bonne mere, laquelle laisse marcher son enfant tout seul lors qu'il est sur une douce prairie où l'herbe est grande, ou bien dessus la mousse, parce que si bien il vient à tomber, il ne se fera pas grand mal; mais aux mauvais et dangereux chemins elle le porte soigneusement entre ses bras.

  A006000322 

 Sainte Paule, [155] laquelle fut si genereuse à se dépestrer du monde, quittant la ville de Rome et tant de commodités, et laquelle ne peut estre esbranlée par l'affection maternelle qu'elle portoit à ses enfans, tant son cœur estoit resolu de quitter tout pour Dieu, apres avoir fait toutes ces grandes merveilles, elle se laissa surmonter par la tentation de son propre jugement, qui luy faisoit accroire qu'il ne se falloit pas sousmettre à l'advis de plusieurs saints personnages qui vouloyent qu'elle retranchast quelque chose de ses austerités ordinaires: en quoy saint Hierosme advouë qu'elle estoit reprehensible..

  A006000329 

 Cassian rapporte qu'estant au desert il se mettoit quelquefois en colere, et que prenant la plume pour escrire, si elle ne marquoit pas il la jettoit: de sorte, dit-il, qu'il ne sert de rien d'estre seul, puisque nous portons la colere avec nous.

  A006000329 

 En termes theologiques, la paresse s'appelle tristesse spirituelle, et c'est cela qui empesche de faire l'obeissance courageusement et promptement La troisiesme est la perseverance; car il ne suffit pas que l'on agrée le commandement et que pour quelque espace de temps l'on l'execute, si l'on n'y persevere, puisque c'est ceste perseverance qui obtient la couronne..

  A006000329 

 L'obeissance plus ordinaire a trois conditions: la premiere c'est d'agréer la chose que l'on nous commande et y plier doucement nostre volonté, aymant à estre commandés; car ce n'est pas le moyen de nous rendre vrays obeissans de n'avoir personne qui nous commande, comme de mesme ce n'est pas le moyen d'estre doux que de demeurer seul dans un desert.

  A006000329 

 La vertu est un bien de soy qui ne dépend pas de la privation de son contraire.

  A006000330 

 Or, ceste troisiesme condition est la plus difficile de toutes, à cause de la legereté et inconstance de l'esprit humain; car à ceste heure nous aymons faire une chose, et tantost nous ne la voudrions pas regarder.

  A006000331 

 Or, pour mieux nous affectionner à l'obeissance, lors que nous nous trouverons tentés, il faut faire des considerations de son excellence, de sa beauté et de son merite, voire de son utilité, pour nous encourager à passer outre: cela s'entend pour les ames qui ne sont pas encore bien establies en l'obeissance; mais quand il n'est question que d'une simple aversion ou dégoust dela chose commandée, il faut faire un acte d'amour et se mettre à la besogne.

  A006000332 

 Car encore que nous obeissions avec repugnance et quasi comme forcés par l'obligation de nostre condition, nostre obeissance ne laisse pas d'estre bonne en vertu de nostre premiere resolution; mais elle est d'une valeur et d'un merite infiniment grand quand elle est faite avec les conditions que nous avons dites; car une chose, pour petite qu'elle soit, estant faite avec une telle obeissance, est de tres-grande valeur..

  A006000332 

 Je n'appelle pas manquer à la perseverance quand nous faisons quelques petites interruptions, pourveu que nous ne quittions pas tout à fait; comme ce n'est pas manquer à l'obeissance de manquer à quelques unes de ses conditions, attendu que nous ne sommes pas obligés sinon à la substance des vertus et non pas aux conditions.

  A006000333 

 L'obeissance est une vertu si excellente que Nostre Seigneur a voulu conduire tout le cours de sa vie par obeissance, ainsi qu'il a dit tant de fois qu'il n'estoit pas venu pour faire sa volonté, ains celle de son Pere; et l'Apostre dit qu'il s'est fait obeissant jusques à la mort, et la mort de la croix, et a voulu joindre au merite infini de sa charité parfaite l'infini merite d'une parfaite obeissance.

  A006000334 

 Mais s'il arrive que sur ceste premiere opinion toutes deux voulussent ceder, il ne faudroit pas demeurer là sur ceste contestation, ains regarder lequel seroit le plus raisonnable et meilleur, et puis le faire simplement; et faut que cela soit conduit par la discretion, car il ne seroit pas à propos de quitter une chose qui seroit de necessité pour condescendre à une chose indifferente.

  A006000334 

 Que si je ne pouvois l'obmettre ou la remettre, et que ce qu'elle voudrait de moy ne fust [162] pas necessaire, je ferois ce que j'avois premierement entrepris, et puis, s'il se pouvoit, je regaignerois la commodité de faire ce que la Sœur desiroit de moy..

  A006000334 

 Si je voulois faire une action de grande mortification, et qu'une autre Sœur me vinst dire que je ne la fisse pas ou que j'en fisse une autre, je remettrois en un autre temps, s'il estoit possible, mon premier dessein pour faire sa volonté, et puis apres je paracheverois mon entreprise.

  A006000335 

 A quel propos donc ceste Sœur ne voudra-t'elle pas que je fasse ce dont elle me prie, pource seulement qu'elle a recognu que j'y ay de la repugnance? elle doit aymer que je fasse ce profit pour mon ame.

  A006000335 

 Non, c'est l'amour propre qui ne voudroit pas que j'eusse seulement une moindre pensée qu'elle est importune; je l'auray bien pourtant, encore que je ne m'y arreste pas.

  A006000335 

 Que s'il arrive qu'une Sœur nous requiere de faire quelque chose, et que par surprise nous tesmoignions d'y * avoir de la repugnance, il ne faut pas que la Sœur s'en ombrage ni fasse semblant de le cognoistre, ni qu'elle prie de ne le faire pas; car il n'est pas en nostre puissance d'empescher que nostre couleur, nos yeux et nostre contenance ne tesmoignent le combat que nous avons au dedans, encore que la raison veuille bien faire la chose; car ce sont des messagers qui viennent sans que l'on les demande, et qui, encore qu'on leur die retournez, n'en font rien pour l'ordinaire.

  A006000335 

 Si neantmoins au signe de ma repugnance je joins des paroles qui tesmoignent apertement que je n'ay point d'envie de faire ce dont ceste Sœur me prie, elle peut et doit me dire doucement que je ne le fasse pas, quand ce sont personnes égales; car il faut que ceux qui ont authorité tiennent ferme et fassent plier leurs inferieurs.

  A006000335 

 Si toutesfois j'avois l'experience que ce fust un esprit qui ne fust pas encore capable de ceste façon de traitter, j'attendrois pour quelque temps, jusques à tant qu'elle fust mieux disposée..

  A006000338 

 Or, le moyen d'acquerir ceste souplesse à la volonté d'autruy est de faire souvent en l'oraison des actes d'indifference, et puis les venir mettre en pratique lors que l'occasion s'en presentera; car ce n'est pas assez de se despouiller devant Dieu, d'autant que cela se faisant seulement avec l'imagination, il n'y a pas grand affaire; mais quand il le faut faire en effet, et que venans de nous donner tout à Dieu nous trouvons une creature qui nous commande, il y a bien de la difference, et c'est là où il faut monstrer son courage..

  A006000340 

 Les actions bonnes que nous ferons, qui ne nous sont pas particulierement commandées et qui ne peuvent tirer leur merite de l'obeissance, il le leur faut donner par la charité, encore que nous les pouvons toutes faire par obeissance.

  A006000341 

 Vous m'avez autresfois demandé si l'on pouvoit faire des prieres particulieres: et je responds que quant à ces petites prieres qu'il vous vient quelquefois devotion de faire, il n'y a point de mal, pourveu que l'on ne [166] s'y attache pas, en sorte que ne les disant pas il vous en vienne du scrupule, ou que vous fissiez dessein de dire tous les jours, ou un an durant ou certain temps, quelque oraison à vostre fantasie; car cela, il ne le faut pas.

  A006000342 

 Cela ne s'entend pas qu'estant prestes de recevoir Nostre Seigneur, s'il vous vient en memoire la necessité de quelqu'un de vos proches ou bien les necessités communes du peuple, vous ne puissiez les recommander à Dieu, en le suppliant d'en avoir compassion.

  A006000342 

 Or, si vous pensez que ce soit le Saint Esprit qui vous inspire de faire ces petites pratiques, il vous sçaura bon gré que vous en demandiez congé, voire mesme que vous ne les fassiez pas si l'on ne le vous permet, d'autant [167] que rien ne luy est tant agreable que l'obeissance religieuse.

  A006000349 

 L'on en void beaucoup d'autres qui se sont precipités à la mort, comme celuy qui se jetta dans une fornaise ardente; mais tous ces exemples doivent estre [171] admirés et non pas imités, car vous sçavez assez qu'il ne faut jamais estre si aveugle que de penser agréer à Dieu en contrevenant à ses commandemens.

  A006000349 

 Or, je sçay bien que plusieurs ont fait des choses contre les commandemens de Dieu par l'instinct de cette obeissance, laquelle ne veut pas seulement obeir aux commandemens de Dieu et des Superieurs, mais aussi à leurs conseils et à leurs inclinations.

  A006000350 

 Helas! vous ne faites rien plus que les mondains, car ils en font bien de mesme; et non seulement ils obeissent aux commandemens de ceux qu'ils ayment, mais ils n'estimeroyent pas leur amour bien satisfait s'ils ne suivoyent encor au plus pres qu'ils peuvent leurs inclinations et affections, ainsi que fait le vray obeissant, tant à l'endroit de ses Superieurs comme de Dieu mesme.

  A006000350 

 Tous les anciens Peres ont grandement blasmé ceux lesquels ne se vouloyent pas sousmettre à l'obeissance de ceux qui estoyent de moindre qualité qu'eux; ils leur demandoyent: Quand vous obeissiez à vos Superieurs, pourquoy le faisiez-vous? estoit-ce pour l'amour de Dieu? Nullement, car cestui-cy ne tient-il pas la mesme place de Dieu parmi nous que faisoit l'autre? Sans doute, il est vicaire de Dieu, et Dieu nous commande par sa bouche, et nous fait entendre ses volontés par ses ordonnances, comme il faisoit par la bouche de l'autre.

  A006000351 

 Apres donc qu'elle a gaigné ce poinct de ne pas regarder ceux qui commandent, ains de se sousmettre également à toutes sortes de Superieurs, elle passe outre et vient au second, qui est d'obeir sans considerer l'intention ni la fin pour laquelle le commandement est fait, se contentant de sçavoir qu'il est fait, sans s'amuser à considerer s'il est bien ou mal [173] fait, si l'on a raison ou non de faire tel ou tel commandement.

  A006000351 

 Hé! ne pouvoit-il pas bien dire: Seigneur, vous me dites que je sorte hors de la ville; dites moy donc, s'il vous plaist, de quel costé je sortiray.

  A006000351 

 Il ne dit pas un mot, ains s'en alla où l'Esprit le portoit, sans regarder en aucune façon s'il alloit bien ou mal, pourquoy et à quelle intention Dieu luy avoit fait ce commandement si courtement, qu'il ne luy avoit pas seulement marqué le chemin par lequel il vouloit qu'il marchast.

  A006000351 

 O certes, le vray obeissant ne fait pas des [174] discours; il se met simplement en besogne, sans s'enquerir d'autre chose que d'obeir..

  A006000352 

 Mais pourquoy Nostre Seigneur mesme ne luy dit-il pas ce qu'il devoit faire, sans le renvoyer plus loin, luy qui avoit bien daigné luy parler pour le convertir? Saint Paul fit tout ce qui luy fut commandé.

  A006000353 

 Ce pauvre aveugle ne pouvoit-il pas bien s'estonner du moyen dont Nostre Seigneur usoit pour le guerir, et luy dire: Helas! que me faites-vous? si je n'estois pas aveugle, cela serait capable de me faire perdre la veuë.

  A006000354 

 A ceste response, Naaman commença à se dépiter et dire: N'y a-t'il pas des eaux en nostre pays aussi bonnes que celles qui sont au fleuve Jourdain? et n'en voulut rien faire.

  A006000354 

 Naaman le Syrien n'en fit pas de la sorte, dont il luy en pensa arriver du mal.

  A006000354 

 Sur quoy Elisée ne sortit pas mesme de sa chambre, ains luy envoya dire par son serviteur qu'il s'allast laver sept fois au Jourdain et qu'il seroit gueri.

  A006000356 

 Remarquez, je vous prie, combien elle fut prompte et gratieuse; elle n'espargnoit point sa peine, ains en estoit fort liberale, car il ne falloit pas peu d'eau pour abreuver tant de chameaux qu'Eliezer menoit.

  A006000357 

 A quoy le Pere respondit fort doucement: Bien, mon Frere, vous n'avez pas voulu obeir simplement et promptement; mais que voulez-vous gager que l'arbre sera plus obeissant que vous? Ce qui arriva; car le lendemain on le trouva tout sec, et ne porta jamais fruict.

  A006000357 

 Ce grand Saint, qui ne desiroit pas moins de dresser ses Religieux à une totale mortification des sens comme à la mortification interieure des passions et inclinations, appella Jonas et luy commanda que le lendemain il ne manquast à couper le figuier; à quoy le pauvre Jonas repliqua: Hé, mon Pere, encor faut-il un peu supporter ces jeunes gens; il les faut bien recréer en quelque chose; ce n'est pas pour moy que je le veux conserver.

  A006000357 

 Le pauvre [178] Jouas disoit fort veritablement que ce n'estoit pas pour luy qu'il vouloit garder le figuier; car on remarqua que de soixante et quinze ans qu'il vesquit en la Religion et qu'il fut jardinier, il n'avoit jamais tasté aucun fruict de son jardin, mais il en estoit fort liberal à l'endroit des Freres.

  A006000358 

 A son exemple, il nous faut apprendre d'estre grandement prompts en l'obeissance, car il ne suffit pas au cœur amoureux de faire ce qu'on luy commande ou que l'on luy tesmoigne de desirer, s'il ne le fait promptement; il ne peut voir l'heure assez tost venue pour accomplir ce que l'on a ordonné, à fin que l'on luy commande de nouveau quelque autre chose.

  A006000359 

 Donc, celuy qui pour suivre l'inclination que Nostre Seigneur a tesmoigné que l'on secourust les pauvres, voudrait aller de ville en ville pour les chercher, qui ne sçait que pendant qu'il sera en une il ne servira pas ceux qui seront en l'autre? Il faut aller en ceste besogne en simplicité de cœur; faire l'aumosne quand j'en rencontre l'occasion, sans m'aller amusant par les rues de maison en maison, pour sçavoir s'il y aura point de pauvre que je ne cognoisse pas.

  A006000359 

 Mais il faut que je vous advertisse icy d'une tromperie en laquelle on pourroit tomber: car si ceux qui voudroyent entreprendre la pratique de ceste vertu fort exactement, vouloyent tousjours se tenir en attention pour pouvoir cognoistre les desirs et les inclinations de leurs Superieurs ou de Dieu, ils perdroyent le temps infailliblement; car par exemple, tandis que je m'enquerrois quel est le desir de Dieu, je ne m'occuperais pas à me tenir en repos et tranquillité aupres de luy, qui est le desir qu'il a maintenant, puisqu'il ne me donne rien autre chose à faire.

  A006000362 

 Assez meurt martyr qui bien se mortifie; c'est un plus grand martyre de perseverer toute sa vie en obeissance, que non pas de mourir tout d'un coup par un glaive.

  A006000362 

 En fin il adora leur idole, et ces meschans se mocquans de luy le battirent tres-bien, et puis le laisserent revenir en son monastere, où estant arrivé plus mort que vif, tout pâle et transi, saint Pachome qui luy estoit allé au devant luy dit: Eh bien, mon fils, [184] comme va? qu'y a-t'il que vous estes si défait? Lors, le pauvre Religieux, tout honteux et confus parce qu'il avoit de l'orgueil, ne pouvant supporter de se voir avoir fait une si grande faute, se jetta en terre et confessa sa faute; à quoy le Pere remediant promptement, faisant prier les Freres pour luy et luy faisant demander pardon à Dieu, le remit en bon estat, et puis luy donna de bons advertissemens, disant: Mon fils, souviens-toy qu'il vaut mieux avoir de petits desirs de vivre selon la Communauté, et ne vouloir que la fidelité à l'observance des Regles sans entreprendre ni desirer autre chose que ce qui y est compris, que non pas avoir de grands desirs de faire des merveilles imaginaires, qui ne sont bons qu'à enfler nos cœurs d'orgueil et nous faire mesestimer les autres, pensant bien estre quelque chose plus qu'eux.

  A006000362 

 Helas! ce pauvre Religieux, si vaillant en imagination, se voyant l'espée à la gorge: Hé, de grace, dit-il, ne me tuez pas, je feray tout ce que vous voudrez; ayez pitié de moy! je suis encor jeune, ce seroit dommage de borner le cours de mes jours.

  A006000362 

 O qu'il fait bon vivre à l'abri de la sainte obeissance, plustost que nous retirer d'entre ses bras pour chercher ce qui nous semble plus parfait! Si tu te fusses contenté, ainsi que je t'avois dit, de te bien mortifier en vivant, lors que tu ne voulois rien moins que la mort, tu ne fusses pas tombé comme tu as fait; mais bon courage, souviens-toy de vivre desormais en sousmission, et t'asseure que Dieu t'a pardonné.

  A006000363 

 La moindre petite chose faite par obeissance est tres-agreable à Dieu: mangez par obeissance, vostre manger est plus agreable à Dieu que les jeusnes des anachoretes s'ils sont faits sans obeissance; reposez-vous par obeissance, vostre repos est plus meritoire et plus agreable à Dieu que non pas le travail volontaire.

  A006000364 

 Le vray obeissant vivra doucement et paisiblement comme un enfant qui est entre les bras de sa chere mere, lequel ne se met point en soin de ce qui luy pourra survenir; que la mere le porte sur le bras droit ou sur le gauche, il ne s'en soucie pas.

  A006000365 

 Celles qui ne voudroyent pas s'assujettir aux conseils et à la direction contreviendroyent à l'obeissance amoureuse; et ce seroit tesmoigner une grande lascheté de coeur et avoir bien peu d'amour pour Dieu, [189] que de ne vouloir faire que ce qui nous est commandé et rien davantage.

  A006000365 

 Et, bien qu'elles ne contreviennent pas à l'obeissance qu'elles ont vouée, qui est celle des commandemens et conseils, quand elles ne s'assujettissent pas à la suite de la direction, elles contreviennent neantmoins à l'obeissance amoureuse à laquelle toutes les Filles de la Visitation doivent pretendre..

  A006000365 

 O non, ma fille: les Superieurs, [187] non plus que les confesseurs, n'ont pas tousjours intention d'obliger les inferieurs par les commandemens qu'ils font, et quand ils le veulent faire, ils usent du mot de commandement sur peine de desobeissance; et alors les inferieurs sont obligés d'ober sur peine de peché, bien que le commandement fust fort leger et de chose de peu; mais autrement non.

  A006000366 

 O certes, nous ne pouvons pas empescher que la pensée ne nous en vienne, mais de s'y arrester, c'est ce qu'il ne faut point faire; car si Balaam fut bien instruit par une asnesse, à plus forte raison devons-nous croire que Dieu qui nous a donné ceste Superieure, fera bien qu'elle nous enseignera selon sa volonté, bien que peut estre ce ne sera pas selon la nostre.

  A006000366 

 Si aujourd'huy que vous avez une Superieure fort estimée, tant pour sa qualité que pour ses vertus, vous luy obeissez de bon cœur, demain que vous en aurez une autre qui ne sera pas tant estimée vous ne luy obeissez pas de si bon cœur qu'à l'autre, luy rendant bien pareille obeissance, mais n'estimant pas tant ce qu'elle vous dit et ne le faisant pas avec tant de satisfaction, hé! qui ne void que vous obeissez à l'autre par vostre inclination et non pas purement pour Dieu? car si cela estoit, vous auriez autant de plaisir et feriez autant d'estime de ce que ceste-cy vous dit, comme vous faisiez de ce que l'autre vous disoit..

  A006000366 

 Vous me demandez si l'on ne pourroit pas bien penser lors qu'on vous change de Superieure, qu'elle n'est pas si capable que celle que vous aviez et qu'elle n'a pas tant de cognoissance du chemin par lequel il vous faut conduire.

  A006000367 

 C'est sans doute que j'auray plus de satisfaction, quant à la partie inferieure de mon ame, de faire ce qu'une Superieure me commande à laquelle j'ay de l'inclination, que non pas à faire ce que l'autre [191] me dit à laquelle je n'en ay du tout point; mais pourveu que j'obeisse également quant à la partie superieure il suffit, et mon obeissance vaut mieux quand j'ay moins de plaisir à la faire, parce que c'est là où nous monstrons que c'est pour Dieu et non pour nostre plaisir que nous obeissons.

  A006000368 

 Bien que l'on voye pour l'ordinaire en toutes les Religions les Novices fort exacts et mortifiés, ce n'est pas qu'ils soyent plus obligés que les Profés: ô non, car ils ne le sont encore nullement, ains ils perseverent en obeissance pour parvenir à la grace de la profession; mais les Profés y sont obligés en vertu des vœux qu'ils ont faits, lesquels il ne suffit pas d'avoir faits pour estre Religieux, si on ne les observe.

  A006000368 

 Il ne faut pas dire qu'il n'appartient qu'aux Novices d'estre si exacts.

  A006000368 

 Le Religieux qui a bien commencé n'a pas tout fait, s'il ne persevere jusques à la fin.

  A006000368 

 Mais, pourriez-vous dire, n'est-il pas permis de desapprouver ce que ceste Superieure icy fait, ni de dire ou penser pourquoy elle fait des ordonnances que l'autre ne faisoit pas? O certes, non jamais, mes cheres filles; ains il faut approuver tout ce que les Superieures font ou disent, permettent ou defendent, pourveu qu'il ne soit manifestement contre les commandemens de Dieu, car alors il ne faut ni obeir ni approuver cela.

  A006000368 

 [192] Mais ne seroit-il point loisible à une fille qui a desja vescu longuement en Religion, et qui y a rendu de grands services, de se relascher un peu à l'obeissance, au moins en quelque petite chose? O bon Dieu! que seroit cela, sinon faire comme un maistre pilote qui ayant amené sa barque au port, apres avoir longuement et peniblement travaillé pour la sauver des perils de la tourmente et des vagues de la mer, voudrait en fin, estant arrivé au port, rompre son navire et se jetter luy-mesme dans la mer? Ne le jugeroit-on pas bien fol? car s'il vouloit faire cela, il ne se devoit pas tant travailler pour amener la barque jusqu'au port.

  A006000369 

 La seconde façon en laquelle l'on le peut dire est pour se soulager: elle trouve la mortification ou correction bien pesante, elle s'en va un peu descharger sur sa Sœur à qui elle le dit, laquelle la plaignant luy ostera une partie de sa charge; et ceste façon n'est desja pas tant supportable que la premiere, parce que l'on commet une imperfection en se plaignant.

  A006000369 

 Mais la troisiesme seroit tout à fait mauvaise, qui est de le dire par forme de murmure et de despit, et pour faire cognoistre que la Superieure a eu tort; or de ceste façon, je sçay bien que l'on ne le fait pas en ceste maison, par la grace de Dieu..

  A006000370 

 D'aller aussi dire: Je viens de parler à nostre Mere, je suis aussi seche que j'estois auparavant, il n'y a que s'attacher à Dieu; pour moy je ne retire aucune consolation [194] des creatures, j'ay esté moins consolée que je n'estois; cela n'est pas à propos.

  A006000370 

 De la premiere façon, encore qu'il n'y ayt point de mal de le dire, il seroit pourtant tres-bien de ne le dire pas, ains s'occuper en soy-mesme à s'en resjouir avec Dieu.

  A006000370 

 En la seconde façon, certes, il ne le faut pas faire, car par le moyen de nostre plainte nous perdons le merite de la mortification.

  A006000370 

 La Sœur à laquelle on dit cecy devroit respondre fort doucement: Ma chere Sœur, que ne vous estiez-vous bien attachée à Dieu, ainsi que vous dites qu'il faut faire, avant qu'aller parler à nostre Mere, et vous n'auriez pas du mescontentement dequoy elle ne vous a pas consolée.

  A006000370 

 Parce que les creatures ne me contentent pas, je cherche le Createur: ô non! le Createur merite bien que je quitte tout pour luy; aussi veut-il que nous le fassions.

  A006000370 

 Quand donc nous sortons de devant la Superieure toutes seches et sans avoir receu une seule goutte de consolation, il faut que nous emportions nostre secheresse comme un baume precieux, comme l'on fait des affections que l'on reçoit en la sainte oraison, comme un baume, dis-je, et que nous ayons un grand soin de ne pas laisser respandre ceste liqueur precieuse qui nous a esté envoyée du Ciel comme un don tres-grand, à fin de parfumer nostre cœur de la privation de la consolation que nous pensions rencontrer és paroles de la Superieure..

  A006000371 

 Il vous semble que les Superieurs ont la consolation sur le bord des levres et qu'ils la respandent facilement dans le cœur de ceux qu'ils veulent, ce qui n'est pas neantmoins; car ils ne peuvent pas tousjours estre de mesme humeur non plus que les autres.

  A006000371 

 Mais il y a une chose à remarquer sur ce sujet, qui est que quelquefois l'on porte un cœur sec et dur lors que l'on va parler à la Superieure, lequel ne peut estre capable d'estre arrousé ni humecté de l'eau de la consolation, d'autant qu'il n'est nullement susceptible de ce que la Superieure dit; et encore qu'elle parle fort bien selon vostre necessité, neantmoins il ne le vous semble pas.

  A006000372 

 Parce que l'entendement et le jugement representent à la volonté que cela ne se doit pas, ou qu'il faut user d'autres moyens pour faire ce que l'on dit, que ceux qui nous sont marqués, elle ne peut se sousmettre, d'autant qu'elle fait tousjours plus d'estat des raisons que le propre jugement luy monstre que non pas d'aucune autre, car chacun croid que son propre jugement est le meilleur.

  A006000372 

 Si l'on vous donne quelque exercice, ne permettez pas à vostre jugement de discerner s'il vous sera propre ou non; et prenez garde que, si bien vous faites la chose ainsi qu'elle est commandée, bien souvent [196] le propre jugement n'obeit pas, je veux dire ne se sousmet pas, car il n'approuve pas le commandement: ce qui est pour l'ordinaire cause de la repugnance que nous avons de nous sousmettre à faire ce que l'on veut de nous.

  A006000373 

 Il n'estoit nullement obligé de faire cecy, parce que le Pape ne le commandoit pas, ains seulement qu'il eust à rayer de dessus son livre certaine chose qui n'avoit pas semblé bonne; car, ce qui est bien remarquable, elle n'estoit pas heretique, ni si manifestement erronée qu'elle ne peust estre defendue.

  A006000374 

 Il faut faire les mesmes excuses d'une personne ivre et de nostre propre jugement; car l'un n'est pas guere plus capable de raison que l'autre.

  A006000374 

 Monseigneur, appaisez vostre courroux et ne veuillez pas mettre vos mains sur luy, car vous auriez regret d'avoir mis la main sur un fol.

  A006000375 

 C'est sans doute, ma fille, qu'il le faut faire; car à quel propos verrez-vous une tache en vostre Sœur, sans vous essayer de la luy oster par le moyen d'un advertissement? Il faut neantmoins estre discrette en ceste besogne; car il ne seroit pas temps d'advertir une Sœur tandis que vous la verrez indisposée ou pressée de melancholie, car il seroit dangereux qu'elle ne rejettast d'abord l'advertissement si vous le luy faisiez.

  A006000375 

 Nos Sœurs ayment trop leur propre abjection pour faire ainsi; tant s'en faut qu'elles s'en troublent, qu'au contraire elles prendront un plus grand courage et plus de soin de s'amender, non pas pour eviter d'estre adverties, car je suppose qu'elles ayment souverainement tout ce qui les peut rendre viles et abjectes à leurs yeux, ains à fin de faire tousjours mieux leur devoir et se rendre capables de leur vocation.

  A006000375 

 O Dieu! il ne faut pas faire ce jugement des Sœurs de ceans; car cela n'appartient qu'aux filles du monde de perdre l'asseurance quand 0n les advertit de leurs defauts.

  A006000375 

 Si une Sœur vous dit des paroles qui ressentent le murmure, et que d'ailleurs ceste Sœur ayt le cœur en douceur, sans doute il faut que tout confidemment vous luy disiez: Ma Sœur, cela n'est pas bien fait; mais si vous vous appercevez qu'il y ayt quelque passion esmeuë dans son cœur, alors il faut destourner le propos le plus [200] dextrement que l'on peut.

  A006000379 

 L'histoire tant commune des hostesses de Nostre Seigneur, Marthe et Magdelaine, est grandement remarquable pour ce sujet; car ne voyez-vous pas que Marthe, bien que sa fin fust louable de vouloir bien traitter Nostre Seigneur, ne laissa pas d'estre reprise par ce divin Maistre? d'autant qu'outre la fin tres-bonne qu'elle avoit en son empressement, elle regardoit encor Nostre Seigneur entant qu'homme; et pour cela elle croyoit qu'il fust comme les autres, auxquels un seul mets ou une sorte d'apprest ne suffit pas, et c'estoit cela qui faisoit qu'elle s'esmouvoit grandement à fin d'apprester plusieurs mets.

  A006000380 

 Apprenez de la colombe à aymer Dieu en simplicité de cœur, n'ayant qu'une seule pretention et une seule fin en tout ce que vous ferez; mais n'imitez pas seulement la simplicité de l'amour des colombes en ce qu'elles n'ont tousjours qu'un paron pour lequel elles font tout et auquel seul elles veulent complaire, mais imitez-les aussi en la simplicité qu'elles pratiquent en l'exercice et au tesmoignage qu'elles rendent de leur amour; car elles ne font point tant de choses ni tant de mignardises, ains elles font simplement leurs petits gemissemens à l'entour de leurs colombeaux, et se contentent de leur tenir compagnie quand ils sont presens..

  A006000381 

 La fin d'aller à l'Office pour louer Dieu est tres-bonne, mais ce motif n'est pas simple, car la simplicité requiert qu'on y aille attiré du desir de plaire à Dieu, sans aucun autre regard; et ainsi de toutes autres choses..

  A006000381 

 La simplicité embrasse voirement les moyens que l'on prescrit à un chacun selon sa vocation pour acquerir l'amour de Dieu, de sorte qu'elle ne veut point d'autre motif pour acquerir ou estre incitée à la recherche de cest amour que sa fin mesme, autrement elle ne seroit pas parfaitement simple; car elle ne peut souffrir autre regard, pour parfait qu'il puisse estre, que le pur amour de Dieu qui est sa seule pretention.

  A006000381 

 Mais pourquoy plustost à ceste heure qu'à une autre? C'est parce que la cloche ayant sonné, si je n'y vay pas je seray remarquée.

  A006000381 

 Or, ce que nous [204] disons qu'il n'y a point d'art, n'est pas pour mespriser certains livres qui sont intitulés: L'Art d'aymer Dieu; car ces livres enseignent qu'il n'y a point d'autre art que de se mettre à l'aymer, c'est à dire se mettre en la pratique des choses qui luy sont agreables, ce qui est le seul moyen de trouver et acquerir cest amour sacré, pourveu que ceste pratique s'entreprenne en simplicité, sans trouble et sans sollicitude.

  A006000381 

 Pauvres gens! ils se tourmentent pour trouver l'art d'aymer Dieu, et ne sçavent pas qu'il n'y en a point d'autre que de l'aymer; ils pensent qu'il y ayt certaine finesse pour acquerir cest amour, lequel neantmoins ne se trouve qu'en la simplicité.

  A006000382 

 Or, avant que passer outre, il faut descouvrir une tromperie qui est en l'esprit de plusieurs touchant ceste vertu; car ils pensent que la simplicité soit contraire à la prudence, et qu'elles soyent opposées l'une à l'autre, ce qui n'est pas; car jamais les vertus ne se contrarient l'une l'autre, ains ont une union tres-grande par ensemble.

  A006000383 

 Ce n'est donc pas manquer de simplicité de faire bonne mine quand nous sommes esmeus en l'interieur.

  A006000383 

 Il est vray que par fois nous avons des grandes émotions en nostre interieur sur la rencontre d'une correction ou de quelqu'autre contradiction; mais ceste émotion ne provient pas de nostre volonté, ains tout ce ressentiment se passe en la partie inferieure; la partie superieure ne consent point à tout cela, ains elle aggrée, accepte et trouve bonne ceste rencontre.

  A006000383 

 Je n'entends pas pourtant de dire qu'il faille tesmoigner en nos émotions, des passions à l'exterieur ainsi que nous les avons en l'interieur; car ce n'est pas contre la simplicité de faire bonne mine en ce temps-là, ainsi que l'on pourroit penser.

  A006000383 

 Nous avons dit que la simplicité a son regard continuel en l'acquisition de l'amour de Dieu; or l'amour de Dieu requiert de nous que nous retenions nos sentimens, et que nous les mortifions et aneantissions, c'est pourquoy il ne requiert pas que nous les manifestions et fassions voir au dehors.

  A006000384 

 De mesme en est-il de ce que l'on pourroit dire, s'il n'est pas permis de se servir de la prudence pour ne pas descouvrir aux Superieurs ce que l'on penseroit les pouvoir troubler, ou nous-mesmes en le disant; car la simplicité ne regarde sinon s'il est expedient de dire ou de faire telle chose, et puis là dessus elle se met à la faire, sans perdre le temps à considerer si le Superieur se trouble, ou bien encor moy, si je luy dis quelque pensée que j'ay eu de luy, ou qu'il ne se trouble pas, ni moy aussi.

  A006000384 

 Quand j'auray fait mon devoir, je ne me mettray pas en peine d'autre chose..

  A006000384 

 S'il est expedient pour moy de le dire, je ne laisseray pas de le dire tout simplement, en arrive apres ce que Dieu voudra.

  A006000385 

 Ce trouble ne se fait qu'en la partie inferieure de nostre ame; c'est pourquoy il ne s'en faut nullement estonner, quand il n'est pas suivi, je veux dire quand nous ne consentons point à ce qu'il nous suggere; car en ce cas là il ne le faudroit pas faire.

  A006000385 

 Il ne faut pas tousjours tant craindre le trouble, soit pour soy-mesme, soit pour autruy; car le trouble de [207] soy-mesme n'est pas peché.

  A006000385 

 Si je sçay qu'allant en quelque compagnie l'on me dira quelque parole qui me troublera et m'esmouvera, je ne dois pas eviter d'y aller; ains je m'y dois porter, armé de la confiance que je dois avoir en la protection divine, qu'elle me fortifiera pour vaincre ma nature contre laquelle je veux faire la guerre.

  A006000386 

 Bien, si vous ne la voulez dire et qu'elle ne soit pas necessaire, n'ayant besoin d'instruction sur ce fait, resolvez-vous promptement et ne perdez pas le temps à considérer si vous la devez dire ou non; car il n'y auroit pas de l'apparence de faire une heure de consideration sur toutes les menues actions de nostre vie.

  A006000386 

 Ceste vertu a une grande affinité avec l'humilité, laquelle ne permet pas que l'on aye mauvaise opinion de personne que de nous-mesmes..

  A006000386 

 Et si vous en demeurez en peine, ce n'est que l'immortification qui fait cela; car à quel propos diray-je ce qui n'est pas necessaire pour mon [208] utilité, en laissant ce qui me peut plus mortifier? La simplicité, comme nous avons desja dit, ne cherche que le pur amour de Dieu, lequel ne se trouve jamais si bien qu'en la mortification de nous-mesmes; et à mesure que la mortification croist, nous nous approchons d'autant plus du lieu où nous devons trouver son divin amour.

  A006000386 

 La simplicité ne se mesle pas de ce que font ou feront les autres, elle pense à soy; encore n'a-t'elle pour soy que les pensées qui sont vrayement necessaires, car quant aux autres, elle s'en destourne tousjours promptement.

  A006000386 

 Mais de plus, je pense, quant à moy, qu'il est meilleur et plus expedient de dire à la Superieure les pensées qui nous mortifient le plus, que non pas plusieurs autres qui ne servent de rien, sinon pour accroistre l'entretien que vous faites avec elle.

  A006000387 

 Il faut estre fort naïf en la conversation; il ne faut pourtant pas estre inconsideré, d'autant que la simplicité [209] suit tousjours la regle de l'amour de Dieu.

  A006000387 

 Mais bien qu'il vous arrivast de dire quelque petite chose qui semblast n'estre pas si bien receüe de toutes comme vous voudriez, il ne faudroit pas pour cela s'amuser à faire des reflexions et examens sur toutes vos paroles; ô non, car c'est l'amour propre sans doute qui nous fait faire ces enquestes, si ce que nous avons dit et fait est bien receu; mais la sainte simplicité ne court pas apres ses paroles ni ses actions, ains elle en laisse l'evenement à la divine Providence, à laquelle elle s'attache souverainement.

  A006000388 

 [211] L'on ne dit pas que vous ne pensiez point à vostre avancement, non; mais que vous n'y pensiez pas avec empressement..

  A006000389 

 C'est aussi manquer de simplicité de faire tant de considerations quand nous nous voyons faire des defauts les uns aux autres, pour sçavoir si ce sont des choses necessaires à dire à la Superieure; car dites-moy, la Superieure n'est-elle pas capable de cela, et de juger s'il est requis d'en faire la correction ou non? Mais que sçay-je moy à quelle intention ceste Sœur aura fait telle chose? dites-vous.

  A006000389 

 Car bien que peut estre ceste personne se passionne et se trouble apres l'advertissement que vous luy aurez fait, vous n'en estes pas cause, ce n'est que son immortification.

  A006000389 

 Il se peut bien faire que son intention soit bonne; aussi ne devez-vous pas accuser son intention, mais son action exterieure, s'il y a de l'imperfection.

  A006000389 

 La Regle qui commande de procurer l'amendement des Sœurs par le moyen des advertissemens, ne nous commande pas d'estre si considerées [212] en ce poinct, comme si l'honneur des Sœurs dependoit de ceste accusation.

  A006000389 

 La Superieure ne doit pas laisser de corriger les Sœurs parce qu'elles ont de l'aversion à la correction; car peut estre tant que nous vivrons nous en aurons tousjours, d'autant que c'est une chose totalement contraire à la nature de l'homme d'aymer d'estre avili et corrigé; mais ceste aversion ne doit pas estre favorisée de nostre volonté laquelle doit aymer l'humiliation.

  A006000389 

 Ne dites pas aussi que la chose est de peu de consequence, et qu'elle ne vaut pas d'aller mettre ceste pauvre Sœur en peine, car tout cela est contraire à la simplicité.

  A006000390 

 Car, je vous prie, y a-t'il jamais eu une vocation plus speciale que celle de saint Paul, en laquelle Nostre Seigneur luy parla luy-mesme pour le convertir? et neantmoins il ne voulut pas l'instruire, ains le renvoya à Ananie, disant: Va-t'en, tu trouveras un homme qui te dira, ce que tu auras à faire.

  A006000390 

 Et bien que saint Paul eust peu dire: Seigneur, et pourquoy non vous-mesme ne le direz-vous pas? il ne le dit pas pourtant, ains s'en alla tout simplement faire comme il luy estoit commandé.

  A006000391 

 C'est bien une chose certaine que tous ne sont pas conduits par un mesme chemin; mais aussi n'est-ce pas à un chacun de nous de cognoistre par quel chemin Dieu nous appelle.

  A006000391 

 Il ne faut pas dire qu'ils ne nous cognoissent pas bien, car nous devons croire que l'obeissance et la sousmission sont tousjours les vrayes marques de la bonne inspiration; et quoy qu'il puisse arriver que nous n'ayons point de consolation és exercices que l'on nous fait faire, et que nous en ayons beaucoup aux autres, ce n'est pas par la consolation que l'on juge de la bonté de nos actions.

  A006000391 

 Il ne faut pas s'attacher à nostre propre satisfaction, car ce seroit s'attacher aux fleurs et non pas au fruict.

  A006000391 

 Vous retirerez plus d'utilité de ce que vous ferez suivant la direction de vos Superieurs, que non pas en suivant vos instincts interieurs, qui ne proviennent pour l'ordinaire que de l'amour propre qui, sous couleur de bien, recherche de se complaire en la vaine estime de nous-mesmes..

  A006000392 

 C'est bien la vraye verité que vostre bien dépend de vous laisser conduire et gouverner par l'Esprit de Dieu [215] sans reserve, et c'est cela que pretend la vraye simplicité que Nostre Seigneur a tant recommandée: Soyez simples comme des colombes, dit-il à ses Apostres; mais il ne s'arreste pas là, leur disant de plus: Si vous n'estes faits simples comme un petit enfant, vous n'entrerez point au Royaume de mon Pere.

  A006000392 

 L'ame qui a la parfaite simplicité n'a qu'un amour, qui est pour Dieu; et en cest amour elle n'a qu'une seule pretention, qui est celle de reposer sur la poitrine du Pere celeste, et là, comme un enfant d'amour, faire sa demeure, laissant entierement tout le soin de soy-mesme à son bon Pere, sans que jamais plus elle se mette en peine de rien, sinon de se tenir en ceste sainte confiance; non pas mesme les desirs des vertus et des graces qui luy sembloyent estre necessaires ne l'inquietent point.

  A006000392 

 Mais à quoy servent aussi les desirs si pressans et inquietans des vertus dont la pratique ne nous est pas necessaire? La douceur, l'amour de nostre abjection, l'humilité, la douce charité et cordialité envers le prochain, l'obeissance, sont des vertus dont la pratique nous doit estre commune, d'autant qu'elle nous est necessaire, parce que la rencontre des occasions nous en est frequente; mais quant à la constance, à la magnificence, et telles autres vertus que peut estre nous n'aurons jamais occasion de pratiquer, ne nous en mettons point en peine; nous n'en serons pas pour cela moins magnanimes ni genereux.

  A006000393 

 Helas! nos satisfactions et consolations ne satisfont pas les yeux de Dieu, ains elles contentent seulement ce miserable amour et soin que nous avons de nous-mesmes, hors de Dieu et de sa consideration.

  A006000394 

 Mais n'est-ce pas un amour bien pur, bien net et bien simple, puisqu'elles ne se purifient pas pour estre pures, elles ne se parent pas pour estre belles, ains seulement pour plaire à leur Amant, auquel si la laideur estoit aussi agreable, elles l'aymeroient autant que la beauté? Et si, ces simples colombes n'employent pas un soin ni fort long ni aucunement empressé à se laver et parer, car la confiance que leur amour leur donne d'estre grandement aymées, quoy qu'indignes (je dis la confiance que leur amour leur donne en l'amour et en la bonté de leur Amant), leur oste tout empressement et desfiance de ne pas estre assez belles; outre que le desir d'aymer, plustost que de se parer et preparer à l'amour, leur retranche toute curieuse sollicitude et les fait contenter d'une douce et fidelle preparation, faite amoureusement et de bon cœur..

  A006000399 

 Quant à la naturelle, il la faut bien mortifier comme n'estant pas du tout bonne, nous suggerant plusieurs considerations et prevoyances non necessaires, qui tiennent nos esprits bien esloignés de la simplicité..

  A006000405 

 Allant donc en Hierusalem, il voulut passer par une ville de Samarie, mais les Samaritains ne le voulurent pas permettre; dequoy saint Jacques et saint Jean entrerait en colere, et furent tellement indignés contre les Samaritains de l'inhospitalité qu'ils faisoyent à leur Maistre, qu'ils luy dirent: Maistre, voulez-vous que nous fassions tomber le feu du ciel pour les abysmer et les chastier de l'outrage qu'ils vous font? Et Nostre Seigneur leur respondit: Vous ne sçavez de quel esprit vous estes, voulant dire: Ne sçavez-vous pas que nous ne sommes plus au temps d'Helie qui avoit un esprit de rigueur? Et bien qu'Helie fust un tres-grand serviteur de Dieu, et qu'il fist bien en faisant ce que vous voulez faire, neantmoins vous autres ne feriez pas bien en l'imitant, d'autant que je ne suis pas venu pour punir et confondre les pecheurs, ains pour les attirer doucement à penitence et à ma suite..

  A006000405 

 L'autre exemple que nous trouvons en l'Evangile, qui sert à [223] nostre propos, est que Nostre Seigneur voulant aller en Hierusalem, ses disciples l'en dissuadoyent, parce que les uns avoyent affection d'aller en Capharnaum, les autres en Bethanie, et ainsi taschoyent de conduire Nostre Seigneur au lieu où ils vouloyent aller; car ce n'est pas d'aujourd'huy que les inferieurs veulent conduire leurs maistres selon leur volonté.

  A006000405 

 Mais Nostre Seigneur qui estoit tres-facile à condescendre, raffermit toutefois son visage, car l'Evangeliste use de ces mesmes mots, pour aller en Hierusalem, à fin que les Apostres ne le pressassent plus de n'y pas aller.

  A006000407 

 Les uns s'unissent à Dieu et au prochain par la contemplation, et pour cela ont une tres-grande solitude et ne conversent que le moins qu'ils peuvent parmi le monde, non pas mesmes les uns avec les autres, si ce n'est en certain temps; ils s'unissent aussi avec le prochain par le moyen de l'oraison, en priant Dieu pour luy.

  A006000408 

 Mais il faut que ceste exacte et ponctuelle observance soit entreprise en simplicité de cœur, je veux dire qu'il ne nous faut pas vouloir aller au delà, par des pretentions de faire plus qu'il ne nous est marqué dans nos Regles; car ce n'est pas par la multiplicité des choses que nous faisons que nous acquerons la perfection, mais c'est par la perfection et pureté d'intention avec laquelle nous les faisons.

  A006000408 

 Quant à la fin de vostre Institut, il ne la faut pas chercher en l'intention des trois premieres Sœurs qui commencerent, non plus que celle des Jesuites au premier dessein qu'eut saint Ignace; car il ne pensoit à rien moins qu'à faire ce qu'il a fait par apres, comme de mesme saint François, saint Dominique et les autres qui ont commencé des Religions.

  A006000409 

 Il en fait tout de mesme à la chair et à toutes ses sensualités et plaisirs, tant licites qu'illicites, par le vœu de chasteté, qui est un tres-grand moyen de s'unir à Dieu tres-particulierement; d'autant que ces plaisirs sensuels allentissent et affoiblissent grandement les forces de l'esprit, dissipent le cœur et l'amour que nous devons à Dieu, et que nous luy donnons entierement par ce moyen, ne nous contentant pas de sortir de la terre de ce monde, mais sortans encore de la terre de nous-mesme, c'est à dire renonçans aux plaisirs terrestres de nostre chair.

  A006000410 

 Et si bien les austerités sont bonnes en elles-mesmes et sont des moyens de parvenir à la perfection, elles ne seroyent pas pourtant bonnes chez vous, d'autant que ce seroit contre les Regles..

  A006000411 

 L'esprit de douceur est tellement l'esprit de la Visitation, que quiconque y voudroit introduire plus d'austerités qu'il n'y a pas maintenant, destruiroit incontinent la Visitation; d'autant que ce seroit faire contre la fin pour laquelle elle a esté dressée, qui est pour y pouvoir recevoir les filles et femmes infirmes, qui n'ont pas des corps assez forts pour entreprendre, ou qui ne sont pas inspirées et attirées de servir et s'unir à Dieu par la voye des austerités que l'on fait és autres Religions.

  A006000411 

 La bien-heureuse Mere sainte Therese dit admirablement bien le mal qu'apportent ces petites entreprises de vouloir faire plus que la Regle n'ordonne et que la Communauté ne fait; et particulierement si c'est la Superieure, le mal en sera plus grand; car tout aussi tost que ses filles s'en appercevront, elles voudront incontinent faire le mesme, et elles ne manqueront pas de raison pour se persuader qu'elles le feront bien, les unes poussées de zele, les autres pour luy complaire, et tout cela servira de tentation à celles qui ne pourront ou ne voudront pas faire de mesme..

  A006000411 

 Vous me direz peut estre: S'il arrive qu'une Sœur ayt une complexion robuste, peut-elle pas bien [229] faire des austerités plus que les autres, avec la permission de la Superieure, en sorte que les autres Sœurs ne s'en apperçoivent pas? je responds à cela qu'il n'y a point de secret qui ne passe secrettement à une autre; et ainsi de l'une à l'autre l'on vient à faire des Religions dans les Religions et des petites ligues, et puis tout se dissipe.

  A006000412 

 Et s'il se rencontre des Sœurs qui ayent des corps forts et robustes, à la bonne heure; il ne faut pas [230] pourtant qu'elles veuillent aller plus viste que celles qui sont foibles..

  A006000412 

 Il ne faut jamais introduire, permettre ni souffrir ces particularités en Religion, excepté neantmoins en certaines necessités particulieres; comme s'il arrivoit qu'une Sœur fust pressée de quelque grande vexation ou tentation, alors ce ne seroit pas un extraordinaire de demander à la Superieure de faire quelques penitences plus que les autres; car il faut user de la mesme simplicité que font les malades, qui doivent demander les remedes qui leur semblent les pouvoir soulager.

  A006000413 

 A quoy respondit le bon Jacob: Mon seigneur et mon frere, il n'en sera pas ainsi, s'il vous plaist, d'autant que je meine mes enfans, et leurs petits pas exerceroyent ou abuseroyent de vostre patience; quant à moy, qui y suis obligé, je mesure mes pas aux leurs.

  A006000413 

 Et mesmes, il n'y a pas long temps que mes brebis ont agnelé; les agneaux encore tendres ne pourroyent pas aller viste, et tout cela vous arresteroit trop en chemin.

  A006000413 

 Remarquez, je vous prie, la debonnaireté de ce saint Patriarche: il s'accommode [231] volontiers aux pas, non seulement de ses petits enfans, mais aussi de ses agnelets.

  A006000414 

 Accommodons-nous donc volontiers avec les infirmes qui y peuvent estre receuës, et je vous asseure que nous n'arriverons pas plus tard pour cela à la perfection; ains au contraire, ce sera cela mesme qui nous y conduira plus tost, parce que n'ayant pas beaucoup à faire nous nous appliquerons à le faire avec la plus grande perfection qu'il nous sera possible.

  A006000414 

 Et c'est en quoy nos œuvres sont plus agreables à Dieu, d'autant qu'il n'a pas esgard à la multiplicité des choses que nous faisons pour son amour, comme nous avons tantost dit, ains seulement à la ferveur de la charité avec laquelle nous les faisons.

  A006000415 

 Elle rapporte qu'une fois il y eut une de ses filles qui n'ayant pas bien entendu quelque chose qu'une Superieure avoit commandé, luy dit qu'elle n'entendoit pas bien cela, et la Superieure luy respondant assez brusquement et inconsiderément: Allez mettre la teste dans un puits, luy dit-elle, et vous l'entendrez.

  A006000415 

 Il y a certes moins à faire à estre exacte en l'observance des Regles, que non pas de les vouloir observer en partie..

  A006000416 

 De mesme nous autres, il ne faut pas que nous tenions pour un bon vent, c'est à dire pour inspiration, tant de petites volontés qui nous viennent, ores de demander à communier, tantost de faire oraison, tantost une autre chose; car nostre amour propre, qui recherche tousjours sa satisfaction, demeurerait entierement content de tout cela, et principalement de ces petites inventions, et ne cesseroit de nous en fournir tousjours de nouvelles.

  A006000416 

 Mais quant à certaines petites ferveurs que nous avons aucunes fois, qui sont passageres et qui pour l'ordinaire sont des effets de nostre nature, lesquelles nous font desirer la Communion, il ne faut point avoir esgard à cela, non plus que les mariniers n'en ont point à un certain vent qui se leve à la pointe du jour, lequel est produit des vapeurs qui s'eslevent de la terre et n'est pas de durée, ains cesse tout aussi tost que lesdites vapeurs sont un peu surlevées et dissipées; et partant, le patron du navire qui le cognoist, ne crie point au vent et ne desploye point les voiles pour voguer à la faveur d'iceluy.

  A006000417 

 Elle ne veut point faire des choses excellentes et extraordinaires qui la pourroyent faire estimer des creatures; et par ainsi elle se tient fort basse en elle-mesme et n'a pas des grandes satisfactions, car elle ne fait rien de sa propre volonté, ni rien de plus que les autres, et ainsi toute sa sainteté est cachée à ses yeux: Dieu seul la void, qui se delecte en sa simplicité, par laquelle elle ravit son cœur et s'unit à luy.

  A006000418 

 En fin, quand nous sommes à ramer, il le faut faire par mesure; ceux qui rament sur mer ne sont pas si tost battus pour ramer un peu laschement, que s'ils ne donnent les coups de rame par mesure.

  A006000418 

 L'on doit tascher d'eslever les Novices toutes également, faisant les mesmes choses, à fin que l'on rame justement; et si bien toutes ne le font pas avec égale perfection, nous ne sçaurions qu'y faire, cela se trouve en toutes les Communautés..

  A006000418 

 O non, car la perfection ne consiste point és austerités; encore que ce soyent des bons moyens d'y parvenir, et qu'elles soyent bonnes en elles-mesmes, neantmoins pour nous elles ne le sont pas, parce qu'elles ne sont pas conformes à.

  A006000419 

 A cela je vous responds que ce n'est pas une regle generale qu'il faille faire tout ce à quoy on a de la repugnance, non plus que de s'abstenir des choses auxquelles on a de l'inclination; car si une Sœur a de l'inclination à dire l'Office divin, il ne faut pas qu'elle laisse d'y assister sous pretexte de se vouloir mortifier.

  A006000420 

 Mais remarquez que ce que j'ay dit plusieurs fois, qu'il faut estre fort ponctuelles à l'observance des Regles et à la moindre petite dependance, ne se doit pas entendre d'une ponctualité de scrupule: ô non, car cela n'a pas esté mon intention; mais d'une ponctualité de chastes espouses, qui ne se contentent pas d'éviter de desplaire à leur celeste Espoux, ains veulent faire tout ce qu'elles peuvent pour luy estre tant soit peu plus agreables.

  A006000421 

 Elle pouvoit bien dire: La loy n'est pas faite pour mon tres-cher Fils ni pour moy, elle ne nous oblige aucunement; mais puisque le reste des hommes y est obligé et l'observe, nous nous y sousmettons tres-volontiers pour nous conformer à un chacun d'eux, et n'estre singuliers en aucune chose.

  A006000421 

 Ils [238] pouvoyent facilement s'en exempter sans que personne s'en apperceust, car ne pouvoit-elle pas s'en aller en Nazaret, au lieu de s'en aller en Hierusalem? Mais elle ne le fait pas), ains tout simplement elle suit la communauté.

  A006000421 

 Mais dites-moy, est-ce la crainte de la prevarication qui rendoit ceste Mere et son Fils si exacts à l'observance de la loy? Non certes, ce n'estoit pas cela, car il n'y avoit point de prevarication pour eux; ains ils estoyent attirés par l'amour qu'ils portoyent à leur Pere eternel..

  A006000422 

 Voyez-vous comme il veut que l'on soit ponctuel à l'observance d'iceux? Ainsi certes le font tous les vrays amans, car ils n'evitent pas seulement la prevarication de la loy, mais ils evitent aussi l'ombre de la prevarication; et c'est pourquoy l'Espoux dit que son Espouse ressemble à une colombe qui se tient le long des fleuves qui coulent doucement, et dont les eaux sont cristallines.

  A006000423 

 Il faut donc estre extrêmement ponctuelles en l'observance des loix et des regles qui nous sont données par Nostre Seigneur, mais sur tout en ce poinct de suivre en toutes choses la Communauté; et se faut bien garder de dire que nous ne sommes pas tenues d'observer ceste Regle, ou commandement particulier de la Superieure, d'autant qu'il est fait pour les foibles, et que nous sommes fortes et robustes; ni, au contraire, que le commandement est fait pour les fortes, et que nous [240] sommes foibles et infirmes.

  A006000424 

 Ne puis-je pas bien penser que la loy qui ordonne de faire la recreation ne m'oblige pas, puisque j'ay l'esprit assez jovial de moy-mesme? O non, [241] il ne faut non plus le penser que le dire; si vous n'avez pas besoin de vous recreer, il faut neantmoins faire la recreation pour celles qui en ont besoin.

  A006000424 

 Par exemple, le jeusne du Caresme est commandé pour un chacun; ne vous semble-t'il pas que ceste loy soit injuste, puisque l'on modere ceste injuste justice donnant des dispenses à ceux qui ne la peuvent pas observer? De mesme en est-il és Religions: le commandement est également pour tous, et nul de soy-mesme ne s'en peut dispenser; mais les Superieurs moderent la rigueur selon la necessité d'un chacun..

  A006000425 

 Les mousches à miel nous monstrent l'exemple de ce que nous disons, car les unes sont employées à la garde de la ruche, et les autres sont perpetuellement au travail de la cueillette; celles toutesfois qui demeurent dans la ruche ne mangent pas moins de miel que celles qui ont la peine de l'aller picorant sur les fleurs, Ne vous semble-t'il pas que David fit une loy injuste lors qu'il commanda que les soldats qui garderoyent les hardes eussent également part au butin avec ceux qui iroyent à la bataille et qui en reviendroyent tous chargés de coups? Non certes, elle n'estoit point injuste, d'autant que ceux qui gardoyent les hardes les gardoyent pour ceux qui combattoyent, et ceux qui estoyent en la bataille [242] combattoyent pour ceux qui gardoyent les hardes: aussi ils meritoyent tous une mesme recompense, puisqu'ils obeissoyent tous également au Roy.

  A006000428 

 Chacun a des propres opinions; mais cela ne nous empesche pas de parvenir à la perfection, pourveu que nous ne nous y attachions pas ou que nous ne les aymions pas, car c'est seulement l'amour de nos propres opinions qui est infiniment contraire à la perfection; et c'est ce que j'ay tant de fois dit, que l'amour de nostre propre jugement est l'estime que l'on en fait, est la cause qu'il y a si peu de parfaits.

  A006000428 

 Il se trouve beaucoup de personnes qui renoncent à leur propre volonté, les uns pour un sujet, les autres pour un autre; je ne dis pas seulement en Religion, mais parmi les seculiers et dans les cours des princes mesmes.

  A006000428 

 Nul ne peut douter, mes cheres filles, que cecy ne soit fort contraire à la perfection, car il produit pour l'ordinaire des inquietudes d'esprit, des bijarreries, des murmures, et en fin il nourrit l'amour de sa propre estime; de maniere donc que la propre opinion ni le propre jugement ne doit pas estre aymé ni estimé..

  A006000428 

 Sur quoy je responds qu'estre sujet à avoir des propres opinions ou n'y estre pas, est une chose qui n'est ni bonne ni mauvaise, d'autant que cela est tout naturel.

  A006000429 

 Et comme ceux-cy seroyent estimés peu attentifs à leur perfection et personnes inutilement occupées, s'ils vouloyent s'arrester à considerer leurs propres opinions, de mesme les Superieurs devroyent estre estimés peu capables de leurs charges, s'ils ne formoyent leurs opinions et ne vouloyent en fin prendre des resolutions, quoy qu'ils ne s'y doivent pas complaire ni s'y attacher, car cela seroit contraire à leur perfection..

  A006000430 

 Apres avoir fait sort devoir il ne se mettoit pas en peine du reste.

  A006000430 

 Le grand saint Thomas, qui avoit un des plus grands esprits qu'on sçauroit avoir, quand il formoit quelques opinions il les appuyoit sur des raisons les plus pregnantes qu'il pouvoit; et neantmoins, s'il trouvoit quelqu'un qui n'approuvast pas ce qu'il avoit jugé bon, [245] ou y contredist, il ne disputoit point ni ne s'en offençoit point, ains souffroit cela de bon cœur; en quoy il tesmoignoit bien qu'il n'aymoit pas sa propre opinion, bien qu'il ne la desapprouvast pas aussi; il laissoit cela ainsi, qu'on la trouvast bonne ou non.

  A006000430 

 Les Apostres n'estoyent pas attachés à leurs propres opinions, non pas mesme és choses du gouvernement de la sainte Eglise, qui estoit un affaire si important: si qu'apres qu'ils avoyent determiné l'affaire par la resolution qu'ils en avoyent prise, ils ne s'offençoyent point si on opinoit là-dessus; et si quelques-uns refusoyent d'agréer leurs opinions, quoy qu'elles fussent bien appuyées, ils ne recherchoyent point de les faire recevoir par des disputes ni contestes..

  A006000432 

 Ils ne s'arment pas à la defense quand on leur oppose quelque contrarieté ou quelque contraire opinion à celle qu'ils ont jugée pour bonne et bien asseurée, ainsi que nous avons dit du grand saint Thomas.

  A006000433 

 Dites-moy, n'est-ce pas perdre le temps inutilement, specialement ceux qui n'ont point de charge, de s'amuser à cela?.

  A006000433 

 Et, bien que cela fust une imperfection, ils ne laisserent pas pour cela d'estre grands Saints et fort agreables à Dieu; ce qui nous apprend que nous ne nous devons pas troubler quand nous appercevons en nous des imperfections ou des inclinations contraires à la vraye vertu, pourveu qu'on ne se rende pas opiniastre à vouloir perseverer en icelles; car et sainte Paule et les autres qui se rendirent opiniastres, quoy que ce fust en peu de chose, ont esté reprehensibles en cela.

  A006000434 

 Il est bien vray que nous ne pouvons pas empescher ce premier mouvement de complaisance qui nous vient quand nostre opinion est approuvée et suivie, car cela ne se peut éviter, mais il ne se faut pas amuser à ceste complaisance; il faut benir Dieu, puis passer outre sans se mettre en peine de la complaisance, non plus que d'un petit ressentiment de douleur qui vous viendroit si vostre opinion n'estoit pas suivie ou trouvée bonne.

  A006000434 

 Il est tousjours plus utile de la mespriser sans la vouloir regarder, et la chasser si promptement quand on l'apperçoit, qu'on ne sçache pas ce qu'elle vouloit dire.

  A006000434 

 Vous vient-il en pensée qu'on a tort de faire faire cela de la sorte, qu'il seroit mieux ainsi que vous l'avez conceu? détournez-vous de ceste pensée, en disant en vous-mesme: Helas! qu'ay-je à faire de telle chose, puisqu'elle ne m'est pas commise? Il est tousjours beaucoup [248] mieux fait de s'en détourner ainsi tout simplement, que non pas rechercher des raisons en nostre esprit pour nous faire croire que nous avons tort; car au lieu de le faire, nostre entendement, qui est preoccupé de son jugement particulier, nous donneroit le change; de sorte qu'au lieu d'aneantir nostre opinion, il nous donneroit des raisons pour la maintenir et faire recognoistre pour bonne.

  A006000435 

 Sans doute que ce seroit là nourrir et maintenir nostre inclination, et par conséquent commettre de l'imperfection; car c'est [249] la vraye marque que l'on ne s'est pas sousmis à l'advis des autres et que l'on prefere tousjours le sien particulier.

  A006000435 

 Vous demanderez peut estre si ce n'est pas nourrir ceste imperfection de rechercher d'en parler par apres avec celles qui ont esté de nostre advis, lors qu'il n'est plus question d'en prendre resolution, estant desja determiné ce qui s'en doit faire.

  A006000437 

 C'est, comme j'ay dit plusieurs fois, la derniere chose que nous quittons, et toutesfois c'est une des choses la plus necessaire à quitter et renoncer pour l'acquisition de la vraye perfection; car autrement nous n'acquerrons pas la sainte humilité, qui nous empesche et nous defend de faire aucune estime de nous ni de tout ce qui en dépend; et partant, si nous n'avons la pratique de ceste vertu en grande recommandation, nous penserons tousjours estre quelque chose de meilleur que nous ne sommes, et que les autres nous en doivent de reste.

  A006000437 

 Car si nous ne les estimons pas, nous n'en serons pas si amoureux; et si nous ne les aymons pas, nous ne nous soucierons guere qu'elles soyent approuvées, et ne serons pas si legers à dire: Les autres croiront ce qu'ils voudront, mais quant à moy... Sçavez-vous que veut dire ce quant à moy? Rien autre sinon: Je ne me sousmettray point, ains je seray ferme en ma resolution et en mon opinion.

  A006000437 

 Voila donc ce que j'avois à vous dire sur le sujet de la premiere question, par laquelle nous avons esté enseignés que d'avoir des opinions n'est pas une chose [250] contraire à la perfection, mais ouy bien d'avoir l'amour de nos propres opinions et l'estime par consequent.

  A006000439 

 Considerez, je vous prie, la difference de ces deux amours; car bien que vous ayez veu la tendreté que ce pere a pour son petit, il ne laisse pourtant pas de faire dessein de le mettre hors de sa maison et le faire chevalier de Malte, destinant son aisné pour son heritier et successeur de ses biens.

  A006000439 

 Regardez, je vous prie, qu'est-ce qu'il ne permet pas à ce petit poupon de faire autour de luy: il le dorlotte, il le baise, il le tient sur ses genoux et entre ses bras avec une suavité nompareille, tant pour l'enfant que pour luy.

  A006000440 

 Et apres cela, ne pouvoir souffrir que l'on nous estime tendres, n'est-ce pas l'estre grandement?.

  A006000441 

 Je confesse que nos Sœurs ont bien grande raison de ne me pas vouloir recevoir, car je suis insupportable en mon defaut; mais je vous supplie de m'estre favorable, vous asseurant, si elles me reçoivent, exerçant ainsi leur charité en mon endroit, que j'auray un grand soin de ne les point incommoder, me sousmettant de tres-bon cœur à faire le jardin, ou à estre employée à d'autres offices quels qu'ils soyent qui me tiennent esloignée de leur compagnie, a fin que je ne les incommode point.

  A006000442 

 Elle n'avoit pas tant de peur d'estre mesestimée, comme plusieurs autres, et n'estoit pas si tendre sur [254] soy-mesme; elle ne faisoit pas toutes ces considerations vaines et inutiles: Que dira la Superieure si je luy dis cecy ou cela? Mais si je luy demande quelque soulagement elle dira ou pensera que je suis bien tendre.

  A006000442 

 Et pourquoy, s'il est vray, ne voulez-vous pas qu'elle le pense? Mais quand je luy dis mon besoin, elle me fait un visage si froid qu'il semble qu'elle ne l'agrée pas.

  A006000442 

 Il se peut bien faire, ma chere fille, que la Superieure ayant assez d'autres choses en l'esprit, n'a pas tousjours attention à rire ou parler fort gracieusement quand vous luy dites vostre mal; et c'est ce qui vous fasche, et vous oste, dites-vous, la confiance de luy aller dire vos incommodités.

  A006000442 

 Si la Superieure ou la Maistresse ne vous ont pas si bien receuës comme vous voudriez, une fois, voire plusieurs, il ne faut pas se fascher pourtant, ni juger qu'elles fassent tousjours de mesme; ô non, Nostre Seigneur les touchera peut estre de son esprit de suavité pour les rendre plus agreables à vostre premier retour..

  A006000443 

 Ce n'est donc à autre dessein ni intention, bien que l'on n'y pense pas expressément, sinon à fin d'estre un peu plainte par ceste Sœur, et cela fait grand bien à l'amour propre.

  A006000443 

 Il ne faut pas craindre non plus, encore qu'elles soyent un peu rigoureuses à faire la correction sur tel defaut; car, ma chere fille, vous ne leur ostez pas la confiance de vous la faire: allez donc tout simplement leur dire vostre mal.

  A006000443 

 Il ne faut pas estre aussi si tendres, que de vouloir tousjours dire toutes les incommodités que nous avons, quand elles ne sont pas d'importance: un petit mal de teste ou un petit mal de dens, qui sera peut estre bien tost passé, si vous le voulez porter pour l'amour de Dieu, il n'est pas besoin de l'aller dire pour vous faire un peu plaindre.

  A006000443 

 O ma chere fille, si cela estoit que vous le voulussiez souffrir pour l'amour de Dieu, comme vous pensez, vous ne l'iriez pas dire à une autre que vous sçavez bien qui se sentira obligée à declarer vostre mal à la Superieure; et par ce moyen vous aurez en biaisant le soulagement que tout à la [255] bonne foy vous eussiez mieux fait de demander simplement à celle qui vous pouvoit donner congé de le prendre; car vous sçavez bien que la Sœur à qui vous dites que la teste vous fait bien mal, n'a pas Je pouvoir de vous dire que vous vous alliez coucher.

  A006000443 

 Peut estre que vous ne le direz pas à la Superieure ou à celle qui vous peut faire prendre du soulagement, mais ouy plus facilement aux autres, parce, dites-vous, que vous voulez souffrir cela pour Dieu.

  A006000444 

 Et bien, qu'importe? si vous n'avez pas assez de mal pour cela, il ne vous coustera guere de dire: Ma Mere ou ma Sœur, je n'ay pas assez de mal pour cela, ce me semble.

  A006000444 

 Et si elle dit apres que vous ne laissiez pas pourtant, vous irez tout simplement; car il faut observer tousjours une grande simplicité en toutes choses.

  A006000445 

 Mais voyant une Sœur qui a quelque peine en l'esprit, ou quelque incommodité, n'avoir pas la confiance ou le courage de se surmonter à vous le venir dire, et vous appercevant bien que, faute de le faire, cela la porte à quelque humeur melancolique, devez-vous l'attirer ou bien la laisser venir d'elle-mesme? A cela, il faut que la consideration gouverne; car quelque fois il faut condescendre à leur tendreté en les appellant et s'informant qu'il y a, et d'autres fois il faut mortifier ces petites bijarreries en les laissant, comme qui diroit: Vous ne voulez pas vous surmonter à demander le remede propre à vostre mal, souffrez-le donc, à la bonne heure; vous meritez bien cela..

  A006000446 

 Ceste tendreté est beaucoup plus insupportable és choses de l'esprit que non pas és corporelles; et si, elle est par malheur plus pratiquée et nourrie par les personnes spirituelles, lesquelles voudroyent estre saintes du premier coup, sans vouloir neantmoins qu'il leur couste rien, non pas mesme les souffrances des combats que leur cause la partie inferieure, par les ressentimens qu'elle a és choses contraires à la nature; et cependant, veuillons ou non, il faudra que nous ayons le courage de souffrir, et par consequent de resister à ces efforts tout le temps de nostre vie en plusieurs rencontres, si nous ne voulons faire banqueroute à la perfection que nous avons entreprise.

  A006000447 

 Que si neantmoins il nous eschappe d'y faire des fautes, par cy par là, ne nous arrestons pourtant pas; mais relevons nostre courage pour estre plus fidelles à la premiere occasion, et passons outre, faisant du chemin en la voye de Dieu et au renoncement de nous-mesmes..

  A006000448 

 Or, que vous doit-il soucier qu'elle le pense ou qu'elle ne le pense pas? pourveu que vous fassiez vostre devoir, dequoy vous mettez-vous en peine? Ce que dira-t'on si je fais cecy ou cela? ou qu'est-ce que la Superieure pensera? est grandement contraire à la perfection quand on s'y arreste; car il faut tousjours se souvenir en tout ce que je dis, que je n'entens point parler de ce que fait la partie inferieure, car je n'en fais nul estat; c'est donc à la partie superieure que je dis qu'il faut mespriser ces que dira-t'on ou que pensera-t'on?.

  A006000448 

 Vous craignez, dites-vous, que la Superieure ne pense que vous n'ayez pas la confiance de le luy dire.

  A006000449 

 Cela vous vient quand vous avez rendu compte, parce que vous n'avez pas assez dit de fautes particulieres: vous pensez, dites-vous, que la Superieure dira ou pensera que vous ne luy voulez pas tout dire.

  A006000449 

 Et comme apres la confession il n'est pas temps de s'examiner pour voir si on a bien dit tout ce que l'on a fait, ains c'est le temps de se tenir attentif aupres de Nostre Seigneur en tranquillité, avec lequel nous nous sommes reconciliés, et luy rendre graces de ses bien-faits, n'estant nullement necessaire de faire la recherche de ce que nous pourrions avoir oublié, de mesme en est-il apres avoir rendu compte: il faut dire tout simplement ce qui nous vient; apres, il n'y faut plus penser.

  A006000449 

 Mais aussi, comme ce ne seroit pas aller à la confession bien preparé, de ne vouloir pas s'examiner, de crainte de trouver quelque chose digne de se confesser, de mesme [259] il ne faudroit pas negliger de rentrer en soy-mesme avant la reddition de compte, de peur de trouver quelque chose qui feroit de la peine à dire..

  A006000450 

 Il faut bien apprendre à souffrir un peu genereusement ces petites choses auxquelles nous ne pouvons pas mettre du remerle, estant des productions, pour l'ordinaire, de nostre nature imparfaite: comme sont ces inconstances d'humeurs, de volontés, de desirs, qui produisent tantost un peu de chagrin, tantost une envie de parler et puis, tout pour un coup, une aversion grande de le faire, et choses semblables, auxquelles nous sommes sujets et le serons tant que nous vivrons en ceste vie perissable et passagere.

  A006000450 

 Il ne faut pas aussi estre si tendre à vouloir tout dire, ni recourir aux Superieurs pour crier holà! à la moindre petite peine que vous avez, laquelle peut estre sera passée dans un quart d'heure.

  A006000450 

 Mais quant à ceste peine que vous dites que vous avez, et laquelle vous oste le moyen de vous tenir attentive à Dieu si vous ne l'allez incontinent dire à la Superieure, je vous dis qu'il faut remarquer qu'elle ne vous oste pas peut estre l'attention à la presence de Dieu, ains plustost la suavité de ceste attention.

  A006000450 

 Or, si ce n'est que cela, si vous avez bien le courage et la volonté, ainsi que vous dites, de la souffrir sans rechercher du soulagement, je vous dis que vous ferez tres-bien de le faire, quoy qu'elle vous apportast un peu d'inquietude, pourveu qu'elle ne fust pas trop grande; mais si elle vous ostoit le moyen de vous tenir proche de Dieu, à ceste heure-là il la faudroit aller dire à la Superieure, non pas pour vous soulager, mais pour gagner chemin en la presence de Dieu, bien qu'il n'y auroit pas grand mal de le faire pour vous soulager..

  A006000451 

 Au reste, il ne faut pas que nos Sœurs soyent tellement attachées aux caresses de la Superieure, que dés qu'elle [260] ne leur parle pas à leur gré elles tirent viste consequence que c'est qu'elles ne sont pas aymées.

  A006000451 

 L'on ne dit point: Helas! j'ay offencé Dieu, il faut recourir à sa bonté et esperer qu'il me fortifiera; on dit: O je sçay bien que Dieu est bon; il n'aura pas égard à mon infidelité, il recognoist trop bien nostre infirmité; mais nostre Mere... Nous revenons tousjours là pour continuer nos plaintes..

  A006000451 

 Mais j'ay fait une faute à l'endroit de la Superieure, dira quelqu'une, et partant j'entre en des apprehensions qu'elle ne m'en sçache mauvais gré; et en un mot, elle ne m'aura pas en si bonne estime qu'elle m'avoit.

  A006000451 

 O non, nos Sœurs ayment trop l'humilité et la mortification pour estre doresnavant melancoliques sur un leger soupçon, qui est peut estre sans fondement, qu'elles ne sont pas tant aymées comme leur amour propre leur fait desirer d'estre.

  A006000452 

 Mais aussi il dit par apres: Ne servez point vos maistres à l'œil, voulant dire qu'ils se gardent bien de rien faire de plus estant à la veuë des maistres, qu'ils feroyent estant absens, parce que l'œil de Dieu les void tousjours, auquel on doit avoir un grand respect pour ne rien faire qui luy puisse déplaire; et en ce faisant ne nous mettre pas en grande peine ni souci de vouloir tousjours contenter les hommes, car il n'est pas en nostre pouvoir.

  A006000453 

 Nous avons deux amours, deux jugemens et deux volontés; et partant il ne faut faire nul estat de tout ce que l'amour propre, le jugement particulier ou la propre volonté nous suggerent, pourveu que nous fassions regner l'amour de Dieu au dessus de l'amour propre, le jugement des Superieurs, voire des inferieurs et egaux, au dessus du nostre, le reduisant au petit pied; ne se contentant pas de faire assujettir nostre volonté, en faisant tout ce que l'on veut de nous, mais assujettissant le jugement à croire que nous n'aurions nulle raison [262] de ne pas estimer que cela soit justement et raisonnablement fait, dementant ainsi absolument les raisons qu'il voudroit apporter, pour nous faire accroire que la chose qui nous est commandée seroit mieux faite autrement qu'ainsi que l'on nous dit.

  A006000454 

 C'est la marque d'un cœur tendre et d'une devotion molle, de se laisser aller à tous les petits rencontres de contradiction: n'ayez pas peur que ces niaiseries d'humeur melancolique et despiteuse soyent jamais parmi nous; nous avons trop bon courage, graces à Dieu; nous nous appliquerons tant à faire desormais, qu'il y aura grand plaisir de nous voir.

  A006000459 

 C'est un conseil de quitter tout pour suivre Nostre Seigneur desnué de toutes choses; c'est un conseil de prester et de donner l'aumosne: dites-moy, celuy qui a quitté tout d'un coup ce qu'il avoit, dequoy peut-il faire l'aumosne puisqu'il n'a rien? Il faut doncques suivre les conseils que Dieu veut, que nous suivions, et ne pas croire qu il les ayt tous donnés à fin que nous les [265] embrassions tous.

  A006000459 

 Mesme nous ne devons pas vouloir entreprendre la pratique de tous, ains seulement de ceux qui sont plus conformes à nostre vocation; car il y en a qui sont tellement opposés les uns aux autres, qu'il seroit impossible tout à fait d'embrasser la pratique de l'un sans oster le moyen de pratiquer l'autre.

  A006000459 

 Ses conseils, il veut bien que nous les observions, mais non pas d'une volonté absolue, ains seulement par maniere de desir; c'est pourquoy nous ne perdons pas la charité et ne nous separons pas de Dieu pour n'avoir pas le courage d'entreprendre l'obeissance des conseils.

  A006000460 

 Il ne veut pas aussi que nous attendions que luy-mesme nous manifeste ses volontés ou qu'il nous envoye des Anges pour les nous enseigner; mais sa volonté est que nous recourions, és choses douteuses et d'importance, à ceux qu'il a establis sur nous pour nous conduire, et que nous demeurions totalement sousmis à leur conseil et à leur opinion en ce qui regarde la perfection de nos ames.

  A006000460 

 Nous avons dit de plus que Dieu nous signifie sa volonté par ses inspirations; il est vray, mais pourtant il ne veut pas que nous discernions de nous-mesmes si ce qui nous est inspiré est sa volonté, ni moins qu'à tort et à travers nous suivions ses inspirations.

  A006000461 

 Or, ceste grande souplesse et condescendance du Saint n'estoit pas approuvée de tous, bien qu'il fust fort aymé de tous; si bien qu'un jour, quelques-uns de ses Freres luy voulurent remonstrer que cela n'alloit pas bien selon leur jugement, et qu'il ne devoit pas estre si souple et condescendant à la volonté de tout le monde, ains qu'il devoit faire plier sous sa volonté ceux qu'il avoit en charge..

  A006000462 

 Il n'y a pas grand interest que je m'aille coucher ou que je demeure levé, que j'aille là ou que je demeure icy; mais il y auroit bien de l'imperfection de ne pas en cela me sousmettre à mon prochain..

  A006000462 

 O mes enfans, dit ce grand Saint, vous ne sçavez pas peut estre à quelle intention je le fais.

  A006000462 

 Outre cela, Nostre Seigneur n'a-t'il pas dit que si nous ne sommes faits comme un petit enfant nous n'entrerons point au Royaume des cieux? Ne vous estonnez donc point si je suis doux et facile à condescendre comme un enfant, puisqu'en cela je ne fais que ce qui m'a esté ordonné par mon Sauveur.

  A006000463 

 Je ne pense pas que si on eust voulu qu'il eust fait quelque chose contre cela, qu'il l'eust fait, ô [268] nullement; mais apres cela, sa regle generale estoit, en ces choses indifferentes, de condescendre à tout et à tous.

  A006000463 

 Le glorieux saint Paul, apres avoir dit que rien ne le separera de la charité de Dieu, ni la mort ni la vie, non pas mesme les Anges, ni tout l'enfer s'il se bandoit contre luy n'en auroit pas le pouvoir: Je ne sçache rien de meilleur, dit-il, que de me rendre tout à tous, rire avec les rians, pleurer avec ceux qui pleurent, et en fin me rendre un avec un chacun.

  A006000464 

 Il n'y a pas aussi grand danger de passer ainsi ou ainsi les joncs à faire des nattes; mais il y auroit bien du danger si nous n'avions à cœur ceste [269] parole tant celebre du Sauveur: Si vous n'estes faits comme petits enfans, vous n'aurez point de part au Royaume de mon Pere.

  A006000464 

 Saint Pachome faisant un jour des nattes, il y eut un enfant lequel regardant ce que faisoit le Saint, luy dit: O mon Pere, vous ne faites pas bien; ce n'est pas ainsi qu'il faut faire.

  A006000465 

 Il faut donc se sousmettre tousjours à faire tout ce que l'on veut de nous pour faire la volonté de Dieu, pourveu qu'il ne soit pas contraire à sa volonté qu'il nous a signifiée en la maniere susdite..

  A006000465 

 Mais comment par parole? Le conseil de l'abnegation de soy-mesme, qu'est-ce autre chose sinon renoncer en toute occasion à sa propre volonté et à son jugement particulier, pour suivre la volonté d'autruy et se sousmettre à tous, excepté tousjours ce en quoy l'on offenceroit Dieu? Mais, pourriez-vous dire, je vois clairement que ce que l'on veut que je fasse procede d'une volonté humaine et d'une inclination naturelle; et partant, Dieu n'a pas inspiré ma Mere ou ma Sœur de me faire faire une telle chose.

  A006000465 

 Non, peut estre que Dieu ne luy aura pas inspiré cela, mais ouy bien à vous de le faire, et y manquant, vous contrevenez à la determination de faire la volonté de Dieu en toutes choses, et par consequent au soin que vous devez avoir de vostre perfection.

  A006000466 

 Car pourquoy feray-je plustost la volonté de ma Sœur que la mienne? la mienne n'est-elle pas aussi conforme à celle de Dieu en ceste legere occurrence que la sienne? Pour quelle raison dois-je croire que ce qu'elle me dit que je fasse soit plustost une inspiration de Dieu que la volonté qui m'est venue de faire une autre chose?.

  A006000466 

 Ce n'est pas aussi de ceste sorte de volonté que l'on demande s'il s'y faut sousmettre, car on n'en doute nullement; mais de celles qui sont hors de propos et desquelles nous ne cognoissons pas la raison pourquoy l'on veut cela de nous, c'est où il va du bon.

  A006000466 

 Par maniere de complaisance, il n'est pas besoin d'exhortation pour les nous faire suivre; car tres-volontiers nous obeissons aux choses agreables, ains nous allons au devant de ces volontés-là pour leur offrir nos sousmissions.

  A006000467 

 O Dieu! mes cheres Sœurs, c'est icy où la divine Majesté nous veut faire gaigner le prix de la sousmission; car si nous voyions bien tousjours que l'on a raison de nous commander ou de nous prier de faire une telle chose, nous n'aurions pas grand merite en la faisant, ni grande repugnance, parce que sans doute toute nostre ame aquiesceroit volontiers à cela; mais quand les raisons nous sont cachées, c'est lors que nostre volonté repugne, que nostre jugement regimbe, et ressentons la contradiction.

  A006000468 

 C'est pourquoy, encore que nous cognussions qu'ils eussent des inclinations naturelles, voire mesme des passions, par les mouvemens desquelles ils commanderoyent quelquefois ou reprendroyent les defauts de leurs inferieurs, il ne s'en faudroit nullement estonner, car ils sont hommes comme les autres, et par consequent sujets à avoir des inclinations et des passions; mais il ne nous est pas permis de faire jugement que ce qu'ils nous commandent [272] parte de leur passion et inclination, et c'est chose qu'il se faut garder de faire.

  A006000468 

 Neantmoins, si nous cognoissions palpablement que cela fust, il ne faudroit pas laisser d'obeir tout doucement et amoureusement, et se sousmettre avec humilité à la correction..

  A006000469 

 C'est voirement une chose bien dure à l'amour propre que d'estre sujet à toutes ces rencontres, Il est vray; mais ce n'est pas aussi cest amour là que nous devons contenter ni escouter, ains seulement le tres-saint amour de nos ames, Jesus, qui demande de ses cheres espouses une sainte imitation de la parfaite obeissance qu'il rendit, non seulement à la tres-juste et bonne volonté de son Pere, mais aussi à celle de ses parens, et qui plus est, de ses ennemis lesquels sans doute suivirent leurs passions aux travaux qu'ils luy imposerent; et cependant le bon Jesus ne laisse de s'y sousmettre doucement, humblement, amoureusement.

  A006000470 

 Il ne dit pas qu'il se repose ni au matin, ni au soir, mais au midy, parce qu'au midy il n'y a point d'ombre; et le cœur de ceste grande Sainte estoit un vray midy, où il n'y avoit point d'ombre de scrupules ni de propre volonté, et partant son ame jouïssoit pleinement de son Bien-Aymé, lequel prenoit ses delices en elle.

  A006000470 

 Il ne s'en faut pas estonner, puisque l'Espoux dit au Cantique des Cantiques que le lieu où il se repose est au midy.

  A006000470 

 Sainte Gertrude fut faite Religieuse en un monastere où il y avoit une Superieure laquelle recognoissoit fort bien que la bien-heureuse Sainte estoit d'une complexion foible et delicate; c'est pourquoy elle la faisoit traitter plus delicatement que les autres Religieuses, ne luy laissant pas faire les austerités que l'on avoit de coustume de faire en ceste Religion.

  A006000471 

 Et non seulement cela, mais encores il les faut regarder comme lieutenans de Dieu en terre; et partant, encor qu'il leur arrivast quelquesfois de se monstrer hommes, commettant quelques imperfections, comme demandant quelque chose curieuse qui ne seroit pas de la confession, comme seroit vos noms, si vous faites des penitences, pratiquez des vertus et quelles elles sont, si vous avez quelques tentations et choses semblables, je voudrois respondre selon qu'ils [274] le demandent, bien qu'on n'y soit pas obligé; car il ne faut pas leur dire qu'il ne vous est pas permis de leur dire autre chose que ce dont vous vous estes accusées.

  A006000471 

 O non, jamais il ne faut user de ceste défaitte, car cela n'est pas vray; vous pouvez dire tout ce que voudrez en confession, pourveu que vous ne parliez que de ce qui regarde vostre particulier, et non pas ce qui concerne, le general de vos Sœurs.

  A006000471 

 Que si vous craignez de dire quelque chose de ce qu'ils vous demandent, de peur de vous embarrasser, comme seroit de dire que vous avez des tentations, si vous apprehendez de les dire, au cas qu'ils les voulussent sçavoir par le menu, vous pourrez leur respondre: J'en ay, mon Pere, mais par la grace de Dieu, je ne pense pas y avoir offencé sa Bonté; mais jamais ne dites qu'on vous a defendu de vous confesser de cecy ou de cela.

  A006000472 

 Il faut eviter les extremités; car, comme il n'est pas bon de supporter des notables defauts en la confession, aussi ne faut-il pas estre si delicates qu'on n'en puisse supporter quelques petits..

  A006000472 

 Les confesseurs n'ont pas tousjours intention de vous obliger sur peine de peché à ce qu'ils vous disent; il faut recevoir leurs conseils par maniere de simple [275] direction.

  A006000472 

 Mais cecy ne se doit pas faire à la legere et pour des causes de rien.

  A006000472 

 Si par son defaut il vous arrivoit quelque chose en confession, vous pourriez dire tout simplement à la Superieure que vous desirez bien, s'il luy plaisoit, de vous confesser à quelque autre, sans dire autre chose; car ainsi faisant, vous ne descouvrirez pas l'imperfection du confesseur, et si, aurez la commodité de vous confesser à vostre gré.

  A006000473 

 Je veux dire que celles qui n'auront rien remarqué qui fust digne de l'absolution, dissent quelque peché particulier; car de dire qu'on s'accuse d'avoir eu plusieurs mouvemens de colere, de tristesse et ainsi des autres, cela n'est pas à propos; car la colere et la tristesse sont des passions, et leurs [276] mouvemens ne sont pas pechés, d'autant qu'il n'est pas en nostre pouvoir de les empescher.

  A006000474 

 Dites seulement le mal que vous avez fait, et non pas la cause et ce qui vous y a poussée; et jamais, ni directement ni indirectement, ne descouvrez le mal des autres en accusant le vostre, et ne donnez jamais sujet au confesseur de soupçonner qui c'est qui a contribué à vostre peché.

  A006000474 

 Par exemple, ayant à vous confesser dequoy vous avez murmuré en vous-mesme ou bien avec les Sœurs de ce que la Superieure vous a parlé trop sechement, n'allez pas dire que vous avez murmuré de la correction trop brusque qu'elle vous a fait, mais simplement que vous avez murmuré contre la Superieure.

  A006000474 

 Vous avez eu des pensées d'imperfection sur le prochain, des pensées de vanité, voire mesme de plus mauvaises; vous avez eu des distractions en vos oraisons; si vous vous y estes arrestées deliberément, dites-le à la bonne foy, et ne soyez pas contentes de dire que vous n'avez pas apporté assez de soin à vous tenir recolligées durant le temps de l'oraison; mais si vous avez esté negligentes à rejetter une distraction, dites-le, car ces accusations generales ne servent de rien à la confession..

  A006000475 

 Il les faut regarder comme tels, et non pas comme des simples hommes; car, quoy qu'ils ne parlent pas si bien que les hommes celestes, il ne faut pourtant rien rabattre de l'humilité et reverence avec laquelle nous devons recevoir la parole de Dieu, qui est tousjours la mesme, aussi pure, aussi sainte que si elle estoit dite et proferée par les Anges.

  A006000475 

 Pourquoy cela, sinon parce qu'elle ne fait pas attention ni sur le papier qui n'est pas si bon, ni sur le caractere qui est mauvais, ains seulement sur moy qui luy escris.

  A006000479 

 Jamais vos Superieures ne vous pressent de leur dire ce que vous ne leur voulez pas dire, ni jamais elles ne vous defendent de dire ce que vous voulez dire de vostre conscience à vos confesseurs ordinaires et extraordinaires..

  A006000479 

 Or, quand l'on vous dira que l'on ne croit pas qu'il y ait matiere de confession, l'on ne vous dit pas pour cela de ne vous en confesser point.

  A006000480 

 Que si vous demeurez si longuement en confession, que toute la Communauté en soit incommodée, et que la Superieure vous die que vous deviez demander à vous confesser la derniere, selon l'ordre de la maison, à fin que les Sœurs qui doivent aller selon leur rang ordinaire n'en soyent pas incommodées, elle ne vous demande pas pour cela: Que dites-vous, ou que ne dites-vous pas? Elle ne fait nul mal de vous ressouvenir qu'il faut que tout aille par ordre en la maison de Dieu.

  A006000481 

 Il est vray, mes tres-cheres filles, qu'il se trouve des confesseurs fort doctes, qui ont confessé long temps et tres-dignement les seculiers, lesquels toutesfois n'entendront pas les Filles de la Visitation ni les personnes qui font profession d'une grande spiritualité, parce que les fautes sont si minces, et d'une certaine couleur assez difficile à discerner, qu'ils prendront des petites aversions pour des grosses malveillances, des petits destours d'amour propre pour des grands mensonges, des petites inclinations pour des attaches fort mauvaises.

  A006000481 

 Les Sœurs qui s'apperçoivent par la correction que le confesseur leur fait qu'il ne les entend pas, feront bien de luy dire avec humilité: Mon Pere, je n'ay pas sceu me faire entendre; ce n'est pas ce que vostre Reverence comprend que je veux dire, c'est en telle et telle façon qu'il se doit entendre.

  A006000483 

 Le deuxiesme, c'est quand on va dire au confesseur de beaux discours ageancés de belles paroles, raconter une grande histoire pour se faire estimer et croire que l'on est bien esclairé, faisant semblant d'exagerer les fautes; et par ce moyen, d'une bien grosse, l'on fait tant qu'elle est bien petite et qui ne donne pas cognoissance au confesseur de l'estat de l'ame.

  A006000485 

 Par exemple, la cloche vous appelle à quelques exercices, et par paresse ou autre mauvais sujet vous n'y allez [282] pas: cela est un peché veniel.

  A006000486 

 Mais elle ne veut pas s'assujettir à ceste obeissance: elle peche et s'en doit confesser.

  A006000486 

 Si en suite d'un prompt mouvement de sentiment je jette là une plume, je ne suis pas obligé de m'en confesser; bien que si ces promptitudes m'arrivent souvent, je les diray en ma reveuë generale, pour en tirer instruction.

  A006000486 

 Toutefois, il ne se faut pas mettre en peine, car nous n'avons pas une perfection exempte d'amour propre qui nous fait tousjours faire quelque chose par cy par là.

  A006000487 

 Si l'amendement ne suit pas tousjours, ne laissons pas de tousjours travailler à cela; c'est nostre vraye besogne..

  A006000488 

 Elle s'estonna fort que je luy dis ne trouver pas peché veniel, et me remercia grandement de luy avoir donné ceste lumiere, m'asseurant qu'elle n'avoit jamais pensé à ceste distinction; par où vous voyez que cela est difficile, puisque ceste ame si sainte et si esclairée estoit neantmoins dans ceste ignorance..

  A006000488 

 En voicy un exemple: je viens vous dire qu'une telle personne vous salue, se recommande à vous, m'a parlé de vous avec estime, et de tout cela il n'en est rien: voilà un peché veniel tres-volontaire; mais je raconte quelque chose, et dans mon discours il se glisse quelques paroles qui ne sont pas du tout veritables, dont je ne m'apperçois qu'apres les avoir dites: voila une imperfection dont je ne suis pas obligé de me confesser, sinon que je n'eusse rien autre.

  A006000488 

 Ouy, ma chere fille; mais entre deux cens il ne s'en trouvera pas deux qui le sçachent faire, sinon és choses bien grosses.

  A006000493 

 Mais en nos entretiens familiers, je viens en qualité de chirurgien, n'apportant que des emplastres et cataplasmes pour appliquer sur les playes de mes cheres filles; et, bien qu'elles crient un peu holà, je ne lairray pas de presser ma main pour faire mieux tenir l'emplastre, et les guerir par ce moyen.

  A006000493 

 Ne voyez-vous pas que quand je presche au choeur devant les seculiers, comme [286] barbier, je ne fay point de mal? Je ne jette que des parfums, je ne parle que des vertus et des choses propres à consoler nos ames; je joüe un peu du flageolet, parlant des louanges que nous devons rendre à Dieu.

  A006000493 

 Si je fay quelque incision, ce ne sera pas sans que mes filles en ressentent de la douleur; mais je ne m'en soucie pas, je ne suis icy que pour cela; et les mondains n'en seroyent pas capables, à cause de l'erreur qu'ils se sont forgée que les personnes religieuses et vouées à la perfection ne doivent point avoir d'imperfection.

  A006000494 

 La premiere demande est: Qu'est-ce qu'aversion? Les aversions sont certaines inclinations qui sont aucunefois naturelles, lesquelles font que nous avons un certain petit contre-cœur à l'abord de ceux envers qui nous les avons, qui empesche que nous n'aymons pas leur conversation, s'entend que nous n'y prenons pas du plaisir, comme nous ferions en celle de ceux envers lesquels nous avons une inclination douce, qui nous les fait aymer d'un amour sensible, parce qu'il y a une certaine alliance et correspondance entre nostre esprit et le leur..

  A006000495 

 Or, pour monstrer que cecy est naturel, d'aymer les [288] uns par inclination et non pas les autres, ne void-on pas que si deux hommes entrent dans un tripot où deux autres jouent à la paume, d'abord ceux qui entrent auront de l'inclination que l'un gaigne plustost que l'autre? Et d'où vient cela, puisqu'ils ne les ont jamais veus ni l'un ni l'autre, ni n'en avoyent jamais ouy parler, ne sçachant point si l'un est plus vertueux que l'autre? c'est pourquoy ils n'ont point de raison d'en affectionner plus l'un que l'autre.

  A006000496 

 Ay-je de l'aversion de converser avec une personne, laquelle je sçay bien estre de grande vertu et avec laquelle je puis beaucoup profiter? il ne faut pas que je suive mon aversion qui me fait eviter de la rencontrer; il faut que j'assujettisse ceste inclination à la raison qui me doit faire rechercher sa conversation, ou au moins y demeurer [289] avec un esprit de paix et de tranquillité quand je m'y rencontre.

  A006000496 

 Or, de ces aversions naturelles il n'en faut pas faire grand cas, non plus que des inclinations, pourveu que nous sousmettions le tout à la raison.

  A006000498 

 Or, quand nous ne faisons autre chose en faveur de nos aversions que de parler un peu moins agreablement que nous ne ferions à une personne pour laquelle nous aurions de grands sentimens d'affection, ce n'est pas grande chose; ains il n'est presque pas en nostre pouvoir de faire autrement, quand nous sommes en l'émotion de ceste passion; l'on auroit tort de requerir cela de nous..

  A006000499 

 De vouloir lire pour contenter la curiosité, est une marque que nous avons encore un peu l'esprit leger, et qu'il ne s'amuse pas assez à faire le bien qu'il a apprins en ces petits livres de la pratique des vertus; car ils parlent fort bien de l'humilité et de la mortification, que l'on ne pratique pourtant pas lors que l'on ne les accepte pas de bon cœur..

  A006000499 

 La seconde demande est: Comment on se doit comporter en la reception des livres que l'on nous donne à lire? La Superieure donnera à une des Sœurs un livre qui traitte fort bien des vertus; mais parce qu'elle ne l'ayme pas, elle ne fera point de profit de sa lecture, ains elle le lira avec une negligence d'esprit; et la raison est, qu'elle sçait desja sur le doigt ce qui est comprins dans [291] ce livre, et qu elle auroit plus de desir que l'on luy en fist lire un autre.

  A006000499 

 Si nous lisions pour profiter, et non pas pour nous contenter, nous serions également satisfaits d'un livre comme d'un autre; au moins accepterions-nous de bon cœur tous ceux que nostre Superieure nous donneroit pour lire.

  A006000499 

 c'est une marque que nous lisons plustost pour satisfaire à la curiosité de l'esprit, que non pas pour profiter de nostre lecture.

  A006000500 

 Mais le mal d'où procede tout cecy est que nous cherchons tousjours nostre propre satisfaction, et non pas nostre plus grande perfection.

  A006000500 

 Or de dire: Parce que je ne l'ayme pas, je n'en feray point de profit, ce n'est pas une bonne consequence, non plus que de dire: Je le sçay desja tout par cœur, je ne sçaurois prendre plaisir à le lire.

  A006000500 

 Si on vous en donne un que vous avez desja leu plusieurs fois, humiliez-vous, et vous asseurez [292] que c'est Dieu qui le veut ainsi à fin que vous vous amusiez plus à faire qu'à apprendre, et que sa Bonté vous le donne pour la seconde et troisiesme fois parce que vous n'avez pas fait vostre profit de la premiere lecture.

  A006000501 

 Car la vertu de force et la force de la vertu ne s'acquiert jamais au temps de la paix, et tandis que nous ne sommes pas exercés par la tentation de son contraire.

  A006000501 

 Ce n'est pas grande chose de voir une fille laquelle n'a rien qui la fasche ou qui l'exerce, estre bien douce et faire peu de fautes.

  A006000501 

 Ceux qui sont fort doux tandis qu'ils n'ont point de contradiction, et qui n'ont point acquis ceste vertu l'espée au poing, ils sont voirement fort exemplaires et de grande edification; mais si vous venez à la preuve, vous les verrez incontinent remuer, et tesmoigner que leur douceur n'estoit pas une vertu forte et solide, ains imaginaire plustost que veritable..

  A006000501 

 Quand on me dit: Voila une telle à laquelle on ne void jamais commettre d'imperfection, je demande incontinent: A-t'elle quelque [293] charge? Si l'on me dit que non, je ne fais pas grand estat de sa perfection; car il y a bien difference entre la vertu de celle-cy et celle d'une autre laquelle sera bien exercée, soit interieurement par les tentations, soit exterieurement par les contradictions qu'on luy fait.

  A006000502 

 Certes, il y a beaucoup de gens qui se trompent grandement en ce qu'ils croyent [294] que les personnes qui font profession de la perfection ne devroyent point broncher en des imperfections, et particulierement les Religieux, parce qu'il leur semble qu'il ne faille qu'entrer en la Religion pour estre parfaits, ce qui n'est pas; car les Religions ne sont pas pour amasser des personnes parfaites, mais des personnes qui ayent le courage de pretendre à la perfection..

  A006000502 

 Il faut tousjours demeurer humbles et ne pas croire que nous ayons les vertus, encore que nous ne fassions pas, au moins que nous cognoissions, des fautes qui leur sont contraires.

  A006000502 

 Plusieurs semblent estre fort vertueux, qui n'ont pourtant point de vertu, parce qu'ils ne l'ont pas acquise en travaillant.

  A006000503 

 Et non seulement saint Pierre, mais encore saint Paul et saint Barnabé, lesquels voulant aller prescher l'Evangile, eurent une petite dispute ensemble, parce que saint Barnabé vouloit mener avec eux Jean Marc qui estoit son cousin: saint Paul estoit d'opinion contraire et ne vouloit pas qu'il allast avec eux, et saint Barnabé ne vouloit pas ceder à la volonté de saint Paul; et ainsi ils se separerait et allerent prescher, saint Paul en une contrée, et saint Barnabé en l'autre avec son cousin Jean Marc.

  A006000503 

 Hé! dites-moy, Nostre Seigneur ne nous a-t'il pas monstré luy-mesme qu'il n'y falloit pas [295] prendre garde, en l'élection qu'il fit de saint Pierre pour le rendre Superieur de tous les Apostres? car chacun sçait quelle faute fit cest Apostre en la Mort et Passion de son Maistre, s'amusant à parler avec une chambriere, et reniant si malheureusement son tres-cher Seigneur qui luy avoit fait tant de bien; il fit le bravache, et puis en fin il print la fuite.

  A006000503 

 L'on recherche voirement qu'ils ne soyent pas de mauvais exemple; mais de n'avoir point d'imperfection l'on n'y prend pas garde, pourveu qu'ils ayent les conditions de l'esprit qui sont necessaires; d'autant qu'il s'en trouveroit bien de plus parfaits, qui pour cela ne seroyent pas tant capables d'estre Superieurs.

  A006000503 

 Mais que faudroit-il faire si l'on voyoit de l'imperfection aux Superieures aussi bien qu'aux autres? ne faudroit-il pas s'en estonner? car on ne met pas des Superieures imparfaites, dites-vous.

  A006000504 

 Ce n'est pas une bonne consequence de dire: Un tel est Superieur, donc il n'est point colere et n'a point d'autre imperfection.

  A006000504 

 Mais en fin il nous fasche bien de rencontrer la mortification où nous ne la cherchons pas.

  A006000504 

 Ne pensons pas, tandis que nous serons en ceste vie, de pouvoir vivre sans commettre des imperfectoins; car il ne se peut, soit que nous soyons Superieurs, soit que nous soyons inferieurs, puisque nous sommes tous hommes, et par consequent avons tous besoin de croire ceste verité comme tres-asseurée, à fin que nous ne nous estonnions pas de nous voir tous sujets à des imperfections.

  A006000505 

 Et, bien que l'on retranche l'acte exterieur d'humilité, de crainte de fascher la pauvre Sœur qui l'est desja assez, il ne faut pas laisser de faire l'interieur.

  A006000505 

 Mais si la Sœur estoit un peu troublée en le disant, la Superieure ne devroit pas faire semblant de rien, mais destourner ce propos, et neantmoins cacher l'abjection dans son cœur; car il faut bien prendre garde que nostre amour propre ne nous fasse perdre l'occasion de voir que nous sommes imparfaits, et de nous humilier.

  A006000506 

 Voila donc, mes cheres Sœurs, comment il ne se faut jamais oublier de ce que nous avons esté, à fin que nous ne devenions pires, et ne pas penser que nous soyons parfaits quand nous ne commettons pas beaucoup d'imperfections..

  A006000506 

 Voyez-vous, ceste petite vertu de l'amour de nostre abjection ne doit jamais s'esloigner de nostre cœur d'un pas, parce que nous en avons besoin à toute heure, pour avancés que nous soyons en la perfection, d'autant que nos passions renaissent, voire quelquesfois apres que nous avons vescu longuement en la Religion et apres avoir fait un grand progres en la perfection, ainsi qu'il advint à un Religieux de saint Pachome, nommé Sylvain, lequel estant au monde estoit comedien de profession; et, s'estant converti et fait Religieux, il passa l'année de sa probation, voire plusieurs autres apres, avec une mortification fort exemplaire, sans que l'on luy vist jamais faire aucun acte de son premier mestier.

  A006000507 

 Encore qu'il s'en verroit trois ou quatre, voire sept ou huict, en une si grande suite d'années, il ne s'en faudroit pas fascher ni perdre courage, ains prendre haleine et se fortifier pour mieux faire..

  A006000507 

 Il faut aussi prendre garde de ne nous pas estonner si nous avons des passions, car nous n'en serons jamais exempts; ces hermites qui voulurent dire le contraire furent censurés par le sacré Concile, et leur opinion condamnée et tenue pour erreur.

  A006000508 

 De mesme, la Superieure ne doit pas tesmoigner de l'estonnement si l'on void ses fautes, mais elle doit observer [299] l'humilité et la douceur avec laquelle saint Pierre receut la correction que luy fit saint Paul, nonobstant qu'il fust son Superieur.

  A006000508 

 Les Sœurs ne doivent pas s'estonner dequoy la Superieure commet des imperfections, puisque saint Pierre, tout Pasteur qu'il estoit de la sainte Eglise et Superieur universel de tous les Chrestiens, tomba bien en defaut, et tel qu'il en merita correction, ainsi que dit saint Paul.

  A006000509 

 Je dis hors la necessité et charité, d'autant qu'il y a certaines personnes de grand respect, lesquelles il ne faudroit pas mescontenter.

  A006000509 

 O certes, il n'est pas besoin de cela, car s'ils se tiennent dedans pour bien faire ce qui est de leur charge, ils ne doivent point douter que Nostre Seigneur ne pourvoye assez leur Congregation des amis qui leur sont necessaires..

  A006000509 

 Si ne faut-il pas neantmoins qu'elle manque pour cela à converser avec les personnes seculieres quand la necessité ou la charité le requiert; mais hors de là, il faut que la Superieure soit courte avec les seculiers.

  A006000509 

 Vous demandez en quatriesme lieu, s'il arrivoit un jour qu'une Superieure eust tant d'inclination de complaire aux personnes seculieres, sous pretexte de leur profiter, qu'elle en laissast le soin particulier qu'elle doit avoir des filles qui sont en sa charge, ou bien qu'elle n'eust pas assez de temps pour faire ce qui est des affaires de la maison, à cause qu'elle demeureroit trop longuement au parloir, si elle ne seroit pas obligée de retrancher ceste inclination, encore que son intention fust bonne.

  A006000510 

 Mais s'il fasche à la Superieure de rompre compagnie quand on sonne les Offices pour y aller, de crainte de mescontenter ceux avec qui elle parle? Il ne faut pas estre si tendre; car si ce ne sont des personnes de grand respect, ou bien qui ne viennent que fort rarement ou qui sont de loin, il ne faut pas quitter les Offices ni l'oraison, si la charité ne le requiert absolument.

  A006000511 

 Bien que par tout on la doive regarder comme une personne particuliere et à laquelle on doit porter un tres-grand respect, si ne faut-il pas qu'elle soit singuliere en aucune chose, que le moins qu'il se pourra.

  A006000511 

 La Superieure doit estre recognuë et remarquée par ses vertus, et non pas par ces singularités non necessaires, specialement entre nous autres de la Visitation, qui voulons faire une profession particuliere d'une grande simplicité et humilité.

  A006000511 

 Mesmes il ne faut pas qu'elle ayt une chaire particuliere si ce n'est au chœur et au chapitre; et en ceste chaire jamais l'Assistante ne s'y doit mettre, bien qu'en toute autre chose on luy doive porter le mesme respect qu'à la Superieure (s'entend en son absence); au refectoire mesme il ne luy en faut point, ains seulement un siege comme aux autres.

  A006000511 

 Or, pour le regard de la derniere question, qui est si l'on ne doit pas tousjours faire quelque petite particularité à la Superieure de plus qu'au reste des Sœurs, tant au vestir qu'au manger, elle sera tantost resolue; car en un mot, je vous dis que non, en façon quelconque, si ce n'est de necessité, ainsi comme l'on fait à chacune des Sœurs.

  A006000512 

 Il y a de la superfluité en ceste jalousie, laquelle il faut retrancher; car à quel propos, je vous prie, vouloir celer au prochain ce qui luy peut profiter? Je ne suis pas de ceste opinion, car je voudrois que tout le bien qui est en la Visitation fust recognu et sceu d'un chacun, Et pour cela, j'ay tousjours esté de cest advis, qu'il seroit bon de faire imprimer les Regles et Constitutions, à fin que plusieurs les voyant en puissent tirer quelque utilité.

  A006000512 

 Soyez grandement soigneuses de conserver l'esprit de la Visitation, mais non pas en sorte que ce soin empesche de le communiquer charitablement et avec simplicité au prochain, à chacun selon leur capacité; et ne craignez pas qu'il se dissipe par ceste communication, car la charité ne gaste jamais rien, ains elle perfectionne toute chose.

  A006000516 

 O Dieu, ma fille, se plaindre! n'ay-je pas dit à Philothée, que « pour l'ordinaire, qui se plaint peche »? Or, de se plaindre à la Superieure quand une Sœur nous a mortifiée, cela est tolerable à une fille imparfaite; mais se plaindre à une Sœur de ce que la Superieure nous a mortifiée, je n'ay rien à dire là-dessus, parce que sans marchander il s'en faut amender, si quelqu'une y estoit inclinée.

  A006000517 

 Car voyez-vous, mes tres-cheres filles, [305] nous pouvons bien dire nos pechés veniels haut et clair à tout le monde pour nous humilier, mais non nos pechés mortels, parce que nous ne sommes pas maistres de nostre reputation.

  A006000517 

 Je vous dis que non, mes cheres filles, et que la Superieure ne vous le doit pas demander.

  A006000518 

 Feray-je donques pas un grand peché de luy aller faire un rapport de quelque petit mot que la Superieure aura dit par mesgarde, lequel estant redit paioistra grand, et tiendra ce pauvre cœur en peine et en douleur? Celle qui feroit cela feroit deux maux: elle contreviendroit doublement à la charité et parleroit en particulier.

  A006000518 

 Je ne voudrois pas mesme, generalement parlant, que l'on nommast à la Superieure les Sœurs qui parleroyent contre elle; bien luy dirois-je que l'on desapprouve telle et telle chose qu'elle fait, mais je ne luy dirois point qui fait ce desapprouvement; car, mes cheres filles, si nous n'avons la ferveur et pureté de la charité, nous n'aurons jamais la perfection..

  A006000519 

 Vous dites, si une Sœur n'avoit pas la confiance de parler à la Superieure, ou à l'Assistante en son absence, pour declarer le secret de son cœur, où neantmoins elle auroit besoin d'estre éclaircie, qu'est-ce qu'elle doit faire? Mes tres-cheres filles, il faut que la Superieure, ou l'Assistante en son absence, luy donne tres-facilement et cordialement permission de parler à qui elle voudra d'entre les Sœurs, sans en tesmoigner ni aversion ni secheresse de cœur, bien qu'il soit vray que si la Sœur continue, elle seroit imparfaite; car elle est obligée à regarder Dieu en ses Superieures et en ce qu'elles luy disent, et des particulieres ne la pourront servir si utilement.

  A006000520 

 Il ne faut pas tant esplucher pour le regard du jeusne; l'Eglise veut que l'on penche tousjours plustost à la charité qu'à l'austerité.

  A006000520 

 Mais il vous vient en pensée: Ceste fille n'a pas assez de mal pour ne pas jeusner.

  A006000520 

 Ouy, mes cheres filles, si apres avoir representé une fois qu'il vous semble n'avoir pas assez de mal pour ne pas jeusner, la Superieure vous dit neantmoins que si, vous, obeissez sans scrupule; que si elle dit que vous fassiez selon que vous [308] jugerez et que vous vous sentirez, faites-le avec une sainte liberté..

  A006000520 

 Par exemple, un jour de jeusne particulier, comme une vigile, vous voyez une Sœur toute traisnante et langoureuse; vous pouvez et devez tout librement luy dire: Ne jeusnez pas.

  A006000525 

 Quant au premier poinct, qu'il faut qu'une fille soit bien appellée de Dieu pour estre receuë en Religion, il faut sçavoir que quand je parle de cest [310] appel et vocation, je n'entens pas parler de la vocation generale, telle qu'est celle par laquelle Nostre Seigneur appelle tous les hommes au Christianisme, ni encor de celle de laquelle il est dit en l'Evangile que plusieurs sont appelles, mais peu sont esleus.

  A006000526 

 Ainsi en voyons-nous qui viennent par despit et ennuy en Religion; et quoy qu'il semble que ces vocations ne soyent pas bonnes, neantmoins on en a veu qui estans ainsi venus, ils ont fort bien reussi au service de Dieu.

  A006000526 

 D'autres sont incités d'entrer en [311] Religion par quelque desastre et infortune qu'ils ont eu au monde, d'autres par le defaut de la santé ou beauté corporelle; et quoy que ceux-cy ayent des motifs qui de soy ne sont pas bons, neantmoins Dieu s'en sert pour appeller telles personnes.

  A006000526 

 Mais parlant plus particulierement de la vocation religieuse, je dis que plusieurs sont bien appelles de Dieu en la Religion, mais il y en a peu qui maintiennent et conservent leur vocation; car ils commencent bien, mais ils ne sont pas fidelles à correspondre à la grace, ni perseverans en la pratique de ce qui peut conserver leur vocation et la rendre bonne et asseurée.

  A006000529 

 Ce n'est pas donques par ces divers mouvemens et sentimens qu'il faut juger de la fermeté et constance de la volonté au bien que l'on a une fois embrassé; mais ouy bien si parmi ceste varieté de divers mouvemens la volonté demeure ferme à ne point quitter le bien qu'elle a embrassé, encor qu'elle sente le dégoust ou le refroidissement en l'amour de quelque vertu, et qu'elle ne laisse pour cela de se servir des moyens qui luy sont marqués pour l'acquerir.

  A006000529 

 Mais remarquez que, quand je dis une volonté ferme et constante de servir Dieu, je ne dis pas qu'elle fasse dés le commencement tout ce qu'il faut faire en sa vocation, avec une fermeté et constance si grande qu'elle soit exempte de toute repugnance, difficulté ou dégoust [312] en ce qui en dépend.

  A006000529 

 Non, je ne dis pas cela; ni moins que ceste fermeté et constance soit telle qu'elle la rende exempte de faire des fautes, ni que pour cela elle soit si ferme qu'elle ne vienne jamais à chancelier ni varier en l'entreprise qu'elle a faite de pratiquer les moyens qui la peuvent conduire à la perfection.

  A006000529 

 O non certes, ce n'est pas ce que je veux dire; car tout homme est sujet à telle passion, changement et vicissitude, et tel aymera aujourd'huy une chose qui en aymera demain une autre; un jour ne ressemble jamais l'autre.

  A006000529 

 Tellement que pour avoir une marque d'une bonne vocation, il ne faut pas une constance sensible, mais qui soit en la partie superieure de l'esprit et laquelle soit effective..

  A006000530 

 Doncques, pour sçavoir si Dieu veut que l'on soit Religieux, il ne faut pas attendre qu'il nous parle sensiblement, ou qu'il nous envoye quelque Ange du Ciel pour nous signifier sa volonté; ni moins est-il besoin d'avoir des revelations sur ce sujet.

  A006000530 

 Et quand je dis cecy, je ne parle pas seulement pour vous autres, mais encores pour les filles qui sont au monde, desquelles certes il faut avoir du soin, les aydant parmi leurs bons desseins.

  A006000530 

 Il est bien vray que je l'ay eue beaucoup plus forte que je n'ay à ceste heure; mais comme elle n'est pas de durée, cela me fait croire qu'elle n'est pas bonne..

  A006000530 

 Il ne faut non plus [313] un examen de dix ou douze docteurs pour voir si l'inspiration est bonne ou mauvaise, s'il la faut suivre ou non; mais il faut bien correspondre et cultiver le premier mouvement, et puis ne se pas mettre en peine s'il vient des dégousts et des refroidissemens touchant cela; car si l'on tasche tousjours de tenir sa volonté bien ferme à vouloir rechercher le bien qui nous est monstré, Dieu ne manquera pas de faire reussir le tout à sa gloire.

  A006000530 

 Je voudrois bien, dit une de ces filles, mais je ne sçay pas si c'est la volonté de Dieu que je sois Religieuse, d'autant que l'inspiration que je sens à ceste heure n'est pas, ce me semble, assez forte.

  A006000530 

 Quand elles ont les premiers mouvemens un peu forts, rien ne leur est difficile, il leur semble qu'elles franchiront toutes les difficultés; mais quand elles sentent ces vicissitudes, et que ces sentimens ne sont plus si sensibles en la partie inferieure, il leur semble que tout est perdu et qu'il faille tout quitter: l'on veut et l'on ne veut pas; ce que l'on sent alors n'est pas suffisant pour faire quitter le monde.

  A006000531 

 Certes, quand je rencontre telles ames, je ne m'estonne point de ces dégousts et refroidissemens, ni moins crois-je que pour iceux leur vocation ne soit pas bonne.

  A006000531 

 Et bien, leur dis-je, cela n'est rien; dites-moy, n'avez-vous pas senti le mouvement ou l'inspiration dans vostre cœur pour la recherche d'un si grand bien? Ouy, disent-elles, il est bien vray, mais cela s'est aussi tost passé.

  A006000531 

 Je leur responds qu'elles ne se mettent pas en peine de ces sentimens sensibles et qu'elles ne les examinent pas tant; qu'elles se contentent de ceste constance de leur volonté, qui, parmi tout cela, ne perd point l'affection de son premier dessein; qu'elles soyent seulement soigneuses à le bien cultiver et à bien correspondre à ce premier mouvement.

  A006000531 

 O non, dit-elle, car je sens tous jours je ne sçay quoy qui me fait tendre de ce costé-là; mais ce qui me met en peine c'est que je ne sens pas ce mouvement si fort qu'il faudroit pour une telle resolution.

  A006000531 

 Ouy bien, leur dis-je, la force de ce sentiment; mais non pas en telle sorte qu'il ne vous en soit demeuré quelque affection.

  A006000532 

 Car bien que ceux-cy viennent à Dieu comme despités contre le monde qui les a faschés, ou bien à cause de quelques travaux et afflictions qui les ont tourmentés, si ne laissent-ils pas de se donner à Dieu d'une franche volonté; et bien souvent telles personnes reussissent bien au service de Dieu et deviennent des grands Saints, et quelques fois plus grands que ceux qui y sont entrés par des vocations plus apparentes..

  A006000534 

 Mais la divine Providence qui s'estoit servie de ce moyen pour le retirer du monde, convertit sa fin et son intention mauvaise en bonne, et celuy qui pensoit prendre les autres fut pris luy-mesme; car il n'eut pas plus tost demeuré quelques jours avec ces bons Religieux, qu'il fut tout à fait changé.

  A006000535 

 Il y en a encor d'autres de qui la vocation n'est de soy pas meilleure que ceste-cy: c'est de ceux qui vont en Religion à cause de quelque defaut naturel, comme pour estre boiteux, borgnes, ou pour estre laids, ou pour avoir quelque autre pareil defaut; et, ce qui semble encor le pire, c'est qu'ils y sont portés par leurs peres et meres, lesquels bien souvent, lors qu'ils ont des enfans borgnes, boiteux, ou autrement defectueux, les laissent au coin du feu et disent: Cecy ne vaut rien pour le monde, il le faut envoyer en Religion; il luy faut procurer quelque benefice, ce sera autant de descharge pour nostre maison.

  A006000537 

 D'où vient donc, qu'estant si bien appellé, il ne persevera pas en sa vocation? O c'est qu'il abusa de sa liberté, et ne voulut pas se servir des moyens que Dieu luy donnoit pour ce sujet; mais au lieu de les embrasser et d'en user à son profit, il s'en servit pour en abuser et pour les rejetter, et, en ce faisant, il se perdit.

  A006000537 

 Il y en a d'autres qui ont esté bien appellés, qui toutesfois n'ont pas perseveré; ains, apres avoir demeuré quelque temps en Religion, ont tout quitté.

  A006000538 

 Or, quand je dis que Nostre Seigneur s'oblige, il ne [320] faudroit pas penser que ce soit nous qui l'ayons obligé à ce faire en suivant sa vocation, car on ne sçauroit l'obliger; mais Dieu s'oblige soy-mesme par soy-mesme, poussé et provoqué à ce faire par les entrailles de son infinie bonté et misericorde; tellement que, me faisant Religieux, Nostre Seigneur s'est obligé de me fournir tout ce qui est necessaire pour estre bon Religieux, non point par devoir, mais par sa misericorde et providence infinie; tout ainsi qu'un grand roy, levant des soldats pour faire la guerre, sa prevoyance et prudence requiert qu'il prepare des armes pour les armer; car, quelle apparence y auroit-il de les envoyer combattre sans armes? Que s'il ne le fait pas, il est taxé d'une grande imprudence, Or, la divine Majesté ne manque jamais de soin ni de prevoyance touchant cecy; et pour le nous mieux faire croire, elle s'y est obligée, en sorte qu'il ne faut jamais entrer en opinion qu'il y ayt de sa faute quand nous ne faisons pas bien: voire, sa.

  A006000538 

 Remarquez aussi que quand je dis que Dieu s'est obligé de donner à ceux qu'il appelle toutes les conditions requises pour estre parfaits en leur vocation, je ne dis pas qu'il les leur donne tout à coup et à l'instant qu'ils entrent en Religion.

  A006000538 

 liberalité est si grande, qu'il donne ces moyens à ceux auxquels il ne les a pas promis et auxquels il ne s'est pas obligé [321] pour ne les avoir pas appellés.

  A006000539 

 C'est donc une chose bien difficile de sçavoir si une fille est bien appellée de Dieu, pour luy donner sa voix; car bien qu'on la voye fervente, peut estre ne perseverera-t'elle pas; mais tant pis pour elle.

  A006000539 

 Ne laissez pas pour cela, si vous voyez qu'elle ayt ceste volonté constante de vouloir servir Dieu et se perfectionner, de luy donner vostre voix; car si elle veut recevoir les aydes que Nostre Seigneur infailliblement luy donnera, elle perseverera.

  A006000539 

 Que si, apres quelques années, elle perd la perseverance, à son dam! vous n'en estes pas la cause, ains elle-mesme.

  A006000540 

 Ces filles en font ainsi: elles font tant de prieres, tant de reverences, elles tesmoignent tant de bonne volonté, que l'on ne peut bonnement les esconduire; et en effet, l'on n'y doit pas faire trop grande consideration, ce me semble, Je dis cecy pour l'interieur, car certes, il est bien difficile en ce temps-là de le pouvoir cognoistre, principalement des filles qui viennent icy de loin; tout ce que l'on peut faire à celles-cy, c'est de sçavoir qui elles sont, et telles choses qui regardent le temporel et l'exterieur, puis leur ouvrir la porte et les mettre à leur premier essay.

  A006000540 

 Quant à la seconde, qui est de sçavoir les conditions que doivent avoir les filles, premierement, que l'on reçoit ceans, en second lieu, celles que l'on reçoit au Novitiat, et en troisiesme lieu, celles que l'on reçoit à la Profession, je n'ay guere à dire dessus la premiere reception, car l'on ne peut pas beaucoup cognoistre ces filles qui viennent avec une si bonne mine.

  A006000541 

 Et que la prudence humaine ne me vienne point icy dire: Et s'il se presentoit tous-jours telle sorte de gens, les faudroit-il tous jours recevoir? et si toutes estoyent aveugles ou malades, qui les serviroit? Or, ne vous mettez point en peine de cela, car il n'arrivera pas: laissez-en le soin à la divine Providence qui sçaura bien y pourvoir, et y appeller les fortes, necessaires à leur service.

  A006000541 

 Mais excepté cela, je ne leur refuserois jamais ma voix, pas mesme quand elles seroyent aveugles ou manchottes, ou n'auroyent qu'une jambe, si avec cela elles avoyent les autres conditions requises à ceste vocation.

  A006000542 

 Et, bien qu'elles ayent de la repugnance à ces remedes et les prennent avec grande difficulté, cela ne veut rien dire, pourveu qu'elles ne laissent pas d'en user; car les medecines sont tousjours ameres au goust, et n'est pas possible qu'on les reçoive avec la suavité que l'on feroit si elles estoyent bien appetissantes; mais avec tout cela elles ne laissent pas de faire leur operation, et quand elles la font meilleure, c'est lors qu'elles font le plus de travail et de peine.

  A006000542 

 Quant à la seconde, qui est de recevoir une fille au [325] Novitiat, je ne trouve pas encor qu'il y ayt des grandes difficultés.

  A006000542 

 Tout de mesme, voila une fille qui a ses passions fortes; elle est colere, elle fait plusieurs manquemens: si avec cela elle veut bien estre guerie, et veut qu'on la corrige, mortifie et qu'on luy donne des remedes propres à sa guerison, combien qu'en les prenant cela la fasche et la, travaille, il ne faut point pour cela luy refuser sa voix; car elle n'a pas seulement la volonté de guerir, mais encor elle prend les remedes qui luy sont donnés pour ce sujet, combien qu'avec peine et difficulté..

  A006000543 

 Or donc, on ne doit pas laisser de recevoir au Novitiat les filles, quoy qu'elles ayent beaucoup de mauvaises habitudes, le cœur rude et grossier, et qu'elles témoignent beaucoup de passions, pourveu que telles filles veuillent estre gueries.

  A006000544 

 Ils s'appliquent à faire et s'adonnent aux vertus solides; ils sont traittables, et on n'a pas beaucoup de peine à les conduire, car facilement ils comprennent combien c'est une chose bonne de se laisser gouverner..

  A006000544 

 La seconde, que ces filles ayent l'esprit bon: or, quand je dis un bon esprit, je n'entends pas dire de ces grands esprits qui sont pour l'ordinaire vains et [327] pleins de propre jugement, de suffisance, et qui estans au monde estoyent des boutiques de vanité; qui viennent en Religion non point pour s'humilier, mais comme si elles y vouloyent faire des leçons de philosophie et theologie, voulant tout conduire et gouverner.

  A006000545 

 Car bien que nonobstant cela elle ne laisse pas de faire des fautes, et mesmes assez grandes, il ne faut pas pourtant luv refuser sa voix; car bien qu'en l'année de son Novitiat elle doive travailler en la reformation de ses mœurs et habitudes, ce n'est pas à dire pour cela qu'elle ne doive point faire de cheute, ni qu'elle doive à la fin de son Novitiat estre parfaite.

  A006000545 

 Je veux dire par là que les cheutes ne doivent pas estre cause que l'on rejette une fille, [329] quand parmi tout cela elle demeure avec une forte volonté de se radresser et de se vouloir servir des moyens que l'on luy donne pour ce sujet.

  A006000546 

 L'on demande donc en premier lieu, s'il se trouvoit une fille qui fust fort sujette à se troubler pour des petites choses, et que son esprit fust souvent plein de chagrin et d'inquietude, et qu'elle ne tesmoignast parmi cela guere d'amour pour sa vocation, et que neantmoins, cela estant passé, elle promist de faire des merveilles, qu'est-ce qu'il faudroit faire? Il est tout certain qu'une telle fille estant ainsi changeante n'est pas propre pour la Religion; mais parmi tout cela ne veut-elle point estre guerie? car si cela n'est, il la faut congedier.

  A006000546 

 L'on ne sçait, direz-vous, si cela procede faute de volonté de se guerir, ou bien qu'elle ne comprenne pas en quoy consiste la vraye vertu.

  A006000546 

 Or, si apres luy avoir fait bien entendre ce qu'il faut qu'elle fasse pour son amendement, elle ne le fait pas ains se rend incorrigible, il la faut rejetter; sur tout parce que ses fautes, ainsi que vous dites, ne procedent pas faute de jugement ni de pouvoir comprendre en quoy consiste la vraye vertu, ni moins encore ce qu'il faut qu'elle fasse pour son amendement; mais que c'est par le defaut de la volonté, qui n'a point de perseverance ni de constance à faire et à se servir de ce qu'elle sçait estre requis pour son amendement; encore qu'elle dise quelquefois qu'elle fera mieux, neantmoins ne le fait pas, ains persevere [330] en ceste inconstance de volonté, je ne luy donnerois pas ma voix..

  A006000547 

 Pour ce qui est de la tendreté, tant sur l'esprit que sur le corps, c'est l'un des grands empeschemens qui soyent en la vie religieuse; et partant il faut avoir un tres-grand soin de ne pas recevoir celles qui en sont démesurément atteintes, parce qu'elles ne veulent point estre gueries, refusans de se servir de ce qui leur peut donner la santé..

  A006000549 

 Il ne faut pas estre si rigoureuses pour toutes ces petites choses.

  A006000549 

 L'on demande en troisiesme lieu, s'il ne faut pas [332] faire consideration de donner sa voix à une fille qui n'est pas cordiale, ou qui n'est pas égale à l'endroit de toutes les Sœurs, et qui a fait voir qu'elle a plus d'inclination à l'une qu'à l'autre.

  A006000550 

 Or, ceste inclination que vous avez, que les autres donnent leur voix ou qu'elles ne la donnent pas, combien que vous donniez ou ne donniez pas la vostre, doit estre mesprisée et rejettée comme une autre tentation.

  A006000551 

 En fin, pour toutes les imperfections que les filles apportent du monde il faut garder ceste regle: quand [335] l'on void qu'elles s'amendent, combien qu'elles ne laissent pas de commettre des fautes, il ne faut pas les rejetter, car par l'amendement elles font voir qu'elles ne veulent pas demeurer incorrigibles.

  A006000556 

 Et premierement, il est tres-necessaire que nous sçachions pourquoy c'est que, recevant si souvent ces deux Sacremens, nous ne recevons pas aussi les graces qu'ils ont accoustumé d'apporter aux ames qui sont bien preparées, puisque ces graces sont jointes aux Sacremens.

  A006000557 

 Vous cognoistrez cela si, quand vous desirez de vous communier, l'on ne le vous permet pas; ou bien si apres la sainte Communion vous n'avez point de consolation, et que pour cela vous ne laissez pas de demeurer en paix, sans consentir aux attaques qui pourroyent vous en venir.

  A006000557 

 [338] Mais si, au contraire, vous consentez à l'inquietude dequoy l'on vous a refusé de communier, ou dequoy vous n'avez pas eu de la consolation, qui ne void que vostre intention estoit impure, et que vous ne cherchiez de vous unir à Dieu, ains aux consolations, puisque vostre union avec Dieu se doit faire sous la sainte vertu d'obeissance? Et tout de mesme, si vous desirez la perfection d'un desir plein d'inquietude, qui ne void que c'est l'amour propre, qui ne voudroit pas que l'on vist de l'imperfection en nous? S'il estoit possible que nous peussions estre autant agreables à Dieu estans imparfaits comme estans parfaits, nous devrions desirer d'estre sans perfection, à fin de nourrir en nous par ce moyen la tres-sainte humilité..

  A006000558 

 Je ne dis pas, par ceste grande attention, qu'il ne faille point avoir de distraction, car il n'est pas en nostre pouvoir; mais j'entends de dire qu'il faut avoir un soin tout particulier à ne s'y point arrester volontairement..

  A006000560 

 O ce n'est pas là le moyen de faire ceste union, que de se reserver toutes ses volontés, pour belle apparence qu'elles ayent; car Nostre Seigneur se voulant donner tout à nous, veut que reciproquement nous nous donnions entierement à luy, à fin que l'union de nostre ame avec sa divine Majesté soit plus parfaite, et que nous puissions dire veritablement, apres ce grand parfait entre les Chrestiens: Je ne vis plus moy, ains c'est Jesus Christ qui vit en moy..

  A006000561 

 Certes, la cause pourquoy nous ne recevons pas la grace de la sanctification (puisqu'une seule Communion bien faite [340] est capable et suffisante pour nous rendre saints et parfaits) ne provient sinon de ce que nous ne laissons pas regner Nostre Seigneur en nous comme sa bonté le desire.

  A006000561 

 Il vient en nous, ce Bien-Aymé de nos ames, et il trouve nos cœurs tout pleins de desirs, d'affections et de petites volontés: ce n'est pas ce qu'il cherche, car il les veut trouver vuides pour s'en rendre le maistre et le gouverneur.

  A006000562 

 Et pour ce qui est des vertus, aucune fois il est plus à propos et meilleur pour nous de ne les pas avoir en habitude que si nous les avions, pourveu toutesfois que nous en fassions les actes à mesure que les occasions s'en presentent; car la repugnance que nous sentons à pratiquer quelque vertu nous doit servir pour nous humilier, et l'humilité vaut tousjours mieux que tout cela..

  A006000562 

 L'on peut bien communier pour diverses fins: comme pour demander à Dieu d'estre delivrés de quelque tentation ou affliction, soit pour nous ou pour nos amis, [341] ou pour demander quelque vertu, pourveu que ce soit sous ceste condition de nous unir par ce moyen plus parfaitement à Dieu, ce qui n'arrive pourtant pas bien souvent; car au temps de l'affliction l'on est ordinairement plus uni à Dieu, parce que l'on se ressouvient plus souvent de luy.

  A006000563 

 En fin, il faut qu'en toutes les prieres et demandes que vous ferez à Dieu, vous ne les fassiez pas seulement pour vous, ains que vous observiez de dire tousjours nous, comme Nostre Seigneur nous l'a enseigné en l'Oraison dominicale, où il n'y a ni mien, ni mon, ni moy.

  A006000564 

 Et ne faut pas que nous pensions que communiant ou priant pour les autres nous y perdions quelque chose, sinon que nous offrissions à Dieu ceste Communion ou priere pour la satisfaction de leurs pechés, car alors nous ne satisferions pas pour les nostres.

  A006000564 

 Et si une personne ne faisoit pas attention de faire quelque chose pour la satisfaction de ses pechés, la seule attention qu'elle auroit de faire tout ce qu'elle fait pour le pur amour de Dieu suffiroit pour y satisfaire, puisque c'est une chose asseurée que qui pourroit faire un acte excellent de charité, ou un acte d'une parfaite contrition, satisferoit pleinement pour tous ses pechés..

  A006000564 

 Nous pouvons bien impetrer des graces pour les autres, mais leur meriter, nous ne le pouvons pas faire.

  A006000565 

 Ne voyez-vous pas qu'il est dit que quiconque s'humiliera sera exalté? estre exalté c'est estre advancé.

  A006000565 

 Si vous devenez par le moyen de la tres-sainte Communion, fort douce (puisque c'est la vertu qui est propre à ce Sacrement, [343] qui est tout doux, tout suave, tout miel), vous retirerez le fruict qui luy est propre, et ainsi vous vous advancerez; mais si, au contraire, vous ne devenez point plus humble ni plus douce, vous meritez que l'on vous leve le pain, puisque vous ne voulez pas travailler..

  A006000566 

 Bien qu'il y ayt de la mortification à le demander, il ne faut pas laisser pour cela; car les filles qui entrent en la Congregation n'y entrent que pour se mortifier, et les croix qu'elles portent les en doivent faire ressouvenir.

  A006000566 

 Que si l'inspiration venoit à quelqu'une de ne pas communier si souvent que les autres, à cause de la cognoissance qu'elle a de son indignité, elle le peut demander à la Superieure, attendant le jugement qu'elle en fera, avec une grande douceur et humilité..

  A006000567 

 Je voudrois aussi que l'on ne s'inquietast point quand l'on entend parler de quelque defaut que nous avons ou de quelque vertu que nous n'avons pas; mais que nous benissions Dieu dequoy il nous a découvert le moyen d'acquerir la vertu et de nous corriger de l'imperfection, et puis prendre courage de nous servir de ces moyens.

  A006000567 

 Les consolations et tendretés ne doivent pas estre desirées, puisque cela ne nous est pas necessaire pour aymer davantage Nostre Seigneur.

  A006000568 

 Il ne faut pas aussi estre si tendres à se vouloir confesser de tant de menues imperfections, puisque mesme nous ne sommes pas obligés de nous confesser des [344] pechés veniels, si nous ne voulons; mais quand on s'en confesse, il faut avoir la volonté resolue de s'en amender, autrement ce seroit un abus de s'en confesser.

  A006000568 

 Il ne faut pas non plus se tourmenter quand l'on ne se souvient pas de ses fautes pour s'en confesser; car il n'est pas croyable qu'une ame qui fait souvent son examen, ne remarque bien pour s'en ressouvenir les fautes qui sont d'importance.

  A006000570 

 Et non seulement en ceste occasion, mais aussi entrant à tous nos exercices, à fin que nous apportions à chacun d'iceux l'esprit qui luy est propre; car il ne seroit pas à propos d'aller à l'Office comme à la recreation: à la recreation il faut porter un esprit amoureusement joyeux, et en l'Office, un esprit serieusement amoureux.

  A006000571 

 Mais s'il nous arrive d'en faire plusieurs, et que cela continue, il y a de l'apparence que nous n'avons pas conceu un vray desplaisir de nostre premiere faute; et c'est ceste negligence qui nous devroit apporter beaucoup de confusion, non pas à cause de la presence de la Superieure, mais pour le respect de celle de Dieu qui nous est present, et de ses Anges.

  A006000571 

 Que s'il nous arrive d'y faire quelque manquement, il faut s'en humilier sans s'en estonner, puisque ce n'est pas chose estrange, et que nous en faisons bien ailleurs.

  A006000572 

 En apres, il ne faut pas avoir du scrupule de laisser en tout un Office deux ou trois versets par mesgarde, pourveu que l'on ne le fist à dessein.

  A006000574 

 Car il ne faut pas tousjours penser que l'on a eu de la negligence quand la distraction a esté longue, car il se pourra bien faire qu'elle nous durera le long d'un Office sans qu'il y ayt de nostre faute; et pour mauvaise qu'elle fust, il ne faudroit pas s'en inquieter, ains en faire des simples rejets de temps en temps devant Dieu.

  A006000574 

 Il ne faut pas redire son Office pour avoir esté distraitte en le disant, pourveu que ce ne soit pas volontairement; et encor que vous vous trouvassiez à la fin de quelque Psalme sans estre bien asseurée si vous l'avez dit, parce que vous avez esté distraitte sans y penser, ne laissez pas de passer outre, vous humiliant devant Dieu.

  A006000575 

 Je ne dis pas qu'il ne faille se servir des methodes qui sont remarquées; mais l'on ne s'y doit pas attacher, comme font ceux qui pensent n'avoir jamais bien fait leurs oraisons s'ils ne font leurs considerations devant les affections que Nostre Seigneur leur donne, qui est pourtant la fin pour laquelle nous faisons les considerations.

  A006000575 

 Telles personnes ressemblent à ceux qui se trouvant au lieu où ils pretendent d'aller, s'en retournent parce qu'ils n'y sont pas venus par le chemin que l'on leur a enseigné..

  A006000576 

 Mais, mon Dieu, diront quelques-unes, je ne puis pas tousjours avoir ce sentiment de la presence de Dieu qui cause une si grande humiliation à l'ame, ni ceste reverence sensible qui me fait aneantir si doucement et agreablement devant Dieu.

  A006000576 

 Or, ce n'est pas aussi de celle-là que j'entens parler, ains de celle qui fait que la partie supreme et la pointe de nostre esprit se tient basse et en humilité devant Dieu, en recognoissance de son infinie grandeur et de nostre profonde petitesse et indignité..

  A006000577 

 Il faut aussi avoir une grande determina.ti.on de n'abandonner jamais l'oraison, pour aucune difficulté qui s'y puisse rencontrer, et n'y aller avec aucune preoccupation de desirs d'y estre consolée et satisfaite; car cela ne seroit pas rendre nostre volonté unie et ajustée à celle de Nostre Seigneur, qui veut qu'entrant à l'oraison nous soyons resolus de souffrir la peine des continuelles distractions, secheresse et dégoust qui nous y [348] surviendront, demeurans aussi constantes que si nous y avions eu beaucoup de consolation et de tranquillité; puisque c'est une chose certaine que nostre oraison ne sera pas moins agreable à Dieu, ni à nous moins utile pour estre faite avec plus de difficulté.

  A006000579 

 Mais l'on ne s'est pas contenté de ce qu'ils ont laissé, ains plusieurs personnes ont fait quantité d'autres imaginations; et c'est de celles-là dont il ne se faut pas servir à la meditation, d'autant que cela peut prejudicier..

  A006000580 

 Je ne veux pas dire qu'il faille avoir des grands sentimens et consolations pour cela, bien que quand Dieu nous les donne, nous soyons obligés d'en faire nostre profit et correspondre à son amour Mais quand il ne nous les donne pas il ne faut pas manquer de fidelité, ains vivre selon la raison et la volonté divine, et faire nos resolutions avec la pointe de nostre esprit et partie superieure de nostre ame, ne laissant de les effectuer et mettre en pratique pour aucune secheresse, repugnance ou contradiction qui se puisse presenter.

  A006000585 

 Il avoit toutes les vertus, mais non pas en un si haut degré les unes que les autres.

  A006000585 

 Le grand saint Paul hermite fut juste d'une justice tres-parfaite, et si neantmoins nul [352] ne peut douter qu'il n'exerça jamais tant de charité envers les pauvres comme saint Jean qui fut pour cela appelle l'Aumosnier, ni n'eut jamais les occasions de pratiquer la magnificence; et partant, il n'avoit pas ceste vertu en un si haut degré que plusieurs autres Saints.

  A006000585 

 Mais pourtant, si faut-il confesser que chaque robe est recamée de diverses belles varietés de fleurs, dont l'inégalité ne les rend pas moins agreables ni moins recommandables.

  A006000586 

 O quel Saint est le glorieux saint Joseph! Il n'est pas seulement Patriarche, ains le coryphée de tous les Patriarches; il n'est pas simplement Confesseur, mais plus que Confesseur, car dans sa confession sont encloses les dignités des Evesques, la generosité des Martyrs et de tous les autres Saints.

  A006000587 

 Le palmier, qui est le masle, ne porte point de fruict, et si neantmoins il n'est pas infructueux, car la palme femelle ne porteroit point de fruict sans luy et sans son aspect; [353] de sorte que si la palme femelle n'est plantée aupres du palmier masle, et qu'elle ne soit regardée de luy, elle demeure infructueuse et ne porte point de dattes, qui est son fruict; et si, au contraire, elle est regardée du palmier et est à son aspect, elle porte quantité de fruicts.

  A006000588 

 Saint Joseph donc fut comme un palmier, lequel ne portant peint de fruict n'est pas toutefois infructueux, ains a beaucoup de part au fruict de la palme femelle; non que saint Joseph eust contribué aucune chose pour ceste sainte et glorieuse production, sinon la seule ombre du mariage, qui empeschoit Nostre [354] Dame et glorieuse Maistresse de toutes sortes de calomnies et des censures que sa grossesse luy eust apportées.

  A006000589 

 Et tout ainsi comme l'on void un miroir opposé aux rayons du soleil recevoir ses rayons tres-parfaitement, et un autre miroir estant mis vis à vis de celuy qui les reçoit, bien que le dernier miroir ne prenne ou reçoive les rayons du soleil que par reverberation, les represente pourtant si naïfvement que l'on ne pourroit presque pas juger lequel c'est qui [355] les reçoit immediatement du soleil, ou celuy qui est opposé au soleil, ou celuy qui ne les reçoit que par reverberation; de mesme en estoit-il de Nostre Dame, laquelle [était] comme un tres-pur miroir opposé aux rayons du Soleil de justice, rayons qui apportoyent en son ame toutes les vertus en leur perfection, perfections et vertus qui faisoyent une reverberation si parfaite en saint Joseph, qu'il sembloit presque qu'il fust aussi parfait ou qu'il eust les vertus en un si haut degré comme les avoit la glorieuse Vierge nostre Maistresse..

  A006000590 

 Mais en particulier, pour nous tenir en nostre propos commencé, en quel degré pensons-nous qu'il eust la virginité, qui est une vertu qui nous rend semblables aux Anges? Si la tres-sainte Vierge ne fut pas seulement Vierge toute pure et toute blanche, ains (comme chante la sainte Eglise aux respons des leçons des Matines, « Sainte et immaculée virginité, » etc.) elle estoit la virginité mesme, combien pensons-nous que celuy qui fut commis de la part du Pere eternel pour gardien de sa virginité, ou pour mieux dire, pour compagnon, puisqu'elle n'avoit pas besoin d'estre gardée d'autre que d'elle-mesme, combien, dis-je, devoit-il estre grand en ceste vertu? Ils avoyent fait vœu tous deux de garder virginité tout le temps de leur vie, et voila que Dieu veut qu'ils soyent unis par le lien d'un saint mariage, non pas pour les faire dédire ni se repentir de leur vœu, ains pour les reconfirmer et se fortifier l'un l'autre de perseverer en leur sainte entreprise; c'est pourquoy ils le firent encores de vivre virginalement ensemble tout le reste de leur vie..

  A006000591 

 Nostre sœur elle est petite, elle n'a point de mammelles, c'est à dire, elle ne pense point au mariage, car elle n'a ni sein ni soin pour cela: que luy ferons-nous au jour qu'il luy faudra parler? Qu'est-ce à dire cela: au jour qu'il luy faudra parler? le divin Espoux ne luy parle-t'il pas tousjours quand il luy plaist? Au jour qu'il luy faudra parler, cela veut dire, de la parole principale, qui est quand on parle aux filles de les marier; d'autant que c'est une parole d'importance, puisqu'il y va du choix et de l'élection d'une vocation et d'un estat auquel il faut par apres demeurer.

  A006000592 

 Si la tres-sainte Vierge est une porte, dit le Pere eternel, nous ne voulons pas qu'elle soit ouverte, car c'est une porte orientale par laquelle nul ne peut entrer ni sortir; au contraire, il la faut doubler et renforcer de bois incorruptible, c'est à dire, luy donner un compagnon en sa pureté, qui est le grand saint Joseph, lequel devoit pour cest effet surpasser tous les Saints, voire les Anges et les Cherubins mesmes en ceste vertu tant recommandable de la virginité, vertu qui le rendit semblable au palmier, ainsi que nous avons dit..

  A006000594 

 De mesme en fait l'ame juste, car elle tient cachées ses fleurs, c'est à dire ses vertus, sous le voile de la tres-sainte humilité jusques à la mort, en laquelle Nostre Seigneur les fait esclorre et les laisse paroistre au dehors, d'autant que les fruicts ne doivent pas tarder à paroistre..

  A006000595 

 O combien ce grand Saint dont nous parlons fut fidele en cecy! il ne se peut dire selon sa perfection, car nonobstant ce qu'il estoit, en quelle pauvreté et en quelle abjection ne vescut-il pas tout le temps de sa vie; pauvreté et abjection sous laquelle il tenoit cachées [359] et couvertes ses grandes vertus et dignités.

  A006000596 

 Il n'y a point de doute, mes cheres Sœurs, que saint Joseph ne fust plus vaillant que David et n'eust plus de sagesse que Salomon; neantmoins, le voyant reduit en l'exercice de la charpenterie, qui eust peu juger cela s'il n'eust esté esclairé de la lumiere celeste, tant il tenoit resserrés tous les dons signalés dont Dieu l'avoit gratifié? Mais quelle sagesse n'avoit-il pas, puisque Dieu luy donnoit en charge son Fils tres-glorieux et qu'il estoit choisi pour estre son gouverneur? Si les princes de la terre ont tant de soin, comme estant une chose tres-importante, de donner un gouverneur qui soit des plus capables à leurs enfans, puisque Dieu pouvoit faire que le gouverneur de son Fils fust le plus accompli homme du monde en toutes sortes de perfections, selon la dignité et excellence de la chose gouvernée, qui estoit son Fils tres-glorieux, Prince universel du ciel et de la terre, comment se pourroit-il faire que l'ayant peu il ne l'ayt voulu et ne l'ayt fait? Il n'y a donc nul doute que saint Joseph n'ayt esté doué de toutes les graces et de tous les dons que meritoit la charge que le Pere eternel luy vouloit donner, de l'œconomie temporelle et domestique de Nostre Seigneur et de la conduite de sa famille, qui n'estoit composée que de trois, qui nous representent le mystere de la tres-sainte et tres-adorable Trinité.

  A006000597 

 Je sçay bien, vouloit-il dire, que si je me jette en la mer, je periray; mais toy, qui es tout-puissant, marcheras sur les eaux sans danger; c'est pourquoy je te supplie de te retirer de moy, et non pas que je me retire de toy..

  A006000597 

 Sentiment d'une humilité admirable, et laquelle fit escrier saint Pierre dans la nacelle où il [361] estoit avec Nostre Seigneur, lors qu'il vid sa toute-puissance manifestée en la grande prise qu'il fît de poissons, au seul commandement qu'il leur avoit fait de jetter les filets dans la mer: O Seigneur, dit-il, tout transporté d'un semblable sentiment d'humilité que saint Joseph, retire-toy de moy, car je suis un homme pecheur, et partant ne suis pas digne d'estre avec toy.

  A006000598 

 Sur quoy les vierges et celles ou ceux qui veulent vivre chastement sont enseignés qu'il ne leur suffit pas d'estre vierges s'ils ne sont humbles, et s'ils ne resserrent leur pureté dans la boite pretieuse de l'humilité; car autrement il leur arrivera tout ainsi qu'aux folles vierges, lesquelles, faute d'humilité et de charité misericordieuse, furent rechassées des noces de l'Espoux, et partant furent contraintes d'aller aux noces du monde, où l'on n'observe pas le conseil de l'Espoux celeste qui dit qu'il faut estre humble pour entrer aux noces, je veux dire qu'il faut pratiquer l'humilité: car, dit-il, allant aux noces, ou estant invité aux noces, prenez la derniere place.

  A006000599 

 De mesme, les ames justes craignant de perdre le prix et la valeur de leurs bonnes œuvres, les resserrent ordinairement dans une boite; mais non dans une boite commune, non plus que les onguens pretieux, ains dans une boite d'albastre, telle que celle que sainte Magdelaine respandit ou vuida sur le chef sacré de Nostre Seigneur lors qu'il la restablit en la virginité non essentielle mais reparée, laquelle est quelquefois plus excellente, estant acquise et restablie par la penitence, que non pas celle qui n'ayant point receu de tare est accompagnée de moins d'humilité.

  A006000599 

 L'on ne tient pas les choses pretieuses, sur tout les onguens odoriferans, à l'air; car, outre que ces odeurs viendroyent à s'exhaler, les mousches les gasteroyent et feroyent perdre leur prix et leur valeur.

  A006000600 

 J'ay accoustumé de dire, que si une colombe (pour rendre la comparaison plus conforme à la pureté des Saints dont je parle) portoit en son bec une datte laquelle elle laissast tomber dans un jardin, diroit-on pas que le palmier qui en viendroit appartient à celuy à qui est le jardin? Or, si cela est ainsi, qui pourra douter que le Saint Esprit ayant laissé tomber ceste divine datte, comme un divin Colombeau, dans le jardin clos et fermé de la tres-sainte Vierge, jardin seellé, et environné de toutes parts des hayes du saint vœu de virginité et chasteté toute immaculée, lequel appartenoit au glorieux saint Joseph comme la femme ou l'espouse à l'espoux, qui doutera, dis-je, ou qui pourra dire que ce divin palmier qui porte des fruicts qui nourrissent à l'immortalité, n'appartienne quant et quant à ce grand saint Joseph, lequel pourtant ne s'en esleve point davantage, n'en devient point plus superbe, ains en devient tousjours plus humble?.

  A006000603 

 La force, c'est ce qui fait que l'homme resiste puissamment aux attaques de ses ennemis; mais la vaillance est une vertu qui fait que l'on ne se tient pas seulement prest pour combattre ni pour resister quand l'occasion s'en presente, mais que l'on attaque l'ennemy à l'heure mesme qu'il ne dit mot.

  A006000604 

 Le diable est tellement ennemy de l'humilité, parce que, manque de l'avoir, il fut dechassé du Ciel et precipité aux enfers (comme si l'humilité pouvoit mais dequoy il ne l'a pas voulu choisir pour compagne inseparable), qu'il n'y a invention ni artifice duquel il ne se serve pour faire decheoir l'homme de ceste vertu, et d'autant plus qu'il sçait que c'est une vertu qui le rend infiniment agreable à Dieu; si que nous pouvons bien dire: Vaillant et fort est l'homme qui, comme saint Joseph, persevere en icelle, parce qu'il demeure tout ensemble vainqueur du diable et du monde, qui est rempli d'ambition, de vanité et d'orgueil..

  A006000604 

 Mais quelle vaillance et quelle force ne tesmoigne-t'il pas en la victoire qu'il remporta sur les deux plus grands ennemis de l'homme, le diable et le monde? et cela par la pratique exacte d'une tres-parfaite humilité, comme nous avons remarqué, en tout le cours de sa vie.

  A006000604 

 Pour ce qui est de sa constance, combien je vous prie, la fit-il paroistre lors que voyant Nostre Dame enceinte, et ne sçachant point comment cela se pouvoit faire, mon Dieu, quelle detresse, quel ennuy, quelle peine d'esprit n'avoit-il pas? Neantmoins il ne se plaint point, il n'en est point plus rude ni plus mal gratieux envers son Espouse, il ne la maltraitte point pour cela, demeurant aussi doux et aussi respectueux en son endroit qu'il souloit estre.

  A006000605 

 Quant à la perseverance, contraire à cest ennemy interieur qui est l'ennuy qui nous survient en la continuation des choses abjectes, humiliantes, penibles, des mauvaises fortunes, s il faut ainsi dire, ou bien és divers accidens qui nous arrivent, ô combien ce Saint fut [366] esprouvé de Dieu et des hommes mesmes en son voyage! L'Ange luy commande de partir promptement et de mener Nostre Dame et son Fils tres-cher en Egypte, le voila que soudain il part sans dire mot; il ne s'enquiert pas: Où iray-je? quel chemin tiendray-je? de quoy nous nourrirons-nous? qui nous y recevra? Il part d'aventure avec ses outils sur son dos, à fin de gaigner sa pauvre vie et celle de sa famille à la sueur de son visage.

  A006000606 

 Si saint Paul a tant admiré l'obeissance d'Abraham lors que Dieu luy commanda de sortir de sa terre, d'autant que Dieu ne luy dit pas de quel costé il iroit, ni moins Abraham ne luy demanda pas: Seigneur, vous me dites que je sorte, mais dites-moy donc si ce sera par la porte du midy ou du costé de la bise, ains il se mit en chemin, et alloit selon que l'Esprit de Dieu le conduisoit, combien est admirable ceste parfaite obeissance de saint Joseph! L'Ange ne luy dit point jusques à quand il demeureroit en Egypte, et il ne s'en enquiert pas.

  A006000607 

 Dieu veut qu'il soit tousjours pauvre, qui est une des plus puissantes espreuves qu'il nous puisse faire, et il s'y sousmet amoureusement, et non pas pour un temps, car ce fut toute sa vie.

  A006000607 

 Et ne le voyez-vous pas? regardez comment l'Ange le tourne à toutes mains.

  A006000608 

 La pauvreté volontaire dont les Religieux font profession est fort aymable, d'autant qu'elle n'empesche pas qu'ils ne reçoivent et prennent les choses qui leur sont necessaires, defendant et les privant seulement des superfluités; mais la pauvreté de saint Joseph, de Nostre Seigneur et de Nostre Dame n'estoit pas telle, car encor qu'elle fust volontaire, d'autant qu'ils l'aymoyent cherement, elle ne laissoit pas pourtant d'estre abjecte, rejettée, mesprisée et necessiteuse grandement; car [368] chacun tenoit ce grand Saint comme un pauvre charpentier, lequel sans doute ne pouvoit pas tant faire, qu'il ne leur manquast plusieurs choses necessaires, bien qu'il se peinast avec une affection nompareille pour l'entretien de toute sa petite famille.

  A006000614 

 Certes, mes cheres filles, plusieurs filles entrent en Religion, qui ne sçavent pas pourquoy.

  A006000615 

 Posez le cas qu'un architecte veuille bastir une maison; il fait deux choses: premierement, il considere si son bastiment doit servir pour quelque particulier, pour un prince, ou bien pour un roy, à cause qu'il faut qu'il y procede de differente maniere; puis il calcule à loisir si ses moyens sont bastans pour cela, car qui se voudroit mesler de bastir une haute tour, et qu'il n'eust pas de quoy fournir son bastiment, on se mocqueroit de luy, d'avoir commencé une chose de laquelle il ne pourrait sortir à son honneur; puis il faut qu'il se resolve de ruiner le vieil bastiment qui est en la place où il en veut edifier un nouveau..

  A006000616 

 Mais quant à vous, mes cheres filles, il n'en va pas ainsi; car outre ceste commune obligation que vous avez avec tous les Chrestiens, Dieu, par un amour tout special, vous a choisies pour estre ses cheres espouses..

  A006000618 

 Mais, mou Dieu! me direz-vous, ce n'est pas cela que je cherchois; je pensois qu'il suffisoit pour estre bonne Religieuse, d'avoir desir de bien faire l'oraison, avoir des visions et revelations, voir des Anges en forme d'homme, estre ravie en extase, aymer bien la lecture des bons livres.

  A006000618 

 N'estoit-ce pas estre bien humble de parler si doucement à ses compagnes des choses de devotion, raconter les sermons estant chez soy, traiter doucement avec ceux du logis, sur tout quand ils ne contredisoyent point? Certes, mes cheres filles, cela estoit bon pour le monde; mais la Religion veut que l'on fasse des œuvres dignes de sa vocation, c'est à dire, mourir à soy-mesme en toutes choses, tant à ce qui est bon à nostre gré [374] qu'aux choses mauvaises et mutiles.

  A006000619 

 Et comme il ne faut pas que le laboureur se fasche, puisqu'il ne merite pas d'estre blasmé pour n'avoir point recueilli une bonne prise, pourveu neantmoins qu'il ayt eu soin de cultiver bien la terre et de la bien ensemencer, de mesme le Religieux ne doit point se fascher s'il ne recueille pas si tost les fruicts de la perfection et des vertus, pourveu qu'il ayt une grande fidelité de bien cultiver la terre de son cœur, en retranchant ce qu'il apperçoit estre contraire à la [375] perfection à laquelle il s'est obligé de pretendre, puisque nous ne serons jamais parfaitement gueris que nous ne soyons en Paradis..

  A006000620 

 La Religion tolere bien que nous apportions nos mauvaises habitudes, passions et inclinations, mais non pas que nous vivions selon icelles.

  A006000620 

 Quand vostre Regle vous dit « que l'on demande les livres à l'heure assignée, » pensez-vous que ce soit pour l'ordinaire ceux qui vous contentent le plus que l'on vous donne? Nullement, ce n'est pas là l'intention de la Regle; et ainsi des autres exercices.

  A006000620 

 Remarquez que je dis faire, car l'on n'acquiert [376] pas la perfection en croisant les bras; il faut travailler à bon escient à se dompter soy-mesme, et vivre selon la raison, la Regle et l'obeissance, et non pas selon les inclinations que nous avons apportées du monde.

  A006000621 

 Bien-heureux serons-nous si un quart d'heure devant que mourir nous nous trouvons revestus de ceste robbe! Toute nostre vie sera bien employée si nous l'occupons à y coudre tantost une piece, tantost une autre; car ce saint habit ne se fait pas avec une piece seulement, il est requis qu'il y en ayt plusieurs.

  A006000621 

 Vous estimez peut estre que la perfection se doit trouver toute faite, et qu'il ne faille faire autre chose que de la mettre sur nostre teste comme une autre robbe; nenny, mes cheres filles, nenny, il n'en va pas ainsi.

  A006000622 

 Je vous ay dit plusieurs fois que la Religion est une escole où l'on apprend sa leçon: le maistre ne requiert pas tousjours que les escoliers sçachent sans faillir leur leçon, il suffit qu'ils ayent attention de faire leur possible pour l'apprendre.

  A006000622 

 La Religion ne fait pas grand triomphe de façonner un esprit tout fait, une ame douce et tranquille en elle-mesme; mais elle estime grandement de reduire à la vertu les ames fortes en leurs inclinations, car ces ames-là, si elles sont fidelles, elles passeront les autres, acquerant par la pointe de l'esprit ce que les autres ont sans peine..

  A006000622 

 Vos passions parfois vous font teste, et pour cela vous direz: Je ne suis pas propre pour la Religion à cause que j'ay des passions; non, mes cheres filles, il n'en va pas ainsi.

  A006000622 

 Voyez-vous pas tous les jours les personnes qui apprennent à tirer des armes? ils tombent souvent; de mesme en font ceux qui apprennent à monter à cheval: mais ils ne se tiennent pas pourtant vaincus, car autre chose est d'estre quelquefois abbatus, et autre chose absolument vaincus.

  A006000623 

 Je luy diray: tourne, retourne, creve si tu veux; si ne feray-je rien en ta faveur, non pas seulement prononcer une parole selon ton mouvement.

  A006000623 

 On ne requiert pas de vous que vous n'ayez point de passions; il n'est pas en vostre pouvoir, et Dieu veut que vous les ressentiez jusques à la mort pour vostre plus grand merite; ni mesme qu'elles soyent peu fortes, car ce seroit dire qu'une ame mal habituée ne peut estre propre à servir Dieu.

  A006000624 

 Ces deux jeunes ames que voicy, dont l'une passe un peu seize ans, l'autre n'en a que quinze, elles ont peu à tuer; aussi leur [379] esprit n'est pas quasi né: mais ces grandes ames qui ont experimenté plusieurs choses et ont gousté les douceurs du Paradis, c'est à elles à qui appartient de bien tuer et aneantir leurs passions..

  A006000627 

 Dieu nous attire par des attraits particuliers, chacun a le sien special, nous ne sommes pas toutes tirées par un mesme chemin.

  A006000627 

 Il n'appartient pas à nous autres, qui sommes inferieurs, de juger de nos attraits particuliers; cela est du devoir des Superieurs, et pour cela la direction particuliere est ordonnée.

  A006000627 

 Mais prenez garde que s'il vous vient quelque goust interieur et caresse de Nostre Seigneur, de ne vous y attacher pas; c'est comme un peu d'anis confit que l'apothicaire met sur la potion amere du malade: il faut que le malade avale la medecine bien amere, pour sa santé, et bien qu'il prenne de la main de l'apothicaire ces grains sucrés, il faut par necessité qu'il ressente par apres les amertumes de la purgation..

  A006000632 

 Si Dieu venoit à moy, j'irais aussi à luy; s'il ne vouloit pas venir à moy, je me tiendrais là et n'irais pas à luy..

  A006000632 

 Si j'estois robuste je ne mangerois pas quatre fois le jour; mais si on me faisoit manger quatre fois, je le ferois et ne dirais rien.

  A006000634 

 Vous me dites, s'il ne faut pas desirer les vertus, et que Nostre Seigneur a dit: Demandez, et il vous sera donné.

  A006000635 

 Mais pour l'employ exterieur, ne pourroit-on pas, dites-vous, desirer les charges basses parce qu'elles sont plus penibles et qu'il y a plus à faire et à s'humilier pour Dieu? Ma fille, David disoit qu'il aymoit mieux estre abject en la maison du Seigneur, que d'estre grand parmi les pecheurs; et: Il est bon, Seigneur, dit-il, que vous m'ayez humilié, à fin d'apprendre vos justifications. Or neantmoins, ce desir est fort suspect et peut estre une cogitation humaine.

  A006000637 

 Elle voit Nostre Seigneur dans sa maison, comme souverain Medecin, mais elle ne le regarde pas comme tel, si peu elle pensoit à sa guerison; ains elle le consideroit comme son Dieu, à qui elle appartenoit tant saine que malade, estant aussi contente malade que possedant une pleine santé.

  A006000637 

 Je veux pas dire pourtant qu'on ne la puisse bien demander à Nostre Seigneur, comme à Celuy qui nous Peut donner, avec ceste condition, si telle est sa volonté; car nous devons tousjours dire: Fiat voluntas tua..

  A006000637 

 Mais ce qui est encore plus admirable, c'est qu'elle le voit dans sa maison, où il la regarde et elle le regarde aussi; et si, elle ne luy dit pas un seul mot de son mal pour l'exciter à avoir pitié d'elle, ni ne s'empresse à le toucher pour estre guerie.

  A006000638 

 Au reste, elle n'est pas comme ces personnes du monde qui ayant une maladie de quelques jours, il leur faut les semaines et les mois pour les refaire..

  A006000638 

 Il ne suffit pas d'estre malade et d'avoir des afflictions puisque Dieu le veut; mais il le faut estre comme il le veut, quand il le veut, autant de temps qu'il veut et en la façon qu'il luy plaist que nous le soyons, ne faisant aucun choix ni rebut de quelque mal ou affliction que ce soit, tant abjecte ou deshonnorable nous puisse-t'elle sembler; car le mal et l'affliction sans abjection enfle bien souvent le cœur au lieu de l'humilier.

  A006000639 

 Chose estrange! il n'ignoroit pas que c'estoit un breuvage qui augmentoit sa peine; neantmoins il le prit tout simplement, sans rendre tesmoignage que cela le faschoit ou [387] qu'il ne l'eust pas trouvé bon; pour nous apprendre avec quelle sousmission nous devons prendre les remedes et viandes présentées, quand nous sommes malades, sans rendre tant de tesmoignages que nous en sommes dégoustés et ennuyés, voire mesme quand nous serions en doute que cela accroistroit nostre mal.

  A006000639 

 Helas! si nous avons tant soit peu d'incommodité nous faisons tout au contraire de ce que nostre doux Maistre nous a enseigné, car nous ne cessons de nous lamenter, et ne trouvons pas assez de personnes, ce semble, pour nous plaindre et raconter nos douleurs par le menu.

  A006000640 

 Il n'est pas escrit qu'il estendist jamais ses mains pour avoir les mammelles de sa Mere, il se laissoit tout à fait à son soin et prevoyance; aussi ne refusoit-il pas tous les petits soulagemens qu'elle luy donnoit.

  A006000730 

 Et qu'y ferois-je, ma fille? pas si bien que vous sans doute, car je ne [397] vaux rien; mais il me semble qu'avec la grace de Dieu, je me tiendrois si attentif à la pratique des petites et menues observances qui sont introduites ceans, que par ce moyen je tascherois de gaigner le cœur de Dieu.

  A006000731 

 O ma chere fille Simplicienne, il le faut bien faire le mieux que nous pourrons: [398] n'est-il pas vray que nous nous sommes faites Religieuses pour cela nous deux? Je suis certes bien aise qu'il y ayt une Sœur ceans qui veuille tenir ma place et estre Religieuse pour moy, mais j'ayme bien que ce soit ma Sœur Claude Simplicienne, car je l'ayme bien ma Sœur Claude Simplicienne..

  A006000732 

 Mais il ne nous faut pas estonner de nos fautes, car que pouvons-nous sans l'ayde de ce bon Dieu? rien du tout.

  A006000733 

 Je me tiendrais bien bas et petit, je m'humilierois et ferois les pratiques selon les rencontres; et si je ne m'estois pas humilié, je m'humilierois au moins de ce que je ne me serois pas humilié.

  A006000738 

 Et que c'est que je ferois? Je n'en sçay rien: qu'en peux-je sçavoir? Je ne ferois pas si bien que vous, car je suis un poltron, je ne vaux rien moy; [397] mais il m'est advis qu'avec la grace de Dieu, je me rendrois si attentif à la pratique des vertus et menues observances qui sont introduites là dedans, que par ce moyen je tascherois de gaigner le cœur de Nostre Seigneur.

  A006000738 

 Je ferois bien le silence, et parlerois aussi quelquefois au silence, je veux dire tousjours quand la charité le requerroit, mais non pas autrement.

  A006000739 

 O cela il nous le faut bien faire le [398] mieux que nous pourrons, car à ceste heure, nous deux nous nous faisons Religieux pour cela: n'est-il pas bien vray? Je suis bien aise qu'il y ayt une Sœur Claude Simplicienne, car je l'ayme de tout mon cœur ma Sœur Claude Simplicienne.

  A006000739 

 Voulons-[nous] pas bien faire nous deux? Taschons de faire du mieux que nous pourrons..

  A006000741 

 Et tousjours je tascherois le mieux que je pourrois de faire toutes mes actions en la presence de Dieu, avec le plus d'humilité et d'amour qu'il me seroit possible, car on apprend ceans à faire ainsi, n'est-il pas vray? Et qu'avons-nous à faire nous autres que cela? [399] rien du tout.

  A006000741 

 Je m'humilierois en faisant les pratiques de vertu et d'humilité mesmes, selon les rencontres; et si je ne sçavois pas m'humilier, je m'humilierois encore de ce que je ne sçaurois pas m'humilier.

  A006000742 

 Je lirois bien souvent le chapitre De l'Humilité et De la Modestie: et vous, ne les lisez-vous pas bien souvent? Quelquefois? Nous ferons prou, je le sçay bien moy, et Dieu nous aydera.

  A006000748 

 C'est pourquoy il ne faut pas s'arrester là, ains passer au second degré, qui est la [400] recognoissance; car il y a difference entre cognoistre une chose et la recognoistre..

  A006000748 

 Ceste humilité icy, si elle ne passe pas plus avant, elle n'est pas grande chose, et en effect elle est fort commune; car il se trouve peu de personnes qui vivent avec tant d'aveuglement qu'ils ne cognoissent assez clairement leur vileté, pour peu de consideration qu'ils fassent; mais neantmoins, si bien ils sont contrains de se voir pour ce qu'ils sont, ils seroyent extremement marris si quelqu'autre les tenoit pour tels.

  A006000750 

 Le troisiesme degré est d'avouer et confesser nostre vileté et abjection quand les autres la descouvrent: car souventesfois nous disons bien nous-mesmes, voire avec sentiment, que nous sommes pervers et miserables, mais nous ne voudrions pas qu'un autre nous devançast en ceste declaration; et si l'on le fait, non seulement nous n'y prenons pas plaisir, mais de plus nous nous en piquons, qui est une vraye marque que nostre humilité n'est pas parfaite ni de la fine.

  A006000751 

 Le quatriesme c'est d'aymer le mespris et se resjouïr quand on nous deprime et avilit; car, quelle apparence de tromper l'esprit d'autruy? il n'est pas raisonnable.

  A006000762 

 Il luy fut respondu qu'elle recognust ce qu'elle estoit, parce que si elle ne se recognoissoit, il ne demeureroit pas avec elle..

  A006000762 

 Le plus ordinaire sejour de l'ame devote doit estre au pied de la Croix de Nostre Seigneur, car l'on obtient davantage de Dieu par le chemin de l'humilité et reverence; et il ne se faut pas trop avancer par la voye de la confiance, de peur qu'il ne nous arrive comme à l'Espouse, qui pria son Amy de luy monstrer le lieu où il reposoit sur le midy.

  A006000765 

 Il ne faut pas desirer d'estre delivré de ses imperfections, sinon parce qu'elles desplaisent à Dieu; car il est bon, pour nous tenir en humilité et resignation, que sa volonté soit faite ou nous les ostant ou nous les laissant, pourveu qu'il soit glorifié en icelles..

  A006000766 

 Il ne se faut pas humilier pour estreexalté, mais il se faut humilier parce que Dieu s'est humilié.

  A006000771 

 Quand nous avons ouy la parole de Dieu, il nous faut prendre garde de n'estre pas comme le panier qu'on tire de l'eau..

  A006000772 

 Il se faut resoudre de se voir miserable toute sa vie et de combattre toutes ses imperfections sans en excepter pas une, ni un seul moment, et se resoudre encor de commencer tous les jours de sa vie sans en laisser pas un seul.

  A006000775 

 Ce n'est pas humilité de se recognoistre miserable, c'est seulement n'estre pas beste; mais c'est humilité de vouloir et desirer que l'on nous tienne et que l'on nous traitte pour tels..

  A006000776 

 Il ne faut pas desirer d'arriver à la perfection tout à coup; il faut aller le chemin commun et ordinaire, qui est le plus seur..

  A006000779 

 Aussi saint Paul disoit: Encor que ma conscience ne me remorde de rien, si ne suis-je pas pourtant juste; [404] et Job disoit: Si je suis simple et juste, mon ame ne le peut sçavoir.

  A006000779 

 Il ne faut jamais penser qu'on aye bien fait une action, encor que nous l'ayons faite avec toute la perfection qu'il nous a esté possible, parce que nous ne sçavons pas ce qu'elle est devant Dieu; la propre volonté ne vaut rien devant luy.

  A006000779 

 Il ne faut pas pourtant vouloir aller par une autre voye que celle qu'il plaist à Dieu nous conduire, soit à pied, soit en barque; mais il faut avoir ceste resolution de se monstrer fidelle aux occasions, car nous sommes des geans à pecher et des nains à bien faire.

  A006000780 

 Les mortifications qui ne sont point apprestées à la sauce de nostre propre volonté sont les meilleures et plus excellentes, et aussi celles que l'on rencontre par les rues sans y penser et que l'on ne cherche pas, et celles qui nous sont journalieres quoy que petites..

  A006000786 

 Il y a des heretiques en la charité comme il y en a en la foy: ce sont ceux qui veulent bien observer quelqu'un des commandemens, mais non pas tous.

  A006000789 

 La cause pourquoy nous ne faisons pas nostre profit de l'usage frequent des Sacremens c'est parce que nous n'y portons pas un esprit vuide et despouillé, et qu'apres les avoir receus nous nous retournons endormir en nos miseres..

  A006000790 

 Il ne se faut pas despouiller pour demeurer nud, mais il se faut despouiller de nous-mesme pour se revestir de Dieu..

  A006000790 

 Il nous faut bien recognoistre nostre neant, mais il n'y faut pas demeurer, car nous ne nous aneantissons que pour nous unir à nostre tout qui est Dieu.

  A006000809 

 Et comme nous persistions à luy dire qu'il en serait incommodé, il nous dit: « Je suis trop bien, ne vous mettez pas en peine, conservez la paix du cœur.

  A006000809 

 » Et nous [407] dit avec une façon si pleine d'humilité et de douceur: « Je voy bien que vous avez envie de vous defaire de moy; mais, je vous prie, permettez que je loge là, et ne vous mettez nullement en peine que je ne sois pas bien; car en verité je couche à Neci dans une chambre qui est dix fois plus froide que celle-là.

  A006000810 

 Il faut avoir un amour solide qui ne depende point de ces tendretés; le vray amour ayme autant loin que pres, et ne s'attache pas à ce qui est d'humain; en fin la grace ne produit point tout cela.

  A006000810 

 Si bien il est dit que sainte Therese pleuroit beaucoup à la mort de quelque serviteur de Dieu, elle ne doit pas estre imitée en cela, car il faut seulement imiter les vertus des Saints.

  A006000810 

 « Je le veux bien, » dit-il, « mais il faut attendre que nostre Mere y soit.» Il s'estendit fort à parler du desnuement qu'il faut avoir en ces changemens-là: « Bien des larmes, » dit-il, « qui se jettent en ce temps-là, ne proviennent que d'amour propre, de flatterie et de la crainte que l'on a qu'on ne pense que l'on n'est pas de bon naturel et que l'on n'ayme pas assez; et tout cela ne sont que des petites dissimulations, où il y peut avoir du mensonge aussi bien qu'en nos paroles.

  A006000811 

 Il nous dit encore ensuite: « Le bonheur d'un Ordre ne depend nullement d'un chef, cela se void tous les jours par experience; et ceux qui en ont eu, et de si excellens, n'ont pas delaissé de se relascher.

  A006000812 

 Nous luy demandasmes comme il se falloit comporter pour les affaires temporelles, veu que tout le monde nous portoit à nous y affectionner et attacher; et que si nous voulions nous en desprendre, tous nous contrarioyent en cela, et que l'on me mettoit au devant les monasteres bien bastis et rentés, que le nostre ne l'estoit pas.

  A006000813 

 Le soin des Superieures, leur devotion et leur esprit doit suppleer à tout ce qui n'est pas escrit.

  A006000814 

 Il nous dit que non, et qu'il aymoit mieux que la maison fust incommodée et eust besoin de quelque chose, que de permettre aux filles ces affections qui ne nourrissent que trop leur amour propre, non pas mesme pour la sacristie, quoy qu'elle fust pauvre.

  A006000814 

 Que s'ils donnoyent, il falloit recevoir humblement, et ne rien demander, non pas mesme desirer, si ce n'est en quelque occasion rare et particuliere; il est tousjours mieux de se tenir en la pauvreté..

  A006000815 

 Et je luy dis que j'avois souvent du scrupule et remords de conscience de ce que je n'estois pas assez ferme pour les choses temporelles, craignant que les parens ne donnassent pas assez à leurs filles par [410] ma faute et que la maison ne fust pauvre.

  A006000815 

 Il me dit: « Ne vous mettez pas en peine pour cela.

  A006000815 

 Il se faut priver des biens, non pas par desdain ni mespris, mais par abnegation.

  A006000816 

 Il me dit apres: « Nostre Mere desire que j'escrive sur les maximes du Fils de Dieu; je les honnore, je les revere et les respecte de tout mon cœur, mais je ne les pratique pas.

  A006000817 

 » Mais si l'on n'est pas asseuré si ceux à qui on la fait sont de vrays pauvres? « Il est tousjours bon toutesfois de donner l'aumosne.

  A006000818 

 Et qu'ont à faire les servantes de Dieu d'estre importunées de mes infirmités? n'est-il pas mieux cent fois qu'elles demeurent en leur quietude et repos, que d'estre employées dans le tracas? Voyez-vous, ma fille, il est grandement important de ne point donner ceste ouverture aux confesseurs.

  A006000818 

 Je ne voudrais pas pourtant que vous commençassiez par celuy que vous avez maintenant; il est si bon et facile, qu'à mon advis il n'y a point de difficulté avec luy.

  A006000818 

 Luy parlant s'il trouvoit bon qu'en nos maisons on nourrist les confesseurs, il respondit: « Pour moy, si j'estois confesseur de Sainte Marie, ce que je ne merite pas (il est vray que je ne le merite pas; ce bien seroit le plus grand bonheur pour moy que je peusse jamais esperer, que de me voir confesseur de la Visitation et deschargé de toute autre chose), mais si cela estoit, j'aymerois mieux me nourrir comme je pourrois, que de donner l'incommodité aux Religieuses de m'apprester mes repas, et leur donner cognoissance de mes imperfections quand je serais ennuyé, degousté et un peu difficile aux viandes.

  A006000819 

 Il est vray, ma fille, que je ne trouve jamais à redire aux viandes, tant que je puis, sinon quelquefois qu'elles sont trop bonnes: ne faut-il pas faire ainsi, ma fille? Vous craignez qu'il ne fasse mal au cœur de nos Sœurs, de manger des entrées de table [411] faites des restes; il me fait mal à moy d'en entendre parler, mais d'en manger, jamais..

  A006000820 

 La premiere, c'est que vostre cingule est trop beau, il n'est pas assez simple; il suffit qu'il y ayt deux rubans avec le grand cordon, les autres sont superflus.

  A006000820 

 O Dieu, est-il possible qu'on prenne si mal les choses, et qu'on suive si fort ses inclinations! N'ont-elles point remarqué en tant d'endroits des Constitutions, la tranquillité qui leur est tant recom mandée, laquelle ne se doit jamais perdre pour chose que ce soit? J'ay remarqué ces affections à nos Sœurs d'Annessy: quand elles ont des charges, elles ne voudroyent pas que rien leur manquast, et quand elles ne les ont plus, elles ne s'en soucient pas.

  A006000821 

 Il respondit: « Il est vray, vous avez raison; quand les Superieures se tiennent bien unies avec Dieu, il ne manque pas de les enseigner.

  A006000821 

 Nous luy dismes un jour que nous craignions qu'il y eust bien du danger, quand les Superieures n'auroyent pas l'esprit de la Regle, « Que feriez-vous là? si elles sont fidelles à les observer, Dieu le leur donnera avec le temps.

  A006000821 

 » Il dit encor qu'il luy faschoit grandement quand on faisoit election d'une Superieure qui n'avoit pas la vertu et capacité requise pour sa charge.

  A006000821 

 » Nous luy dismes: Monseigneur, il me semble qu'ayant confiance en Dieu il ne manque pas de donner la lumiere pour les charges, et que la charité est toute chose.

  A006000824 

 Il respondit: « Nos paroles ne font pas des miracles; il faut s'adonner à la pratique que les Constitutions nous enseignent: elles disent prou comme il faut faire, mais les filles ont tant de petites volontés, qu'elles ayment mieux suivre qu'obeir! Et que faire là? Il faut laisser pleurer les filles et tesmoigner les affections qu'elles ont, car elles penseroyent qu'on croiroit qu'elles n'ont point d'amour, si elles ne tesmoignoyent tout cela, qui n'est que foiblesse de filles..

  A006000825 

 Il ne faut rien dire ni faire pour estre aymés ni estimés des creatures, ni pour estre mesprisés, et faut croire que si les creatures ne nous ayment pas icy bas, elles nous aymeront au Ciel où nous nous verrons tous.

  A006000827 

 Il dit qu'il apprenoit en la theologie, qu'il ne le falloit pas faire, mais que nous le pouvons sans qu'il y eust de mal; que la methode qu'on nous avoit donnée nous le permet parce que nous ne sçavons pas discerner quand il y a du peché, c'est pourquoy nous donnons une generalité.

  A006000827 

 Mais que pour les confessions ordinaires il n'en faut pas beaucoup dire; le plus, deux ou trois.

  A006000828 

 Il ne se faut pas mettre en peine de cela, car nous n'avons pas une perfection qui soit exempte d'amour propre qui ne nous fasse faire au moins quelque faute par cy par là; il ne s'en faut nullement estonner.

  A006000829 

 Ce n'est pas chose contraire à la bonne volonté de retourner tousjours aux mesmes fautes, pourveu que ce ne soit pas volontairement.

  A006000829 

 « Il ne faut pas avoir un sentiment qui nous fasse jetter des larmes, mais un desplaisir d'avoir offencé Dieu.

  A006000830 

 De se rire un peu d'une Sœur, de dire quelque parole qui la mortifie un peu, [il n'y a point de mal,] pourveu que cela ne l'attriste pas, car il ne le faudrait pas faire; mais si cela arrivoit, il ne s'en faut pas confesser, quand on l'aurait fait par simple recreation.

  A006000830 

 Et quand bien mesme on n'aurait pas pensé de la faire pour Dieu, il n'en faudrait point recevoir de scrupule, car l'intention generale suffit, quoy que pourtant au commencement il faut tascher de la dresser.

  A006000830 

 Il n'y aurait point de mal quand bien on aurait passé toute une recreation à parler de choses indifferentes, les paroles n'en serayent pas inutiles; il ne faut pas tousjours parler de choses bonnes.

  A006000830 

 Il se faut bien recreer, et ne pas tenir tousjours l'esprit bandé, car il seroit dangereux de devenir triste et melancolique.

  A006000830 

 Les propos saintement joyeux sont quand il n'y a point de mal en ce que l'on dit, et qui ne regarde point l'imperfection d'autruy, car cela il ne le faut pas faire, ni parler du monde et de choses messeantes.

  A006000830 

 Pour les paroles inutiles, à la recreation il ne s'en dit pas; tout ce qui se dit par recreation n'est pas inutile.

  A006000830 

 Quand nous tendons à la perfection, il faut tendre au blanc, et ne se pas mettre en peine quand nous ne rencontrons pas.

  A006000831 

 Quand nous avons des pensées de mesestime contre le prochain, il n'y a point de mal quand nous ne les rejettons pas faute d'attention; suffit que nous les rejettions quand nous nous en appercevons.

  A006000831 

 Si on le fait, ne vous en mettez pas en peine, non plus que si on vous mesprisoit, et n'amusez point vostre esprit à tout cela..

  A006000831 

 [414] Et quant à ce que vous me demandez s'il faut laisser de dire ses peines ou quelque chose qui feroit voir du bien en nous, crainte que vous avez de ne le pas sçavoir dire, et que vous donnez plustost suget de vous faire estimer que de vous accuser: ô ma fille, il se faut tousjours descouvrir naïfvement et simplement, tant du bien du mal, pourveu que vous n'ayez pas intention de vous faire estimer.

  A006000832 

 Il faut suivre les discours quand Nostre Seigneur nous y attire, mais il faut tascher de nous advancer à la perfection par la voye la plus simple et n'estre pas si fine.

  A006000832 

 Il n'est pas mal de revenir quelquefois sur soy-mesme, pourveu que ce soit pour nous humilier, comme de penser en nostre ingratitude, mais il faut tousjours se tourner à Dieu; car, comme je dis en quelque lieu, ce n'est pas proprement faire oraison, que de tousjours reflechir sur soy, puisque l'oraison est une eslevation de nostre esprit en Dieu pour s'unir à luy.

  A006000832 

 Il ne faut point s'estonner quand nous ne nous tenons pas en ceste sainte presence comme nous desirerions.

  A006000832 

 Il suffit de faire toutes vos actions pour Dieu tout simplement; et quand mesme vous n'auriez pas pensé de dresser vostre intention avant que de faire et commencer vostre action, il suffit de le faire apres, et n'en recevez aucun scrupule: l'intention generale que nous faisons le matin suffit.

  A006000832 

 Ma chere fille, le desir des choses eternelles doit accoiser vostre esprit, [415] sans vous soucier d'avoir du sentiment; et mesme l'on doit croire qu'on n'est pas digne de l'avoir..

  A006000832 

 Nous ne pouvons pas avoir une continuelle presence de Dieu, cela n'appartient qu'aux Anges; il suffit de nous y tenir tant qu'il nous sera, possible, et d'eslever souvent nostre esprit en Dieu: je n'entens pas d'avoir tousjours l'esprit bandé.

  A006000832 

 On est bien heureux d'avoir ceste sainte affection de servir à Dieu, et ne faut point faire d'estat de n'avoir pas le sentiment que nous desirerions en son service.

  A006000832 

 Que si ce que nous faisons nous tire hors de nostre attention à Dieu, et qu'il soit necessaire, il ne s'en faut pas mettre en peine.

  A006000832 

 Si bien vous faites des fautes par le mouvement de vostre sentiment, n'y regardez pas de si pres, et vous destournez de toutes ces reflexions; il faut tendre au blanc de la perfection, et ne pas s'estonner si nous ne rencontrons pas selon nostre desir.

  A006000833 

 Allez tout simplement, sans croire que vous vous servez du pretexte de l'obeissance pour vous satisfaire; quand vostre volonté n'y est pas il n'y a nul danger, c'est trop subtiliser..

  A006000833 

 Encore qu'il semble qu'on aye de la sensualité à manger, il n'est pas mal de le faire.

  A006000834 

 Et ne dites jamais que vous ne pouvez pas faire quelque chose, car nous pouvons tousjours quand nous voulons: ce seroit dire que Nostre Seigneur eust mis quelque impossibilité, ce qui n'est pas.

  A006000834 

 Il ne me fasche pas que l'on dorme à l'oraison, pourveu que l'on fasse ce que l'on peut pour se resveiller.

  A006000837 

 L'accusation de nous-mesme ne nous sert de rien quand nous ne pouvons pas supporter d'estre reprise; et si volontairement nous n'aymons pas qu'on voye nos defauts, ce n'est qu'amour propre.

  A006000838 

 Ma fille, ne vous privez pas de la Communion par amertume de cœur, mais quand vous sentez cela, il s'en faut approcher pour se fortifier, et s'unir à Dieu par l'esprit de douceur.

  A006000839 

 La fidelité de l'ame envers Dieu consiste à estre parfaitement resignée à sa sainte volonté, à endurer patiemment tout ce que sa [416] Bonté permet nous arriver, faire tous nos exercices en l'amour et pour l'amour, et sur tout l'oraison, en laquelle il se faut entretenir avec Nostre Seigneur fort familierement de nos petites necessités, les luy representer et luy demeurer sousmise en tout ce qui luy plaira faire de nous; estre bien obeissante, faire tout ce que l'on nous commande, de bon cœur, encor que nous y sentions de la repugnance; estre fidelle à partir si tost que la cloche nous appelle, et rejetter les distractions qui nous arrivent en l'oraison et à l'Office; conserver une grande pureté de cœur, car c'est là où Dieu habite, et non pas dans les cœurs pleins de vanité et de presomption d'eux-mesmes, au contraire il les chastie et punit rigoureusement.

  A006000840 

 O Dieu, ne faites pas ceste faute de regarder les imperfections des Sœurs, car cela retarderoit beaucoup vostre perfection et ferait beaucoup de dommage à vostre ame..

  A006000840 

 Quand nous regardons à escient les imperfections des autres, ô Dieu, ma chere fille, cela est bien mal, il ne le faut pas faire; mais quand quelquefois nous les voyons, il s'en faut destourner, et penser tout doucement au Paradis et aux perfections de Dieu et de Nostre Seigneur, de Nostre Dame et des Saints et Saintes et des Anges, et quelquefois nous regarder nous-mesme, nostre indignité et nostre bassesse; et quand ces pensées nous viennent, nous nous devons humilier et aneantir jusques au centre de la terre, voyant que nous ne sommes que des petits vermisseaux, et nous voulons esplucher les actions des autres qui sont les espouses de Nostre Seigneur! Nous devons bien faire voir à nostre cœur sa foiblesse, nous faisant à nous-mesme une petite reprimande à fin d'estre sur nos gardes à l'advenir.

  A006000841 

 Quand on a de la peine de ne pas parler assez à la Superieure ou à la Maistresse, je conseille de le dire, et voudrois qu'on m'en donnast une bonne penitence; mais le vray moyen d'empescher tout cela est de s'attacher au Createur et non pas à la creature..

  A006000842 

 Toutes-fois, je conseille de ramener son esprit par consideration, parmi la journée si l'on peut; mais de penser à ses pechés pendant le temps de l'oraison, il ne le faut pas faire.

  A006000843 

 Il n'est pas en nostre pouvoir de l'avoir actuellement, si ce n'est par une grace particuliere.

  A006000844 

 Ce seroit mal fait de parler du monde et de soy toute une recreation; pour une fois ou deux, un mot ou deux pour divertir une Sœur, il n'y a point de mal, il ne s'en faut pas confesser.

  A006000845 

 Ne vous estonnez point des tentations; tenez-vous comme un vray neant; vuidez vostre cœur de toutes les affections mondaines et y gravez Nostre Seigneur crucifié; rendez-luy grace de vostre vocation et resolvez-vous d'obeir, car possible ne commanderez-vous jamais; et ne faites pas comme plusieurs qui disent: Je ne voudrois pas estre Superieure, mais tenez-vous tousjours en la sainte indifference: ni rien desirer, ni rien refuser..

  A006000846 

 Il ne faut jamais dire que nous ne pouvons pas faire quelque chose, mais vous faites bien de dire qu'il vous semble; car on peut tout en la grace de Dieu, lequel ne nous laisse pas en nos necessités..

  A006000847 

 L'on peut tousjours porter son visage gay parmi les Sœurs; le mal qu'on sent ne l'empesche pas, si ce n'est quelquefois que l'on a les yeux abattus..

  A006000847 

 Les maladies du corps n'empeschent pas à la devotion, au contraire elles nous aydent, si nous les prenons de [418] la main de Dieu.

  A006000847 

 Pour l'oraison, il n'y a aucun danger de s'asseoir pour quelque temps quand la necessité le requiert, mais il n'y faudrait pas demeurer tout le temps de l'oraison; il ne faut pas avoir tant de tendretés, lesquelles sont dangereuses et nous nuisent bien en la voye de nostre salut.

  A006000849 

 Il ne faut pas pleurer inutilement, car si nous devons rendre compte des paroles inutiles, à plus forte raison des larmes jettées sans sujet.

  A006000852 

 Il faut avoir une grande constance en nos ennuis, car pendant que nous serons en ceste vie nous ne serons pas tousjours en mesme estat, cela ne se peut..

  A006000853 

 La vertu de nostre premiere offrande que nous avons faite en nous sacrifiant à Nostre Seigneur suffit, encore que nous n'ayons pas ceste attention à luy offrir tout ce que nous faisons.

  A006000853 

 Les sentimens ne sont point necessaires pour la perfection que nous desirons; car Nostre Seigneur estant au Jardin, delaissé de toute consolation, ne laissa pas pour cela d'accomplir la volonté de son Pere..

  A006000855 

 Il faut prendre les commodités necessaires à vostre corps, comme le chauffer, manger et vestir, avec actions de graces et humilité, et non pas avec ennuy d'esprit, et ne desirer point d'estre plainte en vos incommodités.

  A006000856 

 Conservez bien le desir que vous avez d'observer vos Regles, car elles sont toutes d'amour; ressouvenez-vous que vous ne manquerez pas de difficultés, mais ne perdez pas courage, esperez en Dieu, et vous jettez entre les bras de sa divine Providence.

  A006000858 

 Escoutez-les doucement sans les interrompre, car ce n'est pas mon intention, sinon à des personnes qui apportent beaucoup de nouvelles du monde, desquelles vous ne vous devez pas enquerir.

  A006000858 

 Il est vray qu'il est bon de couper court à toute sorte de devis, si ce n'est en ceux qui regardent le bien spirituel; si est-ce qu'il ne faut pas interrompre le pere ni la mere quand ils commencent un discours, mais lors qu'ils l'ont parachevé, il leur faut parler de choses bonnes pour leur consolation, sans toutesfois faire la suffisante.

  A006000860 

 Et puis cela est si peu de chose, qu'il ne faut pas y amuser son esprit, mais l'occuper à la vie eternelle..

  A006000866 

 Il importe grandement de nourrir les filles aux verités et clartés de la foy; encore qu'elles ayent de la peine, il ne faut pas laisser de les eslever à cela, et ne leur pas permettre de s'amuser à ces tendretés et sentimens qui ne sont rien moins que la vraye vertu.

  A006000868 

 L'humiliation n'est pas si mauvaise que nous pensons, elle ne nous fera pas tant de mal que nous pensons et qu'il nous semble; ne la craignons pas tant.

  A006000868 

 Ne vous estonnez pas de la vanité, combattez-là fidellement; pourveu que vous ne fassiez rien en suite, il n'y a point de mal..

  A006000869 

 C'est de faire toutes nos actions pour sa plus grande gloire, et avoir son cœur attentif à luy; et ne pensez pas pour cela qu'il faille estre tousjours à genoux.

  A006000870 

 Je ne suis pas venu au monde pour y apporter du tracas, j'y en trouve assez.

  A006000871 

 Il se trouve peu de filles qui ne soyent opiniastres; quand on fait rencontre d'une qui ne l'est pas, il la faut tenir bien chere.

  A006000872 

 Or, pour le froid, sçavez-vous quand il le faut souffrir? c'est quand la Superieure vous envoye au jardin cueillir des herbes et que vous fussiez en danger que les mains vous gelassent sur la plante; il ne faudrait pas laisser de le faire, parce que c'est l'obeissance..

  A006000873 

 Il faut avoir un grand support de nos Sœurs et les ayder et soulager [en] tout ce que nous pouvons, et ne pas croire qu'elles ayent peu de mal, car ce n'est pas à nous à faire ce discernement..

  A006000874 

 Dieu ne nous demandera pas compte si nous avons dit beaucoup d'Offices, mais ouy bien si nous avons esté bien sousmis à sa volonté..

  A006000874 

 Nous n'irons pas au Ciel pour avoir bien chanté, mais si ferons bien pour avoir obei.

  A006000875 

 Voyez-vous, ma fille, par exemple, voila deux de nos Sœurs: l'une que vous aymerez bien, et l'autre à laquelle vous n'aurez pas tant d'inclination à l'aymer, et par ce moyen vous ne la regarderez pas de si bon cœur que l'autre que vous aymez bien; au contraire, si vous l'aymiez bien purement pour Dieu, vous regarderiez d'aussi bon cœur celle que vous n'aymez pas comme celle que vous aymez bien, et luy souhaiteriez autant de bien qu'à l'autre..

  A006000876 

 » Je ne fais pas grande difference d'une personne à une autre.

  A006000877 

 Luy parlant de la condescendance, comme il faisoit pour se rendre si facile à tout le monde, il nous dit: « Je n'ay pas grand peine à cela, il ne me fasche jamais de le faire, ouy bien quand je ne le fais pas; naturellement je n'ay pas mes volontés fortes, et puis ne faut-il pas estre ainsi condescendant au prochain? Je ne sçay point contraindre les inclinations; quand je voy qu'on desire quelque chose, je laisse faire.

  A006000878 

 Je fais plusieurs manquemens en la confession, mais pourtant je n'y en fais pas deux: je n'y suis point curieux et je ne dissimule point.

  A006000882 

 Il nous dit que ce qu'il avoit mis dans les Constitutions cela n'estoit pour autre cause que pour celles qui n'ont pas la confiance de le dire à elle-mesme, mais que les plus confidentes sont les meilleures..

  A006000883 

 « Ouy, ma fille, vous pouvez recevoir les filles qui ne sont pas lrgitimrs, et encore celles desquelles les parens ont esté executés pour quelque grand mal, car les filles n'en peuvent mais.

  A006000883 

 » Je luy dis que je n'avois jamais osé en recevoir une en ceste ville, à cause qu'on ne l'approuvoit pas.

  A006000884 

 « Non, il ne faut jamais permettre à nos Sœurs de quitter les Offices pour les ouvrages, non pas mesme pour la sacristie; l'on peut bien quelquefois leur faire quitter la lecture, mais rarement.

  A006000885 

 Il faut moderer l'avidité, et corriger les paroles aspres; pour moy je ne suis pas grand censureur.

  A006000887 

 Recevez charitablement les boiteuses, les bossues, les borgnes et mesme les aveugles, pourveu qu'elles soyent droittes d'intention, car elles ne laisseront pas d'estre belles et parfaites au Ciel.

  A006000896 

 Il respondit que non, que cela n'estoit pas contraire à la simplicité et qu'il estoit bon de le faire; mais que qui voudroit regarder leurs vertus pour esplucher celles qui sont plus vertueuses que les autres, ou à fin de censurer et murmurer de leurs vertus pour y trouver à redire, ce serait là où il y aurait du mal.

  A006000896 

 On luy demanda s'il n'estoit pas mieux et plus simple de regarder les vertus de Dieu que non pas celles des Superieures et des Soeurs.

  A006000897 

 Quand les inferieures cognoissent que la Superieure est un peu vaine et qu'elle se plaist à estre louée et aymée, elles la louent plustost à fin que la Superieure les ayme que non pas pour autre fin; mais si elles voyoient que la Superieure rechignast et fist mauvaise mine quand elles la louent, elles ne seroyent pas si promptes à le faire.

  A006000897 

 ne s'en faut pas estonner, parce que où il y a amas de filles il y a aussi amas de louanges et de flatteries..

  A006000897 

 « Ma fille, vous ne devez pas souffrir cela.

  A006000897 

 » Que faut-il donc faire, Monseigneur, quand on nous loüe? « Il s'en faut aller à Dieu et les laisser là; mais pour les inferieures, quand la Superieure loüe quelques bonnes actions qu'elles ont faites, il ne faut pas qu'elles s'en aillent; il est quelquefois necessaire de le faire, mais pour les Superieures elles ne doivent pas permettre cela en façon quelconque.

  A006000898 

 Ce n'est pas en Religion que l'on doit chercher et desirer les charges honnorables; les mondains et ceux qui sont à la Cour ne font autre chose que de courir apres les dignités et preeminences, aussi la Cour n'est faite que pour cela; mais quand cela arrive en Religion, c'est signe que l'on n'est pas bien desnué ni mortifié..

  A006000898 

 « Vous demandez si ce n'est pas une grande foiblesse de desirer [426] des charges et se mettre en peine quand on ne nous en donne point.

  A006000899 

 Il ne se faut pas mettre en peine quand nous sentirons des desirs en nous; tant que nous vivrons, nostre nature nous les produira.

  A006000900 

 Il ne faut doncques pas desirer les charges honnorables, cela empesche grandement l'union de nostre ame avec Dieu qui se plaist en la bassesse et humilité.

  A006000900 

 Il vaut mieux estre en sa cellule par obeissance, faisant un petit ouvrage, ou lisant, ou faisant que sçay-je moy quoy; et si on le fait avec plus d'amour que ne fait celle qui est à la cuisine, qui a beaucoup de peine et se brusle les yeux, si elle le fait avec moins d'amour, l'autre a plus de merite: car ce n'est pas par la multiplicité de nos œuvres que nous plaisons à Dieu, mais par l'amour avec lequel nous les faisons..

  A006000900 

 Vous demandez si on ne peut pas desirer des charges basses, parce qu'elles sont penibles, et semble qu'il y ayt plus à faire pour Dieu et plus de merite que de demeurer en sa cellule.

  A006000900 

 » Monseigneur, ce n'est pas seulement des charges honnorables, mais de toutes autres.

  A006000902 

 Ce n'est pas cela que je veux dire, Monseigneur, de regarder où il y a plus de merite; mais seulement parce qu'aux charges penibles il semble qu'il y ayt plus à faire pour Dieu que d'estre en sa cellule.

  A006000902 

 « Ce n'est pas par la grandeur de nos actions que nous plaisons à Dieu, comme j'ay desja dit, mais par l'amour avec lequel nous les faisons; car une Sœur qui sera en sa cellule, ne faisant qu'un petit ouvrage, meritera plus qu'une autre qui aura bien de la peine, si elle le fait avec moins d'amour.

  A006000903 

 Il ne faut pas desirer sa cellule quand on n'y peut pas estre, mais faire ce que l'on fait pour Dieu et retrancher de son esprit tous ces desirs.

  A006000903 

 Que si vous estes bien ayse par lascheté de courage de coudre en vostre cellule, à fin de n'avoir pas tant de peine, ce desir n'a pas une bonne fin.

  A006000904 

 Il est dangereux que l'amour propre nous le fasse dire, de crainte que nous avons de ne la pas bien faire, pour nous excuser quand nous viendrons à y manquer, à fin que l'on en soit adverti; cela est bien dangereux et suspect.

  A006000904 

 Je ne dis pas qu'absolument l'on [429] n'en parle point, mais qu'il est plus parfait de n'en rien dire, et se mettre en l'exercice.

  A006000904 

 O non, ma chere fille, il ne le faut pas dire, car cela seroit contraire à la simplicité.

  A006000904 

 Vous demandez si quand on ne se sent pas la force de faire une charge avec douceur d'esprit, parce que l'on y a beaucoup de repugnance, s'il le faudroit dire à la Superieure ou l'accepter tout simplement.

  A006000905 

 Mais vous demandez s'il ne faut pas dire les mouvemens de son cœur en rendant compte à la Superieure.

  A006000905 

 Ouy, il les faut dire tout simplement; mais pour toutes ces petites choses qui passent par l'esprit sans s'y arrester, je trouverois meilleur que l'on passast tout cela entre Dieu et soy, parce qu'il n'est pas digne d'attention.

  A006000906 

 Nostre Seigneur nous en a voulu donner l'exemple au jardin des Olives, voulant sentir des mouvemens contraires à sa partie superieure; bien que sa volonté fust conforme à celle de son Pere eternel, il ne laissoit pas de ressentir.

  A006000906 

 Vous demandez si les desirs quoy qu'involontaires ne nous retardent pas beaucoup de la perfection.

  A006000907 

 Vous demandez s'il ne seroit pas mieux de se divertir simplement, que de contester avec son esprit et s'opiniastrer à vouloir rejetter [la tentation].

  A006000908 

 Vous le pouvez, si vous le voulez, et dire: Je m'accuse d'avoir eu deux ou trois jours une tentation de vanité que je suis en doute de n'avoir pas rejettée.

  A006000909 

 Vous dites, Monseigneur, qu'il ne faut rien desirer; mais ne faut-il pas desirer l'amour de Dieu et l'humilité? car Nostre Seigneur a dit: Demandez et il vous sera donné, heurtez et il vous sera ouvert.

  A006000910 

 L'on demande si une Novice, d'abord qu'elle entre dans la maison, se jettoit dans ceste indifference de ne rien desirer ni refuser, s'il n'y aurait point à craindre que cela ne fust plustost par lascheté et negligence d'esprit qu'autrement, et si elle ne ferait pas mieux de s'adonner à l'humilité et autres vertus qui luy sont necessaires.

  A006000911 

 L'on demande si ce n'est pas une marque que nous suivons nostre sentiment de laisser de se mettre proche d'une Sœur à la recreation quand elle nous a advertie.

  A006000911 

 Pour les larmes, il y a des naturels qui ne s'en peuvent pas empescher, et nous sommes quelquesfois si ayses de pleurer, sur tout quand on nous change de Superieure, pour monstrer que ma Sœur une telle n'est pas desnaturée et qu'elle le ressent bien.

  A006000912 

 Les pechés veniels ne nous en desunissent pas, ains ils font une petite ouverture entre Dieu et l'ame; et par la vertu de ce Sacrement, nous reunissons nostre ame à Dieu et la remettons en son premier estat..

  A006000913 

 La seconde et troisiesme condition c'est d'y aller purement et charitablement; et au lieu de faire cela, l'on y porte bien souvent des ames toutes embrouillées et embarrassées, qui fait qu'elles ne sçavent pas bonnement ce qu'elles veulent dire: ce qui est de grande importance, car elles mettent en peine les confesseurs, parce qu'ils ne les peuvent pas entendre, ni comprendre ce qu'elles veulent dire, et au lieu de se confesser de leurs pechés elles pechent pour l'ordinaire en se confessant.

  A006000913 

 Le deuxiesme manquement c'est qu'ils vont dire de beaux discours et ageancemens de belles paroles racontent de grandes histoires pour se faire estimer, faisant semblantd'exagerer leurs fautes par leurs beaux discours, et d'une grosse faute ou d'un gros peché ils le diront en telle sorte qu'il semblera bien petit; et faisant ainsi, ils ne donnent pas cognoissance au confesseur de l'estat de leur ame.

  A006000914 

 Pour ce qui regarde les petits manquemens, c'est autre chose, car disant au confesseur: Je m'accuse dequoy j'ay manqué à deux obeissances legeres et de peu d'importance, cela le tient en repos, sçachant que ce n'est pas grande chose..

  A006000914 

 Vous mettez les confesseurs en peine, ils ne vous entendent pas, et pensent que les petites fautes soyent quelques grandes choses.

  A006000915 

 Comme par exemple: la [433] cloche nous appelle le matin, qui est la voix de Dieu, et je demeure un quart d'heure apres qu'elle aura sonné; qui ne void qu'en cela ce n'est pas la Regle ni les Constitutions qui nous font faire le peché (car c'est un peché veniel cela), mais le mouvement de paresse par lequel nous desobeissons? Et pour la Regle, ma fille, il n'y a nul doute que les fautes que l'on fait contre ne soyent plus grandes que celles que l'on fait contre les Constitutions; car les Regles sont les fondemens de la Religion, et les Constitutions ne sont que des marques et des traces pour nous faire mieux observer la Regle.

  A006000915 

 Il faut bien considerer les circonstances de tant de petits manquemens, car la Regle et les Constitutions n'obligent nullement à peché d'elles-mesmes: ce n'est donc pas la Regle ni les Constitutions qui font le peché, mais les circonstances et les mouvemens qui en toute autre occurrence le causeroyent.

  A006000916 

 Dites-vous, ma fille, si à la recreation on a suivi quelque passion et fait quelque chose en suite d'icelle, comme de contester en quelque chose legere et de recreation, sans s'en appercevoir qu'apres que cela est fait, s'il y a matiere de confession? O non, ma fille, il n'y en a point en ce qui se fait par surprise et simple recreation; mais si vous ne vous sousmettez pas interieurement, il s'en faut confesser.

  A006000917 

 Apres l'avoir confessée deux ou trois fois, elle s'accusa à moy de plusieurs imperfections; et ayant tout dit, je luy dis que je ne luy pouvois pas donner l'absolution parce qu'en ce dont elle s'accusoit il n'y avoit pas matiere d'absolution: ce qui l'estonna grandement, parce qu'elle n'avoit jamais fait ceste distinction du peché d'avec l'imperfection.

  A006000917 

 Il n'est pas neantmoins necessaire de faire ce discernement quand on ne le sçait pas faire, puisque ceste grande servante de Dieu ne laissoit pas d'estre sainte.

  A006000917 

 L'on demande si en l'examen il ne faut pas distinguer les pechés veniels d'avec les imperfections.

  A006000917 

 Mais de deux cens il n'y en a pas deux qui le sçachent faire, les plus saints mesme y sont bien empeschés; ce qui est cause qu'on apporte de grands embarras et un amas d'imperfections en la confession, sans distinguer nullement le peché d'avec l'imperfection; et cela met bien souvent les confesseurs en peine, car il faut qu'ils distinguent pour voir s'il y a peché, et par consequent matiere d'absolution.

  A006000918 

 Et l'imperfection est quand nous faisons quelque faute par surprise sans volonté deliberée, comme par exemple, si je fais un conte à la recreation et que dans mon discours il s'y glisse quelques paroles qui ne soyent pas tout à fait veritables, ne m'en appercevant point qu'apres qu'il seroit fait, cela n'est point peché mais imperfection, et n'est nullement besoin de m'en confesser.

  A006000918 

 Par exemple: si je venois ceans demander la Superieure et que je luy dise que je la viens voir de la part de la Princesse qui la salue, et chose semblable, et que de tout cela il n'en fust rien et que seulement j'eusse fait cest ageancement en mon esprit, cela n'est pas de grande importance; mais je l'aurois fait volontairement, c'est cela qui fait le peché veniel.

  A006000918 

 Toutesfois, n'ayant rien autre on le pourrait faire; mais il faut tousjours dire un peché que l'on a fait au monde, parce que vous n'auriez pas matiere d'absolution.».

  A006000919 

 » Ne pourroit-on pas demander de se confesser hors de la Communauté? « Si c'est un jour que la Communauté se doive confesser, vous le pouvez demander; si on ne le vous permet pas, demeurez en paix, sinon que vostre conscience vous remorde trop: alors vous vous en pouvez priver avec congé.

  A006000921 

 Si une Sœur ne s'amende point de tesmoigner son aversion, elle perd le merite et la suavité de la bonne conversation, et elle ne rend pas son devoir à la Communauté..

  A006000922 

 Quand la Superieure dit: Dites-moy, ma Sœur, vous avez fait une telle chose? si vous ne l'avez pas fait il faut respondre simplement et humblement la verité; si elle vous reitere que vous l'avez fait, faites deux actes, l'un de sousmission, et l'autre d'abjection parce que l'on croid que vous avez manqué.».

  A006000922 

 Vous demandez ce qu'il faut faire quand la Superieure dit quelque chose que l'on n'a pas fait.

  A006000923 

 « A cela je responds, ma chere fille, qu'il y a deux sortes de Superieures: les unes qui sont grandement rigides et austeres pour elles-mesmes, et à celles-cy il ne faut pas attendre qu'elles le demandent, mais les prevenir quelquefois avec discretion.

  A006000924 

 Comme par exemple, une personne ira souffrir le martyre pour Dieu, et neantmoins elle ne pensera pas en luy [436] pendant ce temps-là, sinon en sa peine; et quoy qu'elle n'ayt point le sentiment de la foy, elle ne laisse pas de meriter en faveur de sa premiere resolution, et fait un acte de grand amour..

  A006000924 

 Il leur semble que quand elles ne sentent pas Dieu, elles ne sont pas en sa presence.

  A006000936 

 Celles-cy sont les moins mauvaises, quoy que tousjours il y ayt de l'imperfection, car si quelqu'un fait quelque chose qui n'est pas bien, il faut le regarder avec compassion et non pas en concevoir de l'aversion.

  A006000936 

 Il arrive quelquefois que l'on a de l'aversion non pas aux personnes mais aux actions d'icelles.

  A006000936 

 Mais s'ils avoyent de l'aversion esgalement à tout ce qu'ils verroyent faire qui offenseroit Dieu, cela proviendroit d'un bon zele; neantmoins il seroit par apres dangereux de passer de l'aversion de l'action à l'aversion de la personne; et en ceste sorte, encor que pour l'ordinaire elle n'oste pas la charité, elle en oste la suavité..

  A006000936 

 Un exemple: il y en a qui [438] ont une grande inclination à la propreté, et concevront de l'aversion contre une personne malpropre, et feront une correction plus aspre pour ceste messeance que non pas pour quelque grand peché; or, cela est une grande imperfection.

  A006000937 

 C'en est de mesme comme d'une personne melancolique; car il est en son pouvoir de chanter, de se promener, de dire des paroles de recreation, mais elle ne peut pas faire tout cela de l'air ni de la grace qu'elle feroit si elle n'estoit melancolique: aussi ne faut-il pas requerir cela ni de l'une ni de l'autre, car il ne seroit pas à propos.

  A006000937 

 Mais si nostre aversion continue et que nous fassions quelque action ou disions des paroles par ce motif, alors il y a du mal, car despuis que le cœur le pousse jusques à la bouche, c'est signe que la volonté est coulpable et qu'elle n'a pas reprimé le premier mouvement..

  A006000937 

 Or, ce n'est pas à dire que quand l'aversion est un peu forte nous puissions tousjours parler avec la mesme allegresse que si nous avions une amitié suave; car si bien il est en nostre pouvoir de parler et faire toutes autres actions, il ne nous est pas pourtant possible de les faire avec un visage aussi gracieux que si nous n'avions point ceste difficulté.

  A006000937 

 Or, quand il ne s'ensuit point autre chose de nos aversions sinon qu'en parlant à ceste personne nous ne sommes pas du tout si gays ou que nous destournons un peu nos yeux de dessus elle, cela n'est pas grand cas; il y a seulement matiere d'abaissement et d'humiliation, mais non pas de confession.

  A006000939 

 Il la faut laisser gronder, et ne pas suivre ses volontés, faisant tousjours regner la raison, qui veut que nous nous surmontions en toutes les occasions pour plaire à Dieu et observer le point de nos Regles qui dit qu'il se faut aymer cordialement..

  A006000939 

 Il y a tousjours un petit mot à dire sur le sujet des aversions, bien que non pas pour nous arrester beaucoup, car nous l'avons desja dit d'autres fois qu'il ne se faut pas estonner si l'on ne rit pas de si bonne grace que si l'on n'en avoit point, non plus que quand on se trouve mal; car en ces deux occasions, pourveu que l'on se sousrie un peu et que l'on ne tienne pas sa contenance refrognée quand on nous parle, nous nous devons contenter; car quand la [439] passion est fort esmeue il est bien difficile de faire meilleure mine, au moins avec ceux auxquels nous avons de l'aversion ou quand le mal nous presse.

  A006000939 

 Or bien, nous avons souventesfois dit cecy, c'est pourquoy il suffit que nous sçachions qu'il faut marcher selon la partie superieure en la voye de nostre perfection, et ne nous pas soucier des esmotions de la partie inferieure; autrement nous serions en perpetuel chagrin et inquietude d'esprit, et ne ferions pas grand avancement.

  A006000947 

 Il faut bien prendre garde quand nous sommes esmeus de quelque passion, de ne faire point d'action qui parte de nostre mouvement; quand neantmoins il arrive en des choses de peu, comme seroit de jetter une plume ou chose semblable avec un peu de sentiment, ce n'est pas matiere de confession.

  A006000948 

 Il ne faut donc pas se laisser ainsi aller selon ses inclinations ou aversions, mais suivre la raison et la conduite des Superieurs..

  A006000948 

 La nonchalance fait que nous n'avons pas le courage de faire les mortifications, ni de desirer que l'on nous y [440] exerce, c'est pourquoy nous avons aversion à les voir faire aux autres; et le descouragement nous fait ennuyer et dire: Mon Dieu, la grande peine! ce n'est jamais fait, je ne vis jamais tant de choses, c'est tousjours à recommencer.

  A006000948 

 Or, de les mespriser ou censurer ce seroit une presomption trop insupportable; il se faut bien garder de le faire, car ce seroit un trop grand mal: aussi n'arrive-t'il pas de ceste sorte.

  A006000949 

 Les mortifications nous arrivent par l'ordre de la providence de Dieu et nous sont tousjours faites avec charité, et faut le croire ainsi, car il ne nous appartient pas de juger si elles partent de la passion.

  A006000949 

 Mais s'il arrivoit que cela nous tombast en la pensée, il faut le recevoir par forme de tribulation, avec douceur, et regarder tousjours la main de Dieu; car encores qu'il ne soit pas autheur du mal et de ceste passion, puisqu'elle devoit arriver, Nostre Seigneur la prend de sa main et la pose dessus nous, pour nous faire meriter par la souffrance de la tribulation..

  A006000950 

 Et cela est mal, car nous devons toutes estre en ce continuel exercice de charité, de contribuer tout ce qui nous est possible pour le bien les unes des autres; car tout doit estre en commun, voire Nostre Seigneur mesme: il ne veut pas que nous l'ayons en particulier, il veut tellement estre en particulier qu'il soit à tous en commun, et tellement en commun qu'il soit à tous en particulier..

  A006000951 

 Quand l'on est tenté de quelque tentation où il y a danger de [441] pecher, et qu'elle dure, pour s'empescher d'offencer Dieu il faut souventefois faire quelque acte qui tesmoigne que l'on n'y consent pas: comme seroit de baiser terre, lever les mains jointes contre le ciel avec ceste intention, et dire quelques paroles à Nostre Seigneur, et choses semblables.

  A006000959 

 Et si bien j'ay laissé la liberté à Philothée de le faire ou de ne le pas faire, selon qu'elle jugera luy estre convenable, s'occupant durant icelle à des autres prieres, soit mentales ou vocales, je l'ay fait parce que je ne la cognois pas tousjours ceste Philothée; mais cest exercice me semble estre meilleur pour estre plus conforme à l'intention de la sainte Eglise.

  A006000959 

 « Vous voulez sçavoir, mes cheres filles, si vous ne feriez pas mieux de vous conformer à la Communauté faisant l'exercice de la Messe en disant vostre chapelet, que non pas à faire une autre sorte d'oraison durant le temps qu'on la dit.

  A006000968 

 Si elle vous remet à vostre volonté, il faut considerer lequel est mieux, de le faire ou de ne le faire pas, et puis se resoudre, car il ne faut pas perdre le temps..

  A006000969 

 C'est tout un, il ne faut pas laisser pourtant de luy demander ce qui vous semblera estre bon de faire; et quant à ceste consideration qu'elle est peut estre importunée de vous, elle est vaine, il la faut retrancher.

  A006000969 

 Et partant je pense qu'elle ne m'ayme pas tant.

  A006000969 

 Mais dites-vous, ma chere fille, si les Sœurs ont une Superieure qui ne les reçoive point avec l'esprit de suavité quand elles viennent à elle, soit quand elles ont besoin de luy parler ou qu'elles demandent quelque congé, et par ce moyen leur oste la confiance de recourir à elle en leurs necessités, s'il leur seroit point permis de s'adresser à celle qui tient sa place et son authorité quand elle n'y est pas, sous le pretexte de ne pas tant importuner la Superieure, et de plus, à fin d'avoir le congé que peut estre elle ne leur donneroit pas? O non certes, ma chere Sœur, l'on ne doit pas faire cela, sinon que la Superieure fust tellement empeschée que l'on l'incommodast bien de luy parler.

  A006000969 

 Mais elle ne fait pas ainsi aux autres.

  A006000969 

 Que nous doit-il importer, pourveu que nous rendions nostre devoir en son endroit, qu'elle nous ayme ou qu'elle ne nous ayme pas? O dà, ma chere fille, je ne dis pas qu'il faille dire par esprit de mespris de la Superieure que nous ne nous soucions pas qu'elle nous ayme, ains plustost par mespris de nous-mesme, et [443] avec intention de nous despouiller de ceste vaine affection que nous avons d'estre aymées.

  A006000970 

 Mais ce qu'elle me dit ne me sert de rien pour ma consolation, à ceste heure que j'ay le cœur en amertume; et c'est peut estre parce qu'elle ne me parle pas assez gracieusement selon que je desirerois.

  A006000971 

 Mais si les Sœurs ne doivent pas perdre la confiance de s'adresser à la Superieure, encor qu'elles y ayent de la repugnance, de mesme la Superieure ne doit pas s'abstenir de leur commander ou ordonner quelque chose, encor que les Sœurs luy tesmoignent de la repugnance; sinon qu'appercevant une grande et puissante aversion en la Sœur, elle trouvast bon de differer un peu de temps à l'exercer en la mortification, car il ne faut pas estre tousjours si rigoureux.

  A006000971 

 Mon Dieu, que les Sœurs qui auroyent une Superieure qui ne les aymeroit pas seroyent heureuses! bien que cela ne se puisse, car la Superieure ayme tousjours les Sœurs de cest amour effectif dont nous avons parlé, leur procurant tout le bien qu'elle peut par l'exercice de sa charge, selon qu'elle y est obligée; mais de cest amour effectif, tendre et mignard que nous desirons si cherement, c'est de celuy-là que je veux dire; car moins la Superieure nous aymera de ceste sorte, et moins d'amusement nous aurons autour [444] de cest amour, si que nous aurons plus de temps pour nous occuper de Nostre Seigneur et pour nous tenir retirées aupres de Dieu qui doit estre nostre soin particulier..

  A006000972 

 Et bien que, comme je viens de dire, nous ne la puissions pas avoir absolument en sa perfection en ceste vie, nous devons pourtant tascher de l'avoir au plus haut degré que nous pourrons..

  A006000972 

 Il ne faut pas se laisser aller aux aversions, ains secouer nostre esprit pour l'en divertir.

  A006000973 

 Les personnes qui font estai de servir Dieu le plus fidelement qu'elles peuvent, ne sont pas exemptes de l'ambition, non, mais elles l'exercent aux desirs des choses interieures, souhaitans les vertus au plus haut degré de leur perfection; [445] mais l'amour tendre et affectif ayant plus de pouvoir sur elles que non pas sur les mondains, les fait amuser à ce desir sans s'appliquer soigneusement et laborieusement à la recherche de venir à chef de leur pretention et sainte entreprise, parce qu'il leur cousteroit cher de renoncer à soy-mesme en tant d'occasions.

  A006000973 

 Or sus, n'avons-nous pas assez dit touchant ceste tendreté que nous avons sur nous-mesme, tant de l'interieur qui regarde l'esprit, comme des choses qui regardent le corps? Les plus spirituels s'ayment bien aussi de l'amour effectif; car nous avons dit que les mondains s'ayment grandement de cest amour, se souhaitans par une affection pleine d'ambition tant de biens et tant d'honneurs qu'ils n'en sont jamais contens.

  A006000974 

 C'est estre pauvre bien agreablement, ou plustost ce n'est pas estre pauvre quand rien ne nous manque.

  A006000974 

 C'est sans doute qu'il ne se faut pas plaindre de tels petits rencontres, car si nous nous en plaignons c'est une marque que nous ne les aymons pas, et partant nous ne rendons pas nostre devoir à la sainte pauvreté.

  A006000974 

 Ce n'est pas estre pauvre de n'avoir point d'argent quand nous n'en avons pas besoin et que rien ne nous manque.

  A006000974 

 Il y a certes des personnes qui sont tousjours en necessité, parce qu'ils ont besoin de tant de choses pour les contenter que c'est grande pitié; et c'est ceux-cy qui sont pauvres, pourveu qu'ils ne se procurent pas tant de choses, parce qu'ils ont de la disette de ce qu'ils n'ont pas et qu'il semble qu'ils devroyent avoir..

  A006000974 

 Nostre glorieux Pere saint Augustin dit dans vos Regles que celuy-là est plus heureux lequel n'a pas besoin de beaucoup, que celuy qui a besoin de beaucoup de choses de quoy les autres se passent bien.

  A006000974 

 Vous demandez maintenant, ma chere fille, si pour pratiquer la sainte pauvreté il ne faut pas se tenir attentif à recevoir de bon cœur les petites disettes qui nous arrivent, tantost en cecy, tantost en cela.

  A006000975 

 Or, quant à souffrir le froid, il faut avoir esgard à ne pas souffrir des grandes froidures contraires à la santé; il ne le faut pas faire..

  A006000975 

 Quant à moy, je ne voudrois pas demander ce de quoy je me pourrais bien passer, pourveu qu'il n'apportast un notable detriment à la santé; car pour avoir un peu de froid, pour porter une robe un peu trop courte ou qui n'est pas bien faite assez juste pour moy, je ne ferais nul estat de cela.

  A006000976 

 Je ne demanderais pas mesme de communier, excepté en certains jours que la coustume semble nous obliger de le demander, comme celuy de la reception à l'habit, de la Profession, de la feste du Patron; et je demanderais aussi une aiguille et du filet quand on me commanderait de faire quelque ouvrage, car le commandement qui m'est fait de faire l'ouvrage m'oblige à demander ce qui est requis pour le faire.

  A006000977 

 En fin j'aymerois mieux porter une petite croix de paille que l'on me mettrait sur les espaules sans mon choix, que non pas d'en aller couper une bien grande dans un bois avec beaucoup de travail, et la porter par apres avec une grande peine; et je croirois, comme il seroit veritable, estre plus agreable à Dieu avec la croix de paille que non pas avec celle que je me serais fabriquée avec plus de peine et de sueur, parce que je la porterais avec plus de satisfaction pour [447] l'amour propre qui se plaist tant à ses inventions et si peu à se laisser conduire et gouverner en simplicité, qui est ce que je vous desire le plus.

  A006000977 

 Vous faites bien de demander à pestrir parce que vous vous sentez assez forte pour cela; mais moy je le ferais de bon cœur quand on me le commanderait, mais autrement je n'y penserais pas.

  A006000978 

 Quand l'on me donnerait ce que j'aymerois bien, je le mangerais avec actions de graces; quand on ne m'en donnerait pas je ne m'en soucierais pas.

  A006000978 

 Que dites-vous, ma chere fille, que sur ce que j'ay dit tantost qu'il se faut mortifier fidellement, si vous devez vous abstenir ordinairement de manger telle ou telle viande que vous aymez fort? Si c'estoit moy je ne le ferois pas, car nous sommes obligés, par la parole sacrée de Nostre Seigneur, de manger ce que l'on nous mettra devant; et cela se fait sans choix.

  A006000979 

 Celles qui ne le voudront faire peuvent demander ce qu'elles auront besoin, d'autant que les Regles le permettent, et cela n'est pas contre la pauvreté ainsi que vous dites; mais aussi n'est-il pas selon icelle ni selon la perfection à laquelle vous estes obligées de pretendre.

  A006000979 

 En demandant vos commodités vous ne faites pas mal, pourveu que vous ne vous rendiez trop exactes à la recherche d'icelles et que vous vous teniez tousjours dans les termes de l'observance pour ce regard; mais aussi perdez-vous par ce moyen les occasions de pratiquer les vertus qui sont fort propres à la condition de vie à laquelle Dieu vous a appellées.

  A006000979 

 Non, ma chere Sœur, la charité ne requiert pas que les Sœurs se tiennent en attention pour recognoistre et remarquer si quelque chose ne manque point à quelques unes, tandis qu'elles n'en ont point de charge; mais si elles apperçoivent quelque necessité en une Sœur elles doivent en advertir la Superieure tout simplement, sans l'agrandir ni la diminuer, non plus que si c'estoit pour elles-mesmes..

  A006000980 

 A cela, ma chere fille, je vous responds que ce qui a esté fait pour ce regard jusques à present n'a pas esté mal; mais si est-ce pourtant que desormais il ne le faut plus faire.

  A006000980 

 Vous demandez si c'est manquer à l'observance et faire mal que de choisir une serviette plus deliée pour la Superieure, et ne luy donner pas celle qui se rencontre, sans choix, comme l'on fait aux [448] autres Sœurs.

  A006000988 

 Saint Pachome luy repliqua: Mon amy, le temps de souffrir la mort pour Jesus Christ n'est pas commun maintenant, la religion Catholique, par la grace de Dieu, a le dessus sur ses ennemis; d'ailleurs, vous n'estes point venu en ce lieu pour la mort, mais pour la mortification; mortifiez donc vos desirs inutiles qui vous font quitter les exercices presens, sous pretexte de faire merveille à l'advenir.

  A006000988 

 Un certain Religieux de l'Ordre de saint Pachome estoit porté d'un tel desir de souffrir le martyre pour l'amour de Jesus Christ, qu'il se persuadoit avoir les ongles d'acier pour resister à toutes les violences qu'on luy sçauroit jamais faire; mais, mal advisé qu'il estoit, il ne prenoit pas garde s'il pourroit avoir la constance d'endurer, comme il faisoit paroistre, s'il en falloit venir là tout de bon.

  A006000994 

 La premiere qu'il m'a donnée a esté de bastir une sainte retraitte pour des filles infirmes de corps et saines d'esprit; c'est pourquoy je ne veux pas qu'on introduise d'autres austerités que celles qui sont marquées.

  A006000996 

 Or sus, mes cheres filles, dans nos difficultés, allons trouver nostre Mere, sans nous amuser à nous vouloir resoudre nous-mesmes, qui ne sommes pas bons juges dans nos propres causes; et nous pratiquerons les deux cheres vertus de nostre divin Maistre, qui nous benira eternellement.

  A006000998 

 Nostre saint Fondateur le sceut; il nous dit dans un Entretien de tenir les yeux baissés au refectoire, pour ne pas gehenner celles qui voudroyent faire de semblables mortifications.

  A006001004 

 « L'affabilité, » dit-il, « mes cheres filles, se pratique, comme dit saint Paul, se rendant tout à tous pour les gaigner tous, s'accommodant à la façon et humeur des autres, compatissant aux affligés; car il ne seroit pas à propos d'aller rire pres d'une personne affligée, ni de mesme, paroistre triste devant une autre qui seroit dans la joye..

  A006001021 

 « Mais sçachez, ma fille, » adjousta-t'il, « que ce ne sera pas sans me faire violence, car je vois le monde d'un certain œil que Dieu me fait la grace de devenir tousjours plus simple et moins mondain parmi les artifices de la Cour.

  A006001027 

 Cependant l'arondelle ne changeroit pas en façon quelconque sa pauvre couchette, au precieux lict branlant du cinnamologue; elle repose plus à son aise dans son vil panier, qu'elle ne ferait dans l'odoriferant cabinet de ce royal oyseau.

  A006001030 

 Faut-il avoir la douceur? O bien, que la colere renverse mon pauvre cœur sans dessus dessous, que la teste me fume de tous costez, que mon sang bouillonne ainsi qu'un pot sur le feu, je ne laisseray pourtant d'estre gracieuse et douce tout ce qui se peut; et toutes les raisons que la nature me presentera pour sa descharge, je les estrangleray, je n'en escouteray pas une.


07-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome VII-Vol.1-Sermons.html
  A007000007 

 Pas être utilisés à des fins commerciales de toute nature!.

  A007000126 

 On me dira que cela s'entend de ceux qui avoyent receu le Saint Esprit; hé bien, pourquoy ne le recevray je pas avec vous? Si feray certes, si comme les Apostres et disciples nous nous mettons unanimement avec devotion a prier Dieu cum Maria Matre Jesu, laquelle [2] affin qu'elle nous assiste de son intercession, mes Freres, a ce mien commencement, jettons nous plus fervemment que jamais a ses piedz et la saluons; et puys, in nomine Domini laxabo rete.

  A007000129 

 Mays Dieu le Pere voulant exprimer et dire ce qu'il entendoit, consideroit et pensoit de soy mesme, comme s'il se fust voulu donner un nom propre et se nommer soy mesme, il dict un mot, une parolle, un Verbe qui le representa si naïfvement et exprima si vivement ce qui estoit en luy, que ce Verbe fut un autre luy mesme, et fut « vray Dieu de vray Dieu; » non [3] pas qu'il y eust deux dieux, mais parce qu'il y eut deux Personnes participantes d'une seule, et simple, et indivisible, et totale divine essence..

  A007000131 

 Je m'arreste donques, mes Freres, et ce que j'en ay voulu dire ç'a esté pour monstrer en quelque façon qui est Celuy duquel nous celebrons la feste, qui est le Saint Esprit et Amour, procedant eternellement du Pere et du Filz, vray Dieu avec le Pere et le Filz; et encores pour vous donner a entendre que de toute eternité ce Saint Esprit venoit, par ceste incomprehensible procession et respiration, du cœur du Pere et du Filz, combien qu'il ne soit pas venu, ou par maniere de dire arrivé, et que ceste mission n'aye esté bien accomplie qu'a tel jour qu'aujourd'huy, il y a environ 1559 ans.

  A007000131 

 Mays tout autre est cest amour infini par lequel le Pere et le Filz s'entr'ayment, car en cest amour ilz ne se fondent pas, ilz ne se dissolvent pas, ce qui seroit imperfection; mays sans alteration de leur nature, ilz produisent un Saint Esprit, Dieu parfaict de Dieu parfaict, possedant pleinierement une mesme divine essence [4] avec eux; et sans se desfaire de l'essence divine, ilz la communiquent toute entierement et parfaittement a ce Saint Esprit et Amour.

  A007000132 

 Ce que nous voulant enseigner lhors qu'elle parle de la creation des choses en leur estre naturel, parlant de celle de l'homme, elle introduit la Majesté divine en ses troys Personnes, disant: Faisons l'homme a nostre sem blance car si une seule Personne eust creé l'homme, elle eust dict: Je fais, et non pas: Faisons, comme nous trouvons escrit: Faciamus hominem ad imaginem et similitudinem nostram. Et David chante: Benedicat nos Deus, Deus noster, benedicat nos Deus; Dieu nous benie, Dieu nostre, Dieu nous benie; ne reprenant par troys fois ce nom de Dieu sinon pour nous monstrer que non seulement le Pere benit, non [5] seulement le Filz benit, mais encores le Saint Esprit, et tous trois ensemble sont ceux qui benissent.

  A007000133 

 Donq, encores que l'operation merveilleuse et puyssante qui a esté faitte es cœurs de l'Eglise naissante a tel jour qu'aujourd'huy, aye esté faitte egalement par le Pere, le Filz et le Saint Esprit, neantmoins, parce qu'en icelle reluit une principale bonté, misericorde et magnifique liberalité, on ne dict pas que toute la Trinité soit venue sur les Apostres, mays on dict et on celebre la descente du glorieux Saint Esprit: a la charge que vous ne vous imagineres pas que pour cela il aye changé de lieu pour descendre; car estant Dieu, il est tellement par tout par « essence, presence et puyssance, » que est in mundo non inclusus, extra mundum non exclusus.

  A007000137 

 Et comme des gourmans, nous disons qu'ilz ont l'ame en la panse, et de certaine nation, qu'elle a l'ame au bout des doigtz, pour ce que ne monstrant d'ailleurs guere de bon entendement, elle en faict plus paroistre es ouvrages manuelz, ainsy (et vaille la comparayson tant qu'elle pourra) nous disons le Saint Esprit descend la ou il faict quelque particuliere operation et participation de ses graces, ou pour le moins quelque nouvelle demonstration, comme quand il descendit sur Nostre Seigneur en son Baptesme; car la il ne communiqua pas nouvelle grace, Jesus en ayant la plenitude des sa conception, mais il donna seulement l'attestation de sa grandeur..

  A007000137 

 Vous sçaves bien que nostre ame est par tout le cors et toute en toutes les parties d'iceluy; autrement elle ne seroit pas spirituelle, ou nostre cors seroit mort en la partie en laquelle l'ame ne seroit pas.

  A007000139 

 Ne sçaves vous pas que le plus souvent, l'esté principalement, avant que pleuvoir il tonne et fait vent? Ainsy aujourd'huy il tonne et fait vent, pour monstrer qu'il veut pleuvoir les douces pluyes des consolations du Saint Esprit, ainsy qu'il est escrit: Flabit spiritus ejus, et fluent aquæ.

  A007000139 

 Or sus, je trouve donq, pour ne m'arrester pas, comme je pourrois, sur chaque parolle, je trouve dis je, deux signes s'estre faitz: l'un, qu'il se fit soudainement un grand son, un bruit, un tonnerre du ciel, porté par un vent vehement, qui remplit toute la mayson ou estoit la beniste brigade de ces peres du Christianisme.

  A007000143 

 Et d'autant que le feu est plus noble que l'eau, d'autant est ceste reformation plus grande que la formation; et d'autant que le feu est plus actif que l'eau et plus puyssant, reduisant en feu quasi tout ce qui luy est præsenté en un moment, ce que l'eau ne fait pas, aussi y a il plus de puyssance et de majesté a reformer le monde qu'a le former, a le renouveller qu'a le creer.

  A007000143 

 Et devant que l'œuvre de la reparation aye esté faitte, combien a il cousté de sang a Jesus Christ mesme, vray Dieu et vray homme? Devant qu'oser dire et s'asseurer de ceste grande parolle: Consummatum est, combien de peynes a il enduré? ains quelles peynes n'a il pas enduré et souffert?.

  A007000145 

 O combien de resistance trouve Dieu en ceste besoigne! Que si vous me demandes: Hé, qui est si osé et si temeraire que de faire resistance a Dieu, et qui le peut faire? Saint Pol ne dict il pas en ce chapitre scabreux et qui ne devroit estre leu que des doctes (c'est aux Rom., 9 ): Voluntati ejus quis resistit? et au Psalm.

  A007000146 

 Et quant a celles cy, il est tousjours obei au Ciel, et partant Deus autem noster in cœlo; omnia quæcumque voluit fecit. Mays en terre, il n'y est pas tousjours obei; autrement, dites moy, qu'aurions nous besoin de demander Fiat voluntas tua sicut in cœlo et in terra? Et d'ou vient, me dires vous, ceste difference entre les volontés qui sont au Ciel et celles qui sont en la terre? En peu de parolles je vous le diray: c'est que les volontés celestes et heureuses sont tellement appuyëes sur la volonté de Dieu, que l'une ne se peut mouvoir sans l'autre, et n'ont pas la liberté de contrarieté, c'est a dire de mal faire, ains seulement de bien faire: grace et gloire tout ensemble..

  A007000147 

 Et pour nous conduire en Paradis, il se sert des remedes telz qu'ilz ne puissent pas lever la liberté qu'il a donné..

  A007000147 

 Mays nous autres, pendant que nous sommes en ce malotru monde, nous ne sommes pas ainsy appuyés; mays affin que nous puissions mieux meriter selon la suavité de la divine disposition, nous sommes tellement appuyés de la grace de Dieu, que nous puissions descheoir: la grace nous fait vaincre nostre infirmité et nous fortifie dans l'amour et la prattique du bien, nous laissant neantmoins tousjours en danger de tomber.

  A007000147 

 Que si quelques uns en ce monde, comme la Sainte Vierge, ont esté tousjours sans cheoir par speciale grace de Dieu, encores ne sont ilz pas semblables aux Bienheureux, n'estant necessités a bien faire tousjours et en toutes façons comme les Bienheureux.

  A007000148 

 Dieu pourroit bien nous creer en Paradis, nous y mettre des l'enfance, en tout tems; mais nostre nature requiert qu'il nous fasse ses cooperateurs, et que « Celuy qui nous fit sans nous, ne nous sauve pas sans nous.

  A007000148 

 Il le desire, il le commande, il nous exhorte, il nous menace; mays de nous y conduire sans que nous nous aydions, il ne le peut pas faire, puysqu'il a juré le contraire.

  A007000148 

 [13] Il desire infiniment que vous le fassies, il vous le commande, il vous excite, il vous menace, il faict tout effort pour vous faire prendre l'aviron en main et voguer; cependant, pour ce qu'il a juré de ne vous pas faire ce bien que vous ne ramies, si vous ne rames, quoy qu'il le desire, il ne fera rien pour vous.

  A007000149 

 Ce n'est donq pas merveille si le Saint Esprit ayant fecondé les eaux pour l'institution du monde, il a voulu feconder le feu pour la restitution d'iceluy; car besoin estoit de plus d'efficace pour le r'habiller que pour le faire..

  A007000149 

 Et ceste autre voix: Pænitet me fecisse hominem, [14] ah, bon Dieu, elle seroit suffisante de nous fendre les cœurs, s'ilz estoyent de chair; car nostre Dieu ne se plaint pas d'avoir faict l'homme pour la creation, car quand il l'eut creé, vidit cuncta quæ fecerat, et erant valde bona; mais pour la peyne que devoit avoir son Filz faict homme a le reformer, dont il dict: Tactus dolore cordis intrinsecus.

  A007000151 

 Il appelle icy les nuëes eaux, a cause que des nuëes se faict la pluÿe et les eaux, comme s'il vouloit dire: Factus est repente de cœlo sonus tanquam advenientis spiritus vehementis; car le tonnerre ne se faict pas sans nuages.

  A007000153 

 Ou sont ces glorieux Cesars, ou sont tant de grans personnages en guerre qui estoyent du tems des Apostres? Ou eux, ou leur posterité ne se sont ilz pas mis a genoux aux piedz des Apostres ou de leurs successeurs? Dites moy un peu, ou est la memoire de Neron? il ne s'en parle plus qu'en mal.

  A007000154 

 O que ce n'est pas sans cause que le Prophete royal dict: Ignitum eloquium tuum, Domine, et servus tuus dilexit illud; car par la parole de Dieu nos ames sont du tout enflammees en son amour et a l'extirpation de toutes nos imperfections.

  A007000160 

 Ce n'est pas sans cause que vous voyes les Apostres comparés aux biches, car les biches ne sont point armees de branches et cornes comme les cerfz; aussi les Apostres estoyent nudz d'armes corporelles, ne combattant le monde qu'avec la faim, soif et tribulation.

  A007000164 

 Je ne m'amuseray donq pas a vous persuader de desirer le Saint Esprit, mays plustost je vous mettray en avant ce qu'il faut faire de nostre costé, comme il se faut disposer a le recevoir; car, disposés que nous serons, infalliblement selon sa sainte bonté, il arrivera en nous avec toutes ses benedictions..

  A007000164 

 Mes Freres, ores que vous aves ouy quelque chose de l'infinité des graces que le Saint Esprit communiqua a sa venue, et quoy que ce que j'ay dict soit peu en comparayson de ce qui en est, si est ce que je ne crois pas que vous ne desirassies extremement une venue du Saint Esprit sur vous autres; ou si vous estes si durs que de ne la pas desirer, je vous oseray bien dire a l'imitation de saint Pol, pour la premiere fois que j'ay eu cest honneur que de vous parler de la part de Dieu: O insensati Allobroges, usquequo gravi corde? Mais je ne le dis pas, ne pouvant croire tant de mal de [20] ceux auxquelz je desire tant de bien.

  A007000166 

 Je vous diray un sens aysé a nostre propos, et que peut estre ne sçaves vous pas encores, et neantmoins saint et veritable.

  A007000166 

 Ne dict on pas que les advocatz vivent de leurs livres, de leur estude? Leurs livres et l'estude sont viandes de Caresme, apres Pasques on n'en mange pas; il n'y a si bon secretaire qui ne laissast son maistre a telle condition de viande.

  A007000166 

 Ne dict on pas: « Æger [21] ex dieta vivit, et regula medici; » le malade vit de la diete, il vit de la regle, il vit de la maniere que le medecin luy a baillëe? Certainement ce ne sont pas bons restaurans que la diete, la regle, la maniere escritte; les apoticaires n'y gaigneront gueres.

  A007000166 

 Ne sçaves vous pas le dire de l'Apostre: Justus ex fide vivit? Peut estre ne l'entendes vous pas.

  A007000167 

 Je ne veux pas m'amuser [22] beaucoup icy, car s'il plaist a Dieu de se servir de moy en ce ministere, je vous en parleray plus d'une fois.

  A007000167 

 Pendant que la guerre dure, il ne faut pas attendre le Saint Esprit, car pendant que la guerre dure c'est signe que nos pechés durent: Et factus est in pace locus ejus.

  A007000168 

 Chacune prend sa couleur, et est obligëe de la garder du change, si que, si le jeu estant commencé on dict que le vert change, celle qui a pris le vert, dira: ce n'est pas le vert qui change, c'est le gris; celle qui a le gris: ce n'est pas le gris qui change, c'est le bleu; celle qui a le bleu semblablement s'en descharge et dict: ce n'est pas le bleu qui change, c'est le blanc; et passent ainsy le tems a rejetter l'une sur l'autre le change, tant qu'il se faut retirer et que la conversation est rompue..

  A007000169 

 Parles aux cappitaines, les princes auront le change, qui ont tort de vouloir faire la guerre sans argent, ou qui n'advisent pas d'y mettre l'ordre au moins mal; et aucuns crient que tout le mal vient des peuples qui ne sont pas asses reformés.

  A007000170 

 Confessons nos fautes propres, et laissons les autres confesser les leurs; sçachons qu'il n'est pas tems de dire: Patres nostri comederunt uvam acerbam, et dentes nostri obstupuerunt, car Nostre Seigneur nous respondra: Anima quæ peccaverit, ipsa morietur.

  A007000170 

 Et quel peché faut il chasser? Ah, que je me garderay bien de me contredire; vous ne me prendres pas en ma parole.

  A007000170 

 Je n'ay garde de dire qu'il faille chasser le peché des autres, affin de ne pas jouer au change aussi bien que les autres; mais je vous prieray que chacun die comme moy, et que chacun parle a sa conscience propre et non pas a celle des autres.

  A007000170 

 O mon ame, n'est ce pas toy qui es cause de ce mal, qui as faict tant de pechés sur pechés, tant d'offenses, tant de laschetés que justement l'ire de Dieu est tombëe sur tout un peuple? Ne sçais tu pas qu'autrefois, s'ilz se fussent trouvé dix hommes de bien, le bon Dieu, pour leur respect, eust gardé toute une ville de ruine (au Gen., 18 )? Ah, que peut estre manquoit il le dixiesme en ce païs; que si tu te fusses reformé, peut estre eusses tu accompli le nombre: o quel grand bien! Et ne me respons pas: Pourquoy les autres n'y ont ilz advisé? car ilz en ont plus affaire que toy.

  A007000174 

 Sans luy, jamais nous ne pourrions le recevoir; car Dieu voyant devant le deluge les grans pechés qui se [27] commettoyent, ne dict il pas: Non permanebit spiritus meus in homine, quoniam caro est? O sentence terrible, o decret effroyable! Mais Nostre Seigneur, lhors qu'on rompoit sa beniste peau sur l'arbre de la croix et en la colomne, il rompoit avec son merite decretum chirographi, le decret et cedule qui nous tenoit obligés au pouvoir des enfers.

  A007000176 

 Et ce n'est pas merveilles, car elle est Espouse du Saint Esprit, Fille du Pere eternel, Mere du Filz eternel.

  A007000176 

 L'Evangeliste dict bien qu'il y avoit des hommes et des femmes, a fin de monstrer que tous devons attendre le Saint Esprit; mays il nomme celle cy, pour monstrer qu'elle estoit plus que femme, comme la Dame des Apostres, et partant il ne dict pas qu'elle fut avec les Apostres, mays les autres estoyent avec elle et sa suite.

  A007000177 

 Ceux qui ne sont pas avortons du Christianisme, mais sont de la vraye generation de Jesus Christ, ayment ceste Dame, l'honnorent, la louent en tout et par tout: Beatam me dicent omnes generationes.

  A007000192 

 Mais peut estre me dires vous que l'Eglise ne tient pas que ceux qui meurent martirs soyent mortz, mays vivans, et estime que, passans a une meilleure vie, on a grande occasion de se resjouyr en leur mort; et pour ce que leur nativité estant accompaignëe de peché elle les amene aux miseres, et leur mort les mene a la gloire, on celebre leur nativité le jour qu'ilz meurent..

  A007000193 

 Mays aujourd'huy je ne veux pas m'arrester sur ces choses pour vous les prouver; je ne prendray que ce qui fait a mon propos pour la solemnité de ce jour..

  A007000195 

 Certes, quand j'ay leu au Genese que Dieu fit deux grans luminaires au ciel, l'un pour præsider et esclairer le jour et l'autre pour la nuict, incontinent j'ay pensé que c'estoyent ces deux grans Saintz, saint Jan et saint Pierre; car ne vous semble il pas que saint Jan soit le grand luminaire de la Loy mosaïque, laquelle n'estoit qu'une ombre ou comme une nuict au regard de la clairté de la Loy de grace, puysqu'il estoit plus que prophete? Encores qu'il ne fust pas lumiere, toutesfois il portoit tesmoignage de la lumiere, par [33] quelque participation de la lumiere laquelle in tenebris lucet; Joan., I.

  A007000195 

 Et vous semble il pas que saint Pierre soit Evangelii luminare majus, puysque c'est luy qui præest diei Evangelii? lesquelz deux luminaires ont esté mis au ciel ecclesiastique par Celuy qui l'a faict et formé, qui est Jesus Christ Nostre Seigneur..

  A007000196 

 Ce que je ne dis pas pour vous faire entendre que saint Jan ne sceust bien la verité, mais affin que vous sçachies que comme saint Pierre, qui estoit le luminaire qui præsidoit au jour, parle ouvertement, aussi saint Jan, pour s'accommoder au tems auquel il præsidoit, qui estoit le tems des ombres et des figures, il parle plus couvertement..

  A007000196 

 Hé, penses vous pas qu'ilz s'entreregardoyent quand l'un disoit: Ecce agnus Dei, et que l'autre disoit: Tu es Christus Filius Dei vivi? Il est vray que la confession de saint Jan ressent encores quelque chose de la nuict de l'ancienne Loy, quand il appelle Nostre Seigneur aigneau, car il parle de la figure; mais celle de saint Pierre ne ressent rien que le jour, quia Joannes præerat nocti, et Petrus diei.

  A007000198 

 Et de vray, Simon, l'un des noms de saint Pierre, veut quasi signifier cela, car Simon veut dire obediens, et Moyse signifie extractus, c'est a dire retiré simplement, d'autant qu'il n'avoit pas encores [35] l'usage de rayson quand on le retira.

  A007000203 

 Ainsy furent sanctifiés les Apostres au jour de la Pentecoste; de quoy nous avons tesmoignage en saint Pol, qui dict qu'il est asseuré qu'aucune chose, non pas mesme la mort, ne le pourra separer de la charité de Jesus Christ: Scio quia neque mors nos separabit a charitate Christi; Rom., 8..

  A007000203 

 est de ceux qui ne sont pas saintz sinon contingemment, et sans aucune necessité que par la volonté de Dieu; neantmoins ilz le sont tousjours.

  A007000203 

 sorte de sanctification est de ceux qui ne sont pas tous-jours saintz, mais seulement sont sanctifiés au ventre de leur mere: telz furent saint Jan, Hieremie, et, selon l'opinion de quelques uns, saint Joseph, auxquelz on attribue ces parolles: Antequam progredereris ex utero, sanctificavi te.

  A007000206 

 Les philosophes ayant recherché, il y a plus de deux mille ans, les causes du flux et reflux de la mer, ne l'ont jamais sceu comprendre; mais je ne vous donne pas ce terme pour sçavoir la solution de ceste question: estudies seulement par imitation la sainteté de ces deux grans Saintz, et la pluspart de ceux qui sont icy le sçauront dans peu de tems..

  A007000207 

 Au reste, l'Eglise appelle nativité la mort de saint Pierre, pource que dans la mort il a trouvé la vie; mays la mort de saint Jan ne se pourroit pas appeller nativité, d'autant qu'il luy fallut aller aux Limbes, le Ciel n'estant pas encores ouvert pour lhors.

  A007000208 

 Mais remarques cecy: car Dieu nous appelle dieux; le diable nous appelle dieux, quoy que non pas absolument, disant: Eritis sicut dii, scientes bonum et malum.

  A007000209 

 Car il y a plusieurs noms qu'elle n'a pas seulement en apparence et similitude mays en verité, comme Mere de grace, Mere de Dieu, et par consequent Reyne des Anges et Imperatrice du Ciel et de la terre, Advocate des pecheurs, Mere de misericorde; car celle qui est vrayement Mere de Dieu a tous ces tiltres avec plus de rayson, ce semble, qu'un roy ne porte le nom de son royaume.

  A007000209 

 Il ne faut donq pas, mes chers auditeurs, avec nostre petit entendement contreroller et sindiquer quand nous voyons que l'Eglise donne a certains grans Saintz, notamment a nostre glorieuse Maistresse, des tiltres excellens.

  A007000210 

 ; et partant il dict apres, par deux fois: Sequere me. La premiere, apres qu'il luy eut praedict sa mort: Cum hoc dixisset, dicit ei: Sequere me, Joan., 21; comme s'il eust voulu dire: Tu seras crucifié, pour te monstrer que tu ne repaistras pas seulement mes brebis de ma parolle, mais encores de mon exemple; sois donq pasteur, mon vicaire et mon lieutenant.

  A007000210 

 Nostre Seigneur ayant dict a saint Pierre que quand il seroit viel il estendroit ses mains et seroit lié et mené la ou il ne voudroit pas, il luy dict: Sequere me.

  A007000211 

 Et pour cela, remarques que saint Pierre ne dict pas: L'Eglise de Babylone vous salue, mays: Salutat vos Ecclesia in Babylone coelecta.

  A007000211 

 Ouy vrayement, car l'idolatrie regnant en ce tems la a Rome qui estoit baignëe du sang des Martirs par la tyrannie de Neron, ceste ville devoit estre appellëe neronienne ou Babylone, et non pas chrestienne.

  A007000212 

 [42] Il rentra soudain dans la ville, et fut incontinent saysi et condamné a estre crucifié; mays par humilité, il demanda d'estre crucifié la teste en bas et les pieds en haut, ne voulant pas, par respect, estre du tout semblable a son divin Maistre.

  A007000214 

 Ne penses vous pas que Nostre Seigneur regardast saint Pierre en son martire, puysque oculi ejus in pauperem respiciunt? Il le voyoit comme dans les eaux d'amertume et de tribulation, crucifié les piedz en haut, en sorte qu'il estoit comme son vray pourtrait.

  A007000215 

 L'Evangeliste ne nomme pas la pluspart des personnes qui se trouverent a la Passion; mais cestuy ci, il le nomme, non sans mistere, et l'appelle Simon.

  A007000216 

 D'icy je vous puys conduire a l'intelligence d'une autre difficulté, que je vous veux esclaircir: c'est que Nostre Seigneur voulant donner le gouvernement de sa bergerie a saint Pierre, il l'appelle tousjours Simon Joannis, non pas Pierre, encores que luy mesme luy eust changé de nom.

  A007000217 

 Mays d'autant qu'il ne le vouloit pas seulement faire son lieutenant, ains encores luy prædire qu'il endureroit la mort de la croix, il luy donne encores un nom de passion, de croix et de martyre, nom lequel estoit propre a Nostre Seigneur.

  A007000218 

 Mays neantmoins les Centuriateurs de Magdebourg ne laissent pas de reprocher ce peché a saint Pierre, et l'appeller horrible et execrable.

  A007000219 

 Ainsy Nostre Seigneur est tousjours chef de l'Eglise, mays non pas saint Pierre; Nostre Seigneur a son vicaire, et saint Pierre a son successeur..

  A007000219 

 De plus, Nostre Seigneur, quand il mourut, avoit tousjours la face et les yeux tournés contre la terre, pour monstrer qu'il n'auroit pas moins de soin de son Eglise apres sa mort qu'avant icelle, et qu'il vouloit tousjours en estre le Pasteur; saint Pierre renversa la teste contre la terre, et les yeux contre le ciel, pour monstrer qu'en mourant il quittoit sa charge a son successeur.

  A007000220 

 Si vous estes en doute comme il faut entendre ceste loy evangelique, alles a ceste pierre pour apprendre comme il faut croyre: sur quoy je ne m'arresteray pas beaucoup, pour le prouver amplement, ne m'estant proposé pour sujet de ceste exhortation que la mort de saint Pierre, me contentant de vous apporter pour le present une seule rayson, mais qui est fondamentale..

  A007000223 

 A Romme donques est mort saint Pierre, vraye pierre, non pas fondamentale premiere, mais deuxiesme; car Nostre Seigneur est ceste grande premiere et angulaire pierre fondamentale, non seulement de l'Eglise militante, mays encores de la triomphante.

  A007000223 

 Ne sçaves vous pas ce que les Apostres saint Pol et saint Barnabé disent es Actes, parlant aux Juifz: Vobis primum oportebat loqui Mot Dei, sed quia repellitis illud, ecce convertimur ad Gentes? Et ne sçaves vous pas ce que disoit [49] Osee en son second chapitre: Et dicam non populo meo: Populus meus es tu; et ipse dicet: Deus meus es tu? C'est dequoy parle saint Pol en son 9.

  A007000224 

 Quand il survient quelquefois des fantasies es choses de la foy, certaynes petites suffisances, imaginations et pensëes d'infidelité, que feres vous? Si vous les laisses entrer dans vostre esprit, elles vous troubleront et osteront la paix; rompes et venes fracasser ces pensëes et imaginations contre ceste pierre de l'Eglise, et dites a vostre entendement: Ah, mon entendement, Dieu ne vous a pas commandé de vous repaistre vous mesme; c'est a ceste pierre et a ses successeurs a qui cela appartient, donq: Beatus vir qui allidet parvulos suos ad petram..

  A007000225 

 Ainsy me semble il que font plusieurs, lesquelz n'ayans que trop de vivacité en l'entendement, et pas asses de jugement, veulent neantmoins tout sçavoir, tout contreroller, et sur tout les matieres theologiques; car la seule theologie, dict saint Hierosme, est celle dont un chacun se veut mesler.

  A007000225 

 Et notes que le Psalmiste ne dict pas simplement parvulos, mays parvulos suos.

  A007000225 

 Ne regardons jamais les cogitations de la foy qui ne sont pas de Dieu ny fondëes sur la pierre de l'Eglise Catholique; mays brisons les, et rompons leurs pointes contre ceste pierre, c'est a dire avec l'authorité apostolique de l'Eglise..

  A007000226 

 Et quand on vient aux pieds du prestre pour les confesser, qu'est ce autre chose sinon apporter les petitz de sa volonté a la pierre? Et notes encores, mes chers auditeurs, qu'il dict parvulos suos, pour nous monstrer qu'il ne faut pas attendre que nos pechés soyent inveterés pour les confesser; car quand ilz sont inveterés, il est tres difficile de les bien declairer et encores plus de s'en amender: Quoniam tacui, dict David, inveteraverunt ossa mea.

  A007000228 

 Il ne suffit pas de prendre sa croix, mays il faut encores suivre Nostre Seigneur, car apres qu'il a dict: Tollat crucem suam, il adjouste: Et sequatur me; alhors la croix nous seroit douce, alhors nous trouverions la vie en la mort, et les consolations es adversités..

  A007000229 

 Mays ne penses vous pas qu'il dict alhors comme l'Espouse du Cantique: Sub umbra illius quem desideraveram, sedi, et fructus ejus dulcis? Et quel est ce fruict? C'est la vie æternelle.

  A007000247 

 Et si les Romains anciens solemnisoyent ce premier jour a lhonneur de leur Empereur Auguste, duquel le nom mesme fut donné a ce mois, ne vous semble il pas raisonnable que changeant le corporel au spirituel et le mondain au Christianisme, au lieu de la feste de l'Empereur paien, nous faisions feste a lhonneur de Dieu, sous le nom de son lieutenant general, vray Empereur de l'Eglise militante, tres auguste, tressainct et tres grand Prince des Apostres, et par la grace de Dieu protecteur et patron de ceste nostre Eglise pastorale?.

  A007000249 

 Je suys tout prest, mais fournisses moy de souffle et d'haleyne, car ce n'est pas l'office de la trombe mays du sonneur.

  A007000249 

 Mais affin que je ne vous invite pas au son de la trompe sans trombe, me voicy tout tel que je suys, que je m'offre a vous tres affectionnement pour vous servir de trombe.

  A007000251 

 Et pour parler clairement, je crois que si les dernieres paroles, alius cinget te, s'entendent de la mort de saint Pierre, comm'il [57] n'en faut pas douter, les præcedentes s'entendent de l'emprisonnement du mesme, que l'Eglise celebre aujourdhuy.

  A007000251 

 Ni vous ne deves pas vous arrester pour voir quil parle de cecy comme de chose passëe, car cela est coustumier en l'Escriture, notamment en paroles prophetiques, d'exprimer le futur par le præsent, a cause de l'egalité de la certitude, comme: Et super vestem meam miserunt sortem; In omnem terram exivit; Puer natus est; Tu es sacerdos in æternum, et infinis autres.

  A007000254 

 Ce n'est pas peu de consolation quand on endure [58] quelque chose, de se resouvenir que celuy pour lequel on endure en sçait gré.

  A007000257 

 Car n'est ce pas une grande consolation de sçavoir qu'on doit estre si grand aupres de son Maistre que de boire dedans sa couppe mesme? La couppe de Nostre Seigneur c'est la tribulation: Potestis bibere calicem quem ego bibiturus sum? Calice qui est si praetieux que le Pere æternel ne voulut jamais le changer pour son Filz, lequel, comme sil eut esté trop puyssant et fumeux pour la bouche de la partie inferieure de son humanité, il s'excusoit de le boire, se sousmettant neantmoins a la volonté du Pere.

  A007000258 

 Ce n'est donq pas peu de faveur que Nostre Seigneur faict a saint Pierre de luy praedire ainsy particulierement et sa mort et sa prison.

  A007000258 

 N'est ce pas ce que Nostre Seigneur luy avoit prædict: Cum esses junior, cingebas te? Et, ambulabas ubi volebas, lhors que les liens de saint Pierre estans rompus par l'Ange, exiens sequebatur; et pouvoit bien dire partant de la prison: Dirupisti vincula, etc..

  A007000260 

 Ceste cy est l'occasion pour laquelle Nostre Seigneur delivra saint Pierre des liens, par un si grand miracle, affin quil ne mourut pas en Judëe mais a Romme, pour y fonder l'Eglise.

  A007000260 

 Mes Freres, l'Eglise ne devoit pas demeurer en Judëe, et partant Nostre Seigneur ne meurt pas par les mains des Juifz ni des Rois de Judëe; mays elle devoit venir entre les Gentilz, a Romme, et partant il meurt entre [60] les mains de Pilate et des Romains.

  A007000260 

 Saint Jaques meurt en Judëe, mays saint Pierre est delivré; pour ce que saint Jaques n'est pas la pierre sur laquelle Nostre Seigneur a fondé son Eglise.

  A007000261 

 Mays l'histoire me semble trop belle et pleyne d'excellens misteres pour ne pas, au moins de gros en gros, selon le tems, l'expliquer.

  A007000266 

 Le desir de regner faict fayre tout: Herodes n'estoit pas de la race roiale, mays estranger; pour establir son royaulme, il veut complaire aux Juifz en chose mesme meschante.

  A007000267 

 Quand on a quelque crainte on ne peut pas dormir, sinon qu'elle soit du tout grande, comme celle de Jonas lequel au milieu des tempestes s'en alla dormir.

  A007000268 

 Ne sçaves vous pas que Nostre Seigneur voulant former Eve de la coste d'Adam, il l'endormit et tira une de ses costes? Ainsy Dieu voulant ce jourdhuy envoyer saint Pierre [64] a Romme fonder son Eglise, il le faict dormir et frapper au costé, comme sil vouloit dire: Leve toy vistement, et sache que comme sur la coste d'Adam je luy fonday son espouse, ainsy sur toy je fonderay et ædifieray mon Eglise a Romme.

  A007000280 

 Ainsy nostre Sauveur voyant que la divine Majesté de son Pere avoit extremement a cœur ceste bague ou dragme, la nature humaine, sans s'informer ni du prix ni d'autre chose, de premier abord pour nous racheter, il presente, d'une tres pure et tres liberale affection, un prix que ni nous ni les Anges ne valons pas, une satisfaction beaucoup plus grande que tous les pechés du monde n'avoyent peu meriter; d'ou saint Pol, en la 1.

  A007000280 

 Le gentilhomme saysi de l'amour d'une damoyselle, voyant qu'elle desire extremement une bague rare, ou seule en toute la province, surpris d'affection, ne demandera pas de quel prix est ceste bague, mais de prime abord en presentera prodiguement plus qu'elle vaut, ne regardant aucunement au prix, pourveu qu'il aye ce dont il pense contenter sa chere dame.

  A007000281 

 Ainsy Nostre Seigneur voyant la nature humaine empestëe du peché, pour la delivrer, il debourse l'inestimable thresor de ses bontés, sans regarder que toute la nature humaine ne vaut pas la moindre piece d'iceluy.

  A007000281 

 Mays en ceste similitude se rencontre une grande dissimilitude: c'est qu'encores que la tablette ne vaille pas les cent escuz, l'espouse neantmoins vaut cent mille fois et infiniment plus, au lieu que la nature humaine, laquelle doit estre guerie, ne vaut rien au prix du sang de Nostre Seigneur..

  A007000281 

 Ou bien disons que Nostre Seigneur a faict comme le bon mary, lequel voyant sa chere moitié atteinte de peste, sçachant quelque expert medecin qui en sceust guerir avec des tablettes, il va, et poussé d'une extreme affection de voir sa compaigne guerie, il offre cent beaux escuz de ces tablettes, sans s'amuser a considerer que les ingrediens d'icelles ne valent pas trois solz.

  A007000282 

 N'aves vous jamais ouÿ dire: Je voudrois avoir racheté ce cheval de troys fois autant qu'il valoit? N'aves vous jamais veu des dames tuer des moutons pour nourrir un petit chien couard et caignard, qui ne valoit pas l'un des pieds du pauvre mouton? Qui faict cela? l'affection, non la valeur et juste estimation.

  A007000283 

 Ce n'est pas donques merveille si Nostre Seigneur ayant fait un tel payement, il a rompu le decret par lequel nous estions livrés es mains du diable: Delens, dict le grand vase d'élection, Col., 2, quod adversus nos erat chirographum decreti..

  A007000284 

 Aristote, en ses Ethic., liv. 5, chap. 5, dict que « si quelque grand personnage frappe, il ne le faut pas frapper; si on le frappe, il faut estre non seulement refrappé, mays encor griefvement chastié.

  A007000284 

 Exemple: si j'ay receu une injure d'un prince, et il m'envoye un laquais pour se reconcilier a moy et me faire satisfaction, ce n'est pas un grand honneur.

  A007000285 

 Et ne me dites pas que le Filz de Dieu a satisfait selon la nature humaine, car je vous l'accorde, pour parler a la scholastique, si vous dites ut quo; si vous dites ut quod je vous le nie, « quia actiones, » dit le philosophe, « sunt suppositorum.

  A007000285 

 Je sçay bien que l'offence avoit quelque infinité a rayson de la personne offencëe, qui estoit infinie; mais c'est une infinité qui n'est pas tant aprincipio intrinseco comme celle qui se prend de l'agent..

  A007000285 

 » Ce n'est pas la nature qui a enduré, ç'a esté la personne en la nature; ce n'est pas l'ame qui discourt, c'est la personne par l'ame.

  A007000288 

 Huguenotz, que dites vous de nous autres? vous semble il pas que nous reconnoissons comme il faut la grace de Nostre Seigneur, sa redemption et mediation? A vostre advis, ceste façon de discourir de la redemption ressent elle pas de la vraye Espouse de Jesus Christ? Nous parlons bien plus magnifiquement de ce mystere que vous, et vous faites les bons valetz.

  A007000289 

 Mais sur tout, c'est de la foy que se doit entendre Beati oculi, comme s'il vouloit dire: Bienheureux estes vous, car vous aves en presence le desiré et attendu Redempteur; bienheureux de ce que vous aves l'object de vostre beatitude ou vous commences de regarder; mais vous n'aures pas ceste beatitude si vous ne croyes ce que vous voyes.

  A007000290 

 Il ne faut donques pas dire: Ah, Nostre Seigneur est mort, il suffit.

  A007000291 

 Et partant il ne dict pas omnes, mais multi, d'autant que quelques Prophetes ont eu si particuliere revelation des mysteres evangeliques, qu'ilz semblent plustost Evangelistes que Prophetes: David, Hieremie, Esaye, Moyse.

  A007000292 

 Je vous en diray tout autant, Messieurs: Beati oculi qui vident. Combien penses vous qu'il y a de peuples qui voudroyent voir ce que vous voyes? Combien de Catholiques es [74] Allemaignes et en Angleterre, qui voudroyent avoir les commodités de leur salut, voir et ouÿr ce que vous oyes les Caresmes? Combien es Indes y a il de peuples lesquelz, ayans seulement senti quelque petite fumëe de l'Evangile, par le bon exemple des Chrestiens qui trafiquent avec eux, se sont convertis? Ilz n'ont pas encores eu ce bien d'avoir ceste bonne nouvelle que Jesus Christ est nay et mort pour nostre salut et resuscité pour nostre glorification; ilz n'ont point de Prælat qui aye soin d'eux, ilz n'ont personne qui les conduise au bien croire ni au bien faire, monstrant bien leur affection en ce qu'ilz se convertissent a milliers avec grande pœnitence..

  A007000294 

 Quant aux traditions ecclesiastiques, n'y a il pas en l'Evangile: [75] Qui vos audit me audit? Si quis Ecclesiam non audierit, etc.? Ut scias quomodo oporteat te conversari in domo Dei, quce est columna et firmamentum veritatis? Rogavi pro te, Petre? Jamais je ne cesseray de vous prier, Messieurs, pour l'affection que j'ay au service de vos ames, que vous taschies a vous acquerir une grande simplicité en la foy, croyant et voulant inviolablement croire ce que l'Eglise croit; ce sera vostre consolation en la mort..

  A007000296 

 Non, non, il ne le faut pas penser sans rien faire, mays en faysant: Domine, quid faciendo? Et de vray, qui croit bien ce dont nous avons discouru au commencement, comme n'esperera il de Dieu toute sorte de biens? Qui connoist combien Dieu a faict pour nous, et qui croit aux peynes que Nostre Seigneur a endurëes pour nous, il ne peut qu'il ne soit en bonne esperance: ainsy la Magdeleyne, [76] ut cognovit quod Jesus accubuisset, attulit alabastrum.

  A007000297 

 David, Psal. 16, dict il pas: Propter verba labiorum tuorum, ego custodivi vias duras? Et qui sont ces parolles des levres de Nostre Seigneur? Saint Pierre: Domine, ad quem ibimus? verba vitæ æternæ habes..

  A007000297 

 Nous ne sommes donques pas hommes, de n'aymer pas la vie eternelle.

  A007000298 

 C'est ceste vie eternelle de laquelle Nostre Seigneur [77] en la Genese vouloit esmouvoir Caïn quand il luy dict: Nonne, si bene egeris, recipies? C'est ceste vie eternelle, pour le desir de laquelle le bon homme Jacob s'appelle pelerin en la Genese, 47: Les jours, respond-il au Roy, du pelerinage de ma vie, que bons que mauvais, sont de cent trente ans, qui n'approchent encores pas de ceux de mes prædecesseurs, esquelz ilz ont vescu sur la terre; dont David dict: Memor fui dierum antiquorum, et annos æternos in mente habui.

  A007000299 

 En ceste ville, il y avoit un homme docte et riche, qui, de peur d'estre converti par iceluy, ne le vouloit pas aller ouÿr, comme plusieurs font; il arriva neantmoins que l'ayant ouÿ une fois sur ces parolles: Video cælos apertos, le jour de saint Estienne, il se convertit et se fit Religieux.

  A007000301 

 Ceste invention n'est pas nouvelle, mais ancienne; ce n'est pas une fantasie de quelques cerveaux bigearres, c'est une devotion de tout un Christianisme.

  A007000301 

 Que si d'adventure quelqu'un de ces sçavans rafroidis au vent de la bise venoit en vostre ville, et en murmuroit ou la vouloit calomnier, gardes de luy prester consentement, Messieurs d'Annessy; car nul n'en peut mesdire, personne n'en peut murmurer qu'il ne peche, pour ce que, quand bien ce seroit invention nouvelle, si est-ce qu'apres que vostre Prælat l'a authorizëe, vous la deves honnorer, non pas la mespriser pour cela.

  A007000328 

 [85] Plaise a Dieu que je le puysse aussi bien faire comme il est utile et prouffitable, quoy que peut estre il ne soit pas des plus aggreables qu'on puysse faire; car il y a en cest aage une infinite de paralytiques spirituelz lesquelz ne pensent pas l'estre, et ne cherchent point la guerison d'une si estrange maladie, auxquelz je puys bien dire ce qui est porte par un Prophete: Ossa arida, audite Mot Domini; oyes un peu que c'est de vostre mal..

  A007000330 

 J'ay dict le mouvement naturel, parce que comme la paralysie corporelle n'empesche pas le mouvement exterieur du cors, mays seulement l'interieur et propre, ainsy la spirituelle n'empesche pas le mouvement de nostre ame a la creature; mays il ne luy est pas naturel, car son mouvement est a Dieu: Ibunt de virtute in virtutem, donec videatur Deus deorum in Sion.

  A007000331 

 Mays quelques uns s'en remuent, taschant a se depetrer des eaux et se lever du peché, desquelz on peut dire: Benedicite omnia quæ moventur in aquis Domino; mays ceux qui ne se remuent point ne peuvent pas tenir ce langage..

  A007000332 

 Et puys, ceste maladie a une tres mauvaise condition, c'est qu'elle est presque incurable, aussi bien que la paralysie corporelle; non pas que le sauverain Medecin ne le sçache et ne le puisse faire, mais parce que ceux qui en sont atteintz ne sentant pas leur mal, pour la pluspart, ilz n'ont point de recours au medecin si quelqu'un ne les y porte, comme vous voyes aujourd'huy; car, comme dict le Prov., 26, v. 16: Sapientior sibi videtur piger, septem viris loquentibus sententias.

  A007000336 

 L'usurier va il pas se trompant luy mesme, avec dix mille excuses pour faire mentir l'Escriture qui dict que telles sortes de gens n'iront point in tabernaculum Domini? Les prestres se flattent ilz pas avec des dispenses, quoy que le nemo potest duobus dominis inservire soit escrit en grosse lettre? Les dames se flattent elles pas, n'aymant point leurs maris, se playsant d'estre courtisees, s'excusant qu'elles ne font point d'actes contraires a leur honneur? Se plaisent elles point de passionner cestuy ci et celuy la, s'excusant que nonobstant, elles ne voudroyent pour rien violer la loy de leur mariage? C'est pour cela que Nostre Seigneur dict: Non concupisces.

  A007000337 

 S'il faut se confesser: O que cela est fascheux, o que c'est une chose mal savoureuse! et ne considerent pas qu'il n'est pas des pechés comme des fruictz qui meurissent sur l'arbre et puys tombent d'eux mesmes, mais qu'au contraire, plus ilz demeurent en l'ame, tant plus malaysé est il de les arracher.

  A007000337 

 Si tu sçavois, aussi bien que tu ne penses pas, combien Nostre Seigneur t'attend en grande affection! Tobie envoyant en Rages l'Ange a Gabel, luy dict: Scis quoniam numerat pater meus dies, et si tardavero una die plus, contristabitur anima ejus..

  A007000338 

 Ne faites pas comme l'Espouse [90] es Cantiques, qui trouva des excuses quand son amy vint disant qu'elle estoit au lict; elle le voulut par apres chercher et elle ne le retrouva plus.

  A007000338 

 Ne faites pas de vostre ame comme Jonas faysoit de Ninive, qu'il ne pensoit pas devoir venir que malaysement a pœnitence; et cependant, incontinent qu'elle ouyt: Adhuc quadraginta dies, et Ninive subvertetur, elle se convertit..

  A007000340 

 Le feu de genevre est sain au catharre, non pas celuy de chesne.

  A007000340 

 Le feu des tribulations guerit, mays il n'est pas propre a tout le monde.

  A007000340 

 Ne sçaves vous pas que le froid est gueri et chassé par le chaud? Or, toute sorte de chaleur ne guerit pas ce mal.

  A007000340 

 Si nous ne voulons pas nous amender, si nous cheminons froidement en la voye spirituelle, il y a danger pour nous.

  A007000342 

 Ne vous imagines pas tant de peynes, car Nostre Seigneur dict: Ego cogito cogitationes pacis, et non afflictionis.

  A007000364 

 Bien que le sens littéral soit différent, ne pourrait-on pas facilement, grace à l'esprit qui vivifie, appliquer ces paroles à ceux qui cherchent à présider avant d'avoir siégé? Les fruits précoces et printaniers ne peuvent être conservés longtemps sans se corrompre..

  A007000365 

 Ce n'est donc pas sans raison que je m'adressais ce reproche: Est-ce ainsi, ô François, que toi, le dernier de tous, par le mérite, le talent et la vertu tu prétends être préposé aux premiers? Ne sais-tu pas que les honneurs sont extrêmement périlleux et onéreux? Longtemps j'ai été effrayé par ces voix [95] intérieures, je méditais ces mots du Prophète: O Dieu, j'ai entendu vos paroles et j'ai craint..

  A007000367 

 Celui qui n'a rien à apprendre n'a pas besoin de précepteur, et quand les vents sont favorables, n'importe quel nocher peut tenir le gouvernail..

  A007000416 

 Et comme ces préoccupations provenaient de causes toutes légitimes, pour ne pas être téméraire, je vais, avec votre assentiment, vous les expliquer, afin qu'au début de mon ministère aucun mauvais soupçon ne s'élève dans vos âmes à mon sujet..

  A007000417 

 Voici l'entreprise que je propose à vos délibérations; elle est aussi grande que difficile, elle n'est pourtant pas plus impossible qu'elle n'est indigne de nous: il s'agirait de recouvrer Genève, ce siège antique de votre assemblée.

  A007000419 

 Bien que le sens littéral concerne un autre objet, ne pourrait-on pas facilement, grâce à l'esprit qui vivifie, appliquer ces paroles à ceux qui cherchent à présider avant d'avoir siégé, et qui, semblables à des fruits printaniers et hâtifs, ne peuvent être conservés longtemps sans se corrompre? [101].

  A007000420 

 A sa tête, siégeait l'Apôtre qui tient les clefs du Ciel, et il m'adressait ce grave reproche: Quel est donc, pauvre François, l'esprit qui t'anime? Eh quoi, le dernier de tous par la science, les vertus et le talent, tu prétends être préposé aux premiers! Ne sais-tu pas que les honneurs sont extrêmement onéreux? Ne crains-tu pas cette sommation dont l'époque est incertaine, il est vrai, mais assurément prochaine: Rends compte de ton administration? Ces paroles m'émurent à tel point dans l'intime de mon être, que, serait-il même utile de me remémorer cette émotion, je n'aurais pas de termes assez forts pour l'exprimer.

  A007000427 

 En réalité, mes Pères, cette conjoncture est-elle heureuse ou non, ce n'est pas à moi de le dire.

  A007000428 

 Qu'il assaisonne du sucre et du miel de sa charité nos fruits printaniers, précoces et encore verts, et nous n'aurons pas à craindre qu'ils se gâtent..

  A007000429 

 Je répéterai donc sincèrement, quoique dans une condition différente et bien inférieure, ce que disait autrefois le plus sage des hommes: Je suis l'être le plus insensé et je ne possède pas la sagesse des hommes; je n'ai pas appris la sagesse, je ne connais pas la science des saints.

  A007000429 

 Mais aussitôt après, je relèverai mon âme avec David: Parce que je n'ai pas connu les lettres, j'entrerai dans les puissances du Seigneur.

  A007000430 

 Dieu, il est vrai, porte secours au besoin à ceux qui ne se sont pas jetés dans le danger; quant à ceux qui aiment le péril, ils y périront.

  A007000432 

 Si, au contraire, vous ne me trouviez pas indigne, j'inclinais promptement les épaules sous ma charge, assuré que votre décision m'indiquait la voie à suivre..

  A007000433 

 Si vous voulez vous libérer de toute responsabilité, il ne vous reste qu'à aider et soutenir ma faiblesse par vos conseils et votre exemple, à suppléer par votre charité aux qualités qui me manquent, et je sens trop combien nombreuses elles sont! Soyez persuadés que Dieu vous a ordonné, comme à ses Anges, de me garder en toutes mes voies, de me porter dans vos mains, afin que je ne me heurte pas à cette table de pierre [sur laquelle sont gravés les dix commandements du Seigneur] sur laquelle il est écrit: Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et le serviras lui seul; et portant ainsi les fardeaux les uns des autres, nous accomplirons la loi du Christ.

  A007000434 

 La charité sincère peut tout, l'emporte sur tout, elle ne finira pas, elle n'agit pas précipitamment.

  A007000435 

 Je ne vous propose ni le fer, ni cette poudre dont l'odeur et la saveur rappellent la fournaise infernale; je n'organise pas un de ces camps dont les soldats n'ont ni foi ni piété.

  A007000438 

 Mais puisqu'il en est ainsi, mes Compagnons d'armes, puisqu'ils regardent les actions d'autrui et non les leurs, arrêtons le cours de cette eau, je vous prie; que chacun veille à ce que sa source privée ne coule pas jusqu'à l'ennemi.

  A007000440 

 Que ferons-nous donc, Chanoines de Genève? Ne sommes-nous pas exilés et pèlerins sur une terre étrangère, celle que nous habitons et foulons aux pieds? Asseyons-nous [110] donc sur ces rivages des fleuves de Babylone, c'est-à-dire de la confusion, des péchés; pleurons au souvenir de cette Sion genevoise, jadis si glorieuse des trophées du Christ, et aujourd'hui, pour les crimes de notre époque et de nos ancêtres, gisant accablée sous la plus honteuse servitude de l'hérésie..

  A007000489 

 Or, tout ce mal icy leur advint de ce qu'ilz presterent trop legerement l'oreille a quelques fauses relations des espions qui furent envoyés en la terre de promission, et ne voulurent pas croire Caleb et Josué qui les conseilloyent sainctement..

  A007000490 

 Ainsy une grande partie du mal qui est maintenant entre les Chrestiens vient de ce qu'ilz croyent ceux qu'ilz ne devroyent pas croire, et qu'ilz ne croyent pas ceux qu'ilz devroyent croire: Et dilexerunt homines magis tenebras quam lucem.

  A007000490 

 C'est pourquoy voyant en l'Evangile une infallible marque de ceux auxquelz nous devons croire, et par mesme moyen de ceux auxquelz nous ne devons pas croire, de ceux qui sont vrays ouvriers et de ceux qui sont plustost dissipateurs, je me suis deliberé, estant envoyé pour ceste journëe au milieu de vous autres, comme ouvrier en la vigne de Dieu, de vous monstrer comme il faut fuir quelques uns de ceux qui font profession d'avoir espié la terre de l'Escriture, et faut se rendre obeyssant a la voix de ceux lesquelz sont marqués a bonnes enseignes..

  A007000503 

 Il atteste sa mission par miracles, et proteste que sans les miracles sa mission n'estoit pas justement prouvëe au peuple; de maniere qu'il dict en saint Jan, 14: Parole quæ loquor vobis, a meipso non loquor; et incontinent: Alioquin propter ipsa opera credite; et au 15: Si opera non fecissem in eis, quæ nemo alius fecit, peccatum non haberent..

  A007000507 

 Saint Jan ne fut il pas approuvé par les scribes et prestres qui envoyerent ceste noble legation: Tu quis es? et jamais ne trouverent que bonne sa doctrine.

  A007000509 

 Voyes donques, [126] ilz ne sont pas vrays ouvriers, quia paterfamilias non conduxit, non misit, non dixit ite; sed intraverunt, venerunt: Currebant, et ego non mittebam..

  A007000511 

 N'attendes pas caresme prenant, car que sçaves vous si vous le verres? Ducunt in bonis dies suos; in puncto in infernum descendunt.

  A007000515 

 Courage, mes Freres: tous sont appellés, tous ne sont pas esleuz; il ne tiendra qu'a nous si nous n'allons travailler en sa vigne.

  A007000526 

 Mays je ne suis pas icy pour apprendre la maniere comme il faut entrer et prendre a force les villes terrestres; je voudrois plustost vous dire comme il faut prendre et subjuguer les villes et forteresses spirituelles, ennemies de Dieu et des Saintz, pour le service de la divine Majesté.

  A007000529 

 Qui trouvera mauvais que j'appelle l'ame de l'homme une ville, puysque les philosophes l'ont bien appellëe un petit monde, puysqu'elle est « l'abbregé » de toutes les perfections « du monde, » recueillant en soy tous les grades plus parfaitz d'iceluy, comme tout le plus beau d'une province se retrouve en la ville principale d'icelle? En ceste ame encores, vous semble il pas qu'il y ayt un magazin qui vaut plus que tous ceux d'Anvers ou de Venise, puysque la memoyre retire toutes les idees de tant de varietés de choses? Vous semble il pas qu'il y ayt un brave ouvrier, puysqu'en l'entendement possible, toutes choses s'y font en des especes incomparables? Vous semble il pas qu'il y ayt un ouvrier, lequel avec cent millions d'yeux et de mains, comme un autre Argus, faict plus d'ouvrage que tous les ouvriers du monde, puysqu'il n'y a rien au monde qu'il ne represente? qui est l'occasion qui a faict dire aux philosophes que l'ame estoit tout en puyssance.

  A007000533 

 Quant a l'intention, mes Freres, je voudrois qu'elle fust a l'avenant de celle de Nostre Seigneur, lequel ne nous a pas voulu parler pour autre fin que pour nous [133] sauver: Ut fides sit ex auditu, et omnis qui credit in eum non pereat, sed habeat vitam æternam.

  A007000535 

 La seconde disposition qu'il faut avoir pour bien ouyr la parole de Dieu, c'est l'attention; car il y en a plusieurs qui viennent au sermon pour faire leur proffit, mais y estant, ou en dormant ou en causant ou en pensant ailleurs, ilz ne sont pas attentifz; auxquelz, quand ilz sont de retour, si l'on demande que c'est qu'ilz ont rapporté du sermon, ilz peuvent bien respondre qu'ilz en sont revenuz gens de bien, pour en avoir rapporté les oreilles ou leur chapeau.

  A007000536 

 Ah, que le Psalmiste n'estoit pas de ceste façon: Audiam quid loquatur in me Dominus Deus.

  A007000536 

 Or, cecy n'est pas une petite incivilité, que Dieu parlant a nous, nous ne voulions l'escouter, ne plus ne moins que si nous parlions a Dieu sans y penser; de maniere que de ceux la Nostre Seigneur dict: Populus hic auribus me honorat, cor autem eorum longe est a me.

  A007000537 

 Ce qui procede de plusieurs causes: l'une, qu'ilz ne reçoivent pas la parole de Dieu comme telle, ains comme la parole des prædicateurs; et toutesfois Nostre Seigneur a dit une foys pour toutes: Qui vos audit me audit, qui vos spernit me spernit; Et ego vobiscum sum usque ad consummationem sæculi; et ailleurs: Non estis vos qui loquimini, sed Spiritus Patris vestri, etc. Dequoy se plaignant Nostre Seigneur, il dict a Ezechiel: Nolunt audire te, quia nolunt audire me.

  A007000537 

 La troisiesme condition est l'humble obeyssance a la parole ouÿe; car ceux qui oyent, et pour cela ne s'amendent pas, non habent aures audiendi: Ego tanquam surdus non audiebam, et sicut mutus non aperiens os suum.

  A007000538 

 Vistes vous jamais un plus prompt jugement que celuy que fit David, lhors que Natan luy parla de sa faute en la personne d'un tiers? Peut estre n'eust il pas esté si facile s'il eust parlé directement a luy mesme.

  A007000540 

 Les autres, avec si peu d'attention, que la parolle de Dieu ne va pas jusques au cœur: Et natum aruit, quia non habebat humorem.

  A007000540 

 Les autres, avec tant de vices et mauvaises inclinations, si peu d'humilité et tant de superbe: Et simul exortæ spinæ suffocaverunt illud, si qu'elle n'est pas venue a son effect.

  A007000554 

 Enseignement lequel a esté entendu de ceste façon de tous nos anciens Peres, du college mesmes des Apostres, et semini ejus in secula, et a esté ainsy interpreté per os sanctorum qui [ a ] Christo sunt prophetarum; lhors que par « tradition de main en main, » ilz ont observé tres etroittement et commandé le sainct jeusne de Caresme, affin qu'en ce tems la on fit particulierement pœnitence, pour s'approcher dignement autant qu'on peut du Royaume des cieux, ou ne se rendre pas incapables d'iceluy, s'approchant de nous par la communication du præcieux Cors de Nostre Seigneur, vive memoyre de la mort de Nostre Seigneur et de sa Croix, par laquelle le Royaume de Dieu, qui n'estoit qu'a Dieu seul, a esté mesme communiqué aux hommes..

  A007000555 

 Qui est la rayson pour laquelle, devant choysir quelque proufitable discours avec lequel je peusse conduyre pas a pas, a journëes rompues, vos ames au pied de la Croix au mont Calvaire par affection, et au saint Cors et Sang de Nostre Seigneur par realité, et vous y faire aborder heureusement, j'ay choysi ces saintes paroles, par lesquelles nous sommes advisés que le Royaume de Dieu s'approchant, si nous voulons [y] avoyr part, il faut que de nostre costé nous nous approchions de luy.

  A007000556 

 Mays pour ce que le chemin par lequel nous devons passer est un grand desert de pœnitence, avant toutes choses je vous veux dire un peu des conditions et qualités d'iceluy, affin que vous ne soyes pas si nouveaus par apres des choses que nous y verrons par le menu; et puys, nous regarderons de nous acheminer.

  A007000566 

 Mays comme l'espervier affamé regardant contre la belle proye, se voulant jetter au vol pour s'en saysir et assovir son estomac et avidité, au premier elancement quil faict se trouvant attaché, tout colere, bat tant des aisles et des pieds quil romp son lien, ainsy l'ame qui est arrivëe sur ceste verdoyante et gaÿe colline d'esperance, regardant le Paradis qui luy est donné en proÿe, tasche de s'y eslancer; et c'est lhors quil se sent estre lié par le peché, non pas au paravant.

  A007000566 

 Mays imagines vous que l'espervier sceust parler et quil eust rayson, ou plustost que quelqu'un parlast pour luy; ne diroit il pas au maistre: Laschez moy, je vous prie, je ne m'iray point esgarant, je retourneray tousjours a vous? O l'ame devote ayant rayson, se sentant lier, n'est pas comme l'oyseau qui ne faict que battre, mays regardant son Maistre, elle s'addresse a luy: Seigneur, deslie moy; Seigneur, filia mea male a demonio vexatur; Ad te, Domine, levavi animam meam, Deus meus in te confido, non erubescam..

  A007000566 

 O quel regret; les plumes ne luy manquent pas, ni le courage: Dirumpamus vincula eorum; Dominus solvit compeditos.

  A007000568 

 Et pourquoy? Sic Deus, etc. Mays sil vouloit venir, pourquoy n'est il venu triomphant, non pas passible? Ut iniquitates omnium nostrum ipse portaret.

  A007000568 

 Que si peut estre tu ne peux pas monter au Ciel pour aller contempler la bonté de Dieu, regarde la en son miroir: Miroir de la bonté de Dieu est la Passion du Sauveur Jesus.

  A007000590 

 Consideres vous point la bonté de ce Seigneur, l'affection de ce Chasseur qui court pour prendre la proye de l'ame, tant qu'il est las et contraint, par maniere de dire, de se reposer? Consideres vous point nostre lascheté, qui nous faschons de la moindre peyne du monde qu'il faut prendre pour nous sauver nous mesmes? Or, Nostre Seigneur n'estoit pas las sans cause, car il avoit cheminé bien tard, et a pied sans doute, dont l'Evangeliste dict: Hora autem erat quasi sexta, il estoit ja quasi midy; car les Juifz partagent le jour en douze heures et la nuict en douze..

  A007000592 

 Ceste femme donques luy reproche cela, comme disant: Vous autres Juifz, tenes les Samaritains pour excommuniés; et comme donques me demandes vous a boire? Elle sçait bien que ce n'est pas commerce que de demander un peu d'eau, mais elle luy dict cela par reproche.

  A007000592 

 Il ne demande pas a boire pour boire, mais pour faire boire ceste Samaritaine l'eau de grace.

  A007000592 

 Parlant aussi seul avec elle, il avoit plus de commodité de luy faire confesser son peché, dont la femme luy dict, dixit ergo ei mulier Samaritana (parce qu'elle n'eust pas commencé; Bern., 1.

  A007000595 

 Nostre Seigneur parle de l' eau vive et elle, de la morte: Unde ergo? Quomodo hic carnem suam? etc. Numquid tu major es patre nostro Jacob, qui dedit nobis puteum, et ipse ex eo [150] bibit, et filii ejus, et pecora ejus? Voyes la ruse, elle est desja esclairëe du Sauveur, elle n'ose dire: Non, tu n'es pas; mais interroge: Numquid tu? Ce pendant elle monstre qu'il y a bien de la peyne a croire.

  A007000596 

 Consideres un peu la difference qu'il y a entre les deux eaux: l'une apaise la soif, mais ce n'est pas pour long tems; l'autre, in æternum, etc. Il y a icy a considerer deux soifs, l'une du cors, l'autre de l'ame; car les desirs sont une soif a l'ame, dont Nostre Seigneur dict: Non sitiet, et le Psalmiste: Sitivit anima mea ad Deum fontem vivum.

  A007000611 

 que les Juifz tenoyent les Samaritains pour hseretiques et payens; mais je ne vous dis pas au long les raysons..

  A007000612 

 Or, il est croyable que tous n'abandonnerent pas, mays en demeura quelques uns, et autres retournerent, dont les Samaritains demeurerent ainsy.

  A007000612 

 Reg., 11, qui seroit long a raconter, Hieroboam, de peur que les dix tribuz de son obeyssance ne reprinssent l'affection de leur roy naturel, Roboam, s'ilz alloyent reconnoistre le Temple et l'ordinaire succession des prestres en Hierusalem, il fit un temple des faux dieux en Samarie, et fit des prestres du vulgaire, qui n'estoyent pas de la succession legitime de Levi.

  A007000631 

 Ilz ne pensent pas autre chose, sinon que ceste horrible et affreuse Megere, la guerre, ceste ruine commune des republiques, ceste perte de l'Estat, soit une favorable occasion de s'accommoder, volant, pillant, saccageant, assassinant impunement, s'y jouant aux despens du pauvre homme, comme l'on feroit au roy despouillé, avec toute sorte de liberté, sans crainte de la justice, laquelle se ressentant fort de sa viellesse en nostre miserable aage, est fort foible en tout tems, mays principalement en tout tems de guerre.

  A007000634 

 Mays quoy? Toute place, disoit un grand prince, ou le soleil peut aller, n'est pas imprenable; et maintenant, par tout la ou quelqu'un peut aller a double, on y peut aller armé.

  A007000637 

 Que si ainsy est, que ferons nous, mes Freres? D'apaiser l'ennemy, il n'est pas possible, il est inexorable; car qui plus le flatte, plus l'aigrit: Qui amat animam suam, perdet eam; Cum loquebar illis, impugnabant me gratis; Ps.

  A007000641 

 Quatriesmement, une grande diligence a nous servir des moyens que Nostre Seigneur nous a mis en main, pour monstrer que nous nous fions en luy, non pas en nous.

  A007000643 

 Nostre vie n'est pas seulement en guerre, ni n'a pas seulement la guerre, mais est une guerre propre: Militia, etc., puisque la chair, moitié de nostre vie, nous guerroie par tant de menëes, excitant sedition en nostre ame ainsy qu'Absalon, trompe comme Dalila.

  A007000651 

 Mays ceste joye ne fut pas le principal fruict de ceste sainte veuë; car leur foy vacillante fut [166] affermie, leur esperance espouvantee fut asseuree, et leur charité presque esteinte fut allumee.

  A007000654 

 Mais comme se peut il faire qu'ilz croyent, puysqu'ilz ont veu et touché? Le sens a faict comme le fourrier qui loge un autre et n'y demeure pas; car il a logé la foy dans le cœur des Apostres et dans les nostres, et neantmoins n'y demeure plus en credit, car la foy estant arrivëe, le sens cesse, comme l'esguille introduit la soye, etc..

  A007000655 

 O article admirable, et lequel estant bien creu, nous sommes bons Chrestiens, car nous en tirerons aysement ces consequences: Donques je ne profaneray pas ce cors; donques, in ictu oculi, in novissima tuba resurgemus.

  A007000656 

 O je ne voudrois pas que nous fussions sans esperance, mays je voudrois bien que nous pleurassions quand nous perdons Dieu.

  A007000671 

 Et ne trouves pas estrange que je vous renvoye a ce livre pour y apprendre vostre leçon, car c'est le plus excellent livre de tous ceux qui jamais furent composés: et partant, qui desire la gloire de la [173] science, qu'il s'approche avec la sainte pensëe et qu'il lise ce saint livre; il y apprendra la plus profonde doctrine qui fut onques.

  A007000680 

 Il suffit que nous n'adorons pas la Croix pour l'amour d'elle, mais pour l'amour de Celuy a qui elle appartient.

  A007000681 

 Disons donques que ce saint bois de la Croix est singulierement venerable; car s'il est escrit, Psal. 131: Adorabo in loco ubi steterunt pedes ejus, comme n'honnorerons nous pas ubi stetit totum corpus? Et partant, il s'ensuit: Surge, Domine, in requiem, etc. Et si on faysoit, dict saint Hierosme, tant d'honneur au tabernacle, etc., combien plus au bois de la Croix, sur lequel a esté estendu le cors de Dieu incarné, qui a esté arrousé, teint et penetré de son sang [178] prætieux.

  A007000682 

 » Le jour nous invite, le lieu nous appelle; la sayson nous y porte, nos afflictions ne sont pas encores finies.

  A007000694 

 Le Saint Esprit ne vient pas es delices et consolations mondaines ou charnelles: Non permanebit Spiritus meus in homine, quia caro est.

  A007000694 

 Ne penses pas que le Saint Esprit soit d'autre nature.

  A007000709 

 Ce qui ne doit estre merveilles; n'a on pas veu les gens vivans d'herbes, verds? Vivo ego, jam non ego, vivit vero in me Christus..

  A007000724 

 Mais sur tout lhors qu'il se faict appeller Jesus, car les medecins ne guerissent pas tousjours, et partant il ne le faut pas qualifier medecin, mays Sauveur, d'autant que ses receptes sont infallibles..

  A007000725 

 Hé, qui voudries vous donques qui les receust? N'est ce pas l'honneur au medecin d'estre recherché des malades, et d'autant plus que leurs maladies sont incurables? Nostre Seigneur, non tant pour repousser la temerité de ces Pharisiens, que pour nous donner courage de nous approcher de luy, rejette bien loin par similitudes ceste consideration pharisaïque.

  A007000729 

 Ne voyes vous pas le prodigue comme il s'en va in regionem longinquam? Luc., 15.

  A007000731 

 La ou, remarques la façon, l'immobilité est propre a Dieu et la mobilité aux pecheurs, et ilz la veulent renverser: Recede a nobis, etc. Secondement, l'ame s'esloigne de Dieu fuyant ses graces et les moyens qu'il nous propose pour nostre salut; comme l'on dict qu'un tel fuit les medecins, non pas pource qu'il laisse la personne des medecins, mays les remedes: Scientiam viarum tuarum nolumus..

  A007000731 

 Psal. 13: Dixit insipiens in corde suo: Non est Deus; et si cela n'est, il ne tient pas a eux.

  A007000734 

 Nous pouvons bien gaster, mais non pas refaire.

  A007000737 

 Ilz ne font pas comme les conviés a ce grand festin, qui s'excusent; ceux ci viennent et sont les bien venuz.

  A007000741 

 Sortons, sortons de ceste Egypte; approchons-nous de Nostre Seigneur; faysons provision de bonnes œuvres; [192] que les piedz de nos affections soyent nudz; revestons nous d'innocence; ne nous contentons pas de crier misericorde, sortons de l'Egypte: Egredimini de Babylone, fugite a Chaldæis.

  A007000752 

 C'est ainsy que vivent les manouvriers, et que les peres et meres demandent obeissance a leurs enfans et les appellent leurs; et neantmoins, le pere et la mere ne font pas du tout les enfans, car l'ame n'est pas de leur facture, ni les ouvriers ne font entierement ce qu'ilz font, car si le drapier faict le drap, il ne faict pas la laine.

  A007000757 

 Et de vray, comme dict saint Pol: Quis plantat vineam et de fructu ejus non edit? Si Jesus Christ nous a planté, n'est ce pas la rayson que nous luy rapportions tout le service que nous pourrons?.

  A007000758 

 De maniere qu'encores a rayson de cecy, nous sommes obligés a servir Dieu, et ceux qui ne le serviront pas en recevront un terrible reproche au jour du jugement; car c'est pour cela qu'il est dict que totus orbis pugnabit contra insensatos.

  A007000758 

 Mays outre, tout cela, il y a une autre rayson: c'est que nous nous servons de toutes les creatures, et icelles nous servent volontier, en intention que nous servions Dieu pour elles; car elles, ne pouvant pas servir Dieu, lequel estant esprit ne peut estre servi que par esprit, elles nous servent a celle fin que nous servions Dieu tant en leur nom qu'au nostre.

  A007000760 

 Or est-il qu'entre toutes les façons de servir Dieu, [la meilleure] c'est de le servir en la façon qu'il est servi en Paradis; car c'est luy qui nous enseigne a demander que son service soit fait en la terre comme au Ciel; car il n'y a pas difference entre servir Dieu et faire sa volonté.

  A007000761 

 Mais oyes comme cela va, car vous me pourries dire: Hé quoy, n'ayment-ilz pas Dieu? Aymer, mes Freres, c'est vouloir et desirer du bien, et ne sçauroit-on dire quelle difference il y a entre la bienveuillance et l'amitié, ne plus ne moins qu'on ne sçauroit dire quelle difference il y a entre haïr et vouloir du mal a une personne.

  A007000762 

 La consequence n'en vaut rien; la rayson est pource que la continuation de l'estre a l'Ange n'est pas naturelle et essentielle, et partant on la luy peut desirer, non celle qu'il a, ains celle qui est a venir; mays a Dieu, son æternité luy est autant essentielle que sa bonté.

  A007000763 

 L'ame regardant en Dieu l'infiny merite de sa bonté, et que d'ailleurs en ce sauverain Estre rien ne manque, mays y est plus parfaittement quod factum est ( in ipso vita erat ), elle ne desire pas qu'autre bien luy arrive, pource qu'il est impossible.

  A007000763 

 Quand il l'est, encores qu'il cesse de desirer, il n'est pas moins amy; mais au lieu du desir, il faict un acte de contentement, d'ayse et de resjouyssance du grade que l'amy possede.

  A007000766 

 Seigneur, nous sommes vos serviteurs indignes, qui n'avons pas gardé les regles de vostre service.

  A007000795 

 Mais il ne se contente pas de cela.

  A007000804 

 Ceux qui se sont departis jusques a present de l'Eglise, ont pris diverses excuses par les deux extremités pour couvrir la faute qu'ilz avoyent faite de n'y point demeurer et la mauvaise affection de n'y point retourner; car les uns ont dict qu'elle estoit invisible; les autres confessant l'Eglise visible, ont dict qu'elle pouvoit defaillir et manquer pour certain tems; et partant, qu'encores que leur eglise semblast nouvelle pour n'avoir pris succession de personne, elle ne l'estoit toutesfois pas, ains estoit l'ancienne, morte et esteinte pour certain tems, puys par eux resuscitëe et ce sacré feu continuel, r'allumé: voulans les uns faire l'Eglise tellement parfaitte, qu'elle soit toute spirituelle et invisible; les autres, la faire si imparfaitte, que non seulement elle soit visible, mays encores corruptible: semblables a leurs anciens devanciers hæretiques, desquelz les uns vouloyent tellement diviniser Nostre Seigneur qu'ilz nioyent son humanité, les autres tellement l'humaniser, qu'ilz en nioyent la divinité.

  A007000807 

 L'Eglise donques, auditoire chrestien, faict asses paroistre par effect qu'elle est visible, incorruptible et immortelle, se faysant voir par tout, toute telle qu'elle avoit esté prædicte par Nostre Seigneur, ses Apostres et les Prophetes: et me semble bien que ceste preuve la seule pouvoit suffire a qui ne voudroit pas estre contentieux et opiniastre.

  A007000809 

 N'est ce pas par tout une assemblëe visible?.

  A007000810 

 Je demande donques, mes Freres, si nos adversaires ne trouvent point de passage ou l'Eglise soit prise pour un cors invisible, n'est ce pas vouloir l'emporter sans l'Escriture? Que si au contraire, il se trouve plusieurs passages ou il est parlé de l'Eglise, et que tous s'entendent d'une assemblëe visible, vouloir contester au contraire n'est ce pas aller contre l'Escriture? Quand donq ilz vous allegueront ce fantosme, niant l'Eglise estre visible, demandes leur un passage de l'Escriture ou l'Eglise veuille dire chose invisible.

  A007000816 

 Mays ou est ce que nos adversaires ont leur esprit en cest endroit? Ne voyent ilz pas qu'ilz mesprisent le merite de la Passion de Nostre Seigneur? Isa., 53: Pro eo quod laboravit anima ejus, ideo dispertiam ei plurimos, et fortium dividet spolia; pro eo quod tradidit in mortem animam suam, et cum sceleratis reputatus est.

  A007000818 

 Dites moy ou est la vraye prædication sinon en l'Eglise? et ou la chercheray je si je ne sçay ou est l'Eglise? Ou est la vraye administration des Sacremens sinon en l'Eglise? et ou voules vous que je les cherche si ceste Eglise est invisible et cachëe? Le jour de Pentecoste, le Saint Esprit vint il pas en l'Eglise, et toute ceste assemblëe estoit ce pas un cors visible? Mesme le Saint Esprit tient l'Eglise visible a tel poinct que, pour s'accommoder a sa visibilité, luy mesme qui est invisible, s'apparut a elle en forme visible.

  A007000818 

 Mais quoy, qu'appelles vous Eglise? est ce pas une assemblëe de gens? Ouy certes, non d'Anges.

  A007000820 

 Saint Pierre, 1, c. 2, appelle il pas l'Eglise domum spiritalem? Aussi l'est elle, car elle n'est pas une mayson materielle, ains [213] ordonnëe a l'esprit; comme les gens qui servent Dieu sont appellés spirituelz, mais ne laissent ilz pour cela d'estre visibles?.

  A007000821 

 Ilz objectent encores: « Credo sanctam Ecclesiam Catholicam; » on croit sa sainteté qui est invisible, on croit qu'elle est l'Eglise de Nostre Seigneur lequel on ne void pas.

  A007000821 

 Mays combien que la sainteté et les esleuz ne soyent conneuz que de Dieu, combien qu'elle soit l'Eglise du Sauveur qu'on ne void pas, n'est il pas vray que l'Eglise est ce champ qui comprend la bonne semence et la zizanie; qu'elle est ceste grange laquelle enferme le grain et la paille; qu'elle est ceste grande mayson dont parle saint Pol, ou il y a des vaysseaux prætieux et des vaysseaux vilz et abjectz, et que la separation ne sera faite qu'a la fin du monde, lhors que de militante elle deviendra triomphante?.

  A007000834 

 Je crois que vous sçaves, auditeurs chrestiens, que lhors qu'il pleut a Dieu creer le monde, voyant sa divine Majesté la terre et l'eau remplie d'animaux, il les benit tous, et leur donna force en leur nature, chacun en son espece, de continuer leur race jusques a la fin du monde; [de] mesme quand il eut creé l'homme, il le benit, et luy donna la mesme perfection et condition: si que des lhors on ne trouvera pas que jamais aucune sorte d'animaux aye manqué de race; et quant a nous autres, chacun sçait bien que par la ligne droitte et continuation perpetuelle, nous sommes tous descendus, de pere en filz sans interruption, de ce premier pere auquel Dieu donna la force et le commandement de multiplication.

  A007000835 

 Et qui diroit autrement, il feroit tort au sang de Jesus Christ, lequel n'a pas eu moins d'efficace pour fonder son Eglise a perpetuité, que le sang d'Adam a entretenir les generations des hommes; car ne sçaves vous pas que comme Adam a laissé une generation perpetuelle en son sang, aussi Jesus Christ a laissé une generation au sien? Que si le monde dure encores au sang d'Adam, pourquoy ne [216] durera aussi l'Eglise au sang de Jesus Christ? C'est ce que vouloit dire le grand David: Deus fundavit eam in æternum (Pseau. 47); Magnus Dominus et laudabilis nimis, in civitate Dei nostri..

  A007000837 

 Non, non, il ne faut pas dire que l'Eglise soit jamais morte; son Espoux est mort pour elle affin qu'elle ne mourust point.

  A007000838 

 Donq, avec ceste verge de la sainte Loy, domine au milieu de tes ennemis, qu'est ce a dire sinon que tousjours ceste Eglise seroit stable et visible, en laquelle Nostre Seigneur regneroit et domineroit, voire parmi les plus grandes bourrasques et tempestes des afflictions? Il n'y aura donq jamais tempeste qui empesche Nostre Seigneur de regner en l'Eglise; car autrement il ne domineroit pas parmi ses ennemis, mays demeureroit sans seigneurie et domination en ce monde.

  A007000838 

 Qui est le siege de David et la mayson de Jacob, sinon ceste Eglise militante? car sans doute ce n'est pas un siege temporel.

  A007000839 

 D'abondant, Nostre Seigneur donne il pas tesmoignage a ceste perpetuité de l'Eglise, en saint Jan, 14: Ego rogabo Patrem, et alium Paracletum dabit vobis, ut maneat vobiscum in æternum, Spiritum veritatis.

  A007000842 

 Les autres donques voyant qu'il n'y avoit point d'honneur de dire, ou qu'il n'y avoit point d'Eglise, ou qu'elle estoit invisible, ont dict qu'au tems qu'ilz s'esleverent il n'y avoit plus aucune Eglise, mais que tout estoit apostasie, idolatrie et superstition; qu'elle estoit morte et esteinte, pleine d'erreurs, et que par eux elle a esté resuscitëe: et contre ceux cy, j'ay monstré maintenant que ce feu est inextinguible, car voyes vous pas la consequence?.

  A007000842 

 S'ilz disent que non, on leur dict: Vous esties donques damnés, car « non potest habere Deum patrem, » etc.; et partant il ne vous faut pas suivre.

  A007000843 

 Et quand on leur dict qu'elle n'estoit pas donques la vraye Eglise puisque la vraye Eglise doit estre perpetuelle, ilz nient cecy, et disent que quand Calvin commença il n'y avoit point d'Eglise, qu'elle estoit cheute en ruyne, et qu'ilz l'ont rebastie et reformëe.

  A007000843 

 L'Eglise donq est visible et perpetuelle; mais celle de Calvin n'a point esté veuë ni conneuë devant Calvin; donq l'eglise de Calvin n'est pas la vraye Eglise.

  A007000843 

 Voyci qui les presse de pres, voyci qui ruine tout leur bastiment, voyci qui faict sauter, ruine et sappe la tour de Babel: c'est pourquoy ilz cherchent de tous costés ouverture pour s'eschapper, disant tantost que leur eglise a tousjours esté, et quand on demande ou elle estoit il y a cent ans, ilz disent qu'elle estoit invisible; tantost ilz disent qu'elle n'estoit pas.

  A007000844 

 Davantage, je n'ay pas seulement prouvé que la leur n'est pas la vraye Eglise, mays aussi que c'est la nostre; car il ne se trouve point d'Eglise, de toutes celles qui confessent Jesus Christ, qui aye continué sans interruption, sinon la nostre Catholique Romaine..

  A007000844 

 Voyla qui me faict arrester a prouver contre eux ces [221] verités, lesquelles estant bien certaynes et asseurees, il est bien certain et asseuré aussi que l'eglise des adversaires, qui n'a pas esté visible avant cinquante ou soixante ans, et qui n'a point esté tousjours, n'est pas la vraye Eglise et par consequent que tous ceux qui sont en icelle sont hors de leur salut æternel, s'ilz ne s'amendent.

  A007000845 

 Mais qu'apprendrons nous icy en ceste verité? Nous apprendrons a louer Dieu qui a laissé au monde une Eglise perpetuelle, a laquelle en tout tems on peut recourir pour y faire son salut; puys, montant de ceste Eglise que nous voyons ça bas, a celle que nous ne voyons pas, la haut, nous exciterons en nous le desir de la vie eternelle, comme dict l'Apostre, 2 Cor., 4: Non contemplantibus nobis quæ videntur, sed quæ non videntur.

  A007000845 

 Tu prens tant de peyne pour un peu d'or, pour un peu d'argent qui te sera demain pillé, qu'il te faudra laisser demain, et pour ces richesses immortelles tu ne veux pas te faire tant soit peu de violence et vaincre ta lascheté.

  A007000853 

 Exemple: quand Nostre Seigneur entra en la salle ou les disciples estoyent, les portes fermëes, son cors entra et passa reellement au milieu d'eux; mais non pas naturellement mais surnaturellement et spirituellement, neantmoins tres reellement..

  A007000854 

 Comment donques? ne sera ce pas le vray et reel cors? Ouy sans doute, in carne mea videbo Deum Salvatorem meum.

  A007000856 

 Troisiesmement, je vous advise que Dieu peut faire qu'un vray cors soit en un lieu ou y vienne (car l'un vaut l'autre) sans estre veu ni apperceu, et sans autres [224] conditions corporelles, et ne lairra pas le cors d'estre reellement et d'effect, vray et reel cors.

  A007000857 

 Car saint Pol expressement tesmoigne que ce saint Sacrement ne fut pas ni la cene ou souper, ni une partie de la cene: Similiter et calicem, postquam cœnavit (1 Corinth. 11 ); ainsy saint Luc, 22.

  A007000857 

 Quatriesmement, je vous advise qu'encores que j'use de ce mot de Cene, ce n'est pas pourtant que j'approuve ceste appellation; non pas parce qu'elle n'est pas en l'Escriture, car on se sert de plusieurs motz qui ne sont pas en l'Escriture, mays parce qu'elle est presque contraire, ou præsupposant chose contraire a l'Escriture.

  A007000861 

 Caro Christi in sepulchro quid proderat in triduo? et tamen erat; et puys la matiere en est fause, si on l'entend de la chair de Nostre Seigneur: car, si sa robbe guerissoit, que devoit faire sa chair? En fin, il n'y a pas Caro mea non prodest, comme en l'affirmative: Caro mea est pro mundi vita..

  A007000861 

 Troisiesmement, que nos adversaires n'ont pas une seule negation pour eux.

  A007000862 

 Quatriesmement, ilz n'ont pas un seul passage affirmatif, car Spiritus est qui vivificat, donq la chair n'y est pas; comme qui diroit: c'est mon entendement qui discourt ce sermon, donq mon cors n'y est pas.

  A007000862 

 « Ascendit ad cœlos » n'est point contraire, car supposé la toute puissance, il ne laisse pas d'estre au Ciel: Dominus noster est in cœlo; omnia quæcumque voluit fecit.

  A007000867 

 Il s'en trouve bien qui parlent de l'esprit, mays on ne le nie pas..

  A007000867 

 L'authorité de tous les Peres; car il ni en a pas un.

  A007000872 

 Les deux premieres sont pour reverence, et dont nous n'avons pas expres commandement en particulier..

  A007000873 

 Quand on demande si Nostre Seigneur et les Apostres ont dict Messe, il ne faut pas chercher le mot, non plus que celuy de Sacrement, de Trinité, de Cene, mais la chose.

  A007000900 

 Ainsy Nostre Seigneur desirant extremement de parachever l'œuvre de nostre redemption, s'avoisinant le tems de sa Passion, il en faict des discours et prædictions a ses Apostres en plusieurs lieux, et particulierement en la portion evangelique que [231] l'Eglise nostre Mere nous propose aujourd'huy pour l'entretien de nos ames, ou Nostre Seigneur, comme grand Cappitaine, traitte avec ses Apostres de la victoire qu'il devoit remporter sur le peché et ses complices; mays auparavant il discourt de l'aspre bataille de sa Passion, ce que les Apostres ne comprirent pas pour l'heure.

  A007000903 

 Mays ceste Espouse ne dict pas seulement qu'elle l'aura tousjours en sa memoyre, entre ses mammelles, en son sein, en son cœur, ains comme un bouquet odoriferant, pour monstrer qu'elle prendroit une grande consolation en ceste souvenance; et non seulement comme un bouquet, mais comme un bouquet de myrrhe.

  A007000905 

 Mays parce que sur ce fait on a voulu censurer l'Eglise, et nos adversaires ont voulu dire qu'il y avoit de la superstition, il nous faut un peu arrester pour voir leurs raysons, et ne penser pas que ce soit hors de propos; car les raysons que les adversaires tiennent estre les principales contre l'usage du signe de la Croix sont sans aucune force.

  A007000908 

 Quel signe? La Croix sans doute, mes Freres; car quel autre signe, je vous prie? L'estendart de ce Prince paroistra, mays il n'en faut pas douter, car tous les Peres interpretent ainsy l'Escriture.

  A007000910 

 Tertul., lib. De Cor. mil., dict, que les fidelles faisoyent le signe de la Croix « a chaque pas, » « ad omnem progressum, » etc..

  A007000911 

 Vous semble il pas que nous avons rayson de suivre [235] plustost la prattique de l'ancienne Eglise que les difficultés de ces nouveaux venuz? Or, quelles raysons, je vous prie, proposent ilz?.

  A007000913 

 Response: Mays si la Passion de Jesus Christ n'est pas seulement un supplice mays un sacrifice, certainement la Croix est non seulement un gibet, mays un autel sur lequel a esté consommé l'œuvre de nostre redemption; et en ceste qualité elle doit estre en veneration a tous les fidelles, sa memoyre leur doit estre recommandable et son signe prætieux.

  A007000914 

 De plus, nos adversaires disent qu'il ne faut pas luy porter l'honneur qu'on luy porte; l'Eglise, au contraire.

  A007000917 

 A rayson de tout ce qui est dict cy devant; car si Nostre Seigneur l'a colloquee au ciel, s'il l'a monstree avec de si signalés effectz, n'est ce pas nous la rendre honnorable?.

  A007000931 

 Vous resouvenes vous pas que quand David sonnoit de sa harpe, le malin esprit se retiroit de Saul, comme vaincu de la douce [240] melodie? Ainsy ce malin esprit, ennemy conjuré de tout accord et union, estant entré en possession de certains cerveaux leg'ers, discordans et sans harmonie, parlant par leurs bouches, il dict mille injures et blasphemes contre l'usage de ceste sainte Salutation..

  A007000932 

 En fin, toute leur reprehension contient trois poinctz: premierement, que c'est un attentat du ministere des Anges de dire la Salutation angelique, puysque nous n'en avons pas charge; secondement, que c'est superstition de saluer une absente; tiercement, que c'est une lourdise de penser prier avec ceste sainte Salutation.

  A007000933 

 Je laisse a part Aman qui prit a mespris ce que Mardochee ne le saluoit pas; car encores qu'au commencement il voulut estre adoré, si est ce qu'apres il ne se plaint que de ce qu'il ne le saluoit.

  A007000933 

 Je ne m'amuseray pas a vous dire que c'est que salutation, ni moins a vous dire que c'est un office chrestien que de s'entresaluer l'un l'autre.

  A007000933 

 Mays je vous diray bien que ne pas saluer une personne quand on la connoist, est une protestation de mespris, d'indignation et abomination.

  A007000935 

 Response: Quel danger y a il? Saint Pol, en toutes ses Epistres, salue il pas ores cestuy ci, ores cestuy la, quoy qu'absent? Et aux Philip., 4: Salutant vos omnes sancti; salutant vos omnes qui mecum sunt fratres; et nostre saint Pierre en son Epist.

  A007000954 

 Mais l'unique entrëe de cest oracle c'est la parolle de Dieu; car nous ne pouvons pas entrer en cest auditoire de Dieu, que ce ne soit per Mot Dei..

  A007000956 

 Mais parce qu'en ceste doctrine nous ne sommes pas d'accord avec les adversaires, j'en diray sommairement quelque chose qui confirmera l'interpretation et la foy catholique, en cest ordre: premierement, qu'il y a des saintes Traditions en l'Eglise; 2.

  A007000958 

 On me dira qu'il n'est pas necessaire; il suffit qu'il soit utile, comme l'Epistre ad Philemonem.

  A007000958 

 Puys, ou Nostre Seigneur le leur devoit dire pour eux ou pour l'Eglise: si pour l'Eglise, donq nous l'avons encores; si pour eux seulement, donq en l'Evangile tout ce qui est necessaire a un chacun n'y est pas..

  A007000968 

 Pour le nombre des Sacremens; car qui m'a dict que le lavement des piedz que fit Nostre Seigneur ne fut pas Sacrement et le Baptesme le fut? et qui m'a dict qu'il falloit mettre du vin au calice? etc..

  A007000970 

 Ce n'est donques pas merveille si Irenee a dict: « Qui successionem habent ab Apostolis, cum Episcopatus successione charisma veritatis certum secundum placitum Patris acceperunt », [lib.] 4, c. 43; et Nostre Seigneur: Cum autem venerit Spiritus Sanctus, docebit vos omnem veritatem, dequoy l'Eglise a besoin, contra novas hæreses exorientes.

  A007000978 

 Que nos Traditions ne sont pas humaines, mais divines.

  A007000989 

 » Et affin que nous n'ignorions pas que ce fut une apparition d'un Dieu en Trinité, apres qu'Abraham eut veu ces troys, il en adore l'unité: « Tres vidit, et unum adoravit, » dict la Glose; et Abraham leur parlant: Domine, si inveni gratiam in oculis tuis, ne transeas servum tuum, sed afferam pauxillum aquæ, ut laventur pedes vestri, et requiescite sub arbore.

  A007000990 

 Mays pour cest effect il nous faut faire tous ensemble comme Abraham, [255] lequel leva les yeux en haut, et autrement n'eust pas eu cest honneur.

  A007000992 

 Car encores qu'il semble que ceste sainte Trinité se doive reduire a l'unité de l'essence, d'autant que selon nostre façon d'entendre l'un soit premier que l'autre, si est ce que l'article de l'unité d'un Dieu n'est pas si propre aux Chrestiens que celuy de la Trinité, d'autant que plusieurs ont conneu Dieu et son unité, qui n'estoyent pas Chrestiens.

  A007000992 

 Mays quant a l'article de la tressainte Trinité, il est tellement particulier aux Chrestiens, que mesme le peuple Hebrieu n'en avoit pas pour la pluspart connoissance expresse, [et] que jamais les payens n'y estoyent arrivés: qui occasionne saint Hierosme a s'escrier en l'epistre ad Paulinum « Hoc doctus Plato nescivit, [256] hoc eloquens Demosthenes ignoravit.

  A007000993 

 O comme nous devrions donques encores en ce tems miserable celebrer ceste sainte feste et dire: Gloria Patri, etc. Penses vous pas que nos adversaires se soyent contentés de renverser l'Eglise? Superbia eorum qui te oderunt ascendit semper; Psalm.

  A007000993 

 « Sunt gradus ad impietatem, et nemo repente fit pessimus.» Les Trinitaires, sortis de l'escole calvinienne, sont ilz pas encores en la Transylvanie? n'ont ilz pas escrit, les uns avec Arrius, les autres avec Sabellius? Superbia eorum qui te oderunt, etc. Un Valentin Gentil, un Servet, un Farel, un Viret ont du tout infecté ceste sainte doctrine, la ou Calvin et Beze, faysans les fins, s'entremettent parmi.

  A007000996 

 Chantons donques: Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto, etc. Je sçay bien que vous n'entendes pas ce mistere, ni moy aussi, mays il me suffit que nous le croyions tant mieux; et ce que j'en ay dict n'est pour autre fin que pour vous le representer davantage, et vous ayder a le croire plus distinctement.

  A007000998 

 L'autre blaspheme, c'est qu'ilz ne veulent recevoir le nom de Trinité; et leur rayson est, d'autant que Trinité ne veut dire que les Personnes; la personne ne veut dire que residence et proprieté; residence et proprieté n'est pas Dieu.

  A007000998 

 Outre plus, disent ilz, ce n'est pas bien parler latin.

  A007000999 

 Et quant a ceste belle objection que ce mot n'est pas latin, ignores vous encores que quand il a pleu a Dieu, en l'exces de son amour, nous descouvrir de nouvelles verités, il a fallu chercher de nouveaux motz pour les exprimer? Ignores vous que les motz sont faictz pour les choses, et non les choses pour les motz, et qu'il se faut bien garder d'assujettir les choses aux parolles, et beaucoup plus de renoncer aux choses les plus saintes et les plus divines pour ne pas rencontrer dans le langage usité parmi les Romains des dictions qui les signifient? Suyvant ceste maxime de vostre eschole, il faudroit encores rejetter le mistere fondamental de nostre salut, [260] l'Incarnation du Verbe æternel, pource que ce mot d'incarnation ne se trouve point dans la pure latinité.

  A007001000 

 » Ne laissons pas donques de chanter: « Pater de cœlis Deus, miserere nobis; » ne laissons pas de dire que les trois Personnes sont adorables et suradorables, pour la gloire essentielle et interieure, et pour la gloire exterieure et attribuee..

  A007001034 

 CXXXII: « Le nom de moines leur déplaît avec raison, parce qu'ils ne veulent pas habiter en union avec leurs frères.

  A007001037 

 Confirme tes frères (ce n'est pas un simple précepte, c'est l'institution d'un confirmateur, comme le: Croissez et multipliez-vous dit aux poissons, etc.); pour enlever toute défiance aux pasteurs et aux brebis, j'ai prié afin que ta foi ne défaille pas..

  A007001041 

 Achaz, Amon, etc., impies, ne troublèrent pas les fidèles; comptant sur la promesse, ceux-ci ne regardèrent même pas l'impiété présente.

  A007001058 

 Et pour autant que la principale rayson que les adversaires praetendent avoir pour abandonner l'Eglise gist en ce different, je me suys proposé de vous remonstrer le mieux quil me sera possible les raysons de l'Eglise; ce que je feray avec tel ordre que vostre esprit ne sera pas beaucoup empesché a les retenir, et la probation en demeurera tres manifeste et tres claire..

  A007001060 

 Mays je ne voudroys pas que vous pensassies qu'en ces sermons je veuille alleguer ce que j'en pourrois dire; non, je ne diray que ce qui me semblera de plus singulier [269] et pregnant.

  A007001068 

 » Mays outre cela, ne sçaves vous pas que le man fut mis sur l'autel, au tabernacle? ad Heb.

  A007001087 

 Il ne tient pas aux reformeurs que ceste prophetie ne soit rendue menteuse.

  A007001117 

 Je ne crois pas que jamais plus chaud'alarme fut donnee que celle que les Prophetes donnent aux hommes pour le jour du jugement, ce pendant que l'un crie, Is.

  A007001124 

 Leur argument prouve que saint Pierre n'estoit pas Apostre.

  A007001173 

 Le calice de bénédiction que nous bénissons, n'est-il pas la communication du sang du Christ? et le pain que nous rompons, n'est-il pas la participation au corps du Christ? Saint Paul ne parle pas de participation par la foi, car en soi le pain n'est rien, mais il dit que le pain est la participation..

  A007001176 

 Pour les Catholiques, le Christ comme homme est réellement présent, non pas partout, mais dans son Sacrement, dans le Ciel et où il lui plaît.

  A007001178 

 Dieu dit à Eve et à Adam: Tu ne mangeras pas; le démon dit: Mange.

  A007001180 

 La chair ne sert de rien, c'est vrai; le fer non plus ne brûle pas, néanmoins quand il est incandescent, il brûle.

  A007001213 

 Rupert ajoute ces remarquables paroles: « Le démon a voulu être semblable à Dieu, » il n'y a pas réussi; « maintenant, il veut rendre Dieu semblable à lui, c'est-à-dire menteur.

  A007001213 

 » Ainsi les hérétiques veulent en savoir autant que Dieu: ils n'y réussissent pas, et ils prétendent que la puissance divine ne saurait dépasser leur intelligence..

  A007001215 

 Ce passage: La chair ne sert de rien, ne prouve rien, pas plus que cet autre: Ni la chair, ni le sang ne posséderont le royaume de Dieu. Quant à ces mots: C'est l'esprit qui vivifie, les paroles que je dis, etc., ils ne répugnent pas au [290] sens des textes cités, car ils ne leur sont ni contradictoires ni contraires.

  A007001215 

 Leur fussent-ils même contraires, il ne s'en suivrait pas qu'une proposition détruisît l'autre, car chacune d'elles pourrait être comprise littéralement, à des points de vue divers.

  A007001216 

 Notre interprétation est confirmée: [1.] par le fait que les quatre Evangélistes exposent ce dogme de la même manière, sans rien ajouter qui nous oblige à le comprendre autrement, ce qu'ils ne manquent pas de faire lorsqu'il y a lieu: Détruisez ce temple; mais il disait cela du temple de son corps.

  A007001217 

 Par le fait que Jésus-Christ a parlé trois fois de ce Sacrement: quand il l'a promis en termes précis (nous exposerons ces paroles Dimanche); quand il l'a donné à la dernière Cène; quand il en a instruit Paul: En dernier lieu, il m'a parlé à moi, qui ne suis qu'un avorton; ce ne fut pourtant pas alors que le Seigneur l'instruisit, ce fut lors de son ravissement au troisième ciel. De là vient ce ton solennel de Paul: Car j'ai reçu moi-même du Seigneur..

  A007001221 

 Jésus-Christ marche habituellement pas à pas, Pour montrer à la Vierge que rien n'est impossible à Dieu, il lai donne l'exemple de la femme stérile; pour prouver son pouvoir de remettre les péchés, il guérit les maladies du corps; et ainsi des autres.

  A007001223 

 Ce pain dont je parle descend du ciel. Quant à Moïse, il ne vous a pas donné le vrai pain du ciel: c'était un pain céleste, mais non le vrai pain du ciel; il semblait venir du ciel, celui-ci seul vient vraiment du ciel.

  A007001223 

 La manne était une nourriture sans vie, elle ne la donnait donc pas; aussi mouraient-ils; cette nourriture-ci est vivante et donne la vie..

  A007001224 

 Ensuite, à considérer la manne selon les apparences, elle serait bien [293] supérieure au Sacrement de l'Eucharistie, si celui-ci ne contenait pas le corps du Seigneur.

  A007001224 

 Or la forme est bien inférieure; quant à la substance, elle n'est en rien supérieure si elle n'est pas le vrai corps de Jésus-Christ; car le corps du Christ en figure, par la foi et dans ses effets, les anciens le recevaient autant qu'il était nécessaire pour obtenir la vie éternelle: Tous mangeaient la même nourriture spirituelle, etc. Or, ils buvaient l'eau [de la pierre] qui les suivait, etc..

  A007001227 

 Pourquoi Sara a-t-elle ri, disant: Enfanterais-je vraiment malgré ma vieillesse? Et ce ne serait pas vraiment nourriture, etc..

  A007001254 

 Nos ennemis remplissent [ce puits] de terre; et parce qu'ils ne peuvent y puiser, ils disent qu'il ne s'agit pas ici de l'Eucharistie, mais de la manducation par la foi..

  A007001255 

 Jésus confirme son assertion lorsqu'il dit: Mais il y en a parmi vous qui ne croient point, c'est-à-dire qui ne croient pas que cette chair est pleine d'esprit..

  A007001255 

 L'Esprit du Seigneur s'emparera, de toi et tu seras changé en un autre homme. Le roi de France ne venge pas les injures faites au duc d'Orléans.

  A007001255 

 L'âme ne pleure pas, ne file pas, c'est pourtant l'âme, etc. C'est l'esprit qui vivifie, mais il ne vivifie que par la chair.

  A007001255 

 S'il ne s'agit pas ici d'une manducation sacramentelle, le Christ a mal expliqué la manducation par la foi; car ceux qui le voyaient [298] connaissaient très bien et sa chair et son sang. [3.] Le mot autre ne s'emploie pas toujours dans le même sens.

  A007001255 

 Si le Christ avait voulu promettre sa chair en nourriture, dans l'Eucharistie, comment l'aurait-il appelée, comment se serait-il exprimé? Pas autrement, à coup sûr; soyons donc de bonne foi. 2.

  A007001255 

 [1.] N'est-ce pas d'une manière toute spéciale que, dans l'Eucharistie, nous mangeons le corps du Christ, la chair du Christ? Tous l'avouent.

  A007001256 

 Chez les Hébreux, d'ailleurs, pain est un terme générique; ainsi: L'homme ne vit pas seulement de pain, etc. De même, la manne est appelée pain.

  A007001257 

 Les Chrétiens sont, semblables aux cerfs, quand leur nourriture n'est pas fraîche.

  A007001276 

 Tirer l'exorde de la réception faite à Dieu en la personne des Anges, par Abraham qui lui dit dans la vallée de Mambré: Seigneur, si j'ai trouvé grâce, etc. ne poursuis pas ta route sans t'arrêter auprès de ton serviteur; j'apporterai un peu d'eau pour laver vos pieds, et vous vous reposerez sous l'arbre; je vous servirai aussi un peu de pain, et vous reprendrez vos forces, puis vous poursuivrez votre route; car c'est pour cela que vous êtes venus vers votre serviteur.

  A007001302 

 Ceci est. Par exemple: l'agneau est le passage; la pierre est le Christ; les sept bœufs ce sont les sept années; il n'est pas dit: le pain est mon corps, mais: Ceci est mon corps.

  A007001303 

 De même que Jésus-Christ en parlant, ne s'est pas arrêté au mot ceci, ainsi, pour comprendre, nous ne devons pas nous arrêter à ce mot..

  A007001303 

 Les aveugles voient: que signifie le mot aveugles? [303] Non pas les aveugles, car eux ne voient pas; non pas ceux qui voient, car ils ne sont pas aveugles.

  A007001303 

 Que signifiait ceci? Non pas le corps, il n'était pas encore dans le Sacrement, il indiquait donc le pain; donc, le pain est le corps du Christ.

  A007001310 

 LXXXIII sur saint Matthieu et LX au Peuple d'Antioche: « Si vous n'aviez pas de corps, » etc..

  A007001312 

 Afin que nous n'ayons pas horreur; saint Ambroise, liv. VI des Sacrements, chap. 1..

  A007001323 

 Ainsy donques la terre ne va pas prendre la semence en la grange ou metairie, mays le laboureur la porte au champ, et de sa main l'espand a certaine proportion et mesure.

  A007001323 

 Car si cela estoit, semen non esset Mot Dei, puysque quand Nostre Seigneur disoit ceste parole, l'Evangile n'estoit pas encor escrit, et neantmoins le semeur estoit desja sortir seminare semen suum.

  A007001323 

 Ce n'estoit donques pas de l'Escriture de laquelle il dict Semen est Mot Dei.

  A007001323 

 Outre ce, ne confesseront ilz pas que le semeur en ceste parabole est Nostre Seigneur? Mays ou trouveront ilz que Nostre Seigneur aÿe jamais escrit [307] l'Evangile? Quand donques il dict Semen est Mot Dei, il entend de la parole non escritte, mais preschëe..

  A007001323 

 Que si elle est escritte, ce n'a pas esté pour abolir la prædication, mais plustost pour l'accommoder et enrichir; contre ceste sotte façon de parler de plusieurs qui disent qu'il ne faut rien croire qui ne soit escrit, et que l'Escriture suffit sans autre parole de Dieu; que chacun la peut entendre et y doit chercher la resolution de sa foy.

  A007001323 

 Si donques ce n'estoit pas de l'Escriture, et il n'y a point d'autre parole de Dieu que l'Escriture, semen non esset Mot Dei.

  A007001328 

 Que si on ne peut entendre sans ouyr, et que cest ouyr soit necessaire au salut, avec combien d'attention [308] faut il escouter la parole qui n'est pas parole humaine, mais parole de Dieu.

  A007001329 

 Semen est Mot Dei; et comme la semence entre en la terre et ne demeure pas sur terre, ainsy faut il que la parole de Dieu, etc. Audiam quid loquatur in me Dominus Deus; Ps.

  A007001346 

 Encores que tant au ciel qu'en la terre Dieu soit tousjours par une parfaitte præsence en tous lieux comme il dict par Hierem., 23: Cœlum et terrain ego impleo, et ce que saint Pol dict, Act., 17: Non longe abest ab unoquoque nostrum; in ipso enim vivimus movemur et sumus, si est-ce neantmoins qu'il y a certains lieux lesquelz luy estant consacrés, sont appellés mayson de Dieu, habitation, lieu, temple, tabernacle, non pas pour ce qu'il soit plus la qu'ailleurs (parlant de Dieu en sa divinité), mays pour ce que la il confere particulierement ses graces et benedictions, et la il faict plus de demonstration de sa gloire..

  A007001347 

 Ce que nos adversaires ne voulant entendre, pour trouver occasion de se separer d'avec l'Eglise leur douce Mere et faire mesnage a part, affin de mieux seconder les impressions de leurs cervelles, ilz ont dict a ceux qui leur ont voulu prester l'oreille, que nous disions Dieu n'estre pas par tout et n'ouÿr pas nos oraysons par tout, ains qu'en l'eglise il avoit « l'oreille plus pres de nous, » pour user des termes de leur maistre.

  A007001348 

 Mays je ne veux pas m'entretenir en cecy, car je ne pense pas qu'il y ayt icy personne tant ennemy de l'antiquité, qui ne porte honneur particulier aux eglises, comme maysons de Dieu; seulement je vous mettray un argument en main a ce propos, lequel vous pouves porter en face de tous les plus esveillés de nos adversaires..

  A007001350 

 Mais c'est une regle generale que voyant l'Escriture affermer une chose d'un costé et la nier de l'autre, on ne doit pas entendre la negation absolument, mays seulement avec quelque condition; ainsy quand il nie estre au temple, cela s'entend y estre comme des choses creëes, lesquelles sont tellement en un lieu qu'elles ne sont pas en l'autre.

  A007001352 

 Zachee donques s'appercevant que Nostre Seigneur estoit entré en la ville, a cause du grand peuple qu'il voyoit se presser pour rapprocher, voyant qu'il ne le pouvoit voir parmi la presse, estant petit homme, il s'encourt devant, et monte sur un arbre de figue folle. Il n'est pas comme plusieurs qui pour les choses de Dieu ne remueroyent pas les pieds; mays il est ardent de ne pas laisser perdre ceste commodité.

  A007001354 

 Ne sçaves vous pas que Joab respondit a Abner (2 des Rois, 2 )? Il l'avoit poursuivi si vivement, qu'Abner voyant le soleil couché, et que neantmoins Joab poursuivoit tousjours a les battre, il s'escria: Num usque ad internecionem tuus mucro desæviet? Et ait Joab: Vivit Dominus, si locutus fuisses mane, recessisset populus persequens.

  A007001355 

 Ne vous flattes pas de ce qu'on n'entend rien, on n'en sçait rien, car ces choses vous seront un jour rudement reprochëes, et Jesus Christ se plaindra qu'il vous a advertis de vous en deporter.

  A007001355 

 Nostre Seigneur a beau crier: Superbe, descens de ta hauteur; paresseux, depesche de te convertir; luxurieux, laisse ta paillardise, car je veux venir chez toy; avaricieux, laisse l'usure, ne prens pas tant sur le pauvre laboureur, ne ronge pas tant ces pauvres os martirisés sous tant de travaux.

  A007001356 

 Ne soyes pas comme ceux ci desquelz il est dict: Furor eorum secundum similitudinem serpentis, sicut aspidis surdæ et obturantis aures suas; Psal.

  A007001364 

 La verité est si belle et si excellente en elle mesme, qu'estant clairement et naïfvement mise a la veuë de nostre entendement, il n'est pas possible qu'il ne l'embrasse avec un amour et playsir extreme.

  A007001364 

 Que si cela se peut dire de toute sorte de verité, combien plus, je vous supplie, mes chers Freres, de la verité qui est la premiere et la plus excellente de toutes, je dis de la verité chrestienne, au prix de laquelle toutes les autres verités ne sont presque pas tant verités que vanités; « verité plus belle que ne fut onques ceste fameuse Helene, » pour la beauté de laquelle moururent tant de Grecz et de Troyens, dict saint Augustin, puysque pour l'amour d'icelle sont mortz infiniment plus de gens d'honneur et de Martirs tressaintz.

  A007001369 

 Or, entre les Juifz, la chair humaine estoit tellement hors d'usage, que mesme en touchant un cors mort on estoit contaminé et souillé devant le monde; et quant au sang il estoit tellement prohibé, que mesme il n'estoit pas loysible, selon la Loy, de manger de celuy des bestes.

  A007001371 

 Et, outre cela, nos Chrestiens se tenoyent si serrés et couvertz en la celebration de ce mistere, que mesme ilz ne permettoyent pas aux catechumenes de le voir; si que les payens oyans dire absolument que les Chrestiens mangeoyent la chair du Filz de Dieu, et ne sçachans ni pouvans deviner que ce fust autrement qu'avec une façon charnelle, ilz accusoyent les Chrestiens d'un crime d'antropophagie..

  A007001372 

 Combien de fois nous objectent ilz que si nous mangeons reellement le cors de Nostre Seigneur, donques il faut que nous le deschirions, maschions et rongions; et de la, ilz passent a des argumens si insolens et extravagans, qu'il n'est pas possible de plus.

  A007001372 

 O peuple, des personnes baptizëes, nourries et instruites en l'Eglise de Dieu, qui ont mille fois ouÿ et veu la celebration de la sainte Eucharistie et cent fois peut estre y ont participé; et apres tout cela, s'estant [325] separés de la sainte compaignie des fidelles pour faire des sectes a part, ne laissent pas de nous faire des argumens sur ceste calomnie aussi asseurement comme s'ilz estoyent tout a fait ignorans de nostre creance.

  A007001373 

 Et les Capharnaïtes, qui l'entendirent comme cela, estoyent des pauvres gens et qui n'avoyent pas bien consideré les parolles de Nostre Seigneur, lesquelles ne peuvent nullement estre tirëes a ce sens.

  A007001373 

 Mais quoy, n'exprime il pas asses son intention quand il dict en ce mesme discours: Je suys le pain vivant qui suys descendu du ciel? Voyes vous pas qu'il ne parle pas d'une viande morte, mays vivante? Or, elle ne seroit pas vivante, si elle estoit deschirëe, rompue et mise en morceaux.

  A007001373 

 Or il ne se donneroit pas soy mesme tout entierement, s'il ne donnoit que sa chair seule et morte..

  A007001373 

 Qui me mange, dict il, vivra pour l'amour de moy; il ne veut donq pas donner sa chair morte ni seule, mays se veut donner tout entierement.

  A007001374 

 « Et comment donques, » dict saint Chrisostome, « la chair ne prouffite de rien? ne parle il pas de sa chair mesme? Ja n'advienne, mays il parle des personnes qui entendent charnellement.

  A007001379 

 L'un estoit: Quomodo potest hic nobis carnem suam dare ad manducandum? L'autre estoit: Durus est hic sermo, et quis potest eum audire? Car toutes les oppositions qu'on nous faict tendent la, ou que ceste realité n'a peu estre instituëe et faitte, ou qu'il n'a pas esté convenable; et semble que tous les lieux qu'ilz sont allés recherchans en l'Escriture ne leur servent que d'une confirmation pour ces deux doutes.

  A007001384 

 L'une c'est la præsence, que la chose estant en un lieu y soit præsente, et ceste qualité n'est autre qu'estre en un lieu: de façon qu'estre praesent en un lieu n'est autre sinon y estre; estre absent, c'est n'y estre pas.

  A007001385 

 Or neantmoins la chose n'est pas ainsy, car il y a grande difference entre estre præsent et occuper de façon que l'un peut bien estre sans l'autre.

  A007001386 

 La præsence donques peut estre sans l'occupation de lieu, et l'est ordinairement es espritz; mays es choses corporelles, ordinairement la præsence d'une chose n'est pas sans occupation de place..

  A007001388 

 Comment se pourroit il faire qu' un chameau entrast par le trou d'une eguille, sinon qu'il n'y occupast point de place? Un si grand animal, estre compris en un si petit lieu, n'est ce pas un bel exemple a nostre propos? Je sçay bien qu'il y en a eu qui l'ont entendu d'une corde de chanvre, qu'on appelle cable; mays tous les Peres l'entendent de cest animal.

  A007001389 

 Ah mon Dieu, que ce que l'esprit humain hait est bien haï! qu'est ce qu'il ne va rechercher pour s'excuser? Voyes en saint Luc, 24, comme ses disciples s'esmerveillerent de ceste soudaine apparition, et voyant les portes bien fermëes, ilz pensoyent voir un esprit; comme nos adversaires, lesquelz quand on leur dict que Nostre Seigneur n'occupe point de lieu, ilz pensent que ce ne soit pas son cors.

  A007001389 

 Non, non, c'est son cors; ce n'est pas une contenance spirituelle, c'est son vray cors mais spiritualisé..

  A007001390 

 Mais jamais aucune attaque ne leur fit reculer d'un pas; ilz voulurent maintenir en tout et par tout le sens naïf et simple de l'Escriture..

  A007001391 

 Voyes vous, mes Freres, Nostre Seigneur avec son vray cors sort hors du ventre de sa Mere sans aucune fraction ni ruption de sa virginité; ne failloit il pas donques que ce fut sans occuper [332] place, et qu'il passast par ce cors virginal par penetration de dimension? A Dieu ne playse que je die ce que nos adversaires respondent en cest endroit; c'est chose hors de respect.

  A007001392 

 Quoy, Nostre Seigneur ne sort il pas du sepulchre fermé? Sans doute.

  A007001394 

 Nostre Seigneur respond asses a tous ces argumens quand il dict en saint Matthieu, 19: Hoc apud homines impossibile est; apud Deum omnia possibilia sunt. Vous n'entendes pas? O, il ne faut pas laisser de croire pour cela.

  A007001394 

 Si c'est le second, comme peut recevoir vostre œil, qui est si petit, une repræsentation de si grandes choses et si diverses? Qu'ilz me disent comme la lumiere corporelle penetre ainsy en un instant les deux, l'air et l'eau; car encores qu'elle n'aÿe pas de substance, si est ce qu'elle est corporelle..

  A007001398 

 Et en Exod., 7, la verge d'Aaron n'est [335] elle pas veritablement convertie en couleuvre? car l'Escriture dict que ce que les autres firent fut par sorcellerie, mays que ce que fit Aaron fut veritable.

  A007001398 

 Mais je ne sçay en quoy ilz trouvent ceste impossibilité; car n'a on pas veu la substance de l'eau changëe en la substance du vin es noces de Cana en Galilëe (elle fut faicte vin, Jan, 2 ), et la femme de Loth en une statue de sel (Genese, 19 )? Mays voyes comme le diable mesme reconnoist la transsubstantiation estre possible: Si Filius Dei es, dic ut lapides isti panes fiant.

  A007001398 

 Ne convertira il pas nostre pourriture en un beau cors, en la resurrection? 1.

  A007001398 

 Ne convertit il pas la poudre en chair? Gen., 3.

  A007001398 

 Nostre Sauveur n'a il pas converti le rien en tout? Genes., 1.

  A007001399 

 Donq ce n'est plus pain si c'est le cors de Nostre Seigneur; car si ce qu'il prit en ses benistes mains n'estoit pas changé, il ne failloit pas dire que ce fut autre chose que ce qui estoit auparavant.

  A007001399 

 Il ne faut pas dire que son cors y soit et le pain aussi; car qui vendroit un sac, moitié froment, moitié avoine, et dirait: Achetes cecy, car c'est froment, sans doute qu'il tromperoit le monde et seroit reputé pour avoir dict mensonge.

  A007001399 

 Il ne faut pas donq dire que Nostre Seigneur disant: Cecy est mon cors, le pain y soit encores.

  A007001401 

 Il suffit que la chose est en l'Escriture, encores que le mot n'y soit pas..

  A007001401 

 Mais voudries vous bien, Messieurs, qu'en ce Sacrement on repeust le ventre et l'esprit tout ensemble? Non, cela n'estoit pas convenable.

  A007001402 

 Secondement, ilz disent que ce Sacrement est appellé pain; mais je respons que ce n'est pas parce qu'il y ayt du pain, mais parce qu'il y a apparence de pain exterieure, ou bien parce qu'il a esté faict du pain, ou parce qu'il a les effectz et proprietés du pain, ou parce que, selon la coustume des Hebrieux, toute sorte de viande a esté appellëe pain (comme on voit de la manne qui a esté appellëe pain, Exode, 16, dont Nostre Seigneur n'a pas dict: Caro mea vere est panis, mays vere est cibus, qui est le mesme que quand il dict: Ego sum panis vivus), et que l'Escriture ayt accoustumé d'appeller les choses du nom de celles la desquelles elles ont esté faites, ainsy qu'il est aysé a voir Exod., 7, ou la verge d'Aaron estant convertie en serpent ne laisse d'estre appellëe verge; au Genes., 3, ou l'homme faict et tiré de poudre, ne laisse d'estre appellé poudre..

  A007001404 

 Il est voylé en l'Eucharistie, mays cela ne doit pas empescher qu il n'y soit adoré; car ainsy fut il adoré des Roys, voylé des langes et emmailloté..

  A007001405 

 Or affin que tout d'un coup je prouve que Nostre Seigneur est reellement selon sa chair en ce tressaint Sacrement, et tout ensemble qu'il l'y faut adorer, l'un ne pouvant estre sans l'autre, ni qu'il y soit adoré s'il n'y est pas, ni qu'il y soit sans y estre adoré par l'Eglise, qui est jalouse de rendre a son Espoux tout honneur, je vous prie de regarder combien ceste affaire est convenable, puysque ceste adoration ayant esté preveüe par David, il en tressaute de consolation au Pseaume 21, et chante: Manducaverunt et adoraverunt omnes pingues terræ.

  A007001406 

 Et affin qu'il ne semble pas que ce soit une nouveauté, ains qu'on connoisse que l'adoration de l'Eucharistie a tousjours esté en l'Eglise, et par consequent qu'on a tousjours creu fermement qu'en icelle est le vray cors de Nostre Seigneur, oyes un peu le tesmoignage de quelques grans Peres..

  A007001418 

 Le pain que nous rompons, n'est-ce pas.

  A007001425 

 De peur que par un praejugé et supposition fause vos entendemens ne soyent atteintz de quelque passion contre nous, chers auditeurs, pendant qu'on vous pourrait avoir faict accroire que le differend qui est entre nous et nos adversaires ne gist en autre, sinon en ce qu'ilz ne veulent rien croire que ce qui est es Escritures, et [que] nous voulions fonder nostre doctrine ailleurs que sur icelles, je vous supplie de croire qu'en ce particulier differend (ni en pas un autre aussi, non plus qu'eux) nous ne voulons ceder a eux en l'honneur que nous avons juré aux Saintes Escritures; mays que tout au contraire nous protestons ne vouloir le demesler que par la seule, pure et expresse parolle de Dieu, ainsy que nous fismes Dimanche.

  A007001428 

 L'adversaire respond que Dieu ne l'a pas dict; nous monstrons ses propres motz.

  A007001508 

 Bien que nous soyons plusieurs, nous ne sommes qu' un seul corps dans le Christ. Ne savez-vous pas qu'un peu de ferment [ corrompt ] toute, etc. Saint Augustin, sur le Ps.

  A007001527 

 Ne jugez pas selon la chair, mais jugez selon la droiture.

  A007001528 

 Tes prophètes ont eu pour toi des visions fausses et insensées, et ils ne te [357] découvraient pas ton iniquité pour te provoquer à la pénitence.

  A007001540 

 La manne ne descendit pas jusqu'à ce que la farine d'Egypte, etc. L'aigle aquatique a une patte d'oie et l'autre d'aigle.

  A007001541 

 Le sacrifice que Dieu désire est un esprit affligé; vous ne dédaignerez pas, ô Dieu, un cœur contrit et humilié.

  A007001554 

 De grâce, qu'il n'y ait pas de débat entre moi et toi.

  A007001592 

 Ceux de la maison d'Israel ne veulent pas t'écouter, parce qu'ils ne veulent pas m'écouter... Auxquels si tu étais envoyé ils t'écouteraient.

  A007001592 

 N'était-il pas tout brûlant? etc. Est-ce que vous voulez éprouver celui qui [ parle ] en moi? Quoi que tu trouves, mange-le.

  A007001592 

 Qui me donnera un auditeur? Un peuple que je ne connais pas m'a servi; en écoutant de ses oreilles il m'a obéi.

  A007001593 

 Courtisane, parce qu'elle n'enfante pas des fils de la foi, c'est-à-dire des bonnes œuvres, mais des fils illégitimes, c'est-à-dire des œuvres mauvaises.

  A007001594 

 La prière de celui qui détourne ses oreilles pour ne pas écouter la loi, sera exécrable.

  A007001594 

 Mais moi, comme si je n'entendais pas, etc. Le moqueur n'écoute pas quand on le reprend.

  A007001594 

 Maudit l'homme qui n'écoutera pas les paroles de cette alliance.

  A007001603 

 Il faut se battre a bon escient: l'exemple de Nostre Seigneur est devant nos yeux, l'ennemy n'est pas invincible; si nous taschons de suivre nostre Maistre, sans doute que la victoire nous en demeurera.

  A007001660 

 Dès le jour où tu as appliqué ton cœur afin de l'affliger devant Dieu, tes paroles ont été entendues. Et il avait dit auparavant: Je pleurai tous les jours pendant trois semaines; le pain si appétissant, je n'en [370] mangeai point; la viande et le vin n'entrèrent pas dans ma bouche. Comme remède au péché.

  A007001681 

 D'un côté, il montre la puissance divine: auparavant il n'avait pas eu faim; d'un autre, la nature humaine: ensuite il eut faim..

  A007001689 

 Si vous êtes le Fils de Dieu, pour savoir s'il l'est; s'il ne l'est pas, pour lui inspirer de l'orgueil..

  A007001692 

 [« Le démon n'a pas à offrir] d'ombrages agréables, pas d'Eve séductrice, pas de fruits à l'attrayant aspect, et parce qu'il ne trouve pas d'aliments à présenter à un affamé, il demande donc de changer les pierres en aliments; » saint Ambroise, serm. XXXV, Du jeûne du Seigneur.

  A007001710 

 O sainte affliction, o benite tribulation qui nous faict recourir a ce celeste Consolateur! Certes, entre tous les prouffitz de la tribulation qui ne sont pas petitz, je trouve celuy cy l'un des plus excellens, qu'elle nous faict revenir a Nostre Seigneur.

  A007001744 

 Saint Augustin: « Il fallait seulement l'annoncer à celui qui aimait; » « car si on aime on ne délaisse pas.

  A007001745 

 (Quiconque s'humilie sera exalté. Mon esprit n'était-il pas présent lorsque l'homme est revenu de son char à ta rencontre? Ayant été fait d'autant supérieur aux Anges, que le nom qu'il a reçu en partage est bien différent du leur. Car auquel des [377] Anges a-t-il jamais dit? etc. Et encore: Je serai son Père, et il sera mon Fils? Voici le jour que le Seigneur a fait..

  A007001747 

 Je voyais toujours le Seigneur en ma présence, parce qu'il est à ma droite afin que je ne sois pas ébranlé.

  A007001748 

 Saint Augustin, liv. VIII des Confessions, chap. III: « Le vainqueur triomphe; » et il n'eût pas triomphé s'il n'eût vaincu, « il n'eût pas vaincu s'il n'eut [378] combattu.

  A007001749 

 Ce que Jacob ayant entendu, il s'éveilla comme d'un profond sommeil, cependant il ne les croyait pas; eux, au contraire, lui rapportaient toute la suite de la chose.

  A007001750 

 A la vérité, nous ressusciterons tous, mais nous ne serons pas tous changés.

  A007001763 

 Alors ses nombreux enfants s'étant assemblés, il ne voulut point recevoir de consolation, [380] mais il dit: Je descendrai en pleurant vers mon fils dans l'enfer... L'enfant ne parait pas, et moi, oh irai-je?... Mon fils Absalom, Absalom mon fils, qui me donnera que je meure moi-même pour toi? Absalom mon fils, mon fils Absalom..

  A007001776 

 Icy la substance sans ses accidens; car n'est ce pas le propre des cors de diminuer, et qu'en levant il en reste moins? Et icy au contraire.

  A007001857 

 Les bienfaits de Dieu à notre égard sont si nombreux, que, pussions-nous vivre sans fin et le servir de toutes manières, nous n'égalerions pas sa libéralité; et après tout cela, nous devrions dire: Nous sommes des serviteurs inutiles.

  A007001857 

 Mais, que ne devrions-nous pas faire pour la gloire du Ciel? [ Les souffrances ] ne sont pas dignes d'être comparées....

  A007001857 

 Sachez que le Seigneur est Dieu; c'est lui qui nous a faits, et non pas nous-mêmes. Donc, tout ce que nous sommes, nous le tenons de lui.

  A007001857 

 Si je vous appartiens parce que vous m'avez créé, combien plus parce que vous m'avez créé une seconde [396] fois! Mais que ne devrions-nous pas faire pour éviter l'enfer? Il m'a mené et ramené.

  A007001867 

 Les oiseaux offerts en sacrifice par Abraham n'étaient pas divisés.

  A007001868 

 Les Saints, touchés dans leur conscience, ne veulent pas acheter le Paradis à vil prix; et nous, nous le dédaignons absolument.

  A007001876 

 Je sçay bien que ce bonheur m'arriva pour le sujet que je traittois, auquel je ne pouvois contribuer que de l'affection, de laquelle aussi je ne pouvois pas manquer puisqu'elle m'est hereditaire, mon pere, mon ayeul et mon bisayeul ayans eu l'honneur d'avoir esté nourris [398] pages et presque le reste de leur vie, en la mayson des tres illustres princes de Martigues, les pere, ayeul et bisayeul de Madame vostre mere, au service desquels leur fidelité a tous-jours rencontré beaucoup de faveur..

  A007001886 

 Je ne le devrois pas aussi; car si je devois exprimer la grandeur de la perte qu'en reçoit tout le Christianisme, ce seroit sur vostre face, Messieurs, que je tirerais, comme un [400] autre Timanthe, le voyle du silence, puisque je ne vois en toute ceste triste compaignie que ses plus chers et fidelles amis, ou ses plus intimes et affectionnés serviteurs.

  A007001886 

 Je ne le pourrais pas, parce que la perte que nous avons faitte avec toute l'Eglise est si grande, qu'estant extremement sensible elle en est d'autant plus indicible; aussi est il tres difficile de trouver asses de passion pour exprimer un grand dueil.

  A007001886 

 Si Dieu me donnoit autant d'esprit pour discourir et force a bien dire que j'en desirerois maintenant, pour le service de ceste action publique que nous celebrons pour honnorer la memoire du grand Philippe Emmanuel de Lorraine duc de Mercœur, lieutenant general de l'Empereur en ses armees d'Hongrie, je ne pourrois pas pourtant ni ne devrois vous representer, tres illustre et chrestienne assemblee, la justice du regret que nous avons pour son trespas.

  A007001887 

 Il ne m'est donques pas necessaire de vous esmouvoir a regretter ce prince, puisque c'est vous qui y aves le principal interest, et qui, plus sensibles aux affections du public, connoisses trop bien la perte que nous avons faite.

  A007001887 

 Ne vaut il pas beaucoup mieux cesser d'affliger ceux qui sont affligés * et mettre peyne d'essuyer vos pleurs, que de les exciter? Aussi, quand je vois devant et tout autour de moy le feu de tant de flambeaux allumés, signe ordinaire de l'immortalité, et que je me trouve revestu de blanc, couleur et marque de gloire, je connois bien que mon office n'est pas maintenant (et je vous supplie, Messieurs, de ne le pas desirer de moy), de vous representer les raysons que nous avons eu de regretter et plaindre, mays plustost celles que nous avons de finir nos regretz par le commencement de la consideration du bien dont jouyt ce grand prince par son trespas, affin que le sujet que nous avons de nous resjouyr attrempe et modere la violence du ressentiment que nous avons de ceste grande perte, quoy que je sçache que l'on doit permettre quelque chose a la pieté, mesme contre le devoir, et qu'en une douleur extreme c'est une partie du mal que d'ouÿr des consolations..

  A007001888 

 N'est ce pas l'excellente bonté, la valeur, la vertu du prince trespassé qui rend nostre perte incomparable? Et n'est ce pas la mesme bonté, valeur et vertu qui nous obligent de recevoir la consolation?.

  A007001890 

 Mais que sçay je si a l'adventure j'auray rencontré la rayson de ce choix? Les couleurs de l'eloquence, les fleurs des paroles, l'esmail des sentences n'est peut estre pas convenable ni au dueil ni aux funerailles:.

  A007001894 

 Les harangues et discours si polis, les paroles harmonieusement concertees n'y sont pas, a mon advis, sortables: Musica in luctu importuna narratio.

  A007001896 

 Telles pensees ne sont pas dignes de nous, si nous ne voulons estre de ceux auxquelz le Sage donne tiltre de folz: Visi sunt oculis insipientium mori.

  A007001898 

 Et certes, comme les ratz du Nil se forment petit a petit, et ne reçoivent la vie en tous leurs membres ensemblement, aussi les philosophes sont bien d'accord que nous ne vivons pas tout a coup ni ne mourons pas en un moment, puysqu'ilz disent que le cœur est le premier membre qui vit en nous et le dernier qui meurt.

  A007001898 

 Mais, je vous supplie, nostre Dieu ne dit-il pas au premier homme qu'au jour qu'il mangeroit du fruit defendu il mourroit de mort? Et neanmoins, si nous parlons selon le vulgaire, il ne mourut qu'apres plusieurs centaines d'annees despuis qu'il eut prevariqué; toutefois la verité est qu'il commença a mourir des le jour qu'il eut offencé, et continua jusques a son dernier jour..

  A007001899 

 Ah que nous sommes donq bien trompés quand nous appelions mortz ceux qui ont passé ceste vie mortelle, et vivans ceux qui la passent encor! Nous nommons vivans ceux qui meurent, parce qu'ilz n'ont pas achevé [404] de mourir, et ceux qui ont achevé de mourir, nous les apppellons mortz.

  A007001899 

 Mais si nous les voyions maintenant qu'ilz en sont delivrés, mon Dieu, que nous serions honteux de les avoir appellés mortz, et que nous serions en peyne de trouver des belles parolles pour exprimer l'excellence de la vie en laquelle ilz sont arrivés! Aussi nostre langue françoise ne les appelle pas mortz, mais trespassés, protestant asses que la mort n'est qu'un passage et trait, au dela duquel est le sejour de la gloire..

  A007001900 

 Ce grand duc de Mercœur n'est donques pas mort, il est seulement trespassé.

  A007001900 

 Il n'est pas si loin de nous que nous pensons; il y est allé, selon le vulgaire des hommes, en un moment, car la mort, a leur advis, ne dure pas davantage; mais selon les sages, il a mis quarante trois ans en ce voyage..

  A007001901 

 Helas, que ce terme est court! La pluspart de nous a desja beaucoup plus employé d'annees; les uns n'y vont pas si viste que les autres, mais presque tous neanmoins y vont tousjours plus viste qu'ilz ne voudroyent.

  A007001901 

 Nous avons mille peynes et travaux pour parvenir ou il est; pourquoy serons nous faschés qu'il y soit arrivé? Pourquoy pleurerons nous tant le trespas de ce prince, lequel pleureroit, s'il estoit en lieu de larmes, avec beaucoup plus de rayson le retardement du nostre, que nous n'avons pas pleuré l'avancement du sien? Nolo vos ignorare de dormientibus, ut non contristemini, sicut et cæteri qui spem non habent.

  A007001903 

 Mays ne penses pas, je vous supplie, que je veuille entreprendre de vous representer fleur a fleur et piece a piece, l'esmail d'une si belle vie: les perfections de ce prince se peuvent plustost admirer qu'imiter, desirer qu'esperer, envier qu'acquerir; c'est pourquoy j'ay peur d'offencer sa memoire, disant trop peu de ce qui ne se peut asses louer.

  A007001903 

 Que si je raconte quelques unes de ses vertus, ce ne sera pas pour donner lumiere [407] au soleil, comme l'on dit, ni que je presume de le pouvoir dignement louer, mais seulement pour faire reconnoistre a tout le monde que ce n'est pas sans grande rayson que l'on l'a regretté avec des pleurs si extraordinaires, que l'on honnore tant sa memoire, et que l'on a une si grande esperance qu'il est maintenant en la gloire de son Dieu.

  A007001908 

 Du costé paternel, qui tient le premier lieu en la consideration civile, il estoit de ceste royale mayson de Lorraine, dont l'origine est si tres ancienne, que, comme [409] estant de tems immemorable, les escrivains n'ont pas encor sceu demeurer d'accord de son commencement, comme les habitans d'Ægipte ne sçavent se resoudre de l'origine du Nil.

  A007001914 

 Mais a la verité, je ne me fusse pas arresté a vous ramentevoir la gloire de ses predecesseurs, laquelle a mon advis est la moindre partie de la sienne, si luy mesme n'en eust fait un grand cas pour s'animer a la vertu; car en la resolution qu'il print d'aller en Hongrie, il alleguoit entre ses autres raysons, que ses predecesseurs paternelz et maternelz luy avoyent laissé comme en heritage ceste sainte volonté, et qu'ilz le conduisoyent par leur exemple, comme par la main, au chemin de ce saint voyage.

  A007001917 

 Aussi n'ignoroit il pas que les voluptés ne nous embrassent que pour nous estrangler, et que pour cela nostre ame ne doit point autrement regarder nostre cors que comme les fers de sa captivité.

  A007001917 

 Il ne fut pas moins temperant aux autres voluptés corporelles, dont il avoit borné l'usage dans les loix d'un chaste mariage et par le devoir que les princes ont de laisser ça bas de la posterité; vertu rare en un siecle si depravé, en un aage si vigoureux, en un cors si beau et tant accompli, et en la commodité que la cour et ses appas luy offroit.

  A007001917 

 Pour moy, je tiens qu'il n'est pas plus difficile qu'un fleuve passe par la mer sans se saler, que de demeurer en la cour sans y apprendre et prattiquer des mœurs corrompues.

  A007001926 

 Ces exercices ordinaires luy servans comme d'une continuelle preparation a la Communion, il n'oublioit pas aux festes solemnelles de faire une entiere reveuë de toutes ses actions pour s'esprouver soy mesme avec une severité extreme, a celle fin de recevoir plus dignement le tressaint Sacrement de l'Eucharistie auquel il avoit une devotion inestimable, se croyant beaucoup plus asseuré de la victoire en guerre quand il rencontroit ou attaquoit les ennemis de l'Eglise le jeudy, pour estre l'institution de ce saint Sacrifice, ou bien le samedy, jour que nos peres ont destiné a l'honneur de Nostre Dame..

  A007001928 

 Mais ou vay je? Ne sçay je pas en quel danger de naufrage je me precipite, me hazardant a de telles louanges? Je cours bien encor une plus grande fortune, si je single en ceste mer sans fond et sans fin des vertus et genereux exploitz de ce prince.

  A007001929 

 Il n'a pas peu obligé la Bretagne d'y avoir planté ces deux pepinieres de sainteté et pieté.

  A007001933 

 On ne parloit plus que des progres de l'armee turquesque et de son cimeterre, quand, le vray Soleil de justice suscita ce vaillant et genereux prince, qui volontairement et librement, je ne diray pas seulement de gayeté mais encores de pieté de cœur, part de son païs, et, comme un autre Machabee, se rend en l'armee chrestienne au commencement du mois d'octobre, l'annee 1599.

  A007001944 

 C'est ainsy, Messieurs, que ce grand guerrier, autant digne d'estre surnommé Mars que Mercure, n'entreprenoit pas ce qui estoit facile, mays facilitoit ce qu'il entreprenoit.

  A007001945 

 Mais nostre general le sçachant fit aussi de son costé rapprocher son armee, et ayant prins avec soy environ six vingtz chevaux françois s'avança jusques dans la ville, de laquelle il ne pouvoit abandonner le soin, pour la visiter et asseurer; mais il n'y fut pas plus tost, qu'elle fut investie de huict mille chevaux, suyvis d'un gros de six vingtz mille hommes.

  A007001947 

 Ce qu'il monstroit bien clairement es lettres qu'il escrivoit a Madame sa femme; car il mettoit tant de soin de rapporter a la seule gloire de Dieu les heureux succes de ses armes, qu'il sembloit mesme n'en vouloir pas estre estimé l'instrument: signe certain d'une vraye humilité, et non point affectee, puysqu'il la prattiquoit a l'endroit de celle qui n'estoit qu'un autre luy mesme..

  A007001947 

 Mais apres la victoire de tant d'ennemis, ce grand prince ne fut pas pourtant vaincu de la vanité, laquelle bien souvent est victorieuse des autres vainqueurs.

  A007001948 

 Voyla donq quelque chose que ce grand general a fait en Hongrie; car de vouloir dire tout, ni le tems, ni ma voix, ni le lieu ne le permettent pas.

  A007001957 

 C'est pourquoy l'homme prudent ordonne chaque journee comme devant estre la derniere de sa vie, laquelle ne doit estre qu'une continuelle disposition a faciliter ce passage, duquel ce grand prince se voyant proche, apres l'avoir tant et tant attendu, il n'eut pas beaucoup de peyne a s'y resoudre et a se resigner entierement; car ne sçachant ou ceste heure l'attendoit, il l'attendoit par tout.

  A007001957 

 Me voicy arrivé par sa grande misericorde a la fin de ceste vie mortelle; sa toute bonté ne veut pas que j'arreste plus longuement parmi tant de miseres.

  A007001958 

 Il ne l'eut pas plus tost veu, que tout languissant et foible de cors, mays fort et ferme d'esprit, ayant « plus de foy que de vie, » il se jetta hors de son lict, et se prosternant en terre il adora son Sauveur, plein de larmes, de parolles devotes et de mouvemens religieux, luy presente son ame et luy dedie son cœur, puys le reçoit avec toute l'humilité et la ferveur que sa grande foy luy peut suggerer en ce dernier passage.

  A007001960 

 Heureuse fin pour le concours de toutes les vertus susdites, qui comme vrays amis, quand les forces de nature, quand les grandeurs et toutes les choses l'ont quitté, ne luy ont pas failli au besoin, se rencontrant toutes ensemble pour luy faire ce dernier office.

  A007001961 

 Laisses pleurer David sur la mort de son Absalon lequel est mort reprouvé; mais consoles vous sur le trespas de ce prince qui n'est pas mort, mais sauvé de la mort.

  A007001961 

 Que vous semble il maintenant, Messieurs, de la vie et du deces de ce prince? Sa vie merite elle pas d'estre celebree par des louanges immortelles? Vous est il advis qu'il faille regretter le trespas de celuy qui a si bien vescu? Il a receu la mort de bon cœur, et vous en voules detester la nouvelle? Non, non; quicomque vous a [432] dict qu'il estoit mort vous a trompés, ceux qui ont si bien vescu ne meurent jamais.

  A007001962 

 Vous resouvient-il pas du bon Helie? Le chariot ardent l'enleve, et le transporte au ciel, mais il laisse tomber son manteau pour son disciple Helisee.

  A007001963 

 Hé, qui sera ce courageux Helisee qui la recueillira? Qui sera ce brave prince qui, marchant sur les pas de ce grand conducteur d'armees, avec « plus de foy que de vie, » poursuivra les victoires qu'il a si bien commencees contre les ennemis du Crucifix? Permettes moy que je vous expose une mienne pensee.

  A007001963 

 Si l'esprit de ce prince a quelque soin de nous, comme il n'en faut pas douter, je crois que c'est principalement pour le desir qu'il a que quelqu'un luy succede [433] qui puisse comme luy porter pour sa devise: « Plus de foy que de vie.

  A007001963 

 » Car au reste, quel soin peut-il avoir pour ce qui est au monde? De Madame sa femme? Hé quoy, ne sçait-il pas qu'estant vertueuse et devote, elle se sçaura bien consoler en Dieu? De Mademoyselle sa fille? Hé quoy, ignore il qu'elle a une dame et mere qui suppleera le manquement du pere? De l'honneur de sa mayson? Mais il a laissé tant de grans princes qui le sçauront bien maintenir, voire accroistre mesme, a la faveur de ce grand Roy qui luy a rendu tant de tesmoignages de ses merites pendant sa vie, et tant d'honneur a sa memoire apres sa mort.

  A007001965 

 Mais encores me semble-il qu'il vous parle, Madame sa tres chere vefve, et a vous, Messieurs ses parens, et qu'il vous dit ces paroles: Regardes ou je suis, je vous supplie: je suis au lieu que j'ay tant desiré, auquel je me console en mes travaux passés qui m'ont acquis ceste gloire presente; pourquoy ne vous consoles vous avec moy? Quand j'estois avec vous, vous faisies profession de vous resjouïr avec moy de toutes mes consolations, [434] mesmement des caduques et illusoires: hé, ne suis-je pas tous-jours celuy-la? Pourquoy vous affliges vous donques de mon trespas, puysqu'il m'a donné tant de gloire? Non, je desire de vous tout autre chose que ces regretz; si vous aves des larmes, gardes les pour pleurer vos pechés et les malheurs de vostre siecle..

  A007001994 

 De là, Jean tenait sa mission ordinaire, il n'était pas besoin de miracles; ses supérieurs réguliers l'approuvèrent ensuite.

  A007002017 

 « Pour que pas un seul mot ne pût souiller ta vie.

  A007002019 

 Les renards ne mangent pas les poussins qui ont mangé le foie d'un renard.

  A007002021 

 Ceux qui pèchent ne font pas pénitence.

  A007002036 

 Dieu mit au ciel deux luminaires au commencement, l'un desquelz fut appellé par grand excellence le grand luminaire, et l'autre fut nommé le moindre; le grand pour esclairer et præsider au jour, et le moindre pour esclairer et præsider a la nuict; car encores que nostre Createur voulust qu'il y eust vicissitude de jour et de nuict, et que les tenebres succedassent a la lumiere, si est ce qu'estant lumiere luy mesme, il ne voulut pas que les tenebres et la nuict demeurassent du tout privees de lumiere; dont ayant creé le grand luminaire pour le jour, il en crea un moindre pour la nuict, affin que l'obscurité des tenebres fust encores meslee et attrempee par le moyen de sa clarté..

  A007002037 

 chapitre des Actes et au 1 er, tesmoigne que Nostre Dame estoit avec les disciples au jour de la Pentecoste, et qu'elle perseveroit avec eux en orayson et communion; dont quelques errans sont convaincus de faute en ce qu'ilz ont estimé qu'elle mourut avec son Filz, a cause des parolles de Simeon qui avoit prædit que le glaive transperceroit son ame; mais je declaireray bien tost ce passage, et monstreray par le vray sens que Nostre Dame ne mourut pas avec son Filz..

  A007002038 

 Quelques heretiques dirent, tout aussi tost que Nostre Seigneur fut mort et monté au Ciel, qu'il n'avoit pas eu un cors naturel et humain, mais fantastique.

  A007002038 

 » Elle vesquit donques apres la mort de sa vie, c'est a dire de son Filz, et apres son Ascension, et vesquit asses longuement, bien que le nombre des annees ne soit pas bien asseuré; mais le moins ne peut estre que de quinze ans, qui auroit fait arriver son aage a 63 ans.

  A007002039 

 Ces trois Saintz ne sont pas mortz, et neanmoins ne sont pas exemptz de la loy du trespas, parce que s'ilz ne sont mortz ilz mourront au dernier tems, sous la persecution de l'Antichrist, comme il appert au chap. 11 de l'Apoc.

  A007002039 

 Il est vray que l'Escriture nous enseigne en termes generaux que tous les hommes meurent, et n'y en a pas un qui soit exempt du trespas, mais elle ne dit pas que tous les hommes sont mortz, ni que tous ceux qui ont vescu soyent des-ja trespassés; au contraire elle en excepte quelques uns, comme Helie qui sans mourir fut transporté sur le chariot de feu, et Enoch qui fut ravi par Nostre Seigneur avant qu'il aye senti la mort; et encores saint Jean Evangeliste, comme je pense estre le plus probable selon la parole de Dieu, ainsy que je vous ay remonstré cy devant, le jour de sa feste en may.

  A007002039 

 Pourquoy ne pourroit on pas dire de mesme de la Mere de Dieu, a sçavoir qu'elle n'est pas morte encor, mais qu'elle mourra cy apres? Certes, si quelqu'un vouloit maintenir ceste opinion, on ne sçauroit le convaincre [442] par l'Escriture, et selon vos principes, o adversaires de l'Eglise Catholique, il seroit bien fondé.

  A007002040 

 J'auray bien tost respondu a la demande, mays il ne me sera pas si aysé de la bien prouver et declairer..

  A007002042 

 O peuple, ceste union, ce meslange et liaison de cœurs estoit grande qui faysoit dire telles parolles a saint Paul, mais non pas comparable avec celle qui estoit entre le cœur du Filz Jesus et celuy de la Mere Marie; car l'amour que Nostre Dame portoit a son Filz surpassoit celuy que saint Paul portoit [443] a son Maistre, d'autant que les noms de mere et de filz sont plus excellens en matiere d'affection que les noms de maistre et de serviteur.

  A007002043 

 Il ne dit pas: Le glaive transpercera ton cors, mais il dit ton ame.

  A007002043 

 L'ame donq de Nostre Dame devoit estre transpercee; mais par quelle espee, par quel Cousteau? Et le Prophete ne le dit pas; neanmoins, puysqu'il s'agit de l'ame et non pas du cors, de l'esprit et non pas de la chair, il ne faut pas l'entendre d'un glaive materiel et corporel, ains d' un glaive spirituel et qui puisse atteindre l' ame et l' esprit..

  A007002050 

 Le glaive d'amour, duquel Nostre Seigneur parle: Non veni mittere pacem, sed gladium; Je ne suis [444] pas venu mettre la paix, mais le glaive, qui est le mesme que quand il dit: Ignem veni mittere; Je suis venu mettre le feu. Et au Cantique des Cantiques, l'Espoux estime que l'amour soit une espee par laquelle il a esté blessé, disant: Tu as blessé mon cœur, ma seur, mon espouse. De ces trois glaives fut transpercee l'ame de Nostre Dame en la mort de son Filz, et principalement du dernier qui comprend les deux autres..

  A007002051 

 Ce n'est donques pas merveille si je dis que les douleurs du Filz furent les espees qui transpercerent l'ame de la Mere..

  A007002051 

 L'amour a accoustumé de faire recevoir les contre coups des afflictions de ceux que l'on cherit: Quis infirmatur, et ego non infirmor? Qui est malade, que je ne le sois? qui reçoit un coup de douleur, que je n'en reçoive le contre coup? dit le saint Apostre; et neanmoins l'ame de saint Paul ne touchoit pas de si pres au reste des fidelles, comme l'ame de Nostre Dame touchoit et attouchoit de fort pres, et de si pres que rien plus, a Nostre Seigneur, a son ame et a son cors, duquel elle estoit la source, la racine, la Mere.

  A007002051 

 Le cors de Nostre Dame n'estoit pas joint et ne touchoit pas a celuy de son Filz en la Passion; mais quant a son ame, elle estoit inseparablement unie a l'ame, au cœur, au cors de son Filz, si que les coups que le beny cors du Sauveur receut en la croix ne firent aucune blesseure au cors de Nostre Dame, mais ilz firent des grans contre coups en son ame, dont il fut verifié ce que Simeon avoit prædit.

  A007002052 

 Car quant a son amour, o comme il vous blessa, lhors que vous voyies mourir un Filz qui vous aymoit tant et que vous adories tant! Quant a sa douleur, comme elle vous toucha vivement, touchant si mortellement tout vostre playsir, vostre joye, vostre consolation! Et quant a ses paroles si douces et si aigres tout ensemble, helas, ce vous furent autant de vens et d'orages pour enflammer vostre amour et vos douleurs, et pour agiter le navire de vostre cœur presque brisé en la tempeste d'une mer tant amere! L'amour fut l'archer, car sans luy la douleur n'eust pas eu asses de mouvement pour atteindre vostre ame; la douleur fut l'arc qui lançoit les paroles interieures et exterieures, comme autant de dars qui n'avoyent autre but que vostre cœur..

  A007002054 

 Mais oyes, je vous prie: n'arrive il pas souvent qu'une biche est blessee par le veneur, et que neanmoins elle s'eschappe avec son coup et sa playe, et va mourir bien loin du lieu ou elle a esté blessee et plusieurs jours apres? Ainsy certes Nostre Dame fut blessee et atteinte du dard de douleur en la Passion de son Filz sur le mont de Calvaire, et ne mourut toutefois pas a l'heure, mays porta longuement sa playe de laquelle en fin elle mourut.

  A007002055 

 Au contraire la Sainte Vierge se sentant blessee, cherit et garda soigneusement les traitz dont elle estoit outrepercee et ne voulut jamais les repousser; ce fut sa gloire, ce fut son triomphe, et partant elle desira d'en mourir et en mourut en fin: si [447] que elle mourut de la mort de son Filz, bien qu'elle n'en mourut pas sur l'heure..

  A007002056 

 Or, si ne faut-il pas s'arrester ici; ce sujet est aggreable a mon advis.

  A007002056 

 Voyes les afflictions de son cœur, voyes les passions de son cors, consideras, je vous supplie, et voyes qu'il n'y a point de douleurs esgales aux siennes; mais neanmoins toutes ces douleurs, toutes ces afflictions, tous ces coups de main, de roseau, d'espines, de fouet, de marteaux, de lance ne pouvoyent le faire mourir; la mort n'avoit pas asses de force pour se rendre victorieuse sur une telle vie, elle n'y avoit point d'acces.

  A007002058 

 C'est cela qui le fait crier a pleine voix en mourant, pour monstrer qu'il avoit asses de force pour ne mourir pas, s'il luy eust pleu.

  A007002058 

 Mais non, il ne voulut pas; l'amour qu'il nous portoit comme une Dalila luy osta toute sa force, et se laissa volontairement mourir; et partant il n'est pas dit que son esprit sortit de luy, mais qu'il le rendit: Emisit spiritum.

  A007002060 

 O que l'amour divin est bien plus actif et puyssant! Son object, son principe est bien plus grand; c'est pourquoy ce n'est pas chose estrange si je dis que Nostre Dame en mourut.

  A007002060 

 Or, puysqu'il est certain que le Filz est mort d'amour et que la Mere est morte de la mort du Filz, il ne faut pas douter que la Mere ne soit morte d'amour.

  A007002062 

 Le phœnix meurt en ce feu la; la Vierge mourut en celuy ci, et ne faut pas douter qu'elle n'eust en son cœur gravees les armes de la Passion.

  A007002063 

 Le monde et tous ses habitans sont sujetz au sac et pillage et au feu general; mais ne vous semble il pas qu'il y aye rayson d'excepter Nostre Dame et son cors? cors qui receut et logea non les espies, mais le vray Josué, le vray Jesus, et non pour une nuict, mays bien pour plusieurs: Beatus venter, beata ubera.

  A007002063 

 Tu es poudre et tu retourneras en poudre; cela fut dit au premier Adam et a la premiere Eve, le second et la seconde n'y ont point eu de part: et c'est une regle certes bien generale, mais non pas sans exception, comme j'ay monstré d'Helie et d'Enoch.

  A007002064 

 Certes, selon les lois generales, la Vierge ne devoit pas resusciter avant le jour de la generale resurrection, ni mesme estre exempte de la corruption; mais l'honneur qu'elle a eu de porter devant le Pere eternel, non l'Arche d'alliance, mais le Filz unique, le Sauveur, le Redempteur, la rend exempte de toutes ces regles.

  A007002064 

 Le pontife Abiathar s'estoit rangé a la sedition d'Adonias, ou estant descouvert et surpris: Tu devois mourir, dit Salomon, mais parce que tu as porté l'Arche de l'alliance devant mon pere, tu ne mourras pas.

  A007002064 

 N'est il pas vray que nonobstant ces regles, plusieurs resusciterent au jour de la resurrection, Multa corpora sanctorum qui dormierant resurrexerunt? Et pourquoy non la Vierge, a laquelle, dit le grand Anselme, nous ne devons refuser aucun privilege ni honneur qui soit accordé a aucune creature simple?.

  A007002066 

 Le Filz qui receut son cors et sa chair de sa Mere venant en ce monde, ne permit pas que sa Mere demeurast ici bas, ni selon le cors ni selon l'ame; mais bien tost apres qu'elle eut payé le tribut general de la mort, il la tira apres soy au royaume de son saint Paradis.

  A007002066 

 Or, ce n'est pas asses de croire qu'elle est resuscitee, car il faut encor establir en nostre ame qu'elle n'est pas resuscitee pour mourir lautre fois comme fit le Lazare, mais pour suivre son Filz au Ciel, comme firent ceux qui resusciterent au jour que Nostre Seigneur resuscita; Math., 27.

  A007002067 

 Il ne faut pas douter que le Sauveur n'aye voulu observer ce commandement qu'il a fait a tous les enfans, au plus haut point de perfection que l'on peut imaginer.

  A007002067 

 Leves vous en ce commandement que vous aves fait, et ne permettes pas que ce cors qui vous a engendré sans corruption en reçoive maintenant par la mort; mais resuscités le et le saisisses sur les aysles de vostre puissance et bonté, pour le transporter du desert de ce monde bas en ce lieu de felicité immortelle.

  A007002068 

 Quand le patriarche Joseph receut son bon pere Jacob au royaume d'Egypte en la cour de Pharao, outre le favorable accueil que le roy mesme luy fit, ne doutes pas que les principaux courtisans ne luy allassent au devant et ne fissent toutes sortes de demonstrations d'une grande resjouyssance.

  A007002070 

 Saint Jean Baptiste mesme, vostre grand Patron, [455] o peuple, n'a pas esté exempt du peché veniel; or, le peché veniel allentit nos œuvres, retarde nos progres, empesche nostre advancement.

  A007002070 

 Voules vous voir clair en ceste doctrine? Sçaches qu'en matiere de bonnes œuvres, il n'y a personne qui commence si tost a en faire ni qui continue si diligemment comme fit Nostre Dame; car quant a nous autres, nous commençons bien tard a en faire, et si nous en faysons, bien souvent nous les perdons par le peché et ne continuons pas; si que l'amas ne s'en trouve pas fort grand, car bien qu'a l'adventure nous assemblons quelques deniers de merite, ce n'est que quelquefois, et bien souvent nous jouons et dissipons nostre argent en un coup de peché.

  A007002071 

 Il ne faut pas douter de cela, Chrestiens.

  A007002072 

 Aves-vous pas remarqué que la reyne de Saba portant tant de [456] choses pretieuses en Hierusalem, les offrit toutes a Salomon? Ah, tous les Saintz en font de mesme, et particulierement la Vierge; toutes ses perfections, toutes ses vertus, toutes ses felicités sont rapportees, consacrees et dediees a la gloire de son Filz qui en est la source, l'autheur et le consommateur: Soli Deo honor et gloria; tout revient a ce point.

  A007002072 

 C'est ainsy, o Chrestiens, qu'il faut estre jaloux de l'honneur de Jesus Christ, non pas comme les adversaires de l'Eglise, qui pensent bien honnorer le Filz refusant l'honneur deu a la Mere; ou au contraire, l'honneur porté a la Mere estant rapporté au Filz, rend magnifique et illustre la gloire de sa misericorde..

  A007002073 

 L'Eglise qui va tous-jours par le chemin royal et se tient dans le milieu de la vertu, ne combattit pas moins les uns que les autres, mais determinant contre les uns que la Vierge n'estoit que creature et que partant on ne devoit luy faire aucun sacrifice, elle establit contre les autres que neanmoins ceste sainte Dame, pour avoir esté Mere du Filz de Dieu, devoit estre reconneuë d'un honneur special, infiniment moindre que celuy de son Filz, mays infiniment plus grand que celuy de tous les autres Saintz.

  A007002073 

 Mais aux autres elle dit: le sacrifice est le supreme honneur de latrie qui ne doit estre porté qu'au Createur; et ne voyes-vous pas que la Vierge n'est pas la creatrice, mais une pure creature, quoy que tres excellente?.

  A007002075 

 Et certes, de soy elle n'estoit pas digne d'aucun honneur, elle estoit sans odeur; mais puysque ce grand arc du ciel, ce grand signe de la reconciliation de Dieu avec les hommes, vint petit a petit a fondre sur ceste sainte espine, premierement par grace des sa conception, puys par filiation, se rendant entierement son Filz et reposant en son pretieux ventre, la suavité en a esté si grande que nulle autre plante n'en a jamais tant eu, suavité qui est tant aggreable a Dieu, que les prieres qui en sont parfumees ne sont jamais debouttees ni inutiles; mais tous-jours l'honneur en revient a son Filz duquel elle a receu son odeur..

  A007002075 

 L'espine appellee aspalatus, dit [458] Pline, n'est pas de soy odoriferante; mais si l'arc en ciel vient fondre sur elle, il luy laisse une odeur de suavité incomparable.

  A007002076 

 Mais la Vierge et les Saintz sont advocatz de grace: ilz supplient pour nous qu'on nous pardonne, et le tout par la Passion du Sauveur; ilz n'ont pas pour monstrer dequoy nous justifier, mais s'en confient au Sauveur; bref, ilz ne joignent pas leurs prieres a l'intercession du Sauveur, car elles ne sont pas de mesme qualité, mais aux nostres.

  A007002076 

 Voyes-vous pas que tout cela revient a l'honneur de son Filz et en magnifie la gloire? [459].

  A007002123 

 Un [463] Pharaon connaît Joseph, temps de la justice originelle; mais un autre ne connaît pas Joseph, c'est-à-dire la raison.

  A007002124 

 Un enfant pauvre et sage vaut mieux qu'un roi vieux et insensé qui ne sait pas prévoir pour l'avenir. Saül qui règne deux ans, c'est-à-dire, qui vit dans l'innocence..

  A007002127 

 Ce n'est pas moi qui le fais, mais le péché qui habite en moi.

  A007002135 

 Il la pratiqua avant tout à l'égard des blasphémateurs, car le blasphème est un crime de lèse-majesté divine; il n'en va pas de même de tout péché.

  A007002135 

 Saint Louis n'a pas moins exactement observé la justice punitive.

  A007002138 

 De même les Mages ne sont pas appelés rois, parce qu'en présence du Christ ils ne sont pas rois.

  A007002138 

 Il ne permet pas, par vénération pour la sainte Croix, que ses enfants soient parés de fleurs le vendredi; et à vous, ô Parisiens, il légua une partie de cette sainte Croix, il vous légua la couronne d'épines, afin que le lis fût entre les épines.

  A007002154 

 Caïus se figurait qu'il deviendrait Dieu en revêtant les insignes de la divinité; toutefois, ce n'est pas ainsi qu'on le devient, mais par les vertus.

  A007002172 

 Que la tempête ne me submerge pas, que l'abîme ne m'engloutisse pas, que le puits ne referme pas sa bouche sur moi.

  A007002173 

 La flèche de Saül n'est pas retournée sans effet... Esther observait toutes choses comme elle avait coutume lorsqu'il l'élevait petite enfant dans sa maison.

  A007002173 

 Le Seigneur Dieu m'a ouvert l'oreille; pour moi, je ne contredis point, je ne me suis pas retiré en arrière.

  A007002173 

 Que la fornication ne soit pas même nommée.

  A007002195 

 Pour moi, je me mets fort peu en peine, etc.; c'est pourquoi ne jugez pas avant le temps.

  A007002196 

 C'est grâce aux miséricordes du Seigneur que nous n'avons pas été consumés.

  A007002196 

 En ce jour-la je scruterai Jérusalem avec des lampes et je visiterai les hommes enfoncés dans leur lie, qui disent en leurs cœurs: Le Seigneur ne fera pas de bien, il ne fera pas de mal. [ En ce jour-là; ] 1.

  A007002198 

 Il est statué, etc. Quel est l'homme qui vivra et qui ne verra pas la mort? La mort a passé dans tous les hommes..

  A007002199 

 Levez-vous, morts, et venez, etc. Ne vous en étonnez pas, car l'heure vient où tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront la voix du Fils de Dieu; et ceux qui auront fait le bien en sortiront, etc..

  A007002199 

 Voici que je vais vous dire un mystère: A la vérité, nous ressusciterons tous, mais nous ne serons pas tous changés.


08-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome VIII-Vol.2-Sermons.html
  A008000007 

 Pas être utilisés à des fins commerciales de toute nature!.

  A008000130 

 Le Christ ne semble-t-il pas leur reprocher de demander des miracles? Et [1] comment cela? N'ont-ils pas raison de demander, de réclamer des miracles du Christ?.

  A008000131 

 Il en est de même du Christ, qui déclare ses miracles si nécessaires que si je n'avais pas fait, [dit-il,] parmi eux des œuvres que nul autre n'a faites, ils n'auraient point de peché.

  A008000132 

 Voyant, ils ne voient pas: aveuglement, comme Pharaon, comme Saül, comme Judas.

  A008000133 

 Mais l'interprétation est très difficile, Et il ne lui sera donné d'autre signe que celui du Prophète Jonas. 1 re interprétation, celle d'un grand nombre: c'est-à-dire la résurrection du Christ, etc. Mais il y a là de nombreuses difficultés; car la résurrection [du Christ] n'était pas plus un signe pour eux que Son ascension ou [la résurrection] des morts, etc. 2 me.

  A008000151 

 Quels sont les malades, les aveugles, les boiteux, les infirmes dont les membres sont desséchés? Aveugles: les infidèles ne voient pas; boiteux, dans l'appétit irascible ou dans l'appétit concupiscible; desséchés: les tièdes, ou encore ceux qui demeurent dans le péché originel.

  A008000155 

 Nous ne sommes pas capables.

  A008000176 

 Vous me chercherez et vous ne me trouverez pas; et vous mourrez dans votre péché..

  A008000180 

 Est-ce que je veux la mort de l'impie, et non qu'il se convertisse et qu'il vive? Convertissez-vous et faites pénitence de toutes vos iniquités, et l'iniquité ne causera pas votre ruine.

  A008000181 

 Dans sa colère, il ne contiendra pas ses miséricordes.

  A008000182 

 3 me: Parce que le pécheur a une volonté éternelle de pécher; car s'il pèche sachant qu'il est mortel, que ne ferait-il pas s'il se savait immortel? Il les a abandonnés aux désirs de leur cœur, etc..

  A008000205 

 A vous, parents, qui demandez et n'avez pas encore mérité (Remi, «orgueilleux»), mais à ceux pour qui il a été préparé, c'est-à-dire, qui ont bien mérité.

  A008000205 

 Ce n'est pas à moi, comme homme, de vous l'accorder, car ceci relève de Dieu; saint Augustin.

  A008000206 

 Saint Bède: Pour Dieu, non pour nous, parce qu'il n'a pas besoin de nos biens.

  A008000206 

 Saint Chrysostôme: Dites; pour moi, je ne le dirai pas, mais courage, bon et fidèle serviteur.

  A008000207 

 Tu ne seras pas, sur le gibet, la pâture des corbeaux.».

  A008000207 

 «Je n'ai pas fait de larcin.

  A008000267 

 Mais ils ne veulent pas les remuer du doigt. La trompette est la parole de Dieu.

  A008000268 

 Mais moi, dit le Seigneur, je chante juste et bats mieux encore: Pourquoi donc ne croient-ils pas quand je dis la vérité?.

  A008000269 

 Tes prophètes ont eu pour toi des visions fausses et insensées, et ils ne découvraient pas ton iniquité pour te provoquer à la pénitence.

  A008000270 

 Après avoir écarté toute excuse, le Christ donne la raison pour laquelle ils ne veulent pas écouter.

  A008000270 

 Quand les enfants jouent, si seulement le père de l'un d'entre eux tousse légèrement, lors même que tous les autres n'y prendraient pas garde, son fils l'entend.

  A008000271 

 Ces maudits aussi entendaient à ce moment; on dit que celui qui n'obéit pas n'entend pas.

  A008000271 

 Comment connaissez-vous que quelqu'un est sourd, sinon quand les paroles ne l'atteignent pas? Près de la fontaine, Eliézer donne à Rébecca des pendants d'oreilles du poids de deux sicles, et des bracelets du poids de dix sicles..

  A008000271 

 Pratiquez la parole et ne l'écoutez pas seulement, vous trompant vous-mêmes, etc. Venez, descendons et confondons leur langue, afin que l'un n'entende pas la parole de l'autre; afin [17] qu'il n'entende pas, c'est-à-dire, qu'il ne comprenne pas.

  A008000272 

 Mais la cause principale pour laquelle ils n'entendent pas est la haine, la malveillance dont nous les voyons animés.

  A008000273 

 Jésus répondit: Je n'ai pas de démon en moi (il ne parle pas de Samaritain; il est évident qu'il ne l'était pas), mais j'honore mon Père, et vous, vous me déshonorez.

  A008000273 

 Les Juifs répondirent et lui dirent: Ne disons-nous pas avec raison que vous êtes un Samaritain et qu'un démon est en vous? Ces paroles-ci sont bien les propos du diable, c'est-à-dire, des blasphèmes, des paroles infernales.

  A008000296 

 Quand Elie fut ravi, Elisée lui demanda son esprit au double; Elie répondit: Tu as demandé une grande chose, cependant, si tu me vois monter, cela se fera; si tu ne me vois pas monter, cela ne se fera pas.

  A008000298 

 Par exemple, s'agit-il de l'Ecriture, Swenckfeld, Quintinus, Chopin, ne veulent pas de parole, tout vient par inspiration; et presque tous les autres refusent absolument de croire à l'Eglise, inspirée par l'Esprit-Saint.

  A008000299 

 Ainsi: la foi justifie, donc les œuvres ne justifient pas; et pourtant l'Ecriture enseigne très clairement ces deux points.

  A008000299 

 Et il en est ainsi presque toujours, comme dans ce cas: c'est un article de foi que Jésus «est monté aux cieux,» il n'est donc pas dans l'Eucharistie; mais l'Eglise dit: oui, il est là-haut, et il est dans l'Eucharistie.

  A008000299 

 Il faut se confesser à Dieu, donc pas aux ministres du Christ; mais l'Eglise dit: à Dieu et à ses [22] ministres.

  A008000299 

 Pourquoi? Parce que Celui qui pouvait faire l'un et l'autre a affirmé l'un et l'autre; et il n'a pas promis et refusé.

  A008000299 

 Presque toujours les hérétiques contemporains, lorsqu'ils trouvent deux vérités de l'Ecriture dont ils ne peuvent comprendre l'existence simultanée, ont coutume d'en détruire l'une par l'autre, bien qu'elles ne soient pas contraires.

  A008000301 

 La manne tombait la nuit, pour que les Israélites ne vissent pas son mode de production, mais qu'une fois produite ils y crussent: crois au fait sans rechercher comment il s'est produit..

  A008000301 

 Les Israélites crurent, ils ne dirent pas: Cela ressemble non pas au pain, mats à la coriandre, à la gelée blanche, au verglas; non, tous en recueillirent.

  A008000304 

 Mais pourquoi ne nous entraine-t-il pas? L'aimant attire le fer, pourvu que n'y mettent obstacle ni un diamant interposé, ni une substance graisseuse, ni l'ail.

  A008000346 

 Celui qui dit qu'il aime Dieu et ne garde pas ses commandements est un menteur.

  A008000369 

 [1.] Il y en a de ceux qui sont ici présents qui ne goûteront pas la mort jusqu'à ce qu'ils voient le Fils de l'homme dans son royaume; et là il parlait du royaume céleste..

  A008000401 

 Quel est cet Ange? Ce ne fut pas certes celui clu Christ si nous l'entendons du génitif d'intérêt, mais ce fut bien celui du Christ s'il s'agit du génitif de possession; car il lui fallait un Ange, non comme gardien mais comme Berviteur.

  A008000409 

 Eh! misérable, ton péché demeure et ton règne ne demeure pas: ainsi en est-il pour un grand nombre d'hommes.

  A008000410 

 Il ne dit pas où; mais allez tranquillement.

  A008000410 

 Saint François haïssait les fourmis qui amassent uniquement pour elles et enfouissent leur butin en terre; il aimait au contraire les abeilles, qui font du miel pour l'hiver, mais qui ne le mettent pas en terre et qui ne travaillent pas pour elles seules.

  A008000439 

 «Par les dons, croyez-m'en, hommes et dieux s'apaisent.» (Aussi lit-on dans l'Exode, XXIII: Tu ne paraîtras pas devant moi les mains [38] vides; Deut., XVI: Personne ne paraîtra devant moi les mains vides.) C'est pourquoi il nous est nécessaire de connaître la manière d'offrir à Dieu nos présents.

  A008000442 

 Puis, ils étaient sages; mais l'homme sage n'est pas sans être bon.

  A008000443 

 D'autres, comme les voleurs, donnent ce qui ne leur appartient pas.

  A008000443 

 Il y en a qui font hommage à Dieu de ce qu'ils n'ont pas.

  A008000443 

 Mon fils, pourquoi n'es-tu pas dévot? Je serai dévot dans ma vieillesse.

  A008000449 

 O temps heureux ou l'on croyait jamais donner assez! Pour exalter la gloire du temple de la Bienheureuse Vierge, ne craignez pas que l'Eglise reçoive trop; aussi a-t-elle réprimé les Collyridiens.

  A008000491 

 Dites-moi, ô très chère Mère et ma très douce Souveraine, ces trésors resplendissants de la sagesse et de la science n'étaient-ils pas dans le Verbe, dans le Fils de Dieu, avant qu'il fût conçu dans votre sein? Mais vous, très vénérable Souveraine, ces trésors vous les avez voilés et comme cachés dans votre chair, car c'est en ce Verbe qu'ils sont cachés.

  A008000491 

 Qui donc les y a recélés? N'est-ce pas vous, ô Vierge? Mais dites-moi, ô Mère très aimante, [45] pour qui les mères cachent-elles des trésors, si ce n'est pour leurs enfants? C'est donc pour nous que vous les avez cachés.

  A008000495 

 On appelle trésor «un ancien dépôt d'argent, complètement oublié, et qui, partant, n'a pas de propriétaire.» Code, liv. X, [titre XV,] Des Trésors, loi unique.

  A008000495 

 Quelques-uns, comme l'Empereur Léon cité par Hilaret, le définissent: «des objets meubles, cachés par des maîtres inconnus, à une époque très éloignée.» Saint Augustin, d'après saint Thomas, en donne une définition analogue, si ce n'est qu'il ne parle pas du temps éloigné.

  A008000495 

 Tout cela n'est-il pas renfermé en moi et scellé dans mes trésors?.

  A008000497 

 Vous verrez bien les abeilles se poser sur les roses, les lis et les plus grandes fleurs; mais elles ne récoltent pas moins sur le thym, le romarin et les autres moindres fleurettes, et leur travail y est plus fructueux, à cause de la multitude de ces fleurs, et parce que le miel, dans ces petits vases, se conserve mieux et s'évapore moins.

  A008000498 

 Et le Seigneur nous montre cela quand il dit: Lorsque vous jeûner ne soyez pas tristes comme les hypocrites, afin d'être vus des hommes.

  A008000499 

 Aussi saint Bernard ajoute-t-il: «La bouche a-t-elle seule péché, qu'elle jeûne seule; mais les membres ont aussi péché, pourquoi ne jeûneraient-ils pas? » Voir le passage sur le mot Jeûne, serm. XXXVIII. [2.] Lavez-vous, soyez purs, ôtez le mal de vos pensées.

  A008000499 

 Pour toi qui n'es pas hypocrite, oins ta tête et lave ton visage.

  A008000500 

 Aussi est-il dit, aux Hébreux, VI: Dieu n' est pas injuste pour oublier vos œuvres..

  A008000500 

 D'où il s'ensuit: Afin que les hommes ne voient pas que tu jeûnes, mais seulement ton Père qui voit dans le secret; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.

  A008000500 

 Et si, comme plusieurs le pensent, entre autres Suarez, l'intention formelle et actuelle n'est pas nécessaire, du moins est-il mieux et plus assuré de l'avoir telle et de fixer les yeux sur Dieu.

  A008000500 

 Je la donnerai, je ne la rendrai pas, répondit Philippe; et les Athéniens reprirent: Nous ne la recevrons pas comme don, nous la recouvrerons.

  A008000503 

 Ainsi [54] saint Paul fut père: Car eussiez-vous plusieurs milliers de précepteurs, vous n'avez cependant pas plusieurs pères, etc.; il fut mère: Mes petits enfants, pour qui je ressens de nouveau les douleurs de l'enfantement. » Or, comment le Christ nous vivifie de son sang, nous le comprenons; comment de sa bouche il nous donne la mort, la chose est moins claire.

  A008000505 

 Ainsi nous disons la langue grecque, pour désigner non pas l'organe, la langue, mais son action, c'est-à-dire, la parole grecque; ou, j'ai reconnu la main, pour dire, l'œuvre d'une telle main.

  A008000530 

 Anselme et Origène: La nuit est la vie présente; le jour, le temps qui suit la mort de chacun, non pas après le jugement général, mais après le particulier.

  A008000552 

 La morale nous fait craindre les juges, qui, comme le dit saint Paul, ne portent pas le glaive sans raison.

  A008000552 

 Ne craignez pas ceux qui tuent le corps.

  A008000577 

 Hélas! il y a des prédicateurs au milieu du peuple, et on ne prend pas la peine de venir les entendre.

  A008000577 

 Nous, nous remettons les péchés, nous déclarons que ce même Christ est venu, nous ne le montrons pas seulement du doigt comme l'Agneau du sacrifice, mais nos mains le présentent comme victime consommée et comme nourriture, et personne ne vient! Cette nation se lèvera..

  A008000579 

 Plus qu'un Prophète, parce que Jean n'a pas seulement prédit, il a encore montré; ange par son office, non par nature..

  A008000580 

 Allez, bien-aimés auditeurs, allez, mon peuple, au Christ, et demandez-lui en [65] mon nom: Etes-vous Celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre? Vous le voyez venir enfermé dans le sein de sa Mère, et c'est lui-même cependant qui viendra juger les vivants et les morts; nous ne devons pas en attendre un autre.

  A008000580 

 Mais pour ne pas vous retenir davantage, je vous envoie à Jésus-Christ.

  A008000581 

 En ce temps-ci, le diacre et le sous-diacre portent à la Messe des planètes ou chasubles dont la partie antérieure est repliée, pour signifier qu'avant la venue [du Messie] les mystères [66] n'avaient pas encore été révélés et que les anciens n'avaient qu'un sacerdoce incomplet; mais lorsqu'ils exercent leurs fonctions, ils dépouillent ce vêtement, parce que le voile fut ôté des yeux de Jean et des membres de la Synagogue, contemporains du Christ qui annoncèrent sa venue..

  A008000607 

 Ainsi, qui dirait: Si Dieu prescrivait telle chose et ne sanctionnait pas ce précepte par la menace d'un châtiment, etc., je pécherais; mais comme, etc., celui-là serait pécheur d'affection.

  A008000607 

 Elle est mauvaise lorsqu'elle n'exclut pas la volonté de pécher et qu'elle en contient même le désir.

  A008000626 

 En attendant j'ai attendu le Seigneur, et il m'a écouté; ensuite: Vous n'avez pas voulu de sacrifice [72] ni d'offrande, mais vous m'avez rendu parfaitement attentif à vos paroles; vous n'avez pas demandé d'holocauste pour le péché, alors j'ai dit: Me voici... La vue est encore éloignée, c'est-à-dire la vision, mais il apparaîtra à la fin et il ne trompera pas; s'il tarde, attends-le, car il viendra et il ne tardera pas..

  A008000626 

 Le sceptre ne sera pas ôté de Juda ni le chef de sa postérité, jusqu'à ce que vienne Celui qui doit être envoyé, Siloh. Ce mot a différentes significations, selon la diversité des racines: son fils, pacifique, envoyé; les Septante: jusqu'à ce que vienne Celui pour lequel il a été gardé, c'est-à-dire le sceptre.

  A008000640 

 Or sus, mes chers auditeurs, si vous ne le sçaves pas, les Madianites representent les mondains, Gedeon est la figure de Jesuschrist, et les troys cens soldatz sont un portrait des prædicateurs.

  A008000640 

 Vous dormes, non pas, au milieu de vos grossieres et terrestres affections? et voyci que ce divin Capitaine nous commande que nous sonnions haut et cler de nos trompettes, et que nous facions tout par tout retentir nos clerons: Vox dicentis mihi, clama; quasi tuba exalta vocem tuam.

  A008000667 

 Comme s'il disait: Veux-tu être en sûreté, ne te détourne pas après de nombreux amants; commence par la connaissance de toi-même, et tiens pour certain que si tu t'ignores, ô la plus belle d'entre les femmes, tu suivras les traces de tes troupeaux, c'est-à-dire de tes diverses affections, tu paîtras tes chevreaux, c'est-à-dire les affections mauvaises, près des tentes d'hommes étrangers qui se glorifient d'être mes rivaux, et paissent les âmes, mais de vent..

  A008000668 

 Pour moi, je ne vois pas ici un reproche, mais un conseil bienveillant qui nous apprend de quelle manière nous devons débuter dans la recherche de Dieu.

  A008000669 

 Hélas! nous y pensons assez, mais nous n'y réfléchissons pas: D'une grande désolation, etc. Dis-moi, orgueilleux, dis-moi, avare, gourmand, quêteur de [81] renommée, etc. Le fondement de toutes les tentations fut de bannir l'idée de la mort..

  A008000670 

 De ne pas manger du fruit de tous les arbres, c'est-à-dire, de n'en manger aucun; voyez la tromperie.

  A008000670 

 Donc, dès que la femme est créée, il vient et dit: Pourquoi Dieu vous a-t-il commandé de ne pas manger du fruit de tous les arbres du paradis? Voyez la ruse: Pourquoi a-t-il commandé? Parce qu'il est le Seigneur; c'est lui qui nous a faits, et nous ne nous sommes pas faits nous-mêmes.

  A008000670 

 Et il lui commanda, disant: Mange du fruit de tous les arbres du paradis, c'est-à-dire, tu peux manger; mais quant aux fruits de l'arbre de la science du bien et du mal, n'en mange pas; car, a quelque heure, etc. Durant le peu de temps qu'Adam demeura seul, il obéit; il donna des noms aux choses et aux animaux: le serpent ne voulait pas le tenter alors; il attendit pour cela d'avoir un puissant instrument de tentation, la femme.

  A008000670 

 Ses suggestions d'aujourd'hui sont semblables: Oh ces prédicateurs! ils vous interdisent toute joie, toute nourriture, tout sourire, tout soin des biens temporels; ils vous veulent tout le jour à l'église, toujours dans le jeûne, [82] Ah! traître à l'humanité! nous ne disons pas cela, mais: Nourris-toi de toute joie, mais de la joie du péché n'en use pas, etc. La femme dit: [ Nous mangeons ] du fruit des arbres... Dieu nous a commandé de n'en point manger et de n'y point toucher, c'est-à-dire, à l'arbre..

  A008000671 

 Ceux qui chassent au chevreuil se joignent aux rochers, car s'ils voient tant soit peu d'ouverture ils se fourrent; il faut ainsi adhérer aux commandements et ne pas même s'en écarter de la largeur d'un ongle.

  A008000671 

 Je ne veux pas, [dit le tentateur,] que tu penses le mal, mais écoute ses paroles; ne t'y fie pas, mais écoute comme il chante bien ce jeune homme; ferme les yeux sur ces obscénités, je le veux, mais vois, pour le charme littéraire, comme il écrit élégamment..

  A008000671 

 Ne savez-vous pas que le plus souvent les démons ne demandent pas de grandes choses aux devins et aux magiciens, mais un [83] poil de barbe, une rognure d'ongle? Si tu les donnes, tu es pris.

  A008000674 

 Donc, étant capables de la vie éternelle, lorsque vous jeûnez, ne soyez pas tristes comme les hypocrites. Pourquoi êtes-vous tristes, vous qui attendez une telle récompense? Pourquoi, comme les hypocrites, poursuivez-vous une gloire éphémère, vous qui pouvez aspirer à une gloire éternelle? [85].

  A008000696 

 Greffe un poirier sur [87] un chêne, il ne produira pas; si tu le greffes sur un autre arbre de la même famille, il produira, etc..

  A008000696 

 Pour Adam: Faisons-lui une aide semblable a lui; à Abraham, Sara, bien qu'il ne soit pas dit explicitement; à Isaac, Rébecca; à Jacob, Lia et Rachel; Tobie et Sara.

  A008000727 

 La Providence ne s'occupe pas seulement des plus grandes choses, comme du décor des cieux, c'est-à-dire de la disposition des sphères célestes, de la variété de leur cours et de leurs mouvements, de la place et de l'ordre des étoiles et des planètes, etc.; mais aussi des moindres, comme [89] de la génération du serpent, de celle de la couleuvre, animal bien petit et le moindre de tous ceux qui se communiquent la vie sans génération spontanée.

  A008000728 

 Avez-vous vu comment les verriers font les verres? Ils prennent à l'extrémité d'un bâton percé la matière préparée, soufflent ensuite dans ce tube, et le verre étant fait de la sorte n'est pas sujet à la dissolution.

  A008000730 

 Et Celui qui pourvoit aux serpents nous abandonnerait! Le serpent se nourrit de terre et ne manque pas de nourriture; le cœur de l'homme se nourrit du Ciel et le Ciel lui manquerait! Lorsque le serpent boit, il perd son venin, et l'homme restauré d'aliments célestes ne déposerait pas le venin des passions! Celui qui n'abandonne pas le serpent perfide qui fuit, pourrait-il abandonner l'homme qui le suit fidèlement? Evangile d'hier sur la Providence de Dieu..

  A008000733 

 Les acheteurs et les vendeurs sont ordinairement voleurs, s'ils ne sont pas timorés et n'ont pas grand soin de veiller sur leur cœur.

  A008000735 

 La calomnie ne blessa pas les Apôtres ni les autres amants de l'humilité; ce n'est pas elle non plus qui te blesse, c'est ton orgueil, ton arrogance qui te fait plus vivement sentir l'injure qui t'est faite..

  A008000735 

 Voyez les pères et les mères; ils pèchent s'ils rient en voyant leurs enfants s'abandonner à de mauvais propos, aux pires débuts de la vanité; le Seigneur tressera des cordes, et ces mêmes enfants accableront leurs parents d'autant de douleurs, etc. «On n'est blessé que par soi-même.» La pauvreté ne blessa pas Job, ne blessa pas saint François; ce n'est pas elle non plus qui te blesse, c'est ton impatience.

  A008000736 

 Que dis-je, mes Frères? Soyez dans l'épouvante! Celui qui n'épargna pas les Anges pour une seule mauvaise pensée conçue dans le temple, comment vous pardonnera-t-il, à vous qui y poussez des éclats de rire? Pour moi, je [94] voudrais donner jusqu'à mon sang pour que vous abandonnassiez tout péché, mais je vous conjure surtout de respecter les temples; vous, nobles de la cité, vous, femmes, etc. Chambéry est le modèle de toute la Savoie.

  A008000758 

 Si tu n'es pas exaucé, c'est ou que tu n'es pas pauvre, ou que tu n'as pas préparé ton cœur.

  A008000760 

 Avant-hier, il est vrai, notre aveugle disait: Nous savons que Dieu n'exauce pas les pêcheurs.

  A008000790 

 Pour la Vierge au pied de la Croix: Et ton âme. Et après la dernière parole, la comparer à la reine de Saba qui n'avait plus son esprit, c'est-à-dire la respiration, son esprit, la force de comprendre, tant elle était saisie d'admiration; elle n'avait pas son esprit, mais il était tout en son Fils.

  A008000821 

 Quelques-uns ne descendent pas, il est vrai, mais du moins ralentissent-ils leur marche, comme saint Jean-Baptiste, et les Apôtres, même après la Pentecôte.

  A008000822 

 Pourquoi pas à la Sainte Vierge? 4.

  A008000822 

 Tout lieu où le Christ ne paraissait pas lui était un désert.

  A008000827 

 Sa charité immense qui constitue sa gloire essentielle; au Ciel, la fumée n'est pas obscure, c'est une nuée lumineuse.

  A008000851 

 Dieu a voulu le salut de tous, il invita surtout les Juifs et ils ne voulurent pas venir; il leur envoya des apôtres, ils ne voulurent pas les recevoir et même les mirent à [108] mort.

  A008000852 

 Pourquoi donc tous ne sont-ils pas élus? Parce qu'ils n'ont pas le vêtement nuptial.

  A008000854 

 Celui d'Esther, à queue, et qui [110] appartient aux Saints en tant que [par leurs exemples] ils communiquent leurs vertus [à ceux qui viennent après eux.] Il descend jusqu'aux pieds, comme les deux autres; car à quoi bon porter une robe qui ne descendrait pas jusqu'au talon, quand c'est surtout à notre talon que le démon, vrai serpent, tend ses embûches? Mais cette robe fait plus que de couvrir les pieds, elle se prolonge encore vers ceux qui suivent, comme celle d'Esther.

  A008000873 

 Ainsi les hérétiques: Pourquoi l'Eglise vous ordonne-t-elle de ne pas lire toute l'Ecriture? Pourquoi [113] défend-elle de se marier? Pourquoi, de manger des aliments créés par Dieu? etc. La femme lui répondit: Nous mangeons du fruit des arbres qui sont dans le paradis; mais pour le fruit de l'arbre qui est au milieu du paradis, Dieu nous a commandé de n'en point manger et de n'y point toucher, de peur que nous ne mourions.

  A008000873 

 On exagère ainsi le précepte, afin de taxer de sévérité outrée ceux qui le donnent: qu'ils ne touchent pas.

  A008000873 

 Ou bien, de ne pas manger de tous, c'est-à-dire non pas de tous et de chacun; mais en a-t-il excepté les fruits de l'arbre d e la science du bien et du mal? Rupert dit excellemment, liv. II de la Trinité, chap. IV: Le diable, «feignant d'ignorer la vérité,» dit de tous.

  A008000873 

 S'attaquant donc à la femme, comme étant la plus faible: Pourquoi Dieu vous a-t-il commandé, dit-il, de ne pas manger du fruit de tous les arbres du paradis? De tous, c'est-à-dire, pourquoi vous a-t-il commandé de n'en manger aucun; c'est l'opinion commune.

  A008000873 

 Si le mari ou le père dit: Je ne veux pas que tu parles à un tel; hélas, dit-on, il veut que je ne parle à personne.

  A008000901 

 Parfois nous ne voulons pas interroger, pour ne pas apprendre une nouvelle qu'il nous serait pénible de connaître.

  A008000901 

 Quelque chose d'analogue se passe aujourd'hui: les Apôtres sont accablés de tristesse, et partant ne demandent pas au Seigneur: Où allez-vous? mais lui, les contraint à se nourrir et leur annonce son [115] départ, les causes et les avantages de ce départ.

  A008000903 

 Comme de petits enfants dans le Christ, je vous ai nourris de lait et non d'aliments solides, parce que vous n'en étiez pas capables, et à présent même vous ne l'êtes pas encore, parce que vous êtes encore charnels.

  A008000903 

 Et saint Paul n'a pas tout écrit.

  A008000904 

 De même, tout ce qu'il est nécessaire de croire n'est pas explicitement écrit, en particulier le nombre et le vrai sens des Livres canoniques, et les mots: «est descendu aux enfers.».

  A008000904 

 Il n'est pas nécessaire, par exemple, de savoir que le chien de Tobie avait une queue, ou que saint Paul avait un manteau qu'il laissa à Troade, chez [117] Carpus.

  A008000904 

 Toute l'Ecriture n'est pas nécessaire pour la foi, bien qu'elle soit toute de foi.

  A008000930 

 Lorsque les oiseaux n'ont pas de petits dans leur nid, ils voltigent d'arbre en arbre, s'y arrêtent et chantent merveilleusement tantôt ici, tantôt là; mais ont-ils nid et couvée, c'est à peine s'ils chantent ailleurs que sur l'arbre où reposent ce nid et cette couvée.

  A008000932 

 (Saint Bernard, sermon IX sur le Psaume Qui habitat.) «L'âme,» dit saint Bernard, «ne veut pas comme saint Pierre habiter un tabernacle bâti sur une montagne terrestre;» elle veut [120] le Ciel.

  A008000932 

 «Elle ne veut pas comme Marie-Madeleine toucher Notre-Seigueur sur la terre; au contraire, elle s'écrie: Fuyez.».

  A008000934 

 Mais comment vint l'Esprit-Saint? En changeant non pas de lieu, mais d'opération.

  A008000935 

 Ils avaient déjà reçu la juridiction, mais ils n'avaient pas été établis dans la possession actuelle; ils ouvrent la voile aux vents..

  A008000951 

 Comme exorde, faire le récit de l'Evangile; puis, arrivé au passage: Je ne suis pas digne de délier la courroie de sa chaussure, donner l'interprétation de saint Cyrille et de saint Hilaire, insérée au verso de la page suivante: Délier la courroie de la chaussure, c'est éclaircir le sens de l'Evangile contenu dans la Loi.

  A008000951 

 Je ne suis donc pas digne, je ne sais parler; mais vous, Mère du Verbe, par laquelle le Verbe nous est apparu, par vos prières, ouvrez ce sens, ou faites-le moi ouvrir.

  A008000990 

 Sa chasteté est évidente: Il se repaît parmi les lis; et bien qu'il n'ait pas émis de vœu, il a néanmoins fait ses oblations.

  A008000995 

 Son silence est admirable; car les autres enfants se taisent parce qu'ils ne savent pas parler; lui, parce que ce n'est pas le temps de parler mais de se taire..

  A008001000 

 Ainsi donc vous êtes des abeilles bien-aimées; mais, n'avez-vous pas un roi? Voici votre petit Souverain, vrai Roi des abeilles; entourez-le, considérez-le, imitez-le et soyez des Oblates de probation parfaite.

  A008001030 

 La femme n'a pas puissance sur son corps, c'est le mari; de même, le mari n'a pas puissance sur son corps, c'est la femme.

  A008001032 

 Un jeune homme accusé d'adultère, demanda à Thalès de Milet s'il lui était permis de se disculper au moyen d'un parjure: «Il n'y a pas,» répondit le philosophe, «de parjure pire que l'adultère.» [133].

  A008001045 

 Ce fut un songe, mais, o mon cher peuple, ce n'est pas en songe, c'est en la sainte veille de ma consideration, [134] que contemplant l'histoire de la vie et de l'Assomption de la Vierge, video fontem parvum, Virginem humilem, qui crevit in fluvium ( Fluminis impetus lætificat civitatem Dei; Aquæ multæ; Si quis sitit, veniat ad me et bibat ), in fluvium passionum et afflictionum, et in lucem solemque conversus est, hodie in Assumptione: Quæ est ista quæ progreditur quasi aurora consurgens, pulcra ut luna, electa ut sol? Et quod mirabilius, lux ista et iste sol in aquas plurimas redundavit; quia ubi Virgo ascendit, plurimæ per ejus præces gratiæ nobis factæ sunt..

  A008001066 

 L'Eglise tient le chemin royal du milieu; elle professe que Marie ne fut pas immortelle, mais qu'elle mourut, et pourtant qu'elle jouit d'un privilège spécial....

  A008001067 

 D'après les Septante: Ses lèvres ne se décomposèrent pas.

  A008001067 

 Elle est donc morte; mais à quel âge? on ne le sait pas au juste; il en est ainsi de la mort du Christ.

  A008001067 

 En hébreu: Sa force ne le quitta pas.

  A008001067 

 Mais elle mourut sans douleur, comme Moïse: Son œil ne se voila pas et ses dents ne furent pas ébranlées.

  A008001071 

 C'est ainsi qu'elle fut établie pour intercéder en notre faveur; tous les Saints, sans exception, l'affirment (non pas assurément qu'elle demande de la même manière que son Fils qui intercède par lui-même); et beaucoup de grâces nous sont accordées par sa faveur, comme l'atteste l'Eglise entière.

  A008001071 

 Si «les Anges se réjouissent,» pourquoi cette Reine des Anges ne se réjouirait-elle pas? Voilà pourquoi tant d'églises en son honneur..

  A008001072 

 C'est la vérité; mais elle est refuge pour ceux qui se réfugient en elle; or le pécheur obstiné, opiniâtre, ne cherche pas ce refuge.

  A008001099 

 Et representent le prince ou prælat, auquel tous les coeurs doivent estre attaches; et un prince ou prælat sans les coeurs des sujetz n'est autre chose qu'un bouton de rose despouille, qui n'a rien qu'un peu d'odeur de dignite, mais non pas la grace.

  A008001105 

 J'ai élevé [140] d'abord la voix en pleurant comme tous les autres. Les enfants ne rient pas avant quarante jours, et alors seulement ils commencent à connaître leur mère:.

  A008001109 

 Aussi, les Chrétiens, au témoignage de saint Grégoire de Nazianze, célébraient-ils non pas le jour de leur naissance, mais celui de leur Baptême.

  A008001109 

 On impose un nom au Baptême, parce qu'auparavant l'homme n'est rien; il est comme s'il n'était pas..

  A008001114 

 Mais si vous ne vous repentez, vous serez à la vérité ses fils par votre naissance spirituelle, mais vous ne figurerez pas dans sa postérité pour le Ciel, vous ne serez pas dans le livre de sa génération..

  A008001116 

 Quel est le conducteur? Eh! n'est-ce pas notre Joseph?.

  A008001128 

 II faut user de cet'histoire tout au rebours: car ces deux commandemens sont jumeaux, ce n'est pas merveille silz se ressemblent.

  A008001146 

 Comme les injures seraient bientôt réduites à rien «si ceux qu'elles ne touchent pas s'en plaignaient autant que ceux à qui elles s'attaquent!» Et ceux-ci: «O homme, ne tue pas Crésus.» [150].

  A008001167 

 Ainsi les hommes attribuent aux hommes et à la nature les biens qu'ils ont reçus de Dieu, et ils ne lui en rendent pas grâces; voilà pourquoi ils sont affligés....

  A008001168 

 Un prince te dit: Celui qui m'apportera un diamant, etc., et pour un diamant tu lui apportes du simple cristal; le prince ne donnera pas d'argent, parce que tu n'as pas apporté de diamant..

  A008001234 

 Admirable fécondité qui n'empêche pas la virginité, admirable virginité que sanctifie la fécondité..

  A008001235 

 D'autres enfin comme les Anges, qui en s'éloignant ne s'éloignent pas, semblables aux excellents prédicateurs (car ils adorèrent le Seigneur, d'après ce qui est dit: Et que tous ses Anges l'adorent ), ils se retirent pour prêcher à d'autres, sans toutefois s'éloigner parce qu'ils demeurent en esprit..

  A008001235 

 Les uns ne veulent pas venir, ce sont les hérétiques et les infidèles.

  A008001238 

 Et ce supérieur pouvait paraître bien peu prévoyant, puisqu'il vient à un asile qui n'était pas préparé; néanmoins, personne ne murmure..

  A008001239 

 Personne n'a du mien ou du tien; si quelqu'un avait dû posséder quelque chose en propre, c'eût été sans doute Marie qui aurait eu le divin Enfant, car il était son vrai Fils: cependant, elle ne se le réserve pas; mais: Votre père, dit-elle, et moi vous cherchions tout affligés..

  A008001240 

 Il n'y avait pas de portière parce qu'on était en plein air.

  A008001263 

 Ce sont des Mages qui adorent: Je n'ai pas trouvé une si grande foi dans Israël.

  A008001287 

 C'est pourquoi cette langue, ce vêtement, cet argent ne sont pas offerts, mais ravis au Seigneur, car tout cela devrait servir à la vérité, non à la vanité..

  A008001288 

 Il ne trouva pas lieu au repentir, bien qu'il l'eût sollicité avec larmes.

  A008001289 

 Mais, demanderas-tu, suffit-il que le motif de l'attrition soit chrétien? Cela ne suffit pas.

  A008001312 

 Je ne parlerai pas de la nécessité de la prière.

  A008001315 

 La fin de l'oraison est l'union avec Dieu, car du reste, Dieu n'a pas besoin de nos prières; c'est la transfiguration de l'âme, car cet acte persévérera au Ciel.

  A008001329 

 Trop peu de tems on prend; on n'examine pas bien son mal.

  A008001337 

 Il y a deux sortes de satisfaction: l'une stricte, et celle-là nous ne la faisons pas; l'autre qui a un certain rapport avec la faute commise, comme abandonner ses biens ou se livrer soi-même, etc..

  A008001338 

 Le cœur pervers ne s'est pas attaché a moi.

  A008001339 

 Mais remarquez que je ne dis pas que le vrai [170] pénitent ne puisse pas retomber; je dis seulement que ne pas retomber est un signe excellent de conversion..

  A008001340 

 Malade veut-il santé? Tous veulent, mais le paresseux veut et ne veut pas.

  A008001356 

 Nicanor au milieu du bruit des [172] voix et des trompettes; mais Judas et les Juifs combattant des mains, et priant le Seigneur dans leurs cœurs... Or ceux-là même qui étaient restés dans la cité n'avaient pas une moindre sollicitude, etc..

  A008001371 

 Ceux que vous avez haïs, Seigneur, ne les haïssais-j'e pas? J'ai haï les hommes iniques. [ Mon zèl e] m'a fait sécher.

  A008001373 

 Les étoiles ne brillent pas en présence du soleil.

  A008001389 

 Il est hors de doute que Caïn offrit au Seigneur les fruits de la terre; mais l'Ecriture ne dit pas que ce fussent les prémices.

  A008001389 

 Vous n'avez pas demandé d'holocauste pour le péché; alors j'ai dit: Me voici.

  A008001389 

 Vous n'avez pas voulu de sacrifice ni d'offrande, mais vous m'avez rendu parfaitement attentif a vos paroles.

  A008001390 

 Eve excuse le péché qu'elle a commis; Marie se purifie de celui qu'elle n'a pas commis.

  A008001419 

 Car le Seigneur ne laissera pas la verge des pécheurs sur l'héritage des justes, de peur que les justes n'étendent leurs mains vers l'iniquité..

  A008001422 

 Ils ne participent point aux travaux des hommes, et ils ne sont pas frappés avec les autres hommes.

  A008001423 

 La première réponse est de saint Augustin qui, traitant de ce passage, [180] explique les mots: ne laissera pas.

  A008001424 

 Ne laissera pas: il permet, il est vrai, que les impies régnent, mais en attendant j'ai attendu, et il m'a écouté.

  A008001425 

 Elle n'est donc pas la verge des pécheurs, mais celle des justes, car le serpent s'est changé en verge..

  A008001427 

 Cette prière paraît n'être pas exaucée; car quelquefois, et même le plus souvent, les méchants sont heureux et les bons malheureux.

  A008001427 

 Voyez les hérétiques et les Catholiques; les premiers sont florissants, s'emparent des biens ecclésiastiques, sont puissants, etc. Ils ne participent point aux travaux des hommes, et ils ne sont pas frappés avec les autres hommes.

  A008001432 

 Les bons souffrent pour expier en ce monde et non dans l'éternité les fautes qu'ils auraient commises; les mauvais sont heureux et reçoivent ainsi une récompense temporelle, eux qui ne sont pas dignes de l'éternelle.

  A008001433 

 Aussi c'est avec raison que le Psalmiste dit: Faites du bien, Seigneur, aux bons et à ceux qui ont le cœur droit; faites ce bien non pas de la manière que nous jugeons, mais selon votre volonté et selon qu'il sera trouvé bon à vos yeux, même en ce monde, fût-ce en nous donnant des croix, des tribulations, etc., et dans la vie future où se trouve le bien absolu: Entre dans ton repos, parce que le Seigneur t'a comblé de bienfaits.

  A008001434 

 Mais n'est-ce pas une même chose être bon et avoir le cœur droit? Il existe certes une bonté naturelle: J'avais reçu en partage une bonne âme, et devenant bon de plus en plus, je suis parvenu a conserver un corps sans souillure. Et je ne me souviens pas d'avoir lu dans l'Ecriture qu'un homme soit appelé bon de la bonté surnaturelle, bien que j'aie trouvé le mot de bonne volonté.

  A008001436 

 Ceux-là se détournent qui n'ont pas le cœur droit; ils se détournent de la voie, ils errent loin du sentier de la vérité, 1.

  A008001436 

 Le premier pécheur, le diable, prit la forme d'un serpent, parce que les pécheurs, comme les serpents, se replient sur eux-mêmes, ne s'avancent pas directement, et détournent leur tête tantôt à droite, tantôt à gauche.

  A008001436 

 Vous ne vous détournerez pas à droite et à gauche; boiter de part et d'autre; à droite, par l'action, car c'est la droite qui agit; à gauche par l'omission, car la gauche est inerte et ne fait rien.

  A008001462 

 Comment Jacob n'a pas menti en déclarant qu'il était Esati.

  A008001466 

 Malheur à vous, hypocrites, qui payez la dîme de la menthe, de l'aneth et du cumin, et qui négligez les choses les plus graves de la loi, la miséricorde, la justice et la foi; il fallait faire ceci et ne pas omettre cela, [190].

  A008001467 

 Ainsi plusieurs veulent bien abandonner au prêtre l'Evangile ( L'homme ne vit pas seulement de pain ), mais cela ne suffit pas, il faut lui donner aussi la paille et le foin, c'est-à-dire les ressources matérielles.

  A008001467 

 Dans la Loi nouvelle les Apôtres en parlent dans cent endroits de leurs écrits, mais un seul témoignage suffît, entre autres celui-ci: Tu ne lieras pas la bouche au bœuf qui broie, afin qu'il puisse manger non pas le grain, mais le foin.

  A008001467 

 Il est vrai que le droit divin n'indique pas dans quelle proportion on doit subvenir aux besoins du prêtre, mais l'exemple de ceux qui suivaient la loi naturelle le détermine à peu près.

  A008001514 

 Il ne suffit pas d'être auprès des brebis, si on ne les nourrit.

  A008001514 

 Or, les hérétiques ne ressemblent pas aux autres brebis, ils pensent différemment: Luther était seul, Calvin seul, etc. Le bon pasteur doit être brebis, fait sur le modèle du troupeau ( ne dominant pas le clergé ); quand une brebis paît des brebis, elle-même paît parmi ces brebis..

  A008001515 

 Veux-tu plaire à Dieu? Si tu n'as pas choisi un genre de vie, choisis-le; si tu l'as choisi, applique-toi au devoir de ton état: tu y trouveras Dieu, Dieu prendra soin de toi.

  A008001516 

 Mais le Christ, qui est le Seigneur lui-même, donne avant que nous ne demandions, car nous ne demanderions pas s'il ne nous enseignait intérieurement à demander: Vous l'avez prévenu des bénédictions de douceur.

  A008001517 

 Ah! celui-là ne perd pas son temps qui l'emploie à acquérir l'humilité..

  A008001517 

 Un si grand homme, si célèbre dans le monde, avancé en âge! Les demi-savants, c'est-à-dire les docteurs et les prélats de notre époque, eussent dit qu'il employait mal son temps, qu'il ne conservait pas sa dignité.

  A008001518 

 Vous vous mettez du poivre sur les lèvres, il ne brûle pas, mais peu après il brûlera.

  A008001519 

 Quand il est donné par politesse, et c'est en France la coutume, même entre de simples connaissances, comme autrefois chez les Romains, et pareillement chez les Hébreux, témoin le Seigneur: Tu ne m'as pas donné de baiser.

  A008001528 

 O prudente jeune fille, plût à Dieu que toutes vous imitassent! Quelqu'un vous caresse, pour ne pas être déçues allez aussitôt le dire à votre père ou à votre mère.

  A008001528 

 S'il en était ainsi, pour parler franchement, il n'y aurait pas tant de filles trompées; mais voilà, elles ne parlent que lorsqu'il n'en est plus temps.

  A008001555 

 Sept ans déjà Jacob avait servi pour Rachel qu'il n'avait pas encore obtenue.

  A008001593 

 C'est-à-dire: Dieu a tellement tout fait pour sa gloire, qu'il fait servir à cette gloire l'impie [203] lui-même, ce qu'on n'aurait pas même soupponne, car celui-ci se precipite vers le jour mauvais, le jour de calamite et de perdition.

  A008001594 

 J'ai dit au Seigneur, vous etes mon Dieu, parce que vous n'avez pas besoin de mes biens; l'homme engendre par indigence, Dieu n'a pas créé par ce motif, mais par l'abondance de sa bonte qui est communicative.

  A008001594 

 Mangerai-je la chair des taureaux? etc. Si j'ai faim, je ne te le dirai pas.

  A008001595 

 Dieu, d'après de Valentia, sur la première Partie de saint Thomas, n'est pas sa propre fin.

  A008001595 

 Il n'a donc pas tout fait pour lui-même en ce sens qu'il soit la fin de son action, mais il a fait toutes choses pour lui-même parce qu'il est la fin de tout ce qui existe; tout donc a été fait pour la louange de Dieu, la louange de Dieu est donc la fin de tout l'univers.

  A008001596 

 Oh! ne demandez pas pourquoi taut de collégiales, de moines, de moniales! Ce sont les chœurs des camps.

  A008001599 

 Toutefois, il ne gémit pas..

  A008001660 

 De là: J'ai dit aux hommes iniques: Ne commettes plus l'iniquité, et aux pécheurs: N'exaltez pas votre corne, n'élevez pas votre corne, ne parlez pas iniquement contre Dieu. C'est comme s'il disait: Pourquoi te glorifies-tu dans ta malice, toi qui es puissant en iniquité? Tout le jour ta langue a médité l'injustice, tu as fait ton œuvre de séduction comme un rasoir affilé.

  A008001661 

 Cette corne était-elle naturelle, ou était-elle d'or ou d'argent? Les auteurs ne sont pas d'accord sur ce point.

  A008001661 

 Néanmoins, la remarque faite par Raban, Hugues, Rupert, Comestor, n'est pas à dédaigner: Saül a été oint de l'huile conservée dans un petit vase fragile, et David, de l'huile conservée dans une corne, vase très solide, ce qui augurait pour Saül un règne éphémère et pour David un règne durable.

  A008001661 

 Peut-être aussi n'a-t-il pas pris de l'huile du tabernacle, mais on appelait sanctifiée et sainte l'huile que Dieu avait ordonné de répandre ou que le Prophète avait bénite.

  A008001663 

 Au reste, nous ne lisons pas qu'aucun roi, sauf David et Salomon, ait été oint avec la corne d'huile, ce que je crois fort digne d'être observé.

  A008001668 

 Cependant, avant toutes les trompettes, voici Jean qui devance tous les autres, envoyé par le Père au-devant du Fils ou en face du Fils: c'est la voix de celui qui crie dans le désert, etc. Arriver par cette parole à l'Evangile du Dimanche et [219] commencer de cette manière: Pour dire aussi un mot de l'Evangile et de cette illustre trompette, il est étonnant que Jean ne semble pas reconnaître dans le Christ cette corne que Dieu a suscitée, etc..

  A008001671 

 J'ai dit aux hommes iniques: Ne commettez plus l'iniquité, et aux pécheurs: N'exaltez pas votre corne, n'élevez pas votre corne, ne parlez pas iniquement contre Dieu.

  A008001672 

 Je vous adjure, filles de Jérusalem, par les chevreuils et le faon des biches, ne troublez pas et ne rêveillez pas ma bien-aimée jusqu'à ce qu'elle-même le veuille..

  A008001697 

 David était armé non en roi mais en berger: Je ne suis pas accoutumé.

  A008001699 

 Je ne suis pas venu appeler les justes.

  A008001721 

 Aussi, malheur à nous si nous ne combattons pas bien..

  A008001723 

 Le Christ, disaient les Pélagiens, n'a pas sauvé les Patriarches, parce qu'il ne les a pas instruits.

  A008001724 

 Ce n'est pas en vain que l'Eglise est appelée Epouse de l'Agneau, et le temps évangélique, la plénitude des temps.

  A008001724 

 Ce n'est pas en vain que saint Paul s'écrie: Voici maintenant le temps favorable, voici maintenant les jours de salut; et encore: La bonté et l'humanité de Dieu notre Sauveur est apparue; et aux Hébreux: Nous avons un autel dont ceux qui servent dans le tabernacle n'ont pas le droit de manger..

  A008001726 

 Hélas! quelle n'est pas la misère des hommes! Les Messaliens et les Euchites contestaient toute efficacité aux Sacrements afin d'en attribuer davantage à la prière.

  A008001726 

 Les Novatiens n'admettaient pas la Confirmation.

  A008001728 

 N'y a-t-il point de baume en Galaad, ou n'y a-t-ilpas là de médecin? Pourquoi donc la blessure de mon peuple n'a-t-elle pas été fermée? [231].

  A008001749 

 Car je ne veux pas que vous ignoriez, mes frères, que nos pères ont tous été sous la nuée et qu'ils ont tous passé la mer, qu'ils ont tous été baptisés sous Moïse dans la nuée et dans la mer, qu'ils ont tous mangé la même nourriture.

  A008001749 

 Ce testament est un contrat parce qu'il est fait sous la condition que nous ne serons pas ingrats; ce contrat est un testament parce qu'il n'a sa force qu'après la mort.

  A008001749 

 Dans les Nombres il est dit vingt-quatre mille, mais les Hébreux ne tiennent pas compte des quantités intermédiaires.

  A008001749 

 Et saint Paul: Tous mangeaient la même nourriture spirituelle et buvaient le même breuvage; cependant, la plupart d'entre eux ne furent pas agréables a Dieu, et ils succombèrent dans le désert.

  A008001749 

 Or, toutes ces choses ont été des figures de ce qui nous regarde, afin que nous ne convoitions pas les choses mauvaises comme ils les convoitèrent.

  A008001750 

 Assurément Dieu n'oublie pas: Car je suis le Seigneur et je ne change pas.

  A008001790 

 Mais il y a deux sortes de dignités: l'une qui enlève l'obstacle ou le péché mortel, et ceux qui n'ont pas cette dignité, non seulement ne sont pas dignes, mais sont indignes; l'autre dignité résulterait d'une sorte de proportion entre le mérite du communiant et un si grand [236] mystère; et cette dignité, ni les Anges ni les hommes ne la peuvent avoir, parce que devant le Seigneur personne n'est justifié, et en parlant de cette dignité, la Bienheureuse Vierge elle-même dirait: Seigneur, je ne suis pas digne..

  A008001790 

 Saint Paul écarte de l'Eucharistie les indignes, et néanmoins, personne ne s'en approche sans avouer qu'il n'en est pas digne.

  A008001790 

 Seigneur, je ne suis pas digne; autre chose est de n'être pas digne, autre chose d'être indigne.

  A008001791 

 Après que vous aurez tout fait, dites: Nous sommes des serviteurs inutiles. Le Seigneur dit de Jean: Un Prophète, oui, je vous le dis, plus qu'un Prophète; mais Jean répond: Je ne le suis pas.

  A008001791 

 Je ne suis pas digne que vous entriez.

  A008001791 

 Je ne suis pas digne, et il est digne..

  A008001791 

 Les anciens disent: Seigneur, il est digne que vous lui accordiez cette grâce, car il nous a même construit une synagogue; cette dignité est de convenance, elle est selon votre miséricorde, dignité relative et non pas équivalente.

  A008001792 

 D'après Maldonat, les anciens ne suivirent pas les intentions du centurion, et contre la fidélité aux termes de l'ambassade, ils ajoutèrent: Il est digne que vous lui accordiez cette grâce, tandis qu'il affirmait n'en être pas digne.

  A008001792 

 Il ne faut pas alléguer nos mérites au Christ; nous devons rivaliser avec lui non de dignité mais d'humilité.

  A008001793 

 Cependant vous ne le guérirez pas si je n'ai la foi; eh bien! je l'ai, car nous avouons n'être pas dignes que vous entriez sous le toit de notre cœur, mais dites seulement une parole.

  A008001793 

 Je parlerai non plus moi, mais le Christ parlera en moi, et [238] comme je ne suis pas digne d'aller à lui, j'y enverrai mes amis, et entre autres la Bienheureuse Vierge..

  A008001793 

 Voici que je vous apporte la parole du Seigneur; mais vous, Seigneur, parlez, et non pas moi.

  A008001795 

 Ce ne sont pas les Anges, ce sont les infirmités qu'il appelle ses soldats; aussi peut-on faire ici une digression sur la puissance de la parole de Dieu..

  A008001796 

 Ce ne sont pas seulement les paroles, ce sont les pensées mêmes de Dieu qui opèrent.

  A008001796 

 Vous avez pensé et vous n'avez pas réussi, Dieu a pensé et sa pensée est devenue acte.

  A008001799 

 L'esclave fait en quelque sorte partie du maître, bien qu'il ne lui soit pas uni (Aristote, Politiques ), c'est-à-dire que le maître s'en sert comme d'un instrument distinct de sa personne..

  A008001803 

 Jusqu'à quand les pensées nuisibles demeureront-elles en toi? Parfois le démon ne veut pas l'acte du péché, de peur que le pécheur surpris en faute ne fasse pénitence; mais il veut des pensées, des désirs longuement entretenus, des omissions, des paroles, des murmures..

  A008001805 

 Ne pas pardonner c'est faiblesse humaine; mais dire que le pardon est pusillanimité, c'est être heretique.

  A008001805 

 Tertullien: «Cette brebis dont parle saint Luc, a péri non en mourant, mais en s'égarant, comme la dragme a été perdue non en cessant d'exister, mais en restant cachée.» L'intelligence périt en errant, la volonté en demeurant inactive: ne pas être et ne pas paraître revient au même..

  A008001808 

 Saint Chrysostôme dit à ce sujet: Dieu nous ordonne d'aimer nos ennemis pour que l'amour ne reste pas oisif, car les amis sont si peu nombreux que si nous n'aimions que les amis, nous aimerions un très petit nombre de personnes..

  A008001833 

 Ne soyes pas devotz, car, etc. Non in solo pane, etc..

  A008001847 

 Il dit que ce doute passa sans se fixer: «Tel un glaive qu'on brandit devant un homme le fait trembler sans le blesser, ainsi le doute effleura seulement l'âme de la Vierge, et passa comme une ombre.» Embellir cette comparaison: attaquez à l'épée un homme revêtu d'une cuirasse d'impénétrable acier ou dure comme du diamant, le coup porte à faux, ne pénètre pas, mais tourne la poitrine, il coule, il glisse.

  A008001848 

 Le Psalmiste dit aussi: Mettez-vous en colère (en hébreu: Tressaillez de crainte) et ne pèchez pas.

  A008001849 

 La tentation du Christ fut donc purement extérieure, car il avait non pas des passions ou des troubles intérieurs, mais des propassions; aussi remporta-t-il une victoire complète.

  A008001851 

 Après son baptême; par le Baptême, en effet, nous acquérons (ceci néanmoins ne s'applique pas au Christ) des forces et de la constance, comme par les autres Sacrements.

  A008001853 

 Et ce que dit Barradas de la troisième tentation ne s'y oppose pas; car Satan avait pris et porté le Seigneur, et bien qu'il eût emprunté cette forme, il espérait que le Seigneur pourrait croire en lui; de plus, il jouait le rôle d'un ennemi désespéré..

  A008001853 

 L'ennemi s'approcha sous une forme visible, sous l'extérieur d'un homme grave, d'un ermite; car il n'est pas impossible qu'il se soit présenté sous la figure d'Elie.

  A008001854 

 C'est une tyrannie, dit Calvin: Ne confesse pas tes péchés, n'obéis pas à tes pasteurs, n'entreprends pas de faire pénitence.

  A008001854 

 Mais, dit saint Bernard, tu ne seras pas épouvanté par les craintes nocturnes.

  A008001854 

 Satan s'y prend avec douceur, comme les philosophes de notre temps: Ne jeûne pas.

  A008001855 

 L'homme ne vit pas seulement de pain, etc..

  A008001856 

 «La science des Ecritures consiste non pas à les lire mais à les comprendre.» «La faute est dans l'intention [de celui qui entend mal], non dans le texte.» « Dans toutes tes voies, non dans les précipices;» Satan en outre tronque le texte: Sur l'aspic (voir saint Bernard).

  A008001858 

 Comme l'enfant fait quatre pas là où son père n'en fait qu'un, de même le Chrétien en fait quarante où le Christ n'en fait qu'un..

  A008001858 

 Mais [la prétention qu'ont] les [250] enfants d'imiter leurs parents n'a rien de ridicule; sans quoi ils ne devraient jamais commencer à parler parce qu'ils ne peuvent d'abord parler aussi vite que leur mère; ni à marcher, parce qu'ils ne peuvent faire des pas égaux à ceux de leur père.

  A008001887 

 Quel est l'homme qui vivra et qui ne verra pas la mort? La mort a passé dans tous les hommes.

  A008001888 

 Voici que je vais vous dire un mystère: A la vérité, nous ressusciterons tous, mais nous ne serons pas tous changés.

  A008001889 

 La voix: «Levez-vous, morts, et venez au jugement.» Bien peser ici les paroles du Seigneur, qui, après avoir parlé de son pouvoir de juger et de ressusciter les morts, ajoute: Ne vous en étonnez pas, car l'heure vient ou tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront la voix du Fils de Dieu; et ceux qui auront fait le bien en sortiront pour ressusciter à la vie, ceux qui auront fait le mal, pour ressusciter à leur condamnation.

  A008001890 

 Déjà, dans la loi de nature, Job disait: Je crois que mon Rédempteur est vivant, et que dans ma chair, etc. Marthe affirme la même foi, conforme d'ailleurs aux lumières naturelles, car l'âme, n'ayant pas travaillé seule, a droit de réclamer son complément.

  A008001915 

 Le Maître des Sentences se moque de cette interprétation parce que le nom même de Josaphat signifie jugement de Dieu; mais l'opinion [257] énoncée ci-dessus n'en est pas moins certaine.

  A008001916 

 Et l'Apôtre: Pour moi, je me mets fort peu en peine d'être jugé par vous, etc.; c'est pourquoi ne jugez pas avant le temps, jusqu'à ce que vienne le Seigneur qui éclairera ce qui est caché dans les ténèbres et qui manifestera les secrètes pensées des cœurs... Et je vis un grand trône blanc, et quelqu'un assis dessus, en présence duquel la terre et le ciel s'enfuirent, et leur place ne se trouva plus; et je vis les morts, grands et petits, debout devant le trône; et les livres furent ouverts, et un autre livre fut encore ouvert, qui est le livre de vie (c'est-à-dire, qui est [258] la vie); et les morts furent jugés sur ce qui était écrit dans les livres selon leurs œuvres.

  A008001917 

 En ce jour-là je scruterai Jérusalem avec des lampes (Saint Bernard: S'il en est ainsi pour Jérusalem, quelle sera la fin de Babylone! Jérusalem, c'est-à-dire les Saints: les péchés mêmes des Saints seront découverts, mais à leur grande consolation; et ils diront: C'est grâce aux miséricordes du Seigneur que nous n'avons pas été consumés); et je visiterai les hommes enfoncés dans leur lie, qui disent en leurs cœurs: Le Seigneur ne fera pas de bien, il ne fera pas de mal.

  A008001918 

 Histoire de Joseph: [ Ils se dirent ] les uns aux autres: C'est justement que [259] nous souffrons tout ceci, parce que nous avons péché contre notre frère; voyant les angoisses de son âme quand il nous suppliait, nous ne l'avons pas écouté; c'est pour cela que cette tribulation a fondu sur nous. Et Ruben de répondre: Ne vous ai-je pas dit: Ne péchez pas contre cet enfant? et vous ne m'avez pas écouté; voilà que son sang nous est redemandé..

  A008001944 

 Rien de plus incroyable que ce que nous ne voulons pas croire; la rigueur du jugement excite la haine de tout homme pervers, Nous l'oublions volontairement, ou bien nous nous [261] bornons à de vaines et subtiles conjectures sur ce qui doit arriver en ce jour.

  A008001976 

 L'Eglise nous enseigne que la prière est nécessaire et que, seule, elle ne suffit pas.

  A008001976 

 O toute-puissance de la prière! Deux hérésies pourtant se sont élevées à ce sujet: celle des Euchites et des Messaliens qui disaient que la prière suffit; et celle des Pélagiens, dont la plupart prétendaient que nous n'avons pas besoin de prier.

  A008001977 

 Et dans le Cantique: Quelle est celle-ci qui monte du désert comme une colonne de fumée de parfums de myrrhe et d'encens? Toutefois, cette élévation est mentale, non matérielle, elle est relative à son objet, non au lieu; c'est également ce que signifient ces mots: «En haut les cœurs,» Quelle étonnante sottise ou méchanceté de la part des Calvinistes quand ils nous objectent ces paroles: «En haut les cœurs,» comme si «en haut» s'entendait au sens littéral! Ils ne veulent pas distinguer entre prier matériellement devant une image et prier moralement devant cette image.

  A008001979 

 Hélas! Celui qui a créé l'oreille n'entendra pas? Celui qui a façonné l'œil ne considère pas? O Verbe de Dieu, vous ne répondez pas une parole? Parfois, l'amour fait la sourde oreille (Pierre, m'aimes-tu? Pierre, m'aimes-tu?) afin que nous criions plus fort..

  A008001979 

 Jésus ne lui répondit pas une parole.

  A008001980 

 Or ceci se passait dans la maison où se cachait Jésus, qui ci s'enfuit aux saules.» Il voulait et ne voulait pas se cacher; il voulait se cacher, c'est-à-dire [se faire chercher, comme] font ceux qui se cachent.

  A008001981 

 Et Jésus, s'avançant semblable au cerf qui bondit: Ce n'est pas bien, dit-il, de prendre le pain des enfants pour le jeter aux chiens.

  A008001981 

 Je ne suis pas envoyé.

  A008002010 

 Du consentement commun des Pères, cette piscine figure le Baptême; le paralytique représente le genre humain qui n'aurait pas été guéri si le Christ ne fût venu..

  A008002012 

 De là ces mots: Celui qui croira et sera baptisé, etc. Noter: Celui qui croira et ne sera pas baptisé, etc. Allez, enseignez toutes les nations.

  A008002012 

 Il n'y a pas d'autre moyen de greffer les enfants sur le Christ.

  A008002015 

 L'hérétique n'attire pas, il pousse.

  A008002015 

 Le serviteur qui plonge [dans l'eau régénératrice], c'est le prêtre, ministre ordinaire du Baptême; mais, ainsi que les hérétiques eux-mêmes le reconnaissent (car tout en nous regardant comme idolâtres et antichrétiens, ils ne rebaptisent cependant pas ceux que nous avons baptisés), tout homme, fùt-il infidèle, peut en être le ministre extraordinaire, comme l'Eglise l'a défini au Concile de Florence, contre saint Cyprien et Cécilien.

  A008002021 

 Veux-tu être guéri? Car beaucoup de gens ne le veulent pas, ou veulent comme s'ils ne voulaient pas: je voudrais bien, mais je ne veux pas; je voudrais bien, mais je ne puis pas.

  A008002052 

 Nous ne voyons pas le visage de l'homme qui dort, parce que nous ne voyons pas le visage de ce [278] visage, c'est-à-dire les yeux.

  A008002082 

 Terrible et redoutable menace! Mais comment Dieu, si plein de miséricorde, ne se présentera-t-il pas à ceux qui le cherchent? Nous répondrons à cette question si Dieu veut bien nous inspirer.

  A008002083 

 Par la mort, je vais à mon Père; et alors, c'est-à-dire après ma mort, vous chercherez un autre Messie et vous ne me trouverez pas; et partant, vous mourrez dans votre péché.

  A008002084 

 Est-ce que je veux la mort de l'impie, dit le Seigneur, et non plutôt qu'il se convertisse et qu'il vive? Convertissez-vous et faites pénitence de toutes vos iniquités, et l'iniquité ne causera pas votre ruine.

  A008002085 

 Elles sont sur, c'est-à-dire en toutes ses œuvres, même dans les tourments de l'enfer qui n'égalent pas la malice du péché.

  A008002086 

 Là où je vais, vous ne pouvez venir, c'est-à-dire: Je vais a mon Père par une voie dure et par une pénitence rédemptrice ( ce que je n'ai pas pris, je l'ai pourtant payé ); et vous ne pouvez venir, c'est-à-dire vous ne voulez pas, parce que vous êtes d'en-bas et du monde.

  A008002087 

 Ils ne veulent pas se laisser amputer un membre dévoré par la gangrène..

  A008002087 

 Je vous ai cherché de tout mon cœur, ne me rejetez pas de la voie de vos commandements.

  A008002087 

 La première est la fausse pénitence, car la fausse pénitence ressemble à la vraie: Mêlas et Céphisse; les eaux du Styx sont semblables à celles des autres fleuves; comète et planète... Cette pénitence n'est pas de tout cœur: Convertissez-vous a moi de tout votre cœur.

  A008002089 

 La troisième cause est une trompeuse espérance de vivre et de faire pénitence à la fin de sa vie... «Vivez bien, afin de ne pas mourir mal;» saint Augustin, sermon XXIV sur les Paroles du Seigneur.

  A008002120 

 Les Scribes et les Pharisiens avaient mission non pas de gouverner, mais d'enseigner, comme nos moines.

  A008002123 

 Mais quand peut-on dire qu'il enseigne ex cathedra? Est-ce lorsqu'il parle dans un Concile général seulement, ou encore en d'autres cas? C'est une question que je ne puis résoudre faute de temps, et que je ne veux pas résoudre parce qu'elle est hors de propos.

  A008002123 

 Telle est la cause de l'infaillibilité de l'Eglise: le Pape, lorsqu'il enseigne ex cathedra, ne peut pas se tromper.

  A008002124 

 Ainsi donc les Scribes et les Pharisiens ne se trompent pas quand ils enseignent dans la chaire de Moïse, c'est-à-dire par son autorité.

  A008002124 

 Caïphe, en effet, [286] le plus méchant des hommes, porta un jugement très sacré: Il est avantageux, qu'un seul homme meure pour le peuple, afin que toute la nation ne périsse pas.

  A008002124 

 Or, il ne dit pas cela de lui-même, mais comme il était Pontife cette année-la, il prophétisa.

  A008002125 

 Dis-le a l'Eglise; si quelqu'un n'écoute pas l'Eglise.

  A008002127 

 Grande donc est la dignité du sacerdoce! Que disent les hommes du Fils de l'homme («Vous qui n'êtes pas des hommes, mais des dieux»)? Qui vous écoute m'écoute.

  A008002127 

 Si quelqu'un s'enorgueillit, ne voulant pas obéir, etc. Car c'est l'Ange du Seigneur des armées.

  A008002128 

 D'autres disent et ne font pas; ils détruisent par le scandale de leur vie la doctrine de vie.

  A008002128 

 D'autres font, mais ne parlent pas; ceux-ci sont encore supportables, car s'ils n'édifient pas beaucoup, ils édifient pourtant et ne détruisent rien.

  A008002129 

 Car eussiez-vous dix mille précepteurs, etc. Rien ne manque aux pasteurs qui aiment: l'amour même instruit, édifie; il souffre tout, enseigne tout, n'agit pas inconsidérément.

  A008002130 

 A plus forte raison ne faut-il pas rejeter leur enseignement.

  A008002130 

 Les prêtres qui gouvernent bien sont dignes [289] d'un double honneur; se conduiraient-ils mal, qu'il ne faudrait pas médire d'eux: Ne touchez pas à mes oints, et à mes prophètes.

  A008002159 

 Mais nous ne comprenons rien a ces choses, ou si nous en avons quelque intelligence, c'est seulement à la surface et non pas dans l'intime du cœur: nous sommes comme ceux qui comprennent sans comprendre.

  A008002159 

 Nous ne comprenons pas ce que nous ne voulons pas comprendre; nous cherchons des divertissements et nous les excusons..

  A008002163 

 Ce n'est pas à moi comme homme, c'est à moi comme Dieu; saint Augustin.

  A008002163 

 Je le puis, mais il n'en est pas temps maintenant où il s'agit plutôt de combattre; [294] saint Ambroise.

  A008002163 

 Je puis le donner, mais il ne convient pas de le donner a vous qui êtes 1.

  A008002163 

 [ Vous boirez ] en effet mon calice, etc. Ce n'est pas à moi de vous l'accorder.

  A008002176 

 Que si toutefois il y a un petit ruisseau entr'elles et leurs petitz, elles ne passeront qu'avec extreme difficulte, et mesme n'y veulentelles pas mettre le pied.

  A008002195 

 Ainsi en est-il de bon nombre de pères qui vont au feu de l'enfer par suite d un amour mal entendu envers leurs fils, pour lesquels néanmoins ils ne voudraient pas toucher à l'eau de la pauvreté ou des dépenses; ils ne [297] dépenseraient rien pour les élever dans les lettres et les bonnes mœurs.

  A008002201 

 Qui est celui-ci et nous le louerons? L'avare est aussi pauvre de ce qu'il a que de ce qu'il n'a pas..

  A008002236 

 Ce lien, cette règle ce n'est pas tant la foi en elle-même que les dogmes de foi..

  A008002236 

 Vincent de Lérins allègue ce texte pour montrer qu'il ne faut pas s'écarter de la foi de l'Eglise.

  A008002240 

 Eh! malheureux hérétiques, comment donc enlèverait-il l'Eglise à ses vignerons? Il ne la leur enlèvera pas, parce qu'ils ne le mettront jamais à mort, car il ne meurt plus; non, il ne la leur enlèvera jamais, et cette vigne gardera la haie, le pressoir, les exercices religieux, et la tour jusqu'à l'arrivée du Seigneur.

  A008002241 

 (Nos hérétiques ne veulent pas de ce mot épiscopat, mais ils le rejettent en marge [de leur bible], et traduisent ainsi: [Reprendre au texte, lig.

  A008002241 

 [2.] Remarquez que les agriculteurs auxquels est louée la vigne ne changent pas, mais demeurent les mêmes jusqu'à la fin; ils sont les mêmes, non en personne sans doute, mais par la succession: succession ecclésiastique.

  A008002243 

 Il n'ôtera pas le royaume, mais il nous ôtera nous-mêmes du royaume parce que nous ne produisons aucun fruit.

  A008002276 

 En tout ce passage, voici le point le plus difficile; et même, nous dit saint Augustin, sermon XI des [306] Paroles du Seigneur, «il n'y en a pas de plus difficile dans toute l'Ecriture.

  A008002279 

 Aussi, pour démontrer qu'il n'en est pas de même en Dieu, les théologiens attribuent au Père la puissance, au Fils la sagesse, à l'Esprit-Saint la bonté.

  A008002281 

 Par orgueil, elle se complut en cette parole: Vous serez comme des dieux; ensuite, elle crut qu'elle ne mourrait pas, et que la menace de Dieu ne devait pas être entendue à la lettre, comme elle l'avait tout d'abord comprise, et alors elle se décida à manger du fruit.

  A008002285 

 Quoiqu'on distingue les péchés de faiblesse de ceux de malice ou d ignorance, ce n'est pas qu'il n'y ait en tout péché quelque ignorance, c est-à-dire quelque inconsidération (d'après ce mot d'Aristote: «Tout pécheur est ignorant»), et aussi quelque malice, sinon il n'y aurait pas de péché (car [309] il est de l'essence même du péché que la malice intervienne au moins dans la cause, et il doit y avoir quelque culpabilité dans l'ignorance pour qu'elle soit imputée à péché).

  A008002287 

 C'est ainsi que nous pouvons la déclarer impossible aux hommes, même au moyen de la grâce ordinaire, mais non pas impossible à Dieu.

  A008002313 

 Saint Matthieu: Il ne fit pas là beaucoup de miracles, à cause de leur incrédulité..

  A008002313 

 Un jour que le Christ était à Nazareth, il entra dans la synagogue et, après la lecture du Livre d'Isaïe, il instruisit le peuple, de sorte que tous étaient dans l'admiration et lui rendaient témoignage; inutilement toutefois, car ils disaient: N'est-ce pas là le fils du charpentier? n'est-ce pas la le charpentier? D'où lui vient cette sagesse? etc. Lui, qui les voyait s'entretenir ensemble, savait ce qu'ils disaient et leur répondit: Vous m'appliquerez sans doute, etc. Et saint Marc conclut: Il ne pouvait faire la aucun miracle, si ce n'est qu'il guérit quelques [311] malades en leur imposant les mains; et il s'étonnait de leur incrédulité.

  A008002314 

 En effet, Dieu offrit toujours son secours à Israël, mais Israël ne s'en prévalut pas, et c'est pourquoi Dieu dit: Ta perte vient de toi, Israël, tu es cause de ta perte parce que tu négliges le secours que je te présente..

  A008002315 

 D'où vient, Israël, que tu habites la terre de tes ennemis? N'y [312] a -t-il point de baume en Galaad, ou n'y a-t-il pas la.

  A008002315 

 Ne dis pas: C'est lui qui m'a trompé; car les hommes impies ne lui sont pas nécessaires.

  A008002315 

 Ne dis pas: Dieu est cause que [ la sagesse ] est loin de moi, car il dépend de toi de ne pas faire ce qu'il hait.

  A008002315 

 Puis il ajoute: Ta perte, [etc.,] comme s'il disait: Je te châtierai parce que tu n'as pas voulu te convertir.

  A008002315 

 de médecin? Pourquoi donc la blessure de mon peuple n'a-t-elle pas été fermée? Pourquoi mourrez-vous, maison d'Israël? Je me tiens à la porte.

  A008002316 

 Or, le Seigneur s'étonnait, ou plutôt il nous montrait une chose étonnante, à savoir qu'à la vue de tant de prodiges, les hommes qui lui devaient la plus grande reconnaissance, auxquels il avait porté le plus de secours, ne se convertissaient pas.

  A008002317 

 Dieu laisse, en effet, à l'homme sa liberté: celui qui vous a créé sans vous, ne vous sauvera pas sans vous; il vous a fait sans que vous le sachiez, il ne vous sauvera pas sans que vous le vouliez..

  A008002317 

 Saint Marc dit cependant: Il ne pouvait faire aucun miracle à cause de leur incrédulité, c'est-à-dire qu' il ne le pouvait pas parce que leur incrédulité y [313] mettait obstacle; ce n'eût été ni équitable, ni juste, dans les conditions ordinaires.

  A008002318 

 Donc: Vous m'appliquerez sans doute, etc. Parler ensuite des deux histoires [mentionnées par Jésus]: ces veuves d'Israël n'auraient pas reçu Elie; ces lépreux n'auraient pas obéi, ne seraient pas venus vers Elisée.

  A008002352 

 Ce passage condamne les censeurs importuns, tels que les Pharisiens: Pourquoi vos disciples, etc., car ils ne se lavent pas les mains pour [316] manger du pain.

  A008002352 

 Et il ne suffit pas que les péchés soient mortels, il faut qu'il soit possible de les corriger, c'est-à-dire que nous puissions espérer que notre correction produira l'amendement [de celui que nous reprenons].

  A008002352 

 La cause matérielle, [ou la matière de la correction fraternelle,] c'est le péché mortel, car c'est par ce péché seulement que notre frère se perd: le médecin ne donne pas de remède pour le moindre malaise, pour la piqûre d'un moucheron.

  A008002353 

 Si les péchés sont véniels, mais très dangereux ou très fréquents, et que notre frère y soit fortement attaché, nous pouvons le reprendre, mais nous n'y sommes pas tenus.

  A008002354 

 il faut procéder graduellement, ne pas appliquer d'abord les caustiques et le feu, et si les remèdes doux et légers suffisent, ne pas en employer de violents..

  A008002355 

 Que le juste me reprenne dans sa bonté, et il me corrigera, mais que l'huile du pécheur ne parfume pas ma tête.

  A008002388 

 Bien plus, il n'a pas ordonné d'écrire, si ce n'est ce qu'il voulait apprendre aux Evèques d'Asie.

  A008002388 

 C'est, en effet, le Christ Notre-Seigneur qui est l'auteur de la doctrine chrétienne: or, [1.] lui-même n'a rien écrit, si ce n'est quelques caractères lorsqu'il absolvait [320] la femme adultère; caractères qu'il n'a pas même voulu que nous connussions, et que, pour ce motif, il traça sur la terre.

  A008002389 

 Tous les mots sont énergiques: combattre vigoureusement, s'évertuer, non seulement combattre, mais combattre avec vigueur et vaillamment, faire plus que combattre; [ transmise ] une fois, pas deux; pour la foi toujours absolument la même, transmise par la Tradition, par la Tradition..

  A008002390 

 L'histoire racontée au III e Livre des Rois, chap. III, me vient présentement en mémoire: la femme à qui appartient l'enfant, c'est-à-dire la doctrine chrétienne, ne veut pas de partage.

  A008002390 

 Les sectes, au contraire, veulent toujours diviser; il en est ainsi de notre temps: Gaspard Swenfeld et les Libertins ne voulaient pas des Ecritures; les Calvinistes ne veulent pas de la Tradition.

  A008002390 

 Néanmoins [nous devons ajouter foi] à l'autre partie, qui n'est pas écrite, mais qui seulement a été transmise comme de main en main.

  A008002391 

 Elle n'invente pas la doctrine, elle la conserve fidèlement.

  A008002391 

 Mais, disent-ils, les Ecritures ne suffisent-elles pas? ne sont-elles pas suffisantes et surabondantes? Assurément, je ne voudrais pas dire avec de très illustres et très doctes personnages qu'elles ne suffisent pas, Oui, elles suffisent; c'est nous qui ne suffisons pas à puiser la doctrine catholique dans les seules Ecritures, prises isolément.

  A008002391 

 Voyez tous les hérétiques, les Hébreux eux-mêmes et d'autres, n'ont-ils pas eu l'Ecriture? Et pourtant, ils n'ont pas cru; bien plus, ils sont tombés dans l'erreur.

  A008002392 

 pour savoir qu'il existe des Ecritures; car, comment le saurions-nous sans le témoignage de l'Eglise qui a reçu cette tradition? Ainsi donc, ou l'Ecriture ne fait pas foi, ou la Tradition fait foi..

  A008002427 

 Nous traiterons brièvement aujourd'hui les points que nous avons omis hier concernant la Tradition, et nous ne sortirons pas de notre plan, car le célibat des prêtres est l'une des plus importantes Traditions de l'Eglise, et il nous fallait nécessairement en parler au début de notre Evangile.

  A008002428 

 J'ai limité mon sujet à la doctrine chrétienne et j'ai montré qu'au début elle avait été transmise par la Tradition, non par l'Ecriture; et bien que dans la suite elle ait été écrite, elle ne l'a pas été en entier.

  A008002428 

 Nous sommes contraints à faire cet aveu par le fait même, [1.] que nous possédons les Ecritures; car sans la Tradition, nous ne saurions pas que nous avons les Ecritures..

  A008002428 

 Vous aurez remarqué, je pense, que je ne suis pas remonté jusqu'aux traditions qui nécessairement étayaient la religion jusqu'à Moïse, le premier [325] écrivain sacré, ni aux traditions qui régnaient parmi les Hébreux, c'eût été trop long.

  A008002429 

 Que nous en avons tel nombre; car comment savons-nous que l'Epître aux Laodicéens et les Epîtres à Sénèque ne sont pas de vraies Epîtres de saint Paul, sinon par la Tradition? Et puis, ces mots de l'Apôtre lui-même [au sujet de Melchisédech]: De qui nous avons de grandes choses à dire, et difficiles à expliquer.

  A008002431 

 L'Apôtre ne dit-il pas, en effet: Quant aux autres choses, lorsque je serai venu je les réglerai? Il avait pourtant réglé bien des choses par écrit..

  A008002435 

 La Tradition n'ajoute donc rien, elle procède à la manière de ceux qui extraient la liqueur de la myrrhe et du baume, non pas avec un couteau de fer, mais avec du verre, de la pierre, de l'os, de l'ivoire, ou un autre bois; de même que les abeilles tirent le miel de la fleur; mais les hérétiques, semblables à des araignées, tirent de l'Ecriture fiel et poison, non pas que l'Ecriture contienne du poison, mais parce qu'ils en convertissent le sens en poison.

  A008002460 

 Emportez cela d'ici, et ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic..

  A008002463 

 Jamais le Seigneur n'avait frappé qui que ce fût, et même lorsqu'on s'empara de lui, il ne voulut pas qu'on frappât personne, et reprit Pierre lorsqu'il frappait; mais ici, enflammé de zèle, etc..

  A008002503 

 Il faut donc alors faire pénitence; [335] ensuite imiter David: Je me suis tu et n'ai pas ouvert la bouche, parce que c'est vous qui l'avez fait; détournez de moi vos coups.

  A008002504 

 Mais quand les autres sont frappés, il ne faut pas juger qu'ils le sont pour leurs péchés, comme le faisaient les amis de Job, la femme de Tobie et les barbares [dont il est question] dans les Actes, chap. XXVIII. Un esclave éthiopien portait un objet recouvert d'un voile; interrogé sur ce qu'il portait: «Je ne l'aurais pas voilé,» dit-il, «si j'avais voulu vous le faire connaître.» Euclide, questionné sur la nature de Dieu et sur ce qui lui est le plus agréable, répondit: «J'ignore le reste, mais ce que je n'ignore pas, c'est qu'il hait les curieux.».

  A008002505 

 Bien plus, n'eût-il pas été aveugle, que le Christ, par ses remèdes, l'eût rendu aveugle pour le moment.

  A008002505 

 L'obéissance des Chrétiens doit être aveugle parce que la foi ne voit pas, mais elle croit, et plus son objet est obscur, plus elle s'y complaît; elle se délecte dans les vérités difficiles à comprendre.

  A008002505 

 Naaman: Abana et Pharphar, fleuves de Damas, ne sont-ils pas meilleurs?... Que cette malédiction tombe sur moi, mon fils, écoute seulement ma voix et apporte ce que j'ai dit.

  A008002506 

 Regardons cet aveugle circulant sur les chemins publics, les yeux souillés de boue; ne lui dirait-on pas: Où vas-tu, malheureux? ne vois-tu pas que ce médecin veut se jouer de toi? Il poursuivit quand même sa route, il alla, il se lava, il vit.

  A008002507 

 J'ai noté en passant, que le paralytique guéri à la piscine probatique avait contracté son infirmité en punition de ses péchés; aussi le Christ le guérit-il comme il guérit les pécheurs, c'est-à-dire en lui demandant son consentement: Veux-tu être guéri? Mais il ne parle pas de la même manière à celui-ci, parce que son infirmité n'était pas la suite de ses péchés..

  A008002508 

 Or, quelle est la piscine de la mission sinon le Sacrement de Pénitence? En l'instituant, le Christ ne dit-il pas: Comme mon Père m'a envoyé, ainsi je vous envoie; ceux à qui vous remettrez les péchés, etc. [337].

  A008002509 

 Ce mendiant est guéri par le médecin, parce que le médecin aime les mendiants; pour nous, bien que nous soyons aveugles, comme nous ne mendions pas, nous ne sommes pas guéris par le Médecin céleste qui comble de biens les affamés et renvoie les riches les mains vides.

  A008002536 

 Femme, ne pleure pas.

  A008002539 

 Au contraire: Ne sais-tu pas que la bénignité de Dieu t'attend à pénitence! Mais je donnerai trois règles d'après lesquelles nous devons procéder dans ces conjonctures..

  A008002541 

 Cette veuve n'avait pas péché.

  A008002541 

 D'ailleurs, les larmes de cette mère furent agréables au Christ; et il n'aurait pas été touché de compassion pour elle, il se serait plutôt réjoui de la mort de cet enfant, si celui-ci eût été méchant et l'idole de sa mère.

  A008002541 

 Or il ne faut pas juger en mauvaise part sans raison: La charité ne pense pas le mal.

  A008002544 

 [Il ne faut pas être comme].

  A008002546 

 Il ne l'affirme pas d'une manière absolue; par qui serait-il [341] cru? mais il assure que ce ne sera pas d'un jour à l'autre.

  A008002546 

 Ses souillures ont paru sur ses pieds, et elle ne s'est pas souvenue de sa fin.

  A008002546 

 Si vous disiez à ces derniers: Vous perdrez telle somme, ils ne joueraient pas; mais s'ils perdent un écu, ils en perdront facilement un second.

  A008002580 

 le jour même de la Communion et de la complète purification par le lavement des pieds: Vous êtes purs, mais non pas tous [343] (voir saint Jean, XIII, à ces paroles); 3.

  A008002581 

 Certaines maladies atteignent spontanément, comme l'épilepsie, l'apoplexie, la syncope, les vers dans la région du cœur; d'autres viennent pas à pas, ce sont les maladies ordinaires.

  A008002582 

 L'insensé est inconstant: Un roseau agité par le vent; aussi dans l'hébreu, au lieu d' insensé on trouve inconstant (voir Pinéda, liv.VII, chap. I des [345] Préliminaires de l'Histoire de Salomon ); tantôt il veut, tantôt il ne veut pas: Le paresseux veut et ne veut pas. Ou bien, l'insensé change peu à peu comme la lune; il descend graduellement, et non par une chute soudaine; il en est ainsi souvent de la santé lorsqu'on méprise les moindres périls..

  A008002586 

 il envoya demander quelle était cette femme? curiosité dangereuse: s'il n'avait pas su qui elle était, il ne l'aurait pas mandée; 5.

  A008002586 

 il vit une femme qui se baignait, et il arrêta sur elle un regard assez prolongé pour remarquer sa beauté; s'il ne l'eût vue qu'en passant, il [346] ne l'aurait pas remarquée (et il ne dit pas alors: Détournez mes yeux afin qu'ils ne voient pas la vanité ); 4.

  A008002587 

 Il se complut dans ses oeuvres magnifiques: J'ai fait des choses magnifiques, je me suis bâti des maisons, etc. Tout ce qu'ont désiré mes yeux, je ne le leur ai pas refusé, et je n'ai pas défendu à mon cœur de goûter toutes sortes de voluptés.

  A008002589 

 Pierre dit: Pourquoi ne pouvons-nous pas vous suivre à présent? je donnerai ma vie pour vous.

  A008002590 

 Hélas! nous présumons trop de nous-mêmes; il ne suffit pas de reconnaître que nous tenons tout de Dieu, il faut encore ne pas croire que nous ayons beaucoup.

  A008002591 

 Crains lorsque la grâce te sourit, crains lorsqu'elle s'éloigne, crains lorsqu'elle revient; lorsqu'elle est présente, crains de ne pas l'employer dignement et de la recevoir en vain.» Ne cherche pas a t'élever, mais crains..

  A008002592 

 La persévérance n'est pas l'affaire d'un seul jour.

  A008002594 

 Alors ils dirent à Pierre: Et toi, n'es-tu pas aussi des disciples de cet homme? Tu étais aussi avec Jésus le Nazaréen.

  A008002594 

 Mais il le nia devant tous, disant: Je ne le suis pas; femme, je ne le connais pas, je ne sais ni ne connais ce que tu veux dire.

  A008002595 

 Enfin un parent de celui à qui il avait coupé l'oreille [lui dit]: Ne t'ai-je pas vu dans le jardin avec lui? Il le nia de nouveau: O homme, je ne sais ce que tu dis; il commença a faire des imprécations et a jurer: Je ne connais point cet homme dont vous parler..

  A008002595 

 Les autres dirent donc: N'es-tu pas aussi de ses disciples? Il jure: Je ne connais point cet homme; o homme, je ne suis pas [ de ses disciples ].

  A008002596 

 O langue impudente, tu dis ce que tu ne sais pas, et en le disant, tu commences à le croire, et en le croyant, tu l'affirmes, et en l'affirmant, ta conviction s'affermit.

  A008002596 

 Remarquez, mon peuple: une servante commence d'une manière dubitative: Celui-ci aussi était avec cet homme; car elle n'ose pas l'affirmer en [350] parlant à Pierre, mais: Et toi, dit-elle, n'es-tu pas aussi de ses disciples? Bientôt elle affirme.

  A008002625 

 L'audace des Apôtres et de Pierre fut répréhensible; car, ou ils pensèrent que le Christ ferait des miracles, et alors ce fut de la vanité de dire: Si nous frappions du glaive? ou ils ne le pensèrent pas, et alors leur témérité fut inopportune.

  A008002627 

 Ne craignez pas ceux, [etc.] C'est la crainte de Pilate et celle de tous les méchants.

  A008002629 

 Voyez Achab malade, ressemblant à Alexandre en pleurs et à Aman, irrité de ce que le seul Mardochée ne fléchissait pas les genoux..

  A008002631 

 Ce n'est donc pas dans l'absence mais dans le règlement des passions que consiste la perfection; les passions sont au cœur ce que les cordes sont à une harpe: il faut qu elles soient ajustées afin que nous puissions dire: Je vous louerai sur la harpe..

  A008002631 

 Néanmoins il n'a pas eu des passions, mais seulement des propassions; il est donc plus convenable de les réfuter par l'exemple des hommes les plus saints, de Pierre surtout qui était juste, et qui cependant, après la Communion, le lavement des pieds, etc., est troublé par la crainte.

  A008002634 

 Vous n'avez pas bandé ce qui a été brisé.

  A008002634 

 Vous êtes bon, et dans votre bonté enseignez-moi vos justifications: David avait les autres vertus, mais non pas l'humilité, c'est pourquoi il pèche.

  A008002657 

 De là ces paroles: Adam, où [358] es-tu? Et à Caïn irrité: Si tu fais bien, ne [ recevras-tu pas la récompense] D'où vient, Israël, que tu habites la terre des étrangers? Tu as vieilli dans une terre étrangère, tu f es souillé avec les morts, tu es devenu semblable à ceux qui descendent en enfer; tu as abandonné la source de la sagesse.

  A008002657 

 Dieu vit toutes les choses qu'il avait faites, et elles étaient très bonnes... Est-ce que je veux la mort de l'impie? dit le Seigneur... Dieu ne veut pas que personne périsse... Que nul lorsqu'il est tenté, ne dise, etc. Ta perte vient de toi, Israël; c'est seulement en moi qu'est ton bien.

  A008002659 

 Dieu envoie sa grâce suffisante: Ne dis pas: Dieu est cause que [la grâce] est loin de moi..

  A008002685 

 Pourquoi appeler flèche la grâce prévenante? Parce qu'elle atteint ceux qui n'y pensent pas.

  A008002689 

 il faut se confesser: quant à Pierre, il ne se confessa pas parce qu'il était en présence du souverain Prêtre.

  A008002716 

 Convertissez-vous de tout cœur; il y en a qui, à la vérité, tournent bien les yeux, mais non pas leur corps vers ceux qui crient derrière eux.

  A008002716 

 Pourquoi ce mélange de jour et de nuit? ( Si vous cherchez, cherchez bien.) Parce que vous ne cherchez pas sérieusement; vous voulez et vous ne voulez pas.

  A008002716 

 Que de fois, en effet, nous disons: Je veux me convertir, et cependant nous ne nous convertissons pas! C'est le reproche qu'adresse Isaïe aux Iduméens: Malheur accablant de Duma, c'est-à-dire, de [364] la partie de l'Idumée qui est située au sud; il me crie de Séir.

  A008002716 

 [1.] Pour la conversion, la miséricorde prévenante opère en nous le vouloir; mais cela ne suffit pas.

  A008002719 

 Ceux qui se convertissent à la mort, comme le larron et d'autres fort peu nombreux, ont eu la persévérance équivalente; car, à parler exactement, ils ne persévèrent [367] pas, mais leur conversion équivaut à la persévérance qui n'est rien autre que la conversion.

  A008002719 

 Origène, Tertullien, Hosius, Salomon, Judas ne persévérèrent pas.

  A008002720 

 Exemple de l'arche de Noé: il était aussi facile d'y entrer que de rester dehors, mais ils ne voulurent pas entrer..

  A008002720 

 Exemple des Israélites dans le désert: la manne ne manqua pas, mais ils manquèrent à la manne; ils eurent la colonne de nuée le jour, et de feu la nuit.

  A008002720 

 La grâce ne te fait pas plus défaut que la nature.

  A008002720 

 Voici la première: Si par nous-mêmes nous ne pouvons rien, celui qui est condamné l'est parce que Dieu ne l'a pas aidé? Voici que je meurs de soif.

  A008002721 

 C'est la partie inférieure de l'âme qui faisait pleurer les filles de Jérusalem, aussi le Seigneur leur dit-il: Ne pleurez pas sur moi, par la partie inférieure.

  A008002721 

 Les larmes sont donc bonnes, car elles sont [368] un effet de la contrition; mais parce que ce sentiment n'obéit pas toujours à la raison, la tristesse extérieure n'est pas nécessaire, l'intérieure suffit..

  A008002760 

 Eh bien! de ma faible voix, je louerai cétte voix, et encore la voix de Celui qui doit diriger nos pas dans la voie de la paix..

  A008002761 

 Et je m'en félicite, car vous avez toujours été pour moi un auditoire bienveillant; si, à la vérité, vous avez eu bon nombre d'orateurs plus habiles, vous n'en avez pas eu de plus affectionné.

  A008002763 

 Les autres Prophètes disaient: Voilà qu' il viendra, il viendra et il ne tardera pas; mais celui-ci dit: Le voici qui vient, sautant sur les montagnes, franchissant les collines.

  A008002764 

 Le soleil levant nous a visités; illuminare, éclairer, c'est-à-dire, afin d'éclairer, pour éclairer, ceux, etc., pour diriger nos pas dans la voie de la paix..

  A008002767 

 L'Ange adressa ces paroles à Gédéon: Que la paix soit avec toi, tu ne mourras pas; il bâtit un autel au Seigneur et il l'appela: Paix du Seigneur..

  A008002768 

 On donnera à celui qui a, et on ôtera à celui qui n'a pas. La paix ne doit pas être oisive, mais tranquille..

  A008002768 

 Pline dit: «Ne comprimez ni ne gaulez l'olivier.» Ceux qui aiment votre loi jouissent d'une grande paix, et il n'y a pas pour eux de scandale.

  A008002769 

 Qu'il n'y ait pas de querelles ni de contestations.

  A008002793 

 Car le législateur donnera sa bénédiction, ils iront de vertu, etc. Saint Bernard à Guérin: « J'ai incliné mon cœur à accomplir éternellement vos justifications en vue de la récompense.» Combien admirablement saint Bernard, dans son épître CCCXLI e, presse-t-il ceux qui ne veulent pas avancer: « Celui qui dit demeurer dans le Christ, doit marcher lui-même comme il a marché; or Jésus croissait et avançait en sagesse, en âge et en grâce.».

  A008002814 

 Les abîmes n'étaient pas encore, et moi j'étais déjà conçue; avant toutes les collines j'étais enfantée... Comme celle qui a conçu, lorsqu'elle approche de l'enfantement, souffre et crie dans ses douleurs, ainsi sommes-nous devenus devant votre face, Seigneur.

  A008002814 

 Nous avons conçu, nous avons été comme en travail, et nous avons enfanté l'esprit; nous n'avons pas mis notre salut dans la terre, c'est pour cela que les habitants de la terre ne sont pas tombés.

  A008002814 

 Nous n'avons pas mis notre salut, c'est-à-dire, nous n'avons pas mis l'espérance [378] de notre salut dans la terre; nous avons été comme en travail, parce que le péchèur s'attriste et se réjouit de sa douleur.

  A008002817 

 O Galates insensés, qui vous a fascinés pour ne pas obéir a la vérité, vous aux yeux de qui a été dépeint Jésus-Christ crucifié au milieu de vous?.

  A008002818 

 Les enfants ont été prêts a sortir du sein de leur mère, et elle n'a pas eu la force de les enfanter... Avant qu'elle fût en travail elle a enfanté, avant que [379] vînt le temps de son enfantement elle a mis au monde un enfant mâle; qui a jamais ouï une telle chose, et qui a vu rien de semblable? Saint Jean Damascène, De la Foi orthodoxe, liv. IV, chap. XV, interprète ce passage de la Sainte Vierge..

  A008002842 

 Du reste, mes frères, fortifiez-vous dans le Seigneur et dans la puissance de sa vertu; revêtez-vous de l'armure de Dieu, afin de pouvoir tenir contre les embûches du diable; car ce n'est pas, etc., mais c'est contre les princes et les puissances, contre les dominateurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits de malice répandus dans l'air.

  A008002845 

 Ils descendent: Es-tu Elie? Je ne le suis pas.

  A008002845 

 Quoi donc? que dis-tu de toi-même, afin que [ nous donnions ] une réponse, [etc.] Je suis la voix de Celui qui crie dans le désert, etc. Voyez l'abaissement: Je ne suis pas digne de délier la courroie, etc..

  A008002869 

 Pour moi, je cours, mais non au hasard; je combats et je ne donne pas [384] des coups en l'air.

  A008002871 

 Cependant les Juifs eux-mêmes avouent que notre version représente le texte original, mais qu'il ne faut pas en conclure que les femmes pieuses offraient leurs miroirs, ordinairement d'airain, parce que déjà elles avaient rejeté la vanité pour vaquer au service de Dieu et du Temple).

  A008002873 

 Or, il est certain que la bienheureuse Geneviève, ainsi que beaucoup d'autres Saintes, n'a pas donné de ces miroirs, puisqu'elle n'en avait pas; mais elle a donné un miroir mystique dans l'admirable exemple qu'elle nous a laissé, à nous qui voulons nous laver et nous purifier; miroir dans lequel nous voyons notre visage intérieur dont nous devons prendre soin.

  A008002874 

 Dieu a choisi ce qui est insensé selon le monde pour confondre les sages; Dieu a choisi ce qui est infirme selon le monde pour confondre ce qui est fort; Dieu a choisi ce qui est vil et méprisable selon le monde, et les choses qui ne sont pas pour détruire celles qui sont, afin que nulle chair ne se glorifie en sa présence... De peur que la grandeur des révélations ne m'élevât, il m'a été donné un aiguillon, etc. Et il m'a dit: Ma grâce te suffit.

  A008002874 

 Dieu ne m'a pas envoyé pour baptiser, mais pour prêcher l'Evangile; non point toutefois selon la sagesse de la parole, afin de ne pas anéantir la croix du Christ.

  A008002874 

 Où est le sage? où est le scribe? où est l'investigateur de ce siècle? Dieu n'a-t-il pas convaincu de folie la sagesse de ce monde? Ce qui paraît folie en Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse en Dieu est plus fort que les hommes.

  A008002934 

 Parabole très célèbre et très féconde, mais qui offre une si grande moisson de considérations pieuses, que si nous voulions toutes les recueillir, la journée n'y suffirait pas.

  A008002935 

 L'homme naît pour le travail (d'après Cal., pour travailler dans la Loi), et l'oiseau pour voler... Parce que tu mangeras le fruit du travail de tes mains... Mais chacun recevra son propre salaire selon son travail... Nous vous déclarons ceci: si quelqu'un ne veut pas travailler, qu'il ne mange point... Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front... Or, faisant le lien, ne nous lassons point, car nous moissonnerons en son temps.

  A008002936 

 Ne savez-vous pas que ceux qui courent [392] dans la lice? etc.; courez de telle sorte que vous remportiez le prix. Saint Bernard à Guérin: « Il a exulté comme un géant pour parcourir sa carrière; on ne saisit pas celui qui court si l'on ne court aussi vite que lui.» J'ai combattu le bon combat, j'ai achevé ma course, j'ai gardé la foi; reste [à recevoir] la couronne de justice qui m'est réservée..

  A008002938 

 Car ce qu'il y a de momentané et léger dans notre tribulation opère en nous sans mesure dans la sublimité un poids éternel de gloire; nous ne contemplons point les choses qui se voient, mais celles qui ne se voient pas.

  A008002939 

 Saint François au Frère: «Et à cause des biens que j'attends,» etc. Saint Bernard, Aux Ecclésiastiques, sur la Conversion: «Elles ne sont pas dignes d'être comparées à la faute passée qui est remise, à la consolation qui est communiquée, à la gloire qui est promise.» [Nous souffrons pour notre] Rédempteur, pour notre Créateur, pour notre Glorifîcateur..

  A008002939 

 [ Les souffrances ] ne sont pas dignes d'être comparées.

  A008002959 

 Les Gentils, qui ne vivent pas selon la raison, semblables aux chameaux, après avoir déposé le joug de l'idolâtrie, entrent plus facilement que les Juifs.

  A008002993 

 Or, on dit, apres la revolution de plusieurs siecles il devient si charge des infirmites de sa viellesse en sorte qu'a peine peut il voler, et sa vie alhors luy semble tellement mortelle qu'il ne peut pas mesme esperer de vivre que par la mort; de sorte quil assemble et, etc., et se fait un bucher, etc. Or, apres il vole, il vit gay et joyeux, et avec une jeunesse toute vitale il passe un'autre nouvelle suite de siecles, etc. Telle est la narration des Anciens, non seulement prophanes mais aussi chrestiens; de saint Basile, saint Ambroyse et cent autres.

  A008002996 

 Et de fait, bien que phoenix en grec signifie ce rare et admirable oyseau duquel nous avons parle, si est ce quil signifie aussi la palme: la palme estant le phoenix des arbres comme le phoenix est la palme des oyseaux, avec beaucoup de similitude de l'un a l'autre, hormis que la palme n'est pas si rare que le phcenix, ni le phoenix si fertile que la palme..

  A008002999 

 Cum esset desponsata Mater Jesu Maria Joseph, antequam convenirent, etc. Non, le palmier ne faeconde pas la palme, c'est le soleil qui la faeconde; mais la nature a volu observer cette ceremonie, peut estre seulement pour nous acheminer par cette similitude a ce que nous disons maintenant.

  A008002999 

 Ex hoc autem matrimonio consurgit aliud privilegium Sancti Joseph, quia etsi pater naturalis Christi Domini non sit, est tamen plus quam pater putativus, plus quam socer, et Christus licet non sit filius Joseph est tamen filius suus; il n'est pas son filz, mais un filz sien.

  A008002999 

 [400] Mays le Saint Esprit a voulu observer cette ceremonie, que la tressainte Vierge ne conceut pas qu'a l'aspect et a l'ombre du sacre mariage, mariage totalement virginal et qui «virginitatem Matris non minuit sed sacravit;» et c'est ce qui exalte merveilleusement saint Joseph, destre le vray mari d'une si sainte Espouse.

  A008003054 

 Beau passage, dans l'Exode: Pourquoi cries-tu vers moi? Saint Bernard, sermon XVI e sur le Psaume XC, dit: «C'est une clameur aux oreilles de Dieu, qu'un ardent désir.» Auprès de Dieu le cri ne vaut pas autant que l'amour.

  A008003057 

 Ne savez-vous pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi? Nous demandons bien aux Saints, mais non d'une manière absolue, nous demandons qu'ils appuient nos prières par les leurs.

  A008003058 

 A cause de David votre serviteur, ne détournez pas la face de votre Christ.

  A008003058 

 En mon nom, comme Médiateur (déjà les anciens priaient de la sorte, mais implicitement; nous, nous prions ainsi plus explicitement, plus formellement, comme notre foi aussi est plus explicite); sans cela nous ne serions pas dignes d'être regardés.

  A008003058 

 Vous n'avez pas reçu l'esprit [408] de servitude qui vous retienne encore dans la crainte; mais vous avez reçu l'esprit des enfants, par lequel nous crions: Aida, Père.

  A008003079 

 Voir dans Génébrard comment il faut recourir à la puissance du Seigneur quand nous ne comprenons pas un mystère.

  A008003080 

 C'est le style de l'Ancien Testament d'annoncer que l'Incarnation aura lieu aussitôt, et qu'elle ne tardera pas.

  A008003080 

 Ces expressions indiquent une durée courte non pas en soi, mais relativement à nos mérites, car nous méritions que le Messie ne vînt jamais.

  A008003083 

 Noter cela pour comprendre soit le grand avantage qu'il y a d'être avec Marie, soit la préséance d'honneur qui place Marie au-dessus de tous, comme étant la plus digne; car nous ne disons pas que le prince voyage ou est avec son courtisan, nous disons que celui-ci est avec son prince..

  A008003085 

 Le prêtre commence la prédication en traçant le signe de la Croix, pour montrer que ses paroles seront non pas mondaines mais célestes.

  A008003087 

 Je ne vois pas la preuve de la damnation personnelle d'Esaü.

  A008003087 

 L'Ecriture ne dit presque pas de mal de lui.

  A008003087 

 La Genèse ne raconte pas sa mort parce que les Saintes Ecritures s'attachent seulement à ce qui concerne le peuple choisi.

  A008003093 

 Ja n'advienne que je me glorifie en quelque autre chose qu'en la croix de mon Jesus: et ne croyes pas, mes chers Galates, que j'aye d'autre vie que celle de la croix; [415] car je vous asseure que je voy et sens tellement par tout la croix de mon Sauveur, que par sa grace je suis du tout crucifié au monde, et le monde m'est crucifié.

  A008003096 

 D'où le Chrestien doit inferer que ce n'est pas asses d'honnorer la Croix, s'il ne l'ayme; de la bayser, s'il ne l'embrasse par une cordiale et ferme resolution, non seulement d'aymer le Crucifix, mais encores la crucifixion de cœur..

  A008003096 

 Or, pour la preuve de nostre foy, il ne se faut pas contenter de bayser la Croix, mais il faut aymer la Croix; car la bayser sans l'aymer, c'est augmenter le crime de nostre infidelité, et attirer sur nous les punitions de ce peuple duquel Jesus Christ disoit: Ces gens icy m'honnorent des levres, ilz me donnent des baysers hypocritiques et des feintes louanges; mais leur cœur est fort esloignè de moy, et par consequent leurs œuvres sont fort esloignees de mes intentions.

  A008003102 

 Aux jeunes gens, je destine la croix de l'obeissance, de la chasteté et de la retenue en leurs deportemens; croix salutaire qui crucifie les fougues d'un jeune sang qui commence a bouillir et d'un courage qui n'a pas encores la prudence pour guide, qui rendra en fin nos jeunes gens capables de porter le tres suave joug de Nostre Seigneur, en quelque condition que son inspiration les appelle..

  A008003104 

 Il y a si grand nombre de croix pour les personnes mariees et chargées de famille qu'il n'est pas besoin de leur en destiner de particulieres; neanmoins, celle que je leur presente plus volontier c'est le support mutuel, l'amitié fidelle et non interrompue par des amours estrangers, et le soin de l'eslevation des enfans; en donnant bon exemple a toute la famille, ne se pas rendre criminel des crimes d'autruy..

  A008003106 

 Heureux ceux qui ne fuyent point la croix! Judas, ce perfide disciple, mena son infernale troupe pour prendre [418] Jesus et le faire clouer a la croix; mais quant a luy, le malheureux, il refusa entierement la croix, ne voulant pas seulement celle de la sainte contrition et penitence que Jesus Christ luy offrait.

  A008003122 

 Zacharie doute, et l'Ange lui dit: Ecce eris tacens, et non poteris loqui usque in diem quo hœc fiant, pro eo quod non credidisti verbis meis; Parce que vous n'avez pas cru, vous perdrez l'usage de la parole jusqu'à la naissance de votre fils.

  A008003123 

 C'est ainsi que dans une autre occasion il reprit saint Thomas de n'avoir pas cru au témoignage des autres Apôtres: Noli esse incredulus; Ne soyez pas incrédule, lui dit-il.

  A008003123 

 De quoi Jésus reprend-il ses Apôtres? C'est de n'avoir pas cru au témoignage des personnes qui avaient vu qu'il était ressuscité: Quia iis qui viderant eum resurrexisse, non crediderunt.

  A008003123 

 Il ne suffit pas de croire à l'Ecriture, il faut croire au témoignage de l'Eglise.

  A008003124 

 Après que Notre-Seigneur eut fait ce reproche à ses Apôtres, il leur commanda de prêcher l'Evangile: Prædicate Evangelium omni creaturæ; il ne leur ordonna pas de l'écrire, mais de le prêcher.

  A008003129 

 Alleluia! oh! que cette courte prière est excellente! qu'elle est énergique! Car elle ne signifie pas simplement: Louez Dieu, mais elle exprime les louanges divines d'une manière ineffable, avec l'accent de l'amour, avec l'enthousiasme du cœur; c'est un langage céleste qu'on ne peut traduire en aucune langue; c'est un cri d'allégresse, un ravissement d'admiration, l'élan de la plus vive reconnaissance..

  A008003138 

 Et si elle célèbre maintenant l'auguste sacrifice de la Messe au milieu d'un concert harmonieux d' Alleluia, ce n'est pas pour que ses enfants oublient que l'oblation de la céleste Victime est la plus vive représentation du sacrifice de la Croix.

  A008003138 

 Quand l'Eglise nous fait chanter des cantiques d'allégresse en l'honneur de Jésus ressuscité, ce n'est pas pour que nous bannissions de notre esprit l'attendrissant souvenir de ses tourments et de ses supplices, ni pour que nous cessions de verser des larmes sur ses cruelles souffrances.

  A008003140 

 Ah! s'écrie saint Bonaventure, si une épine seulement nous blesse le pied, nous jetons des cris de douleur; et comment donc serions-nous insensibles aux maux extrêmes qu'a soufferts notre Chef et notre Seigneur! «Quare magis compateris parvae puncturae pedis tui, quam gravissimae morti Domini tui!» Quoi! dit encore le même Saint, nous ne pourrions soutenir la vue d'un tourment affreux exercé, je ne dis pas sur un parent ou sur un ami, je ne dis pas sur un homme inconnu, mais sur un vil animal; et nous verrions sans douleur l'excès des maux que souffre notre Dieu! «Si videres animal brutum ita affligi, humano affectu compatereris, quanto magis Domino Deo!».

  A008003141 

 Que sera-ce donc, ajoute le saint Docteur, si nous réfléchissons que nos péchés sont les bourreaux de Jésus-Christ, que c'est pour nos crimes qu'il a été cloué à la croix, que ce sont nos iniquités qui lui ont fait ces plaies si humiliantes et si douloureuses! Quelle profonde tristesse, quelle vive componction, quelle contrition amère ne doit pas s'emparer de notre cœur! «In dolore enim Domini nostri Jesu Christi, debemus intime sibi condolere et compati.

  A008003142 

 Mais en même temps, dit toujours saint Bonaventure, «la bienheureuse Passion de notre Sauveur doit exciter dans un cœur chrétien la plus sainte allégresse et le [427] ravissement de la joie la plus vive: In hac beatissima Passione datur nobilissimi gaudii materia et vehemens exsultatio.» «Eh! qui pourrait ne pas être transporté de joie en se voyant, par l'heureux effet des plaies de Jésus, arraché à la damnation éternelle, à l'esclavage du péché, à la tyrannie du démon! Quis non exsultet et gaudeat, cum cernit seipsum per hanc beatissimam Passionem liberatum a damnatione aeterna, a culpae ignominia, a potestate diabolica!» «Quelles bornes pourrions-nous donner aux transports de notre allégresse, quand nous considérons qu'un Dieu nous a aimés jusqu'à se réduire pour nous à tant d'humiliations et de souffrances! Sed quis non exsultet in immensum, cum cernit Deum ipsum in tantum diligere ut tantae vilitati et pœnalitati subjecerit semetipsum pro eo!».

  A008003143 

 «Ce n'est pas que nous nous réjouissions de ses ignominies et de ses douleurs;» non, non, elles feront toujours la matière de nos gémissements et de nos larmes, mais nous sommes saisis de joie à la vue des admirables effets qu'a produits le sang précieux qui coule de ses plaies; nous bénissons mille et mille fois la tendre affection, l'amour ardent qu'il nous a témoigné en mourant sur la croix pour notre salut: «Non quod gaudeat de ejus vilitate et Passione, sed de ejus effectu affectuque, et amoris manifestatione.».

  A008003144 

 «Quel est le grand de la terre qui n'éprouverait pas la joie la plus vive, s'il était aimé du roi à un tel point que ce monarque fût prêt à donner sa vie pour lui! A combien plus forte raison, nous qui sommes des hommes si méprisables, de si infâmes esclaves, des pécheurs si abominables, devons-nous tressaillir de joie en voyant le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs, notre Créateur et notre Dieu, Jésus, nous aimer jusqu'à s'immoler lui-même pour nous par la mort la plus ignominieuse et la plus cruelle! Quis princeps in regno cernens se tantum a rege diligi ut paratus esset mori pro ipso, non gauderet et exsultaret! Quanto magis nos vilissimi homines, et nefandissimi peccatores et servi, gaudere debemus et exsultare, cum videmus Regem regum et [428] Dominum dominantium et Creatorem nostrum Jesum nos ita continue diligere, ut immolaverit seipsum pro nobis in tam turpi et vilissima morte!».

  A008003155 

 «Quelle abondance de douceur, quelle plénitude de grâces, quelle perfection de vertus, la colombe ne trouvet-elle pas dans les trous de la [430] pierre! Quanta in foraminibus petrœ multitudo dulcedinis, plenitudo gratiae, perfectio virtutum!» «Elle y habite en sûreté, et elle y considère sans effroi l'épervier qui vole autour du lieu de sa retraite: Bona foramina: in his se columba tutatur, et circumvolitantem intrepida intuetur accipitrem.».

  A008003156 

 Avec quelle allégresse il contemple son sang qui coule à gros bouillons! Il triomphe, il ne peut contenir les transports de sa joie: Stat martyr tripudians et triumphans, toto licet lacero corpore et rimante latera ferro; non modo fortiter, secl et alacriter sacrum e carne sua circumspicit ebullire cruorem.» «Est-ce donc qu'il ne sent pas la douleur? il la sent, et vivement; mais il la surmonte, mais il la méprise: Nec deest dolor, secl superatur, sed contemnitur.» «Où est donc alors son âme? Ah! elle est dans le lieu sûr, elle est dans la pierre, elle est dans les entrailles de Jésus, elle habite dans ses plaies sacrées: Ubi ergo tune anima martyris? nempe in tuto, nempe in petra, nempe in visceribus Jesu, vulneribus nimirum patentibus ad introeundum.» Là elle s'anime par l'exemple de son Bien-Aimé; là elle renouvelle continuellement sa vigueur; là elle puise la force de boire le calice du Seigneur; là elle s'enivre des délices qui sont cachées dans les souffrances: «Ergo ex petra martyris fortitudo, inde plane potens ad bibendum calicem Domini; et calix hic inebrians quam prœclarus est!».

  A008003161 

 Là j'embrasserai avec une vive reconnaissance ces pieds percés pour mon amour; là j'apprendrai à détourner mes pieds de toutes les routes qui conduisent aux folles joies du monde; là je comprendrai le bonheur de marcher au Calvaire sur la trace sanglante des pas de Jésus: Deus omnia subjecit sub pedibus ejus..


09-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome IX-Vol.3-Sermons.html
  A009000007 

 Pas être utilisés à des fins commerciales de toute nature!.

  A009000068 

 Il parle ainsy comme si le Seigneur devoit venir en sa propre gloire, bien que nous sçachions tous que Dieu ne va et ne vient pas comme s'il avoit un corps, car il est immuable, ferme et solide, sans mouvement aucun; neanmoins Moyse use de ces termes pour monstrer que le benefice de la manne estoit si grand qu'il sembloit que Dieu deust venir luy mesme pour la porter et distribuer aux enfans d'Israël.

  A009000069 

 Alexandre le Grand estant à l'article de la mort, ses courtisans, fols, insensés et flatteurs, luy vindrent dire: «Sire, quand te plaist-il que nous te fassions dieu?» Lors Alexandre monstra bien, en la response qu'il leur fit, qu'il n'estoit pas si fol comme eux: «Vous me ferez dieu quand vous serez bienheureux,» leur respondit-il.

  A009000069 

 Comme s'il eust voulu dire: Il n'appartient pas à des hommes malheureux, perissables et mortels de faire des dieux, qui ne peuvent estre que bienheureux et immortels..

  A009000070 

 Les Chrestiens ont esté plus esclairés, et ont eu l'honneur de sçavoir que l'homme a esté fait Dieu et que Dieu s'est fait homme, bien qu'ils ne soyent pas capables de comprendre la grandeur du mystere de l'Incarnation et de la tres sainte Nativité de Nostre Seigneur, car c'est un mystere caché dans l'obscurité des tenebres de [3] la nuit; non pas que le mystere soit tenebreux en soy mesme, car Dieu n'est que lumiere.

  A009000070 

 Mais comme l'on voit que nos yeux ne sont pas capables de regarder la lumiere ou la clarté du soleil sans s'obscurcir (de sorte qu'apres s'estre voulu appliquer à regarder cette lumiere nous sommes contrains de les fermer, n'estant pas capables de rien voir pour quelque temps), de mesme, ce qui nous empesche de comprendre le mystere de la tres sainte Nativité de Nostre Seigneur n'est pas qu'il soit tenebreux en soy mesme, ains parce qu'il n'est que lumiere et clarté.

  A009000073 

 La tres sainte Vierge produit son Fils Nostre Seigneur virginalement en terre comme il fut produit de son Pere eternellement au Ciel, avec cette difference neanmoins, qu'elle le produit de [5] son sein et non pas dans son sein, car dès qu'il en fut sorti il n'y rentra plus; mais son Pere celeste l'a produit de son sein et en son sein, car il y demeurera eternellement..

  A009000073 

 Quelle apparence, je vous prie, y a-t-il que Nostre Seigneur deust violer l'integrité de sa Mere, luy qui ne l'avoit choisie sinon parce qu'elle estoit vierge? Luy qui estoit la pureté mesme eust-il peu diminuer ou entacher la pureté de sa tres sainte Mere? Nostre Seigneur est engendré et produit virginalement de toute eternité du sein de son Pere celeste; car si bien il prend la mesme divinité de son Pere eternel, il ne la divise pourtant pas, ains demeure un mesme Dieu avec luy.

  A009000074 

 C'est donc à juste rayson que la tres sainte Vierge a un nom qui signifie estoille, car tout ainsy que les estoilles produisent leur lumiere virginalement et sans en recevoir aucun detriment en elles mesmes, ains en paroissent plus belles à nos yeux, de mesme Nostre Dame produisit cette lumiere inaccessible, son Fils tres beni, sans en recevoir aucun detriment ni souiller aucunement sa pureté virginale; mais avec cette difference neanmoins, qu'elle le produit sans effort ni secousse et violence quelconque, ce que ne font pas les estoilles, ainsy que l'on voit, car elles produisent leur lumiere par secousses et, ce semble, avec violence et forcement..

  A009000074 

 Cecy ne doit pas estre espluché ni consideré curieusement, et ne faut pas alambiquer nos entendemens apres la recherche de cette divine production, qui est un peu trop haute pour eux.

  A009000076 

 En la manne estoit le goust du miel, qui est une liqueur celeste; car si bien les abeilles cueillent le miel de sur les fleurs, elles ne tirent pourtant pas le suc des fleurs, ains cueillent et ramassent avec leur petite bouchette le miel qui descend du ciel avec la rosée, et seulement en un certain temps de l'année.

  A009000077 

 Qu'est-ce autre chose sa tres benite ame qu'une huile, un baume, une odeur respandue qui console infiniment l'odorat de tous ceux qui s'en approchent par la consideration de son excellence? O quelle odeur respandit-elle en presence de la divine Majesté à laquelle elle se voyoit unie sans l'avoir merité ni peu meriter d'elle-mesme! O quels actes de parfaite charité, de profonde humilité ne produisit-elle pas en ce mesme instant de cette sacrée et incomparable union qu'elle eut avec le Verbe eternel à l'heure mesme de l'Incarnation! Et pour nous autres, quel parfum, quelle odeur, quelle senteur d'une suavité incomparable n'a-t-elle pas respandu pour nous inciter à la suite et à l'imitation de ses perfections!.

  A009000078 

 Mais à fin que je ne m'arreste pas tant sur ces deux premiers points qui servent pour l'exercice de nostre entendement, je passe outre pour parler du troisiesme qui contient quelque petite chose propre à enflammer nostre volonté..

  A009000080 

 Mais remarquez qu'il n'y eut que les bergers qui veilloyent sur leur troupeau qui eurent l'honneur et la grace d'ouïr cette gracieuse nouvelle de la naissance de Nostre Seigneur, pour nous monstrer que si nous ne veillons sur le troupeau que Dieu nous a donné en charge, qui est comme j'ay dit, nos passions, nos inclinations, les facultés de nostre ame, pour les faire repaistre dans quelque saint pasturage et les tenir rangées et en leur devoir, nous ne meriterons point d'ouïr cette nouvelle tant aymable de la naissance du Sauveur, et ne serons pas capables de l'aller visiter dans la creche où sa tres benite Mere le posera demain..

  A009000081 

 On les bande encores à fin qu'ils ne viennent à se gaster les yeux ou le visage, ayans la liberté d'y porter les mains pour se frotter quand ils voudroyent, n'ayans pas l'usage de la rayson pour s'en abstenir ainsy qu'il seroit requis.

  A009000083 

 Helas, Nostre Seigneur ne pouvoit pas mesuser de sa volonté ni de sa liberté; neanmoins il a voulu que tout fust caché sous les maillots, et la science et la sapience eternelle, avec tout ce qu'il avoit entant que Dieu, esgal à son Pere, comme l'usage de rayson, le pouvoir de parler et bref tout ce qu'il devoit faire ayant atteint l'aage de trente ans.

  A009000084 

 Mais comme les bergers ne [11] l'allerent pas voir sans doute sans luy porter quelques petits agnelets, il ne faut pas que nous y allions les mains vides, ains il nous faut porter quelque chose.

  A009000085 

 Ceux qui s'en allerent et ceux qui demeurerent furent tous consolés, mais non pas egalement, ains un chacun selon sa capacité..

  A009000086 

 Anne, mere de Samuel, demeura longuement sans avoir des enfans, ce qui luy causoit une si grande bigearrerie que l'on ne la trouvoit jamais de mesme humeur; car quand elle voyoit des femmes qui s'esjouissoyent avec leurs enfans, elle se lamentoit et se chagrinoit dequoy elle n'en avoit pas, et quand elle en voyoit quelques unes qui se plaignoyent de leurs enfans, elle se resjouissoit dequoy Dieu ne luy en donnoit point; mais dès qu'elle eut le petit Samuel, dès lors on ne la vit jamais plus inegale.

  A009000086 

 Nous avions quelques excuses [12] sans doute de nous chagriner et estre changeans en nos humeurs tandis que nous n'avions pas cet Enfant tant aymable qui nous vient de naistre ou qui naistra demain; mais desormais il ne nous sera plus loysible, puisque en luy consiste tout le sujet de nostre joye et de nostre bonheur..

  A009000093 

 Mais comme en eust-elle eu besoin, veu qu'elle avoit produit son Fils plus purement que ne fait l'estoille son rayon, rayon qui rend l'estoille d'autant plus belle à nos yeux qu'elle le produit plus frequemment? Elle vient donques, nostre sacrée Maistresse, non pour se purifier en elle mesme, ains seulement en l'imagination de plusieurs qui, ne sçachans pas qu'elle estoit exempte d'observer la Loy, eussent murmuré dequoy elle ne l'observoit pas..

  A009000097 

 C'est assez parler sur ce premier point, puisque nous sommes enseignés que renoncer à soy mesme n'est autre chose que se purifier et se purger de tout ce qui se fait par l'instinct de nostre amour propre, lequel, nous le sçavons, produira tousjours, tandis que nous serons en cette vie, des rejetons qu'il faudra couper et retrancher, tout ainsy qu'il faut faire à la vigne; car il ne se faut pas contenter d'y mettre une fois la main, mais il faut la couper en un temps, puis apres la despouiller de ses feuilles, et ainsy plusieurs fois l'année il faut avoir la main à la serpe pour retrancher les superfluités.

  A009000098 

 Nostre Seigneur et tres cher Maistre nous a tres bien monstré comme il ne faut pas que nous choisissions la croix, ains qu'il faut que nous la prenions et portions telle qu'elle nous est presentée.

  A009000100 

 Je diray bien davantage: il y a quelquefois plus de vertu à porter une croix de paille que non pas une croix bien pesante, parce qu'il faut plus appliquer son attention, de crainte de la perdre.

  A009000100 

 Je veux dire qu'il peut y avoir plus de vertu à retenir une parolle qui nous a esté defendue par nos Superieurs, ou bien à ne pas lever la veùe pour regarder quelque chose que l'on a bien envie de voir, que non pas de porter la haire, parce que dès qu'on l'a sur le dos il n'est plus besoin d'y penser; mais en ces menues obeissances il faut avoir une grande attention pour n'y pas faillir..

  A009000100 

 Par exemple, un Religieux se sousmettroit volontiers à faire des grandes austerités, comme de jeusner, porter la haire, faire des rudes disciplines, et tesmoigneroit de la repugnance à obeir lors qu'on luy commande de ne pas jeusner, ou bien de prendre du repos, et telles choses auxquelles il semble y avoir plus de recreation que de peine.

  A009000100 

 Vous vous trompez si vous croyez qu'il y ait moins de vertu à vous sousmettre en cela, car le merite de la croix n'est pas en sa pesanteur, ains en la façon avec laquelle on la porte.

  A009000101 

 Il ne dit pas qu'il se repose au matin ou au soir, ains au midy; et cela parce qu'au midy il n'y a point d'ombre.

  A009000101 

 Il ne s'en faut pas estonner, puisque l'Espoux, au Cantique des Cantiques, dit que le lieu où il se repose est au midy.

  A009000101 

 Sainte Gertrude fut faite Religieuse en un monastere où il y avoit une Abbesse ou Superieure laquelle reconnoissoit fort bien que la bienheureuse [19] Sainte estoit d'une complexion foible et fort delicate; c'est pourquoy elle la faisoit traitter plus delicatement que non pas les autres Religieuses, tant pour le vestir que pour la nourriture, et ne luy laissoit pas faire les austerités qu'on avoit accoustumé de faire en cette Religion.

  A009000102 

 Ceux qui navigent sur la mer, approchant du lieu où sont les sirenes, courent tousjours grande fortune de se perdre à cause qu'elles chantent si delicieusement qu'elles endorment ceux qui rament; mais il y en a qui ont usé de cet expedient, de se faire attacher à l'arbre qui est planté [20] au milieu du navire, à fin de n'estre pas attirés au bord par cette melodie.

  A009000102 

 Et tout de mesme des maladies; ils voudroyent avoir celles que Dieu a données à un autre et non pas celles qu'ils ont..

  A009000103 

 Tous les Chrestiens qui aspirent au Ciel vont apres le Sauveur, car c'est par ses merites qu'on en espere la possession, en observant neanmoins ses commandemens; mais suivre Nostre Seigneur c'est marcher sur ses pas, imiter ses vertus, faire ses volontés et n'avoir qu'une mesme pretention avec luy.

  A009000105 

 Mais ces deux façons de le porter ne sont pas grand chose si l'on n'y adjouste la troisiesme, qui est de le porter dessus ses bras, je veux dire l'imiter en ses œuvres, car les bras representent les œuvres..................................................................................................

  A009000118 

 Et Nostre Seigneur luy respondit: Je ne le feray pas, car il [23] est escrit que l'homme ne vit pas seulement du pain, mais de toute parole qui part de la bouche de Dieu..

  A009000119 

 Hé, tu dis qu'il y a tant de peine à obeir et que tu y sens tant de repugnance; ne te fasche pas, fais de cette pierre du pain.

  A009000119 

 Il faut que nous sçachions que le diable donne souvent cette tentation aux ames les plus pieuses, plus retirées et plus adonnées au service de Dieu; aussi est-ce celles-là particulierement qu'il cherche, car il sçait bien qu'il aura plus d'honneur, c'est à dire d'honneur infernal, pour l'acquisition d'une de ces ames, que non pas de beaucoup d'autres moins pieuses; et il fait cela aussi pour la haine perpetuelle qu'il porte à Dieu.

  A009000119 

 Il faut vrayement faire ce qui t'est commandé, mais fais le tant plus laschement, et quand l'on ne te verra pas, hé, ne le fais pas.

  A009000120 

 Aussi Nostre Seigneur n'a-t-il pas voulu operer ce miracle parce que son Pere ne l'avoit pas fait.

  A009000120 

 Il faut regarder l'intention de la divine Majesté au temps de la tentation; non pas que nous puissions penser ni dire que c'est Dieu qui nous tente; oh non, car il ne le peut, ains il permet que nous soyons tentés et exercés.

  A009000120 

 O Dieu, que faites-vous, cheres ames? Ne changez pas la pierre en pain, convertissez-la plustost en eau, car vostre Pere, qui est Dieu, l'a bien fait pour desalterer les enfans d'Israël; mais il n'en a jamais tiré du pain, ains a plustost fait descendre la manne du ciel.

  A009000121 

 Jesus luy dit donques: Je ne le feray pas, car il est escrit: Tu ne tenteras point le Seigneur.

  A009000121 

 Or, le diable estant rejetté par nostre Maistre ne perdit pas courage, ains le prit et le porta sur le pinacle du Temple, et luy dit: Si tu es Fils de Dieu, jette toy en bas, car il est escrit que les Anges te porteront entre leurs bras, de peur que tu ne heurtes de ton pied à la pierre. Et Nostre Seigneur ne le voulut pas pour plusieurs raysons, dont en voicy une: ce fut pour nous monstrer que si bien nous sommes portés par le diable en un lieu haut et sureminent comme est la Religion, par quelques intentions perverses, voire mesme de despit, que nous n'en devons pas descendre, ains y devons demeurer, car Dieu sçaura bien convertir nostre mauvaise intention en une bonne.

  A009000121 

 Vous vous trompez: les Saints ne sont pas parvenus à la sainteté par là, ains ils ont agi ainsy parce qu'ils estoyent saints.

  A009000122 

 Il faut que chacun marche en sa voye: la voye des Saints estoit de faire ce qu'ils faisoyent, mais la vostre c'est de parvenir, ou tascher de parvenir à la perfection peu à peu, et non pas tout d'un coup comme vous voudriez.

  A009000122 

 Il ne faut donc pas faire ce que vous dites, que vous aymez mieux employer à vostre sanctification quarante jours de jeusne que de traisner tant à vous perfectionner.

  A009000122 

 Oh non, cela ne vous rendra pas saintes, mais ouy bien une longue perseverance à vous bien mortifier, et à endurer amoureusement les mortifications, tentations, aridités et afflictions qui vous surviendront en cette vie, [25] resistant aux tentations et appliquant les remedes à vos peines, avec beaucoup de patience et d'humilité, avec resignation à souffrir autant et aussi longuement qu'il plaira à la divine Majesté, sans jamais vous laisser aller à aucun desir d'en estre affranchies.

  A009000132 

 Si, au sortir de l'oraison, vous avez un visage renfrogné et chagrin, l'on voit assez que vous n'avez pas fait l'oraison comme vous deviez..

  A009000133 

 Non certes, il ne faut pas dire comme saint Pierre: Il est bon que nous soyons icy, mais: Il est bon que nous passions par icy pour aller à la montagne de Calvaire..

  A009000133 

 Nostre divin Maistre faisoit ses exces bien d'autre façon que non pas nous autres; car nous, nous jettons de bas en haut.

  A009000134 

 Hé, ne le voyez-vous pas en nostre mystere d'aujourd'huy? Ces trois Apostres ayans veu la gloire de Nostre Seigneur ne laisserent par apres de le quitter en sa Passion, et saint Pierre qui avoit parlé tousjours plus hardiment, commit neanmoins un tres grand peché reniant son Maistre.

  A009000134 

 Il faut monter sur la montagne de Thabor pour y estre consolé, direz-vous, car cela pousse et fait avancer les ames foibles qui n'ont pas le courage de faire le bien sans y sentir de la satisfaction.

  A009000135 

 Je ne dis pas que nous devons faire autant d'oraison les uns que les autres, car il ne seroit pas à propos que ceux qui ont beaucoup d'affaires demeurassent aussi longuement en oraison que les Religieux.

  A009000135 

 Quand Nostre Seigneur a voulu accomplir quelque grande chose il s'est mis en oraison, mais non pas en une simple oraison faite sans preparation, ains il se retiroit en la montagne et entrait en la solitude.

  A009000136 

 L'une est neanmoins plus profitable que l'autre; comme de mesme il y a plus de profit à accomplir la volonté de Dieu, ou bien à l'aymer en quelque evenement qui nous contrarie, que non pas à [30] escouter parler Nostre Seigneur emmy la consolation que l'on reçoit aucunefois en l'oraison..

  A009000148 

 C'est pourquoy il la reprend, car si elle eust eu simplement soin de le bien servir, elle n'eust pas assemblé tant de pretentions pour que tout fust en bon ordre, et n'eust pas esté reprise.

  A009000149 

 Mais ces bonnes gens ne disent mot, ains vont simplement; et ils rencontrerent aussi des bonnes gens et bien simples, car ayant deslié l'asnesse, ceux à qui elle estoit demanderent seulement: Que voulez vous faire? Et les Apostres respondant: Le Seigneur en a besoin, ils ne repliquerent pas un mot.

  A009000151 

 Il faut honnorer et estimer toutes les vertus parce qu'elles nous rendent fort aggreables à Dieu, et non pas les prattiquer et nous y affectionner parce que nostre esprit y a quelque correspondance..

  A009000151 

 L'heresie n'est autre chose sinon le choix que l'on fait d'accorder creance à quelques uns des articles de la foy, ne voulant pas croire les autres.

  A009000151 

 Mais, o Dieu, il faut que cet amour soit pur, qu'il nous fasse entreprendre la prattique de toutes les vertus [35] egalement, et non pas selon nostre choix; car bien souvent nous nous faschons dequoy nous avons fait quelque legere faute en la vertu que nous affectionnons, et ne nous mettons point en peine d'avoir fait un defaut beaucoup plus grand en une autre vertu qui sera peut estre plus excellente.

  A009000152 

 Ils sont en un continuel combat contre leurs ennemis, qui sont leurs propres passions et inclinations, desquelles en fin ils demeurent [36] maistres, les assujettissant toutes à la rayson, qui n'est pas une petite victoire, ains est plus grande que de conquerir et gagner plusieurs villes..

  A009000155 

 O les Religieux de ce temps icy eussent bien esté plus discrets, car ils eussent au moins salué la compagnie, d'autant qu'il ne faut pas estre incivil; ou bien ils eussent recommandé au roy tout plein d'affaires pieuses apres l'avoir sacré.

  A009000155 

 [37] Mays cecy n'est pas tout ce que je veux dire.

  A009000156 

 Cecy n'est pas encores tout ce que je pretens de remarquer en cette histoire; le voicy.

  A009000161 

 Chose admirable que Dieu nous ayt tant aymés que de laisser mourir son Fils pour nous, qui avions merité la mort! Nostre Maistre ne s'est pas contenté de mourir pour nous d'une mort commune, mais a choisi la plus pleine d'abjection et d'ignominie qui se pouvoit jamais penser.

  A009000161 

 O Dieu, [39] que vos secrets jugemens sont admirables et incomprehensibles! Admirables et tres grans sont ceux que nous sçavons et comprenons, mais bien plus, sans nulle comparaison, sont grans et aymables ceux que nous ne sçavons pas.

  A009000161 

 Oh! il ne faut pas penser que Nostre Seigneur ait voulu mourir seulement pour nous racheter, car un seul de ses souspirs, à cause de la dignité et merite du Souspirant, suffisoit pour nous sauver et delivrer des mains de nos ennemis; mais cet amour infini ne pouvoit pas estre content s'il ne mouroit de l'amour mesme.

  A009000162 

 Encor ne sera-ce pas grand chose, puisque nostre misere est si grande que cela seul luy appartient..

  A009000162 

 Mais, o Dieu, il ne faut pas la choisir à nostre gré, ains l'accepter de bon cœur telle qu'elle nous arrivera selon le divin [40] bon playsir; je ne dis pas seulement la mort, mais toutes sortes de peines, d'afflictions, de contradictions et abjections.

  A009000163 

 C'est pourquoy, voulant mourir, il ne choisit pas d'estre estouffé ni estranglé, qui est une mort bien plus courte que celle de la croix; nous monstrant par ce choix que nous ne nous devons point ennuyer de la longueur ni de la quantité de nos souffrances, voire durassent-elles jusques à la fin de nostre vie, puisqu'elles ne sçauroyent jamais approcher ni entrer en comparaison avec celles qu'il a endurées pour nous.

  A009000164 

 Ne sçavez-vous pas qu'Adam tout aussi tost qu'il eut prevariqué commença à avoir honte de luy mesme, et se fit au mieux qu'il peut des vestemens de feuilles de figuier? car devant le peché il n'y avoit point d'habits et Adam estoit tout nud.

  A009000165 

 Je considere que les Juifs, ayant crucifié Nostre Seigneur tout nud, luy laisserent la couronne d'espines sur la teste, et je crois, quoy que leur intention ne fust pas telle, que c'estoit pour tesmoigner que si bien il paroissoit tant mesprisé et deshonnoré, il ne laissoit pas d'estre vrayement Roy.

  A009000165 

 Les anciens Peres considerant cecy, disent qu'il ne faut pas, à cause de la meschanceté d'Absalon, faire une comparaison ni penser qu'il soit une figure de Nostre Seigneur; mais qu'il represente plustost les hommes pecheurs, qui doivent estre attachés à l'arbre [42] de la Croix par toutes leurs pensées, qui sont signifiées par leurs cheveux..

  A009000166 

 Que me reste-t-il plus à adjouster, sinon à vous convier d'escouter ce que saint Paul nous recommande aujourd'huy, qui est que nous taschions de ressentir en nous ce que nostre Maistre a ressenti en ce jour pour nous? Qu'est-ce que ce grand Saint veut dire? Veut-il que nous ressentions un amour purement affectif pour Nostre Seigneur sur la croix? veut-il que nous pleurions de compassion? O non, ce n'est pas ce que le Sauveur demande de nous que l'amour affectif qui nous fait jetter des larmes ou nous cause tant de desirs sans effects; l'enfer est plein de ces desirs.

  A009000167 

 De plus, il faut que nous gardions ce ressentiment le reste de nostre vie, sans vouloir jamais estre consolés de la mort de nostre divin Sauveur, ains que nos esprits gardent ce continuel regret, et soyent morts par la continuelle mortification de leurs superfluités, à l'imitation du grand saint Ignace qui disoit que l'on ne pensast pas qu'il vescust, puisqu'il avoit crucifié son amour, ou que son amour estoit crucifié.

  A009000168 

 Allez donques, et aymez tellement Celuy qui est mort pour nous unir à luy et pour nous tesmoigner son amour, que rien ne puisse vivre en vous que luy, à fin que vous puissiez dire avec saint Paul: Je vis, mais non pas moy, ains Jesus Christ vit en moy.

  A009000168 

 En fin, l'amour a fait mourir nostre Maistre, il ne reste plus sinon que nous vivions d'amour pour luy; mais non pas d'un amour tel quel, ains d'un amour semblable au sien (je ne dis pas esgal, car il ne se peut), d'un amour fort et courageux qui croisse emmi les contradictions, sans se lasser jamais de combattre pour ce divin Amant..

  A009000168 

 Ne trouvez donques pas estrange si je dis qu'il faut que nos esprits soyent en continuel regret de la mort de nostre Maistre, puisque c'est la mort de nostre amour.

  A009000169 

 Apres qu'il eut conquis la Terre Sainte pour la foy de Nostre Seigneur (car pour lors les infidelles la possedoyent), on voulut mettre une couronne d'or sur son chef; mais luy, commençant à s'escrier, la refusa disant: A Dieu ne plaise que je sois couronné d'une couronne d'or, où mon Sauveur et mon Maistre a esté couronné d'espines! Ha Dieu, il n'en sera pas ainsy; apportez-m'en une d'espines, telle que celle de mon Maistre, et j'en orneray mon chef.

  A009000175 

 Remarquons d'abord en passant que, si bien nous condamnons certains heretiques de nostre temps qui tiennent que l'oraison est inutile, nous ne pretendons pas neanmoins, avec d'autres heretiques, qu'elle est seule suffisante pour nostre justification.

  A009000176 

 J'ay donques approuvé le desir qui m'esmeut à parler [46] de l'oraison, bien que ce ne soit pas mon dessein d'expliquer chaque espece d'icelle, parce que l'on en sçait plus par experience qu'il ne s'en peut dire.

  A009000176 

 Nous traitterons donques ces quatre Dimanches suivans de la cause finale de l'oraison, de la cause efficiente, de celle qui ne se peut pas proprement appeller materielle, ains de son objet, et de la cause effective ou de l'oraison en elle mesme.

  A009000178 

 Or, de ces deux actes de nostre entendement nous n'en dirons pas davantage, parce qu'ils ne font pas à nostre propos.

  A009000180 

 La demande qui se fait par justice ne se peut pas appeller priere, bien que nous usions de ce mot, parce que nous demandons une chose qui nous est deüe.

  A009000182 

 Mais Dieu qui n'est point carnassier, ne tient pas de ces oyseaux de proye, ains seulement des petits oyselets qui sont enfermés dans la voliere pour luy donner du playsir.

  A009000184 

 La cause finale de l'oraison ne doit donques pas estre de vouloir ces tendretés et consolations que Nostre Seigneur donne aucunefois, puisque l'union ne consiste pas en cela, ains au vouloir de Dieu.

  A009000190 

 Premierement, il faut que nous sçachions que Dieu ne peut point prier, puisque la priere est une demande qui se fait par grace et qu'elle exige de nous une connoissance que nous avons besoin de quelque chose, car l'on n'a pas accoustumé de demander ce qu'on possede desja.

  A009000191 

 Aussi voit-on que les advocats n'ont pas accoustumé de demander par grace, ains selon la justice, les droits desquels ils traittent.

  A009000191 

 Ils fondent leur opinion sur ce que ce divin Sauveur dit à ses Disciples: Je m'en vay à mon Pere, mais je ne dis pas que je prieray; et ils adjoustent: S'il ne dit pas qu'il va prier, pourquoy le dirons-nous, nous autres? L'autre partie des Peres tiennent que Nostre Seigneur prie, parce que son bien-aymé a escrit, en parlant de son Maistre, que nous avons un Advocat aupres du Pere.

  A009000191 

 Le Sauveur ne demande pas sans bonnes enseignes, car il monstre ses playes à son Pere quand il veut en obtenir quelque chose.

  A009000191 

 Pourtant, c'est une verité toute asseurée que si bien Nostre Seigneur demande ce qu'il veut par justice, il ne laisse pas, entant qu'homme, de s'humilier devant son Pere, luy parlant avec une si grande reverence et faisant de plus profonds actes d'humilité que jamais creature n'a sceu ni n'a peu faire; si que sa demande se peut appeller priere..

  A009000191 

 [51] Neanmoins les uns et les autres ne se contrarient pas, bien qu'il le semble, en la diversité de leurs opinions; car il est certain que Nostre Seigneur Jesus Christ ne doit point prier, mais peut, par justice, demander à son Pere ce qu'il veut.

  A009000192 

 Cela ne se doit pas entendre qu'il ait prié, car il ne le peut, estant esgal au Pere et au Fils; mais cela veut dire qu'il a inspiré l'homme à faire une telle priere..

  A009000193 

 Mais pour les hommes qui sont au Ciel nous n'en avons pas tant de tesmoignages, parce que devant que Nostre Seigneur fust mort, ressuscité et monté au Ciel il n'y avoit point d'hommes en Paradis; ils estoyent tous au sein d'Abraham.

  A009000194 

 Ils ressemblent aux petits oyseaux lesquels dès qu'ils ont pris leurs panaches peuvent voler d'eux mesmes par le moyen de leurs aisles; mais s'ils se viennent poser sur le glu qu'on leur a preparé pour les prendre, qui ne voit que cette humeur visqueuse leur serrera les aisles et qu'apres ils ne pourront pas voler? Ainsy en arrive-t-il aux pecheurs, lesquels se meslent et se posent dessus l'humeur visqueuse des vices, si qu'ils se laissent tellement serrer au peché qu'ils ne peuvent se guinder au Ciel par l'oraison.

  A009000194 

 Je dis qu'ouy, et que pas un ne se peut excuser de le faire, non pas mesme les heretiques.

  A009000196 

 Et si bien aucuns des docteurs interpretent ainsy cette parole: Bienheureux les pauvres d'esprit, ces deux interpretations ne sont pas contraires, parce que tous les pauvres sont mendians s'ils ne sont glorieux, et tous les mendians sont pauvres s'ils ne sont avaritieux.

  A009000196 

 Il faut donques, pour bien faire oraison, que nous reconnoissions que nous sommes pauvres et que nous nous humiliions grandement; car ne voyez-vous pas qu'un tireur d'arbalete quand il veut descocher un grand trait, plus il veut tirer haut et plus il tire la corde de son arc en bas? Ainsy faut-il que nous fassions quand nous voulons que nostre priere aille jusqu'au Ciel; il faut que nous nous approfondissions par la connoissance de nostre rien.

  A009000197 

 Ne voyez-vous pas que les grans voulant faire monter une fontaine au plus haut de leurs chasteaux, vont prendre la source de cette eau en quelque lieu fort eslevé, puis la conduisent par des tuyaux, la faisant descendré autant qu'ils veulent qu'elle monte? car autrement l'eau ne monteroit jamais.

  A009000198 

 Cecy represente l'esperance, car si bien la myrrhe jette une odeur suave, elle est pourtant amere à gouster; aussi l'esperance est-elle suave entant qu'elle nous promet de jouir un jour de ce que nous desirons, mais elle est amere parce que nous ne sommes pas en la jouissance de ce que nous aymons.

  A009000198 

 L'esperance se guinde comme une sagette jusques à la porte du Ciel, mais elle n'y peut pas entrer parce qu'elle est une vertu toute de la terre; si nous voulons que nostre oraison penetre le Ciel il faut aiguiser la fleche avec la meule de l'amour..

  A009000200 

 Mais qu'est-ce estre revestu de ce sang? Ne sçavez-vous pas que l'on dit: Voyla un homme qui [55] est revestu d'escarlatte; et l'escarlatte est un poisson.

  A009000200 

 Sainte Catherine de Sienne eut une fois un exces en meditant la Mort et Passion de Nostre Seigneur: il luy fut advis qu'elle estoit dedans un bain fait de son precieux sang; et quand elle fut revenue à elle, elle vit sa robe toute rouge de ce sang, mais les autres ne la voyoient pas.

  A009000206 

 Nous avons monstré que la fin de l'oraison est nostre union avec Dieu et que tous les hommes qui sont en la voye de salut peuvent et doivent prier; mais il nous demeura un scrupule en nostre derniere exhortation, à sçavoir mon, si les pecheurs peuvent estre exaucés, car ne voyez-vous pas que l'aveugle-né duquel il est parlé en l'Evangile, et que Nostre Seigneur illumina, dit à ceux qui l'interrogeoyent que Dieu n'exauçoit point les pecheurs? Mais laissons-le dire, car il parloit encores comme aveugle..

  A009000207 

 Le pecheur qui veut perseverer en son peché ne sçauroit prononcer le nom souverain de Nostre Seigneur, puisqu'il n'a pas le Saint Esprit avec luy, car il n'habite [57] point au cœur souillé de peché.

  A009000207 

 Ne sçavez-vous pas aussi que nul ne peut avoir acces vers le Pere que par la vertu du nom de son Fils, comme luy mesme a dit que tout ce que l'on demanderoit à son Pere en son nom on l'obtiendroit Les prieres du pecheur impenitent ne sont donc point aggreables à Dieu..

  A009000208 

 Qui est-ce à vostre advis qui luy donne ce repentir d'avoir offensé Dieu, sinon le Saint Esprit, puisque nous ne sçaurions avoir une bonne pensée pour nostre salut s'il ne nous la donne? Mais ce pauvre homme n'a-t-il rien fait de son costé? Si a, certes; escoutez les paroles de David: Seigneur, dit-il, vous m'avez regardé lors que j'estois en la fondriere de mon peché, vous m'avez ouvert le cœur et je ne l'ay pas refermé, vous m'avez tiré et je me suis laissé aller, vous m'avez poussé et je n'ay pas reculé.

  A009000208 

 Sans doute on luy fait tort de l'appeller pecheur, car il ne l'est plus, puisqu'il deteste desja son peché; et si bien le Saint Esprit n'est pas encores en son cœur par residence, il y est neanmoins par assistance.

  A009000212 

 Il y en a qui pensent que s'ils estoyent doués de sapience ils seroyent bien plus capables pour aymer Dieu, et cela n'est pas.

  A009000213 

 Mais qui ne voit la tromperie de ceux qui sont tous-jours apres leur pere spirituel pour se plaindre dequoy ils n'ont point de ces tendretés et consolations en leurs oraisons? Ne voyez-vous pas que si vous en aviez vous ne pourriez eschapper à la vaine gloire, et ne sçauriez empescher que vostre amour propre ne s'y compleust, en sorte que vous vous amuseriez plus aux dons qu'au Donateur? C'est donques une grande misericorde que Dieu vous fait de ne vous en point donner; et ne faut pas perdre courage pour cela, puisque la perfection ne consiste pas à avoir de ces gousts et tendretés, ains à avoir nostre volonté unie à celle de Dieu.

  A009000215 

 C'est pourquoy ceux qui prient avec perfection demandent fort peu de ces biens, ains demeurent devant Dieu comme des enfans devant leur pere, remettant en luy toute leur confiance; ou bien comme un valet qui sert bien son maistre, car il ne va pas requerant tous les jours sa nourriture, mais ses services demandent assez pour luy.

  A009000216 

 Je ne m'arresteray pas sur tout cela, ains seulement sur ce qu'il ne mangeoit que des locustes ou cigales..

  A009000216 

 Nous ne parlerons pas maintenant de la mentale, ains seulement de la vitale et vocale.

  A009000217 

 L'on ne sçavoit s'il estoit celeste ou terrestre, car si bien il touchoit aucunefois la terre pour prendre ses necessités, il se relevoit soudain et se jettoit du costé du Ciel, se nourrissant plus des viandes [61] celestes que non pas des terrestres.

  A009000217 

 Ne voyez-vous pas sa grande abstinence? Il ne mangeoit que des locustes et ne beuvoit que de l'eau, encores bien sobrement.

  A009000218 

 Ce n'est pas faire oraison que de marmotter quelque chose entre ses levres si l'attention du cœur n'y est jointe; car pour parler il faut avoir premierement conceu en son interieur ce qu'on veut dire.

  A009000218 

 Ce n'est pas que Nostre Seigneur exauçast la priere du perroquet; non, car c'est un oyseau immonde, aussi n'estoit-il pas bon pour les sacrifices; neanmoins il permit cela pour monstrer combien cette oraison luy est aggreable.

  A009000218 

 Les prieres de ceux qui les font comme ce papegay sont en abomination à Dieu qui regarde plus au cœur de celuy qui prie que non pas aux paroles qu'il dit..

  A009000219 

 Celles qui sont seulement recommandées sont les Pater ou Rosaires qui sont ordonnés pour gagner les indulgences; laissant de les dire nous ne pechons pas, mais nostre bonne Mere l'Eglise, pour monstrer qu'elle desire que nous les disions, donne des indulgences à ceux qui les recitent.

  A009000220 

 C'est comme si nous disions: Vous desirez, ma bonne mere l'Eglise, que je fasse cela; et encores que vous ne me le commandiez pas, je suis bien ayse de le faire pour vous contenter.

  A009000221 

 Avec quelle attention n'y [63] devrions-nous donc pas assister, puisque les Anges sont presens et repetent là haut en l'Eglise triomphante ce que nous disons ça bas!.

  A009000221 

 O Dieu, que nous devrions venir avec beaucoup de reverence à ces Offices, mais tout autrement preparés que non pas pour les prieres particulieres, parce qu'en celles cy nous ne traittons avec Dieu que de nos affaires, ou si nous prions pour l'Eglise nous le faisons par charité; mais aux prieres communes nous prions pour tous en general.

  A009000222 

 C'est une chose que j'ay souventefois pesée, que saint Pierre, saint Jacques et saint Jean, apres avoir veu Nostre Seigneur en sa Transfiguration, ne laisserent pas de le quitter en sa Mort et Passion..

  A009000230 

 Et ne voyez-vous pas que le Sauveur mesme priant son Pere se prosterne en terre?.

  A009000231 

 Ouy mesme la posture d'estre gisant est bonne, et semble que d'elle mesme elle prie; car ne voyez-vous pas le saint homme Job couché sur son fumier, faire une priere si excellente qu'elle merite que Dieu l'escoute? Or, cela soit dit ainsy..

  A009000233 

 Mais apres, il y a un degré ou estage qui est desja un peu plus haut, à sçavoir, une connoissance que nous avons par le moyen de la consideration; par exemple, un homme qui aura esté maltraitté en un lieu cherchera, par le moyen de la consideration, comme il pourra faire pour n'y pas retourner.

  A009000234 

 Les navires qui sont sur la mer ont toutes une aiguille marine laquelle estant touchée de l'aimant regarde tous-jours l'estoille polaire, et encores que la barque s'en aille du costé du midy, l'aiguille marine ne laisse pourtant pas de regarder tousjours à son nord.

  A009000236 

 Ainsy nous allons picorant les vertus de Nostre Seigneur l'une apres l'autre, pour en tirer l'affection d'imitation; [ensuite nous les considerons toutes ensemble d'un seul regard par la contemplation.] Dieu à la creation medita; car ne voyez-vous pas qu'apres qu'il eut creé le ciel il dit qu'il estoit bon? et tout de mesme fit-il apres qu'il eut creé la terre, les animaux, puis en fin l'homme.

  A009000238 

 L'Espoux conclut par apres: Enivrez-vous, mes tres chers; et qu'est-ce qu'il veut dire? Vous sçavez bien que l'on n'a pas accoustumé de mascher le vin, ains on ne fait que l'avaler; ce qui nous represente la contemplation en laquelle on ne masche plus, ains on ne fait qu'avaler.

  A009000238 

 Or, quand il dit: Mangez, mes bien-aymés, il veut dire meditez; car ne sçavez-vous pas que pour rendre la viande capable d'estre avalée il la faut premierement mascher et amenuiser, et la jetter tantost d'un costé de la bouche et tantost de l'autre? Ainsy faut il que nous fassions des mysteres de Nostre Seigneur: il faut que nous les maschions et roulions plusieurs fois dans nostre entendement, premier que d'eschauffer nostre volonté et passer à la contemplation.

  A009000240 

 Il est vray que de dire à Dieu: Vous estes «mon tout,» et vouloir quelque autre chose que luy, ce ne seroit pas bien, parce qu'il faut que les paroles soyent conformes aux sentimens du cœur.

  A009000240 

 Mais dire à Dieu: Je vous ayme, encores que nous n'ayons pas un grand sentiment d'amour, nous ne devons pas laisser de le dire, parce que nous voulons et avons un grand desir de l'aymer..

  A009000240 

 Vous me dites que vous n'avez pas le temps de faire deux ou trois heures d'oraison; qui vous en parle? Recommandez-vous à Dieu dès le matin, protestez que vous ne le voulez point offenser, et puis vous en allez à vos affaires, resolue de faire neanmoins plusieurs eslevations de vostre esprit en Dieu, voire emmi les compagnies.

  A009000242 

 Ainsy cet Espoux veut-il dire: Quoy que ma bien-aymée soit fort occupée, si ne laisse-t-elle pas de me regarder d'un œil, me protestant par ce regard qu'elle est toute mienne.

  A009000242 

 Quand un mari et une femme ont des affaires en leur mesnage qui les contraignent de se separer, s'il arrive [71] par hasard qu'ils se rencontrent, ils se regardent un peu en passant, mais ce n'est que d'un œil, parce que, se rencontrant de costé, l'on ne peut pas bonnement le faire des deux.

  A009000243 

 Nous ne parlerons pas pour maintenant de la quatriesme partie de l'oraison mentale.

  A009000249 

 Certes, cette bonne Mere ne veut pas que nous nous estonnions et mettions en peine de ce que nous avons esté, des grans pechés que nous avons commis autrefois, ni de nos miseres presentes; o non, pourveu que nous ayons maintenant une resolution ferme et inviolable d'estre tout à Dieu et d'embrasser à bon escient la perfection et tous les moyens qui nous peuvent faire avancer en l'amour sacré, faisant que cette resolution soit efficace et produise des œuvres.

  A009000249 

 Non certes, nos miseres et nos foiblesses, pour grandes qu'elles soyent et ayent esté, ne nous doivent pas descourager, mais nous doivent faire abaisser et nous jetter entre les bras de la misericorde divine, laquelle sera d'autant plus glorifiée en nous que nos miseres seront plus grandes, si nous venons à nous en relever; ce que nous devons esperer de faire moyennant sa sainte grace..

  A009000250 

 Mais apres tout cecy, ce mesme Saint, pour faire voir que ces dons ne venoyent pas de luy, mais de la bonté infinie de la divine Majesté qui l'avoit fait ce qu'il estoit, il parle de ses defauts et raconte exactement ses pechés et imperfections, disant: Voyez-vous ce petit bossu et contrefait (car il estoit petit de stature comme de mauvaise mine), comme Dieu en a fait un vaisseau d'election; ce grand pecheur et grand persecuteur des Chrestiens, comme il l'a rendu de loup aigneau; ce chagrin, cet opiniastre, cet orgueilleux et ambitieux, comme il l'a comblé et rempli de tant de graces et benedictions, le rendant si humble et charitable qu'il dit de soy qu'il est le moindre et le plus petit des Apostres et le plus grand des pecheurs, et qu'il se fait tout à tous pour les gagner tous.

  A009000251 

 Il est à croire qu'ils concerterent eux deux comme ils feroyent pour parvenir en cette dignité; ils ne vouloyent pas la demander, o non, car les ambitieux, de peur d'estre estimés tels, n'ont garde de demander eux mesmes l'honneur.

  A009000253 

 La pluspart de nous autres, si nous nous examinons bien, nous trouverons que nos demandes sont grandement impures et imparfaites: si nous sommes à l'oraison, nous voulons que Dieu nous parle, qu'il nous vienne visiter, consoler et recreer, nous luy disons qu'il fasse cecy, qu'il nous donne cela; et s'il ne le fait pas, quoy que pour nostre plus grand bien, nous nous en inquietons, troublons et affligeons..

  A009000253 

 Voyez-vous que nostre misere est grande! Nous voulons que Dieu fasse nostre volonté, et nous ne voulons pas faire la sienne sinon lors qu'elle se trouve conforme à la nostre.

  A009000255 

 Lors que nous trouvons quelque chose en nous qui n'est pas conforme à la volonté de nostre cher Sauveur, nous nous devons prosterner devant luy, et luy dire que nous detestons et desavouons cela et tout ce qui est en nous qui luy peut desplaire et qui est contraire à son amour, luy promettant de ne vouloir rien que ce qui sera conforme à son bon playsir et vouloir divin..

  A009000256 

 O non certes, car ne sçavez-vous pas, mes cheres ames, que tout nostre bien et bonheur depend d'estre entierement abandonné à la Providence divine, ne cherchant que son bon playsir, estant parfaitement sousmis à sa tres sainte volonté, [77] nous resjouissant de la voir accomplir en nous et en toutes creatures, quoy que ce soit avec des afflictions et des souffrances? Nous avons quelquefois affection et inclination à prattiquer les vertus qui sont selon nostre volonté.

  A009000256 

 Par exemple, une personne qui sera malade, si nous luy disons: Mon enfant, ne sçavez-vous pas bien que les peines et souffrances prises avec patience et sousmission au vouloir divin sont uniquement aggreables à sa Majesté? Ouy, vous respondra-t-elle, mais je voudrois estre au chœur pour prier Dieu comme les autres, je voudrois faire des penitences et mortifications et les actions de vertu comme eux, avec ferveur et sentiment.

  A009000257 

 Le divin Sauveur dit à ses Apostres sur ce sujet de l'ambition de ces deux Saints: Ne pensez pas que pour avoir des preeminences et dignités en mon Royaume vous ayez pour cela plus de gloire et d'amour.

  A009000257 

 O non, car ma Mere qui n'a pas esté esleüe à telle dignité, ne lairra pourtant d'avoir infiniment plus de gloire et d'amour au Ciel que vous et d'autres aussi..

  A009000257 

 Vous autres que j'ay choisis et esleus pour estre as sis sur des throsnes pour juger avec moy au jour du jugement, vous n'en serez pas plus haut et n'aurez pas plus de gloire pour cela.

  A009000258 

 Saint Jacques fut martyr effectif, car Dieu luy fit la grace de mourir pour son amour, quoy que saint Jean ne laissa pas d'avoir la recompense et couronne du martyre..

  A009000258 

 Saint Jean fut martyr de la premiere maniere, Dieu ne permettant pas qu'il fust martyr effectif, ains seulement de volonté et affection; car l'huile bouillant qu'on avoit preparé pour le mettre, et dedans lequel on le mit, ne luy fit aucun mal, ains luy fut aussi doux et suave que si c'eust esté un bain des plus aggreables.

  A009000259 

 Et il adjousta: Sçavez-vous que c'est que boire mon calice? Ne pensez pas que ce soit avoir des dignités, des faveurs et consolations, o non certes; mais boire mon calice c'est participer à ma Passion, endurer des peines et souffrances, des clous, des espines, boire le fiel et le vinaigre..

  A009000260 

 N'est-ce pas un grand martyre de ne faire jamais sa propre volonté, sousmettre son jugement, escorcher son cœur, le vuider de toutes ses affections impures et de tout ce qui n'est point Dieu, ne point vivre selon ses inclinations et humeurs ains selon la volonté divine et la rayson? C'est un martyre qui est fort long et ennuyeux et qui doit durer toute nostre vie, mais nous obtiendrons à la fin d'icelle une grande couronne pour nostre recompense si nous sommes fidelles à cela..

  A009000261 

 Lors que quelque grande princesse ou seigneur meurt d'une mort inopinée, on ouvre son corps pour voir de quelle maladie il est mort, et quand on a trouvé la cause de son trespas l'on est content et ne passe-t-on pas plus outre.

  A009000261 

 Nostre Seigneur estant sur l'arbre de la croix, il dit avant que de rendre l'esprit ces paroles, mais d'une voix haute, esclattante et ferme: Mon Pere, je recommande mon esprit entre vos mains, et rendit son esprit tout incontinent en les prononçant; l'on ne pouvoit croire qu'il fust mort, l'ayant ouy parler tout à l'heure d'une voix si forte qu'il ne sembloit pas qu'il [79] deust si tost mourir; de sorte que le capitaine des soldats vint pour sçavoir s'il estoit vrayement trespassé, et voyant qu'il l'estoit, il commanda qu'on luy donnast un coup de lance au costé; ce que l'on fit, et donna-t-on droit contre son cœur.

  A009000264 

 L'autre rayson est parce qu'il n'est pas expedient que l'on voye le cœur des bons, de peur qu'ils ne tombent en vanité ou que cela ne donne de la jalousie aux autres.

  A009000265 

 Si l'on nous touche le bout du doigt ou le bout du pied, nous nous retirons aussi tost; si on nous dit une petite parole qui ne soit pas selon nostre gré, nous nous offensons.

  A009000266 

 Celuy-là seroit bien fol qui voudroit faire quelque grand bastiment et edifice et ne considereroit pas auparavant s'il a de quoy payer et satisfaire pour cela.

  A009000266 

 Nous autres qui voulons acheter le Ciel, et faire ce grand bastiment et edifice de la perfection, nous sommes des fols lors que nous ne considerons pas si nous avons de quoy payer et ce qu'il faut donner pour l'avoir; faute de cette consideration, nous demeurons court en chemin..

  A009000267 

 Mais, mon Dieu, qu'il s'en trouve peu! Toutefois, je ne dis pas cela sans faire quelques exceptions..

  A009000268 

 Nous devons servir la divine Majesté le mieux et le plus fïdellement que nous pourrons, observant exactement ses commandemens, ses conseils et ses volontés, et avec le plus de perfection, de pureté et d'amour qu'il nous sera possible, et ne nous point enquerir de la recompense qu'il nous donnera, laissant cela à sa Bonté qui ne manquera pas de nous recompenser d'une gloire infinie et incomprehensible, se donnant soy mesme à nous pour recompense, tant il fait d'estat et a aggreable ce que nous faisons pour luy.

  A009000274 

 L'on a tousjours fait de grandes solemnités à la reception des ames qui se sont consacrées à Dieu pour le servir en Religion; mais je remarque que l'on en a tousjours fait davantage pour celle des filles que non pas pour celle des hommes; et pour moy je crois que c'est parce qu'estant d'un sexe plus fragile, l'on doit d'autant plus admirer et solemniser la force qu'elles ont à se desprendre de toutes les choses de la terre.

  A009000275 

 Mais à fin que les uns et les autres ayent occasion de s'humilier, il faut que nous reconnoissions que nostre force et nostre courage ne vient pas de nous, car le grand Apostre saint Paul dit que toute nostre suffisance vient du Ciel.

  A009000276 

 O que grand est le bonheur des jeunes filles qui desirans Nostre Seigneur se viennent toutes consacrer à son amour! Je n'entens pas, par ce mot de jeunes, parler de celles qui le sont d'aage, bien que le bonheur de celles cy soit tres grand de pouvoir dedier leurs premieres et meilleures années au service de la divine Majesté; ains je veux dire celles qui sont encores tendres et jeunes à la devotion.

  A009000278 

 Et pour monstrer que ce n'est pas par mon choix, il faut que vous sçachiez que si la volonté de mon Pere eust esté que je fusse mort d'une autre mort que celle de la croix, ou bien que j'eusse vescu en delices, je me serois trouvé tout aussi prompt que j'ay fait, parce que je n'estois pas venu en ce monde pour faire ma volonté, mais celle de mon Pere qui m'a envoyé.

  A009000278 

 Un jour le grand saint Basile considerant cecy, se demanda: Ne seroit-il pas possible de servir Dieu parfaitement faisant de grandes et rudes penitences et austerités, voire de grandes œuvres pour Nostre Seigneur, conservant sa propre volonté? Et soudain apres, il s'imagina que Nostre Seigneur et tres sacré Maistre luy respondoit: Je me suis vuidé de ma propre gloire, je suis descendu du Ciel, j'ay pris sur moy toutes les miseres humaines, et en fin finale je suis mort, et de la mort de la croix.

  A009000279 

 Apres avoir donné des rares exemples de vertu à l'ordre clerical, estant chanoine de Besançon, il fut esleu d'un commun consentement Archevesque de cette ville; et bien que son humilité faisoit qu'il s'en croyoit indigne, il ne laissa pas de l'accepter, parce que le Superieur commandoit, le Pape ordonnoit, et le commun consentement du peuple luy faisoit connoistre que c'estoit la volonté de Dieu.

  A009000279 

 Mieux vaudroit mesme estre eslevé en dignités contre nostre volonté (et il y aurait sans comparaison plus d'humilité à les accepter), que non pas de les refuser par nostre choix et eslection, nous en reconnoissant indignes.

  A009000280 

 Mais ce n'est pas tout, car nous disons à ces filles qui veulent entrer en Religion qu'il faut mourir à tous leurs sens, à sçavoir, qu'il ne faut plus avoir d'yeux pour voir ni d'oreilles pour ouïr, et ainsy des autres; on leur devra donques retrancher leurs fonctions.

  A009000281 

 Escoutez saint Paul qui parle de luy mesme: Je vis, dit-il, mais ce n'est pas moy, ains c'est mon Seigneur qui vit en moy; non pas mon Seigneur glorifié, ains mon Seigneur crucifié.

  A009000281 

 Et quoy, Jesus Christ glorifié? O non, pas encores, ce sera là haut au Ciel qu'il vivra en nous glorifié; mais pour l'heure presente ce doit estre Jesus crucifié, car nous sommes au temps de la souffrance, non de la jouissance.

  A009000282 

 C'est un grand talent que celuy de vivre chrestiennement et en l'observance des commandemens de Dieu; neanmoins celuy qui en a receu deux, c'est à dire qui avec celuy cy a receu celuy de vouloir pretendre à la perfection de la vie chrestienne, est desja beaucoup plus favorisé; mais, o Dieu, combien grand est le bonheur de celuy qui a receu en outre les trois talens auxquels sont encloses toutes les perfections chrestiennes! Ce sont ces trois principaux conseils de Nostre Seigneur: l'obeissance, [88] la chasteté et la pauvreté; ce sont ces trois vœux effectuels qui nous unissent à Dieu (je dis effectuels, et non pas seulement voués).

  A009000287 

 Hé certes, ce n'est pas sans rayson, d'autant que de la devotion de Nostre Seigneur naist tout incontinent celle de sa tres sacrée Mere, et nul ne peut aymer l'un sans l'autre.

  A009000289 

 L'on en voit qui oyant parler de la Mort du Sauveur pleurent fort tendrement, et neanmoins ne laissent pas de nourrir en eux mille sortes d'imperfections contre cette sainte Passion sur laquelle ils ont pleuré..

  A009000290 

 De mesme quand nostre divin Maistre dit, parlant des Superieurs: Qui vous escoute m'escoute et celuy qui vous mesprise me mesprise, c'est comme s'il disoit: Je tiens que [91] ceux qui vous obeissent c'est à moy qu'ils obeissent; et ceux qui mesprisent vos paroles ne s'en voulant pas servir, je tiens que ce sont mes paroles mesme qu'ils mesprisent..

  A009000290 

 Ne voyez-vous pas qu'il ne dit pas seulement estre bienheureux ceux qui escoutent sa parole, ains adjouste ceux qui l'observent? Dieu monstre assez qu'il ne juge pas qu'on l'escoute si on ne l'effectue avec affection de sousmission et d'obeissance; aussi se plaint-il de son peuple parce que luy ayant parlé, il n'en a pas esté ouy; c'est à dire qu'ils n'ont pas mis en effect ses paroles, d'autant qu'ils l'avoyent bien ouy de leurs oreilles.

  A009000290 

 Nostre Seigneur ne se contente pas de l'affectif si on ne luy donne encores l'effectif.

  A009000290 

 Or, cela ne suffit pas, car il veut que nous l'escoutions avec le dessein d'en faire nostre proffit.

  A009000292 

 O que c'est une bonne chose que la priere! Mais le bonheur de ce saint homme ne consistoit pas à sçavoir la volonté de Dieu, s'il ne l'eust incontinent suivie comme il fit.

  A009000293 

 Que veut-il signifier ce divin Amant, sinon que Nostre Dame a porté tous les Chrestiens en son sein? Et si bien elle ne produit que ce grain duquel il est escrit que s'il n'est jettè en la terre il demeurera seul, et s'il y est jetté et couvert il germera et en produira plusieurs, à qui est ce, je vous prie, doit-on attribuer la production de ces autres grains, sinon à celle qui a produit le premier, Nostre Seigneur estant Fils naturel de Nostre Dame? Bien qu'elle n'ait porté que luy en effect clans son sein, elle a pourtant porté tous les Chrestiens en la personne de son divin Fils, car ce beni grain nous a tous produits par sa mort; de mesme la datte estant plantée produit la palme de laquelle viennent par apres quantité d'autres dattes; et pourquoy ne dira-t-on pas que ces dattes appartiennent à la premiere dont la palme est sortie?.

  A009000295 

 Mais il est vray aussi qu'elles veulent se reserver la disposition de leurs biens, et quoy qu'elles soyent resolues de vivre en l'observance des commandemens de Dieu, elles veulent neanmoins retenir la volonté de faire tout plein de petites choses qui ne sont pas contre la charité, mais qui vont biaisant; ce sont des choses perilleuses, lesquelles si bien elles ne nous font pas perdre la charité, ne laissent pas de desplaire à la divine Majesté.

  A009000296 

 Ainsy ces benites ames ne veulent pas [94] seulement se tourner et abandonner à Dieu à demi, mais tout entieres; elles mesmes et tout ce qui en depend: les feuilles des vaines esperances que le monde donne, la fleur de leur pureté et les fruits de tout ce qu'elles feront et possederont à jamais..

  A009000296 

 Ces ames donques qui sont si genereuses que de se venir toutes abandonner à Dieu sans aucune reserve, se jettant sous les loys de la Religion et se liant si estroittement que jamais plus elles ne s'en peuvent desprendre, font non seulement comme toutes les fleurs jaunes qui se vont tousjours tournant du costé du soleil, mais aussi comme celle qu'on appelle tourne-soleil, laquelle ne se contente pas de tourner sa fleur, ses feuilles et sa tige contre iceluy, ains encores, par une secrette merveille, tourne aussi sa racine qui est dessous terre.

  A009000296 

 Le martyre n'est pas un estat à cause de sa briefveté, ains se doit plustost appeller une voye courte et passagere, que non pas un estat.

  A009000297 

 Elles disent à Nostre Seigneur, à l'imitation du grand saint Paul: Seigneur, que vous plaist-il que je fasse? Et ayant dit cela, elles se sousmettent à la conduite de leurs Superieurs, pour ne jamais plus estre maistresses d'elles mesmes ni de leur volonté, evitant par ce moyen la sentence du grand saint Bernard qui asseure que «celuy qui se gouverne soy mesme est gouverné par un grand sot.» Hé, pourquoy voudrions-nous estre maistres de nous mesme pour ce qui regarde l'esprit, puisque nous ne le sommes pour ce qui est du corps? Ne sçavons-nous pas que les medecins lors qu'ils sont malades appellent d'autres medecins pour juger des remedes qui leur sont propres? De mesme les advocats ne plaident pas leur cause, d'autant que l'amour propre a accoustumé de troubler la rayson..

  A009000298 

 Je considere maintenant que ce ne fut pas sans rayson que la neige fut la marque de la verité de la revelation faite à ce bon homme Jean et sa femme.

  A009000298 

 Nostre Seigneur pouvoit bien faire tomber de la manne comme il fit anciennement au desert pour les Israëlites, ou bien couvrir des plus belles fleurs cette place qu'il avoit choisie; mais il ne le voulut pas, d'autant qu'ès qualités de la neige se peuvent retrouver les conditions necessaires aux ames qu'il a esleües pour estre plus specialement siennes en la Religion.

  A009000302 

 Et certes, celuy qui fait ces actions autrement, ne vit pas en Chrestien mais en beste..

  A009000302 

 Et si bien il semble que la neige ne puisse reschauffer la terre à cause de sa froideur, elle ne laisse pas de la rendre feconde pour la cause que je viens de dire, car le grain se garde seurement dessous.

  A009000303 

 Ils auroyent beau avoir appetit, qu'ils n'iroyent pas manger si la cloche ne les y appelloit; ils ne vont donques pas manger pour satisfaire à leur appetit, mais ils vont manger pour obeir.

  A009000304 

 Mais remarquez, je vous prie, qu'il ne se contente pas qu'elle escoute si elle n'incline encores son oreille; c'est pour monstrer qu'il veut estre escouté avec une particuliere attention et avec affection.

  A009000311 

 Ils sont si jaloux de nostre bonheur, qu'ils se resjouissent quand ils voyent que nous sommes fidelles à Dieu et que nous correspondons à son amour; et quand nous ne le faisons pas, s'ils pouvoyent avoir du desplaysir ils en auroyent..

  A009000311 

 Nous avons tous beaucoup de devoir de cherir, servir et honnorer ces Esprits angeliques, veu qu'ils sont si desireux de nostre bien et ne desdaignent pas de nous assister, puisqu'il n'y a creature, pour petite, vile et abjecte, fidelle ou infidelle, qui n'aye son Ange pour la garder et solliciter continuellement au bien.

  A009000314 

 Encores que les oyseaux viennent souvent en la terre et y demeurent, on ne laisse pas de les appeller oyseaux du ciel; ainsy, ces personnes religieuses, quoy qu'elles soyent en la terre elles n'y ont point leur cœur, car elles le lancent si souvent du costé du Ciel et ont leurs desirs, affections et pensées tellement tournés vers Dieu, ne visant qu'à luy complaire, que ce ne sont plus des poissons, mais des oyseaux du Ciel.

  A009000315 

 Il ne faut point penser que nous soyons plus aggreables à Dieu par un autre exercice que par celuy-cy, car sa volonté est que nous fassions celuy-là; partant nous le devons faire de bon cœur, et non pas en desirer un autre, où nous ne trouverons peut estre pas sa volonté mais la nostre, et ce, à nostre confusion..

  A009000316 

 Ha, je ne dis pas que nous puissions empescher cela et que nous n'ayons point de tentations, mais je dis qu'il faut, avec [103] la partie superieure de nostre ame, nous serrer aupres de Dieu et demeurer fermes en nos resolutions.

  A009000318 

 A l'imitation de nostre Sauveur et de ses Anges celestes, si nous sommes vrays enfans de Dieu, nous ne nous desprendrons jamais de nos resolutions, mais nous persevererons à nous humilier et à le servir jusques à la fin de nostre vie, voire jusques à toute eternité, car il n'a pas promis la couronne à ceux qui commencent, mais à ceux qui persevereront.

  A009000318 

 Estant sur icelle, plusieurs luy dirent: Si tu es Fils de Dieu, sauve-toy toy mesme et descens de la croix; mais il n'en voulut pas descendre parce qu'il estoit enfant de Dieu, ains demeura ferme en la determination qu'il avoit prise de nous racheter par sa mort et perseverer jusques à la fin.

  A009000319 

 Mais quand il ne les donne pas il ne faut pas que nous manquions de fidelité à sa douce bonté, car nous devons vivre selon la rayson et la volonté divine, et faire nos resolutions avec la pointe de nostre esprit et partie superieure de nostre ame, ne laissant de les effectuer et mettre en prattique pour quelque secheresse et repugnance que nous ayons, ni pour aucune contradiction qui se presente.

  A009000319 

 Non, je ne dis pas qu'il faille avoir des grans sentimens et consolations; neanmoins quand Dieu les nous donne nous sommes bien obligés d'en faire nostre proffit et correspondre à son amour.

  A009000320 

 Et combien que nous n'en venions pas à bout durant nostre vie, nous en viendrons à bout à nostre mort, et remporterons la victoire si nous perseverons à le mortifier, car nous ne le pouvons pas faire mourir tout à fait.

  A009000320 

 Mais nous ne les pouvons pas imiter en cela; ce qu'ils ont fait en un moment, il faut que nous taschions de le faire en toute nostre vie..

  A009000321 

 On ne leur presente pas des honneurs et grandeurs, mais on leur dit qu'il faut s'humilier, vivre en pauvreté et quitter entierement toute propre volonté pour passer sa vie en obeissance et parfaite sousmission.

  A009000323 

 L'on n'a pas accoustumé de nourrir les petits enfans d'autre chose que de lait, et quand ils deviennent grans et commencent à avoir des dents on leur donne du pain et du beurre; car on ne leur baille pas le beurre tout seul, on attend qu'ils puissent manger du pain pour leur en mettre dessus.

  A009000325 

 Ils ne desdaignent pas de s'humilier, le voyant tant abaissé et humilié jusques à la mort, voire la mort de la croix.

  A009000325 

 Je voudrois que ceux qui en parlent et les preschent s'estudiassent à les prattiquer et non pas seulement à les expliquer..

  A009000325 

 Nous voulons qu'on regarde en nous tout ce qui est excellent, les qualités, offices et charges auxquelles nous sommes eslevés, que l'on nous estime pour cela, quoy que vrayement nous n'en soyons pas plus à estimer ni plus grans devant Dieu; et nous voulons au contraire qu'on ignore nostre vileté et qu'on ne regarde jamais nostre misere, nos defauts et imperfections.

  A009000326 

 Ceux qui sont eslevés en l'estat de prestrise ont une grande grace et sont bien heureux de manier et toucher le precieux corps de Celuy que les Anges voyent et que neanmoins ils ne touchent pas comme eux.

  A009000326 

 Saint Jean en l'Apocalypse voyant un Ange, il se prosterna devant luy; mais celuy-cy, par humilité, ne le luy voulut pas permettre et le fit lever, parce qu'il regarda saint Jean comme Apostre de Nostre Seigneur et l'honnora en cette qualité.

  A009000327 

 L'Ange regarda aussi saint Jean comme estant creé à l'image et semblance du Fils de Dieu; car despuis que ce divin Sauveur de nos ames se vestit de nostre humanité il a tant honnoré les hommes! Avant l'Incarnation du Verbe eternel, Abraham et d'autres Prophetes adoroyent les Anges, et ceux cy le leur permettoyent; mais despuis, ils portent tant de respect aux hommes qu'ils ne le veulent pas souffrir.

  A009000327 

 L'humilité de cet Ange faisoit qu'il se consideroit comme serviteur de Dieu et non pas comme un Prince du Ciel, ne regardant en soy que ce qui estoit vil et abject.

  A009000328 

 Et si vous avez la charité et que vous n'ayez point d'humilité, vous n'avez pas veritablement la charité; car ces deux vertus ont une si grande sympathie et liaison entre elles que l'une ne va point sans l'autre.

  A009000350 

 L'on voit en cette gloire des choses si relevées et excellentes que Dieu, avec l'infinité de sa toute puissance, n'en peut pas produire de plus grandes.

  A009000351 

 Rien n'est plus grand que Dieu avec l'infinité de sa puissance, et il ne peut rien creer de plus haut que luy mesme; car s'il pouvoit creer quelqu'autre plus grand ou plus haut que luy il ne seroit pas Dieu, puisque Dieu est un Estre par dessus tout estre, que nul ne peut esgaler.

  A009000354 

 Hé, combien pensez-vous qu'ils ressentent de suavité en la claire veuë du mystere ineffable de la tres sainte Trinité, de l'eternité du Pere, du Fils et du Saint Esprit? Quelle joye de comprendre que le Fils n'est pas moindre que le Pere, que le Pere pour estre Pere n'est point plus grand que le Fils, et que le Saint Esprit est en tout esgal au Pere et au Fils! Quelle suavité de voir que le Fils est eternel et aussi ancien que le Pere, et le Saint Esprit aussi bien que le Pere et le Fils, et que ces trois Personnes ayant une mesme essence, ne font qu'un seul Dieu!.

  A009000361 

 Qu'est-ce qui cause plus de joye aux prosperités de cette vie, sinon l'esperance qu'elles seront de longue durée? Comme au contraire, rien ne rabat ni diminue tant la joye sinon la crainte qu'elle ne dure pas long temps et ne vienne tost à passer.

  A009000363 

 Cette gloire accidentelle vient de plusieurs choses, mais specialement de la contemplation et claire vision de tous les habitans du Ciel; car vous sçavez que tous n'ont pas de la gloire esgalement, ains en degrés differens: les uns en ont plus que les autres, mais neanmoins tous sont contens et rassasiés.

  A009000364 

 Voyla un bon pere de famille qui habille de drap d'or deux siens enfans; neanmoins tous deux n'estans pas de mesme taille et grandeur, il en faut plus à l'un qu'à l'autre; il en faudra six ou sept aunes à l'un, et à l'autre il n'en faudra que trois ou quatre.

  A009000365 

 Tous en cette vie n'entendent pas esgalement le son et accord d'une musique: celuy qui a l'ouïe un peu dure ne peut pas si bien remarquer tout ce qui se fait en icelle pour rendre la melodie en sa perfection, quoy qu'il entende et sçache la musique, comme celuy qui a l'oreille plus subtile; et bien que le premier se resjouisse en la suavité qu'il prend à ouyr cette musique, si est-ce toutefois qu'il ne ressent pas une suavité aussi grande que celuy qui a l'ouye plus subtile, quoy que tous deux soyent contens..

  A009000366 

 Le soleil n'est pas esgalement regardé d'un chacun, et neanmoins tous se contentent de sa lumiere en recevant ce qu'ils en peuvent supporter; car celuy qui a les yeux chassieux ne peut recevoir les rayons du soleil avec la mesme clarté que fait celuy qui a la veue bien nette.

  A009000370 

 Je vous pensois encores dire un mot sur toutes les autres circonstances qui se retrouvent au banquet de ce grand Assuerus, Nostre Seigneur; mais je voy que l'heure passe, c'est pourquoy je finis ce discours parce que je suis appellé autre part, et aussi parce qu'il ne faut pas abuser de vostre patience.

  A009000377 

 Il ne faut pas croire que ce privilege ayant esté donné à saint Jean, la Sainte Vierge en ait esté privée..

  A009000377 

 Mais avec quelle ferveur d'esprit pensez-vous que cette bien heureuse Infante du Ciel desiroit de quitter la mayson de ses pere et mere, pour se plus absolument dedier et consacrer au service de son Espoux celeste qui l'attiroit et amorçoit par l'odeur de ses parfums, ainsy que le dit la Sulamite: O mon Bien-Aymé, ton nom est comme un baume ou huile respandu, c'est pour quoy les jeunes filles t'ont desiré et sont allées apres toy; ains tu n'es pas seulement parfumé, tu es le parfum mesme et le baume.

  A009000378 

 De plus, la Sainte Vierge et Nostre Seigneur son glorieux Fils, ayant eu l'usage de rayson dès le ventre de leur mere, furent par consequent doués de beaucoup de science; neanmoins ils la cacherent sous les loix d'un profond silence, car pouvant parler en naissant ils ne le voulurent pas faire, ains s'assujettirent à ne parler qu'en leur temps.

  A009000379 

 C'est un acte de simplicité admirable que celuy de cette glorieuse Pouponne qui, attachée aux mammelles de sa mere, ne laisse pas neanmoins de s'entretenir avec la divine Majesté.

  A009000381 

 De mesme Abraham fit un grand et solemnel festin, non en la naissance de son fils Isaac, ains au jour qu'il fut sevré parce, disent les uns, que l'enfant estant encores si tendre, il n'y avoit pas matiere de si grande joye à cause du danger et peril de mort où sont les enfans en cet aage si foible; ou bien, comme les autres tiennent, parce que le festin estant fait en la faveur d'Isaac, il estoit bien raysonnable qu'il y prist part et qu'il mangeast avec la compaignie, ce qu'il n'eust peu faire avant ce temps là, auquel il avoit cinq ans.

  A009000381 

 Il n'y avoit pas non plus de la disproportion de demeurer si long temps à la mammelle, veu l'aage avancé que l'on atteignoit alors.

  A009000381 

 Ils ne faisoyent point de remarque du jour de leur naissance, d'autant qu'en naissant nous ne sommes pas enfans de grace, ains adamistes ou enfans d'Adam; mais ils remarquoyent, pour le solemniser, le jour auquel ils avoyent esté faits enfans de Dieu par le Baptesme.

  A009000384 

 Ces grandes Saintes qui ont esté mariées et qui se sont dediées au service de la divine Bonté en leur vefvage, comme sainte Paule, sainte Melanie, sainte Françoise et tant d'autres, pensez-vous qu'elles ne soyent [129] pas du nombre de ces vierges? Au contraire, elles ont gaigné par l'humilité une tres glorieuse virginité.

  A009000384 

 Mais lors que le saint Prophete declare que plusieurs vierges seront amenées apres Nostre Dame, il ne veut pas en exclure les vefves, car elles ne seront pas rejettées de cette bien heureuse trouppe pour avoir perdu leur virginité, puisque cette perte se peut reparer par l'humilité.

  A009000385 

 A cet effect l'on a ordonné les confessions annuelles pour reconnoistre les cordes discordantes, les affections qui ne sont encores bien mortifiées, les resolutions qui n'ont pas esté fidellement prattiquées.

  A009000387 

 Il est vray qu'il ne faut pas nous en estonner, d'autant [130] que tout ce qui est en ce monde est fait ainsy; voire mesme il semble que le soleil aye besoin de recommencer sa course tous les ans une fois, à fin de reparer le deschet que paraissent avoir receu le long de l'année les lieux qui n'ont pas l'aspect bon.

  A009000387 

 Ne vous est-il pas advis que la terre descheoit en hiver, et quand ce vient le printemps qu'elle veut regaigner les pertes qu'elle a faites le long des grandes froidures? Nous en devons faire de mesme nous autres, faisant nostre course comme le soleil sur toutes les affections et passions de nos ames, pour regaigner les pertes causées par leur immortification le long de l'année.

  A009000390 

 Mais, me direz-vous, quel est le temps le plus propre pour nous dedier et consacrer tout à Dieu, apres que nous avons passé nostre adolescence? Oh, quel il est? c'est le temps present, tout à cette heure; c'est le vray temps, car celuy qui est passé n'est plus nostre, le futur n'est pas non plus en nostre pouvoir, c'est donques le moment present qui est le meilleur..

  A009000391 

 Et tout [132] ainsy que les cerfs qui courent si legerement, redoublent neanmoins le pas lors qu'ils sont pressés du veneur et vont d'une si grande vistesse qu'il semble quasi qu'ils volent, de mesme devons-nous tascher de courir en nostre voye; mais au temps de nostre renouvellement et de la reconfirmation de nos resolutions nous ne devons pas seulement courir ains aussi voler, et pour cela demander avec le saint Prophete des aisles de colombe, à fin qu'à tire d'aisles nous volions sans nous arrester jusques à ce que nous allions reposer dans les trous du mur de la sainte Hierusalem, je veux dire que nous soyons tout unis à Nostre Seigneur crucifié sur le mont de Calvaire par une parfaite conformité de vie..

  A009000392 

 Car lors que saint Joachim et sainte Anne trouvoyent quelque plaine ils la posoyent en terre pour la faire marcher, et alors cette glorieuse Infante du Ciel eslevoit ses petits doigts pour prendre la main de son papa et de sa maman, de crainte de faire quelque mauvais pas; mais soudain qu'ils rencontroyent quelque chemin raboteux, ils la prenoyent incontinent entre leurs bras.

  A009000392 

 Ce n'estoit pas pour se soulager qu'ils la faisoyent marcher parfois, car ce leur estoit une consolation tres grande de la porter, ains c'estoit pour la complaisance qu'ils prenoyent à luy voir faire ses petits pas.

  A009000393 

 Et ne voit-on pas ordinairement que ceux qui ont abandonné sa main paternelle ne font pas un seul pas qu'ils ne choppent et donnent du nez en terre? Sa Bonté nous veut bien conduire et tenir, mais elle veut aussi que nous formions nos petits pas, faisant, aydés de sa grace, ce que nous pouvons de nostre costé.

  A009000394 

 Ce sont les Sacremens, car dites-moy, je vous prie, que nous couste-t-il d'entendre ces parolles: «Je t'absous de tous tes pechés,» ou bien de recevoir le tres saint Sacrement dans lequel est comprise toute la suavité du Ciel et de la terre? Et bien qu'il faille prononcer les parolles de la consecration que Nostre Seigneur a commandées, qu'est-ce que cela pour faire venir nostre souverain Maistre à la voix d'un prestre, pour meschant et indigne qu'il soit, se renclore sous ces especes pour nostre bonheur? N'est-ce pas nous porter entre ses bras que de nous permettre de nous unir à luy en ces deux façons? Quand donques vous viendrez dire: «Je renouvelle et reconfirme de tout mon cœur les vœux que j'ay faits à mon Dieu,» le Sauveur vous conduira par la main, d'autant que vous prononcerez ces paroles et ferez quelque chose de vostre part; mais soudain que nous vous [134] communierons, il vous prendra entre ses bras, faisant en vous cette œuvre toute ouvrée..

  A009000395 

 O qu'heureuses sont les ames qui font ainsy leur voyage et qui ne partent des bras de la divine Majesté, sinon pour marcher et faire de leur costé ce qu'elles pourront en l'exercice des vertus et des bonnes œuvres, tenant tousjours neanmoins la main de Nostre Seigneur; car il ne faut pas que nous pensions estre suffisans pour rien faire de bien de nous-mesmes.

  A009000396 

 C'est ainsy qu'il faut que nous nous donnions nous autres, car le Sauveur ne veut pas que nous fassions ce que luy mesme ne peut faire, qui est de se donner à nous en partie.

  A009000396 

 Helas! est-ce si grande chose? N'y a-t-il pas quelquefois plus de consolation que de mescontentement de le faire? Il faut se priver du mariage.

  A009000396 

 Je sçay bien que les gens du monde se donnent à Dieu à leur façon, mais je ne parle pas pour eux maintenant, ains pour nous qui luy sommes dediés et consacrés.

  A009000396 

 Que [135] faut-il de plus quitter? Les conversations? Helas! je suis tres asseuré que l'on n'y a pour l'ordinaire que du mescontentement, car ou l'on ne nous a pas assez honnorés selon que nous le desirions, ou l'on ne nous a pas assez cheris, ou l'on a dit quelque chose qui nous a despieu; en un mot, les playsirs que l'on y a sont le plus souvent tres degoustans à nostre goust mesme..

  A009000397 

 Comme s'il eust dit: Considere ton nom, et tu trouveras qu'il signifie uni, seul; or, par ce mot, seul, je n'entens pas d'estre retiré et sequestré dans un desert, mais c'est à sçavoir que pour estre bon moine il ne faut avoir que Dieu pour objet en tout ce que nous faisons; et cela c'est estre seul..

  A009000397 

 Je ne dis pas nostre amour propre, car nous ne le pouvons faire mourir qu'en mourant nous mesmes, il vivra tant que nous vivrons; mais il suffit qu'il ne regne pas en nous.

  A009000397 

 Or, que luy en arriva-t-il? Le bienheureux saint Basile, qui l'aymoit grandement à cause de sa pieté et bonne vie, sçachant cela, luy escrivit une lettre qui contenoit ces mots: O pauvre homme, qu'as-tu fait? Tu as quitté l'estat de senateur et les fonctions de ta charge, et partant tu n'es plus senateur; et neanmoins tu n'es pas un bon moine.

  A009000398 

 Dieu ne se contente pas de nos offrandes quand elles ne sont pas accompagnées de celle de nostre propre cœur, car il est comme l'aigle qui se repaist plus pleinement du cœur des oyseaux qu'elle prend pour sa proye que non pas des autres parties de leur corps.

  A009000399 

 Dieu le reprit et luy dit: De quoy te troubles-tu? Si tu as bien offert tu n'en as pas occasion, et si ton offrande estant bonne tu ne l'as neanmoins pas faite comme il convient, repare ta faute, il y a remede en tout..

  A009000399 

 L'exemple de Caïn monstre assez la verité de ce que nous disons; car ayant fait son sacrifice, il ne fut pas aggreable à la Divinité comme celuy de son frere Abel, non seulement parce qu'il avoit mal partagé, offrant le moindre et le pire de ses troupeaux, mais aussi parce qu'il n'avoit pas donné son cœur; partant il n'avoit pas bien fait son sacrifice, d'autant que Dieu vouloit premierement son cœur.

  A009000405 

 Celle de l'adoration des Roys en est une, car elle ne se contente pas d'en commencer l'office à Vespres de la vigile, mais elle commence dès la Messe qui est propre à ce jour.

  A009000407 

 Hé Dieu, que luy eust-il cousté à ce beni Enfant, qui aymoit si cherement sa tres sacrée Mere et saint Joseph son Pere nourricier, de leur dire un petit mot à l'oreille pour les advertir d'eschapper à la furie d'Herode en s'en allant en Egypte, mais d'estre sans crainte parce qu'il ne leur arriveroit aucune mesaventure? Il ne le fit pourtant pas, ains attendit que l'Ange saint Gabriel vinst reveler au glorieux saint Joseph qu'il failloit fuir..

  A009000410 

 Davantage, l'amour que [141] nostre cher Maistre portoit à la pauvreté luy fit prendre et garder tousjours le nom de Nazareth, parce que c'estoit une petite ville mesprisée et tellement rejettée que l'on ne croyoit pas, comme le dit mesme Nathanaël, que quelque chose de bon peust estre trouvé en Nazareth.

  A009000410 

 De plus, quand il fut question de revenir d'Egypte apres la mort d'Herode, s'ils eussent eu quelque bien en Israël ils n'eussent pas mis en doute s'ils iroyent là ou s'ils retourneroyent en Judée; mais parce qu'ils n'avoyent rien, ou fort peu par tout, ils ne sçavoyent de quel costé aller.

  A009000410 

 Il eust bien peu se faire appeller de Bethleem, ou bien de Hierusalem, mais il ne voulut pas, tant pour cette cause que pour d'autres que nous dirons tantost..

  A009000410 

 Quelles necessités pensez vous qu'il souffrit au voyage d'Egypte et durant le temps qu'il y demeura? Bref, sa pauvreté fut si grande qu'elle passa jusques à la mendicité; il ne vivoit que d'aumosnes, car chacun sçait que les beaux-peres ne sont pas obligés de nourrir les enfans de leur femme, et neanmoins Nostre Seigneur estoit nourri du travail de son Pere nourricier et de celuy de sa Mere qui gaignoyent leur vie à la sueur de leur visage; ainsy, ce divin Enfant ne pouvant gaigner la sienne, recevoit l'aumosne de saint Joseph.

  A009000411 

 Quant à l'odorat, vray Dieu! quelle suavité, quel parfum pensez-vous que l'on puisse avoir dans une estable? Lors que les enfans des grans roys naissent, quoy qu'ils ne soyent que des miserables hommes comme les autres, l'on met tant de parfums, l'on fait tant de ceremonies; et pour nostre Sauveur, qui n'est pas seulement homme ains Dieu tout ensemble, il ne se fait rien de tout cela! Quelle musique pour recreer son ouye? Un bœuf et un asne qui chantent pour magnifier la naissance de ce Roy celeste.

  A009000413 

 Ne voyla-t-il pas une merveille tres grande, que ce tres saint Enfant ayt tellement renoncé et abandonné le soin de soy mesme pour se laisser conduire selon la volonté de ses Superieurs, qu'il n'ayt pas seulement voulu prononcer une petite parole pour avancer leur despart? Document certes tres remarquable: Nostre Seigneur est rempli de toutes les sciences, ains il est la science et la sagesse mesme; neanmoins il tient un continuel silence, tandis que l'ordinaire des personnes du monde est que si elles ont une once de sçavoir on ne les peut tenir de parler, tant elles ont envie de se faire estimer sçavantes..

  A009000414 

 C'est pourquoy ces filles se [143] presentent aujourd'huy pour estre faittes Religieuses, car elles ont fait ces considerations: Si mon Seigneur et mon Dieu a bien voulu renoncer aux richesses, à sa patrie et à la maison de ses parens pour l'amour qu'il portoit à la pauvreté, pourquoy donc, à son imitation, n'en ferois-je pas de mesme? Et s'il a renoncé à tous les playsirs, voire à soy mesme, à fin de s'assujettir pour l'amour de moy et pour me monstrer combien la vie religieuse où tout cela se prattique luy est aggreable, pourquoy donc ne le ferois-je pas pour luy aggreer? Non, disent-elles, nous ne quittons pas le monde pour acquerir le Ciel, car les personnes qui y demeurent le peuvent gaigner en vivant en l'observance des commandemens de Dieu, ains pour accroistre tant soit peu nostre charité et nostre amour envers la divine Bonté..

  A009000415 

 C'est certes justement que tous les hommes prennent le nom du lieu de leur naissance et non pas celuy du lieu de leur conception, d'autant que pendant qu'ils sont dans le ventre de leur mere on ne sçait encor ce qui en arrivera, on ne peut asseurer si ce sera un enfant mort ou vif, bref, on ignore quelle issue il aura; mais Nostre Seigneur print à bon droit le nom du lieu de sa conception parce que dès cet instant il fut homme parfait comme en l'aage de trente trois ans auquel il mourut..

  A009000417 

 Le lys peut croistre sans artifice aussi bien que la rose, comme on le voit en certains païs; et cecy nous monstre l'amour que Nostre Seigneur portoit à la simplicité, car il ne veut pas estre appellé du nom des fleurs des jardins qui sont cultivées avec tant de soin et d'artifice.

  A009000417 

 Neanmoins, elle ne laisse pas de rendre tousjours un tres suave parfum; de mesme, si bien nostre cher Sauveur estoit environné de croix, d'espines et de toutes sortes d'afflictions en sa Mort et Passion et pendant tout le cours de sa vie, il ne laissoit pas de respandre tousjours une certaine odeur pleine de suavité.

  A009000419 

 Et pour conclusion, nous ne leur promettons pas qu'elles seront espouses de Nostre Seigneur glorifié sinon apres qu'elles l'auront esté de Nostre Seigneur crucifié, non plus que nous ne leur presentons pas la couronne d'or sinon apres qu'elles auront pris celle d'espines..

  A009000428 

 Vous ne sçavez peut estre pas comme elle fut instituée par Dieu mesme lors que les enfans d'Israël furent sortis de l'Egypte et delivrés de la captivité.

  A009000430 

 O Dieu, l'on ne regarde pas la fin pour laquelle la divine Bonté a permis qu'en punition du peché de nostre premier pere plusieurs mauvaises inclinations nous soyent demeurées apres le Baptesme, bien que la grace nous y soit donnée suffisamment pour nous surmonter.

  A009000430 

 Qui ne voit la tromperie de nostre amour propre? Comme si par la bonté de Dieu, il n'estoit pas en nostre pouvoir de nous surmonter et vivre contre nos inclinations, et selon la rayson qui nous enseigne qu'il ne les faut pas escouter! Une autre dira: Il est vray, je suis un peu vaine, mais c'est mon inclination de me parer et desirer d'estre louée et estimée; je ne sçaurois que faire à cela.

  A009000437 

 Elles assujettissent, il est vray, toutes les puissances de leur ame, toutes leurs affections, passions et inclinations et en fin tout elles mesmes à la regle de la perfection par l'exercice continuel de l'obeissance aux Regles et Constitutions de leur Institut; mais c'est une sujetion si douce et si aymable qu'elle donne mille fois plus de consolation que non pas la liberté que les mondains ont de vivre selon leur volonté, liberté qui à proprement parler est une tyrannie, d'autant que pour l'ordinaire elle les porte à faire ce que leur conscience leur dicte qu'il faut eviter pour vivre selon Dieu..

  A009000439 

 Elles suivront constamment les conseils de ceux que Dieu leur a donnés pour leur conduitte, se rendans souples à suivre leurs volontés; elles sont resolues de faire les œuvres des ames fortes et genereuses, n'ayans pas moindre pretention que de parvenir au plus haut point de la perfection chrestienne, sans se descourager au bien, mais s'appuyans et s'asseurans en la faveur et protection de la divine Bonté, qui ayant commencé l'œuvre de leur perfection la parachevera, moyennant qu'elles luy soyent fidelles..

  A009000440 

 En fin elles craindront eternellement Dieu, non d'une crainte servile, ains d'une crainte procedante de l'amour qu'elles luy portent, apprehendant non seulement de l'offencer, mais aussi de ne pas assez luy estre aggreables; et cette crainte amoureuse leur servira [155] d'aiguillon pour s'avancer tous les jours davantage en la dilection sacrée..

  A009000454 

 Nostre tres aymable et non jamais assez aymée Dame et Maistresse, la glorieuse Vierge, n'eut pas plus tost donné son consentement aux paroles de l'Ange saint Gabriel, que le mystere de l'Incarnation fut accompli en elle.

  A009000455 

 Ou bien, disent-ils, il se peut faire qu'elle eust quelque doute de ce que l'Ange luy avoit annoncé; ce qui n'est pas, et saint Luc les condamne et refute en la parole qu'il escrit en son chapitre premier, que sainte Elizabeth voyant entrer la Vierge s'escria: Vous estes bienheureuse parce que vous avez creu.

  A009000456 

 Secondement, ce fut pour luy reveler le tant haut mystere de l'Incarnation qui s'estoit operé en elle; car Nostre Dame n'ignoroit pas que sa cousine Elizabeth estoit personne juste, fort bonne, craignant Dieu et desirant ardemment la venue du Messie promis en la Loy pour racheter le monde, et que ce luy seroit une tres grande consolation d'apprendre que les divines promesses estoyent accomplies et que le temps desiré [158] par les Prophetes et les Patriarches estoit ja venu.

  A009000458 

 Mais comme il n'eust pas esté raysonnable que celuy qui estoit choisi pour preparer les voyes du Seigneur fust entaché du peché, Nostre Dame alla promptement à ce qu'il fust sanctifié, et que ce sacré Enfant qui estoit Dieu, à qui seul appartient la sanctification des ames, peust operer en cette visite celle du glorieux saint Jean, le purifiant et retirant du peché originel; ce qu'il fit avec une telle plenitude que plusieurs docteurs soustiennent hardiment que jamais il ne pecha veniellement, bien que quelques autres tiennent l'opinion contraire..

  A009000459 

 Mais ce n'est pas merveille que son cœur sacré fust tout rempli d'amour et de desir du salut des hommes, puisqu'elle portoit en ses chastes entrailles l'amour mesme, le Sauveur et Redempteur du monde; et me semble que c'est à elle que l'on doit appliquer ces paroles du Cantique des Cantiques: Ton chef ressemble au mont Carmel.

  A009000460 

 Elle avoit conceu Celuy qui estant tout amour l'avoit rendue l'amour mesme; tellement qu'on luy peut appliquer mieux qu'à nul autre ces parolles du Cantique des Cantiques, lors que l'Espoux sacré, contemplant sa bien-aymée en son doux repos, fut saisi d'une sainte complaisance qui luy fit adjurer les filles de Hierusalem de ne la point esveiller, disant: Filles de Hierusalem, je vous adjure par les chevreuils et chevres des champs de ne pas esveiller ma bien-aymée qui est en l'amour, qu'elle ne le veuille ou desire.

  A009000460 

 Ou plustost, selon une autre version: Filles de Hierusalem, je vous adjure de ne pas resveiller la dilection et l'amour mesme, qu'elle ne le veuille; et cette dilection et amour est ma bien-aymée, c'est à dire la sacrée Vierge, qui non seulement a l'amour, mais est l'amour mesme.

  A009000461 

 Entre ceux qui tiennent cette opinion, on trouve Maldonat, et quelques autres encor; car, adjoustent-ils, bien que la Vierge eust une tres profonde humilité, si ne s'estimoit-elle pas humble, ni moins vouloit-elle parler de l'humilité, d'autant que cette parole eust esté contraire à l'humilité mesme.

  A009000461 

 Plusieurs docteurs pensent que quand Nostre Dame dit que Nostre Seigneur avoit regardé l'humilité de sa servante elle n'entendoit pas parler de la vertu d'humilité qui estoit en elle.

  A009000462 

 Il n'y a donc point de doute qu'elle sçavoit que cette vertu estoit en elle, et cela sans danger de la perdre, parce qu'elle reconnoissoit que l'humilité qu'elle voyoit en elle n'estoit pas d'elle.

  A009000462 

 Le grand Apostre saint Paul ne confessoit-il pas qu'il avoit la charité, par des parolles si asseurées qu'il semble parler avec plus de presomption que d'humilité? Il disoit: Qui est-ce qui me separera de la charité de Jesus Christ? Sera-ce les chaisnes, les tribulations, la mort, la croix, le feu, le glaive? Non, rien ne me pourra separer de la charité de Dieu qui est en Jesus Christ.

  A009000467 

 Ce n'est pas qu'il ne voulust reconnoistre sa Mere, mais il vouloit faire entendre que ce n'estoit pas seulement pour l'avoir porté en son sein qu'elle estoit aggreable à Dieu, ains plustost par l'humilité avec laquelle elle accomplissoit sa volonté en toutes choses..

  A009000468 

 Exurgens Maria; elle se leve promptement et va hastivement par les montagnes de Judée, car l'Enfant duquel elle estoit grosse ne l'incommodoit aucunement, d'autant qu'il n'estoit pas semblable aux autres; partant la Vierge n'en ressentoit pas l'incommodité des autres femmes, lesquelles sont pesantes et [165] ne peuvent marcher à cause de la pesanteur de l'enfant qu'elles portent, parce que ces enfans sont pecheurs.

  A009000471 

 Certes, ce n'est pas merveille si saint Jean tressaillit de joye à la venue de son Sauveur, puisque Nostre Seigneur dit en parlant aux Juifs: Abraham vostre pere s'est resjoui voyant en esprit prophetique mon jour advenir que vous voyez.

  A009000474 

 Vous devez donques reluire tout particulierement en icelles, vous portant avec une grande diligence et allegresse à visiter vos Sœurs malades, vous soulageant et servant cordialement les unes les autres en vos infirmités, soit spirituelles ou corporelles; et par tout où il s'agit d'exercer l'humilité et la charité vous vous y devez porter avec un soin et promptitude singuliere, car voyez-vous, ce n'est pas [168] assez pour estre fille de Nostre Dame de se contenter d'estre dans les maysons de la Visitation et porter le voyle de Religieuse.

  A009000492 

 On en voit l'experience en Alexandre qu'on appelle le Grand, lequel apres avoir assujetti à son empire presque toute la terre, ne fut neanmoins pas satisfait; car un fol philosophe luy ayant fait accroire qu'il y avoit encores d'autres mondes que celuy cy, il se mit à pleurer dequoy il croyoit ne les pouvoir conquerir.

  A009000492 

 Or pensez, de grace, si celuy qui a possedé si eminemment les biens et les richesses de la terre par dessus tout autre n'est pas content, qui donc le pourra estre?.

  A009000493 

 Certes, non seulement les choses terrestres ne sont pas capables de satisfaire nos cœurs, mais non pas mesme les celestes; et cecy nous le voyons tres bien en la Magdeleine.

  A009000493 

 Les hommes, pour grans qu'ils soyent et pour magnifiquement ornés qu'ils puissent estre, ne sont rien aupres des Anges, leur lustre n'a point d'esclat et ne sont pas dignes de comparoistre en leur presence; aussi voit-on que jamais ils n'ont apparu aux hommes sans que ceux ci ne soyent tombés dessus leur face, n'estans pas capables de supporter la splendeur et l'esclat de la beauté angelique.

  A009000494 

 Les Anges luy demandent: Pourquoy pleures-tu? comme s'ils eussent voulu dire: N'as-tu pas bien sujet de te resjouir et d'essuyer tes larmes en nous voyant? Quoy, la splendeur et beauté de nos faces, l'esclat de nos vestemens, nostre magnificence plus grande que celle de Salomon, n'est-elle pas capable de t'apaiser? O certes non, mon cœur ne se peut contenter à moins que de Dieu.

  A009000495 

 L'Espouse, au Cantique des Cantiques, dit que son Bien-Aymé ayant frappé à sa porte passa outre; et elle, ayant ouvert et ne le trouvant pas, s'en va apres luy pour le chercher, puis rencontrant les gardes de la ville elle leur demande si elles ont point veu son Bien-Aymé: Hé, de grace, si vous le rencontrez, annoncez-luy que je languis d'amour.

  A009000496 

 Nous voyons que ces anciens Chrestiens qui ne se contentoyent pas d'observer les commandemens de Dieu, mais aussi se mettoyent à la prattique exacte de ses conseils, quittoyent tout sans reserve; si que l'on pouvoit veritablement bien asseurer qu'ils n'avoyent qu' un cœur et qu' une ame, car le mot de tien et de mien n'estoit jamais entendu parmi eux..

  A009000499 

 Il ne veut pas seulement estre exempt de rival, mais il veut estre seul dans nos cœurs et y regner paisiblement; car quand il cesse de regner, il cesse quant et quant d'estre..

  A009000500 

 Il faut voirement bien renoncer et mortifier le corps, mais ce n'est pas assez, il faut mortifier sur tout l'esprit.

  A009000501 

 De mesme les ames qui ont fait cette genereuse entreprise de se transformer toutes en Dieu, helas! que ne faut-il pas qu'elles fassent pour s'aneantir, se confondre et se delaisser, jusques à ce qu'elles soyent tellement purifiées que rien ne leur demeure que la seule liqueur celeste qui est en elles, à sçavoir, l'image et la semblance de la divine Majesté.

  A009000501 

 Quelles persecutions, quelles mortifications, quelles sortes d'abjections, de tourmens et de douleurs n'a-t-il pas souffert? Escoutez ce qu'il escrit: Jusques à cette heure nous avons esté blasphemés, persecutés à outrance, injuriés et mesprisés, jusques là que nous sommes tenus et estimés comme les balayeures de ce monde.

  A009000504 

 C'est en quoy le nostre doit de mesme paroistre, non pas tant à faire, [176] comme à laisser faire en nous et de nous tout ce que l'on voudra; et non seulement à Nostre Seigneur, mais aussi à nos Superieurs, nous rendant maniables, souples et humbles comme des petits enfans, car nostre grandeur gist en nostre petitesse et nostre exaltation en nostre humiliation..

  A009000511 

 Marthe, qui desiroit que tous fussent aussi soigneux qu'elle de servir le Sauveur, luy dit en se plaignant qu'il commandast à sa sœur de luy ayder, pensant qu'il n'estoit pas necessaire que personne demeurast aupres de luy, d'autant qu'il se sçauroit assez entretenir tout seul.

  A009000512 

 O Dieu, quel soin n'eut elle pas de fournir Nostre Seigneur de tout ce qui luy estoit necessaire pendant qu'il fut petit! Quel empressement, ou pour mieux dire, quelle diligence ne fit-elle pas pour eviter le courroux d'Herode! Que ne fit-elle pour le sauver de tant de perils et mesaventures dont il fut menacé!.

  A009000513 

 Les Roys le viennent adorer, et l'on peut penser quelles louanges ils donnerent à l'Enfant et à la Mere; elle ne dit pas un mot.

  A009000514 

 Remarquez, je vous prie, que Nostre Seigneur reprend Marthe parce qu'elle s'empresse, et non pas de ce qu'elle a du soin.

  A009000514 

 Un autre qui aura grande affection à l'oraison mentale, si bien il semble que cecy ne regarde que l'esprit, il ne lairra pas de s'empresser et d'en estre troublé si on l'en retire pour l'occuper à quelqu'autre chose..

  A009000514 

 Un autre qui voudra visiter et consoler les malades ne le fera pas sans s'empresser, et mesme s'inquieter s'il est empesché de le faire.

  A009000516 

 Or, ces personnes qui s'affectionnent et s'embesoignent comme Marthe à faire quelque chose pour Nostre Seigneur, pensent estre bien devotes et croyent que cet empressement soit vertu; ce qui n'est pourtant pas, ainsy que luy mesme le fait entendre: Une seule chose est necessaire, qui est d'avoir Dieu et de le posseder.

  A009000518 

 Il s'en trouveroit assez qui s'estonneroyent, disant: Comment est-ce que Nostre Seigneur, qui aymoit si tendrement et si fortement sa sainte Mere, ne luy donna le privilege de ne point mourir? Puisque la mort est la peine du peché, et qu'elle n'en avoit jamais fait aucun, pourquoy est-ce qu'il la laissa mourir? O mortels, que vos pensées sont contraires à celles des Saints, que vos jugemens sont esloignés de ceux de la divine Majesté! Ne sçavez vous pas que la mort n'est plus ignominieuse, ains qu'elle est pretieuse despuis que Nostre Seigneur et Maistre se laissa attacher par elle sur l'arbre de la croix? Ce n'eust point esté un advantage ni un privilege pour la Sainte Vierge de ne point mourir, ains elle avoit tousjours desiré la mort dès qu'elle la vit dans les bras et dans le cœur mesme de son tres sacré Fils.

  A009000519 

 L'on a accoustumé de dire que telle est la vie telle est la mort: de quelle mort pensez-vous donques que mourut la Sainte Vierge, sinon de la mort d'amour? O c'est une chose indubitable qu'elle mourut d'amour, mais je ne dis pas cecy parce qu'il est escrit.

  A009000521 

 Il leur viendra en fantasie de ne pas vouloir que le lieu de leur reunion soit clair, ains ils le veulent sombre et obscur, et cela pour faire quelque balet, ou que sçay-je moy quoy, qui paroistra davantage en l'obscurité.

  A009000522 

 Or, si les Saints ont esté des lampes ardentes et odoriferantes, combien plus la tres sainte Vierge, la perfection de laquelle surpasse toutes celles des Bienheureux; voire mesme si elles estoyent toutes assemblées [183] en une, elles ne seroyent pas comparables à la sienne.

  A009000523 

 Mais avec quel triomphe, mais avec quelle magnificence croyez-vous qu'elle fut accueillie de son Fils bien aymé en contreschange de l'amour avec lequel elle l'avoit receu venant en terre? Il faut bien croire qu'il ne fut pas mesconnoissant, ains qu'il la recompensa d'un degré de gloire d'autant plus grand au dessus de tous les Esprits bienheureux, que ses merites surpassoyent ceux de tous les Saints ensemble.

  A009000524 

 L'ame tres sainte de Nostre Dame ayant quitté son corps tres pur, il fut porté au sepulcre et rendu à la terre ainsy que celuy de son Fils, car il estoit bien raysonnable que la Mere n'eust pas plus de privilege que le Fils.

  A009000526 

 Mais cela n'estoit pas assez pour le cœur de David, qui estoit genereux et qui ne pensoit en rien moins qu'aux richesses.

  A009000527 

 Mais Nostre Seigneur n'eust pas esté content si l'on n'eust adjousté: Le Roy a promis qu' il luy donneroit sa fille en mariage.

  A009000527 

 Neanmoins il n'eust pas encores esté satisfait si l'on n'eust adjousté que sa maison seroit exempte de tribut.

  A009000529 

 Et Nostre Seigneur qui est incomparablement bon, encores qu'il conneust bien son imperfection, ne la reprit pourtant pas severement, ains tout amoureusement, car cet Evangile est tout d'amour.

  A009000530 

 Oh, je ne parle pas de moy, ains seulement de la grande perfection à laquelle l'on aspire ceans.

  A009000533 

 Voyez-vous cette personne qui a dessein de la prattiquer? Elle commence à faire pacte avec ses yeux qu'ils ne regarderont que pour les choses necessaires et non point autrement; et pour cela elle leur fera comme aux esperviers que l'on chaperonne quand on ne leur veut pas donner le vol et à fin de les porter plus aysement sur le poing.

  A009000533 

 Voyons maintenant comme cet homme exterieur ne sçauroit rien faire sans un extreme souci, non pas mesme [188] la prattique des vertus.

  A009000534 

 Quelle attention ne faut-il pas pour prattiquer la patience et pour ne point eschapper en la colere! Cassien escrit qu'il ne suffit pas de fuir les occasions de parler et converser avec les hommes; aussi n'est-ce pas le moyen d'acquerir la vertu que d'en eviter l'exercice, d'autant qu'il rapporte de luy mesme que, estant seul dans le desert, lors qu'il se levoit la nuit et qu'il prenoit son fusil pour allumer sa chandelle, si le caillou ne vouloit pas faire feu il se mettoit en colere et le jettoit contre terre..

  A009000535 

 Quelles brides ne faut-il pas mettre à la langue pour l'empescher de courir par les rues comme un cheval eschappé et d'entrer en la maison du prochain, voire mesme dans sa vie, ou pour la censurer et [189] contreroller, ou bien pour luy oster tousjours un peu de l'estime que nous sçavons luy estre deuë..

  A009000536 

 Et qu'ainsy ne soit, escoutez le grand Apostre: La charité est douce, elle est patiente, elle est benigne, elle est condescendante, elle est humble, elle est affable, elle supporte tout; en fin elle comprend en soy toutes les perfections des autres vertus, mais beaucoup plus excellemment qu'elles ne font pas elles-mesmes.

  A009000536 

 Mais quel remede, me direz-vous, pour ne pas avoir tant de soin, puisqu'il faut que je m'exerce en la vertu? O certes, ce soin, pourveu qu'il soit sans anxieté et empressement, est tres louable.

  A009000536 

 Voicy neanmoins un remede pour vous delivrer de tant de sollicitudes: puisque Nostre Seigneur dit qu' une seule chose est necessaire, qui est d'estre sauvé, il n'est pas requis de tant multiplier les moyens pour l'acheminement de nostre salut, bien qu'il faille un acheminement à toutes choses.

  A009000537 

 A mesure que l'un de ces amours croist, l'autre aussi croist; de mesme, si l'un diminue, l'autre ne tardera pas à diminuer.

  A009000539 

 Il semble que l'Assomption de Nostre Dame fut en certaine façon plus glorieuse et triomphante que non pas l'Ascension de Nostre Seigneur, d'autant qu'à l'Ascension il n'y avoit que des Anges qui luy vinssent au devant, mais en l'Assomption de sa tres sainte Mere le Roy des Anges y vint luy mesme.

  A009000557 

 Hé Dieu, n'est-il pas bien raysonnable que cet amour domine et tienne le donjon au dessus de tous les autres, qu'il regne et commande et que tout luy soit sujet? Aymer le Seigneur d'un amour d'election, c'est cela, c'est le choisir entre mille, comme l'Espouse du Cantique des Cantiques: Mon Bien-Aymé est beau à merveille, toutes sortes de perfections sont en luy, je l'ay choisi entre mille, c'est à dire entre un nombre infini, pour mon Bien-Aymé et mon choisi..

  A009000557 

 Il ne se contente pas, certes, d'estre aymé d'un amour commun, ainsy que nous faisons nos semblables, mais d'un amour d'election, choisi et esleu entre tous les autres, en sorte que tous les amours que nous avons pour les creatures ne soyent que des images en comparaison de celuy qu'il veut que nous luy portions.

  A009000558 

 Or, quand ce vient à nostre choix d'eslire un objet pour le principal but de nostre amour, certes nous aurions grand tort de ne le pas chercher entre tous les sujets qui sont aymables, à fin de choisir le plus excellent.

  A009000559 

 Il n'y a que Nostre Dame qui ait eu ce privilege de pouvoir aymer Dieu en cette vie sans interruption quelconque, car tandis qu'elle dormoit, son esprit ne laissoit pas d'agir et de s'eslancer en Dieu.

  A009000559 

 Mais quant à nous, combien de fois nous trouvons-nous en des distractions qui nous sont inevitables! Nous pouvons voirement aymer Dieu d'un amour ferme et [194] invariable, mais non pas estre en l'exercice continuel de nostre amour..

  A009000559 

 O pauvres gens, que vous monstrez bien qui vous estes, et que vous avez des esprits, mais non pas pour penetrer les choses de Dieu, ni les comprendre et connoistre pour telles qu'elles sont.

  A009000559 

 Si Nostre Seigneur nous eust commandé de l'aymer comme font les Bienheureux là haut au Ciel, vous auriez quelque rayson de dire que nous ne le pouvons pas, d'autant qu'ils l'ayment d'un amour ferme, stable et constant, sans interruption quelconque; ils le benissent perpetuellement, et par ainsy ils sont en un continuel exercice de leur amour; ce que nous ne pouvons pas faire nous autres, car il faut que nous dormions, et pendant ce temps là nostre amour cesse son exercice.

  A009000560 

 Pour aymer Dieu d'un amour d'election il faut avoir la volonté determinée de ne conserver et ne reserver aucun autre amour qui ne luy soit sujet et sousmis, demeurans prests à bannir de nos esprits non seulement tout ce qui sera contraire, mais aussi tout ce qui ne servira pas à la conservation et augmentation de ce divin amour, qui est le seul digne du nom de dilection.

  A009000562 

 Ce n'est pas sans rayson, mes chers auditeurs, que les peintres peignent l'amour en archer, qui descoche incessamment des fleches dans le cœur des mortels pour les blesser et navrer de ses aymables traits.

  A009000562 

 Mais le troisiesme ne se contente pas de cela, ains il tire sans cesse la corde de son arc à soy et lance continuellement ses sagettes dans le blanc où il vise.

  A009000564 

 Ces ames donques que je dis estre comparables au second archer, sont celles qui se retirent du commun du peuple pour mener une vie plus parfaite, soit qu'elles s'en sequestrent tout à fait ou non, et qui ne se contentent pas de vivre selon l'observance des commandemens de Dieu, mais passant plus outre, embrassent la prattique de ses conseils; partant elles descochent le plus souvent qu'elles peuvent des traits et des sagettes dans le cœur de la divine Majesté par des eslancemens fervens et affectionnés de leur esprit.

  A009000564 

 Elles sont semblables à ce second archer que nous nous sommes imaginé, qui non seulement tient son carquoy plein de fleches et son arc tout prest pour tirer, mais il tire fort souvent, mettant le moins de distance qu'il peut entre chaque coup; il n'attend pas la necessité, ains il lance ses traits à toutes les apparences de necessité.

  A009000564 

 Mais il y a des ames plus nobles et genereuses qui, sçachans que la suffisance ne suffit pas en ce qui est d'aymer Dieu, passent plus outre.

  A009000566 

 Il est vray, me direz-vous, mais est-ce assez aymer Dieu que se contenter de l'aymer comme ceux qui observent ses commandemens? O sans doute, qui se contenteroit de cela sans desirer de l'aymer davantage, je veux dire sans avoir la pretention d'accroistre son amour envers la divine Bonté, il ne l'aymeroit pas assez; car n'avons-nous pas veu que la suffisance n'est pas suffisante? En effect, ce n'est pas icy comme aux desirs que l'on a d'acquerir des honneurs et des richesses, parce que, en ces sortes de choses, rien ne sçauroit contenter ni assouvir la soif insatiable de celuy à qui la suffisance ne suffit pas.

  A009000566 

 Mais quant à l'amour divin, il ne faut jamais dire: C'est assez, j'en suis content, car celuy qui parleroit de la sorte n'en auroit pas suffisamment.

  A009000568 

 Aymer Dieu de tout nostre cœur, qu'est-ce sinon l'aymer de tout nostre amour, mais d'un amour ardent; et pour cela il ne faut pas aymer beaucoup d'autres choses, au moins d'une affection particuliere.

  A009000568 

 Ne vous semble-t-il pas, mes cheres ames, que nous ayons une tres grande obligation à contreschanger autant que nous le pouvons cet amour sacré et incomparable duquel nous avons esté et sommes aymés de Nostre Seigneur? C'est sans doute que nous le devons; au moins [198] devons-nous avoir affection de le faire.

  A009000569 

 L'amour, comme dit le grand Apostre de la France, tend à l'union; si que l'amour unit d'une union presque inseparable les cœurs de ceux qui s'ayment, quand l'amour est pur, car autrement nous n'en voulons pas parler.

  A009000569 

 Les amans cherchent tousjours de parler secrettement, bien que ce qu'ils ont à dire ne soyent pas des secrets ou choses qui meritent d'estre tenues pour tels.

  A009000569 

 Si vous aymez bien Dieu vous aurez un grand soin de rechercher sa presence à fin de vous unir tousjours plus avec sa divine Bonté, non point pour la consolation qu'il y a de jouir de cette presence, ains simplement pour satisfaire à son amour qui le desire ainsy; vous rechercherez le Dieu de toutes consolations et non pas les consolations de Dieu.

  A009000570 

 Nostre capacité d'aymer est petite tandis que nous sommes en cette vallée de miseres, et partant nous ne devons pas laisser dissiper nostre amour, ains le tenir ramassé tant qu'il nous sera possible pour l'employer à aymer un sujet tant aymable comme est celuy dont nous parlons.

  A009000570 

 Une autre marque pour connoistre si vous aymez bien Dieu, est si vous n'aymez pas beaucoup d'autres choses avec luy, ainsy que j'ay dit (mais cela s'entend d'un amour fort et puissant); car vous sçavez que quand on ayme beaucoup de choses ensemble, c'est les aymer d'un amour moins fort et moins parfait.

  A009000571 

 Ainsy faisant, nous nous resjouirons davantage des dons que Dieu fera à leurs ames, de sa grace, des vertus et benedictions celestes, que non pas des honneurs, richesses et biens caducs et perissables qui leur pourroyent arriver.

  A009000571 

 Mais encor, quel pensez vous qu'il soit? C'est un amour ferme, constant, invariable, qui, ne s'attachant point aux niaiseries, ni aux qualités ou conditions des personnes, n'est pas sujet au changement ni aux aversions comme celuy que nous nous portons les uns les autres, qui pour l'ordinaire se dissipe et s'alangourit sur une mine froide ou qui n'est pas si correspondante à nostre humeur comme nous desirerions.

  A009000571 

 Nostre Seigneur nous ayme sans discontinuation (je ne parle pas de ceux qui sont en estat de peché mortel, car le lieu où je suis ne le requiert pas); il nous supporte en nos defauts et en nos imperfections, sans neanmoins les aymer ni les favoriser: il faut donques que nous en [200] fassions de mesme à l'endroit de nos freres, ne nous lassant jamais de les supporter, prenant bien garde toutefois de ne favoriser ni aymer leurs imperfections, ains d'en rechercher l'extermination tant qu'il nous sera possible, ainsy que fait la divine Bonté.

  A009000579 

 Oh leur intention n'est pas bonne.

  A009000582 

 Nostre Seigneur l'a prattiquée souverainement et au supreme degré, car il n'y a creature au monde, non pas mesme tous les Saints ni tous les Anges ensemble, qui puisse atteindre à l'humilité de nostre Sauveur et Maistre.

  A009000582 

 Nous avons receu d'eux le peché et toutes les passions que nous avons: la colere, la convoitise qui nous fait desirer des biens, des honneurs; l'amour à la propre estime, la tendreté sur soy rnesme qui fait que l'on ayme tant la liberté et que l'on n'ayme pas la sujetion.

  A009000583 

 Encores que cette derniere pretention paroisse bonne, ce n'est pourtant pas l'intention pour laquelle les Religions sont instituées: c'est à fin de servir plus parfaittement à Dieu et se despouiller du viel homme pour se revestir du nouveau, car entrant en Religion il n'y faut point apporter les coustumes du monde.

  A009000583 

 Saint Basile escrivant à Syncleticus, qui de senateur s'estoit fait Religieux, il luy mandoit: O mon frere, qu'as-tu fait? «Tu as desfait un senateur et tu n'as pas fait un Religieux.» Tu n'es plus senateur, car tu as quitté cette charge; tu n'es pas bon Religieux, d'autant que tu vis avec les coustumes que tu as portées du monde.

  A009000586 

 Je ne raconteray pas toute l'histoire, car il n'est pas necessaire.

  A009000586 

 Rebecca ayant ouy ce qu'Isaac avoit dit à Esau, print un chevreau qu'elle accommoda en guise de venaison, puis le fit porter par Jacob à son pere à fin qu'il eust sa benediction (Dieu ne permit pas qu'elle vinst à Esau).

  A009000587 

 O que bienheureuses sont les ames qui entrent en Religion à cette supreme fin, pour cueillir les fleurs des graces de Dieu et jouir apres de leurs fruits au Ciel! Mais ceux qui sont venus pour d'autres motifs il ne faut pas qu'ils perdent courage, car on peut tousjours redresser son intention, la bonifier et la rendre meilleure, pourveu qu'on se despouille bien du viel homme, comme nous avons dit, et qu'on prenne les habitudes de la Religion..

  A009000595 

 Le roy n'estant pas content de cela leur en manda d'autres, lesquels ne furent pas seulement rejettés et mesprisés par les conviés, mais ils furent esgorgés et mis à mort.

  A009000597 

 Je ne m'arresteray pas non plus au deuxiesme sens de cette parabole, qui regarde l'appel general fait à tous les hommes pour les inviter à parvenir au festin royal de l'eternité, à la semonce duquel neanmoins plusieurs ne se veulent pas rendre.

  A009000597 

 Les autres, ne refusans pas du tout de venir aux noces, dilayent neanmoins et disent que ce sera tantost; et ces sortes de gens courent la mesme fortune que les premiers, d'autant qu'ils ne [209] peuvent pas s'asseurer d'avoir le temps auquel ils se promettent d'aller à ce divin banquet.

  A009000597 

 Les uns, comme les plus malheureux, ne refusent pas seulement d'y venir, s'excusans sur leurs affaires, mais ils mesprisent, rejettent et maltraittent les inspirations que le Seigneur leur envoye comme des messagers celestes.

  A009000597 

 Voyla le contenu de la parabole, laquelle je ne m'amuseray pas à expliquer selon le sens litteral, parce qu'il regarde la prediction que nostre divin Sauveur faisoit de la reprobation des Juifs et de l'election des Gentils, qui, comme borgnes, boiteux, bossus et impotens, furent amenés au festin des noces du Fils du Roy par la predication du saint Evangile qui leur fut faitte tant par les Apostres que par Nostre Seigneur mesme.

  A009000599 

 Mais, me demanderez-vous, comme osez-vous appeller le jour de la Passion jour des noces de Nostre Seigneur, puisque le jour où on celebre des noces est ordinairement un jour de consolation, de playsir et de joye? Il est vray; mais ne pensez pas que ce soit moy seul qui dise cecy, ni de moy mesme, car sa divine Espouse le dit elle mesme au Cantique des Cantiques.

  A009000601 

 Mais si cela est, pourquoy dit-elle au jour de sa joye, puisque c'est au jour de sa douleur et de sa mort, ainsy que luy mesme le declare: Mon ame est triste jusques à la mort? Mon Dieu, qu'est-ce que cecy, qu'emmi une si grande allegresse il se trouvast une si grande tristesse! O certes, la tristesse et la joye ne sont pas incompatibles ensemble, de sorte qu'elles se pouvoyent facilement rencontrer toutes deux en l'ame de Nostre Seigneur le jour de sa Passion.

  A009000602 

 Si cela est, qui peut douter que le jour de la Passion du Sauveur ne fust le jour de sa joye et de son allegresse? car ne voyez-vous pas les fleurs qui sortent et commencent à bourgeonner autour de la Croix, presage certain des fruits que devoit rendre cet arbre de vie? je veux dire les merites de cette mort, produisans les doux fruits de la salvation des hommes qui espereroyent en ces merites? Que si la joye de la femme est de produire beaucoup d'enfans, combien de sujets de resjouissanee Nostre Seigneur et Maistre eut-il au jour de sa Mort et Passion, puisque ce fut en iceluy qu'il fut fait Pere de tous les enfans des hommes, et leur acquit la grace pour cette vie passagere et la gloire pour la vie eternelle..

  A009000603 

 Ce ne fut pas seulement le jour de la joye de nostre cher Sauveur, mais encores celuy de la joye du Pere eternel, des Anges et de toutes les ames des Bienheureux.

  A009000603 

 Et comment celuy du Pere eternel, puisqu'il voyoit mourir son Fils de la mort naturelle? Ne vous semble-t-il pas que ce fut plustost le jour de sa douleur que non pas celuy de son allegresse? Hé, non certes, mes cheres ames, il ne nous doit pas sembler ainsy.

  A009000604 

 Je sçay bien que quelques docteurs tiennent que c'est la veue de la Divinité qui fera cette felicite; mais pourtant l'un ne contrarie pas beaucoup à l'autre, d'autant que cette veue sacrée est ce qui nous excitera à des ardeurs incomparables pour l'aymer.

  A009000605 

 Mais, me demanderez vous, pourquoy dites vous que la Croix est un festin auquel nous sommes tous invités, sans en excepter pas un? Hé, ne voyez-vous pas les mets delicieux qui nous y sont preparés? Voyez et considerez de grace la souveraine misericorde que Dieu y presente aux hommes; remarquez, je vous supplie, que c'est là où nous sont preparés et offerts tous les secours necessaires pour parvenir à la gloire..

  A009000606 

 Nous venons tous au festin de la Croix, car par la grace de Dieu nous esperons d'estre sauvés par [213] les merites de Nostre Seigneur crucifié; mais le malheur est que nous n'y venons pas tous avec la robe nuptiale, de sorte que plusieurs en sont bannis et jettés dans les flammes eternelles..

  A009000610 

 Les manches des robes des Religieuses sont larges du costé des mains pour monstrer que les parolles ne suffisent pas, ains qu'il faut des œuvres; elles sont larges en sorte qu'elles puissent tenir les bras croisés dedans, pour monstrer que dès qu'elles ont fait quelques bonnes actions, quelques actes de vertu, il faut remettre la main dans la manche, c'est à dire il faut cacher cette prattique de vertu pour en eviter la louange, et ne vouloir qu'elle soit remarquée que de leur Espoux auquel seul elles desirent de plaire..

  A009000612 

 Les Religieux et Religieuses doivent avoir cette robe tres grande, ce qui represente le bon exemple; et ne se faut pas contenter quelle aille jusqu'en terre et jusqu'à la fin de leur vie, mais aussi qu'elle passe plus outre; que l'odeur de leur sainteté charge celles qui viennent apres elles, qu'il y ait tousjours une bonne brassée de leurs bons exemples propre à estre portée, par imitation, par tous ceux qui entendront parler d'elles..

  A009000620 

 Comme au contraire, si nous croyons que nous sommes sains, robustes et gaillars, c'est alors que nous sommes plus mal et en plus grand danger; car ceux qui sont malades et ne croyent pas l'estre, ne veulent point suivre les ordonnances du medecin ni prendre aucun medicament, pensans qu'ils n'en ont pas besoin, et partant ils ne guerissent point, ains viennent à mourir.

  A009000621 

 Il y a des ames grandement malades et si chargées de pechés et d'imperfections qu'elles sont bien dignes de [218] compassion, d'autant qu'elles sont en plus grand peril, parce qu'estans pleines de rancune, d'orgueil, presomption et de mille autres defauts, elles s'estiment neanmoins bien parfaites et bien saines et ne reconnoissent pas leurs maladies; partant elles ne recourent point au medecin, croyans n'en avoir aucune necessité, c'est pourquoy elles viennent à mourir de la mort eternelle..

  A009000622 

 Par le Sacrement de l'Eucharistie nous sommes unis et conjoins à la divine Bonté et recevons la vraye vie de nos ames; car ne sçavez-vous pas que le divin Sauveur a dit: Celuy qui me mange vivra eternellement? En fin il en est de mesme des autres Sacremens qui en une certaine façon nous lavent tous de nos iniquités..

  A009000623 

 Mais ceux qui ne s'en approchent qu'une fois l'année, au temps de Pasque, par maniere d'acquit et pour eviter le blasme, qu'ils ne pensent pas en rapporter aucun fruit..

  A009000624 

 Ne voyez-vous pas le grand Apostre saint Paul, tout ravi qu'il avoit esté jusqu'au troisiesme Ciel, confesser qu'il est infirme et malade de corps et d'esprit? Oyez-le s'escrier: Qui me delivrera du corps de cette mortalité? Que veut-il signifier de grace, sinon: Qui me delivrera de mes maladies et infirmités?.

  A009000625 

 La maladie de l'esprit est aussi causée par le desordre de nos passions interieures, lors qu'elles ne sont pas bien rangées à leur devoir et sousmises à la rayson et à la volonté divine..

  A009000629 

 Les mondains se font gloire de ne point pardonner et faire misericorde; et Jesus Christ enseigne: Bienheureux les misericordieux, car ils obtiendront misericorde, nous monstrant par là que si nous ne faisons misericorde elle ne nous sera pas faite.

  A009000633 

 L'humilité nous est tellement necessaire, que sans icelle nous ne pouvons estre aggreables à Dieu ni avoir aucune autre vertu, pas mesme la charité qui perfectionne tout, car elle est si conjointe à l'humilité que ces deux vertus ne peuvent estre separées; elles ont une si grande sympathie ensemble que l'une ne va point sans l'autre.

  A009000633 

 Si vous me dites que vous avez la charité et que vous n'avez pas l'humilité, je vous respondray que vous mentez; si vous [224] asseurez que vous avez l'humilité et que vous n'avez pas la charité, vous ne dites rien qui vaille.

  A009000634 

 (Il y a des pauvres qui ne sont pas miserables parce qu'ils sont sains, forts et gaillars, de sorte qu'ils peuvent gaigner leur vie.).

  A009000635 

 Cet Evesque avoit de vray des grans talens et richesses interieures, mais parce qu'il n'avoit pas ces deux vertus et qu'il estoit enflé d'orgueil et de vanité en soy mesme, devant Dieu il est pauvre et vuide de tout bien.

  A009000635 

 Vous avez, de vray, fait toutes ces choses là en mon nom, mais non pas selon mon [225] nom; c'est pourquoy je ne vous connois point, et vous n'aurez aucune recompense ni part avec moy.

  A009000636 

 Voyant qu'elles n'estoyent rien qui vaille et qu'elles ne meritoyent pas que le monde les regardast, elles se sont retirées pour estre estimées de luy viles et abjectes..

  A009000637 

 Ne sçavez-vous pas que le grand saint Paul dit que luy et les autres Apostres, parce qu'ils servoyent leur Maistre et mesprisoyent le monde, estoyent reputés des mondains comme les excremens du monde, les balayeures et peleures des pommes, qui sont des choses si viles et que l'on jette là? Voyez comme il parle, ce divin [226] Apostre: J'ay reputé toutes choses fange et ordure pour gaigner Jesus Christ et sa bonne grace.

  A009000638 

 Lors que quelque personne de qualité entre en une mayson honnorable, les damoyselles qui y sont se vont cacher l'une deçà, l'autre delà, parce qu'elles ne sont pas parées selon leur desir; ainsy ces ames religieuses s'enfuyent en la Religion, de peur qu'on ne les voye, parce qu'elles pensent n'avoir rien qui merite qu'on les regarde et qu'on tienne compte d'elles.

  A009000638 

 On doit s'estimer vil, pauvre et vuide de tout bien, et y venir avec cette croyance que l'on n'est rien, que l'on ne vaut rien; c'est pourquoy on se cache, comme ne meritant pas d'estre regardé de Dieu ni des creatures.

  A009000639 

 Quand je vois que la plus grande partie des hommes ne respirent rien moins que l'humilité, qu'ils la fuyent pour rechercher les honneurs, les charges relevées et les grandes dignités, qu'ils sont pleins de presomption et de superbe, mon Dieu, cela m'est insupportable! Et ne sçavez-vous pas, o mondains, que le mauvais riche pour s'estre enflé d'orgueil, comme il tesmoigna en mesprisant le pauvre Lazare, est maintenant aux enfers pour toute eternité? Mais lors que ces personnes du monde vont [227] un peu aux eglises entendre la sainte Messe, qu'elles communient à Pasques et font quelque aumosne, elles pensent pour cela estre saintes, tellement qu'il ne faut plus que les canonizer et les mettre sur les autels.

  A009000639 

 Sçavez-vous pas, pauvres gens, que puisque vous n'avez point de charité et d'humilité tout cela n'est rien?.

  A009000640 

 D'où pensez-vous que viennent ces relasches et desordres de certaines maysons religieuses? C'est certes parce que l'humilité n'y est pas.

  A009000640 

 Et pourquoy pensez-vous que l'humilité n'y est pas? C'est parce que cette infortunée parolle tien et mien n'en est pas bannie; car dès que la communauté et pauvreté n'est pas observée, la presomption et superbe y entre aussi tost, d'autant qu'il n'y a rien qui nous enfle tant que les richesses, par lesquelles nous avons dequoy dire tien et mien.

  A009000641 

 En fin la pauvreté n'y estant pas, il n'y a par consequent point d'humilité, car ces deux vertus sont fort unies ensemble, l'une servant grandement à conserver et maintenir l'autre, comme j'ay desja dit.

  A009000641 

 Voyez le grand saint Augustin comme il veut qu'elle soit exactement observée, car il defend tres absolument que l'on ayt «chose quelconque, pour petite qu'elle soit,» non pas mesme une epingle en particulier, ains que tout soit en commun, en sorte que ce mot de tien et mien en soit entierement banni; que les portions et tout le reste soit esgal autant que la necessité le pourra permettre, parce qu'es Religions où toutes choses ne sont communes il y a des portions particulieres.

  A009000643 

 Le grand saint Louys roy de France n'estoit pas en l'estat de perfection; il estoit pourtant en la perfection et en un degré fort eminent et relevé, comme l'on sçait.

  A009000643 

 Toutes les ames religieuses sont en l'estat de perfection, quoy que pour cela elles ne soyent pas tousjours toutes en la perfection.

  A009000650 

 C'est un honneur tres grand sans doute de m'avoir porté dans son ventre et nourri du lait descoulant de ses mammelles, moy qui suis la pasture des Anges et des hommes là haut en la gloire celeste; cependant cela n'a pas esté le fondement de sa beatitude, ains d'avoir tousjours esté obeissante à la volonté de mon Pere.

  A009000650 

 La felicité n'est pas attachée à la dignité ni donnée selon icelle, ains selon la mesure de l'union que nous avons avec la divine volonté; de façon que si l'on pouvoit separer la dignité de Mere de Dieu d'avec la parfaite sousmission qu'avoit la tres sacrée Vierge à sa sainte volonté, elle auroit eu le mesme degré de gloire et la mesme felicité qu'elle a maintenant au Ciel.

  A009000650 

 Mais comme si le Sauveur eust voulu encherir et non pas diminuer la louange que l'on rendoit à sa tres sainte [231] Mere, il poursuit le cantique d'honneur qui estoit entonné par sainte Marcelle à la faveur de Nostre Dame, disant: Il est vray, mais plus heureuse encores est-elle d'avoir escouté la parole de mon Pere et de l'avoir gardée.

  A009000651 

 Cette faveur ne fut accordée à nulle autre pure creature, non pas mesme aux Anges, car ils peurent changer et se departir de la grace qu'ils avoyent receue de la divine Majesté à leur creation.

  A009000651 

 Nostre Dame a eu trois grans privileges au dessus de toutes les pures creatures: le premier est qu'elle a tousjours esté tres obeissante à la volonté de Dieu, c'est à dire à sa parole, et cela dès l'instant de sa conception, sans jamais varier ni discontinuer, non pas mesme un seul moment.

  A009000653 

 Estant parvenue [233] à l'aage de trois ans, elle fut apportée une partie du chemin dès Nazareth en Hierusalem, et l'autre partie elle y vint avec ses petits pas.

  A009000656 

 Mais qu'est-ce, je vous prie, que nous donner tout à Dieu? C'est ne se reserver aucune chose qui ne soit pour Dieu, non pas mesme une seule de nos affections ou de nos desirs.

  A009000657 

 Car, helas! ne sçavons-nous pas que tout ce qui est remis entre ses mains divines est converti en bien? Ton cœur est-il de terre, de boue ou de fange, ne crains point de le remettre entre les mains de Dieu; quand il crea Adam il prit bien un peu de terre et puis il en fit une ame vivante.

  A009000657 

 Mais, me dira-t-on, comment cela se peut-il faire que je donne à Dieu mon cœur qui est tout plein de pechés et d'imperfections? comment pourroit-il luy estre aggreable, puisqu'il est tout rempli de desobeissances à ses volontés? Hé, pauvre homme, de quoy te fasches-tu? pourquoy refuses-tu de le luy donner tel qu'il est? N'entens-tu pas qu'il ne dit point: Donne-moy un cœur pur comme celuy des Anges ou de Nostre Dame, mais: Donne-moy ton cœur? C'est le tien propre qu'il demande; donne-le tel qu'il est.

  A009000658 

 Mais que les ames riches en saintes pretentions de faire de grandes choses pour Dieu ne viennent pas apporter l'offrande des pauvres, car il ne s'en contenteroit pas.

  A009000658 

 Pourtant il ne vouloit pas que tous fissent une esgale offrande, car il vouloit que les riches, comme opulens, offrissent selon [235] leurs richesses et les pauvres, selon leur pauvreté; de sorte qu'il ne se fust pas contenté si les riches eussent fait des offrandes convenables aux pauvres, parce que cela eust ressenti l'avarice, non plus qu'il n'eust pas esté content que les pauvres eussent fait l'offrande des riches, d'autant que c'eust esté presomption.

  A009000659 

 Prenons garde qu'il ne peut pas estre trompé; si nous disons que nous voulons tout donner, faisons-le absolument, sous peine d'estre chastiés comme Ananie et sa femme Saphire qui mentirent au Saint Esprit..

  A009000660 

 Mais il n'est pas de nous comme de Nostre Dame, laquelle s'estant une fois donnée, n'avoit nul besoin de [236] reconfirmer son offrande; car jamais elle ne discontinua, non pas mesme un seul moment, d'estre toute à Dieu et d'estre appliquée, collée et conjointe avec la divine volonté.

  A009000663 

 Demandez, je vous prie, à un Chrestien s'il ne veut pas obeir à la parole de Dieu: Oh! sans doute je le veux.

  A009000663 

 O Dieu, si vous voulez estre redouté vous ne serez pas humble, car il n'y a rien qui soit plus contraire à l'humilité.

  A009000663 

 Quand on leur presche la douceur, parce que Nostre Seigneur a dit: Apprenez de moy que je suis doux et humble de cœur, il y en a peu qui ne respondent: Mais ceux qui sont doux ne se font pas assez craindre.

  A009000664 

 Il ne faut non plus d'exemption en cette obeissance qu'en l'offrande que Dieu veut que nous luy fassions de nous mesme, car si Nostre Dame n'eust pas esté aggreable à la divine Majesté sans cette absolue obeissance, comme Nostre Seigneur le monstre par la louange qu'il luy donna apres celle de cette benite femme mentionnée en nostre Evangile, beaucoup moins le serons-nous, nous autres.

  A009000671 

 Cette mesme louange se peut donner aux Religieux et Religieuses, non comme estans successeurs immediats des Apostres quant à l'office, car tous ne preschent pas, mais ouy bien quant à la maniere de servir Dieu, en la pretention de suivre ses conseils et ses volontés, à fin de tascher d'acquerir la perfection..

  A009000672 

 Cecy ne se doit pas entendre materiellement ains spirituellement; et pour vous le mieux faire comprendre je considere trois qualités du sel, sur lesquelles nous nous arresterons principalement.

  A009000672 

 Cela estant donques ainsy, je ne m'arresteray pas à la premiere proprieté, car l'experience s'en fait journellement.

  A009000674 

 La seconde proprieté du sel c'est qu'il donne goust et saveur aux viandes lesquelles sans iceluy ne sont pas propres à nostre manger, ains meritent plustost d'estre abhorrées et rejettées; car elles sont insipides, sans goust et bonnes plustost à mortifier qu'à consoler et contenter le goust de celuy qui les mange.

  A009000676 

 C'est en cette façon que tous peuvent estre appellés et estre par consequent dignes successeurs des Apostres; car si bien tous ne preschent pas et n'administrent pas les Sacremens, qui sont les remedes dont se sert la sainte Eglise pour la guerison de ses malades, tous neanmoins peuvent et doivent prescher d'exemple; et cette predication ne sera peut estre pas moins utile que l'autre.

  A009000676 

 Or, les Religieux et Religieuses recherchent la guerison de ces maladies, car si bien ils ne sont pas tenus d'estre parfaits, ils sont neanmoins obligés de tendre à la perfection, puisque en faisant des vœux, nous autres tant ecclesiastiques que Religieux, nous nous obligeons quant et quant de tascher de tout nostre pouvoir d'acquerir la perfection et de vivre selon icelle.

  A009000677 

 Qu'est ce que l'office du Religieux sinon de bien cultiver son esprit, pour en desraciner toutes les mauvaises productions que nostre nature depravée fait bourgeonner tous les jours, si qu'il semble qu'il soit tousjours à refaire? Et comme il ne faut pas que les laboureurs se faschent, puisqu'ils ne meritent pas d'estre blasmés, pour n'avoir recueilli une bonne prise, pourveu neanmoins qu'ils ayent eu soin de bien cultiver la terre et de bien ensemencer, de mesme le Religieux ne doit point se fascher s'il ne recueille pas si tost les fruits de la perfection et des [243] vertus, pourveu qu'il aye une grande fidelité pour bien cultiver la terre de son cœur en retranchant ce qu'il apperçoit estre contraire à la perfection à laquelle il est obligé de pretendre, et faisant ce qu'il voit devoir estre fait pour l'acquisition des vertus..

  A009000678 

 De là vient qu'ils tiennent pour malheureux les serviteurs parce qu'ils sont sujets à leurs maistres, et plus encores les esclaves, d'autant qu'ils ne sont pas maistres de leur liberté..

  A009000678 

 La convoitise de l'honneur brusle les uns, celle de l'avarice les autres, et d'autres le sont par la convoitise des playsirs vilains, brutaux et deshonnestes; cependant ils ne sont point malades! ou du moins ils se vantent de ne l'estre pas.

  A009000678 

 Mais, je vous supplie, considerez un peu la folie des mondains lesquels estans fort malades n'estiment pourtant pas l'estre, ains ils se louent de la meilleure santé du monde, bien que leurs maladies soyent telles qu'ils sont prests à tomber dans la fosse de la mort eternelle.

  A009000679 

 Les Religieux ne veulent pas estre si insensés que ceux cy, lesquels le sont d'autant plus qu'ils ne le pensent pas estre, ains s'estiment si sages qu'ils ne tiennent nul compte des autres hommes, ne les croyant pas mesme capables de leur servir de planche, eu esgard à leur grande sagesse et preudhommie.

  A009000680 

 Escoutez le Prophete, lequel introduisant les mondains dit qu'ils ont secoué leur joug, et ayans rompu les liens de charité se sont pris à dire: Qui est nostre maistre? se voulans ainsy gouverner eux mesmes, et protestans: Nous ne servirons pas; c'est à sçavoir, nous ne dependrons de personne sinon de nostre propre volonté, et par ainsy nous jouirons de nostre liberté.

  A009000681 

 Je le remarque en ce qu'on en trouve qui ne sont pas contens s'ils ne disent une grande quantité d'oraisons devant la Messe et apres, et cependant voyez les durant le temps qu'on la dit, ils s'amusent bien souvent à causer et à se distraire.

  A009000682 

 Or les Religieux et ceux qui vivent vertueusement et sagement dans le monde n'agissent pas de la sorte, car ils ne font chose quelconque que par obeissance.

  A009000683 

 Ce qu'ayant fort bien consideré, ces filles qui se viennent offrir à Nostre Seigneur en sacrifice tres aymable ont fait dessein de renoncer à leur propre liberté; ne s'estimans pas assez sages pour se conduire elles mesmes, elles se viennent abandonner entre les bras de la sainte obeissance pour demeurer à jamais sujettes et sousmises à la volonté de Dieu et de leurs Superieurs.

  A009000683 

 O que c'est une grande sagesse de ne s'estimer pas assez sage pour se conduire soy mesme! Je sçay bien que si nous nous laissions gouverner par la rayson elle nous meneroit bien avant dans le Ciel; mais le peché a tellement gasté et tracassé nos puissances interieures, que la partie inferieure de nostre ame a pour l'ordinaire plus de pouvoir pour nous tirer au mal que non pas la partie superieure pour nous [246] faire tendre du costé du bien.

  A009000684 

 Le roy ne seroit pas reputé sage et prudent s'il ne se faisoit paisiblement obeir par ses sujets et ne gouvernoit son royaume selon la justice et l'equité comme il convient à un souverain; un marchand ne sera pas estimé sage s'il ne tasche, par le moyen de son traffic, de s'enrichir et augmenter ses moyens; et ainsy des autres.

  A009000686 

 C'est cette droite intention qui amene icy ces filles pour se sacrifier à Nostre Seigneur par la resolution inviolable d'estre toutes à Dieu; elles ne se contentent pas d'observer ses commandemens, car elles ont esté touchées de cet amour du Saint Esprit qui fait qu'elles ne veulent pas seulement s'unir à Dieu par la prattique d'iceux comme le reste des Chrestiens, mais, par une pretention plus genereuse et amoureuse, elles se viennent obliger à l'observance de ses conseils et de ses volontés, pour estre tant soit peu plus unies au Ciel avec sa divine Bonté..

  A009000693 

 Dieu dit comme il fait et fait comme il dit; en quoy il nous monstre qu'il ne nous faut pas contenter de bien dire, mais qu'il faut que nous ajustions les effects à nos propositions et les œuvres à nos parolles si nous luy voulons estre aggreables; et tout ainsy que son dire est faire, il veut de mesme que nostre dire soit incontinent suivi du faire et de l'execution de nostre bon propos.

  A009000693 

 Pour le mesme sujet, les quatre-animaux n'avoyent pas seulement des aisles pour voler, mais aussi des mains au dessous d'icelles, à fin de nous donner à entendre que nous [250] ne nous devons pas contenter d'avoir des aisles pour voler au Ciel par des saints desirs et speculations, si avec cela nous n'avons des mains qui nous portent aux œuvres et à la prattique de nos desirs, estant chose asseurée que les seuls bons propos et saintes resolutions ne nous conduiront point en Paradis, s'ils ne sont accompagnés des effects conformes à iceux..

  A009000694 

 Sur ce sujet je fais trois considerations auxquelles je ne m'arresteray pas beaucoup, ains ne feray que les toucher en passant, les laissant par apres ruminer à vos esprits, comme des animaux mondes, pour en faire une bonne et heureuse digestion.

  A009000695 

 Quant à Nostre Dame, quelle necessité avoit-elle de se purifier, puisqu'elle n'estoit ni ne pouvoit estre souillée, ayant receu une grace si excellente dès l'instant de sa conception que celle des Cherubins et des Seraphins ne luy est nullement comparable? car si bien Dieu les prevint de sa grace dès leur creation pour les empescher de tomber en peché, neanmoins ils n'y furent pas confirmés dès cet instant en sorte qu'ils ne peussent plus prevariquer, ains le furent par apres en vertu du choix qu'ils firent de se servir de cette premiere grace, et par la volontaire sousmission de leur franc arbitre.

  A009000696 

 C'est la plus grande de toutes les vertus purement morales, car je n'entens pas parler de l'amour de Dieu et de la charité, celle-cy n'estant pas seulement une vertu particuliere ains une vertu generale qui se respand sur toutes les autres, et dont elles tirent leur splendeur.

  A009000697 

 L'Apostre saint Paul, pour nous faire concevoir en quelque façon l'amour que nostre Sauveur portoit à cette sainte vertu, dit qu' il s'est humilié jusques à la mort et à la mort de la croix, comme voulant dire: Mon Maistre ne s'est pas humilié seulement pour un temps ou pour quelques actions particulieres, ains jusques à la mort, c'est à sçavoir dès l'instant de sa conception et puis tout le temps de sa vie jusques à la mort; et non seulement jusques là, mais il l'a voulu mesme pratiquer en mourant.

  A009000698 

 Il ne se faut pas amuser à la prattique d'une certaine humilité de contenances et parolles, qui consiste à dire que nous ne sommes rien et à faire tant de reverences et d'humiliations exterieures que vous voudrez, et que sçay-je moy, choses semblables qui ne sont rien moins que l'humilité mesme.

  A009000698 

 Or, celle-cy pour estre bonne, doit non seulement nous faire connoistre, mais reconnoistre pour des vrays neants qui ne meritons pas de vivre; elle nous rend souples, maniables et sousmis à un chacun, observant par ce moyen ce precepte du Sauveur qui nous ordonne de renoncer à nous mesmes si nous le voulons suivre..

  A009000698 

 Par ce divin exemple nous sommes enseignés qu'il ne nous faut pas contenter de pratiquer l'humilité en quelques actions particulieres ou pour un temps seulement, ains tousjours et en toutes occasions; non pas seulement jusques à la mort, mais jusques à la mortification de nous mesmes, humiliant ainsy l'amour de nostre propre estime et l'estime de nostre propre amour.

  A009000699 

 Certes, s'estimans desja assez sages, ils se trouvent estre bien sots, car ne voyent-ils pas que Nostre Seigneur s'est humilié jusques à la mort, c'est à dire tout le temps de sa vie? O que ce divin Maistre de nos ames sçavoit bien que son exemple nous estoit necessaire, car il n'avoit nul besoin de s'abaisser, et neanmoins il a voulu perseverer à ce faire parce que la necessité estoit en nous.

  A009000699 

 Nostre Seigneur n'a pas dit: Celuy qui commencera, ains celuy qui perseverera en humilité sera sauvé..

  A009000700 

 Il avoit bien rayson de se mirer et considerer son excellente nature, mais non pas pour s'y complaire et en tirer de la vanité.

  A009000701 

 Le roy Saul que ne fit-il pas au commencement de son regne? L'Escriture dit qu'il estoit en l'innocence d' un enfant d'un an; et cependant il se pervertit de telle sorte par son orgueil qu'il merita d'estre reprouvé de Dieu.

  A009000701 

 Quelle humilité Judas ne tesmoigna-t-il pas vivant en la compagnie de Nostre Seigneur? et cependant, voyez quel orgueil il avoit en mourant; ne se voulant point humilier et faire les actes de penitence qui presupposent une tres grande et bonne humilité, il desespere d'obtenir le pardon.

  A009000702 

 Ce n'est pas grand chose ni un abaissement de grande importance que celuy que font les petits en comparaison de celuy des geants.

  A009000702 

 De mesme ce n'est pas grand chose de nous voir [255] abaisser et humilier nous autres qui ne sommes que des neants et qui ne meritons que l'abjection et l'aneantissement; mais nostre cher Sauveur et la sacrée Vierge qui sont comme des geants d'une grandeur et hauteur incomparable, leurs humiliations sont d'un prix inestimable.

  A009000702 

 Les chats, les rats et autres telles bestes qui ont presque le ventre rampant sur la terre n'ont pas grande difficulté de se relever quand ils sont une fois cheus ou affaissés; mais les elephans, quand ils sont une fois baissés ou tombés, ils ont une tres grande peine et difficulté à se relever et se remettre sur pied.

  A009000703 

 Prenez, je vous prie, une fille d'Eve: comme quoy n'est-elle pas ambitieuse de l'honneur et de se faire estimer? Certes, si bien ce mal est general entre les hommes, cependant il semble que ce sexe y soit plus enclin que tout autre.

  A009000704 

 Il regardoit donques tousjours et en toutes choses la volonté de son Pere celeste pour la suivre, et non pas pour un temps, ains tousjours et jusques à la mort..

  A009000704 

 Nostre Seigneur mourut sur la croix par obeissance; et Nostre Dame, quels actes signalés n'en fit-elle pas à l'heure mesme de la mort de son Fils qui estoit le cœur de ses entrailles? car elle ne resista nullement à la volonté du Pere celeste, ains demeura ferme et constante au pied de la croix et pleinement sousmise au divin bon playsir.

  A009000705 

 Apres, elle persevera tousjours en obeissance, ainsy que nous voyons aujourd'huy, puisqu'elle vient au Temple pour obeir à la loy de la purification, bien qu'elle n'eust nulle necessité de l'observer ni son Fils non plus, comme nous l'avons desja touché au premier point; ains c'estoit une [257] obeissance purement volontaire, et pour estre volontaire et non necessaire elle n'en estoit pas moindre.

  A009000706 

 Ce que je dis pour certaines personnes lesquelles, estans resolues de ne point commettre quelques pechés, ne se soucient pas d'eviter les tesmoignages qu'elles rendent qu'elles les commettroyent volontiers si elles osoyent..

  A009000706 

 Elle nous apprend aussi à ne nous pas tenir pour satisfaits du tesmoignage de nostre bonne conscience, mais à prendre soin de lever tout ombrage aux autres de se mal edifier de nous ou de nos deportemens.

  A009000706 

 Elle vient donques aujourd'huy au Temple pour lever tout ombrage aux hommes qui l'auroyent peu considerer, et pour nous monstrer encores que nous ne nous devons pas contenter d'eviter les pechés ains l'ombre des pechés, ne nous arrestans pas non plus à la resolution que nous avons faite de ne point commettre tel ou tel peché, mais fuir mesme les occasions qui nous pourroyent servir de tentation d'y tomber.

  A009000706 

 Nostre Dame et sacrée Maistresse ne craignoit pas de desobeir, parce qu'elle n'estoit nullement obligée à la Loy qui n'estoit point faite pour elle ni pour son Fils, ains elle craignoit l'ombre de la desobeissance; car si elle ne fust pas venue au Temple pour offrir Nostre Seigneur et pour se purifier, quoy qu'elle n'en eust point besoin, estant toute pure, l'on eust peu trouver des gens qui eussent voulu faire l'enqueste de sa vie à fin de sçavoir pourquoy elle ne faisoit pas comme le reste des femmes.

  A009000707 

 O combien cet exemple que Nostre Seigneur et Nostre Dame nous donnent de la tres sainte obeissance nous [258] devroit inciter à nous sousmettre absolument et sans aucune reserve à l'observance de tout ce qui nous est commandé, et ne nous pas contenter de cela, mais observer encores les choses qui nous sont conseillées pour nous rendre plus aggreables à la divine Bonté! Mon Dieu, est-ce si grand chose de nous voir obeir, nous autres qui ne sommes nés que pour servir, puisque le Roy supreme à qui toutes choses doivent estre sujettes s'est bien voulu assujettir à l'obeissance? Recueillons donques cet exemple sacré que nous donnent le Sauveur et la glorieuse Vierge, et apprenons à nous sousmettre, à nous rendre souples, maniables et faciles à tourner à toutes mains par la tres sainte obeissance, et non pas pour un temps ni pour certains actes particuliers, ains pour tousjours, tout le temps de nostre vie jusques à la mort..

  A009000708 

 Il est fort bon de faire des considerations, mais non pas de s'attacher tellement à une methode ou à une autre qu'on pense que tout depende de nostre industrie..

  A009000708 

 Je ne dis pas qu'il ne faille se servir des methodes qui sont marquées; mais l'on ne s'y doit pas attacher et les affecter tellement que nous mettions toute nostre confiance en icelles, comme ceux qui pensent que pourveu qu'ils fassent tousjours leurs [259] considerations devant les affections, tout va bien.

  A009000709 

 Ce seroit une horrible meschanceté de vouloir exclure Nostre Seigneur Jesus Christ de nostre oraison et de la penser bien faire sans son assistance, puisque c'est une chose indubitable que nous ne pouvons estre aggreables au Pere eternel sinon entant qu'il nous regarde à travers son Fils nostre Sauveur; et non seulement les hommes, mais encor les Anges, car si bien il n'en est pas le Redempteur, il est neanmoins leur Sauveur et ils ont esté confirmés en grace par luy.

  A009000710 

 J'ay dit que l'oraison est «une eslevation en Dieu.» Il est vray, car si bien en allant à Dieu nous rencontrons les Anges ou les Saints en nostre chemin, nous n'eslevons pas nostre esprit à eux ni ne leur addressons pas nos [260] oraisons, comme l'ont voulu dire meschamment les heretiques; ains seulement nous les prions de joindre leurs oraisons aux nostres et en faire une sainte confusion, à fin que par ce sacré meslange les nostres soyent mieux receues de la divine Bonté, qui les a tousjours aggreables si nous menons quant et nous son cher Benjamin, ainsy que firent les enfans de Jacob quand ils allerent voir leur frere Joseph en Egypte.

  A009000711 

 Il est plus probable que ce fut saint Joseph que non pas la sacrée Vierge, pour deux raysons, dont l'une est que les peres venoyent offrir leurs enfans, comme y ayans plus de part que la mere mesme; l'autre, que les femmes n'estans pas encores purifiées n'osoyent pas approcher de l'autel où se faisoyent les offrandes.

  A009000711 

 Mais quoy qu'il en soit, il n'importe pas beaucoup; il suffit que saint Simeon receut ce tres beni Poupon entre ses bras, ou des mains de Nostre Dame ou bien de saint Joseph.

  A009000713 

 C'est bien dit; vous ne voulez donques pas ajuster vostre volonté à celle de Dieu qui veut que vous y ayez des secheresses et des sterilités? cela n'est pas estre juste.

  A009000713 

 Helas, ne voyez-vous pas que tout cela n'est pas rendre vostre volonté capable d'estre unie et ajustée à celle de Nostre Seigneur, qui veut qu'entrant à l'oraison vous soyez resolue d'y souffrir la peine des continuelles distractions, secheresses et degousts qui vous y surviendront, demeurant aussi contente que si vous y aviez beaucoup de consolations et de tranquillité, puisque c'est une chose certaine que vostre oraison ne sera pas moins aggreable à Dieu, ni à vous moins utile, pour estre faite avec plus de difficultés.

  A009000715 

 Car, en quel respect et en quelle reverence ne devons nous pas estre en parlant à la divine Majesté, puisque les Anges qui sont si purs tremblent en sa presence? Mais, mon Dieu, je ne puis point avoir ce sentiment de la presence de Dieu qui cause une si grande humiliation de toute l'ame, c'est à dire de toutes les facultés de nostre ame, en fin cette reverence sensible qui me feroit aneantir si doucement et aggreablement devant Dieu.

  A009000715 

 Or, ce n'est pas de celle cy que j'entens parler, ains de celle qui fait que la partie supreme et la pointe de nostre esprit se tient basse et en humilité devant Dieu, en reconnoissance de son infinie grandeur et de nostre profonde petitesse et indignité.

  A009000723 

 Non pas que je vous veuille parler d'un Dieu inconneu, car grace à sa bonté nous le connoissons; mais certes, je pourrois bien parler d'un Dieu mesconneu.

  A009000723 

 Nous ne vous ferons donc pas connoistre, mais nous vous ferons reconnoistre ce Dieu tant aymable qui est mort pour nous..

  A009000723 

 Or, ayant consideré le tiltre placé sur icelle, j'ay pensé qu'à l'imitation du predicateur de la Croix, je ne devois pas rechercher autre sujet pour fondement de ce que je vous devois dire.

  A009000724 

 Les Chrestiens seront inexcusables de ne l'avoir pas aymé et servi de tout leur cœur, puisqu'ils ont esté si bien enseignés combien il est aymable et comme cherement il les a aymés en donnant sa vie pour eux..

  A009000724 

 Oh que c'est une chose utile que cette reconnoissance! Car veritablement, au dire de plusieurs, Abraham, Isaac et Jacob eussent eu quelque excuse s'ils n'eussent pas reconneu la divine Majesté, d'autant qu'ils ne l'avoyent pas conneue si clairement que nous, qui sommes hors d'excuse, ayans appris de Dieu mesme ce qu'il est, par la divine bouche de Nostre Seigneur qui est, comme nous avons dit, un mesme Dieu avec son Pere.

  A009000725 

 Or je n'entens pas vous parler, mes cheres Sœurs, avec combien d'ignominies, de douleurs, d'amertumes, d'angoisses, de vituperes, d'affronts, de mespris nostre divin Maistre souffrit la mort, ni moins vous faire un narré de la cruauté envenimée avec laquelle les Juifs l'attacherent à la croix; car vous sçavez que je vous ay tousjours fait entendre que c'est la moindre consideration en la Passion de nostre Sauveur que celle cy, et celle sur laquelle vous vous devez moins arrester, puisque l'affection de compassion sur ses souffrances est la moins utile.

  A009000725 

 Si nous avons des larmes, pleurons tout simplement, car nous ne les sçaurions jetter pour un plus digne sujet; mais ne nous arrestons pas là, passons à des considerations plus utiles selon que le requiert le patir de nostre Sauveur..

  A009000726 

 C'est chose remarquable combien les Juifs dirent de belles paroles en la mort de nostre Sauveur, quoy qu'ils ne les entendissent pas et les dissent malicieusement et à mauvaise intention.

  A009000728 

 Mais il faut confesser que les hommes ont un sujet d'une consolation inexplicable en cette Mort et Passion de Nostre Seigneur; car si bien il est le Sauveur des Anges il n'est pas pourtant leur Redempteur, mais ouy bien des hommes.

  A009000729 

 Ce n'est pas de la vie corporelle que nous entendons parler, car nul n'en peut douter, ains de la vie spirituelle.

  A009000729 

 Mais pour nous acquerir cette vie, Nostre [269] Seigneur nous l'a achetée au prix de son sang et a livré la sienne: donques nostre vie n'est pas nostre, ains sienne, nous ne sommes plus à nous, ains à luy.

  A009000735 

 Mais pourtant plusieurs ne rendirent pas sur l'heure mesme leur vie par leur conversion, ains porterent le coup de ces divines sagettes des remords interieurs jusques à la Pentecoste, jour auquel, en la premiere predication de saint Pierre, se convertirent bien trois mille personnes, entre lesquelles estoyent indubitablement plusieurs de ceux qui se trouverent à la mort de nostre Sauveur; conversion [272] qui appartenoit au merite de cette tant admirable priere qu'il fit à son Pere celeste en l'acte mesme des injures et meschancetés que ses ennemis luy faisoyent souffrir..

  A009000737 

 je ne demande pas que vous me pardonniez à moy, car je suis monté sur le comptoir de la croix à fin de satisfaire à toutes leurs dettes; et pour que vous ne leur demandiez rien et que vostre bonté leur pardonne je respandray jusques à la derniere goutte de mon sang, bien qu'une seule fust suffisante.

  A009000739 

 La tres sainte Vierge l'a esté d'une façon toute particuliere au dessus de tous autres, car elle ne fut pas [274] seulement preservée de peché tant originel qu'actuel, mais elle fut aussi preservée de l'ombre d'iceluy, ne commettant pas mesme des imperfections pour petites qu'elles peussent estre..

  A009000741 

 Aussi cette odeur pretieuse parvint jusques au bon larron, lequel fut rempli d'une si grande suavité qu'il se convertit à l'instant et merita d'ouïr cette tant gracieuse parolle: Aujourd'huy tu seras avec moy en Paradis, Paradis dont nostre Sauveur n'avoit pas voulu parler jusques à maintenant qu'il estoit si proche d'y entrer et se trouvoit desja à la porte.

  A009000741 

 N'est-ce pas une vraye marque que Nostre Seigneur estoit vrayement nostre Sauveur, puisqu'il promet si absolument la gloire qu'il ne differe point de la donner, ains dit aujourd'huy? O parolle de grande consolation pour les pecheurs penitens, car ce que sa Bonté a fait pour le bon larron elle le fera pour tous les autres enfans de la Croix qui sont les Chrestiens.

  A009000742 

 Regardant donques de ses yeux pleins de compassion sa tres benite Mere, qui estoit debout au pied de la croix avec son bien aymé disciple, il ne luy voulut pas donner la grace ou la demander pour elle, car elle la possedoit desja fort excellemment, ni moins luy promettre la gloire, car elle en estoit toute asseurée; mais il luy donna une certaine union de cœur et amour tendre pour le prochain, cet amour des uns pour les autres qui est un don des plus grans que sa bonté fasse aux hommes..

  A009000743 

 Nostre divin Maistre nous enseignoit par là que si nous voulons avoir part en son testament et aux merites de sa Mort et Passion, il faut que nous nous aymions tous les uns les autres de cet amour tendre et grandement cordial du fils envers la mere et de la mere envers le fils, qui est en quelque façon plus grand que non pas celuy des peres..

  A009000746 

 Il nous faut passer outre, car je n'ay pas le temps de m'arrester beaucoup sur ce sujet, bien que je prendrais playsir de finir sur cette sainte delicatesse spirituelle, c'est à dire cet amour cordial et tendre que nostre cher Maistre desire tant que nous ayons les uns pour les autres.

  A009000747 

 Mais dites-moy, Nostre Seigneur n'estoit-il pas sur icelle une fleur plustost fletrie, fanée et passée que non pas fleurie? Regardez-le, de grace, comme il ose se nommer fleuri, puisqu'il est si transi, tout couvert et sali de crachats infects et puants, les yeux haves et ternis, sa face meurtrie de coups, pasle et decolorée à force de douleurs et d'avoir respandu son sang tres beni.

  A009000747 

 Mais il ne se monstra pas seulement digne du nom de Jesus, ains encores de celuy de Nazareen; et cecy est le deuxiesme point de nostre discours et la deuxiesme parolle de ce tiltre sacré que j'ay regardé et consideré sur l'autel de la Croix, dedié non au Dieu inconneu mais au Dieu mesconneu.

  A009000747 

 Or, pour nous monstrer qu'il n'estoit pas seulement une fleur, ains qu'il estoit un bouquet composé de l'assemblage des plus belles et plus odoriferantes fleurs que l'on sceust rencontrer, il a voulu garder le nom de fleurissant sur l'arbre de la croix.

  A009000749 

 Quant à la premiere, Nostre Seigneur ne prattiqua-t-il pas au temps de sa Passion l'humilité la plus profonde, la plus veritable et sincere qui se puisse imaginer, ains [278] la plus inimaginable, dans tous les tourmens et abjections qu'il endura? Ne prattiqua-t-il pas cette vertu tout le temps de sa vie? Elle fut certes tres grande en ce que se pouvant faire appeller Hierosolymitain ou bien de Bethleem, ville où il estoit né et qui appartenoit à son grand pere David, il ne le voulut neanmoins pas, pour monstrer qu'il choisissoit tout au contraire des grans de ce monde, lesquels prennent les noms les plus honnorables qu'ils peuvent.

  A009000750 

 Cette fleur estoit fletrie par les douleurs mortelles dont il estoit desja environné, de sorte qu'il sembloit expiré, car durant tout ce temps là il ne dit pas un seul mot, ains observa un tres profond silence par l'espace de trois heures; d'où vient que l'on a tousjours ordonné quelques heures de silence en tous les monasteres bien reformés, pour imiter celuy de Nostre Seigneur en la croix..

  A009000751 

 Il ne faut neanmoins pas entendre que le Pere celeste l'eust abandonné d'un abandon tel qu'il eust retiré sa protection paternelle pour un Fils tant aymable, car cela ne se peut, puisqu'il estoit joint et uni à la Divinité.

  A009000753 

 Or, cette parolle que nous disions nagueres ne fut nullement prononcée pour se plaindre, ains seulement pour nous enseigner comme au fort de nos peines interieures, delaissemens et abandonnemens spirituels nous nous devons addresser à Dieu et ne nous plaindre qu'à luy mesme qui seul doit voir nostre affliction, ne souffrant pas que les hommes s'en apperçoivent sinon le moins qu'il se peut..

  A009000754 

 Bref, il n'est pas en nostre pouvoir de descrire ni mesme imaginer quelles furent les souffrances de nostre Maistre en sa Passion..

  A009000755 

 Chose estrange! il n'ignoroit pas que c'estoit un breuvage qui augmenteroit ses peines, neanmoins il le prit tout simplement, sans rendre nul tesmoignage que cela luy faschoit ou qu'il ne l'eust pas trouvé bon, pour nous apprendre avec quelle sousmission nous devons prendre ce qui nous est ordonné quand nous sommes malades, voire quand nous serions en doute que cela pourroit accroistre nostre mal; et de mesme devons-nous faire des viandes qui nous sont presentées, sans rendre tant de tesmoignages que nous en sommes degoustés et ennuyés..

  A009000755 

 Il dit bien voirement qu'il avoit soif, mais quoy qu'il fust tres vray, helas, il ne demanda pourtant pas à boire, car c'estoit du salut des ames qu'il estoit alteré.

  A009000756 

 Helas! si nous avons tant soit peu de mal nous faisons tout au contraire de ce que nostre tres doux Maistre nous a enseigné, car nous ne cessons de nous lamenter et de nous plaindre; nous ne trouvons pas assez de gens, ce semble, pour leur raconter toutes nos douleurs par le menu.

  A009000757 

 Je passe outre et remarque la troisiesme vertu que Nostre Seigneur nous presente sur la croix, comme une fleur tres aggreable: c'est la tres sainte perseverance, vertu sans laquelle nous ne sçaurions estre dignes du fruit de sa Mort et Passion; car ce n'est pas tout de bien commencer si l'on ne persevere jusques à la fin, puisque c'est chose asseurée que l'estat auquel nous nous trouverons à la fin de nos jours, lors que Dieu coupera le fil de nostre vie, sera celuy où nous demeurerons pour toute eternité.

  A009000760 

 Considerons donques si tres justement il ne doit pas estre appelle nostre Roy, ayant eu un tel soin de garantir son pauvre peuple de tous malheurs et l'ayant defendu contre ses ennemis..

  A009000773 

 Or cela n'est pas; au contraire, en l'affliction et en la tribulation Dieu se tient plus pres de nous, d'autant que nous avons plus besoin de sa protection et de son secours..

  A009000774 

 Vous me dites, poursuit-il, que je prenne les armes et que je demeureray victorieux; hé, ne sçavez-vous pas que je suis le moindre de tous les hommes? C'est tout un, respond l'Ange, Dieu veut que ce soit toy qui delivres les Israelites de l'affliction en laquelle ils sont.

  A009000776 

 En l'ancienne Loy il n'estoit pas si expressement dit que l'on celebrast la Pasque en mangeant un aigneau, que l'on ne peust prendre un chevreau au lieu d'un aigneau, si qu'on se servoit de l'un ou de l'autre.

  A009000780 

 Comme s'il eust voulu dire: Annoncez d'abord en entrant ès maisons que vous n'y allez pas pour y mettre la guerre, mais pour y apporter la paix de ma part, et que quiconque vous recevra demeurera en paix; au contraire, quiconque vous rejettera aura indubitablement la guerre.

  A009000781 

 Et par apres il ne presche que la paix: Je vous donne ma paix, dit le Sauveur parlant à ses Apostres, je vous baille ma paix, mais je ne la vous donne pas comme le monde la donne, ains comme mon Pere me la donne.

  A009000781 

 Mais moy je ne vous promets pas la paix tant seulement, ains je vous la donne; et non pas une paix telle quelle, ains telle que je l'ay receue de mon Pere, par laquelle vous surmonterez tous vos ennemis et en demeurerez victorieux.

  A009000783 

 Hé, ne le voyez-vous pas, puisque Nostre Seigneur asseure ses Apostres qu'ils vivront en paix, ayant par [292] le moyen de ses playes et de ses tourmens terrassé leurs ennemis et abattu toutes leurs forces?.

  A009000783 

 La guerre n'est entre les Chrestiens sinon entant qu'ils ne sont pas en la grace de Dieu; car, s'ils y demeurent, le diable, le monde et la chair n'ont nul pouvoir sur eux.

  A009000788 

 Et si bien il apparut aux deux disciples allant en Emmaus, lesquels estoyent sortis de la ville de Hierusalem qui represente la paix, [294] estant appellée vision de paix, nous ne devons pourtant pas croire que ce qu'il a fait pour ces deux il le veuille faire pour tous.

  A009000788 

 Saint Thomas ne receut pas cette faveur qu'il ne fust retourné en l'assemblée des autres Apostres.

  A009000788 

 Si nous ne vivons en paix et en union les uns avec les autres nous ne devons pas attendre de recevoir la grace de voir Nostre Seigneur ressuscité..

  A009000790 

 Or, si ces soldats estoyent fideles, l'esprit n'auroit aucune crainte, ains il se moqueroit de ses ennemis, comme font ceux qui, ayans des munitions suffisantes, se trouvent au donjon d'une forteresse imprenable; et ce, bien que les ennemis soyent aux fauxbourgs, voire que la ville fust prinse, ainsy qu'il arriva en la citadelle de Nice, devant laquelle les forces de trois grans princes n'estoyent pas capables d'estonner ceux qui estoyent au donjon.

  A009000792 

 La chair dicte miserablement à l'entendement que les pauvres ne sont pas estimés; il escoute ces opinions, le voyla perdu.

  A009000792 

 Nous disons voirement tous [296] que nous avons la foy, mais nous ne la monstrons pas par les œuvres.

  A009000793 

 O que le pauvre Adam eust esté heureux de demeurer seul et sans estre marié, car il n'eust pas encouru l'indignation de Dieu en prevariquant son commandement!.

  A009000794 

 Certes, on ne sçait plus de [297] quel biais prendre ces personnes qui se servent de cette fausse prudence, parce que, faute de simplifier leur entendement, elles ne veulent pas entendre les raysons qu'on leur donne et en apportent cent contraires pour soustenir leurs opinions, quoy que bien souvent mauvaises; dès qu'elles s'y sont une fois attachées, l'on ne sçait plus que faire avec elles..

  A009000795 

 Ce tres bon Maistre voyant les Apostres entortillés en diverses considerations et doutes de l'accomplissement de ses parolles, n'ayans pas la patience d'attendre que le soir du jour auquel il avoit dit qu'il ressusciteroit fust venu (estans seulement au matin ils commençoyent à douter), Pax vobis, leur dit-il; vostre entendement soit pacifié par le rejet de tant de reflexions.

  A009000795 

 Voyez mes playes, et ne soyez pas mescroyans, mais fidelles..

  A009000796 

 Grand cas de l'esprit humain! Nostre Seigneur a dit: Tout ce que vous demanderez en mon nom vous sera donné; neanmoins, parce que nous ne le recevons pas si promptement que nous voudrions, incontinent nous sommes chancelans en la foy de cette promesse.

  A009000796 

 Les Apostres ne voyoient pas si promptement Nostre Seigneur ressuscité, et les voyla bien tost en perplexité.

  A009000796 

 Oh! patience, le jour n'est pas passé; ce n'est que le matin, et vous doutez.

  A009000797 

 La pluspart des troubles que nous avons en nostre ame viennent dequoy l'imagination de la chair presente des souvenirs à l'imagination de l'esprit, lesquels estans receus par nostre memoire, nous nous laissons aller à de vaines craintes de n'avoir pas assez de cecy et de cela, au lieu de nous occuper à nous resouvenir des promesses que Nostre Seigneur nous a faites, et ainsy demeurer fermes en cette confiance que tout perira plustost que ces promesses viennent à manquer, et partant les inquietudes arrivent.

  A009000800 

 Et quel est-il cet un? C'est Dieu qu'il faut vouloir, mes cheres Sœurs, et rien autre; car qui ne se contente pas de Dieu merite de n'avoir rien.

  A009000800 

 Mais ne voyez-vous point l'air qui est entre elle et vous? Non, me direz-vous, parce que je ne regarde que cette muraille; et bien que ma veiie passe et traverse parmi l'air qui est d'icy là, neanmoins je ne le vois pas, d'autant que je n'y arreste pas ma veüe.

  A009000800 

 Mais, me repliquerez-vous, ne faut-il pas vouloir aymer le prochain? Puisque vous dites qu'il ne faut aymer que Dieu et ne vouloir que luy seul, pourquoy donques tant de livres spirituels, tant de predications et tous les autres exercices de devotion? Un exemple vous fera entendre cecy: vous regardez cette muraille qui est blanche, et je vous demande ce que vous voyez.

  A009000801 

 Ainsy puissions-nous faire, mes cheres ames, car nous possederons comme luy la vraye paix; nos puissances et nos facultés estans toutes ramassées en nous mesme, nostre doux Sauveur, pour l'amour duquel nous les aurons accoisées, ne manquera pas, sans doute, d'estre en nous et de nous apporter cette paix qu'il donne aujourd'huy à ses Apotres bien aymés..

  A009000802 

 O pauvres gens, dequoy vous troublez-vous? n'avez-vous pas avec vous le Sauveur qui est la vraye paix? Alors Jesus leur dit: Que craignez-vous, gens de petite foy? n'ayez point peur.

  A009000804 

 Les enfans de la paix font une continuelle guerre à la chair qui leur cause des attaques tres violentes, laquelle n'a pourtant pas le pouvoir de troubler leur repos, non plus que le diable et le monde, ainsy que nous avons desja dit..

  A009000804 

 Mais beaucoup plus vraye et plus grande est celle que possedent [302] ceux qui ne vivent pas seulement selon les commandemens, ains en l'observance des conseils et selon la regle de la vertu, car la vraye paix se trouve en la parfaite mortification.

  A009000805 

 Mais il faut qu'un chacun de nous sçache qu'on ne doit pas demeurer en une paix accompagnée de faineantise, car il faut tousjours combattre.

  A009000806 

 (C'est un livre qui n'a pas encor esté traduit en françois.) Je finiray par cet exemple.

  A009000806 

 Le bon Pere loua son dessein et luy respondit: Mon fils, quant [303] à vous enseigner la voye de vous perfectionner je le feray de bon cœur, mais que vous soyez parfait si tost que vous voudriez, je ne le puis pas promettre; car en cette mayson nous n'avons pas de perfection toute faite, ains il faut que chacun fasse la sienne..

  A009000807 

 Ce pauvret pensoit que la perfection luy seroit donnée comme l'on donne l'habit de Religion, mais il fut bien trompé, car le bon Pere poursuivant son discours luy dit: Mon fils, la perfectionne s'acquiert pas tout d'un coup comme vous pensez; l'on n'y sçauroit parvenir si promptement.

  A009000807 

 Mais au bout de ces trois ans, seray-je pas parfait? De cela, respondit le Pere, je ne le puis sçavoir; nous verrons ce qui en sera..

  A009000807 

 Ne voyez-vous pas qu'en l'eschelle de Jacob il y avoit des eschellons par lesquels il failloit monter de l'un à l'autre jusques à tant que l'on fust au haut bout auquel on rencontroit la poitrine du Pere celeste? Et avant que d'aller succer ses divines mammelles il faut monter de degré en degré, car la perfection que vous desirez ne se trouve pas toute faite.

  A009000808 

 Ce n'est pas tout, repartit le bon Pere, il faut entreprendre encores un autre exercice pour autres trois ans si vous voulez estre parfait.

  A009000808 

 O Dieu, dit le pauvre garçon, quoy, n'est-il pas encores fait? faut-il encores recommencer? est-il requis de faire si souvent des noviciats? trois ans ne suffiront-ils pas? Helas, je pensois estre parfait en le voulant, et cependant il y a encores tant à faire! Apres qu'il eut bien fait ses plaintes, le bon maistre ne s'en estonnant pas beaucoup, commença à l'encourager disant que puisqu'il avoit desja tant fait il failloit poursuivre, que la perfection estoit un si grand bien qu'il ne failloit pas regretter la peine ni le temps que l'on employe à l'acquerir..

  A009000808 

 Vous avez bien et fidellement fait ce que je vous ay commandé ces trois années, il est vray, mais il ne faut pas s'arrester là.

  A009000809 

 Ce qu'il promit d'accomplir, et le fit fort fidellement, bien qu'il ne manquast pas d'exercice; car le bon Pere donna le mot du guet aux Religieux pour l'esprouver comme il failloit, si qu'à tous propos il estoit en peine de faire des presens, d'autant que les mespris, mortifications et humiliations ne luy manquoyent point..

  A009000810 

 Le Pere donques le fit tout barbouiller et le mena dans une ville qui estoit proche de là, à la porte de laquelle il y avoit des soldats qui n'avoyent pas autre chose à faire qu'à [305] regarder les passans et prendre d'eux sujet de rire, de maniere que si tost qu'ils virent ce pauvre jeune homme ils commencerent à se mettre apres luy: qui le brocardoit de parolles, qui venoit jusques aux coups, d'autres l'injurioyent; bref, ils s'en jouoyent tout ainsy que s'il eust esté fol.

  A009000811 

 L'un des soldats retournant en fin son esprit sur la contenance de ce pauvre novice, plein d'estonnement, se print à l'interroger, luy demandant comment il pouvoit rire (il ne rioit pas d'un grand ris, ains se sousrioit seulement), ne comprenant pas qu'un homme peust demeurer aussi insensible aux injures comme il le sembloit estre.

  A009000811 

 Lors le bon novice respondit: Certes, il me semble que j'ay bien rayson de rire et d'estre content, car je possede la paix en mon ame parmi toutes les attaques et risées que vous me faites; mais de plus, j'ay un grand sujet de contentement, car en verité vous m'estes bien plus doux et gracieux que n'a pas esté mon maistre que vous voyez là, lequel m'a icy amené; car il m'a tenu trois ans en telle sujetion, qu'il failloit que je fisse quelque present à tous ceux qui me maltraittoyent pour recompense de l'offence qu'ils m'avoyent faitte.

  A009000819 

 Jadis, en l'ancienne Loy, l'on n'avoit pas accoustumé de faire feste à la naissance des enfans, comme on fait en beaucoup de lieux, ains seulement quand on les sevroit, ainsy que nous apprenons en l'histoire d'Abraham, lequel ne fit pas de festin à la naissance d'Isaac son cher fils, ains au jour qu'on le retira de la mammelle et qu'on le sevra.

  A009000819 

 Les Chrestiens ne doivent pas solemniser le jour de leur naissance, ains celuy de leur renaissance, qui est celuy de leur Baptesme; c'est pour cette cause que le grand saint Louys roy de France ne vouloit pas estre appellé Louys de France, mais Louys de Poissy, parce que c'estoit le lieu où il avoit esté baptizé et celuy de sa naissance spirituelle..

  A009000821 

 Ce n'est donques pas sans juste rayson que l'on a accoustumé de faire des grandes solemnités en la reception ou Profession des Religieux et Religieuses, puisque ce n'est pas seulement le jour où ils sont sevrés et retirés de la mammelle, de la jouissance des consolations terrestres et perissables, à fin d'estre sustentés de viandes plus solides et qui les nourrissent à l'immortalité, le bon Pere celeste les fortifiant petit à petit par l'exercice des vertus appartenantes aux plus forts, telles qu'elles se trouvent en Religion.

  A009000821 

 Ce n'est pas non plus seulement pour ce que c'est le jour de leur naissance spirituelle auquel ils reçoivent la grace divine et renouvellent les promesses qu'ils ont faittes, ou que l'on a fait pour eux en leur Baptesme, de vivre selon les commandemens de Dieu; mais ils solemnisent beaucoup plus parfaittement et se resjouissent davantage en cette journée, d'autant que c'est celle de leur renaissance.

  A009000821 

 En effect, ils ne se contentent pas de renouveller les vœux, à sçavoir les promesses d'observer les commandemens de Dieu, ains se resolvent d'entreprendre la prattique des conseils de Nostre Seigneur et de vivre selon la perfection du saint Evangile.

  A009000823 

 Nonobstant tout cela, nous ne laisserons pas de nous venir ranger sous l'estendart de vostre sainte protection, estans tres asseurées que puisque vostre Bonté nous a appellées à cette maniere de vie plus parfaite que la commune des mondains, voire de ceux qui font profession de vivre tres chrestiennement dans le monde, vostre mesme Bonté nous fortifiera et nous baillera la grace de bien faire ce que nous entreprenons aujourd'huy pour la gloire de vostre saint nom et pour le salut de nos ames; car nous croyons fermement que, selon la parolle de vostre saint Apostre, si nous mourons avec vous en cette vie, nous ressusciterons avec vous en la gloire..

  A009000824 

 Oh! qu'à bon droit et joyeusement pourrez-vous chanter desormais, mes cheres Filles: Non fecit taliter; le Seigneur n'a pas usé d'une telle misericorde à l'endroit d'un chacun, l'appellant à la suite de ses parfums et au renoncement de toutes choses pour son amour; grace bien grande à la verité, puisqu'elle est un moyen tres efficace [310] et tres excellent pour nous sauver.

  A009000825 

 Incredulité tres grande! Malheur qui ne luy arriva que pource qu'il avoit quitté la conversation tres sainte des Apostres et de Nostre Dame mesme, pour aller vagabond à la promenade, sous pretexte de quelqu'affaire qui n'estoit pas sans doute si necessaire qu'elle ne peust bien estre remise jusques apres le temps que Nostre Seigneur leur avoit marqué, auquel ils le devoyent voir ressuscité.

  A009000827 

 Grande fut la tristesse et l'ennuy que receut saint Thomas quand il ouyt que ses compagnons avoyent veu Nostre Seigneur, et il se laissa tellement preoccuper l'esprit et l'entendement de cette passion, qu'il commença à s'opiniastrer et croire que cela n'estoit pas; et plus on vouloit le retirer de son incredulité, plus aussi il s'opiniastroit à soustenir qu'il n'en croiroit rien.

  A009000827 

 O Dieu, quelle dureté de cœur! car pour tout cela il ne s'amollissoit pas, ains perseveroit en son obstination, disant tousjours qu'il ne croiroit point s'il ne touchoit et voyoit luy mesme les playes de son Maistre.

  A009000828 

 Cette vanité de faire estime de son propre jugement produit l'incredulité et la mesestime des jugemens des autres, et fait que l'on raysonne en cette sorte: Pourquoy m'assujettiray-je à croire que ce que l'on me dit est vray? Ne l'aurois-je pas aussi bien compris ou sceu comme les autres? O que les ames qui faisans estime d'elles mesmes se laissent ainsy gouverner par leur propre jugement sont en grand danger! Nous le voyons en l'exemple du pauvre saint Thomas qui faillit se perdre..

  A009000828 

 La seconde source de l'incredulité de saint Thomas fut l'orgueil et la vanité; car s'estimant aussi capable de cette grace que tous les autres, il pensoit: Et pourquoy seroit-il apparu à tous sinon à moy? S'il estoit vray qu'il fust ressuscité, je l'aurois veu aussi bien que les autres; ne suis-je pas autant qu'eux? Vanité tres grande qui le porta à commettre un tel peché.

  A009000829 

 Or, de ces deux sources de son peché proceda le desespoir; car, poussé du chagrin et de l'orgueil, il perdit l'esperance que Nostre Seigneur accompliroit la promesse qu'il leur avoit faitte de ressusciter apres trois jours, d'autant qu'il ne l'avoit pas veu.

  A009000829 

 Son chagrin faisoit qu'il ne vouloit pas croire ce qu'on luy asseuroit; l'orgueil luy faisoit dire que si son Maistre ne se monstroit à luy comme il vouloit, avec les conditions qu'il luy marquoit, il ne croiroit pas, et le desespoir survenant le rendit opiniastre en son obstination..

  A009000831 

 Voyez, je vous supplie, comme amiablement il contrecarre de point en point son incredulité; car premierement il l'appelle par son nom et luy dit: Thomas, mets ton doigt dans les ouvertures de mes mains, et fourre si tu veux toute ta main dans la playe de mon costè, et prens si tu veux mon cœur (car, bien qu'il ne die pas: Prens mon cœur, il semble qu'il le vouloit signifier, luy donnant liberté de le toucher); considere que l'esprit n'a ni chair ni os, et reconnois que je suis moy mesme.

  A009000847 

 Certes, ce fut un tres grand don que le Pere celeste fit au monde lors qu'il luy donna son propre Fils, comme il a dit luy mesme, et apres luy son grand Apostre saint Paul: Si le Pere eternel a bien tant aymé le monde que de luy avoir donné son propre Fils, pourquoy ne luy donnera-t-il pas tout autre don avec celuy là?.

  A009000848 

 Il les renvoya tous-jours chargés de blé et de viandes; mais lors qu'on luy amena le petit Benjamin, il les renvoya non pas comme auparavant, chargés de grains et de vivres donnés par mesure, ains accompagnés de riches dons, avec des chariots remplis de tout ce qu'ils pouvoyent desirer.

  A009000849 

 Ne sçavez-vous pas qu'il est dit que le Sauveur receut des graces infinies et que les dons du Saint Esprit reposerent sur son chef? Et pourquoy cela, puisque estant la grace mesme il n'en avoit ni pouvoit avoir nulle sorte de necessité? Ce ne fut donques sinon pour nous faire entendre que toutes les graces et benedictions celestes nous devoyent estre distribuées par luy, les laissant couler sur nous qui sommes membres de l'Eglise de laquelle il est le Chef.

  A009000850 

 Les Apostres l'avoyent desja receu lors que Nostre Seigneur soufflant sur eux leur dit: Recevez le Saint Esprit, les constituant prelats de son Eglise et leur donnant le pouvoir de lier et deslier les ames; mais ce ne fut pas avec la gloire et magnificence qu'ils le receurent aujourd'huy, et ne leur laissa pas de tels effects.

  A009000851 

 Les presens sont estimés grans selon l'amour avec lequel ils sont faits; or, celuy ci n'est pas seulement fait avec un grand amour, ains c'est l'amour mesme qui est donné, car chacun doit sçavoir que le Saint Esprit est l'amour du Pere et du Fils.

  A009000851 

 Mais ce que nous disons que le Saint Esprit nous a esté donné par le Pere et par le Fils, ne se doit pas entendre qu'il soit separé ni de l'un ni de l'autre, parce qu'il ne se peut, n'estant qu'un seul et vray Dieu indivisible; ains nous voulons dire que Dieu nous a donné sa divinité, bien que ce soit en la personne de son Saint Esprit.

  A009000854 

 Cette crainte ne leur a pourtant point fait eviter le peché ni l'iniquité pource qu'ils n'avoyent pas receu le Saint Esprit; car la crainte qui s'appelle don du Saint Esprit non seulement nous fait redouter les divins jugemens, la mort et l'enfer, mais elle nous fait craindre Dieu comme nostre Seigneur et nostre Juge, et partant nous porte à fuir le mal et tout ce que nous sçavons luy estre desaggreable.

  A009000854 

 Et comme nous voyons qu'une fiole est remplie de quelque eau sans qu'elle en aye aucune necessité, puisqu'elle est si dure que mesme elle n'en est pas penetrée, ainsy nostre beni Sauveur fut rempli de la crainte du Seigneur, non point pour luy, car il ne s'en pouvoit servir, ains seulement pour la respandre sur ses freres..

  A009000855 

 Il ne faut pas beaucoup parler de la crainte, principalement au lieu où je suis, puisqu'on ne s'en doit servir que pour venir au secours de l'amour quand il le requiert.

  A009000855 

 Il ne faut pas non plus se tenir dans la crainte, ni moins la tenir dans nos cœurs, car c'est la place de l'amour, ains seulement la laisser à la porte de nostre cœur, à fin qu'elle soit preste pour secourir l'amour, ainsy que j'ay dit.

  A009000857 

 Aristote a fait un traitté admirable des vertus, lequel nonobstant cela, ne laisse pas de brusler en enfer, parce qu'ayant reconneu le chemin de la vertu il ne l'a pas voulu suivre.

  A009000858 

 Ce n'est pas à faire comme Alexandre le Grand, lequel conquit tout le monde à force d'armes.

  A009000858 

 Il avoit encor moins le courage dont on le loue tant; la preuve est qu'il n'avoit pas le pouvoir sur soy mesme de se surmonter à ne pas boire un verre de vin, car il estoit un ivrogne.

  A009000858 

 Il est aussi tres necessaire que le Saint Esprit nous baille le quatriesme don qui est celuy de la force, car autrement les precedens ne nous serviroyent de rien, puisqu'il ne suffit pas d'avoir la volonté d'eviter le mal et celle de faire le bien, encores moins de connoistre l'un et l'autre, si nous ne mettons la main à l'œuvre.

  A009000858 

 Il n'avoit pas le don de force, combien qu'on le luy attribue pour ses conquestes; sa force consistoit en des balles de plomb qui fracassoyent les murailles des villes et abattoyent les chasteaux.

  A009000860 

 Que sçay-je moy, si en telle occasion il ne sera point plus expedient que je ne prattique la patience sinon interieurement et non pas exterieurement, ou bien si je dois joindre l'une avec l'autre? Il faut donques avoir le don de conseil à fin de suivre l'exercice que le don de force et de courage nous a fait commencer, et pour que nous ne nous trompions point nous mesmes, choisissant les vertus selon nos inclinations et non selon nostre necessité, regardant seulement à l'escorce et non point à la vraye essence des vertus..

  A009000861 

 Mais remarquez, je vous supplie, que je dis par la meditation et oraison, et non par la curiosité, speculation et estude, comme font les theologiens; car une simple et pauvre femmelette sera plus capable de le faire que non pas les plus excellens docteurs qui auront moins de pieté.

  A009000861 

 Vous voyez donques bien clairement les effects du don d'entendement, lequel, outre ce que nous avons dit, nous fait comprendre la verité des mysteres de nostre foy et combien il nous est necessaire de regarder à la vraye essence des vertus et non pas à l'apparence exterieure seulement, combien aussi il nous est utile de suivre les verités conneues, soit par le don de conseil ou par celuy d'entendement..

  A009000862 

 Or, le Saint Esprit n'a pas accoustumé de laisser l'ame à laquelle il a bien voulu octroyer ces six dons que nous venons d'expliquer, sans y adjouster celuy de sapience, c'est à dire de la «savoureuse science,» luy donnant un goust, une saveur, une estime, bref un [321] contentement en la prattique des maximes de la perfection chrestienne qu'elle a reconneues par le don d'entendement.

  A009000863 

 Je finis par cette consideration que tous ceux qui estoyent dans le cenacle receurent le Saint Esprit et parloyent tous selon que le mesme Saint Esprit leur donnoit; mais non pas tous d'une mesme façon, n'ayans pas tous esté commis pour prescher l'Evangile comme saint Pierre et les autres Apostres; car nous ne pouvons pas nier qu'il n'y eust des femmes, puisque l'Evangeliste escrit qu' ils estoyent six vingts avec Nostre Dame et les autres femmes.

  A009000864 

 N'est-ce pas une plus grande merveille de voir une ame decorée de plusieurs grandes vertus que non pas le ciel decoré d'estoiles? Les jours se donnent charge l'un à l'autre d'annoncer la gloire de Dieu; et qui ne sçait que les Saints en ont fait de mesme, se resignant leurs vertus les uns aux autres? A saint Anthoine succeda saint Hilarion, à saint Hilarion d'autres Saints, et ils iront ainsy tousjours perseverant..

  A009000864 

 Que veux-je dire par tout cecy, sinon que nous, qui [322] sommes plus que les cieux et que tout ce qui est creé, puisque le tout a esté fait pour nous et non point nous pour eux, sommes beaucoup plus capables d'annoncer la gloire de Dieu que non pas les cieux ou les astres.

  A009000870 

 Je ne m'arresteray pas à vous en beaucoup parler, car vous avez ce livre où vous le lirez avec bien plus de playsir, parce que vous y verrez les choses tout au long, mieux que je ne les vous sçaurois rapporter.

  A009000871 

 Ces liens, comme dit le mesme saint Augustin, nous sont merveilleusement bien representés par les chaisnes et manottes de fer dont saint Pierre fut lié en la prison; car, bien qu'il fust emprisonné pour la justice, ses liens neanmoins ne laissent pas de nous representer le peché qui, comme manottes et chaisnes de fer, tient le pecheur si estroittement enserré qu'autre que Dieu ne le peut desenchaisner..

  A009000874 

 Considerez-le enchaisné dans ces maudits liens de la volupté; il luy estoit advis qu'il n'estoit pas moyen de vivre sans commettre ce detestable vice.

  A009000874 

 Et que ne firent pas Alype et ses autres amis pour l'en destourner, le persuadant de se marier, à fin, par ce moyen, de changer en licites ses playsirs illicites.

  A009000874 

 Il vouloit et ne vouloit pas en estre delivré.

  A009000874 

 Que si bien il n'est pas si grand que le blaspheme et la haine de Dieu, si est-il le plus difficile de tous à s'en depetrer et desbrouiller..

  A009000878 

 (Il n'estoit pas de grande extraction, mais ouy bien d'une bonne famille, quoy que pauvre. Il avoit des freres et des sœurs; il confesse luy mesme et n'a point honte de le declarer, qu'il fut entretenu aux estudes par un gentilhomme. O Dieu, cela ne se diroit pas par un homme de nostre temps!) Or, il estoit avaritieux.

  A009000880 

 C'est un mal commun et universel, il y en a fort peu qui ne soyent enlacés dans ses filets, et saint Augustin en parlant dit: J'ignore si quelqu'un est exempt de vanité, de complaisance de soy mesme, de sa propre estime; si cela est je n'en sçay rien, mais pour moy je ne suis pas du nombre, car je suis homme pecheur..

  A009000880 

 On a tant de desirs, tant de belles esperances; on est si peu vuide de son propre [328] interest! Et quant à ce qui est de la vanité, certes, je ne sçay s'il y en a pas un qui en soit libre.

  A009000882 

 Les philosophes payens ont esté contrains de le confesser, encores qu'ils ne fussent pas esclairés de la lumiere de la verité.

  A009000883 

 Mais saint Augustin ne dit pas simplement qu'il chantera ses louanges, ains qu'il luy sacrifiera un sacrifice de louange, pour monstrer qu'il n'entend pas seulement parler de ceux qui, comme le commun du peuple, louent Dieu, ains d'une sorte de gens comme ceux qui en ont receu des graces particulieres.

  A009000884 

 Mais le divin Espoux ne se contente pas de cela, ains dit encores qu'elle ressemble à des armées.

  A009000885 

 Si le diable pouvoit louer la divine Majesté il ne seroit pas diable; et on voit en ce grand divorce et rebellion qui se fit au Ciel, duquel nous ne dirons point icy la cause ni comme il advint, que le diable ne devint diable que parce qu'il ne voulut pas louer son Createur.

  A009000888 

 Ils ne sçavent pas que le Seigneur se plaist en ces cloistres et lieux retirés.

  A009000888 

 Le chant des Religieux n'est pas si haut que celuy des autres, mais il est plus melodieux; ils ressemblent aux oyseaux qui sont dans des cages pour recreer leur maistre par leur gazouillement..

  A009000889 

 Ceux qui ne chantent pas sont les esperviers, qui vont tousjours à la queste pour apporter quelque provision à leur maistre.

  A009000889 

 Il y a deux sortes d'oyseaux dans les maysons des grans: les uns ne chantent pas et les autres chantent.

  A009000890 

 Et de plus, c'est le playsir de ce seigneur: n'est-il pas maistre de son bien pour en faire ce qu'il luy plaist? Cessez donques vos murmures, et que cela vous suffise puisqu'il le veut ainsy..

  A009000890 

 Hé, pauvres gens, que vous estes grossiers et terrestres! Il est vray que les chevaux eussent esté utiles, mais ce petit estourneau ne l'est pas moins parce que, dans cette cage, il n'a autre soin et estude que de resjouir son maistre par son chant melodieux; il est mesme trescontent de perdre sa liberté pour demeurer en cette prison toute sa vie à fin de donner du contentement à son seigneur.

  A009000890 

 Les murmurateurs ne manqueent pas, le monde a trop de prudence pour ne sçavoir à qui s'en prendre.

  A009000892 

 Il ne s'est pas contenté de louer Dieu, comme nous avons dit, ains a tasché d'amener à luy plusieurs ames, preschant les uns et donnant aux autres une maniere vie tre parfaite.

  A009000893 

 Pour bien qu'on leur fasse ils se font accroire que cela leur est deu, et ne pensent pas qu'on leur puisse rien donner gratuitement; ains, s'ils reçoivent quelques graces, ils croyent qu'ils les ont meritées par quelque signalé service..

  A009000896 

 A la verité, il le pourroit faire, car il a tout pouvoir, mais il ne le veut pas..

  A009000898 

 C'est ce que je voulois declarer par mon troisiesme point: Je boiray le calice de mon salutaire; mais il n'est pas moyen d'en parler, car le temps est desja passé.

  A009000898 

 Mais Nostre Seigneur la repoussa, luy disant: Ne me touche pas, va-t-en à mes freres.

  A009000899 

 Combien pensez-vous qu'il souffrit lors qu'il rembarra les heresies des Manicheens, des Donatistes et autres Africains? O Dieu, ce ne fut pas sans grand travail et peine.

  A009000899 

 Et vous, vous avez receu de grandes douceurs en l'oraison, mais hors d'icelle vous ne pouvez supporter une injure, une parole et action faite par [336] surprise; vous ne pouvez vous accommoder aux personnes d'une humeur contraire à la vostre! Il y en a à qui la nature a donné de grans advantages et il est bien facile de s'accommoder avec elles; d'autres n'ont pas ces qualités, elles ont au contraire je ne sçay quoy qui repugne à nos inclinations.

  A009000899 

 Leurs calomnies luy baillent occasion de protester qu'il n'est pas l'inventeur, ains seulement le propagateur de la vie monastique en Afrique.

  A009000900 

 Et encores ce n'est pas grande merveille d'aymer ses amis, c'est naturel, les payens en font bien autant; mais d'aymer ses ennemis, o certes, voyla qui est digne d'un vray Chrestien.

  A009000900 

 Et ne faut-il pas aussi aymer ses ennemis? Ouy, mais pour Dieu.

  A009000900 

 Que nous serions heureux si nous observions cecy! Il s'en trouve prou qui cherissent leurs amis, mais ils ne les ayment pas en Dieu, car ils commettent de grandes injustices pour les favoriser, et les ayment aux despens de l'honneur et gloire de Dieu.

  A009000900 

 Saint Augustin disoit une parole que nous devrions tous graver sur le frontispice de nos chambres ou plustost de nos cœurs: O Dieu, dit-il, qu'il seroit à souhaiter que l'on n'aymast que vous, qu'on vous aymast en toutes choses et qu'on n'aymast aucune chose sans vous! Mais, o glorieux Saint, vous voulez que l'on n'ayme que Dieu; ne faut-il pas aussi aymer ses amis? Ouy, mais en Dieu.

  A009000900 

 Saint Augustin, dit au sujet de ces paroles addressées par Nostre Seigneur à Magdeleine, Va-t-en à mes freres: Pour marcher il faut faire deux pas: mourir et renoncer à toutes les choses qui sont hors de nous, et mourir et renoncer à soy mesme, qui est le plus difficile.

  A009000901 

 En fin (car il faut que je finisse) ce grand Saint, estant [337] parfaittement mort et aneanti en soy mesme, se plaint à Nostre Seigneur en ces termes: O Seigneur, faites que je meure à fin que je ne meure pas! Monstrez moy vostre face, o mon Dieu.

  A009000901 

 Mais sçachant qu'homme mortel ne peut voir Dieu, il demande de mourir à fin de ne pas mourir; comme s'il disoit: L'amour que vous m'avez donné pour vous est si grand que vivre sans vous m'est une mort; c'est pourquoy, Seigneur, faites que je meure à fin que je ne meure pas, car vous voir c'est ma vie.

  A009000902 

 Mais comme elle continuoit à l'importuner, Augustin s'addressa à Nostre Seigneur, le priant de le luy octroyer; neanmoins, adjousta-t-il, Seigneur, si vous ne me le voulez pas donner, donnez-le luy vous mesme.

  A009000902 

 Quelque personne luy ayant un jour demandé ce que certes il n'avoit pas, il luy respondit franchement: Je n'ay pas ce que vous me demandez.

  A009000902 

 Sa charité passa si avant qu'estant proche de sa mort on le sollicita de faire son testament, et il dit: Hé, je vous prie, ne me pressez pas de le faire.

  A009000903 

 Avant que de finir, disons encores ce mot que saint Augustin escrit en un autre endroit: O Dieu, est-il possible que l'on sçache que vous estes Dieu et que l'on ne vous ayme pas! Certes, c'est chose pitoyable en cet aage que nous sçachions que Dieu est Dieu, que nous le croyions et que nous ne l'aymions pas.

  A009000910 

 Ce n'est pas pour cela qu'Adam ne soit le chef absolu des deux sexes; oh non, mais Eve participe en quelque façon à la gloire qu'il en reçoit..

  A009000910 

 Or, bien que le Pere eternel l'aye constitué et declaré gouverneur d'icelle et qu'il en soit unique et souverain Capitaine, si est-ce qu'il s'est trouvé tant de douceur et clemence dans le cœur de nostre cher Maistre qu'il a voulu que d'autres participassent à la gloire d'estre chefs de cette milice, mais sur tout la sacrée Vierge, laquelle en a esté comme la capitainesse principalement du sexe feminin, quoy que Nostre Seigneur ne laisse pas pour cela d'en estre Maistre et gouverneur absolu, et d'une façon souveraine.

  A009000911 

 Ce n'est pas que Moyse ne fust gouverneur et conducteur de toute l'armée esgalement, des femmes comme des hommes; neanmoins Marie sa sœur participoit à cette gloire, d'autant qu'elle estoit comme la conductrice de celles de son sexe.

  A009000911 

 Cela ne se faisoit pas seulement pour [341] la bienseance et civilité, mais comme remarque l'Escriture, d'apres l'ordonnance de Dieu, qui monstra souvent par diverses figures et exemples les faveurs et graces qu'il devoit faire à la sacrée Vierge Nostre Dame..

  A009000915 

 Et Nostre Seigneur luy mesme dit à ce sujet: Je ne prie point mon Pere pour le monde d'une priere efficace, car le monde ne me connoist pas et je ne le connois pas aussi.

  A009000917 

 Si vous voulez demeurer au monde, servez-vous des choses qui se trouvent en iceluy, usez-en et en prenez ce qui est requis pour vostre usage; mais, pour Dieu, ne vous y affectionnez pas, ni vous y attachez en sorte que vous veniez à oublier les biens celestes et eternels pour lesquels vous estes creés, car toutes ces choses passeront.

  A009000918 

 Le bon homme Syncleticus estant grand senateur quitta son estat pour se faire moine; mais ce qu'il ne possedoit pas en effect il le possedoit de cœur, et alloit promenant ses pensées parmi les delices, playsirs, honneurs et autres fatras du monde.

  A009000918 

 Or, il n'en faut pas faire ainsy, car pour estre moine il ne suffit pas d'en porter l'habit, mais il faut relier fortement ses affections à Dieu et vivre en une parfaitte abnegation du monde et de tout ce qui luy appartient.

  A009000918 

 Tu n'es pas senateur d'autant que tu as quitté ton estat pour te faire moine, et partant il n'est plus à toy; tu n'es pas moine parce qu'avec tes affections tu vas courant apres ce qui est du monde.

  A009000919 

 Voyez-les à l'entour de son berceau, et oyez comme tout esmerveillés de la beauté de cette Dame ils dient ces paroles du Cantique des Cantiques: Qui est celle-cy qui monte du desert comme une verge de fumée sortant de la myrrhe, de l'encens et de toutes sortes de parfums odoriferans? Puis, la considerant encores de plus pres, ravis et hors d'eux mesmes ils poursuivent leur admiration: Qui est celle-cy qui chemine comme l'aurore à son lever, belle comme la lune, choisie comme le soleil, terrible comme un [345] bataillon de soldats rangés? Cette fille n'est pas encor glorifiée, mais la gloire luy est promise; elle l'attend non en esperance comme les autres, mais en asseurance.

  A009000921 

 Elle n'eut pas l'usage de rayson en la mesme façon que nostre Sauveur, cela n'appartenoit qu'à luy seul; mais elle l'eut en une façon plus excellente que saint Jean Baptiste, d'autant qu'elle estoit choisie pour une dignité plus grande que n'estoit celle de ce Saint.

  A009000922 

 Aristote dit que les abeilles naissent comme des petits vers, puis il leur vient des aisles et en fin elles deviennent abeilles; mais leur roy ne naist pas en cette sorte, ains il naist comme roy.

  A009000923 

 Tout cela est aymable aux enfans, cependant il n'est pas admirable, d'autant qu'ils n'ont pas encores l'usage de rayson.

  A009000925 

 Et quoy que sa chair sacrée fust tres sujette à l'esprit et ne fist jamais aucune rebellion, si est-ce qu'il n'a pas laissé de la mortifier, pour nous donner exemple et nous enseigner comme nous devons traitter la nostre qui repugne à l'esprit.

  A009000926 

 Neanmoins les enfans ne sont certes point louables pour tout cela, car ils n'ont pas l'usage de rayson; mais la sacrée Vierge qui l'avoit d'une maniere tres parfaitte, a souffert volontairement toutes ces mortifications et contradictions en son enfance; et voyla comme elle a fait ce second renoncement..

  A009000929 

 Ne vous y trompez donques pas, car si vous venez en Religion avec vostre esprit propre, vous y aurez souvent du trouble et des convulsions, d'autant que vous y trouverez un esprit entierement contraire au vostre et qui l'ira tousjours contrepointant jusques à ce qu'il vous en ayt entierement rendues quittes.

  A009000929 

 Neanmoins c'est à quoy l'on vise en Religion, car en cela consiste la perfection chrestienne, de tellement mourir à soy mesme que l'on puisse dire avec l'Apostre: Je ne vis pas moy, mais c'est Jesus Christ qui vit en moy.

  A009000930 

 Les Anges devindrent diables et tresbucherent [351] en enfer pour n'avoir voulu s'assujettir à Dieu; car quoy qu'ils n'eussent point d'ame humaine ils avoyent neanmoins leur esprit propre, lequel n'ayant pas voulu renoncer pour le rendre sujet et sousmis à leur Createur, ils se perdirent miserablement.

  A009000930 

 Or, ce grand Apostre n'est pas arrivé à cette parfaite abnegation de soy mesme sans avoir souffert beaucoup de peines et convulsions en son esprit; l'Escriture nous le tesmoigne.

  A009000930 

 Saint Paul parle merveilleusement bien de ce renoncement quand il dit: Je vis, non pas moy, mais c'est Jesus Christ qui vit en moy.

  A009000933 

 Saint Augustin, parlant de la verge de Jessé, apres avoir fait un long et beau discours que je ne rapporteray pas à cause de sa longueur, car il nous faudroit du temps infiniment, dit que cette verge ressembloit à l'amande; ce qu'il applique à Nostre Seigneur.

  A009000935 

 Si vous avez fidellement gardé vos Regles, le Sauveur viendra asseurement vous recevoir à l'heure de vostre mort avec la sacrée Vierge, sinon visiblement, car il ne le faut pas desirer, du moins invisiblement pour vous introduire en la vie eternelle, où nous conduisent le Pere et le Fils et le Saint Esprit.

  A009000944 

 De mesme il n'est pas de Seraphin ni de creature quelle qu'elle soit, hormis Nostre Dame, à qui le Sauveur ayt dit: Vous estes ma Mere.

  A009000944 

 Et nostre Sauveur approuvant son dire: O femme, luy respond-il, il est vray; car quel Cherubin ou autre Esprit celeste se peut vanter qu'il ayt esté dit de luy: Celuy-cy est mon Fils? Il n'y en a pas un duquel ayt esté prononcée cette parole amoureuse.

  A009000946 

 Ce n'est pas que l'on n'entende bien les semonces qui nous sont faites tant par les predicateurs que par les Superieurs; l'on en est mesme quelquefois touché, mais pour la pluspart des Chrestiens ces enseignemens ne font que passer par une oreille et sortir par l'autre..

  A009000946 

 Mais ces paroles, quoy qu'inspirées de Dieu, sont paroles d'hommes, et pour l'ordinaire ne demeurent pas dans les cœurs, ou au moins fort peu.

  A009000947 

 De plus aussi, ces sacrées semonces sont proferées par les hommes qui ne peuvent pas donner à leurs discours la force et vertu qu'ils desireroyent.

  A009000952 

 Plusieurs oyent cette divine parole; mais ce n'est pas assez, il la faut garder, et pour la garder il la faut mascher et avaler.

  A009000953 

 C'est une chose si importante de bien mediter cette divine parole que le Seigneur en l'Ancien Testament ne vouloit point recevoir en son sacrifice les animaux qui ne ruminoyent pas.

  A009000954 

 Hé, malheureux, ne sçavez-vous pas qu'il n'est pas asseuré? Des larrons pourroyent venir vous le desrober dans cette armoire.

  A009000954 

 Ne peut il pas aussi estre mangé par les rats ou par les souris? Que si vous voulez bien faire, vous le devez manger, et non seulement cela, mais en faire aussi une bonne digestion par le moyen de laquelle vous le convertissiez en vostre propre substance..

  A009000955 

 Saint Bernard veut dire qu'il ne suffit pas de bien escouter et mediter la parole de Dieu, mais qu'il faut encores la digerer et la changer ainsy en nous mesme.

  A009000957 

 Ce n'est donques pas le pain seul qui nourrit l'homme; non certes, mais c'est la parole de Dieu qui non seulement sustente l'ame comme estant la viande qui luy est propre, ains sa vertu passe encor au corps, luy conservant une certaine force [362] et vigueur que le pain materiel ne luy peut pas donner.

  A009000957 

 Comme s'il vouloit dire: Tu me demandes de changer ces pierres en pain; mais je n'ay pas besoin de le faire, puisque cette pierre, estant benite, me peut servir de nourriture; comme au contraire, le pain sans la benediction de Dieu ne peut nullement nourrir.

  A009000957 

 Lors que Dieu punit les hommes par le fleau de la famine, nous voyons que quoy qu'ils mangent une grande quantité de pain ils ne sont point rassasiés, d'autant que la benediction de Dieu n'est pas sur iceluy; mais pour peu qu'il y ayt de pain beni par le Seigneur il rassasie l'homme.

  A009000957 

 Lors que Satan tenta Nostre Seigneur au desert et luy dit qu'il changeast ces pierres en pain pour subvenir à sa faim, Jesus luy respondit: L'homme ne se nourrit pas seulement de pain, ains de toute parole de Dieu.

  A009000959 

 O Dieu, qu'il estoit heureux d'avoir si bien digeré cette sainte parole jusques à estre tout transformé en icelle! Saint Jean [363] Baptiste qui entra si jeune dans le desert, s'estoit-il pas tellement transformé en la penitence que son langage, sa voix, ses habits, tout son exterieur et interieur ne preschoyent que penitence? Voyla donques comme l'on peut justement dire: Bienheureux ceux qui escoutent la parole de Dieu et qui la gardent..

  A009000960 

 Et que l'on ne pense pas que les vocations puissent venir d'autres que de Dieu.

  A009000960 

 Je sçay bien que plusieurs (je veux dire quelques-uns) entrent en Religion poussés ou forcés par les hommes, et ceux-là veritablement ne sont pas meus par l'Esprit de Dieu; aussi en arrive-t-il souvent de grans malheurs, et si la divine misericorde ne touche ces pauvres cœurs ils viennent non pas à se convertir en leur vocation mais à la corrompre.

  A009000961 

 On ne le fait pas sans peine, mais certes les roses ne se trouvent pas sans espines, et nous ne devons pas craindre de nous piquer pour cueillir ces belles roses parmi les difficultés, car puis apres, elles s'espanouiront et jetteront une odeur qui nous resjouira tout le cœur.

  A009000967 

 Cette communion se peut comprendre et expliquer en diverses façons, comme nous voyons en la Sainte Escriture; mais nous vous monstrerons qu'elle se doit sur tout entendre de deux sortes d'amours lesquels se declarent beaucoup mieux quand on parle de ce qui concerne Nostre Seigneur que non pas les creatures.

  A009000968 

 Cette charité n'est autre que la communion des Saints, et quand nous mourrons nous serons plus unis avec eux que nous ne sommes pas avec les plus chers amis que nous ayons ça bas en terre..

  A009000968 

 Ne pensez pas que quoy que les Bienheureux soyent au Ciel et que nous soyons miserables mortels en terre, que cela empesche cette communion.

  A009000969 

 Saint Hierosme, parlant de la multitude des Saints qui sont au Ciel, dit que si l'Eglise vouloit faire la feste de tous les Martyrs il y en auroit chaque jour de l'année sept cents de ceux que l'on sçait asseurement avoir esté martyrisés; or, combien y en a-t-il qu'on ne [368] connoist pas! Et s'il y a tant de Martyrs, combien y aura-t-il de Docteurs, de Confesseurs et autres? Le nombre en est indicible.

  A009000971 

 J'ay dit que cet amour de complaisance est la cause principale de la beatitude des Saints, car, tout en parlant tousjours avec estime et respect de ceux qui tiennent l'opinion contraire, je pense [369] que la cause principale de la gloire des Bienheureux ne consiste pas en l'entendement par lequel ils voyent et connoissent Dieu, mais en la volonté par laquelle ils l'ayment de cet amour de complaisance; et j'estime qu'en cela gist leur felicité.

  A009000972 

 Nous pouvons leur souhaitter et desirer les biens qu'ils n'ont pas encores, à sçavoir la resurrection de la chair, la reunion avec leurs corps, car en cette reunion consiste une partie de leur gloire; non pas de l'essentielle, qui appartient à l'ame, car celle cy ne sera point accreuë par la resurrection de la chair, mais de l'accidentelle, qui appartient au corps aussi bien qu'à l'ame..

  A009000974 

 Car que signifient ces paroles: Vostre royaume nous advienne, sinon que nous representons le desir que nous avons de la reunion des ames avec leurs corps? Comme si nous disions: Seigneur, vostre royaume est desja venu, il est fait et preparé pour les Saints, il est preparé pour tous; et non seulement pour tous ceux qui sont saints, mais encores pour ceux qui ne le sont pas.

  A009000974 

 Mais, vostre royaume nous advienne, c'est à sçavoir, ce royaume que vous avez fait pour les ames et pour les corps; que cette resurrection de la chair se fasse, car les Saints ont encores leurs corps en terre, et partant ils ne sont pas entierement glorifiés.

  A009000976 

 Mais quand nous disons qu'ils souhaittent que nous louions le Seigneur comme eux il ne faut pas entendre que ce soit en tout et par tout, parce qu'ils le benissent sans cesse, sans se reprendre ni discontinuer, et ils sçavent bien que, à cause de l'infirmité de nostre nature, nous ne le pouvons faire.

  A009000977 

 L'Eglise, non plus que les Saints, ne pretend pas que nous louions tousjours le Seigneur sans intermission, ni moins encores que nous passions les nuits entieres ou tous les jours en prieres; ains tousjours signifie que nous le fassions le plus souvent que nous pourrons, que nous rejettions frequemment nos cœurs en luy, que nous le louions en quelque temps et heure de la nuit et du jour, comme il se fait en l'Eglise.

  A009000978 

 Or, lors que nous faisons tels souhaits nous leur causons une gloire accidentelle, laquelle ils n'auroyent pas si nous ne magnifiions Dieu et si nous ne desirions qu'il le fust de tous.

  A009000979 

 Quand nous taschons de nous perfectionner de plus en plus, de procurer la sanctification [373] des autres, contribuant de nostre costé tout ce que nous pouvons, que nous desirons que tous louent et benissent Dieu, puisque tous le peuvent et doivent faire, que tous soyent saints, puisque tous le peuvent estre, nous causons une gloire accidentelle aux Bienheureux, laquelle ils n'auroyent pas sans cela.

  A009000980 

 Mais que veut dire sympathie? Les gens du monde l'entendent bien, mais vous qui n'estes pas du monde, peut estre ne l'entendrez vous pas si je ne le vous dis.

  A009000982 

 Bien que nous ayons dit que cet amour d'imitation vient d'une certaine sympathie des uns avec les autres, il ne faut pas entendre neanmoins que les ambitieux de l'honneur et gloire humaine s'accordent mieux avec ceux qui sont coleres et fiers qu'avec ceux qui ne le sont pas.

  A009000984 

 Or, ce n'est pas sans sujet que l'Evangeliste remarque qu' il ouvrit sa bouche sacrée, pour nous monstrer que sa divine Bonté nous vouloit dire quelque chose de grand, et nous enseigner une doctrine qui n'avoit point encores esté ouye.

  A009000985 

 Je ne nie pas que les gens de cette sorte ne soyent facilement heureux, neanmoins ce n'est pas en ce sens que Jesus Christ a proclamé bienheureux les pauvres d'esprit; mais il entendoit parler de la pauvreté qu'il a pratiquée luy mesme et de celle qu'exerceroyent ceux qui, apres avoir tout quitté, supporteroyent volontiers [376] les incommodités et mesayses qu'elle tire apres soy.

  A009000985 

 Plusieurs veulent bien embrasser la pauvreté pourveu qu'ils ayent tout ce qui leur est necessaire, mais ce n'est pas de tels pauvres d'esprit que Nostre Seigneur parle, ni à qui il promet le Royaume des cieux..

  A009000987 

 Et quelle pauvreté fut celle du grand Apostre, lequel apres avoir tout quitté pour l'amour de son Maistre voulut servir les Corinthiens et autres pour rien! En effect, [377] apres avoir presché, sué et souffert pour l'Evangile et pour monstrer la voye du salut, il ne vouloit point vivre des aumosnes des Chrestiens, ains du travail de ses mains et à la sueur de son corps; car il travailloit pour gaigner sa vie, disant: Pour monstrer combien j'ayme mon Maistre pour l'amour duquel je vous sers, et que la peine que je prens n'est point pour m'enrichir de vos moyens, ains purement pour l'amour de Celuy à qui je sers, je ne veux pas qu'apres vous avoir aydé à vous sauver vous me nourrissiez de vos aumosnes comme vous faites les autres Apostres, ains je veux gaigner ma vie à la sueur de mon front et vous servir pour rien, vous donnant ainsy tout ce que j'ay.

  A009000987 

 Par exemple, je me veux non seulement discipliner, ains je veux souffrir que d'autres me disciplinent; car si je me disciplinois tout seul, quand j'en aurois assez il seroit en mon pouvoir de m'arrester et ne passer plus outre; mais me laissant discipliner par d'autres à leur gré, encores que je fusse tout meurtri ils ne laisseront pas pour cela de frapper.

  A009000988 

 Car que pensez-vous qui aye fait supporter avec tant de suavité l'aspreté des deserts à nos anciens Peres, en sorte qu'elle leur sembloit peu de chose, sinon cette pauvreté qu'ils cherissoyent si tendrement que rien plus? Saint François [378] n'en estoit-il pas passionné comme un jeune homme de sa maistresse qu'il aymeroit grandement? Aussi l'appelloit-il sa dame et estoit-il tousjours en attention pour en ressentir les incommodités, prenant en icelles tous ses delices.

  A009001000 

 Ces eaux purifient, justifient et effacent toutes les taches du peché dont les hommes sont souillés; et pour offrir et sacrifier à Nostre Seigneur quelque victime et holocauste il est tellement necessaire d'estre lavé de cette eau, par effect ou du moins par un tres ardent desir d'icelle, que sans cela toutes les offrandes et oblations ne sont pas offrandes mais execrations..

  A009001001 

 C'est une regle si generale que celle cy que pas un n'en peut estre exempt, sinon la tres sacrée [381] Vierge, laquelle n'ayant point peché n'avoit point besoin d'expiation; et neanmoins elle n'est pas entrée au Ciel par une autre porte que par celle de la Redemption.

  A009001004 

 Car bien que nous n'ayons pas besoin de miroüers comme ces dames hebreuses, pour mirer nos corps qui pourriront avec les chiens et autres animaux, neanmoins nous devons tous-jours avoir devant les yeux les mirouers des vertus et exemples des Saints pour former et dresser sur iceux toutes nos actions..

  A009001005 

 Me voyci maintenant sur le sujet de la feste de nostre tres chere Mere et Maistresse que nous celebrons aujourd'huy; car, je vous prie, quel plus beau et pretieux mirouer vous sçauroit-on presenter que celuy-cy? N'est-ce pas le plus excellent qui soit en la doctrine evangelique? N'est-ce pas elle qui l'a le plus ornée et enrichie, tant par ce qu'elle mesme a prattiqué que par les exemples admirables qu'elle nous a laissés? Certes, il n'y a point de Saint ni de Sainte qui luy puisse estre parangonné, car cette glorieuse Vierge surpasse en dignité et excellence non seulement les Saints, mais aussi les plus hauts Seraphins et Cherubins.

  A009001006 

 Que si le Sauveur fit une telle grace à celuy qui devoit estre son precurseur, qui pourra douter que non seulement il ayt fait la mesme faveur, mais qu'il n'ayt avantagé d'un privilege beaucoup plus grand et tout particulier celle qu'il avoit choisie pour estre sa Mere? Pourquoy ne l'auroit-il pas sanctifiée dès le sein maternel aussi bien que saint Jean?.

  A009001008 

 Je ne parleray pas à cette heure ni de ce que nostre tres chere Mere et Maistresse fit en sa conception et nativité, ni des benedictions qu'elle y receut; je ne veux traitter que de cette feste en laquelle elle se vint offrir et consacrer au service du Temple.

  A009001009 

 Cette aymable Pouponne ne fut pas plus tost née qu'elle commença d'employer sa petite langue à chanter les louanges du Seigneur, et tous ses autres petits membres pour le servir.

  A009001009 

 Cette glorieuse Vierge se comportoit en ce bas aage avec tant de sagesse et discretion en la mayson de ses parens qu'elle leur donnoit de l'estonnement, si qu'ils jugerent bien, tant par ses discours que par ses actions, que cette Enfant n'estait pas comme les autres, mais qu'elle avoit l'usage de rayson, et partant qu'il failloit anticiper le temps et la conduire au Temple pour servir le Seigneur avec les autres filles qui y estoyent pour ce sujet.

  A009001011 

 Plusieurs dames hebreuses et juifves s'estoyent dediées en iceluy au service divin, mais pas une n'avoit approché de la perfection de cette glorieuse Vierge.

  A009001012 

 Mais encores que toutes les ames puissent pretendre et desirer ce bonheur, neanmoins toutes n'en reçoivent pas la grace; c'est pourquoy j'ay accoustumé de dire qu'il y a deux sortes d'enfance.

  A009001014 

 Au plus fort de ces blasphemes et injures une femme esleva sa voix (laquelle les saints Peres disent estre sainte Marcelle, mais comme l'Evangeliste ne la nomme pas, il vaut mieux dire seulement que c'estoit une femme), et surprise d'admiration pour le divin Maistre s'escria: Bienheureux le ventre qui t'a porté et les mammelles que tu as succées! Alors le peuple tout estonné se tut, et le Sauveur se retournant du costé de cette femme lu y respondit: Plustost bienheureux ceux qui escoutent la parole de Dieu et la gardent.

  A009001014 

 Les Pharisiens, pleins d'envie, commencerent à murmurer et à le calomnier, disant que ce n'estoit pas en son nom qu'il operoit ces choses, ains par la puissance du prince des tenebres.

  A009001016 

 Qu'est-ce que cette manne sinon le Fils de Dieu qui est descendu du Ciel? N'est-il pas aussi cette verge et ces tables de la Loy? Ouy, il est la pierre vive; sur son propre corps ont esté escrits et gravés les dix commandemens de la loy de grace avec les burins des clous, de la lance et des fouets.

  A009001017 

 Comme s'il disoit: Ne te contente pas d'escouter l'inspiration divine et de t'abaisser pour la mieux ouÿr, mais retire ton cœur et tes affections de ta patrie et de tes parens, viens au lieu que je te monstreray, et je convoiteray ta beauté..

  A009001022 

 Mais helas, c'est un grand malheur que si peu entendent comme il faut ces saintes inspirations! Plusieurs vivent au monde et usent des richesses, honneurs et dignités dont la loy divine permet d'user, mais non point d'abuser; ils ajustent aux commandemens de Dieu leur affection pour la jouissance des biens et dignités, [392] quoy qu'il ne leur faille pas parler des conseils, d'autant qu'ils se contentent seulement d'eviter ce qui les peut condamner.

  A009001023 

 Hé, disent-ils, je me donneray à Dieu, mais non pas si absolument que le monde n'y aye encores quelque part.

  A009001024 

 D'autres veulent bien suivre l'inspiration et la volonté de Dieu, ils veulent estre tout à luy, mais non pas totalement; car il y a bien difference entre estre tout à Dieu, et totalement à Dieu.

  A009001024 

 Et ne voyez-vous pas qu'en faisant cette reserve vous n'estes pas totalement à Dieu? Mais c'est pour Dieu.

  A009001024 

 Helas! ceux cy se mettent en danger d'estre seduits et trompés en se voulant gouverner à leur fantasie pour ne se pas sousmettre, et se reservant le choix de leurs exercices ou maniere de vivre qu'ils se forment selon leur caprice.

  A009001024 

 Je le veux; cependant la glorieuse Vierge ne fit certes pas ainsy, car elle se donna totalement à luy au jour de sa Presentation, sans aucune reserve pour petite qu'elle peust estre; elle n'usa jamais de sa volonté ni de son choix, n'en ayant retenu un seul petit brin pour chose quelconque, et elle persevera tres parfaitement en cecy tout le temps de sa vie, demeurant tousjours totalement à son Dieu..

  A009001025 

 Or, bien que la douceur que vous recevrez par le regard et consideration de la vie de Nostre Dame tombe dans un vaysseau d'argile, elle ne lairra pas d'estre d'une suavité admirable, car le baume mis dans un vaysseau de terre est aussi suave que dans une fiole de cristal..

  A009001026 

 Mais lors que vous reviendrez ne serez-vous pas bien plus joyeuse qu'en y allant? O non certes.

  A009001027 

 Hé, dit-on, ce predicateur ne me plaist pas, il n'a point de grace; son discours n'est point aggreable.

  A009001027 

 Oh! quel aveuglement est celuy cy! N'est-ce pas la parole et volonté de Dieu qu'il vous annonce? Or, si vous aymez cette divine parole, et Dieu qui vous l'envoye et qui commande qu'on fasse sa volonté, pourquoy ne la recevrez-vous pas d'aussi bon cœur de celuy cy comme d'un autre? Si un prince ou un roy vous envoyoit quelques lettres par un sien page, regarderiez-vous, pour avoir ces lettres aggreables, si le page est vestu de gris, vert ou jaune? Non certes, ains vous prendriez ces lettres et les mettriez sur vostre teste en signe de resjouissance et reverence, sans avoir esgard à la livrée de celuy qui les apporte.

  A009001027 

 Plusieurs ayment Dieu qui commande, mais ils n'ayment pas la chose commandée; d'autres [394] ayment la chose commandée et n'ayment pas Dieu qui commande.

  A009001028 

 Il est vray, car tirez-la de là et l'employez à d'autres choses qu'elle n'aymera pas, et vous verrez si elle le fait et si elle en sort sans rechigner.

  A009001028 

 Plusieurs ayment la chose commandée et n'ayment pas Dieu qui commande.

  A009001028 

 Qui ne voit qu'elle n'ayme pas Dieu qui commande, ains seulement la chose commandée? car si elle aymoit Dieu qui commande elle aymeroit autant le Donateur des contrarietés que le Donateur des consolations..

  A009001029 

 D'où vient cela sinon de ce que nous ne regardons pas Dieu qui nous envoye le commandement, et que pour l'aggreer nous prenons garde si celuy qui nous l'apporte est vestu de vert ou de gris, et quelle est sa mine et contenance? Or, il ne faut pas faire cela, mais recevoir l'obeissance comme volonté divine, n'importe par qui elle nous soit signifiée, aymant Dieu qui ordonne, prenant ce commandement et le mettant sur nostre teste, c'est à dire dans le fond de nostre volonté, pour l'accepter et executer avec fidelité.

  A009001029 

 Quand nos Superieurs et ceux qui gouvernent sont à nostre goust, fantasie et inclination et selon nos humeurs, nous ne trouvons rien de difficile; mais s'ils ne sont pas selon nostre affection, les moindres choses ordonnées par eux nous sont rudes.

  A009001029 

 Un autre aymera Dieu qui commande et n'aymera [395] pas la chose commandée.

  A009001030 

 La terre mesme se lasse et ne veut pas faire ses productions, elle se repose en hiver; mais quand le printemps arrive elle se renouvelle, et nous nous resjouissons de voir qu'ayant repris sa vigueur elle nous fait amplement part de ses fleurs et de ses fruits.

  A009001045 

 J'ay esté comme un cerf qui a couru et sautelé par les fourrés les plus entourés de ronces et d'espines, mais vous estes ce divin chasseur qui de loin avez remarqué mes pas et mes vestiges; vous m'avez apperceu au lieu où j'estois, d'autant que vos yeux voyent et penetrent tout.

  A009001045 

 L'on n'interroge pas tousjours pour sçavoir, disent ces saints Peres, ni moins parce que l'on ignore ce que l'on demande, mais l'on fait des questions pour plusieurs autres causes et raysons; car autrement la divine Majesté ne feroit jamais aucune question aux hommes, d'autant qu'elle sçait tout et ne peut ignorer chose quelconque.

  A009001046 

 Ce n'estoit pas qu'il ne sceust bien où estoit Adam et la desobeissance qu'il avoit commise; mais le Seigneur l'interrogea à fin de luy faire advouer sa faute pour luy pardonner.

  A009001046 

 Mais d'autant qu'il ne le fit pas, nous sommes tous demeurés tachés du peché de nos premiers parens, et par consequent sujets à la peine qu'il tire apres soy..

  A009001046 

 Mais encores que Dieu sçache toutes choses, il n'a pas laissé de faire plusieurs questions aux hommes; non point qu'il ignorast ce qu'il leur demandoit, mais sa divine Providence l'a fait pour trois diverses causes.

  A009001046 

 Une partie des [400] Peres tiennent que s'il eust advoué son peché quand Dieu l'appella, s'il eust frappé sa poitrine et dit un bon peccavi, le Seigneur luy eust pardonné et ne l'eust pas chastié par le fleau dont il le menaçoit et duquel il a puni luy et tous ses descendans.

  A009001048 

 Et pourquoy, Seigneur, le luy demandez-vous? ne sçavez-vous pas bien quelle est la cause de sa douleur et ce qu'elle cherche? Certes, il le sçavoit tres bien; aussi ce n'est point pour l'apprendre qu'il l'interroge, d'autant que toutes choses luy sont tres claires et manifestes.

  A009001048 

 Mais nostre cher Sauveur, qui sçait que la nature humaine est sujette aux larmes, ne laisse pas [401] de s'enquerir de cette femme pourquoy elle pleure.

  A009001048 

 Puis, passant un peu plus avant, elle apperceut Nostre Seigneur, en forme de jardinier, lequel luy demanda encores: Femme, pourquoy pleures-tu? que cherches-tu? Certes, ce n'estoit pas merveille que les Anges fussent estonnés de voir pleurer Magdeleine ni moins qu'ils luy en demandassent la rayson, car ils ne sçavent comme l'on pleure; et bien que mistiquement l'on dise que les Anges pleurent, la Sainte Escriture s'exprime ainsy pour representer la terreur de quelque chose formidable, car en effect ils ne pleurent point.

  A009001049 

 Aussi le glorieux saint Jean n'envoya pas ses disciples à Nostre Seigneur pour sçavoir s'il estoit le Messie ou non, car il n'en doutoit nullement, mais ouy bien pour trois raysons..

  A009001049 

 Voyla donques comme on ne demande pas tousjours en ignorant, pour sçavoir ou apprendre, ains pour diverses autres causes.

  A009001051 

 Comme s'il vouloit dire: Je ne me contente pas de vous asseurer que c'est Celuy que nous attendons, mais je vous envoye à fin que vous soyez instruits par luy mesme.

  A009001051 

 La seconde cause pour laquelle il les manda fut parce qu'il ne les vouloit pas attirer à luy ains à son Maistre, à l'escole duquel il les envoyoit pour estre instruits de sa propre bouche.

  A009001053 

 La troisiesme raysort pour laquelle saint Jean envoya ses disciples à Nostre Seigneur fut à fin de les destacher de sa personne, de peur qu'ils ne vinssent à un si grand abus que de faire plus d'estat de luy que du Sauveur; car se plaignant à saint Jean comme ils se plaignoyent à Nostre Seigneur: Maistre, disoyent-ils, toy et nous tes disciples, avec les Pharisiens nous jeusnons, nous sommes mal vestus et faisons grande penitence; mais cet homme, ce grand Prophete qui opere tant de merveilles parmi nous n'en fait pas ainsy.

  A009001054 

 Ce n'est donques pas que saint Jean doutast en aucune façon que Nostre Seigneur fust le Messie, qu'il luy envoya ses disciples luy faire une telle demande, ains pour leur bien et utilité, pour le faire connoistre à tout le monde, pour ne point les attirer à soy, mais pour les en destacher, à fin que voyant les merveilles que Jesus Christ operoit, ils vinssent à en concevoir l'estime qu'il failloit.

  A009001054 

 Il pouvoit bien, par ses paroles, leur faire entendre cette verité, mais il ne le fait pas, ains les addresse à Nostre Seigneur pour estre instruits.

  A009001055 

 J'ay marché le petit pas, et non point le pas de grand Apostre, parce qu'estans petits enfans vous ne m'eussiez peu suivre; mais je me suis accommodé à vostre foiblesse et ay cheminé avec vous comme un petit enfant.

  A009001056 

 A celuy qui n'a qu'un, deux ou trois ans, elle donne du lait, elle luy parle en se jouant, en begayant, et ne luy laisse pas dire mon pere ni ma mere, car il est encores trop jeune, mais elle luy fait dire papa et mamma, parce qu'estant petit il ne peut encores prononcer le nom de pere et de [405] mere.

  A009001057 

 Et que l'on ne die point: Vous ne me parlez pas tant pour ma perfection qu'à celuy là.

  A009001057 

 Je crois bien, vous n'avez point encores de dents! Ne voyez-vous pas que si l'on vous donnoit les mesmes pratiques qu'on conseille aux autres vous ne pourriez les mascher? Oh, il me semble que j'ay assez de dents, dites-vous.

  A009001058 

 (Il compte icy comme un miracle que les pauvres sont evangelisés.) Ces docteurs disent que le Sauveur n'opera pas beaucoup de prodiges devant les disciples de saint Jean, mais que les Apostres leur rapporterent ceux qu'il faisoit.

  A009001058 

 Il est tres certain que les Apostres avoyent une grande suavité à raconter à ces deux disciples les œuvres admirables de leur bon Maistre; mais Nostre Seigneur [406] ne laissa pas pourtant de faire beaucoup de miracles en leur presence, c'est pourquoy il leur respond: Dites à Jean ce que vous avez veu et entendu..

  A009001061 

 Ce n'est pas que je veuille entendre que quand on nous demande qui nous sommes il ne faille dire que l'on est Chrestien.

  A009001061 

 Mais je veux dire qu'il ne suffit pas de se nommer Chrestien, si l'on ne fait les œuvres de Chrestien.

  A009001061 

 Ne vous contentez donc pas lors qu'on vous interroge vous disant: Qui estes-vous? de respondre comme les petits enfans au catechisme: Je suis Chrestien; mais vivez en telle sorte que l'on puisse adjouster qu'on a veu un homme qui ayme Dieu de tout son cœur, qui garde les commandemens de la Loy, qui frequente les Sacremens, et telles autres choses dignes d'un vray Chrestien.

  A009001063 

 Il y en a qui ne sont pas avaricieux, mais ils ont la partie irascible si forte que lors qu'elle n'est pas bien sousmise à la rayson ils se troublent et ressentent vivement les moindres choses qui leur sont faites; ils s'eslevent et recherchent tousjours des inventions pour se venger d'une petite parole ou d'un petit tort qui leur aura esté fait.

  A009001063 

 Nous avons tous deux parties qui sont comme les deux jambes sur lesquelles nous marchons, à sçavoir, l'irascible et la concupiscible; et quand ces deux parties ne sont pas bien reglées ni mortifiées elles rendent l'homme boiteux.

  A009001064 

 L'on n'a pas la fievre ni quelque grande maladie dangereuse, mais le corps est tellement entaché de cette lepre qu'il en est tout foible et abattu; je veux dire que l'on n'a pas de grandes imperfections et qu'on ne fait pas de grandes fautes, mais on en commet tant de petites et l'on fait tant de petits manquemens que le cœur en demeure tout langoureux et affoibli.

  A009001065 

 On ne se soucie pas d'entendre prescher la parole de Dieu, de lire des livres devots, d'estre reprins ni corrigé; on s'amuse à des niaiseries et l'on se met en grand peril, car, comme c'est un tres bon signe quand une personne escoute volontiers la divine parole, aussi en est-ce un mauvais quand elle en est degoustée et pense n'en avoir plus besoin..

  A009001067 

 Certes, les disciples de saint Jean ne trouverent pas Nostre Seigneur parmi les princes et premiers du monde, mais avec les pauvres, lesquels l'escoutoyent et le suivoyent par tout où il alloit.

  A009001068 

 O que l'Esprit de Dieu est different de celuy du monde qui ne fait estat que de ce qui paroist et a de l'esclat! Les anciens philosophes ne vouloyent recevoir en leurs escoles sinon ceux qui avoyent un bel esprit et un bon jugement; que s'ils ne les rencontroyent pas tels ils disoyent librement: Ce n'est pas là un tableau propre pour mon pinceau.

  A009001072 

 Ainsy ils aymoient grandement saint Jean et n'avoyent pas besoin que Nostre Seigneur le louast devant eux, car il y avoit danger qu'ils ne vinssent à le surestimer au Sauveur.

  A009001072 

 La premiere, parce que ces bons disciples estoyent trop attachés à leur maistre; ils en estoyent tout en œuvre, et l'estime qu'ils en avoyent estoit si grande qu'ils l'avoyent preferé à Jesus Christ, lors qu'ils luy dirent: Toy et nous tes disciples nous jeusnons et faisons de grandes penitences, mais ce Prophete qui est parmi nous n'en fait pas.

  A009001072 

 Mais pourquoy Nostre Seigneur ne loue-t-il pas son Precurseur en la presence de ses disciples? Nos anciens Peres disent que ce fut pour deux raysons.

  A009001075 

 Il faut tant d'affaires pour nous bien faire prendre une parole qui n'est pas selon nostre gré, que par apres l'on ne peut remettre ce cœur; il y faut appliquer tant d'emplastres! [414] Mon Dieu, quelle pitié, et quelle bigearrerie est la nostre! O non certes, il n'y a point d'esgalité parmi nous, et toutefois c'est l'une des choses les plus necessaires qui soyent en la vie spirituelle.

  A009001077 

 Et quand on luy representoit que c'estoit un empereur à qui il s'en prenoit, comme tesmoignoit-il par ses paroles qu'il n'avoit esgard qu'à la gloire de Dieu! Que ne dit-il pas à ceux qui, sur ce [415] sujet, luy representoyent la faute de David! Eh bien, respondoit-il, vous me parlez de la faute de David, mais vous ne m'alleguez rien de sa penitence.

  A009001077 

 Quel zele ne fit-il pas paroistre en la façon qu'il traitta l'empereur Theodose, luy refusant l'entrée de l'eglise et luy parlant avec une severité admirable, sans jamais desister jusques à ce qu'il eust reconneu sa faute.

  A009001078 

 Que si nous voulons sçavoir quels nous sommes, il nous faut regarder quelles sont nos œuvres, reformant ce qui n'est pas bien et perfectionnant ce qui est bon, à fin qu'imitant ces deux glorieux Saints en leurs vertus, nous jouissions avec eux de la gloire là haut au Ciel.

  A009001086 

 point, et il confessa: Je ne suis pas.

  A009001090 

 Il ne leur dit pas qu'ils luy seroyent esgaux, car qui peut estre comme Dieu? C'est une chose impossible que celle là, et si le miserable eust tenté Adam et Eve en cette sorte, ils eussent facilement conneu sa tromperie, parce qu'estans encor en la justice originelle ils estoyent doués de grandes lumieres et connoissances.

  A009001091 

 Les autres tiennent que la cause de leur cheute fut l'envie; car ces esprits voyans comment le Seigneur devoit creer l'homme, comme il vouloit enrichir la nature humaine et comme il se devoit communiquer à cette nature s'incarnant et s'unissant à icelle d'une union hypostatique, en sorte que ces deux natures ne feroyent qu'une personne, ils furent touchés d'envie et marris de ce que le Createur pensoit relever cette nature par dessus la leur, et se dirent: Pourquoy Dieu voulant sortir de soy mesme pour se communiquer, ne choisit-il pas plustost la nature angelique et seraphique pour faire cette communication? n'est-elle pas plus noble et excellente que l'autre? Et de là ils vindrent à estre pleins de jalousie, d'ambition et d'orgueil, et tresbucherent miserablement..

  A009001092 

 Pourquoy? Hé, parce qu'elle nous est suggerée par nostre ennemy, et partant il ne s'y faut pas fier..

  A009001093 

 Il est tout asseuré que si Adam et Eve avoyent conneu leur tentateur ils ne se seroyent pas laissés seduire.

  A009001093 

 Mais en ce temps là les serpens n'estoyent pas serpens, c'est à dire ils ne mordoyent point, ils n'avoyent point de venin.

  A009001097 

 Il est vray qu'il ne l'estoit pas, et il le confessa et ne le nia pas..

  A009001097 

 Ils s'addressent donques au glorieux saint Jean et l'interrogent: Tu quis es? Qui es-tu? Il leur dit et ne le nia point: Je ne suis pas le Christ.

  A009001097 

 Nos anciens Peres remarquent que quand ces envoyés luy dirent cette parolle: Qui es-tu? ils ne vouloyent pas seulement sçavoir qui il estoit, mais encores s'il estoit le Messie attendu; car autrement saint Jean ne leur eust pas respondu qu'il n'estoit pas le Christ, s'il n'eust creu qu'ils venoyent à fin de le reconnoistre pour tel.

  A009001098 

 Mais considerez un peu la tres parfaitte humilité de ce glorieux Saint à rejetter non seulement les honneurs, les preeminences et tiltres qui ne luy appartenoyent pas, ains, ce qui est plus admirable, à refuser ceux qu'il pouvoit recevoir.

  A009001099 

 Les Anges estans au Ciel ont recherché non pas d'estre dieux, car Lucifer estoit trop bon philosophe pour commettre une telle incongruité; il comprenoit bien qu'il ne le pouvoit, que c'estoit une chose impossible.

  A009001099 

 Son ambition n'arriva point jusques là; il sçavoit que Dieu seroit tousjours le premier et auroit quelque superintendance par dessus luy, car en somme il est Dieu et Lucifer ne pretendoit pas estre tel.

  A009001100 

 Nos premiers parens au paradis terrestre estoyent en la justice originelle, ils n'avoyent jamais peché, non seulement mortellement comme les Anges (car le premier peché qu'ils commirent fut mortel, et par consequent digne de mort eternelle), mais non pas mesme veniellement.

  A009001101 

 Et on ne luy propose pas seulement d'estre semblable à Dieu, ains on vient pour luy faire confesser qu'il est le Christ et le reconnoistre pour tel.

  A009001101 

 Il confessa et ne le nia point, dit l'Evangeliste, qu'il ne l'estoit pas..

  A009001102 

 S'il se fust dit le Messie il eust esté un grand menteur, un desloyal et infidelle, de recevoir un honneur qui ne luy estoit pas deu..

  A009001104 

 Certes, s'ils eussent demandé qui il estoit pour simplement sçavoir quelle estoit sa profession, il les eust sans doute bien informés de la verité, et avec plus de paroles; mais voyant qu'ils le tenoyent pour ce qu'il n'estoit pas, il se contente de dire en un mot qu'il n'est pas celuy qu'ils croyent..

  A009001104 

 Oh que l'esprit de saint Jean estoit esloigné de celuy de ce siecle! Il n'usa point de beaux discours pour respondre à ces ambassadeurs, il se contenta seulement de respondre qu'il n'estoit pas le Christ.

  A009001104 

 Or, ils demandent à saint Jean: Qui es-tu? n'es-tu point le Christ que nous attendons? Et il confessa et ne nia point qu'il ne l'estoit pas.

  A009001105 

 Nous faisons tout au contraire de ce que fit le glorieux saint Jean qui ne se contenta pas de rejetter celle qui ne luy appartenoit pas, ains encores il refusa celle qu'il pouvoit justement recevoir..

  A009001106 

 Comme donques est-ce que saint Jean estant venu en l'esprit d'Elie, peut il declarer avec verité qu'il ne l'est pas? Et il n'est pas menteur non plus qu'il ne l'eust esté s'il eust dit estre Elie.

  A009001106 

 Il sçavoit qu'il estoit escrit qu'avant le jour du Seigneur un grand Prophete, un excellent homme nommé Elie s'esleveroit parmi le peuple, qu'il viendroit l'enseigner et le disposer à l'avenement du souverain Juge; il vit donques que s'il disoit estre Elie ils pourroyent le prendre pour le Messie promis, voyla pourquoy il le nia et respondit: Je ne le suis pas.

  A009001106 

 Les envoyés luy demanderent: Puisque tu n'es pas le Christ, n'es-tu pas Elie? Et il declara: Non, je ne le suis pas.

  A009001106 

 O merveilleuse humilité que celle cy! [424] Il ne rejette pas seulement ce qui ne luy appartient pas (c'est le premier degré de l'humilité de ne vouloir point admettre ni moins rechercher d'estre tenu et estimé pour ce que l'on n'est pas), mais passant plus outre et trouvant une façon de parler en laquelle sans faire tort à la verité il pouvoit encores repousser l'honneur qui luy appartenoit, il le fit promptement, sans disputer ni se servir de beaucoup de discours; ains franchement et librement il dit: Non, je ne le suis pas.

  A009001107 

 Mais comment saint Jean pouvoit-il faire cette troisiesme negation avec verité, luy qui estoit non seulement Prophete, ains plus que Prophete? Nostre Seigneur le dit tout haut de sa propre bouche au peuple Juif; comme donques ose-t-il affirmer: Non sum, je ne le suis pas? Tous les anciens Peres, admirans les trois negations de ce glorieux Saint, s'estonnent de celle-cy et disent que ce fut en icelle que saint Jean alla aux dernieres extremités, et que pour peu qu'il eust passé plus avant, il eust menti: neanmoins il ne le fit pas..

  A009001107 

 Neanmoins ce glorieux Saint demeure ferme en son humilité et respond: Je ne le suis pas.

  A009001108 

 Et en cela il ne mentit pas..

  A009001108 

 Mais comment pouvoit-il asseurer n'estre pas Prophete, sçachant bien qu'il l'estoit et que Dieu mesme l'avoit declaré? Voyez-vous, il estoit encor promis en la Loy au peuple Juif qu' un grand Prophete luy seroit envoyé.

  A009001108 

 Saint Jean, s'appercevant qu'on ne luy demandoit pas simplement s'il estoit Prophete, et que s'il disoit qu'il l'estoit ils le croiroyent ce grand Prophete promis et le reconnoistroyent pour tel, il le nia, voyant que sans mentir il pouvoit encores respondre qu'il ne l'estoit pas.

  A009001109 

 Neanmoins voyant qu'en ce sens que nous avons dit, il pouvoit asseurer qu'il ne l'estoit pas, pour eviter l'honneur qu'on luy vouloit rendre, honneur qui devoit estre deferé à Dieu seul, il respondit: Je ne le suis pas.

  A009001110 

 Hé, folie! vous vous moquez du monde en disant cela; comme si Dieu pouvoit estre honnoré par le peché! Non, cela n'est pas; il ne faut jamais mentir pour honnorer Dieu, et c'est une sottise et grande ignorance que celle là.

  A009001110 

 Regardez, saint Jean n'a pas agi ainsy, car il pouvoit avec verité respondre comme il fit, ainsy que je vous l'ay monstré.

  A009001111 

 Or ces ambassadeurs tout estonnés repartirent: Si tu n'es pas le Christ, ni Elie, ni Prophete, pourquoy est-ce que tu baptises, pourquoy as-tu des disciples et fais-tu des œuvres si merveilleuses? En quel esprit les fais-tu? Certes, tu as beau te cacher et dissimuler, tes œuvres nous font bien voir que tu es quelque chose de grand, c'est pourquoy dis-le-nous, à fin que nous sçachions ce que nous rapporterons à ceux qui nous ont envoyés.

  A009001112 

 (La langue hebraïque est certes admirable, elle est toute divine; c'est celle cy que Nostre Seigneur parloit quand il estoit en ce monde, et selon quelques Docteurs, c'est celle que les Bienheureux parlent là haut au Ciel. Les phrases hebraïques ont tousjours une merveilleuse grace en tout ce qu'elles expriment.) Il confessa et ne le nia pas.

  A009001112 

 Ces deux mots sont quasi une mesme chose, car confesser sa faute c'est ne la pas nier, et ne la pas nier c'est la confesser; neanmoins il y a une petite difference entre iceux..

  A009001113 

 A ce propos, je diray ces deux mots de la confession, bien que je l'aye touché d'autres fois en d'autres eglises; mais peut estre que ceux qui m'entendoyent ne sont pas icy et que quelques uns sont morts du despuis.

  A009001113 

 Un autre dira: J'ay mesdit d'autruy, mais ç'a esté en des sujets tout clairs et manifestes, je ne suis pas le seul qui aye dit ou veu cela.

  A009001113 

 Voyez-vous pas qu'en confessant vostre faute vous la niez? Dites donques: Ç'a esté par ma malice, par mon impatience et mauvais naturel, ou en suite de mes passions et inclinations mal mortifiées que j'ay commis telle et telle faute.

  A009001114 

 Il n'en faut pas faire ainsy, ains il se faut confesser clairement et nettement, mettant la faute dessus nous, nous tenans pour vrayement coulpables, sans nous mettre en souci de ce que l'on dira ou pensera.

  A009001114 

 Sans se soucier que l'on diroit ou penseroit, il est allé droitement devant Dieu, et n'a point fait comme ceux qui vont et ne vont pas.

  A009001114 

 Telles sortes de gens vont et ne vont pas..

  A009001115 

 O noble vertu d'humilité tant necessaire à l'homme en cette basse terre! Ce n'est pas sans rayson qu'on dit [428] qu'elle est la base de toutes les vertus, car sans elle il n'y en a point; et bien qu'elle ne soit pas la premiere, la charité et l'amour de Dieu la surpassant en dignité et excellence, si est-ce que la charité a une telle convenance et sympathie avec l'humilité, qu'elles ne vont jamais l'une sans l'autre..

  A009001117 

 Comme s'il vouloit dire: O pauvres gens, que vous estes bien trompés en moy! Vous pensez que je suis le Messie parce que je suis tout nud, c'est à dire que je ne suis pas vestu comme les autres hommes, mon vestement estant tissu de poils de chameaux.

  A009001117 

 Je baptise avec l'eau pour la penitence; mais il y en a un parmi vous, lequel vous ne connoissez pas, qui en baptizant remet les pechés.

  A009001117 

 Or je vous dis que je ne le suis pas, mais seulement la voix de celuy qui crie au desert.

  A009001118 

 Vous croyez que je suis le Messie, et moy je vous proteste que je ne suis pas mesme homme, ains moins qu'homme, car je ne suis qu'une simple voix.

  A009001119 

 Ceux-cy ne se faschent pas si on leur dit qu'ils sont imprudens, qu'ils n'ont point d'esprit ni de jugement, ains ils s'abaissent, et Dieu les exalte et releve, leur donnant son Esprit par lequel ils operent de grandes choses..

  A009001120 

 Il ne doit pas seulement estre regardé des prelats et predicateurs, mais encores des Religieux et Religieuses qui doivent considerer son humilité et mortification pour estre, à son exemple, des voix les uns parmi les autres, criant que l'on prepare les voyes et que l'on applanisse le chemin du Seigneur, à ce que, le recevant en cette vie, nous jouissions de luy en l'autre, où nous conduisent le Pere et le Fils et le Saint Esprit.

  A009001137 

 Ce n'estoit pas saint Jean qui crioit, mais Nostre Seigneur par la bouche de saint Jean.

  A009001137 

 Comme s'il disoit: Vous voulez sçavoir qui je suis? Je ne suis que la voix de celuy qui crie au desert, c'est à [432] dire, je ne suis pas celuy qui crie, mais seulement la voix de celuy qui crie.

  A009001137 

 Humilité grande, à la verité, qui ne peut mieux estre exprimée que par ces paroles de saint Jean l'Evangeliste: Il confessa et ne nia point qu'il n'estoit pas le Christ.

  A009001137 

 Le glorieux saint Jean, ainsy que je vous le monstray Dimanche, donna suffisamment et excellemment des preuves et tesmoignages de son humilité lors qu'il fut enquis s'il estoit le Christ, Elie ou Prophete; car sçachant que Moyse parlant de la venue de Nostre Seigneur dit qu'il devoit venir un grand Prophete, et voyant que les Juifs croyoient que ce fust luy qui estoit promis, il advoua franchement: Non sum, je ne le suis pas.

  A009001138 

 Comme s'il disoit: Ce n'est pas moy qui crie en ce desert: Faites penitence, ains c'est Dieu qui le vous dit par moy, et je ne suis que la voix, la trompette par laquelle il vous donne à entendre comment vous vous devez preparer à faire penitence et vous disposer à sa venue.

  A009001140 

 Or ce choix ou eslection est commun et ordinaire, et l'on ne doit point desirer ni rechercher des vocations particulieres et extraordinaires, car telles vocations sont dangereuses et suspectes quand elles ne sont pas approuvées ni autorisées par les pasteurs et maistres de la vie spirituelle.

  A009001143 

 Donques, si cela est, comment osons-nous remettre l'execution et la prattique de ce que nous avons ouy qui doit servir à nostre conversion, puisque de ce moment auquel nous entendons ce qui est propre à nostre amendement depend toute nostre vie? Voyla la premiere rayson pour laquelle nous ne profitons pas des choses qui nous sont dites et enseignées..

  A009001143 

 Hé, pauvres gens que nous sommes, ne voyons-nous pas bien que ces remises sont la cause de nostre mort et de nostre ruine, et que nostre bien consiste en ce jourd'huy? La vie de l'homme est ce jourd'huy auquel il vit; car qui se peut promettre qu'il vivra jusques au lendemain? O certes, personne quel qu'il soit.

  A009001143 

 Il y a deux causes pour lesquelles on n'en profite pas.

  A009001144 

 O Dieu, ne sçavez-vous pas que Nostre Seigneur voulant esloigner l'avarice et toute sollicitude du cœur de ses disciples, leur commanda de vivre au jour la journée et de n'avoir point souci du lendemain?.

  A009001144 

 Vous trouverez des personnes qui ne seront jamais lasses [435] de ramasser et recueillir des documens et instructions nouvelles, tant d'advis, tant d'enseignemens, et neanmoins n'en font pas une seule prattique.

  A009001145 

 Mais outre cela, il commanda qu'aucun n'en gardast pour le lendemain et que pas un n'en recueillist plus qu'il n'estoit marqué à dessein d'en faire provision, car il s'y engendreroit des vers et elle tourneroit à corruption.

  A009001153 

 Lors que les pecheurs sont le plus endurcis en leurs pechés, qu'ils sont venus à un tel point qu'ils vivent comme s'il n'y avoit pas de Dieu, de Paradis ni d'enfer, c'est alors que le Seigneur leur descouvre les entrailles de sa pitié et douce misericorde.

  A009001154 

 Mais n'ayant pas bien reussi en son dessein, car Urie estoit un honneste homme, brave cavalier qui ne pouvoit estre surpris en un tel vice, il s'avisa et resolut, pour cacher cette faute, d'en commettre une troisiesme plus griefve que les deux premieres, c'est à dire de le faire perdre.

  A009001157 

 Dressez les sentiers qui ne sont pas droits; en [442] effect quand on en trouve plusieurs qui s'entortillent l'un dans l'autre ils fatiguent et lassent grandement le pelerin.

  A009001159 

 La crainte et l'esperance ne doivent point estre l'une sans l'autre, d'autant que si [443] la crainte n'est accompagnée d'esperance elle n'est pas crainte ains desespoir, et l'esperance sans la crainte est presomption.

  A009001160 

 Il disoit asseurement: Seigneur, je te rends graces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes: je paye les dismes, je jeusne tant de fois la semaine, et autres choses semblables qu'il alleguoit.

  A009001161 

 Qu'est-ce que cela sinon une grande presomption de la part de ces ames qui prennent occasion de la bonté divine pour croupir dans leurs pechés? Hé! ne sçavent-elles pas qu'encores que Dieu soit infiniment misericordieux, aussi est-il infiniment juste, et que quand sa misericorde est irritée elle provoque sa justice?.

  A009001162 

 Tous les autres Saints ont bien travaillé en l'acquisition de cette perfection, mais quoy qu'ils ayent fait, il n'y en a pas un qui n'ayt esté quelque peu raboteux; leur esgalité n'a point esté si esgale qu'il ne s'y soit trouvé quelqu'inesgalité, non pas mesme en saint Jean Baptiste, car il avoit, [445] selon l'opinion de quelques Docteurs, commis des pechés veniels..

  A009001169 

 De là vient que lors qu'on considere ces mysteres l'on fait souvent des erreurs; car, comme pouvons-nous mediter ce que nous ne connoissons pas? C'est pour cela qu'en ces maysons l'on enseigne le catechisme aux novices, à ce qu'elles sçachent ce qu'elles doivent croire et comme elles doivent entendre ce qu'elles meditent.

  A009001169 

 Je ne parleray pas doctement en ce lieu du mystere de l'Incarnation, ains tout simplement à fin que l'on me puisse facilement comprendre.

  A009001169 

 Or, mon dessein est de vous faire un petit catechisme auquel je vous veux parler de l'Incarnation, car cecy n'est pas une predication ni une exhortation.

  A009001169 

 Tous sont obligés, selon saint Thomas, d'entendre les mysteres de la foy et de sçavoir ce qu'ils doivent croire; non pas comme les theologiens pour en disputer, o non, je ne dis pas cela, mais en la façon qui convient aux simples fideles.

  A009001170 

 Neanmoins ce n'est pas le Pere seul qui a fait l'Incarnation, ains aussi le Fils et le Saint Esprit.

  A009001170 

 Voyla une fille à qui l'on donne l'habit: la Superieure, la Directrice ou Maistresse l'habillent, luy mettent sa robe, mais elle ne laisse pas pour cela de s'ayder.

  A009001171 

 De mesme, le Fils n'est pas luy seul tout sage, mais le Pere et le Saint Esprit ont aussi la mesme sapience et sagesse, comme ce divin Esprit n'est pas non plus luy seul la toute bonté.

  A009001171 

 Et combien que l'on attribue la puissance au Pere, la sapience au Fils et la bonté au Saint Esprit, neanmoins le Pere n'est pas luy seul tout puissant, ains le Fils et le Saint Esprit le sont aussi.

  A009001171 

 L'on nomme encores la premiere Personne, qui est le Pere, Seigneur et «Createur du ciel et de la terre;» ce n'est pas à dire pour cela que le Fils et le Saint Esprit ne soyent aussi bien createurs que le Pere, puisqu'ils n'ont tous trois qu'une mesme puissance avec laquelle ils ont fait et creé toutes choses.

  A009001171 

 Mais encores que les autres l'habillent, il ne laisse pas pourtant de faire quelque chose, il remue les bras et les mains pour s'ayder; cependant, de ces trois personnes il ne demeure que le prince d'habillé.

  A009001174 

 Il n'en prit pas du corps de Nostre Seigneur comme de celuy des autres hommes, lequel demeure quarante jours sans estre animé dans les entrailles de la mere, estant là comme une masse de chair; mais aussi tost que le consentement de la glorieuse Vierge fut donné, le Saint Esprit forma le corps du Sauveur, et en mesme temps sa tres sainte ame vint l'animer.

  A009001176 

 De plus, s'ils ont conneu Dieu ils ne l'ont pas reconneu, ce [451] qui toutefois estoit le plus important.

  A009001176 

 Je n'ignore pas que de tout temps l'on a sceu qu'il y avoit une Divinité, tous les anciens philosophes l'ont confessé; mais cette connoissance estoit si obscure qu'elle ne meritoit pas d'estre appellée de ce nom.

  A009001176 

 O admirable invention de la providence de Dieu! Cette divine Majesté voyant que la Divinité n'estoit pas conneue des hommes voulut s'incarner et joindre avec la nature humaine, à fin que sous ce manteau de l'humanité, la Divinité peust estre reconneue.

  A009001177 

 Or, ce n'est pas à dire que Dieu ayt souffert tout cela, ni qu'il ayt respandu du sang ou estendu ses bras en la croix; car Dieu est impassible, il n'a point enduré ces choses entant que Dieu, d'autant qu'en la Passion la Divinité n'a point souffert, la Divinité n'a point estendu ses mains en la croix, elle n'a point respandu de sang, car en Dieu il n'y a ni sang, ni bras, ni mains; mais on parle ainsy, et avec verité, à cause de cette estroitte union de la nature humaine avec la divine..

  A009001178 

 Or voyez-vous, si cet homme qui plaint le bras ou qui discourt n'estoit composé que de corps ou d'ame seulement, il ne discourroit pas ni ne plaindroit pas, mais à cause de cette estroitte union entre la nature du corps et celle de l'ame, lesquelles estans deux ne font toutefois qu'une personne, l'on dit avec verité que cet homme, ou autrement cet animal raysonnable, a mal à la jambe, qu'il parle et discourt, meslant tellement ces deux natures qu'on parle des deux comme s'il n'y en avoit qu'une.

  A009001179 

 Cependant, quoy que ces deux natures soyent si unies, c'est neanmoins sans prejudice l'une de [453] l'autre; car le fer pour estre jetté dans le feu ne laisse pas d'estre fer, et le feu pour estre dans le fer ne laisse pas d'estre feu.

  A009001180 

 Mais il y a une difference en cette similitude: en jettant de l'eau sur le fer embrasé le feu le quitte et le laisse en sa premiere forme toute seule, tandis qu'en l'union de la Divinité avec l'humanité il n'en prend pas ainsy; car despuis que la nature divine a esté jointe avec l'humaine elle ne s'en est jamais separée par aucune eau de tribulation que l'on ayt jettée dessus, ains elles sont tousjours demeurées tres estroittement unies et d'une union indissoluble et inseparable.

  A009001183 

 L'esponge figure l'humanité sacrée de nostre Sauveur, et la mer sa Divinité, laquelle a tellement imbeu l'humanité qu'il n'y a pas une petite partie au corps ni en l'ame de Nostre Seigneur qui n'ayt esté remplie de la Divinité, sans que pour cela cette nature humaine ayt laissé d'estre ce qu'elle estoit.

  A009001183 

 Mais l'humanité n'est pas par tout où la Divinité se trouve, car la Divinité est une mer infinie qui comprend et remplit tout et ne peut estre comprise de personne.

  A009001183 

 Si vous regardez cette esponge dans cette mer vous verrez qu'en toutes ses parties il y a de l'eau: la mer est dessus et dessous et n'y a pas la moindre parcelle qui n'en soit detrempée; neanmoins l'esponge ne perd point sa nature ni la mer la sienne.

  A009001188 

 Certes, ce n'est pas que toutes ces souffrances fussent [458] necessaires pour nous sauver, car un seul acte d'amour, un seul souspir amoureux sortant de son sacré cœur estoit d'un prix, d'une valeur et d'un merite infinis.

  A009001188 

 Neanmoins nostre cher Maistre ne voulut pas nous racheter par un seul souspir, mais pour ce faire il a voulu souffrir mille peines et travaux, payant en toute rigueur de justice nos fautes et iniquités, nous enseignant par son exemple cette sobrieté spirituelle, cet esloignement de toutes consolations pour vivre selon la rayson et non selon nos appetits et affections..

  A009001189 

 O Dieu, il ne faut pas chercher [459] cela, car cette façon d'agir est insupportable à ceux qui sçavent tant soit peu que c'est que la devotion.

  A009001190 

 Helas! elles ne sont pas necessaires, vous n'en estes pas meilleures pour cela; Dieu ne les accorde pas seulement aux justes ains aux pecheurs, car il en donne bien quelquefois à des ames qui sont en estat de peché et hors de sa grace: pourquoy donques vous y arrestez-vous tant? Considerez, je vous prie, ce petit nouveau né dans la creche de Bethlehem, escoutez ce qu'il vous dit, regardez l'exemple qu'il vous donne.

  A009001191 

 Nous nous pourrons bien servir de ces paroles considerant le mystere de l'Incarnation, et dire: Ce mystere est si haut et si profond que nous n'y entendons rien; tout ce que nous en sçavons et connoissons est extremement beau, mais nous croyons que ce que nous ne comprenons pas l'est encores davantage.

  A009001191 

 O que c'est une belle chose à considerer que le mystere tres haut et tres [460] profond de l'Incarnation de nostre Sauveur! Mais tout ce que nous en pouvons entendre et comprendre par le discours n'est rien, et pouvons bien dire à ce propos ce que disoit un sage qui lisoit un livre tres haut et obscur d'un ancien philosophe (je ne me souviens pas de son nom); il advoua franchement: Ce livre est si docte et difficile que je n'y entens presque rien; le peu que je comprens est extremement beau, mais je crois que ce que je n'entens pas l'est plus encores.

  A009001201 

 Le Saint Esprit ne resout point si ces paroles du Cantique des Cantiques sont de l'Espoux à l'Espouse ou de l'Espouse à l'Espoux, ou bien des compagnes de l'Espouse à la maistresse Espouse; c'est pourquoy les Docteurs ne l'ont pas aussi voulu resoudre, mais ils disent qu'elles se peuvent entendre en toutes ces manieres.

  A009001203 

 O que cette longanimité et debonnaireté de Nostre Seigneur reduit et ramene bien mieux les ames à leur devoir, et a beaucoup plus d'efficace et de pouvoir pour les retirer du peché que n'ont pas les corrections des hommes lesquelles sont signifiées par le vin! Nous en avons plusieurs exemples, entre lesquels en voicy deux signalés.

  A009001205 

 O certes, les mammelles de ce divin Sauveur, c'est à dire ses consolations saintes et sacrées, ne sont pas de cette sorte, car plus elles sont tirées et plus elles sont fecondes.

  A009001205 

 Quelques Docteurs ont encores interpreté ces paroles: Meliora sunt ubera tua, etc., en une autre maniere, entendant par les mammelles de Nostre Seigneur les consolations celestes et divines; car qui ne sçait que les consolations divines sont infiniment meilleures que le vin des consolations de la terre? Aussi n'est-ce pas merveille si les unes sont comparées au lait et les autres au vin, d'autant que le vin, comme vous sçavez, se tire du raisin.

  A009001206 

 Certes, tu as rayson, c'est une chose tres bonne, tres excellente et desirable que celle que tu demandes; mais ce n'est pas assez, car tes mammelles sont meilleures que le vin, c'est à dire qu'il est meilleur d'assister le prochain et porter le lait de la sainte exhortation aux foibles et ignorans que d'estre tousjours occupé en des hautes contemplations, de sorte que quelquefois il faut quitter l'un pour l'autre.

  A009001206 

 Je ne dis pas qu'il ne faille point mediter et contempler; o non certes, il faut bien [465] bayser Nostre Seigneur du bayser de la bouche pendant cette vie mortelle, ce qui se fait en la meditation et contemplation, où l'ame se remplit de bonnes pensées et saintes considerations qu'elle convertit par apres à l'utilité du prochain.

  A009001209 

 Voulez-vous sçavoir si vous avez fait une bonne oraison, et si vous avez baysé Nostre Seigneur du bayser de la bouche? regardez si vous avez la poitrine pleine de douces et charitables affections envers le [466] prochain, et si vostre coeur est disposé de le secourir en tputes ses necessités et le supporter amoureusement en toutes sortes d'occasions; car l'oraison qui nous enfle et nous fait presumer d'estre quelque chose de plus que les autres, et qui nous porte à mespriser le prochain comme imparfait, nous le faisant corriger de ses defauts avec arrogance et sans compassion, n'est pas bonne et n'est point faite en charité, verité et sincerité.

  A009001211 

 Et ce trait de ce mesme Apostre n'est-il pas admirable, quand, pressé de la vehemente affection qu'il avoit du salut des Juifs, il quittoit en telle sorte son propre interest qu'il desiroit d'estre anatheme pour eux? O ptabam anathema esse a Christo pro fratribus meis; luy qui aymoittant son divin Maistre qu'il disoit: Je ne vis plus en moy mesme, mais c'est Jesus Christ qui vit en moy; Vivo ego jam non ego, vivit vero in me Christus..

  A009001212 

 Ce grand serviteur de Dieu ayant saintement parachevé le pelerinage de sa vie et se voyant sur le point d'entrer en sa tant desirée patrie, pour recevoir la recompense de ses travaux et bayser Nostre Seigneur du bayser de la bouche par une parfaitte union avec sa divine Majesté, desja son ame battoit des aisles pour s'envoler sur ce bel arbre de l'immortalité, quand un grand nombre de Religieux et d'enfans spirituels qu'il avoit engendrés à Nostre Seigneur, s'affligeant autour de luy, commencerent à pleurer et luy dire: Helas, mon Pere, nous voulez-vous quitter? voulez-vous laisser vostre troupeau sans pasteur, à la merci des loups qui sans doute le raviront apres vostre despart? Ayez pitié de vos enfans, et ne leur ostez pas si tost la mammelle de vostre charité.

  A009001214 

 Mais cette mammelle de la crainte n'est pas la mammelle des espouses, ains celle des serviteurs et des valets, à qui il faut donner la crainte des chastimens pour les ranger à leur devoir et à l'observance des commandemens de Dieu.

  A009001216 

 Or, ces deux mammelles sont proprement celles des espouses; car encores que l'esperance des recompenses eternelles ne soit pas un motif si noble et si excellent que celuy de l'amour, il est pourtant quelquefois expedient de s'en servir pour nous animer à l'amour.

  A009001217 

 Et alors il est bon de retourner nostre cœur à la mammelle de l'esperance, pour l'encourager et conforter, l'asseurant qu'il jouira un jour de ce qu'il ayme, et que si maintenant ce divin Espoux semble s'absenter, ce ne sera pas pour tousjours.

  A009001217 

 Il arrivera quelquefois que nous aurons de l'amour autant ou plus que jamais, et neanmoins nous croyons le contraire, d'autant que nous n'en avons pas le sentiment.

  A009001217 

 Or, quand Dieu nous soustrait ce sentiment, il ne faut pas se descourager ni penser que nous n'avons point d'amour, pourveu que nous ayons une forte resolution de ne luy vouloir jamais desplaire, qui est ce en quoy consiste le parfait et veritable amour.

  A009001218 

 Il est dit au Genese, qu'un Ange estant apparu à Jacob pres le guay de Jaboc, il lutta toute la nuit contre luy, et quand l'aube commença à poindre, l'Ange le voulant quitter: Laisse moy aller, luy dit-il, ne me retiens pas davantage; Dimitte me, jam enim ascendit aurora.

  A009001218 

 Mais l'Espouse, toute esprise de l'amour de son divin Espoux, ne se contente pas de l'esperance de le posseder un jour en la gloire eternelle, ains elle veut encores jouir de sa presence des cette vie mortelle; et à fin d'obtenir ce bien, voyez quelle diligence elle fait pour le trouver, apres que par la negligence qu'elle eut à luy ouvrir sa porte il fut passé outre: Surgam, et Circuibo civitatem, per vicos et plateas quaeram quem diligit anima mea; Je me leveray, dit-elle, et chercheray celuy que mon ame cherit, par toutes les rués et les carrefours de la cité.

  A009001219 

 En fin, dit-elle, j'ay trouvé celuy que j'ayme, je le tiens et ne lé quitteray point que je ne l'aye introduit en [471] la mayson de ma mere, qui est la Hierusalem celeste, qui n'est autre que le Paradis; et là encores je ne le quitteray point, car non seulement je ne le voudray pas quitter, mais je seray alors si parfaittement unie avec luy, que jamais aucune chose ne m'en pourra separer.


10-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome X-Vol.4-Sermons.html
  A010000007 

 Pas être utilisés à des fins commerciales de toute nature!.

  A010000061 

 Je sçay bien neanmoins que plusieurs raysons et disputes s'eslevent de part et d'autre entre quelques Docteurs pour monstrer que ce miracle ne fut pas le premier que fit Nostre Seigneur; mais puisque non seulement saint Jean l'atteste, ains encores saint Ambroise, et que la pluspart des autres anciens Peres tiennent cette opinion, nous nous y arresterons et la suivrons.

  A010000062 

 Mais bien que ces signes fussent faits pour manifester la gloire de Nostre Seigneur, ce n'estoit pas luy qui les operoit, ains le Pere et le Saint Esprit les faisoyent pour luy.

  A010000062 

 Mais ce miracle estoit invisible, secret et occulte; c'estoit une œuvre si haute qu'elle surpasse infiniment tout ce que les Anges et Archanges en peuvent comprendre, et partant ce n'estoit pas un signe qui manifestast la gloire de Dieu comme celuy qui se fit aux noces de Cana en Galilée, ainsy que dit l'Evangeliste.

  A010000066 

 Il naquit en pleurant ainsy que les autres enfans qui tous passent par là, car il ne s'en est jamais veu aucun qui ne soit né en pleurant, sinon Zoroastre, qui fut un tres meschant homme, «lequel se prit à rire en naissant.» Mais Nostre Seigneur n'est pas né en riant, ains en pleurant et gemissant, comme le tesmoigne un passage de l'Escriture qu'on luy peut bien appliquer, quoy que ce passage regarde Salomon, lequel parlant de soy dit: Bien que je sois un roy grand et admirable, si est-ce que je suis né sur la terre comme les autres enfans, en pleurant et gemissant.

  A010000069 

 Ils y allerent; mais comment? O certes, il est croyable que la Sainte Vierge s'y rendit dès la veille, car lors qu'il se fait des noces, les dames et parentes n'y vont pas le jour mesme mais dès la veille, et non seulement pour estre receues, ains encor pour ayder à recevoir les autres invités, et par ce moyen faire honneur à l'espouse.

  A010000070 

 Ce qui fut cause qu'estant invité il ne s'en excusa pas, ains s'y rendit, et par consequent retrancha beaucoup de legeretés et desbauches qui se commettent ordinairement en telles occurrences.

  A010000070 

 Et sur ce on conclut le mariage, lequel estant fait l'on trouve que ce qu'on a dit n'est pas.

  A010000070 

 Les Apostres allerent donc aux noces, et Nostre Seigneur y estant convié ne refusa point de s'y trouver; car voyez-vous, il estoit venu pour racheter, reformer et recreer l'homme, et pour ce faire il ne voulut pas prendre un maintien et une contenance grave, austere et rigide, mais bien une façon de proceder toute suave, civile et courtoise.

  A010000070 

 Les noces de Cana ne furent pas ainsy, parce que le mensonge ne se peut point trouver là où est Nostre Seigneur.

  A010000071 

 Que si ce cher Sauveur de nos ames se plaist à la rencontrer ès maisons des grans et parmi les noces, quel sera son contentement de la voir dans les Religions où l'on fait vœu de la garder! combien se plaira-t-il d'y trouver l'indigence parmi la suffisance, je veux dire, non pas le defaut des choses necessaires, mais neanmoins que l'on y est pauvre des superflues.

  A010000073 

 Neanmoins la Sainte Vierge n'eut pas besoin de faire un si long discours à son Fils pour luy representer la necessité de ces noces; aussi, comme tres avisée et sçavante en la maniere de bien prier, elle usa de la plus courte mais de la plus haute et excellente façon de prier qui soit et qui puisse estre, disant seulement ces deux paroles: Mon Fils et mon Seigneur, ils n'ont point de vin.

  A010000076 

 C'est bien fait de demander l'humilité, car ce doit estre nostre chere vertu que celle là; c'est une chose bonne de demander et souspirer apres le divin amour, mais neanmoins je vous dis que cette demande que vous faites de l'humilité et de l'amour n'est pas bonne; car ne voyez-vous pas que vous ne desirez pas l'humilité, ains le sentiment de l'humilité? Vous voulez sçavoir et sentir si vous estes humble, si vous avez l'humilité.

  A010000076 

 De mesme, il n'est pas requis pour aymer Dieu de sentir qu'on l'ayme; car son amour ne consiste pas à sentir, gouster et savourer sa douceur.

  A010000076 

 Mais pour l'ordinaire nous ne l'implorons pas ainsy.

  A010000076 

 Or, il ne faut pas faire cela, car il n'est pas requis pour avoir cette vertu d'en avoir le sentiment; au contraire, ceux qui l'ont veritablement ne voyent ni ne sentent point qu'ils sont humbles.

  A010000077 

 O Dieu, attendez un peu, mes cheres ames, ce n'est pas icy le lieu des gousts et sentimens; attendez d'estre là haut au Ciel où vous connoistrez si vous avez l'humilité et jouirez de ces suavités.

  A010000078 

 Ce qu'elle fit paroistre lors que, apres icelle, son cœur demeura tout plein d'une sainte confiance, disant à ceux qui servoyent: Vous avez ouy ce que mon Fils m'a respondu, et pour cela, vous qui n'entendez pas le langage de l'amour, pourrez entrer en doute qu'il ne m'ayt esconduite.

  A010000078 

 Ce qu'entendant, le Sauveur luy dit: Femme, qu'avez-vous à demesler avec moy? Mon heure n'est pas encores venue.

  A010000079 

 Combien qu'en apparence elle soit un peu rude, ce n'est rien pour vous qui entendez le langage de l'amour, lequel ne s'explique pas seulement par les parolles, mais aussi parles yeux, par les gestes et par les actions.

  A010000081 

 Ce n'est pas pour cela qu'il s'incarnast devant le temps qu'il avoit preordonné, non; mais en son eternité il avoit.

  A010000081 

 Il y a plusieurs autres interpretations et sentimens des saints Peres sur ce sujet, mais je ne veux pas m'y arrester.

  A010000081 

 Quant à ces paroles: Mon heure n'est pas encores venue, quelques-uns ont pensé que Nostre Seigneur entendoit que le vin n'estoit pas encores failli.

  A010000082 

 Mon heure n'est pas encores venue, dit-il à sa sainte Mere, mais puisque je ne vous puis rien refuser, j'avanceray cette heure pour faire ce que vous me demandez.

  A010000083 

 J'ay veu une de ces cruches à Paris en une mayson de Religieux de l'Ordre de Cisteaux: elles sont fort grandes et ont en icelles des caracteres hebreux, mais je ne les leus pas, parce que je ne la vis que de loin.

  A010000085 

 Mais, mes cheres ames, quel vin demandez-vous? O certes, non autre que celuy des consolations, c'est celuy que nous voulons et pas un autre.

  A010000086 

 En somme, mes cheres Sœurs, prattiquez bien ce qui vous a esté enseigné jusqu'à present et vous reposez en la providence de Dieu, car il ne manquera pas de vous fournir ce que vous aurez besoin.

  A010000086 

 Voulez-vous estre bien recueillie en l'oraison? Tenez-vous hors de l'oraison comme si vous y estiez et n'employez pas le temps à des reflexions inutiles tant sur vous que sur ce qui se passe autour de vous; ne vous amusez pas à des niaiseries.

  A010000094 

 Ce n'est pas seulement le commencement, mais aussi la fin de la doctrine d'Aristote, que tout homme cherche à estre bienheureux; et ce philosophe a tres bien dit qu'il y a dans l'homme un certain mouvement naturel qui tend à la felicité.

  A010000094 

 L'avare la cherche dans les richesses, [18] mais il ne l'y sçauroit trouver, d'autant que les richesses ne sont qu'amertume; d'autres la cherchent dans les voluptés, mais ils ne l'y peuvent rencontrer, car les voluptés sont plus propres aux bestes qu'aux hommes, et au lieu de contenter le cœur elles l'abrutissent; d'autres recherchent leur felicité dans les honneurs et satisfactions de cette vie, mais ils ne l'y trouvent pas non plus, car tous les playsirs sont sujets à mille vicissitudes et accidens, et ceux qui possedent le plus de ces biens l'experimentent journellement; les plus grans roys et princes le ressentent mesme tous les jours, voire bien souvent avec plus de rigueur que le reste des hommes..

  A010000094 

 Que s'il s'en rencontre quelques uns qui ne sont pas bienheureux, ce n'est pas faute de cette pretention generale, ains de la particuliere; car bien qu'ils tendent à cette felicité, si est-ce qu'ils la mettent en des choses où elle ne se trouve pas.

  A010000095 

 C'est ce que vouloit signifier le royal Prophete par ces paroles: Qui me monstrera le bien apres lequel j'halette et souspire? Comme s'il vouloit dire: O Seigneur, tout homme appete le bien et desire qui le luy monstre; et je ne suis pas du nombre de ceux qui ne l'appetent pas, car j'ay bien observé en moy un certain instinct naturel qui me porte et me fait tendre au bonheur.

  A010000095 

 Mais je passe ce premier point sans en dire davantage, parce que ce n'est pas là où je me veux arrester.

  A010000096 

 Elle a une telle convenance et rapport avec le cœur de l'homme qu'il ne sçauroit trouver de repos qu'en la possedant; de mesme, si je l'ose dire, elle, par un amour reciproque, ne semble pas estre vraye felicité qu'entant que l'homme la possede, car Dieu l'a faite pour la jouissance de l'homme, et la luy a tellement promise qu'il s'est obligé de la luy donner.

  A010000096 

 Mais il ne luy a pas fait cette promesse pour aucun sien merite, ni estant meu ou excité par aucune chose sinon par sa seule bonté et misericorde.

  A010000098 

 Mais quelles sont ces perles sinon les vertus et bonnes œuvres qui sont comme des perles et pierres pretieuses? Or, d'où vient que les pierreries ont un si grand prix parmi les hommes? Leur beauté et esclat les rend sans doute aggreables et prisables, mais ce n'est pas là la principale cause de leur valeur, ouy bien l'estime qu'on en fait parmi les mortels.

  A010000098 

 N'est ce pas une chose horrible et espouvantable de voir cette ehontée Cleopatra porter attachées à ses oreilles deux perles qui valoyent cinq mille escus? N'est ce pas un prodige et une estrange fantasie des humains que ces pierreries qu'ils estiment pretieuses et qui ne sont en effect que des pierres, soyent arrivées à une telle estime parmi eux qu'on vienne à vendre un diamant les cinq cens escus et davantage? N'est ce pas, dis-je, une grande folie? Certes, quand ces pierres, pour pretieuses qu'elles puissent estre, seroyent achetées un escu, c'est tout ce qu'elles vaudroyent, excepté celles qui peuvent servir à la santé de l'homme.

  A010000100 

 Il traverse la mer, il souffre mille et mille fatigues pour acquerir un bien qu'il appete et dont il a besoin pour s'enrichir; mais il ne l'a pas plus tost, que la chose mesme en quoy il constituoit sa felicité le fatigue et ennuye.

  A010000100 

 Que s'il y en a quelques uns qui ne les trouvent pas, c'est qu'ils les cherchent et les pensent trouver où elles ne sont point, à sçavoir dans les richesses, dans les honneurs et voluptés; aussi sont-ils pour l'ordinaire trompés, car les vertus ne se tiennent pas emmi ces choses, on les y rencontre difficilement, et de plus, ces richesses, ces honneurs et voluptés n'apportent qu'amertume, degoust et fascherie.

  A010000100 

 Regardez un marchand: que ne fait-il pas pour accroistre son bien? O Dieu, c'est une chose incroyable et inconcevable quel travail il endure.

  A010000101 

 De là vient que quoy que nos cœurs soyent [22] creés pour la felicité et qu'ils tendent à icelle, plusieurs n'y arrivent point, parce qu'ils ne font pas ce qui les y peut conduire..

  A010000101 

 Les Chrestiens sont donques ces chercheurs de perles et pierres pretieuses: ils en cherchent plusieurs, ils s'essayent de faire diverses bonnes œuvres; mais helas, miserables que nous sommes, apres beaucoup de peine et de travail pour trouver les vertus et faire des bonnes œuvres, nous n'en trouvons point et pour l'ordinaire n'en exerçons aucune, d'autant que nous ne les recherchons pas où elles sont et que nous ne faisons pas nos bonnes œuvres en la façon requise pour les rendre valables et meritoires.

  A010000102 

 Certes, toutes les perles sont uniques, car quoy qu'il y en ayt plusieurs, neanmoins elles sont toutes differentes l'une de l'autre et n'y en a pas deux qui se ressemblent.

  A010000102 

 Toutes sont belles, mais differentes l'une de l'autre, d'autant qu'il ne se rencontre pas deux personnes qui arrivent à la perfection en une mesme maniere.

  A010000103 

 Quoy que cette perle soit la perfection chrestienne, si est-ce que nous pouvons dire encores plus proprement que la perfection religieuse est la vraye perle evangelique, pour laquelle acheter il faut tout quitter, et en une façon bien plus speciale que pour la perfection chrestienne, car pour celle cy on la peut acquerir en gardant les commandemens de Dieu; mais pour la perfection religieuse il ne faut pas seulement garder les preceptes, ains aussi les conseils, les [23] secrettes inspirations et les mouvemens interieurs.

  A010000104 

 On ne vous a pas priés d'entrer au monastere, ainsy vous n'y devez point venir si vous ne renoncez à tout, à tout, car faire quelque exception c'est mentir au Saint Esprit.

  A010000104 

 Or, il ne faut pas agir de la sorte, d'autant que Dieu ne pouvant estre trompé, il vous en prendroit comme à Ananias et à sa femme; pensant tromper Dieu vous vous trouveriez trompés vous mesmes.

  A010000105 

 (Il est hors de doute qu'il y a des lieux où les hommes naissent plus beaux qu'ailleurs. Or, l'Escosse a cet advantage par dessus les autres païs du monde, mais d'en vouloir deduire les raysons il n'est pas à propos icy; tout cela importe peu, pourveu que nous allions en Paradis c'est assez.).

  A010000107 

 (Je sçay que plusieurs ne veulent pas nommer ces biens futurs biens de fortune, voire mesme le grand saint Augustin, parce que les payens appelloyent un de leurs dieux, le dieu de [25] Fortune; mais despuis ce temps, la chose a esté raccommodée, ou pour mieux dire spiritualisée, de sorte qu'on les appelle communement de ce nom.).

  A010000109 

 C'estoit, à la verité, renoncer à de puissantes amorces; mais elle ne se contenta pas de cela, ains vint encores à renoncer aux dons naturels, qui sont entre autres la beauté, la force et la santé.

  A010000109 

 Quant à la force il n'en est quasi point parlé entre le sexe feminin, c'est un don duquel il ne se prise gueres; de là vient la mollesse et grande tendreté des femmes qui sont si fades et delicates qu'il ne faut que la piqueure d'une mouche pour leur faire prendre le lit; voyla pourquoy elles ne se soucient pas beaucoup du don de force.

  A010000113 

 Je feray bien telle chose, mais je vois qu'il seroit mieux autrement; mon Dieu, on me dit que je la fasse ainsy, et cependant je vois que j'en [28] tirerois beaucoup plus de proffït si je la faisois en cette sorte; un tel exercice me seroit bien plus proffitable pour mon avancement que non pas cet autre.

  A010000113 

 Mais ce n'est pas tout, il y a encores une autre piece aussi difficile à quitter que l'autre: c'est le propre jugement.

  A010000113 

 On veut bien faire le bon playsir de Dieu, mais non pas en tout, ains en ce qui sera conforme au nostre.

  A010000113 

 Or, comme il ne suffit pas en Religion d'observer les commandemens de Dieu, ains encores ses inspirations particulieres et generales qui sont marquées dans les Statuts, Regles et Constitutions, pour les prattiquer il faut necessairement renoncer à sa propre volonté.

  A010000114 

 Certes, quand le jugement et la volonté propres sont renoncés, tout est fait; mais il faut bien travailler pour en arriver là, et ne pas s'estonner des difficultés ou de la peine que l'on esprouve tant pour les ruiner comme pour acquerir les vertus, car on ne les sçauroit avoir sans travail.

  A010000116 

 C'est pourquoy la correction regne en toute Religion bien reformée et y est perpetuellement prattiquée; de là vient le bon ordre qu'on y trouve, d'autant que par icelle on redresse, nettoye et corrige tout ce qui ne va pas bien ou qui est tant soit peu imparfait.

  A010000116 

 Mais il n'en est pas ainsy en Religion, ains l'on y souffre les reprehensions continuelles..

  A010000116 

 Pour nous autres mondains personne ne nous reprend; nous marchons par les grandes rues de ce monde avec des robes toutes boueuses, et pas un ne nous dit mot ni s'essaye de nous nettoyer; on nous laisse aller nostre chemin sans nous rien dire, ce qui fait que nous demeurons tousjours tout crotteux.

  A010000117 

 C'est alors qu'on n'entreprend pas seulement de tout quitter, mais on quitte tout à fait toutes choses et s'oblige-t-on à ne plus vivre en sa liberté et selon sa volonté, ains en l'obeissance et sousmission.

  A010000118 

 O que vous serez heureuse, ma chere Fille, si aujourd'huy que vous voulez vous dedier à Dieu vous vous donnez toute à luy sans aucune reserve, et si, à l'imitation de sainte Brigide, vous quittez et renoncez toutes choses pour acheter cette perle unique de la perfection religieuse! Vous serez bienheureuse si de bon cœur vous venez chercher en cette mayson la vraye paix et tranquillité d'esprit, qui consiste et se trouve non pas dans les consolations ou mignardises, comme plusieurs pensent lesquels se trompent, mais dans le renoncement parfait et absolu de vostre propre volonté et jugement, en la sujetion et sousmission de vostre liberté, vous laissant conduire et gouverner par autruy.

  A010000120 

 Aussi cette sainte vierge, esclairée de la lumiere interieure: Hé bien, mon amy, reprit-elle, la guerison de la ladrerie exterieure vous a causé la lepre interieure; oh! il n'en sera pas ainsy, car vous redeviendrez ladre.

  A010000120 

 Mais celuy qui estoit net ne se soucia point de l'autre, ains se voyant si blanc: O Dieu, respondit-il, je ne l'oserois pas toucher, car à cette heure que je suis gueri il est dangereux que si je le touche je ne devienne derechef lepreux.

  A010000122 

 Quand on vient à dire: Moy qui suis net je n'oserois toucher celuy là qui est encores malade; ou bien: C'est un membre pourri, la correction ne luy proffite point, c'est en vain qu'on se travaille apres luy, il vaut mieux le laisser, o Dieu, ne voyez-vous point le danger où vous estes de devenir vous mesme lepreux? Car, qui veut-on guerir sinon celuy qui est malade? Et pourquoy Nostre Seigneur est-il venu sinon pour les infirmes? Le juste, comme dit le glorieux Apostre, n'a pas besoin de loy; il n'est pas requis de luy persuader d'aymer Dieu, il l'ayme assez, ni encores d'aymer le prochain, car il sçait à quoy l'amour de Dieu l'excite et oblige.

  A010000133 

 La mer de Galilée signifie le monde avec ses tracas et remuemens, où l'on a grande peine à entendre Nostre Seigneur, c'est à dire ses inspirations, si l'on ne va sur la montagne et qu'on ne se retire en la mayson de Dieu; car pourquoy ne peut-on pas parler en secret parmi les rues de Lyon, sinon à cause que l'on fait trop de bruit? Ainsy malaysement peut-on ouyr les paroles que le Sauveur dit au fond de nostre cœur au milieu de [36] tant d'embarrassemens.

  A010000133 

 Mais, mes cheres Filles, nostre bon Dieu vous a tant aymées qu'il vous a fait entendre son inspiration sacrée malgré ces tracas, encores que vous luy fissiez la sourde oreille et que possible vous n'y pensiez pas..

  A010000135 

 Je ne dis pas aussi que vous n'en aurez point, parce que je mentirois, car je sçay bien que vous en aurez; mais pourtant il n'y faut pas venir à cette intention, mes cheres Filles, ains pour y faire la volonté de Dieu et pour luy estre tant soit peu plus aggreables..

  A010000135 

 Passons à la seconde consideration, car je ne veux pas estre long à fin que vous puissiez mieux faire vostre proffit de cette petite exhortation.

  A010000135 

 Pour moy, je n'ay pas accoustumé de flatter en ces occasions; je dis tout librement qu'il ne faut pas entrer en Religion pour avoir des consolations.

  A010000136 

 Il ne vous sera point loysible d'ouyr des choses inutiles, non pas mesme ce que vous pouviez bonnement entendre dans le monde; car il faut tout quitter en la Religion pour se dedier tout entiere à la plus grande gloire de Dieu.

  A010000139 

 Il ne faut pas faire comme les charbonniers lesquels, encores qu'ils soyent tout noircis et maschurés ne s'en soucient point, se contentant d'avoir des yeux et un nez et de paroistre hommes; de mesme les gens du monde pensent que quand ils se [39] gardent des gros pechés ils font assez.

  A010000139 

 Mais les courtisans du roy, au contraire, sont tousjours apres à se parer et mirer pour voir s'ils n'ont rien de mal accommodé; ainsy, pour estre aggreables à Nostre Seigneur, il faut avoir un grand soin de ne laisser rien entrer en nostre ame qui la puisse salir et enlaidir, car ce celeste Espoux est si jaloux de nostre cœur qu'il ne veut pas que rien le possede sinon luy qui est la consolation mesme, et sans lequel tout n'est qu'amertume.

  A010000158 

 Mais de quoy? Hé, disoit-il, parce que, y ayant plusieurs mondes, il n'en avoit pas conquis entierement un seul; si qu'il desesperoit de ne les pas tous avoir en sa domination.

  A010000158 

 Neanmoins, entendant un jour un certain sot philosophe asseurer qu'il y avoit plusieurs mondes qu'il n'avoit pas conquis, Alexandre se print à pleurer comme un enfant.

  A010000159 

 N'estimeroit-on pas bien fol et de [43] peu de jugement un marchand qui travailleroit beaucoup à faire quelque commerce dont il ne luy reviendroit que de la peine? Donques, je vous prie, ceux dont l'entendement estant esclairé de la lumiere celeste sçavent asseurement qu'il n'y a que Dieu seul qui puisse donner un vray contentement à leurs cœurs, ne font-ils pas un trafic inutile logeant leurs affections aux creatures inanimées ou bien à des hommes comme eux? Les biens terriens, les maysons, l'or et l'argent, les richesses, voire les honneurs, les dignités que nostre ambition nous fait rechercher si esperduement, ne sont-ce pas des trafics vains? Tout cela estant perissable, n'avons-nous pas grand tort d'y loger nostre cœur, puisque, au lieu de luy donner un vray repos et quietude, il luy fournit des sujets d'empressement et d'inquietude tres grande, soit pour les conserver si on les a, soit pour les accroistre ou acquerir si on ne les a pas?.

  A010000160 

 Je veux que nous logions nos affections et nostre amour aux hommes, qui sont creatures animées, capables de rayson; qu'est-ce qui nous en reviendra? Nostre trafic ne sera-t-il pas vain, puisqu'estans hommes comme nous, esgaux en la nature, ils ne peuvent que nous rendre un contreschange en nous aymant parce que nous les aymons? Mais ce sera tout, car n'estans pas plus que nous, nous ne ferons nul profit, et ne recevrons pas plus que nous ne leur donnons: nous leur donnerons nostre amour et ils nous donneront le leur, et l'un pour l'autre.

  A010000160 

 Les Cherubins et les Seraphins n'ont aucun pouvoir de nous aggrandir ni de nous donner un contentement parfait, d'autant que Dieu s'est reservé cela, ne voulant pas que nous trouvions a loger nostre amour hors de luy, tant il en est jaloux..

  A010000161 

 Quoy que ce chantre fust tant cheri de son maistre, il ne laissa pas d'estre fantasque, de sorte qu'il luy prit un jour une fantasie de s'en aller et de sortir de sa cour, ce qu'il fit, laissant son bon maistre fort marry de sa sortie.

  A010000162 

 Et si bien ce chantre revient plus [45] souvent par force que par amour, au lieu de le rebrouer il ne laisse pas de le recevoir et de luy donner le mesme office qu'auparavant en sa chapelle, voire mesme, ce semble, davantage..

  A010000162 

 Neanmoins il prend à ce cœur la fantasie de s'en aller promener, ne se contentant pas de contenter son Seigneur s'il ne se contente aussi soy mesme.

  A010000165 

 Je ne veux [46] pas dire cependant que si celles qui l'ont donné à quelqu'un viennent à l'en retirer pour le consacrer à Dieu, que ce sacré Espoux ne le reçoive de bon cœur et qu'il n'accepte ce don de leurs affections; mais pourtant il aggrée grandement ces jeunes ames qui se dedient tout à fait à la perfection de son amour.

  A010000165 

 Mais l'Espouse ne s'arreste pas là, car poursuivant elle dit que le nom de son Bien-Aymé est comme un huile respandu, composé de plusieurs excellentes odeurs, lesquelles ne se peuvent imaginer, voulant signifier: Mon Bien-Aymé n'est pas seulement parfumé, ains il est le parfum mesme; c'est pourquoy, adjouste-t-elle, les jeunes filles t'ont aymé.

  A010000165 

 O Dieu, quelle grace de reserver tout nostre amour pour Celuy qui nous recompense si bien en nous donnant le sien! En donnant nostre amour aux creatures nous ne recevons nul gain, d'autant qu'elles ne nous rendent pas plus que nous ne leur donnons; mais nostre divin Sauveur nous donne le sien, qui est comme un baume pretieux lequel respand des odeurs souveraines en toutes les facultés de nostre ame..

  A010000166 

 Or, je sçay bien que nul ne peut jamais parvenir à un si haut degré de perfection que de dedier aussi absolument son amour à Dieu et à la suite de sa divine volonté comme lit Nostre Dame; mais pourtant nous ne devons pas laisser de le desirer, et commencer le plus tost et le plus parfaittement possible selon nostre capacité, qui est incomparablement moindre que celle de cette sainte Vierge.

  A010000169 

 Mais vous avez beau vous cacher, les Anges vous sçauront bien trouver; ne voyez-vous pas que Nostre Dame estant toute seule fut bien trouvée par saint Gabriel?.

  A010000175 

 Les Anges ne sont nullement louables de ce qu'ils sont vierges et chastes, car ils ne peuvent pas estre autrement; mais nostre sacrée Maistresse a une virginité digne d'estre exaltée, d'autant qu'elle est choisie, esleue et vouée; et si bien elle fut mariée à un homme, ce ne fut point au prejudice de sa virginité, parce que son mari estoit vierge, et avoit comme elle voué de l'estre tousjours.

  A010000175 

 On ne loue pas le soleil parce qu'il est lumineux, car cette proprieté luy estant naturelle il ne peut cesser de l'estre.

  A010000175 

 Or, on n'a pas accoustumé de louer une personne de ce qu'elle a naturellement, d'autant que cela estant sans election, ne merite par consequent point de louanges.

  A010000176 

 Ces tentations n'eussent pas seulement osé approcher les murs inexpugnables de son integrité.

  A010000176 

 Nostre glorieux Pere saint Augustin dit, parlant aux Anges: Il ne vous est pas difficile d'estre vierges, o Esprits bienheureux, puisque vous n'estes point tentés, et ne le pouvez estre.

  A010000177 

 Hé, ne le remarquons-nous pas en ce qu'elle commença à craindre et se troubler, si que saint Gabriel le connoissant luy dit: Marie, ne crains point; car si bien, vouloit-il signifier, vous me voyez en forme d'homme, je ne le suis pourtant pas, ni moins vous veux-je parler de leur part.

  A010000178 

 Mais elle ne fut pas seulement vierge par excellence au dessus de tous autres, tant Anges qu'hommes, ains encores plus humble que tous autres; ce qu'elle monstra excellemment bien le jour de l'Annonciation.

  A010000178 

 qui n'aura pas l'humilité.

  A010000180 

 Ce n'est pas à dire que d'elles mesmes elles ne puissent descendre et monter tout à la fois; ce que ne faisoyent pas ces Anges, car ils montoyent pour descendre derechef.

  A010000181 

 Nostre Dame s'humilia et se reconneut indigne d'estre eslevée à la haute dignité de Mere de Dieu; c'est pour cela qu'elle fut rendue sa Mere, car elle n'eut pas plus tost fait la protestation de sa petitesse, que, s'estant abandonnée à luy par un acte de charité incomparable, elle devint Mere du Tres Haut, qui est le Sauveur de nos ames..

  A010000187 

 Oh! si la Mere de Dieu eust esté de la nature angelique, combien les Cherubins et les Seraphins s'en glorifieroyent et tiendroyent honnorés! Nostre Dame est bien aussi l'honneur, le prototype et le patron des hommes et des femmes qui vivent vertueusement, et des vefves; mais pourtant nul ne peut nier que les filles n'ayent une certaine alliance avec elle plus particuliere que non pas le reste des hommes, parce que cette ressemblance de la virginité, qui est du sexe et de la condition, y apporte une grande capacité et un grand advantage pour s'en approcher de plus pres..

  A010000188 

 Et pour dire la verité, les hommes ne font pas un si grand renoncement de leur liberté comme font les filles, qui se tiennent resserrées dans les celestes prisons de Nostre Seigneur, qui sont les Religions, pour passer le reste de leurs jours sans en pouvoir jamais sortir, si ce n'est pour de certaines occasions fort rares et signalées, comme d'aller establir et fonder des monasteres..

  A010000188 

 Et pour moy, je pense que ce qu'on a fait de tout temps une feste plus grande pour leur entrée et Profession en Religion qu'on ne fait pas pour les hommes, n'est pour autre rayson sinon que le sexe estant plus fragile et faisant un acte de si grande vaillance comme est celuy qu'elles font entrant en Religion, qu'il requiert aussi plus d'honneur, et Dieu merite plus d'estre honnoré et admiré en cette solemnité, que non pas en la [55] profession que les hommes font de vivre en Religion.

  A010000189 

 Les hommes qui entrent en Religion y entrent bien pour y vivre en obeissance selon les Regles et Statuts d'icelle; mais si faut-il confesser que le renoncement qu'ils font de leur liberté n'est pas si extreme que celuy des filles, d'autant qu'ils ont encores la liberté de sortir, d'aller de couvent en couvent, de prescher, de confesser et faire ainsy plusieurs autres exercices qui leur servent de divertissement.

  A010000190 

 Dites-moy donques, s'il vous plaist, n'est-ce pas un acte de tres grande consideration, et digne d'estre honnoré, que celuy que font ces filles en passant outre, bien qu'on ne leur represente que croix, qu'espines, que lances, que clous et en fin que mortifications en la Religion? O ames grandement genereuses et qui monstrez qu'en verité vous bataillez et marchez sous les auspices de nostre sainte et glorieuse Maistresse, qui est la tres sainte Vierge! O sans doute, il faut bien que ces filles ayent consideré que c'est le propre de l'amour de rendre leger ce qui est pesant, doux ce qui est amer et facile ce qui est insupportablement difficile sans amour.

  A010000191 

 Allez donc, mes cheres Filles, ou plustost venez amoureusement vous dedier à Dieu et au service de son tres pur amour; et bien que vous rencontriez du travail, la peine vous en sera bien aymée, en l'asseurance que vous contenterez Dieu et vous rendrez aggreables à vostre chere Patronne, laquelle bien qu'elle n'aye pas eu le nom de Religieuse, n'a pas laissé pourtant d'en pratiquer les exercices, et laquelle, bien qu'elle soit Protectrice de tous les hommes et de chaque vocation en general, s'est neanmoins rendue particuliere Protectrice des vierges qui se sont dediées au service de son Fils en la Religion, d'autant qu'elle a esté comme une Abbesse qui leur a monstré l'exemple de tout ce qu'elles [57] devoyent faire pour vivre religieusement.

  A010000192 

 Ceux qui sont passagers font la transmigration, d'autant qu'ils passent d'un lieu à l'autre, comme font les arondelles et les rossignols qui ne demeurent pas ordinairement en ces quartiers, ains ils n'y sont qu'au temps des chaleurs et du printemps, et l'hiver venant ils font la transmigration, se retirans aux autres pais où le printemps et les chaleurs sont en mesme temps que nous avons icy les froidures de l'hiver; mais nostre printemps revenant, ils reviennent et font derechef la transmigration, c'est à dire le passage d'une contrée à l'autre, nous venant recreer par leur petit gazouillement..

  A010000192 

 Sur quoy il faut que vous sçachiez qu'il y a de deux sortes d'oyseaux, les uns qui sont passagers et les autres qui ne le sont pas.

  A010000193 

 Les Religieux et Religieuses ne sont-ils pas au païs de transmigration, et ne font-ils pas le passage du monde en la Religion, comme en un lieu de printemps, pour chanter les divines louanges et pour s'exempter de souffrir les froidures et les gelées du monde? Hé! n'est-ce pas pour cela qu'ils entrent en la Religion, où il n'y a que printemps et que chaleur, le Soleil de justice dardant fort ordinairement ses rayons sur les cœurs des Religieux, lesquels il n'eschauffe pas moins en les esclairant qu'il les esclaire en les eschauffant? Et qu'est-ce que le monde sinon un hiver extremement froid, où il n'y a que des ames gelées et froides comme glace? J'entens ceux qui estans au monde vivent selon les lois du monde, car je sçay bien qu'on peut vivre parfaittement en toutes sortes de vocations, mesme dans le monde, aussi bien [58] qu'en Religion; et pourveu qu'on le veuille, l'on peut en tous lieux parvenir à un tres haut degré de perfection.

  A010000196 

 A qui appartiennent, je vous prie, tant de fleurs dont l'Eglise a esté remplie et a esté tant embellie et ornée, sinon à la tres sainte Vierge, l'exemple de laquelle les a toutes produites? Et n'est-ce pas par son moyen que l'Eglise a esté parsemée des roses des Martyrs invincibles en leur constance, des soucis de tant de saints Confesseurs et des violettes de tant de saintes Vefves, qui sont petites, humbles et basses comme ces fleurs, mais qui respandent une tres bonne et suave odeur? Et en fin, n'est-ce pas à elle à qui appartiennent plus particulierement tant de lys blancs, tant de puretés et de virginités toutes candides et toutes innocentes? d'autant que ç'a esté à son exemple que tant de vierges ont consacré leurs cœurs et leurs corps à la divine Majesté, par une resolution et un vœu tres indissoluble de conserver leur virginité et pureté..

  A010000196 

 Et ne sçavez-vous pas que c'est elle qui est ce jardin clos et fermé du Cantique, lequel en est tout emperlé et esmaillé? Hortus conclusus, soror mea sponsa, hortus conclusus; repetition qui n'est pas sans mysteres.

  A010000203 

 Mais ce n'est pas de cette union naturelle de l'ame et du corps en Nostre Dame que je veux parler, d'autant qu'elle est generale et commune au reste des hommes; ains je me veux arrester sur trois autres unions merveilleuses que Dieu a fait en elle.

  A010000209 

 Saint Jean nous enseigne cecy lors qu'il escrit: Comme est-il possible que tu aymes Dieu que tu ne vois point, si tu n'aymes pas ton prochain que tu vois?.

  A010000209 

 [64] Cependant, Nostre Dame ne se contenta pas de s'estre ainsy humiliée devant la divine Majesté, car elle sçavoit bien que l'humilité et la charité ne sont en leur perfection si elles ne viennent à passer au prochain.

  A010000210 

 Ce ne fut peut estre pas à l'heure mesme ni au mesme jour qu'elle le sceut, car je vous laisse à penser si cette sainte Vierge demeura en sa petite maison, recueillie et ravie en admiration, touchant ce profond et incomprehensible mystere qui s'estoit operé en elle.

  A010000211 

 Elle ne sortit donc pas le jour mesme de l'Incarnation, ains quelques jours apres, et s'en alla en grande diligence par les montagnes de Juda.

  A010000213 

 Nous autres nous sommes bien vivans dans le sein maternel, mais pourtant nous n'avons pas l'usage de nos facultés; nous y sommes comme des masses de chair, et quoy que nous ayons nos sens, nous ne pouvons pourtant pas nous en servir.

  A010000214 

 En effect, si vous regardez un cheval, ne connoissez-vous [67] pas sa fierté à son crin, à sa teste, à son alleure? Il bat le pavé, il fait le feu avec les pieds.

  A010000214 

 Voyez aussi quelque jeune muguet, quelque jeune sot: ne remarquerez-vous pas son orgueil, sa presomption et vanité? Prenez garde à sa demarche, à son maintien, comme il va sur le bout des pieds, comme il leve la teste, en somme il fait mille niaiseries et lanterneries qui sont toutes marques de sa fierté et outrecuidance.

  A010000215 

 Quelles impertinences et extravagances ne fit-elle pas pour s'eslever? Et Eve, la premiere femme, pour avoir seulement ouy dire qu'elle estoit creée à l'image de Dieu, ne presuma-t-elle pas tant d'elle mesme que de se vouloir rendre semblable à luy, escoutant et faisant pour ce sujet tout ce que luy suggeroit l'ennemy?.

  A010000219 

 Ce qui se doit entendre ainsy: On donnera à celuy qui ayant beaucoup receu et beaucoup travaillé ne se repose pas neanmoins, pensant n'avoir plus besoin de rien, mais lequel, avec une sainte et veritable humilité, connoist son indigence.

  A010000220 

 Nostre Dame va donques pour visiter sainte Elizabeth; mais cette visite ne fut point inutile ni semblable à celles qui se font par les dames de ce temps, seulement par ceremonie, esquelles on tesmoigne bien souvent des affections plus grandes qu'on ne les sent pas et où l'on discourt frequemment des uns et des autres, si que l'on en sort avec des consciences interessées.

  A010000221 

 La Visitation de Nostre Dame ne fut pas semblable à celles-cy, car elle alla pour servir sa cousine.

  A010000222 

 Aussi, bien qu'on doive à la sacrée Vierge un culte et un honneur plus grand qu'à tous les autres Saints, neanmoins il ne faut pas qu'il soit esgal à celuy que l'on rend à Dieu.

  A010000222 

 Il est vray, semble dire sainte Elizabeth la Vierge, que vous estes benite entre toutes les femmes, mais il est vray aussi que cette benediction [71] vous vient du fruit de vostre sein, lequel est le Maistre des benedictions; car on ne benit pas le fruit à cause de l'arbre, ains l'arbre à cause de la bonté de son fruit.

  A010000224 

 Certes, nous nous devons servir d'elle comme d'une mediatrice aupres de son Fils pour obtenir ce divin Esprit; et bien que nous puissions aller à Dieu directement et luy demander ses graces sans employer à cette fin l'entremise des Saints, neanmoins la divine Providence n'a pas voulu qu'il en passast ainsy; mais elle a fait encores une autre union, car Dieu est un, comme je vous ay dit au commencement, aussi ayme-t-il ce qui est uni.

  A010000224 

 Mais pourquoy employe-t-il l'entremise des Anges pour nous garder et nous conferer ses graces? ne pourroit-il pas bien le faire luy mesme sans se servir d'eux? Il le pourroit, sans doute, mais pour operer cette union dont je vous parle il a resolu d'unir les Anges avec les hommes et de les assujettir les uns aux autres.

  A010000225 

 Mais, me direz-vous, comme est-ce que les hommes peuvent causer de la joye aux Anges? n'ont-ils pas en la vision de Dieu une parfaite beatitude? De cecy il n'y a nul doute; neanmoins, la Sainte Escriture ne tesmoigne-t-elle pas qu' il se fait plus de feste au Ciel pour un pecheur converti que pour nonante neuf justes? par lesquelles parolles vous voyez la joye des Anges sur la conversion d'un pecheur.

  A010000226 

 Il est vray pourtant qu'à une telle et si grande Vierge il ne faut pas aller demander des bagatelles, comme quelques uns font: par exemple, d'estre plus riche, plus belle, et semblables niaiseries; car tout ainsy que ce seroit incivilité de se servir de l'entremission d'un grand prince pour obtenir du roy ou de l'empereur quelque chose de vil prix, aussi seroit-ce une incivilité en la vie spirituelle de se servir de l'entremise de nostre glorieuse Reyne pour des choses basses et caduques.

  A010000227 

 Ouy; et la recevriez-vous comme la receut sainte Elizabeth? Nostre Dame nous vient visiter fort souvent, mais nous ne la voulons pas recevoir.

  A010000228 

 Celuy cy ayant esté fait Evesque d'un diocese où il y avoit beaucoup à travailler à cause des heretiques qu'il failloit convertir, entra en de grandes apprehensions et craintes de n'avoir pas assez de science et d'eloquence pour refuter leurs erreurs.

  A010000229 

 Je ne sçay si je l'ay desja racontée en ce lieu, je n'en ay pas bonne memoire; mais encores que je l'aye ja dite, je ne laisseray pas de la repeter, parce que je ne suis pas devant des personnes si degoustées qu'elles ne puissent entendre deux fois une mesme chose; car ceux qui ont bon appetit mangent bien d'une mesme viande deux fois.

  A010000230 

 Elle s'addressa à la petite Muse et luy dit de s'approcher de ces vierges; mais elle s'en excusa, respondant qu'elle n'osoit pas.

  A010000230 

 Ses pere et mere ne la contraignirent pas pour l'honneur qu'ils portoyent à la sainte Mere de Dieu.

  A010000231 

 Nous voudrions bien avoir des revelations, mais que ce fust par forme de recreation, pour passer le temps, parce que c'est une chose bien douce et aggreable; or, Dieu ne les donne pas ainsy, il faut tousjours qu'il nous en couste quelque chose.

  A010000239 

 Ce n'est pas qu'ils fussent despourveus de princes terriens qui leur donnassent des lois et qui eussent soin de leur conduite; non certes, car ils avoyent eu Aaron et le grand Moyse et leurs successeurs.

  A010000239 

 O peuple ingrat et murmurateur! Le Seigneur, le Dieu vivant quoy qu'invisible, estoit leur Roy et leur Prince, leur sceptre et leur couronne imperiale; mais ils ne s'en contentent pas, ains en demandent un autre, quoy qu'ils eussent bien veu la tyrannie des souverains de la terre, ayans experimenté la cruauté d'un Pharaon, roy des Egyptiens, bien contraire à la douceur de leur Roy invisible, nostre unique Seigneur.

  A010000239 

 Or, les princes du peuple de Dieu ne faisoyent pas comme ceux de cette heure, parce que le Seigneur leur communiquoit tellement son Esprit qu'ils ne commandoyent ni ordonnoyent que ce qu'ils sçavoyent estre de la divine volonté, laquelle ils connoissoyent par le moyen des Prophetes et souverains Prestres de la Loy auxquels ils s'addressoyent.

  A010000240 

 O bien, dit-il, vous ne vous contentez pas de ma conduite pleine de douceur et debonnaireté, vous voulez un roy terrien; ha! je vous en donneray un pour vous regir.

  A010000241 

 Il ne prendra point ceux que vous voudrez, mais ceux qu'il voudra, et vous n'aurez pas le pouvoir de les employer selon vos desseins, car il vous les enlevera et s'en servira comme il trouvera bon.

  A010000241 

 Tout cecy n'est pas à mon propos, mais je me suis servi de cette histoire à fin de donner entrée à mon discours.

  A010000242 

 Les unes, il les rend ses parfumeuses, les autres ses cuisinieres, les autres ses panetieres et boulangeres; ce qu'il n'a pas fait seulement apres avoir establi son Eglise, ains encores durant le cours de sa vie.

  A010000247 

 J'ay dit une grande pecheresse, car en louant sainte Magdeleine il ne faudroit pas estre flatteur et donner a entendre qu'elle n'estoit pas si grande pecheresse que le monde la croit.

  A010000247 

 Je sçay bien qu'elle n'estoit pas publique; o non, il ne le faut pas penser, car estant damoyselle de fort bon lieu et ayant le cœur genereux, elle ne pouvoit pas s'estre ainsy abandonnée.

  A010000249 

 De ceux cy il ne nous en faut pas parler, car telles sortes de gens n'ont plus de pretention pour le Ciel: l'enfer leur est preparé et sera leur heritage.

  A010000249 

 Les uns sont voirement pecheurs, mais ils ne veulent pas mourir en leur peché; les autres sont les pecheurs opiniastres qui ne veulent point de pardon, ains qui meurent en leur iniquité.

  A010000250 

 Ce n'est pas de ces pecheurs que sainte Magdeleine est la reyne, ains de ceux qui veulent sortir de leur iniquité; car ayant esté pecheresse, comme nous avons dit et comme l'Evangile nous l'enseigne, elle sortit de son peché et en demanda pardon à Dieu avec une vraye contrition et ferme resolution de le quitter, provoquant ainsy tous les pecheurs à imiter son exemple.

  A010000252 

 En effect, bien qu'on ne la nomme pas vierge, si est-ce qu'à cause de la sureminente pureté qu'elle eut apres sa conversion elle doit estre appellée archivierge, parce qu'ayant esté purifiee dans la fournaise de l'amour sacré, elle fut remplie d'une excellente chasteté et douée d'une si parfaite dilection qu'apres la Mere de Dieu c'est elle qui ayma davantage Nostre Seigneur.

  A010000253 

 Celle-cy se plaint de Marie au Sauveur, comme la voulant desapprouver de ce qu'elle ne faisoit pas comme elle; mais il ne le peut souffrir, ains reprend Marthe de son empressement, comme s'il luy disoit: Garde-toy bien de blasmer Magdeleine, laquelle n'a en soy aucune chose digne de reprehension; car elle a choisi la meilleure part, et toy tu t'empresses trop.

  A010000254 

 Elle leur enseigne comme il faut qu'elles fassent pour entrer en Religion, c'est à dire pour quelle fin elles y doivent entrer, qui n'est pas seulement pour aymer Dieu.

  A010000255 

 Non point pour avoir des extases, des revelations, suspensions ou telles autres choses, o non certes; tant de mouvemens, de lumieres, de sentimens sensibles, qui sont presque communement desirés de tous, ne sont pas necessaires à nostre salut ni requis pour entretenir et perfectionner nostre amour.

  A010000256 

 Je ne me souviens pas d'avoir veu en aucun lieu qu'elle soit jamais sortie de ces sacrés pieds: à sa conversion, elle entra par derriere et se jettant à ses pieds, les lava de ses larmes et les essuya de ses cheveux; quand elle l'alla trouver au festin qui se fit apres la resurrection du Lazare, elle portoit la boëte de parfums et onguens pretieux et se prosterna encores à ses pieds.

  A010000258 

 Ne venez donques pas en Religion pour estre consolées, ains pour vous sacrifier, pour estre les panetieres et cuisinieres de Nostre Seigneur, voire ses parfumeuses, quand il luy plaira et non quand il vous plaira.

  A010000259 

 Ce n'est point trop exiger de nous que cela, car si nous avons tant fait pour le monde, nous laissant attirer par ses vains attraits, que ne devons-nous faire pour les attraits de la grace qui sont si doux et si suaves? Certes, ce n'est pas nous faire tort que de demander cela de nous; c'est pourquoy, comme on a employé son cœur, son ame, ses affections, ses yeux, ses paroles, ses cheveux pour le monde, il les faut aussi employer et sacrifier au service de la dilection sacrée..

  A010000260 

 Il s'en trouve bien qui donnent leurs cheveux, mais ils ne donnent pas leurs yeux; d'autres donnent encor leurs yeux, mais pour leurs paroles, nullement; d'autres donnent les trois ensemble, mais ils ne donnent pas leurs parfums.

  A010000260 

 Or, que nous representent-ils, sinon les pensees non seulement mauvaises, mais aussi [89] inutiles, lesquelles il faut couper et retrancher? C'est ce que doivent entendre ces filles quand on les leur coupe; car pourquoy pensez-vous qu'on tonde les Religieuses? On dit que cela est sain; je le crois, mais cette cy n'est pas la principale cause, ains pour leur apprendre que comme elles sont retirées des objets qui leur pourroyent donner des mauvaises pensées, elles ne doivent non plus courir apres les choses vaines et mondaines qu'elles ont laissées, mais oublier tout pour s'appliquér totalement à Dieu.

  A010000260 

 Qu'est ce que les cheveux? C'est ce qu'il y a de plus vil et abject au corps humain, les excremens de la nature, une superfluité et chose de nul prix; on n'en tient aucun compte, non pas mesme de ceux des roys, car on les foule aux pieds comme n'ayant nulle valeur, et neanmoins l'esprit humain constitue sa gloire en iceux.

  A010000261 

 Et pourquoy? Hé Dieu, parce que je ne fais pas ce que je veux.

  A010000262 

 On s'offence quelquefois par la croyance qu'on nous regarde de travers; en quoy l'on se trompe bien souvent, car cela peut arriver parce qu'on a les yeux bouffis, n'ayant assez dormi, ou pour avoir quelque chose en teste, ce qui est cause qu'on n'a pas les yeux doux.

  A010000263 

 Alors le Sauveur en fut touché, se troubla et fremit, compatissant ainsy à la douleur de cette sienne amie; car il ne fut pas esmeu de voir le Lazare mort, d'autant qu'il le sçavoit bien, mais il laissa troubler son ame pour l'amour qu'il portoit à sainte Magdeleine..

  A010000264 

 Oh! cela ne me console point, car ce ne sont pas les Anges que je cherche, mais mon Maistre.

  A010000265 

 On se souvient des maysons, des extractions, on recherche si son grand pere et arriere grand pere n'est pas issu de la race d'Abraham.

  A010000267 

 En Religion on fait mourir la nature, on contrarie les affections et inclinations pour faire regner la grace; en somme on vous despouille du viel Adam pour vous revestir du nouveau, et cela ne se fait pas sans souffrir..

  A010000267 

 Voyez-vous, la Religion «est un mont de Calvaire,» on ne vous y a pas receues pour vous y donner des consolations; o non certes, car on ne demande rien moins de vous que d'estre crucifiées.

  A010000268 

 Elle luy promit qu'elle n'y manqueroit pas, et apres sa priere un Ange luy apparut en forme d'un nain qui portoit un panier en sa main, dans lequel il y avoit trois pommes et trois roses tres belles et admirables.

  A010000268 

 Il faut donques avoir bon courage en une si haute entreprise commencée en la feste d'une si vaillante guerriere, car bien que vous n'en portiez pas le nom, elle ne laissera pas d'estre vostre protectrice.

  A010000268 

 On ne vous le cache point, la perfection ne s'acquiert pas sans difficulté.

  A010000270 

 Et sainte Agnes, qui, aagée seulement de treize ans, triompha du monde et de la chair, donnant son sang pour son Espoux celeste! O que vous serez heureuses si voir, imitez ces Saints et Saintes en leur mespris des creatures et d'eux mesmes! Il faut de necessité faire une parfaite abnegation pour parvenir à la perfection, et ne penser plus au monde ni à vos parens; je veux dire aux maysons desquelles vous estes sorties, car je n'entens pas que vous oubliiez de prier pour eux..

  A010000271 

 Et ne dites point: O Dieu, tousjours vivre icy! et le moyen? (Peut estre que cela ne vous viendra pas en teste pendant vostre noviciat, mais puis apres il pourroit survenir des fantosmes qui vous estonneront.) Ressouvenez-vous des paroles de saint Paul: J'ay tellement mesprisé le inonde que je le tiens comme un pendu et il me tient comme un pendard; je suis crucifié au monde et le monde m'est crucifié; je n'ay pas de vie pour moy, ni pas un bouton pour le monde; car si bien je vis, je ne vis pas moy, mais c'est Jesus Christ qui vit en moy.

  A010000271 

 Il dit que le monde luy est crucifié et qu'il est crucifié au monde; puis, en suite de cela: Je vis, mais plustost je ne vis pas, ains c'est Jesus Christ qui vit en moy.

  A010000288 

 Là, pressé de cette violente conteste qui se passoit entre son homme interieur et l'exterieur, il commença, comme un autre saint Paul, d'exprimer sa douleur par les paroles du mesme Apostre: Qui me delivrera de ce corps de mort, et qui m'affranchira de cette incomparable convulsion que je ressens ès deux parties de mon ame? Oh! qui me delivrera de cette chair si contraire à l'esprit? Hé, Seigneur, disoit-il (car ce sont ses propres mots, comme il raconte luy mesme au livre de ses Confessions ), jusques à quand, jusques à quand serez-vous courroucé contre moy? jusques à quand vous souviendrez-vous de mes pechés? O cieux, jusques à quand serez-vous irrités contre moy? jusques à quand y aura-t-il un si grand divorce entre vous et moy, et quand vous reconcilierez-vous avec mon ame? Au plus fort de ses plaintes, il entendit chanter ces paroles derriere la muraille où il estoit: «Prens et lis, prens et lis;» puis, prestant l'oreille pour mieux escouter, il ouyt encores: «Prens et lis.» Et pensant en soy mesme si ce ne seroit point une compagnie de filles qui repetoit cette chanson, il taschoit de se resouvenir s'il n'en couroit point pour lors auxquelles on trouvast ces paroles: «Prens et lis.» Car, comme vous sçavez, et si vous ne le sçavez pas vous l'apprendrez, en toutes les villes il court tousjours quelques chansons parmi le vulgaire et menu peuple, qui certes devroyent plustost estre mesprisées qu'escoutées.

  A010000292 

 Aussi n'est-ce pas sans mystere que la divine Providence voulut qu'il se convertist tout à fait à l'ombre d'un figuier, pour monstrer que si bien le debut de sa vie avoit esté rude et tres mauvais, neanmoins ses fruits estans venus à maturité, elle deviendroit ensuite tres pretieuse..

  A010000297 

 Quant à ce qui est d'estre ivrogne et gourmand, je n'ay pas remarqué qu'on l'en accuse, du moins n'en ay-je pas bonne memoire.

  A010000300 

 Mais tant aux uns qu'aux autres de ses enfans spirituels, il preschoit grandement la pauvreté, ne voulant pas mesme que les livres auxquels ils estudioyent fussent en particulier, ains ordonna qu'on les demandast à l'obeissance et qu'on les rendist à celuy qui en avoit le soin..

  A010000301 

 Despuis qu'il fut prestre et Evesque, il prattiqua la pauvreté en telle sorte qu'il ne se laissa rien, donnant tout son vin et son blé aux pauvres, jusques là qu'il vendit les tapisseries et ornemens de l'eglise pour subvenir à leurs necessités; ce qu'il faisoit par une inspiration particuliere de Dieu, d'autant qu'il n'est pas loysible de devestir l'autel pour nourrir les indigens, sinon en cas de besoin.

  A010000302 

 Je ne parle pas de la frugalité de sa table ni de sa pauvreté en ses vestemens, qui estoyent tousjours de vile estoffe; car bien qu'il s'habillast honnestement selon que requeroit sa charge episcopale, si est-ce que le reste de ses habits estoit tres pauvre.

  A010000303 

 N'ayant pas sa virginité, il estoit d'autant plus [107] jaloux de conserver sa chasteté, en sorte qu'il surpasse plusieurs vierges; tout ainsy que sainte Magdeleine, laquelle, toute impure qu'elle avoit esté auparavant, surpassa neanmoins en chasteté plusieurs vierges en leur virginité, et n'y en a pas une qui ayt tant esté honnorée en sa virginité comme sainte Magdeleine l'a esté en sa chasteté, hormis la sacrée Vierge qui est hors de toute comparaison.

  A010000304 

 Je sçay bien que le jeusne, la haire, la discipline et la sobrieté (qui ne consiste pas seulement à retrancher la gourmandise, mais encores à se priver des viandes exquises et par trop nourrissantes, à se contenter de ce qui est necessaire et à user d'alimens simples et grossiers), je sçay bien, dis-je, que tout cela est bon pour conserver la chasteté infuse dans une ame; mais certes, ce seroit peu s'il n'estoit accompagné de l'humble priere, parce que c'est à l'humilité que sont attachés tous les dons de Dieu.

  A010000304 

 Mais la chasteté est un don de Dieu qui ne s'acquiert pas à force de bras et qui ne peut estre conservé par artifice et industrie; car les dons de Dieu ne s'arrachent pas de ses mains par force ni par contrainte, ils se donnent gratuitement et selon la disposition du cœur.

  A010000306 

 Je n'ignore pas qu'ès escoles les uns disent que Platon estoit le plus grand esprit, d'autres, que c'estoit Ciceron.

  A010000307 

 Il avoit une tare en son sçavoir, il ignoroit la langue grecque; car bien qu'elle soit plus moëlleuse en son sens que la langue latine, si est-ce que le style n'en est pas si delicat, et pour cela saint Augustin, qui s'arrestoit plus au style qu'au sens, ne la voulut pas apprendre lors qu'il estudioit.

  A010000310 

 Pour les inferieurs, o certes, il n'en faut pas parler: si cela m'estoit dit par un de mes Superieurs je le souffrirois encores, mais par un tel je ne l'endureray pas, je ne luy donneray point cette authorité sur moy, Neanmoins c'est là où gist un des principaux points de l'humilité et de la perfection de la vie chresienne.

  A010000311 

 Sa femme mesme ne luy vouloit pas rendre ce service, car [111] elle se mocquoit de luy et le haïssoit; ses amis en faisoyent de mesme.

  A010000314 

 Il semble que le Ciel nous soit deu seulement pour ce que nous meritons en prattiquant ce que nous devons prattiquer ou en omettant ce qu'il ne convient pas de faire.

  A010000314 

 Ne faites pas ce que vous faites pour avoir beaucoup de merites et ne vous informez point si vous en aurez en faisant cecy ou cela.

  A010000315 

 Ne dites point: Voyla un homme qui par ses œuvres aura bien du merite; mais plustost: O que Dieu a fait de grandes graces à cette personne là! O que grande a esté sa misericorde en son endroit! N'ayez point d'autre fin que de chercher la gloire de Dieu, car c'est pour cela que vous estes entrées en Religion, et non pas seulement pour vous retirer du tracas du monde; les philosophes payens faisoyent bien ce renoncement, à fin d'avoir par ce moyen plus de temps pour vaquer à l'estude des sciences humaines.

  A010000315 

 Que si vous le confessez, Nostre Seigneur ne le dira pas, car il vous recompensera à l'esgal de la fidelité que vous aurez eue à son service; et quoy que vous ne travailliez pas pour les merites, vous ne lairrez pas d'en avoir au Ciel la recompense.

  A010000315 

 Vous n'y estes pas venues non plus pour devenir plus riches; oh! rien de cela, car c'est icy où l'on se fait pauvre.

  A010000324 

 Il ne dit pas: Luc le medecin, ou Luc seulement, mais Luc, le tres aymé et le tres cher medecin, vous salue.

  A010000324 

 Saint Luc vous salue donques en qualité de medecin et encores de peintre; car bien que saint Paul ne le nomme pas peintre, si est-ce que selon la tradition ecclesiastique il l'estoit, comme le disent saint Damascene et Nicephore; et c'est luy qui a peint la sacrée Vierge, nostre [116] Mere et Maistresse.

  A010000329 

 Le bon jardinier ne doit pas seulement se contenter de dresser son parterre, mais il faut qu'il y remette la main en deux ou trois temps et qu'à tout propos il veille sur iceluy pour destruire les continuelles productions que fait cette terre, lesquelles viendroyent à estouffer ces chiffres et compartimens qu'il a faits avec tant de peine..

  A010000332 

 Il n'a onques varié en ses entreprises et resolutions, ains les a tousjours gardées, tant en l'estat du celibat comme en l'election qu'il fit de suivre Nostre Seigneur sans chanceler jamais ni peu ni d'un costé ou d'un autre, ce qui ne se lit pas des Apotres et de quelques autres disciples de nostre divin Sauveur.

  A010000333 

 Il estoit non seulement medecin mais encores peintre; non point pour en tenir boutique et gaigner sa vie par cette profession, o non, il ne faut pas entendre cela, car estant medecin honnorable il avoit [121] assez de quoy s'entretenir honnorablement.

  A010000333 

 Neanmoins il en avoit fait plusieurs autres, car je sçay bien que l'on n'est pas maistre en cet art sans avoir fait plusieurs portraits; mais il n'a laissé que celuy de Nostre Dame.

  A010000334 

 Mais comment? En gardant et observant ce qu'il a fait pour la peindre et tirer; car ne pensez pas qu'il l'ayt seulement reproduite sur quelque toile ou autre matiere propre à cet effect pour en gratifier la posterité.

  A010000335 

 Mais helas! cela ne se fait pas, car venant en Religion on y apporte des cœurs marqués de tant de traits, je veux dire qu'ils sont si rudes, grossiers, aigres, mal façonnés et peu civilisés que c'est pitié de les voir.

  A010000337 

 Par où vous voyez que pour estre bonnes peintresses il ne suffit pas de purger vos cœurs de tout ce qui est mauvais, mais encores de toutes autres teintures desquelles vous les auriez voulu enrichir.

  A010000337 

 Secondement, il ne suffit pas au peintre de bien nettoyer sa toile de ce qui est mauvais, mais encores faut-il enlever ce qui est bon; car si on prend une estoffe teinte en quelque couleur, elle ne sera nullement susceptible de la peinture qu'on luy veut donner, non pas mesme quand elle seroit teinte en escarlatte, qui est la couleur la plus douce et unie qui se puisse trouver.

  A010000339 

 La quatriesme chose requise pour bien peindre c'est d'estre en un lieu obscur et où il n'y ayt pas trop de clarté; que s'il y en a trop, le sage peintre ferme le vanteau de la fenestre et ne laisse ouvert qu'un petit guichet, d'autant qu'une trop grande lumiere l'empesche de bien asseoir son pinceau et de bien remarquer le visage qu'il veut tirer.

  A010000339 

 O que bienheureux sont ceux qui n'apportent pas en Religion de beaux et grans entendemens! Ceux cy sont les meilleurs, parce que n'ayans pas tant de lumiere naturelle ils sont plus propres pour recevoir celle du Saint Esprit qui leur est communiquée par autruy.

  A010000341 

 De plus, ayant une simplicité de colombe, sans aucune finesse, elle ne fit pas tant de discours, ains se contentant de voir en cette [126] requisition beaucoup d'humilité et d'amour, elle accorda tout bonnement et simplement ce qu'on luy requeroit.

  A010000343 

 Il ne dit pas seulement: Luc est avec moy; mais: Le seul Luc est avec moy.

  A010000343 

 O Dieu, quelle suavité recevoit aussi nostre glorieux Saint de la compagnie de saint Paul! combien de secrets luy reveloit-il, luy qui avoit esté ravi jusques au troisiesme Ciel! Il est certain que saint Luc avoit beaucoup appris de cet Apostre, car mesme en ses escrits il dit qu'il n'a pas veu tout ce qu'il rapporte, mais bien qu'il l'a ouÿ..

  A010000343 

 Or, quoy que ce grand Apostre estant en prison et escrivant à son cher disciple [127] Timothée pour se consoler avec luy, le saluast luy disant: Je suis icy tout seul, ce n'est pas qu'il fust le seul qui creust en Jesus Christ, car il y en avoit plusieurs, mais il vouloit signifier qu'il estoit seul dans les fers.

  A010000344 

 Saint Luc n'a pas esté seulement instruit de saint Paul, mais encores de nostre divine Maistresse, laquelle luy apprit à escrire avec un style humble, quoy que plein d'une admirable science, et à traitter des mysteres bas et cachés, comme de celuy de la Nativité de Nostre Seigneur, faisant voir ce petit Enfant dans les langes et maillots, parmi le foin et la paille.

  A010000345 

 Ce n'est pas qu'il ne fist de grandes choses et qu'il n'endurast beaucoup, mais son humilité ne luy permet pas de le rapporter..

  A010000346 

 C'est pourquoy il fait mention de l'election de saint Mathias, car Nostre Seigneur ne voulut point, n'avant que de monter au Ciel, nommer un Apostre pour mettre en la place de Judas, ains en laissa le choix et nomination au college apostolique pour destruire l'erreur [129] de ceux qui croyent que despuis l'Ascension du Sauveur la generation des Apostres a failli, ce qui n'est pas; car Jesus Christ luy mesme a voulu que les Apostres se soyent assemblés pour eslire ceux qui leur devoyent succeder, à commencer par saint Mathias.

  A010000347 

 Ce n'est pas qu'ils soyent moindres que les autres, car saint Pierre est le prince et le premier de tous; mais apres avoir demandé au nom de tous les autres, elle nomme saint Pierre et saint Paul tout à part pour monstrer leur excellence.

  A010000347 

 Donques, quand saint Luc escrit: Là estoyent les Apostres, les disciples, les femmes et puis Marie, Mere de Jesus, ce n'est pas à dire qu'elle soit moindre que les personnages desja mentionnés, ains il veut monstrer qu'elle seule vaut mieux que tous ceux là ensemble..

  A010000347 

 On en fait de mesme quand on parle du roy, d'autant qu'on dit: Là estoyent les princes, tout le peuple ou l'armée, puis le roy; mais ce n'est pas que le roy pour estre nommé le dernier soit au dessous des autres, o non, car chacun sçait qu'il est plus que tous; aussi le nomme-t-on tout à part.

  A010000349 

 La fidelité du serviteur se connoist en ce qu'il s'acquitte de ses devoirs en l'absence de son maistre aussi bien que s'il luy estoit present; car voit-on jamais un serviteur, pour negligent qu'il soit, ne point faire ce qu'il doit quand il sçait que les yeux de son maistre sont sur ses mains? Or, ne pas faire ce que l'on fait pour les [131] mains du Maistre, c'est agir par amour et non par crainte de chastiment..

  A010000349 

 Mais quand il leur recommande de ne tenir point les yeux fichés sur les yeux de leur Maistre il n'entend pas qu'ils ne fassent pas ce qu'ils font pour plaire aux yeux de Dieu et pour l'imiter, o non; mais que, lors mesme qu'ils ne seroyent pas regardés de leur Seigneur ils ne devroyent pas laisser de faire ce qui luy est aggreable.

  A010000356 

 Ne pensez pas que ce soyent les miracles et les vocations speciales qui ont rendu saints tous ceux qui sont en Paradis; o non certes, car il est vray qu'il y en a un nombre infini qui ont esté ignorés en cette vie, qui n'ont point fait de prodiges et dont on ne fait aucune mention sur la terre, lesquels neanmoins sont au dessus de ceux qui ont operé beaucoup de merveilles et qui ont esté et sont honnorés parmi l'Eglise de Dieu.

  A010000357 

 Je ne veux pas icy parler de ces influences dont traittent les astrologues, ce n'est pas pour ce lieu; je parle de celles que, d'apres les platoniciens, le ciel respand sur la terre, lesquelles luy font produire les fruits, les arbres [134] et les plantes.

  A010000360 

 Il veut pour cela que nous nous servions de l'invocation des Saints et Saintes, qu'ils soyent nos mediateurs et «que nous recevions par leur entremise ce que nous ne meritons pas d'obtenir» sans [135] icelle.

  A010000363 

 Pour cela, lors que nous prions les Saints nous ne leur demandons pas qu'ils nous accordent ou qu'ils nous departent quelque vertu ou faveur, mais bien qu'ils la nous impetrent, parce qu'il n'appartient qu'à Dieu seul de donner ses graces comme il luy plaist et à qui il luy plaist..

  A010000367 

 Cecy est fort discuté entre les theologiens; mais il me semble que l'on s'en doit rapporter à ce que nostre divin Maistre a declaré: Je ne dis pas que je prieray pour vous; car il y a difference entre prier et demander, comme nous venons de le voir.

  A010000367 

 Le maistre demande bien à son serviteur mais il ne le prie pas, ains au contraire en luy demandant quelque chose il luy commande en certaine façon de la luy donner.

  A010000367 

 Or, soit que l'on objecte qu'il fait ces requestes par forme de supplication et priere, se rendant nostre Mediateur, je ne suis pas homme de conteste; tant y a que ce qu'il demande pour nous luy appartient par droit de justice..

  A010000367 

 Remarquez que je ne dis pas que c'est celle qui prie, ains celle qui demande, car il y a bien de la difference entre prier et demander.

  A010000367 

 Un autre [138] demandera ce qui luy est deu; celuy là ne prie pas comme par forme de priere, ains il exige ce qui justement luy appartient.

  A010000369 

 Par ce divin meslange elles se rendent encores pretieuses devant Dieu et meritoires pour nous et pour nos prochains, car la charité et l'amour divin ne veulent pas que l'on travaille seulement pour soy, ains aussi pour autruy..

  A010000373 

 Car voyez-vous, nostre cher Sauveur et Maistre nous a creés sans nous, c'est à dire il nous a donné l'estre lors que nous n'estions rien; mais il ne nous veut pas sauver sans nous, il ne veut point violenter nostre liberté ni sauver personne par force, il luy faut nostre consentement et cooperation à sa grace..

  A010000373 

 Nous les prions de nous obtenir des vertus et nous ne voulons pas nous mettre en l'exercice d'icelles ni en faire aucun acte; neanmoins nous pretendons que les Saints les nous obtiennent, nonobstant que nous fassions les actes contraires aux vertus que nous demandons.

  A010000374 

 Par consequent aucune creature, non pas mesme la sacrée Vierge, quelles que soyent les prieres qu'elle fasse, ne peut parvenir à la gloire sinon par la Mort et Passion de Nostre Seigneur qui nous l'a achetée et meritée par icelle.

  A010000376 

 O mes cheres Sœurs, c'est à vous à qui je parle, car si bien vous n'estes pas encores hors du monde, vous estes neanmoins comme des Nazareens, esloignées et sequestrées du monde et de la vanité.

  A010000379 

 Et le monde ne dit-il pas tout au rebours? Ne va-t-il pas constituant son bonheur en tout ce qui est contraire aux preceptes de l'Evangile? C'est pourquoy Nostre Seigneur considerant cette statue, non point en songe comme Nabuchodonosor, ains en verité, et voyant qu'elle n'avoit que des pieds de terre, c'est à sçavoir que tout ce que ce siecle prise n'est fondé que sur des choses perissables et transitoires, il jetta, comme nous avons dit, cette pierre des huit beatitudes auxquelles est enclose toute la perfection chrestienne..

  A010000380 

 Hé, dit-il, ce n'est pas tout de se faire Religieux: quitter tout pour avoir toutes choses à souhait, se faire pauvre en entrant en Religion et vouloir que rien ne nous manque, vouer la pauvreté et ne vouloir en ressentir aucune incommodité, et qui pis est, rechercher en Religion ce que nous n'avons pas peu trouver au monde, pretendre nonobstant ce vœu, d'avoir mieux nos ayses et commodités qu'avant de nous estre rendus pauvres, o Dieu, quelle pauvreté molle, fade et blasmable! Il est vray pourtant, et c'est un malheur, que les plus difficiles [145] à contenter dans les monasteres ce sont ceux qui avoyent le moins de biens avant que d'y entrer..

  A010000380 

 Il est vray qu'on l'est desja en quelque façon par ce renoncement; mais helas, ce n'est pas ainsy que l'entend Nostre Seigneur.

  A010000380 

 Mais n'est-ce pas estre pauvre d'esprit que d'avoir l'usage des richesses, de posseder des biens et dignités, pourveu qu'on n'y attache pas trop son affection? D'autres diront: Pour estre pauvre d'esprit il suffit d'estre Religieux et d'avoir quitté le monde, et choses semblables.

  A010000382 

 Je sçay bien que ces paroles: Bienheureux ceux qui pleurent, s'entendent de ceux qui pleurent leurs pechés et ceux d'autruy parce qu'ils sont contre Dieu, ou encores pour l'absence de ce souverain Bien, comme faisoit David qui detrempoit son pain de larmes quand on luy disoit: Où est ton Dieu? Mais tous n'ont pas ces larmes, et elles ne sont pas necessaires pour estre sauvé; neanmoins tous peuvent avoir le desir d'icelles et demeurer devant la divine Majesté avec un cœur contrit et humilié.

  A010000395 

 Mais combien que l'on dedie les jours de l'année aux Saints, si ne laissent ils pas pourtant d'estre tous consacrés à Nostre Seigneur comme à Celuy qui les a faits et à qui ils appartiennent tout c'est pour cela que l'Eglise luy dedie celuy d'aujourd'hui, qui est le premier, et en iceluy toute l'année.

  A010000396 

 L'Evangile qui se lit aujourd'huy, quoy qu'il soit le plus court de tous ceux de l'année, ne laisse pas d'estre tres haut et tres profond; car en iceluy il est fait mention du sang et du nom de Jesus, et en ces deux mots est comprise toute l'histoire de la circoncision.

  A010000398 

 Dès l'instant de son Incarnation il fut rempli de toutes sortes de graces et benedictions quant au corps et quant à l'ame par cette estroitte union de l'humanité avec la Divinité, à cause dequoy il fut non seulement comblé de la plenitude des graces, mais son ame fut encores toute glorieuse, jouissant de la claire vision de Dieu, de maniere qu'il n'avoit aucun besoin de s'assujettir à la loy de la circoncision, et neanmoins il n'a pas voulu laisser de s'y sousmettre.

  A010000398 

 Secondement, la circoncision estoit comme une marque par laquelle le peuple de Dieu estoit reconneu d'entre les autres; mais Nostre Seigneur n'avoit pas besoin d'estre marqué de cette marque, puisqu'il estoit luy mesme le sceau ou le signacle [148] du Pere eternel.

  A010000399 

 C'est bien fait que de circoncire sa bourse et de donner l'aumosne; c'est une chose bonne que l'aumosne, dit l'Apostre, elle est bonne en tous temps et saisons; mais ne voyez-vous pas que si bien vous faites la circoncision spirituelle, vous ne la faites pas en maniere qu'il faut? Ne circoncisez pas vostre bourse, car ce n'est pas là, o voluptueux et charnels, la partie que vous avez le plus malade, ains circoncisez vostre coeur.

  A010000399 

 Mais ils ne le font pas, ains, suivans leurs brutales affections, ils pensent beaucoup faire de donner quelque aumosne et estiment avoir satisfait à tout..

  A010000400 

 O Dieu, qu'est-ce que vous faites? Ces veilles, ces jeusnes sont bons, mais vous ne faites pas bien la circoncision spirituelle, car vous ne commencez pas en la partie la plus interessée: le mal est au cœur, et vous tuez le corps.

  A010000401 

 O pauvres gens, vous pensez estre bien circoncis en portant la haire, prenant la discipline et telles autres choses; mais ne voyez-vous pas que la partie qu'il faut circoncire est la langue qui se baigne dans le sang de l'innocent?.

  A010000402 

 Ah, mes cheres ames, que faites-vous? Le mal est caché dans le cœur, ce n'est donques pas tout de circoncire la langue; il faut faire la circoncision en cette partie interessée d'où naissent ces grommellemens, murmures et sentimens, car la circoncision se doit faire en l'endroit le plus malade..

  A010000404 

 Il y a bien de la difference entre la circoncision et l'incision; car l'incision est requise aux malades qui ont quelque playe ou aposteme sur lesquels on applique le couteau ou le fer pour les ouvrir et en tirer l'ordure; mais il n'en est pas de mesme de la circoncision.

  A010000404 

 La pluspart des Chrestiens font des incisions au lieu de faire des circoncisions: ils donnent bien quelque coup au membre infecté, mais ils n'apportent pas le couteau pour couper et retrancher du coeur ce qui est superflu.

  A010000404 

 La seconde remarque que je fais est que c'estoit une circoncision et non pas une incision.

  A010000404 

 Or, il faut que je vous dise cecy comme par maniere de preface: tous sont obligés de faire la circoncision, mais differemment, non pas esgalement; car les ecclesiastiques, Prestres, Evesques, Religieux et Religieuses ont une particuliere obligation à la faire et d'une façon toute autre que ceux qui vivent dans le monde, d'autant qu'ils sont plus specialement dediés à Nostre Seigneur..

  A010000405 

 Dieu n'a pas seulement deux preceptes en sa loy, ains il y en a encores d'autres qu'il faut necessairement observer pour estre sauvé, car manquer à un commandement de Dieu c'est se juger et condamner soy mesme aux peines d'enfer.

  A010000405 

 Il est vray, mais ce n'est pas tout là; il y a bien d'autres pechés que ceux cy, lesquels peut estre vous aurez commis, qui sont aussi dangereux que ceux que vous dites n'avoir pas fait.

  A010000405 

 Il y en a d'autres qui se contentent de retrancher une passion ou habitude vicieuse et dressent le combat contre icelle; mais ils ne laissent pas de croupir et se vautrer dans mille autres pechés contre la loy du Seigneur.

  A010000405 

 Lors que le Seigneur donna sa Loy à Moyse il ne dit pas seulement: Celuy qui tuera mourra, ni celuy qui desrobera mourra, mais il fit aussi la mesme menace, et ordonna la mesme peine et le mesme chastiment à l'esgard des autres commandemens..

  A010000405 

 Or, ceux cy ne font pas la circoncision ains seulement une incision, car ils ne vont pas à la partie gastée pour couper ce qu'il faut à fin d'estre vrayement circoncis, mais ils se contentent de donner un coup à quelque membre interessé, combien que pour l'ordinaire ce ne soit pas au plus malade; et neanmoins ils pensent faire ainsy une entiere circoncision.

  A010000406 

 Je dis toute, et non pas seulement une partie d'icelle; c'est pourquoy celuy qui n'aura fait qu'une incision, qui se sera contenté d'observer un commandement ou deux, retranchant la mauvaise coustume qu'il avoit d'y contrevenir, sans se soucier de circoncire les habitudes vicieuses qui le rendent refractaire aux autres preceptes de Dieu, il sera damné.

  A010000406 

 Voyla donc comme il est necessaire qu'un chacun fasse la circoncision spirituelle, non pas tous esgalement et en une mesme façon; mais tous generalement doivent couper et aller avec le couteau non seulement en un lieu, comme ceux qui incisent, ains tout à l'entour, gardant et observant la loy entiere sans en rien omettre.

  A010000407 

 Il ne suffit pas que les Religieux et Religieuses se contentent de couper et combattre un vice ou une mauvaise inclination, mais ils doivent aller tout autour du cœur.

  A010000407 

 Nous la devons prattiquer non seulement en la façon que font les seculiers, mais encor en une autre maniere à laquelle ils ne sont pas tenus parce qu'ils n'ont pas comme nous les moyens propres à [153] cela, et aussi parce qu'ils ne sont pas si particulierement dediés à Nostre Seigneur.

  A010000408 

 Celuy qui seroit icy bas sans passions ne patiroit pas, ains il jouiroit desja; or, cela ne se peut ni ne se doit, car tant que nous vivrons nous aurons des passions et nous n'en serons point quittes jusqu'à la mort, puisqu'au combat de telles passions et esmotions gist nostre victoire et nostre triomphe.

  A010000408 

 Hé, hé, mes cheres ames, leur respond-on, nous ne sommes pas venus icy pour jouir, ains pour patir; attendez un peu, et vous serez un jour dans le Ciel où il n'y a que paix et joye; vous n'y sentirez aucune passion, mouvement d'envie, aversion ni repugnance, ains vous possederez une tranquillité et repos perdurables.

  A010000408 

 Mais quelqu'un me dira: Il est vray; cependant j'ay desja plusieurs fois apporté le couteau pour couper telles passions et inclinations, telles repugnances et aversions que je vois estre en mon cœur incirconcis et qui me font une cruelle guerre; et quoy que j'aye desja fait, ce me semble, tout ce que j'ay peu, que j'y aye employé beaucoup de temps avec tout le soin et diligence possible, je [153] ne laisse pas neanmoins de tousjours sentir de fortes et puissantes passions, aversions, degousts, repugnances et plusieurs autres mouvemens qui me travaillent et guerroyent.

  A010000410 

 Hé, pauvres gens, ne voyez-vous pas que ce n'est pas là la partie la plus malade et que ce n'est pas ce qu'il faut circoncire, puisque ces tremoussemens ne sont pas en vostre pouvoir?.

  A010000410 

 Il ne faut pas penser quand [154] vous sentez dos esmotions et des repugnances que vous pechiez et offenciez tant soit peu.

  A010000410 

 Il ne se faut donc pas estonner si quand on nous dit nos fautes ou qu'on nous reprend, nous sentons promptement ou mesme assez long temps ces tremoussemens, si nous avons du degoust sur ce qui nous arrive ou qui nous est fait contre nos inclinations, ni moins si nous avons plus d'affection à une chose qu'à une autre.

  A010000410 

 O nullement, car cela est independant de nous; ces divers mouvemens ne sont point coulpables, ce n'est pas là sur quoy il faut poser le couteau de la circoncision.

  A010000411 

 Allez donc, vous autres, tout à l'entour du cœur, regardez soigneusement vos passions, inclinations et affections, puis raclez et coupez tout cela nettement et absolument; ne vous contentez pas de faire seulement des incisions, comme ceux qui vivent parmi le monde, mais faites de bonnes circoncisions spirituelles et interieures.

  A010000412 

 Je sçay bien qu'il y a diverses opinions des Docteurs et anciens Peres sur cecy, mais je ne les rapporteray pas maintenant; j'en diray seulement une, qui est que Nostre Seigneur a voulu estre [155] circoncis par la main d'autruy pour nostre exemple, à fin de nous monstrer qu'encores que ce soit une bonne chose de se circoncire soy mesme il est encores meilleur d'estre circoncis par les autres.

  A010000412 

 La troisiesme est qu'en l'ancienne Loy celuy qui devoit estre circoncis ne se circoncisoit pas luy mesme, mais il l'estoit par la main d'autruy.

  A010000413 

 Neanmoins dans les familles et maisons religieuses il y a tousjours des personnes qui, outre cela, se tiennent en attention et qui veillent continuellement sur leur propre cœur pour connoistre ce qu'il faut tordre et mortifier, et par consequent elles ont le couteau entre les mains à fin de se circoncire elles mesmes; ce qui ne les empesche pas pourtant de vouloir l'estre par autruy, et il n'y a point de doute que cette circoncision ne soit plus douloureuse et sensible que l'autre.

  A010000414 

 Il luy failloit plustost abattre celle cy que l'autre, a ce qu'il fust plus apte et prompt à ouyr les inspirations et les parolles divines et celestes; mais parce que vous avez agi tout au contraire, la circoncision n'en est pas bien faite.

  A010000414 

 Mais nostre divin Sauveur n'approuvant pas cette action, le reput et tança, et prenant l'oreille de Malchus il la rattacha et remit en son lieu, puis il dit à saint Pierre: Remettez vostre espée dans son fourreau; comme s'il eust voulu dire: Vous n'avez pas mis le couteau où il failloit, cette circoncision n'est pas bien faite, d'autant que ce n'est pas cette partie là qu'il failloit couper.

  A010000415 

 Le predicateur qui a fait [157] aujourd'huy le grand sermon a commencé sa predication par un trait admirable que je ne lairray pas de vous rapporter, car c'est un mets bien propre pour servir à deux tables et il le sera aussi à conclure mon exhortation.

  A010000416 

 Il n'en est pas ainsy de l'amour de Dieu, car il persevere et ne sort jamais de l'ame où il est une fois entré, laquelle il va unissant et liant avec la divine Majesté, non pour deux ou trois jours comme l'amour mondain, mais pour l'eternité.

  A010000419 

 Il pouvoit asseurement satisfaire à la justice divine pour tous nos pechés par un seul souspir de son sacré cœur, mais il n'auroit pas contenté son amour qui vouloit qu'en prenant le nom de Sauveur il donnast son sang pour arrhes de celuy qu'il vouloit respandre pour nostre redemption.

  A010000419 

 Il pouvoit à la verité sauver le monde sans verser son sang, mais cela n'eust pas suffi à l'affection qu'il nous portoit.

  A010000420 

 Le premier est celuy de souverain Estre, qui luy tellement reservé qu'il ne se peut attribuer à pas un autre; en ce nom il se connoist luy mesme par luy mesme.

  A010000421 

 Ce n'est pas assez de le redire de bouche, mais il le faut avoir gravé dans le cœur.

  A010000421 

 Ce nom ne doit pas estre seulement prononcé tellement quellement; il n'est pas suffisant de sçavoir qu'il composé de deux syllabes, ni moins encores de le dire seulement de bouche; les perroquets en font bien autant, les mahometains et autres infidelles le nomment bien de la sorte, et ils ne sont point sauvés pour cela.

  A010000421 

 O que nous serions heureux si nous avions en nous tout ce que nous signifient nos noms! Ce n'est pas le tout de [161] se nommer Prestre, Evesque, Religieux ou Religieuse, mais il faut considerer si la vie que l'on mene est conforme au nom que l'on porte, prendre garde à la charge qu'on exerce, à la vocation en laquelle on vit, quelle est nostre profession, en somme regarder comme sont reglées nos passions et affections, comme nostre jugement est sousmis, si nos œuvres s'accordent avec nostre estat..

  A010000422 

 Mais apres avoir sacrifié sa fille et fait tout ce que porte l'histoire, alors qu'il pensoit estre en paix et en repos, voicy qu'une sedition s'esleve; les enfans d'Ephraïm se prindrent à luy reprocher qu'il ne les avoit pas invités ni menés avec luy à la guerre, combien qu'ils fussent de braves soldats, et que sans doute il avoit agi ainsy pour les mespriser.

  A010000423 

 Bienheureux seront ceux qui le prononceront devotement et avec un tres profond ressentiment de ce que le Sauveur nous a rachetés par son sang et par sa Passion, car ceux qui le nommeront bien en ce temps là seront sauvés; comme au contraire ceux qui ne le diront pas bien et qui le prononceront laschement et delicatement seront damnés et massacrés.

  A010000429 

 Cependant Dieu a esté fait semblable à nous autres hommes en esgalité de substance et de nature, mais non pas en esgalité de perfection, car en cela il nous surpasse infiniment..

  A010000430 

 Le feu fait sa demeure en la troisiesme region de l'air, il parpille tousjours en haut et jette ses estincelles contremont, et si l'on ne l'attachoit à quelque matiere on ne le pourroit retenir en terre; nous ne le voyons pas tel qu'il est en la region qui luy est propre, car il est au dessus de l'air, et bien qu'il soit chaud il ne nous brusle pas parce que sa chaleur est mitigée par l'air.

  A010000432 

 Le sacré corps de Nostre Seigneur ne fut pas spirituel, non plus que ceux des autres hommes, bien qu'il fust plus noble et excellent que les nostres, n'ayant point esté conceu par œuvre d'homme, mais du Saint Esprit, lequel print pour le former le plus pur sang de la Vierge; de sorte qu'en verité ce corps est esgal aux nostres quant à la substance.

  A010000432 

 Or, bien que l'ame et le corps soyent si differens l'un de l'autre, ils ne font neanmoins qu'une personne que nous appelions homme; voire mesme ils viennent à faire un tel meslange par cette union et jonction, que nous parlons des deux comme s'il n'y en avoit qu'un; tout ainsy que quand on parle de la bonté, beauté, ou telle autre qualité du cierge on ne distingue pas la cire ni le luminon, ains on dit seulement et en un mot: Ce cierge est beau ou bon, parlant des deux natures qui se trouvent en luy comme s'il n'y en avoit qu'une seule.

  A010000433 

 De mesme, l'ame et le corps de Nostre Seigneur ne demeurerent pas un seul instant sans estre unis à la Divinité; ains à l'heure mesme que la jonction de l'ame et du corps se fit au ventre de la Vierge, tout aussi tost la Divinité fut jointe à l'une et à l'autre.

  A010000433 

 Mais quand je dis qu'il commença premierement à se joindre à son ame, representée par le luminon, il ne le faudroit pas entendre en telle sorte que nous voulant esclaircir sur ce mystere de l'Incarnation, nous nous trompassions nous mesmes.

  A010000433 

 Quand donc je dis que la Divinité s'attacha d'abord à l'ame de Nostre Seigneur, il ne faut pas s'imaginer qu'elle s'unit à icelle deux ou trois heures avant que de se joindre à son corps sacré; o non, car tout ainsy que le corps de nostre Sauveur fut formé le premier, aussi ne demeura-t-il pas un moment sans estre uni à l'ame.

  A010000435 

 Helas! quoy que ce ne soit pas nous qui ayons peché, neanmoins nous avons tous esté entachés de la coulpe de nostre premier pere Adam, et avons fait nostre entrée au monde comme enfans d'ire, chargés du pesant faix de nos iniquités.

  A010000435 

 Je ne suis pas, auroit-il peu dire, sujet à la loy de la purification, car je suis Fils de Dieu, et partant je n'ay nul peché en moy.

  A010000435 

 Or, le Fils n'en estant point souillé, la Mere ne l'estoit pas non plus; car bien qu'il ne fust pas impossible que la Vierge n'eust quelque coulpe, et qu'estant née de pere et de mere elle en eust peu estre entachée comme les autres enfans, neanmoins il n'eust pas esté seant que la mere d'un tel Fils eust esté souillée du peché originel.

  A010000436 

 Comme est-ce donques que cette tres sainte Dame, estant toute pure et sans macule, a voulu aller au Temple pour se purifier comme les autres femmes, veu que, outre [170] tout cela, cette loy n'estoit pas une loy generale, ains seulement legale, instituée par Moyse? Il y a mille et mille raysons de cecy chez les anciens Peres, c'est à dire chez les anciens Docteurs; mais nous en trouvons en la Genese desquelles je me serviray pour vous monstrer pourquoy la sacrée Vierge, n'estant point obligée à la loy de la purification, s'y est neanmoins voulu assujettir..

  A010000437 

 Ils n'avoyent aucune repugnance ni aversion au bien, aucun appetit ni inclination au mal; tout estoit paisible et tranquille, ils jouissoyent d'une douceur et suavité nompareille; ils vivoyent avec une pureté et innocence tres grande, non pas en une pureté et innocence simple, mais revestue de la grace.

  A010000437 

 Je vous diray donques briefvement l'histoire de la cheute de nos premiers pere et mere, Adam et Eve; elle ne sera pas hors de propos, puisque Nostre Seigneur, dont il est fait mention en cette feste, est appellé le nouvel Adam, qui est venu pour reparer la faute du premier, et par son obeissance satisfaire à la desobeissance d'iceluy, et que Nostre Dame est nommée la nouvelle Eve.

  A010000438 

 Le voyla donques qu'il prend à cet effect un corps de serpent; il s'entortille à un arbre, et s'addressant à Eve comme à la partie la plus foible, il commence à l'arraisonner en cette sorte: Pourquoy Dieu qui vous a mis dans ce lieu vous a-t-il defendu de manger de tous les fruits qui y sont? Elle luy respondit ainsy, mais certes tout effrayée et tremblottante: Il ne nous a pas defendu de manger de tous les fruits, mais seulement de ne point toucher ni manger de celuy cy.

  A010000438 

 Lucifer en sa cheute vint premierement à se degouster du commandement avant de desobeir; voyla pourquoy, connoissant la force de cette tentation, quoy qu'il sceust bien que Dieu n'avoit pas defendu à nos premiers parens de ne point manger de tous les fruits, il ne laissa pas de le leur dire à fin de leur faire haïr cette ordonnance..

  A010000438 

 Mais voyez-vous la malice et la ruse de cet esprit infernal et menteur? Pourquoy, dit-il, Dieu vous a-t-il defendu de manger de tous ces fruits? Voyez-vous comme il exagere la defense de Dieu? Il n'avoit pas defendu de manger de tous les fruits ains d'un seul, mais il parloit ainsy à Eve à dessein de luy faire haïr le commandement du Seigneur; car le premier degré de la desobeissance c'est de haïr la chose commandée, et cette haine est une tres grande tentation contre l'obeissance.

  A010000439 

 C'est à quoy tendoit en premier lieu sa tentation, que de faire faire cette responce à Eve, car par icelle, elle tesmoignoit du degoust [172] et de la haine, comme si elle disoit: Il ne nous a pas seulement defendu d'en manger, ains encor de le toucher, et par consequent de le regarder, ce qui est une chose bien estrange et severe.

  A010000439 

 Dieu avoit voirement defendu de ne pas manger du fruit de cet arbre, mais de ne le pas toucher ni regarder il n'en avoit rien dit; c'estoit un mensonge aussi grand que celuy du malin esprit, lors qu'il demanda pourquoy Dieu leur avoit defendu de manger de tous ces fruits.

  A010000440 

 Or, nous voyons aussi que tous ces miserables qui se perdent en se retirans de l'Eglise passent par ce degoust et cette haine des commandemens; car Dieu a ordonné que les prestres et les ecclesiastiques garderoyent inviolablement la chasteté et virginité, et le diable est venu demander: Pourquoy a-t-on fait ce commandement? Et, voyla qu'il parvient à le faire haïr et persuader à plusieurs de se retirer de l'Eglise pour avoir la liberté de ne le pas observer.

  A010000441 

 On doit demeurer à table en silence jusques à la fin du repas pour entendre la lecture qui s'y fait: Hé Dieu, à quel propos tout cecy? ne vaudroit-il pas mieux sortir quand on a achevé? En somme, c'est le degoust des commandemens qui fait raysonner ainsy et qui nous fait manquer à l'obeissance..

  A010000441 

 Un pere ou une mere aura defendu à une fille de ne pas aller au bal à ce carnaval, ou de ne pas aller en telle compagnie, et voyla que cette fille vient à haïr cette defense et dit: On n'oseroit regarder les bals ni les mascarades, ni on n'oseroit lever les yeux pour regarder un homme; il vaudroit autant les avoir cousus, ou bien il nous les faudroit arracher, ou nous les boucher comme à des esperviers.

  A010000441 

 Une fille qui n'aymera pas le silence dira librement: Hé Dieu, tant de silence, à quel propos en tant garder? ne seroit-il pas mieux à cette heure de parler que de se taire? Maintenant que j'ay une [173] si belle conception en l'esprit il me feroit si grand bien de la dire, elle causeroit tant de suavité à ceux qui l'entendroyent, et il n'est point loysible de la raconter! Neanmoins, si j'attens encor une demi heure je ne m'en souviendray plus et ne sçauray que c'est.

  A010000441 

 Voyez-vous le degoust du silence comme il fait parler? Une autre qui n'aymera point aller à l'Office aux heures ordonnées sera dans sa cellule sur quelque bonne cogitation, et voyla le signe qui l'appelle pour aller au chœur: O Dieu, pensera-t-elle, ne seroit-il pas mieux de ne pas me rendre en tel lieu? j'estois en ma cellule sur une si bonne pensée, peut estre que si j'y eusse encor un peu demeuré j'eusse eu quelque ravissement, et cependant il me faut maintenant aller chanter au chœur.

  A010000442 

 Mais la sacrée Vierge s'assujettit volontiers à la loy de la purification parce qu'elle aymoit le commandement, et la chose commandée luy estoit si pretieuse, qu'encores qu'elle n'y fust pas obligée elle ne laissa pas de l'accomplir à cause de l'amour qu'elle portoit à l'obeissance et à Dieu qui avoit fait ce commandement.

  A010000442 

 O que bienheureux sont ceux qui ayment les commandemens de Dieu, et qui ne font pas seulement ce qu'ils sont obligés de faire, mais encores ce qui ne les oblige pas, s'y sousmettant pour le bien et edification des autres! C'est cet amour, que la sacrée Vierge portoit à l'obeissance et à l'edification du prochain qui la fit assujettir à la loy de la purification..

  A010000444 

 Celle-cy vient à son tour à mespriser Celuy qui leur avoit fait la defense, respondant au tentateur: Nous ne mangeons pas de ce fruit, de peur que, selon la parole du Seigneur, nous ne mourions.

  A010000444 

 Neanmoins, c'est à quoy vise le malin esprit, et pour ce sujet il demande à Eve, comme en mesprisant l'ordre du Seigneur: Pourquoy Dieu vous a-t-il fait ce commandement? Quelle rayson, vouloit-il dire, de vous mettre en ce paradis terrestre et de vous defendre de manger de tous les fruits qui y sont? Mais il estoit un grand menteur, d'autant que Dieu n'avoit pas fait une telle defense; et certes, s'il l'eust faite, il semble qu'elle eust esté insupportable, car de mettre un homme et une femme dans un beau verger tout plein de fruits et leur l'aire une defense generale de n'en toucher pas un, c'eust esté un commandement bien difficile à observer.

  A010000445 

 Elle auroit sans doute eu plus de consolation de demeurer dans la pauvre grotte de Bethleem aupres de son sacré Enfant, et d'y continuer les doux et saints colloques qui se faisoyent entre ce Fils et cette Mere; mais comme elle estoit vrayement obeissante, elle ne faisoit aucun choix des commandemens, ains se sousmettoit à tous indifferemment; car ce n'est pas le propre des vrays enfans de Dieu de faire election de ceux qu'ils veulent prattiquer.

  A010000445 

 Les uns ayment la discipline, les autres la haire; qui voudra faire les choses de conseil et non celles de commandement; tel voudra jeusner le jour de Pasques, que l'Eglise ne commande pas, et ne voudra pas jeusner le jour des Cendres.

  A010000445 

 Oh! il ne faut pas aller d'une extremité à l'autre, ains marcher par le milieu, sans choisir ce que l'on ayme..

  A010000446 

 Il y a encores des heresies en l'obeissance: c'est quand on fait choix de ce que l'on veut observer, quand on ne veut pas obeir generalement à toutes sortes de commandemens.

  A010000446 

 N'est-ce pas une chose pouvantable de voir un saint Paul hermite au fond d'un desert, enfermé dans une grotte comme un sauvage, ne mangeant que du pain et ne beuvant que de l'eau? Certes, ce sont des choses du tout admirables, et neanmoins avec cela il usoit de sa liberté, ce qui soulageoit en quelque façon les austerités qu'il faisoit, parce qu'il y avoit du propre choix en cette maniere de vivre, ci ne travailloit que pour son salut particulier.

  A010000447 

 Pour vous, deduire ce troisiesme point, je vous presenteray un exemple profitable; et bien que j'en aye ja parlé d'autres fois, et mesme en ce lieu, je ne laisseray pas de vous le dire, car la plus grande partie de celles qui sont à present icy n'y estoyent pas alors; et puis, encores que l'on reparle d'un mesme sujet on ne dit pas tousjours les mesmes choses.

  A010000448 

 Mais si vous aviez à choisir, lequel prendriez-vous? Vous y penserez, car ce ne sera pas une pensée inutile; et ce pendant je vous diray la mienne..

  A010000449 

 Le grand saint Ignace fut bien heureux d'estre porté entre les bras du Sauveur et de ne plus marcher sur ses pieds mais sur les siens, puisque celuy qui est porté ne marche pas sur ses pieds ains sur ceux de celuy par lequel il est porté.

  A010000449 

 Nous n'avons donques pas besoin de nous mettre en peine pour sçavoir quelles sont les affections de Dieu, parce qu'elles nous sont toutes marquées dans ses commandemens et dans les conseils que Nostre Seigneur nous a luy mesme donnés sur la montagne quand il a dit: Bienheureux sont les pauvres d'esprit, bienheureux lex debonnaires, et les autres beatitudes.

  A010000450 

 Certes, quoy que saint Christophe ne portast Nostre Seigneur que sur ses espaules, il ne laissa pas d'estre bien heureux et merita d'estre appelllé le porte-Christ.

  A010000450 

 Combien que son joug soit doux, si ne faut-il pas pourtant que nous croyions devoir estre exempts de souffrir; o non, mais il faut, comme saint Christophe, porter Nostre Seigneur sur nos espaules, endurant tout ce qu'il luy plaist, comme il luy plaist et autant de temps qu'il luy plaist, nous abandonnant totalement à sa Providence eternelle, pour nous laisser conduire et gouverner selon sa tres sainte volonté.

  A010000457 

 Celles-cy sçavent bien qu'il ne suffit pas de jeusner exterieurement si l'on ne jeusne interieurement, et si l'on n'accompagne le jeusne du corps de celuy de l'esprit..

  A010000457 

 Les anciens philosophes le gardoyent [181] et le recommandoyent: ce n'est pas qu'ils fussent vertueux pour cela, ni qu'ils pratiquassent une vertu en jeusnant, o non, puisque le jeusne n'est vertu sinon entant qu'il est accompagné des conditions qui le rendent aggreable à Dieu; de là vient qu'il proffite aux uns et non aux autres parce qu'il n'est pas fait esgalement de tous.

  A010000457 

 Mais pour traitter à ce coup icy du jeusne et de ce qu'il est requis de faire pour bien jeusner, il faut sçavoir avant toute chose que de soy le jeusne n'est pas une vertu, car les bons et les mauvais, les Chrestiens et les payens l'observent.

  A010000458 

 Ce n'est donques pas inutile de declarer ce qu'il faut faire pour bien s'acquitter du jeusne de la Quarantaine; car quoy que tous soyent tenus de le sçavoir et prattiquer, si est-ce que les Religieuses et les personnes dediées à Nostre Seigneur y sont plus particulierement obligées.

  A010000460 

 Combien de pechés sont entrés en l'ame par les yeux, que la Sainte Escriture marque pour la concupiscence de la veuë? C'est pourquoy il les faut faire jeusner, les portant bas et ne leur permettant pas de regarder des objets frivoles et illicites; les oreilles, les privant d'entendre les discours vains qui ne servent qu'à remplir l'esprit d'images mondaines; la langue, en ne disant point des paroles oyseuses et qui ressentent le monde ou les choses d'iceluy.

  A010000460 

 Mais, adjouste ce glorieux Saint, comme ce n'est pas nostre bouche seule qui a peché, ains encor tous nos autres sens, il est requis que nostre jeusne soit general et entier, c'est à dire que nous fassions jeusner tous les membres de nostre corps; car si nous avons offensé Dieu par les yeux, par les oreilles, par la langue et par nos autres sens, pourquoy ne les ferons-nous pas jeusner? Et non seulement il faut faire jeusner les sens du corps, ains aussi les puissances et passions de l'ame, ouy mesme l'entendement, la memoire et la volonté, d'autant que l'homme a peché par le corps et par l'esprit.

  A010000462 

 De mesme les anciens Peres et les Chrestiens de l'an 400 ou tant apres la venue de Nostre Seigneur, estoyent si soigneux de bien faire la sainte Quarantaine qu'ils ne se contentoyent pas de s'abstenir des viandes prohibées, mais encores ils ne mangeoyent ni œufs, ni poisson, ni lait, ni beurre, ains se nourrissoyent d'herbes et de racines.

  A010000462 

 Voyla comme leur jeusne estoit accompli d'un cœur entier et general; car ils sçavoyent bien que puisque ce n'est pas la bouche seulement qui a peché, mais encores tous les autres sens de nostre corps et puissances de nostre ame, ses passions et appetits se sont par consequent trouvés remplis d'iniquités.

  A010000463 

 Les pecheurs jeusnent en cette sorte, mais parce qu'ils n'ont pas l'humilité cela ne leur profite aucunement.

  A010000463 

 Or, comme d'apres l'Apostre, tout ce qui se luit sans la charité n'est point aggreé de Dieu, aussi dis je de mesme avec ce grand Saint, que si vous jeusnez sans humilité vostre jeusne ne vaudra rien; car si vous n'avez l'humilité vous n'avez pas la charité, et si vous estes sans charité vous estes aussi sans humilité, d'autant qu'il est presqu'impossible d'avoir la charité sans estre humble et d'estre humble sans avoir la charité, ces deux [185] vertus ayans une telle sympathie et convenance par ensemble qu'elles ne peuvent jamais aller l'une sans l'autre..

  A010000463 

 Voicy le Caresme qui approche; preparez vous à jeusner avec charité, car si vostre jeusne est fait sans icelle, il sera vain et inutile, d'autant que le jeusne, comme toutes les autres bonnes œuvres, s'il n'est pas fait en charité et par la charité n'est point aggreé de Dieu.

  A010000464 

 Or, comme est-ce que l'on jeusne pour la vanité? En cent et cent façons qui nous sont marquées en la Sainte Escriture; mais je me contenteray de vous en dire une, car il ne faut pas charger vostre memoire de beaucoup de choses.

  A010000464 

 Vous en trouverez qui veulent jeusner plus qu'il ne faut, et d'autres qui ne veulent pas jeusner autant qu'il faut.

  A010000465 

 Et telles sortes de gens ne jeusnent pas comme il faut, ains comme ils veulent..

  A010000465 

 Grande folie que celle-là! Mais voyez que c'est de l'esprit humain: parce que le jeusne que ces personnes s'imposent le samedy à l'honneur de nostre glorieuse Maistresse vient de leur propre volonté et election, il leur semble qu'il soit plus saint et qu'il les conduise à une plus grande perfection que ne feroit pas le jeusne du Caresme qui est commandé.

  A010000465 

 Vous trouverez des femmes qui veulent jeusner tous les samedis de l'année et non le Caresme; elles veulent jeusner à l'honneur de Nostre Dame et non à celuy de Nostre Seigneur, comme si Nostre Seigneur et Nostre Dame ne tenoyent pas rendu à l'un le culte qui est deferé à l'autre, et qu'en honnorant le Fils par le jeusne fait à son intention l'on ne contentast pas [186] la Mere, ou qu'en honnorant la Vierge l'on n'aggreast pas au Sauveur.

  A010000466 

 C'est avec ceux cy que nous avons le plus à faire: nous monstrons clairement aux premiers qu'ils contreviennent à la loy de Dieu, et qu'en ne jeusnant pas autant qu'il faut, tout en le pouvant faire, ils enfreignent les commandemens du Seigneur.

  A010000466 

 C'est ce qui faisoit que le grand Apostre se plaignoit, disant: Nous nous trouvons bien empeschés avec deux sortes de gens pour ce qui regarde le jeusne; car les uns ne veulent pas jeusner autant qu'ils doivent et ne se peuvent contenter des viandes permises (ce que l'ont encores aujourd'huy plusieurs mondains lesquels pour ce sujet alleguent mille raysons; mais je ne suis pas icy pour parler de telles choses, car c'est à des Religieuses à qui je m'addresse).

  A010000466 

 Ces gens ne jeusnent point par humilité ains par vanité; ils ne reconnoissent pas qu'estans foibles et infirmes, ils feroyent beaucoup plus pour Dieu de ne pas jeusner par le commandement d'autruy et de se servir des viandes qui leur sont ordonnées, que de vouloir s'en abstenir par leur propre volonté; car si bien, à cause de leur foiblesse, leur bouche ne peut faire abstinence, il faut qu'ils fassent [187] jeusner les autres sens du corps et les passions et puissances de l'ame..

  A010000466 

 Mais nous avons plus de peine avec les foibles et infirmes qui n'ont pas la force de jeusner; car ils ne veulent point ouyr de raysons ni se persuader qu'ils n'y sont pas tenus, et malgré que nous en ayons ils s'opiniastrent à jeusner plus qu'il n'est requis, ne voulans point user des viandes que nous leur ordonnons.

  A010000467 

 Ceux qui jeusnent la sainte Quarantaine ne s'en doivent point cacher, d'autant que l'Eglise ordonne ce jeusne et veut qu'un chacun sçache que nous l'observons; il ne le faut donques pas nier à ceux qui nous le demanderont pour leur edification, puisque nous sommes obligés d'oster tout sujet de scandale à nos freres.

  A010000467 

 Mais quand Nostre Seigneur dit: Faites vostre jeusne en secret, il veut entendre: Ne le faites point pour estre veus ni estimés des creatures, ne faites point vos œuvres pour les yeux des hommes; soyez soigneux de les bien edifier, mais non pas à fin qu'ils vous estiment saints et vertueux.

  A010000467 

 Ne soyez pas comme les hypocrites, ne taschez point de paroistre meilleurs que les autres en pratiquant plus de jeusnes et de penitences qu'eux..

  A010000467 

 Nostre divin Maistre n'entend pas par cecy que nous ne nous devons point soucier de l'edification du prochain; o non, car saint Paul dit: Que vostre modestie soit manifeste à tous.

  A010000468 

 Car quoy que le jeusne et les autres penitences soyent bonnes et louables, si est ce neanmoins que n'estans pas pratiquées par ceux avec lesquels vous vivez, il y auroit de la singularité et partant de la vanité, ou du moins quelque tentation de vous surestimer par dessus ceux qui ne font point comme vous, et cela par une certaine complaisance en vous mesmes, comme si vous estiez plus saints qu'eux en faisant de telles choses.

  A010000468 

 Le glorieux saint Augustin, en la Regle qu'il a escrite pour ses Religieux, et encores en celle de ses Religieuses (car il les a dressées toutes deux, et l'une apres l'autre), ordonne qu'on suive la communauté autant qu'il se peut, comme voulant dire: Ne soyez pas plus vertueux que les autres, ne veuillez pas faire plus de jeusnes, plus d'austerités, de mortifications qu'il ne vous en est ordonné; faites seulement ce que les autres font et ce qui vous est commandé par vos Regles, selon la maniere [188] de vivre que vous tenez, et vous contentez.

  A010000468 

 Que les forts et robustes mangent ce qui leur est donné, gardent les jeusnes et austerités qui sont marqués, et qu'ils se contentent de cela; que les foibles et infirmes reçoivent ce qui leur est presenté pour leur infirmité, sans vouloir faire ce que font les robustes; et que les uns et les autres ne s'amusent point à regarder ce que celuy cy mange et ce que celuy là ne mange pas, ains que chacun demeure satisfait de ce qu'il a et de ce qui luy est donné: par ce moyen vous eviterez la vanité et particularité..

  A010000469 

 Dieu luy inspira cette retraitte si extraordinaire à fin de rendre recommandables les deserts qui estoyent pour lors inhabités et qui par apres devoyent estre habités par tant de si saints Peres; mais ce n'estoit pourtant pas à fin que chacun suivist saint Paul, ains seulement pour qu'il fust un mirouer et prodige de vertus, digne d'estre admiré et non imité de tous.

  A010000469 

 Et que l'on ne m'amene point icy des exemples pour prouver qu'il n'y a point tant de mal à ne pas suivre la vie commune; que l'on ne me dise point qu'un saint Paul premier hermite a vescu des nonante ans dans une grotte sans ouyr la sainte Messe, et qu'il faut donc que je demeure retiré et en solitude en ma chambre pour y avoir des extases et ravissemens, au lieu de descendre pour aller aux Offices.

  A010000470 

 Ne faites pas comme l'araignée, qui represente les orgueilleux, ains comme l'avette, qui est le symbole de l'ame humble.

  A010000471 

 Ceux cy le virent bien, mais pas un ne pensa pourquoy il faisoit cela, car ils n'alloyent point picotant sur les actions des autres; ils creureut donques que leur Frere faisoit cela tout simplement; aussi n'en tirerent-ils aucune consequence.

  A010000471 

 Ils ne censuroyent point les actions d'autruy, ils n'estoyent pas comme ceux qui vont tousjours espluchant les faits du prochain, faisant sur tout ce qu'ils voyent des livres, des commentaires et des interpretations..

  A010000473 

 De mesme plusieurs autres, qui n'estans pas maigres ne laissoyent pas d'estre grandement austeres et excellens serviteurs de Dieu.

  A010000473 

 Or, dit Nostre Seigneur, ne faites pas comme ceux-là, ains que vostre jeusne se fasse en secret, pour les yeux de vostre Pere celeste, et il vous regardera et recompensera..

  A010000474 

 (Plusieurs Saints en faisoyent un si grand estât qu'ils ne se couchoyent jamais sans en avoir leu un chapitre pour recueillir leur esprit en Dieu.) Il dit donc: Que te proffitera-t-il de faire ce que tu fais pour les yeux des creatures? Rien que vanité et complaisance, qui ne sont bonnes que pour l'enfer; mais si tu accomplis ton jeusne et toutes tes œuvres pour plaire à Dieu seul, tu travailleras pour l'eternité, sans te complaire en toy mesme, ni te soucier si tu es veu ou non des hommes, d'autant que ce que tu fais n'est pas pour eux, et que ce [192] n'est point d'eux que tu attens ta recompense.

  A010000475 

 Il ne faut pas se servir de grans discours et discretion pour entendre pourquoy le jeusne est commandé, s'ill'est pour tous ou seulement pour quelques uns.

  A010000475 

 Plusieurs ont des difficultés sur ce sujet; mais je ne suis pas icv pour y respondre, ni moins pour dire quels sont ceux qui sont obligés au jeusne.

  A010000476 

 Et discourant sur la defense qui leur estoit faite: Hé quoy, dirent-ils, dirent-ils, encores que Dieu nous ayt menacés de la mort, si est-ce que pour cela nous ne mourrons pas, car il ne nous a pas creés, pour nous faire mourir.

  A010000479 

 Celuy cy luy respondit que c'estoit parce que nul n'en mangeoit que ces enfans, et qu'il avoit pensé que c'estoit chose perdue; mais qu'il ne s'estoit pas reposé, ains avoit fait des nattes.

  A010000479 

 Sur cela le saint Pere luy fit en presence de tous une bonne correction, puis il commanda que l'on jettast au feu toutes ses nattes ou stolles, disant qu'il failloit brusler ce qui estoit fait sans obeissance; car, adjousta-t-il, je sçavois bien ce qui estoit propre pour ces enfans, lesquels il ne faut pas traitter comme les anciens; et cependant vous avez voulu, contre l'obeissance, faire les discrets.

  A010000480 

 La seconde condition est que vous n'accomplissiez pas vostre jeusne ni vos œuvres pour les yeux des hommes, et la troisiesme, que vous fassiez toutes vos actions, et par consequent vostre jeusne, pour plaire à Dieu seul, auquel soit honneur et gloire par tous les siecles des siecles.

  A010000493 

 Et ne dites point: Je ne la recherche pas, je me tiens seulement sans rien faire.

  A010000493 

 Oh! si David fust allé à la guerre au temps qu'il estoit obligé de s'y rendre, ou s'il se fust occupé en quelque chose de bon, la tentation n'eust pas eu le pouvoir de l'attaquer, ou du moins de le surmonter et de le vaincre..

  A010000493 

 Trait d'une imprudence nompareille certes, lequel je ne puis excuser, bien que plusieurs autheurs modernes la veuillent rendre excusable disant qu'elle n'y pensoit pas.

  A010000494 

 Nostre ennemy est comme un chien attaché; si nous ne l'approchons pas il ne nous fera nul mal, bien qu'il tasche de nous espouvanter en abbayant contre nous..

  A010000494 

 Si nous sommes conduits par l'Esprit de Dieu au lieu de la tentation ne craignons point, ains [197] tenons-nous asseurés qu'il nous rendra victorieux; mais ne la recherchons pas, ni ne l'allons point agacer, pour saints et genereux que nous pensions estre, car nous ne sommes pas plus vaillans que David ou que nostre divin Maistre mesme qui ne la voulut point chercher.

  A010000495 

 Ils n'ont pas si tost fait leur dessein que la tentation les attaque, ainsy que dit saint Pierre: Qui vous a tentés de mentir au Saint Esprit? Et le grand Apostre saint Paul, dès qu'il se fut donné au service divin et rangé du parti du Christianisme, le voyla tout incontinent tenté pour le reste de sa vie, luy qui tandis qu'il estoit ennemy de Dieu et qu'il persecutoit les Chrestiens n'avoit jamais senti les atteintes d'aucune tentation; au moins ne nous en tesmoigne-t-il rien par ses escrits, ains seulement dès qu'il fut converti par Nostre Seigneur..

  A010000499 

 Mais je desire que nous sçachions que le Sauveur n'estoit pas tenté comme nous autres et que la tentation [199] ne pouvoit pas estre en luy comme en nous, car il estoit un fort inexpugnable où elle n'avoit aucun acces.

  A010000499 

 Nous autres, au contraire, si bien par la grace de Dieu nous ne consentons pas aux tentations et evitons la coulpe et le peché en icelles, nous demeurons neanmoins pour l'ordinaire un peu blessés de quelque importunité, trouble ou esmotion qu'elles produisent en nostre cœur.

  A010000501 

 Les paresseux et couards apprehendent tout et trouvent toutes choses dures et difficiles, et cela parce qu'ils s'amusent plus à penser à la niaise et lasche imagination qu'ils se sont forgée de la difficulté future, que non pas à ce qu'ils ont presentement à faire.

  A010000501 

 Ne vous estonnez donques point, et ne faites pas comme les paresseux qui se troublent quand ils se resveillent la nuit par l'apprehension que le jour viendra bien tost auquel il faudra travailler.

  A010000501 

 Oh, disent-ils, si je m'adonne au service de Dieu il me faudra tant travailler pour resister aux tentations qui m'attaqueront! Vous avez bien rayson, car vous n'en serez pas exempts, d'autant que c'est une regle generale que tous les serviteurs de Dieu sont tentes, ainsy que l'escrit saint Hierosme en cette belle epistre qu'il addresse à sa chere fille Eustochium..

  A010000502 

 Au monde le diable ne se travaille pas beaucoup pour tendre ses embusches; mais ès lieux retirés, c'est là où il pense avoir un grand gain en faisant descheoir les ames qui s'y enferment pour servir plus parfaittement la divine Majesté.

  A010000503 

 Mais Nostre Seigneur ne veut point de ces guerriers en son armée, il veut des combattans et des vainqueurs, et non pas des faineans et des couards; il a voulu estre tenté et attaqué luy mesme pour nous donner exemple..

  A010000503 

 Mais ne sçavez-vous pas que la faineantise et l'oysiveté fit perir le pauvre David en la tentation? Vous voudriez, à l'adventure, estre de ces soldats de garnison lesquels ont tout à souhait dans une bonne ville: ils sont joyeux, ils sont maistres de la maison de l'hoste, ils couchent dans son lit et font bonne chere; ils s'appellent neanmoins soldats, faisans des vaillans et courageux tandis qu'ils ne vont point à la bataille ni à la guerre.

  A010000504 

 Levez-vous de vostre lit, paresseux, car il est temps, et ne vous espouvantez pas du travail de la journée, car c'est une chose ordinaire que la nuit estant donnée pour le repos, le jour qui vient apres est destiné au travail.

  A010000505 

 Entre ses bras ils vivent en asseurance et ne pensent pas que rien leur puisse nuire, pourveu qu'ils tiennent sa main.

  A010000505 

 Faisons-en de mesme, mes cheres ames; si nous sentons que le courage nous manque et que nous enfonçons dans nos tentations, crions à haute voix pleins de confiance: Seigneur, sauvez-moy, et ne doutons pas que Dieu ne nous fortifie et nous empesche de perir..

  A010000505 

 Ne voyez-vous pas que saint Pierre, quand il croyoit enfoncer dans la mer, apres qu'il eut fait cet acte si genereux de s'y jetter et de marcher sur les eaux pour s'approcher plus promptement de nostre divin Sauveur qui l'appelloit, soudain qu'il commença à craindre et en mesme temps à s'enfoncer, Seigneur, s'escria-t-il, sauvez-moy.

  A010000507 

 O Dieu, qu'il fut bien trompé quand il se vit si lasche et craintif en l'execution de ses promesses au temps de la Passion de son Sauveur! Il eust bien mieux valu au pauvre saint Pierre de se tenir en humilité et de s'appuyer sur les forces de Nostre Seigneur, que non pas de se confier vainement en la ferveur qu'il sentoit pour lors..

  A010000508 

 O que ma condition est miserable! disent-elles; je suis au service de Nostre Seigneur où je pensois vivre eu repos, et cependant les tentations, et de diverses sortes, sont venues et ne font que me travailler; mes passions m'importunent merveilleusement, bref, je n'ay pas une pauvre heure de vraye tranquillité..

  A010000510 

 Nous eussions bien eu de l'espouvante, car le diable y vint tout à descouvert; il ne fit pas avec Nostre Seigneur comme avec saint Pacome ou avec saint Antoine, lesquels il effraya par des bruits et tintamarres qu'il fit autour d'eux, faisant fendre le ciel et la terre devant leurs yeux pour les faire craindre et fremir comme des enfans.

  A010000511 

 Consolez-vous, je vous prie, et prenez courage, ce n'est pas maintenant l'heure du repos..

  A010000511 

 Helas! il est vray; tantost je suis pressé de chagrin, et un peu apres il me semble qu'il n'y a pas moyen de passer outre, tant le descouragement me poursuit.

  A010000511 

 Mon Dieu, la grande pitié que le seul desir de la perfection ne suffise pas pour l'avoir, mais qu'il la faille acquerir à la sueur de nostre visage et à force de travail! Hé, ne sçavez-vous pas que Nostre Seigneur voulut estre tenté durant les quarante jours qu'il fut au desert, pour nous apprendre que nous le serions tout le temps que nous demeurerions au desert de cette vie mortelle, qui est le lieu de nostre penitence? car la vie du parfait Chrestien est une continuelle penitence.

  A010000512 

 Il suffit que vous ne les aymiez pas et qu'elles ne vivent point dans vostre cœur, c'est à dire que vous les commettiez pas volontairement et que vous ne veuilliez pas perseverer en vos defauts.

  A010000512 

 Je le crois bien; aussi ne pensez pas pouvoir vivre sans commettre des imperfections, d'autant que cela est impossible tandis que [206] vous serez en cette vie.

  A010000512 

 Ne soyez pas si craintifs, marchez asseurement; si vous estes armés de l'armeure de la foy, rien ne vous sçauroit nuire..

  A010000513 

 Or, ceux cy ne craignent pas seulement ce qui les peut porter au mal, mais ce qui peut en quelque façon destourner ou troubler leur repos; ils ne voudroyent pas qu'un seul petit bruit de je ne sçay quoy se mist entre Dieu et eux, d'autant qu'ils se sont fourré bien avant en l'imagination qu'il y a une certaine quietude et accoisement tel que qui le peut avoir se trouve tousjours en paix si bien heureux.

  A010000514 

 Mais encor, qu'y a-t-il, je vous prie, qui vous tourmente? C'est que je ne suis pas sainte.

  A010000514 

 Si cela est, ne vous mettez pas en si grand peine, car possible c'est parce que vous l'estes qu'on vous a corrigée, à fin de vous rendre tousjours plus parfaite.

  A010000514 

 Vous n'estes pas sainte! et qui vous l'a dit que vous ne l'estes pas? Peut estre ce qui vous le fait penser c'est qu'on vous a reprise de quelque [207] defaut.

  A010000515 

 C'est bien dit, certes; hé, croyez-vous qu'en cette vie vous puissiez avoir une quietude si permanente qu'elle ne doive point recevoir de divertissement? Il ne faut pas desirer les graces que Dieu ne fait pas communement; ce qu'il a fait pour une Magdeleine ne doit pas estre souhaitté de nous autres.

  A010000515 

 Ne pensez pas non plus que la Magdeleine eust la jouissance de cette tant aymable contemplation qui la tenoit en un si doux repos avant d'avoir passé par des espineuses difficultés, par la voye d'une aspre penitence et avant d'avoir avalé les amertumes d'une confusion tres grande; car allant chez le Pharisien pour pleurer ses pechés et en obtenir le pardon elle souffrit les murmures que l'on faisoit contre elle, la mesestimant et nommant pecheresse et femme de mauvaise vie.

  A010000515 

 Ne pensez pas non plus vous rendre dignes de recevoir ces divines suavités et consolations, ni d'estre eslevées par les Anges comme elle l'estoit plusieurs fois le jour, si vous ne voulez premierement souffrir avec elle les confusions, les mespris et censures que meritent tres bien nos imperfections, lesquelles nous exerceront de temps à autre, veuillons-nous ou non; car cette regle est generale, que nul ne sera si saint en cette vie qu'il ne soit sujet à en commettre tousjours quelqu'une..

  A010000516 

 Et comme nous devons avoir une ferme et invariable resolution de ne pas nous rendre si lasches que d'en faire volontairement, aussi devons-nous estre inebranlables en cette autre resolution de ne nous pas estonner ni troubler voyant que nous sommes sujets à tomber en icelles, voire encores que ce fust souvent, nous confiant en la bonté de Dieu qui pourtant ne nous en ayme pas moins.

  A010000517 

 Ne voyla pas de belles esperances, lesquelles nonobstant leur vanité ne laissent pas de consoler beaucoup ceux qui les ont? Mais d'autant plus que ces [209] esperances et pretentions portent à la joye du cœur tandis qu'il y a lieu d'esperer, plus aussi la douleur des effects contraires apporte de la tristesse à ces esprits si fervens; car se voyant estre non pas des saints comme ils pensoyent, ains au contraire des creatures prou imparfaites, ils se trouvent bien souvent descouragés à la poursuite de la vraye vertu qui conduit à la sainteté.

  A010000517 

 Tout beau! leur peut-on dire, ne vous hastez pas tant; commencez à bien vivre selon vostre vocation, doucement, simplement et humblement; puis confiez-vous en Dieu qui vous rendra saints quand il luy plaira..

  A010000518 

 Mes cheres ames, il y a encores d'autres sortes de vaines esperances, dont l'une est de vouloir tousjours des consolations, des suavités et des tendretés à l'oraison durant le cours de cette vie mortelle et passagere; esperance frivole et niaise à merveille, comme si nostre perfection et bonheur dependoit de cela! Ne voyons-nous pas que Nostre Seigneur pour l'ordinaire ne donne ces tendretés que pour nous amorcer et amadouer, comme on fait les petits enfans auxquels on baille du sucre? Mais passons outre, car il faut finir..

  A010000519 

 Mais ce n'est pas des avares temporels que je veux parler, ains de l'avarice spirituelle..

  A010000520 

 Or, je ne parle pas de ceux qui sont eslevés non pas par leur election mais par leur sousmission l'obeissance qu'ils doivent à Dieu et à leurs Superieurs; car ceux-là n'ont rien à craindre, non plus que Joseph en la maison de Putiphar, parce que si bien ils sont au lieu de la tentation ils n'y periront point.

  A010000521 

 Je l'ay desja dit fort souvent, mais il faut encores le redire: Dieu n'a pas mis la perfection en la multiplicité des actes que nous ferons pour luy plaire, ains seulement en la methode que nous sentirons en iceux, qui n'est autre que de faire le peu que nous ferons selon nostre vocation, en l'amour, par l'amour et pour l'amour.

  A010000521 

 Les avares spirituels sont ceux qui ne sont jamais rassasies d'embrasser et rechercher beaucoup d'exercices de piete pour parvenir tant plus tost à la perfection, disent ils; comme si la perfection consistoit en la multitude des choses que nous faisons, et non pas en la perfection avec laquelle nous les faisons.

  A010000521 

 Quoy! veux-tu donques tout seul te rendre maistre de la terre? Ne veux-tu pas que personne y ayt du bien que toy?.

  A010000522 

 Hé, pauvres gens, qui ne voulez pas qu'il y ayt aucun plus saint que vous, que ne vous contentez-vous de vostre sainteté telle que vous la pouvez avoir, non pas faisant un si grand amas d'exercices, mais en pratiquant bien, et le plus parfaittement possible, ceux auxquels vostre condition et vocation vous oblige.

  A010000522 

 Ils ne cessent d'estre tousjours en action pour inventer de nouveaux moyens à fin de ramasser toute la sainteté des Saints en une sainteté qu'ils voudroyent avoir; par consequent ils ne sont jamais contens, d'autant qu'ils n'ont pas la force de retenir tout ce qu'ils pretendent embrasser, car qui trop embrasse mal estreint.

  A010000522 

 La vie des Peres Jesuites est pleine [211] de perfection, mais ils n'ont pas le bien de la solitude auquel on reçoit tant de consolation.

  A010000522 

 Les Capucins et de mesme tous les Ordres religieux sont bien bons, mais ils n'ont pas tout ce que telles gens cherchent, à sçavoir les exercices d'un chacun meslés et assemblés en un.

  A010000523 

 Elle ne voudroit pas que personne vinst troubler son repos, lequel en fin se termine en une vaine complaisance qu'elle prend en iceluy; car elle admire la bonté de Dieu, mais en elle et non pas en Dieu, la suavité de Dieu, mais en elle mesme.

  A010000523 

 Je sçay bien comment saint Bernard explique ce passage, mais je ne veux pas en parler, ains seulement de ce qui fait plus à mon propos.

  A010000525 

 Si nous ne combattons nous ne serons pas vainqueurs, et partant nous ne meriterons pas la couronne de l'immortelle gloire que Dieu nous prepare si nous demeurons victorieux et triomphans..

  A010000526 

 Nous n'apprehenderons pas non plus les craintes nocturnes qui sont de trois sortes, ni moins les vaines esperances d'estre ou vouloir estre des saints dans trois moys.

  A010000540 

 Ainsy, je dois en croire autant que vous, et vous autant que moy, et tous les Chrestiens semblablement; de sorte que celuy qui ne croit pas tous ces mysteres n'est pas catholique, et partant n'entrera jamais en Paradis.

  A010000540 

 Il est vray qu'il n'y a qu' une seule foy laquelle tous les Chrestiens doivent avoir, neanmoins un chacun ne l'a pas en un mesme degré de perfection; de la vient que pour faire entendre la grandeur ou la petitesse d'icelle, on parle des conditions qui la rendent grande et des vertus qui l'accompagnent.

  A010000540 

 Lors donques que Nostre Seigneur dit: O femme, que ta foy est grande, ce n'estoit pas [216] que la Chananée creust plus que ce que nous croyons; mais plustost parce que plusieurs choses rendirent sa foy plus excellente.

  A010000540 

 Mais quant à l'objet, cette foy ne peut pas estre plus grande aux uns qu'aux autres, ni moins aussi quant à la quantité des choses qu'on doit croire, car il faut que nous croyions tous une mesme chose quant à l'objet et quant à la quantité.

  A010000541 

 Cette foy morte est celle qu'ont plusieurs Chrestiens, gens mondains; ils croyent bien tous les mysteres de nostre sainte Religion, mais leur foy n'estant pas accompagnée de la charité, ils ne font nulle bonne operation qui soit conforme à leur foy.

  A010000541 

 La foy mourante est celle qui n'est pas entierement separée de la charité.

  A010000542 

 Il en prend de cecy comme d'une personne qui va trespasser: quand [217] il luy survient quelque defaillance ou qu'il semble qu'elle ayt expiré, on luy met une plume sur les levres et la main sur le cœur; si l'ame est encores là, on sent que le cœur bat, on voit à la plume qui est devant sa bouche qu'elle respire encores, et de là on conclud, comme chose certaine, que bien que cette personne soit mourante, elle n'est pas neanmoins du tout morte; puisqu'elle fait des actions vitales, il faut de necessité que l'ame soit unie avec son corps.

  A010000543 

 La foy morte ressemble à un arbre sec lequel n'a point d'humeur vitale; et pour ce, lors qu'au printemps les autres arbres jettent des feuilles et des fleurs, celuy cy n'en jette point, parce qu'il n'a pas cette seve comme ceux qui ne sont pas morts ains seulement mortifiés.

  A010000545 

 Ainsy la charité unie à la foy n'est pas seulement suivie de toutes les vertus, ains comme reyne elle leur commande, et toutes obeissent et combattent pour elle et selon son gré: de là vient la multitude des bonnes operations de la foy vivante..

  A010000545 

 Et en ce que ces vertus luy obeissent, elle monstre son excellence et grandeur, tout ainsy que les rois ne sont pas grans seulement quand ils ont plusieurs provinces et de nombreux sujets, ains quand avec cela ils ont des sujets qui les ayment et leur sont sousmis.

  A010000545 

 Or, quand on dit que cette foy est grande l'on ne veut pas signifier qu'elle a quatorze ou quinze aunes de long; o non, il ne faut pas entendre comme cela.

  A010000546 

 Elle est lasche à s'appliquer à la consideration des mysteres de nostre Religion, elle est toute engourdie, d'où il s'ensuit qu'elle ne penetre point les verités revelées; elle les void bien et les entend parce qu'elle n'a pas les yeux tout à fait fermés, d'autant qu'elle ne dort pas, mais elle est dormante ou assoupie.

  A010000548 

 Les hommes ont bien cette force, ils ont puissance et seigneurie sur tous les animaux; mais parce que nous ne connoissons pas qu'elle est en nous, il s'ensuit que nous craignons comme foibles et couards, et fuyons comme des lourdeaux devant les bestes.

  A010000549 

 Elle employe la prudence pour acquerir ce qui la peut fortifier et augmenter; elle ne se contente pas de croire toutes les verités revelées par Dieu et declarées par [220] l'Eglise, ce qui necessaire pour estre sauvé, mais elle veille pour, de plus en plus, en descouvrir de nouvelles; et non seulement cela, ains aussi les penetre à fin d'en tirer le suc et la moelle dont elle se nourrit, se delecte, s'enrichit et s'aggrandit.

  A010000550 

 Vous n'estes pas de ces serviteurs veillans qui ont tousjours l'œil ouvert sur les mains de leur maistre, qui sont grandement soigneux et vigilans à faire tout ce qu'ils sçavent luy pouvoir rendre leurs services aggreables.

  A010000550 

 Vous ne travaillez donc pas pour Dieu ains seulement pour vous mesme, puisque vostre prudence ne s'estend pas plus avant qu'à faire ce que vous scavez qui vous peut empescher de vous perdre.

  A010000550 

 [221] Ils monstrent bien par là qu'ils ne travaillent pas pour eux, ains pour l'amour qu'ils portent à leur maistre; car ils employent toute leur prudence non seulement à remplir leur devoir envers iceluy, mais encores à faire tout ce qu'ils descouvrent luy aggreer.

  A010000551 

 Elle n'observe pas seulement ce qui est requis pour le salut, mais elle recherche, embrasse et prattique fidellement tout ce qui la peut plus approcher de son Dieu..

  A010000551 

 Or, la foy veillante n'agit pas ainsy; elle sert Dieu non en serviteur mercenaire, mais fidelle, car elle employe toute sa force, prudence, justice et temperance à faire tout ce qu'elle sçait et connoist estre aggreable à nostre Seigneur et Maistre.

  A010000551 

 Tu ne seras pas deshonnoré, voyla ta recompense.

  A010000551 

 Tu ne seras pas pendu, voyla ta recompense.

  A010000551 

 Tu ne seras pas tué, voyla ta recompense.

  A010000552 

 Nostre Seigneur traversant les confins et frontieres de Tyr et de Sidon, et se voulant cacher pour ne pas manifester sa gloire, il cuyda se retirer dans une mayson à fin de n'estre point veu ou apperceu; car sa renommée allant de jour en jour croissant, il estoit suivi d'une grande multitude de peuple qui estoit attiré par les miracles et œuvres merveilleuses qu'il faisoit.

  A010000553 

 Ceux qui le suivoyent ou qui demeuroyent ès maysons prochaines de celle où il s'estoit retiré, avoyent bien veu et entendu parler des merveilles et des miracles qu'il operoit, par lesquels il confirmoit la doctrine qu'il enseignoit; ils avoyent autant de foy que la Chananée, car une grande partie croyoit de luy ce qui s'en disoit, mais leur foy n'estoit pas si grande que celle de cette femme parce qu'elle n'estoit pas attentive comme la sienne..

  A010000553 

 Lors que Nostre Seigneur passoit, ou qu'il entroit, ou qu'il fut entré en la mayson, ou bien quand il en fut sorti (cecy est une dispute, mais je n'en veux pas parler icy; pour moy je crois que cela advint lors qu'il fut dans cette mayson), la Chananée, qui estoit en attente pour saisir sa proye, vint luy presenter sa requeste et s'escria: Seigneur, fils de David, ayez pitié de moy, car ma fille est cruellement travaillée du diable.

  A010000554 

 Et pourquoy? Parce qu'il n'estoit pas attentif à ce qui se disoit, son attention estoit [223] dans son tresor.

  A010000554 

 La foy de la Chananée n'estoit pas de la sorte.

  A010000554 

 Pourquoy voyons-nous que l'on fait si peu de profit des predications ou des mysteres que l'on nous explique ou enseigne, ou de ceux que l'on medite? C'est parce que la foy avec laquelle nous les entendons ou meditons n'est pas attentive; de là vient que nous les croyons bien, mais ce n'est pas avec une aussi grande asseurance.

  A010000554 

 Un voluptueux tout de mesme; car bien qu'il escoute, ce semble, ce dequoy l'on devise, nean moins il ne se resouviendra de rien parce qu'il est plus attentif à sa volupté que non pas à ce dont on discourt.

  A010000555 

 Donques les vertus particulieres dont cette femme accompagna sa requeste furent quatre: la confiance, la perseverance, la patience et l'humilité, sur chacune desquelles je vous diray un mot, car je ne veux pas estre long..

  A010000557 

 Certes, le plus grand defaut que nous ayons en nos prieres et en tout ce qui nous arrive, specialement en ce qui regarde les tribulations, c'est nostre peu de confiance; de là vient que nous ne meritons pas de recevoir le secours tel que nous le desirons ou demandons.

  A010000559 

 Cependant quand je parle de la perseverance je n'entens pas traitter de cette perseverance finale que nous devons avoir pour estre sauvés, ains de celle qui doit accompagner nostre priere.

  A010000559 

 Qu'il y a peu de gens qui comprennent bien en quoy elle consiste! Vous verrez des jeunes filles qui ne font que de naistre à la devotion, et encores des hommes (mais ne parlons pas de ceux cy, ne parlons pour maintenant que des filles, puisque c'est à des filles que je m'addresse); l'on en verra donc qui ne font que commencer à prier et suivre Nostre Seigneur, lesquelles demandent et veulent ja avoir des gousts et consolations, et ne peuvent point perseverer en la priere qu'à force de douceurs et de suavités.

  A010000560 

 Ce n'est pas ainsy qu'a fait la Chananée, car bien qu'elle vist Nostre Seigneur ne tenir compte de sa priere, [226] d'autant qu' il ne luy respondoit rien et sembloit quasi qu'il fist en cela une injustice, neanmoins cette femme persevera de crier apres luy, tellement que les Apostres furent contraints de luy dire qu'il la congediast parce qu'elle ne faisoit que crier apres eux.

  A010000560 

 Mais je ne veux pas m'arrester icy; pour moy je tiens cette derniere opinion, et que quand les Apostres dirent: Seigneur, congediez-la, ou bien, renvoyez cette fermme, car elle ne fait que crier apres nous, ils vouloyent signifier apres vous, car c'estoit bien crier apres eux que de crier apres leur Maistre..

  A010000561 

 Et la ferons-nous chaque jour, n'en ferons-nous point d'autre? Non, je ne dis pas cela; mais Dieu ne vous en enjoint point d'autre.

  A010000562 

 Ciceron, en quelque lieu de ses escrits, mais je ne sçay pas où, dit par forme de proverbe, qu'il n'y a rien qui ennuye tant le voyageur qu'un long chemin quand il est plain, ou un court quand il est tout raboteux et montueux (il ne me souvient pas de ses mesmes mots).

  A010000563 

 Il faut tant de cuisiniers, tant de diverses sortes d'apprests! et puis presentez-les-leur! Oh! disent-ils, ostez-moy cela, cecy n'est pas bon, ou! Cela me rendra malade, et telles bigearreries.

  A010000563 

 Ils ne jouent pas tousjours à un mesme jeu mais à plusieurs, car autrement ils s'en lasseroyent.

  A010000563 

 N'est-ce pas un martyre, je vous prie, d'aller tousjours habillé d'une mesme façon sans avoir la liberté de se chamarrer et decouper ses vestemens comme font les mondains? N'est-ce pas un martyre de manger tousjours à une mesme heure et quasi des mesmes mets, comme c'est une grande perseverance aux paysans de n'avoir [228] ordinairement pour leur nourriture que du pain, de l'eau et du fromage? Neanmoins ils n'en meurent pas plus tost, sins se portent mieux que ces delicats auxquels l'on ne sçait quelle viande est propre.

  A010000564 

 Perseverons en la priere en tous temps; car si Nostre Seigneur semble ne pas nous entendre, ce n'est pas pour cela qu'il nous veuille esconduire, mais c'est à fin de nous obliger à jetter nos clameurs plus haut et nous faire davantage sentir la grandeur de sa misericorde.

  A010000565 

 Hé donques, Seigneur, cette brebis icy n'est-elle pas de la mayson de vostre Pere? sera-t-elle perdue? N'estes-vous pas venu pour tout le monde, pour le peuple Juif et pour le Gentil? C'est une chose toute claire que Nostre Seigneur estoit venu pour tout le monde; cela est tout notoire en la Sainte Escriture.

  A010000565 

 Je ne suis pas venu pour toutes les brebis esgarées, mais pour trouver les brebis perdues de la mayson de mon Pere.

  A010000565 

 Mais quand il dit: Je ne suis pas venu pour toutes les brebis esgarées, ains seulement pour les brebis perdues de la mayson de mon Pere, il veut faire entendre qu'il estoit seulement promis aux Juifs lesquels estoyent nommés enfans de Dieu; c'est à dire qu'il avoit esté predit qu'il viendroit et marcheroit sur ses propres pieds parmi ce peuple, qu'il l'enseigneroit de sa propre bouche, gueriroit ses malades de ses propres mains, feroit des miracles en propre personne en Israël, et partant qu'il ne failloit pas oster le pain des enfans de Dieu, à sçavoir au peuple Juif, pour le jetter aux chiens ou au peuple Gentil, nation qui ne le connoissoit pas.

  A010000565 

 Pour cela il respondit à ses Apostres qui le prioyent de la congedier, [229] une parole qui la devoit bien piquer et, ce semble, luy faire perdre contenance: II n'est pas raysonnable, dit-il, que j'oste le pain des enfans pour le donner aux chiens.

  A010000567 

 Or cette femme fit voir la grandeur de la sienne en confessant qu'elle estoit une chienne et que, comme chienne, elle ne demandoit pas les faveurs reservées aux Juifs, qui estoyent les enfans de Dieu, ains seulement de ramasser les miettes qui tomboyent dessous la table.

  A010000567 

 Quant à nostre Chananée, non seulement elle ne s'offença pas pour se voir appellée chienne, mais elle le creut, le confessa et ne demanda que ce qui appartenoit aux chiens; en quoy elle fit paroistre une admirable humilité qui merita d'estre louée de la bouche de Nostre Seigneur, ce qu'il fit disant: O femme, que ta foy est grande! soit fait comme tu veux; et en louant sa foy, il loua toutes les autres vertus qui l'accompagnoyent..

  A010000589 

 Et bien que sa mere ayt en main quelques feuilles de ces arbres et qu'elle luy die: Mon enfant, ils sont couverts de telles feuilles; et luy monstrant une pomme ou une orange: Ils sont encores chargés de tels fruits, ne sont-ils pas beaux? ne les fait-il pas bon voir? l'enfant neanmoins demeure en son ignorance, d'autant qu'il ne peut comprendre en son esprit ce que sa mere luy enseigne, tout cela n'estant rien au prix de ce qui est en verité..

  A010000590 

 De mesme en est-il, mes cheres ames, de ce que nous pouvons dire sur la grandeur de la felicité eternelle et des beautés et amenités dont le Ciel est rempli; car il y a encores plus de proportion entre la lumiere d'une lampe avec la clarté de ces grans luminaires qui nous esclairent, entre la beauté de la feuille ou du fruit d'un arbre et l'arbre mesme chargé de fleurs et de fruits tout ensemble, entre tout ce que cet enfant comprend de ce que sa mere luy dit et la verité mesme des choses dont elle parle, que non pas entre la lumiere du soleil et la [234] clarté dont jouissent les Bienheureux en la gloire; entre la beauté d'une prairiediaprée au printemps et la beauté de ces campagnes celestes, entre l'amenité de nos colines chargées de fruits et l'amenité de la felicité eternelle.

  A010000590 

 Mais bien que cela soit ainsy, et que nous soyons asseurés que ce que nous en pouvons dire n'est rien au prix de ce qui est en verité, nous ne devons pas laisser d'en toucher quelque chose..

  A010000591 

 Ayant desja presché plusieurs fois, et mesme en ce lieu sur l'Evangile d'aujourd'huy et sur ce sujet, j'ay pensé que je devois traitter d'un point duquel je ne vous eusse pas encor parlé.

  A010000592 

 Et que cela ne soit, je vous presente l'histoire de saint Augustin, qui n'est pas un autheur auquel il ne faille adjouster foy.

  A010000593 

 Confesse donques, que puisque tu me vois, tes yeux estans fermés, que tu me connois fort bien et que tu as ouy la musique quoy que tes sens soyent endormis, que les fonctions de l'esprit ne dependent pas des sens corporels, et que l'ame estant separée du corps elle ne lairra pas pourtant de voir, ouyr, considerer et entendre.

  A010000594 

 Ainsy le rapporte saint Augustin, lequel ayant dit que le medecin luy raconta qu'il avoit ouy cette divine musique qui se chantoit à son costé droit, dans la campagne dont nous avons parlé, mais certes, adjouste-t-il, je ne me souviens pas de ce qu'il avoit veu du costé gauche.

  A010000594 

 Aussi nostre memoire n'a pas une si pleine liberté en ses fonctions, de maniere qu'elle ne peut avoir plusieurs souvenirs, au moins les avoir tous à la fois, sans que l'un empesche l'autre; de mesme nostre volonté affectionne moins fort quand elle ayme plusieurs choses ensemble; ses desirs et ses vouloirs sont moins violens et ardens quand elle en a davantage..

  A010000594 

 Icy nous ne pouvons pas faire cela, car quiconque veut penser à plus d'une chose en mesme temps il a tousjours moins d'attention à chacune, et son attention en est moins parfaite.

  A010000595 

 Ils pensent que c'en est de mesme que des consolations que l'on reçoit quelquefois en la terre, lesquelles font entrer l'ame en un certain endormissement spirituel, en sorte que pour un temps il n'est pas possible de se mouvoir et comprendre mesme où l'on est, ainsy que le tesmoigne le Psalmiste royal en son Psalme In convertendo: Nous avons esté faits, dit-il, comme consolés; ou bien, selon le texte hebreu et la version des Septante, co mme endormis, lors que le Seigneur nous a retirés de la captivité.

  A010000595 

 La tranquillité est l'excellence de nostre action; or, au Ciel [237] nostre action n'empeschera pas la tranquillité, ains elle la perfectionnera de telle sorte qu'elles ne se nuiront point l'une à l'autre, voire elles s'entr'ayderont merveilleusement à continuer et perseverer pour la gloire du pur amour de Dieu qui les rendra capables de subsister ensemble..

  A010000595 

 Mais il n'en eut pas ainsy en la gloire; car l'abondance de la consolation n'ostera point la liberté à nos esprits d'avoir leurs veues, de faire leurs actions et leurs mouvemens.

  A010000596 

 Et si bien il est escrit que Nostre Seigneur enivrera ses bien-aymés, disant: Beuvez, mes amis, et vous enivre mes tres chers, cet enivrement ne rendra pas l'ame moins capable de voir, considerer, entendre et faire ses divers mouvemens, ainsy que nous l'avons declaré, selon que l'amour de son Bien-Aymé luy suggerera; ains cela l'excitera tousjours davantage à redoubler ses mouvemens et eslans amoureux, comme estant tousjours plus enflammée de nouvelles ardeurs..

  A010000596 

 Ne croyons donques pas, mes cheres ames, que nostre esprit soit rendu stupide et endormi en l'abondance de la jouissance des bonheurs eternels; au contraire, il sera grandement resveillé et agile en ses differentes actions.

  A010000597 

 La troisiesme difficulté que je veux arracher de vos esprits est qu'il ne faut pas penser qu'en la gloire eternelle nous soyons sujets aux distractions comme nous le sommes tandis que nous vivons en cette vie mortelle.

  A010000599 

 Je ne parleray pas non plus de l'eternité de cette gloire des Saints, mais seulement d'une certaine gloire accidentelle qu'ils reçoivent en la conversation qu'ils ont par ensemble.

  A010000599 

 Je ne veux pas, mes cheres Sœurs, vous entretenir de la felicité que les Bienheureux ont en la claire veuë de la face de Dieu, qu'ils voyent et verront sans fin en son essence, car cela regarde la felicité essentielle, et je n'en veux pas traitter, sinon que j'en dise quelques mots sur la fin.

  A010000601 

 Les Apostres virent donques alors sa face plus reluisante et esclattante que le soleil, voire cette clarté et cette gloire s'espancha jusques sur ses vestemens pour nous monstrer qu'il n'en estoit pas si chiche qu'il n'en fist part à ses habits mesme et à ce qui estoit autour de luy.

  A010000603 

 O Dieu, nos cœurs ne se fondront-ils pas d'un contentement indicible oyant ces paroles?.

  A010000604 

 O mes cheres ames, quel bonheur à ce Saint de contempler la Hierusalem celeste en son triomphe, le grand Apostre (je ne dis pas grand de corps, car il estoit petit, rnais grand en eloquence et en sainteté) preschant et entonnant ces louanges qu'il donnera eternellement à la [241] divine Majesté en la gloire! Mais quel exces de consolation pour saint Augustin de voir Nostre Seigneur operer le miracle perpetuel de la felicité des Bienheureux que sa mort nous a acquise! Imaginez-vous, de grace, le divin entretien que ces deux Saints auront l'un avec l'autre, saint Paul disant à saint Augustin: Mon cher frere, ne vous resouvenez-vous point qu'en lisant mon Epistre vous fustes touché d'une inspiration qui vous sollicitoit de vous convertir, inspiration que j'avois obtenue de la divine misericorde de nostre bon Dieu par la priere que je faisois pour vous à mesme temps que vous lisiez ce que j'avois escrit? Cela, mes cheres Sœurs, ne causera-t-il pas une douceur admirable au cœur de nostre saint Pere?.

  A010000605 

 Si cela est ainsy, mes cheres ames, quelles consolations recevrons-nous entrant au Ciel, où nous verrons cette benite face de Nostre Dame toute flamboyante de l'amour de Dieu! Et si sainte Elizabeth demeura si transportée d'ayse et de contentement quand, au jour qu'elle la visita, elle luy ouyt entonner ce divin Cantique du Magnificat, combien nos cœurs et nos esprits tressailliront-ils d'une joye indicible lors qu'ils entendront entonner par cette chantre sacrée le cantique de l'amour eternel! O quelle douce melodie! Sans doute nous pasmerons et entrerons en des ravissemens fort aymables, lesquels ne nous osteront pourtant pas l'usage ni les fonctions de nos puissances qui, par ce divin rencontre que nous ferons de la Sainte Vierge, s'habiliteront [242] merveilleusement pour mieux et plus parfaittement louer et glorifier Dieu, qui luy a fait tant de graces et à nous aussi, nous donnant celle de converser familierement avec elle..

  A010000606 

 Hé, ne l'apprenons-nous pas en la Transfiguration, où il ne se parle de rien tant que de l'exces qu'il devoit souffrir en Hierusalem? exces qui n'estoit autre, comme nous l'avons ja veu, que sa douloureuse mort.

  A010000607 

 Mais Jesus Christ luy mesme encherissant sur ces paroles dira: S'il se pouvoit faire que l a femme oubliast son enfant, si ne t'oublieray-je pas, d'autant que je porte ton nom gravé en mon cœur..

  A010000608 

 Que ne devrions-nous donques pas faire ou souffrir pour jouir de ces suavités indiciblement aggreables! Cette verité nous est monstrée en l'Evangile d'aujourd'huy; car ne voyez-vous pas que Nostre Seigneur estant transfiguré, Moyse et Elie luy parlent et s'entretiennent tout familierement avec luy?.

  A010000609 

 Nostre felicité ne s'arrestera pas là, mes cheres ames, mais elle passera plus avant, car nous verrons face à face et tres clairement la divine Majesté, l'essence de [244] Dieu et le mystere de la tres sainte Trinité, en laquelle vision et claire connoissance consiste nostre felicité essentielle.

  A010000610 

 Et quel sera-t-il ce divin entretien? Oh, quel il sera! Il sera tel qu' il n'est pas loysible à l'homme de le rapporter; ce sera un devis si secret que nul ne le pourra entendre que Dieu et celuy avec lequel il se fera.

  A010000611 

 Et poursuivant elle adjoustera: Meilleur est sans nulle comparaison le lait qui coule de ses cheres mammelles que non pas tous les vins les plus delicieux, et le reste.

  A010000611 

 Quelles divines extases, quels embrassemens amoureux entre la souveraine Majesté et cette chere amante quand Dieu luy donnera ce bayser de paix! Cela sera pourtant ainsy, et non pas avec une amante seule, ains avec un chacun des citoyens celestes, entre lesquels se fera un entretien admirablement aggreable des souffrances, des peines et des tourmens que Nostre Seigneur a endurés pour un chacun de nous durant le cours de sa vie mortelle, entretien qui leur causera une consolation telle que les Anges, au dire de saint Bernard, n'en sont pas capables; car si bien Nostre Seigneur est leur Sauveur et qu'ils ayent esté sauvés par sa mort, il n'est pourtant pas leur Redempteur, d'autant qu'il ne les a pas rachetés, ains seulement les hommes.

  A010000618 

 Nous y trouverons aussi dequoy condamner ceux qui censurent et parlent injustement contre la Providence divine, et ne veulent adorer ni approuver les effects et evenemens d'icelle touchant l'election des bons et la reprobation des mauvais; car lors qu'on voit l'ejection de ceux cy, la prudence humaine se met à la recherche des motifs et raysons de leurs cheutes, et au lieu de regarder la douce Providence de Dieu, elle se jette sur le defaut de la grace et dit: Si ce [248] pecheur en eust receu autant que le juste il ne fust pas tombé en tel defaut.

  A010000618 

 Or, telles sortes de gens auroyent quelque rayson s'ils disoyent seulement que la grace n'est pas offerte aux pecheurs comme aux justes; mais s'ils passoyent plus outre à fin de s'enquerir pourquoy les premiers ne reçoivent pas cette grace comme les seconds, certes, ils seroyent contraints de confesser que ce n'est pas le defaut de la grace qui est cause de leur perte, car jamais elle ne manque.

  A010000619 

 Il estoit circoncis, et Dieu luy avoit tesmoigné qu'il l'aymoit en [249] luy donnant la jouissance de beaucoup de biens et de possessions, d'autant qu'il n'en prenoit pas en la Loy mosaïque comme en celle de grace, en laquelle la pauvreté est tant louée et recommandée.

  A010000619 

 Nostre Seigneur n'avoit pas encores dit: Bienheureux sont les pauvres d'esprit; aussi en ce temps-là Dieu favorisoit ses amis en leur faisant part des richesses et commodités temporelles par lesquelles il les obligeoit à le servir..

  A010000619 

 Or, si c'est tousjours l'homme qui manque à la grace et que jamais la grace ne nous manque, si l'on voit en toutes sortes d'estats, de conditions et de vocations un si grand nombre de reprouvés et peu d'esleus, qui s'asseurera et vivra sans apprehension de perdre cette grace ou de luy refuser son consentement? qui ne craindra de descheoir en ne rendant pas à Dieu le service qui luy est deu, chacun selon son devoir et obligation, puisque si bien nous voyons un Lazare et un saint Mathias au nombre des esleus, nous trouvons ce riche de l'Evangile et Judas parmi les reprouvés? Mais quoy, le mauvais riche n'estoit-il pas appellé à une mesme vocation que le Lazare, et Judas à la mesme que saint Mathias? Ouy, sans doute, cecy est tout clair en l'Evangile; car le mauvais riche estoit Juif, puisqu'il appelle Abraham pere: Pere Abraham, luy dit-il, le priant de luy envoyer le Lazare.

  A010000620 

 C'est pourquoy, quand le Lazare ne l'eust pas servi, il n'auroit pas esté si condamnable que le mauvais riche; il l'auroit esté, sans doute, mais beaucoup moins que luy.

  A010000620 

 Ce n'est pas que celuy cy n'y fust aussi tenu, mais d'autant que le riche avoit esté favorisé de beaucoup plus de biens que non pas l'autre, il avoit par consequent plus de devoir de servir son Seigneur.

  A010000621 

 Il ne fut pas instruit par le Sauveur mesme et ne vit point ses miracles, car il n'estoit pas des Apostres qui le suivoyent; neanmoins il persevera fidellement et mourut tres saintement.

  A010000621 

 Voyez d'abord comme la vocation et election de Judas estoit advantageuse par dessus celle de saint Mathias; car Judas, le plus meschant homme qui se puisse trouver, fut appellé à l'apostolat de la propre bouche de Nostre Seigneur qui l'appella mille fois par son nom; il fut instruit de luy comme les autres Apostres, il l'entendit parler et prescher, il fut tesmoin des œuvres merveilleuses qu'il faisoit et comment il confirmoit sa doctrine par de tres grans miracles; son cher Maistre luy avoit fait beaucoup de graces singulieres lesquelles saint Mathias ne receut point, car il ne fut pas appellé à l'apostolat par Nostre Seigneur ni de son vivant, ains par les Apostres apres [250] son Ascension, de sorte qu'il vint comme un avorton succeder à ce miserable Judas.

  A010000623 

 Et l'homme dans le paradis terrestre, où Dieu l'avoit mis en sa grace, ne vint-il pas à en descheoir? car Eve, escoutant le serpent, print du fruit defendu, en presenta à son mary, et il en mangea contre la volonté de son Createur..

  A010000625 

 Tenez-vous bien à l'arbre de vostre profession chacun selon vostre vocation; mais ne laissez pas de cheminer craintifs et comme à taston tout le temps de vostre vie, de peur que voulant marcher avec trop [252] d'asseurance et de hardiesse vous ne tombiez dans les ruines du peché.

  A010000626 

 Chose estrange que dans l'Eglise triomphante (non pas triomphante pour lors, mais angelique), parmi des esprits si purs, doués d'une si noble et excellente nature, parmi une si sainte compagnie où il n'y avoit aucune occasion de peril, sans tentation ni suggestion des esprits malins, car il n'y en avoit point encores, il y ayt eu un si petit nombre d'Anges qui ayent perseveré, et que la troisiesme partie se soit revoltée contre Dieu et ayt esté precipitée dans les enfers! Chose espouvantable aussi que Judas, qui avoit esté appellé du Sauveur mesme à l'apostolat, ayt commis un si execrable peché et une si estrange trahison que de vendre son Maistre au temps qu'il alloit en sa compagnie, qu'il oyoit sa parole et qu'il voyoit les œuvres merveilleuses [253] qu'il faisoit! Ce sont des exemples qui doivent faire trembler toutes sortes de personnes, de quel estat, condition ou vocation qu'elles soyent..

  A010000626 

 Et pourquoy? Parce qu'il ne suffit pas d'estre en cette sainte vocation et admis avec les bons si l'on n'y persevere.

  A010000628 

 Hé quoy, dit la prudence humaine, le ciel, la terre et par consequent tout ce qui se trouve en icelle, n'est-il pas fait pour l'homme, et Dieu ne veut-il pas que nous en usions? Il est vray que Dieu a creé le monde pour l'homme avec intention qu'il usast des biens qu'il trouveroit en iceluy, mais non point à fin qu'il en jouist comme si c'estoit sa fin derniere.

  A010000628 

 Il crea le monde avant que de creer l'homme, car il luy voulut preparer un palais, une mayson et demeure clans laquelle il se peust loger; ensuite il le declara maistre de tout ce qui est en iceluy, luy permettant de s'en servir, mais non pas en telle sorte qu'il n'eust point d'autre pretention, car il l'avoit creé pour une fin plus haute qui est luy mesme.

  A010000629 

 Si j'estois autre part j'en dirois davantage sur cette sorte d'avarice, mais celles à qui je parle n'en ont pas à faire..

  A010000630 

 On rencontrera des hommes qui ayans femme, enfans et une famille à entretenir, pour laquelle ils auroyent besoin d'acquerir quelques commodités à fin de la subvenir, lesquels neanmoins ne s'en soucient pas, ains mangent et dissipent toute leur substance, demeurant toute leur vie pauvres, chetifs et miserables; mais ils sont tellement avaricieux de leur liberté, qui est leur tresor, leur richesse et la plus noble piece qu'ils ayent, ils la tiennent si ferme et de si pres que pour rien au monde ils ne la veulent perdre, quitter ni assujettir, ains en veulent jouir pour vivre selon leurs fantasies et se vautrer en toutes sortes de playsirs et voluptés.

  A010000630 

 On se peut bien encores garder de la premiere, car on trouvera plusieurs personnes qui n'ont pas cette ambition d'amasser beaucoup de prés, de champs et maysons, mais peu qui quittent franchement ce qu'elles possedent.

  A010000633 

 Or, ce ineschant homme Judas (pour ne parler que de luy et laisser à part le mauvais riche) estoit grandement avaricieux et cupide d'amasser de l'argent, mais non pas seulement ce qui estoit requis pour l'entretenement de Nostre Seigneur et de ses Apostres, car il leur failloit peu de chose, d'autant que le Sauveur establissoit son apostolat sur la pauvreté et qu'il devoit envoyer ses disciples apres luy prescher son Evangile avec commandement de ne porter ni bourse, ni besace, ni baston, ni bourdon, et de n'user d'aucune prevision pour le lendemain, ains de se confier en leur Pere celeste qui les nourriroit par sa providence.

  A010000634 

 Le Sauveur donques luy remit la charge des choses temporelles; et il n'y eust point eu de mal de porter la bourse et de manier l'argent s'il l'eust fait comme il le devoit, mais ce desloyal et miserable homme ne s'y comporta pas en econome fidelle, ains en larron et avaricieux.

  A010000636 

 Si on taxe les riches du monde d'estre avaricieux ils ne s'en mettent pas beaucoup en peine; mais de voir l'avarice dans l'apostolat et d'accuser un Religieux de ce vice, cela est un tres grand blasme, car c'est vendre Nostre Seigneur que d'estre avare en la Religion.

  A010000636 

 Si vous [258] dites qu'il est larron il ne s'en pique pas; si qu'il est desbauché il ne s'en soucie point et ne fait que s'en rire; mais si vous dites qu'il est poltron il s'en offensera et ne l'endurera pas, sçachant bien que c'est la plus grande injure qu'on luy puisse faire, d'autant que la poltronnerie est tout à fait contraire à sa profession.

  A010000637 

 C'est une chose tres difficile de declarer quels sont les commencemens de la cheute des pecheurs; il est neanmoins tres asseuré, comme disent les theologiens, que ce n'est pas que la grace leur ayt manqué, ains ce sont eux qui ont manqué à la grace; mais de sçavoir comme ils ont commencé à luy manquer, c'est bien difficile..

  A010000638 

 O Dieu, que c'est une chose redoutable que le peché, pour petit et leger qu'il puisse estre! C'est ce qui faisoit dire à ce grand saint Bernard: Marchez tousjours et gardez de vous arrester; allez tousjours plus avant, car il est impossible de demeurer en un mesme estat en cette vie; celuy qui n'avance pas, il faut de necessité qu'il recule.

  A010000638 

 Quelques anciens Peres disent que cela peut arriver pour avoir rejetté un advertissement, une inspiration; car quoy que ce rejet ne soit qu'un peché veniel qui ne nous oste pas la grace, neanmoins il en empesche le cours, la ferveur s'amoindrit, on s'affoiblit contre les vices; si qu'aujourd'huy que vous manquez à la grace luy refusant vostre consentement et commettant ce peché veniel, vous vous disposez à en commettre bien tost un autre, et par la multitude des veniels à tomber petit à petit dans les mortels, et par iceux à perdre la grace.

  A010000639 

 Mais j'ay tant de mauvaises inclinations! Et quel est celuy qui n'en a pas? N'avez-vous pas la grace divine pour les combattre? Il y en a d'autres qui s'excusent sur leur naturel: Hé, disent-ils, nous ne sçaurions jamais rien faire qui vaille, nous avons un si mauvais naturel.

  A010000639 

 Mais la grace ne va-t-elle pas au dessus de la nature? Saint Paul avoit un naturel aspre, rude et revesche; neanmoins la grace de Dieu le renversa, et se saisissant de ce naturel revesche, elle le rendit d'autant plus ferme au bien qu'il entreprit, et si courageux et invincible en toutes sortes de peines et de travaux que rien ne peut esbranler son courage, de maniere qu'il devint un grand Apostre, tel que nous l'honnorons à present.

  A010000641 

 Saint Pierre, le chef des Apostres, les fit reunir avec les disciples de Nostre Seigneur qui estoyent en tout six vingts, et ce à dessein d'en choisir un des six vingts, ou plustost des cent neuf, car il ne faut pas compter les Apostres qui estoyent onze.

  A010000642 

 Cecy est fort propre à confondre les huguenots qui disent que l'apostolat a manqué quand les Apostres sont morts; ce qui est tres faux, car encores qu'ils soyent morts, l'apostolat ne l'est pas, puisque de mesme que saint Pierre et tous les autres Apostres et disciples estans assemblés en choisirent un pour succeder à Judas, celuy là pouvoit aussi en choisir un autre, et cet autre un autre, et ainsy consecutivement; de sorte que l'apostolat a passé jusqu'à nous et durera jusques à la fin du monde.

  A010000642 

 Nous sommes donques enseignés que bien que Judas quittast l'apostolat, neanmoins l'apostolat ne perit pas pour cela, il demeura tousjours en estre; car le college des Apostres dura non seulement pendant la vie de Nostre Seigneur qui les appella et les receut, mais apres sa mort [261] ils en esleurent un autre pour remplacer le traistre.

  A010000642 

 Si vous quittez la Religion, la Religion ne manquera pas pour cela, car la Providence divine en envoyera une autre pour occuper vostre place; mais si vous la quittez, où irez-vous? Je ne sçay.

  A010000642 

 Veillez continuellement sur vos exercices, observez soigneusement vostre maniee de vivre, servez fidellement Dieu en cette vocation, de peur qu'elle ne vous eschappe; car si vous la perdez elle ne se perdra pas pour cela, mais une autre vous succedera et en heritera..

  A010000643 

 (Il y auroit plusieurs choses à dire sur le sort, mais [262] je n'en parleray pas icy. Je diray seulement que cela se peut quand les parties sont esgales ou qu'il n'y a pas grande disproportion, comme il n'y en avoit pas entre saint Joseph, car il a esté saint, et saint Mathias.) Le sort estant jetté il tomba sur ce dernier, et il fut Apostre..

  A010000644 

 Or, Joseph, qui estoit juste, ne perdit point sa justice encores qu'il ne fust pas retenu pour Apostre, ains sa sainteté luy demeura, pour nous apprendre que Dieu ne choisit pas tousjours les plus saints pour gouverner et avoir des charges en son Eglise.

  A010000644 

 Partant ceux qui y sont appellés ne doivent pas se glorifier et presumer d'eux mesmes, pensant estre meilleurs ou plus parfaits que les autres, et ceux qui ne sont point receus à tels offices ne s'en doivent point troubler, puisque cela ne les empeschera pas d'estre justes et aggreables à Dieu..

  A010000645 

 Mais ces prestres sinagogiques et mosaïques le rejetterent, disant qu'ils ne s'en soucioyent point, que s'il avoit mal fait c'estoit son dam et que pour eux ils n'en avoyent que faire; car en la Loy de Moyse il n'en prenoit pas comme en celle de grace sous laquelle nous sommes; les prestres de ce temps icy ne rejettent pas ainsy les pecheurs quand ils viennent à eux, d'autant qu'il n'y a peché, pour grand et grief qu'il soit, qui ne puisse estre pardonné en cette [263] vie, si on le confesse: cecy est un article de foy.

  A010000656 

 La seconde est l'union qu'il nous faut avoir en nous mesme, au royaume que nous avons en nostre interieur, dont la rayson doit estre la reyne, à laquelle toutes les facultés de nostre esprit, tous nos sens et nostre corps mesme doivent demeurer absolument assujettis; car sans cette obeissance et sousmission nous ne pouvons nous empescher de la desolation et du trouble, [265] non plus que le royaume où les sujets ne sont pas obeissans aux lois du roy..

  A010000656 

 Tout royaume qui sera divisé et qui ne sera pas uni en soy mesme sera desolé, dit Nostre Seigneur en l'Evangile d'aujourd'huy, où par contre, tous royaumes qui seront bien unis en eux mesmes par la concorde, ne laissant point entrer de divisions, seront indubitablement remplis de consolations; car les propositions estans contraires, les consequences le doivent estre de mesme.

  A010000657 

 Et cela non sans grand sujet, puisque le bien-aymé du Bien-Aymé, le grand Apostre saint Jean, asseure que quiconque dit qu'il ayme Dieu et n'ayme pas le prochain est menteur; au contraire, celuy qui dit qu'il ayme le prochain et n'ayme pas Dieu contrevient à la verité, car cela ne se peut.

  A010000658 

 Et pour monstrer qu'il ne parloit pas seulement pour les Apostres ains pour tous nous autres: Je ne te prie pas seulement pour ceux [266] cy, avoit-il dit auparavant, mais pour tous ceux qui croiront en moy par leur parolle.

  A010000659 

 Aussi, nous ne devons pas entendre de pouvoir parvenir à l'esgalité de cette union, car il ne se peut, comme le remarquent les anciens Peres; il nous faut contenter d'en approcher au plus pres qu'il nous sera possible, selon la capacité que nous avons.

  A010000659 

 Nostre Seigneur ne nous appelle pas à l'esgalité, ains seulement à la qualité de cette union, c'est à sçavoir, que nous nous devons aymer et estre unis par ensemble le plus purement et le plus parfaitement qu'il se peut..

  A010000661 

 C'est cette image et semblance que nous devons honnorer et aymer en tous les hommes, et non pas autre chose qui soit en eux; car rien n'est aymable en nous de ce qui est de nous, puisque non seulement cela n'embellit pas cette divine ressemblance, ains l'enlaidit, souille et barbouille, en sorte que nous ne sommes presque plus reconnoissables.

  A010000661 

 En quoy il nous monstre qu'il veut que nous marchions d'un pas de geant et non de petit enfant.

  A010000661 

 Mais à fin que nous ne cheminions point d'un pas d'enfant en cette voye de la dilection que Dieu nostre Pere nous a tant recommandée, saint Paul adjouste: Marchez-y comme Nostre Seigneur y a marché, donnant sa vie pour nous, et le reste qui s'ensuit.

  A010000661 

 Or, c'est ce qu'il ne faut nullement aymer dans le prochain, car Dieu ne le veut pas..

  A010000663 

 Ce que Marc Antoine ayant sceu, et que non seulement ils n'estoyent pas jumeaux, voire qu'ils ne venoyent pas de mesme païs, et qu'ils n'estoyent pas nés sous un mesme roy, il se mit grandement en colere et fut fort courroucé contre celuy qui les luy avoit vendus.

  A010000663 

 Ces deux enfans se ressembloyent tellement et si parfaittement que le maquignon luy fit accroire qu'ils estoyent jumeaux, n'estant pas croyable qu'ils peussent avoir une si parfaitte ressemblance autrement; car estans separés l'un de l'autre l'on ne pouvoit nullement juger quel c'estoit des deux, rareté dont Marc Antoine fit un si grand estat qu'il les acheta fort cherement.

  A010000665 

 Nous voyons cecy en ce que le Seigneur trouva extremement mauvaise la responce du miserable Caïn, qui eut bien la hardiesse, quand il luy demanda ce qu'il avoit fait de son frere Abel, de dire qu'il n'estoit pas obligé de le garder.

  A010000665 

 Nul ne se peut excuser de ne pas sçavoir qu'il faut aymer nostre prochain comme nous mesme, Dieu ayant gravé cette verité au fond de nos cœurs en nous creant tous à la ressemblance les uns des autres; car portant tous en nous l'image du Createur, nous sommes par consequent l'image les uns des autres, ne representant tous qu'un mesme portrait qui est Dieu..

  A010000666 

 Et premierement, pourquoy appelle-t-il ce commandement nouveau, puisqu'il avoit desja esté donné en la Loy de Moyse, et que mesme, comme nous l'avons ja veu, il n'avoit pas esté ignoré en la loy de nature, ains reconneu, voire observé par quelques uns dès la creation de l'homme? Nostre divin Maistre appelle ce commandement nouveau d'autant qu'il [270] le vouloit renouveller; et comme quand on met du vin nouveau en quantité dans un tonneau où il y en a encor un peu de vieux, l'on ne dit pas que tel tonneau contient du vin viel ains du nouveau, parce que la quantité de celuy cy surpasse sans comparaison celle de l'autre, de mesme Nostre Seigneur appelle ce commandement nouveau, d'autant que, si bien il avoit esté donné auparavant, il n'avoit pourtant esté observé que par un fort petit nombre de personnes; si qu'il pouvoit le nommer tout nouveau, parce qu'il vouloit qu'il fust tellement renouvellé que tous s'aymassent les uns les autres..

  A010000669 

 Ce commandement estoit tellement negligé entre les hommes qu'il sembloit n'avoir pas esté fait, tant il y en avoit peu qui s'en resouvinssent ou du moins qui l'observassent.

  A010000670 

 Les hommes de l'ancienne Loy sont damnés s'ils n'ont pas aymé le prochain, car ou la loy de nature les y obligeoit ou bien celle de Moyse; mais les Chrestiens qui, apres l'exemple que Nostre Seigneur nous en a laissé, [272] ne s'ayment pas les uns les autres et n'observent ce divin precepte de la charité mutuelle seront damnés d'une damnation incomparablement plus grande..

  A010000671 

 Mais maintenant que nous sçavons non pas qu'il viendra, ains qu'il est venu, et qu'il nous a recommandé tout de nouveau cette sainte dilection les uns envers les autres, combien serons-nous dignes de punition si nous n'ajnrions nostre prochain!.

  A010000673 

 Or dites-moy donques, l'amour cordial que nous nous devons porter les uns aux autres quel doit-il estre, puisque Nostre Seigneur nous a tous esgalement reparés et faits semblables à luy sans en exclure aucun? On doit neanmoins tousjours se resouvenir qu'il ne faut pas aymer au prochain ce qui est contraire à cette divine ressemblance ou qui peut ternir ce portrait sacré; mais hors de là, ne devrions-nous pas, mes cheres ames, aymer cherement celuy qui nous represente si au vif la personne sacrée de nostre Maistre? N'est-ce pas un des plus pregnans motifs que nous sçaurions avoir pour nous aymer d'un amour extremement ardent? Hé, quand nous voyons nostre prochain ne devrions-nous pas faire comme le bon Raguel quand il vit le jeune Tobie? Celuy-cy, estant allé en Rages par le commandement de son pere, fit rencontre de ce bon homme Raguel, lequel le regardant: Hé, dit-il à sa femme, mon Dieu, que ce jeune homme me represente bien nostre cousin Tobie! Sur quoy il luy demanda d'où il estoit et s'il ne connoissoit point Tobie; à quoy l'Ange qui le conduisoit respondit: Celuy cy à qui vous parlez est son fils; je vous laisse à penser si nous le connoissons! Lors le bon Raguel, tout transporté d'ayse, l'embrassa, et le caressant et baysant fort tendrement: O mon enfant, s'escria-t-il, que tu es fils d'un bon pere et que tu ressembles à un grand homme de bien! Puis il le receut en sa mayson et le traitta merveilleusement bien selon l'affection qu'il portoit à son cousin Tobie..

  A010000674 

 Hé donques, n'en devrions-nous pas faire de mesme quand nous nous rencontrons les uns les autres? Oh, devrions-nous dire à nostre frere, que vous ressemblez à un grand homme de bien, car vous me representez mon [274] Sauveur et mon Maistre! Et sur l'asseurance qu'il nous donne ou que nous nous donnerions les uns aux autres que nous reconnoissons tres bien la ressemblance du Createur et que nous sommes ses enfans, quelles tendres caresses ne devrions-nous pas nous faire! Mais pour mieux dire, combien devrions-nous recevoir amoureusement le prochain, honnorant en luy cette divine ressemblance, renouant tousjours de nouveau ces doux liens de charité qui nous tiennent liés, serrés et conjoints les uns aux autres.

  A010000675 

 Nostre Seigneur a donné sa vie pour un chacun de nous, il a donné son ame, il a donné son corps, en fin il n'a rien reservé; partant il ne veut pas que nous reservions rien du tout, hormis le salut eternel..

  A010000677 

 Cela est bien bon, dit saint Bernard, mais ce n'est pas assez, il faut passer plus outre.

  A010000677 

 Cela est davantage et desja meilleur, mais encores n'est-ce pas assez.

  A010000677 

 En quoy il nous enseigne que de s'employer, voire jusqu'à donner sa vie pour le prochain, n'est pas tant que de se laisser employer au gré des autres, ou.

  A010000678 

 Il s'estoit employé luy mesme toute sa vie, mais à sa mort il se laissa employer et faire tout ce qu'on voulut, non pas par ses amis, ains par ses ennemis qui luy donnoyent la mort avec une rage insupportablement meschante.

  A010000679 

 Quand nous nous employons nous mesmes, ce que nous faisons par le choix de nostre volonté ou par nostre election apporte tousjours beaucoup de satisfaction à nostre amour propre; mais à nous laisser employer ès choses que l'on veut et que nous ne voulons pas, c'est à dire que nous ne choisissons pas, c'est là où gist le souverain degré de l'abnegation que nostre Seigneur et Maistre nous a enseigné en mourant.

  A010000681 

 Quelle divine odeur ne respandit-il pas devant la divine Majesté lors qu'il institua le tres saint Sacrement de l'autel, auquel il nous tesmoigna si admirablement la grandeur de son amour! Ce fut un parfum incomparable que cet acte de perfection incomprehensible par lequel il se donna à nous qui estions ses ennemis et qui luy causions la mort, et ce fut alors qu'il nous octroya le moyen de parvenir où il nous desiroit, à sçavoir d'estre faits un avec luy, comme luy et son Pere ne sont qu' un, c'est à dire une mesme chose.

  A010000682 

 Nous sommes tous nourris d'un mesme pain, qui est ce pain celeste de la divine Eucharistie, la manducation duquel s'appellant Communion, nous represente, comme nous avons dit, la commune union que nous devons avoir ensemble, union sans laquelle nous ne meriterons pas de porter le nom d' enfans de Dieu, puisque nous ne luy sommes pas obeissans..

  A010000683 

 Mais entre tous ses preceptes il n'en est point qu'il ayt tant inculqué ni dont il ayt tesmoigné desirer une si exacte observance que celuy de l'amour du prochain; non pas que celuy de l'amour de Dieu ne le precede, mais d'autant que pour la prattique de celuy de l'amour du prochain la nature ayde moins que pour l'autre, il estoit besoin que nous y fussions excités en une façon plus particuliere..

  A010000685 

 Aussi son saint Apostre nous l'a-t-il plus particulierement exprimé, ne voulant pas que nous nous amusions à imiter ni les Anges ni les Cherubins en cette prattique tant necessaire, ains Nostre Seigneur mesme qui nous l'a enseignée beaucoup plus par œuvres que par paroles, principalement estant attaché à la croix..

  A010000685 

 Quant à nous autres, nous n'avons pas eu cet honneur, ains ce que nous sçavons nous l'avons appris des Apostres; nous sommes donques comme les vestemens de nostre grand Prestre, nostre Sauveur, sur lesquels neanmoins descoule encores cet onguent pretieux de la tres sainte dilection qu'il nous a tant commandée et recommandée.

  A010000686 

 C'est au pied de cette Croix que nous devrions nous tenir continuellement, comme au lieu auquel les imitateurs de nostre souverain Maistre et Sauveur font leur plus ordinaire demeure; car c'est de là qu'ils reçoivent cette liqueur celeste de la sainte dilection qui sort à grans randons, comme une divine source, des entrailles de la divine misericorde de nostre bon Dieu qui nous a aymés d'un amour si fort, si solide, si ardent et si perseverant que la mort mesme ne l'a pas peu attiedir, ains au contraire l'a infiniment rehaussé et aggrandi.

  A010000686 

 Les eaux des plus ameres afflictions n'ont peu esteindre le feu de cette dilection qu'il nous portoit, tant il estoit ardent, et les persecutions envenimées de ses ennemis n'ont pas eu assez de force pour vaincre la solidité et fermeté incomparable de l'amour dont il nous a aymés.

  A010000692 

 Plusieurs esprits bigearres en ont tiré qu'il failloit donques qu'en ce temps là saint Pierre ne gardast pas le celibat, et les huguenots ont dit que puisqu'il avoit une belle mere il devoit quant et quant avoir une femme, et partant qu'il estoit pour lors marié; ce qui n'est point, car il n'eust peu suivre Nostre Seigneur s'il eust esté chargé d'une femme..

  A010000692 

 Saint Matthieu le tesmoigne clairement en son chapitre huitiesme, et saint Marc indirectement en son chapitre premier, bien qu'en l'Evangile que nous lisons aujourd'huy, saint Luc ne le dise pas, ains seulement que Jesus entrant en la mayson de Simon il guerit sa belle mere qui estoit travaillée des fievres.

  A010000693 

 Aussi verroit-on par là que, bien qu'il n'eust pas tous-jours gardé le celibat, neanmoins il y estoit lors qu'il se mit à la suite du Sauveur, ce qu'il monstra par ces parolles qu'il luy addressa: Nous avons tout quitté pour vous suivre; quelle recompense nous donnerez-vous? Nous avons tout quitté: il ne dit pas en partie, mais tout, sans reserve d'aucune chose; et puisque nous avons tout quitté, quelle sera la recompense que nous recevrons de vous? Or, il n'eust peu parler de la sorte s'il eust eu une femme..

  A010000694 

 Elle le reconnoist bien tousjours pour son Seigneur, il est vray; neanmoins elle a un seigneur subalterne à qui elle appartient aussi et pour qui elle a de l'amour, et partant son cœur n'est pas entierement à Jesus Christ, il est partagé, il est divisé.

  A010000694 

 Nostre Seigneur ayant choisi saint Pierre pour chef des ecclesiastiques, il estoit convenable qu'il vescust en celibat, d'autant que, comme escrit saint Hierosme, la vierge qui vient à se marier ne peut pas dire qu'elle soit toute à Dieu.

  A010000695 

 Quant à ce qui est dit que Jesus entra en la mayson de Simon, il ne faut pas entendre que ce glorieux Saint s'en fust reservé une ou qu'il eust encores une famille.

  A010000696 

 Et non seulement cette communion se fait ça bas en terre, mais elle s'estend jusques à l'autre vie; celuy là est donc bien sot et hebeté qui, voulant croire la communion des Saints en la terre, ne veut pas croire qu'elle passe jusques au Ciel.

  A010000697 

 Mais il reprint la fievre et se courrouça contre elle en la chassant, comme s'il eust voulu dire: Comment ose-t-elle demeurer au lieu où est le Medecin et la medecine de vie? Que ne s'enfuit-elle en ma presence sans attendre que je luy en fasse le commandement? Il est escrit que Dieu se courrouça contre la mer Rouge de ce qu'elle ne s'estoit pas dessechée; comme si l'on vouloit dire: La volonté de Dieu estant que la mer Rouge fust à sec, il la reprint, l'arguant de ce qu'elle ne s'estoit dessechée avant mesme qu'il le luy eust commandé.

  A010000698 

 Mais j'ay pensé de ne point traitter aujourd'huy de celles là, ains des corporelles dont les Religieux et Religieuses ne sont pas plus exempts que les autres, car ces maladies corporelles vont dans les Religions aussi bien que dans le monde; et puis c'est de celles-cy qu'il est question dans nostre Evangile, et c'est une chose de grande importance de sçavoir comme il en faut bien user.

  A010000698 

 Quant à ce qui est des maladies spirituelles, elles sont en si grand nombre que si j'entreprenois d'en parler je n'aurois jamais fait, d'autant plus qu'elles sont l'exercice de toute l'année; et, bien que les Religieuses soyent exemptes de quelques unes, neanmoins elles ne le sont pas de toutes.

  A010000699 

 Or, plusieurs esprits bigearres et niais ont fait des heresies sur ces paroles, croyant, voire disant que Melchisedech n'estoit point un homme, qu'il n'avoit pas un vray corps comme nous, et luy ont quant et quant voulu attribuer la divinité, comme s'il eust esté Dieu, ce qui est faux; car, d'apres saint Paul, c'estoit un homme juste et paisible, et n'y a point de difficulté qu'il ne fust semblable aux autres.

  A010000699 

 Voyla comme il ne se faut pas trop avancer en l'interpretation de l'Escriture pour en tirer plusieurs sens: disons donques quelque chose sur la façon de se comporter en la meditation d'icelle..

  A010000701 

 C'est donques une imagination que nos peintres ont fait qui n'est non plus veritable que celle par laquelle quelques uns peignent le bon larron attaché à la croix avec des doux, ce qu'ils ne veulent pas faire du mauvais, comme s'il ne le meritoit pas; et telles autres suppositions sur la Sainte Escriture, lesquelles sont heteroclites et dangereuses et dont il faut user sobrement; de mesme de ce qu'on pretend des trois Maries..

  A010000702 

 Mais l'on ne s'est pas contenté de ce qu'ils ont laissé, ains on a fait plusieurs autres imaginations; c'est icy où il faut prendre garde pour n'en pas user dans la meditation à tort et à travers, selon nostre fantasie, ains sobrement, selon l'advis de [286] nos directeurs et de ceux qui nous conduisent, ou selon qu'il est marqué dans les livres bien approuvés qui nous mettent hors de doute et danger.

  A010000702 

 Or, je ne dis pas qu'il ne se faille servir de l'imagination pour mediter, ni des considerations pieuses qui nous ont esté laissées par les saints Peres et par tant de bonnes ames.

  A010000703 

 Il n'estoit pas sans commencement, puisque, comme homme, il eut une naissance, et non plus sans fin, d'autant qu'il mourut comme tous les autres.

  A010000703 

 Mais parce qu'il n'est rien dit en la Sainte Escriture des pere et mere, de la genealogie, de la naissance ni de la mort de Melchisedech, saint Paul n'en veut rien declarer ni rien adjouster à la lettre, il ne veut rien dire de ce qui n'est pas escrit; c'est pourquoy il parle de la sorte de ce saint personnage..

  A010000703 

 Mais quand il dit que Melchisedech estoit sans pere et sans genealogie, il ne veut pas signifier qu'il n'eust eu un pere et une mere comme les autres hommes, car il nasquit comme eux, et partant il avoit une genealogie.

  A010000704 

 Chacun sçait toutefois combien grand est le mal de l'inquietude, et nos delicats en rendent tesmoignage; quand ils n'ont pas dormi leurs neuf heures ils ne font que se plaindre: Hé, disent-ils, nous avons esté tout inquietés.

  A010000707 

 Elle ne luy demande pas d'approcher du lit où elle estoit gisante et de mettre la main sur elle; elle ne s'empresse aucunement pour toucher ses vestemens ni la frange de sa robe, comme ont fait plusieurs autres, ainsy que nous le voyons en l'Evangile.

  A010000707 

 Mais ce qui est encores plus admirable, c'est qu'elle le voit dans sa mayson, elle le regarde et il la regarde; et si, elle ne luy dit pas un mot de sa maladie pour l'exciter à avoir pitié d'elle.

  A010000708 

 Que ne fit pas la Chananée, combien ne cria-t-elle pas apres nostre cher Maistre et comme ne persevera-t-elle pas à l'importuner pour obtenir ce qu'elle demandoit? Comme ne cria-t-elle pas apres les Apostres à ce qu'ils le priassent pour elle, ou que du moins, voyant son importunité, ils fussent meus à ce faire? Et quelles instances ne fit pas le prince de la Synagogue pour induire Nostre Seigneur à descendre en sa mayson? En somme, tous tesmoignerent beaucoup d'inquietude et de desir de leur guerison..

  A010000709 

 Mais encores en ce temps cy, que ne feroyent pas nos malades s'ils sçavoyent qu'il y eust un homme de grande experience, pour le prier de les visiter et de remedier à leurs maux? Avec quelle impatience n'attendroyent-ils pas sa venue? O certes, cette inquietude ne procede que d'un amour desreglé de soy mesme, maladie à laquelle sont sujets non seulement les gens du monde, mais aussi ceux qui vivent en Religion.

  A010000710 

 Cecy est bien considerable; car si ce saint Pere leur eust mandé qu'il leur parloit selon son sentiment, il n'eust pas esté si austere; mais non: Je ne vous parle point, asseure-t-il, selon mon sentiment, «mais en ce que je vous dis, il me semble que j'ay l'Esprit de Dieu.».

  A010000711 

 L'on n'est pas si rigoureux maintenant comme autrefois; chacun veut avoir l'usage du vin et se servir des medecines et desmedecins..

  A010000712 

 Elle sçavoit bien que Dieu n'estoit point ni la premiere, ni la seconde, ni la troisiesme cause de sa maladie, car il ne l'est en façon quelconque, d'autant que n'estant pas la cause du peché, aussi ne l'est-il pas de la maladie.

  A010000712 

 Il est vray que ces choses ne sont pas si rares en nostre aage qu'elles l'estoyent pour lors; car il n'y avoit que fort peu de medecins et quelquefois un seul en toute une province, de sorte que quand on le vouloit trouver ou consulter il failloit courir de costé et d'autre, ce qui ne se pouvoit faire sans grans frais: l'on n'en pouvoit avoir un à moins de cent escus.

  A010000712 

 Mais il n'en prend pas ainsy en ce temps; car outre que les drogues sont à meilleur prix, les medecins ne sont point non plus si rares; de là vient qu'on les employe plus facilement, si que pour le moindre mal il faut se medicamenter et courir à la haste pour appeller le medecin.

  A010000712 

 Mais l'on ne se contente pas de cela, ains on veut se gouverner selon sa fantasie: on a tant de soin de soy! On s'inquiete et s'empresse à rechercher des moyens pour sa guerison, on voudroit volontiers sçavoir tout ce qui nous est propre ou non, connoistre tous les remedes du monde pour s'en servir, et pretendroit-on que chacun s'y employast.

  A010000712 

 [292] Nostre febricitante n'en faisoit pas ainsy: elle estoit dans son lit sans mener aucun bruit; il luy suffisoit qu'on sceust qu'elle estoit malade, et se contentoit de prendre ce qu'on luy donnoit pour sa santé, sans se mettre en peine de discerner s'il luy seroit profitable ou non.

  A010000713 

 Elle n'estoit pas semblable à plusieurs personnes de ce temps, lesquelles si elles ont la migraine ou la colique il faut que chacun en soit empesché et que tout le voysinage en soit instruit, autrement elles ne sont pas contentes; ni à ceux qui pour le moindre mal veulent estre retirés à part dans une infirmerie à fin que chacun les plaigne et souffle sur iceluy; ni à ceux qui courent au medecin pour la plus petite incommodité qu'ils ressentent.

  A010000714 

 Nostre febricitante est admirable, car non seulement elle ne publie pas son mal, elle ne s'amuse point à en parler ni ne se met en devoir d'envoyer querir le medecin; mais, chose estrange, Nostre Seigneur estant en sa mayson comme un souverain Medecin qui la pouvoit guerir, elle ne luy dit mot touchant sa maladie; voire, elle ne le veut pas regarder en qualité de medecin, ains seulement comme son Dieu à qui elle appartient et en la santé et en la maladie.

  A010000715 

 Il ne suffit pas d'estre malade parce que telle est la volonté de Dieu, mais il le faut estre comme il le veut, quand il le veut et autant et comme il luy plaist, nous remettant, pour la santé, à ce qu'il en ordonnera, sans luy rien demander.

  A010000719 

 Cette parole fut secrette, neanmoins ayant esté ouye du [295] Sauveur il regarda la malade qui le regardoit; puis, s'approchant de son lit, il l'empoigna par la main, et se faschant contre la fievre luy commanda de la quitter; soudain elle fut guerie, et se levant de ce pas, elle l'alla servir à table..

  A010000720 

 Elle n'estoit point de ces femmes tendres et delicates qui ayans eu une maladie de quelques jours il leur faut les semaines et les moys pour les refaire, à fin que ceux qui n'ont pas appris qu'elles estoyent malades le sçachent en ce temps qu'elles prennent pour se remettre, et que par ce moyen ils ayent encores le loysir de les plaindre.

  A010000722 

 Le premier degré de cette pauvreté, dit saint Bonaventure, c'est de n'avoir point de demeure et de mayson qui nous soit propre et selon nostre goust; le second, de ne point avoir de vestement et de nourriture asseurée au temps de la santé; le troisiesme, c'est, estant malade, de ne sçavoir où se retirer, de n'avoir point de giste pour se loger, point de viandes pour subvenir à la necessité, ni aucunes qui soyent à nostre gré, en un mot, d'estre delaissé et abandonné de tout secours à la fin de nostre vie, et parmi cela, de ne rien demander pour nostre soulagement ni rien refuser, lors mesme que ce qui nous seroit donné ne nous aggreeroit pas..

  A010000740 

 Or, entre ceux cy il se trouve encores quelques troupes, comme nous voyons en nostre Evangile, qui meritent que Nostre Seigneur ayt d'eux un soin plus special: ce sont ceux qui pretendent parvenir à la perfection et lesquels, pour ce faire, ne se contentent pas de le suivre en la plaine [298] des consolations, ains ont le courage de le suivre encores parmi les deserts jusques sur la cime de cette haute montagne.

  A010000740 

 Plusieurs virent le Sauveur tandis qu'il alloit instruisant et guerissant les hommes, et ne le suivirent pourtant pas; d'autres le voyant le suivirent, mais seulement jusqu'au pied de la montagne, se contentant de l'accompagner en la plaine et ès lieux aggreables et faciles; mais plus heureux mille fois ceux qui le virent et le suivirent non pas seulement jusqu'au pied de la montagne, ains transportés de l'amour qu'ils luy portoyent, monterent avec luy, despourveus de tout autre soin que de luy plaire, car ils meriterent que la divine Bonté prinst soin d'eux, et de leur faire mesme un festin miraculeux de peur qu'ils ne vinssent à defaillir de faim..

  A010000741 

 O que ces troupes estoyent aymables en cette prattique si parfaite du delaissement total d'elles mesmes entre les bras de la divine Providence! N'ayons pas peur que Dieu leur manque, car il en prendra soin et en aura compassion, ainsy que nous verrons tantost en la suite de nostre discours.

  A010000742 

 O que c'est une bonne [299] marque à un Chrestien de se plaire à entendre la parole de Dieu et de quitter tout pour le suivre! On peut sans doute pretendre et parvenir à la perfection en demeurant au monde et faisant soigneusement ce qu'on doit faire selon sa vocation; mais pourtant c'est une chose tres certaine que le Sauveur n'exerce pas envers ceux-là une providence si speciale, ni n'en a pas une sollicitude si particuliere comme de ceux qui abandonnent encores tout le soin d'eux mesmes pour le suivre plus parfaitement.

  A010000743 

 Je ne dis pas tant cecy pour ce qui est des choses temporelles comme pour les spirituelles; luy mesme l'enseigna à sa bien aymée sainte Catherine de Sienne: «Pense en moy,» luy dit-il, «et je penseray en toy.» O qu'heureuses sont les ames qui sont si amoureuses de Nostre Seigneur que de bien suivre cette regle de penser en luy, se tenant fidellement en sa presence, escoutant ce qu'il nous dit continuellement au fond du cœur, obeissant à ses divins traits et attraits, mouvemens et inspirations, respirant et aspirant sans cesse au desir de luy plaire et d'estre sousmises à sa tres sainte volonté; pourveu toutefois que cela ne soit point sans cette divine confiance en sa toute bonté et en sa providence, car il nous faut tousjours demeurer tranquilles, et non point troublés ni pleins d'anxieté apres la recherche de la perfection que nous entreprenons..

  A010000744 

 Ayez patience, peut-on dire à ces bonnes gens, quittez un peu le soin de vous mesme et n'ayez pas peur que rien vous manque; car si vous vous confiez en Dieu il aura soin de vous et de tout ce qui sera requis à vostre perfection.

  A010000744 

 Considerez, je vous prie, ces troupes qui suivent nostre cher Maistre jusques sur la montagne: avec quelle paix et quelle tranquillité d'esprit elles vont apres luy! Pas un ne murmure ni ne se plaint, bien qu'il sembloit qu'ils deussent exhaler l'ame à force de langueur et de faim.

  A010000744 

 Ils souffrent beaucoup, et si, ils n'y pensent pas, [300] tant ils sont attentifs à l'unique pretention qu'ils ont d'accompagner Nostre Seigneur par tout où il ira.

  A010000745 

 Hé, ne voyez-vous pas que les oyseaux, lesquels ne moissonnent ni ne recueillent, et qui ne servent à rien qu'à recreer l'homme par leur chant, ne laissent pas pourtant d'estre nourris et sustentés par l'ordre de cette divine providence? Vous sçavez que l'on tient de deux sortes d'animaux dans les maysons: les uns pour l'utilité, et les autres pour le simple playsir que l'on en tire.

  A010000745 

 Par exemple, on a des poules pour pondre, et des rossignols ou tels autres oyselets dans des cages pour chanter; tous sont nourris, mais non pas à mesme fin, car les uns le sont pour l'utilité et les autres pour le playsir..

  A010000747 

 Mais en verité nous pouvons bien dire ce qui est dans le saint Evangile: Plusieurs sont appelles, mais peu sont esleus; plusieurs aspirent à la perfection, mais peu y parviennent, d'autant qu'ils ne marchent pas comme il faudroit, ardemment mais tranquillement, soigneusement mais confidemment, c'est à dire, plus appuyés sur la divine Bonté et sur sa providence que non pas sur eux mesmes et sur leurs œuvres.

  A010000747 

 Quand tout nous manquera, lors Dieu prendra soin de nous, et tout ne nous manquera pas, puisque nous aurons Dieu qui doit estre nostre tout..

  A010000748 

 Les enfans d'Israël n'eurent pas la manne jusques à tant qu'ils n'eurent plus de la farine d'Egypte; et cecy est le second point.

  A010000748 

 Tandis que nous avons nos Regles, nos Constitutions, des personnes qui nous disent ce que nous devons faire, n'attendons pas que Dieu fasse des miracles pour nous conduire à la perfection, car il ne le fera pas.

  A010000749 

 Partant, appellant à soy saint Philippe, il luy dit: Ces pauvres gens s'en vont defaillir si on ne les secourt de quelques vivres: où pourrions-nous trouver de quoy les sustenter? Ce qu'il ne demandoit pas par ignorance, ains pour le tenter..

  A010000749 

 Quand donc les appuis humains nous manquent, tout ne nous manque pas, car Dieu succede et prend soin de nous par sa speciale providence.

  A010000750 

 Nous ne devons pas entendre que Dieu nous tente pour nous porter au mal, car cela ne se peut, ains il tente les hommes et ses serviteurs les mieux aymés pour esprouver leur fidelité et l'amour qu'ils luy portent, à fin de leur faire accomplir quelques œuvres grandes et [303] esclattantes, comme il fit à Abraham quand il luy commanda de luy sacrifier son fils tant aymable Isaac.

  A010000751 

 Cecy nous represente merveilleusement bien certaines ames qui n'attendent pas que Nostre Seigneur les plaigne, ains le font soigneusement elles mesmes.

  A010000751 

 En fin l'exercice de la vertu m'est si difficile que je ne sçay plus que faire; je suis affligée plus qu'il ne se peut dire, et n'ay pas assez de paroles propres pour exprimer l'incomparable peine que je souffre..

  A010000751 

 Nostre Seigneur tenta donques saint Philippe, lequel n'estant pas encores confirmé en la foy et en la croyance de la toute puissance de son Maistre, luy respondit comme en rejettant la proposition: O vrayement, deux cens deniers de pain ne suffiroyent pas pour en donner à chacun un morceau.

  A010000752 

 Chose estrange que de l'esprit humain: cela n'est rien! Et que voudriez-vous donques de plus? que Dieu vous envoyast un Ange pour vous consoler? O il ne le fera pas; vous n'avez pas cneores jeusné trois jours et trois nuits pour le suivre sur la montagne de la perfection, pour à laquelle parvenir il faut que vous vous oubliiez vous mesme, laissant à Dieu le soin de vous consoler ainsy que bon luy semblera, ne vous mettant en peine ni en soucy d'autre chose que d'aller apres luy en escoutant sa parole comme ce bon peuple..

  A010000752 

 Il est bien vray, dit saint André à Nostre Seigneur, qu' il y a icy un jeune enfant qui porte cinq pains d'orge et deux poissons; mais qu'est-ce que cela pour [304] tant de gens? Helas! disent ces pauvres ames attendries sur elles mesmes, mon affliction est telle que deux cens escus de consolations ne me suffiroyent pas.

  A010000753 

 Or, ces plaintes et ces tendretés que nous avons sur nous mesme, ces doleances, ces difficultés à la poursuite du bien commencé, qu'est-ce autre chose qu'un sujet vrayement digne de nous humilier et reconnoistre pour foibles et encores enfans en ce qui est de la vertu et de la perfection? Oh! il ne faut pas tant se regarder soy mesme, ains il faut penser en Dieu et le laisser penser en nous..

  A010000754 

 Nous pouvons bien dire: Il est vray que je n'ay nulle vertu, ni moins les conditions propres pour estre employé à telle ou telle charge; mais apres il nous faut tellement mettre nostre confiance en Dieu que nous devons croire que quand il sera necessaire que nous les ayons et qu'il se voudra servir de nous, il ne manquera pas de nous les donner, pourveu que nous nous laissions nous mesme pour nous occuper fidellement à louer et procurer que nostre prochain loue sa divine Majesté, et que sa gloire soit augmentée le plus que nous pourrons..

  A010000755 

 Nostre Seigneur, nonobstant que saint Philippe et saint André affirmassent que ce n'estoit rien des cinq pains et des deux poissons pour cette multitude, ne laissa pas de dire qu'on les luy apportast, et commanda à ses Apostres de faire asseoir le peuple.

  A010000756 

 Mais l'Evangeliste saint Marc, en l'histoire qu'il rapporte d'un autre miracle presque tout semblable à celuy cy, miracle qui n'est pas neanmoins le mesme, d'autant qu'il y avoit sept pains, ainsy qu'il le tesmoigne, et saint Jean escrit qu'il n'y en avoit que cinq en celuy de ce jour, saint Marc donc dit expressement que tous mangerent des sept pains et des deux poissons.

  A010000757 

 A la resurrection, comme se pourra-t-il faire qu'un chacun ressuscite en son mesme corps, puisque les uns [306] auront esté mangés par les vers, les autres par les bestes farouches, qui par les oyseaux, d'autres en fin auront esté bruslés et leurs cendres jettées au vent? Comme donques se pourra-t-il faire qu'en mesme temps que l'Ange appellera un chacun pour venir au jugement, tous, dis-je, en ce mesme instant, sans aucun delay, se releveront ressuscités en leur propre chair; raov, en ce corps que je porte à cette heure, lequel ressuscitera par la toute puissance de Dieu qui le produira de nouveau? car comme il ne luy a pas esté difficile de le produire tel qu'il est, il ne le sera pas davantage de le reproduire derechef..

  A010000758 

 Tandis que nous avons du pain Dieu ne fait pas des prodiges pour nous nourrir..

  A010000758 

 Tous donc mangerent de ces cinq pains et de ces deux poissons multipliés miraculeusement, excepté saint Martial qui, ne participant point à ce miracle, mangea là tout seul de son pain et non pas de celuy du Sauveur, d'autant qu'il avoit porté sa provision.

  A010000759 

 Cela nous signifie que les mondains, qui sont figurés par les Israelites, lesquels pretendoyent voirement bien d'acquerir et parvenir en la terre de promission terrestre, les mondains, dis-je, et [307] ceux qui vivent dans le monde mais qui desirent le Ciel, ne laissent pas pourtant de s'aggrandir en la terre, et de rechercher encores au delà de la necessité leurs commodités et leurs ayses icy bas.

  A010000759 

 Je considere en troisiesme lieu que Nostre Seigneur pouvant faire tomber la manne sur cette montagne, comme autrefois au desert pour les enfans d'Israël, il ne le fit neanmoins pas, ains dressa son festin avec des pains d'orge.

  A010000760 

 Quant à moy je vous diray ma pensée sur la question que je m'en vay vous faire: à sçavoir mon, lequel vous aymeriez mieux, ou d'estre nourries d'un peu de pain cuit sous la cendre avec le Prophete Elie dans le desert de Bersabée, ou bien avec le mesme Prophete, des pains et de la chair qu'il reçoit du bec d' un corbeau pres du torrent de Carith? Je ne puis sçavoir vostre pensée, mais quant à moy je vous diray bien franchement que j'aymerois mieux de la main de l'Ange le pain cuit sous la cendre, que non pas le pain, pour blanc qu'il fust, ni de la chair m'estant apportés au bec d' un corbeau, qui est un oyseau infect et puant.

  A010000761 

 De mesme il ne veut pas que les Religieux retournent dans le monde pour rechercher de la consolation à fin d'entretenir leurs esprits, d'autant que c'est par son inspiration qu'ils sont venus en Religion; ains il veut les nourrir là dans ces deserts non de Bersabée mais de sa divine Majesté..

  A010000761 

 Dieu, comme nous avons dit, ne commanda pas à Elie dans le desert de retourner entre les Prophetes pour estre sustenté, ains il luy envoya un Ange parce qu'il estoit allé là par l'ordre de la divine Providence.

  A010000762 

 Il est vray que bien souvent ce n'est pas avec de la manne, qui avoit le goust qu'un chacun pouvoit desirer, mais avec un morceau de pain cuit sous la cendre ou bien avec un morceau de pain d'orge.

  A010000762 

 Je veux dire ainsy: Nostre Seigneur veut que ces ames choisies pour le service de sa divine Majesté se nourrissent aucunefois d'une resolution ferme et invariable de perseverer à le suivre parmi les degousts, les secheresses, les repugnances et les aspretés de la vie spirituelle, sans consolations, sans saveurs, sans tendretés, mais en une tres profonde humilité, croyant de n'estre pas dignes d'autre chose, prenant ainsy amoureusement ce pain non de la main d'un Ange ains de celle du Sauveur, qui nous le donne conformement à nostre necessité; car c'est une chose certaine que, si bien il n'est pas grandement savoureux au goust, il est neanmoins grandement proffitable à nostre santé spirituelle..

  A010000763 

 Par exemple, si nous avons des bons desirs ou des bons documens, et que nous n'ayons pourtant pas assez de force pour les prattiquer et mettre en effect, presentons-les-luy et il les rendra capables d'estre digerés; si nous mettons nostre confiance en sa Bonté il reproduira ces desirs autant de fois qu'il sera necessaire pour nous faire perseverer en son service..

  A010000764 

 Ne nous troublons pas pourtant, mais exposons souventefois cette bonne volonté devant Nostre Seigneur, remettons-la entre ses mains et il la reproduira autant de fois qu'il sera requis à fin que nous en ayons assez pour toute nostre vie mortelle.

  A010000769 

 De là vient le reproche que luy en firent les Nazareens, se plaignant de ce qu'il n'en faisoit pas autant en Nazareth comme en Capharnaum.

  A010000770 

 Nostre cher Sauveur rencontrant ces funerailles à la porte de [311] Naïm, voulut faire un tres grand miracle: il s'approcha donques de ceux qui portoyent le corps et toucha la biere, leur commandant d'arrester là et de ne pas passer plus outre, ce qu'ils firent soudain; et tout le peuple estant en attention pour voir ce qui adviendroit, Jesus prononça cette parole toute puissante: Adolescent, je te dis, leve-toy.

  A010000770 

 Voyla le sommaire de l'Evangile de ce jour, sur lequel je n'ay pas beaucoup à m'arrester pour l'esclaircissement du texte; je diray donques seulement trois ou quatre paroles d'instruction..

  A010000773 

 L'attouchement du Sauveur n'estoit pas necessaire pour ce miracle, non plus que pour aucun autre; il pouvoit bien, sans toucher la biere, faire arrester ceux qui la portoyent et ressusciter cet adolescent sans aucune ceremonie, par sa toute puissance et vertu divine; mais il ne le voulut pas, ains se servit de l'imposition de ses mains pour monstrer qu' aux jours de sa chair, à sçavoir quand il conversoit en sa chair parmi les hommes, il exerçoit sa vertu et puissance divine par l'entremise de son humanité.

  A010000773 

 Les anciens disoyent que Dieu habitoit avec eux, qu'il enseignoit et instruisoit son peuple à faire ce qui estoit de ses divines volontés; neanmoins, comme le disent nos saints Peres, il n'y habitoit pas visiblement ains invisiblement.

  A010000774 

 Il semble en effect qu'il n'estoit pas raysonnable d'enterrer dans les temples ceux dont les ames n'alloyent point en Paradis, ains descendoyent dans les enfers ou dans les Limbes.

  A010000775 

 Cecy est un peu difficile à entendre, car qui appelle-t-il adolescent? Le defunct ne l'estoit pas ni quant au corps ni quant à l'ame, d'autant que l'ame n'est ni vielle ni jeune, elle ne croist ni ne descroist, elle n'est susceptible d'aucun temps; le corps n'estoit non plus adolescent, puisqu'estant mort ce n'estoit qu'une charogne.

  A010000775 

 Il est vray que ce jeune homme mort n'estoit pas adolescent, ni quant au corps ni quant à l'ame; aussi Nostre Seigneur ne l'appelle-t-il pas comme s'il l'estoit, mais comme une chose à qui il veut donner l'estre, monstrant en cela sa parole toute puissante et efficace qui fait ce qu'elle dit; car celuy qui n'estoit pas adolescent le fut aussi tost que le Sauveur eut prononcé ces mots: Adolescent, je te dis, leve-toy..

  A010000776 

 C'est avec une parole toute puissante que Dieu a creé le ciel et la terre, qu'il a tiré l'estre du non estre, d'autant que cette parole est operative, elle opere ce qu'elle dit, et de ce qui n'est pas, elle fait ce qui est.

  A010000776 

 Les morts n'entendent pas: qui donques luy respondra? Il parle aux morts tout ainsy que s'ils estoyent vivans, pour monstrer que la voix de Dieu n'est point seulement ouye de ceux qui ont des oreilles, mais encores par ce qui n'est pas; qu'il a puissance sur les choses creées et sur les increées, de sorte que s'il addressoit sa voix aux choses increées elles luy respondroyent, tant sa parole est efficace..

  A010000777 

 Et pourquoy l'Archange addresse-t-il ses paroles à ces cadavres tout reduits en cendre et poussiere? Ne sçait-il pas que les morts n'entendent rien? et s'il le sçait, pourquoy donc leur commandet-il ainsy: «Levez-vous, morts?» Comme se leveront-ils, puisqu'ils n'ont point de vie? Neanmoins c'est bien à ces carcasses mortes que l'Archange parle, et cette parole estant proferée par le commandement de Dieu, est tellement puissante et efficace qu'elle donne la vie à ceux qui ne l'ont pas; en disant elle opere ce qu'elle dit, et de ce qui n'est pas elle en fait ce qui est, si que ces morts qui estoyent reduits en cendre se leveront en corps et en ame, vrayement vivans, c'est à sçavoir ressuscités, tout ainsy que Nostre Seigneur ressuscita de soy mesme et par sa propre vertu au troisiesme jour..

  A010000778 

 Donques, si la parole non de plusieurs Anges, ains d'un seul Archange, proferée par le commandement de Dieu est si operatrice qu'elle donne l'estre à ce qui n'est point, pourquoy ne croirons-nous pas à toutes les paroles de Dieu? Pourquoy aurons-nous de la difficulté à croire que par icelles, qu'elles soyent dites par luy mesme ou par ceux à qui il en a donné la charge et le pouvoir, il ne puisse faire ce qui est de ce qui n'est pas, encores que nous ne le comprenions point? Et quelle difficulté y a-t-il en cet article de la resurrection des morts, puisqu'elle se fait par la toute puissance de Dieu?.

  A010000779 

 Il n'y a donques nulle difficulté à concevoir comment ce garçon qui estoit dans cette biere n'estoit pas adolescent, mais qu'il le fut lors que nostre divin Maistre luy fit ce commandement: Adolescent, je te dis, leve-toy, et ressuscita tel que Nostre Seigneur l'avoit nommé.

  A010000779 

 Je ne vous dis pas quelles elles sont, car vous pensez bien qu'elles traittent de la mort..

  A010000780 

 A quoy nos saints Peres ont respondu que cela ne peut estre; car bien que les Chrestiens ne doivent point craindre la mort pource qu'ils doivent tousjours estre prests à bien mourir, neanmoins ils ne sçauroyent pour cela estre exempts de cette crainte; car qui est-ce qui sçait s'il est en estat pour bien faire ce passage, puisque pour bien mourir il faut estre bon? Et qui est asseuré d'estre bon, c'est à dire d'avoir la charité necessaire pour estre trouvé tel à l'heure de son trespas? Personne ne le peut sçavoir s'il n'en a receu une revelation particuliere; et encores ceux là qui en ont eu n'ont pas esté exempts de craindre la mort..

  A010000781 

 Les Stoïciens disoyent qu'il ne failloit pas l'apprehender, et que la redouter c'estoit une marque de defaut [316] d'entendement et de courage.

  A010000783 

 Il la faut craindre, car qui n'en auroit peur, puisque tous les Saints l'ont redoutée, et mesme le Saint des Saints, nostre Sauveur? car la mort n'est pas naturelle à l'homme, ains il a esté condamné à icelle à cause de son peché.

  A010000784 

 Ainsy, quoy qu'il y ayt eu des Saints qui ont desiré et demandé la mort il ne faut pas penser qu'il ne l'ayent point apprehendée, car il n'y a personne, pour saint qu'il soit, qui ne l'ayt justement redoutée, si ce n'est ceux qui ont eu des asseurances toutes particulieres de leur salut par des revelations tres speciales..

  A010000784 

 Et que l'on ne me dise point que plusieurs Saints n'ont pas craint la mort, ains qu'au contraire ils l'ont souhaittée et demandée, voire se sont resjouis quand elle est venue, et que par consequent il ne la faut point apprehender non plus d'autant que cette crainte est pleine de frayeur.

  A010000784 

 Il est vray qu'il y a eu des Saints qui semblent l'avoir desirée, mais ce n'est pas qu'ils ne l'ayent crainte pour cela ni qu'ils n'ayent eu peur d'elle, car l'on peut bien desirer ce que l'on redoute et demander ce qu'on n'ayme pas.

  A010000784 

 Quel est le malade qui ne craigne le rasoir quand il faut que le chirurgien s'en serve pour luy couper un membre pourri à fin qu'il n'infecte et gaste les autres? Mais quoy qu'il le craigne il ne laisse pas de le souhaitter et mesme demander, de peur que la gangrene ne se mette à son membre gasté; c'est ce qui luy fait demander le rasoir qu'il craint, et se resjouir en quelque façon quand on l'approche.

  A010000785 

 Oh! quand sera-ce donques que je le verray face à face? Hé, qui me delivrera de ce corps de mort? et plusieurs autres semblables paroles par lesquelles le grand Apostre veut exprimer la vehemente passion qu'il avoit d'estre dissous et disjoint de son corps, à ce que son ame, qui brusloit du desir de voir son Seigneur, ne fust pas davantage retenue par sa chair.

  A010000787 

 De là vient que d'autres disent qu'il ne se soucieroyent pas de mourir pourveu qu'ils fussent asseurés d'aller en Paradis; et ils ont bien rayson, car avec telle asseurance la mort ne seroit pas à craindre.

  A010000787 

 Mais quand vous seriez asseurés d'aller en Paradis il ne la faudroit pas desirer ni demander pour estre delivrés des miseres de ce monde, ni sans cette condition de la volonté de Dieu.

  A010000788 

 Hé, qu'est-ce que l'excessive douleur où il se trouvoit abismé ne luy fit pas dire? Certes, si les plaintes de Job ne fussent sorties d'un cœur extremement pressé d'angoisse elles eussent esté sujettes à de grandes censures.

  A010000789 

 Ces paroles, qui paroissent extravagantes, sont des paroles amoureuses lesquelles ne sont pas entendues de imis; car ceux qui ne sçavent que c'est de l'amour n'ont point compris ce que ce saint homme vouloit dire.

  A010000791 

 Lors que la Sainte Vierge, aux noces de Cana en Galilée, dit à Nostre Seigneur avec [321] tant d'humilité et charité que le vin estoit failli, il la rejetta, luy respondant: Femme, qu'y a-t-il entre vous et moy? Pourquoy vous meslez-vous de cela, qu'en ay-je à faire? et telles autres choses que pouvoit signifier la responce qu'il fit à sa Mere, responce qui semble bien rude et rigoureuse à ceux qui n'entendent pas le langage de l'amour.

  A010000792 

 Comme si elle eust voulu signifier: Si vous avez prins garde à la responce de mon Fils, vous penserez peut estre qu'elle est bien severe et qu'il veut m'esconduire; mais il n'en est pas ainsy, ains j'ay conneu par icelle qu'il veut faire tout ce que je voudray; pour ce, faites tout ce qu'il vous dira et ne craignez rien, car je suis asseurée qu'il m'exaucera.

  A010000794 

 Et que l'on ne me vienne pas alleguer ce que disent plusieurs, qu'il faut en chasser le souvenir pour vivre joyeusement, d'autant que ce souvenir là est plein de frayeur; car puisque une telle crainte n'est point mauvaise, ains bonne et utile, nous en devons quelquefois espouvanter nos ames et les y porter à cause de nos pechés, pourveu que cela se fasse de guet à pens..

  A010000795 

 Mais nos anciens Peres enseignent que nous devons craindre la mort sans la craindre: que veut dire cecy? C'est que, quoy qu'il faille la redouter ce ne doit pas estre d'une crainte excessive qui ne soit pas accompagnée de tranquillité; car les Chrestiens doivent marcher sous l'estendart de la providence de Dieu et estre prests à embrasser tous les effects et evenemens de cette douce providence qui sçaura bien prendre soin de nous.

  A010000796 

 Ce n'est pas en cette façon qu'il faut y penser, ni moins avoir tant de soucy pour sçavoir quand nous mourrons et en quel lieu: si ce sera aux champs ou à la ville, sur mon cheval ou au pied d'une montagne, ou par quelque pierre qui m'assommera; si je mourray dans mon lit, assisté de quelqu'un ou sans avoir personne.

  A010000800 

 A ce propos je vous raconteray deux petites histoires que je ne dirois pas si j'estois en une autre chaire; mais en ce lieu il n'y a point de danger.

  A010000800 

 En somme, ils n'en rencontrerent pas un auquel il n'y eust quelque chose à redire, sinon un bon viellard lequel ils ne trouverent reprehensible en rien.

  A010000812 

 ne les escoutez pas, parce que vous.

  A010000813 

 n'estes pas de Dieu..

  A010000817 

 C'est ce que Nostre Seigneur nous apprend en l'Evangile que la sainte Eglise nous propose aujourd'huy, où il est fait mention d'un reproche qu'il addressoit aux scribes et pharisiens dequoy ils ne recevoyent pas ses paroles, reproche par lequel il jette toute la faute sur eux, disant: Pourquoy ne croyez-vous pas à la verité que je vous enseigne? Il s'estonne grandement de cela, comme s'il eust voulu dire: Vous n'avez nulle excuse, [328] car qui d'entre vous m'arguera de peché? Pourquoy donques ne me croyez-vous pas, puisque ce que je vous dis est la verité mesme? Moy ne pouvant errer, il faut indubitablement que vostre meschanceté en soit la cause, car le defaut n'est point en moy ni en la parole que je vous enseigne..

  A010000818 

 Quant au premier point, il est donques requis que la personne qui parle et qui annonce la parole de Dieu soit irreprochable et que sa vie soit conforme à son enseignement; autrement il ne sera pas receu ni approuvé.

  A010000819 

 Mais l'on ne doit pas l'entendre des pecheurs tels quels, ains des grans et signalés pecheurs; car autrement, qui l'annonceroit, veu que tous les hommes sont pecheurs et que quiconque dira le contraire mentira meschamment? Les Apostres mesmes n'ont pas esté sans peché; celuy qui pretendroit n'estre point pecheur commettroit une tres grande imposture, et feroit bien voir le contraire de son dire en mesme temps qu'il prononceroit ce mensonge.

  A010000819 

 Saint Augustin nous l'apprend tout clairement lors qu'il escrit que cette demande du Pater noster que nous recitons tous les jours: Pardonnez-nous nos offenses, n'est pas seulement une parole d'humilité, ains de verité, car nous en commettons à tout propos à cause de la fragilité de nostre nature!.

  A010000820 

 Or, bien que tous les hommes soyent pecheurs, tous ne doivent pourtant pas se taire et ne point enseigner la parole de Dieu, ains seulement ceux qui menent une vie du tout contraire à cette divine parole.

  A010000820 

 Que si neanmoins il arrive qu'elle nous soit presentée par les meschans, [329] nous ne la devons pas rejetter, ains la recueillir, et faire comme les abeilles, lesquelles cueillent le miel sur toutes les fleurs des prairies, excepté sur une ou deux; et bien que quelques unes de ces fleurs soyent veneneuses et ayent du poison en leur propre substance, elles en tirent dextrement le miel qui, estant une liqueur toute celeste, n'est point meslé avec le venin..

  A010000822 

 Il s'achemina donc promptement du costé de la ville, laquelle voyant il luy vint en pensée que Dieu ne vouloit pas sans quelque bonne rayson qu'il y allast et quittast son hermitage.

  A010000822 

 Ne sçais-tu pas que la femme fut tirée de la coste de l'homme? partant je regarde le lieu d'où je suis sortie comme celuy de mon origine.

  A010000823 

 Nous sommes donques enseignés par cette histoire comme nous ne devons pas mesestimer la parole de Dieu ni les bons enseignemens, quoy qu'ils nous soyent presentés par des personnes de mauvaise vie.

  A010000824 

 Par ainsy nous voyons que combien qu'il ne faille pas estimer ni approuver la mauvaise vie des hommes meschans et pecheurs, neanmoins nous ne devons pas mespriser la parole de Dieu qu'ils nous proposent, ains en faire nostre profit comme saint Ephrem.

  A010000825 

 Et Nostre Seigneur mesme ne nous dit-il pas d'imiter la prudence et la finesse du serpent et la simplicité de la colombe? Il en est ainsy en cent autres endroits de l'Escriture..

  A010000826 

 C'est pourquoy Nostre Seigneur en l'Evangile d'aujourd'huy, demande aux scribes et aux pharisiens: Qui d'entre vous m'arguera de peché? Vous dites que je suis un samaritain, que je bois et mange avec les publicains, [332] que je suis un buveur de vin, que je defends de payer le tribut à Cesar, que je n'observe pas le sabbat; vous me mettez ainsy à sus plusieurs calomnies et impostures, mais respondez-moy, qui est celuy d'entre vous autres qui me reprendra de pechè? Pourquoy donques ne me croyez-vous pas? Il faut sans doute que le mal soit tout en vous, car il n'y en peut avoir en moy..

  A010000826 

 Nous devons tirer du fruit de la parole de Dieu n'importe par qui elle nous soit presentée; mais pourtant les pecheurs qui ne veulent pas s'amender, ains qui perseverent en leur meschanceté, offencent grandement en l'exposant et en proferant les louanges de la souveraine Majesté, puisqu'ils mettent cette divine parole en danger d'estre mesprisée à cause de leur mauvaise conduite.

  A010000828 

 Apres il adjouste: Si je vous presche la verité, pourquoy ne l'embrassez-vous pas? Comme s'il eust dit: Puisque je suis sans peché vous devez croire que je vous enseigne la verité et que je ne me puis tromper.

  A010000828 

 Cela estant donques ainsy, Nostre Seigneur disoit tres justement aux Juifs: Qui d'entre vous me peut accuser de peché? et sur ce il entroit en un grand estonnement de quoy ils ne croyoyent pas à ses paroles et ne suivoyent pas sa doctrine, veu que sa vie estoit irreprochable.

  A010000829 

 Quand il est escrit que Nostre Seigneur estoit plein de grace et de verité, cela se doit entendre qu'il estoit plein de foy et de charité; non pas qu'il eust la foy pour luy mesme, car il n'en avoit pas besoin, ayant la claire vision des choses que cette foy nous apprend, mais il estoit plein de foy pour la distribuer à ses enfans qui sont les Chrestiens.

  A010000830 

 Ainsy la grâce, ni moins la foy ne fut pas donnée à Nostre Seigneur pour luy, car il n'en avoit pas besoin, il estoit la grace mesme et c'est à luy de la distribuer; la foy, il ne la pouvoit avoir non plus.

  A010000830 

 C'est donques pour nous autres qu'il a esté rempli de ces dons; c'est pourquoy il se peinoit tant pour les faire recevoir aux scribes et aux pharisiens, et se courrouçant, Pourquoy, disoit-il, ne voulez-vous pas croire en mes paroles? elles ne sont point vaines, ains tres veritables..

  A010000830 

 Certes, il n'avoit pas besoin de ce lait tres delicieux pour soy mesme, non plus que les femmes du lait qu'elles ont dans leur poitrine, lequel ne leur est donné de Dieu et de la nature que pour la nourriture de leurs enfans.

  A010000832 

 Non, ne pensez pas tant à la mort, car cela vous rendra melancholiques, c'est un sujet ennuyeux.

  A010000832 

 O qu'elle eust bien mieux fait de perseverer en la meditation, car elle ne seroit pas tombée de la verité en la vanité, puisque ce fut la vanité qui la fit prevariquer, comme chacun sçait..

  A010000832 

 Quelle plus grande verité que celle-cy, puisque Dieu mesme avoit proferé cette sentence? Mais cet ancien serpent commençant à arraisonner la femme: Hé, dit-il, ou vouloit-il dire, ne soyez pas si exacts à prendre les paroles du Seigneur à la rigueur, vous ne mourrez point.

  A010000833 

 Despuis, tous ses enfans ont esté entachés de cet esprit d'orgueil qui les rend habiles à pourchasser les honneurs, [335] les richesses, les playsirs, et que sçay-je moy, telles choses qui ne sont que folie, puisqu'elles sont plus propres à les destourner de la verité que non pas à les rendre capables de se tenir attentifs à icelle.

  A010000833 

 Helas! ne voyons-nous pas que ceux qui sont fort affectionnés à ces choses si vaines et frivoles ne pensent point, ou du moins il le semble par leur mauvaise conduite, à cette verité qu'il y a un Paradis rempli de toutes sortes de consolations et de bonheur pour ceux qui vivront selon les commandemens de Dieu et qui marcheront apres luy à la suite de ses volontés? Or, ces commandemens et volontés sont tout à fait contraires à la vie qu'ils menent, car ils ne laissent point pour cela de s'adonner aux playsirs bas et caducs, quoy qu'ils voyent bien qu'ils les priveront eternellement, s'ils ne s'amendent, de la jouissance de cette felicité sans fin.

  A010000833 

 Hé, ne voit-on pas aussi combien la vanité les possede, puisqu'ils ne se tiennent point attentifs à cette verité, qu'il y a un enfer où tous les tourmens et malheurs qui se peuvent imaginer, voire qui ne se peuvent imaginer, sont assemblés pour punir ceux qui ne craindront pas Dieu en cette vie et qui ne vivront pas en l'observance de ses commandemens? Neanmoins cette consideration est grandement necessaire pour nous maintenir en nostre devoir..

  A010000834 

 Dites-moy, si nous demeurions attentifs à la verité des mysteres que Nostre Seigneur nous apprend en l'oraison, que nous serions heureux! Quand nous le voyons mourant sur la croix pour nous, que ne nous enseigne-t-il pas? Je suis mort pour toy, dit-il, ce souverain Amant; qu'est-ce que requiert ma mort sinon que, comme je suis mort pour toy, tu meures aussi pour moy, ou que du moins tu ne vives que pour moy? O combien cette verité apporte d'ardeur en nostre volonté pour luy faire aymer cherement Celuy qui est tant aymable et si digne d'estre aymé! La verité est l'objet de l'entendement comme Famour est celuy de la volonté: soudain donques que nostre entendement apprehende cette verité que Nostre Seigneur est mort d'amour pour nous, ha, nostre volonté [336] s'enflamme tout incontinent et conçoit de grandes affections de contreschanger autant qu'elle pourra cet amour.

  A010000834 

 Mais nous ne le faisons pas, car de cette verité que nous avons apprise en l'oraison nous passons à la vanité en l'action; de là vient que nous sommes anges en l'oraison et bien souvent diables en la conversation et en l'action, offençant ce mesme Dieu que nous avons reconneu estre si aymable et si digne d'estre obei..

  A010000836 

 Pourquoy donc, nous pourroit-il demander [337] comme il faisoit aux Juifs, pourquoy ne me croyez-vous pas, puisque je vous enseigne la verité?.

  A010000837 

 Nous la croyons bien, pourrions-nous respondre, mais nous ne l'ensuivons pas; en quoy nous ne serons nullement excusables, non plus que les payens, lesquels ayans reconneu qu'il y avoit un Dieu ne l'ont pourtant pas honnoré comme tel.

  A010000837 

 Nous serons dignes d'une tres grande punition, si ayant sceu que nous avons esté si cherement aymés de nostre doux Sauveur, nous sommes si miserables que de ne pas l'aymer de tout nostre cœur et pouvoir, et de ne pas suivre de toutes nos forces et avec tout nostre soin les exemples qu'il nous a donnés en sa vie, en sa passion et en sa mort, car il nous addressera le mesme reproche qu'il fait en l'Evangile d'aujourd'huy: Si je vous ay enseignés, moy qui ne puis estre accusé de peché, moy dont la vie est irreprochable, moy qui vous ay presché la verité que j'ay apprise de mon Pere celeste, pourquoy donques ne me croyez-vous pas? Ou si vous croyez que je dis la verité, pourquoy ne la recevez-vous pas et ne demeurez-vous pas en icelle, ains vivez tout au contraire de ce qu'elle requiert de vous? Nous serons alors convaincus par sa divine Majesté, et il faudra qu'à nostre confusion nous confessions que le defaut vient de nostre costé et que c'est nostre malice qui en est la cause.

  A010000838 

 Car tout ainsy que la femme qui n'aymeroit pas davantage son mary que son laquais ne l'aymeroit pas assez ni comme elle doit, non plus que l'enfant qui aymeroit son pere d'un amour esgal à celuy qu'il porteroit à son valet, de mesme celuy qui ouyroit la predication avec le mesme esprit et la mesme attention qu'il feroit un conte de recreation ou tel autre propos, ne l'entendroit pas comme il faut; et s'il prenoit un playsir esgal en l'un comme en l'autre l'on pourroit [338] dire asseurement qu'il n'aymeroit pas assez la parole de Dieu.

  A010000838 

 Premierement, nous devons nous y preparer, et non pas l'entendre avec un esprit de negligence, comme nous ferions quelque vain discours.

  A010000839 

 Faisons-en de mesme, mes cheres ames; quand nous entendons la parole de Dieu en la predication, ou que nous la lisons dans quelque livre, mettons-la sur nos testes; je ne veux pas dire visiblement et reellement, ains spirituellement.

  A010000839 

 Ne regardons jamais à la qualité de celuy qui nous annonce la sacrée parole; peu importe qu'il soit bon ou mauvais, pourveu que ce qu'il dit soit utile et conforme à nostre foy; car Dieu ne nous demandera pas si ceux qui nous ont enseignés ont esté saints ou pecheurs, ains si nous avons profité de ce qu'ils nous ont dit de sa part et si nous l'avons receu avec esprit d'humilité et de reverence..

  A010000841 

 Vous me pourriez objecter: Mon Dieu, vous avez dit que pour bien recevoir la sainte parole et faire qu'elle ne retourne pas à nostre condamnation ains en tirer de l'utilité, il faut l'entendre avec attention, en esprit de devotion et reverence.

  A010000842 

 Il suffit qu'en la partie superieure nous nous tenions en reverence et que nous ayons l'intention de profiter; cela estant, nous ne devons pas nous troubler comme si nous n'estions pas bien disposés pour recevoir cette sainte parole, car la preparation estant faite en la volonté et en la partie supreme de nostre esprit, nous aurons assez satisfait la divine Bonté [340] qui se contente de peu, et qui n'a point d'esgard à tout ce qui se passe à la partie inferieure..

  A010000842 

 Nous ne voulons pas dire qu'il faille avoir ces sentimens de devotion ou de reverence en la partie inferieure de nostre ame, qui est celle là pour l'ordinaire en laquelle resident ces degousts et ces difficultés.

  A010000843 

 En fin il faut conclure en disant que nous ne devons point rejet ter la parole de Dieu ni les documens que Nostre Seigneur nous a laissés, à cause des defauts des predicateurs qui nous les proposent, d'autant que nostre divin Maistre les ayant proferés le premier par sa divine bouche, nous sommes inexcusables de ne les pas recevoir, parce que si bien ce baume pretieux nous est presenté dans des vases de terre, tels que sont les predicateurs, il ne laisse pas pourtant d'estre infiniment propre à guerir nos playes, et ne perd point ses proprietés et sa force.

  A010000843 

 Il ne faut pas non plus nous mettre en danger de nous perdre en ne demeurant pas en la verité, c'est à dire en ne vivant pas selon icelle, ou en ne nous rendant pas capables de bien l'entendre quand elle nous est proposée ou expliquée de la part de Dieu.

  A010000843 

 Nous ne serons pas non plus excusables si nous doutons que ce qui nous est enseigné soit la verité, d'autant que Jesus Christ, qui est la verité par essence, nous a enseignés luy mesme et s'est rendu nostre tres cher Maistre.

  A010000849 

 Ces deux visages ne se trouvent pas seulement ès creatures raysonnables, mais en toutes les autres qui sont creées de Dieu..

  A010000854 

 Je dis seule entre toutes les pures creatures, car quant à son Fils Nostre Seigneur il n'estoit pas simple creature, estant Dieu et homme tout ensemble; je n'entens donques pas parler de luy, d'autant qu'estant la source de toutes les perfections il ne pouvoit y avoir en luy rien d'imparfait.

  A010000855 

 Cecy est tellement general qu'il ne se trouve pas seulement aux creatures humaines ains encores ès Anges, car leur perfection n'a pas esté exempte d'imperfection; l'iniquité s'est trouvée parmi eux, et Dieu les a precipités parce qu'ils s'estoyent rebellés contre luy.

  A010000855 

 Cette imperfection est que, quoy qu'ils soyent jouissans de la claire vision de Dieu, ils ne reconnoissent pas tousjours tres clairement ce qui est de sa volonté, de sorte qu'en attendant d'en avoir une plus claire connoissance ils font au plus pres qu'ils peuvent ce qu'ils jugent estre le plus conforme au divin bon playsir, combien qu'ils soyent quelquefois d'advis differens l'un de l'autre.

  A010000855 

 Il advint ainsy aux Anges gardiens des Persans et des Juifs qui desbattoyent ensemble pour ce qui estoit de l'execution de la volonté de Dieu; en quoy ils commirent une imperfection, sans toutefois pecher car ils ne le pouvoyent pas faire.

  A010000855 

 Ils ressembloyent à ceux qui contreviennent à cette sainte volonté sans le sçavoir ou connoistre; car s'ils sçavoyent que ce qu'ils font n'est pas du bon playsir de Dieu ils mourroyent plustost mille fois que de le faire.

  A010000856 

 L'on ne fait donques point de tort aux Saints quand on [345] raconte leurs defauts et pechés en parlant de leurs vertus; ains au contraire, ceux qui escrivent leur histoire font un grand tort à tous les hommes en les celant, sous pretexte de les honnorer, ou en ne racontant pas le commencement de leur vie, crainte que cela diminue ou amoindrisse l'estime que l'on a de leur sainteté.

  A010000856 

 O non, cela n'est pas, ains ils font injustice à ces Bienheureux et à toute la posterité.

  A010000859 

 Par exemple, entendant comme saint Hierosme rapporte que sainte Paule avoit cette imperfection de pleurer et ressentir si vivement la mort de ses enfans et de son mary qu'elle en tomboit malade et failloit presque en mourir: Hé, disent-ils, si sainte Paule, qui estoit une si grande Sainte, avoit tant et de si vifs ressentimens à se separer de ceux qu'elle aymoit, se faut-il estonner si j'en ay, moy qui ne suis ni saint ni sainte, et si je ne me puis resigner en tous les evenemens, quoy qu'ils soyent ordonnés de la divine Providence pour mon bien? De là vient que quand on nous reprend de quelque manquement ou imperfection, l'on n'a point envie de se corriger; l'on objecte promptement: Un tel Saint faisoit bien cela, je ne suis pas meilleur ni plus parfait que luy; ou: Si une telle fait cela, ne le puis-je pas bien faire? Belle rayson que celle-cy! Pauvres gens que nous sommes, comme si nous n'avions pas assez à travailler chez nous pour nous desfaire et detortiller de nos imperfections et mauvaises habitudes, sans nous aller encor revestir de celles que nous remarquons aux autres..

  A010000860 

 Un saint Pierre a esté brusque et actif, est-ce merveille que je le sois? Cela le portoit à faire souvent des fautes; et qu'est-ce si j'en fais de mesme? Hé Dieu, voyla pas de belles raysons? Mais quelle folie est celle cy! Ne voyez-vous pas que telle sorte de gens prennent de là occasion de nourrir leurs imperfections et croupir dans leurs mauvaises habitudes?.

  A010000862 

 Que le monde crie tant qu'il voudra, que la prudence humaine censure et condamne nos actions tant qu'elle pourra, il faut tout escouter et souffrir et ne pas s'effrayer ni desister de son entreprise, ains poursuivre sa route fermement et fidellement.

  A010000865 

 (De cartes ou de dés il n'y failloit pas seulement penser, car ce grand Preat estoit trop pieux.) Quel jeu donques? Oh, dit-il, il nous faut jouer à ce jeu icy de nous dire clairement et nettement nos veités les uns aux autres, mais sans nous flatter ni espargner en rien.

  A010000865 

 (Ç'a tous-jours esté chose louable et recommandable parmi les Saints de bien la faire; aussi est-elle ordonnée dans toutes les familles religieuses pour un peu relascher [350] l'esprit, car quand il est tousjours bandé il ne va pas si bien.) Or, demanderent-ils, que ferons-nous pour bien nous recreer? car ils ne vouloyent pas le faire en sorte que cette recreation fust demesurée.

  A010000866 

 L'on dit aux uns: Nous avons remarqué en vous que vous usez souvent de duplicité, vos paroles ne sont pas simples, vous ne faites pas vos actions avec sincerité.

  A010000866 

 O Dieu, le beau jeu que celuy cy! Mais chacun ne le sçait ni ne l'ayme pas jouer.

  A010000867 

 Le voicy donques qui, tenant le bonnet à la main, est prié en cette sorte par le Saint de luy declarer bien simplement ce qu'il sçavoit: O non, ne m'espargnez pas, je vous supplie, dites-moy bien mes verités, car je suis du tout disposé à vous entendre.

  A010000867 

 Monseigneur, dit-il, il y a fort long temps que l'on a observé qu'il y a en vous une grande indiscretion; et cecy n'a pas esté remarqué seulement par moy, mais par plusieurs autres qui vous ont estimé et tenu pour grandement inconsideré.

  A010000868 

 Ceux qui vous voyent s'en estonnent et disent: Voyez-vous nostre Archevesque qui dort? ne vaudroit-il pas mieux qu'il dormist la nuit sans venir le faire icy? Cela peut mesme fournir quelque desplaysir au predicateur et luy causer quelque distraction; c'est pourquoy il me semble que vous auriez besoin de vous amender de cette indiscretion et prendre la nuit pour dormir à fin de pouvoir veiller le jour.

  A010000868 

 Mais à quoy bon tout cecy? Je ne sçay, cependant quand les choses sont utiles je ne regarde pas à quel propos je les dis..

  A010000868 

 Monseigneur, respondit l'autre, l'on tient que c'est en vous une grande indiscretion de ne pas dormir la nuit et de le faire le jour; car si vous estes à l'eglise pour ouyr la Messe ou les predications vous vous endormez.

  A010000869 

 J'en trouve plusieurs, et j'en remarque six principales; mais je n'en diray que trois, car il ne faut pas passer l'heure.

  A010000869 

 Or, comme je ne me souviens pas bien de ce que je vous ay autrefois entretenues sur le sujet de cette feste en laquelle Nostre Seigneur fait son entrée en Hierusalem, j'ay pensé de vous declarer les raysons qui l'esmeurent à choisir une asnesse et un asnon pour cette entrée royale.

  A010000870 

 Ce n'est certes pas sans cause qu'ils remarquent que l'asnesse avoit desja porté le faix et que l'asnon n'avoit jamais rien porté, car Dieu avoit ja chargé le peuple Juif de sa loy, tandis que [353] les Gentils ne l'avoyent pas encores receuë: Nostre Seigneur venoit donques pour leur imposer son joug, voyla pourquoy il monta l'asnon.

  A010000871 

 Ils levent la teste, dressent le crin, marchent à courbelles, en somme ils donnent de la vanité à celuy qui les monte; celuy-cy n'entend pas plus tost son cheval jetter les pieds sur le pavé qu'il se brave avec luy, et leve la teste pour regarder s'il verra point aux fenestres quelques dames ou damoyselles qui l'admirent; en fin l'on ne sçait lequel est le plus vain, ou le cheval ou son chevalier.

  A010000876 

 Ce qu'entendant, ils sortirent tout de ce pas et allèrent où leur bon Maistre les envoyoit; ils mirent la main sur l'asnon et l'asnesse et les luy amenerent.

  A010000876 

 Si vous me demandiez qui estoyent ces deux disciples je ne sçaurois que vous respondre, car les Evangelistes n'en disent rien; aussi, puisqu'ils ne les nomment pas je ne pourrais non plus les nommer.

  A010000877 

 Ces Apostres au contraire s'en allerent sans faire aucune reflexion parce qu'ils estoyent obeissans et qu'ils aymoyent l'obeissance; car c'est une marque que l'on n'ayme pas le commandement quand on trouve tant de raysonnemens à faire sur iceluy..

  A010000877 

 Hé, ne pouvoyent-ils pas dire: Vous nous ordonnez de vous amener ces deux bestes; mais comment connoistrons-nous que ce sont celles que vous voulez? N'y a-t-il que celles-là? Nous les laissera-t-on bien prendre? et plusieurs autres semblables raysons que la prudence humaine leur pouvoit fournir.

  A010000878 

 Certes, une ame qui n'a point d'amour à l'obeissance ne manque jamais de repliques pour ne pas accomplir la chose commandée, ou bien pour y faire voir de grandes difficultés.

  A010000891 

 En ce tiltre sont comprises les causes de cette divine Passion qui sont toutes reduites à deux, signifiées par ces mots: Jesus de Nazareth, Roy des Juifs; car bien qu'il y ayt quatre paroles, elles ne signifient pourtant pas quatre causes de sa mort, ains seulement deux..

  A010000896 

 Ce que faisant ils estoyent promptement gueris; mais certes, ceux qui ne le vouloyent pas regarder mouroyent, car il n'y avoit point d'autre moyen d'eschapper à la mort que celuy là, qui estoit ordonné de Dieu mesme.

  A010000897 

 Que s'il y a quelqu'un qui dise en estre preservé il est menteur; voire, comme l'escrit le grand Apostre, si aucun s'estime estre sans peché ne le croyez pas, car l'iniquité regne en luy..

  A010000899 

 Mais cette exception ne nous empesche pas d'asseurer que tous generalement ont esté mordus du serpent.

  A010000900 

 Quoy qu'il soit tout puissant, et que par consequent il puisse tout ce qu'il luy plaist, si est-ce pourtant qu'il ne pouvoit pas pecher: et pour cela il ne laisse d'estre tout puissant, car pouvoir pecher n'est pas une puissance ains une impuissance.

  A010000901 

 Mais Dieu ne pouvoit-il point fournir au monde un autre remede que celuy de la mort de son Fils? O certes, il le pouvoit bien faire, et par mille autres moyens que celuy là; car n'estoit-il pas en sa puissance de pardonner à la nature humaine d'un pouvoir absolu et par pure misericorde, sans y faire entrevenir la justice et sans l'intermission d'aucune creature? Il le pouvoit sans doute; et qui en eust osé parler ou y trouver à redire? Personne, car il est Maistre souverain et peut tout ce qu'il luy plaist.

  A010000901 

 Ou encores, s'il se vouloit servir pour [363] cette redemption de l'entremise de quelque creature, n'en pouvoit-il pas creer une d'une telle excellence et dignité que, par ce qu'elle eust fait ou souffert, elle eust suffisamment satisfait pour les pechés de tous les hommes? Asseurement, et il pouvoit nous racheter par mille autres moyens que celuy de la mort de son Fils; mais il ne l'a pas voulu, car ce qui estoit suffisant à nostre salut ne l'estoit pas à assouvir son amour; et pour nous monstrer combien il nous aymoit, ce divin Fils est mort de la mort la plus rude et ignominieuse qui est celle de la croix..

  A010000902 

 C'est dequoy se plaignoit le grand saint Augustin: O Seigneur, disoit-il, est-il possible que l'homme sçache que vous estes mort pour luy et qu'il ne vive pas pour vous? Et ce grand amoureux saint François: Ha! disoit-il en sanglotant, vous estes mort d'amour et personne ne vous ayme!.

  A010000903 

 Il est donques mort; mais bien qu'il soit mort et eslevé sur la croix, ceux qui ne le regarderont pas mourront, car il n'y a point d'autre redemption qu'en cette Croix.

  A010000903 

 O Dieu, que c'est une consideration de grande utilité et proffit que celle de la Croix et de la Passion! Est-il moyen, je vous prie, de contempler en icelle l'humilité de nostre Sauveur sans devenir humble et sans avoir de l'affection aux humiliations? Peut-on voir son obeissance sans estre obeissant? O non certes, nul n'a jamais regardé Nostre Seigneur crucifié, qui soit mort ou resté malade; comme au contraire, tous ceux qui sont morts, ç'a esté pour ne l'avoir pas voulu regarder, de mesine qu'entre les enfans d'Israël ceux là moururent qui n'avoyent pas voulu considerer le serpent que Moyse avoit fait dresser sur la colonne..

  A010000904 

 Certes, encor que son cœur eust esté chatouillé par les discours et raysons de cet esprit infernal et qu'en suite de cela elle n'eust fait que regarder ou toucher le fruit de l'arbre de science, voire qu'elle en eust cueilli et mesme presenté à Adam son mary, ils ne seroyent pas morts pour cela, car Dieu avoit seulement dit: Si vous en mangez vous mourrez.

  A010000904 

 Ils pouvoyent donques mourir ou ne mourir pas: ils pouvoyent mourir en contrevenant au commandement de Dieu, et ne mourir pas en le gardant.

  A010000904 

 Mais voicy un grand accident qui survint; car le serpent infernal, sçachant qu'ils avoyent ce pouvoir, de mourir ou ne mourir pas, se resolut de les tenter et de leur faire perdre la justice originelle dont Dieu les avoit doués et enrichis, les sollicitant de manger du fruit defendu; et pour ce faire plus commodement, il print les escailles et la forme d'un serpent, et en cette sorte il tenta Eve.

  A010000905 

 Entant qu'homme il pouvoit mourir et aussi ne mourir pas, car quoy que ce soit une loy generale qu'il faut que tout homme meure, il pouvoit neanmoins estre exempt de cette loy parce qu'il n'avoit point de peché en luy; or, c'est le peché qui a donné l'entrée à la mort.

  A010000905 

 Entant que Dieu il pouvoit ne pas mourir; mais ce qui est davantage, il ne pouvoit ni souffrir ni mourir, car Dieu est impassible et immortel; et tout ainsy qu'il ne pouvoit point pecher, aussi ne pouvoit-il point mourir, d'autant que mourir est une impuissance aussi bien que pecher.

  A010000907 

 C'est celle que nous avons receuë en la personne de nostre premier pere Adam, en laquelle nous pouvions mourir ou ne mourir pas; car estant au paradis terrestre où se trouvoit l'arbre de vie, nous pouvions, en mangeant de son fruit, nous empescher de mourir, sous la condition neanmoins de nous abstenir du fruit [366] defendu, comme Dieu l'avoit ordonné.

  A010000907 

 En gardant ce commandement nous ne serions point morts, quoy que nous n'eussions pas tousjours demeuré en cette vie, mais nous aurions passé d'icelle à une autre meilleure.

  A010000908 

 Despuis que Dieu prononça la sentence de mort contre l'homme, il n'y en a eu et n'y en aura pas un qui ne meure; aucune creature humaine, quelle qu'elle soit, ne peut s'en exempter.

  A010000908 

 En la seconde nature, qui est celle que nous avons despuis la faute d'Adam et en laquelle nous vivons à present, nous pouvons mourir, mais nous ne pouvons pas ne point mourir, car c'est une loy generale que nous mourrons tous.

  A010000909 

 Là nous vivrons et ne pourrons pas mourir, car nous jouirons de la gloire de l'eternité, de la vie qui nous a esté achetée par la mort de nostre Sauveur, et la possederons avec tant d'asseurance que nous n'aurons nulle crainte de la perdre.

  A010000913 

 De plus Dieu, par le plus miserable, infidelle, traistre et desloyal homme qui fut jamais au monde, à sçavoir par la bouche de Caïphe, pour lors souverain Prestre, ne prononça-t-il pas cette parole de verité si grande qu'il estoit expedient qu'un seul homme mourust pour sauver tout le peuple? Admirable conteste que celuy de Dieu pour monstrer que veritablement son Fils estoit Sauveur et qu'il failloit qu'il mourust pour nous sauver, puisque mesme il tira cette sentence du plus detestable grand Prestre qui ayt onques esté sur terre.

  A010000913 

 Il le disoit bien, mais il ne l'entendoit pas ainsy qu'il le prophetisoit; cependant le Seigneur le voulut faire prophete en cela, d'autant qu'il tenoit pour lors le siege du souverain pontificat.

  A010000913 

 Voyez encores combien nostre Dieu conteste pour monstrer la verité de la vocation de son Fils: Pilate declara tant et tant de fois que Nostre Seigneur estoit innocent, qu'il ne trouvoit en luy aucune chose digne de mort, il protesta que, quoy qu'il le condamnast, il connoissoit neanmoins qu'il n'estoit pas coulpable et qu'il failloit bien qu'il y eust quelque cause qui luy estoit inconneuë.

  A010000919 

 Certes, ceux [371] qui crucifioyent nostre divin Sauveur ne le connoissoyent pas; et comment l'eussent-ils conneu, puisque mesme la pluspart de ceux qui estoyent presens n'entendoyent pas son langage, d'autant qu'il y avoit en ce temps là toutes sortes de gens et de nations en Hierusalem, et tous estoyent congregés, ce semble, pour le tourmenter; mais pas un ne le connoissoit, car s'ils l'eussent conneu ils ne l'eussent pas crucifié.

  A010000919 

 Pour vous dire un mot sur ces paroles, je prendray volontiers encores une demi heure, car aussi l'Office n'est pas achevé aux autres eglises.

  A010000922 

 Que si tous ceux qui le crucifierent ne receurent pas le pardon que le Sauveur avoit demandé pour eux ce ne fut pas sa faute, comme nous le monstrerons..

  A010000924 

 Grand accident que celuy cy, lequel perça le cœur de Nostre Seigneur! Hé, pauvre saint Pierre, que faites-vous et que dites-vous? Vous ne sçavez quel il est, vous ne le connoissez pas, vous qui avez esté appellé de sa propre bouche à l'apostolat, vous qui avez confessé qu'il estoit le Fils du Dieu vivant! Ah! miserable homme que vous estes, comment osez-vous dire que vous ne le connoissez pas? N'est-ce pas Celuy qui nagueres estoit à vos pieds pour les laver, qui vous a repeu de son corps et de son sang? Et vous asseurez que vous ne le connoissez pas! Oh, comme est-ce que la terre vous peut supporter? comment ne s'ouvre-t-elle pas pour vous engloutir dans le plus profond des enfers?.

  A010000924 

 Saint Pierre, l'un des Apostres, fit un grand tort à son Maistre, car il le renia et jura qu'il ne le connoissoit pas, et, non content de cela, il le maudit et blasphema, protestant ne pas sçavoir qui il estoit.

  A010000930 

 Hé, le malheureux, ne sçavoit-il pas bien que Nostre Seigneur estoit celuy qui seul la luy pouvoit donner, qu'il estoit le Sauveur et tenoit la redemption entre ses mains? L'avoit-il pas bien veu en ceux auxquels il avoit remis les pechés? Certes, il le sçavoit, mais il ne voulut ni n'osa demander pardon, car le diable, pour le tirer au desespoir, luy monstra l'enormité et laideur de son crime, et luy fit peut estre craindre qu'en demandant pardon à son Maistre il ne luy donnast pour iceluy une penitence trop grande.

  A010000930 

 Il est vray aussi que ce peccavi que Dieu envoya au cœur de Judas fut comme celuy qu'il envoya jadis au cœur de David: pourquoy donques ne se convertit-il pas? O miserable! il vit la grandeur de sa faute et se desespera.

  A010000930 

 Je sçay bien qu'il y a de la difference entre la grace efficace et la grace suffisante, comme disent les theologiens; mais je ne suis pas en ce lieu pour prouver et disputer si cette inspiration du peccavi de Judas fut efficace aussi bien que celle de David, ou seulement suffisante; elle fut certainement suffisante.

  A010000935 

 O Dieu, combien de fois nostre divin Sauveur l'offrit-il à Judas et au mauvais larron! Avec quelle patience attendit-il l'un et l'autre! Que ne fit pas le cœur sacré de ce cher Sauveur à l'endroit de celuy de Judas? combien de mouvemens, d'inspirations secrettes ne luy donna-t-il pas, tant en la cene, quand il estoit à genoux devant luy, luy lavant les pieds, qu'au jardin des Olives, lors qu'il l'embrassa et le baysa, comme aussi durant le chemin et en la mayson de Caïphe lors que ce malheureux confessa sa faute.

  A010000936 

 Donques si Nostre Seigneur remet si librement de si grans et enormes pechés, voire s'il offre mesme le pardon aux obstinés et les attend à penitence avec tant de patience, o Dieu que ne fera-t-il à celuy qui le luy demande, et avec quel cœur ne recevra-t-il pas le penitent contrit?.

  A010000936 

 Helas! ce miserable, en refusant ainsy le salut, [379] ne meritoit-il pas que Dieu le precipitast à l'instant dans les enfers? Mais il ne le fit point, ains l'attendit à penitence jusques à ce qu'il expirast.

  A010000936 

 Que ne fit pas aussi ce mesme cœur de nostre Sauveur à l'endroit de celuy du mauvais larron tout le temps qu'il fut sur la croix? Combien de fois le regarda-t-il, le provoquant à le regarder, permettant que son pretieux sang vinst à tomber sur luy à dessein d'amollir et purifier son ame.

  A010000937 

 Cela n'empeschoit pas sa douleur, mais elle la supporta avec un cœur tout genereux et magnanime, qui n'appartenoit qu'à elle.

  A010000940 

 Or, quoy qu'elle aymast ce saint Apostre d'un tel et si grand amour, si ne faut-il pas croire qu'elle l'aymast comme son divin Fils, qu'elle aymoit non seulement entant qu'il estoit son Fils, mais aussi entant qu'il estoit son Dieu.

  A010000941 

 Comme aussi il est question si cette ecclipse fut naturelle ou surnaturelle, et si le soleil agit ou non; mais je ne suis pas en lieu propre pour vuider ce differend..

  A010000942 

 Aussi saint Denis, qui pour lors n'estoit pas Chrestien et qui par apres ayant esté converti par les predications du grand Apostre saint Paul, vint en ces quartiers et fut Apostre de la France, s'escria en voyant ce prodige: Il faut de deux choses l'une, «ou que le Dieu de la nature souffre, ou que la fin du monde approche,» car cette ecclipse est tout à fait surnaturelle, puisqu'elle est en plein midy et au plein de la lune, et que de plus elle surpasse le terme ordinaire des ecclipses (elle dura trois heures entieres).

  A010000944 

 Mais d'autant que ces douleurs n'estoyent conneuës que de luy seul qui les souffroit et de sa sainte Mere à qui il les communiquoit, voulant faire voir à tout le monde qu'il n'estoit pas là sans souffrir, il cria tout haut en se plaignant à son Pere eternel, de sorte qu'il fut entendu de tous: Mon Dieu, mon Dieu, pourquoy m'avez-vous delaissé?.

  A010000944 

 Or, comme je me souviens de vous avoir desja parlé plusieurs fois sur ce sujet, je ne vous en diray rien à cette heure, sinon que je pense que la plus grande douleur qu'enduroit alors le cœur sacré de Nostre Seigneur fut causée par l'ingratitude de ces Chrestiens qui, mesprisans sa Mort et ne se servans pas de cette Passion qui luy estoit si penible et douloureuse, se perdroyent pour ne s'en vouloir prevaloir.

  A010000946 

 Elie estoit mort il y avoit plusieurs années, du moins il n'estoit pas de ce monde, ains avoit esté emporté dans un chariot de feu par les Anges; partant ils penserent que nostre cher Maistre l'appelloit à son secours parmi une si grande affliction.

  A010000946 

 Et ceux cy, meschans qu'ils estoyent, ne croyoient pas que les Saints puissent aucune chose pour ceux qui sont affligés ni pour ceux qui les invoquent.

  A010000946 

 Les autres disoyent: Il invoque Elie, mais que luy peut-il faire? il ne le peut pas delivrer.

  A010000947 

 Gracieuse offre que celle cy au cœur de nostre doux Sauveur qui estoit tant amoureux du salut de nos ames! Plusieurs blasphemoyent contre [384] luy, l'appellant sorcier et enchanteur, reputant ces tenebres à quelque trait de magie; d'autres disoyent que ce n'estoyent pas des tenebres, mais qu'ils avoyent les yeux sillés et esblouis par ses enchantemens; et par tels et semblables discours ce tres sacré cœur de Nostre Seigneur souffroit des douleurs incomparables..

  A010000947 

 Ouy, si de ta propre puissance tu descens de cette croix nous croirons tous en toy; autrement nous te tiendrons pour un meschant homme, nous ne croirons pas en toy ni ne nous convertirons point.

  A010000948 

 Voyant la multitude des ames qui se perdroyent et ne voudroyent pas se servir de la redemption de la Croix, c'est à dire se sauver par le moyen d'icelle, il prononça la cinquiesme parole, parole de plainte et de lamentation: Sitio; Jay soif.

  A010000949 

 Mais quoy que Nostre Seigneur fust si infiniment desireux du salut des ames que pour leur acquerir ce salut il avoit exposé sa vie en mourant pour nous, il ne voulut pas neanmoins descendre de la croix parce que la volonté de son Pere n'estoit pas telle, ains au contraire c'estoit cette volonté qui le tenoit attaché à ce bois..

  A010000950 

 Cela n'est pas raysonnable, et pour ce vous mourrez obstinés en vostre peché et ne trouverez point de pardon, car la piscine vous estant preparée vous refusez de vous y jetter.

  A010000950 

 La redemption est ouverte et si abondamment qu'elle regorge de tous costés, et vous ne vous y voulez pas laver!.

  A010000950 

 O miserable peuple, que dites-vous, que nostre cher Sauveur et Maistre descende de ce gibet? Oh! il ne le [385] fera pas, car, dit saint Paul, il s'est fait obeissant jusques à la mort, et à la mort de la croix; il est monté sur la croix par obeissance et mourra en icelle par obeissance.

  A010000951 

 O miserables gens, qui demandez une autre redemption que celle de la Croix, celle-cy n'est-elle donc pas suffisante? Elle est mesme plus que suffisante, puisqu'il est vray qu'une seule larme, un seul souspir amoureux sortant de ce cœur sacré pouvoit racheter des millions de milliers de natures humaines et angeliques, s'il y en eust eu autant qui eussent peché; et toutefois il ne nous a pas rachetés avec un seul souspir ni une seule larme, ains avec tant et tant de travaux et de peines, ayant espuisé tout le sang de ses veines.

  A010000952 

 D'autres encores veulent bien obeir, pourveu qu'on ne les contrarie point en leurs caprices; celuy cy se sousmettra à l'un, mais non pas esgalement à un autre; et peu de chose esprouve la vertu de telle sorte de gens qui obeissent en ce qu'ils veulent et non pas en ce que Dieu veut.

  A010000952 

 Or, ce n'est pas le tout d'en parler; il faut venir à la seconde façon d'entendre cette vertu, qui est de se mettre à la prattique d'icelle dans les occasions petites et grandes qui se presentent.

  A010000955 

 Et que l'on ne me dise pas: O Dieu, si j'avois maintenant ma liberté je ferois tant d'heures d'oraison, et peut estre j'y recevrois tant de consolations qu'à l'adventure j'y serois ravi.

  A010000955 

 Obeissez seulement, Dieu ne vous demande pas autre chose..

  A010000959 

 Je remets mon esprit entre vos mains, mais aussi vous ferez en sorte que du moins je seray tous-jours bien aymé de ceux qui me conduiront, entre les mains desquels je me delaisse pour l'amour de vous; vous ferez qu'ils approuvent et trouvent bon tout ce que je feray, du moins la plus grande partie, car de n'estre pas aymé et de ne pas sentir cet amour cela ne se peut supporter..

  A010000959 

 Je remets mon esprit entre vos mains, mais à condition que l'on ne contrariera pas ma volonté; ou bien, pourveu que vous me donniez un Superieur qui [389] soit selon mon cœur, ou plustost selon mon affection et inclination.

  A010000960 

 Helas, ne voyez-vous pas que ce n'est pas là remettre son esprit entre les mains de Dieu comme fit Nostre Seigneur? Certes, c'est d'icy que naissent tous nos maux, nos troubles, nos inquietudes et autres telles niaiseries; car si tost que les choses n'arrivent pas selon que nous attendions ou comme nous nous promettions, voyla que soudain la desolation saisit nos pauvres esprits qui ne sont pas en cette parfaitte indifference et remise entre les mains divines.

  A010000978 

 Elle est aussi general e au regard des choses qu'il faut quitter; car le Sauveur ne dit pas: Qui ne renonce à une bonne partie de ce qu'il a, mais il se sert de ce mot tout qui rejette toute sorte d'exception..

  A010000979 

 Ce n'est donques pas sans sujet, ains à bon droit, que Nostre Seigneur dit: Ainsy, chacun de vous qui ne renoncera à tout ne peut estre mon disciple.

  A010000979 

 Cette leçon, dis-je, est admirable, d'autant que ne pas renoncer à tout c'est avoir encores quelque chose de la terre: or, il n'y a aucune sympathie entre cette pretention et celle de se rendre vray disciple de Celuy qui est tout celeste.

  A010000983 

 Sur quoy il faut remarquer que tous ne sont pas obligés de quitter de fait tout ce qu'ils possedent, et en la mesme façon que ceux qui ont fait vœu de pauvreté.

  A010000984 

 Ce n'est pas toutefois que la prattique de la premiere consideration ne soit suffisante pour acquerir le Ciel: ainsy voyons-nous un saint Louys ne s'estre demis de la couronne royale qu'en esprit d'abnegation, et non reellement, et avoir cependant conquis l'heritage celeste.

  A010000985 

 Il semble de prime abord qu'il y a de la superfluité en ces paroles: Quiconque ne renoncera à tout ce qu'il possede; car pouvons-nous renoncer à ce que nous ne possedons pas? Ouy, nous le pouvons en quelque façon, parce que nous pouvons quitter les choses futures que nous esperons avoir, comme seroit quelque succession, honneur ou chose semblable.

  A010000985 

 La troisiesme consideration, qui n'est pas de peu d'utilité si elle est bien goustée, consiste à reconnoistre les choses que nous possedons, à fin que par adventure nous ne soyons point trompés en l'abnegation de celles qui ne sont pas en nostre puissance.

  A010000986 

 Avant que luy dedier ce que tu n'as pas, presente-luy cette infirmité et maladie avec une bonne patience et resignation de ta volonté à la sienne, et ainsy tu renonceras selon la volonté divine à ce que tu possedes; j'entens, à cette impatience que tu retiens, laquelle t'empesche de supporter tes afflictions et tes maladies pour l'amour de luy.

  A010000986 

 Hé, mon amy, que penses-tu faire? Tu veux donner à Dieu ce que tu n'as pas.

  A010000986 

 Il est tres asseuré que les vielles gens sont proches de la mort et que les jeunes peuvent bien tost mourir; neanmoins, parlez à un jeune homme esventé et l'interrogez de l'estat de son salut: Quoy, dira-t-il, ne suffit-il pas que je dedie à Dieu mes vieux jours? Si faut-il se donner du bon temps tandis qu'on est jeune.

  A010000987 

 La quatriesme et derniere consideration est de prendre garde que le ferme propos que nous avons de tout quitter ne soit vain, dissimulé et par flatterie; car si celuy qui fait edifier une tour est si imprudent qu'il ne considere point avant de la commencer s'il a des biens et des commodités suffisantes pour mettre à chef son edifice, et que par cette imprudence il ne puisse faire reussir son dessein, ne jugerez-vous pas qu'il est un sot et un mal advisé? De mesme, un roy ne seroit-il pas bien despourveu de jugement, si sçachant qu' un autre roy a mis vingt mille hommes sur pied pour luy donner la bataille, il ne consultoit pour sçavoir s'il pourra avec dix mille hommes aller au devant de celuy qui vient avec vingt mille? Autrement, s'il ne le fait, il sera contraint, et avec grande confusion et detriment de son honneur, d'envoyer au devant de l'ennemy demander les moyens de paix.

  A010000988 

 Jesus Christ et ne pouvons estre ses disciples: or, n'estans pas ses escoliers, nous sommes quant et quant hors de sa grace et du salut..

  A010000989 

 Mais, ce qui est bien davantage, ils estoyent esgalement riches, car, à proprement parler, nous ne possedons pas les biens de ce monde: cecy est fort clair.

  A010000990 

 Bref, à la verité, nous ne possedons qu'une bien petite partie de nous mesme: ainsy, nous ne sommes pas maistres de nostre fantasie, puisque nous ne pouvons nous garantir d'un nombre presque infini d'illusions et imaginations qui nous surviennent; il en faut dire autant de nostre memoire, car combien de fois voudrions-nous nous souvenir de plusieurs choses, et nous ne le pouvons faire, ou au contraire ne pas nous souvenir de beaucoup d'autres que nous ne pouvons oublier.

  A010000990 

 En fin, parcourez [397] tant qu'il vous plaira tout ce qui est en nous, vous ne trouverez qu'une seule petite partie dont nous soyons maistres: c'est la volonté, laquelle nous possedons tellement que Dieu mesme n'a pas voulu s'en reserver le dessus, donnant à l'homme libre juridiction ou d'embrasser le mal ou de suivre le bien, si mieux il luy aggrée..

  A010000995 

 Celle de la Conception de la Vierge ne nous est pas commandée, mais bien recommandée; et pour nous inviter à la devotion et solemnité de cette feste l'Eglise, comme une charitable mere, nous [399] donne des indulgences, et il se fait mesme des confreries à cette intention.

  A010000997 

 C'est ainsy que ces meschans heretiques ont voulu dire que le saint Sacrifice de la Messe n'estoit pas compris dans nostre Symbole.

  A010000997 

 Par exemple, il n'est pas dit dans le Credo qu'il y a des Anges; neanmoins c'est une verité que nous croyons et trouvons dans la Sainte Escriture, et que mesme ils sont employés en des ministeres icy bas en ce monde.

  A010000997 

 Tout ce que nous devons croire est compris dans iceluy; et, bien qu'il n'y soit pas tout par le menu, si est-ce que tout y est en gros.

  A010000999 

 (Asseurement l'oranger est tousjours en un mesme estat sans se flestrir jamais; neanmoins il a cela, qu'il ne nourrit pas.) Ainsy l'Eglise a ses feuilles, qui sont ses ceremonies, ses fleurs, qui sont ses actions, et ses fruits, qui sont ses bonnes œuvres et les bons exemples qu'elle donne au prochain en toutes occasions..

  A010001000 

 De plus, il y a en icelle sept Sacremens, lesquels pourtant nous ne sommes pas obligés de prattiquer tous, ains seulement chacun selon sa vocation, comme celuy des Ordres pour les prestres et celuy du Mariage pour ceux que Dieu y a appellés.

  A010001001 

 Or, vous sçavez que tous les Anges furent creés en grace, mais ils ne furent pas aussi tost confirmés en icelle, Dieu leur ayant laissé leur franc arbitre et pleine liberté.

  A010001003 

 Bien est-il vray que nostre premier pere et Eve aussi furent creés et non pas conceus; neanmoins toutes les conceptions des hommes se font en peché.

  A010001004 

 Cependant, saint Jean et Hieremie ont esté conceus en peché par voye ordinaire de generation, mais il n'en a pas esté ainsy de Nostre Seigneur, car il a esté conceu du Saint Esprit et de sa sacrée Mere sans pere; c'est pourquoy il n'estoit pas raysonnable qu'il heritast du peché originel.

  A010001004 

 Il n'est pas de la semence d'Adam, c'est à dire par voye de geneation, car il fut conceu de sa Mere sans pere, comme nous avons dit; il fut bien de la masse d'Adam, mais non pas de la semence..

  A010001005 

 Sçavez-vous comme se font les perles? (Plusieurs dames desirent des perles, mais elles ne se soucient pas du reste.) Les meres perles font comme les abeilles: elles ont un roy, et prennent pour cela la plus grosse d'entre elles et la suivent toutes.

  A010001006 

 Elle devoit avoir ce privilege particulier, parce qu'il n'estoit pas raysonnable que le diable reprochast à Nostre Seigneur que celle qui l'avoit porté en ses entrailles eust esté tributaire de luy.

  A010001006 

 Et comme si la goutte de rosée ne trouvoit pas l'escaille pour la recevoir elle tomberoit dans la mer et seroit convertie en eau amere et salée, mais l'escaille la recevant elle est changée en perle, de mesme la tres sainte Vierge a esté jettée et envoyée en la mer de ce monde par voye commune de generation, mais preservée des eaux salées de la corruption du peché.

  A010001015 

 L'Evangile qui se lit aujourd'huy monstre clairement l'infidelité que cet Apostre commit en ne voulant pas croire.

  A010001015 

 Voyons donques premierement comme l'Evangeliste nous raconte que saint Thomas ne se trouva pas avec les autres le jour de la Resurrection; secondement, comme il ne voulut pas croire, en quoy il fit une tres grande impudence; et en troisiesme lieu, comme il exagera ces paroles: Je ne croiray point si je ne le touche et si je ne le voy..

  A010001016 

 De mesme en est-il pour ce qui est de descheoir d'icelle et de tomber en quelque peché et imperfection: l'on ne tombe pas tout à coup, mais des petites fautes l'on vient aux plus grandes.

  A010001016 

 Il ne faut point dire: C'est peu de chose de ne se pas trouver avec la Communauté tant à la priere qu'à quelqu'autre exercice; car si saint Thomas se fust trouvé avec les autres Apostres, il eust esté saint et fidelle huit jours plus tost.

  A010001016 

 Le premier manquement, à sçavoir de ne se pas sousmettre et trouver avec les autres, fut le commencement de son mal et ce fut de là qu'il prit sa source; car il faut remarquer une chose de tres grande importance, qui est que l'homme ne monte pas à la perfection tout d'un coup, mais petit à petit, de degré en degré.

  A010001016 

 Ne croyons pas que ce soit petite chose de demeurer huit jours en infidelité et de retarder nostre perfection pour peu que ce soit; au contraire c'est un grand mal, d'autant que les momens nous sont bien pretieux et nous doivent estre tres chers..

  A010001017 

 Le second degré de la cheute de saint Thomas fut que oyant à son retour ses confreres et condisciples luy dire: Nous avons veu le Seigneur, il respondit: Je ne le crois pas, et se laissa ainsy emporter à l'opiniastreté et au despit, se voyant privé de la grace que les autres avoyent receuë en cette visite.

  A010001017 

 Nous avons tous cela, qu'encor que nous ayons failli nous ne le voulons pas [407] confesser.

  A010001018 

 Le troisiesme defaut de saint Thomas et sa cheute entiere fut qu'il se laissa emporter à sa passion jusques à s'opiniastrer et ensuite à exagerer ces paroles: Non, je ne croiray pas qu'il soit ressuscité si je ne mets mon doigt dans les trous de ses playes, de ses mains, de ses pieds, et si je ne mets ma main dans son costè percé.

  A010001018 

 Sur quoy saint Bernard replique et dit: O pauvre Thomas, pourquoy ne voulez-vous pas croire sans toucher, puisque nostre foy n'est point palpable et qu'elle ne depend point des sens? Et de vray il a rayson, ce grand Saint, d'autant que la foy est un don de Dieu qu'il infuse en l'ame humble, car elle n'habite pas en une ame pleine d'orgueil; il faut avoir l'humilité pour recevoir ce rayon de la lumiere divine qui est un don purement gratuit.

  A010001019 

 Le grand saint Paul, ou plustost Nostre Seigneur en saint Paul, apres le Prophete, nous dit: Courroucez-vous, mais ne pechez point, parce que ce n'est pas pecher d'avoir ses passions esmeuës; mais c'est bien autre chose d'entrer en colere et de suivre les sentimens d'icelle, comme de se despiter et opiniastrer en suite: c'est cela qui fait le peché.

  A010001019 

 Par exemple, ceux qui sont sujets à l'avarice ne passent pas pour l'ordinaire au peché mortel; mais ils gardent leurs biens un peu trop exactement, ce qui est le premier fruit de la passion, et cela est peché veniel selon l'importance de la chose.

  A010001020 

 Certes, il n'y a point de doute que ceux qui sont en communauté et qui ne vont pas le train d'icelle touchent bien fort leurs freres, sur tout ceux qui ont le desir du salut des ames.

  A010001020 

 Mais aussi les Apostres ne rejetterent pas le coulpable de leur compagnie, ains prierent pour luy, et Nostre Seigneur, par sa misericorde ineffable, vint une seconde fois pour saint Thomas seul.

  A010001022 

 Il vint dans le cenacle une fois pour tous les Apostres et une autre fois pour saint Thomas seulement, huit jours apres sa Resurrection, lors qu'ils estoyent tous assemblés; et s'addressant à Thomas seul il luy dit: Tu ne veux pas croire; tiens, touche, manie, car l'esprit n'a ni chair ni os.

  A010001023 

 C'est un grand don de Dieu que la foy; c'est elle qui nous separe d'avec ces miserables heretiques lesquels ne veulent pas croire le Saint Sacrement de l'autel parce, disent-ils, qu'on ne voit rien, qu'on n'y touche rien.

  A010001023 

 Comme si ce que Dieu a dit n'estoit pas bien dit et bien fait, et comme s'il failloit voir et toucher pour croire..

  A010001023 

 Nostre bon Sauveur luy respondit: Thomas, Thomas, tu as creu parce que tu as veu, mais bienheureux seront ceux qui croiront et ne verront pas, parce que sa divine Bonté nous avoit tous presens, nous autres qui sommes en son Eglise, car elle a pris son commencement du petit college des Apostres.

  A010001023 

 Nous ne sçavons rien des mysteres de nostre foy que ce qu'ils nous ont appris, bien que leur foy fust pour lors imparfaite parce qu'ils n'estoyent pas confirmés en grace, à ce que disent les theologiens.

  A010001023 

 Ça bas en terre nous avons la foy sans jouissance, mais au Ciel nous aurons la jouissance sans la foy, d'autant que l'on n'en a pas besoin au Ciel.

  A010001024 

 Mes cheres Sœurs, c'est un grand bien que d'estre en communauté, puisque si saint Thomas n'eust point eu de freres il ne fust pas si tost sorti de son infidelité.

  A010001024 

 Sur quoy saint Bernard fait une belle comparaison: De deux cens bateaux ou galeres qui s'embarquent au port de Marseille, il ne s'en perd pas un, dit-il; mais ceux qui s'embarquent [410] autre part courent grand risque de se perdre.

  A010001033 

 Mais l'on me pourroit dire que ce n'est pas la coustume de prescher la nuit.

  A010001034 

 Nous sommes contraints d'user de ces parolles et de nous en servir parce que nous n'en avons pas d'autres.

  A010001035 

 Ce n'est pas pourtant à dire qu'en Jesus Christ il y ayt deux personnes, car la Divinité s'unissant à nostre humanité il fut tres parfaittement Dieu et homme au mesme instant de sa conception, sans separation quelconque.

  A010001038 

 [415] Or, s'il en eust esté ainsy, Nostre Seigneur n'eust pas esté de nostre nature, nous n'eussions donques point eu d'alliance avec luy.

  A010001048 

 De mesme il y a plusieurs personnes lesquelles ne quitteroyent jamais leur mauvaise [419] vie s'ils ne craignoyent la mort, le jugement et les peines d'enfer; et cette crainte est la plus generale entre les hommes, ainsy que l'experience le fait voir tous les jours; car de dix mille penitens, il n'y en a peut estre pas un qui ne commence son salut par cette crainte de la mort, du jugement et de l'enfer.

  A010001050 

 Et ne lisons-nous pas ès Actes des Apostres que Felix, president de Judée, trembla et fut saisi d'une grande crainte, nonobstant qu'il fust payen, entendant parler saint Paul du jugement dernier, et toutefois il ne se convertit pas? Ainsy plusieurs craignent les divins jugemens, mais leur cœur n'est [pas] transpercé de cette crainte.

  A010001052 

 Or, la crainte de Dieu ne comprend pas seulement l'apprehension des peines d'enfer, ains elle a encores celle de perdre le Paradis.

  A010001052 

 Pourquoy ne travaillerois-je pas, disent-elles, pour entrer en possession de cet heritage celeste? J'ay incliné mon cœur à garder vos commandemens à cause des recompenses.

  A010001055 

 Et ne voyons-nous pas que sa divine Majesté se [422] plaint de ce defaut de crainte, d'amour, d'honneur et de respect par son Prophete Malachie, disant: Si je suis vostre Pere, où est l'honneur que vous me rendez? si je suis vostre Seigneur, où est la crainte que vous devez avoir de m'offenser? Si ergo Pater ego sum, ubi est honor meus? et si Dominus ego sum, ubi est timor meus? Le fils sert comme fils, et non point comme serviteur crainte d'estre battu, ni pour la recompense comme mercenaire, mais par amour, d'autant que cet amour est imprimé au cœur filial.

  A010001057 

 Ils avoyent bien la verité dedans l'intellect, mais non en la prattique, d'autant qu'ils n'avoyent pas l'humilité chrestienne laquelle nous fait prosterner devant le Saint Esprit pour recevoir ce don si necessaire pour operer nostre salut..

  A010001058 

 N'avons-nous pas aussi veu plusieurs grans theologiens qui ont dit merveille des vertus, non pour les exercer, comme au contraire il y a eu tant de saintes femmes qui ne sçavoyent pas parler des vertus, lesquelles neanmoins en sçavoyent tres bien l'exercice? car on a veu les unes [424] avec un soin extreme de conserver leur virginité, les autres avec un cœur pur et net en leur viduité, les autres en la chasteté conjugale.

  A010001060 

 Apres le don de science s'ensuit le quatriesme, qui est celuy de force, lequel nous est absolument necessaire, parce qu'il ne suffit pas de sçavoir discerner le bien et le mal, si nous n'avons la force pour eviter l'un et prattiquer l'autre.

  A010001060 

 Combien a-t-on veu de personnes qui ont sceu le bien et n'ont pas eu le courage de le prattiquer, ainsy que nous voyons encores aujourd'huy en la plus-part des Chrestiens!.

  A010001061 

 Mais, me direz-vous, puisque nous recevons le Saint Esprit et avec luy tous ses dons, lors que nous recevons les Sacremens avec les dispositions requises, d'où vient que nous retombons si souvent au peché? C'est par lascheté, d'autant que nous n'osons pas entreprendre la guerre contre le vice avec la fermeté et le courage necessaires pour surmonter nos ennemis.

  A010001061 

 Par exemple, l'on vient à la Confession où l'on reçoit le Saint Esprit avec la remission des pechés; et neanmoins combien y en [425] a-t-il qui recidivent aux mesmes pechés apres la Confession! Et d'où vient cela, sinon faute de courage? On pense: Qu'est-ce qu'on dira de moy si je deviens devote, si je fais penitence, si je quitte les conversations mondaines? On craint une parole dite en l'air; et n'est-ce pas tout à fait manquer de force que cela?.

  A010001062 

 Car il n'est pas du cœur spirituel comme du cœur charnel, lequel, combien que nous dormions, ne cesse jamais d'agir, de veiller et d'envoyer ses esprits vitaux au cerveau; où, au cœur spirituel, la volonté, le courage et la generosité est absolument necessaire pour luy faire faire ses operations.

  A010001064 

 Combien y en a-t-il au monde qui sçavent bien qu'on s'y perd à cause que l'air est infecté, et qu'il donne la mort eternelle aux ames dans lesquelles il entre, ou leur cause de grandes maladies: quel remede à cela? Sortez, leur dit le Saint Esprit interieurement, puisque vous connoissez que vous n'y pouvez pas faire vostre salut.

  A010001065 

 On entend les predications, on lit beaucoup, et toutefois on demeure tousjours dans l'ignorance de ces saints mysteres parce qu'on n'a pas ce don d'entendement.

  A010001067 

 Et d'où vient cela? C'est que nous n'avons pas le don d'entendement pourvoir et penetrer la beauté et bonté des maximes de Nostre Seigneur.

  A010001069 

 Les malades ne savourent pas les viandes à cause du catarrhe qui occupe les parties destinées au goust; les malades spirituels veulent tout à rebours de bien: ils n'ont ni crainte ni force ni pieté ni science.

  A010001069 

 Que peut faire le monde? nous oster deux ou trois jours de vie temporelle? Hé, que nous doit-il importer, pourveu que nous ne perdions pas la vie eternelle?.

  A010001079 

 Mays je voudrois que si la saison change nous changeassions aussy, mays non pas d'une mesme façon; car ceste serenité du ciel et de l'air, cest'amsenité de la terre n'est pas perdurable, elle [est] sujette a l'inconstance.

  A010001080 

 Je sçay que ceste imitation est difficile, car Deus quis similis tibi? Aussy ne voulons nous pas sinon l'imiter de loin a loin, avec quelque proportion, principalement en l'immortalité aeternelle, non temporelle..

  A010001082 

 Je n'oserois pas penser que quelqu'un fust ja mort despuys, etc. Ne mourons donq plus, etc. Et c'est pourquoy, ayant donné les moyens de venir a grace, je donne pour i continuer, sachant que qui perseveraverit, etc..


11-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XI-Vol.1-Lettres.html
  A011000007 

 Pas être utilisés à des fins commerciales de toute nature!.

  A011000017 

 Regret de n'avoir pas reçu de réponse à ses lettres. 15.

  A011000042 

 Déception du Saint et de ses amis en ne voyant pas arriver le Sénateur.

  A011000043 

 Gracieuses excuses de n'avoir pas écrit plus tôt.

  A011000139 

 Supplications collectives des missionnaires du Chablais pour obtenir que les troupes espagnoles ne traversent pas cette province. 169.

  A011000145 

 — Prière d'intervenir auprès du roi de France et du duc de Savoie pour que Genève ne soit pas comprise dans le traité de Vervins. 177.

  A011000176 

 Or, les principaux ouvrages du Saint ayant été déjà édités jusqu'aux Sermons, parmi lesquels il ne s'en est pas peu trouvé d'inédits, l'impression des lettres allait être commencée, lorsque les éditeurs constatèrent qu'un grand [XXX] nombre demeurent encore cachées dans les bibliothèques et dans les archives des institutions publiques et privées.

  A011000190 

 Quand la date attribuée à chaque lettre n'est pas absolument sûre, elle est insérée entre [ ].

  A011000192 

 Dans les variantes des lettres latines et italiennes les seuls passages qui diffèrent considérablement du texte ou qui n'y figurent pas du tout ont été traduits.

  A011000227 

 Il est bien vrai que le zèle de Votre Seigneurie pour notre foi catholique est la cause principale qui l'empêche de se réjouir d'un [1 bis ] évènement si affligeant pour quiconque ne l'envisage pas au travers des lunettes du propre intérêt.

  A011000227 

 Je ne tiens pas cette nouvelle comme absolument certaine, bien que, la sachant si répandue, je n'ose pas y refuser foi.

  A011000265 

 Toutefoys, pour autant que peut estre ne vous trouvera il pas comme il desire, et aussy quil est fort aysé a oublier si peu de chose comme je suys, affin d'asseurer mon intention j'ay escrit ces deux mots que je vous addresse, par lesquels je vous saluë tres humblement et affectionnement, et vous remercie de la memoyre que vous eustes de moy quand monsieur de la Chapelle print congé de vous pour venir icy, lequel m'a encores dict que d'autrefoys vous luy avies parlé de moy; ce que cognoissant ne venir de mes merites, j'en honore d'autant vostre bonté, delaquelle je reconnoys toutes ces faveurs..

  A011000277 

 Dequoy je prendray et retiendray bien cherement tout ce dont je seray capable; car il ne messied pas a vostre grande humanité de beaucoup presenter, mays ce seroit grande insolence a moy de n'en vouloir refuser..

  A011000298 

 A qui la faute si j'ai reçu si tard la première lettre? Je n'ai pas voulu le rechercher, de peur que cette recherche ne fît retomber un peu de mon mécontentement sur quelqu'un de mes amis.

  A011000298 

 Vous avez grandement craint, dites-vous, que je n'eusse conçu à votre égard quelque indignation, car dans mes dernières lettres je semblais fâché de ce que vous n'êtes pas ardent à m'aimer ou diligent à m'écrire.

  A011000299 

 Je cesse de vous écrire, je ne cesse pas de demander de vos nouvelles.

  A011000299 

 Toutefois, ne croyez pas que votre crainte m'inspire une [10] crainte équivalente.

  A011000300 

 Sur ce sujet, je garde en mon cœur bien des choses que je ne puis entièrement révéler, et, le pourrais-je, que le temps laissé par le porteur ne me permettrait pas de les écrire..

  A011000335 

 Il ne faut pas trop ajouter foi aux paroles [15] d'un père aussi indulgent que l'est mon Evêque lorsqu'il rend témoignage de son fils; car bien souvent les parents les plus prudents se persuadent trouver dans leurs enfants les qualités qu'ils désirent.

  A011000335 

 La raison pour laquelle je n'ai pas répondu à la première est que j'espérais, avec mon Révérendissime Evêque, avoir une occasion prochaine de vous voir ici.

  A011000336 

 Comme j'entends dire que les populations auxquelles vous consacrez vos talents sont si grossières qu'elles ne veulent pas vous affranchir des charges publiques, et n'ayant nulle autorité pour le faire par moi-même, je le fais du moins par l'autorité de l'empereur Constantin, qui a édicté le décret suivant dans la VI e Loi du Titre LII, intitulée: De Professoribus et Medicis, Livre X du Code: « Les médecins, les maîtres d'école et les docteurs en droit avec leurs femmes, leurs enfants et les biens qu'ils possèdent dans la ville (ce mot-là vous affranchit complètement) sont exempts de tout impôt et charge soit municipale, soit publique, de toute corvée et obligation de logement.

  A011000337 

 Ceci à la hâte; car mes occupations ne me permettent pas d'écrire davantage.

  A011000364 

 Ce désir de me concilier votre bienveillance, s'il était possible, était si ardent que mon âme ne pouvait plus se contenir; et si l'occasion ne s'en était présentée, en dépit de toute modestie, je n'aurais pas hésité, moi faible jeune homme, à venir à temps ou à contre-temps vous provoquer, vénérable Sénateur, à cette douce lutte d'amitié..

  A011000364 

 Cependant, après plusieurs années ne voyant pas paraître en moi, je ne dis pas l'image, mais le moindre indice d'un tel mérite, [20] tout en étant convaincu de mon impuissance, je n'en ai pas moins gardé le désir de vous voir et de vous entretenir.

  A011000365 

 Lorsque je suis allé à Chambéry me faire inscrire au nombre des avocats, j'espérais qu'une fois admis, je pourrais saluer tous les Sénateurs, les remercier selon l'usage, et, à cette occasion, obtenir place parmi vos amis en vous laissant mon nom écrit de ma main; mais voilà que la noblesse est appelée aux armes, et que je suis contraint de partir à une heure indue, sans vous avoir vu; car j'aurais considéré comme un [21] plus grand mal de vous saluer seulement à la hâte, surtout vous étant inconnu, que de ne pas vous saluer du tout.

  A011000367 

 Et pour ne pas paraître honorer en vous la dignité sénatoriale plutôt que la vertu consommée du sénateur, je n'estimais pas convenable de vous adresser mes hommages à distance, car je ne me croyais pas un jeune homme assez important pour mériter que mon nom eût été prononcé ou entendu par quelqu'un des membres de votre illustre corps.

  A011000367 

 J'ai admiré et aimé vos éclatantes qualités avant même que mon nom vous fût connu, mais non point avant que vous ne fussiez enrichi de ces dons éminents innés en votre âme, et qui, en tout temps, ont fait qu'il a été impossible de ne vous pas aimer.

  A011000367 

 Ne prétendez pas cependant, comme vous le faites, avoir été le premier à m'aimer, et ne croyez pas par suite que je vous doive moins ou que vous deviez davantage à mon mérite.

  A011000368 

 Je ne m'informerai donc pas si c'est pour m'exciter à la vertu que, non content de m'aimer, vous daignez encore m'écrire, ou (comme vous vous y croyez obligé par ce qu'on vous a rapporté de moi) si c'est pour satisfaire votre propre inclination envers ceux qui ont en eux-mêmes quelque faible semence de cette probité et de ces talents qui fructifient si abondamment en vous.

  A011000369 

 Pour mon compte, moins j'attendais de vos lettres, ne croyant pas vous être connu même de nom, plus j'ai admiré votre extrême bonté, et plus a grandi le désir que j'éprouvais de vous voir et de vous parler.

  A011000386 

 Je ne puis nullement à cet égard vous rendre pareille faveur; car, bien qu'en affection je n'hésiterais pas à lutter même avec vous, que je reconnais par des signes indubitables être un homme des plus aimants, toutefois la prétention de vous concilier l'amitié de qui que ce soit n'est compatible ni avec la médiocrité de mon mérite, ni avec l'éclat de vos vertus.

  A011000387 

 Du reste, eussé-je l'autorité suffisante pour cela, n'espérez pas que je vous [26] rende jamais pareil service; car, à moins de sortir de notre hémisphère, il serait impossible de trouver un homme de science et de probité qui ne vous vénère, ne vous aime, et ne se propose vos exemples pour modèle.

  A011000387 

 Et si vous n'aviez pas toutes les qualités qu'on vous attribue, c'est précisément à François Girard, d'après ce que vous me dites de lui dans votre lettre, que je devrais aller pour les rencontrer... Vous voyez donc que ma preuve ressort plus évidemment par sa propre force que par l'habileté de celui qui l'expose..

  A011000389 

 Il convient donc que vous appeliez compagnon celui qui veut bien m'aimer, il est vrai, mais seulement par amour pour vous, puisqu'il ne me connaît pas personnellement, mais seulement d'après l'opinion que vous avez conçue de moi.

  A011000412 

 Ne craignez pas toutefois d'être taxé d'imprudence pour avoir [29] oublié la disproportion qui existe entre le don et l'homme qui le reçoit; car Alexandre le Grand pensait avec raison qu'un présent doit être plutôt digne de celui qui l'offre que de celui qui l'accepte.

  A011000413 

 Certes, je ne crains pas qu'à ce sujet survienne entre vous la moindre division; car si l'amitié que vous vous portez mutuellement vous rend indivisibles, il en sera de même de votre bienveillance pour moi.

  A011000436 

 » C'était, ce me semble, me demander de vous écrire tant que je ne serais pas retenu par un empêchement qui arrêterait même « l'homme fort et constant.

  A011000437 

 Je ne sais si je dois m'estimer heureux ou malheureux d'avoir dans cet intervalle reçu trois de vos lettres tandis que je n'ai pas même pu vous en adresser une seule.

  A011000438 

 De plus, j'ai entendu dire qu'il y a en cette affaire je ne sais quoi qui relève de la justice criminelle, c'est pourquoi j'ai été près de m'exclamer; Eloignez-vous de moi, [35] hommes de sang; car en telles matières les ecclésiastiques ne doivent pas intervenir..

  A011000438 

 Toutefois, si je vous la recommandais, je passerais pour un sot; car ce que vous ne prenez pas à cœur n'est pas juste, toute cause juste, quelle que soit la personne intéressée, étant toujours patronnée par vous.

  A011000439 

 Ayant reçu trois lettres de vous, je n'estime pas, seulement par celle-ci, m'acquitter à votre égard.

  A011000439 

 Je compte vous en adresser, illustre Artisan, au sujet de la question que vous soulevez à votre apprenti, à savoir s'il doit désirer ou refuser la dignité sénatoriale; à moins que je n'aie, comme je l'espère, la possibilité de vous entretenir de vive voix; car je pressens que j'aurai bientôt ce plaisir, et je ne manquerai pas d'en faire naître l'occasion.

  A011000454 

 A l'approche de ce jour terrible, de ce jour effroyable, comme l'appelle saint Chrysostome, où d'après la volonté de notre Evêque, c'est-à-dire d'après la volonté de Dieu (car je ne cherche pas d'autre interprète de cette divine volonté), à l'approche de ce jour, dis-je, où après avoir passé par tous les degrés des saints Ordres, je vais être promu à l'auguste dignité du sacerdoce, je ne puis me dispenser de vous annoncer l'insigne honneur et le bien excellent qui m'attendent.

  A011000454 

 Il ne convient pas en effet qu'une telle transformation s'opère à votre insu dans un homme qui est tout vôtre.

  A011000455 

 Et certes, si je ne me trompe, il ne saurait rien arriver de plus difficile et de plus périlleux à l'homme que d'être appelé à tenir entre ses mains et à produire par sa parole, selon l'expression de saint Jérôme, Celui que les Anges, ces intelligences que nous sommes incapables de concevoir ou de louer dignement, ne peuvent pas même embrasser par la pensée ni célébrer par de justes louanges.

  A011000456 

 Assurément je n'ignorais pas, mon vénérable Ami, que d'effroyables responsabilités ne fussent jointes à une si sainte et si auguste dignité; mais l'éloignement trompe les yeux, et c'est chose bien différente de mesurer un objet de près ou de l'apprécier de loin.

  A011000456 

 Cependant je ne manque pas de courage; jusqu'à présent il ne m'a jamais abandonné..

  A011000458 

 D'autre part, ne vous persuadez pas que les saints mystères m'inspirent un effroi tel qu'il ne laisse en moi place à une espérance et à une allégresse bien supérieures à ce que pourraient me valoir mes propres mérites.

  A011000489 

 Et, lors même que vous ne viendriez pas, je n'assisterais pas à cette fête; car comment aller aux noces, moi qui n'ai pas la robe nuptiale? D'ailleurs, je redoute ces réunions et ces festins..

  A011000504 

 Pour ne pas garder un silence absolu, j'ai jugé à propos de vous écrire cette courte lettre comme avant-coureur de salutations que je pense vous adresser sous peu de vive voix; car voici où en sont les choses.

  A011000519 

 Du reste, je n'eusse pas confié ma lettre à un homme qui me pressait de la sorte, s'il n'eût importé davantage de vous écrire qu'il n'était regrettable de le faire d'une manière trop précipitée.

  A011000520 

 Mais comment se fait-il que le vôtre ne me soit pas arrivé assez tôt, à moi qui l'ai reçu avec un plaisir tel que je n'en éprouverai jamais de plus grand en recevant tout autre envoi? C'est que vos lettres ne sont pas seulement merveilleusement écrites et pensées (personne en effet ne saurait assez, je ne dis pas apprécier, mais même savourer l'extrême douceur de ces rayons de miel); elles sont aussi des chefs-d'œuvre d'élégance et des monuments d'amitié.

  A011000554 

 Cependant je préfère vous écrire non seulement d'une façon laconique, mais à la hâte et avec précipitation, que de ne pas le faire du tout; car, dans ce temps de jeûne, j'ai pensé que je serais excusable de vous adresser une lettre un peu maigre, moi surtout qui rarement en écris d'autres, et qui, moins par la suppression des mets, que par la récente privation de votre présence, trouve tout fade et insipide.

  A011000555 

 En ce moment, je suis encore à jeun de corps et d'âme; mais je ne tarderai pas à rompre le jeûne spirituel en me nourrissant à la table du Seigneur de cette très sainte graisse de la terre, de cette victime de choix que j'offrirai, comme j'ai coutume de le faire toujours, en votre nom et au mien..

  A011000568 

 En effet, si je [55] n'étais pas différent de moi-même, qui ne suis qu'un apprenti du commun, je ne saurais être une même chose avec un tel artisan..

  A011000568 

 Quant à votre dernière lettre, elle offre une telle harmonie de pensées avec celle que je vous ai adressée le même jour, qu'elle montre clairement la parfaite unanimité de sentiments qui existe entre les deux frères, surtout en matière d'amitié, bien que ces sentiments ne soient pas exprimés de la même manière, car par l'élégance de votre style vous me laissez bien loin derrière vous.

  A011000585 

 J'en profite, mon excellent Frère, et je vous prie de croire que, bien que vous me combliez de vos lettres, vous ne parviendrez pas à m'en rassasier; car telle en est la douceur que, loin d'accabler jamais, elles charmeraient toujours l'esprit le plus blasé, tandis qu'une douceur trop fade inspire le dégoût.

  A011000585 

 Je ne pouvais supposer que les gens de M. de [56] Charmoisy, de M. de Beaumont, que M. Portier, chanoine de notre Eglise, aussi bien que Chappaz, dussent partir sans m'avertir, et c'est la principale raison pour laquelle je ne m'informai pas de l'époque de leur départ.

  A011000586 

 Je ne crains pas qu'on m'accuse de vouloir favoriser une mauvaise cause, si par ignorance je vous en recommandais une qui fût telle; car celui qui présenterait du cuivre pour de l'or à un orfèvre aussi habile que vous ne saurait être soupçonné d'agir de mauvaise foi.

  A011000586 

 Je ne vous parle pas de la noble veuve M me de Ville, puisque sa [57] cause est en si bonne voie, soit parce qu'elle est juste, soit aussi parce que, en ma faveur, vous avez bien voulu la prendre en considération.

  A011000607 

 Pour ma part, je veillerai avec grand soin à ce que des amis comme nous ne le cèdent pas à cette malheureuse sorte de gens.

  A011000607 

 Si je n'ai pas profité du retour de M. Monod, c'est seulement, croyez-moi, parce que je l'ai ignoré.

  A011000626 

 Ensuite, vient pour quelques jours le règlement des affaires de notre Eglise; et encore que j'y sois inutile, notre Révérendissime Evêque et père ne permet absolument pas que je m'absente pendant tout ce temps.

  A011000626 

 Que ferais-je, mon Frère, et de quel côté me tourner, moi qui n'ai pas encore satisfait à votre désir, et qui ne puis maintenant y répondre, faute de temps? Car nous voici à l'époque très solennelle du synode, auquel tous les membres de notre clergé sont tenus d'assister; et m'en dispenser, ce serait attirer sur moi l'excommunication.

  A011000627 

 Avant-hier, me rendant ici dans l'intention d'aller à vous le lendemain avec M. Coppier, après environ trois milles de marche sous une pluie torrentielle, je fus arrêté par un obstacle que je n'avais pas prévu, je vous assure: le torrent était si enflé qu'il ne présentait aucun endroit guéable, et je fus forcé de rebrousser chemin.

  A011000647 

 Le cérémonial ne sera pas différent de celui que vous avez vu dernièrement quand vous étiez ici, et nous dirons les mêmes Litanies de Jésus crucifié.

  A011000647 

 Toutefois nous ne ferons pas tout le chemin pieds nus, mais seulement quelques milles, car ce n'est pas sans raison que nous l'avons ainsi réglé.

  A011000648 

 Ainsi, mon Frère, il sera impossible qu'elle ne soit pas véritable cette fraternité, laquelle doit être jurée en la présence de ce bois qui a réconcilié les immortels des Cieux avec les mortels d'ici-bas.

  A011000648 

 Et il ne faut pas que j'oublie une chose merveilleuse: vous avez su que notre pèlerinage était décidé au moment où nous venions à peine de prendre cette détermination, car c'est mercredi soir seulement que nous avons délibéré à ce sujet; de sorte qu'on peut attribuer à une inspiration divine ce fait que, portant les regards sur la même Croix, nous [67] avons eu les uns et les autres le même sentiment.

  A011000669 

 Nous en avons non seulement deux toutes prêtes, mais trois, puisque je ne dois pas vouloir que la mienne porte ce nom, et je vois que vous n'avez [69] pas voulu celle de M. de Charmoisy.

  A011000670 

 Je ne sais trop si je dois envoyer mes salutations à ma très aimable sœur, votre épouse très distinguée et très chère, car je ne voudrais pas la reconnaître pour vôtre si, à votre tour, vous ne la rendiez nôtre ainsi que vous.

  A011000687 

 Notre déconvenue ne nous a pas empêchés de vous envoyer force compliments en soupant chez M. de Charmoisy, où [71] nous avons discuté jusque bien avant dans la nuit sur les raisons qui vous avaient arrêté, mon Frère.

  A011000688 

 M'en irai-je donc quand vous venez? Assurément je ne le ferais pas sans la raison du scandale à éviter, et si je n'avais cru que vous arriveriez plus tôt, rien n'aurait pu me déterminer à cette absence.

  A011000689 

 Si donc vous ne voulez pas venir, laissez-moi saluer cordialement votre digne épouse et vos nobles enfants.

  A011000690 

 Ne vous laissez pas arrêter par la crainte de n'avoir pas d'appartement; si vous venez, vous aurez des maisons de ville à votre disposition.

  A011000690 

 « Tout éveille les craintes de ceux qui aiment, » parce qu'il est facile, quand on n'a pas une très bonne volonté, de trouver des excuses.

  A011000706 

 Après être demeuré si longtemps sans vous écrire, mon très bon et très respectable Girard, je suis à peu près dans la situation où se trouvent parfois de bons écoliers qui, n'étant pas arrivés aux heures fixées, ont manqué inconsidérément certaines leçons.

  A011000724 

 Cette estime n'a pas besoin d'un monument qui en conserve le souvenir; elle est gravée en caractères assez durables pour défier l'action du temps..

  A011000758 

 Je m'en réjouis vivement et je vous félicite tous deux de ce que, suivant le proverbe, vous ne jetez pas des épines sous les pieds du voyageur de bonne foi..

  A011000760 

 Mais je ne vois pas ce qui peut m'être attribué dans cet ouvrage, car vous l'avez vous-même tissé et enrichi de tant de belles pierreries, que, par une heureuse transformation, il a perdu son ancien nom et sa première forme..

  A011000778 

 Nous ne voyons pas le moyen de nous en procurer, à moins qu'il ne nous en cède dix ou douze exemplaires, dont le prix....

  A011000795 

 Ce n'est certainement pas la science seule qui a élevé si haut les Martin, les Chrysostome, les Hilaire, les Damascène; mais bien plutôt cette magnanimité chrétienne avec laquelle ils ont déclaré la guerre pour le Christ aux empereurs et aux autres faux frères, et se sont montrés intrépides à combattre les combats du Seigneur..

  A011000795 

 Il faut maintenant vous féliciter du fond du cœur, excellent Girard, puisque nous vous voyons combattre de toutes vos forces sous [84] l'étendard du très saint Crucifié; car n'est-ce pas combattre pour le Christ que de haïr ceux que Dieu hait, et de sécher de douleur à cause des ennemis de la Croix? Vous ne pourrez jamais rencontrer une occasion plus glorieuse pour bien mériter de Dieu et de l'Eglise que celle qui vous est présentement offerte par la souveraine providence divine.

  A011000795 

 Il n'est pas très pénible d'embrasser la Croix lorsqu'elle est debout, que personne ne l'ébranle et ne s'efforce de la renverser; mais la soutenir contre le choc des assaillants pour qu'elle ne tombe pas, voilà le propre d'un courage éprouvé.

  A011000796 

 Le disciple n'est pas au-dessus du maître.

  A011000796 

 Ne vous persuadez pas, du reste, qu'en vous disant ces choses je prétende exciter votre courage.

  A011000798 

 Le Seigneur est votre défenseur, vous ne craindrez pas ce que l'homme fera contre vous..

  A011000829 

 Après votre départ, il n'a pas cessé de voiler de plus en plus les [90] esprits de ces hommes.

  A011000829 

 Ce ne serait pas assez, sans doute, de l'obstination privée de chacun, s'ils ne se moquaient des désirs du prince aussi bien que de nos efforts, et ne s'acharnaient à leur perte par une abominable entente.

  A011000830 

 Ils ne veulent pas nous écouter parce qu' ils ne veulent pas écouter Dieu.

  A011000830 

 Mais il n'en sera pas ainsi; car aussi longtemps qu'il nous sera permis par les trèves et par la volonté du prince tant ecclésiastique que séculier, nous sommes absolument résolus de travailler sans relâche à cette œuvre, de ne pas laisser une pierre à remuer, de supplier, de reprendre avec toute la patience et la science que Dieu nous donnera.

  A011000830 

 Que feriez-vous, mon Frère? Leur cœur est endurci; ils ont dit à Dieu: Nous ne servirons pas; retirez-vous de nous, nous ne voulons point marcher dans la voie des commandements de Dieu.

  A011000868 

 Ils ont donc en partie [95] changé de dessein, car ils s'étaient fait une loi non seulement de ne point me rendre de bons offices, mais de ne pas même m'adresser la parole.

  A011000869 

 Il connaîtra par là combien je désire l'honorer, et ne me jugera pas tout à fait inculte.

  A011000884 

 Je ne tarderai pas à vous écrire de nouveau pour vous parler de ce qui se passe ici et des affaires de la religion..

  A011000885 

 Lorsque je l'aurai mieux constaté, je ne manquerai pas de vous le faire savoir, à vous qui avez employé votre conseil, votre autorité, votre action pour favoriser cette entreprise..

  A011000901 

 J'ai entendu dire en effet que vous vous préparez à votre départ pour Albi, et, s'il ne m'est pas possible d'aller, comme il conviendrait, baiser religieusement [100] vos mains sacrées, il est au moins de mon devoir de vous en demander pardon, et je ne voudrais pas y manquer.

  A011000902 

 En conséquence, lorsqu'il vous plaira de faire le dénombrement de vos Allobroges, je me présenterai enfin le dernier à votre mémoire; je serai d'ailleurs facilement des premiers si vous voulez bien prendre en considération non pas le mérite personnel, mais l'estime et l'affection dont tous ces cœurs vous entourent..

  A011000933 

 En quoy, le peu d'asseurance que j'avoys du lieu ou vous esties et le respect que je dois a vos occupations me pourroit beaucoup excuser, puysque je n'ay pas layssé de demander a toutes occasions de vostre santé, tant quil y a quelques moys que j'en eus des nouvelles par le P. Jean Lorrini.

  A011000956 

 Aussi bien suis-je si peu diligent que, partagé entre diverses autres occupations, je n'ai pas même bien commencé.

  A011000956 

 Je ne vois donc pas la possibilité d'écrire gravement à l'espagnole.

  A011000956 

 Je vous avais cependant écrit avant-hier une lettre que Thovex devait vous porter; mais contre sa promesse il n'est pas venu la prendre.

  A011000956 

 Vous ne vous étonnerez donc pas si, comme je vous le disais récemment par manière de plaisanterie, je dois maintenant de fait écrire à la française.

  A011000970 

 Le retard existe, je le confesse, et il n'est pas sans coulpe; mais voici une raison qui m'excuse un peu.

  A011000970 

 Vos lettres me sont si agréables [109] que, bien que le papier en soit tout endommagé par un continuel maniement, je trouve chaque jour tant de charme à les relire qu'elles me paraissent toujours récentes, surtout lorsqu'elles ne sont pas datées.

  A011000984 

 Vous désirez voir les premières pages de mon ouvrage contre les hérétiques; je le désire aussi extrêmement, et je ne porterai pas mes enseignes dans les rangs de l'ennemi avec toute l'ardeur que mérite cette cause, avant que vous ayez approuvé mon dessein, le plan de la bataille et la tactique adoptée.

  A011000985 

 La guerre « est douce à qui n'en a pas l'expérience.

  A011001018 

 ... et un jour ce souvenir ne sera pas sans charmes.

  A011001022 

 Je n'ignore pas, mon Frère, combien mes lettres vous sont agréables; je le devine en effet facilement, puisque les vôtres me causent un si vif plaisir.

  A011001023 

 Attends, attends encore; commande, commande encore; et plaise au ciel, pour continuer à employer les paroles d'Isaïe, qu'ils ne se retirent pas, qu'ils ne tombent pas en arrière et qu'ils ne se brisent..

  A011001023 

 Ceci soit dit par plaisanterie, car ce n'est pas en [115] comptant sur la force de mon esprit, ni sur aucune science, mais sur la patience, que je suis descendu dans l'arène.

  A011001023 

 Je ne m'étonne pas qu'ils refusent de venir sur l'invitation d'un homme aussi froid que je le suis; mais s'ils refusaient encore après avoir été appelés par des hommes qui ont bien fait leurs preuves, alors je n'hésiterais pas à adopter le sentiment du P. Chérubin.

  A011001035 

 Si Roland estoit vostre filz aussi bien qu'il n'est que vostre valet, il n'auroit pas eu la couardise de reculer pour un si petit choc que celuy ou il s'est trouvé, [117] et n'en feroit pas le bruit d'une grande bataille.

  A011001061 

 J'en loue Dieu mille fois, et vous remercie tres humblement de la souvenance que vous daignés avoir de si peu de chose que je suys et du desir que vous aves de me voir, que je ne pense pas pouvoir estre plus grand que celuy que j'ay de jouir de vostre præsence, quoy qu'on die que l'amitié descend plus vistement qu'elle ne monte.

  A011001061 

 Je ne vous sçaurois dire, et ne sçay si vous sçauries croire, combien j'ay receu de consolations de vostre lettre, car il y a longtems que je desirois infiniment d'estre [119] asseuré de vostre santé; mays en avoir l'asseurance de vous mesme, et de si pres comme je l'ay eue, je ne l'eusse pas osé si tost esperer.

  A011001061 

 Si ne veux je pas m'en remettre du tout a ce tems la de vous dire de mes affaires spirituelz..

  A011001062 

 Ce pendant je ne perds point d'occasion de les accoster; mays une partie ne veulent pas entendre, l'autre partie s'excuse sur la fortune quilz courroyent quand la trefve romproit avec Geneve, silz avoyent faict tant soit peu semblant de prendre goust aux raysons catholiques; qui les tient tellement en bride quilz fuyent tant quilz peuvent ma conversation.

  A011001062 

 Et ne faut pas penser d'apporter aucun remede a cela, car de leur apporter en jeu l'enfer, la damnation, ilz se couvrent de la bonté de Dieu; si on les presse, ilz vous quittent tout court.

  A011001062 

 Quand aux vilages il ni aura pas grand peyne..

  A011001064 

 Au reste, j'ay icy quelques parens et d'autres qui me portent respect pour certaynes raysons particulieres que je ne puys pas resigner a un autre; et c'est ce qui me tient du tout engagé sur l'œuvre.

  A011001064 

 Je m'y fascherois desja beaucoup, si ce n'estoit l'esperance que j'ay de mieux; outre ce, que je sçay bien que le munier ne perd pas tems quand il martelle la meule.

  A011001090 

 Dirai-je, mon Frère, avec quelle joie intime j'ai reçu avant-hier votre lettre et celle du très digne P. Antoine Possevin? Si le seul souvenir de l'un de vous séparément suffît d'ordinaire pour délecter toute mon âme, qu'en a-t-il été, je vous le demande, non du souvenir seulement, mais de ce gage précieux de la bienveillance de l'un et [122] de l'autre à mon égard? Une lettre est déjà comme un portrait de celui qui écrit; mais l'image de Possevin est si naturelle dans ce charmant ouvrage de la Poésie et de la Peinture que, pour se représenter et se peindre soi-même avec tant de grâce et d'exactitude, il n'a certainement pas emprunté les pensées d'autrui.

  A011001090 

 N'allez pas croire cependant que, pour l'avoir vu dans son livre, j'éprouve un désir moins vif de le voir en personne; au contraire, l'appétit est aiguisé par un si agréable alléchement.

  A011001092 

 Cependant je ne veux pas vous laisser ignorer avec quelle unanimité de sentiments les PP. Possevin et Chérubin m'ont prévenu.

  A011001109 

 Comme le chevalier de Compois n'a pas envoyé son serviteur en ville au jour convenu, j'ai eu soin d'expédier tout récemment par une autre voie des lettres pour vous et pour le P. Possevin.

  A011001109 

 Et parce qu'il a, comme vous voyez, une stature et une voix de géant, je n'ai pas osé refuser tout à fait, moi petit homme sans défense, bien que, pris ainsi à l'improviste, je n'aie rien de nouveau à vous écrire, si ce n'est que Poncet, dont je vous ai parlé dans ma dernière lettre, a maintenant promis de faire publiquement profession de la foi catholique d'ici à peu de temps.

  A011001109 

 Mais le chevalier lui-même se mettant en route maintenant, n'a pas voulu partir sans une lettre de moi, afin de n'être pas privé, à cause de son retard, d'une occasion de vous saluer.

  A011001109 

 Vous verrez que notre chevalier, avec son langage militaire, ne se vante pas peu de m'avoir devancé dans la joie de cette conversion..

  A011001110 

 Au reste, il me serait difficile de dire si j'aime mieux voir le P. Possevin à Annecy ou à Chambéry, si vous n'êtes pas en l'un et l'autre endroit.

  A011001110 

 Mais je dois prévenir les Annéciens du jour de son arrivée, afin que, si sa bienveillance pour moi le décide à venir, ils ailllent l'attendre à mi-chemin et ne soient pas privés de la visite d'un tel homme... vous salue... [129].

  A011001123 

 Cet ecclésiastique veut être chanoine, mais nous nous y opposons; car, en vertu de nos Constitutions, confirmées par un décret apostolique, nous devons exclure tout candidat qui ne serait pas noble dans les deux souches ou n'aurait pas le grade de docteur.

  A011001124 

 En conséquence, nous ne voudrions pas voir la question tranchée par un autre que par vous, en qui nous honorons non seulement un très habile artisan, mais un très religieux confrère..

  A011001124 

 Si la chose peut se faire en sûreté de conscience, je n'y mets pas d'obstacle, les autres non plus; au contraire, nous désirons tous qu'il soit chanoine dans les meilleures conditions, car c'est un homme docte et pieux.

  A011001147 

 Mon père m'appelle, et je n'ai pas voulu partir à votre insu, [132] de peur que si Possevin venait, vous ne sussiez où je suis.

  A011001148 

 Je ne sais si je dois maintenant, ayant presque le pied à l'étrier, vous remercier de ces poésies sacrées que vous me dédiez si affectueusement; certes, l'occasion est bonne, car la pénurie de temps m'autorise à faire plus courtement ce que je ne croirai pas avoir bien fait une seule fois, alors même que je le ferais toujours.

  A011001153 

 Certainement, tôt ou tard, quelque changement aura lieu; la chose n'a pas dépendu de moi..

  A011001179 

 Je rends les plus vives actions de grâces au Dieu tout-puissant qui n'a pas permis que notre amitié mesurât ses forces à des efforts suscités par le malheur d'un ami commun.

  A011001181 

 Oui, comme vous l'écrivez d'ailleurs, mon Frère, il est vrai que j'ai répondu à votre précédente lettre sans entreprendre de louer ni de blâmer votre œuvre poétique, car je n'en avais pas encore examiné chaque partie isolément.

  A011001182 

 Qui ne sait, en effet, que des écrits tels que les vôtres ne sortent pas de mon pauvre atelier et que de petits esprits ne peuvent traiter de si grands sujets? Et en vérité, si j'ai énoncé le premier ou rappelé à votre mémoire quelques idées que sans doute vous connaissiez déjà, soit, attribuez-le moi; mais ce ne sont là que des tables rases et brutes qui doivent disparaître sous une peinture si achevée.

  A011001183 

 Pour moi, étant chez nos parents de Sales, au milieu des oiseaux qui chantent le printemps, j'ai admiré et admiré encore dans tous ses détails ce très suave poème, et il ne faut pas que vous ignoriez ceci: je ne crois pas [138] qu'on ait jamais chanté plus belle ode que celle où, avec autant d'esprit que d'élégance, vous rappelez les larmes d'Alexandre le Grand, au point.

  A011001187 

 Vous êtes à peu près le seul qui m'approuviez, mais c'est assez, et voici ma résolution: dans quatre mois, c'est-à-dire mon année achevée, si chacun ne remplit pas fidèlement son devoir en cette affaire, je ne souffrirai plus qu'aucun autre que vous me retienne dans cette charge.

  A011001187 

 [139] Je ne voudrais cependant pas que vous en parlassiez à personne, car, vous le voyez, ces propos pourraient être mal interprétés..

  A011001188 

 Portez-vous bien; aimez, comme vous le faites, votre très humble frère, et s'il vous plaît, saluez en mon nom tous les nôtres, en particulier ma très illustre sœur qui ne m'est pas autrement....

  A011001216 

 C'est pourquoi je ne pense pas avoir besoin d'excuse quand j'ose vous écrire, moi, homme de rien, inconnu et obscur; car vous n'êtes pas également un homme inconnu et obscur, vous qui vous êtes signalé auprès de tous les fidèles du Christ par tant de choses (j'emploie le terme le plus modéré) si bien faites, dites et écrites pour le Christ.

  A011001216 

 Il n'est pas étonnant que celui qui a écrit si souvent à tous les Chrétiens reçoive aussi des lettres de plusieurs, pour cela seul qu'ils sont Chrétiens..

  A011001217 

 Ayant donc su que je n'étais pas à une grande distance de vous, et que nous n'étions séparés, pour ainsi dire, que par le seul lac Léman, j'ai pensé ne point vous être désagréable et m'être extrêmement utile [141] à moi-même, si, ne pouvant m'entretenir avec vous, je vous adressais par lettres, à l'occasion, des questions sur les matières théologiques et sur les difficultés qu'elles présentent, afin de recevoir aussi par lettres vos instructions.

  A011001262 

 Il ne sera pas difficile à Son Altesse d'interdire de nouveau de tels actes à ses ministres et subordonnés, puisqu'une fois déjà elle les a défendus et qu'elle a toujours porté un grand respect à la sainte Eglise.

  A011001262 

 Quant à l'illustrissime duc de Nemours, il n'y mettra aucun empêchement; au contraire, il nous aidera de toute manière, car il est fort timoré et doué d'une grande délicatesse de conscience; il m'a même dit que si le privilège du Saint-Siège Apostolique ne se trouve pas très clair et très positif, il n'en veut point jouir ni s'en prévaloir..

  A011001263 

 Néanmoins je n'ai pas voulu laisser de vous en écrire, afin que Son Altesse ne donnât pas une réponse à son Sénat avant que Votre Seigneurie Illustrissime en fût informée.

  A011001274 

 Je voudrois bien vous salluer avec autre occasion que cellecy, mays les occasions ne sont pas en nostre pouvoir; elles viennent, nous ne les allons pas querir..

  A011001300 

 Je n'ignore pas, mon très doux Frère, que le silence entre nous vous est aussi pénible qu'à moi; aussi je ne viens nullement m'excuser.

  A011001302 

 Quand on calomnie si audacieusement ses proches voisins, que n'osera-t-on pas inventer contre un homme qui se trouve à une si grande distance?.

  A011001318 

 Je ne suis pas cependant privé de tout espoir; aussi, en apprenant que la chose se passe plus facilement, je m'en félicite beaucoup pour vous et pour moi.

  A011001318 

 N'avais-je pas raison de vous dire, mon Frère, que je ferais en sorte désormais qu'il ne fût plus question de silence entre nous? Comme au milieu de nos gens de Thonon, je puis à peine vous écrire une fois par mois, je vous écris maintenant de ma maison paternelle [156] de Sales, par Coquin, avec d'autant plus de plaisir que je viens de recevoir des nouvelles un peu meilleures de nos affaires.

  A011001318 

 Puisque notre siècle est si infortuné, on s'accoutume à tenir pour heureux tout ce qui n'est pas absolument malheureux.

  A011001334 

 Ils avaient un si grand désir d'entendre de moi l'exposé de la croyance des Catholiques et leurs preuves touchant ce mystère, que n'ayant osé venir publiquement, crainte de paraître oublieux de la loi qu'ils se sont imposée, ils m'entendirent d'un certain endroit où ils ne pouvaient être vus, si toutefois la faiblesse de ma voix n'y a pas mis obstacle..

  A011001335 

 Ils savent bien que ces espèces de rodomontades les invitent à descendre dans l'arène, en sorte que s'ils ne venaient pas ils seraient tenus pour gens tout à fait pusillanimes, qui redouteraient de se mesurer avec la religion catholique, même quand elle est défendue par je ne sais quel homme de rien..

  A011001354 

 Quant à la première dont vous me parlez, et à celle du P. Possevin, qui avaient été confiées à notre Portier, [160] je n'en ai pas entendu souffler le moindre mot jusqu'ici.

  A011001356 

 Seul, un pauvre ministre insensé ayant lu que vous nommez « heureuse la faute qui nous a valu un tel et si grand Rédempteur, » s'est écrié comme un homme tout à fait stupide et extravagant: « O blasphème! ô athéisme! ô Papisme! » Mais avec toute la modération possible, j'ai, par un tiers, remis à la raison cet effronté, car lui-même n'a pas encore osé en venir aux mains avec moi..

  A011001357 

 Son désir serait, si j'ai bien compris, que je vous les fisse parvenir pour vous féliciter non pas en son nom, mais au mien.

  A011001379 

 Ma réponse ne sera pas beaucoup plus longue, parce que je dois composer mes sermons de demain, et le temps presse.

  A011001392 

 Je n'ose reprendre Calvin ni Beze en façon que ce soit, la ou ilz sont imposteurs et blasphemateurs, que chacun ne veuille sçavoir ou ce que je dis se trouve; dequoy j'ay desja receu deux affrontz que je n'eusse pas eu si ne me fusse pas fié aux citations des livres qui m'ont faict faute.

  A011001393 

 Je ne pense pas que Sa Sainteté refuse.

  A011001394 

 Ce pendant je ne lairray pas de solliciter vers Monseigneur de Geneve affin qu'il procure vers Monseigneur le Prince, de son costé, a ce qu'il soit prouveu a ces pauvres ames tant desolees et affligees, avec toute la charité qu'il sera possible..

  A011001395 

 Je ne laisse pas d'estre tres humble en l'affection que j'ay de vivre et mourir.

  A011001414 

 Apres cela, dresser une compaignie de gens d'armes ou cavallerie pour engager la jeunesse, suyvant l'advis de feu monsieur le baron d'Hermance, pourveu qu'elle fut dressëe religieusement, avec quelques institutions chrestiennes, ne seroit pas un moyen inutile d'attirer les courages a la religion; ny aussy, en cas d'obstination, de priver a forme des edictz de tous offices de justice et charges publiques les persistans en l'erreur.

  A011001460 

 Et moi aussi j'aurais raison de me plaindre de cette année dont le début m'a mis et remis en tourment par toutes sortes de courses, au point de ne pas me laisser, pour ainsi dire, deux jours de tranquillité de suite.

  A011001460 

 Je l'avoue sans peine, très aimable Frère, vous avez sujet de vous plaindre de moi, car vous n'avez pas encore, cette année, reçu de ma part la moindre lettre.

  A011001461 

 Je l'ai vu lire et relire attentivement cette lettre où il était question de moi, et grâce à elle, vous auriez semblé partager notre causerie, si, en nous entretenant de vous, nous n'eussions dit des choses que votre modestie n'eût pas souffert être dites en votre présence..

  A011001461 

 Quant à moi, ne voulant pas m'enfoncer dans un buisson d'épines [177] sans rose (car ce n'était pas la malheureuse cité qui m'attirait pour se faire admirer, c'était la présence de cet homme qui seul a pour moi plus d'attraits que la foule), et afin de compenser en quelque sorte la perte que j'avais faite de vos embrassements, j'allai chez nos parents à Sales.

  A011001462 

 Comment? Je vous ai entendu dire si souvent et sérieusement que votre ardent désir était que votre nom fût écarté le plus possible de la bouche et de l'oreille des princes, et voici que je vous vois dans la plus grande [178] joie parce que vous avez appris que notre prince manifestait parfois dans ses paroles de magnifiques sentiments à mon égard! Et moi au contraire, mon Frère, je considère aussi bien que vous, comme le plus heureux le parti choisi par notre Genand, dont vous me dites plus loin envier le bonheur, ou plutôt essayer de ne pas l'envier.

  A011001463 

 Une chose pourtant m'intéresse: je ne voudrais pas que Chavent, le secrétaire du prince, me crût ingrat.

  A011001464 

 Cette œuvre est, en effet, plus élevée et plus profonde que la première; d'ailleurs, c'est dans l'ordre de ne pas toujours descendre des plus hauts degrés aux plus bas, mais de monter parfois des degrés inférieurs aux degrés supérieurs..

  A011001464 

 Quant au poème sur les mystères de l'Eucharistie, je ne vois pas pourquoi vous ne pourriez le dédier à l'Evêque.

  A011001465 

 C'est la faute d'un serviteur qui l'a oublié, [180] quoique je lui eusse donné la liste de ce que je voulais emporter; mais je prendrai mes mesures pour que votre attente ne soit pas trop longue.

  A011001465 

 Je n'ai pas apporté avec moi le chapitre sur l'accord discordant des hérétiques entre eux.

  A011001476 

 Mon insuffisance ne me despleut onques tant qu'elle fit quand je vis avanthier la lettre que vous aves daigné m'escrire; car j'eus tant d'honte de me voir si peu de chose au pris de l'opinion que Son Altesse, de sa bonté, en a conceu et qu'avec son authorité il m'a faict valoir vers Monseigneur le Nonce, que l'honneur lequel j'en reçois ne m'en peut pas relever..

  A011001561 

 Et moi, persévérant dans la soumission que je dois à Votre Seigneurie, je ne manquerai pas de lui donner avis dans la suite de certaines choses importantes pour le bien spirituel de ce diocèse et des autres de la Savoie..

  A011001588 

 Je n'avais d'ailleurs ni loisir ni courrier, et, je l'avouerai naïvement, pas même de courage, étant pour ainsi dire préoccupé à chaque instant de mon départ, tant nous croyons ce que nous souhaitons..

  A011001589 

 Si le prince vient, j'accours aussitôt vers vous; si, ce qu'à Dieu ne plaise, il ne vient pas, je ne manquerai pas de me détourner de mon chemin, s'il m'est possible, pour me rendre auprès de vous.

  A011001622 

 Et pour ce qui est des bénéfices, je ne crois pas expédient de les rendre à ceux qui précédemment en avaient été pourvus, même par Sa Sainteté, à moins qu'ils ne mettent à leur place d'autres prêtres capables.

  A011001638 

 Or, Monsieur, c'est chose vostre, que je ne vous dois pas recommander si je ne vous estois tant serviteur que je suis..

  A011001638 

 Que si l'occasion se praesentoit, je voudrois bien sçavoir s'il leur sera point demeuré de scrupule, car il est mal aysé a personnes qui ne sçavent pas poiser la fermeté de la vraÿe Eglise de demordre ainsi tout a coup.

  A011001639 

 Je languis en ceste si longu'attente de Son Altesse, laquelle ne venant pas ceste prochaine semayne, comme on prætend, je retourneray a Thonon pour l'attendre.

  A011001677 

 Il se persuada pour cette raison qu'il n'aurait pas été cru facilement; aussi laissa-t-il d'en parler davantage.

  A011001677 

 Mais, d'après ce qu'il m'a dit, on l'a prévenu qu'il ne manquait pas de gens à cette cour pour calomnier sa conversion à la sainte Eglise, et mon intention dans [202] ce peu de fatigues que j'ai soutenues.

  A011001678 

 Que si, comme il convient, on donne promptement des ordres, je reviendrai sûr et certain de voir bientôt mûrir une heureuse moisson de plusieurs milliers d'âmes; si au contraire on ne les donne pas, je demanderai votre bénédiction et la permission d'abandonner cette entreprise à d'autres plus capables que moi.

  A011001679 

 Quant aux calomniateurs, j'espère qu'à la fin on connaîtra, et Dieu [203] le sait, combien en ceci je suis libre de toute ambition, et que, par ces quelques travaux, je ne cherche pas à être bien vu de mes supérieurs, sinon autant qu'il le faut pour remplir cette mission et d'autres semblables.

  A011001680 

 J'écrivis dernièrement à Votre Seigneurie au sujet de la conversion de M. d'Avully, et je vous en rendrai un compte plus particulier encore; car vraiment ce n'est pas seulement à lui et à moi, mais c'est au général de la mission, que ces médisants portent un grand préjudice.

  A011001711 

 Ne sachant de quel côté me tourner, je supplie humblement, pour l'amour de Dieu, Votre Seigneurie de ne pas permettre que l'Avent s'achève sans que je voie Notre-Seigneur rentrer en ces contrées.

  A011001712 

 Qui sait si Dieu ne veut pas que la paix spirituelle soit la préparation et le fondement de la temporelle?.

  A011001737 

 Les affaires m'assiégeaient de toutes parts, à tel point que, je vous le dis en parfaite sincérité, je ne me suis pas appartenu un seul instant à Annecy.

  A011001737 

 Vous serez étonné, mon Frère, et avec raison, que j'aie pu passer huit jours à Annecy sans vous donner de mes lettres; mais ce n'a pas été sans vous donner de mes pensées, car vous êtes perpétuellement présent à mon esprit.

  A011001752 

 Je vous escris avec cest'asseurance que le peu de loysir et de commodité que j'ay ne vous empechera pas de croire a bon escient que vous n'aves point de parent qui soit plus vostre affectionné que je suis..

  A011001801 

 En outre, cet héritage est contesté, le procès n'est pas terminé.

  A011001801 

 Je supplie donc très humblement Votre Seigneurie de vouloir bien écrire à qui de droit, afin que ces si pauvres petites églises de notre pays ne soient pas privées du secours qui peut leur revenir de ces legs.

  A011001801 

 L'autre, que si les susdits curés ont été dans une ignorance crasse, ce n'est pas aux paroisses ni aux églises à en subir le dommagé et la peine.

  A011001801 

 L'on doit aussi avoir égard à la calamité qui a jusqu'ici fermé les passages d'Italie; ces curés de campagne n'étaient pas obligés à des démarches pour obtenir des passeports de Son Altesse, car ainsi ces legs auraient été consumés en dépenses qu'ils ne sont pas en mesure de faire.

  A011001801 

 Les administrateurs de cette fabrique, voyant que ces legs n'ont pas été payés au temps marqué, prétendent les retenir.

  A011001801 

 Or, il existe à Rome, à ce que l'on dit, un décret d'après lequel les legs pour oeuvres pies qui ne sont pas acquittés dans le cours de l'année, doivent être appliqués à la fabrique de [Saint-Pierre de] Rome.

  A011001802 

 Je ne laisserai pas de la prier en toute humilité de poursuivre, avec son zèle accoutumé, les instances auprès du duc pour la restauration spirituelle de cette province du Chablais.

  A011001803 

 Je n'ai pas encore été à Annecy à cause des soupçons de peste, bien qu'en ce moment il n'y ait aucun cas de cette maladie.

  A011001822 

 Plaise au Dieu très bon et très haut que nos péchés ne ruinent pas l'espoir d'une telle félicité!.

  A011001823 

 Mais un si fidèle disciple de la Croix n'a pas besoin d'exhortation sur ce sujet.

  A011001856 

 Un certain nombre sont catholiques depuis que Son Altesse a passé ici; beaucoup, contraints par la force et par la violence des armées ennemies, sont relaps au for extérieur seulement; quantité d'autres sont indifférents, ne sachant pas même à quelle religion ils appartiennent, et tous sont sans pasteur comme des brebis errantes.

  A011001859 

 Mais je ne laisserai pas de vous dire que l'ennemi ne manque point de diriger contre ce chevalier tous les assauts possibles, afin d'obscurcir l'éclat qu'a eu sa conversion; il suscite contre lui beaucoup de haines, tant de la part des hérétiques que de celle des Catholiques.

  A011001860 

 Je vous prie de me pardonner si elle n'est pas bien rédigée, soit parce que je m'acquitte pour la première fois de semblable commission, soit parce que je n'ai pu avoir de secrétaire capable.

  A011001860 

 Mais, à ce que je vois, cette information ne sera pas très nécessaire, puisqu'on va donner l'abbaye à un autre.

  A011001860 

 Néanmoins, la visite apostolique ne laisse pas d'être nécessaire à ces abbayes et à d'autres lieux de Savoie, car, si je ne me trompe, pour remédier à de tels dérèglements il est besoin d'une autorité supérieure à celle d'un simple prélat..

  A011001861 

 Je ne crois pas que Sa Sainteté puisse faire chose plus avantageuse [223] à cette contrée que d'y envoyer un Visiteur apostolique.

  A011001874 

 Je ne puis sçavoir avec quel fondement ilz se sont osés produir'en cest affaire, puysqu'on ne violoit point le traitté de Nion; et, quand on l'eust violé, ce n'estoit pas a eux d'y prouvoir.

  A011001912 

 J'ai préféré vous écrire ainsi à la hâte, plutôt que de ne pas vous avertir de nos besoins.

  A011001939 

 Le seigneur chevalier Bergere, connoissant bien que l'assignation des six pensions que l'on a faicte sur les revenus de la Religion de Saint Lazare ne peut pas joindre a l'œuvre de la reduction de ces peuples a la foy catholique, a trouvé raysonnable la proposition que je luy ay faicte que la Religion rendist absolument les cures a cest effect.

  A011001939 

 Monsieur de Lambert ayant receu advis que Vostre Altesse avoit agreable qu'il eust secouru le ministre qui se veut catholizer n'a pas osé tirer consequence de la pour la continuation de ce bienfaict, qui me faict supplier Vostre Altesse de la luy declairer.

  A011001966 

 Puisque M. le chevalier Bergera s'en retourne, je n'ai pas besoin de vous renseigner sur ce qui a été établi ici, par ordre de Vos Seigneuries Illustrissimes, à l'honneur de Dieu et pour la propagation [232] de la sainte foi catholique.

  A011001968 

 Et pour cette proposition je n'ai pas besoin d'autre intercesseur, puisqu'elle est si raisonnable et que le zèle et la justice de Vos Seigneuries ne se démentiront pas en cette occasion.

  A011001992 

 A la vérité, lesdites lettres me parvinrent le jour même où j'expédiai les miennes; mais j'attendais mon retour ici pour y répondre, et à mon retour j'attendis de jour en jour la mise à exécution de l'ordre donné pour les six curés, ce qui n'a pas encore été fait jusqu'à présent: telle est la raison pour laquelle j'ai tant tardé à vous écrire.

  A011001992 

 Je vois par votre dernière lettre du 4 février que Votre Seigneurie Illustrissime s'étonnait de ce que lorsque je lui écrivis la dernière fois le 27 janvier, je n'avais pas encore reçu ses deux dernières lettres du 4 et du 6.

  A011001993 

 Quoi qu'il advienne, soit que cette conférence se fasse ou qu'elle ne se fasse pas, je supplie Votre Seigneurie d'employer son autorité afin que cette année nous ayons ici [236] en Chablais le P. Chérubin et le P. Esprit, du même Ordre.

  A011001994 

 De même, je ne vous ai point encore parlé des [238] trois cents écus destinés à couvrir les dépenses faites jusqu'ici, vu que le paiement n'en est pas achevé.

  A011001994 

 Il a encore voulu que j'en écrivisse à Son Altesse et au Conseil des Chevaliers, ce que j'ai fait pour ne pas négliger de mon côté le peu qui est en mon pouvoir.

  A011001994 

 Il m'a pressé de vous communiquer cette proposition, ce que je fais très volontiers, la jugeant juste et très utile à cette entreprise; car il ne faut pas que nous ayons à devenir courtisans et pensionnaires des Chevaliers, ce qui, s'il m'est permis de le dire, serait inconvenant et préjudiciable au fruit qu'on peut espérer.

  A011001994 

 Il voulait aussi m'engager à écrire à Sa Sainteté; mais quant à cela je ne me sens pas le courage de faire voler directement mes lettres si haut, d'autant plus que Votre Seigneurie peut et veut tout ce qui est nécessaire à cet égard.

  A011002019 

 Quant à la première, par laquelle Votre Seigneurie m'ordonnait de revenir ici à Thonon, je n'ai pas à y répondre par écrit, puisque j'y ai répondu de fait en obéissant à votre intention..

  A011002021 

 Je me trouvais alors à Annecy pour quelque affaire, mais je revins aussitôt afin de ne pas causer de retard dans un aussi important service.

  A011002021 

 Or, à mon arrivée, ce gentilhomme me parut si bien disposé, que je dois lui rendre ce témoignage: si tous les membres du même Ordre lui ressemblaient, Votre Seigneurie Illustrissime n'aurait pas été si fort importunée.

  A011002024 

 Au reste, il n'y a ni église restaurée ni autel dressé; nous n'avons pas même des calices, missels et tels autres objets indispensables aux six paroisses.

  A011002024 

 J'en ai parlé au chevalier Bergera; mais n'étant pas chargé de nous délivrer de l'argent à cet effet, il s'est borné à dépenser huit ou dix ducatons pour l'église de Thonon où tout était sens dessus dessous, sans autre ameublement qu'un simple autel de bois, mal fait, qui a été construit pour Noël.

  A011002024 

 Mais afin que messieurs les Chevaliers n'excitent pas la compassion de Sa Sainteté par leur pauvreté prétendue, j'assure Votre Seigneurie Illustrissime que le revenu qu'ils tirent des biens ecclésiastiques de ce bailliage est en moyenne de quatre mille bons ducats..

  A011002025 

 Par un billet de M. de Ruifia, les Chevaliers témoignent désirer que plusieurs curés qui prêtent leur nom à des laïques, possesseurs actuels de certaines cures en ces bailliages, remettent ces cures, s'ils ne sont pas aptes à les desservir, à l'Ordre qui est propriétaire, par concession de Sa Sainteté, des bénéfices des bailliages; et, s'ils ont les qualités requises, qu'ils soient compris au nombre des six curés pensionnés.

  A011002027 

 Nous ne laissâmes pas pour autant d'ériger l'autel, malgré cette opposition, car elle ne se faisait pas du consentement public de la ville, mais seulement par la passion de quelques particuliers....

  A011002055 

 Ce n'est pas la faute dudit chevalier, qui est bon et bien intentionné, mais celle des gens.

  A011002056 

 C'est pourquoi je ne puis appeler des prêtres et des curés, n'ayant pas d'argent à leur donner pour commencer à établir leur résidence dans ce bailliage.

  A011002056 

 Je n'espère donc pas un grand résultat de ces pensions avant la fin du Carême, soit parce que je manque d'argent, soit parce que nous ne pourrions retirer les prêtres des églises où ils sont occupés à entendre les confessions et à exercer d'autres ministères.

  A011002058 

 Dimanche dernier, troisième de Carême, ayant prêché le matin de bonne heure, selon la coutume, dans la paroisse des Allinges, je passai dans une autre paroisse distante de trois milles, appelée Cervens, où je n'avais pas encore été.

  A011002058 

 Votre Seigneurie Illustrissime voit donc la cause pour laquelle les affaires de la religion ne se font pas avec l'ardeur désirable: c'est l'avarice de ceux qui détiennent les biens ecclésiastiques et le mauvais usage qu'ils en font..

  A011002059 

 Je ne veux pas omettre de vous dire que M. d'Avully ayant été jusqu'ici juge du consistoire suprême des hérétiques, ceux-ci prétendaient le récuser ces jours passés.

  A011002072 

 Maintenant je sçai que ces aumosnes se reduysent aux Alinges pour la munition de la garnison; mays je ne laisseray pas pour cela d'oser supplier Vostre Altesse quil luy plais'ordonner que, d'une si grande quantité, quattre ou cinq muys en soyent appliqués a ces pauvres gens vieux et a un autre qui, estant encores de bon aage, ne laisse pas d'estre pauvre et, moyennant cest'aumosne, pourra servir au clocher pour les Catholiques..

  A011002074 

 Les gens du consistoire supreme de ce balliage taschent de lever a monsieur d'Avully la judicature qu'il y tient de Vostre Altesse; mays puysque ce consistoire n'est que pour la correction des meurs et qu'il n'en est faitte aucune mention au traitté de Nion, a ce que j'ay peu apprendre, comm'on ne perd pas le jugement pour se faire catholique, aussy n'en devroit on pas perdre la judicature, specialement quand elle depend de la volonté de Vostre Altesse, pour la santé de laquelle je ne cesseray de prier Dieu nostre Seigneur, comm'ayant ce bien [de] me pouvoir et devoir dire,.

  A011002105 

 Je crois que tous ceux à qui j'ai confié des lettres pour être présentées à Votre Seigneurie Illustrissime rivalisent entre eux pour me faire paraître très négligent, puisque, d'après ce qu'on me dit, M. le chevalier Bergera n'est pas encore parti de Chambéry, et on laisse assez de temps à ce gentilhomme qui devait se mettre en route la semaine dernière, pour me permettre d'ajouter ceci à mes lettres précédentes..

  A011002106 

 J'ai reçu cent florins des pensions et pas davantage.

  A011002139 

 Je supplie très humblement pour l'amour de Dieu Votre Seigneurie Illustrissime de daigner me pardonner si elle n'a pas reçu de mes lettres aussi souvent qu'Elle le souhaitait; le peu de facilité que nous avons ici, moi surtout, d'en envoyer à Chambéry ou à Aoste en a été la cause principale.

  A011002140 

 Je crois que cet arrangement serait avantageux; mais je ne voudrais pas que les Chevaliers eussent le droit de patronage sur ces cures: ce serait ruiner le concours, et, avec le temps, on verrait des nominations peu avouables.

  A011002140 

 Pour dire ce que je crois, les paroisses étant très étendues, ils doivent avoir une pension convenable, suffisant à leur entretien [257] et à celui d'un vicaire qui les seconde, en sorte qu'ils puissent remplir leur ministère avec bienséance, et qu'ils n'aient pas à exiger des aumônes pour les confessions, sépultures, Messes et autres choses; car si cela est peut-être licite, toutefois il n'est en aucune manière expédient.

  A011002142 

 Je dirai ingénuement mon avis: Sa Sainteté ne pourrait faire mieux que de laisser toute autorité et liberté d'action en cette affaire et en d'autres semblables à Votre Seigneurie et à M gr notre Evêque, puisque [259] cette guerre doit se diriger par l'œil et non par l'oreille; car bien souvent les occasions se présentent et passent sans retour pour ceux qui ne savent pas les saisir.

  A011002144 

 Cependant il me semble qu'on ne devrait pas se limiter à ce petit nombre, mais l'augmenter d'autres encore si les âmes en avaient besoin, car en ceci je ne vois pas qu'il puisse y avoir aucun abus.

  A011002144 

 Quant aux Pères Jésuites, je voudrais le P.Jean Saunier, un des premiers qu'ils aient envoyés ici, et un autre qui a prêché ce Carême à Rumilly, mais dont je ne me rappelle pas le nom.

  A011002145 

 Je dis en vérité que cent écus par tête sont nécessaires, parce qu'il faudra à chacun un compagnon, et [261] à ceux qui ne sont pas Capucins il faut encore un cheval pour aller d'un lieu à un autre; mais les cures fourniront à cette dépense, pourvu qu'elles nous soient cédées, jusqu'à l'établissement des curés.

  A011002157 

 Le ministre qui se veut catholiser et s'y dispose de plus en plus fut secouru de quelque peu de bled par monsieur de Lambert, et Vostre Altesse declaira l'avoir aggreable; mais monsieur de Lambert n'a pas osé en tirer consequence qu'il failloit continuer, qui me faict encor supplier Vostre Altesse de le luy faire entendre..

  A011002191 

 Comme je l'écrivais à Votre Seigneurie Illustrissime, je n'ai encore reçu pour les curés que cent florins et trente coupes de froment, dont je rendrai bon et fidèle compte afin que les Chevaliers sachent que notre pauvreté ne recherche pas leurs biens pour s'enrichir et devenir opulente.

  A011002192 

 Je ne veux pas manquer de vous recommander l'affaire de la prébende d'Abondance que l'on a coutume d'appliquer au P. Prédicateur d'Evian.

  A011002228 

 Comme ce Religieux devait se rendre à ce qu'ils appellent le Chapitre général de leur Ordre, lequel se tenait à Rome, nous avions convenu que, pour lui, il traiterait de toute cette affaire en présence de Votre clémente Béatitude, et qu'il vous prierait de ne pas refuser (si toutefois ce bruit de conversion se réalisait) votre bienveillance apostolique à cet hérésiarque rentrant au bercail.

  A011002229 

 J'ai dû mettre Votre Béatitude au courant de toute cette affaire, car je ne voudrais pas passer pour négligent ou peu attentif à exécuter les ordres qui m'ont été transmis, soit par les Lettres Apostoliques de Votre Clémence, soit par la bouche du P. Esprit..

  A011002230 

 Et d'ailleurs, si le roi faisait quelques efforts plus pressants afin d'obtenir que la république de Genève accordât dans cette ville même ce qu'ils appellent liberté de conscience, il ne serait pas tout à fait improbable qu'il y réussît.

  A011002230 

 Et puisque votre bonté si grande m'y autorise, je ne veux pas manquer l'occasion de vous dire que les populations hérétiques jusqu'ici, qui de tous côtés environnent Genève, celles des pays qu'on nomme bailliages de Gex et de Gaillard, demandent avec les plus humbles prières, le rétablissement de la foi et du culte catholiques afin de pouvoir vivre en catholiques.

  A011002230 

 J'ai entendu bon nombre d'hommes de ces pays se plaindre chaque jour de ce qu'étant [270] catholiques, ils sont empêchés par la tyrannie de la république de Genève de remplir leurs devoirs de catholiques, d'autant plus que cette république opprime ces peuples non pas en son nom, mais au nom du très chrétien roi de France.

  A011002230 

 Le roi connaît-il cette tyrannie que l'on fait peser sur les consciences catholiques? Ce n'est pas probable, puisque tout récemment il a poursuivi avec tant d'ardeur sa réunion à l'Eglise Catholique.

  A011002230 

 Si j'ai osé présenter à Votre Béatitude ce trop long exposé, [271] c'est que je n'ignore pas quel zèle Sa Clémence apporte à restaurer la discipline chrétienne, et que, dans les conditions de cette vie mortelle, on ne peut apprendre ce qui se passe au loin que par ceux qui sont présents..

  A011002286 

 Ceux de Genève poursuivaient fort pendant ce Carême pour qu'elle se fît; mais ne pouvant tirer des nôtres une réponse précise, que nous n'étions pas à même de donner, il me semble qu'ils se sont un peu refroidis.

  A011002286 

 N'importe: si elle a lieu, elle sera fructueuse, et [275] si c'est par leur faute qu'elle ne se fait pas, ce sera glorieux pour la cause catholique.

  A011002287 

 J'écris à Sa Sainteté sur le sujet que Votre Seigneurie verra; je vous envoie à cet effet la lettre sous cachet volant, en vous priant de la fermer aussitôt après l'avoir lue, afin que personne autre ne la voie, parce qu'il est très important pour moi que l'on ne sache pas d'où viennent les avis qu'elle contient.

  A011002288 

 Plût à Dieu qu'il eût aussi l'inspiration de demander la même liberté pour la ville de Genève, ce que peut-être il ne serait pas impossible d'obtenir en traitant l'affaire un peu énergiquement.

  A011002289 

 Ces fêtes, les nouveaux Catholiques m'ont lassé par leurs confessions générales; mais j'ai éprouvé une immense consolation de les voir si pieux, M. d'Avully à leur tête, lequel n'a pas manqué une seule occasion de donner le bon exemple.

  A011002304 

 Cecy n'est pas un petit scandale.

  A011002305 

 Aussy ne dois je pas oublier la necessité du lieu ou je suis.

  A011002305 

 Ilz respondirent que Vostre Altesse ne leur en avoit donné d'advis, et que quand il l'auroit fait ce seroit autre chose, et qu'au reste ilz ne m'en croyoient pas.

  A011002305 

 Sur quoy les bourgeois dirent que Son Altesse ne vouloit pas quilz traittassent avec nous.

  A011002306 

 Je ne lairray pas encores de remettr'en memoyre a Vostre Altesse la pauvreté du ministre qui se recatholise, duquel je luy ay ja si souvent escrit, qui ne peut estre secouru d'ailleurs, et celle de ces set ou huict personnes catholiques qui sont en extreme disette, pour lesquelz aussy j'ay ci devant supplié a Vostre Altesse, affin que quattr'ou cinq muis des aumosnes de Ripaille et Filly leur soyent appliqués en pension leur vie durant, qui ne peut plus guere durer puysque ce sont presque tout gens vieux; et ces aumosnes ne touchent en aucune façon la Religion de Saint Lazare.

  A011002348 

 Il y fut installé depuis peu, et avait jusqu'à présent fort bien rempli sa charge; mais, n'ayant pas de quoi vivre, il est [283] contraint de laisser la paroisse sans pasteur.

  A011002349 

 Je vous prie instamment de ne pas les égarer, afin que je puisse m'en servir contre ceux qui trouveraient mauvais que je m'entremette en tant de choses.

  A011002351 

 Mais un des plus obstinés de la ville, s'apercevant que l'issue de la dispute ne pouvait être à l'honneur du ministre, l'entraîna de force hors de la place, disant que Son Altesse n'entendait pas qu'ils traitassent avec nous des choses de la religion.

  A011002351 

 Or, comme nous répliquions que néanmoins nous n'étions pas venus en ces pays dans un autre but, plusieurs entre autres repartirent que je ne saurais le prouver, et qu'au reste ils refusaient de me croire là-dessus, mais que si Son Altesse leur signifiait son intention, ce serait autre chose..

  A011002352 

 Voilà l'excuse d'un petit nombre d'obstinés de la ville (dans la campagne nous n'avons pas ces difficultés), lesquels ensuite, par divers moyens et sous divers prétextes, empêchent les autres de se [287] convertir.

  A011002397 

 A la vérité, l'Abbé ne serait pas trop chargé d'avoir deux prédicateurs à son compte; il me semble, au contraire, qu'il le serait bien davantage s'il ne les avait pas..

  A011002397 

 L'Abbé d'Aulps, lequel n'y est pas si fort tenu, donne une pension [292] entière pour l'école des enfants.

  A011002397 

 Le prédicateur actuel est un homme de grand mérite; quoiqu'il soit vicaire général de la province Gallicane de son Ordre, il n'a pas laissé néanmoins cette année de prêcher l'Avent et le Carême, et quand il sera déchargé de son office il ferra encore plus de bien.

  A011002397 

 Quant à l'autre prédicateur que l'Abbé dit être obligé d'entretenir dans son abbaye, je crois que cela doit se faire, mais je sais et je crois que cela ne se fait pas.

  A011002397 

 S'il n'est pas allé à Abondance, ce sera sans doute ou parce qu'il n'aura pas été invité, ou parce que la cessation de la prébende aura précédé la cessation des prédications.

  A011002399 

 Qu'il s'efforce tant qu'il voudra d'insinuer de semblables opinions; pour moi je suis sûr de convaincre du contraire par des effets: c'est-à-dire, qu'en cela ni en chose quelconque je n'use point de mensonge ou d'artifice auprès de Votre Seigneurie, et que je ne demande pas un seul denier des revenus de son abbaye.

  A011002399 

 Quant à l'opinion que M. l'Abbé prétend donner si gratuitement à Votre Seigneurie Illustrissime, qu'en général il ne faut pas se fier aux Savoyards, je la regarde comme une impertinence telle qu'elle ne mérite pas de réponse.

  A011002401 

 Depuis vingt jours Monseigneur est au lit très malade; il a reçu pendant ce temps deux lettres de Votre Seigneurie, l'une le 26, l'autre hier par M. le chanoine Floccard, et regrette beaucoup de n'avoir pu vous répondre, parce que le médecin n'a pas voulu le lui permettre.

  A011002401 

 Il espère néanmoins recouvrer un peu de force et vous donner, dans quelques jours, pleine et entière satisfaction au sujet de vos lettres [296] et de celles de M. Giustiniani, lequel n'est certainement pas bien informé des affaires de ce pays ni des comptes de Monseigneur son oncle.

  A011002402 

 Il est bien vrai que la prévôté n'a pas un liard de rente et le canonicat que l'on donne au Prévôt ne rapporte en moyenne que soixante écus par an; j'estimerais donc plus [297] avantageux d'être un curé renté, que d'être un pauvre Prévôt, n'était l'espoir de notre retour à Genève, lequel soutient encore maintenant plusieurs docteurs distingués et nobles qui ont appartenu à notre Eglise.

  A011002402 

 Plusieurs de mes amis, même spirituels, m'engagent à me prévaloir de cette occasion, car nous n'en avons pas de meilleure dans ce pays.

  A011002404 

 Je ne sais pas encore s'il aura plu à Sa Sainteté d'accorder à MM. Grandis et Roget, docteurs en théologie, la permission de lire les livres défendus; mais je sais bien que, sans cette permission, il ne faut pas se mêler de prêcher parmi les hérétiques.

  A011002436 

 Au sujet de ce qui a été promis par les Chevaliers, il est vrai que le chevalier Bergera obligea les fermiers en ma faveur; mais il est vrai aussi que j'ai protesté ne point vouloir plaider avec ces gens, qui sont tous habitants de Thonon; et il ne faut pas que ceux qui tâchent de les convertir aient ces démêlés avec eux, surtout en des temps si calamiteux, et en des pays où tout le monde est pauvre..

  A011002437 

 Du reste, il a suffisamment dépensé de son bien et de celui de ses amis dans la mission du Chablais, pour qu'on ne lui reproche pas ce bénéfice..

  A011002437 

 Sur les cinq je n'en connais qu'un qui ne soit pas molesté [302] par les Chevaliers mêmes, et celui-ci n'en a pas tiré un seul liard parce qu'il en a été empêché par les Genevois.

  A011002437 

 Toutefois, il me semble que MM. les Chevaliers ne doivent pas, sous de vains prétextes, retarder cette œuvre et dire que presque toutes les cures sont entre les mains des ecclésiastiques; car il n'y a pas cinq prêtres qui jouissent paisiblement de ces bénéfices.

  A011002439 

 S'il est vrai, je ne voudrais pas importuner inutilement Votre Seigneurie; j'attendrai donc pour vous supplier à ce sujet la décision de Rome à l'égard du prétendant..

  A011002449 

 Et sachant que cest heur de comparoistre en vostre memoire en une si honnorable occasion ne peut partir que de la bonté de Vostre Altesse, qui aura peut [être] esté persuadëe qu'il y aye quelque suffisance en moy, proportionëe a ceste sienne faveur, je rougis d'honte d'en estre tant indigne, et loue Dieu neanmoins qui a donné a Vostre Altesse ceste resolution de vouloir procurer des bons pasteurs a vostre peuple; car encores que je soys le plus indigne de tous ceux qu'elle pouvoit se reduyr'en souvenance, si [306] est ce que l'intention droitte de Vostre Altesse ne laisse pas d'en estre tres recommandable..

  A011002492 

 Annemasse est une paroisse de la campagne, à trois milles de Genève, où il n'y a pas moyen de loger quatre personnes.

  A011002541 

 J'espère que Sa Sainteté ne verra pas de difficulté en cela; mais Son Altesse m'a dit en particulier que cette affaire doit être traitée sans en souffler mot à M. Arconato, son ambassadeur auprès de Sa Sainteté, parce qu'il s'y opposerait en vue de son intérêt personnel.

  A011002550 

 Les médecins, qui ne trouvent pas bon que j'écrive, m'ont obligé à me servir de la main d'autrui.

  A011002557 

 Je crois que Vostre Altesse se resouviendra que l'annee passee, appres plusieurs declarations de la bonne intention qu'elle avoit de prouvoir a l'entretenement des gens d'Eglise qui seroient emploiés pour le service de Dieu au duché de Chablais, messieurs les Chevaliers de Saint Lazare promirent en fin finale a Monseigneur le Nonce de donner chasque annee six pensions pour autant de gens d'Eglise; mais pour ne se forcer pas de premier coup, ilz ne firent ceste premiere annee la que la moytié de ce quilz avoient promis, qui fut cause de reduire les six a troys.

  A011002572 

 La cloche n'est pas si legere qu'elle semble; car ilz sçavent faire valoir la moindre chose qu'on leur accorde pour contrister les bons Catholiques..

  A011002572 

 Leur presche ne se fait pas en ceste eglise la ni en la ville, car il leur est defendu; pourquoy leur permettra on de le sonner la ou ilz ne le disent ni peuvent dire? Une cloche ne peut servir a Dieu et a Belial.

  A011002601 

 Ayant traité en particulier avec Bèze, La Faye, Perrot, Beauchâteau et autres principaux ministres, je ne vois pas qu'il y ait grand péril.

  A011002601 

 Du reste, ce n'est pas chose nouvelle d'inviter les hérétiques à des disputes, puisque les ministres du Vivarais et du Languedoc y ont été invités fort souvent par le collège de Tournon.

  A011002601 

 Quant aux disputes, j'ai la ferme confiance qu'elles apporteront une très grande édification, malgré toutes les raisons qui sembleraient contraires; car, ou les hérétiques ne viendront pas, et alors la victoire nous demeurera, ou bien ils viendront, et dans ce cas, nous [323] prouverons que la raison et la vérité sont de notre côté; nous aurons de plus le grand avantage de nous tenir sur la défensive et de pouvoir, en répondant, faire de petites exhortations.

  A011002612 

 Je les ay asseurés que Vostre Altesse a trop de fermeté et reconnoist trop bien les obligations qu'elle a a la faveur que Dieu luy a fait en ces dernieres victoires, pour vouloir accorder aux Bernois chose qui apportast aucune incommodité au service de sa divine Majesté, et que je ne croyois pas qu'il y eust personne aupres de Vostre Altesse, si mal appris de son zele et sa pieté, qui osast entreprendre d'en faire la proposition..

  A011002647 

 En attendant, le frère du curé défunt jouit du bénéfice, plaidant pour ne pas l'abandonner jusqu'à ce que les expéditions soient arrivées.

  A011002647 

 Il administre même les Sacrements, [328] nonobstant la défense très expresse du Révérendissime Ordinaire, ce qui ne se fait pas sans scandale.

  A011002647 

 Je ne voudrais pas vous occasionner cet embarras, mais votre bonté et la nécessité m'en donnent le courage..

  A011002648 

 J'espérais pouvoir aller bientôt moi-même traiter ces affaires sur les lieux; mais la peste ayant éclaté à Annecy après mon départ, [329] M gr notre Révérendissime Evêque n'a pas voulu en sortir; ainsi je crains beaucoup que nous ne puissions partir de sitôt, faute d'obtenir de la part de Monseigneur les papiers nécessaires.

  A011002653 

 Il a déjà commandé plusieurs fois de les saisir, cette mesure étant justifiée par la promesse que nous avons reçue des Chevaliers; mais les subordonnés font tant de considérations pour ne pas offenser celui-ci et celui-là, qu'ils finissent par offenser grièvement le Seigneur..

  A011002653 

 Nous n'avons presque pas d'autre ami à la cour que Son Altesse Sérénissime, ce qui ne nous sert pas beaucoup puisque ses ordres ne s'exécutent pas.

  A011002653 

 Si on lui obéissait comme on le devrait, nous serions bien plus avancés que nous ne le sommes et, de plus, nous n'aurions pas [332] à causer tant d'ennui à Votre Seigneurie au sujet des pensions.

  A011002690 

 [334] Mais M gr notre Révérendissime Evêque n'ayant pas terminé la quarantaine usitée en temps de peste, n'a pas voulu préparer les écritures nécessaires à ce voyage, ni demander la permission de Son Altesse pour le passage, afin de ne donner aucune alarme au Saint-Père ni à Votre Seigneurie Illustrissime..

  A011002691 

 Je n'ai pas voulu les exposer au danger qui jusqu'ici a été sur les routes, d'autant plus que je croyais de jour en jour pouvoir en être le porteur.

  A011002691 

 Mais maintenant je vois que ces lettres vieillissent; en outre, si le décret de Sa Sainteté touchant la restitution des bénéfices ne nous parvient pas avant la récolte, cette [335] affaire sera retardée jusqu'à l'année prochaine, et Dieu seul sait si nous serons en vie! Pour toutes ces raisons, j'ai donné lesdites lettres à M. le Président afin qu'il les remette à Votre Seigneurie, protectrice de l'entreprise.

  A011002693 

 Les hérétiques publient à chaque instant des livres très pernicieux, tandis que plusieurs ouvrages catholiques demeurent entre les mains de leurs autcurs parce qu'on ne peut les envoyer sûrement à Lyon, et qu'ils n'ont pas d'imprimeur à leur disposition.

  A011002758 

 Si ce n'estoit qu'il m'a tant recommandé que son hoste fut catholique, j'eusse nommé monsieur d'Alemand; touttefois, au pis aller, encor ne seroit il pas mal la, si autrement ne se peut faire.

  A011002759 

 J'ay esté beaucoup deplaisant de ne m'estre pas trouvé icy quand vous y aves esté, pour jouir de vostre conversation et apprendre a sohait de voz nouvelles.

  A011002783 

 Je vous ay bien voulu faire ce mot d'advis, affin que si quelcun de dela desiroit honnorer cest'action de pieté de sa præsence, il ne s'acheminast pas en vain ceste semayne.

  A011002815 

 Les préparatifs nécessaires à cette solennité n'ont pas été faits sans de grandes dépenses, couvertes en partie par les aumônes du Saint-Siège, en partie par celles de Son Altesse.

  A011002816 

 Cela n'arrivera pas sans produire un très mauvais exemple et même sans occasionner un très grand scandale parmi les Catholiques et les [348] hérétiques.

  A011002816 

 Quant aux étrangers, ils ne viendront pas.

  A011002866 

 Leur religion ne merite pas ceste faveur; mais qui sçait si Dieu se veut servir de vostre courtoisie pour les faire penser a leur conscience? Ilz promettent bien quilz n'en seront pas ingratz.

  A011002866 

 Si donq cela ne vous incommode pas beaucoup, je vous supplie tres humblement de le faire.

  A011002868 

 Que Son Altesse ne perde pas cest'occasion de reduire ses peuples en unité de foy; Nostre Seigneur mesprise ceux qui mesprisent le jour de sa visitation..

  A011002928 

 De même encore, nous avons besoin de quelques pouvoirs qui puissent être communiqués, selon les occurrences particulières, à une ou plusieurs personnes; et si nous n'étions pas aussi proches de l'année du Jubilé, je dirais qu'il serait nécessaire pour nous d'obtenir une année de parfait et grand Jubilé..

  A011002929 

 Il n'est pas nécessaire de procéder en ceci selon les formalités ordinaires qui exigent beaucoup de temps, puisque en attendant les âmes rachetées par Jésus-Christ se perdent, et il est très vrai que « le salut du peuple doit être la suprême loi.

  A011002930 

 Malheur à l'homme seul, surtout dans le voisinage des léopards, des ours et des loups! Il faut même, au besoin, vendre les calices et objets précieux non nécessaires aux autres églises, pour faire ces dépenses et nourrir ces âmes affamées, qui autrement sont exposées d'heure en heure à périr, afin qu'on ne puisse pas nous appliquer ces paroles: « Vous avez tué ceux que vous n'avez pas nourris.

  A011002930 

 Où en prendrons-nous? Les curés que l'on aura à placer ici ne doivent pas être des personnes à cinquante ducats; ils doivent avoir un autre ecclésiastique avec eux.

  A011002930 

 Que la bonté de Votre Seigneurie Illustrissime veuille bien me pardonner si, transporté du désir de voir ce glorieux commencement aboutir à une fin plus glorieuse encore, je lui écris avec une si grande liberté et peut-être même trop d'importunité; mais Votre Seigneurie, habituée à recevoir la confidence de mes pensées souvent bien mal exprimées, ne le prendra pas en mauvaise part..

  A011002931 

 Je ne parle pas du P. Chérubin, tellement consolé jusqu'ici, que, n'étaient les fatigues très grandes qu'il ressent, il croirait que Thonon est un paradis, voyant tant de conversions et recueillant en pleine maturité le fruit de ses sueurs..

  A011002932 

 Je ne puis y croire, car il serait trop inconvenant que cette terre maudite reçût la paix par l'entremise du Saint-Siège; je ne puis absolument pas le comprendre.

  A011002955 

 Cette nouvelle inspire une incroyable audace à tous les hérétiques et leur ferme l'entrée à la foi catholique; si elle n'abat pas entièrement le courage des nouveaux convertis, du moins les trouble-t-elle grandement, et nous ôte, aussi bien à moi qu'à mes chanoines, tout espoir de recouvrer les biens ecclésiastiques que les Genevois retiennent par une souveraine injustice..

  A011002956 

 Que, selon la clémence [365] paternelle qu'Elle témoigne à toute la Catholicité et surtout à cette province agitée par tant de maux, Votre Sainteté daigne intervenir sérieusement auprès du roi très chrétien et du sérénissime duc, afin qu'une telle paix ne soit pas accordée aux impies, et qu'ils n'en goûtent point les avantages ceux qui s'efforcent de bouleverser par tant de divisions la paix de l'Eglise; mais que plutôt ils soient contraints de rendre l'honneur à qui ils doivent l'honneur, le tribut à qui ils doivent le tribut, et que, par ce moyen, la paix vienne sur eux en la vertu du Seigneur et par l'autorité du Siège Apostolique que Votre Sainteté occupe si heureusement et avec tant de clémence, et sur lequel nous supplions le Dieu très grand et très bon de vous conserver de longues années pour le bien de son Eglise.

  A011002971 

 C'est autant pour ne pas employer plusieurs moyens là où un seul suffit dans les temps si difficiles où nous vivons, que pour donner occasion à mon procureur, qui n'a pas travaillé inutilement dans le champ du Seigneur, de se délasser par divers pèlerinages des fatigues qu'il a soutenues..

  A011002971 

 Or, parce que l'affaire pour laquelle il est allé à Rome ne pouvait être différée sans un très grand danger, et que je n'avais pas, lors de son départ, tous les documents nécessaires pour un voyage ad limina, j'ai jugé bon de les envoyer maintenant, afin qu'en mon nom il rendit ses devoirs à Votre Sainteté, espérant que Sa Clémence l'aura [367] pour agréable.

  A011003486 

 Entre autres poinctz, n'oubliez pas, sil vous plait, celuy là, que noz heretiques font mestier de nier tout et ne rien dire.

  A011003487 

 Il me souvient de l'y avoir veu autrefois a plein fonds, combien que je n'aye pas a present le livre..

  A011003590 

 Je me doubte fort que la lettre que je vous escrivis la semaine derniere par la voye de monsieur de Crans ne vous aye pas esté rendue, par les dangers de contagion continués et accreus, comme l'on nous dit, du costé de Necy.

  A011003590 

 Je porteray la perte fort patiemment, pourveu que vous croyez que je n'ay pas esté si paresseux d'attendre jusques a present de me conjouir avec vous de vostre heureux retour (car aussy n'estoit elle pour autre), en attendant qu'avec plus de loisir je puisse vous escrire.

  A011003591 

 Je m'asseure que vous n'aurez pas esté moins impatient en l'attente de recevoir de mes nouvelles que moy, en l'attente de pouvoir vous faire part des miennes et d'avoir des vostres, combien que pour ma consolation j'aye veu nostre bon frere, qui m'a bien au long entretenu, et discouru plusieurs particularités de vostre voyage, toutes tres aggreables, mesme celle du françois converti; car elle vise a l'honneur de Dieu premierement, puis au vostre, qui sont les deux plus grandes grandeurs que j'apprehende dans ce monde.

  A011003610 

 Nous sommes de par deça assez asseurés, mais non pas entierement, parce quil y a deux villages ausquelz le mal va encores s'entretenant..

  A011003629 

 Je n'eusse pas laissé partir ces bons villageois sans les charger de mes lettres si j'eusse esté adverty de leur despart; mais la faute n'en est qu'a leur procureur qui m'avoit promis de me les faire voir, ce qu'il n'a fait.

  A011003629 

 Je sçay qu'ilz ont esté depechés a leur contentement, mais non pas sans beaucoup de despence: en quoy peut estre que j'eusse peu leur apporter quelque soulagement, si leur procureur m'en eust parlé avant que l'argent eust esté deboursé, s'estant aussy en cela comporté plus nonchalamment qu'il ne devoit; combien qu'a la verité, en semblables matieres d'argent, si peu de gens ont le credit d'en faire rien rabbattre..

  A011003631 

 J'espere que de nostre court monsieur de Jacob les apportera a son retour; mais ce ne sera pas, comme je croy, avant Pasques, car il fait estat de se treuver a Paris seulement pour le quinziesme du mois prochain, a ce que dit monsieur de Trollioux qui est passé pour luy aller preparer son logis.

  A011003651 

 Estant au plus fort des Meditations poetiques que j'ay commencées despuis quelques jours sur les misteres du tressainct Rosaire, pour faire quelque provision de devotion pour ces bonnes festes, j'ay sceu par monsieur l'advocat Salteur, lequel m'a remis voz dernieres lettres, quil y avoit commodité de vous faire responce par le [419] greffier de Thonon; et a l'instant, sans poser la plume, j'ay seulement changé de papier pour vous faire ce mot, non moins pour accroistre en moy cet esprit de devotion par l'imagination que je conçoy de vostre conversation, que pour vous advertir comme du jour mesme que je receus vostre pacquet, ou, pour ne mentir, du lendemain, je le remis a la poste avec les autres que le Conseil d'Estat depechoit par courrier expres a Son Altesse et soubs une mesme couverture, de sorte que je m'asseure quil aura esté bien et seurement rendu; dequoy je n'eusse pas tant tardé de vous advertir si j'eusse heu la commodité d'un porteur..

  A011003652 

 » Toutefois, je n'ay encor point receu de lettres de Son Altesse, non plus que de Leurs Excellences, tellement que, non sans beaucoup de peine, je suis contraint de dissimuler et ne faire pas semblant que je desire de voir la chose executee, quand ce ne seroit que pour empecher que noz confreres ne vous veullent mal, pour l'asseurance quilz ont que la force de nostre amitié m'attire a ceste resolution autant qu'autre chose quelconque.

  A011003674 

 Je ne treuve pas moins estrange que vous l'empechement que vous font ces messieurs de Tonon, et en ay conferé bien a plein avec monsieur le Gouverneur lequel m'a dit les mesmes raisons lesquelles il a discouru avec vous sur ce sujet.

  A011003694 

 Mais, graces a Dieu, tout va bien puisque vous avez reintegré la Messe en sa possession en un jour si solemnel, quoy que non pas si solemnellement que vous et moy eussions desiré..

  A011003717 

 Je m'asseure que ma lettre ne s'esgarera pas, car je l'ay recommandee fort estroittement; toutefois, parce que peut estre elle ne vous sera pas si tost rendue, je vous en feray par ceste cy un epilogue..

  A011003718 

 Tous ces messieurs treuvent bien fait ce que vous avez fait et monsieur de Jacob encor, avec lequel j'en ay conferé bien au long; et est d'advis, puisque vous avez commencé de dire la Messe a Sainct Hippolite, [424] que vous continuiez; mais il ne treuveroit pas bon que vous y fissiez construire aucuns autelz jusques a ce que vous ayez receu depeches de Son Altesse, pour ne donner point de sujet ou d'occasion de nouveau remuement en un tems si chatouilleux comme est celuy cy..

  A011003719 

 Je me console en l'esperance que j'ay que vostre depeche ne tardera plus gueres, et que vous n'avez pas peu fait par ceste boutee..

  A011003721 

 Mais je n'ay encores point receu des lettres de Leurs Excellences, et croy que monsieur de Jacob a son retour de France, ou il n'est pas encores allé, me les apportera, et que par consequent la chose ira a la longue..

  A011003741 

 Il n'a pas tenu a moy que l'expedition ne s'en soit ensuyvie; mais quoy que j'aye sceu faire, mesme despuis mon dernier retour de Necy, il ne m'a jamais esté possible ny par courtoisie ny par force d'avoir de ce petit homme autre que paroles et vaines promesses.

  A011003760 

 Dieu sçait combien je desireroys de vous y treuver, et pour combien de raisons; mais je prendray bien patience pour quelques jours, pourveu que je sois bien adverty de vostre bon portement, et que la conversation du Pere Esprit vous console parmy tant de travaux que vous continuez de prendre a cultiver ceste barbarie huguenotte, si cultiver se peut dire pour deraciner; mais je parle du terroir, non pas de la semence..

  A011003760 

 Et pour ceste cause, je ne refuse pas d'estre le premier a vous aller au devant, si messieurs du Senat et du Conseil treuvent bon que j'aille prendre possession de mon presidentat, affin qu'a nostre premiere veuë je vous mette un president entre les bras.

  A011003761 

 Quant a la conference, je ne desire rien tant que d'ouir dire le jour auquel elle se fera, et ne croy pas quil y aye presidentat que je ne quittasse pour aller en estre tesmoin; mais je suis bien comme vous, je crains que ces longueurs n'en facent perdre et le goust et l'occasion.

  A011004143 

 Si aultre ne retarde le Legat, il s'y treuvera des mardy prochain en six jours, non compris le mardy, et Nous un peu auparavant, ne le desirant pas moingtz que vous..


12-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XII-Vol.2-Lettres.html
  A012000007 

 Pas être utilisés à des fins commerciales de toute nature!.

  A012000023 

 — Il est urgent que les pouvoirs spéciaux concédés aux missionnaires ne soient pas suspendus pendant l'année du Jubilé.

  A012000045 

 — Ne pas refuser les avances du procureur Chappaz. 62.

  A012000071 

 — Ne pas subtiliser dans le service de Dieu et supporter ses propres imperfections.

  A012000078 

 Ne pas chercher au loin des directeurs à consulter.

  A012000087 

 — Avoir de grandes prétentions au service de Dieu, mais ne pas s'étonner si elles ne peuvent être entièrement réalisées.

  A012000087 

 — Ne pas se préoccuper des dangers à venir.

  A012000118 

 — Promesse de ne pas refuser une conférence avec les Genevois s'ils la demandent. 152.

  A012000120 

 — L'unité de direction ne doit pas nuire à la liberté d'esprit.

  A012000138 

 L'Abbé d'Abondance n'est pas en mesure de fournir une pension à M. Nouvellet.

  A012000142 

 — Le Saint ne veut pas que ses lettres soient communiquées 209.

  A012000155 

 — Il n'est pas possible d'accorder au baron du Villars les bénéfices ecclésiastiques qu'il sollicite pour son fils. 221.

  A012000156 

 Raisons qui ne permettent pas de donner au fils de ce seigneur la cure et le doyenné de Vuillonnex. 222.

  A012000196 

 Quand a la dispense pour nos chanoynes, il l'accorde, pourveu que les chanoynes puyssent servir a leurs cures; mais ce point n'est encores pas du tout bien esclairci..

  A012000198 

 Mays je crois en un mot que tout ce quil ne nous a pas accordé sera renvoyé a Monseigneur le Nonce..

  A012000198 

 Neanmoins, ni Sa Sainteté ne les Cardinaux ne le goustent pas trop, estimant que ceux d'Annessi desirent nostre sejour en leur ville, et quilz nous tiennent en tel pris que toutes villes font semblables pieces comm'est la personne de l'Evesque et son Chapitre, et disent qu'on peut suppleer le fruit de ceste mutation autrement.

  A012000198 

 Quand au remuement de nostre cathedrale, il est encor en suspens, par ce que nostre Cardinal commissaire ne sceut pas dire si Tonon estoit plus pres de Geneve [2] qu'Annessy.

  A012000199 

 Sa Sainteté ne feroit pas une grace, pour petite qu'elle soit, qu'elle ne soit pesee et contrepesee par conseil de Messieurs les Cardinaux, lesquelz, voyans il Santissimo di questo parere, sont aussi eux mesmes d'iceluy.

  A012000200 

 Je crois que vostre bonté aura aggreable nostre petite negociation, quoy qu'elle n'obtienne pas bonnement du tout l'issue de vos saintes intentions.

  A012000200 

 Le seul Cardinal Mathæi estant malade, nous retient encor sans autre [3] response, sinon quil reçoit vostre Visitation et si quid erroris admissum esset in mora, absolvit ad cautelam, et fera droit touchant la prætention que vous aves d'estre mis au nombre des ultramontains pour les termes de vostre Visitation; mais il ni a pas moyen de tirer aucun'escriture de luy, dautant quil ne peut signer..

  A012000221 

 Je vous confesse ingenuement que Dieu n'a pas permis que nous ayons esté confus dans l'examen, quoy qu'en ne regardant que moy mesme je n'attendis que cela.

  A012000255 

 Bien que je ne sois pas encore au terme de mon voyage de retour, ayant été misérablement cloué en cette cour un mois entier, je dois cependant donner à Votre très Révérends Paternité le détail de toutes [7] les faveurs que j'ai reçues en sa considération.

  A012000256 

 Ici à Turin je n'ai pas manqué de saluer M gr l'Archevêque au nom de Votre très Révérende Paternité, pour qui il m'a protesté avoir une grande estime.

  A012000298 

 Il reste que Votre très Illustre Seigneurie, de son côté, ne tarde pas à s'y rendre, afin de terminer ce qui concerne [13] le service de Dieu et des âmes dans ces bailliages de Thonon et Ternier, puisque je vois que Votre très Illustre Seigneurie a été nommée pour assister à l'exécution du Bref du Siège Apostolique..

  A012000369 

 Et même les ecclésiastiques établis de ces côtés n'ont pas les provisions strictement requises à leur entretien; de sorte que si M gr notre Révérendissime Evêque ne les avait charmés par des caresses et de belles paroles, il n'en serait pas resté la moitié.

  A012000369 

 Me trouvant maintenant à Chambéry, je puis écrire à Votre Seigneurie, et lui dire que si bien les affaires de la conversion du Chablais et des autres bailliages ne reculent pas, de même aussi n'avancent-elles pas beaucoup; car le progrès dépend des offices et des exercices du culte catholique qui, faute d'argent et d'autres moyens [17] nécessaires, ne peuvent se faire avec la décence et l'éclat qui seraient convenables dans ces commencements.

  A012000370 

 D'autre part, les Genevois et d'autres ennemis des environs ne [18] manquent pas de s'opposer au progrès de la sainte négociation en répandant des menaces et des bruits de guerre.

  A012000373 

 Il s'agit de pauvres gens qui ont... échangé des promesses de mariage; voulant ensuite en venir a l'exécution, on a découvert qu'ils étaient parents au troisième et quatrième degré, ce qu'ils n'avaient pas su jusqu'alors.

  A012000374 

 Je ne laisserai pas de vous demander encore quelle est l'intention de Sa Sainteté touchant la réforme des monastères de Savoie, œuvre nécessaire autant qu'il se peut dire..

  A012000418 

 C'est pourquoi il est revenu ici pour faire exécuter cette cession aux propriétaires et terminer la négociation; l'ayant heureusement achevée, il part demain pour effectuer son premier dessein, et me laisse ici soit afin de prêcher, puisqu'il n'y a pas d'autre prédicateur, soit pour l'informer de ce qui peut survenir, et servir M gr de Vienne..

  A012000418 

 M. le chevalier Ruffia ne paraissant pas, le Bref de Sa Sainteté n'a pu être jusqu'ici mis en exécution.

  A012000420 

 Je n'écrirai pas encore à Votre Seigneurie Illustrissime touchant les particularités nécessaires à connaître pour la supplique que j'ai présentée relativement aux prébendes théologales; car je n'ai conservé ni dans mes papiers ni dans mes souvenirs le nombre des abbayes et des monastères capables de supporter cette dépense; mais M gr le Révérendissime étant à Annecy m'en enverra l'indication exacte, tirée de ses livres de visite, et aussitôt j'en donnerai un compte-rendu détaillé [27] à Votre Seigneurie, que je supplie de vouloir bien me pardonner si, étant distrait par une multitude d'affaires, je lui écris si mal..

  A012000453 

 Si je vous remerciois au long par escrit de la souvenance que vous aves de moy, selon vostre lettre receüe par les mains de monsieur le Præsident mon frere, je meriterois que vous ne leussies pas ma lettre, car vous seres tant empressé a recevoir et caresser ces jeunes gentilshommes nouveaux venuz, que vous n'aures pas le loisir de parler avec ma lettre.

  A012000493 

 Non pas que la contagion soit à Annecy, par la grâce de Dieu; mais le seul respect dû à la personne du prince exige que nul venant des lieux qui ont été infectés, encore qu'ils soient entièrement purifiés, ne se présente à la cour que longtemps après la quarantaine.

  A012000495 

 Et quoique Son Altesse aille en France, j'estime pourtant qu'elle aura assez d'autres affaires sans penser à ce détail; je crois cependant qu'elle ne repassera pas les monts sans s'en occuper..

  A012000499 

 J'ai obtenu de Son Altesse une aumône de trente écus d'or pour les frais de voyage d'une femme milanaise qui, étant sortie de Genève aces trois fils et quatre filles en âge de se marier, veut retourner catholique à Milan; mais je ne crois pas qu'elle puisse passer de [35] si tôt.

  A012000501 

 Il ne me reste plus autre chose à communiquer à Votre Seigneurie sinon de la prévenir, avec cette confiance que sa bonté me permet, et la priant de n'en rien dire à personne, que Son Altesse a trouvé un peu étrange de n'avoir pas été mise au courant avant tout autre, d'une manière exacte et très circonstanciée, de la manière dont les [36] affaires de Thonon sont traitées à Rome; je m'en suis aperçu par quelques mots relatifs à ce sujet; au reste, le prince se montre très affectionné à l'entreprise.

  A012000535 

 Je ne crois pas pourtant que Sa Sainteté veuille suspendre les nôtres, qui non seulement ne sont pas moins nécessaires cette année qu'en tout autre temps, mais qui le sont même davantage.

  A012000535 

 Les termes dans lesquels ils nous sont accordés ne souffrent pas de dérogation générale, de sorte que je m'en servirai sans crainte au nom du Seigneur; mais pour trancher toute difficulté, Votre Seigneurie Illustrissime voudra bien en juger Elle-même..

  A012000536 

 J'ai cru devoir informer de tout cela Votre Seigneurie Illustrissime; car ayant obtenu par sa bonté cette grâce de notre Saint-Père, de même ai-je besoin de ses faveurs pour la suite du procès que je me propose de poursuivre, afin de ne pas ouvrir la porte aux fraudes qui se font au préjudice du concours; ce dont notre bon Sénat se soucie fort peu.

  A012000536 

 Mais je vois que je serai obligé d'envoyer à Votre Seigneurie une très ample relation de mes raisons, c'est pourquoi il n'est pas nécessaire d'en dire davantage pour le moment..

  A012000592 

 Le P. Chérubin a oublié les uns, et il ne connaît pas les autres parce qu'ils sont venus après son départ: tels les chanoines Déage, Grandis, Gottry, Bochut, tous docteurs et très savants.

  A012000593 

 Il a fait venir pour mille écus de livres, avec intention d'employer les années qui lui restent au bien de sa patrie, et cependant, faute de ressources, il n'a pas encore pu ouvrir ces livres ni utiliser son savoir; car, bien qu'il soit chanoine de l'Eglise de Genève, néanmoins, étant maladif et âgé déjà de cinquante-cinq ans, il endure, à la faim près, une grande pauvreté.

  A012000639 

 C'est ce qui inspire la plus grande inquiétude aux pasteurs destinés à la garde de ces brebis; car le reste n'est pas de leur ressort..

  A012000641 

 Les passages étant occupés comme ils le sont, il sera très difficile [51] d'écrire à Votre Seigneurie Illustrissime aussi souvent qu'il conviendrait; néanmoins, j'en chercherai toutes les occasions, car parmi ces calamités je ne tiens pas pour une petite consolation de pouvoir me rappeler fréquemment à son souvenir et à sa bienveillance..

  A012000659 

 Mais voyant que le sujet ne portoit point ceste presse, je vous envoye les deux lettres et demeure icy au devoir que j'ay au service de mon pere, lequel de jour a autre avance a grans pas a l'autre vie, s'affoiblissant tellement en cellecy que, si Dieu ne nous preste sa main miraculeuse, je me vois dans peu de jours privé de la [53] consolation que, avec toute ceste mayson, j'ay tous-jours eu en la presence de ce bon pere.

  A012000696 

 Cette sollicitude ne peut lui être que très avantageuse, ainsi qu'elle l'a été jusqu'à présent, surtout en ces temps si calamiteux, durant lesquels elle est devenue comme une veuve accablée d'amertume, et de tous ceux qui lui étaient chers il n'en est pas un seul qui la console..

  A012000697 

 Ce n'est pas sans peine, il est vrai, que les choses se sont ainsi maintenues..

  A012000697 

 Les ministres de Genève n'ont pas manqué de vouloir occuper les églises; mais M gr notre Révérendissime Evêque s'en étant plaint au roi de France, celui-ci leur ordonna [55] de renoncer à de semblables desseins.

  A012000698 

 L'espoir d'une prochaine paix nous réjouit tous; mais si à cause de nos péchés elle ne se concluait pas, nous aurions grand besoin de l'appui du Saint-Siège auprès du roi, afin de n'être pas maltraités par les Genevois.

  A012000705 

 Je ne veux pas manquer de vous avertir que l'affaire de la coadjutorerie n'a eu aucun succès ni avancement depuis l'examen; c'est pourquoi, si vous me favorisez de vos lettres, je vous supplie de ne pas me donner un titre qui ne me convient pas..

  A012000735 

 Je lui donnerai en [57] même temps une consolation: celle de lui apprendre que si bien à Thonon et à Ternier, d'où je revins seulement le Dimanche de la Quinquagésime, on a beaucoup souffert sous le gouvernement de M. de Montglat, huguenot, et par les diverses embûches des Genevois (à Ternier surtout ils ont exercé une tyrannie, et commis à l'égard des choses sacrées des indignités qui ne se peuvent dire), néanmoins, malgré tout cela, parmi un si grand nombre de convertis il ne s'en trouvera pas quatre qui soient retombés, et encore sont-ils de basse condition.

  A012000751 

 A quoy ledit sieur Præsident a respondu qu'il le feroit infalliblement; et despuys je l'ay repris, et le Procureur patrimonial encores, lesquelz conformement m'ont dit que sil vous playsoit d'en venir par termes de justice, la chose ne pouvoit pas se terminer du tout si tost, et qu'en ce cas il sera requis de voir ledit Procureur patrimonial repliquer a vos responces.

  A012000757 

 Je n'ay pas parlé des 150 escus baillés au conte de Tournon par ce que je n'entendois pas bien l'affaire..

  A012000796 

 Toutefois, je ne laisserai pas de donner à Votre Seigneurie des [62] nouvelles de nos affaires aux environs de Genève.

  A012000797 

 Quant à MM. les Chevaliers, l'on n'en peut dire autre chose sinon que leurs agents persistent eux aussi à vouloir contester, si bien qu'on ne voit pas la fin de cette affaire; et cependant il serait nécessaire de la terminer pour donner commencement à celle que voici..

  A012000798 

 Deux Pères de la mission et deux autres curés du Chablais, proches du bailliage de Gaillard, apprenant que Son Altesse était maîtresse de ce bailliage et qu'il s'y trouvait un capitaine très catholique, allèrent s'offrir à lui pour commencer la prédication évangélique et l'exercice du culte, lequel n'existait pas en ce lieu parce que les Genevois l'avaient jusqu'alors occupé au nom du roi de France.

  A012000798 

 Il est vrai que ce bailliage n'étant pas très éloigné des nouveaux Catholiques du Chablais d'un côté, et des anciens de notre côté du Genevois, les habitants étaient déjà à moitié instruits de la sainte religion.

  A012000799 

 Je crois qu'ils doivent l'être, malgré [65] cette clause du traité de paix, que chacun doit rentrer dans les domaines qu'il possédait avant la guerre; car je ne pense pas que le Saint-Siège en faisant la paix ait entendu que les huguenots gardassent les biens de l'Eglise, dont ils sont usurpateurs et non possesseurs..

  A012000801 

 De plus, nous avons en ce diocèse une demoiselle laquelle, étant fort jeune, fit vœu de chasteté; quoiqu'elle soit très pieuse, elle ne veut pas néanmoins entrer en Religion, et dans le monde elle rencontre de grandes difficultés pour l'observation de ce vœu.

  A012000821 

 Je n'ignore pas avec quel empressement cette excellente mère Vous avertira de mon passage, elle qui m'a embrassé avec une [68] âme débordante de joie, et qui n'eût pas consenti à me laisser partir si je ne l'avais contrainte à constater combien est urgente la cause de mon départ.

  A012000846 

 Bien que d'après ce qui m'a été dit par M. le président Favre et M. le baron de Chevron je sache que peut-être cette lettre ne parviendra pas entre vos mains pendant votre nonciature, je ne veux pas toutefois laisser de vous donner connaissance de deux choses, au succès desquelles votre autorité et votre bonté pourront beaucoup aider à l'occasion..

  A012000849 

 C'est que, ma famille ayant beaucoup souffert par le malheur des temps passés, et me trouvant privé de mon père depuis trois mois, je ne suis pas en mesure de faire une grande dépense.

  A012000849 

 Ce n'est pas certes que je désire cette dignité, dont le poids m'a toujours paru formidable, surtout dans ces temps de confusion et de trouble; [72] mais c'est pour ne pas résister à l'avis de tant de gens de bien qui ont jugé que je ne devais plus retarder cette affaire.

  A012000849 

 Si elle est nécessaire, je ne pourrai poursuivre cette affaire, d'autant plus qu'il ne s'agit pas d'une chose présente, mais future, ni d'avantages, mais de peines incroyables.

  A012000850 

 J'en supplie moi-même très humblement Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, afin que si de telles faveurs ne s'accordent pas, je ne poursuive plus cette affaire; car si elle n'aboutissait pas, faute de ressources, mes compatriotes pourraient concevoir de mauvais soupçons, et attribuer cet insuccès à quelque autre cause.

  A012000897 

 Chacun sçait qu'elle desire extremement de voir ses païs netz du mal de l'heresie, personne n'ignore l'ardeur de son zele en cest endroit; si elle ne le fait pas, le pouvant si aysement faire, plusieurs croiront que le desir de ne mescontenter pas les huguenotz qui sont en son voysinage en soit l'occasion.

  A012000898 

 Monseigneur, je ne puis pas sonder plus avant que cela, et ne sçai sil y a chose au pardela de ceste mienne consideration qui puisse ou empecher ou retarder l'edit que je souhaitte; en quoy je me sousmetz purement a son meilleur jugement.

  A012000935 

 Et parce que le roi demandait que, quant au nombre, on s'en tînt exactement à celui qui serait marqué par M. le baron de Lux, lieutenant dans le gouvernement de Bourgogne, Bresse et autres pays récemment réunis au royaume, je suis venu ici pour apprendre plus particulièrement comment cette affaire doit se traiter; ce qui n'est pas encore résolu..

  A012000936 

 Autant que j'ai pu le découvrir, le roi voudrait de toute façon avoir quelque bon prétexte pour enlever lesdits revenus à cette ville, sans offenser les cantons hérétiques des Suisses et la reine d'Angleterre qui font beaucoup d'instances en faveur des Genevois; et ce qu'il désire c'est d'en être pressé au nom du Saint-Siège, auquel il n'y aurait pas lieu de refuser une si juste requête..

  A012000937 

 De cette manière, la négociation réussirait très bien; et ce ne serait pas un petit préjudice pour les Genevois, [83] qui demeureraient très pauvres, ni peu de lustre à la religion catholique; ce serait aussi ouvrir peu à peu la voie pour amener à quelque plus grand bien la ville même de Genève..

  A012000948 

 Or, pour ce faire, il eut esté requis d'en toucher un mot a Sa Sainteté mesme; mays parce que cela appartient ou a Monseigneur le R me ou a nostre Chapitre, je n'ay pas osé le faire, mais escris seulement au Cardinal Aldobrandin sur ce sujet simplement; mesmement par ce qu'iceluy ayant conclud la paix, demeslera mieux l'affaire avec le Roy, avec lequel, a ce que j'entens, il a quelque secrete intelligence pour ces affaires de religion.

  A012000960 

 La response peut estre: Que l'article remet les scindiques de Geneve en la nue et simple possession de fait, mays il ne la rend pas legitime si elle ne l'estoit pas.

  A012000960 

 Or, auparavant la guerre, ceste possession n'estoit pas legitime; elle ne l'est donq pas maintenant.

  A012000960 

 Que si elle ne l'est pas, elle ne doit pas estre maintenue.

  A012000961 

 Mays on replique: Que veut dire qu'avant la guerre vous ne recherchies pas ces biens? C'estoit par ce que feu Son Altesse avoit Iraitté autrement avec ceux de Berne, et despuis le traitté a esté annullé par ceux de Berne mesme.

  A012000975 

 Je vous prieray m'excuser si je ne vous envoye pas pour l'heure les memoires que vous desires au premier article, par ce que je suis en voyage et ne puis pas obtenir de ma souvenance tout ce que je luy en demande, avec l'asseurance des particulieres circonstances qui sont requises pour s'en bien servir.

  A012001006 

 Bien que l'honorable rapport fait sur mon compte à Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime ne fasse pas naître en mon âme peu de confusion, me sentant destitué du mérite qu'on m'attribue, neanmoins il me donne d'un autre côté beaucoup de consolation, puisqu'il m'offre l'occasion de me présenter à Votre Seigneurie comme son très humble et très dévoué serviteur.

  A012001026 

 Ou ce bon homme veut a bon escient nostre amitié, et nous ne la luy devons pas refuser; ou il la veut seulement apparemment, et telle il la luy faudra donner, et, en peu de tems, au soleil la neige se fondra et l'ordure sera descouverte.

  A012001046 

 Nous ne sommes pas contens de si peu, car nous demandons tout, tant pour l'exercice, qui va premier, que pour les biens; non seulement par ce que cela nous accommodera, mais encor plus par ce que cela incommodera la religion huguenotte, laquelle devant estre entretenue aux despens du peuple, manquera bien tost et indubitablement.

  A012001089 

 J'ay receu deux de vos lettres, l'une du 21 janvier, l'autre du 5 febvrier, ausquelles je devois une plus soudaine response que je n'ay pas fait, si j'eusse peu tirer les resolutions qui devoyent servir de matiere a mes responses si tost que j'eusse desiré.

  A012001089 

 Mays pour le second, la resolution ne s'en est encor pas peu prendre; ce sera neantmoins dans peu de jours, si mon credit ne manque en ceste ville, si non pour le tems que nous desirerions, au moins sera ce quelque chose autour.

  A012001096 

 Ce pendant, voyci l'advis que je luy donne: monsieur le baron de Lux poursuit pour avoir ce prieuré pour un fort honneste ecclesiastique, gentilhomme de Bourgoigne, et, a mon advis, le seul fondement de vacance quil prætende est tel: Nul homme ne [105] peut avoir benefice en France qui ne soit naturalisé françois selon le concordat; or, monsieur Persiani ne l'est pas, donques son benefice est vacquant.

  A012001134 

 J'apprehende infiniment de m'en retourner sans autre expedition que d'esperances; neantmoins ma conscience me tesmoigne que j'ay fait tout ce que je pouvois, et estime que si la moisson ne suit pas de si pres le travail et la semence que j'ay fait en ce voyage, elle s'en recueillira neantmoins une fois et dans quelques moys; en fin, qu'en faysant nostre devoir et ce qui est en nous, il faut subir les effectz que la providence de Dieu a establis..

  A012001134 

 Si cela est, il vous dira mieux qu'homme du monde le succes et la route que mon affaire a prins en ceste court; aussi bien ne sçaurois-je pas vous l'escrire.

  A012001152 

 Ce ne sera pas, a l'adventure, avec tout le contentement que nous desirions: il faut tirer du feu ce que l'on en peut sauver.

  A012001174 

 Vous n'y verres rien de moy, Madame, que les simples tesmoignages de ma bonne volonté et les seules marques de mon obeissance, en un sujet, au reste, ou je n'ay pas eu moins de propension que de devoir.

  A012001176 

 Ce n'est pas qu'apres cela, s'il est permis, comme il l'est sans doute, de rechercher quelque adoucissement au dehors, vous n'en ayes un tres grand dans le pretieux gage que ce grand prince vous a laissé de vostre mariage; je veux dire en madamoyselle de Mercœur, laquelle estant une image vivante du pere, elle est aussi la legitime heritiere de ses vertuz, dont il a laissé le soin a vostre conduitte, Madame, pour les cultiver par la noble et chrestienne education que vous luy reserves.

  A012001190 

 Je ne suis pas d'advis que vous monstries d'avoir plus aucune defiance de son amitié, puisque il n'en a plus de la vostre.

  A012001191 

 Au demeurant, je crains beaucoup que ma negociation ne me soit guere utile, non obstant beaucoup de faveur que je reçois de presque tous les grans, et mesme du Roy despuis que j'ay eu presché devant Sa Majesté; car auparavant je ne luy avois pas parlé..

  A012001191 

 Mes freres m'escrivent que par deux diverses voÿes ilz ont donné ordre a vous faire tenir les [114] 200 escus quil faut pour les escritures, propines, etc., et ne doute pas que des-ores vous ne les ayes receuz.

  A012001199 

 Il ni a pas long tems que j'ay veu monsieur de Quoex vostre bon oncle, qui se porte bien..

  A012001212 

 Je ne sçaurois respondre a la courtoisie dont la lettre que monsieur vostre filz m'a donnee de vostre part est remplie, car je n'ay pas asses de bonnes et belles reparties [116] d'esprit.

  A012001212 

 Mais je pense bien avoir asses de vraye et franche affection pour correspondre a la faveur que vous me faittes de m'aimer, si ell'est mesuree par l'estendue de son acte et non pas par le merite de l'agissant; car a ce prix, toute mon ame demeureroit bien bas et hors des prises de la comparaison..

  A012001213 

 J'accepte tout ce que vous me donnes, et vous et madamoiselle vostre partie et la benediction des enfans que Dieu vous a donnés, affin de ne vous envier pas la part que vous aures en la sentence: Beatius est dare quam accipere.

  A012001213 

 Mais trefves je vous supplie, Monsieur; mon cœur ne peut pas garder les regles de la contenance au sujet de vostre amitié, il en est trop vivement esmeu.

  A012001214 

 Ceste premiere veüe luy aura donné confiance pour desployer plus au long ses pensees a la seconde, si elle pensoit tirer [117] quelque consolation de la consultation; mais je crois qu'elle n'en a pas besoin..

  A012001215 

 J'ay esventé parmi les bonnes ames le desir qui vous avoit esté proposé de la Congregation de l'Oratoire, mais je ne voy pas encor la sayson bien arrivee: Dieu fera son œuvre..

  A012001244 

 Croyes moy, je vous supplie, que je ne fay pas volontiers ni de mon gré ceste faute; j'avois trop de desir de vous revoir et representer mon humble service a toute la mayson de messieurs d'Acy et de Manœuvre, a quoy madamoiselle de Sainte Beuve m'avoit encor animé par le tesmoignage qu'elle m'a rendu qu'ilz s'y attendoyent.

  A012001244 

 Mais puisque je ne puis pas, et qu'aussi est ce un foible tesmoignage de l'affection des serviteurs d'aller faire bonne chere a la table de leurs maistres, je vous conjure, par nostre ancienne connoissance et reciproqu'amitié, de faire treuver bonne mon excuse a mesdits sieurs d'Acy et de Manœuvre, et de les asseurer que je prise leur bienveüillance autant qu'autre homme auquel ilz en puissent faire part, et que je suis infiniment obligé a la courtoisie dont ilz m'ont prevenu, et m'en tiens pour redevable serviteur.

  A012001245 

 Quant a vous, je me prometz que vous m'aymeres au travers de toutes les distances du monde, lequel n'est pas asses grand pour borner l'activeté de nostre amitié; car je juge de la vostre par celle que je sens en mon ame, nonobstant la difference que l'object y peut apporter, qui se treuve aussi grand pour mon action quii est petit pour [121] la vostre; mais l'agent de vostre part ne doit estre vaincu.

  A012001295 

 Je ne vous escris point maintenant pour vous donner comte de ce que j'ay fait et que je n'ay pas fait en mon [124] voyage; ce sera une piece de nostre entretien a nostre premiere veüe.

  A012001328 

 Quant au reste, le roi lui-même nous représenta la dureté des temps: « Je désirerais plus que nul autre, » dit-il, « l'entier rétablissement de la religion catholique, mais mon pouvoir n'égale pas mon bon plaisir; » et semblables propos.

  A012001386 

 Croyes-moy, je vous supplie: je suys fort importuné de l'affection extreme que je porte au bien de vostre mayson; car icy, ou je ne puis vous rendre que fort peu de services, elle ne laisse pas que de me suggerer une infinité de desirs, qui vous sont inutiles et a moy.

  A012001386 

 Je n'ose pas pourtant rejetter ces inclinations, parce qu'elles sont bonnes et sinceres, mays sur tout parce que je croy fermement que c'est Dieu qui me les a donnees.

  A012001386 

 Que si elles me mettent en danger de quelques inquietudes, ce n'est pas par leurs qualités, mais par la foiblesse de mon esprit qui est encor sujet au mouvement des vens et de la maree.

  A012001387 

 Mais [ne] penses [pas], je vous supplie, que ce fut un vent [de quelque rapport leger, envieux, ou mesdisant; non, a la verité, ce fut un vent venant] du midy d'une entiere charité; ce fut un rapport auquel je fus obligé de donner creance par la consideration de toutes les circonstances.

  A012001387 

 Seigneur Dieu, que je fus marry et de ce que l'on me disoit, et de l'avoir sceu seulement en un tems auquel je n'avois pas loysir d'en traitter avec vous; car je ne sçay si mon affection me trompe, mays je me persuade que vous m'eussies donné une favorable audience, et n'eussies sceu treuver mauvaise aucune remonstrance que je vous eusse faite, puisque vous n'eussies jamais descouvert en mon ame ni en tous ses mouvemens, sinon une entiere et pure affection a vostre advancement spirituel et au bien de vostre mayson..

  A012001388 

 Mais n'ayant pas deu arrester pour cela, estant appellé icy pour un bien plus grand, je me suis mis a vous escrire sur ce sujet, bien que j'aye quelque tems desbattu en moy mesme si cela seroit a propos ou non; car il me sembloit presque que cela seroit inutile, d'autant que ma lettre seroit sujette a recevoir des repliques, et m'en feroit donner; qu'elle arriveroit peut estre hors de sayson; qu'elle ne vous representeroit pas naifvement ni mon intention ni mon affection; que vous estes en lieu ou vous seres conseillees de vive voix par un monde de personnes qui vous doivent estre en plus grand respect que moy, et que si vous ne croyes a Moïse et aux prophetes qui vous parleront, malaysement croires vous a ce pauvre pecheur qui ne peut que vous escrire, et que, outre cela, a ce que l'on m'a dit, quelques autres predicateurs, meilleurs et plus experimentés a la conduitte des ames [138] que je ne suys, vous en ont parlé sans effect.

  A012001389 

 Mes cheres Seurs, on m'a dit qu'il y a en vostre mayson des pensionnettes particulieres et des proprietés, dont les malades ne sont pas esgalement secourues, et les saines ont des particularités aux viandes et habitz sans necessité, et que les entretiens et recreations n'y sont pas fort devotes.

  A012001390 

 Certes, il faut que vous soyes sans tache ou macule apparente; mays ne sont ce pas des macules bien noires et manifestes que ces defautz et grans manquemens que j'ay marqués ci devant, et principalement en une telle mayson? Il les faut donq corriger.

  A012001391 

 L'aspic de dissolution et de desreglement n'est pas encor esclos en vostre mayson, mais prenes bien garde a vous: ces defautz en sont les œufz; si vous les couves en vostre sein, ilz esclorront un jour a vostre ruine et perdition, et vous n'y penseres pas..

  A012001391 

 Prenes moy, dit le Cantique, ces petitz renardeaux qui ruinent les vignes; ilz sont petitz, n'attendes pas qu'ilz soyent grans, car si vous attendes, non seulement il ne sera pas aysé de les prendre, mais quand vous les voudres prendre ce sera lhors qu'ilz auront des-ja tout gasté.

  A012001391 

 Vous les deves corriger, a mon advis, parce qu'ilz sont petitz, ce semble, et partant il les faut combattre pendant qu'ilz le sont; car si vous attendes qu'ilz croissent, vous ne les pourres pas aysement guerir.

  A012001392 

 Mays si ces defautz sont petitz, comme il peut sembler a quelques unes, n'estes vous pas beaucoup moins excusables de ne les pas corriger? Quelle misere, disoit aujourd'huy saint Chrisostome en l'homelie de l'Evangile de sainte Cecile, de laquelle nous faisons la feste; quelle misere, disoit il, de voir une trouppe de filles avoir [140] combattu, battu et vaincu le plus fort ennemy de tous, qui est le feu de la chair, et neanmoins se laisser vaincre a ce chetif ennemy, mammon, dieu des richesses.

  A012001392 

 » Vostre mayson excelle en beaucoup d'autres perfections et est incomparable en icelles a toute autre: ne sera-ce pas un grand reproche d'en laisser ternir la gloire par ces chetifves imperfections? On vous appelle par une ancienne estime et prerogative de vostre mayson, Filles de Dieu: voules vous perdre cest honneur par le defaut d'une reformation en ces petites defectuosités? pour un potage de lentilles, perdre la primogeniture que vostre nom semble vous avoir donnee par le consentement de toute la France? C'est, a la verité, une marque de tres grande imperfection au lion et a l'elephant, qu'apres avoir vaincu les tigres, les boeufs, les rhinoceros, ilz s'effrayent, s'espouvantent et tremoussent, le premier devant un petit poulet, et l'autre devant un rat, dont la seule veuë leur fait perdre courage: cela est un grand deschet de leur generosité.

  A012001394 

 Qu'il soit tant petit qu'il voudra, qu'il soit tant enfant qu'il vous plaira, qu'il ne soit pas plus grand qu'une fourmy; mais il est mauvais, il ne vaut rien, il vous ruinera, et gastera vostre mayson..

  A012001395 

 Si elles ne faisoyent que passer sur l'unguent et le succer en passant, elles ne le gasteroyent pas; mais y demeurant mortes et comme ensevelies, elles le corrompent.

  A012001396 

 Je me doute que vous n'estimes pas qu'en ces pensions et autres particularités il y ayt aucune proprieté contraire a vostre vœu, parce qu'a l'adventure tout s'y fait sous la permission et licence de la Superieure.

  A012001397 

 Il y a des permissions qui peuvent estre aucunement bonnes, mais celle cy ne l'est pas, car c'est en fin une proprieté, quoy que voilee et cachee; c'est l'idole que Rachel tenoit cachee sous sa robe.

  A012001397 

 Mays ce sont les pensions d'une telle Seur et non pas d'une autre: voyla l'idole de la proprieté.

  A012001397 

 Si ce n'est pas proprieté, [que veut dire] que l'une a plus de commodité sans necessité, et l'autre plus de necessité [144] sans commodité? Que veut dire qu'estant toutes seurs, vos pensions ne sont pas seurs? L'une souffre et l'autre ne souffre point; l'une a faim, diray je presque comme saint Pol, l'autre abonde: ce n'est pas la une Communauté de Nostre Seigneur.

  A012001397 

 » Le Religieux qui a un liard ne vaut pas un liard, disoyent les Anciens..

  A012001398 

 Elle estoit trop pointilleuse: si ce mal n'y estoit pas elle en devoit loüer Dieu, s'il y estoit elle le devoit corriger.

  A012001398 

 Les abeilles ayment leurs ruches, qui sont comme leurs maysons (je vous dis un jour que c'estoit comme des religieuses naturelles entre les animaux); mays elles ne laissent pas d'esplucher par le menu ce qui y est et de les purger a certains tems.

  A012001398 

 Mais prenes garde, je vous supplie; car l'amour propre est rusé, il se fourre et glisse par tout, et nous fait accroire que ce n'est pas luy.

  A012001399 

 C'est bien fait de ne point dire inutilement les defautz que l'on voit dans les maysons et de ne les point [145] manifester; mays de ne les vouloir pas reconnoistre ni confesser a ceux qui peuvent estre utiles pour y donner remede, c'est un amour des-ordonné.

  A012001399 

 Ce fut un amour desmesuré en David de ne vouloir pas qu'on desfit Absalom, tout mauvais et rebelle qu'il estoit.

  A012001399 

 L'Espouse au Cantique confesse son imperfection: Je suis noire, dit elle, encor que belle; ne prenes pas garde a ce que je suis brune, c'est le soleil qui m'a haslee.

  A012001399 

 Mais ici il n'en est pas besoin]; il suffit d'y appeller ceux qui y peuvent servir.

  A012001399 

 Pourquoy ne luy redonneres vous pas ses couleurs par une sainte reformation? Quand il y a quelque defaut passager dans une mayson, on le peut dissimuler; mais quand il est permanent et par maniere de coustume, il le faut chasser [a cor et a cry s'il en est besoin.

  A012001400 

 Il y a en Italie deux nobles republiques, Venise et Gennes; a Venise les particuliers ne sont pas si riches qu'a Gennes, [mais la republique est bien plus riche que celle de Gennes.] La richesse des particuliers empesche celle du public.

  A012001401 

 Chacun doit jetter tout son soin en Dieu, et aussi il nourrit tout le monde; mays chacun ne le jette pas en mesme degré de resignation.

  A012001401 

 Il n'est pas requis en un homme laïc et mondain de s'appuyer en la providence de Dieu en la sorte que nous [146] autres ecclesiastiques devons faire; car il nous est defendu de thesaurizer et faire marchandises, mais il n'est pas defendu aux mondains; ni les ecclesiastiques seculiers ne sont pas obligés d'esperer en ceste mesme Providence comme les Religieux; car les Religieux y doivent esperer si fort qu'ilz n'ayent aucun soin de leur particulier pour avoir des moyens.

  A012001402 

 Mais ne nourrit il pas aussi les autres animaux? Si fait, mais non pas de la [mesme] sorte ni si immediatement, d'autant que les autres sont aydés de leurs peres et meres [et de leur travail; mais par ce que la condition naturelle de ces petitz poussins porte qu'ilz sont abandonnés de leurs peres et meres,] et n'ont d'ailleurs moyen de travailler, nostre Seigneur les nourrit presque miraculeusement.

  A012001403 

 Je loue leur methode, bien que ce ne soit pas la mienne, sur tout a l'endroit des espritz nobles et bien nourris comme sont les vostres; je croy qu'il est mieux de leur monstrer simplement le mal, et leur mettre le fer en main affin qu'ilz fassent eux mesmes l'incision.

  A012001403 

 Neanmoins, ne laissés pas pour cela de vous reformer.

  A012001405 

 Puisqu'il est le Dieu de paix, apaises vos espritz, mettes les en repos; ne permettes pas que la [coustume, la difficulté, je diray clair et nel, ne permettes pas que la] contention que vos espritz auront peut estre faite contre ceux qui vous auront cy devant voulu corriger, fasse aucun prejugé contre la lumiere celeste.

  A012001406 

 Apres que vous aures traitté de vostre affaire avec vostre Espoux et par ensemble, appellés a vostre secours et pour vostre conduitte quelques uns des plus spirituelz qui sont a l'entour de vous; ilz ne vous manqueront pas.

  A012001407 

 Je suis indigne d'estre escouté, mais j'estime vostre charité si grande que vous ne mespriseres point mon advis, et croy que le bon Jesus ne m'a pas donné tant d'amour et de confiance en vostre endroit qu'il ne vous aye donné une affection reciproque de prendre en bonne part ce que je vous propose pour le service de vostre mayson, laquelle je prise et honnore a l'esgal de toute autre, et l'estime une des bonnes que j'aye veües.

  A012001407 

 Je vous loue en toutes choses, dit saint Pol a ses Corinthiens, mais en cela je ne vous loüe pas.

  A012001424 

 Monsieur Vulliod vous dira meilleures nouvelles que vous n'avies pas conceues de son accident..

  A012001425 

 Aussi n'ay je pas estimé de le devoir refuser, car encor que sera avec vostre incommodité, neanmoins il en sera mieux et plus chaudement receu, et vous estes des-ja tant accoustumé a recevoir de nos importunités que ce ne vous est plus guere de peyne..

  A012001459 

 Je suis Evesque consacré des le jour Nostre Dame, 8 de ce mois, qui me fait vous conjurer de m'ayder tous-jours plus chaudement par vos prieres, comme de ma part je ne vous oublie pas, sur tout en la recommandation de la Messe.

  A012001519 

 J'espère cette année faire un voyage en Piémont pour visiter l'église de Notre-Dame de Mondovì; à cette occasion je ne manquerai pas de me rendre là où se trouvera Votre Révérendissime Seigneurie, affin que, la main dans la main et bouche à bouche, nous renouvelions cette amitié qui ne peut vieillir, mais dont le sentiment toutefois s'accroit par la présence.

  A012001534 

 Pour responce, je vous diray premierement, que je ne veux pas que vous usies d'aucune parole de ceremonie ni d'excuse en mon endroit, puisque, par la volonté de Dieu, je vous porte toute l'affection que vous sçauries desirer et ne m'en sçaurois empescher.

  A012001535 

 Une autre fois, si vous m'escrives sur quelque semblable sujet, donnés moy exemple de l'action de laquelle vous me demandes l'advis; comme seroit a dire de quelqu'un de ces sentimens qui vous aura donné le plus de soupçon pour n'estre pas receu, car j'apprendray bien mieux vostre intention.

  A012001536 

 C'est donques une bonne marque quand on ne s'arreste pas aux sentimens; car le malin, donnant les sentimens, veut qu'on s'y arreste, et, qu'en ne mangeant que la saulce, nostre estomach spirituel en soit affoibli et gasté petit a petit.

  A012001536 

 Or, on peut connoistre d'ou ilz viennent par certains signes que je ne sçaurois pas bien dire tous: en voicy seulement quelques uns qui suffiront.

  A012001536 

 Quand nous ne nous arrestons pas en iceux, mays que nous nous en servons comme de recreation, pour par apres faire plus constamment nostre besoigne et l'œuvre que Dieu nous a donné en charge, c'est bon signe; car Dieu nous en donne quelquefois pour cest effect.

  A012001538 

 Bref, le bon ne desire point d'estre aymé, mais seulement que l'on ayme Celuy qui le donne, non qu'il ne nous donne sujet de l'aymer, mais ce n'est pas cela qu'il cherche; la ou le mauvais veut que l'on l'ayme sur tout.

  A012001538 

 Et partant, le bon ne nous empresse pas a le rechercher ni a le caresser, mais la vertu [qu'il] nous procure; le mauvais nous empresse et inquiete a le rechercher incessamment..

  A012001538 

 Le bon sentiment passé ne nous laisse pas affoiblis, mais fortifiés, ni affligés, ains consolés; le mauvais, au contraire, arrivant nous donne quelque allegresse, et partant, nous laisse pleins d'angoisses.

  A012001539 

 Elles sont comparees au vin parce qu'elles res jouissent, animent et font faire bonne digestion a l'estomach spirituel, lequel, sans ces petites consolations, ne pourroit pas quelquefois digerer les travaux qu'il luy faut [165] recevoir.

  A012001539 

 Par ces quattre ou cinq marques vous pourres connoistre d'ou viennent vos sentimens; et, venans de Dieu, il ne faut pas les rejetter, mais reconnoissant que vous estes encores un pauvre petit enfant, prenes le lait des mammelles de vostre Pere, qui, par la compassion qu'il vous porte, vous fait encor office de mere.

  A012001539 

 Receves les donq au nom de Dieu, avec ceste seule condition, que vous soyes preste a ne les recevoir pas, et a ne les aymer pas et les rejetter quand vous connoistres, par l'advis de vos superieurs, qu'ilz ne sont pas bons ni a la gloire de Dieu, et que soyés preste de vivre sans cela, quand Dieu vous en jugera digne et capable.

  A012001540 

 Mais quand ilz seroyent de la creature, encor ne seroyent ilz pas a rejetter, puisqu'ilz conduisent a Dieu, ou au moins qu'on les y conduit; il faudroit seulement prendre garde a ne se point laisser surprendre, selon les regles generales de l'usage des creatures..

  A012001540 

 Neanmoins vous deves croire que, quand Dieu vous envoyera ces sentimens, c'est pour vostre imperfection, laquelle il faut combattre, non pas les sentimens qui servent contre elle.

  A012001540 

 Voyla ma responce asses clairement, ce me semble, a laquelle j'adjouste que vous ne facies jamais de difficulté de recevoir que Dieu vous envoye a dextre ou a gauche, avec la preparation et resignation que je vous ay dite; et quand vous series la plus parfaite du monde, vous ne devries pas refuser ce que Dieu vous donne, a condition d'estre preste a le refuser si tel estoit son playsir.

  A012001541 

 Laissés vous gouverner a Dieu, ne pensés pas tant a vous mesme.

  A012001541 

 Si vous desires que je vous commande, puisque vostre Mere Maistresse le veut, je le feray volontier, et vous commanderay premierement, qu'ayant une generale et universelle resolution de servir Dieu en la meilleure façon que vous pourres, vous ne vous amusies pas a examiner et esplucher subtilement quelle est la meilleure façon.

  A012001542 

 Vous sçaves que Dieu veut en general qu'on le serve, en l'aymant sur tout, et nostre prochain comme nous mesmes; en particulier, il veut que vous gardies une Regle: cela suffit, il le faut faire a la bonne foy, sans finesse et subtilité, le tout a la façon de ce monde, ou la perfection ne reside pas; a l'humaine et selon le tems, en attendant un jour de le faire a la divine et angelique et selon l'eternité.

  A012001543 

 De la s'ensuit que nous ne devons pas nous estonner de nous voir imparfaitz, puisque nous ne nous devons jamais voir autrement en ceste vie; ni nous en contrister, car il n'y a remede; ouy bien nous en humilier, car par la nous reparerons nos defautz, et nous amender doucement; car c'est l'exercice pour lequel nos imperfections nous sont laissees, n'estans pas excusables de n'en rechercher pas l'amendement, ni inexcusables de [167] ne le faire pas entierement, car il n'en prend pas des imperfections comme des pechés..

  A012001543 

 N'examinés donq pas si soigneusement si vous estes en la perfection ou non.

  A012001545 

 Je vous prie, ne regardés pas tant ça et la, tenes vostre veuë ramassee en Dieu et en vous.

  A012001545 

 Ne requerés pas en eux plus de perfection qu'en vous et ne vous estonnes point de la diversité des imperfections, car l'imperfection n'est pas plus imperfection pour estre extravagante et estrange.

  A012001546 

 Allés joyeusement et a cœur ouvert le plus que vous pourres; et si vous n'alles pas tous-jours joyeusement, allés tous-jours courageusement et confidemment.

  A012001546 

 Ne fuyés pas la compaignie des Seurs, encor qu'elle ne soit pas selon vostre goust; fuyés plustost vostre goust, quand il ne sera pas selon la conversation des Seurs.

  A012001547 

 Au demeurant, quand il vous viendra des doutes en ceste vie que vous aves entrepris de suivre, je vous advertis de ne vous pas attendre a moy, car je suis trop loin de vous pour vous assister, cela vous feroit trop languir; il ne manque pas de peres spirituelz pour vous ayder: employés les avec confiance.

  A012001547 

 Ce n'est pour desir que j'aye [169] de ne recevoir pas de vos lettres, car au contraire elles me donnent de la consolation, et je les desire, voire avec toutes les particularités des mouvemens de vostre esprit (et la longueur de la presente vous tesmoignera asses que je ne me lasse pas de vous escrire); mais affin que vous ne perdies pas tems, et, qu'attendant le secours de si loin, vous ne soyes battue et endommagee de l'ennemi..

  A012001562 

 Il faut avoir esgard aux vielles: elles ne peuvent s'accommoder si aysement; elles ne sont pas souples, car les nerfz de leurs espritz, comme ceux de leurs cors, ont des-ja fait contraction..

  A012001562 

 Je vous supplie seulement, Madame (et pardonnés a la simplicité et confiance dont j'use), que, parce que ceste porte est estroitte et malaysee a passer, vous prenies la peyne et la patience de conduire par icelle toutes vos Seurs l'une apres l'autre; car de les y vouloir faire passer a la foule et en presse, je ne pense pas qu'il se puisse bien faire.

  A012001562 

 Les unes ne vont pas si viste que les autres.

  A012001563 

 Vostre aage et, ce me semble, vostre propre complexion le requiert; car la rigueur n'est pas seante aux jeunes.

  A012001564 

 J'en dis trop, Madame, puisque je ne doute point de vostre charité et humilité; [173] mais je n'en dis pas asses selon l'extreme desir que j'ay a vostre bonheur, auquel seul vous attribueres, s'il vous plait, ceste façon d'escrire, car je n'ay sceu retenir mon esprit de vous presenter naïfvement ce que ceste affection luy suggere..

  A012001596 

 Cependant, Monsieur, je vous supplie, croyes que tout tel que je suis, je ne cederay jamais a pas un de ceux qui vous sont acquis en affection et fidelité; dequoy quand il vous plaira de tirer les preuves en m'employant, je le prendray en singuliere faveur, comme j'eusse fait a vous rendre service sur le particulier sujet pour lequel vous m'escrivies que [175] vostre agent s'addresseroit a moy, ce quil n'a pas fait jusques a l'heure..

  A012001624 

 Et ce desplaysir ne nous est pas defendu, pourveu que nous le moderions par l'esperance que nous avons de ne demeurer gueres separés, mays que dans peu de tems nous le suivrons au Ciel, lieu de nostre [177] repos, Dieu nous en faysant la grace.

  A012001624 

 Mais j'estime que vous aves tant de charité et de crainte de Dieu, que, voyant son bon playsir et sainte volonté, vous vous y accommoderes, et adoucirés vostre desplaysir par la consideration du mal de ce monde, qui est si miserable que, si ce n'estoit nostre fragilité, nous devrions plustost louer Dieu quand il en oste nos amis que non pas nous en fascher.

  A012001660 

 Il ne suffit pas de croire que Dieu nous peut secourir par toutes sortes d'instrumens; mais il faut croire qu'il ne veut pas y employer ceux qu'il esloigne de nous, et qu'il veut employer ceux qui sont pres de nous.

  A012001660 

 Pendant que j'estois la je n'eusse pas rejetté ceste persuasion; mais maintenant elle est du tout hors de sayson..

  A012001662 

 Cela est entierement en vostre pouvoir, et partant vous deves les executer; car en vain feres vous dessein d'executer les choses dont le sujet n'est pas en vostre puissance ou est bien esloigné, si vous n'executes celles que vous aves a vostre commandement.

  A012001662 

 Mays par quel ordre? Il faut commencer par les effectz palpables et exterieurs, qui sont le [181] plus en nostre pouvoir: par exemple, il n'est pas [requis] que vous n'ayes desir de servir aux malades pour l'amour de Nostre Seigneur, de faire quelques vilz et abjectz services en la mayson par humilité; car ce sont desirs fondamentaux, et sans lesquelz tous les autres sont et doivent estre suspectz et mesprisés.

  A012001662 

 Or, exercés vous fort a la production des effectz de ces desirs la, car l'occasion ni le sujet ne vous en manqueront pas.

  A012001663 

 Il est bon d'empescher cette multiplication de desirs, de peur que nostre ame ne s'y amuse, laissant ce pendant le soin des effectz, desquelz, pour l'ordinaire, la moindre execution est plus utile que les grans desirs des choses esloignees de nostre pouvoir, Dieu desirant plus de nous la fidelité aux petites choses qu'il met en nostre pouvoir que l'ardeur aux grandes qui ne dependent pas de nous..

  A012001665 

 Ayés bon courage: Cette maladie ne sera pas a la mort, mais affin que Dieu soit glorifié par icelle.

  A012001667 

 Elle ne treuvera pas, peut estre, un autre monastere chez son pere comme vous aves treuvé chez le vostre; neanmoins j'espere que Dieu la fera cheminer devant luy et estre parfaitte, car j'ay confiance en la misericorde de Dieu qu'elle en fera quelque chose de mieux..

  A012001667 

 Je la vous recommande quand elle sera chez son pere, car elle ne sera pas [183] dehors.

  A012001679 

 Mais la favorable plainte que vous me faites a moymesme de n'en point recevoir me couvriroit de honte si j'eusse autant eu de commodité de vous en envoyer comme j'en ay eu de desir; car, en l'asseurance de vostre bonté, Madame, je n'eusse pas failly de vous faire plus souvent la reverence par lettres, si je n'eusse esté empesché par le voyage et sejour que j'ay esté contraint de faire en Piemont, pour obtenir la mainlevee des revenuz de mon evesché que Son Altesse m'avoit fait saysir un peu apres que je fus fait Evesque.

  A012001680 

 Et quant a celles de ce pais, elles sont si desagreables que je ne pense pas vous en devoir entretenir, puis qu'elles ne consistent qu'en volleries et pilleries que font ceux de Geneve sur nous, et particulierement sur les gens d'Eglise qui seulz ne sont receuz a aucune contribution [185] ni composition, dont s'en est ensuivi l'abandonnement d'une grande quantité d'eglises.

  A012001708 

 J'ay receu deux de vos lettres, ausquelles je n'ay pas encor fait response parce que, quand elles arriverent icy, je n'y estois pas, mais en Piemont, ou j'ay esté contraint de faire un voyage pour les biens temporelz de cet evesché.

  A012001710 

 Helas, Dieu soit loué, qui vous a donné le desir de n'en faire pas de mesme; j'espere qu'il vous en donnera encor le pouvoir affin que son œuvre soit parfaitte en vous..

  A012001710 

 Mais il n'en est pas ainsy; car bien souvent nous nous embarquons et mettons la voile au vent estans tres cacochymes, et plus nous voguons et avançons en la haute mer, plus nous acquerons de mauvaises humeurs.

  A012001712 

 Mais pour le lire fructueusement il ne le faut pas gourmander, ains le faut peser et priser, et chapitre apres chapitre le ruminer et appliquer a l'ame avec beaucoup de consideration et de prieres a Dieu.

  A012001712 

 Mays ce n'est pas la son principal usage: c'est qu'il dressera vostre esprit a l'amour de la vraye devotion et a tous les exercices spirituelz qui vous sont necessaires.

  A012001715 

 Je ne pense pas que cela ne vous suffise pour la premiere annee, pour laquelle seule je parle; car pour le reste, vous seres mieux conduit que cela, et par cela mesme que vous aures avancé en la premiere annee, si vous vous enfermes dans la simplicité que je vous propose.

  A012001718 

 Je voy que vous escrives si bien vos lettres, et fluidement, qu'a mon advis, pour peu que vous ayes de resolution, vous feres bien les sermons; et neanmoins je vous dis, Monsieur, qu'il n'en faut pas avoir peu de resolution, mais beaucoup, et de la bonne et invincible..

  A012001718 

 Le tres saint Conncile de Trente, apres tous les Anciens, a determiné qie « le premier et principal office de l'Evesque est de prescher; » et ne vous laisses emporter a pas une consideration qui vous puisse destourner de cette resolution.

  A012001718 

 Ne le faittes pas pour devenir grand predicateur, mays simplement parce que vous le deves et que Dieu le veut.

  A012001733 

 Mais tout cela pour neant, car ma lettre ne fut pas en chemin que l'arrest sortit tel que le juge vous escrira, ainsy quil m'a dit.

  A012001754 

 C'est pourquoy j'envoye le porteur aupres de vous, Monsieur, pour vous les representer, estimant de ne treuver pas moins de faveur pour nostre droit que nous y en avons tous-jours treuvé, et que je me prometz d'en treuver ci apres..

  A012001787 

 C'est mon advis, lequel je pense estre digne d'estre suivi; autrement je ne le vous proposerois pas..

  A012001787 

 Et avant consideré l'un et l'autre, j'ay jugé que vous estiés de bon accord en effect, encor quil semble qu'il y ait quelque difference en paroles; car ayant demandé a [199] monsieur Loquet sil vouloit vous obliger par sa fondation a fournir plus quil ne vous reviendroit du revenu d'icelle, il m'a dit que nanni: aussi ne seroit-il pas bien raysonnable.

  A012001787 

 Or, cela est fort raysonnable; car quand il ni auroit aucune clausule obligatoire, si est ce que vous ne laysseries d'estre redevables de maintenir soigneusement et en bons peres de famille telz biens et fondz; mais pour tout cela vous ne seriés pas tenuz ni a l'impossible ni a la charge, si les moyens se perdoyent sans vostre faute et coulpe.

  A012001822 

 Les fievres spirituelles, aussi bien que les corporelles, sont ordinairement suivies de plusieurs ressentimens, qui sont utiles a celuy qui guerit pour plusieurs raysons, mais particulierement parce qu'ilz consument les restes des humeurs peccantes qui avoyent causé la maladie, affin qu'il n'en demeure pas un brin; et parce que cela nous remet en memoire le mal passé, pour faire craindre de la recheute, a laquelle bien souvent nous nous porterions par trop de licence et de liberté, si les ressentimens, comme menaces, ne nous retenoyent en bride pour nous faire prendre garde a nous jusques a ce que nostre santé soit bien confirmee..

  A012001822 

 Que s'il n'est encor pas du tout desengagé, il ne s'en faut pas estonner.

  A012001823 

 Tenés pour suspectz tous ces desirs qui, selon le commun sentiment des gens de bien, ne peuvent pas estre suyvis de leurs effectz: telz sont les desirs de certaine perfection chrestienne qui peut estre imaginee mais non pas prattiquee, et de laquelle plusieurs font des leçons, mais nul n'en fait les actions..

  A012001824 

 Ceux qui aspirent au pur amour de Dieu n'ont pas tant besoin de patience avec les autres comme avec eux mesmes.

  A012001824 

 Il faut souffrir nostre propre imperfection pour avoir la perfection; je dis souffrir avec patience, et non pas aymer ou caresser: l'humilité se nourrit en cette souffrance..

  A012001826 

 On peut mortifier la chair, mais non pas si parfaittement qu'il n'y ayt quelque rebellion; nostre attention sera souvent interrompue de distractions, et ainsy des autres..

  A012001827 

 Et faut il pour cela s'inquieter, troubler, empresser, affliger? Non pas, certes.

  A012001827 

 Il faut, pour bien cheminer, nous appliquer a bien faire le chemin que nous avons plus pres de nous, et la premiere journee, et non pas s'amuser a desirer de faire la derniere pendant qu'il faut faire et devuider la premiere..

  A012001827 

 Je ne veux pas dire qu'il ne faille se mettre en chemin de ce costé la; mais il ne faut pas desirer d'y arriver en un jour, c'est a dire en un jour de cette mortalité, car ce desir nous tourmenteroit, et pour neant.

  A012001827 

 On peut bien faire des simples souhaitz qui tesmoignent nostre reconnoissance; je puis bien dire: Hé, que ne suis je aussi fervent que les Seraphins pour mieux servir et louer mon Dieu! Mais je ne doy pas m'amuser a faire des desirs comme si en ce monde je devois atteindre a cette exquise perfection, disant: Je le desire, je m'en veux essayer, et si je ne puis y atteindre je me fascheray.

  A012001828 

 Nous ne pouvons aller sans toucher terre; il ne faut pas s'y coucher ni vautrer, mais aussi ne faut il pas penser voler; car nous sommes des petitz poussins qui n'avons pas encores nos aisles.

  A012001830 

 Je ne dis pas qu'il ne faille monter par l'orayson, mays pas a pas..

  A012001831 

 Il vous semble que ce soyent des armees; ce ne sont que des saules esbranchés, et ce pendant que vous regardés la, vous pourries faire quelque mauvais pas.

  A012001831 

 Regardés devant vous, et ne regardés pas a ces dangers que vous voyes de loin, ainsy que vous m'aves escrit.

  A012001832 

 Ce sera vostre bonheur si vous n'aves nul autre que le doux Jesus, lequel, comme il ne veut pas que l'on mesprise la conduitte de ses serviteurs quand on la peut avoir, aussi quand elle nous defaut, il supplee pour tout; mais ce n'est qu'a cette extremité, a laquelle si vous estes reduitte, vous l'experimenteres..

  A012001833 

 Ce que je vous escrivis n'estoit pas pour vous garder de communiquer avec moy par lettres, et de conferer de vostre ame qui m'est tendrement chere et bienaymee, mais pour esteindre l'ardeur de la confiance que vous avies en moy, qui, pour mon insuffisance et pour vostre esloignement, ne puis vous estre que fort peu utile, bien que tres affectionné et tres dedié en Jesus Christ.

  A012001834 

 Priés fort pour moy, je vous supplie; il n'est pas croyable combien je suis pressé et oppressé sous cette grande et difficile charge.

  A012001872 

 Dont je n'ay plus le choix, sinon pour aller ou n'aller pas a la procession, mais non pas pour y aller autrement qu'avec l'entiere praecedence de la cathedrale..

  A012001872 

 En quoy la verité est que je n'ay pas liberté de faire election d'aucun expedient, comme j'aurois si j'en estois le juge souverain, puisque le Saint [211] Siege Apostolique et le siege de Vienne, qui est metropolitain de ce diocsese, m'ont entierement lié les mains, et particulierement pour le regard de la façon de proceder que monsieur le Præsident de Genevoys m'a proposee, qui fut celle que feu Monsieur l'Evesque Justinien fit prattiquer une fois.

  A012001873 

 Aussi, a la verité, les exemples de la Sainte Chapelle et Sainte Geneviefve ne reviennent nullement a ce sujet, dautant que ni la Sainte Chapelle ni Sainte Geneviefve ne sont point eglises sujettes a l'Evesque, mais exemptes, et partant n'ont autre devoir que de reverence a l'eglise cathedrale du diocaese ou elles se treuvent, mais non pas d'aucune subordination ni dependence.

  A012001873 

 Et bien que la Sainte Chapelle et Sainte Genevieve soyent des eglises exemptes, si est ce qu'elles n'iroyent pas a costé de la cathedrale si elles n'avoyent des privileges speciaux du Saint Siege a cest effect; ce que tesmoigne le docteur Chassanee en son Cathalogue, disant que les Rois de France ont obtenu cela par privilege special, que leur chapelle estant prés de leur personne, sont esgalees (sic) avec toutes cathedrales.

  A012001911 

 Mais se resouvenant que feu monsieur de la Barge, son frere, l'avoit laissee en ce pais principalement en [216] la confiance quil avoit de vostre amitié et que vous en auries soin, dequoi aussi ell'a ressenti beaucoup d'effectz, elle n'a pas voulu passer outre a prendre la derniere resolution en ce sujet sans vous en donner advis et prendre vostre congé..

  A012001912 

 C'est pourquoi ell'envoye monsieur Sapientis, auquel j'ay donné ce mot pour vous tesmoigner qu'apres avoir sceu ce dessein, et l'avoir consideré et recommandé a Dieu avec le soin que j'eusse fait pour une propre fille de ma mere, j'ay estimé qu'il estoit fort bon et sortable, et ne m'est demeuré aucune difficulté pour retenir mon jugement, que le devoir qu'ell'a d'attendre le vostre, lequel je pense ne pouvoir pas estre beaucoup dissemblable au mien..

  A012001951 

 C'est pourquoy, si je suis creu, vous ne le laisseres pas revenir sans traitter avec luy, et mesme pour les prises des annees passees, desquelles il desire avoir honneste prix en payant argent content.

  A012001951 

 Il desire de prendre a ferme de Madame la terre de Duin, et je suis obligé de vous tesmoigner que ne pense pas que Madame puisse mieux remettre la susdite ferme qu'es mains d'un homme de ceste sorte.

  A012001951 

 Si Madame eut fait response a la lettre de monsieur le marquis de Lulin par laquelle il luy demandoit la susdite terre a achepter, je penserois qu'elle la voulut vendre; mais ne l'ayant pas fait, j'estime qu'elle la veut garder, et en ce cas elle ne sçauroit mieux faire pour ce particulier que d'employer ce porteur..

  A012001953 

 Madame pourra treuver estrange le retardement de son payement de Thorens; mais il n'est pas croyable combien nous avons eu de difficultés jusques a present pour ces troubles des guerres, qui ne font que de finir.

  A012001972 

 Mais vous me permettres, s'il vous plait, de vous dire que si vous aviés aggreable que ce fut seulement pour le Caresme, je n'aurois a vaincre nulle difficulté, car je n'en rencontrerois pas une.

  A012002070 

 Je ne sçai si je l'auray dressee au gré de Vostre Altesse; mais je sçai bien que je n'ay pas peu esgaler le merite du sujet par aucune sorte de narration, ni le desir que j'aurois de rendre tres humble obeissance aux commandemens et intentions de Vostre [227] Altesse.

  A012002105 

 Certes, la clause était tout à fait inique, mais on s'y résigna dans l'espérance de jours meilleurs; d'ailleurs les circonstances des temps et des lieux n'en comportaient pas d'autre..

  A012002105 

 D'autre part, on n'était pas en mesure de se faire justice par la force des armes; voici donc ce qui fut conclu et ce qui fut fait: le duc reprendrait ce qu'on appelle les quatre bailliages de Thonon, Ternier, Gaillard et Gay ou Gex, qui confinent à Genève de quatre côtés et s'étendent tout autour de cette ville, à la condition expresse toutefois qu'il ne s'y ferait aucun exercice de la religion catholique.

  A012002106 

 Ce n'est pas à lui, mais à son fils Charles-Emmanuel, que la divine Providence réservait cette gloire insigne.

  A012002108 

 Je parle donc de ce que j'ai vu, et pour ainsi dire, de ce que mes mains ont touché; le dernier des hommes si je dis le contraire de la vérité, le plus inconsidéré, si je ne la connais pas.

  A012002108 

 Nous avions devant nous soixante-quatre paroisses; or, si l'on excepte les officiers catholiques du duc, qui n'en voulut jamais avoir que de tels, on n'eût pas trouvé une centaine de fidèles sur une population de plusieurs milliers d'âmes.

  A012002112 

 Afin de le prévenir (n'ayant pas la possibilité de recourir à un autre moyen), il enjoignit aux obstinés, par un édit public, [235] de quitter le pays.

  A012002112 

 Certes, ils ne manquaient pas d'apporter de spécieuses raisons, de celles qu'on appelle raisons d'Etat; mais toutes ces raisons cédèrent, et, devant la haute piété du prince, elles firent place à une seule raison: la raison de religion.

  A012002112 

 On le voit, il n'est pas de pierre que ce très zélé prince n'ait voulu, pour ainsi dire, remuer de ses propres mains: caresses, menaces, il n'a rien épargné de ce qui était en son pouvoir pour ramener ces peuples; et, ce qui est encore plus digne d'éloges, il agissait ainsi à l'encontre des avis et des sentiments d'un grand nombre de ses conseillers.

  A012002112 

 Plusieurs conseillers soutinrent obstinément que le moment n'était pas venu de rien entreprendre, que les évènements s'y opposaient.

  A012002113 

 Jadis on avait peine à compter cent Catholiques entre toutes les paroisses réunies; aujourd'hui on n'y verrait pas cent hérétiques.

  A012002115 

 C'est pourquoi j'ai cru que leurs signatures ne seraient [238] pas sans utilité, car les faits attestés par un grand nombre de témoins obtiennent du même coup une grande et solide créance..

  A012002138 

 Il est certain que le relâchement de tous les monastères de Savoie, excepté toutefois ceux des Chartreux, est tellement invétéré qu'un remède ordinaire ne suffirait pas à les assainir.

  A012002139 

 Or, comment tous ces supérieurs et leurs monastères pourront-ils maintenir la discipline et la réforme chez leurs inférieurs, puisqu'ils ne l'observent pas eux-mêmes et qu'ils ignorent même ce qu'est la réforme?.

  A012002140 

 Il est vrai que ceux de Sixt et de Peillonnex sont visités par l'Evêque; c'est ainsi que je les ai visités moi-même, mais je n'ai pu les astreindre à l'observance de la Règle puisqu'ils n'en ont pas; seulement je leur ai fait observer les Constitutions ordinaires, comme s'ils eussent été chanoines séculiers, en attendant que leur situation puisse être régularisée... [243].

  A012002166 

 Je suis chaque jour tellement fatigué des difficultés et contre-temps que provoque la mesure imposée depuis peu, de ne pas laisser passer les simples signatures sans expédier les Bulles pour les petits bénéfices, que je me vois contraint de recourir de nouveau à la charité de Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, la suppliant de daigner... [245].

  A012002191 

 Il se plaît souvent à dire que vous [247] méritez de grandes louanges, principalement pour ceci: ses concitoyens, si attachés qu'ils soient à leurs princes, doivent surtout à votre vigilance de n'avoir pas vu leur ville tomber au pouvoir des ennemis, malgré les stratagèmes inouïs tant de fois employés pour la séduire.

  A012002192 

 Il n'est pas besoin de dire avec quel zèle il s'est appliqué, pendant tout ce temps, au droit et aux belles-lettres; mais ce qui importe davantage à mes yeux, il a embrassé avec une exactitude scrupuleuse et qui ne s'est jamais démentie, les devoirs de la piété et de la religion.

  A012002219 

 Je ne laisseray pas de presser le plus que je pourray pour en envoyer de dela, mays il faut que je vous confesse la verité: c'est icy un pauvre païs et auquel il est malaysé de treuver des sommes apres tant de remuemens et troubles..

  A012002220 

 J'ay appris que M. de Berulle m'a fait l'honneur de m'envoyer le livre que je desirois; mais je ne doute point qu'il l'aura confié a mon frere, qui n'en aura pas eu le soin proportionné au prix que je fay de tout ce qui part dudit seigneur de Berulle, de la bienveuillance duquel je suis autant jaloux que nul autre.

  A012002227 

 L'argent de bon qui doit estre a Gex, les pensions des ministres payees, est entre les mains des ministres mesmes qui opiniastrent autant pour ne le rendre pas que pour aucun article de leur foy; mais je verray si a Dijon je pourray y mettre du remede..

  A012002239 

 Et ne vy jamais mon esprit party au choix de deux inconveniens, comme je l'ay eu en ceste occasion; mais ayant tout consideré, j'ay fait election de celluy qui pouvoit recepvoir plus de remede et qui ne tumboit pas si droittement sur le service des ames, aymant mieux m'exposer a la mercy de l'opinion des bons qu'a la cruauté de la calomnie des mauvais.

  A012002272 

 Cette diversité de souverains m'oblige nécessairement à traiter et à demeurer en bonne intelligence avec tous deux, ainsi qu'avec leurs représentants et leurs Parlements ou Sénats; ce qui ne me cause pas peu d'embarras, surtout à l'égard de la France, où l'on sait que je [257] suis savoyard et feudataire de la Savoie.

  A012002274 

 Néanmoins je n'ai pas voulu manquer de rendre compte à Votre Sainteté de cette détermination, comme je désire faire de toutes mes actions, qui doivent en tout et partout être réglées par le bon plaisir apostolique..

  A012002286 

 Je n'attendis pas, croyés le bien je vous supplie, de recommander son ame a Nostre Seigneur que vous m'en eussies adverti, mais luy rendis ce devoir sur le champ a la premiere nouvelle; et n'eusse pas retardé non plus a vous escrire pour vous faire la ceremonieuse offrande du service de nostre mayson et du mien en particulier, si je n'eusse sceu que vous nous croyes tout vostres pour une bonne fois, sans qu'il soit necessaire d'en renouveller si souvent [261] les reconnoissances.

  A012002302 

 Ce ne sont pas celles desquelles il est dit: Benissant je beniray la vefve; et ailleurs, que Dieu est le juge, protecteur et defenseur des vefves.

  A012002302 

 Mais je dis, si vous l'aymes mieux, car en tout et par tout je desire que vous ayés une sainte liberté d'esprit touchant les moyens de vous perfectionner; pourveu que les deux colomnes en soyent conservees et affermies, il n'importe pas beaucoup comment..

  A012002302 

 Ne vous lies pas toutefois a cette mesme meditation, car je ne la vous envoye pas a cet effect, mais seulement pour vous faire voir a quoy doit tendre l'examen et espreuve de soy mesme que vous deves faire tous les moys, affin que vous sachies vous en prevaloir plus aysement.

  A012002302 

 Que si vous aymes mieux repeter cette mesme meditation, elle ne vous sera pas inutile.

  A012002302 

 Saint Paul nous commande d'honnorer les vefves qui sont vrayement vefves; mays celles qui n'ayment pas leur viduité ne sont vefves qu'en apparence, leur cœur est marié.

  A012002303 

 Jettés doucement vostre cœur es playes de Nostre Seigneur, et non pas a force de bras; ayés une extreme confiance en sa misericorde et bonté qu'il ne vous abandonnera point, mays ne laissés pas pour cela de vous bien prendre a sa sainte Croix..

  A012002318 

 Je ne vous puis pas donner tout a coup ce que je vous ay promis, car je n'ay pas asses d'heures franches pour mettre tout ensemble ce que j'ay a vous dire sur le sujet que vous avés desiré vous estre expliqué par moy.

  A012002319 

 Les moyens de parvenir a la perfection sont divers selon la diversité des vocations; car les Religieux, les vefves et mariés doivent tous rechercher cette perfection, mais non pas par mesme moyen.

  A012002320 

 Neanmoins, si vous n'avies pas les commodités requises pour se confesser, la contrition et repentance suppleeroit..

  A012002324 

 Mais en tout ceci prenes garde soigneusement que monsieur vostre mari, vos domestiques et messieurs vos parens ne soyent point offencés par des trop longs sejours aux eglises, des trop grans retiremens et abandonnement du soin de vostre mesnage, ou, comm'il arrive quelquefois, vous rendant contrerolleuse des actions d'autruy ou trop desdaigneuse des conversations ou les regles de devotion ne sont pas si exactement observees; car en tout cela il faut que la charité domine et nous esclaire, pour nous faire condescendre aux volontés du prochain en ce qui ne sera point contraire aux commandemens de Dieu..

  A012002325 

 Les malades aymeront vostre devotion silz en sont charitablement consolés; vostre famille, si elle vous reconnoist plus soigneuse de son bien, plus douce aux occurrences des affaires, plus amiable a reprendre, et ainsy du reste; monsieur vostre mari, sil void que a mesure que vostre devotion croist vous estes plus cordiale en son endroit et plus soüefve en l'affection que vous luy portés; messieurs vos parens et amis, silz reconnoissent en vous plus de franchise, de support, de condescendence a leurs volontés qui ne seront pas contraires a celle de Dieu.

  A012002325 

 Vous ne devés pas seulement estre devote et aymer la devotion, mais vous la deves rendre aymable a un chacun.

  A012002345 

 J'ay envoyé a madame la presidente Brulart, vostre seur un escrit que je desire vous estre communiqué; non pas que celuy que je vous ay donné ne suffise pour vous et pour ce tems, mais affin que vous ayés tous-jours plus d'esclaircissement en vostre esprit, a l'advancement duquel je me sens tant obligé que je ne suis de rien plus desireux en ce monde, non seulement pour cette grande confiance que Dieu vous a donnee en mon endroit, mays [271] aussi pour celle qu'il me donne que vous servires beaucoup a sa gloire.

  A012002346 

 Je suis infiniment consolé du playsir que vous prenes a lire les Œuvres et la Vie de la Mere Therese, car vous verrés le grand courage qu'elle eut a reformer son Ordre, et cela vous animera sans doute a reformer vostre Monastere, ce qui vous sera bien plus aysé qu'il ne fut pas a elle, puisque vous estes Superieure perpetuelle.

  A012002363 

 Mon dessein ne fut pas d'entrer en aucune conference avec vous; la prochaine necessité de mon despart m'en ostoit entierement l'occasion.

  A012002364 

 Je ne prendray pas la peyne de vous en dire d'avantage, car je ne piquotte point.

  A012002364 

 Les jurisconsultes vous le tesmoigneront, puisque c'est d'eux que la maxime est tiree: vous n'en refuseres pas l'explication..

  A012002365 

 Ni les Livres des Maccabees, ni l'Apocalipse n'ont pas esté si tost reconneus que les autres; l'un et l'autre neanmoins le fut esgalement au Concile de Carthage, ou saint Augustin assista.

  A012002365 

 Nous marchons sur leurs pas et suivons leurs traces.

  A012002365 

 On a douté loysiblement de quelques Livres canoniques pour un tems, desquelz il n'est pas loysible de douter maintenant; les passages que j'ay cités sont si expres qu'ilz ne peuvent estre divertis a autre sens..

  A012002366 

 On me dit que Dieu a mis en vous beaucoup de dons de nature; n'en abusés pas pour forclorre ceux de la grace, et consideres attentivement les qualités de la part en laquelle vous desires conferer..

  A012002367 

 Il ne seroit pas possible de faire avec proffit des conferences par escrit entre nous, nous sommes trop esloignés de sejour; et que pourrions nous escrire qui n'ait esté repeté cent fois? Si la commodité le permettoit, croyes que je ne la refuserois pas, non plus que je ne la refuseray pas aux sieurs ministres de Geneve, mes voysins, quand il la desireront en bons termes..

  A012002381 

 J'obeis donques a la voulonté de Vostre Altesse, et sur une particuliere connoissance que j'ay de la verité, je la puis asseurer que ce monastere, qui fust jadis asses celebre, est presque ruiné quant aux bastimens, et tellement appauvri quant au revenu qu'il ne sçauroit de long tems rendre cent ducatons annuels a son Prieur; et pour la presente annee, ayant receu un grand degast par la tempeste, il n'y a pas, a beaucoup pres, dequoy supporter les charges.

  A012002397 

 Tout cela donques me console, comm'aussi ce que vous m'escrivés que le Reverend Pere que le Seigneur vous a baillé pour directeur avoit treuvé fort bon que pendant mon sejour a Dijon vous m'aves communiqué vostr'ame, et que mesme il ne treuveroit pas mauvais que vous me donnassies quelquefois de vos lettres..

  A012002398 

 Car je vous dis qu'en cela vous ne sçauries avoir fait faute, puisque le mal vous pressoit et vostre medecin spirituel estoit absent; que cela n'estoit pas changer de directeur, ce que vous ne pouviés faire sans perte bien grande, mais que c'estoit seulement se soulager pour l'attendre; que mes advis ne s'estendoyent que sur le mal present, qui requeroit un remede present, et partant ne pouvoyent nullement prejudicier a la conduitte generale de vostre premier directeur.

  A012002399 

 Ce respect vous doit sans doute contenir en la sainte conduite a laquelle vous vous estes si heureusement rangee, mais il ne vous doit pas gehenner, ni estouffer la juste liberté que l'Esprit de Dieu donne a ceux quil possede.

  A012002400 

 Je l'ay longuement honnoré avant que de l'avoir veu; l'ayant veu, mon affection s'en est accreùe, et m'estant apperceu du fruit quil a fait a Dijon (car vous n'estes pas seule), je luy ay donné et voué autant de cœur et de service quil en sçauroit desirer de moy.

  A012002401 

 Vous ne m'escrives pas de la santé de monsieur vostre pere, et toutefois j'en suis extrement desireux; ni de monsieur vostre oncle que je vous avois supplié de saluer de ma part..

  A012002419 

 Ce n'est neanmoins pas a moy de le faire, qui suis sujet; c'est pourquoy j'ay supplié Monsieur le Nonce de m'en faire venir un petit mot de declaration qui me descharge de leur rigueur, laquelle, ce me semble, n'est pas sortable en ce tems, en ce lieu, en ces occasions..

  A012002419 

 J'ay eu tant de distractions pour ne l'avoir pas voulu permettre, que j'ay bien occasion aussi de mon [281] costé de souhaitter que les loix de l'immunité des eglises soyent moderëes a cet effect.

  A012002437 

 J'y ay fourré [282] beaucoup de choses pour empescher le soupçon qu'il eut peu prendre qu'elle fut escritte a dessein, et l'ay neanmoins escritte avec toute verité et sincerité, ainsy que je doy tous-jours faire; mais non pas avec tant de liberté comme cellecy, en laquelle je desire vous parler cœur a cœur..

  A012002438 

 Outre cela, elle ne laissoit pas d'avoir tous-jours quelque particulier et grand confident auquel elle se communiquoit, et duquel elle recevoit les advis et conseilz pour les prattiquer soigneusement, et s'en prævaloir en tout ce qui ne seroit contraire a l'obedience vouée; dont elle se treuva fort bien, comm'elle mesme a tesmoigné en plusieurs endroitz de ses escritz.

  A012002439 

 Je ne vous sçaurois pas expliquer ni la qualité ni la grandeur de cett'affection que j'ay a vostre service spirituel; mais je vous diray bien que je pense qu'ell'est de Dieu et que pour cela je la nourriray cherement, et que tous les jours je la voy croistre et s'augmenter notablement.

  A012002440 

 Tenes moy donques pour bien estroittement lié avec vous, et ne vous souciés pas d'en sçavoir d'avantage, sinon que ce lien n'est contraire a aucun autre lien, soit de vœu soit de mariage.

  A012002441 

 Mais si est ce que ce n'eut pas esté duplicité, puisque si en cela vous avies fait quelque faute a cause du scrupule que vous avies en me communicant vostre cœur et me demandant des instructions, vous l'avies suffisamment effacee par apres pour n'estre plus obligee de le dire a personne.

  A012002441 

 Neanmoins je loüe vostre candeur et me resjouïs que vous l'aÿés dit, comm'aussi tout le reste, bien que vous devés estre ferme en la resolution que je vous donnay, que ce qui se dit au secret de la Pœnitence est tellement sacré quil ne se doit pas dire hors d'icelle.

  A012002443 

 Nos ames doivent enfanter non pas hors d'elles mesmes mais en elles mesmes, un enfant masle, le plus doux, gracieux et beau qui se peut desirer.

  A012002443 

 Vous aures des contradictions et amertumes; les tranchees et convulsions de l'enfantement spirituel ne sont pas moindres que celles du corporel: vous aves essaÿé les unes et les autres.

  A012002446 

 Je n'ose pas presser les dames que vous me nommes du voyage parce qu'il ne me seroit pas seant; je le desire neanmoins, et me console en l'esperance que j'en ay..

  A012002474 

 Ce n'est pas un intérêt personnel qui me sollicite, [290] puisque je ne connais ce personnage que depuis un an; il a fait plusieurs prédications dans ce diocèse de Genève, au grand avantage et à la satisfaction des auditeurs..

  A012002487 

 Je ne voy point d'autre moyen de servir en cette affaire le seigneur Lobet, eu esgard a la haste qu'il a de s'en retourner en Piemont, et puisque les affaires de cette Sainte Mayson ne sont pas au pouvoir de moy seul, qui, en cette occasion et en tout'autre, feray tous-jours joindre [292] ma volonté a vos desirs, comme doit celuy qui, priant Dieu pour vostre prosperité, sera toute sa vie....

  A012002517 

 Ce me fut une bien grande consolation, laquelle je vous tesmoignay par la response que je vous fis; car je n'eusse pas peu m'en empescher, j'en estois touché tres vivement.

  A012002517 

 Mais, a ce que M. Favier m'a fait sçavoir, vous n'aures pas receu ma lettre.

  A012002517 

 Que si vous n'aves [294] pas receu de mes lettres si souvent que j'eusse souhaitté, attribués-le a toute autre sorte de manquement plustost qu'a celuy de l'affection.

  A012002520 

 Plusieurs parroisses, a cette occasion, vinrent demander l'exercice de la sainte Eglise, qui jusques a l'heure n'avoyent pas osé; et le Roy du despuis le leur a accordé, bien que l'execution en soit un petit retardee pour des considerations que la malice du tems donne..

  A012002521 

 Le ministre La Faye, de Geneve, a fait un livre expres contre moy; il n'espargne pas la calomnie.

  A012002521 

 Or, beni soit Dieu qu'il ne sçait pas mes maladies, puisqu'il ne les voudroit guerir que par la mesdisance.

  A012002522 

 Mais les anciens Evesques n'en faysoyent pas moins, et la communication que vous me permettes d'avoir avec vous m'est d'autant plus douce que nous sommes plus esloignés l'un de l'autre; car je pense que c'est de la largeur ou longueur du royaume de France.

  A012002522 

 Permettes moy, je vous supplie, que je desire de sçavoir presque aussi particulierement de vos nouvelles comme je vous en dis des miennes, mais sur tout si vous ne montes pas en chaire, ou au moins si vous ne faites pas de sermons a l'autel; et pardonnés moy, Monsieur, si c'est trop..

  A012002536 

 Je partiray irremissiblement le 23 de ce mois pour aller a Saint Claude rendre un viel vœu que j'y ay et que ma mere a fait pour moy en une de mes maladies; le 24 j'y seray, le 25 j'y arresteray, et ne pense pas estre icy que le 27 au soir.

  A012002556 

 Permettes-moy ce mot d'amour, car je parle a la chrestienne, et ne treuvés pas estrange que je vous promette des eaux et des roses; car ce sont des epithetes qui conviennent a toute doctrine catholique, pour mal ageancee qu'elle soit.

  A012002561 

 Il n'est pas question qu'on fasse tout..

  A012002561 

 Je veux seulement dire ce mot: le predicateur sçait tous-jours asses quand il ne veut pas paroistre de sçavoir plus que ce qu'il sçait.

  A012002561 

 Ne sommes nous pas asses versés pour expliquer l' In principio de saint Jan? laissons-le la; il ne manque pas d'autres matieres plus utiles.

  A012002561 

 Quant a la doctrine, il faut qu'elle soit suffisante, et n'est pas requis qu'elle soit excellente.

  A012002561 

 Saint François n'estoit pas docte, et neanmoins grand et bon predicateur, et en nostre aage, le bienheureux Cardinal Borromee n'avoit de science que bien fort mediocrement: toutefois il faisoit merveilles.

  A012002562 

 Quant a la bonne vie, elle est requise en la façon que dit saint Paul de l'Evesque, et non plus; de façon qu'il n'est pas besoin que nous soyons meilleurs pour estre predicateurs que pour estre Evesques.

  A012002563 

 Je ne dis pas qu'on ne puisse jouer a quelque jeu bien honneste une fois ou deux le moys par recreation; mais que ce soit avec une grande circonspection..

  A012002563 

 Mays je remarque que non seulement il faut que [301] l'Evesque et predicateur ne soit pas vicieux de peché mortel, mays de plus qu'il esvite certains pechés venielz, voire mesme certaines actions qui ne sont pas peché.

  A012002565 

 L'hospitalité ne consiste pas a faire des festins, mais a recevoir volontier les personnes a table, telle que les Evesques la doivent avoir et que le Concile de Trente determine: Oportet mensam Episcoporum esse frugalem.

  A012002566 

 Il n'est pas croyable, dit saint Chrysostome, combien la bouche qui a receu le Saint Sacrement est horrible aux demons.

  A012002572 

 Car qui est cette ame tant insensible qui ne reçoive un extreme playsir d'apprendre bien et saintement le chemin du Ciel, qui ne ressente une consolation extreme de l'amour de Dieu? Et pour cette delectation, elle doit estre procuree; mais elle n'est pas distincte de l'enseigner et esmouvoir, c'en est une dependance.

  A012002572 

 Il y a une autre sorte de delectation qui ne depend pas de l'enseigner et esmouvoir, mays qui fait son cas a part et bien souvent empesche l'enseigner et l'esmouvoir.

  A012002572 

 Ilz ne preschent pas Jesus Christ crucifié, mais ilz se preschent eux mesmes.

  A012002575 

 Il y a suffisamment dequoy eu l'Escriture Sainte pour tout cela, il n'en faut pas davantage..

  A012002577 

 Mais des histoires des Saintz s'en peut on pas servir? Mais, mon Dieu, y a il rien de si utile, rien de si beau? Mais aussi, qu'est autre chose la vie des Saintz que l'Evangile mis en œuvre? Il n'y a non plus de difference entre l'Evangile escrit et la vie des Saintz qu'entre une musique notee et une musique chantee..

  A012002579 

 Et des fables des poëtes? O de celles la point du tout, si ce n'est si peu et si a propos, et avec tant de circonstances, comme contrepoisons, que chacun voye qu'on n'en veut pas faire profession; et tout cela si briefvement que ce soit asses.

  A012002579 

 Il ne faut pas mettre l'idole de Dagon avec l'Arche d'alliance..

  A012002579 

 Leurs vers sont utiles: les Anciens les ont parfois employés, pour devotz qu'ilz fussent, mesmes jusques a saint Bernard, lequel je ne sçay pas ou il les avoit appris.

  A012002579 

 Mays quant aux fables, je n'en ay jamais rencontré en pas un sermon des Anciens, sauf une seule [306] d'Ulysses et des syrenes employee par saint Ambroyse en un de ses sermons.

  A012002580 

 C'est un livre qui contient la parole de Dieu, mais en un langage que chacun n'entend pas.

  A012002586 

 Il n'y a pas trop bonne quantité, mais il y a de la rime, et encor plus de rayson..

  A012002588 

 Mais on peut bien apporter plusieurs interpretations, les louant et faysant valoir toutes l'une apres l'autre, comme je fis, le Caresme passé, de six opinions et interpretations des Peres sur ces paroles: Dicite quia servi inutiles sumus, et dessus ces autres paroles: Non est meum dare vobis; car, si vous vous en resouvenes, je tiray de chacune de tres bonnes consequences, mais je teus celle de saint Hilaire, ce me semble; ou si je ne le fis, je fis faute, et le devois faire, parce qu'elle n'estoit pas probable..

  A012002588 

 Quand il y a diversité d'opinions entre les Peres et Docteurs il se faut abstenir d'apporter les opinions qui doivent estre refutees, car on ne monte pas en chaire pour disputer contre les Peres et Docteurs catholiques; il ne faut pas reveler les infirmités de nos maistres et ce qui leur est eschappé comme hommes, ut sciant gentes quoniam homines sunt.

  A012002590 

 Je ne voudrois pas asseurer que l'un signifie l'autre, mays je voudrois bien comparer l'un a l'autre, car ainsy le discours est plus ferme et moins reprehensible..

  A012002590 

 Secondement, ou il n'y a pas une tres grande apparence que l'une des choses ayt esté la figure de l'autre, il ne faut pas traitter les passages l'un comme figure de [309] l'autre, mais simplement par maniere de comparayson; comme, par exemple, le genevrier sous lequel Helie s'endormit de detresse est interpreté allegoriquement par plusieurs de la Croix; mais moy j'aymerois mieux dire ainsy: Comme Helie s'endormit sous le genevrier, ainsy nous devons reposer sous la Croix de Nostre Seigneur par le sommeil de la sainte meditation; et non pas: Ainsy qu'Helie signifie le Chrestien, le genevrier signifie la Croix.

  A012002591 

 Cela peut avoir de l'apparence; mais il n'a pas de la bienseance a cause que cette defense porte une imagination dangereuse en l'esprit de l'auditeur..

  A012002591 

 Tiercement, il faut que l'allegorie soit bienseante; en quoy sont reprehensibles plusieurs qui allegorisent la defense faitte en l'Escriture a la femme de ne point prendre l'homme par ses parties deshonnestes, au Deuteronome, chapitre XXV: Si habuerint inter se jurgium viri duo, et unus contra alterum rixari cæperit, volensque uxor alterius eruere virum suum de manu fortioris, miseritque manum et apprehenderit verenda ejus, abscides manum illius, nec flecteris super eam ulta misericordia; et disent qu'elle represente le mal que fait la Synagogue de reprocher aux Gentilz leur origine, et qu'ilz n'estoyent pas enfans d'Abraham.

  A012002601 

 Si vous voules parler de quelque vertu, allés a la Table de saint Thomas, voyés ou il en parle, regardés ce qu'il dit; vous treuveres plusieurs raysons qui vous serviront de matiere: mays au bout de la, il ne faut pas employer cette matiere sinon qu'on puisse fort clairement se faire entendre, au moins aux mediocres auditeurs..

  A012002602 

 Et toy, Chrestien, tu es si tenant, si froid, si peu resolu a immoler, je ne dis pas ton filz ni ta fille, ni tous tes biens, ni une grande partie, mais un seul escu pour l'amour de Dieu a secourir les pauvres, une seule heure de tes passetems pour servir Dieu, une seule petite affection, etc..

  A012002603 

 Il ne faut estre aussi ni si court que l'exemple ne penetre pas, ni si long qu'il ennuye..

  A012002603 

 Mais il faut prendre garde a ne faire pas des descriptions vaines et flacques, comme font plusieurs escoliers qui, en lieu de proposer l'histoire naïfvement et pour les mœurs, se mettront a descrire les beautés d'Isaac, l'espee tranchante d'Abraham, l'enceinte du lieu du sacrifice et semblables choses' impertinentes.

  A012002610 

 Apres tout cela, je vous advise qu'on se peut servir de l'Escriture par application avec beaucoup d'heur, encores que bien souvent ce qu'on en tire ne soit pas le vray sens; comme saint François disoit que les aumosnes estoyent « panis Angelorum, » parce que les Anges les procuroyent par leurs inspirations, et applique le passage: Panem Angelorum manducavit homo.

  A012002618 

 Mais il y a d'autres sentences ou le sujet n'est pas si descouvert, comme: Quomodo huc intrasti non habens vestem nuptialem? Voyla la charité; mays vous la voyes couverte d'une robbe, car la robbe nuptiale c'est la charité.

  A012002622 

 Il me reste a dire pour la methode, que je mettrois volontier les passages de l'Escriture les premiers, les raysons secondement, les similitudes troisiesmement, et quatriesmement les exemples, s'ilz sont sacrés; car s'ilz sont prophanes, ilz ne sont pas propres a fermer un discours: il faut que le discours sacré soit terminé par une chose sacree.

  A012002626 

 Ce que je dis, non pour m'en estre fort servi, car je ne l'ay veu qu'apres beaucoup de tems, mays parce que je le connois tel, et me semble que je ne me trompe pas.

  A012002628 

 Monsieur, c'est icy ou je desire plus de creance qu'ailleurs, parce que je ne suis pas de l'opinion commune, et que neanmoins ce que je dis c'est la verité mesme..

  A012002629 

 Dites merveilles, mais ne les dites pas bien, ce n'est rien; dites peu et dites bien, c'est beaucoup.

  A012002629 

 Il faut que nos paroles soyent enflammees, non pas par des cris et actions desmesurees, mais par l'affection interieure; il faut qu'elles sortent du cœur plus que de la bouche.

  A012002630 

 J'ay dit genereuse, contre ceux qui ont une action craintifve, comme s'ilz parloyent a leurs peres, et non pas a leurs disciples et enfans.

  A012002635 

 J'ayme la predication qui ressent plus a l'amour du prochain qu'a l'indignation, voire mesme des huguenotz, qu'il faut traitter avec grande compassion, non pas les flattant, mais les deplorant..

  A012002637 

 Je n'ayme point les plaisanteries et sobriquetz; ce n'en est pas le lieu..

  A012002640 

 Et quand je la prattique moy mesme, pourquoy ne le diray-je pas?.

  A012002640 

 Je n'ay point cité les autheurs que j'ay allegués en certains endroitz; c'est que je suis aux chams, ou je ne les ay pas.

  A012002642 

 Nostre Seigneur ne demanda pas a saint Pierre: Es-tu sçavant ou eloquent? pour luy dire: Pasce oves meas; mais: Amas me? Il suffit de bien aymer pour bien dire.

  A012002642 

 Nous ne devons pas chercher nostre honneur, mais celuy de Dieu; et laissés faire, Dieu cherchera le nostre.

  A012002656 

 En cela seul ilz n'auront pas sceu passer la mesure a dire, ni vous, Monsieur, a croire que je leur ay voüé toutes mes affections, qui vous sont par ce moyen acquises, puisqu'il sont vostres avec tout ce qu'ilz ont..

  A012002656 

 Et vous, Monsieur, n'aves pas esté moins aysé ni, comme je connois, moins ayse de leur donner une ample et liberale creance.

  A012002657 

 Or, Monsieur, les.amitiés fondees sur Jesus Christ ne laissent pas d'estre respectueuses pour estre un peu fort simples et a la bonne foy.

  A012002658 

 Il n'est pas jusques au petit Celse Benigne et a vostre Aymee qui ne me connoissent et qui ne m'ayent caressé en vostre mayson.

  A012002660 

 Chose estrange, mais que l'experience et les autheurs tesmoignent: un cheval, pour brave et fort qu'il soit, cheminant sur les passees et alleurs du loup s'engourdit et perd le pas.

  A012002660 

 Il n'est pas possible que vivans au monde, quoy que nous ne le touchions que des piedz, nous ne soyons embroüillés de sa puossiere.

  A012002662 

 Ceux qui partent a l'improuveuë sont excusables de n'avoir pas pris congé des amis et de partir en mauvais equipage, mais non pas ceux qui ont sceu l'environ du tems de leur voyage.

  A012002662 

 Il se faut tenir prestz; ce n'est pas pour partir devant l'heure, mays pour l'attendre avec plus de tranquillité..

  A012002662 

 Je ne dis pas qu'il faille rudement rompre toutes les alliances que nous y avons contractees (il faudroit a l'adventure des effortz pour cela); mais il les faut descoudre et desnouer.

  A012002662 

 Les arbres que le vent arrache ne sont pas propres pour estre transplantés parce qu'ilz laissent leurs racines en terre; mays qui les veut porter en une autre terre, il [329] faut que dextrement il desengage petit a petit toutes les racines l'une apres l'autre.

  A012002663 

 Quel ordre a vos affaires s'il failloit que ce fust bien tost? Je sçai que ces pensees ne vous seront pas nouvelles; mais il faut que la façon de les faire soit nouvelle en la presence de Dieu, avec une tranquille attention, et plus pour esmouvoir l'affective que pour esclairer l'intellective..

  A012002667 

 En fin aux amis: mais n'estes vous pas le premier des vostres? Je remarque que saint Paul dit a son Timothee: Attende tibi et gregi; primo tibi, deinde gregi, dit il..

  A012002668 

 Voyla des eaux, Monsieur; si elles sortent d'une maschoire d'asne, Samson ne laissera pas d'en boire..

  A012002682 

 J'ay longuement retenu vostre laquay Philibert, mais ç'a esté parce que je n'ay jamais eu un seul jour a moy, encor que je fusse aux chams; car la charge que j'ay porte tout par tout son martyre avec soy, et ne puis pas dire qu'une seule heure de mon tems soit a moy, sinon celles ausquelles je suis a l'Office: tant plus desiré-je d'estre tres estroittement recommandé a vos prieres.

  A012002685 

 Faites tous-jours l'entree de l'orayson en vous mettant en la presence de Dieu, l'invoquant et proposant le mystere; et apres les considerations, faites tous-jours les actes des affections, non pas de toutes, mays de quelques unes, et les resolutions; apres cela l'action de graces, l'offre, la priere; en fin lisés bien le petit memorial que je vous envoye et le prattiqués..

  A012002686 

 Mais ne faillés pas a tous-jours finir par l'esperance, autrement vous ne retireries nul prouffit de telles meditations.

  A012002686 

 Mais, ma Fille, je vous prie, que toutes ces meditations la des quatre fins se finissent toutes par l'esperance et confiance en Dieu, et non pas par la crainte et l'effroy; car quand elles finissent par la crainte elles sont dangereuses, sur tout celles de la mort et de l'enfer.

  A012002687 

 Sçachant que vous estes fort matineuse, je dis que le matin, estant levee, vous deves faire vostre meditation, et l'exercice du matin que j'ay appellé preparation, a la charge que le tout ne durera au plus que trois quartz d'heure, ne desirant pas que la meditation et l'exercice arrivent a une heure.

  A012002689 

 Au repas, j'appreuverois que vous observassies de faire [334] dire le Benedicite et les Graces ecclesiastiques qui sont a la fin du Breviaire; et cela vous le pourres introduire au meste tems que vous introduires le Breviaire de Trente, ou devant, s'il vous semble, et, petit a petit, faire que chaque Dame le die a son tour; car l'Eglise ne l'a pas fait mettre sinon a fin que nous l'observions.

  A012002691 

 Au demeurant, ma chere Dame, sur tout il faut que vous la premiere, et puis les autres, tenies un ordre non seulement pour les Offices, mais aussi pour s'aller coucher et lever; autrement vous ne pourres pas continuer en santé: et cela s'observe en toutes assemblees.

  A012002691 

 Je conseillerois que le disner ne fust point plus tard que dix heures, ni le souper que six, ni le coucher que de neuf a dix, et le lever entre quatre et cinq, si quelque complexion particuliere ne requiert davantage de tems pour dormir ou n'en puisse pas tant dormir.

  A012002691 

 Mais [334] il faut que, pour n'en pas tant dormir, la cause soit bien reconneuë; car entre les filles, il semble que six heures soyent presque requises, et voulant faire autrement on demeure sans vigueur le long de la journee..

  A012002694 

 Je n'ay pas icy les livres qui en traittent, et peut estre le disent-ilz mieux que moy; mais il n'importe: si vous le treuves ailleurs, tant mieux..

  A012002694 

 Je n'y metz pas tout, mays seulement ce que j'ay creu a propos pour vostre instruction.

  A012002697 

 Le premier c'est de leur commander souvent, mais des choses fort petites, douces et legeres, et ce devant les autres; et puis, la dessus, les en louer modestement, et les appeller a l'obeissance avec des termes d'amour: Ma chere Seur, ou Fille, et semblables; et plustost leur dire avant que de le faire: Si je vous prie de ceci ou de cela, le feres-vous pas bien pour l'amour de Dieu?.

  A012002698 

 Item, parler souvent de l'obedience, non pas comme la desirant d'elles, mays comme desirant de la rendre a quelqu'un.

  A012002700 

 Et je suis experimenté de semblables accidens pour les avoir veuz advenir en France, en des Monasteres ou il n'y a pas eu peu de peyne d'apayser ces orages..

  A012002704 

 Ne tesmoignes pas de vouloir vaincre; excusés en l'une son incommodité, en l'autre son aage, et dites le moins qu'il vous sera possible que c'est faute d'obeissance.

  A012002704 

 Quand vous rencontreres des difficultés et contradictions, ne vous essayes pas de les rompre, mais gauchisses dextrement et pliés; avec la douceur et le tems, si toutes ne se disposent pas, ayés patience, et avancés le plus que vous pourres avec les autres.

  A012002723 

 Quant au desir que vous aves de refaire vos vœux entre mes mains et m'en envoyer un escrit, puisque vous estimes que cela vous donnera tant de repos, j'en suis content, pourveu que vous adjousties a l'escrit cette condition, a l'endroit ou vous parleres de moy: « sauf l'authorité de tous legitimes Superieurs; » et ne faut pas que rien de cela se sçache..

  A012002724 

 J'escris a Monsieur vostre pere et le mien une lettre propre, a mon advis, pour gaigner son esprit a nostre dessein, lequel je ne luy depeins pas si grand comme il est parce que cela le rebuteroit luy estant proposé tout a coup, et petit a petit il le goustera indubitablement.

  A012002725 

 J'ay bien peur que l'escrit de la meditation ne soit si mal fait que vous ne sachies pas le lire; vous prendres la peyne, s'il vous plaist, de le faire mettre au net pour le pouvoir lire avec plus de fruit.

  A012002733 

 Que si elle n'est pas digne de ce lieu, ou moy de ce contentement, au moins aura-elle ce bonheur, ou qu'elle aille, d'avoir esté en si bon lieu.

  A012002743 

 N'ayés pas crainte non plus de n'avoir pas apporté tant de diligence qu'il failloit a vostre confession generale; car je vous redis fort clairement et asseurement que si vous n'aves point fait d'omission volontaire, vous ne deves nullement refaire la confession, laquelle, pour vray, a esté tres suffisamment faitte; et demeurés en paix de ce costé la.

  A012002744 

 Toutes les regles du Rosaire et du Cordon n'obligent nullement ni a peché mortel ni a veniel, ni directement ni indirectement; et, ne les observant pas, vous ne pecheres non plus que de laisser une autre sorte de bien a faire.

  A012002745 

 Ma chere Seur, vous ne me demandes pas peu; mais je m'essayeray de vous en dire quelque chose, car je vous le dois.

  A012002746 

 Outre les commandemens generaux, il faut soigneusement observer les commandemens particuliers qu'un chascun a pour le regard de sa vocation; et quicomque ne le fait, quand il feroit resusciter les mortz, il ne laisse pas d'estre en peché, et damné, s'il y meurt.

  A012002746 

 Qu'une personne face miracle estant en estat de mariage, et qu'elle ne rende pas le devoir de mariage a sa partie ou qu'elle ne se soucie point de ses enfans, elle est pire qu'infidelle, dit saint Paul; et ainsy des autres..

  A012002747 

 Voyla donq deux sortes de commandemens qu'il faut soigneusement observer pour fondement de toute devotion; et neanmoins la vertu de devotion ne consiste pas a les observer, mais a les observer avec promptitude et volontier.

  A012002749 

 C'est, en un mot, que nous voulons servir Dieu, mais a nostre volonté et non pas a la sienne.

  A012002749 

 Ce n'est pas a nous de choysir a nostre volonté; il faut voir ce que Dieu veut, et si Dieu veut que je le serve en une chose, je ne doy pas vouloir le servir en une autre.

  A012002749 

 De cent mille fruitz delicieux, Eve choisit celuy qu'on luy avoit defendu, et sans doute que si on le luy eust permis elle n'en eust pas mangé.

  A012002749 

 Dieu me commande de servir aux ames, et je veux demeurer a la contemplation: la vie contemplative est bonne, mais non pas au prejudice de l'obeissance.

  A012002749 

 Dieu veut que Saül le serve en qualité de roy et cappitaine, et Saül le veut servir en qualité de prestre: il n'y a nulle difficulté que celle cy est plus excellente que celle la; mais neanmoins Dieu ne se paye pas de cela, il veut estre obei..

  A012002750 

 C'est grand cas, Dieu avoit donné de la manne aux enfans d'Israël, une viande tres delicieuse; et les voyla qu'ilz n'en veulent pas, mais recherchent en leurs desirs les aulx et les oignons d'Egipte.

  A012002750 

 C'est nostre chetifve nature qui veut tous-jours que sa volonté soit faitte, et non pas celle de Dieu.

  A012002751 

 Ceux qui ont la fievre ne treuvent nulle place bonne; ilz n'ont pas demeuré un quart d'heure en un lict qu'ilz voudroyent estre en un autre: ce n'est pas le lict qui en peut mais, c'est la fievre qui les tourmente par tout.

  A012002751 

 Il faut considerer qu'il n'y a nulle vocation qui n'ayt ses ennuis, ses amertumes et degoustemens; et, qui plus est, si ce n'est ceux qui sont pleinement resignés en la volonté de Dieu, chascun voudroit volontier changer sa [348] condition a celle des autres: ceux qui sont Evesques voudroyent ne l'estre pas; ceux qui sont mariés voudroyent ne l'estre pas, et ceux qui ne le sont le voudroyent estre.

  A012002751 

 Une personne qui n'a point la fievre de la propre volonté se contente de tout; pourveu que Dieu soit servi, elle ne se soucie pas en quelle qualité Dieu l'employe: pourveu qu'il face sa volonté divine, ce luy est tout un..

  A012002752 

 Il ne faut pas porter la croix des autres, mais la sienne; et pour porter chascun la sienne, Nostre Seigneur veut qu'un chascun se renonce soy mesme, c'est a dire a sa propre volonté.

  A012002752 

 Mais ce n'est pas tout.

  A012002752 

 Si je n'estois pas Evesque, peut estre que, sachant ce que je sçay, je ne le voudrois pas estre; mais l'estant, non seulement je suis obligé de faire ce que cette penible vocation requiert, mais je doy le faire joyeusement, et doy me plaire en cela et m'y aggreer.

  A012002756 

 Et venant au particulier de ce qui vous faschera, dites: Voules vous que je face telle et telle chose? Helas, Seigneur, encor n'en suis je pas digne; je le feray tres volontier: et ainsy, que vous vous humilies fort.

  A012002756 

 Je voudrois que souvent parmi la journee vous invoquassies Dieu affin qu'il vous donnast l'amour de vostre vocation, et que vous dissies comme saint Paul quand il fut converti: Seigneur, que voules vous que je face? Voules vous que je vous serve au plus vil ministere de vostre mayson? Ah, je me reputeray encor trop heureuse: pourveu que je vous serve, je ne me soucie pas en quoy ce sera.

  A012002758 

 Faysons nostre besoigne; a chascun sa croix n'est pas trop.

  A012002758 

 Il faut aymer ce que Dieu ayme: or, il ayme nostre vocation; aymons-la bien aussi, et ne nous amusons pas a penser sur celle des autres.

  A012002760 

 N'oubliés pas de vous confesser tous les huict jours et quand vous aures quelque grand ennuy de conscience.

  A012002775 

 Ce grand mouvement d'esprit qui vous y a porté presque par force et avec consolation; la consideration que j'y ay apporté avant que d'y consentir; ce que ni vous ni moy ne nous en sommes pas fiés a nous mesmes, mais y avons appliqué le jugement de vostre confesseur, bon, docte et prudent; ce que nous avons donné du loysir aux premieres agitations de vostre conscience pour se refroidir si elles eussent esté mal fondees; ce que les prieres non d'un jour ni de deux, mais de plusieurs mois ont precedé, sont indubitablement des marques infallibles que c'estoit la volonté de Dieu..

  A012002777 

 La difficulté que j'y apportay au commencement, qui ne procedoit que de la consideration que j'y devois appliquer, vous doit entierement resoudre; car cryés bien que ce n'estoit pas faute de tres grande inclination a vostre service spirituel (je l'avois indicible), mais parce qu'en chose de telle consequence je ne voulois suivre ni vostre desir ni mon inclination, ains Dieu et sa provividence.

  A012002778 

 Je n'en voulois pas tant dire, mais un mot tire l'autre, et puis je pense que vous le mesnageres bien..

  A012002778 

 Non, je n'adjouste pas un seul brin a la verité, je parle devant le Dieu de mon cœur et du vostre.

  A012002778 

 Quand vous vous declarastes a moy plus particulierement, ce fut un lien admirable a mon ame pour cherir de plus en plus la vostre, qui me fit vous escrire que Dieu m'avoit donné a vous, ne croyant pas qu'il se peust plus rien adjouster a l'affection que je sentois en mon esprit, et sur tout en priant Dieu pour vous.

  A012002779 

 Il ne m'estoit jamais arrivé, sous cette forme de parler generale, de porter mon esprit a aucune personne particuliere: despuis que je suis sorty de Dijon, sous cette parole de nous, plusieurs particulieres personnes qui se sont recommandees a moy me viennent [354] en memoire; mais vous, presque ordinairement la premiere, et quand ce n'est pas la premiere, qui est rarement, c'est la derniere pour m'y arrester davantage.

  A012002780 

 C'est tout un; patience, il se faut parler par signes: il se faut prosterner devant Dieu et demeurer la devant ses piedz; il entendra bien, par cette humble contenance, que vous estes sienne et que vous voules son secours, encores que vous ne puissies pas parler.

  A012002780 

 Il ne faut nullement respondre ni faire semblant d'entendre ce que l'ennemy dit; qu'il clabaude tant qu'il voudra a la porte, il ne faut pas seulement dire: Qui va la? Il est vray, ce me dires-vous, mais il m'importune, et son bruit fait que ceux de dedans ne s'entendent pas les uns les autres a deviser.

  A012002781 

 C'est cependant un tres bon signe que l'ennemy batte et tempeste a la porte, car c'est signe qu'il n'a pas ce qu'il veut.

  A012002783 

 Je veux dire qu'il faut se revancher avec des affections et non pas avec des raysons, avec des passions et non pas avec des considerations.

  A012002790 

 Il est vray qu'il est malaysé a treuver, ce me semble, et partant, ne les treuvant pas, celles de Nostre Dame suffiront.

  A012002791 

 Mais si vous aves grand goust aux prieres que ci devant [358] vous aves faites, ne changés pas, je vous prie, et s'il vous advient de laisser quelque chose de ce que je vous ordonne, ne vous mettes point en scrupule, car voyci la regie generale de nostre obeissance escritte en grosses lettres:.

  A012002793 

 Je vous laisse l'esprit de liberté, non pas celuy qui forclost l'obeissance, car c'est la liberté de la chair; mais celuy qui forclost la contrainte et le scrupule ou empressement.

  A012002794 

 Je desire que vous ayes une traduction françoise de toutes les prieres que vous dires; non pas que je veuille que vous les disies en françois, ains en latin, car elles vous rendront plus de devotion; mais c'est que je veux que vous en ayes aucunement le sens, mesme les Litanies du Nom de Jesus, de Nostre Dame et des autres.

  A012002797 

 Vous ne deves pas relascher de la frequence de la Communion, sinon que vostre confesseur le vous commande.

  A012002799 

 Il n'est pas croyable combien cet advis est utile; l'experience me le rend recommandable tous les jours..

  A012002800 

 Si Françoise veut de son gré estre Religieuse, bon; [360] autrement je n'appreuve pas qu'on previenne sa volonté par des resolutions, mais seulement, comme celle de toutes les autres, par des inspirations soüefves.

  A012002803 

 Je luy propose cela, a mon advis, asses clairement et doucement, et avec ce terme, qu'il faut non pas du tout rompre les liens d'alliance qu'on a aux affaires du monde, mais les descoudre et desnoüer.

  A012002805 

 Peut estre que monsieur vostre pere, ne me connoissant pas, treuvera ma liberté mauvaise; mais faites moy connoistre a luy, et je m'asseure qu'il m'aymera pour cette liberté plus que pour autre chose.

  A012002806 

 Tout homme de bien est libre des actions de peché mortel et n'y attache nullement son affection: [362] voyla une liberté necessaire a salut; je ne parie pas de celle la.

  A012002808 

 Je ne dis pas aussi qu'il ne les ayme, mays je dis qu'il ne s'y attache pas.

  A012002808 

 Je ne dis pas qu'il n'ayme et qu'il ne desire les consolations, mais je dis qu'il n'engage pas son cœur en icelles.

  A012002808 

 Je ne dis pas qu'il ne la perde, mais c'est pour peu..

  A012002809 

 Les effectz de cette liberté sont une grande suavité d'esprit, une grande douceur et condescendance a tout ce qui n'est pas peché ou danger de peché; c'est cette humeur doucement pliable aux actions de toute vertu et charité.

  A012002809 

 Les occasions de cette liberté sont toutes les choses qui arrivent contre nostre inclination; car quicomque n'est pas engagé en ses inclinations ne s'impatiente pas quand elles sont diverties..

  A012002810 

 A la moindre occasion on change d'exercice, de dessein, de regie; pour toute petite occurrence on laisse sa regie et sa louable coustume, et par la, le cœur se dissipe et se perd, et est comme un verger ouvert de tous costés, duquel les fruitz ne sont pas pour le maistre mais pour tous passans..

  A012002811 

 Au contraire, si j'ay l'esprit de contrainte ou servitude, je ne laisseray pas ma meditation ores qu'un malade ayt grandement besoin de mon assistence a cette heure la, ores que j'aye un depesche de grande importance et qui ne puisse estre bien differé; et ainsy des autres sujetz..

  A012002812 

 Il me reste a vous dire deux ou trois exemples de cette liberté, qui vous feront mieux connoistre ce que je ne sçay pas dire.

  A012002812 

 Que si je ne suis pas malade, mais il se presente une occasion d'aller en un autre lieu ou, si je ne vay, ilz se feront huguenotz, voyla la volonté de Dieu asses declairee pour me faire doucement contourner mon dessein..

  A012002812 

 Si cependant je deviens malade ou que je me rompe la jambe, je n'ay que faire de regretter et m'inquieter de ne point prescher, car c'est chose certaine que la volonté de Dieu est que je le serve en souffrant et non pas en preschant.

  A012002813 

 Par exemple, je sçay que je serois plus utile quelque part bien loin de mon diocese: je ne dois pas user de liberté en cela, car je scandalizerois et ferois injustice, parce que je suis obligé icy.

  A012002815 

 Le pelerin n'en vouloit pas manger, non obstant sa necessité; Spiridion, qui n'en avoit nulle nécessité, en mange luy le premier par charité, affin d'oster par son exemple le scrupule du pelerin.

  A012002817 

 Apres cela, l'ayant baptisé, il ne le suit pas, mais demeure a faire son office.

  A012002818 

 Dieu, et n'aymer pas Dieu pour l'aymer tant mieux et plus purement? Cest exemple estouffe mon esprit de sa grandeur..

  A012002819 

 N'est ce pas trop? mais mon esprit court plus viste que je ne veux, porté de l'ardeur de vous servir..

  A012002871 

 Permettes moy, Monseigneur, que je supplie encor Vostre Altesse que le bon docteur monsieur Nouvelet puisse avoir la præbende theologale d'Evians comme les autres theologaux præcedens l'ont eue, puisqu'il ne la meritera pas moins qu'eux, et que cette pauvre ville n'en a pas moins necessité maintenant qu'ell'a eu ci devant.

  A012002887 

 Je ne fus pas plus tost en cette charge que le sieur Praevost de Montjou m'a fait appeller pardevant Monsieur l'Archevesque de Tharantayse, et avec moy ledit curé, pour voir rompre toutes les provisions faittes de laditte cure par feu Monsieur l'Evesque mon praedecesseur, de devote memoire.

  A012002888 

 Vostre Altesse a la Mayson de Saint Bernard en sa protection, mais elle n'a pas moins sous sa grace et singuliere faveur cette miserable evesché de Geneve, pour conserver, avec ses commandemens, les droitz de l'un'et de l'autre; qui est tout ce que je puis souhaitter en cette occasion particuliere, en laquelle j'ay trois grans advantages.

  A012002905 

 Je m'asseure que sur ces fondemens Son Altesse aura aggreables mes procedures, et n'approuvera pas celles de mon adversaire, lequel ayant de gayeté de cœur, ce semble, choysi le parti de l'assaillant et l'exerceant de tout son pouvoir, ne doit pas ni ne peut, sans avoir tort de moy, me faire prohiber celuy du defendant.

  A012002940 

 Vostre messager m'est arrivé au [380] plus fort et malaysé endroit que je puisse presque rencontrer en la navigation que je fay sur la mer tempestueuse de ce diocæse, et n'est pas croyable combien vos lettres m'ont apporté de consolation.

  A012002943 

 C'est pourquoy, en ayant conferé avec des personnes entendantes au mestier et consciencieuses, desquelles vous ne manques pas a Dijon, si mon opinion n'est pas jugee bonne ne la suivés pas, mais la leur, car je le desire ainsy, bien que j'espere que j'auray bien deviné, selon la proposition que vous m'en avés faitte.

  A012002943 

 En cette façon je ne voy pas quil y ait rien a craindre pour nostre chere ame, car vous ne luy faites nul tort de reprendre ce que vous luy aves donné, luy rendant ce quil vous a donné.

  A012002943 

 Je ne suis pas bien asseuré si je dis bien en ceci, parce qu'a l'adventure n'ay-je pas bien conceu le fait avec toutes ses circonstances; car je suis extramement dur a l'intelligence de ces choses-la.

  A012002944 

 Je ne vous diray plus rien du doute que vous avies si Dieu vouloit ou ne vouloit pas ce qui se passa a Saint Claude; car, puisque sa bonté s'est inclinee jusques aux aureilles de vostre cœur pour s'en declairer a vous, il n'est plus quæstion que vous en douties.

  A012002944 

 Pour moy, il ne me seroit pas possible, quand je le voudrois, d'en entrer en aucune difficulté..

  A012002946 

 Ces deux enfans en un mesme ventre s'entrebattent comm'Esau et Jacob; c'est pour quoy Rebecca s'ecrie: M'estoit il pas mieux de mourir que de concevoir avec tant de douleurs? De ces convulsions s'ensuit un certain degoustement qui fait que vous ne savoures pas les meilleures viandes.

  A012002946 

 Croyes-moy, ce n'est que le goust qui vous manque, ce n'est pas la veüe.

  A012002946 

 Et courage, car elle ne laissera pas de faire des beaux enfans et des œuvres aggreables a Dieu.

  A012002946 

 Il vous semble que vos resolutions sont sans force par ce qu'elles ne sont pas [383] gaÿes ni joyeuses, mais vous vous trompés, car l'Apostre saint Paul bien souvent n'en avoit que de cette sorte-la.

  A012002946 

 Mais que vous importe-il de savourer ou ne savourer pas, puis que vous ne laissés pas de bien manger? Sil me failloit perdre l'un des sentimens, je choysirois que ce fut le goust, comme moins necessaire, voire mesme que l'odorat, ce me semble.

  A012002946 

 O Dieu soit beni, ma chere Fille, l' infirmité n'est pas a la mort, mais affin que Dieu soit glorifié en icelle.

  A012002947 

 L'oyseau attaché sur la perche se connoit attaché et sent les secousses de sa detention et de son engagement seulement quand il veut voler; et tout de mesme, avant qu'il aye ses aisles il ne connoit son impuissance que par l'essay du vol. Pour un remede donques, ma chere Fille, puisque vous n'aves pas encor vos aysles pour voler et que vostre propre impuissance met une barriere a vos effortz, ne vous debattes point, ne vous empressés point pour voler; ayes patience que vous ayes des aisles pour voler comme les colombes.

  A012002947 

 Vous ne vous sentes pas ferme, constante, ni bien resolue.

  A012002947 

 Vous voyes la beauté des clartés, la douceur des resolutions; il vous semble que presque presque vous les tenes, et le voysinage du bien vous en suscite un appetit demesuré, et cet appetit vous empresse et vous fait eslancer, mais pour neant; car le Maistre vous tient attachee sur la perche, ou bien vous n'aves pas encor vos aisles, et ce pendant vous amaigrisses par ce continuel mouvement du cœur et alanguisses continuellement vos forces.

  A012002948 

 Cest empressement donques est un defaut en vous, et c'est ce je ne sçai quoy qui n'est pas satisfait, car c'est un defaut de resignation.

  A012002948 

 Sçavés vous ce quil faut faire? Il faut prendr'en gré de ne point voler, puisque nous n'avons pas encor nos aisles..

  A012002948 

 Un simple desir n'est pas contraire a la resignation; mais un pantelement de cœur, un debattement d'aysles, un'agitation de volonté, une multiplication d'eslancemens, cela indubitablement est faute de resignation.

  A012002948 

 Vous aves la fermeté, car qu'est ce autre chose fermeté que vouloir plus tost mourir qu'offencer ou quitter la foy? mais vous n'en aves pas le sentiment, car si vous l'avies vous auries mille joÿes.

  A012002948 

 Vous avés tout ce quil faut, mais vous n'en avés nul sentiment; il ni a pas grande perte en cela.

  A012002949 

 Or sus, sil vous failloit mourir sans boire de l'eau de la Samaritaine, et qu'en seroit ce pour cela, pourveu que nostr'ame fut receue a boire æternellement en la source et fontaine de vie? Ne vous empresses point a des vains desirs, et mesme ne vous empresses pas a ne vous empresser point.

  A012002950 

 Nostre Seigneur donna le choix a David de la verge delaquelle il seroit affligé; et, Dieu soit beni, mais il me semble que [je] n'eusse pas choysi, j'eusse laissé faire tout a sa divine Majesté.

  A012002950 

 Saches, ma tres chere Seur, que je vous escris ces choses avec beaucoup de distractions, et que si vous les treuves embrouïllees ce ne sera pas merveille, car je le suis moymesme, mais, Dieu merci, sans inquietude.

  A012002951 

 Or sus, ma Seur, ma Fille, mon ame (et ceci n'est pas trop, vous le sçaves bien), dites moy, Dieu n'est il pas meilleur que l'homme? mais l'homme n'est il pas un vray neant en comparaison de Dieu? Et neanmoins voyci un homme, ou plustost le plus vray neant de tous les neans, la fleur de toute la misere, qui n'ayme rien moins la confiance que vous aves en luy, encor que vous en ayes perdu le goust et le sentiment, que si vous en avies tous les senti mens du monde; et Dieu n'aura-il pas aggreable vostre volonté bonne, encor qu'elle soit sans nul sentiment? Je suis, disoit David, comm'une vessie sechee a la fumee du feu, qu'on ne sçauroit dire a quoy elle peut servir.

  A012002952 

 Est il pas bon a vostre advis? Il me semble que cette vicissitude vous le rend bien savoureux.

  A012002952 

 Je ne pense pas qu'il y ayt aucun mal de dire a Nostre Seigneur: Venes dans nos ames; non, cela n'a nulle apparence de mal..

  A012002952 

 Mais avec tout cela vous n'estes pas encor au pais ou il ni a point de jour, car vous aves le jour par fois et Dieu vous visite.

  A012002953 

 Ce Seigneur sçait si j'ay jamais communié sans vous des mon despart de vostre ville... Dieu veut que je le serve en souffrant les sterilités, les angoisses, les tentations, comme Job, comme saint Paul, et non pas en preschant.

  A012002953 

 Hé, serons nous pas un jour tous ensemble au Ciel a benir Dieu eternellement? Je l'espere et m'en res-jouïs..

  A012002956 

 Vrayement, quand vous voudres que je depesche et que je treuve du loysir sans loysir pour vous escrire, envoyés moy ce bon homme [Rose]; car, sans mentir, il m'a pressé si extremement que rien plus, et ne m'a point voulu donner de relasche, pas seulement d'un jour; et vous dis bien que je ne voudrois pas estre juge en un proces duquel il fust solliciteur..

  A012002957 

 Je ne puis laisser le mot de Madame, car je ne veux pas me croire plus affectionné que saint Jan l'Evangeliste, qui neanmoins en l'Epistre sacree qu'il escrit a la sainte dame Electa l'appelle Madame; ni estre plus sage que saint Hierosme, qui appelle bien sa devote Eustochium Madame.

  A012002957 

 Je veux bien neanmoins vous defendre de m'appeller Monseigneur; car encor que c'est la coustume de deça d'appeller ainsy les Evesques, ce n'est pas la coustume de dela, et j'ayme la simplicité..

  A012002959 

 Je ne suis pas asseuré qu'elle arrive, je n'en suis que menacé.

  A012002959 

 Mais pourquoy vous dis-je [388] ceci? Et pour ce que je ne m'en sçaurois empescher; il faut que mon cœur se dilate avec le vostre comme cela; et puisqu'en cett'attente j'ay de la consolation et de l'esperance de bonheur, pourquoy ne vous le dirois-je pas? mais a vous seule, je vous prie..

  A012002967 

 L'une dit: Je voudrois bien faire, mais il me fasche et ne le feray pas; l'autre dit: [Je] veux bien faire, mais je n'ay pas tant de pouvoir que de vouloir, c'est cela qui m'arreste.

  A012002967 

 La [389] premiere volonté ne fait que commencer a vouloir et desirer, mais elle n'acheve pas de vouloir; ses desirs n'ont pas asses de courage, ce ne sont que des avortons de volonté, c'est pourquoy elle remplit l'enfer.

  A012002982 

 Touchant la meditation, je vous prie de ne point vous affliger si parfois, et mesme bien souvent, vous n'y estes pas consolee; mais poursuivés doucement et avec humilité et patience, sans pour cela violenter vostre esprit, Serves-vous du livre quand vous verres vostre esprit las; c'est a dire lises un petit et puis medités, et puis relises encor un petit et puis medités, jusques a la fin de vostre demie heure.

  A012002983 

 On ne le sent pas en jeunesse, mais on le ressent tant plus par apres, et plusieurs personnes se sont rendues inutiles par ce moyen la..

  A012002983 

 Pour le coucher je ne changeray point d'opinion, s'il vous plait; mais si le lict vous desplait et que vous n'y puissies pas tant demeurer que les autres, je vous permettray bien de vous lever une heure plus matin; car, ma chere Seur, il n'est pas croyable combien les longues veilles du soir sont dangereuses et combien elles debilitent le cerveau.

  A012002984 

 Ce ne sera pas sans des douleurs extremes; mais mon Dieu, quel sujet est-ce que sa bonté vous donne de probation en ses commandemens! O courage, ma chere Seur; [391] nous sommes a Jesus Christ, voyla qu'il vous envoye ses livrees.

  A012002985 

 Comme s'il disoit: Si un autre que vous, o mon Dieu, m'avoit envoyé cette affliction, je ne l'aymerois pas, je la rejetterois; mais puisque c'est vous, je ne dis plus mot, je l'accepte, je la reçois, je l'honnore..

  A012002987 

 Pendant ce tems la, ma chere Fille, dispenses vous de l'Office pour tous les jours que les medecins vous le conseilleront, encor qu'il vous semblera que vous n'en ayes pas besoin: je vous l'ordonne comme cela au nom de Dieu.

  A012002990 

 Vous ne sçaves pas dequoy les Anges nous portent envie.

  A012002991 

 Il n'est pas bon de faire dire les Messes dans les chambres; adorés des le lict Nostre Seigneur a l'autel et contentes vous.

  A012003006 

 Et bien, il faut retendre l'arc et recommencer avec tant plus de soin; mais une autre fois il ne faut pas que les chams vous apportent cette incommodité.

  A012003007 

 Pardonnés moy, ma chere Dame, si je trousse un peu plus court ma lettre que vous ne desireries; car ce bon homme Rose me tient tellement au collet pour le faire depescher qu'il ne me donne pas le loysir de pouvoir escrire.

  A012003008 

 Si monsieur vostre mary ne me tient pas pour son serviteur il a bien tort, car je le suis tres asseurement, et de tout ce qui vous appartient..

  A012003020 

 Cettuici aussi ne me donne pas loysir d'escrire qu'a vous..

  A012003021 

 Il est vray que c'est un grand abus de tellement se lier a un confesseur que sil advient de n'en avoir pas la commodité, pour cela on s'en inquiete ou trouble; car c'est s'attacher a l'instrument de nostre bien et non pas a l'ouvrier d'iceluy, qui est Dieu, et par consequent perdre la vraye liberté.

  A012003022 

 Je n'ay pas loysir de vous en dire autre chose..

  A012003024 

 Faites moy ce bien que de saluer en mon nom madame Brulart, a laquelle je ne puis escrire faute de loysir, et aussi n'ay je pas autre sujet que de la saluer.

  A012003024 

 Si cet homme ne passoit a Geneve je vous eusse renvoyé tous vos papiers; mais je craindroys quil ne fut recherché la dedans, et qu'ilz les voulussent voir et s'en mocquassent, comm'ilz ont accoustumé de faire des choses qui ne sont pas a leur goust.

  A012003025 

 Mon Dieu qui connoist ma foiblesse ne la voudra pas espreuver, et se sera peut estre contenté de la menace.

  A012003065 

 Au bout de la, il m'a parlé d'un affaire duquel je ne suis pas bien capable, mais que j'ay estimé digne de n'estre pas entierement mesprisé.

  A012003065 

 C'est pourquoy je luy ay donné advis de passer jusques a vous, Monsieur, qui jugeres de sa proposition, laquelle, a ce quil m'a dit, il n'a communiqué a homme du monde que a moy, qui ne l'ay pas bien entendue..

  A012003114 

 Ce n'est pas certes qu'il ne fust desiderale que nos maysons episcopales fussent dans ce [402] reglement, nous sçavons ce que saint Paul en dit; mais je sçay par mon experience qu'il faut s'accommoder a la necessité du tems, du lieu, de l'occasion et de nos occupations.

  A012003122 

 Nous n'aurons pas besoin d'aller a Romme pour aller en Hierusalem, c'est a dire en la paix de nos consciences; Dieu a estendu sa main jusques icy pour nous embrasser..

  A012003123 

 Ce n'est pas pusillanimité d'avoir tesmoigné dans les yeux le coup que l'on ressent au cœur.

  A012003123 

 La terre seche ne reçoit pas si a propos le soc ni la semence; Dieu fait pleuvoir pour semer sa grace..

  A012003123 

 Que sil y a de l'extraordinaire, tant plus doit on croire que le coup vient d'en haut, puysque les coups ordinaires n'ont pas ce pouvoir.

  A012003160 

 Nous voyons là, justifié sans aucun doute, l'enseignement recueilli à l'origine, des lèvres de ceux qui nous ont engendrés à Jésus-Christ par l'Evangile: c'est qu'il n'y a sur la terre qu'un Pasteur suprême, auquel le Christ a confié ses brebis, mais si absolument et si indistinctement qu'il est de toute évidence qu'il « ne lui en a pas désigné quelques-unes en particulier, mais qu'il les lui a remises toutes; » et c'est pourquoi celui-ci, en portant le poids de ses préoccupations quotidiennes, doit veiller avec un soin attentif sur toutes les Eglises..

  A012003161 

 De Pierre, Elle occupe le siège, mais Elle imite aussi et de très près la conduite, car il est consolant de voir qu'Elle ne veut pas seulement commander aux brebis, mais qu'Elle tient surtout à les assister, toutes sans doute, mais nous autres en particulier, avec un absolu dévouement.

  A012003161 

 Qu'Elle ne souffre pas que sa bienveillance vienne jamais à nous manquer.

  A012003186 

 C'est pourquoi on supplie Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime de vouloir bien traiter des affaires du Chablais avec Sa Majesté le roi très chrétien, afin qu'il daigne faire à ces peuples la [410] grâce de ne pas les livrer entre les mains de ces républiques hérétiques; ou, si absolument il veut les livrer, que ce soit du moins sous cette réserve, que nulle innovation ne sera faite en ce qui concerne la religion, mais que toutes choses seront maintenues dans l'état où elles se trouvent maintenant....

  A012003195 

 Me sentant chargé du soin du plus important evesché de tout ce voysinage, ce m'a esté une incroyable consolation d'avoir sceu que vous esties aupres de Sa Majesté, [411] car je ne doutois pas qu'une sayson si pleyne de difficultés ne fit naistre beaucoup d'occasions esquelles ceste pauvre et tant affligee Eglise que Dieu m'a confiee auroit extreme necessité d'ayde et d'appuy; et ne pouvois d'ailleurs souhaitter un appuy et asseurance plus ferme et solide que d'une telle colomne du tressaint Siege Apostolique que vous estes.

  A012003196 

 Il y a environ soixante et cinq ans que les Bernois se saysirent de ces mesmes balliages et de celluy de Gex, et ne les eurent pas plus tost, qu'a vive force ilz y planterent l'hæresie, delaquelle ces pauvres ames demeurerent empestees, jusques a ce qu'appres, par la grace de Dieu, y avoir fait [412] prescher la foy catholique trois annees continuellement, en fin, des trois annees en ça, ces peuples pour la plus part (qui revient a quatorse ou quinze mill'ames) ont esté ramenés au giron de l'Eglise, sous l'expresse et formelle authorité du Saint Siege Apostolique.

  A012003248 

 Les huguenotz, sachans bien quilz n'oseroyent en vostre præsence user de la violence quilz ont accoustumé d'employer a l'advancement de leur hæresie, ne vous eurent pas si tost perdu de vëue qu'ilz font sortir de Geneve des ministres et autres telles gens, non seulement pour precher publiquement, mais aussi pour honnir et profaner nos eglises, renverser nos autelz et desrobber les cloches et autres meubles sacrés, comm'ilz ont fait a Veyri, Saint Julien et en deux lieux de Chablais, injurians et menaçans les personnes.

  A012003270 

 Ce n'est pas seulement à votre bienveillance, laquelle a toujours été insigne envers ce diocèse, c'est encore à votre libéralité, à votre charité apostolique, c'est à vos largesses personnelles que nous devons de posséder parmi nous cette poignée de braves de la Compagnie de Jésus, qu'on appelle « la Mission.

  A012003271 

 En reconnaissant ce précieux concours, j'ose aussi prier très humblement Votre Béatitude de ne pas nous priver de ses libéralités et de son assistance; je l'en conjure dans le Christ Notre-Seigneur, à qui je demande, du fond de mon âme, d'être propice à votre vieillesse et à vos très saints désirs..

  A012003271 

 Toutefois, la fondation d'un collège de ce genre ne serait peut-être pas si prompte ni si facile à faire; et pourtant les champs blanchissent déjà pour la moisson.

  A012003281 

 A quoy personne n'avoit apporté de la difficulté pendant que les scindiques y ont esté catholiques; [426] mais des l'annee passee, que la guerre ouvrit la porte a ceste poignee d'heretiques qui y est pour faire entrer ceux de leur secte au scindicat et maniement de la ville, les ditz Peres Jesuites y ont receu plusieurs empechemens, et sur tout n'agueres que lesditz scindiques se sont opposés a leur jouissance, sous prætexte que les assignations n'ont pas eu effect; ce que la guerre a causé.

  A012003355 

 Assurément, si les travaux qu'il a, pendant plusieurs années, soutenus pour la conversion des hérétiques, et ceux qu'il est sur le point d'entreprendre en ce champ laborieux sont pris en considération, je crois que Sa Sainteté lui multipliera ses faveurs et réduira les frais qu'il devrait faire et que, sans cette réduction, il n'est pas en mesure de soutenir..

  A012003403 

 Mays voyant maintenant que sa bonne volonté ne pourra pas si tost estre mise en son entier effect pour les difficultés que le tems y a despuis fait naistre, j'ay estimé qu'en attendant de voir sur pied le college de ceste ville, il seroit fort a propos que lesdits Peres Jesuites entrassent au college d'Annessi, pour disposer les escoliers qui y sont a ce dessein, et donner advancement a ceux qui se commencent a former en la petite escole [436] quilz ont icy, laquelle il seroit sur tout requis de continuer.

  A012003438 

 Je ne vous prieray pas de prester l'ayde de vostre faveur a un si saint souhait, car je sçai que vostre pieté vous y tient tout entierement dedié; mays je prieray bien Dieu quil luy plaise vous maintenir et accroistre en [439] ceste chrestienne et sainte affection, et de me donner le bon heur de pouvoir tesmoigner combien je desire estre,.

  A012003456 

 Mays voyant qu'apres avoir tant retranché du premier dessein, que je ne pouvois plus restraindre le nombre sans faire grand præjudice au service divin, et que non obstant tout cela il ne se trouvoit pas asses de moyens pour assortir ladite eglise de Thonon, je suis contraint de laisser en arriere cest article particulier au proces verbal que j'envoÿe au Saint Siege Apostolique pour le regard de tout le reste; et cependant recourir a la bonté de Vostre Altesse, la suppliant tres humblement de ne vouloir pas abandonner ce bon œuvre en ceste derniere necessité, a laquelle je ne pense pas qu'on puysse donner remede que prenant encor le reste de l'abbaÿe [441] de Filly pour l'y appliquer.

  A012003471 

 Il est vray que, n'ayant pas jugé lesdites raysons considerables pour empescher ledit establissement des curés, sans lequel des lhors toutes les eglises demeuroyent despourvëues, puysque les pasteurs, entretenuz jusques a l'heure avec tous les artifices possibles, estoyent resoluz d'abandonner silz ne se voyoyent en asseurance de leurs [443] provisions, ayant sur ce prins l'advis de gens tres zeléz au service de Vostre Altesse et qui sont capables de semblables conseilz, sans la presence desquelz je n'ay rien voulu faire, je passay outre a l'execution du Brief; en telle sorte neanmoins, que je retranchay de beaucoup son estendue, laquelle si j'eusse voulu suyvre, j'eusse esté contraint de lever tout le bien d'Eglise que ladite Milice tient es balliages: encor ni eut il pas esté suffisant.

  A012003472 

 Et quant a Doveynoz, bien que Vostre Altesse l'avoit entierement layssé pour estre employé a l'entretenement des pasteurs, si est ce que j'ay laissé au prieuré une bonne piece de revenu de laquelle je n'ay encor aucunement disposé, attendant la resolution que Vostre Altesse me donneroit pour la dotation de la cure de Thonon et de deux autres qui sont aux chams, lesquelles ne sont pas appointees de ce qui leur est necessaire.

  A012003518 

 Tout cela néanmoins n'atteint pas la somme qui serait nécessaire pour établir sur un fondement solide cette très pieuse entreprise.

  A012003541 

 Or, il n'est pas de moyen plus convenable que d'appliquer à cette œuvre les dîmes et les prémices que les fidèles payent à cet effet.

  A012003541 

 « Et vous avez tué ceux que vous n'avez pas nourris.

  A012003542 

 Quant aux prébendes théologales: Bien que le Concile n'oblige à les établir que dans les localités considérables, en exigeant le moins il n'exclut pas le plus; au contraire, il le désire et le loue.

  A012003544 

 Quant aux décimes de l'Evêque: Que lui seul, sans le concours d'aucun autre, ayant obtenu du duc de Savoie que les douze mille écus d'or que le clergé de Savoie donne à ce prince fussent payés en écus de monnaie, il n'a pas cru devoir faire instance pour ses intérêts personnels, et le clergé, jouissant de la faveur qu'il lui a obtenue, ne sera pas grevé beaucoup de décharger l'Evêque de la contribution qui lui incomberait, laquelle n'excède pas cent écus..

  A012003869 

 Toutesfois, je ne m'en croirey pas; saint Hyerosme disoit de soy: Ea etiam de quibus me scire arbitrabar interrogare me solitum, quanto magis de iis super quibus anceps eram! J'en enquerrey ceux que vous m'avez nommé, ou, si vous me faictes ce bien de m'adjouster vostre advis, j'en serey encor plus asseuré, n'ayant point tant de creance a nul aultre qu'a vous..

  A012003887 

 Je n'ay pas oublié le devoir que je vous ay, encor qu'il y ait long temps que je ne vous en aye rendu des effectz.

  A012003888 

 Je les receuz quelques jours advant les festes de Noel passé, et me disposoy apres au sacre, que je receuz le jour de la feste des Roys de la main de Monsieur l'Archevesque d'Aix, assisté de Messieurs de Bologne et de Mascon, aiant auparavant usé de la preparation dont vous me fistes ce bien de m'advertir, le mieux qu'il m'a esté possible; non pas toutes fois si bien que j'eusse desiré..

  A012003889 

 Je ne vous direy pas combien je m'en tiendrey vostre obligé, quy vous suis desja tout acquis, et suis entierement a vous par tant d'occasions que je desespere de vous en pouvoir jamais assez donner de recognoissance; vous suppliant neantmoins de croire qu'il ne se descouvrira aulcun endroict de le pouvoir faire que vous ne me voiez efforcer en mon debvoir..

  A012003903 

 Je ne vous escris pas pour me ramentevoir en vostre memoire; je sçay l'honneur que vous me faictes de m'aymer, et le rang que vous tenez en la mienne me promet que j'ay quelque place en la vostre.

  A012003903 

 Pour moy, je la supporte avec tant d'impatience, que, n'estoit la creance que j'ay que ce n'est pas estre tout a faict separé de vous que d'estre en vostre esprit, je blasmerois le jour que je vis reluire tant de rares vertus en vous, puis qu'il failloit en estre si tost et si long temps privé.


13-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XIII-Vol.3-Lettres.html
  A013000007 

 Pas être utilisés à des fins commerciales de toute nature!.

  A013000018 

 » — Ne pas trop considérer son mal.

  A013000020 

 » — Eviter la fréquentation des hérétiques; le négoce avec eux n'est pas défendu 31.

  A013000022 

 — On ne se guérit pas en un jour des mauvaises habitudes.

  A013000025 

 » — Ne pas se troubler dans les tentations.

  A013000033 

 — Ne pas regarder à qui, mais pour qui on obéit.

  A013000034 

 — Ne pas regarder à la substance de nos actions; les plus chétives deviennent honorables si Dieu les ordonne.

  A013000036 

 — Ce n'est pas l'œuvre d'un jour que de se conquérir soi-même; raisons de l'entreprendre avec courage.

  A013000049 

 — Ne pas s'étonner de ses faiblesses.

  A013000051 

 Ne pas trop appréhender les tentations.

  A013000053 

 » — Ne pas craindre si Dieu nous abandonne, nous laisse et lutte avec nous.

  A013000055 

 — Ne pas regarder en arrière, aimer ses vœux, conserver la douceur, pratiquer l'obéissance.

  A013000056 

 Ne pas craindre d'être importune en exposant ses peines intérieures.

  A013000057 

 — Ne pas apporter de délai à son désir afin d'éviter un plus grand dommage.

  A013000061 

 — Ce qu'il n'est pas besoin de dire en confession.

  A013000062 

 — L'Abbesse de Sainte-Catherine ne se range pas à l'avis du Saint à propos de sa parente.

  A013000065 

 — Circonstances où la déférence aux volontés des parents ne convient pas.

  A013000070 

 — Ne pas se charger d'austérités pendant le Carême.

  A013000074 

 — Ne pas aspirer à un état de vie au-dessus de nos forces.

  A013000084 

 » — Prendre modèle sur les abeilles: faire le miel « dedans sa ruche et des fleurs qui luy sont autour, » et ne pas désirer une perfection qui nous dépasse.

  A013000085 

 » — Dans les choses conseillées, le Saint ne veut pas qu'on prenne ses paroles en toute rigueur 111.

  A013000094 

 Les Chevaliers des Saints Maurice et Lazare ne tiennent pas leurs promesses.

  A013000105 

 — Ne pas trop considérer son mal.

  A013000105 

 — Ne pas trop « s'amuser » au projet d'entrer en Religion; conduite à tenir en attendant une décision.

  A013000113 

 — Ne pas rendre notre piété fâcheuse à notre entourage.

  A013000125 

 » — Il ne suffit pas « de ne faire pas mal.

  A013000147 

 Pour des âmes novices, il n'est pas bon de penser toujours rencontrer Dieu sans préparation.

  A013000151 

 — Les plus belles mortifications ne sont pas les meilleures. 183.

  A013000152 

 Les assauts du démon et ses fanfares; ne pas s'en effrayer.

  A013000181 

 Ne pas accabler l'esprit à force de surmener le corps.

  A013000181 

 » — Ne pas avoir le cœur trop douillet.

  A013000183 

 Ne pas se ralentir dans la poursuite de la gloire de Dieu.

  A013000185 

 Le Saint désire qu'on ne prenne pas dans un sens absolu les directions adressées à des personnes particulières.

  A013000189 

 On ne trouve pas ce qu'on cherche avec trop d'ardeur; applications à l'oraison.

  A013000193 

 — Ne pas pointiller dans la pratique des vertus.

  A013000214 

 N'est-ce pas d'ailleurs le meilleur moyen d'inaugurer dignement notre Episcopat que de le placer sous un si puissant patronage?.

  A013000216 

 Il n'hésitait pas à entreprendre de lointains voyages pour rechercher en quelque coin ignoré de bibliothèque, une lettre, un écrit quelconque du Saint, et il prolongeait volontiers ses veilles, qu'il consacrait à coordonner les textes et à établir les sources des citations par des références très laborieusement notées..

  A013000218 

 C'est une œuvre inspirée par le cœur; c'est une tâche entreprise par la piété filiale, que les difficultés présentes ne troublent pas, que les craintes de l'avenir ne découragent jamais..

  A013000218 

 Que les uns et les autres se rassurent! Cette publication n'est pas une œuvre commerciale, assujettie aux diverses fluctuations de l'intérêt.

  A013000220 

 Les lecteurs qui liront leurs notices rapides ne se douteront pas, peut-être, des labeurs considérables que chacune d'elles a coûtés..

  A013000221 

 Les vénérées Filles du Saint me pardonneront de dire la part qui leur revient dans cette œuvre immense, et le grand public ne sera pas fâché, sans doute, de savoir que les monastères d'aujourd'hui continuent d'être, comme au temps passé, des ruches ferventes où s'amassent silencieusement des trésors d'érudition et de science historique..

  A013000225 

 Le temps présent n'offre-t-il pas quelque analogie avec cette époque lointaine qui fut si agitée, et, par suite, cette Edition des Lettres de saint François de Sales n'est-elle pas vraiment opportune? Les âmes, enfiévrées et lasses de l'agitation des événements, trouveront dans cette lecture le repos, la quiétude de l'esprit, avec les saines pensées qui adoucissent les blessures du cœur et amènent par degrés, l'homme vers son Dieu, le souverain pacificateur..

  A013000235 

 Les éditeurs ne songent pas à s'excuser d'offrir au public un peu tardivement ce troisième volume.

  A013000248 

 Un grand Pape sollicite ses vues sur les plus hautes questions de la théologie, l'empereur d'Allemagne l'invite à la Diète, le duc de Savoie suit ses conseils, Baronius lui offre ses services; de Bérulle, le P. Possevin, le P. Fourier s'honorent d'être ses amis, les âmes les plus éminentes recherchent sa direction, et, ce qui n'est pas moins glorieux pour le saint Evêque, les petites gens, les malheureux se recommandent à sa charité..

  A013000252 

 Il ne semble pas qu'elle soit jamais bien entrée dans les vues de son Directeur; la réforme lui faisait peur, elle songea même sérieusement à quitter le cloître; il est probable qu'elle y était entrée sans vocation.

  A013000253 

 L'Evêque de Genève ne réussit pas dans celle-ci; ne le regrettons pas trop.

  A013000253 

 Même aux Saints, Dieu n'accorde pas toujours le succès dans leurs entreprises.

  A013000253 

 Sans l'humeur changeante et les infirmités de la rétive Abbesse, aurions-nous les admirables lettres qui lui furent écrites en vue de l'en guérir? Si l'on veut consoler ou relever l'âme découragée des malades ou des infirmes, qu'on lise les lettres à Rose Bourgeois; il n'est pas, croyons-nous, dans notre langue, d'exhortations plus lénitives et plus énergiques.

  A013000254 

 Esprit peu compréhensif, dévotieuse plutôt que dévote, pleine de stériles désirs, exagérant le but, puis découragée de ne pas l'atteindre, cette âme, par l'ensemble de ses aspirations et de ses défauts, ne représenterait-elle pas les tendances et l'idéal de beaucoup de femmes du monde? C'est donc à ces dernières que conviennent les lettres envoyées à la Présidente..

  A013000255 

 Elles y apprendront qu'il faut obéir, servir Dieu avec gaieté, se supporter soi-même, ne pas ouvrir son âme à tout venant, se défier du monde, ce charlatan, faire « le miel dedans sa ruche » et ne pas [XIII] s'épuiser en désirs de perfection chimérique.

  A013000260 

 Les plus discrets, pour ne rien dire des pamphlétaires, ont avancé sur le ton grave d'un impertinent pharisaïsme, que cette direction était une domination lente et progressive de l'âme humaine, paralysant la volonté, enfermant les facultés actives dans l'observation exclusive du dedans, quand elle ne les endormait pas, en supprimant tout désir, dans un quiétisme paresseux..

  A013000264 

 Pas d'issue pour l'illuminisme; avec cette règle, toute voie est barrée aux tromperies du sens intérieur..

  A013000265 

 Ce dépouillement spirituel, cette purification incessante de la volonté et des mobiles d'action ne va pas sans de continuels renoncements.

  A013000265 

 Et ce conseil viril n'était pas de trop pour suivre son programme; car, tout en parlant dans une langue suave, le Directeur n'en demandait pas moins des choses héroïques..

  A013000267 

 Ecoutez la réponse: « Je viens de parler pour vous a Nostre Seigneur... et certes, je n'ay pas osé luy demander absolument vostre delivrance; car s'il luy plaist d'escorcher l'offrande qui luy doit estre presentee, ce n'est pas a moy de desirer qu'il ne le face pas.

  A013000267 

 » Est-ce que de telles paroles sont inspirées par la molle complaisance d'un fade attendrissement? Dans le retranchement des vaines consolations, le Saint va plus loin encore; sachant que toute douleur se soulage à être racontée, il n'hésite pas à lui déconseiller [XVI] même cette innocente consolation: « Vous feres bien de regarder simplement Nostre Seigneur... sans vous amuser a considerer vostre mal, non pas mesme pour me le dire.

  A013000271 

 A son école, l'âme apprendrait à se connaître, à se retourner sur elle-même, à régler sa vie intime et extérieure, mais elle ne songerait pas, comme de nos jours, à s'épanouir au dehors par les œuvres de charité.

  A013000272 

 Il est vrai, l'effort du Saint et de sa direction va tout d'abord à épurer l'âme, à illuminer l'intelligence, à rectifier la volonté, à mettre de l'ordre dans toutes les puissances; mais la volonté n'est-ce pas la pièce maîtresse, l'instrument des actions humaines dont il importe avant tout de s'assurer? Régler la volonté, la fortifier, lui donner du ressort, de l'élan, est-ce faire autre chose que d'accumuler d'avance, pour l'action ultérieure, les trésors de l'énergie morale? Et les facultés agissantes, qui les excite, qui les met en jeu, sinon le vouloir intérieur? L'activité n'est souple, n'est durable, n'est féconde que si elle jaillit de cette force invisible qui s'appelle la volonté.

  A013000273 

 Vu à travers les ouvrages de ses grands écrivains, le XVII e siècle peut paraître un siècle d'analyse raffinée et de minutieuse observation morale; mais les âmes chrétiennes formées d'après les principes de saint François de Sales n'ont pas fait que s'observer: elles ont agi.

  A013000274 

 Pour juger de la valeur effective de la direction de saint François de Sales, il n'est pas à propos de citer l'inertie du duc de Bourgogne, l'élève de Fénelon; il serait plus sage de se demander ce que devint plus tard M me de Chantal, cette âme robuste, sa fidèle disciple.

  A013000281 

 Enfin, il n'est pas besoin d'ajouter que l'âme religieuse du Saint se découvre ici à son insu avec une ineffable ingénuité.

  A013000287 

 Les passages des Confessions où saint Augustin nous fait des confidences sur sa mère ne sont pas plus touchants.

  A013000288 

 Mais bientôt, dominant les « ressentimens » de ses regrets, il s'adresse à sa fille spirituelle qui lui avait paru n'avoir pas assez maîtrisé les siens.

  A013000291 

 Pourquoi n'oserions-nous pas dire qu'elles conviennent surtout à celles de notre temps?.

  A013000292 

 Cela ne l'avança ni recula du Saint Sacrement; elle ne laissa pas d'estre aussi tost que les autres a l'eglise.

  A013000292 

 Il faut donc leur infuser des goûts qui ne passent pas, des sentiments et des espoirs qui les fixent dans un état tranquille et sûr.

  A013000292 

 Les Lettres de l'Evêque de Genève ne sont-elles pas capables de faire ce miracle? En les lisant, on sentira que le beau de la vie, c'est d'aimer Dieu, de ne pas trop s'aimer soi-même et de beaucoup servir son prochain.

  A013000303 

 Quand la date attribuée à une lettre n'est pas absolument sûre, elle est insérée entre [].

  A013000327 

 Je n'auray pas plustost recouvert mes forces et rencontré quelque commodité de vous escrire [2] que je le feray fort soigneusement, comme j'ay fait cy devant a touttes les occurrences qui s'en sont presentees.

  A013000327 

 Je n'ay pas voulu confier voz petitz livretz a ce porteur, lequel, s'acheminant fort lentement et passant par Chalon et autres lieux, auroit peu les esgarer; je m'imagine aussi que vous n'en estes pas beaucoup necessiteuse..

  A013000346 

 Maintenant, au sortir de ma maladye, j'ay receu vostre lettre du quinziesme janvier que monsieur Grenaut m'a envoyé; mais non pas encor celle que vous m'avez escripte precedemment, en laquelle, comme vous me distes, vous m'escriviez fort particulierement de l'estat interieur de vostre ame.

  A013000348 

 Ny il ne fust pas loisible de s'enquerir pourquoy Dieu leur faisoit prendre tant de detours et les conduisoit par des chemins si aspres; et tous ceux qui en murmurerent moururent avant l'arrivee.

  A013000349 

 Que nous doyt il chaloir si c'est par le desert ou par les champs que nous allons, pourveu que Dieu soyt avecq nous et que nous allions en Paradis? Croyez moy, je vous prie, trompez le plus que vous pourrez vostre mal, et si vous le sentez, au moings ne le regardez pas; car la veüe vous en donnera plus d'apprehension que le sentiment ne vous donnera de douleur.

  A013000350 

 Appres que vous aurez prié le Pere quil vous console, s'il ne luy plaist pas de le faire n'y pensez plus, et roidissez vostre courage a faire l'œuvre de vostre salut sur la croix, comme si jamais vous n'en deviez descendre et qu'onque plus vous ne deussiez voir l'air de vostre vie clair et serain.

  A013000350 

 Et quand a ce que vous me distes, que c'est un grand travail de vouloir et ne pouvoir, je ne veux pas vous dire quil faut vouloir ce que l'on peut, mais je vous dis bien que c'est un grand pouvoir devant Dieu que de pouvoir vouloir.

  A013000350 

 Mais la divine Bonté ne vous a pas appellé au train auquel vous estes quil ne vous fortiffie pour tout cecy; c'est a luy de parfaire sa besoigne.

  A013000350 

 Voyez que ce cher Fils ayant demandé consolation a son bon Pere et cognoissant quil ne vouloit pas la luy donner, il ny pense plus, il ne s'en empresse plus, il ne le (sic) recherche plus; mais, comme s'il ne l'eust jamais pretendue, il execute vaillamment et courageusement l'œuvre de nostre redemption.

  A013000351 

 Ce service ne vous donne pas satisfaction, mais il le contente; il n'est pas a vostre gré, mais il est au sien.

  A013000353 

 Que si, appres cela, a la premiere rencontre qu'elle fera de son pere spirituel, elle pense retirer quelque consolation et proffit de luy manifester la mesme faute, elle le pourra faire, bien qu'il ne sera pas necessaire; et, a ce que j'ay appris de sa derniere lettre, elle le desire.

  A013000354 

 Je veux bien qu'elle le nourrisse, mais non pas qu'il croisse; car, croyez moy, il sera tousjours meilleur d'ouyr Nostre Seigneur avec indifference et en l'esprit de liberté, ce qui ne se pourra faire si ce desir grossit, car il assujettira toutes les facultés interieures et tyrannisera la rayson sur le choix.

  A013000355 

 Il est encor nuict, mais le jour s'approche; non, il ne tardera pas.

  A013000356 

 Je ne veux pas respondre a vostre derniere lettre par le menu, sinon en certains pointz qui me semblent plus pressans.

  A013000357 

 Il faisoit comme cela avec Job, avec saint Anthoine, avec sainte Catherine de Sienne et avec une infinité de bonnes ames [9] que je connois, et avec la mienne qui ne vaut rien et que je ne connois pas.

  A013000357 

 Souvenes vous de ce que je pense vous avoir dit une autre fois: c'est bon signe qu'il face tant de bruit et de tempestes autour de la volonté, c'est signe qu'il n'est pas dedans..

  A013000358 

 Et ne me dites pas qu'il vous semble que vous le dites avec lascheté, sans force ni courage, mais comme par une violence que vous vous faites.

  A013000359 

 En fin notés cecy: pendant que la tentation vous desplaira, il n'y a rien a craindre; car, pourquoy vous desplait elle, sinon par ce que vous ne la voules pas?.

  A013000378 

 Il se trompe toutesfois bien fort, car si j'avois autant de pouvoir que j'ay de vouloir pour servir a l'entiere reformation de vostre Monastere, non seulement je ny mettrois pas de la rigueur exterieure, mais y mettrois une bien grande douceur; ce seroyt a l'interieur ou j'applicquerois toutes mes pensees..

  A013000379 

 A l'advanture seroyt il bon que vous le vissiez et prissiez quelques leçons de luy pour la police de vostre Maison, car il n'est pas qu'il n'ayt une grande cognoissance de semblables choses..

  A013000384 

 Je vous escriray bien tost et de la façon avec laquelle vous pourres employer monsieur Viardot, encor quil ne demeure pas en vostre Mayson, comm'il ne sçauroit, a ce que j'apprens.

  A013000397 

 Je ne voy encores rien devant mes yeux qui me puisse promettre le bonheur de vous voir cette annee; et quant a ce que vous me touchez de [me voir] de deça, il ne me semble pas que ce soit chose bien aysee a faire, ni [peut] estre convenable de quelque tems, eu esgard aux [liens] avecq lesquels Dieu vous a attachee de dela.

  A013000397 

 Mais si la providence de Dieu l'exigeoit pour sa gloire et vostre salut, elle sçaura bien faire naistre les occasions encor que nous ne les voyons pas, et les fera sortir de quelque lieu auquel nous ne pensons pas.

  A013000397 

 Pour ma part, croyez moy je vous supplie, je n'ay pas moings de desir de vous revoir, et a loisir, que vous sçauriez avoir encor [vous même; mais] il faut sçavoir qui est le plus expedient et a propos.

  A013000401 

 Je vous diray seulement que le commerce des huguenotz n'est pas absolument defendu a ceux qui sont meslés avec eux; mays la verité est qu'il faut s'en abstenir le plus qu'on peut, car il a accoustumé de refroidir la devotion.

  A013000412 

 Je ne vous respons pas maintenant, car je ne sçaurois; je ne fay que passer legerement sur vos lettres.

  A013000426 

 Et je vous dis, qu'encor que je n'aye pas connoissance des actions que vous faites en mon absence, car je ne suis pas prophete, je pense toutefois que, pour le peu de tems que je vous ay veuë et ouÿe, il n'est pas possible de mieux connoistre vos inclinations et les ressortz d'icelles que je fay, et m'est advis qu'il y a peu de replis dans lesquelz je ne penetre bien aysement; et pour peu que vous m'ouvries la porte de vostre esprit, il me semble que j'y voy tout a descouvert.

  A013000426 

 Vous me dites donq que vous estes affligee de ce que vous ne vous descouvres pas asses parfaittement a moy, comme il vous semble.

  A013000427 

 Il faut donq avoir patience, et ne penser pas de nous pouvoir guerir en un jour de tant de mauvaises habitudes que nous avons contractees par le peu de soin que nous avons eu de nostre santé spirituelle.

  A013000427 

 Je vous respons qu'il n'est pas possible de nous abandonner du tout nous mesmes.

  A013000429 

 Et bien, ce n'est pas peu que cela.

  A013000430 

 Les arbres ne fructifient que par la presence du soleil, les uns plus tost et les autres plus tard, les uns toutes les annees et les autres de trois en trois, et non pas tous-jours esgalement.

  A013000431 

 Mais prenés garde de bien le mascher et remascher en vostre esprit; faites le fondre en vostre bouche et ne l'avalés pas en gros.

  A013000431 

 Or sus, vous sçaves bien en quelle saulse il vous a mise, en quel estat et condition; et dites moy, vous est il tout un? Vous n'ignores pas non plus qu'il veut que vous payes cette dette journaliere de laquelle vous m'escrives, et neanmoins ce ne vous est pas tout un.

  A013000433 

 Entre ceux qui sont ou courroucés ou mescontens, il y en a qui tesmoignent leurs desplaysirs seulement en disant: Mon Dieu, que sera cecy? et les autres disent des paroles plus cuisantes et qui ne tesmoignent pas seulement un simple mescontentement, mais une certaine fierté et despit.

  A013000434 

 Mais, Madame, il faut que je confesse la verité: je crains perpetuellement, en ces desirs qui ne sont pas de l'essence de nostre salut et perfection, qu'il ne s'y mesle quelque suggestion de l'amour propre et de nostre propre volonté; comme, par exemple, que nous nous amusions tant a ces desirs qui ne nous sont pas necessaires, que nous ne laissions pas asses de place en nostre esprit pour les desirs, qui nous sont plus requis et plus utiles, de nostre propre humilité, resignation, douceur de cœur et semblables; ou bien, que [21] nous ayons tant d'ardeur en ces desirs, qu'ilz nous apportent de l'inquietude et de l'empressement, et en fin, que nous ne les sousmettions pas si parfaittement au vouloir de Dieu qu'il seroit expedient..

  A013000444 

 O tribulation, que vous series desirable si on voyoit aussi bien vos roses que l'on void vos espines! Mon Dieu, ma Fille, que j'ayme vostre mauvaise jambe, car je sçai bien qu'elle vous portera plus au Ciel que la bonne; [22] jambe qui n'est pas une jambe, c'est un'aisle pour vous faire voler en l'air de la vie spirituelle.

  A013000457 

 Ma pauvre mere auroit bien du desir d'aller a l'adoration de la sainte Hostie; mais, sans mentir, je ne pense pas que ses affaires ni sa santé le luy permettent.

  A013000473 

 Considerés que la couronne de l'espouse ne doit pas estre plus douce que celle de l'Espoux, et que si on l'a tellement descharné qu'on ayt peu conter tous ses os, il est bien raysonnable qu'on en voye l'un des vostres.

  A013000475 

 Tenons la bien fermee et voyons souvent si elle n'est pas bien close, et de tout le reste ne nous en soucions point, car il n'y a rien a craindre..

  A013000477 

 Si nous n'avons pas les tendretés ou attendrissemens de cœur, les goustz et sentimens en l'orayson, les suavités interieures en la meditation, nous voyla en tristesse; si nous avons quelque difficulté a bien faire, si quelque difficulté s'oppose a nos justes desseins, nous voyla empressés a vaincre tout cela et nous en desfaire avec de l'inquietude.

  A013000479 

 Qui a Dieu pour object de ses intentions et qui fait ce qu'il peut, pourquoy se tourmente il? pourquoy se trouble il? qu'a il a craindre? Non, non, Dieu n'est pas si terrible a ceux qu'il ayme; il se contente de peu, car il sçait bien que nous n'avons pas beaucoup.

  A013000480 

 Mais tout ce desbattement d'esprit n'est pourtant pas sans paix, lhors qu'en fin, accablés de cette detresse, nous ne laissons pas pour cela de tenir nostre volonté resignee en celle de Nostre Seigneur et la tenons la, clouee sur ce divin bon playsir, ni ne laissons nullement nos charges et l'exercice d'icelles, mays les executons courageusement.

  A013000481 

 La premiere, c'est que bien souvent nous estimons avoir perdu la paix par ce que nous sommes en amertume, et neanmoins nous ne l'avons pas perdue pourtant; ce que nous connoissons, si pour l'amertume nous ne laissons pas de renoncer a nous mesme et vouloir du tout dependre du bon playsir de Dieu, et nous ne laissons pas pour cela d'executer la charge en laquelle nous sommes.

  A013000484 

 L'humilité nous fait recevoir les peynes doucement, sçachant que nous les meritons, et les biens avec reverence, sçachant que nous ne les meritons pas.

  A013000485 

 Ne vous fasches pas de demeurer au lict sans meditation; car endurer les verges de Nostre Seigneur n'est pas un moindre bien que mediter.

  A013000487 

 Mays avec cela, je vous prie de faire en sorte que cet autre bon Pere qui a desiré de vous ayder ne puisse pas reconnoistre que vous ne le goustes pas, par ce qu'a l'advenir il sera utile pour estre employé a l'œuvre que vous et moy desirons, pour obtenir quelque chose du Saint Pere..

  A013000493 

 Oh que nostre saint Bernard dit divinement bien que l'office de la charge des ames ne regarde pas les ames fortes, car celles la vont a leur propre pied; mays il regarde les ames foibles et languissantes, lesquelles il faut porter et supporter sur les espaules de la charité, laquelle est toute puissante.

  A013000504 

 Mais je ne voudrois pas aussi qu'elle laissast pour cela de se prevaloir des bons advis et [35] conseilz qu'elle peut recevoir d'ailleurs, et particulierement du bon Pere de Saint Benigne, duquel vous m'escrives, et moy a elle, pour luy en declarer mon opinion telle que je vous dis..

  A013000504 

 Que vous m'obliges a vous rendre une vraye et entiere obeissance filiale par la faveur qu'il vous plaist me faire en m'escrivant si souvent et de vostre santé et de l'estat des affaires de madame l'Abbesse, ma tres chere Seur! Rien sans doute ne me peut donner plus de consolation que de me voir vivre en vostre souvenance et bonne grace, et de vous estre aggreable au desir que j'ay de servir cette Seur en tous ses vertueux desseins, pour la poursuitte desquelz j'appreuve bien qu'elle ne change pas le chemin que je luy ay proposé, qu'avec beaucoup de consideration.

  A013000505 

 Ce n'est pas de mon eschole qu'elle a jeusné ce Caresme contre l'opinion des medecins, a l'obeissance desquelz je l'exhorte bien fort, sachant bien Dieu seul estre servi comme cela..

  A013000521 

 Il me semble qu'elle a un petit trop de crainte que je ne m'offence si elle communique son interieur a quelque autre; et la verité est que quicomque veut proffiter il ne faut pas l'aller espanchant ça et la indistinctement, ni changer a toute apparence de methode et façon de vivre; mais aussi doit on vivre avec une honneste liberté, et, quand il est requis, il ne faut faire nulle difficulté d'apprendre d'un chacun et de se prevaloir des dons que Dieu met en plusieurs.

  A013000522 

 Vous feres bien aussi de luy obeir en tout le reste de vostre conduitte interieure et spirituelle, sans que pourtant je me veuille exempter de contribuer tout ce que Dieu me donnera de lumiere et de force, car il ne me seroit pas possible de desfaire la sainte liayson que Dieu a mis entre nous..

  A013000524 

 Non, plus de ceremonies entre nous; nos liens ne sont pas faitz de ces cordes-la.

  A013000540 

 Je dis cela en cas que le sujet mesme de la retardation de vostre voyage ne meritast pas de soy mesme de m'en advertir; mais pour cela faites comme vous jugeres, ou pour m'advertir ou pour ne point m'advertir..

  A013000540 

 Sil vous arrivoit quelqu'incommodité pour laquelle il falust differer vostre venue, vous n'aures pas pour cela besoin de m'advertir par homme expres, mais seulement par la premiere commodité, puisque, passé ce tems-la, je seray a la visite et ne m'arresteray nulle part jusques a Nostre Dame de septembre que je seray icy quinze jours seulement: si que, entre ci et la, vous auries asses de loysir de m'advertir.

  A013000542 

 En ce qui regarde les ennuys des tentations de la foy ne vous y amuses pas, mais attendes que vous soyes icy, car ce sera bien asses tost.

  A013000542 

 Ne partes pas sans le congé de vostre confesseur; je veux croire que vous luy en aves communiqué vos deliberations avant que d'en resoudre..

  A013000544 

 Je vous escris sans entendement, mais je ne vous escris pas sans un cœur plein d'extraordinaire desir de vostre bien et perfection.

  A013000547 

 Vous viendres de Gex a Geneve ou, si vous ne voules pas, vous n'arresteres point, et si vous voules, vous pourres arrester, car il ni a pas de danger, et de la vous viendres a Thorens.

  A013000559 

 Or, Monsieur, il n'est possible que de cette privation de gens d'Eglise, il n'arrive beaucoup d'inconveniens, et seroit bien plus raysonnable [43] que messieurs les Chevaliers de Saint Maurice fussent sans biens ecclesiastiques que non pas que les peuples fussent destituëes (sic) de l'office requis a leur salut..

  A013000560 

 Il y a encor plusieurs autres parroisses qui ne sont pas assorties de leurs besoins, comme Thounon, qui n'a point de curé, ains seulement des vicaires; Ivoire en est de mesme et quelques autres, a quoy messieurs les Chevaliers sont tenus de fournir et prouvoir quant aux portions congrues, comme moy quant aux personnes.

  A013000561 

 Il sera requis que tout de mesme, sur chacun d'iceux, on prenne des portions congrues pour les curés, affin que le service pour lequel les biens furent mis en l'Eglise, ne soit pas du tout delaissé; et si en ce commencement cela ne se fait, il sera par apres malaysé de le faire, d'autant que la douceur de la possession rendra les commendeurs difficiles a lascher..

  A013000592 

 Et si vous y prenes bien garde, il tient un monde en ses mains, lequel il destourne doucement a gauche, par ce qu'il sçait bien qu'il n'est pas propre aux vefves; mais de l'autre main il luy presente sa sainte benediction..

  A013000604 

 Et pour dire la verité, il me semble qu'en ces choses cerimoniales, il n'y a pas grand danger de suivre l'opinion qui facilite nostre charge, et mesmes es lieux ou pour la multitude des parroisses, la distraction seroit grande de se porter a touttes sortes de semblables actions..

  A013000607 

 Elle n'est pas encor bien confirmee; neantmoins,.

  A013000640 

 Ce n'est pas le propre des roses d'estre blanches, ce me semble, car les vermeilles sont plus belles et de meilleure odeur; c'est neanmoins le propre du lys.

  A013000640 

 N'aymés rien trop, je vous supplie, non pas mesme les vertus, que l'on perd quelquefois en les outrepassant.

  A013000640 

 Soyons ce que Dieu veut, pourveu que nous soyons siens, et ne soyons pas ce que nous voulons contre son intention; car, quand nous serions les plus excellentes creatures du Ciel, dequoy nous serviroit cela, si nous ne sommes pas au gré de la volonté de Dieu? Je redis a l'adventure trop cela, mais je ne le diray plus si souvent, puisque mesme Nostre Seigneur vous a des-ja beaucoup fortifiee en cet endroit..

  A013000653 

 Pour me tenir en possession de vous escrire a toutes les commodités qui s'en presenteront, je vous diray ces trois ou quatre choses lesquelles j'ay dittes a madame de Chantal nostre bonne seur, mais non pas si clairement quil ne soit encor utile de vous les representer icy.

  A013000654 

 Or, ma Fille, ni a-il pas moyen de dissoudre petit a petit ces difficultés? Il le faut sans doute, et procurer d'avoir une vraye simplicité chrestienne, delaquelle le principal effect consiste a naifvement se declairer en confession, et bien plus encores; car je ne doute point qu'un jour Dieu vous fera la grace d'estre si humble que vous desireres que non seulement vos peres spirituelz, mais les autres aussi sachent toutes vos imperfections.

  A013000655 

 Si faut il pourtant faire en sorte que le bon Pere Recteur n'aye pas sujet de s'estimer mesprisé; car encor quil le supporteroit charitablement, cela neanmoins ne seroit pas honneste.

  A013000655 

 Vos lettres, ce me sembloit, tendoyent a cela, qui m'occasionna de luy en escrire; neanmoins, je ne veux pas en cela vous donner aucune contrainte.

  A013000656 

 Nostre seur de Chantal me dit quelque chose de certaines craintes et ombres qui se presentent quelquefois a vous en vos prieres; et je luy dis que vous ne deviés pas seulement arrester un seul moment vostre esprit a considerer si cela estoit ou non, ni que cela peut estre ou que c'est; car je vous asseure, ma chere Seur, que cela n'est rien du tout, sinon une divagation d'imaginative que l'apprehension de la solitude, ou l'ennuy et difficulté de ces commencemens engendre en vostre esprit.

  A013000678 

 Ne voyes vous pas que l'on n'esmonde point les vignes a coups de coignee, mais que l'on les coupe avec la serpe doucement et sarment apres sarment? J'ay veu telle piece de sculpture que le maistre a manié dix ans avant qu'elle fust parfaitte, et n'a jamais cessé d'en lever avec le ciseau et le burin, et petit a petit, tout ce qui empeschoit la juste proportion.

  A013000678 

 Non sans doute, il n'est pas possible d'arriver en un jour ou vous aspires: il faut ores gaigner ce point, demain un autre, et pied a pied nous nous [58] rendrons maistres de nous mesmes, qui ne sera pas une petite conqueste..

  A013000679 

 Je sçai que l'entreprise est grande, mais non pas tant que la recompense.

  A013000682 

 Je n'ay pas autre chose a dire pour cela, sinon que vous ne deves pas mettre sur la lettre Monseigneur tout court, ni autrement; il suffit d'y mettre Monsieur, et pour cause.

  A013000700 

 Je vous escrivis la lettre precedente, sur l'asseurance que j'avois au voyage d'un Pere Cordelier, lequel n'a [60] pas reusci, et elle m'est demeuree, en attendant de jour a autre, jusques a l'arrivee de la vostre, receu (sic) par l'homme de ma mere; en response a laquelle, permettes moy, je veux dire, ayes aggreable que je vous parle en vray pere..

  A013000701 

 Ce n'est ni vostre incommodité, ni vostre pauvreté, ni toutes ces considerations que vous aves rencontrees, et sur tout ce n'est pas pour ne me point rendre vostre obligé.

  A013000701 

 L'amour que je vous porte ne pense nullement a cela; je ne sçai pas comme le vostre y va songer.

  A013000701 

 Sçaves vous ce que je pensois? C'est que, puisque j'avois declairé mon opinion a bon escient, j'estimois que vous y accommoderies la vostre et croiries que j'avois rayson, sans vous en enquerir davantage; mais vous n'estes pas si simple.

  A013000702 

 Nous sommes a la veille de l'entiere reformation de ce Monastere-la, et nous quitterons la besoigne! Faut-il perdre cœur sur le milieu de la victoire? Ce n'est pas [61] peu que nostre bon pere se soit accommodé a desirer la reformation; il m'en escrit, mais avec certaines reserves quil desire, dit il, pour la consolation de sa viellesse.

  A013000702 

 Seigneur Dieu, je croyois que vous n'oseries pas seulement y penser sans mon advis, et vous me parles d'en sortir! O ma Fille, qu'est ce qui a esbranlé nos resolutions? Quelle nouvelle difficulté nous peut faire retirer de nos desseins, si proffitables a nos ames, si pleins de la gloire de Dieu? Ouy vrayment, il m'en faudra bien parler, et faudra bien que nous en parlions a Dieu avant que de le faire.

  A013000702 

 Vous m'aves bien mis plus en peine quand vous m'aves parlé de sortir de cette Mayson-la, mais non pas sans m'en parler.

  A013000703 

 Je m'attendois a sçavoir par vostre lettre, ou vostre inclination vous portoit pour la confession; c'est a dire, si vous receviés pas a plein cœur les advis de monsieur Viardot, si vous y avies pas de la confiance.

  A013000705 

 Je ne pense pas que mon affection envers vous et vostre Monastere soit explicable; je sçai que si vous la voÿies vous l'admireries pour sa grandeur et sa constance..

  A013000720 

 Je croy que vous ny treuveres rien d'aspre; mais, Monsieur mon tres honnoré Pere, ne suis-je pas vostre tres obeissant filz? Et donques, mesnages mon honneur en ne permettant pas que le bon Pere de Saint Benine croye que je veuille surnager a son conseil, car je ne le doy pas vouloir..

  A013000721 

 Voyes vous, Monsieur mon Pere, toutes sortes d'espritz ne sont pas bons pour le sien.

  A013000740 

 Ma mere ne sçait pas que je vous escrive.

  A013000754 

 Et permettes moy, Monsieur, je vous en supplie, que je vous resouvienne de ce quil vous pleut m'accorder pour mon particulier, qui est, qu'estant a Chamberi, vous me feries lhonneur de considerer, si pour n'avoir pas voulu accorder des excommunications en matiere criminelle et contre les Canons, il est raysonnable que le temporel de l'evesché ou celuy du vicaire soit saysi....

  A013000781 

 Il n'est pas de besoin que vous en recherchies ni le jour ni les occasions; mais s'il se presente, je veux que vous y porties vostre cœur doux, gracieux et compatissant.

  A013000782 

 Je replique: je n'entens pas que vous recherchies le rencontre de ce pauvre homme, mais que vous soyes condescendante a ceux qui le vous voudront procurer, et que vous tesmoignies que vous aymes toutes choses.

  A013000801 

 Lorsque, en ces premiers jours de votre Pontificat, tant de personnages se sont empressés de venir déposer aux pieds de Votre [69] Sainteté l'hommage de leur vénération, je n'ai pas cru que fût permise l'ingérence de ma chétive personne.

  A013000802 

 Si dans cette circonstance j'eus tant à me louer de votre bienveillance, tandis que vous étiez Cardinal, n'ai-je pas lieu d'espérer vos bonnes grâces, aujourd'hui que vous êtes Père et Pontife?.

  A013000821 

 Et a propos de barrieres: Magdeleyne vouloit embrasser Nostre Seigneur, et ce doux Maistre met une barriere: Non, dit-il, ne me touche point, car je ne suis pas encor monté a mon Pere.

  A013000821 

 Or sus, courage, ne nous empressons point; nous avons nostre doux Jesus avec nous, nous n'en sommes pas separés, au moins je l'espere fermement.

  A013000826 

 Je suis plein d'esperance en la bonté de Dieu que nous serons tout siens; je suis joyeux et plein de courage: Dieu n'est il pas tout nostre? Amen.

  A013000851 

 Mais je ne lairray pas de vous supplier, Monsieur, de faire appeller par devant vous le sieur chevalier Bergeraz, et de me marquer le jour et le lieu auquel je me rende ensemblement pres de vous, pour, par vostre authorité, terminer une bonne fois les portions necessaires a l'entretenement du service de Dieu es eglises des balliages.

  A013000852 

 Je crains extremement de me rendre importun, mais non pas en cett'occasion, en laquelle vous jugés bien, Monsieur, que mon desir est raysonnable, pour fort et pressant qu'il puiss'estre..

  A013000871 

 Mais sur tout je voudrois fort entendre quel progres vous esperes pour la clausure; s'il sera pas possible de tenir la porte fermee aux hommes, au moins avec la moderation que je vous avois escrit, laquelle n'estoit que trop facile, ce me semble, et telle que monsieur nostre pere ne pouvoit treuver mauvaise.

  A013000880 

 Je ne suis pas si tendre maintenant; les douleurs de l'enfantement me sont passees.

  A013000881 

 Rachel, ne pouvant avoir des enfans, donna en mariage pour sa seconde a son mary la bonne fille Bala (en ce tems la, il estoit permis d'avoir plusieurs femmes pour multiplier le peuple de Dieu), et Bala enfantoit sur les [80] genoux de Rachel; dont Rachel prenoit les enfans a soy et les tenoit pour siens, si que Bala, sa seconde, n'en avoit plus de soin, au moins, elle n'en avoit pas le plus grand soin.

  A013000883 

 Bienheureux sont ceux qui ont le cœur net, car ilz verront Dieu; il ne dit pas qu'ilz le voyent, mais qu'ilz le verront..

  A013000883 

 Vous ne sçaves pas que je pense sur ce que vous me demandés des remedes? C'est que je n'ay point souvenance que Nostre Seigneur nous ayt commandé de guerir la teste de la fille de Sion, mais seulement son cœur.

  A013000884 

 Ce n'est pas grande merveille qu'un esprit d'une pauvre petite vefve soit foible et miserable.

  A013000884 

 Cela ne l'avança ni recula du Saint Sacrement; elle ne laissa pas d'estre aussi tost que les autres a l'eglise..

  A013000884 

 Courés dedans les barrieres, puisqu'on les a mises; vous ne laisseres pas [81] d'emporter la bague, et plus seurement.

  A013000884 

 Ne soyés pas si jalouse de vostre esprit.

  A013000885 

 Mais mon Dieu, commenceray je par la a vous parler de moy, puisque vous le desires? C'est la verité; hier tout le jour et toute cette nuit, j'en ay porté une pareille, non pas en ma teste, mais en mon cœur; mais maintenant elle m'est ostee par la confession que je viens de faire.

  A013000885 

 Mon bon saint Pierre ne voulut pas que la sienne fust pareille a celle de son Maistre, il la fit renverser; il eut la teste en terre et le cœur au Ciel, en mourant..

  A013000885 

 Ne soyés point jalouse, encores une fois; vous n'aves pas seule cette croix.

  A013000886 

 Ce pendant, n'aves vous pas vos petitz ouvrages a faire en attendant? Suis-je point trop dur, ma Fille? Au moins je suis veri table.

  A013000886 

 On ne vous a pas encor ouvert la porte, mais, par le guichet, [82] vous voyes la basse cour et le frontispice du palais de Salomon: demeurés la.

  A013000888 

 Pour vos pensees, il n'est pas requis de s'amuser a celles qui ne font que passer, mais seulement a celles lesquelles, comme font les abeilles, vous laisseront leurs germes et esguillons dans leurs piqueures..

  A013000892 

 Ma response est devant Dieu: non, ne doutés point, ma Fille, je ne ferois pas un seul clin d'œil [84] pour tout le monde, je le mesprise de bon cœur; si ce n'est la plus grande gloire de nostre Dieu, rien ne se remuera en moy.

  A013000905 

 Faites moy ce bien de m'en escrire quelque chose au retour de ce porteur, lequel peut estre ne sera pas si soudain qu'elle mesme ne puisse bien vous envoyer des lettres pour me faire tenir par son entremise..

  A013000922 

 Vous aves maintenant en main, je m'en asseure, ma Fille, les trois lettres que je vous ay escrittes et que vous n'avies pas encor receuës quand vous m'escrivistes le second aoust.

  A013000923 

 Non, non, ma Fille, laisses courir le vent, ne penses pas que le frifillis des feuilles soit le cliquetis des armes..

  A013000923 

 Vos tentations sont revenues et, encores que vous ne [87] leur repliquies pas un seul mot, elles vous pressent.

  A013000923 

 Vous aymes la foy et ne voudries pas qu'une seule pensee vous vinst au contraire, et, tout aussi tost qu'une seule vous touche, vous vous en attristes et troubles.

  A013000923 

 Vous ne leur repliques pas, voyla bon, ma Fille; mais vous y penses trop, mais vous les craignes trop, mais vous les apprehendes trop: elles ne vous feroyent nul mal sans cela.

  A013000924 

 Croyés-moy, ne craignés point les tentations, ne les touchés point, elles ne vous offenceront point; passés outre et ne vous y amuses pas..

  A013000924 

 Je le creus; pas une ne me mordit.

  A013000925 

 Et Dieu m'a fait voir a ce voyage une consolation entiere; car, au lieu que je n'y treuvay que cent Catholiques, je n'y ay pas maintenant treuvé cent huguenotz.

  A013000928 

 L'Apostre saint Paul en souffre de terribles et Dieu ne les luy veut pas oster, et le tout par amour.

  A013000928 

 Soyés toute resolue que toutes les tentations d'enfer ne sauroyent souiller un esprit qui ne les ayme pas; laissés les donq courir.

  A013000929 

 Il ne laissera pas pour cela d'estre nostre Dieu, car l'affection que nous luy devons est d'une nature immortelle et imperissable..

  A013000929 

 Je l'espere ainsy; et, s'il ne le fait pas, encor ne laisserons nous pas de le servir.

  A013000944 

 Souvenés vous que nostre Dieu n'est pas comme le reste des choses: il est bon a tous et en tous tems, vous le treuveres par tout a vostre support et consolation; c'est pourquoy ne vous lasses point a la queste d'un si grand bien.

  A013000961 

 Non, nous n'avons pas encor les bras asses larges pour atteindre aux cedres du Liban, contentons nous de l'hyssope des.

  A013000973 

 Quand vous ne le voudriés pas, encor pensés que je me desguiserois pour, sous la personne d'une autre, vous rendre le service auquel je me sens attaché par la main de Nostre Seigneur.

  A013000974 

 Vous exclames de desir de me revoir; mais croyes-moy, ma Fille, mon cœur en pousse des clameurs bien fortes devant Dieu; s'il les exauce, sans doute je vous reverray plus tost que les circonstances de ma charge ne me le promettent pas.

  A013000975 

 Vous ne laisseres pas, je m'asseure, de faire exhaler de vostre cœur mille parfums de courtes mais ardentes prieres, aux pieds de Jesus Christ crucifié, qui doit estre l'ordinaire [93] object de vos pensees, en ce saint tems de vos tribulations.

  A013000994 

 Et combien de benedictions, je vous prie, vous donneront celles qui, marchant sur vos pas, vivront ci apres saintement en vostre Mayson..

  A013000994 

 Vous n'estes pas seulement des ruisseaux, mais vous estes des fontaines.

  A013000997 

 Vous estes sorties du monde et vous montes pas a pas le sacré mont de perfection: ne regardes point en derriere, voyes devant vos yeux le Ciel [97] qui vous attend.

  A013001015 

 Que nous importe-il que Dieu nous parle parmi les espines ou parmi les fleurs? Mais je ne me resouviens pas qu'il ayt jamais parlé parmi les fleurs, ouy bien parmi les desertz et halliers plusieurs fois.

  A013001016 

 O Dieu, courage! Les lumieres ne sont pas a nostre pouvoir, ni aucune autre consolation que celle qui depend de nostre volonté, laquelle estant a l'abry des saintes resolutions que nous avons faittes et pendant que le grand sceau de la chancellerie celeste sera sur vostre cœur, il n'y a rien a craindre..

  A013001030 

 Ce ne fut pas sans parler du desir qu'ell'a de faire un saint holocauste de soy mesme a la majesté de son Dieu, se vouant entierement a son service, en la Religion de Sainte Claire.

  A013001031 

 Et s'il vous falloit immoler vostre fille comm'Abraham voulut faire son enfant, et Jephté le fit reellement, n'auries vous pas le courage de le faire pour Dieu? Or, voyla une douce et non sanglante immolation de vostre fille que Dieu desire de vous; en cela connoistra-il combien vous l'aymes, si vous exposés l'ame de cette fille, qui est vostre ame, pour l'amour de sa divine Majesté, laquelle vous a tant aymè que de donner son Filz pour vous..

  A013001032 

 Et vous sçaves que nous ne devons pas nous arrester au bien, quand nous pouvons attaindre au mieux et que nous y sommes attirés comm'est cette benite fille, laquelle, pour le plus grand bienfait qu'elle prætend de vostre paternelle charité, vous demande congé de voüer [102] son cors, son ame, ses pensees, ses forces, ses annees et sa liberté a Celuy qui luy a donné tout ce qu'ell'a..

  A013001044 

 Or sus donq, ma bonne Fille, vous verres que nous ferons prou; car ce cher et doux Sauveur de nos ames ne nous a pas donné ces desirs enflammés de le servir, qu'il ne nous en donne les commodités.

  A013001074 

 Votre grande bienveillance pour moi, à l'époque où j'avais le bonheur d'être de vos enfants spirituels à Padoue, m'en donne assez l'assurance, vous n'apprendrez pas sans plaisir ce que je fais.

  A013001076 

 J'y rencontre, il faut l'avouer, mon Révérend Père, bien de la peine et du travail, mais ce n'est pas sans mélange de consolation, puisque, par la grâce de notre bon Dieu, tous les jours je vois nombre d'âmes quitter l'hérésie pour rentrer dans le giron de la sainte Eglise.

  A013001079 

 Veuillez agréer, je vous supplie, mon Révérend Père, cette lettre; elle vient, n'en doutez pas, d'un homme qui vous honore et vénère [109] autant que nul autre, et qui s'estimera fort honoré et obligé si vous daignez le recommander parfois à la miséricorde de notre Sauveur.

  A013001091 

 Estant et devant estre homme de fort peu de ceremonies, je vous diray fort simplement que Dieu m'a donné [110] tant d'inclination a vous souhaiter ses graces et benedictions et tant de confiance en vostre vertu, qu'il ne me seroit pas possible ni de cesser de supplier sa divine Majesté affin qu'il perfectionne son saint amour en vostre esprit, ni de douter que vous n'ayes aggreable de vous resouvenir quelques fois de moy, qui, chargé de grand fardeau, ay bien besoin de l'assistance de vos prieres reciproques.

  A013001113 

 Nostre Seigneur luy avoit dit qu'elle seroit ce jour la avec luy en Paradis; et elle ne fut pas plus tost separee de son cors, que voyla qu'il la mena en enfer.

  A013001114 

 Il n'est pas besoin de dire en confession ces petites pensees, qui, comme mousches, passent et viennent devant vos yeux, ni l'affadissement des goustz que vous aves eu en vos vœux, car tout cela ne sont point pechés, mais ennuis, mais incommodités..

  A013001127 

 Et puisqu'il vous plait achever l'œuvre, il ne sera pas besoin de faire rayer aucun des noms des freres, mais seulement celuy de la mere, laquelle ne pretend rien a l'achast.

  A013001169 

 Opprimé et accablé d'affaires en cette visite de mon diocese que je fay, je ne laysse pas de prier nostre bon Dieu tous les jours et luy offrir le saint Sacrifice, affin que vous ne soyes pas accablee des douleurs que vostre jambe vous apporte, ni des difficultés que nos saintes entreprinses ont et doivent avoir en ces commencemens.

  A013001179 

 Ne voyci pas un estrange fait, ma chere Fille! Il y a un mois que je n'ay sceu vous escrire ni peu ni prou, par ce que j'estois engagé dans nos montagnes, du tout hors de chemin, et je tiens en ma main sept de vos lettres, dont la derniere est du 9 de ce moys, ausquelles il me semble que je n'aye pas encor respondu qu'a trois; et neanmoins je ne puis maintenant vous escrire qu'en courant.

  A013001181 

 Il ne faut pas laisser de servir les malades es maux contagieux, mais il les faut servir prudemment, sans hazarder sa santé que le moins quil se peut, et sur tout quand avec nostre danger, celuy de nostre famille se treuve conjoint.

  A013001182 

 Mais que diray-je de nostre Espoux moderne? Quelle douceur exerça-il a l'endroit de ceux qui le tuerent, et non pas par disgrace et mesgarde, mais par une pleyne malice.

  A013001183 

 J'ay escrit ceci parmi un grand tracas, et ne sçai pas pourquoy; mais il n'importe.

  A013001186 

 Il ne prend pas garde a cela.

  A013001186 

 Vous pouves les esmoucher avec un mouvement civil et tranquille, mais non pas avec un effray ni impatience qui vous face perdre contenance..

  A013001187 

 Mais je sçai bien qu'elle ne gouverne pas tant les filles, qu'elle ne se laisse gouverner a la Mere, laquelle, en un lieu de ses Œuvres, dit presque comme moy.

  A013001188 

 Mon Dieu, que de destours prend on avant que d'arriver au logis, quand on n'est pas guidé..

  A013001188 

 Pour ma seur, je suis de vostre advis; non que je ne voulusse bien qu'elle fut auprès de vous, puisqu'elle n'a pas son cœur contourné a la Religion, mais pour condescendre a l'amitié de madame l'Abbesse, qui merite bien qu'on ne la contrechange pas de desplaysir en ses faveurs.

  A013001189 

 Celuy qui n'a pas essayé, que peut [il savoir? dit la Sainte] Escriture.

  A013001189 

 Que Satan est mauvais! Jusques ou se va-il fourrer! Mais ne vous en estonnes pas: les choses spirituelles luy sont fort accessibles, par ce quil est esprit; il ne luy faut pas beaucoup d'ouverture, pour se glisser es amitiés des mortelz.

  A013001190 

 N'adjoustes gueres de peynes corporelles a celles du jeusne de l'Eglise; mais puisqu'en Caresme on jeusne et que l'on n'employe pas le tems du souper a manger, sinon pour la petite collation, vous pourres bien prendre une demi heure environ ce tems la, a mediter sur la Passion ou sur ce qui vous aura touché au sermon.

  A013001194 

 Monsieur Cassart m'escrit comme n'ayant pas receu de nos lettres; et neanmoins je luy ay escrit, et pense que ma lettre luy sera arrivee, aussi bien que celle que je vous ay escritte, puisqu'elles estoyent ensemble..

  A013001195 

 Ma bonne mere ne sçait pas que je vous escrive, mais je sçay bien qu'elle et toute sa famille sont acquis irrévocablement a vostre service..

  A013001204 

 C'est pourquoy, en ce repos corporel, j'ay pensé au repos spirituel que nos cœurs doivent avoir en la volonté de Dieu ou qu'elle nous porte; mais il ne m'est pas possible d'estendre les [126] considerations qui se doivent faire pour cela, qu'avec un peu de loysir bien franc et net..

  A013001240 

 Vous ne seres pas marri, Monsieur mon Frere, si je vous dis qu'outre le devoir que j'avois de cherir avec tout honneur et respect monsieur de Pezieu, les demonstrations et tesmoignages d'amitié quil m'a rendu en vostre absence, me rendent infiniment son serviteur et tout plein de desir de me rendre son agreable frere et digne de sa faveur..

  A013001253 

 Ell'a desiré, Monsieur, que j'adjoustasse ma supplication a sa misere, pour obtenir, ce luy semble plus aysement, vostre compassion; et je n'ay pas deu l'esconduire, tant en faveur des bonnes festes, que pour connoistre son mari exempt de malice et fort homme de bien et fidelle, qui me fait vous supplier humblement, Monsieur, de luy vouloir estre propice..

  A013001270 

 Ce n'est pas encores la pluye, ce ne sont que les [133] premieres rosees de ses larmes.

  A013001271 

 Ne vous chargés point d'austerités ce Caresme, sinon avec le congé de vostre confesseur, qui, a mon advis, ne vous en chargera pas.

  A013001286 

 J'entens neanmoins que ce ne soit pas pour dire une partie de l'Office publiq et solemnel, mais simplement, comme vous dites, des Noelz et chansons spirituelles.

  A013001319 

 Mais dites moy, ma Fille, ne m'est ce pas de l'affliction de ne vous pouvoir escrire qu'ainsy a la desrobbee? O voyla pourquoy il nous faut acquerir le plus que nous pourrons l'esprit de la sainte liberté et indifference; il est bon a tout, et mesme pour demeurer six semaines, voire sept, sans qu'un pere, et un pere de telle affection comme je suis, et une fille telle que vous estes, reçoivent aucunes nouvelles l'un de l'autre..

  A013001320 

 Je [138] ne puis pas m'estendre selon mon cœur; car voyci le jour de mes adieux, devant partir demain devant jour pour aller a Chamberi, ou le P. Recteur des Jesuites m'attend, pour me recevoir ces cinq ou six jours de Caresme prenant, que j'ay reservé pour rasseoir mon pauvre esprit tout tempesté de tant d'affaires.

  A013001320 

 Vous fustes malade apres la Conception, et je le fus aussi sept ou huit jours durant, et craignois bien que ce ne fust pour bien plus, mais Dieu ne le voulut pas.

  A013001321 

 Ce ne sont pas des eaux, ce sont des torrens que les affaires de ce diocese.

  A013001322 

 Il y a tous-jours quelque chose a dire, car je fais des fautes par ignorance et imbecillité, parce que je ne sçai pas tous-jours bien rencontrer le bon biais.

  A013001323 

 Est ce pas asses dit, ma bonne Fille? Je dis ma bonne [139] Fille, parce que vous m'estes fort bonne et me consolés plus que vous ne sçauries croire.

  A013001324 

 Mon Dieu, n'est ce pas dommage que ces bausmes des amitiés spirituelles soyent exposés aux mouscherons? Cette liqueur si sainte, si sacree merite un soin bien grand pour estre conservee toute nette, toute pure.

  A013001325 

 Croyes moy, j'ayme tout cela d'un amour tout entier, et ne m'est pas possible d'apprehender « le mien et le tien » en ce qui nous regarde.

  A013001326 

 Mais si elle ne veut pas estre Religieuse, je suis bien d'advis que vous exercies vostre charité envers elle, a l'enseigner comm'il faut estre bonne vefve, puisque quicomque se marie a besoin de cette leçon.

  A013001327 

 C'est bien dit, ma Fille, il faut coupper court et trancher net en ces occasions, il ne faut point amuser les chalans; puisque nous n'avons pas la marchandise quilz demandent, il le leur faut dire destroussement affin quilz aillent ailleurs.

  A013001327 

 Et vrayment ce sont des braves gens: ne voyent-ilz pas que nous avons osté l'enseigne et que nous avons rompu le traffiq que nous pouvions avoir avec le monde? Il est vray, nostre cors n'est plus nostre, nomplus que l'ivoire du trosne de Salomon n'estoit plus aux elephans qui l'avoyent porté en leur gueule.

  A013001327 

 Ferme, courage; nos colomnes sont, ce me semble, bien fondees; un peu de vent ne les aura pas esbranslees.

  A013001327 

 Vrayement, ce n'est pas mal parlé: sainte Agathe, sainte Thecle, sainte Agnes ont souffert la mort pour ne point perdre le lis de leur chasteté, et on nous voudroit faire peur avec des fantosmes!.

  A013001329 

 Dieu seul le sçait, je ne le sçai pas.

  A013001329 

 Je ne dis pas que mon absence de quelque peu de jours luy fut nuysible pour la privation de ma presence, car ce n'est pas cela qui m'empesche; mais c'est que la sayson est si sujette aux vens et orages que je ne suis pas a mon pouvoir d'aller et de venir, mais faut que je vogue a leur merci.

  A013001329 

 Pour ma personne, je ferois tout pour donner satisfaction, je ne dis pas a vous, mais au moindre de tous mes enfans que Dieu m'a donné; mais ma pauvre femme me fait compassion, et puis que je ne la puis laisser qu'elle n'en souffre mille incommodités et que Dieu veut que je luy adhære, me voyla garrotté.

  A013001331 

 Tout ce Caresme, si vous m'escrives par Lyon vous en aures une tres grande commodité; car de Lyon a Chambery ce n'est pas comme des icy, car tous les jours les courriers arrivent.

  A013001332 

 Ouy da, aux Carmelites! Nous ne pouvons pas nous accommoder a une petite obedience, et nous en ferons des extremes!.

  A013001351 

 Il n'y a remede; il faut que je face ce que je ne veux pas, et le bien que je veux, je ne le fay pas.

  A013001351 

 Me voyci au milieu des predications et d'un grand peuple, et plus grand que je ne pensois pas; mais si je n'y fay rien, ce me sera peu de consolation..

  A013001356 

 N'en serés vous pas bien ayse, ma chere Fille, si un jour vous me voyes bien fait au service de Nostre Seigneur? Ouy, ma chere Fille, car nos biens interieurs sont inseparablement et indivisiblement unis.

  A013001369 

 Il est vray, ma bonne Seur; mais ne taschés-vous pas d'heure a autre de les faire mourir en vous? C'est chose certaine que, tandis que nous sommes icy environnés de ce cors si pesant et corruptible, il y a tous-jours en nous je ne sçai quoy qui manque.

  A013001370 

 Que vous doit il chaloir de cela? Que ce soit le livre en main et a diverses reprises, ou sans livre, que vous importe-il? Quand je vous dis que vous n'y fussies que demi heure, c'estoit au commencement, que je craignois de forcer vostre imagination; mais maintenant il n'y a pas de danger d'y employer une heure..

  A013001372 

 Il y a un autre exemple es gens mariés, qui, ce jour la, peuvent ains doivent rendre leurs devoirs, mais non pas les exiger sans quelque indecence, laquelle neanmoins ne seroit peché mortel.

  A013001372 

 Non, je ne voudrois pas m'abstenir d'aller en un honneste festin ni en une honneste assemblee ce jour la, si j'en estois prié, bien que je ne voudrois pas les rechercher.

  A013001373 

 La perfection, ma chere Dame, ne gist pas a ne voir point le monde, mays ouy bien a ne le point gouster et savourer.

  A013001373 

 Nos premiers Chrestiens estoyent au monde de cors et non de cœur, et ne laissoyent pas d'estre tres parfaitz..

  A013001374 

 Ma chere Seur, je ne voudrois nulle feintise en nous; pas des vrayes feintises.

  A013001375 

 De dire qu'on n'est pas ce que le monde pense, quand il pense bien de vous, cela est bon; car le monde est un charlatan, il en dit tous-jours trop, soit en bien soit en mal..

  A013001375 

 Je n'appreuve pas donq que l'on faille, pour donner mauvaise opinion de soy; c'est tous-jours faillir et faire faillir le prochain.

  A013001375 

 On peut fuir de donner bonne opinion de soy, mais non pas rechercher de la donner mauvaise, sur tout par des fautes faittes expres.

  A013001376 

 Comme le sçaves-vous bien, ma chere Sœur? En quoy prefere-je les autres? Non, croyés-moy, vous m'estes chere et tres chere; et je sçai bien que vous ne prefereres pas les autres a moy, bien que vous le deussiés.

  A013001377 

 Et quant a nostre seur du [Puits-d'Orbe], ne voyes vous pas qu'elle est seule, n'ayant point d'inclination a se ranger a la confiance de ceux que monsieur nostre pere luy propose, et monsieur nostre pere ne gouste point ceux que nous proposons? car, a ce qu'elle m'escrit, monsieur nostre pere ne peut appreuver le choix de monsieur Viardot.

  A013001377 

 Ne dois-je pas plus de compassion a cette pauvre crucifiee qu'a vous, qui, Dieu mercy, aves tant de commodités?... [151].

  A013001409 

 Je ne veux pas retourner que je ne me sois essayé fort fidellement a bien rendre ce devoir, comme je feray en toutes autres occasions, aydant Dieu, que je supplie vous benir et conserver, et demeure,.

  A013001427 

 Maintenant je vous diray que toutes les places de page chez monsieur d'Albigny sont pleynes et ni a pas grand'esperance qu'elles puissent estre vuides si tost.

  A013001472 

 Les ames qui vous en font scrupule sont bonnes et devotes, comm'elles tesmoignent par leur scrupule, lequel neanmoins n'a nul fondement; c'est pourquoy il ne s'y faut pas arrester.

  A013001472 

 Pleut a Dieu que les hommes qui n'entrent en cette Mayson-la que par curiosité et indiscretion, en fisse (sic) bien scrupule, car ilz auroyent bon fondement pour cela; mais non pas vous, jusques a ce que, comme je dis, la clausure y soit establie, qui ne sera jamais si tost que je le desire..

  A013001473 

 C'est le mal des maux entre ceux qui ont des bonnes volontés, qu'ilz veulent tous-jours estre ce quilz ne peuvent pas estre, et ne veulent pas estre ce qu'ilz ne peuvent n'estre pas.

  A013001473 

 Mais je ne pense pas que cela se puisse aysement; qui me fait dire qu'elles n'employent pas bien ce bon exemple, qui leur devroyt servir pour les animer a bien embrasser la perfection de leur estat, et non pas a les troubler et faire desirer celuy auquel elles ne peuvent arriver.

  A013001489 

 C'est le grand chemin, ma chere Fille, duquel il ne nous faut pas encores departir jusques a ce que le jour soit un petit plus grand et que nous puissions bien discerner les sentiers.

  A013001489 

 De ne se servir en l'orayson ni de l'imagination ni de l'entendement, il n'est pas possible; mais de ne s'en servir point que pour esmouvoir la volonté, et, la volonté estant esmeuë, de l'employer plus que l'imagination ni l'entendement, cela se doit faire indubitablement.

  A013001489 

 Il n'est pas besoin, ce dit cette bonne Mere, de se servir de l'imagination pour se representer l'humanité sacree du Sauveur.

  A013001489 

 Non pas, peut estre, a ceux qui sont des-ja fort advancés en la montaigne de la perfection; mais pour nous autres qui sommes encor es vallees, quoy que desireux de monter, je pense qu'il est expedient de se servir de toutes nos pieces, et de l'imagination encores.

  A013001490 

 Mais quand sera-ce, me dires vous? Si vous pensies, [162] ma chere Fille, que vous puissies tirer de ma presence tant d'ayde et de bon fruit et de provisions spirituelles come vous m'escrives, et que vous en ayes beaucoup de desir, je ne seray pas si dur que de vous remettre a l'annee prochaine, mais vous remettray volontier au premier dessein, lequel ne me donne nulle peyne que celle que vous aures au voyage; car, au demeurant, il m'est plein de suavité et de contentement.

  A013001491 

 Et voyés-vous, ma chere Fille, en ces choses non necessaires, ou au moins desquelles je ne puis * pas bien discerner la necessité, ne prenés point mes paroles ric a ric; car je ne veux point qu'elles vous serrent, mais que vous ayes liberté de faire ce que vous croirés estre meilleur.

  A013001503 

 Il n'est pas croyable combien vous me lies estroittement au grand devoir que je vous ay, par cette continuelle memoire que vous aves de moy, de laquelle vos lettres si frequentes sont les marques.

  A013001505 

 Je ne laisse pas d'estre tout honteux de voir qu'elles vont ravissant le Ciel, et je demeure bien bas parmi mes imperfections..

  A013001505 

 Mais quel prix, je vous supplie? car je ne croy pas que la devotion en aÿe icy bas; mais je pense bien qu'elles en auront au Ciel.

  A013001523 

 Jay respondu a toutes vos precedentes lettres; je repete neanmoins quil ni a nul danger a vous d'aller dans le Monastere de mesdames vos seurs pendant que la clausure ni est pas establie; le scrupule que vous en aves est sans fondement, et n'en doute point.

  A013001525 

 Mais cette inquietude qui vous arrive de ne pouvoir atteindre a ce signe de perfection pendant cette vie, vous invite au soupçon du desplaysir que vous en aves, lequel sans doute n'est pas pur, puisqu'il inquiete.

  A013001529 

 Vous me faites tous-jours des excuses; pour l'honneur de Dieu, non plus, car il semble que vous ne sçachies pas quelle ame sa divine bonté m'a donnee en vostre endroit..

  A013001612 

 Si toutefois, il y avoit quelque chose que vous n'entendissies pas du tout bien, il ne s'en faudroit pas mettre en peyne, car avec le tems, vous l'entendres sans difficulté.

  A013001613 

 Vous ne profiterés pas peu communicant vostr'ame avec le P. Recteur, comm'il me semble que vous avies resolu de faire a mon despart.

  A013001619 

 Il ne sera pas requis que cet escrit soit veu sinon par vous..

  A013001630 

 Ce n'est donq pas merveilles si on s'y trompe souvent.

  A013001630 

 Ne voyt on pas que les vignes qui produisent le meilleur vin sont plus sujettes aux superfluités et ont plus de besoin d'estre emondees et retranchees? Tell'est l'amitié, mesme spirituelle.

  A013001649 

 Que si Vostre Altesse n'use de sa providence et pieté ordinaire a commander audit Conseil et sieur Bergeraz que, sans delay, il (sic) satisfacent a leur devoir, je n'espere pas d'en voir jamais aucune bonn'issue, laquelle j'affectionne extramement, non seulement pour mon devoir et le salut de plusieurs ames qui manquent d'assistence faute de pasteurs, mais encor par ce que ce sera le comble de lhonneur, qui est deu a la bonté et pieté de Vostre Altesse, de la reduction de ces peuples; qui me fait la supplier tres humblement, et par l'amour de Nostre Seigneur, quil luy playse employer sa bonne et puissante main a l'execution d'une si saint'œuvre, de laquelle la recompense sera immortelle au Ciel, que je desire a Vostre Altesse de tout mon cœur, apres que, par une longue suite d'annees, ell'aura heureusement regné en terre, pour le bien de son peuple et la gloire de son Dieu..

  A013001681 

 Et ne laisses pas, je vous supplie, Madame ma chere Cousine, de me croire fort fidelle en tout ce qui regardera vostre service, car je le seray toute ma vie autant que nul homme du monde..

  A013001681 

 Et voyant au dedans la main de monsieur de Charmoysi mon cosin, je n'eusse pas pour cela laissé de la lire, si je n'y eusse reconneu le mot de vos amitiés particulieres.

  A013001681 

 Receves-la donq, sil vous plait, apres qu'ell'a esté ouverte, mais tout de mesme comme si elle ne l'avoit pas esté, et pardonnes a ma præcipitation qui [179] a deceu le respect que je porte et a l'escrivant et a vous.

  A013001684 

 C'est grand cas que je ne puis m'empescher de vous parler de ces exercices du cœur et de l'ame; c'est par ce que je n'ayme pas seulement la vostre, mais je la cheris tendrement devant Dieu qui, a mon advis, desire beaucoup de devotion d'elle..

  A013001685 

 Alles cependant tout bellement aux exercices de l'exterieur, et ne vous charges pas d'aller a Saint Claude a pied, non plus que ma bonne tante madame du Foug, laquelle n'est plus de l'aage auquel ell'y alla, quand je l'accompagnay.

  A013001704 

 C'est donq a la gloire de Nostre Seigneur que vous estes attachee, non pas a ses creatures.

  A013001704 

 Mais, ce dites-vous, vous n'estes pas encores destachee de ce costé la.

  A013001704 

 Que je demandasse de vous survivre? Oh vrayement, que ce bon Dieu en face comme il luy plaira, ou tost ou tard: ce ne sera pas cela que je voudrois excepter en mes resignations, si j'en faysois.

  A013001704 

 Seigneur Dieu, que dites vous, ma tres chere Fille? Vous puis je servir de lien, moy, qui n'ay point de plus grand desir sur vous que de vous voir en l'entiere et parfaite liberté de cœur des enfans de Dieu? Mais je vous entens bien, ma chere Fille, vous ne voules pas dire cela; vous voules dire que vous penses que ma survivance soit a la gloire de Dieu, et pour cela vous vous y sentes affectionnee.

  A013001705 

 Et, si vous voules que je vous die tout, elle n'agissoit pas si souëfvement au commencement que Dieu me l'envoya (car c'est luy sans doute), comme elle fait maintenant, qu'elle est infiniment forte, et, ce me semble, [182] tous-jours plus forte, quoy que sans secousse ni impetuosité.

  A013001707 

 Et pour cela, si vous faites quelque imagination vehemente et que vous vous y arresties puissamment, sans doute vous aves eu besoin de cette correction; mais si vous la faites briefve et simple, pour seulement rappeller vostre esprit a l'attention et reduire ses puissances a la meditation, je ne pense pas qu'il soit encor besoin de la du tout abandonner.

  A013001708 

 Si vostre volonté, sans violence, court avec ses affections, il n'est pas besoin de s'amuser aux considerations; mais parce que cela n'arrive pas ordinairement a nous autres imparfaitz, il est force de recourir aux considerations encor pour un peu..

  A013001709 

 De tout cela, je recueille que vous deves vous abstenir des longues oraysons (car je n'appelle pas longue l'orayson de trois quartz d'heure ou de demi heure) et des imaginations violentes, particularisees et longues; car il faut qu'elles soient simples et fort courtes, ne devant servir que de simple passage de la distraction au recueillement.

  A013001710 

 J'appreuve encor plus que vous facies ces ouvrages de vos mains, comme le filer et semblables, aux heures que rien de plus grand ne vous occupe, et que vos besoignes soyent destinees ou aux autelz ou pour les pauvres; mais non pas que ce soit avec si grande rigueur que, s'il vous advenoit de faire quelque chose pour vous ou les vostres, vous voulussies pour cela vous contraindre a donner aux pauvres la valeur; car il faut par tout que la sainte liberté et franchise regne, et que nous n'ayons point d'autre loy ni contrainte que celle de l'amour, lequel, quand il nous dictera de faire quelque besoigne pour les nostres, il ne doit point estre [184] corrigé comme s'il avoit mal fait, ni luy faire payer l'amende comme vous voudries faire.

  A013001711 

 Apres cela, j'ay ry vrayement et ay ry de bon cœur, quand j'ay veu vostre dessein de vouloir que vostre sarge soit employee pour mon usage et que je donne ce qu'elle pourra valoir aux pauvres; mais je ne m'en mocque pourtant pas, car je voy bien que la source de ce desir est belle et claire, quoy que le ruisseau soit un peu trouble.

  A013001712 

 Jamais vestement ne me tint si chaud que celuy la, duquel la chaleur passera jusques au cœur, et ne penseray pas qu'il soit violet, mais pourprin et escarlattin, puisqu'il sera, ce me semble, teint en charité.

  A013001712 

 Je ry, ma chere Fille, mais ce n'est pas sans meslange d'apprehension bien forte de la difference qu'il y a entre ce que je suis et ce que plusieurs pensent que je soys.

  A013001712 

 Mais bien! que vostre intention vous vaille devant Dieu! J'en suis content pour une piece; mais qui me l'estimera a sa juste valeur? car si je voulois rendre aux pauvres son prix selon que je l'estimeray, je n'aurois pas cela vaillant, je vous en asseure.

  A013001712 

 Or sus donques, soit pour une fois; car sachés que je ne fay pas toutes les annees des habitz, mais seulement selon la necessité; et, pour les autres annees, nous treuverons moyen de bien loger vos travaux selon vostre desir..

  A013001713 

 Ce n'est pas encor tout.

  A013001715 

 Fay-je bien, ma chere Fille, de vous dire mes pensees? Je pense qu'au moins ne fay-je pas mal, et que vous les prendres pour telles qu'elles sont..

  A013001717 

 Et bien, c'est asses, pour ce coup, parlé de la laine de nostre Aigneau immaculé; mais de sa divine chair, n'en mangerons-nous pas un peu plus souvent? O qu'elle est souëfve et nourrissante! Je dis que, se pouvant commodement faire, il sera bon de la recevoir un jour de la semaine, le jeudy, outre le Dimanche, sinon que quelque feste se presentast a quelque autre jour emmi la semaine.

  A013001720 

 A cet effect, je vous ay envoyé trente escus par Lyon, tant pour la despence qui sera necessaire a l'envoyer prendre, qu'a faire ses petitz honneurs avec les filles qui servent madame l'Abbesse, avec lesquelles elle n'aura pas tant demeuré sans les beaucoup incommoder.

  A013001720 

 J'ay bien un peu d'apprehension que madame nostre Abbesse ne s'en fasche, mais il n'y a remede; si n'est-il pas raysonnable de laisser si longuement dans un monastere une fille qui n'y veut pas vivre toute sa vie..

  A013001720 

 Je ne revoque point en doute si je la vous dois donner ou non; car, outre mon inclination, ma mere le veut si fort qu'elle le veut avec inquietude, des qu'elle a sceu que cette fille ne vouloit pas estre Religieuse; si que, quand je ne le voudrois pas, il faudroit que je le voulusse.

  A013001721 

 Et avec vous, feray je point quelque petite ceremonie pour vous remettre ce fardeau sur les bras? Je vous asseure que cela ne seroit pas en mon pouvoir; mais ouy bien de vous supplier, mais je dis conjurer, et s'il se peut dire quelque chose de plus, que vous ayes a me marquer tout ce qui sera requis pour l'equiper et tenir equipee a vostre guise, comme les princesses d'Espagne font, quand on leur donne des filles pour menines, car cela je le veux, et tres absolument; voire, jusques a luy faire porter un chaperon de drap, si cela appartient a vos livrees.

  A013001721 

 Je dis pour son equipage, puisque, quant au ratellier, il n'en faut pas parler; autrement vous me diries mille maux, je le sçai bien.

  A013001721 

 Vous voyes bien, ma chere Fille, que je ne suis pas en mes mauvaises humeurs, mais a bon escient je vous conjure.

  A013001722 

 Mais ne triomphés-vous pas quand vous m'imposes silence sur vos secretz? Vrayement, ce n'est pas moy, ma chere Fille, qui ay dit a monsieur N. que vous esties ma fille: il me le vint dire tout d'abord, comme chose que je devois recevoir fort a gré, et aussi fis je.

  A013001723 

 Je sçavois des-ja le despart du bon Pere [de Villars]; ce qui m'avoit fasché, car il ne sera peut estre pas aysé de rencontrer un esprit si sortable a vostre condition que celuy la.

  A013001730 

 Les octaves de Pentecoste et de la Feste Dieu ont esté miennes, ma chere Fille, mais seulement pour demeurer icy, et non pas pour y avoir aucun loysir.

  A013001741 

 Mais, comme je vous ay dit maintesfois, nostre bon Dieu me traitte en enfant bien tendre, car il ne m'expose a point de rude [192] secousse; il connoist mon infirmité et que je ne suis pas pour en supporter de grandes.

  A013001798 

 Je me ressouviens tous-jours de ceux que j'aime, mais vous, peut estre, n'en estes pas de mesme; c'est pourquoy je me veux ramentevoir a vostre bonne grace, outre que du Four me presse, disant quil a acquiescé a nostre ordonnance fort amplement, et que neanmoins vous poursuives avec rigueur contre luy.

  A013001815 

 Mais parce que je m'en declaire fort amplement a madame vostre femme, en l'entremise de laquelle j'ay beaucoup de confiance pour obtenir ce que je desire, je ne m'estendray pas davantage a le particulariser, me devant contenter de vous supplier de tout mon cœur de me vouloir gratifier en ce sujet qui me semble digne de vostre bonté et charité..

  A013001826 

 Les petitesvefves, les petites villageoises, comme basses vallees, sont si fertiles, et les Evesques, si hautement eslevés en l'Eglise de Dieu, sont tout glacés! Ah! ne se treuvera-il pas un soleil asses fort pour fondre celle qui me transit? [199].

  A013001828 

 Certes, vous feres bien de regarder simplement Nostre Seigneur crucifié, et de luy protester vostre amour et absoluë resignation, toute seche, aride et insensible qu'elle est, sans vous amuser a considerer ni examiner vostre mal, non pas mesme pour me le dire..

  A013001828 

 Je viens de parler pour vous a Nostre Seigneur en la sainte Messe, ma tres chere Fille, et certes, je n'ay pas osé luy demander absolument vostre delivrance; car s'il luy plaist d'escorcher l'offrande qui luy doit estre presentee, ce n'est pas a moy de desirer qu'il ne le face pas; mais je l'ay conjuré et conjure par cette si extreme dereliction par laquelle il sua le sang et s'escria sur la croix: Mon Dieu, mon Dieu, pourquoy m'as-tu delaissé, qu'il vous tienne tous-jours de sa sainte main, comme il a fait jusques a present, bien que vous ne sçachies pas de quel costé il vous tient, ou au moins que vous ne le senties pas.

  A013001829 

 Ouy, ma tres chere Fille, si nous sçavions un seul brin de nostre cœur qui ne fust pas marqué au coin du Crucifix, nous ne le voudrions pas garder un seul moment.

  A013001829 

 Si nous avions un seul filet d'affection en nostre cœur qui ne fust pas a luy et de luy, o Dieu, nous l'arracherions tout soudainement.

  A013001837 

 Je le [201] desire infiniment, mais je prevois bien que je n'auray pas asses de loysir pour ageancer mes pensees; ce sera beaucoup si je les puis produire..

  A013001839 

 Non, ma Fille, ces impuissances ne vous empeschent pas d'entrer en vous mesme; mais elles vous empeschent bien de vous plaire en vous mesme..

  A013001840 

 Or, je vous demande en bonne foy, n'eussiés-vous pas choysi d'estre en l'estable tenebreux et plein des cris du petit Poupon, plustost que d'estre avec les bergers a pasmer de joye et d'allegresse a la douceur de cette musique celeste et a la beauté de cette lumiere admirable?.

  A013001842 

 [203] Si vous demeures humble, tranquille, douce, confiante parmi cette obscurité et impuissance, si vous ne vous impatientes point, si vous ne vous empresses point, si vous ne vous troubles point pour tout cela, mais que de bon cœur (je ne dis pas gayement, mais je dis franchement et fermement) vous embrassies cette croix et demeuries en ces tenebres, vous aymeres vostre abjection.

  A013001844 

 Or, je dis qu'il ne faut pas seulement aymer le mal, mais aussi l'abjection..

  A013001846 

 Des jeunes dames du monde, me voyant en equipage de vraye vefve, disent que je fais la bigotte, et me voyant rire, quoy que modestement, elles disent que je voudrois encores estre recherchee; on ne peut croire que je ne souhaitte plus d'honneur et de rang que je n'ay, que je n'ayme pas ma vocation sans repentir: tout cela sont des morceaux d'abjection; aymer cela, c'est aymer sa propre abjection..

  A013001847 

 Allant au moins miserable: C'est bien dit, car je n'ay pas asses de merites pour faire une Visitation plus sainte..

  A013001849 

 Encor faut-il avoir esgard a la charité, laquelle requiert quelquefois que nous ostions l'abjection pour l'edification du prochain; mais en ce cas, il la faut oster des yeux du prochain qui s'en scandalizeroit, mais non pas de nostre cœur qui s'en edifie.

  A013001849 

 Encor que nous aymions l'abjection qui s'ensuit du mal, il ne faut pourtant pas laisser de remedier au mal.

  A013001850 

 Je vous dis que ce sont celles que nous n'avons pas choysies et qui nous sont moins aggreables, ou, pour mieux dire, celles esquelles nous n'avons pas beaucoup d'inclination; mais, pour parler net, celles de nostre vocation et profession.

  A013001851 

 Mais non, je ne vous avois pas dit que vous n'en eussies nulle esperance ni nulle pensee, ouy bien que vous ne vous y amusassies pas; parce que c'est chose certaine qu'il n'y a rien qui nous empesche tant de nous [206] perfectionner en nostre vocation que d'aspirer a une autre, car, en lieu de travailler au champ ou nous sommes, nous envoyons nos bœufz avec la charruë ailleurs, au champ de nostre voysin, ou neanmoins nous ne pouvons pas moissonner cette annee.

  A013001852 

 Mais voyés vous, je ne dis pas qu'on n'y puisse penser et esperer, mais je dis qu'on ne s'y doit pas amuser, ni employer beaucoup de ses pensees a cela.

  A013001853 

 Entendés bien, pour l'amour de Dieu; je ne dis pas que non, mais je dis que mon esprit n'a encor sceu treuver dequoy dire ouy.

  A013001853 

 Et qu'ay je apprins jusques a present? Qu'un jour, ma Fille, vous deves tout quitter; c'est a dire, affin que vous n'entendies pas autrement que moy, j'ay apprins que je vous dois un jour conseiller de tout quitter.

  A013001853 

 Mais vous me demandes que je vous die si je ne pense pas qu'un jour vous quitties tout a fait et tout a plat toutes choses de ce monde pour nostre Dieu, et que je ne le vous cele pas, ains que je vous laisse cette chere esperance.

  A013001854 

 Et apres tout cela, encores ne voudrois je pas qu'en ce point vous prissies entiere resolution sur mon opinion, sinon que vous eussies une grande tranquillité et correspondance interieure en icelle.

  A013001854 

 Et quand j'en serois tout resolu, encor ne voudrois je pas contester et preferer mon opinion ou a vos inclinations, quand elles seroyent fortes en ce sujet particulier (car par tout ailleurs je vous tiendray parole a vous conduire selon mon jugement et non selon vos desirs), ou au conseil de quelques personnes spirituelles que l'on pourroit prendre..

  A013001854 

 Je ne voy point qu'il soit requis de se haster, et ce pendant vous pourres vous mesme y penser, sans vous y amuser et perdre le tems; car, comme je vous dis, encores que jusques a present l'advis de vous voir en Religion n'a sceu prendre place en mon esprit, si est ce que je n'en suis pas entierement resolu.

  A013001854 

 Je vous la diray bien au long, le tems en estant venu; et si elle ne vous donne pas du repos interieur, nous employerons l'advis de quelque autre a qui, peut estre, Dieu communiquera plus clairement son bon playsir.

  A013001856 

 C'est a dire, j'appreuve que vous les facies nourrir es monasteres en intention de les y laisser, moyennant deux conditions: l'une, que les monasteres soyent bons et reformés, et esquelz on face profession de l'interieur; l'autre, que le tems de leur Profession estant arrivé, qui n'est qu'a seize ans, on sache fidellement si elles s'y veulent porter avec devotion et bonne volonté, car si elles n'y avoyent pas affection, ce seroit un grand sacrilege de les y enfermer.

  A013001858 

 Ne laissés pas pourtant de jetter dans son esprit des douces et souëfves odeurs de devotion, et de souvent recommander a Monsieur son oncle la nourriture de son ame.

  A013001859 

 Vous dis je pas la premiere fois que je parlay a vous de vostre ame, que vous appliques trop vostre consideration a ce qui vous arrive de mal et de tentation, qu'il ne failloit le considerer que grosso modo, que les femmes, et les hommes aussi quelquefois, font trop de reflexions sur leurs maux, et que cela entortilloit les pensees l'une dans l'autre, et les craintes et les desirs, dont l'ame se treuve tellement embarrassee qu'elle ne s'en peut demesler.

  A013001862 

 Mais si Dieu habite es tenebres et en la montaigne de Sinaï, toute fumante et couverte de tonnerres, d'esclairs et de fracas, ne serons nous pas bien aupres de luy? [211].

  A013001882 

 Cet exercice la n'est nullement deshonneste devant les yeux de Dieu; au contraire il luy est aggreable, il est saint, il est meritoire, au moins pour la partie qui rend le devoir et n'en recherche pas l'acte, mais seulement y condescend pour obeir a celuy a qui Dieu a donné l'authorité de se faire obeir pour ce regard..

  A013001883 

 Ma chere Fille, il ne faut pas juger des choses selon nostre goust, mais selon celuy de Dieu.

  A013001884 

 En la mayson d'un prince, ce n'est [214] pas tant d'estre souillon de cuisine comme d'estre gentilhomme de la chambre; mais en la mayson de Dieu, les souillars et souillardes sont les plus dignes bien souvent, par ce qu'encor quilz se souillent, c'est pour l'amour de Dieu, c'est pour sa volonté et son amour; et cette volonté donne le prix a nos actions, non pas l'exterieur.

  A013001885 

 Mais ne recherchant pas, ains condescendant, c'est grand merite, et la grace de la Communion s'en accroit, tant s'en faut qu'ell'en amoindrisse.

  A013001886 

 Pour l'aumosne, vous deves sçavoir si c'est pas l'intention de monsieur vostre mari que vous en facies a proportion de vos facultés et des moyens de vostre mayson.

  A013001887 

 Ains, plusieurs n'appreuvent pas qu'on escrive, c'est a dire ayment mieux qu'on s'accuse par cœur.

  A013001887 

 Les confessions annuelles sont bonnes, car elles nous rappellent a la consideration de nostre misere et nous font reconnoistre si nous avançons ou reculons, nous font rafraichir plus vivement nos bons propos; mais il les faut faire sans inquietude et scrupule, non tant pour estre absous que pour estre encouragé, et n'est pas requis de faire si exactement l'examen, mais seulement de gros en gros.

  A013001887 

 Si vous les pouves faire de la sorte, je les vous conseille; si moins, je ne desire pas que vous les facies..

  A013001888 

 Un jour je vous en mettray quelque chose en escrit, car je desire de tout mon cœur de vous servir; et bien que je sache que vous ne manques pas de bons conseilz, ayant la communication que vous aves avec tant de saintes et sçavantes ames, si est ce que, puisque vous voules encor le mien, je le vous diray..

  A013001888 

 Vous me demandies encor, ma chere Seur, un petit memorial des vertus plus propres a une femme mariee; mais de cela je n'en ay pas le loysir.

  A013001889 

 Quant a ramener ma seur ce ne sera pas si tost, puisque ma mere la laisse a nostre madame l'Abbesse encor pour cett'annee.

  A013001901 

 Et bien que je ne puisse rien adjouster a leur recommandation, si ne dois-je pas refuser d'entrer en une si bonne compaignie et pour une si bonne cause..

  A013001902 

 Quant a ses moyens, ilz sont telz que monsieur et madame la Presidente vous escrivent, et ses incommodités aussi, lesquelles, comme vous pourres aysement juger, peuvent estre bien aysement effacees; ce qui ne sera pas plus tost fait, que l'on verra ce jeune gentilhomme croistre tous les jours en moyens et bonheur, qui me fait dire sans reserve qu'une damoyselle aura tous-jours beaucoup de contentement avec luy..

  A013001919 

 Dequoy le Prieur ayant desiré que je rendisse tesmoignage a Vostre Altesse, je ne l'ay pas sceu refuser, puisque la verité est bien telle..

  A013001958 

 Je croy bien, elle n'avoit presque pas eu un moment pour respirer quattr'ou cinq mois durant.

  A013001960 

 ... Je sçay bien que vous n'aves pas besoin d'autres connoissances pour estre consolee que de celle de Dieu, lequel vous treuveres indubitablement icy, ou il attend les pecheurs a penitence et les penitens a sainteté, comme il fait aussi a tous les endroitz du monde; car je l'ay mesme rencontré tout plein de douceur et de suavité parmi nos plus hautes et aspres montaignes, ou beaucoup de simples ames le cherissoyent et adoroyent en toute verité et sincerité, et les chevreuilz et chamois couroyent ça et la parmi les effroyables glaces pour annoncer ses louanges.

  A013001961 

 Devant que nous fussions au païs des glaces, environ huit jours, un pauvre berger couroit ça et la sur les glaces pour recourir une vache qui s'estoit esgaree, et, ne prenant pas garde a sa course, il tumba dans une crevasse et fente de glace de douze piques de profondeur.

  A013001961 

 Mais, ma chere Fille, vous diray-je pas une chose qui me fait frissonner les entrailles de crainte? Chose vraye.

  A013001961 

 Quelz esguillons pour moy, ma chere Fille! Ce pasteur qui court par des lieux si hazardeux pour une seule vache; cette cheute si horrible que l'ardeur de la poursuite luy cause, pendant quil regarde plus tost ou est sa queste et ou ell'a mis ses pieds que non pas ou il est luy mesme et ou il chemine; cette charité du voysin qui s'abisme luy mesme pour oster son ami de l'abisme: ces glaces me devoyent elles pas ou geler de crainte ou brusler d'amour?.

  A013001962 

 Mais je vous dis ceci par impetuosité d'esprit; [car, au] demeurant, je n'ay pas beaucoup de loysir de vous [entretenir] ... Fille, apres mon retour de la [visite]... tient presqu'autant... aussi....

  A013001975 

 Il ne faut pas, ce me semble, leur dire combien elles ont de chemin a [225] faire pour tout le voyage, mais seulement du jour a la journee; et combien que nostre seur aspire a la perfection de la reforme, si ne faut-il pas pour cela la presser, car cela l'estourdiroit.

  A013001975 

 Selon ce que vous me proposes par la vostre du 26 septembre, j'appreuve que nostre bonne Abbesse commence a bien establir ces petites regles que nostre pere a dressees, non pas pour s'arrester-la, mais pour passer par apres plus aysement a plus grande perfection.

  A013001976 

 Pour ma petite seur, je la vous laysse et ne m'en metz nullement en peyne; mais je ne voudrois pas que nostre pere eut peur qu'elle ne devint trop devote, comm'il a tous-jours eu peur de vous, car je suis asseuré qu'elle ne pechera point en exces de ce costé-la..

  A013001977 

 Ilz veulent estre maistres, et n'est ce pas la rayson? Si est, certes, en ce qui depend du service que vous leur deves; mais les bons seigneurs ne considerent pas que pour le bien de l'ame, il faut croire les directeurs et medecins spirituelz, et que, sauf les droitz quilz ont sur vous, vous deves procurer vostre bien interieur par les moyens jugés convenables par ceux qui sont establiz pour conduire les espritz.

  A013001981 

 Mortifies-vous donques joyeusement, et a mesure que vous seres empeschee de faire le bien que vous desirés, faites tant plus ardemment le bien que vous ne desires pas.

  A013001981 

 Vous estes, a ce que je voy, au vray essay de la resignation et indifference, puisque vous ne pouves pas servir Dieu a vostre volonté.

  A013001981 

 Vous ne desires pas ces resignations, vous en desireries d'autres; mais faites celles que vous ne desires pas, car elles en valent mieux..

  A013001982 

 Il se peut faire que quelque bon [228] pere n'aggree pas que ses enfans spirituelz les lisent, et peut estre le fait-il avec quelque bonne consideration; mais il ne s'ensuit pas que les autres n'ayent d'aussi bonnes considerations, et voire meilleures, pour les conseiller aux leurs.

  A013001982 

 Une chose est bien asseuree, c'est que vous les pouves lire en toute bonne conscience, comme aussi vous pouvies entrer au cloistre du Puys d'Orbe sans scrupule; mais il ni a pourtant pas lieu de vous ordonner pœnitence pour le scrupule que vous en aves l'ait, puisque le scrupule mesme est un'asses grande peyne a ceux qui le nourrissent ou souffrent, sans qu'on en impose d'autres.

  A013001987 

 Il n'est [229] pas raysonnable quil le sache, mais il est bien raysonnable que vous luy rendies tous-jours de l'honneur; et ne faites nul semblant que je vous aye dit ce mot..

  A013001987 

 Je pense tant remuer de pierres que l'annee prochaine je pourray me desrober pour voir nostre Puys d'Orbe; mais il ne faut pas que pour cela nostre seur attende de faire tout doucement ce qui se pourra faire pour le bien de son Monastere.

  A013002008 

 Les manquemens des effectz ont accoustumé d'estre interpretés pour manquemens de volontés; mais je me prometz de la bonté de vostre esprit que vous donneres [230] meilleur'interpretation a ma response, et que, voyant qu'ell'est vrayement veritable, vous ne laisseres pas de croyre que je souhaite autant d'avancement a monsieur vostre frere comme je fay aux miens propres, demeurant,.

  A013002064 

 Peut-être, celui-ci ne se souviendra pas du cordial accueil qu'il me fit lorsque, étant moi-même à Roms, notre cher Prélat, de sainte mémoire, me conduisit si souvent à l'Oratoire..

  A013002065 

 Je regrette que le pauvre homme ait tant de démêlés avec ses moines qui vraiment l'empêchent de faire du fruit: il ne faut pas aimer les contestations..

  A013002095 

 Votre Illustrissime et [237] Révérendissime Seigneurie n'a pas besoin que je m'attarde à lui exposer la pesanteur de mon fardeau, la difficulté du gouvernement ou la situation critique de cette Eglise.

  A013002118 

 Or, si je trouve en moi la volonté de faire le bien, je ne trouve pas le moyen de l'accomplir, à moins que le Seigneur ne m' envoie son secours du Saint-Siège qu'il a fondé.

  A013002125 

 Ce n'est rien de ressentir ces mouvemens de cholere et d'impatience, pourveu qu'ilz soyent mortifiés a mesure que vous les voyes naistre; c'est a dire que vous taschies de vous remettre au lien et pacification du cœur, car cela estant, encor bien que le combat durast tout le jour, ce seroit de l'exercice, mais non pas de la perte pour vous..

  A013002125 

 Faites bien cela; car c'est le grand point de l'humilité de voir, servir, honnorer et s'entretenir es occurrences et a propos (car il ne faut pas se rendre importune en la recherche) avec ceux qui nous sont a contrecœur, et demeurer humble, sousmise, douce et tranquille entr'eux.

  A013002136 

 Je suis tous-jours sans nouvelles; vous estes aussi en lieu ou il ne faudroit pas vous en envoyer, car vous les auriés la a meilleur marché.

  A013002150 

 Le desir est bon sans doute, mais il faut que vous ne luy permeties pas de vous inquieter, puisque, pour le present, vous ne le pouves pas reduir'en effect.

  A013002150 

 Si nostre Sauveur veut quil reuscisse, il le procurera par des moyens convenables qu'il sçait et que nous ne sçavons pas encor.

  A013002152 

 Ce n'est pas pour eschange de vostre beau present, mais seulement pour souvenance de la pure affection que je porte a vostre ame en Nostre Seigneur, auquel je vous prie de me recommander souvent, comme.

  A013002188 

 Mais je pense bien pourtant que cette bonne fille ne tiendra pas son cœur; j'en serois grandement marri pour l'amour d'elle, qui commettroit une grande faute..

  A013002191 

 Et je dis excellentes, parce que ces petites resolutions de ne faire pas mal ne sont pas suffisantes: il en faut une de faire tout le bien qu'on pourra et de retrancher non seulement le mal, mais tout ce qui ne sera pas de Dieu et pour Dieu..

  A013002208 

 C'est elle qui a conçu la pensée et le désir de songer à moi, parfaitement inconnu et n'ayant aucun titre à la notoriété (si l'on ne tient pas compte du caractère [250] épiscopal que je partage avec beaucoup d'autres), pour me dédier ce précieux ouvrage....

  A013002208 

 Sans cela, je ne suis pas indifférent au point de ne pas sentir combien je suis redevable à votre bienveillance.

  A013002301 

 Il vous tarde que vous ne sçachies de mes nouvelles; mais je ne puis penser a quoy il tient que vous n'en ayes plus souvent, car j'escris a toutes occasions, et mon affection n'en laisse pas escouler une seule qu'elle ne me violente pour l'employer..

  A013002304 

 Mais si je ne l'ay pas veuë encor, je la voy en esprit, et l'honnore et cheris comme toute mienne en Celuy qui m'a rendu tout vostre et tout sien.

  A013002305 

 Neanmoins cela m'empeschera de luy faire responce; aussi bien n'en aura-elle pas besoin..

  A013002306 

 Je vous avois dit que vous en fissies selon l'advis de vos confesseurs, mais puisqu'ilz ne sont pas d'accord, je vous diray comme j'ay dit a nostre madame de Chantal: quand les festes seront grandes, nonobstant la Communion ordinaire il ne faut pas laisser de les celebrer par une Communion extraordinaire; car, comme pourrons nous bien celebrer une grande feste sans ce festin? Ce que je vous renvoyois a vos confesseurs, c'est que je ne sçay pas clairement les particularités de vostre necessité.

  A013002312 

 Vous aves rayson de vous accuser de la superfluité et exces dont vous uses a toutes les compaignies; mais apportés-y donques de la moderation et voyés de garder cette regie: c'est que vous traitties en sorte qu'eu esgard a vostre qualité et de ceux que vous traittes, vous ne facies pas comme les moins liberaux et magnifiques de vostre condition, ni aussi comme les plus magnifiques et liberaux.

  A013002320 

 Mais pourquoy donques je vous supplie, ma Fille, remettrois-je vostre voyage de Saint Claude? Sil ni a point d'autr'incommodité que celles qui se presentent, il me semble quii ni a pas dequoy le remettre.

  A013002322 

 Faysons-le donques, puisque Dieu vous l'inspire aussi; vous ne laisseres pas d'estre asses brave sans cela aux yeux de vostre Espoux et de vostre Abbesse.

  A013002322 

 Il faut, a l'exemple de nostre saint Bernard, estre bien net et bien propre, mais non pas curieux ni miste.

  A013002323 

 Allons tous-jours nostre petit pas; pourveu que nous ayons l'affection bonne et bien resolue, nous ne pouvons que bien aller..

  A013002323 

 Il ne reste que l'automne duquel, comme vous dites, vous ne voyes pas beaucoup de fruitz.

  A013002323 

 Mais bien, il arrive souvent que, en battant les bleds et pressant les raysins, on treuve plus de bien que les moyssons et vendanges n'en promettoyent pas.

  A013002324 

 Non, ma tres chere Fille, il n'est pas besoin pour l'exercice des vertus de se tenir tous-jours actuellement attentive a toutes; cela, de vray, entortilleroit et entreficheroit trop vos pensees et affections.

  A013002324 

 Tenant le cœur bandé a l'exercice de celles ci, a la rencontre des autres on n'a pas grande difficulté.

  A013002326 

 Si vous n'estes pas a Dijon le Caresme il n'importe pas; vous ne laisseres pas d'estre aupres de nostre bon Dieu, de l'ouyr et servir, mesme en l'assistence de monsieur vostre beaupere auquel je doy tant d'honneur et de respect pour le bien quil me fait de m'aymer.

  A013002328 

 Non, vous ne contrevenes pas a l'obeissance n'eslevant pas si souvent vostre cœur a Dieu et ne prattiquant [264] pas si a souhait les advis que je vous ay donné.

  A013002328 

 Sçaves vous que les advis requierent? Ilz requierent qu'on ne les mesprise pas et qu'on les ayme, cela est bien asses; mais ilz n'obligent pas aucunement.

  A013002330 

 Mais c'est une besoigne de longue haleyne et que je n'eusse pas osé entreprendre si quelques uns de mes plus confidens ne m'y eussent poussé; vous en verres quelque bonne piece quand vous viendrés.

  A013002331 

 J'ay receu vos cantiques que j'aime bien, car si bien ilz ne sont pas de si bonne rime que beaucoup d'autres, ilz ne laissent pourtant pas d'estre de bonn'affection; et si je n'estois point meslé par la dedans, je les ferois chanter en mon cathechisme.

  A013002332 

 O Dieu me face vrayement enfant en innocence et simplicité! Mais ne suis je pas aussi un vray simple de vous dire ceci? Il ni a remede, je vous fay voir mon cœur tel qu'il est et selon la varieté de ses mouvemens, affin que, comme dit l'Apostre, vous ne pensies de moy plus quil ni a en moy..

  A013002333 

 « Oüy, » ce m'a tantost respondu une petite fille, « il est plus mien que je ne suis sienne et plus que je ne suis pas mienne a moy mesme.

  A013002350 

 Mon ame, qui est toute voüee a la vostre, me fait des grans reproches sur cett'intermission; bien que je sçay que vous ne jugeres pas mes affections par cette sorte de tesmoignage, et que ce soit le moindr'effect de l'infini devoir que je vous ay..

  A013002364 

 J'ay mieux aymé m'addresser a Sa Sainteté mesme qu'a nul autre, tant par ce que l'affaire le merite, que par ce que je ne sçai pas qui aura la commission de prouvoir a vos expeditions.

  A013002364 

 Monseigneur de Sion me fit lhonneur de m'escrire dernierement et me toucha un mot du prieuré de Semur, mais si briefvement que je n'entens pas bien ce quil m'en dit.

  A013002378 

 Je vous renvoye les patentes signees; mais, pour l'honneur de Dieu, si c'est monsieur de Pinché, qu'il n'aille pas sur les galoches et friseures, ni galantant comm'il a fait jadis.

  A013002379 

 Pour le voyage du Puy d'Orbe, je vay meditant comment et quand; et, pour le faire plus a propos, je ne ferois pas difficulté de le differer de quelques moys.

  A013002380 

 Si je ne vous respons pas si exactement aux lettres que vous m'envoyes, accusés-en ma mauvayse coustume, qui est de ne point mettre la main a la plume que sur le despart des messagers, dont il arrive que souvent, en ce point la, je suys embarrassé d'autres occupations..

  A013002451 

 Et en chasque commandement il faut faire deux rancz: l'un, des fautes plus sensibles, desquelles il faut dire a peu pres le nombre; l'autre, des menues fautes, quil faut dire en bloc, et vous n'aves pas besoin de particulariser rien davantage..

  A013002452 

 Je ne veux pas que vous veillies le sepulchre cett'annee, ains qu'avec Madeleyne et les autres bonnes filles, vous præparies des le soir les parfums et unguentz, et que le mattin a bonn'heure vous aillies au sepulchre; car cette demesuree veille vous tiendroit tout le jour hors d'aleyne et estoufferoit l'esprit de devotion..

  A013002456 

 Demeures bien en vostre tabernacle; et quoy que les saules y abondent, ne laisses pourtant pas d'y avoir du meurte, de la palme et du fruit du bel arbre..

  A013002467 

 O Dieu, que ne suis-je insensible aux autres accidens et suggestions malignes comme je le suis aux injures et mauvaises opinions qu'on a de moy! Il est vray qu'elles ne sont pas ni cuisantes ni en grand nombre; mais encor m'est il advis que s'il y en avoit beaucoup davantage je ne m'en estonnerois pas, moyennant l'assistance du Saint Esprit.

  A013002481 

 Je suis en si peu de liberté que je ne puis pas dire si ce sera cette annee; mais j'ay tant de desir de vous revoir, que je ne puis ne l'esperer pas..

  A013002481 

 Je sçai que vous estes tendre au voyage et que vous n'aves pas tant de santé que de volonté; mais croyes moy, ou je mourray a la poursuitte, ou je m'approcheray un jour, en sorte que s'il vous faut faire quelque partie du chemin en ma faveur, elle sera fort courte.

  A013002530 

 Bien que cela ne soit pas fort necessaire, si est il bon..

  A013002532 

 A Dieu donq, ma tres chere Fille, jusques a ce tems la; et en ce tems la et en l'eternité, a Dieu soyons nous, et a Dieu sans plus, puisque hors de luy et sans luy nous ne voulons rien, non pas mesme nous mesmes, qui aussi bien, hors de luy et sans luy, ne sommes que des vrays riens.

  A013002541 

 Mais sçaves vous pas que je vous ay dit mille fois que je sçavois que vous m'aymies et que j'aymois bien fort nostre mutuelle amitié, non seulement pour le bien qu'elle me donnoit, mais parce que son fondement estoit eternel? Je me plais bien fort sur ce sujet..

  A013002541 

 Non, a la verité, je ne doute nullement que vous ne m'aymies fort estroittement; j'aurois bien peu de sentiment si tant de tesmoignages que vous m'en aves rendus ne m'en asseuroyent, outre lesquelz j'en ay un dans moy mesme qui me suffiroit pour cela; car il ne me semble pas que mon cœur vous peust aymer comm'il vous ayme si, par une secrette correspondance, le vostre ne l'attiroit; car l'on a beau dire que la connoissance des merites force a l'amour (je dis a l'amitié); c'en est vrayement un grand motif, mais inutile si on n'espere pas une reciproque affection.

  A013002559 

 Or sus, je sçai bien que quand par bonne rencontre on treuve Dieu, c'est bien fait de s'entretenir a le regarder et arrester en luy; mais, ma chere Fille, de le penser tous-jours rencontrer ainsy a l'impourveu, sans preparation, je ne pense pas qu'il soit encor bon pour nous qui sommes encor novices, et qui avons plus besoin de considerer les vertus du Crucifix l'une apres l'autre et en detail, que de les admirer en gros et en bloc.

  A013002559 

 Or, si apres avoir appliqué nostre esprit a cette humble preparation, Dieu ne nous donne neanmoins pas des douceurs et suavités, alhors il faut demeurer en patience a manger nostre pain tout sec, et rendre nostre devoir sans recompense presente..

  A013002561 

 Je ne voudrois pas que vous portassies madamoyselle vostre fille a une si frequente Communion qu'elle ne sache bien peser que c'est que cette frequente Communion.

  A013002562 

 Ne desirés point de n'estre pas ce que vous est es, mais desirés d'estre fort bien ce que vous estes; amusés vos pensees a vous perfectionner en cela et a porter les croix, ou petites ou grandes, que vous y rencontreres.

  A013002562 

 Sachés que Dieu ne veut rien de vous sinon cela, pour maintenant: ne vous amuses donques pas a faire autre chose.

  A013002564 

 Je [291] desirois bien de vous voir, mais il n'estoit pas convenable que je le voulusse; Dieu disposera peut estre quelque moyen plus propre pour cela.

  A013002586 

 Et vous aussi, ma bien aymee Fille, non pas? Ouy, sans doute.

  A013002586 

 Mais les croix de Dieu sont elles pas douces et pleines de consolation? Ouy, pourveu que l'on y meure, comme fit le Sauveur.

  A013002588 

 Mais je le confesse, mon esprit n'avoit pas congé de s'espancher comme cela, il s'est eschappé: il luy faut pardonner pour cette fois, a la charge qu'il n'en dira plus mot..

  A013002588 

 Pourquoy donques ne l'aymerois-je pas? Mais ou vay je? Si ne rayeray-je pas ces paroles; elles sont trop veritables et hors de danger.

  A013002589 

 Que vous dis je, ma chere Fille? car je ne m'en resouviens pas.

  A013002592 

 Tout ceci ne sont pas des grandes choses, mais je les vous ay voulu dire parce qu'elles me sont venues en l'esprit, apres avoir escrit une douzaine de lettres a ces Messieurs de la cour en recommandation de nostre Chapitre de Saint Pierre..

  A013002593 

 Tenés vostre cœur ferme et haut eslevé en Dieu par une entiere confiance en sa sainte providence, laquelle, sans doute, ne vous a pas donné le dessein de la servir qu'elle ne vous donne tous les moyens de ce faire.

  A013002594 

 A Dieu, ma chere Fille, ce n'est pas avec loysir que je vous escris; c'est par impetuosité que j'ay conduit ma plume jusques icy, partie avant la sainte Messe, partie apres.

  A013002604 

 Mais, ma Fille, ne prenes pas ces paroles pour des effectz de grand prix.

  A013002604 

 Non, ce ne sont que des petites imaginations des vertus que mon cœur fait pour se recreer; car, quand c'est a bon escient, je ne suis pas si brave.

  A013002617 

 Il ne m'est pas possible de me contenir de vous escrire a toutes sortes d'occasions qui s'en presentent.

  A013002617 

 Ne veuilles pas tout faire, mais seulement quelque chose, et sans doute vous feres beaucoup.

  A013002618 

 Elle le vouloit voir en son habit de gloire, et non pas en un vil habit de jardinier; mais neanmoins, en fin elle conneut que c'estoit luy quand il luy dit: Marie..

  A013002618 

 Elle ne le voyoit pas en la forme qu'elle vouloit; c'est pourquoy elle ne se contente pas de le voir ainsy et le cherche pour le treuver autrement.

  A013002619 

 Croyes vous pas qu'il vous dit: Marie, Marie? Non, avant que vous le voyes en sa gloire, il veut planter dedans vostre jardin beaucoup de fleurs petites et basses, mays a son gré: c'est pourquoy il est ainsy vestu.

  A013002619 

 O Dieu, les plus belles ne sont pas les meilleures.

  A013002632 

 Ne vous desire-je pas, ma chere Fille, tout ce qui se doit desirer?.

  A013002634 

 Falloit-il pas que je disse cela pour tesmoigner que je suis esmeu a rire?.

  A013002634 

 Non, ma chere Fille, si vous esties icy, encor ne voudrois-je pas pour cela entreprendre de faire taire les grenouilles; mais ce vous dirois-je bien qu'il ne les faudroit pas craindre ni s'en inquieter, ni ne penser pas a leur bruit.

  A013002634 

 Qu'elles crient tant qu'elles voudront; pourveu que les crapaux ne me mordent point, je ne laisseray pas de dormir pour elles, si j'ay sommeil.

  A013002634 

 Vous ne sçavés pas, ma chere Fille, ce qui me vient en l'esprit? je dis tout presentement, car je suis esmeu a la joye.

  A013002646 

 Et j'estois bien marri que nous n'avions ni tant de larmes ni tant de parfums que cette sainte Penitente; mais nostre sainte Dame se contentoit «le certaines gouttelettes respandues sur le bord de sa robbe, car nous n'osions pas toucher ses sacrés pieds.

  A013002646 

 Mais pour respect se nostre chere Magdeleine, nous n'osions pas aller a ses pieds, ains a ceux de sa sainte Mere, laquelle, si je ne me trompe, se treuvoit la.

  A013002648 

 Il n'est pas besoin de nommer ceux pour lesquelz vous voules faire dire des Messes; il suffit que, par vostre intention, ce bien-la leur soit appliqué..

  A013002649 

 Les grans et esloignés voyages ne sont pas utiles a vostre sexe, ni d'edification au prochain: au contraire, on en parle, on attribue cela a legereté, on murmure contre les peres spirituelz.

  A013002650 

 A la verité dire, les pauvres petites et blanches colombelles sont bien plus aggreables que les serpens; et quand il faut joindre les qualités de l'un a celles de l'autre, pour moy, je ne voudrois nullement donner la simplicité de la colombe au serpent, car le serpent ne laisseroit pas d'estre serpent; mais je voudrois donner la prudence du serpent a la colombe, car elle ne laisseroit pas d'estre belle..

  A013002650 

 Je ne suis gueres prudent, et si, c'est une vertu que je n'ayme pas trop.

  A013002651 

 Mais cependant, l'acte que vous me marques n'est pas fort double; au moins il n'est pas double d'une fort mauvaise estoffe, car que pretendries vous pour vous a faire connoistre que le bon M. le Conte jeusnoit? La fascheuse duplicité c'est celle qui a une bonne action doublee d'une intention mauvaise ou vaine.

  A013002653 

 Pour vos vielles tentations, n'en affectionnés pas tant la delivrance; dissimulés de les sentir, ne vous effarouchés point pour leurs attaques.

  A013002653 

 Vous desires infiniment que Dieu vous laisse paysible, dites vous, de ce costé la; et moy je desire que Dieu soit paysible de tous costés et que pas un de nos desirs ne soit contraire aux siens.

  A013002662 

 Croyés moy, ma Fille, les viandes douces engendrent les vers aux petitz enfans, et en moy qui ne suis pas petit enfant; c'est pourquoy nostre Sauveur nous les entremesle d'amertumes..

  A013002662 

 Mais certains desirs qui tirannisent le cœur, qui voudroyent que rien ne s'opposast a nos desseins, que nous n'eussions nulles tenebres, mais que tout fut en plein mydi; qui ne voudroyent que suavités en nos exercices, sans degoustz, sans resistence, sans divertissements; et tout aussi tost quil nous arrive quelque tentation interieure, ces desirs la ne se contentent pas que nous n'y consentions pas, mais voudroyent que nous ne les sentissions pas; ilz sont si delicatz quilz ne se contentent pas que l'on nous donne une viande de bon suc et nourrissante, si elle n'est toute sucree et musquee; ilz voudroyent que nous ne vissions seulement pas les mousches du moys d'aoust passer devant nos yeux: ce sont ces desirs d'une perfection trop douce, il n'en faut pas avoir beaucoup.

  A013002663 

 En dea, disoit saint Anthoine, je vous voy, mais je ne vous regarde pas.

  A013002664 

 Ah! ce leur dis-je, sans ces terreurs nous n'eussions pas tant invoqué Nostre Seigneur.

  A013002665 

 Courage, ma Fille, n'avons nous pas occasion de croire que nostre Sauveur nous ayme? Si avons certes; et pourquoy donques se mettre en peyne des tentations? Je vous recommande nostre simplicité, qui est si jolie et qui est si aggreable a l'Espoux, et encor nostre pauvr'humilité, qui a tant de credit vers luy; et faites moy une charité pareille en me les recommandant a moy.

  A013002666 

 Le P. Recteur de Chamberi s'y trouva, avec lequel je revis ma pauvr'ame, a prendre despuis que je suis en cette charge; mais il me semble que je ne me confondis pas asses selon le merite de la cause.

  A013002672 

 Je vay tout de ce pas dire la sainte Messe pour vous; c'est tous-jours pour vous, sans doute.

  A013002672 

 Ne sommes nous pas trop heureux de sçavoir quil faut aymer Dieu et que tout nostre bien gist a le servir, toute nostre gloire a l'honnorer? O que sa bonté est grande sur nous! Je m'en vay donq a son saint autel..

  A013002674 

 Je n'escris pas a mon bon monsieur le Conte pour ce coup, mais je prie Dieu quil establisse en luy son saint amour, et le cheris extremement..

  A013002683 

 Encor mon affection n'est pas satisfaite, car elle est insatiable au desir de rendre a mon Dieu le devoir que j'ay envers vous.

  A013002684 

 De vray, ma chere Fille, elle avoit rayson de desirer qu'on l'aydast a servir son cher hoste, mais elle n'avoit pas rayson de vouloir que sa seur quittast son exercice pour cela, et laissast la le doux Jesus tout seul; car ses mammelles, abondantes en lait de suavité, luy donnoyent des eslancemens de douleur, pour le remede desquelz il failloit au moins un enfant a succer et prendre cette celeste liqueur..

  A013002685 

 Mais de vouloir laisser nostre Sauveur tout fin seul, elle avoit, ce me semble, tort; car il n'est pas venu en ce monde pour vivre en solitude, mais pour estre avec les enfans des hommes..

  A013002686 

 Ne voyla pas des pensees estranges de vouloir corriger nostre bonne sainte Marthe? Oh! c'est pour l'affection que je luy porte; et si, je croy que ce qu'elle ne fit pas alhors, elle sera bien ayse de le faire maintenant en la personne de ses filles, en sorte qu'elles partagent leurs heures, donnant une bonne partie aux œuvres exterieures [310] de charité, et la meilleure partie a l'interieur de la contemplation.

  A013002686 

 Or, cette consequence, je la tire maintenant en vous escrivant, car alhors je n'y pensay pas, d'autant que je n'avois nulle sorte d'attention qu'a ce qui se passoit au mystere..

  A013002687 

 Ne voyla pas un merveilleux secret? Je pense que c'est cela que les Docteurs disent, que pour faire l'orayson il est bon de penser qu'il n'y a que Dieu au monde; car sans doute, cela retire fort les puissances de l'ame et l'application d'icelles s'en fait bien plus forte..

  A013002688 

 Aussi, ce ne sont pas icy des responces, car je n'ay encor eu que deux lettres de vous, ausquelles j'ay rendu responce il y a long tems..

  A013002689 

 Monsieur de Nemours m'a tellement conjuré de luy envoyer l'Orayson funebre de Madame sa mere, que je suis contraint d'en escrire une presque tout autre; car je ne me resouviens pas de celle que je dis, sinon grosso modo.

  A013002703 

 Helas, ma chere Fille, dites moy, le doux Jesus ne nasquit il pas au cœur du froid? Et pourquoy ne demeurera-il pas aussi au froid du cœur? J'entens a ce froid duquel, comme je pense, vous parles, qui ne consiste pas a aucun relaschement de nos bonnes resolutions, mais simplement en une certaine lassitude et pesanteur d'esprit, qui nous fait cheminer avec peyne en la voye en laquelle nous nous sommes mis, et de laquelle nous ne nous voulons jamais esgarer, jusques a ce que nous soyons au port.

  A013002703 

 N'est ce pas cela, ma Fille?.

  A013002703 

 Vos froidures, ma tres chere Fille, ne vous doivent nullement estonner, pourveu que vous ayes un vray desir de la chaleur et que vous ne layssies pas, pour le froid, de continuer au train de vos petitz exercices.

  A013002705 

 En fin, estre bonne servante de Dieu, ce n'est pas estre tous-jours consolee, tous-jours en douceur, tous-jours sans aversions ni repugnance au bien; car a ce [313] conte la, ni sainte Paule, ni sainte Angele, ni sainte Catherine de Sienne n'auroyent pas bien servi Dieu.

  A013002746 

 De plus, bien d'autres, en voyant un lieu de rendez-vous s'ouvrir devant eux, seraient engagés à se convertir, et à la longue, ce ne serait pas un petit préjudice pour Genève qui perdrait ainsi une grande partie de son commerce et de ses ouvriers..

  A013002747 

 Cependant, le dévouement et la charité de ces gentilshommes ne recevraient pas un médiocre surcroît d'ardeur, s'ils étaient gratifiés d'une approbation, surtout de celle d'un personnage aussi digne et aussi éminent que l'est Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime.

  A013002760 

 Ne voyes [317] vous pas, ma Fille, que le trouble du jour est esclairci par le repos de la nuit? signe evident que nostre ame n'a besoin d'autre chose que de se resigner fort en son Dieu et se rendre indifferente a le servir, soit parmi les espines, soit parmi les roses..

  A013002761 

 Croiries vous bien, ma tres bonne Fille, que ce soir propre, j'ay eu une petite inquietude pour un affaire qui ne meritoit certes pas que j'y fisse pensee? Or, cela neanmoins m'a fait perdre deux bonnes heures de mon sommeil, chose qui m'arrive rarement.

  A013002761 

 Et je connoissois bien que Dieu me vouloit faire entendre que si les assautz et grandes attaques ne me troublent point, comme a la vérité elles ne font, ce n'est pas moy qui fay cela, c'est la grace de mon Sauveur; et, sans mentir, apres cela je me sens consolé de cette connoissance experimentale que Dieu me donne de moy mesme..

  A013002763 

 Et si, Dieu me donne la force de me lever quelquefois devant le jour pour cet effect, quand je prevoy la multitude des embarrassemens du jour, et tout cela gayement; et me semble que je m'y affectionne et voudrois bien pouvoir en faire deux fois le jour, mays il ne m'est pas possible.

  A013002763 

 Ouy, ma Fille, par la grace de Dieu, je puis dire maintenant mieux que ci devant que je fay l'orayson mentale, parce que je ne manque pas un seul jour sans cela, si ce n'est quelquefois le Dimanche pour satisfaire aux confessions.

  A013002763 

 Vous me fistes grand playsir en l'une de vos lettres de me demander voir si je faysois pas l'orayson.

  A013002792 

 Je vous en sçay vrayement bon [320] gré, mais si faut-il que vous ne perdies point courage pour cela; car encor que vous n'aures pas tant d'ayde exterieure, si est ce que, tenant tous-jours vos desirs et resolutions d'estre toute a Dieu bien vifs et formés en vostre ame, le Saint Esprit vous consolera par une secrette assistance qui suppleera aux exercices que vous laysses, puisque vous ne les laysses que pour l'honneur et la gloire de cette mesme divine Bonté..

  A013002793 

 Je pense que vos Communions vous seront permises, car je ne voy pas que cela vous puisse estre refusé.

  A013002794 

 Au demeurant, d'estre sujette et vivre en compaignie vous donnera mille sujetz de vous bien mortifier et rompre vostre volonté, qui n'est pas un petit moyen de perfection, si vous l'employes avec humilité et douceur de cœur.

  A013002806 

 N'est ce pas un signe qu'un jour il sera de nostre robbe et un bon serviteur de Dieu?....

  A013002848 

 Mais la susdite copie sera restée sur la table de monsieur votre Secrétaire, puisque je ne l'ai pas reçue avec votre lettre; par contre, j'ai trouvé la lettre ci-jointe qui, je pense, m'aura été envoyée par erreur, car elle ne vient pas du Cardinal et ne traite en aucune façon de la dispute de Auxiliis.

  A013002863 

 Et bien, ma chere Fille, mais n'est il pas raysonnable que la tres sainte volonté de Dieu soit executee, aussi bien es choses que nous cherissons comme aux autres? [328] Mais il faut que je me haste de vous dire que ma bonne mere a beu ce calice avec une constance toute chrestienne; et sa vertu, de laquelle j'avois tous-jours bonne opinion, a de beaucoup devancé mon estime..

  A013002864 

 Dimanche matin, elle envoya prendre mon frere le chanoyne; et parce qu'elle l'avoit veu fort triste, et tous les autres freres aussi le soir precedent, elle luy commença a dire: « J'ay resvé toute la nuit que ma fille Jane est morte; dites moy, je vous prie, est il pas vray? » Mon frere, qui attendoit que je fusse arrivé pour le luy dire, car j'estois a la visite, voyant cette belle ouverture de luy presenter le hanap et qu'elle estoit couchee en son lit: « Il est vray, » dit il, « ma mere; » et cela sans plus, car il n'eut pas asses de force pour rien adjouster.

  A013002864 

 Et bien, cette mere, ne la dois je pas bien aymer?.

  A013002864 

 Pas un seul mot d'impatience, pas un seul clin d'œil d'inquietude; mille benedictions a Dieu et mille resignations en son vouloir.

  A013002868 

 Il ne faut pas seulement aggreer que Dieu nous frappe, mais il faut acquiescer que ce soit sur l'endroit qu'il luy plaira; il faut laisser le choix a Dieu, car il luy appartient..

  A013002868 

 Mais vous, ma chere Fille, que voules vous dire quand vous me dites que vous vous estes bien treuvee en cette occasion telle que vous esties? Dites-moy, je vous prie: nostre esguille marine n'a-elle pas tous-jours esté tendante a sa belle estoille, a son saint astre, a son Dieu? Vostre cœur qu'a-il fait? Aves-vous scandalizé ceux qui vous ont veu sur ce point et en cet evenement? Or cela, ma Fille, dites le moy clairement; car voyes vous, je n'ay pas treuvé bon que vous ayes offert ni vostre vie ni celle de quelqu'un de vos autres enfans en eschange de celle de la defuncte.

  A013002869 

 Ah! je ne dis pas qu'il ne faille souhaitter et prier pour leur conservation; mais de dire a Dieu: Laissés ceci et prenés cela, ma chere Fille, il ne le faut pas dire.

  A013002869 

 Aussi ne ferons-nous, non pas? Non, ma Fille, moyennant la grace de sa divine Bonté..

  A013002871 

 Et bien, si Dieu vous ravissoit tout cela, n'auries vous pas encor asses d'avoir Dieu? N'est ce pas tout, a vostre advis? Quand nous n'aurions que Dieu, ne seroit ce pas beaucoup? Helas, le Filz de Dieu, mon cher Jesus, n'en eut presque pas tant sur la croix, lhors qu'ayant tout quitté et laissé pour l'amour et obeissance de son Pere, il fut comme quitté et laissé de luy; et le torrent des passions emportant sa barque a la desolation, a peyne sentoit il l'esguille, qui non seulement regardoit, mais estoit inseparablement unie a son Pere.

  A013002872 

 Et bien donques, ma Fille, si Dieu nous ostoit tout, si ne s'ostera-il jamais a nous pendant que nous ne le voudrons pas.

  A013002873 

 Nous n'envoyerons point a son quarantal; non, ma Fille, il ne faut pas tant de mysteres pour une fille qui n'a jamais tenu aucun rang en ce monde, ce seroit se faire mocquer.

  A013002885 

 Je n'iray pas a Salins, mais je veux bien pourtant faire en sorte que cette annee suivante ne se passe pas sans que nous nous revoyons tous; dequoy pourtant je ne desire pas que le bruit coure..

  A013002887 

 Et vous resouvenes qu'il n'est pas question qu'un seul mange tout un festin preparé pour plusieurs: As-tu treuvé du miel, manges en ce qui suffit, dit le Sage.

  A013002917 

 O ma chere Fille, ne voyci pas grand cas! c'est mon Noé qui va a Lion, et neanmoins je n'ay pas loysir de [337] vous escrire, car je ne sçavois pas quil partist avant qu'aller dire la Messe; et au sortir d'icelle, nos messieurs les chanoynes m'ont prié de l'envoyer pour certaines affaires qui regardent encor le service de Dieu.

  A013002922 

 Je sçai bien que du tems de nostre saint Hierosme on appelloyt sains tous les Evesques, a rayson de leur charge; mais ce n'en est pas la coustume maintenant..

  A013002922 

 Ma chere Fille, j'escriray a monsieur vostre beaupere selon vostre desir; mais vous n'escrivés pas selon le mien, ni a ma mere, ni a M me de Charmoysi, quand vous dites « nostre bon et saint Evesque; » car, en lieu que ces bonnes femmes devroyent lire sot Evesque, elles lisent saint Evesque.

  A013002923 

 Mais dites moy, ma chere Fille, n'est ce pas nostre bon Dieu qui ouvre le chemin au mariage de nos jeunes gens? Cette facilité de messieurs vos plus proches, d'ou peut elle provenir que de la Providence celeste? De deça, ma Fille, je le confesse, mon esprit y est, je ne dis pas porté, mais lié et collé; ma mere ne pense qu'a cela, toute la fraternité y conspire; et tandis que la sayson s'advancera, prions bien Dieu que sa sainte main conduise l'œuvre.

  A013002926 

 Failloit il pas que je vous disse cela? Mais non, ce n'est pas par vantance; oh! ce n'est que par liberté..

  A013002930 

 Mon frere ne sçait pas que je vous escrive..

  A013002945 

 J'ay bien asses de connoissance de la grandeur de la courtoysie avec laquelle vous aves aggreable le dessein [341] du mariage de madamoyselle vostre fille aysnee avec mon frere; mais il ne m'est pas advis que jamais j'en puisse faire aucune sorte de digne reconnoissance et remerciement.

  A013002945 

 Seulement vous supplie-je bien humblement de croire que vous ne pouvies pas obliger de cet honneur des gens qui le receussent avec plus de ressentiment que nous faysons, mes proches et moy, qui tous en sommes remplis de consolation.

  A013002967 

 Mais faut il pas que je vous die les resolutions de monsieur le Baron de Menthon et de monsieur d'Autrechese, dont le premier a fait veu de chasteté perpetuelle et, s'estant desja revestu de sottane a l'ecclesiastique, minute son despart entier des affections du siecle pour se lier aux Ordres sacrés; et le second, ayant solemnellement voué, dedié et consacré tous ses biens a l'Eglise pour l'erection d'une Collegiale a Ugine, persiste vaillamment a la resolution de prendre le subdiaconnat a [344] ceste premiere ordination.

  A013002967 

 Voyla pas de rares exemples, des monuemens de pieté? Et combien cela me doit il animer a me bien dedier au service de Dieu..

  A013002987 

 Que si Vostre Altesse l'a aggreable, j'adjousteray que je n'ay encor sceu rencontrer en l'histoire un seul des Cardinaux de sa serenissime Maison qui n'ayt eu en sa main cet evesché de Geneve, pas mesme le grand Felix.

  A013003044 

 Helas, ma Fille, je ne le sçai pas; mais je sçai seulement que, pour le bien exprimer, il faut avoir une langue toute de feu, c'est a dire qu'il faut que ce soit par le seul amour divin, qui, sans autre, exprime Jesus en nostre vie en l'imprimant dans le [354] fond de nostre cœur.

  A013003054 

 Faut il donques que ce soit tous-jours en courant que je vous escrive, ma bonne et chere Fille? Il y a, ce me semble, long tems que je ne vous escris que comme cela; et si, ce n'est pas que je n'aye a vous escrire un peu au long sur l'obeissance et l'amour de la volonté de Dieu.

  A013003057 

 Ces deux Dimanches j'ay treuvé nos Communions diminuees de la moytié; cela m'a bien fasché; car encor que ceux qui les faisoyent ne deviennent pas meschans, mais pourquoy cessent-ilz? Pour rien, pour la vanité.

  A013003057 

 Non, je ne pense pas que nous eussions le courage de retarder ainsy, de propos deliberé, un seul pas de nostre chemin pour tout ce que le monde nous auroit presenté: non pas, ma Seur, ma Fille? Sans doute non, moyennant la grace de Dieu..

  A013003068 

 J'ay vos lettres du 18, 19 et 25 novembre, et du 5, 14 et 22 decembre de l'annee passee, ausquelles je n'ay pas entierement respondu; au moins je m'en doute..

  A013003071 

 Je ne pensois pas vous tant dire sur ce premier point, mais je me laisse emporter aysement avec vous.

  A013003073 

 Je me feray mieux entendre en vous disant que je crains de rencontrer des secretaires qui, quand on leur dit: Donnés-moy ma botte, bridés ce cheval, faites ce lit, ilz respondent: Je ne suis pas pour cela; car en tout j'employe le premier que je treuve, horsmis les ecclesiastiques.

  A013003075 

 Au partir de la, elle est l'aysnee; et si, je suis obligé de l'aymer plus tendrement parce qu'un [jour] que vous n'esties pas au logis a Dijon, elle me fit bien des faveurs et me permit de la bayser d'un bayser d'innocence.

  A013003075 

 Ay-je donq pas bien rayson de prier Nostre Seigneur qu'il la rende toute aggreable a sa Bonté?.

  A013003077 

 Je le feray, quoy que M me nostre seur Brulart me die, laquelle, comme je croy, ne tient pas que mon voyage fust inutile parce que, en particulier, quelques ames me pourroyent employer a leur service; mais ce n'est pas cela que je pretens.

  A013003077 

 Je treuve bon vostre conseil de n'aller pas en Bourgoigne qu'avec grande apparence de proffiter.

  A013003078 

 Je vous entens bien en la maniere que vous me le dites, avec laquelle vous vous mettés, a l'adventure, en faysant les actions que vous ne reconnoissés pas du tout bien: je l'appreuve, car vrayement elle est bonne, et si, j'en fay de mesme..

  A013003078 

 Vous me faites grand playsir, je dis tres grand, de m'exhorter a l'humilité; non pas parce qu'il ne me manque que cette vertu-la, mais parce que c'est la premiere et le fondement des autres.

  A013003079 

 Il faut, pendant que je m'en resouviens, que je vous defende ce mot de saint quand vous escrivés de moy, car, ma Fille, je suis plus faint que saint: aussi la canonization des saintz ne vous appartient pas.

  A013003080 

 Nous n'avons pas icy qui les face; s'il n'y a pas beaucoup d'incommodité, envoyés m'en un..

  A013003082 

 Est ce pas cela, ma Fille? Demeurés en paix.

  A013003085 

 J'aurois grande envie de vous dire un mot de l'amour de la volonté de Dieu, car je m'apperçois que vous en faites l'exercice en l'orayson, et ce n'est pas cela que je voulois dire; car il ne faut point vous assujettir en icelle, j'entens a l'orayson, a aucun point ordinaire.

  A013003105 

 J'ay escrit un mot a mon frere, qui vous regarde, [363] ne pensant pas vous escrire.

  A013003117 

 Il n'y a pas moyen maintenant, car il est bien tard, et je presche demain matin..

  A013003119 

 Si j'estois pres de vous, je confesse que je voudrois bien estre preferé a la mettre a la Communion, car c'est un coup memorable pour une ame destinee au bien comme celle-la; mais encor ne faut il pas que mon ambition la prive de cette celeste viande pour ces Pasques.

  A013003119 

 Sçaves vous, ne la nous faites pas aussi si brave qu'elle nous desdaigne pour cela.

  A013003120 

 Mais ne vous effarouchés pas pour cela a dire: Mais que doy je donq estre, moy? Car, ma Fille, je ne sçai comme je suis fait; encor que je me sens miserable je ne m'en trouble point, et quelquefois j'en suis joyeux, pensant que je suis une vraye bonne besoigne pour la misericorde de Dieu, a laquelle je vous recommande sans cesse.

  A013003124 

 + Je ne dis pas cela pour la loüer, car j'ayme bien que l'on m'escrive, et tres souvent; et si, j'ayme mieux voir un [366] peu d'empressement que de ne voir jamais point de lettres en des absences de troys a quatre mois.

  A013003124 

 Je dis ceci affin que vous ne pensassies pas, pour n'estre pas empressee, qu'il faille ne pas m'escrire le plus souvent que vous pourres.

  A013003132 

 Il ne faut pas, pour peu de chose, se detraquer comme cela, notamment les femmes; car par apres on ne vaut rien tout le long du jour..

  A013003132 

 Pourquoy faites vous cela, ma chere Fille? Non certes, il ne faut pas accabler l'esprit a force de travailler le cors; saint François le disoit a ses disciples.

  A013003133 

 Tout cela ne m'estonne nullement, car vous aves un esprit si douillet et jaloux de ce que vous aves en resolution, que tout ce qui le touche a biais contraire vous est si sensible [367] que rien plus; et je vous ay dit mille fois qu'il ne faut pas, ma chere Fille, aller si pointilleusement en nostre besoigne..

  A013003134 

 Je m'en mocquay, et ne voulus pas seulement penser si j'y pensois; il alla tost en fumee et je ne le vis plus.

  A013003134 

 La verité est que je cuiday m'en importuner, et j'eusse tout gasté; mais en fin je pensay en moy mesme que je ne meritois pas d'avoir une si haute paix que l'ennemy n'osast pas regarder de loin mes murailles..

  A013003134 

 Non point de desirer que je ne fusse pas d'Eglise, car cela eust esté trop grossier; mais parce qu'un peu auparavant, parlant avec des personnes de confiance (et vrayement je pense que ce fut nostre Groysi), je dis que si j'estois encor en l'indifference et que je fusse heritier d'un duché, je choisirois neanmoins l'estat ecclesiastique, tant je l'aymois, il m'arriva un desbat en l'ame, que si, que non, qui dura quelque tems.

  A013003135 

 Ces importunités ne sont pas pour tous-jours, mais pour l'estat present de vos affaires; c'est pourquoy je vous ay dit qu'il failloit avoir patience.

  A013003135 

 Mon Dieu, ma Fille, je voudrois que vous eussies la peau du cœur un peu plus dure, affin que vous ne laissassies pas de dormir pour les puces.

  A013003135 

 Quand les tentations vous viendront a gauche, je ne m'en mettray pas en peyne, car elles sont trop grossieres.

  A013003136 

 La foy, l'esperance, la charité, pieces immobiles de nostre cœur, sont bien sujettes au vent, quoy que non pas a l'esbranlement: comment voulons nous que nos resolutions en soyent exemptes? Vous estes admirable, ma Fille, si vous ne vous contentés pas que nostre arbre demeure bien et profondement planté, mais que vous voulies encor que pas une feuille ne soit agitee..

  A013003137 

 Apres tout cela, ne craignés pas, pour ces bagatelles, contrevenir a nos resolutions, ni a la confiance et repos que vous deves prendre en icelles et en moy.

  A013003138 

 Je les dis au Pere Recteur de Chambery, sans rien nommer, il m'y conforta; je les dis a un autre grand ecclesiastique, il m'y conforta; je les ay dites mille fois a Dieu, mais helas! non pas si reveremment que je devois, et tous-jours il m'y a conforté.

  A013003139 

 Non, ma Fille, ne philosophés point sur tout ceci, car je ne l'escris pas a cette intention, ni pour crainte que j'aye que le cœur vous faille.

  A013003167 

 Maintenant je vous demanderois volontier, ma chere Fille: Qu'est ce que dit vostre cœur? Est il pas tous-jours celuy que j'ay veu si desireux de la gloire de Dieu? Ah, pour l'amour de Dieu, ma chere Fille, si ce cœur avoit perdu son courage, reprenes-le et ne le laisses pas sans cela.

  A013003184 

 Car, si apres tant de tems, apres [373] tant de demandes a Dieu on ne se resoult pas sans difficulté, comme penserons, sur des considerations faites sans appareil (pour celles qui viennent a gauche) et faites par des simples odeurs et goustz (quant a celles qui viennent a dextre), comme penserons nous, dis-je, bien rencontrer? Or sus, laissons cela, n'en parlons plus..

  A013003184 

 Hé, je ne veux pas dire que vous ne regardies pas, non; mais je veux dire: ne regardes pas pour vous y amuser, pour examiner soigneusement, pour vous embarasser et entortiller vostre esprit de considerations desquelles vous ne sçauries vous demesler.

  A013003185 

 C'est que tout ce que je vous dis: Ne penses pas ceci, cela; ne regardes pas, et semblables, tout cela s'entend grosso modo; car je ne veux point que vous contraignies vostre esprit a rien, sinon a bien servir Dieu, a le bien aymer, a ne point abandonner nos resolutions, ains a les aymer.

  A013003186 

 Mon Dieu, ma Fille, ne sçauries vous vous prosterner devant Dieu quand cela vous arrive, et luy dire tout simplement: Ouy, Seigneur, si vous le voules je le veux, et si vous ne le voules pas je ne le veux pas; et puis passer a faire un peu d'exercice et d'action qui vous serve de divertissement.

  A013003187 

 Ce n'est pas en esprit d'arrogance que je dis cela, ma Fille, c'est en esprit de confiance et pour nous encourager.

  A013003187 

 Nous n'avons point d'intention que pour la gloire de Dieu, non pas? Non certes, au moins d'intentions descouvertes; car si nous en descouvrions, nous les arracherions tout aussi tost de nostre cœur.

  A013003187 

 Quel remede, ma chere Fille? Apres la grace de Dieu, c'est de n'estre pas si delicate.

  A013003187 

 Voyes vous (voyci un autr'espanchement d'esprit, mais il ni a remede), ceux qui ne peuvent pas soufrir la demangeayson d'un ciron, en la pensant faire passer, a force de se gratter ilz s'escorchent les mains.

  A013003188 

 Il faut dire un peu des menues pensees apres ces grandes pensees: il est un peu estonné de ne pas treuver Montelon ceans; o mais, je dis icy a Rumilly..

  A013003189 

 Elle s'est un peu plus estroittement liee au Crucifix et a la dependence de son pere spirituel; non pas que son intention ne fut telle tous-jours, mais non pas si ouverte et declairee..

  A013003190 

 Il failloit dire cela; mais ne laysses pas de l'aymer, car certes, il est bon enfant.

  A013003190 

 Je ne le veux point excuser, mais accuser dequoy il ne vous escrit pas.

  A013003208 

 Il a fallu que je vous envoyasse cet Exercice; en quoy je voy bien que plusieurs choses sont si particulieres [377] a l'ame que je traittois qu'elles ne peuvent estre appliquees ailleurs; mais vous, qui la connoisses, ne laisseres pas de vous y recreer.

  A013003211 

 Ce n'est pas pour elle, car ell'est toute ronde, mais parce qu'elle monstre quelquefois vos lettres aux autres par gloire.

  A013003211 

 Or, ne vous mettes pas en peyne si elle prendra vos parolles par advertissement ou non, car il n'y a rien a craindre; non, elle va fort rondement et naifvement.

  A013003245 

 Que vous faites bien de treuver Dieu bon et doux et de savourer sa paternelle sollicitude en vostre endroit, dequoy, estant maintenant en lieu ou vous ne pouves pas jouir du tems pour vous exercer a la meditation, il se presente en eschange plus frequemment a vostre cœur pour le fortifier de sa sacree presence.

  A013003246 

 Je ne m'esbahis donques pas, ma chere Cousine, si Dieu vous donnant le goust de sa presence, vous va petit [381] a petit degoustant du monde.

  A013003247 

 Helas, il est vray, Madame ma chere Cousine, la pauvre madame de Moyron est trespassee: nous ne l'eussions pas dit le Caresme passé, il est vray.

  A013003247 

 Je ne dis pas: ne la craignons point du tout, mais je dis: ne nous troublons point.

  A013003247 

 Mon Dieu, ma chere Fille, ne serons nous pas bien heureux si nous mourons avec nostre doux Sauveur au milieu de nostre cœur? Or sus, il l'y faut donq bien tenir tous-jours, continuant nos exercices, nos desirs, nos resolutions, nos protestations.

  A013003259 

 Je ne puis, mais je ne veux pas me contenir de vous escrire, ayant un porteur si asseuré.

  A013003276 

 Je ne sçay pas les remedes dont vous deves user, mais je pense bien que si vous pouves vous empescher de l'empressement, vous gaigneres beaucoup; car c'est l'un des plus grans traistres que la devotion et vraye vertu puisse rencontrer.

  A013003277 

 Et pour vous ayder a cela, resouvenes-vous que les graces et biens de l'orayson ne sont pas des eaux de la terre, mais du Ciel, et que partant, tous nos effortz ne les peuvent acquerir, bien que la verité est qu'il faut s'y disposer avec un soin qui soit grand, mais humble et tranquille.

  A013003280 

 En cette sorte, nous ne nous empresserons point pour luy parler, puisque l'autre occasion d'estre aupres de luy ne nous est pas moins utile, ains peut estre beaucoup plus, encor qu'elle soit un petit moins aggreable a nostre goust..

  A013003280 

 Si nous ne pouvons pas parler parce que nous sommes enroués, demeurons neanmoins en la chambre et faysons-luy la reverence; il nous verra la, il aggreera nostre patience et favorisera nostre silence.

  A013003281 

 Voyla mon advis, je ne sçai s'il sera bon, mais je ne m'en metz pas en peyne; car, comme je vous ay dit, vous estes en lieu ou de beaucoup meilleurs ne vous peuvent manquer..

  A013003283 

 Je me confie en vostre charité que je ne suis pas oublié aux vostres..

  A013003320 

 Je m'en treuve tant, que cela seul suffit pour me persuader que c'est de la part de Nostre Seigneur; car il n'est pas possible, ce me semble, que tout le monde ensemble m'en peut tant donner, au moins je n'en ay jamais tant apperceu chez luy.

  A013003321 

 C'est aujourdhuy la feste de tous les Saintz; et faysant l'Office a nos Matines solemnelles, voyant que Nostre Seigneur commence les beatitudes par la pauvreté d'esprit et que saint Augustin l'interprete de la sainte et tres desirable vertu de l'humilité, je me suis resouvenu que vous m'avies demandé que je vous envoyasse quelque [392 a ] chose d'icelle, et il m'est advis que je ne l'aye pas fait en ma derniere lettre, quoy que bien ample et peut estre trop longue.

  A013003322 

 Les vierges ont la leur, les apostres, martirs, docteurs, pasteurs, chacun la sienne comme l'ordre de leur chevalerie, et tous doivent avoir eu l'humilité, car ilz n'auroyent pas estés exaltés silz ne se fussent humiliés.

  A013003323 

 Et pourquoy desireroit elle les yeux de ceux de qui elle ne desire pas le cœur? L'Apostre commande a son cher disciple quil honnore les [392 b ] vefves qui sont vrayement vefves.

  A013003323 

 Et qui sont les vefves vrayement vefves, sinon celles qui le sont de cœur et d'esprit, c'est a dire qui n'ont leur cœur marié avec aucune creature? Nostre Seigneur ne dit pas aujourdhuy: Bienheureux ceux qui sont netz de cors, mais de cœur, et ne loüe pas les pauvres, mais les pauvres d'esprit.

  A013003326 

 Soyés bien ayse que le monde ne tienne conte de vous: s'il vous estime, mocqués vous en joyeusement, et riés de son jugement et de vostre misere qui le reçoit; s'il ne vous estime pas, consoles vous joyeusement dequoy, au moins en cela, le monde suit la vérité..

  A013003327 

 Pour l'exterieur, n'affectés pas l'humilité visible, mais ne la fuyés pas aussi; embrassés la, mais tous-jours joyeusement.

  A013003329 

 Ayés le courage grand et de longue haleyne; ne le perdés pas pour le bruit, et sur tout es tentations de la foy.

  A013003376 

 Ce n'est pas de ce jourdhuy que ce corps a recherché et obtenus de semblables faveurs de voz predecesseurs, non sans grande edification de tout le peuple, de veoir un principal Evesque s'acquiter dignement d'une si digne charge en la principale chaire de la Savoye.

  A013003412 

 Je n'estime pas que j'en aye grand besoin devant un mois, parce que le huictiesme et le neufviesme Livres restent encores a imprimer; et quoy quil en soit, vous le pouvez finir par la ou il vous plaira.

  A013003413 

 Je ne sçay si la nouvelle quil aura eu par monsieur de Charmoisy, des fievres tierces de Son Altesse l'aura retenu, en lieu qu'elle le devoit haster; car je croy bien quil ne va pas en Piemont en intention de croupir longue ment au pied du lict d'un malade..

  A013003415 

 Il ne tiendra pas ni a elle ni a moy qu'elle ne vous face un François, pour bon savoyard que je suis; si moins, il faudra se resoudre, comme vous voulez, de vivre pour le moins jusques en l'an climaterie (sic) pour danser aux noces de la fille.

  A013003431 

 Que si le seigneur Gaillon aurà moyen de vous apporter quelcune de mes petites ou grandes pieces qui, possible, ne vous sont pas parvenues es mains, vous plairrà, Monseigneur, les accepter et prendre en gré, comme provenantes d'iceluy qui vous ayme par dessus tous ces (sic) enfans spirituels, et vous revere et honnore à l'egal de quelconque autre Prelat..

  A013003432 

 Et pour ce que la responce fut en italien, imprimee en Avignon, il y eut un docte homme qui la traduit en françois, mais l'on ne l'imprima pas, car autres affaires et voyages me surprindrent.

  A013003468 

 Son pere la laissa en enfance sous la charge de sa mere qui l'instruisit soigneusement et syncerement en toute sorte de pieté; c'est pourquoy en sa jeunesse elle conçeut le desir d'estre Religieuse, mais ses parens et alliez n'y voulurent point bailler leur consentement; et certes, la nature ne luy avoit pas baillé la force pour supporter les rigueurs de la Religion..

  A013003472 

 Si par fortune elle n'avoit pas la commodité d'ouyr la Messe, elle s'enfermoit dans son cabinet, et là prioit Dieu l'espace de deux heures.

  A013003474 

 Alors elle luy dit: « Mon enfant (car c'est ainsi qu'elle l'appelloit), je ne vous ay jamais esté desobeyssante, je ne le veux pas estre sur la fin de ma vie; mais je vous prie bien fort de faire faire ma biere quand vous en avez le loisir, car si vous attendez à demain vous vous plaindrez du temps.

  A013003477 

 Elle fust visitée par le curé d'Amancy, auquel elle demanda l'Extreme Onction; ce que toutesfois il ne luy accorda pas, ne croyant pas qu'elle fust si fort malade.

  A013003541 

 Monsieur de Bourges n'est pas comme cela; cependant je puis dire que de tous les Prélats qui sont en deça, il est le mieux avec ses confreres..

  A013003541 

 Par les lettres qu'il m'en écrit, il s'en loue fort; mais ils ne sont [410] pas tels que les vôtres, ni si remplis qu'eux des graces de Dieu.

  A013003555 

 Je renvoie les deux autels portatifs que Votre Seigneurie Illustrissime m'avoit confié, afin que celui que vous commettréz en ma place puisse s'en servir, n'étant pas a propos de laisser les choses saintes au gré des profanateurs....


14-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XIV-Vol.4-Lettres.html
  A014000007 

 Pas être utilisés à des fins commerciales de toute nature!.

  A014000028 

 — Il n'est pas toujours possible ni à propos de fuir, mais il est toujours nécessaire de combattre avec opiniâtreté.

  A014000030 

 — Pour se mêler d'exorcismes, il ne faut pas être trop crédule.

  A014000031 

 — Ne pas trop s'attacher aux pratiques de piété de son choix.

  A014000032 

 — Les Savoisiens ne lisent pas de mauvais livres. 38.

  A014000050 

 — Sortir du monde, pour plusieurs, n'est pas toujours sortir d'eux-mêmes et de leur amour-propre.

  A014000052 

 Se résigner humblement, si, malgré tous nos efforts, notre désir n'est pas accompli.

  A014000059 

 — Ne pas tourmenter son âme. 63.

  A014000062 

 Pourquoi il ne faut pas remettre les Vêpres après souper.

  A014000068 

 Pourquoi la fuite des années ne doit pas nous attrister. 69.

  A014000075 

 Dieu, comme un bon père, accommode ses pas aux nôtres.

  A014000076 

 DVI. L'esprit naturel et l'esprit chrétien ou l'esprit de la foi; les rébellions du premier n'empêchent pas celui-ci de subsister et d'avoir finalement la victoire.

  A014000078 

 DVIII. La charité envers le prochain ne doit pas nous faire couvrir le mal.

  A014000079 

 Regrets adressés à un supérieur de n'avoir pas su le rencontrer pour lui baiser les mains. 80.

  A014000083 

 — Ne pas examiner ce qui est fait, mais penser à ce qui est à faire.

  A014000084 

 Quand les mortifications ne manquent pas, n'en pas désirer d'autres.

  A014000084 

 — Dans quel cas il est sage de payer ce qu'on ne doit pas. 83.

  A014000102 

 — Que l'on ne puisse pas communier sans ouïr la Messe, c'est une opinion nullement fondée.

  A014000103 

 La réponse de La Faye au livre de la Croix ne vaut pas la peine d'une réplique.

  A014000121 

 — Les Saints ne sont pas «despiteux.» — Les curiosités qu'il faut éviter. 125.

  A014000133 

 — Une pauvreté qui n'en est pas une.

  A014000135 

 — Pourquoi la connaissance de notre néant ne doit pas nous troubler. 143.

  A014000144 

 Pourquoi l'Evêque de Genève n'alla pas à Salins en 1610.

  A014000151 

 — Pourquoi le Saint n'a pas de particulières nouvelles à communiquer. 154.

  A014000156 

 Ne pas donner créance aux vains présages.

  A014000161 

 — A quelles conditions la faiblesse n'est pas un grand mal.

  A014000161 

 — Ce que Notre-Seigneur ne requiert pas de nous.

  A014000171 

 — Pourquoi le Saint ne se soucie pas des critiques.

  A014000209 

 — En quoi il ne faut pas marchander.

  A014000209 

 — Ne pas s'embarrasser parmi les amourettes.

  A014000210 

 Pourquoi ne pas se tourmenter des fâcheuses pensées qui sont autour, du cœur.

  A014000213 

 — Pas de particularités dans sa Congrégation; il faut que tout y «aille d'un train.».

  A014000224 

 La grâce d evangéliser n'est pas le privilège de tout le monde. 227.

  A014000245 

 Il n'est pas possible que vous soyes si tost maistresse de vostre ame et que vous la tenies en vostre main si absolument de premier abord.

  A014000246 

 Dites a vostre ame: Or sus, nous avons fait un faux pas; allons maintenant tout bellement et prenons garde a nous.

  A014000270 

 Il n'estoit pas besoin que vous prissies la peyne de me faire sçavoir comme j'avois perdu le bien de recevoir de vos lettres ces deux ou trois moys passés, car jamais je ne me fusse voulu donner cette affliction de croire que c'eust esté pour estre esloigné de vostre bonne grace, et toutes les autres causes ne me sont pas ennuyeuses.

  A014000296 

 Parmi le jour et entre les affaires, le plus souvent que vous pourres, examinés si vostre amour est point engagé trop avant, s'il n'est point detraqué et si vous ne vous tenes pas tous-jours par l'une des mains a Nostre Seigneur.

  A014000297 

 Ne vous amuses pas a combattre les menuës tentations qui vous arrivent, par des contestes ou disputes avec elles, mais par des simples retours de vostre cœur a Jesus Christ crucifié, comme si vous allies bayser son costé ou ses pieds par amour..

  A014000310 

 Et pour cela, Monsieur, je vous supplie d'apprendre de Sa Majesté que c'est qu'elle penseroit faire de moy et en quoy elle desireroit m'employer, car sans doute je ne suis pas bon a beaucoup de choses; et j'ay neanmoins cette generosité de ne vouloir pas estre appliqué que pour ce que je suis et en ce que je puis, d'autant plus quand ce seroit par la gratification et grace d'un si grand Roy, lequel ne pense pas a me faire transplanter de ce pais en son royaume, abondant en toutes sortes de personnes de merite, quil ne m'estime fructueux et propre a son contentement..

  A014000329 

 Je n'ay pas creu, sur une proposition si generale comm'est celle que Sa Majesté me fait faire, de me devoir resoudre; car il se pourroit bien faire que venant a joindre et a voir le lieu ou l'occasion en laquelle on me voudroit tirer, que je me treuverois tout a fait insuffisant au service que l'on praetendroit de moy, ou quil ne seroit pas expedient que je me misse au change, dautant que les changements, a mon advis, sont tous-jours dignes de consideration pour ceux qui ne sont pas mal.

  A014000330 

 C'est cela qui me rend tout ceci difficile, car, pour parler en conscience, je ne merite pas l'employte de tant de misteres.

  A014000331 

 Je sçai que, la chose n'estant pas preste, il y a asses de tems pour penser a toutes ces choses; mais encor m'a-il semblé que je vous devois ainsy tout dire naivement, affin que, selon les occurrences, vous m'aydies a prendre les resolutions convenables.

  A014000358 

 Helas, ma chere Fille, ilz vous resveillent souvent l'esprit, a ce que je voy; mais croyés bien que celuy que j'ay de conduire le tout a chef et a la gloire de Dieu m'excite aussi tres souvent (or sus, je veux dire ce mot de vanterie), plus souvent que vous, que je croy; mais ne faut il pas tout faire avec une diligence soigneuse, mais douce, mais tranquille, mais resignee? Eh bien, j'espere que Dieu sera nostre guide..

  A014000359 

 Non, croyés-le bien, ma chere Fille (mais voyes vous, n'en parles a personne, je vous dis tout), ce ne seroit pas sans repugnance s'il me failloit changer de logis, bien que je ne me sente nullement attaché qu'a quelques ames, d'un lien tput purement spirituel, Dieu mercy.

  A014000368 

 Mais cet advis ne sera pas pour cela inutile, puis qu'il me donnera sujet de me ramentevoir en vostre bonne grace, en vous tesmoignant que si mes prieres sont favorisees au Ciel, vous vivrés tous-jours toute consolee des consolations du Saint Esprit..

  A014000386 

 Je croy que le desir que vous aves de vouer vostre chasteté a Dieu n'a pas esté conceu en vostre ame que premierement vous n'ayes longuement consideré son importance: c'est pourquoy j'appreuve que vous le facies, et le jour de Pentecoste mesme.

  A014000387 

 Ne seres-vous pas bien heureuse de commencer en ce monde la vie que [18] vous continueres eternellement en l'autre? Benisses donq Dieu qui vous a donné cette sainte inspiration..

  A014000388 

 N'est ce pas un grand contentement de pouvoir dire a Nostre Seigneur: Mon cœur et ma chair tressaillent de joye en vostre Bonté, pour l'amour de laquelle je quitte tout amour et pour le playsir de laquelle je renonce a tous autres playsirs? Quel bonheur de n'avoir point reservé de delices mondaines pour ce cors, affin de donner plus entierement son cœur a son Dieu!.

  A014000389 

 Humiliés vous fort devant la trouppe celeste des vierges et, par l'humble priere, suppliés-les qu'elles vous reçoivent avec elles, non pas pour pretendre a les esgaler en pureté, mais au moins affin que vous soyes advoùee leur servante indigne, en les imitant au plus pres que vous pourres.

  A014000392 

 Mais bien que cela soit utile, il n'est pas necessaire.

  A014000393 

 Mais parles-en a vostre confesseur; car s'il vous ordonnoit de ne le faire pas, il le faudroit croire, puisque, voyant l'estat present de vostre ame, il pourra mieux juger ce qui est expedient que moy..

  A014000407 

 Je dis douce diligence, parce que les diligences violentes gastent le cœur et les affaires, et ne sont pas diligences, mais empressemens et troubles..

  A014000407 

 Ne vous confiés pas de pouvoir reuscir en vos affaires par vostre industrie, ains seulement par l'assistance de Dieu; et partant, reposés vous en son soin, croyant qu'il fera ce qui sera le mieux pour vous, pourveu que, de vostre costé, [21] vous usies d'une douce diligence.

  A014000408 

 Mon Dieu, Madame, nous serons bien tost en l'eternité, et lhors nous verrons combien toutes les affaires de ce monde sont peu de chose et combien il importoit peu qu'elles se fissent ou ne se fissent pas; maintenant, neanmoins, nous nous empressons comme si c'estoyent des choses grandes.

  A014000409 

 Et si quelqu'un ruyne nos maysonnettes et petitz desseins, ne nous en tourmentons pas beaucoup; car aussi, quand ce viendra le soir auquel il se faudra mettre a couvert, je veux dire la mort, toutes ces maysonnettes ne seront pas a propos: il faudra se retirer en la mayson de nostre Pere.

  A014000409 

 Faysons nos enfances, puisque nous sommes enfans; mais aussi, ne nous morfondons pas a les faire.

  A014000409 

 Je ne veux pas oster le soin que nous devons avoir de ces petites tricheries et bagatelles, car Dieu nous les a commises en ce monde pour exercice; mais je voudrois bien oster l'ardeur et la chaleur de ce soin.

  A014000422 

 Pour Ihonneur que Sa Majesté me fait, je l'admire d'autant plus que je ne vois rien en moy qui n'en soit extremement indigne, et ne doute point que vostre bienveuillance en mon endroit et celle de nostre amy ne soyent le seul vent qui enfle la voyle de ma barque pour la porter en cette haute mer, en laquelle, si Dieu me fait passer, ce ne sera pas sans un grand danger, puisqu'elle n'est pas pour les eaux salees de l'Ocean, mais pour nos petitz lacs d'eau douce..

  A014000435 

 Quant au fermier du prieuré de Sessel, sil a quelque chose a demesler pour son particulier avec vostre Convent, mon Chapitre n'y peut pas remedier.

  A014000457 

 Ma tres chere Fille, quand il nous arrive des defautz, examinons nostre cœur tout a l'heure et demandons-luy s'il a pas tous-jours vive et entiere la resolution de servir a Dieu; et j'espere qu'il nous respondra qu'ouy et que plustost il souffriroit mille mortz que de se separer de cette resolution.

  A014000458 

 Helas! ma chere Fille, il luy faut pardonner; ce n'est pas par infidélité qu'il manque, c'est par infirmité.

  A014000458 

 Helas! ma chere Fille, il nous faut estre charitables a l'endroit de nostre ame, et ne la point gourmander tandis que nous voyons qu'elle n'offense pas de guet a pens.

  A014000458 

 Il le faut donques corriger doucement et tranquillement, et non pas le courroucer et troubler davantage.

  A014000469 

 Mais voyés-vous, ma Seur, il ne faut pas seulement penser si cette resolution sera perdurable; il faut tenir cela pour si certain et resolu, que jamais plus il n'en soit doute..

  A014000470 

 Tenés-les en main et n'en faites pas peu de conte, car elles valent beaucoup selon le poids du sanctuaire..

  A014000471 

 Et puis, ou il n'y a pas danger de peché mortel, il ne faut pas fuir, mais vaincre tous nos ennemis et s'y opiniastrer sans perdre courage, bien que nous soyons quelquefois vaincus..

  A014000471 

 Le desir de vous esloigner des causes n'est pas a propos au train auquel nous sommes, car il fait abandonner [28] le vray soin de combattre.

  A014000499 

 De plus, il m'arrive, comme aussi aux autres prédicateurs, d'avoir à combattre de près à travers le diocèse, non seulement les hérétiques, mais aussi les ministres; or, de telles discussions sont presque impossibles si l'on n'a pas lu les ouvrages prohibés.

  A014000509 

 J'attens que l'on m'assigne le tems auquel je devray aller au conté de Bourgoigne pour consacrer Monsieur l'Evesque de Lausanne, car un gentilhomme qui manie cet affaire m'a asseuré que j'y seray appellé; et cela estant, de la j'iray infalliblement vers vous, et verray le reste des alliés de dela, chacun chez soy, sinon peut estre ceux de Dijon ou je ne pourray peut estre pas aller, de peur de m'engager en un lieu d'ou je ne pourroys pas [33] sortir si tost qu'il seroit requis, sans laisser beaucoup de mes [fonctions] a faire.

  A014000509 

 Mais nous y penserons, et si je ne suis pas appellé a ce sacre, je treuveray quelqu'autr'expedient.

  A014000510 

 Je ne sçaurois pas dire ce que mon cœur disoit, car, comme vous sçaves, les cœurs ont un langage secret que nul n'entend qu'eux.

  A014000512 

 Il a pourtant bien un peu tort de vouloir exhorter, car il n'en a pas le talent, ce me semble.

  A014000512 

 Je luy escris qu'il oste hardiment cet habit et qu'il prenne un habit de prestre seculier, puisque Nostre Seigneur n'a pas voulu qu'il demeurat en lieu ou cet habit fut convenable.

  A014000512 

 Je ne laisseray pas de luy en [35] escrire.

  A014000512 

 Je veux dire que vous ne permetties point que monsieur vostre beaupere en soit importuné, sil n'est pas a propos pour ce service la.

  A014000513 

 Il est fort entendu aux cas de conscience, pour le peu de doctrine qu'il a; mais par ce qu'il n'a pas le discernement si delicat quil seroit requis, ne vous amusés point a ses advis.

  A014000513 

 Je ne me resouvins pas de vous escrire que ce bon Pere a une certaine inclination aux exorcismes, laquelle ne me plait point, car il est trop simple et credule pour cela.

  A014000513 

 Quant aux cantiques, je vous asseure que je n'ay pas tant de loysir que d'en faire il m'en a veu peut estre de ceux de M. de Lacurne, et il a pensé que ce fussent des miens..

  A014000514 

 Il ne faut pas que les femmes ni les filles ministrent a l'autel, mais elles peuvent bien respondre; c'est a dire, elles ne doivent pas ni prendre le livre ni donner les burettes.

  A014000514 

 Je vous avois des-ja bien escrit ceci, je ne sçai comme vous n'aves pas receu les lettres..

  A014000514 

 Je vous ay des-ja escrit que vous pouvies accommoder les corporaux apres que le prestre les auroit lavé en deux eaux, et qu'il n'est pas besoin de les rebenir pour s'en servir apres.

  A014000516 

 Elle chemine fort bien et advance de bien én mieux; je la voy souvent, au pris de vous, mais non pas si souvent que je voudrois, par ce que je n'en ay pas la commodité pour le faire a propos.

  A014000516 

 Quant a M me de Charmoysi, il ne faut pas dire combien elle vous ayme affectionnement.

  A014000530 

 C'est grand cas; je pense tous-jours que si je la voy a souhait avec toute sa trouppe, si nous ne faysons pas tout ce qui seroit desirable, nous en ferons quelque chose; car j'ay quelque confiance en la confiance qu'ell'a en moy, qui aussi la cheris d'un amour fort particulier en Nostre Seigneur..

  A014000530 

 Je n'escris point a M me l'Abbesse, quoy que je le desire, par ce que je n'en ay pas le loysir, et il faut que je luy escrive un peu a mon ayse.

  A014000532 

 Mays voyes vous, ma chere Seur, il ne faut pas penser a ceci simplement en passant; il faut mettre cette cogitation bien avant dans vostre cœur et, par des recollections et attentions particulieres, vous rendre cette verité savoureuse et bien venue dans vostre esprit.

  A014000556 

 Mais la vérité, la voici: dans la visite générale de mon diocèse, que j'ai presque achevée, sans laisser aucune paroisse, je n'ai trouvé absolument aucun hérétique dans les paroisses qui n'ont pas été occupées par les Bernois et les [42] Genevois, ni aucun livre prohibé, si ce n'est quelques vieux ouvrages restés ensevelis, soit pure indifférence, soit mépris, dans la poussière de quelque maison.

  A014000557 

 Après tout, je n'use pas, je le confesse, de toute la diligence qui serait nécessaire; toutefois, je mets de la fidélité et du bon vouloir à celle que, selon ma petitesse, je puis exercer.

  A014000558 

 Je vous en supplie donc, Illustrissime Seigneur, daignez me conserver la consolation joyeuse dont j'ai tant besoin dans cette province si éprouvée; cette joie dépend de la certitude que le Saint-Siège n'est pas affligé de ma conduite et que je ne suis pas exclu de la bienveillance ordinaire accordée à ses inférieurs.....................................[43].

  A014000567 

 non pas plus que moy.

  A014000568 

 J'ay respondu a toutes vos lettres jusques a huy; et si, je n'ay pas beaucoup de loysir maintenant, car voyes vous, en ces grans jours on ne me laisse point en repos, et je fay escrire a nostre Thibaut les advis spirituelz desquelz je vous ay parlé.

  A014000569 

 Or sus,... [mon] frere de Groysi n'est pas....

  A014000569 

 resolution quil viendroit avec moy vers vous, ou soit que Monsieur de Nemours fut icy ou quil n'y fut pas..

  A014000570 

 Je ne la voy pas si souvent que je voudrois, mais si voy-je bien qu'elle s'affermit fort en sa resolution de bien servir Dieu..

  A014000571 

 Or sus, je verray encor nos vefves avec vous, ou a Dijon: comment? O ma Fille, ne sommes nous pas bienheureux de ne praetendre rien moins qu'a Dieu? Mais monsieur le Conte est il tout a fait mort, que je ne sçai ou il est, ni ce quil fait?.

  A014000572 

 Vous ny seres pas oubliee, car vous tenes un rang en mon cœur qui ne le peut permettre.

  A014000622 

 Ayant sceu que les bons Peres Religieux de cette ville vous avoyent esleu pour leur Prieur, je m'en suis extremement res-jouy; et ne pouvant aller moy mesme vous faire la priere quilz vous veulent presenter de vouloir accepter cett'election et charge, je vous envoye cet [50] escrit, qui vous tesmoignera que jamais vous n'aves esté ni desiré ni demandé avec plus d'affection et de sincerité que vous l'estes d'eux et de moy, qui, en particulier, m'essayeray de vous servir si promptement en toutes occurrences, que vous n'aures pas, Dieu aydant, occasion [de vous repentir] d'avoir gratifié mon desir.

  A014000638 

 Je n'ay pas respondu ci devant a vostre derniere lettre par ce que je n'ay point rencontré de porteur asseuré, et maintenant je n'ay pas le loysir requis pour vous bien [51] satisfaire.

  A014000639 

 Mais ne le faites pas, je vous prie.

  A014000639 

 Si vous vous treuves pesante, triste et sombre, ne laisses pas pour cela de demeurer en paix; et bien quil vous semblera que tout ce que vous ferés se face sans goust, sans sentiment et sans force, ne laisses pour tant pas d'embrasser Nostre Seigneur crucifié, de luy donner vostre cœur et consacrer vostre esprit avec vos affections telles quelles et toutes languissantes qu'elles sont.

  A014000649 

 Les occasions de la prattiquer sont quotidiennes, car il ne nous manque pas de contradictions ou que nous soyons; et quand nul ne nous en fait, nous nous en faysons a nous mesmes.

  A014000649 

 Mon Dieu, ma chere Fille, que nous serions saintz et aggreables a Dieu si nous sçavions bien employer les sujetz de nous mortifier que nostre vocation nous fournit, car ilz sont plus grans sans doute qu'entre les Religieux; le mal est que nous ne les rendons pas utiles comme eux..

  A014000650 

 Si vous vous lasses a genoux, assiés-vous; si vous n'aves pas d'attention pour prier demi heure, priés un quart d'heure ou demi quart d'heure seulement..

  A014000651 

 Ne vous retenes pas [53] de plaindre, mais je voudrois que ce fust a luy, avec un esprit filial, comme feroit un tendre enfant a sa mere; car, pourveu que ce soit amoureusement, il n'y a point de danger de se plaindre, ni de demander la guerison, ni de changer de place, ni de se faire soulager.

  A014000652 

 Maintenant, ma chere Fille, vostre Bienaymé vous est un bouquet de myrrhe; ne laissés pas de le bien serrer sur vostre poitrine.

  A014000652 

 Ne vous mettes point en peyne de ne faire pas bien les actes des vertus; car, comme je vous ay dit, ilz ne laissent pas d'estre tres bons, encor qu'ilz soyent faitz langoureusement, pesamment et quasi forcement.

  A014000652 

 Ne vous tourmentes pas a beaucoup faire, mais disposes vous a souffrir ce que vous souffrires, avec amour..

  A014000652 

 Vous ne sçauries donner a Dieu que ce que vous aves, et en cette sayson d'affliction vous n'aves pas d'autres actions.

  A014000726 

 Environ les trois heures, je vous verray, Dieu aydant; car, en passant, je veux bayser les mains de Monsieur vostre bon Evesque, et voir nos Capucins, l'eglise cathedrale et ce quil faut que je voye en vostre Autun, affin que je ne sois pas contraint d'y retourner..

  A014000726 

 Or sus, ma chere Fille, vous l'avois-je pas escrit que ce seroit environ la feste du grand saint Louys? Je vous porte mon esprit plein de desir de servir le vostre et faire tout le bien que nous pourrons faire.

  A014000754 

 Vous feres une sorte d'obeissance et de resignation en cela, qui vous rendra extremement aggreable a Nostre Seigneur; car en fin, voyla une quantité de croix et mortifications que vous n'aves pas choisies ni voulues, Dieu vous les a donnees de sa sainte main: receves les, baysés les, aymés les.

  A014000786 

 Pardonnés moy, je vous prie, si j'ay tant tardé a respondre sur la premiere lettre que vous m'aves jamais escritte: il n'en sera pas ainsy des autres, si j'ay la consolation d'en recevoir.

  A014000787 

 Non pas, mon cher Frere, que je veuille forclorre l'accroissement de vos bons exercices ni la purification continuelle de vostre cœur; mais, fac quod facis, et melius quam facis.

  A014000788 

 Ne vous estonnés point si les fruitz ne paroissent pas encor, quia si patienter opus Domini feceris, labor tuus non erit inanis in Domino..

  A014000803 

 Vos troys desirs pour la vie mortelle ne me desplaysent point, car ilz sont justes, pourveu quilz ne soyent pas plus grans que leurs objectz meritent.

  A014000804 

 Plusieurs sortent du monde qui ne sortent pour cela pas d'eux mesmes, cherchans par cette sortie leurs goustz, leurs repos, leurs contentemens; et ceux ci s'empressent merveilleusement apres cette sortie, car l'amour propre qui les pousse est un amour turbulent, violent et desreglé.

  A014000805 

 Mais faut-il pas que je vous die ceci, puisque j'en ay [68] esté consolé? Je rencontray a Chalons monsieur André Valladier (c'est ce grand praedicateur qui prescha apres moy, estant Jesuite): or, il me fit mille sortes d'honneurs et de caresses et me dit mille choses diverses.

  A014000806 

 Ce bon personnage me dit bien d'autres choses qui ne me furent pas si aggreables, car il parloit avec grande vehemence de sa sortie, et comme vous sçaves, j'ay grand'aversion des espritz troubles.

  A014000807 

 Tout cela, ma chere Fille, me fait desirer que mes seurs, mes filles, ne s'abandonnent guere a nulle sorte de, grande confiance qu'en la seule confession; car, mon Dieu, voyla pas des grans dangers? Ah! je veux croire qu'il ni a pas tant de mal; mais il y en a encor moins d'estre bien discret.

  A014000808 

 Il est bon aussi; mais mon Dieu, ma Fille, il ne merite pas qu'on s'y affectionne.

  A014000808 

 Je m'essayeray de tenir l'affaire liee en sorte que nous le ( sic ) puissions voir achevee, car vous ne le desires pas plus que moy; mais sil ne plait pas a Dieu, il ne me plait pas non plus, ni a vous, car je parle de vous comme de moy..

  A014000808 

 Recommandons le a Dieu, faysons tout bellement ce qui se peut pour le faire reuscir, ainsy que je feray de mon costé; mais au bout de la, si l'œil de Dieu qui penetre l'advenir, voyant que cela ne reviendroit pas peut estre ni a sa gloire ni a nos intentions, sa divine Majesté ordonn'autrement, il ne faut pas, ma Fille, pour cela en perdre le sommeil d'une seule heure.

  A014000809 

 J'ay treuvé ma pauvre bonne mere si tres malade a mon gré que j'en ay esté estonné; non pas qu'elle soit alittee, mais il semble que ce soit une lassitude et acheminement a une deffaillance de nature.

  A014000810 

 Nostre livre de devotion n'est pas encor imprimé: quand il le sera, j'en envoyeray a tous ceux a qui j'en ay promis.

  A014000811 

 J'ay pensé a vostre cher filz, et connoissant son humeur, je pense quil faut avoir grand soin de son esprit affin que maintenant il se forme a la vertu, ou qu'au moins il ne panche pas au vice; et pour cela, il le faut bien recommander au bon M. Robert, et luy faire souvent gouster le bien de la vraye sagesse par des remonstrances et recommandations de ceux qui sont vertueux.

  A014000816 

 M me de Charmoysi vous salue et ne sçait pas que j'escrive..

  A014000829 

 Dieu sçait que je cheris la bonne fille M lle Clement, et voudrois bien la voir assouvie en ses devotz desirs; mais, mon cher Pere, je ne pense pas que son cors puisse porter les.

  A014000848 

 Mais si, apres tous vos effortz, vous ne pouves pas reuscir, vous ne sçauries plaire davantage a Nostre Seigneur que de luy sacrifier vostre volonté, et demeurer en tranquillité, humilité et devotion, entierement remise et sousmise a son divin vouloir et bon playsir, lequel vous reconnoistres asses quand, ayant fait vostre possible, vous ne pourres pas jouir de vos souhaitz.

  A014000885 

 Mais sil est sien et quil me l'ayt donné, ne le luy puis-je pas donner comme tout mien? Qu'a jamais, et le vostre qui est mien et le mien qui est vostre, puissent estre tous siens, puis que, par son immense bonté, le sien est tout nostre.

  A014000885 

 N'advoués vous pas le don que je fay tous les jours a Dieu de vostre cœur? Je le luy donne comme tout mien et je le tiens pour tout mien, par ce quil me l'a donné.

  A014000902 

 Je voudrois bien que vous me conneussies bien; vous ne lairries pas d'avoir une absolue confiance en moy, mais vous ne m'estimeries guere.

  A014000902 

 Ma Fille, je ne suis que vanité, et neanmoins je ne m'estime pas tant que vous m'estimes.

  A014000903 

 Or bien, ne vous fasches point pour cela; car Dieu n'est pas offencé des pechés de l'entendement, bien qu'il s'en faille garder, s'il est possible.

  A014000915 

 C'est une tentation, de vray, de vous amuser en l'orayson a penser ce que vous aves a me descouvrir de vostre ame, car ce n'en est pas le tems.

  A014000934 

 Mais nous demeurasmes court au second, parce qu'encor que plusieurs d'entre vous, animés d'une sainte devotion, donnassent leur parole devant Dieu de contribuer, si est ce que plusieurs aussi n'entrerent pas en cette si digne deliberation selon leur devoir; et pour tous il se treuva la difficulté de l'exaction, qui est neanmoins la piece la plus requise a l'execution, et a faute de laquelle tout a cessé, comme il appert..

  A014000935 

 Et pour cela je vous escris, vous conjurant, par vostre propre bonheur et honneur, que vous consideriés beaucoup avant de refuser un si bon moyen de faire une chose si utile, si necessaire et si desirable pour vostre ville, et sans laquelle, ou je me trompe en l'estime que je fay de vos ames, ou vous ne pouves pas vivre contens ni consolés en vos consciences.

  A014000941 

 Je m'essayeray de vous procurer un meilleur predicateur que celuy qui vous prescha l'annee passee, et cela ne me sera pas difficile, bien qu'il est impossible que jamais vous en ayes un plus affectionné.

  A014000949 

 Ne poussés pas vostre cœur a la pitié ou compassion en la meditation de la Passion du Sauveur, car il suffit, en toutes meditations, d'en tirer de bonnes resolutions pour nostre amendement et fermeté en l'amour de Dieu, encor que ce soit sans larmes, sans souspirs et sans douceur de cœur; car il y a bien de la difference entre la tendreté de cœur que nous desirons parce qu'elle console, et la fermeté de cœur que nous devons desirer parce qu'elle nous rend vrays serviteurs de Dieu..

  A014000951 

 Il ne faut pas tourmenter son ame, quand on la sent desireuse d'estre fidelle a Dieu.

  A014000951 

 Ne vous troubles point du défaut de vostre examen de conscience, car il ne peut pas estre grand, puisque vous aves désir de vous bien purifier.

  A014000951 

 Quand vous n'aures pas vostre confesseur ordinaire, il ne faut pas laisser d'aller a un autre, regardant a Dieu et non pas a l'homme qui confesse ou absout; mesmement, vous confessant souvent comme vous faites..

  A014000987 

 Mais quant a remettre vos Vespres jusques a ce que vous vous retiries le soir apres souper, oh! ma chere Niece, je ne vous le conseille pas.

  A014001017 

 Mais dites-moy donq, Madamoyselle, je vous supplie l'amour de Dieu regne-il pas tous-jours en vostre ame? N'est-ce pas luy qui tient les resnes de toutes vos affections et qui dompte toutes les passions de vostre cœur? Oh je n'en doute nullement; mais, Madamoyselle, il faut que vous permetties a un esprit qui vous ayme cherement, de vous demander ce qu'il sçait, pour le playsir qu'il prend d'ouyr dire et redire vostre bonheur.

  A014001026 

 Mais dites donq la verité, ma tres chere Fille, ne voyci [pas] une extravagance, que mon frere partant pour aller aupres de vous, je n'aye pas loysir de vous escrire qu'a demy? Or sus, voyla quil s'en va avec un cœur tout vostre et desireux de vous obeir en tout; car, comme je luy ay recommandé, il traittera de toutes choses avec vous, en l'entiere confiance et obeissance qu'un humble et doux enfant doit rendre a sa bonne et chere mere, et en tout suivra vos advis.

  A014001028 

 Ma Fille, accoisons nous en la perte de ces ames, car Jesus Christ a qui elles estoyent plus cheres, ne les laisseroit pas aller apres leur sens, si sa plus grande gloire ne le requeroit.

  A014001028 

 Quelles actions de graces devons nous a ce grand Dieu, ma chere Fille! Mais moy, attaqué par tant de moyens, en un aage fresle et flouet, pour me rendre a l'heresie, et que jamais je ne luy aye pas seulement voulu regarder au visage sinon pour luy cracher sur le nez, et que mon foible et jeune esprit, parcourant sur tous les livres empestés, n'aye pas eu la moindre esmotion de ce malheureux mal: o Dieu, quand je pense a ce benefice, je tremble d'horreur de mon ingratitude.

  A014001029 

 Il n'y eut pas grand mal, non, en ces desdains que vous tesmoignastes parlant avec elle.

  A014001030 

 Il n'est pas encores receu a l'Eglise, et m'a donné esperance que ce sera moy qui le recevray.

  A014001030 

 Je croy bien qu'il adjousta que je n'estois pas des plus doctes, mais on ne me le dit pas.

  A014001030 

 Je voulois dire que ces anciens Peres ont un esprit qui respire contre l'heresie, es pointz mesmes esquelz ilz né disputent pas contre elle.

  A014001031 

 Estant a Paris et preschant en la chapelle de la Reyne, du jour du Jugement (ce n'est pas un sermon de dispute), il se treuva une damoyselle, nommee madamoyselle Perdreauville, qui estoit venue par curiosité; elle demeura dans les filetz, et sur ce sermon prit resolution de s'instruire, et dans trois semaines apres, amena toute sa famille a confesse vers moy et fus leur parrein a tous en la Confirmation.

  A014001046 

 Mais que faites vous donq, chere Fille? Voyci la cinquiesme lettre que je vous envoye despuis mon retour: penses vous pas que ce soit a bon escient que je suis vostre pere? Voyes vous, escrives moy un peu souvent, et envoyes a commodité vos lettres a Dijon et a Montelon, car je les recevray tous-jours asses; et si vous ne pouves pas m'escrire (car je m'imagine que cette mauvaise jambe [97] vous tient souvent au lit), faites que cette bonne seur m'escrive pour vous..

  A014001048 

 Dites vous pas tous-jours: VIVE JESUS? Ouy, ma Fille tres chere, qu'a jamais ce grand Jesus vive et regne en nos ames! Amen..

  A014001049 

 Mon frere le chanoyne n'est pas icy; je m'asseure quil vous escriroit; car et luy et toute nostre mayson est dedié a vostre service..

  A014001109 

 Quand il vous arrivera des pensees mauvaises et que vous vous en appercevres, faites un acte positif par une aspiration contraire, et ne perdes pas le tems a vouloir rien rechercher, mais passes outre..

  A014001116 

 Ne recevés pas les pretextes que l'amour propre suggere pour excuser le courroux, car saint Jacques dit tout net: L'ire de l'homme n'opere point la justice de Dieu; combien moins celle de la femme.

  A014001127 

 Voyés s'il y a quelques pieces et facultés de vostre ame ou quelque sens de vostre cors qui ne soit pas a Dieu, et l'ayant descouvert, reprenes le ou qu'il soit, et le luy rendes, car vous estes a luy, toute, toute..

  A014001133 

 Telles petites galanteries sont renardeaux qu'on ne voit presque pas: ilz sont propres a se cacher parce qu'ilz sont petitz; ilz se fourrent insensiblement au travers de la haye de nos resolutions, mais ilz ne laissent pas de faire un grand degast, pour [107] peu d'entree qu'on leur donne.

  A014001135 

 Ce n'est pas moy qui dis ceci, c'est Dieu..

  A014001135 

 Coupés, tranchés ces amitiés, et ne vous amuses pas a les desnouer: il faut les ciseaux et le couteau.

  A014001139 

 Nous ne meritons pas tel rang au service de Dieu; il le faut servir premierement es bas offices, avant que d'estre attiree a son cabinet..

  A014001140 

 Elle cherche Nostre [Seigneur] non pas en se res-jouissant, mais en pleurant.

  A014001140 

 Elle ne croit pas de perdre le tems d'aller visiter sa cousine sainte Elizabeth, par office d'une charitable civilité.

  A014001141 

 Dieu ne recompense pas ses serviteurs selon la dignité de l'office qu'ilz exercent.

  A014001141 

 Je ne dis pas qu'il ne faille aspirer a ces hautes et supremes vertus, mais je dis qu'il faut s'exercer aux petites, sans lesquelles les grandes sont souvent fauses et trompeuses.

  A014001142 

 Je ne forclos pas l'eslevation de l'ame, l'orayson mentale, la conversation interieure avec Dieu, l'eslancement perpetuel du cœur en Nostre Seigneur; mais sçaves vous ce que je veux dire, ma Fille? Je veux dire qu'il vous faut estre comme cette femme forte, de laquelle le Sage dit: Elle a mis la main a choses fortes et ses doigtz ont manié le fuseau.

  A014001142 

 Mais avec tout cela, n'oublies pas vostre quenouille et vostre fuseau: filés le fil des petites vertus, abaisses vous aux exercices de charité.

  A014001143 

 Laisses moy le soin de vos autres desirs, je les vous garderay fort soigneusement; n'en ayes nul souci, car [110] peut estre aussi ne vous les rendray je jamais et ne sera pas expedient; mais asseures vous que je ne les employeray pas mal.

  A014001144 

 Dieu prend playsir a vous voir faire vos petitz pas, et, comme un bon pere qui tient son enfant par la main, il accommodera ses pas aux vostres et se contentera de n'aller pas plus viste que vous.

  A014001145 

 Qu'est il besoin de disputer? Non, pas un seul mot de replique, sinon celle de Nostre Seigneur: Arriere de moy, o Satan, tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu..

  A014001150 

 Que toute la barque de nostre navire aille ou il voudra; il tirera bien quant et soy l'aiguille marine, mais il n'empeschera pas pourtant qu'elle ne face son mouvement et qu'elle n'aye sa tendance a sa belle estoile..

  A014001154 

 Ne vous rendes pas si pointilleuse et tendre aux sentimens des tentations, que pour cela vous soyes troublee et inquietee.

  A014001155 

 Et comme au grand monde, le ciel n'est pas tous-jours serein et descouvert, mais souvent l'air se couvre par des nuages et brouillardz, ainsy au petit monde, qui est l'homme, l'esprit n'est pas tous-jours gay et clair, mais couvert quelquefois d'assoupissement qui trouble sa clairté et empesche sa gayeté..

  A014001156 

 Cloues vostre cœur au pied de la Croix, laissés-le la en asseurance, tandis que par la necessité de vostre condition il faut estre parmi le monde, car ainsy nous n'y aurons pas nostre cœur.

  A014001170 

 Il ne faut pas toutesfois favoriser le mal, le flatter ou le couvrir, ains parler rondement et dire franchement mal du mal, et blasmer les choses blasmables, quand l'utilité de celuy de qui l'on parle le requiert; car en cela, Dieu est glorifié.

  A014001180 

 Mais n'en ayant pas sceu le tems, cett'occasion s'est escoulee inutilement pour moy.

  A014001216 

 Et si, il ne faut nullement entrer en defiance, car bien que nous soyons miserables, si ne le sommes nous pas a beaucoup pres de ce que Dieu est misericordieux a ceux qui ont volonté de l'aymer et qui en luy ont logé leurs esperances.

  A014001217 

 Alles bien simplement en la voye de Nostre Seigneur, et ne tourmentes pas vostre esprit.

  A014001217 

 Mon Dieu, ma chere Fille, n'examines point si ce que vous faites est peu ou prou, si c'est bien ou mal, pourveu que ce ne soit pas peché et que, tout a la bonne foy, vous ayes volonté de le faire pour Dieu.

  A014001219 

 Mon Dieu, je suis [120] ennemi conjuré de ces desirs inutiles, dangereux et mauvais; car encor que ce que nous desirons est bon, le desir est neanmoins mauvais, puis que Dieu ne nous veut pas cette sorte de bien, mais un autre, auquel il veut que nous nous exercions.

  A014001231 

 Mais je desire qu'en vos ferveurs vous ne facies pas des desirs de tentations ni occasions de mortifications; car puisque, [121] par la grace de Dieu, elles ne vous manquent pas, il n'est pas besoin d'occuper vostre cœur a les desirer.

  A014001231 

 Occupés le plustost a le preparer et mettre en la posture requise pour les recevoir, non pas quand vous voudrés, mais quand Dieu voudra les vous permettre..

  A014001232 

 De remedier aux occurrences qui ne vous regardent pas en particulier, mais vostre mayson, il le faut faire, avec cette remise neanmoins, de vouloir avec un cœur esgal attendre l'evenement que Dieu disposera pour le mieux.

  A014001232 

 Mais quant a cette sorte de plainte, que vous estes miserable et infortunee, mon Dieu, ma chere Fille, il s'en faut garder en toute façon; car, outre que telles paroles sont deshonnestes a une servante de Dieu, elles sortent d'un cœur trop abbatu et ne sont pas tant des impatiences que des courroux..

  A014001234 

 C'est bien fait d'aspirer d'une generale aspiration a l'extreme perfection de la vie chrestienne, mais il ne faut pas philosopher en particulier, sinon sur nostre amendement et sur nostre advancement selon les occurrences quotidiennes, de jour en jour, remettant la conduitte de nostre souhait general a la providence de Dieu, et nous jettant pour ce regard entre ses bras, comme un petit enfant qui, pour croistre, mange de jour en jour ce que son pere luy fournit, esperant qu'il luy fournira a proportion de son appetit et de sa necessité..

  A014001237 

 Vostre voysine peut fort loüablement payer derechef ce qu'elle ne doit pas, pour eviter le mal d'un proces ou d'une discorde a son mary, si la somme n'estoit pas fort importante; car, si pour le preserver d'une fievre corporelle, elle peut bien a son insceu employer de l'argent, pourquoy non pour divertir une fievre spirituelle?.

  A014001247 

 C'est un grand fruit que ce pauvre petit livre m'a rendu, et lequel certes je n'attendois pas, mais pour lequel seul, plus que pour aucun autre duquel je me sois apperceu jusques a present, je le veux desormais aymer et cultiver..

  A014001252 

 Voyla, Monseigneur, ce que mon petit zele me suggere, lequel, n'estant pas, a l'adventure, secundum scientiam, le tems, le peu de loysir que j'ay, la connoissance de mon imbecillité moderera; bien que, sans mentir, vostre authorité l'ayt bien fort enflammé par le favorable jugement que vous faites de ce premier livret, duquel encor faut-il que je vous die ce que Monsieur nostre Evesque de Montpellier m'a escrit..

  A014001253 

 Il m'advertit que je me tiens trop pressé et serré en plusieurs endroitz, ne donnant pas asses de cors a mes advis.

  A014001263 

 Je vous souhaitte [128] bon et heureux voyage et que ma petite fille ne soit pas mallement du travail du chemin; mais arrivant de bonne heure le soir et la faisant bien dormir, j'espere qu'elle fera prou..

  A014001263 

 Mon Dieu, que vous seres la bien venue, ma chere Fille, et comme il m'est advis que mon ame embrasse la vostre cherement! Partes donq au premier beau jour que vous verrés, apres que vostre cheval se sera delassé, lequel, sans doute, on ne pourroit pas bien vous renvoyer sinon despuis troys jours en ça, pour les dernieres pluyes qui sont tombees en ce païs.

  A014001265 

 Il est vray que je n'en suis pas [129] peyne, parce que je sçai que de dela il y en a plus qu'icy.

  A014001265 

 Madame du Puys d'Orbe m'avoit escrit qu'elle desiroit de venir avec vous; mais ni la sayson n'est pas propre pour elle, ni je ne voudrois pas l'avoir en tems si incommode comme est le Caresme.

  A014001268 

 Ma mere desire que vous facies vostre petit delassement a Sales, ou elle vous attendra pour vous accompaigner icy; mais ne croyes pas que je vous y laisse sans moy.

  A014001268 

 Non pas, certes, car ou je vous y attendray, ou j'y seray aussi tost que je vous y sçauray..

  A014001272 

 Elle m'escrit que, pour tous les advis que je luy ay donnés pour le bon ordre de son Monastere, elle ne pourroit pas se resoudre a rien faire sans le consentement de son frere, qui a, dit elle, un grand [131] pouvoir sur sa volonté.

  A014001283 

 Et pour cela, ma chere Fille, puisque monsieur vostre mary s'inquiete dequoy vous alles a N., ne vous y opiniastres nullement; car, puisque aussi bien vous n'aves pas beaucoup de grans conseilz a prendre, tous confesseurs vous seront presque bons, mesme celuy de vostre parroisse, c'est a dire monsieur N., et, quand il s'offrira encor des occasions, celuy des bonnes Meres Carmelites.

  A014001283 

 Je ne respons qu'aux deux lettres que ce porteur m'a rendues de vostre part; car la troysiesme, envoyee par la voye de madame de Chantal, ne m'est pas encor arrivee.

  A014001285 

 Je ne traitterois pas comme cela avec toutes sortes de filles, mais avec vous je fay selon mon cœur..

  A014001291 

 Je ne dis pas qu'il faille estre molle ni remise, mais je dis, douce et suave.

  A014001296 

 J'ay receu vos deux lettres, ma chere Fille, et voy bien clairement que tout, le mal que vous aves eu n'a esté qu'un vray embarràssement d'esprit provenu de deux desirs qui n'ont pas esté satisfaitz en vous: l'un estoit le desir de servir a Dieu en l'occasion qui se presentoit; l'autre, le desir de connoistre si vous avies fidellement fait vostre devoir.

  A014001297 

 A quoy j'adjouste, pour un advis general, que quand nous ne sçavons pas discerner si nous avons bien rendu nostre devoir en quelque occurrence et sommes en doute d'avoir offencé Dieu, il faut alhors s'humilier, requerir Dieu qu'il nous excuse et demander plus de lumiere pour une autre fois, et oublier tout a fait ce qui s'est passé et se remettre au train ordinaire; car une curieuse et empressee recherche pour sçavoir si nous avons bien fait, provient indubitablement de l'amour propre qui nous fait desirer de sçavoir si nous sommes braves, la ou l'amour pur de Dieu nous dit: Truand ou couard que j'ay esté, humilie toy, appuye toy en la misericorde de Dieu, demande tous-jours pardon et, sur une nouvelle protestation de fidelité, passe outre a la poursuite de ton avancement..

  A014001298 

 Et en cette sorte, vous pourres retrancher une heure sur vostre sommeil du costé du matin, et non pas le soir, et je m'asseure que vous vous en porteres mieux.

  A014001298 

 J'appreuve que, si ce n'est quelquefois que l'on a besoin de repos, on ne dorme pas du tout son saoul; mais pour faire que cela ne nuyse point, en lieu de dormir, il faut un peu faire plus d'exercice pour dissiper les humeurs que le manquement du sommeil a laissé indigestes.

  A014001298 

 Pour le reste des austerités, ne vous en donnes point d'extraordinaire, car vostre complexion et vocation requiert que vous ne le facies pas; ni je n'appreuve pas une grande retraitte pour le present, car il est mieux, pour l'acquisition des vertus, de les exercer emmi les contradictions; et ne faut [136] point en cela se descourager, ains user de preparation frequente pour s'y bien comporter..

  A014001306 

 Je vous dis donq qu'il faut que vous ayes une speciale attention a vous y tenir douce, et qu'estant levee le matin, sortant de l'orayson, revenant de la Messe ou Communion, et tous-jours quand vous rentres en ces affaires domestiques, il vous faut estre attentive a commencer doucement, et coup sur coup regarder vostre cœur, voir s'il est doux, et s'il ne l'est pas, l'addoucir avant toutes choses; que s'il l'est, il en faut loüer [137] Dieu, et l'employer aux affaires qui se presentent, avec un soin special de ne point le laisser dissiper..

  A014001306 

 Mais, ma Fille, il m'est advis que je ne vous dis pas bien par ma derniere lettre ce que je desirois touchant vos menuës, mais frequentes impatiences es occurrences de vostre mesnage.

  A014001307 

 C'est pourquoy, ma chere Fille, il faut qu'en ces exercices vous consideries la volonté de Dieu, qui y est, et non pas la chose mesme qui se fait.

  A014001316 

 Or sus, venés donq, mon tres cher Frere, et que ce soit par mon ministere que vous soyes orné de ce grand caractere du sacerdoce evangelique, affin qu'en certaine façon [140] tres veritable, mais que le sang et la chair n'entend pas, nous contractions par ce moyen un parentage spirituel que la mort mesme, ni les cendres de nos cors ne pourront desfaire et qui durera eternellement, et pour lequel mon esprit aura une reelle relation de paternité, filiation et fraternité avec le vostre.

  A014001324 

 N'attendes pas de moy maintenant que je vous escrive a souhait, car bien que ce soit par mon frere, si n'ay-je pas beaucoup de loysir et si je ne sçai s'il passera a Dijon; mais je sçai bien pourtant qu'il fera rendre seurement ma lettre..

  A014001325 

 Mais bien, il n'importe pas pour luy..

  A014001325 

 Ouy, ma Fille, sans doute, il ne faut pas laisser passer ces Pasques sans faire communier vostre filz.

  A014001328 

 Eh bien, ma chere Fille, Dieu soit loué: pourveu que nostre ame soit coloree du vermeil de la charité, il ne nous doit pas chaloir que nous ayons les pasles couleurs.

  A014001333 

 Ne dites pas que je vous ay envoyé ce livre, jusques a ce que je puisse en envoyer davantage..

  A014001341 

 Ce n'est pourtant pas que mon entendement ne veuille ceder a vostre jugement, duquel il revere extremement l'authorité et la reconnoist pour souveraine en son endroit; mais c'est qu'il luy est advis que vous n'aves pas bien conceu la bonté et sincerité de ses intentions pour ce regard.

  A014001342 

 Et a cet argument ne satisfait pas la response, que tous les prestres estoyent censés saintz, heureux, peres, et que par consequent il failloit qualifier les Evesques sur iceux: non, Monseigneur, car tous ces tiltres regardoyent leur estat, leur dignité, leur Ordre..

  A014001342 

 Je dis donq, avec vostre congé: premierement, que je vous puis appeller Monseigneur, et que ce tiltre n'est pas trop grand pour vous, ni de moy ni d'aucun autre Evesque.

  A014001343 

 Car, quelle rayson y a-il que j'appelle les princes du siecle Messeigneurs, et non pas ceux quos constituit Dominus principes populi sui? Et ne sert a rien de dire: Non dominantes in cleris; car, comme non debetis dominari, sic nostrum subjici.

  A014001343 

 Puisque nous ne pouvons refuser aux princes mondains ce tiltre d'honneur, ne ferions-nous pas bien de nous esgaler, tant qu'en nous est, a eux pour ce regard, desquelz on peut dire que derident nos juniores [hoc] tempore, quorum non audebant patres cum sacerdotibus minoribus incedere..

  A014001344 

 Je dis, troysiesmement, qu'il est bien seant; car encor que l'Italie et la France sont separees et qu'il ne faut pas porter le langage de l'Italie en France, si est ce que [144] l'Eglise n'est pas separee; et le langage, non pas de la cour, mais de l'Eglise de Romme, est bon par tout en la bouche des ecclesiastiques.

  A014001346 

 J'attendray vos commàndemens pour y obeir, car en somme, je suis prest a deposer toute sorte d'opinions que vous n'appreuveres pas, et suivre en tout et par tout vos volontés; mais je vous demande pardon pour ce coup.

  A014001353 

 Et quand je dis en bien faysant, je ne veux pas dire que s'il vous arrive quelque defaut, vous vous addonnies a la tristesse pour cela.

  A014001358 

 Vous y verres beaucoup de choses que, pour briefveté, je ne diray pas maintenant..

  A014001359 

 Quant a celle qui est absente, il faut escrire et a elle et a son frere, que, pour la plus grande gloire de Dieu, salut de vos ames, edification du prochain et honneur de vostre Monastere, vous aves pris resolution avec toutes vos Seurs Religieuses de vivre plus retirees dans vostre Mayson qu'on n'a pas fait ci devant; et que la chose estant si raysonnable et honneste, vous ne doutes point qu'elle ne s'y veuille ranger: dont vous la conjurés et sommés, par l'obeyssance qu'elle vous a vouee et hors laquelle elle ne peut faire son salut, luy promettant qu'elle ne treuvera, ni en vous ni es autres, sinon une douce et tres amiable conversation, laquelle seule, outre [147] son devoir, peut la semondre a une sainte retraitte; et choses semblables.

  A014001360 

 Lisés tous les jours un quart d'heure dans les livres spirituelz, et ce, devant qu'aller a Vespres ou que les dire, quand vous n'y pourres pas aller..

  A014001360 

 Ne vous tourmentes point encor que vous ne puissies pas avoir vos sentimens si fortz que vous desireries, car c'est la bonne volonté que Dieu requiert.

  A014001360 

 Pour vostre particulier, ne faites point faute de faire l'orayson mentale tous les jours, a la mesme heure qu'elle se fait au choeur, si vous ne pouves pas y aller; et ce pour demie heure.

  A014001373 

 Et si vous ne vous esties pas mis a l'extremité du plus haut point d'honneur envers moy, je me fusse essayé de vous en rendre plus que vous ne m'en donnes; mais il faut que je demeure vaincu, tant parce que vous sçaves tout mieux faire que moy, que d'autant que le lieu d'ou sort l'honneur que vous me faites luy donne un poidz si excessif que je n'ay rien qui le puisse esgaler.

  A014001387 

 Vous aves un grand soin pour la famille qui est sur vos bras, mais il n'amoindriroit pas quand vous entreprendries la charge d'un'autre peut estre aussi grande.

  A014001405 

 Ces quattre lignes vous asseureront que je continue de toute mon affection au desir de vous rendre toute ma vie tres humble service, car, quant au reste des nouvelles, le porteur vous les dira suffisamment, sinon que monsieur Valladier m'a escrit n'a guere une lettre toute pleyne de lhonneur et respect quil vous porte, ne m'obligeant pas peu de m'en parler comm'a un homme tout uny et conjoint a vous..

  A014001424 

 Desirant sçavoir avant le depart de M me de Chantal que c'est que je pouvois esperer du gentilhomme qui croyoit de pouvoir guerir vostre jambe, je luy fis dire par M me de Chantal mesme toute l'origine et le progres de vostre mal, car je ne le sçavois pas.

  A014001425 

 Ce quil fera mieux qu'un autre, par ce qu'encor quil ne soit pas cyrurgien, il y entend neanmoins quelque chose a force d'en avoir ouy parler a son pere.

  A014001426 

 J'ay creu que je ferois bien d'user de cette methode, affin de ne point vous engager au voyage de deça mal a propos; duquel, si le succes n'estoit pas selon mon desir, je serois extremement marri.

  A014001426 

 Que si Dieu nous estoit [154] si misericordieux que vous puissies guerir par l'operation de ce viel homme, alhors non seulement je ne craindrois pas de vous donner la peyne le faire le voyage, mais je vous y provoquerois pour vous gouverner un peu a souhait en vostre esprit..

  A014001427 

 J'attendray donq la response par le mesme porteur, qui, partant ce jourdhuy, ne me donne pas le loysir d'escrire a vos cheres Seurs et filles, vers lesquelles je desire estre excusé sil vous plait.

  A014001443 

 Or sus, Dieu me fera la grace qu'il ne se passera pas beaucoup de tems que je ne vous revoye; et lhors, certes, il faudra voir une conclusion de tous nos bons desseins, affin que si nous ne faysons pas tant de chemin que la chaleur de nostre premiere devotion nous faysoit entreprendre, nous en fassions pour le moins autant que, tout boiteux que nous sommes, nous en pourrons faire.

  A014001450 

 Et bien, ma chere Fille, vous verres que le plus grand mal que vous ayes fait c'est de vous estre troublee de vostre imbecillité; car si vous ne vous fussies point inquietee apres le premier choppement, mais que tout bellement vous eussies repris vostre cœur en vos mains, vous ne fussies pas tumbee au second.

  A014001451 

 Ce mot la: «Je suis bien toute deschiree, moy,» ne fut pas bon au sujet sur lequel il fut dit; car, ma chere Fille, il nous faut bien suivre la compassion au prochain et l'humilité pour nous mesme, ne pensans pas aysement que le prochain ayt jamais trop d'ayse, ni que nous en ayons trop peu.

  A014001487 

 J'admire que monsieur N. se soit persuadé cette opinion, que l'on ne puisse pas communier sans ouyr la Messe, car non seulement elle est sans rayson, mais elle est sans apparence de rayson.

  A014001497 

 J'ay sceu, il y a quelque tems, le desir que celuy qu'elle nomme a de me rencontrer; et certes, je ne l'ay pas moindre en cela, esperant que s'il prestoit une fois l'oreille a la sainte parole, avec le bon jugement qu'il a et moyennant la grace de Dieu, il pourroit voir la lumiere celeste..

  A014001497 

 Mais il n'est pas besoin d'escrire tout cela a M me de Mioudry, que je loue beaucoup du bon zele qu'elle a a la reduction de ces pauvres ames.

  A014001515 

 Il est vray que cette imaginaire insensibilité de ceux qui ne veulent pas souffrir qu'on soit homme, m'a tous-jours semblé une vraye chimere; mais aussi, apres qu'on a rendu le tribut a cette partie inferieure, il faut rendre [163] le devoir a la superieure, en laquelle sied, comme en son throsne, l'esprit de la foy qui doit nous consoler en nos afflictions, ains nous consoler par nos afflictions.

  A014001516 

 Il ne faut pas que je vous die, ma chere Fille, combien affectionnement je vous recommande a Nostre Seigneur, car c'est avec un cœur tout nouveau et qui va tous-jours s'aggrandissant de ce costé-la.

  A014001516 

 Je suys un peu plus a l'orayson qu'a l'ordinaire; car ne vous faut-il pas un peu parler de mon ame qui est tant vostre? Graces a Dieu, j'ay un extreme desir d'estre tout a luy et de bien servir son peuple..

  A014001534 

 Je vay ainsy reservé en ce dessein, parce que je doute que les congés qu'ilz accordent ne soyent pas donnés de bon cœur, et la dessus se disent mille choses..

  A014001535 

 Et si, il ne faut pas que ce soit si tost, par ce que nous avons un peu de soupçon de guerre, qui s'evacuera, et que Monsieur le Duc de Nemours doit passer icy pour quelques jours, pendant lesquelz je ne pourray pas l'abandonner.

  A014001535 

 Si que, si vous prenes resolution, il faudra prendre le tems un peu bien avant, vers le moys d'aoust, sur la fin, ou sur le commencement de septembre; car quant au moys de julliet, je seray hors d'ici, et si, il me faudra aller consacrer un digne Evesque que nous avons a Beley, action laquelle, bien qu'elle soit courte, si est ce qu'elle me tient en suspens par ce que je ne sçai pas le tems precisement..

  A014001536 

 En un mot, prenes garde que vos congés soyent donnés franchement, et cela estant, ce me sera un grand contentement de vous voir un peu parmi nous, quoy que vous n'y seres nullement bien traittees... encor que nous voulussions; mais vous seres receues par certaine sorte de cœur ( sic ) qui ne sont pas vulgaires..

  A014001537 

 Que nous importe-il que nous soyons avec Dieu ou d'une façon ou d'autre? En verité, puisque nous ne cherchons que luy et que nous ne le treuvons pas moins en la mortification qu'en l'orayson, sur tout quand il nous touche de maladie, il nous doit estre aussi bon de l'un que de l'autre; outre que les oraysons jaculatoires, les eslancemens de nostr'esprit sont des vrayes continuelles oraysons, et la souffrance des maux est la plus dign'offrande que nous puissions faire a Celuy qui nous a sauvés en souffrant.

  A014001539 

 Ne vous inquietes point de ne pouvoir pas servir Dieu selon vostre goust, car en bien vous accommodant a vos incommodités vous le servires selon le sien, qui est bien meilleur que le vostre.

  A014001539 

 Pour le legat, sur l'apprehension de vostre mort, vous le pourres bien faire, mais il faut que ce soit avec moderation, en telle sorte que cela ne soit pas a trop grande charge aux vostres, car vous leur donneries sujet de refuser, ou de murmurer et se troubler.

  A014001553 

 Ah! que j'eusse bien voulu que mon cœur se fut ouvert pour recevoir ce pretieux Sauveur, comme fit celuy du gentilhomme duquel je vous fis le conte; mais helas! je n'avois pas le couteau quil failloit pour le fendre, car il ne se fendit que par [169] l'amour.

  A014001554 

 Je n'ay pas reveu vos lettres pour faire celleci, car j'attens au depart de vostre filz, quil espere faire mardi prochain..

  A014001556 

 Et ma petite fille, encor faut-il que je luy envoie un petit bayser d'amourette, puis qu'elle se fie en moy; que sil estoit mal fait, je le luy donnerois pas.

  A014001579 

 Il me semble qu'on doit garder la chemise pour l'honnesteté, pourveu toutefois que le collet ne soit pas immoderement estendu, ains fort sobrement et d'une mesme maniere.

  A014001579 

 Quant a l'habit, je ne pense pas qu'il soit a propos de le changer qu'apres que l'annee sera expiree; bien desirerois-je qu'il fust en tout le plus uniforme que faire se pourra, tant en sa forme qu'en sa matiere, et que le froc fust large, a la façon des Benedictins reformés.

  A014001583 

 A ce commencement, il n'est pas necessaire d'adjouster aucune abstinence a celle des vendredis et des samedis, sinon celle des mercredis, selon la vielle coustume et mitigation observee au Monastere..

  A014001584 

 Je sçay et voy vostre Regle qui dit merveilles; il n'est pas pourtant expedient de passer d'une extremité a l'autre sans milieu..

  A014001585 

 Sur tout prenes garde d'user de lait et de miel, parce que les viandes solides ne pourroyent pas encor estre maschees par les foibles dens des invités..

  A014001596 

 Pressé par le sieur Pergod de vous representer la priere qu'il vous a ci devant faitte, je n'ay sceu refuser, bien que, de vostre grace, monsieur de Vallon m'aye communiqué vos affaires, lesquelles, comme je croy, ne vous permettront pas d'embrasser pour le present celleci..

  A014001609 

 Or, attendre en attendant, c'est de ne s'inquieter point en attendant; car il y en a plusieurs qui en attendant n'attendent pas, mais se troublent et s'empressent..

  A014001611 

 C'est, ce me semble, comme le guy, qui croist et paroist sur un [178] arbre et en un arbre, bien que non pas de l'arbre ni par l'arbre.

  A014001611 

 Mais, ma Fille, comment donques se peut il faire que sur une telle volonté tant d'imperfections paroissent et naissent en moy? Non certes, ce n'est pas de ma volonté ni par ma volonté, quoy qu'en ma volonté et sur ma volonté.

  A014001611 

 Que si j'estois aussi vivement et fortement joint a Dieu comme je suis absolument disjoint et aliené du monde, mon cher Sauveur, que je serois heureux, et vous, ma Fille, que vous series contente! Mais je parle pour l'interieur et pour mon sentiment; car mon exterieur, et, ce qui est le pis, mes deportemens sont pleins d'une grande varieté d'imperfections contraires, et le bien que je veux, je ne le fay pas; mais je sçay pourtant bien qu'en verité et sans feintise je le veux, et d'une volonté inviolable.

  A014001622 

 N'ayant eu nul advis de vous sur le sujet de la conference de laquelle vous m'escrives, despuis la premiere [179] fois que vous pristes la peyne de m'en venir parler, j'en avois laissé le soin, bien que non pas la memoire.

  A014001642 

 Mais, Monsieur, dites donq la verité, je vous supplie: ces obediences et mortifications de n'oser pas estre libre quand on n'est pas serf, ne sont elles pas comparables a celles de ceux qui ne sont pas libres par ce qu'ilz sont serfz? Il faut neanmoins s'y accommoder, et tout doucement, qui est l'importance.

  A014001644 

 C'est pourquoy j'attendray encor un peu, avant que d'en donner la derniere resolution audit sieur de Santeul, et ce pendant luy diray chose pour laquelle il devra conseiller a ce seigneur de ne point s'attendre a moy; car aussi bien, en tout evenement, si j'avois ma liberté pour ce tems-la, il me manqueroit pas de chaire en une ville ou il y en a tant..

  A014001646 

 Je ne crains sinon d'offencer ma conscience en cela, car je n'ay pas si bonn' opinion de la cour que je ne pense que Dieu soit mieux servi hors d'icelle qu'en icelle, et saint Augustin avoit cette solemnelle resolution de ne conseiller jamais a personne la suite des cours.

  A014001646 

 Je vay pensant comme je pourrois faire pour servir d'instrument a la reparation de tout cela, mais je voy la chose malaysee, car les oreilles de Monsieur se remplissent tous les jours de plus en plus de persuasions contraires, que ceux qui n'ayment pas monsieur de Charmoysi ont tout loysir et advantage de faire.

  A014001646 

 Toutefois, la vertu de monsieur de Charmoysi est des-ja ferme pour n'estre pas esbranslee a ce vent-lâ..

  A014001647 

 Mais si vous continues de vouloir faire le voyage a la Sainte Baume, ne doutes pas que vous ne m'ayes pour [184] associé a vostre pelerinage, car ce n'est pas sortir de Savoye d'aller a Marseille, pourveu que ce soit sur le Rosne, auquel nous contribuons tant d'eaux et tant de sable; et nostre cher petit Evesque, mais grand Praelat, sera bien ayse de nous faire l'hospitalité en passant, moyennant un sermon que je feray a son peuple, qui, oyant parler de Geneve, y viendra tout entier, huguenotz et Catholiques pesle mesle.

  A014001649 

 J'escris cette lettre sans loysir et sans esprit, mais non pas sans cœur, car mon cœur est tous-jours ou il vous peut regarder.

  A014001680 

 Si donques ilz acceptent l'offre, il y a de l'apparence d'un grand fruit; s'ilz le refusent, la gloire en demeurera pour l'Eglise, et le refus accroistra le soupçon que plusieurs ont de n'avoir pas la rayson de leur costé.

  A014001681 

 Et si, il faut adjouster a l'inscription, le titre de Conseiller du Conseil des Vingtz et cinq Seigneurs; car il y a un autre Sarrasin qui [189] n'en est pas, bien qu'il soit de grand credit dans cette ville la..

  A014001682 

 Et puisque vous me sommés de vous dire franchement mon advis sur la lettre que vous luy escrives, je vous diray que je n'appreuve pas que vous luy proposies si distinctement le dessein de la façon de proceder que vous voules tenir, car il suffira bien de le faire quand ce viendra au joindre et au faire; et il n'est pas expedient que maintenant vous vous engagies en aucune sorte de controverse, d'autant qu'en traittant plus avant de la conference, vous treuveres peut estre qu'il sera mieux de prendre un autre biais.

  A014001682 

 Et si, je ne laisseray pas encor de dire mon opinion sur lès moyens que vous proposes, puisque je suis obligé a la naïfveté et franchise en l'amitié que nous avons ensemble et que je sçay que vostre esprit correspond au mien en cela..

  A014001685 

 Si je croyois que vous ne conneussies pas mon cœur, je ne traitterois pas si librement; mais je me confie en Nostre Seigneur que vous sçaves que je ne fay rien ni dis rien avec vous que sur les gages de vostre sincere amitié, et qu'en vous proposant mes petites pensees, vous les adjusteres a la rayson avec autant de franchise que je les vous presente..

  A014001715 

 Je n'employeray pas davantage de paroles pour vous exprimer mon affection en ce point, non plus [que] pour vous offrir derechef mon humble service, que je vous supplie accepter et tenir tous-jours pour tout asseuré.

  A014001728 

 Je ne m'en vante pas, non, car il [196] y eut peu de prudence en cette resolution-lâ; mais, comme vous sçaves, ce n'est pas ma vertu que celle la..

  A014001748 

 Il fut des-ja publié l'annee passee, mais si imparfait que je n'osay pas l'exposer a la veuë d'un si grand Prince; maintenant qu'il est un peu moins mal accommodé, j'en prens la hardiesse, porté par la seule consideration de cette douce bonté qui a tous-jours aggreablement receu les foibles tesmoignages de mon invariable fidelité.

  A014001777 

 Nostre seur a bien fait de m'advertir de ces petites tricheries de paroles que cette pauvre Religieuse va semant; car cela me peut servir et ne peut nuyre a personne, puisque je ne suis point despiteux, et pour cela ne laisseray pas de penser a quelque moyen d'ayder cette chetifve ame qui, a mon advis, est pleyne de legereté et inconstance, plus tost que de malice.

  A014001778 

 Il ne faut voyrement pas se haster de soy mesme; mais de recevoir les graces que Dieu nous donne, ce n'est pas se haster, pourveu qu'on se contienne en humilité et dedans les exercices auxquelz nostre vocation nous oblige..

  A014001780 

 J'envoye le livre ci joint a nostre seur, et me reserve [203] a vous en envoyer un a mon retour, n'en ayant pas, pour le present, que ce quil me faut pour porter ou je vay.

  A014001792 

 Je suis certes fort libre a parler, mais je ne pense pas avoir rien dit de tout cela.

  A014001792 

 Vous aves bien fait, tres chere Fille, de m'advertir des mauvayses paroles de cette pauvrette, car cela m'est utile [204] et ne luy sera pas inutile a elle mesme pour l'advenir.

  A014001794 

 Vrayement je ne voudrois nullement que si les promenades tendent a la rencontre de ces galantz hommes, vous vous y treuvassies; mais si cette fois-la ce fut par hazart, il n'en faut pas pour cela se scabrer.

  A014001811 

 Si nous treuvons monsieur de Chantal couché, nous ne laisserons pas de luy aller donner le bonsoir.

  A014001852 

 La nouvelle que mon jeune frere m'a donnee de vostre meilleure santé m'a fort consolé, et neanmoins je ne laisse pas d'appreuver l'advis de mon cosin Chaudens, que le sieur Marcofredo soit consulté sur vostre santé, ou le faysant venir a Sales, ou, si vous le pouvés, allant vous mesme a Geneve pour trois ou quattre jours; mais en ce dernier cas, il faudroit faire le voyage bien tost pour praevenir les grandes froideures..

  A014001853 

 Or, en tout cela, il ny a pas grand mal; mais je desire pourtant bien que, petit a petit, vous vous desfacies et desengagies de ces petites pensees, lesquelles sont entierement inutiles et infructueuses, et outre cela, elles tiennent la place d'autres cogitations meilleures et aggreables a Nostre Seigneur.

  A014001853 

 Si mon frere m'eut aussi bien sceu dire en quel estat estoit vostre esprit, ma consolation eut esté plus grande; mais il ne m'a sceu dire, sinon que par fois vous esties asses joyeuse et par fois triste, et que vous n'avies pas [212] voulu que l'on vous fit des souliers, estimant que vous ne vivrés pas asses pour les user.

  A014001854 

 Il faut, ma chere Mere, ne plus vous amuser a certaines considerations qui ne servent a rien et sont de trop peu de valeur pour occuper l'esprit; et, ayant mis doucement l'ordre qui se peut mettre aux affaires, sil ( sic ) vont bien, en louer Dieu, sil ( sic ) ne vont pas si bien que vous desireriés, puisque vous ne pouves pas mieux faire de vostre costé, remettre le tout entre les bras de Dieu qui, en fin, conduit toutes choses selon quil voit expedient a nostre bien..

  A014001879 

 Sur tout cela, donq, on a fait cet argument: Qu'a-il tant fait a Gex, et qui luy a donné cett'asseurance de passer en cette ville tant ennemie du nom quil porte et de sa qualité, et en laquelle ses praedecesseurs ne sont jamais entrés des la revolte, sans saufconduit, sans se desguiser, sans desadvouer sa qualité? Mais en vray ( sic ) verité, ilz ont peu de connoissance de mon ame, s'ilz me jugent si plein de consideration et d'apprehension que je ne puisse pas faire une petite temerité.

  A014001933 

 Helas! ceux qui me connoissent sçavent que je ne pensay jamais a intelligence et que je fay mille traitz de courage par une vraye simplicité; non pas certes simplicité d'esprit (car je ne veux pas parler doublement avec vous), mais simplicité de confiance.

  A014001933 

 Mais quand je l'appelle bourrasque, dame, ne penses pas que j'en sois agité, nomplus certes que de la moindre chose du monde; car il ny a en cela pour tout, aucun sujet de mon costé que ce beni passage que je fis a Geneve, que les calomniateurs ne peuvent s'imaginer que j'aye fait sans avoir quelqu'intelligence avec les habitans.

  A014001933 

 Or, j'en attens l'evenement, et ne voudrois pas que vous fussies icy qu'apres que cette bourrasque sera passee, qui sera bien tost, Dieu aydant.

  A014001934 

 Cependant, voyci pas une chose notable? A mon arrivee, j'ay treuvé que la moytié de nos esperances pour l'erection d'un monastere ou je croyois de pouvoir attirer nos bonnes Carmelines est abbatue, car l'une des filles que nous esperions y devoir contribuer ne s'est peu resoudre a quiter le monde.

  A014001934 

 Pour moy j'attens, et si je voy de la conformité je ne [228] refuseray pas ce parti; mais Dieu sera avec nous, sil luy plait, pour tout cela.

  A014001935 

 Escrives un mot a la bonne M me la Presidente, car ell'a le cœur gros aussi bien que monsieur de Vaucroissant, et dit qu'elle ne le merite pas..

  A014001935 

 J'escris a nostre M. de Vaucroissant, qui'a tort, certes, sil croit que je ne l'ayme pas parfaittement, car certes, je le cheris tout entierement; mais voyes vous, quelques fois l'ardeur de l'amitié s'evapore en jalousie.

  A014001936 

 La bonne M me de Baume fut bien consolee, quoy qu'accablé de tant de gens qui me demandoyent confession je n'eu pas tout le loysir que je desirois pour l'entretenir, car outre cela, j'avois mon grand affaire sur les bras..

  A014001937 

 Ouy, ma Fille tres chere, je dis tout incomparablement, je vous donneray un beau livre ou j'escriray, mais je veux attendre la troysiesme edition, a laquelle j'apporteray un soin tout particulier; mays ce pendant, je ne laisseray pas de vous en donner de cette seconde par la premiere commodité.

  A014001938 

 Ce n'est pas icy la grande lettre que je vous veux escrire, car vous voyes bien que je Cours a toutes brides.

  A014001940 

 Je suis en luy plus vostre que je ne sçauray jamais dire en ce monde, car les paroles de cet amour ny sont pas..

  A014001963 

 Je connois fort bien l'estat de vostre ame et m'est advis que je la voy tous-jours devant moy avec toutes ces petites esmotions de tristesse, d'estonnement et d'inquietude qui la vont troublant, parce qu'elle n'a pas jetté encor asses avant les fondemens de l'amour de la croix et de l'abjection dedans sa volonté.

  A014001963 

 Vous deves donques tous les jours, non pas en l'orayson, mais a part, en vous proumenant, faire une reveuë de Nostre Seigneur entre les peynes de nostre Redemption, et considerer quel bonheur vous sera d'y participer; voir en quelle occasion ce bien la vous peut arriver, c'est a dire les contradictions que vous pourres avoir en tous vos desirs, mais sur tout es desirs qui vous sembleront plus justes et legitimes, et puis, avec un grand amour de la Croix et Passion de Nostre Seigneur, vous vous deves escrier avec saint André: «O bonne croix,» tant aymee de mon Sauveur, quand me recevres-vous entre vos bras?.

  A014001965 

 [233] Nostre Seigneur ne regarde pas a ces petites choses; la reverence consiste au cœur, il ne faut pas nourrir vostre esprit en ces petites considerations..

  A014001983 

 Certes, ma chere Fille, ce n'est pas que je n'aye un cœur tout tendre pour vous, mais je suis tellement tracassé d'encombriers, que je ne puis pas escrire quand je veux.

  A014001984 

 Et quoy que saint Pierre aymast la montaigne de Thabor et fuist la montaigne de Calvaire, celle ci toutefois ne laisse pas d'estre plus utile que celle la, et le sang qui est respandu en l'une, est plus desirable que la clairté qui est respandue en l'autre.

  A014001985 

 L'inquietude et chagrin qui vous arrive de la connoissance de vostre neantise n'est pas aymable; car encor que la cause en est bonne, l'effect neanmoins ne l'est pas Non, ma Fille, car cette connoissance de nostre neantise ne nous doit pas troubler, ains adoucir, humilier et abbaisser; c'est l'amour propre qui fait que nous nous impatientons de nous voir vilz et abjectz.

  A014002021 

 Mais attendant de jour a autre qu'on fist quelque bon dessein pour cela et n'ayant point de telles nouvelles, je supplie tres humblement Vostre Altesse de me pardonner si, avec un peu de chaleur, je luy represente ma pensee sur ce sujet; car en une grande affection on ne se peut pas bien-retenir..

  A014002037 

 Tandis que les peres exercent leur severité a l'endroit de leurs enfans par necessité, ilz leur doivent preparer de la douceur en leur volonté, affin que la rigueur qui les a chastiés ne les accable pas, degenerant en dureté et fierté.

  A014002059 

 Il ne faut pas que le premier mois de l'annee passe que je ne vous salue, ma tres chere Fille, ma Seur, en vous [243] asseurant tous-jours du parfait amour que mon cœur porte au vostre, auquel je ne cesse point de desirer toutes sortes de benedictions.

  A014002060 

 Je voudrois bien pouvoir vous envoyer les livres que je vous ay promis et a madame de Cornillon ma commere; mais je ne m'en suis pas treuvé un seul.

  A014002086 

 Elle vous dira donq seulement qu'avanthier j'ay sceu que je n'irois pas a Salins ce Caresme, parce que Monsieur l'Archevesque de Besançon a resolu a [246] ceux de cette ville-la, qu'il ne vouloit pas que j'y allasse; et il est leur Prelat.

  A014002086 

 Le pourquoy de cela, je ne le sçay pas bien; mais, a le dire entre nous, il ne sera pas grandement pris en bonne part de tous.

  A014002100 

 Mais, mon cher Frere, soyés genereux; dites luy vous mesme qu'il faut qu'elle oublie [248] son peuple et la mayson de son pere; mais non pas son pere, car elle s'en souviendra tous-jours devant Dieu, qui est nostre Pere commun.

  A014002120 

 Je ne devais pas lui refuser cela et je ne le pouvais pas non plus, étant l'ami très cher qu'il a toujours été pour moi.

  A014002147 

 Il n'est pas croyable comme je suis tracassé deça et dela par les affaires; mais, ma chere Fille, vous vous troubleres si je n'adjouste que neanmoins, graces a mon Dieu, mon pauvre et chetif cœur n'eut jamais plus de repos ni de volonté d'aymer sa divine Majesté, de laquelle je sens une speciale assistance pour ce regard..

  A014002148 

 Quand j'y suis quelquefois, mon Dieu, que mon ame est a recoy, et que cette rosee, rosine et vermeille, luy donne de suavités! Mais je n'en suis pas esloigné d'un pas, que le vent recommence..

  A014002150 

 Et je ne leur suis ( sic ) point dur, car il ne le failloit pas, puisqu'elles sont si bonnes, avec grande devotion. ....................................................................................................

  A014002152 

 Mon Dieu, que je vous souhaitte de benedictions! Mais vous ne sçauries pas croire comme je suis pressé a l'autel de vous recommander plus que jamais a Nostre Seigneur..

  A014002163 

 Consolons nous le plus que nous pourrons en ce tres-pas de nostre bonne mere, car les graces que Dieu a [254] exercees en son endroit pour la disposer a une heureuse fin, sont des marques fort certaines que son ame est doucement receuë entre les bras de sa divine misericorde; si que elle est bienheureuse d'estre desprise et demeslee des travaux de ce monde.

  A014002165 

 Encor faut-il que je vous die ce mot pour vostre contentement: c'est que cette pauvre bonne mere, avant que de partir de Neci, revit tout l'estat de sa conscience, renouvella toutes les bonnes resolutions qu'elle avoit faites de servir Dieu et vint si contente de moy que rien plus; car Dieu ne voulut pas qu'elle fust en estât de melancholie quand il la prendroit a soy..

  A014002196 

 Je ne sçai pas le pourquoy selon les hommes, mais je croy que Dieu en a ainsy disposé pour une douloureuse satisfaction que j'ay eu ces jours passés, de donner l'extreme benediction et de fermer les yeux a ma bonne mere mourante.

  A014002217 

 Que si vous luy permettes de vous dire quelque chose de plus, ce sera que je viens d'apprendre pourquoy Nostre Seigneur n'a pas voulu permettre que j'allasse a Salins; car ça esté, comme je pense, affin que j'assistasse a la mort de ma tres bonne mere, qu'il appella a soy le premier de ce moys, l'ayant, par sa misericorde, premierement disposee a bien et heureusement faire ce passage..

  A014002233 

 Mais, o Dieu, ma tres chere Fille, ne faut il pas en tout et par tout adorer cette supreme Providence, delaquelle les conseilz sont saintz, bons et tres aymables? Et voyla qu'il luy a pleu retirer de ce miserable monde nostre tres bonne et tres chere mere, pour l'avoir, comme j'espere fort asseurement, au pres de soy et en sa main droitte.

  A014002234 

 Sans doute, si ce n'eut esté cela, j'eusse crié hola! sous ce coup; mais il ne m'est pas advis que j'osasse crier ni tesmoigner du mescontentement sous les coups de cette main paternelle, qu'en verité, graces a sa Bonté, j'ay appris d'aymer tendrement des ma jeunesse..

  A014002240 

 Je le desire, mais je dis, sil se peut aysement; dequoy vous m'advertirés par le retour de ce garçon, et encor de ceux que vous amenerés, si vous amenes quelque compaignie extraordinaire, car quant a nostre bon Baron, je croy quil ne viendra pas nous voir sur ce nouveau dueil, parmi lequel nous ne pourrons nous res-jouir que devotement, et totalement en Nostre Seigneur.

  A014002240 

 Je pense quil ne seroit pas a propos quil vinst maintenant: il faut que je die ainsy avec vous.

  A014002243 

 Helas! il la failloit neanmoins bien un peu pleurer, car n'avons nous pas un cœur humain et un naturel sensible? Pourquoy non pleurer un peu sur nos trespassés, puisque l'Esprit de Dieu non seulement le nous permet, mais nous y semont.

  A014002244 

 Ce n'estoit pas sortir d'aller avec vous a Bourbilly; non, ma Fille, ce n'est pas sortir quand on sort pour mieux s'arrester et rentrer.

  A014002244 

 Dieu scait, ma Fille, si j'ayme tendrement cett'ame et si je nuis plein de desir de son bien, et que jamais je ne la veux ni puis abandonner, je dis quoy qu'elle fit; mais je n'ose pas la presser de loin, car cet ( sic ) un esprit qui ne peut estre conduit qu'avec amour et confiance; confiance, dis-je, tous-jours nourrie de nouvelles et continuelles demonstrations d'affection, ce qui ne se peut faire de loin.

  A014002245 

 Ou il y va du proufit spirituel, il ne faut pas craindre les opprobres..

  A014002247 

 Je n'ay nulles nouvelles de Paris, non pas mesme si M. de Berulle est en vie..

  A014002248 

 Apprenes donq bien tout son sentiment en cela et tous ses fondemens, mais tout bellement pourtant et sans empressement, et en sorte qu'elle ne cuyde pas que vous la veuillies examiner.

  A014002248 

 Je ne dis pas que quand on a fait sa praeparation, et qu'en l'orayson on est attiré a cette sorte d'orayson, il ny faille aller; mais prendre pour methode de ne se point præparer, cela m'est un peu dur, comm'encor de sortir tout a fait de devant Dieu sans action de grace, sans offrande, sans priere expresse.

  A014002248 

 Neanmoins (je parle simplement devant Nostre Seigneur, et a vous a qui je ne puis parler que purement et candidement) je ne pense pas tant sçavoir que je ne sois tres ayse, je dis extremement tres ayse, de me demettre de mon sentiment et suivre celuy de ceux qui en doivent par toute rayson plus sçavoir que moy; je ne dis pas seulement de cette bonne Mere, mais je dis d'une beaucoup moindre.

  A014002283 

 Il n'y eut nulle offence en [269] tout ce qui se passa touchant les presages du peril de monsieur vostre filz; bien qu'il ne faille pas attendrir son esprit a donner creance a ces preoccupations, mais aller doucement remettant tout ce qui nous touche entre les mains de la divine Providence.

  A014002298 

 Or, esperant que la chose, ne peut pas aller beaucoup plus au long, je vous exhorte de vous consoler et conserver la sainte patience, en vivant tous-jours en la crainte de Nostre Seigneur, que je prie vous donner les graces de son Saint Esprit, et suis.

  A014002321 

 D'autre part, quoique les provisions du Saint-Siège doivent être respectées de tous, Sa Sainteté n'entend pas, cependant, porter préjudice à l'alternative des Evêques, à moins qu'elle [272] ne le déclare expressément; ceux-là donc qui demandent les bénéfices, ont tort de prétendre enlever, par des provisions Apostoliques le droit des Ordinaires.

  A014002321 

 Et de fait, il ne m'appartient pas de priver le compétiteur de M. Bresa du canonicat dont il est possesseur; aussi, je crois que Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime n'aura pas de peine à m'excuser..

  A014002321 

 Je voudrais pouvoir obliger efficacement le Révérend Bresa, puisque Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime me le commande; or, sa cause n'a pas été jugée par mon Vicaire, mais par le Sénat séculier, lequel, selon l'usage de ces pays, connaît du possessoire.

  A014002362 

 Ce m'a esté un extreme contentement d'apprendre un peu plus amplement que de coustume de vos nouvelles, ma tres chere Seur, ma Fille, bien que je n'aye pas encor tant eu de loysir pour parler avec madame de Chantal que j'aye peu m'enquerir si particulierement, comme je desirois, de toutes vos affaires, desquelles je pense que vous aures communiqué avec elle comme avec une parfaitte amie.

  A014002364 

 Cependant, les bonnes Meres Çarmelines font bien d'observer exactement leurs Constitutions et rejetier les espritz qui ne sont pas propres pour leur maniere de vivre..

  A014002364 

 Il faut acquiescer a cette Providence souveraine, laquelle n'est pas obligee de suivre nos eslections et persuasions, mais son infinie sagesse.

  A014002364 

 Mais quant a vous, ma chere Fille, dequoy vous mettes vous en peyne pour ce regard? Vous aves fait charité de procurer une si sainte retraitte a cette pauvre fille; s'il ne plait pas a Dieu qu'elle y persevere, vous n'en pouves mais.

  A014002367 

 Mais la voulant dedier au mariage, et elle ayant cette inclination, il n'y a pas du mal de l'y conduire tant souvent que ce soit asses, et non pas trop.

  A014002367 

 Si je ne me trompe, cette fille est vive, vigoureuse et de naturel un peu ardent: or, maintenant que son entendement commence a se desployer, il faut y fourrer doucement et suavement les premices et premieres semences de la vraye gloire et vertu, non pas en la tançant de paroles aigres, mais en ne cessant point de l'advertir avec des paroles sages et amiables a tous propos, et les luy faisant redire, et luy procurant des bonnes amitiés de filles bien nees et sages..

  A014002369 

 Mais puisque vous n'aves point de vceu qui vous oblige d'y aller en presence corporelle, je ne vous conseille pas de l'entreprendre; ouy bien d'estre de plus en plus zelee a la devotion de cette sainte Dame, de laquelle l'intercession est si forte et favorable aux ames, que pour moy, je l'estime le plus grand appuy que nous puissions avoir envers Dieu pour nostre advancement en la vraye pieté; et puis parler de cela, pour en sçavoir plusieurs particularités remarquables.

  A014002378 

 Il est vray, nous l'avons en fin cette chere seur, mais ce n'est pas moy pourtant qui vous l'ay ostee; c'est Dieu qui nous l'a donnee, ainsy que, Dieu aydant, la suite le tesmoignera.

  A014002378 

 Je ne doute nullement que cette petite conversation que vous eustes ensemble a Bourbilly ne vous fust bien douce, car c'est une heureuse rencontre que de deux espritz qui ne s'ayment que pour mieux aymer Dieu; mais il ne se pouvoit pas faire que cette sensible presence durast long tems, puisque nostre commun Maistre vous demandoit l'une la, l'autre icy, pour son service.

  A014002378 

 Nous ne laissons pourtant pas d'estre tous-jours jointz et unis, nous entretenans les uns aux autres par la commune pretention et entreprise que nous avons..

  A014002379 

 Je suis bien ayse dequoy vous manques peu aux exercices que je vous ay marqués, car cela monstre que les fautes que vous y faites ne proviennent pas d'infidelité, mais de foiblesse; et la foiblesse n'est pas un grand mal, [281] pourveu qu'un fidele courage la redresse petit a petit, ainsy que je vous conjure de faire, ma chere Fille, pour la vostre, sans vous affliger nullement de ce que vous n'aves ni sentiment ni goust ordinairement en tous vos exercices, car Nostre Seigneur ne requiert pas cela de nous: aussi ne depend-il pas de nous de l'avoir ou de ne l'avoir pas.

  A014002379 

 Que si nous n'avons point de reserve d'estre tout a Dieu, si nous avons le courage de plustost mourir que de l'offenser, et moyennant que telles soyent les resolutions de nos cœurs et que nous les sentions tous-jours plus fortes en nous, il n'y a rien a craindre, ni a prendre de la peyne pour n'en sentir pas lés goustz et les sentimens.

  A014002380 

 Je diray la Messe que vous me demandes, bien que jamais je n'en die point qui ne soit tres expressement vostre; mais je n'ay peu me remettre en memoire le sujet que vous dites que je sçai; aussi n'en est-il pas besoin..

  A014002381 

 Et pour la particuliere qui ne veut pas s'accommoder a la Communauté, il faut user de support et de benignité envers elle, et Dieu la reduira au train des autres..

  A014002381 

 Si madame Thenissey persevere a ne vouloir pas se ranger, vous n'aures point de part a sa coulpe; cependant je me res-jouis dequoy le reste de nos articles s'observent.

  A014002386 

 Helas! ma Fille, si personne ne servoit aux ames que ceux qui n'ont point de difficultés es exercices et qui sont parfaitz, vous n'auriés point de pere en moy; et il ne faut pas laisser de soulager les autres, encor que l'on soit soy mesme en perplexités.

  A014002403 

 Je ne desirerois pas que vous fissies aucun vœu, ains seulement quelques devotions particulieres destinees a cette particuliere intention..

  A014002421 

 Il y a encor quelqu'accommodement a faire dans nostre petit nouveau bastiment; mais ce n'est pourtant pas chose qui puisse retarder le commencement de nostre dessein, lequel je propose devoir estre a ces prochaines festes de Pentecoste, Dieu aydant..

  A014002424 

 Ne vous mettes nullement en peyne de tout ce que le monde dit, car il est ennemi de la gloire de Dieu et du bien des ames; et le Pape ne veut voyrement pas qu'on fonde des nouvelles Religions sans congé, et a rayson, mais il n'empesche pas, ains a aggreable que l'on face ce que nous ferons, Dieu aydant..

  A014002477 

 Il est vray que si vous entreprenés cette œuvre simplement pour Dieu et vostre salut, vous y aures tant de consolations que rien ne vous sçauroit destourner, et la bonne compaignie en laquelle vous seres ne vous servira pas de peu a vous bien establir; mais il ne faut pour cela que vous laissies de bien examiner vostre courage avant que de venir.

  A014002478 

 Si, au contraire (ce que Dieu ne veuille), vous ne vous senties pas asses forte pour entrer en ce chemin, il seroit bien bon de nous en advertir, affin que les autres commençassent selon leur inviolable desir, et vous, Madame, pensassies a prendre quelque autre sorte de vie plus a vostre gré..

  A014002479 

 Pour moy, j'ay tellement cette sainte besoigne en recommandation, que je me sentiray bien heureux de pouvoir m'employer a son advancement, et y serviray constamment, joyeusement et, Dieu aydant, utilement; mais avec tant d'affection, que rien ne m'en sçauroit destourner sinon la seule volonté de Dieu, lequel peut [294] estre, pour mes pechés ne me treuvera pas digne de faire ce service a sa gloire..

  A014002494 

 Praesupposant que cela ne vous incommode pas, je seray bien ayse que vous logies en vostre logis de la ville M lle d'Escrilles; et pour les meubles, ce qui sera [295] requis je le feray prendre ceans, ou mesme je la logerois, si cela vous estoit beaucoup incommode, parce qu'ell' est icy comm' estrangere..

  A014002506 

 O. Dieu, si ce Sauveur a tant fait pour nous, que ne ferons-nous pas pour luy? S'il a exhalé sa vie pour nous, pourquoy ne reduirons-nous pas toute la nostre a son service et plus pur amour? En fin, je m'imagine que Nostre Seigneur plantera cette plante, l'arrousera de ses benedictions et la fera fructifier en sanctification.

  A014002507 

 Certes, l'autre jour, en recommandant ce projet a sa divine Majesté, je me confondois extremement dequoy elle se servoit pour cela de mon cœur et du vostre, je veux dire de nostre cœur; car, bien que la rayson ne le veuille pas, si est-ce que je ne sçai separer ce cœur en deux, ni en me resjouissant, ni en me confondant.

  A014002539 

 De Nantua, on n'a pas autre chose, ni de Bourg non plus, parce que les fondations de ces pays sont du Comte-Vert et non de notre Bienheureux.

  A014002540 

 Et ne conviendrait-il pas qu'étant né dans ce diocèse, il eût ici même sa première maison et son premier oratoire?.

  A014002541 

 Si, ensuite, elle daigne m'informer des intentions de Son Altesse, je ne manquerai pas de faire, de [300] mon côté, tout ce qui sera convenable; mais je vous prie que ce soit au plus tôt, pour ma consolation..

  A014002558 

 Estant icy de retour, j'ay treuvé le bon monsieur de Monthou mort, et mon frere, le sieur de la Thuille, nommé par le Conseil a Monseigneur pour estre prouveu de l'estat de chevallier, nomination a laquelle ni mondit frere ni moy n'avions seulement pas pensé.

  A014002581 

 Je sçai que je m'attireray des contrerollemens sur moy, mais je ne m'en soucie pas; car, qui fit jamais bien sans cela? Ce pendant, plusieurs ames se retireront aupres de Nostre Seigneur, treuveront un peu de refrigere et glorifieront le saint nom du Sauveur, qui, sans cela, demeureroyent avec les autres grenouilles es marais..

  A014002581 

 Mon cher Pere, vous estes capable des humeurs, facultés et moyens de ce païs, et jugeres bien, comme je pense, que ne pouvant pas mieux faire, il est bon de faire cela.

  A014002592 

 Qui eust dit, je vous supplie, Monsieur mon cher amy, qu'un fleuve d'une vie royale, grossi de l'affluence de tant de rivieres d'honneurs, de victoires, de triomphes, et sur les eaux duquel tant de gens estoyent embarqués, eust deu perir et s'esvanouir de la sorte, laissant sur la greve et a sec tant de navigans? N'eust-on pas plustost jugé qu'il devoit aller fondre dans la mort, comme dans une mer et un ocean, par plus de triomphes que le Nil n'a d'emboucheures? Et neanmoins, les enfans des hommes ont esté trompés et deceuz en leurs balances et leurs presages ont esté vains..

  A014002596 

 Je ne finirois pas aysement de parler d'un Prince digne de tant de memoire, mais me voyci pressé de donner ma lettre.

  A014002607 

 Ma Fille, il faut que je vous die que je ne vis jamais si clairement combien vous estes ma fille que je le voy maintenant, mais je dis que je le voy dans le cœur de Nostre Seigneur; c'est pourquoy n'interpretés pas a [312] desfiance ces petitz motz que je vous escrivis l'autre jour: mais nous en parlerons une autre fois..

  A014002608 

 O ma Fille, que j'ay de desirs que nous soyons un jour tout aneantis en nous mesmes pour vivre tout a Dieu, et que nostre vie soit cachee avec Jesus Christ en Dieu! Oh! quand vivrons-nous nous mesmes, mais non pas nous mesmes, et quand sera-ce que Jesus Christ vivra tout en nous? Je m'en vay un peu faire d'orayson sur cela, ou je prieray le cœur royal du Sauveur pour le nostre.

  A014002680 

 Ne faut il pas, ma chere Seur, que ne pouvant vous voir, je vous aille au moins donner la bonne feste en esprit? O Dieu, que voyci un grand Saint qui se presente aux yeux de nostre ame! Quand je le considere dans ces desertz, je ne sçai si c'est un Ange qui fait semblant d'estre homme, ou un homme qui pretend de devenir Ange.

  A014002682 

 Helas! pour gens de bien que soyent les Chrestiens, ilz doivent neanmoins se resouvenir qu'ilz sont environnés du peché; et si le peché ne les touche pas, au moins y a-il tous-jours du poil des cogitations, des tentations et des dangers.

  A014002684 

 Au demeurant, il naist d'une vielle sterile, pour nous apprendre que les secheresses et sterilités ne laissent pas de produire en nous la sainte grace; car Jean veut dire grace..

  A014002696 

 Mon Dieu, que nostre grand amy aura esté touché rudement de ce coup! car son merite ne treuvera peut estre pas des yeux qui le regardent clairement, comme faisoyent les yeux de ce digne Monarque.

  A014002697 

 M. nostre cher President s'en va pour presider a toute la justice de Savoye, plus glorieusement qu'on n'a pas fait il y a quelque tems; car il a cet honneur sans brigue, sans cour et [322] sans argent, n'ayant point eu d'autre intercession que ses merites, quoy que Monseigneur de Nemours ayt contribué sa recommandation a l'inclination de Son Altesse..

  A014002709 

 Cela s'entend, ma chere Fille (car vous ne l'entendres pas, si je ne le vous dis), cela s'entend l'annee qui vient, sil y escheoit; car pour [323] celleci, vrayement, il faut estre Juifve aux Juifz et Grentile aux Gentilz, manger avec les mangeans et rire avec les rians, dit le grand Apostre de ce jourdhuy.

  A014002709 

 Mais que je suis ayse, ma chere Fille, que ces deux filles de nostre cœur ne puissent pas jeusner demain, et qu'en eschange elles ayent des petites mortifications involontaires; car j'ayme singulierement le mal que la seule election du Pere celeste nous donne, au pris de celuy que nous choysissons.

  A014002720 

 Si c'est de ceux a qui Dieu a donné le pouvoir et imposé le devoir de conduire vostre ame et vous commander es choses spirituelles, certes vous aves rayson; car en obeissant a ceux-la, vous ne pouves pas faillir, bien qu'eux se peuvent tromper et vous mal conseiller, s'ilz le font, principalement, regardant ailleurs qu'a vostre seul salut et advancement spirituel.

  A014002720 

 Vous aves opinion que vostre desir de vous retirer du monde ne soit pas selon la volonté de Dieu, puisqu'il [325] ne se treuve pas conforme a celuy de ceux qui, de sa part, ont le pouvoir de vous commander et le devoir de vous conduire.

  A014002721 

 Car en fin, vostre cœur, que diroit-il s'il n'estoit empesché? Vous diroit-il pas: Retirons-nous d'entre les mondains? Il a donq encor cette inspiration; mais parce qu'il est empesché, il ne la peut ou ne l'ose pas dire.

  A014002724 

 En fin, prenés courage a faire une bonne resolution absolue; et bien que ce ne soit pas peché de demeurer ainsy en ces foiblesses, si est-ce que sans doute on perd beaucoup de commodité de bien advancer et recueillir des consolations grandement desirables..

  A014002736 

 Il est vray que l'on regarde encor aux facultés, car une damoyselle qui seroit de bonne volonté et n'auroit pas moyen de tant faire, on se contente de moins..

  A014002738 

 Ceste Congregation reçoit femmes vefves et filles indifferemment, mais non pas les filles qu'elles n'ayt ( sic ) 17 ans.

  A014002738 

 Elles font un'annee de probation et, quand il est expedient, deux et trois; et c'est lhors qu'en la premiere annee, elles n'ont pas encor donné tesmoignage asseuré de leur amendement.

  A014002740 

 Si quelqu'une ne veut pas suivre l'esprit de la Congregation, [330] sa punition est d'estre mise dehors, en luy rendant neanmoins ce qu'ell'a apporté; mais cela seulement apres tout essay de les corriger.

  A014002741 

 Or en fin, c'est une Congregation simple, instituee pour les femmes et filles qui, pour leur infirmité corporelle ou pour n'avoir pas l'inspiration d'entreprendre des grandes rigueurs, ne peuvent entrer es Religions formees et reformees; car la elles auront une ( sic ) refuge doux et gracieux, avec la prattique des vertus essentielles de la devotion..

  A014002760 

 Mays nous, qui sommes encor tous tendres, nous avons des ames qui se divertissent aysement au sentiment des travaux et douleurs du cors; c'est pourquoy, ce n'est pas merveille si durant vos maladies vous aves intermis l'usage de l'orayson interieure.

  A014002785 

 Si je pouvo.is parler a celuy duquel tant de gens parlent, certes, je luy dirois fort franchement tout ce que je croirois estre propre a le retirer a soy, a Dieu, a son Eglise; mais je ne pense pas qu'il fut a propos de traitter cela par lettres.

  A014002805 

 Croyés-moy, la vraye vertu ne se nourrit pas dans le repos exterieur, non plus que les bons poissons dans les eaux croupissantes des marais.

  A014002839 

 Cela, ma [342] chere Fille, me tient encor plus en opinion de differer encor un peu a le faire venir, en luy parlant neanmoins en sorte que s'il vouloit venir, il n'en fut pas du tout forclos; car, pour parler entre nous deux, sil vient sur ma parole, il me sommera de le si bien accommoder que j'en auray bien de la peyne, ce quil ne feroit pas sil venoit d'autre façon; car le bonhomme va selon son esprit, et je ne desire point de luy donner aucun sujet de plainte..

  A014002850 

 Ce bon Frere qui est icy, ne partira que jeudi, car tout aujourdhuy j'ay esté tant tracassé quil n'est pas possible de plus.

  A014002851 

 Ne jeusnes pas, ma tres chere Fille, ni nostre fille de Brechard; car, quant a vous, je me souviendray bien, apres que vous seres bravement guerie, de vous faire jeusner un samedi en eschange..

  A014002853 

 Nostre cher neveu a certain desir de ne retourner pas vers le pere, mais je n'y vois point d'apparence.

  A014002882 

 Combien de gens avons-nous veu, en paix dans les espines des maladies et perte des amis, perdre la paix interieure dans les tracas [346] des proces exterieurs? Et voyci la rayson, ou plustost la cause sans rayson: nous avons peyne de croire que le mal des proces soit employé de Dieu pour nostre exercice, parce que nous voyons que ce sont les hommes qui font les poursuittes; et, n'osans pas nous remuer contre cette Providence toute bonne, toute sage, nous nous remuons contre les personnes qui nous affligent et nous en prenons a eux, non sans grand peril de perdre la charité, la seule perte delaquelle nous devons craindre en cette vie..

  A014002883 

 Or sus, ma tres chere Fille, quand voulons nous tesmoigner nostre fidelité a nostre Sauveur, sinon en ces occasions? Quand voulons nous tenir en bride nostre cœur, nostre jugement et nostre langue, sinon en ces pas si raboteux et proches des precipices? Pour Dieu, ma tres chere Fille, ne laissés pas passer une sayson si favorable a vostre avancement spirituel, sans bien recueillir les fruitz de la patience, de l'humilité, de la douceur et de l'amour de l'abjection.

  A014002884 

 Vous aures Dieu tous-jours quand il vous plaira: et n'est-ce pas asses estre riche? Je le supplie que sa volonté soit vostre repos, et sa Croix vostre gloire, et je suis sans fin,.

  A014002929 

 Cette grace si signalee par laquelle il fut retiré d'entre les bras de l'erreur pour estre remis au giron de la sainte Eglise militante, me fait croire que sa divine Majesté ne l'aura pas retiré du giron de la militante que pour le loger en celuy de la triomphante, puisque mesme, quoy qu'il soit mort au milieu de l'heresie, il est neanmoins trespassé en la foy et union de cette sainte Eglise militante, sa mere et mere de tous les enfans de Dieu..

  A014002942 

 Je desire fort de vous entretenir tout un' apres disner, mais tenes un peu bien prest ce que vous aves a me dire, et vos petites lanterneries, dans lesquelles, si je puis, je mettray aussi des petites clartés, affin que vos lanternes ne soyent pas du tout inutiles..

  A014002943 

 J'avois dit a M. Michel que vous communieries; et ce grand Saint merite bien qu'on face soigneusement sa feste, quand ce ne seroit que pour apprendre a porter nos testes et que nos testes ne nous portent pas, qui est la perfaite resignation..

  A014002944 

 Je vis des hyer la lettre du bon Pere, et pour ce qui me regarde, je vous en entretiendray la centiesme partie d'un quart d'heure, car il ny a pas pour davantage.

  A014002968 

 A ce renouvellement des entrees de la cour, me voyci a vostre porte, requerant quil vous playse avoir le soin et de l'affaire de ce porteur et de celle que j'ay pour la cure des Abergemens contre le Chapitre de Belley, qui a le tort principalement en ce quil me veut priver de la garde des cures et eglises parrochiales vacantes, contre toute rayson, contre toute coustume et contre les [356] articles que nous avions signés et arrestés par composition amiable, mais articles lesquelz ayans esté rompuz de leur part, je ne restabliray pas si aysement; puysque mesme je reconnois tous les jours plus clairement que leurs provisions du doyenné de Seyserieu sont foibles et imbecilles, au pris de celles de monsieur de Vitré, et que d'ailleurs ces messieurs ne songent qu'a s'avancer sur l'authorité de l'Evesque, qu'a pervertir la discipline ecclesiastique et qu'a nous introduire des methodes contraires aux Conciles.

  A014002987 

 Cela est vray, car l'eusse [on pas dit, je l'eusse deviné.

  A014002989 

 Il faut remedier a cela, ma tres chere Fille, et ne permettre pas que cette tentation dure.

  A014002989 

 Il se peut faire qu'ell'ayt le tort, mais du moins aures vous celuy la, de ne la pas ramener a vostre amour par le tesmoignage continuel et incessable de celuy que vous luy deves selon Dieu et le monde..

  A014002989 

 Or sus, ni auroit pas moyen que vous sçeussies treuver le biays par lequel il faut prendre et garder le cœur et l'affection de madame la Prieure nostre seur? car encor que selon le monde c'est aux inferieurs a rechercher la bienveuillance des superieurs, si est ce que selon Dieu et les Apostres c'est aux superieurs a rechercher les inferieurs et les gaigner; car ainsy fait nostre Redempteur, ainsy ont fait les Apostres, ainsy ont fait, font et feront a jamais tous les Praelatz zelés en l'amour de leur Maistre.

  A014003049 

 Or sus, il faut donq bien tous-jours perseverer, ma tres chere Fille, a colloquer vivement toute vostre confiance en Nostre Seigneur parmi ce grand embarras d'affaires qui sont dessus vos bras, qui vous servira de juste sujet pour vous bien fonder en la resignation et tranquillité; car la tranquillité qui n'est pas exercee par la tempeste est une tranquillité faineante et trompeuse..

  A014003076 

 Mays celle du violement du cimetiere me regardant, affin d'y donner le plus digne et [367] prompt remede que je puis, je vous supplie tres humblement, Monseigneur de vouloir, en quelque journee aggreable, prendre la peyne de faire la reconciliation requise; en quoy vous favoriseres infiniment ce pauvre peuple qui, ne pouvant mais du crime, ne laysse pas de souffrir la privation de cette commodité spirituelle, et m'obligeres de rechef a vostr'obeissance, a laquelle pour tant d'autres raysons je suis tout voué et dedié..

  A014003123 

 Ne penses pas, ma Seur tres chere, que je n'aye de la peyne a demeurer tant sans vous escrire, et principalement [372] maintenant qu'au rapport des bons Peres Feuillans vous estes encor un peu tendre en santé.

  A014003123 

 Or bien, encor vous escris-je maintenant apres dix heures du soir, pour accompaigner le livre ci joint qui me semble un peu plus correct que ceux des autres editions, bien que je ne l'aye pas veu que par ci par la; et, outre ce, il y a trois chapitres: Des habitz, Des desirs et Quil faut avoir l'esprit juste.

  A014003124 

 Je n'eu pas le loysir de me resouvenir, quand je fus a Chamberi, de vous dire que je vous avois envoyé une copie des principaux statutz de la Visitation; et si, je ne me souviens pas par qui je les envoyay.

  A014003140 

 Je ne veux pas que vous jeusnies cette annee.

  A014003147 

 Et comme la vanité est un manquement de courage, qui, n'ayant pas la force d'entreprendre l'acquisition de la vraye et solide louange, en veut et se contente d'en avoir de la fause et vuide, aussi l'ambition [376] est un exces de courage qui nous porte a pourchasser des gloires et honneurs sans et contre la regle de la rayson.

  A014003147 

 Je ne suis pas si paoureux que plusieurs autres, et n'estime pas cette profession-la des plus dangereuses pour les ames bien nees et pour les courages masles, car il n'y a que deux principaux escueilz en ce gouffre: la vanité, qui ruine les espritz molz, faineans, feminins et flouetz, et l'ambition, qui perd les cœurs audacieux et presomptueux.

  A014003152 

 Constamment, parce que, si vous ne tesmoignes pas avec perseverance une volonté esgale et inviolable, vous exposeres vos resolutions aux desseins et attaques de plusieurs miserables ames qui attaquent les autres pour les reduire a leur train.

  A014003152 

 Et je dis en fin chrestiennement, pour ce que plusieurs font profession de vouloir estre vertueux a la philosophique, qui neanmoins ne le sont ni ne le peuvent estre en façon quelconque, et ne sont autre chose que certains fantosmes de vertu, couvrant a ceux qui ne les hantent pas leurs mauvaise vie et humeurs par des ceremonieuses contenances et paroles.

  A014003152 

 Judicieusement, affin que vous ne fassies pas des signes extremes, en l'exterieur, de vostre intention, mais telz seulement que, selon vostre condition, ilz ne puissent estre censurés des sages.

  A014003152 

 Or, il importe infiniment de se faire connoistre de bonne heure tel qu'on veut estre tous-jours; et en cela, il ne faut pas marchander..

  A014003154 

 C'est un exercice de faineant; et ceux qui se veulent donner du bruit et de l'accueil jouant avec les grans, disans que c'est le plus court moyen de se faire connoistre, tesmoignent qu'ilz n'ont point de bonne marque de merite, puisqu'ilz ont recours a ces moyens propres a ceux qui, ayans de l'argent, le veulent hazarder; et ne leur est pas grande la louange d'estre connus pour joueurs, mais s'il leur arrive de grandes pertes, chacun les connoist pour folz.

  A014003154 

 Je laisse a part les suites des choleres, des espoirs et forceneries, desquelz pas un joueur n'a aucune exemption..

  A014003155 

 Et Nostre Seigneur ne veut pas dire qu'il faille que tous ceux qui sont es cours s'habillent mollement; mais il dit seulement que, coustumierement, ceux qui s'habillent mollement se treuvent la.

  A014003155 

 Or, je ne parle pas de l'exterieur de l'habit, mais de l'interieur; car pour l'exterieur, vous sçavés trop mieux la bienseance, il ne m'appartient pas d'en parler.

  A014003158 

 C'est, en un mot, ce qu'il faut entreprendre, de n'estre pas moins brave pour estre Chrestien, ni moins Chrestien pour estre brave.

  A014003159 

 Faites souvent cette bonne pensee, que nous cheminons en ce monde entre le Paradis et l'enfer, que le dernier pas sera celuy qui nous mettra au logis eternel et que nous ne sçavons lequel sera le dernier, et que, pour bien faire le dernier, il faut s'essayer de bien faire tous les autres.

  A014003160 

 Et pour finir par ou j'ay commencé: vous alles prendre la haute mer du monde, ne changés pas pour cela de patron, ni de mat, ni de voyle, ni d'ancre, ni de vent.

  A014003177 

 Il est, au demeurant, hors de mon pouvoir de rendre fait le Traitté de l'Amour de Dieu de quelque tems, pour le peu de loysir que mes continuelles occupations me laissent, quoy que je sois soigneux de n'en perdre pas un seul moment.

  A014003218 

 Et quant au premier, bien que je n'aye pas accoustumé d'estre pour personne es appointemens, attendu que ma qualité m'invite tous-jours a la neutralité pour penser la paix, si est-ce que, si elle le veut ainsy, je me dispenseray de lettre pour ce coup, et M. de la Roche, qui est dehors, estant venu, je luy parleray a mesme effect..

  A014003219 

 Neanmoins, je veux bien dire que malaysement pourroit-on luy permettre d'avoir une fille de chambre qui ne fust pas de la mayson, mais ouy bien qu'elle fust specialement servie par mie de celles qui seront en la mayson.

  A014003229 

 Je suis tous-jours un peu en peyne de la santé de madame nostre chere Presidente, bien qu'on m'asseure [388] que son mal n'est pas plus grand quil faut pour seulement luy faire prendre les præservatifz d'un plus grand.

  A014003234 

 Monsieur mon Frere, ce porteur m'a dit comm'il a sceu, ou plus tost comm'il n'a pas sceu, la supplication que mon frere de Thorens vous fait; et ça bien esté asses pour y faire adjouster la mienne, que je sousmetz neanmoins a vostre jugement..

  A014003244 

 Demain, ma tres chere Fille, je ne sçaurois voir cette grande Seur, sinon quil y eut chose qui pressast; car [389] ne ferons-nous pas l'exhortation? et apres cela, il sera nuit.

  A014003256 

 Ce n'est pas pour faire les remercimens que je doy a vostre perseverance au desir du bien des nostres, que je vous escris maintenant; ce n'est que pour vous supplier humblement de favoriser de vostre juste protection cette [390] pauvre vefve, que monsieur de Conflens, a mon advis tant de vos serviteurs et de mes amis, m'a instamment recommandee.

  A014003273 

 Mais je vous prie, ma chere Fille, ne suis-je pas si ambitieux que de penser que nos bons Anges de vous et de moy se treuverent en la chere trouppe des musiciens celestes qui chanterent en cette nuit? O Dieu, s'il leur playsoit d'entonner de rechef aux oreilles de nostre cœur cette mesme celeste chanson, quelle joye, quelle jubilation! Je les en supplie, affin que gloire soit au ciel, et en terre paix aux cœurs de bonne volonté..

  A014003283 

 La chere cousine fait de mesme, et je né manqueray pas a luy faire vos recommandations..

  A014003292 

 Mon desir donq m'asseure que je puis avoir l'eternité: que me reste-il plus que d'esperer que je l'auray? Et cela m'est donné par la connoissance de l'infinie bonté de Celuy qui n'auroit pas creé une ame capable de penser et de tendre a l'eternité, s'il n'eust voulu luy donner les moyens d'y atteindre.

  A014003294 

 Voyla comme mon cœur s'espanche devant le vostre, et fait des saillies qu'il ne feroit pas sans cette confiance que luy donne l'affection qui me rend.

  A014003301 

 Voyla cette petite trouppe de Sainte Catherine qui vous va voir, m. Vous ne connoisses que ma cousine de Ballon, mais les autres ne laissent pas d'estre bonnes filles; je les vous recommande, m. La chere fille de la haut m'a escrit avec beaucoup de salutation pour vous..

  A014003340 

 O je supplie ce Sauveur qu'il rende nostre cœur tout sien par effect, comm'il l'est, il y a long tems, par affection! Ouy certes, ma toute mienne tres chere Fille, nous n'avons point d'affection en nostre cœur que pour sa divine Bonté et ne voudrions pas en souffrir aucune, pour petite qu'elle fut..

  A014003348 

 Ma chere Fille, je vous sçay bon gré de cette remarque; mais voyes vous, tout le monde n'a pas receu de Dieu la grace d'evangeliser comme son Filz, le doux [401] Jesus, avec le miel et le lait sous la langue.

  A014003406 

 Mais, que falloit-il attendre d'un Evesque de Geneve tel que vous, sinon quelqu'œuvre entre autres, qui mist fin à l'infamie de Geneve, dont toute l'Europe a esté infectée d'heresie? Je ne nie pas que les livres si doctement escrits par tant de Docteurs excellans, dont le Cardinal Bellarmin est le souverain, n'ayent grandement servy contre les heresies de ce siecle; mais je veux bien aussi dire et sous-tenir que ceux qui ont escrit sur la morale et de la devotion n'y ont pas apporté moins de remede.

  A014003428 

 Je ne desadvouë pas que je n'aye faict une grande feste de vostre Introduction en plusieurs bonnes compagnies; mais ce n'est pas ma recommandation qui l'a mise en vogue: elle vole de ses propres aisles, elle est douce de son propre succre, elle est embellie et enrichie de ses propres couleurs et joyaux.

  A014003454 

 Elle s'en va donc consacrer à Dieu, mais c'est à la charge qu'elle n'oubliera pas son pere, qui l'a si cherement et tendrement aymée.

  A014003477 

 Il est vrai, mon très-cher Seigneur, à vous parler dans la pure vérité, que j'étais intérieurement sollicitée du désir de vous parler d'un sujet que ces bonnes âmes ne savent pas; et bien que ma bassesse et la révérence que je porte à votre mérite et que je dois à votre dignité combattissent cette pensée, néanmoins c'était elle qui m'excitait à vous prier souvent de nous venir voir, et à me plaindre à votre bonté de ce que vous ne le faisiez pas.

  A014003477 

 Or je croyais que par votre absence je serais défaite de cette secrète excitation, et néanmoins je m'en trouve plus pressée et si fort que je ne puis l'anéantir sans scrupule; c'est pourquoi, mon très-cher Seigneur, me confiant en votre débonnaireté et humilité, et prosternée en esprit à vos pieds, je vous supplie et conjure, avec toute la révérence qui m'est possible, par la pure dilection que vous avez à notre divin Sauveur, et par l'amour que vous portait et que vous portez à notre Bienheureux Père, de vous déporter d'écrire contre les Religieux, et de prendre garde aussi de ne heurter personne, ni en général ni en [417] particulier, pour chétive qu'elle soit, dans vos livres, ni d'y rien dire qui puisse émouvoir des contentions ou réfutations, car tout cela ne fait qu'engendrer beaucoup d'offenses contre notre bon Dieu, les Religieux qui répondent n'ayant pas assez de mortification pour le faire avec l'humilité et le respect qu'ils doivent à votre digne personne et à votre qualité..

  A014003478 

 Vous voyez qu'ils ne reçoivent pas avec profit vos avertissements, et qu'il y a grand risque, si cela n'est bientôt étouffé par votre bonté et charitable support, qu'il ne s'allume un feu qui éteigne celui de la sainte charité en plusieurs âmes, et ne cause de très-grands scandales en l'Eglise de Dieu, ainsi que plusieurs bien sensés appréhendent et prévoient qu'il arrivera infailliblement, si votre débonnaireté et votre zèle à la plus grande gloire de Dieu ne vous fait supporter sans revanche l'insolence d'une réponse que l'on dit avoir été faite à un de vos livres, laquelle, étant si extravagante et éloignée de la vérité et du respect qui vous est dû, ne peut porter coup contre l'estime que l'on a de v.otre véritable vertu..


15-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XV-Vol.5-Lettres.html
  A015000007 

 Pas être utilisés à des fins commerciales de toute nature!.

  A015000019 

 Dans quels cas il ne faut pas s'abstenir de communier.

  A015000025 

 — Le bruit de la future translation du saint Evêque à un autre siège n'est pas fondé.

  A015000027 

 » — La Mère de Chantal est avertie de ne pas se tenir à genoux pendant son oraison.

  A015000049 

 — L'apostolat du Saint; un résultat qu'il n'estime pas médiocre.

  A015000057 

 — Pourquoi la connaissance de la vérité n'est pas toujours suivie de la conversion. 51.

  A015000061 

 — Il n'est pas accordé à l'Evêque de Genève d'aller prêcher un Carême à Paris.

  A015000071 

 Jubilé de Thonon, — Lorsque, par charité, l'on dérange ses exercices de dévotion, Dieu ne cesse pas d'être servi. 63.

  A015000072 

 — Il n'a pas trouvé à son goût certains écrits de Bellarmin.

  A015000073 

 — Les affaires: leur multiplicité ne doit pas troubler, ni leur difficulté émouvoir.

  A015000078 

 Ce qu'il faut faire après « quelques petitz mauvais pas.

  A015000082 

 Un Père vigilant qui a peur d'être blâmé pour ne l'être pas assez.

  A015000084 

 Des bailliages qui n'avaient pas été visités « il y a plus de cent ans.

  A015000104 

 — Le duc de Nemours ne désire pas céder son hôtel 93.

  A015000106 

 — Quand il nous arrive quelque chose contre notre gré, que faire? — Jugements et manquements qui ne sont pas mortels.

  A015000107 

 — L'hôtel du duc de Nemours n'est pas libre.

  A015000113 

 — Sentir qu'on est tout à Dieu et « en train de l'orayson » ne dispense pas de s'exercer aux vertus et de mortifier ses passions. 101.

  A015000123 

 — Les deux autorités ne se contrarient pas, mais « s'entreportent l'une l'autre.

  A015000157 

 Une bonne fille qui ne pourra pas être si tôt consolée.

  A015000168 

 — Une cousine du Saint lui dit « son petit cas »: pourquoi elle ne songeait pas à la Visitation 152.

  A015000184 

 — Il ne fait pas le « refuseur, » mais jamais il ne sera « praetendeur.

  A015000186 

 — Les entreprises extraordinaires qui ne sont pas hasardées.

  A015000193 

 Une auditrice que François de Sales a vue au sermon; pourquoi il n'a pas osé l'aborder.

  A015000198 

 — En quoiconsiste et ne consiste pas l'amour divin.

  A015000221 

 Le destinataire n'ayant pas eu à se louer de son fils, « excessif en desseins, » le Bienheureux promet d'y porter remède.

  A015000235 

 — La lumière n'est pas toujours accompagnée de la facilité pour déduire les raisons de la croyance. 207.

  A015000268 

 Mais de ne vouloir pas seulement comparoistre et me vouloir dire ses raysons teste a teste, sans autre reconnoissance de son devoir qu'en paroles, c'est chose que je ne puis estimer raysonnable..

  A015000269 

 Et si mon impuissance et insuffisance ne m'a pas permis de la cultiver par mes services, ma connoissance pourtant ne m'a jamais permis de demeurer sans une tres forte affection de correspondre a cette faveur par tous les tesmoignages qu'il me seroit possible.

  A015000270 

 Mais, comme pouvoit-on ne faire pas ce qui estoit desiré d'un si bon lieu? Or, Madame, je serois extremement [2] desplaysant si, sur la bienveuillance delaquelle vous me gratifiés, j'avois pensé seulement a tirer de vous chose qui vous deut donner le moindre repentir du monde, et jugerois de vous avoir grandement offencé si je l'avois fait esciemment..

  A015000271 

 Mais ne vouloir seulement pas quil responde et se represente quand il est appellé, et vouloir encor que je sois condamné de rigueur et d'infidelité si je ne treuve bon cela, il me semble que c'est la rigueur mesme et que, tacitement, on prefere ce prestre et son injuste repos a l'authorité en laquelle je suis, et que, sans violer mon devoir, je puis vouloir en fin le ramener a la bergerie et sous la houlette..

  A015000273 

 Madame, j'ay de l'affection et de lhonneur pour monsieur vostre mari, pour vous et pour les vostres autant que vous sçauries souhaiter d'homme qui vive; [3] mais le plus grand desir que je face, c'est que jamais Dieu ne soit abandonné, non pas mesme pour un moment..

  A015000307 

 Il faut, ma chere Seur, l'attribuer aux occasions qui ne s'en sont pas presentees, et non jamais a nulle sorte de mesconnoissance des obligations que je vous ay, qui sont indicibles, puis qu'elles ne sont pas comprehensibles..

  A015000307 

 Je la sens si grande, si forte et si fidelle qu'il ne me semble pas qu'aucun autre me puisse devancer de ce costé; mais je ne sçai comme mon malheur a voulu que je vous en aye rendu si peu de preuves cette annee passee.

  A015000309 

 Il ne faut pas oublier de dire quatre motz, avant de finir, de la chere seur qui a manqué de nous estre ravie ces jours passés par un brave et galant gentilhomme qui la recherchoit en mariage.

  A015000309 

 Or sus, si ne laisseray-je pas de luy escrire..

  A015000310 

 Je n'ay pas tous les jours le bien de vous pouvoir entretenir; quand j'en ay la commodité, il s'en faut prevaloir.

  A015000312 

 Je suis de ceux-la, et vous le croyés, n'est-ce pas? [8] Ma chere Seur, il faut bien le faire, et m'aymer absolument, presque sans reserve..

  A015000323 

 J'ay de la consolation de voir en vostre lettre, ma chere Fille, que non obstant tous vos desgoutz et toute vostre tristesse, vous aves perseveré a faire vos exercices sans vous en estre oubliee que fort peu; car, pourveu qu'on fasse en consideration de l'amour de Dieu ce qu'on fait, bien que ce soit sans sentiment et sans goust, l'ame ne laisse pas de prendre force et vigueur en l'interieur et en la portion superieure et spirituelle..

  A015000350 

 Seulement vous diray-je que la faute commise avec madame la [11] Comtesse et M. du Coudrey m'a donné mille consolations en sa reparation, car vous la fistes extremement bien a mon gré; et ne failloit pas pour cela quitter la tressainte Communion, laquelle, au contraire, il faut employer pour remede a telz petitz defautz, qui ne viennent pas tant de mauvayse volonté, comme de surprise et foiblesse..

  A015000382 

 Vive Dieu! ma Fille: ou rien, ou Dieu; car tout ce qui n'est pas Dieu, ou n'est rien, ou est pis que rien.

  A015000392 

 J'iray ce soir voir M me de Chantal (qui guerit fort lentement, sur tout des jambes et des bras, et qui vous bayse tres affectionnement les mains) pour conferer avec elle sur la reception de la fille dont vous m'escrives, delaquelle les bonnes qualités ne sont pas de peu de consideration.

  A015000393 

 Mais il n'en faut pas faire grand bruit..

  A015000453 

 Que [si] sa divine Majesté ne vouloit pas cet holocauste en effect final, mais seulement en affection et application commencee, comme il fit d'Isaac, c'est a dire, si cette chere Fille estant entree en l'Ordre, ne se treuvoit pas forte pour y perseverer, mon Dieu! quel mal y auroit-il en cela? Nul, sans doute; et en ce cas, il faudroit renoncer a nos goustz et plus secrettes affections pour acquiescer a la sainte volonté de Dieu..

  A015000454 

 Puis que donq maintenant elle est preste, au jugement de son Pere spirituel et des bonnes Meres Carmelines, et que monsieur son pere contribue son consentement, il semble qu'en toute asseurance vous en pouves faire l'offrande, et que Nostre Seigneur l'aura fort aggreable, sauf neanmoins a son bon playsir de disposer de sa perseverance en cet estat particulier, ou de sa sortie, selon que sa providence treuvera meilleur; a quoy nous nous conformerons tous-jours et sans replique, car il n'est pas raysonnable de prescrire a cette infinie Sapience la façon de laquelle il nous veut rendre siens.

  A015000455 

 O Dieu! que ce leur seroit chose utile a tous deux de renoncer a ces inutiles et inconsiderees complaysances, et que ce seroit une [24] grande charité de les en retirer! Mais, quant a la personne que je connois, quoy que jadis elle fust aucunement interessee en ce mal, qui pour n'estre pas vicieux ne laisse pas d'estre perilleux, je ne treuve aucun inconvenient que quelquefois, selon les occurrences, elle se confesse en toute liberté a ce personnage-la, dans le cœur duquel, s'il y avoit quelque impureté, elle ne se glisseroit pas par la confession, mais ouy bien par les autres conferences et conversations, ou privautés et hantises.

  A015000455 

 Qu'elle s'y confesse donq librement es occasions; mais qu'elle ne luy parle pas hors de la, que courtement et promptement..

  A015000456 

 Ne laissés pas de faire la Communion le jeudi et les festes sur semaine, et le mardi du Caresme; mais cela n'en doutés plus, ains employés vostre cœur a estre bien fidele en l'exercice de la pauvreté emmi les richesses, de la douceur et tranquillité emmi le tracas, et de la resignation du cœur et de tout ce qui vous doit arriver en la providence de Dieu.

  A015000457 

 Pour le quatriesme, il est mieux en toute façon que vous oyies la sainte Messe tous les jours et y faire l'exercice de la Messe, que de ne l'ouïr pas, sous pretexte de continuer l'orayson chez vous.

  A015000470 

 Demeurés donq une demi heure au matin et un quart d'heure au soir, et ne vous opiniastrés pas a vous tenir a genoux, car il suffira bien d'estre assise..

  A015000482 

 Il met la patience la premiere, comme plus necessaire, et sans laquelle la doctrine ne sert pas.

  A015000482 

 Mays, Monseigneur, il faut beaucoup souffrir des enfans tandis qu'ilz sont en bas aage, et bien que quelquefois ilz mordent le tetin qui les nourrit, il ne faut pas pourtant le leur oster.

  A015000529 

 Ce n'est pas que, sur ce sujet, je ne pense a ce que vous m'escrives du vostre.

  A015000557 

 A cette intention, je luy parlay bien amplement de mes affaires et des occurrences qui me regardoyent, et ne sçavois bonnement comme faire pour luy celer l'extreme mespris que Dieu m'a donné de toutes ces adventures qu'on appelle de fortune et d'establissement; car il ne veut pas que cela soit mesprisé d'un si grand mespris comme est celuy que, graces a Nostre Seigneur, j'en ressens en mon ame.

  A015000571 

 Je vous escris sans loysir, mays non pas sans un tres grand desir continuel de vostre grandeur spirituelle, estant, comme je suis, tres entierement et parfaitement vostre..

  A015000598 

 Je le croy facilement, mon tres cher Frere: puisque j'ay mis des holocaustes sur l'autel de Dieu, falloit-il pas qu'elles jettassent une odeur de suavité? Voyci donq, non point ce que j'ay fait, mais ce que Dieu a fait l'esté passé..

  A015000614 

 pas de vous faire bien ayder, tant quil se pourra, affin que ce mal vous soit utile; car voyes vous, ma chere Fille, il faut bien estre soigneuse de faire ce qui est requis pour nous tenir un peu forte et vaillante, puisque, comme vous le desires, il nous faut faire des effortz pour devenir saints et rendre des grans services a Dieu et au prochain.

  A015000645 

 Outre que je ne sçaurois pouvoir me ramentevoir en vostre bienveuillance et ne le faire pas, je suis bien ayse de vous donner advis comme, sur ce que M. de Charmoysi, mon cousin, m'avoit dit touchant vostre desir de me voir le Caresme prochain a Paris, j'ay escrit a son Altesse; en sorte que j'espere en peu de jours avoir une response absolue, laquelle, si elle est selon nostre gré, je pourray justement croire que Dieu l'aura voulu d'une volonté speciale, puisque la concurrence des affaires du monde me sera peu favorable, comme je pense.

  A015000646 

 Mais j'adjouste pourtant, qu'encor que ce jeune homme soit de fort bonne mayson (mais mayson descheuë) et qu'il ait l'esprit fort gentil et bien estudié, si est-ce que c'est plus son jugement qui le porte a ce desir que non pas mon advis, qui est que son courage n'est pas pour entrer en ladite sujettion que telle condition requiert.

  A015000649 

 Nous sommes icy sans nouvelles, mais non pas sans menaces [de ceux de Genève] de faire beaucoup de maux a nos eglises; mais la protection de laquelle ilz font profession de tirer leur force, ne leur sera, comme j'espere, jamais donnee pour ces miserables effectz.

  A015000679 

 Et si nous devions ouvrir la nostre, pour, en ostant le nostre, y loger le sien, ne le ferons-nous pas?.

  A015000679 

 O Dieu, ma chere Seur, ma Fille bienaymee, a propos de nostre cœur, que ne nous arrive-il comme a cette benite Sainte de laquelle nous commençons la feste ce soir, sainte Catherine de Sienne, que le Sauveur nous ostast nostre cœur et mist le sien en lieu du nostre! Mais n'aura-il pas plus tost fait de rendre le nostre tout sien, absolument sien, purement et irrevocablement sien? Oh qu'il le face, ce doux Jesus! je l'en conjure par le sien propre et par l'amour qu'il y enferme, qui est l'amour des amours.

  A015000689 

 Le rencontre du bruit de guerre, qui n'est pas encor esteint, du refus des passages et de ces fausses nouvelles qui ont couru ces jours passés, me semble estre mal a propos pour cett'occasion d'aller hors l'Estat et parmi monsieur le Grand et monsieur de Lux; mais je ne vois point de suffisant pretexte pour m'excuser de ce service de Dieu et des ames.

  A015000725 

 Quel bonheur, ma tres chere Seur, si quelque jour, au sortir de la sainte Communion, je treuvois mon chetif et miserable cœur hors de ma poitrine, et qu'en sa place fut establi ce pretieux cœur de mon Dieu! Mais, ma chere Fille, puisque nous ne devons pas desirer des choses si extraordinaires, au moins souhaitte-je que nos pauvres cœurs ne vivent plus desormais que sous l'obeissance et les commandemens du cœur de ce Seigneur.

  A015000742 

 Et ne pensés pas que Nostre Seigneur soit plus esloigné de vous tandis que vous estes emmi le tracas auquel vostre vocation vous porte, qu'il ne seroit si vous estiés dans les delices de la vie tranquille.

  A015000742 

 Non, ma tres chere Fille, ce n'est pas la tranquillité qui l'approche de nos cœurs, c'est la fidelité de nostr'amour; ce n'est pas le sentiment que nous avons de sa douceur, mais le consentement que nous donnons a sa sainte volonté, laquelle il est plus desirable qu'elle soit executee en nous, que si nous executions nostre volonté en luy.

  A015000769 

 J'escris simplement qu'ouy, et n'ay pas eu le courage, ou pour mieux dire la temerité, d'entreprendre de contrepointer les belles pointes de la lettre que j'ay receue en leur nom.

  A015000788 

 Ces jours suivans, il y a apparence d'en faire de mesme en deux autres, et outre cela, nous prescherons icy et parlerons a quelques ames desvoyees; et bien que peut estre ne les reduirons-nous pas, parce que, pour l'ordinaire, les considerations humaines empeschent celles de leur salut, si est-ce que nous ne pensons pas peu faire quand nous leur faysons confesser que nous avons rayson, comme plusieurs ont fait jusques a present.

  A015000833 

 Je manque a ma parole, ma tres chere Fille, mais je ne manque pas au desir d'estre ce soir a Neci.

  A015000845 

 Ah! que je voudrois bien vous faire quelque don, ma chere Fille; mays, outre que je suis si pauvre, il n'est pas convenable qu'au jour auquel le Saint Esprit fait ses presens, nous nous amusions a vouloir faire les nostres; il ne faut entendre qu'a recevoir au jour de cette grande largesse.

  A015000855 

 Toutefois, il n'est [pas] asses bon messager pour vous porter la pensee que Dieu m'a donné cette nuit: que nostre maison de la Visitation est, par sa grace, asses noble et asses considerable pour avoir ses armes, son blason, sa devise et son cri d'armes.

  A015000887 

 Je ne sçai donq comment la calomnie ose me representer avec des affections estrangeres, puisque mesme je vis, Dieu merci, de telle sorte que, comme je ne merite voyrement pas d'estre en la bonne grace de Vostre Altesse, n'ayant qui puisse dignement correspondre a cet honneur la, aussi merite-je de n'estre jamais en sa disgrace, ne faysant ni n'affectionnant rien qui me puisse porter a ce malheur, que je ne crains aussi nullement, moyennant l'ayde de Nostre Seigneur, qui, en faveur de la veritable fidelité que je conserve a Vostre Altesse, ne permettra jamais que les brouillons et calomniateurs m'ostent la gloire que j'ay d'estr'advoüé, Monseigneur,.

  A015000887 

 Ni moy, Monseigneur, ni pas un de mes proches n'avons, ni en effect, ni en prætention, aucune chose hors l'obeissance de Vostre Altesse.

  A015000900 

 La petitesse de la piece, le travail passé de ceux de ce Chapitre, vostre credit, nous rendent un'esperance certaine que cela ne sera pas fort malaysé; car, bien que nostre Chapitre reside maintenant, par emprunt, de deça, si est ce que naturellement il est de Geneve.

  A015000900 

 Mays d'autant qu'a l'adventure, les cours laïques, en cas quil y eut quelque controverse ci apres, requerront que les proviseurs ayent le placet ou brevet du Roy, et que la valeur du benefice n'est pas si grande qu'on puisse envoyer expres pour en faire la supplication a Sa Majesté (a laquelle mesme, en tous evenemens, nous n'aurions aussi pas moyen d'avoir bon acces que par vostre entremise), partant nous vous supplions tres humblement tous, que si ce n'est point vostre incommodité, il vous playse [70] impetrer ledit placet.

  A015000901 

 Mais comme ce n'est pas tous-jours l'erreur de l'entendement, ains le defaut de la volonté et l'impureté des affections qui tient les hommes hors de l'Eglise, aussi n'y rentrent-ilz pas tous-jours quand ilz connoissent la verité d'icelle..

  A015000902 

 A mon retour, je treuvay que mon voyage n'avoit pas esté seulement fertile en consolation, selon sa petitesse, mais [71] aussi, de ce costé de deça et de dela les mons, de soupçons et calomnies, que la verité neanmoins effacera, comme je pense, par la suite de quelques jours..

  A015000916 

 Le miel sauvage luy servoit de saulce, parce que la suavité de l'amour de Dieu assaisonnoit toutes ses austerités; mais cet amour estoit sauvage, parce qu'il ne l'avoit pas appris des maistres, ains des arbres et des pierres, comme dit saint Bernard..

  A015000928 

 Je le treuve plus que vierge, parce qu'il est vierge mesme des yeux, qu'il a plantés sur les objetz insensibles du desert et ne sçait point par les sens qu'il y ait deux sexes; plus que confesseur, car il a confessé le Sauveur avant que le Sauveur se soit confessé luy mesme; plus que predicateur, car il ne presche pas seulement de la langue, mais de la main et du doigt, qui est le comble de la perfection; plus que docteur, car il presche sans avoir ouy la source de la doctrine; plus que martyr, car les autres martyrs meurent pour Celuy qui est mort pour eux, mais luy meurt pour Celuy qui est encor en vie, et contreschange, selon sa petitesse, la mort de son Sauveur avant qu'il la luy ait donnee; plus qu'evangeliste, car il presche l'Evangile avant qu'il ait esté fait; plus qu'apostre, car il precede Celuy que les Apostres suivent; plus que prophete, car il monstre Celuy que les Prophetes predisent; plus que patriarche, car il voit Celuy qu'ilz ont [74] creu, et plus qu'ange et plus qu'homme, car les Anges ne sont qu'espritz sans cors, et les hommes ont trop de cors et trop peu d'esprit: celuy ci a un cors et n'est qu'esprit..

  A015000953 

 Je ne refuse pourtant pas l'amiable offre que vous me faites de ne changer jamais ni varier en l'amitié que vous me portés, soit que je vous escrive ou que je ne vous escrive point.

  A015000953 

 Je parle le langage de mon cœur et non pas celuy de ce tems.

  A015000953 

 Mays je voy en celle-ci, que vous aves longuement [77] esté sans en avoir des miennes J'avoue sincerement mes fautes, mais celle ci, elle n'est pas mienne, ains des porteurs; car je sçai bien que tous-jours, quand je puis, je vous escris de mes nouvelles, non seulement par ce que vostre desir a tout pouvoir sur ma volonté, mais aussi par ce que ma volonté a perpetuellement ce desir de vous parler, comm'il m'est possible de parler de vous et de vous oüir ou voir parler a moy.

  A015000953 

 Non, Monsieur, je vous en supplie, ne varies jamais en cette affection que vous aves pour moy; car croyes qu'aussi, soit que j'escrive, comme je feray Dieu aydant, ou que je n'escrive pas, je ne varieray jamais en la resolution que j'ay faite d'estre a jamais homme tres veritablement vostre et tout vostre, sans reserve ni exception.

  A015000958 

 Mays d'aller lâ, je n'en puis rien dire, sinon que ce sera quand je pourray; mays de sçavoir quand je pourray, il n'est pas en mon pouvoir..

  A015001010 

 Je n'ay pas plus tost veu monsieur vostre cher mari, que j'ay sceu son despart de cette ville.

  A015001011 

 Mais aussi, le peché que vous fistes n'est pas si grand qu'il s'en faille affliger apres la repentance, car il ne fut pas commis en une matiere de commandement special, ni ne contient pas aucun desaveu de la verité, mais seulement un indiscret respect; et, pour le dire clairement, il n'y eut en cela aucun peché mortel, ni, comme je pense, veniel, ains une simple froideur procedante de troublement et irresolution.

  A015001011 

 Sans doute, ma tres chere Fille, il ne faut pas une autre fois rien rabbattre des coustumes generales avec lesquelles nous professons nostre sainte religion, pour la presence de ces bigarrés huguenotz, et ne faut pas que nostre bonne foy ayt honte de comparoistre devant leur affeterie.

  A015001015 

 Il ne faut pas estre si curieuse que de vouloir sçavoir d'ou procede la diversité des estatz de vostre vie; il faut estre sousmise a tout ce que Dieu en ordonne et s'arrester la..

  A015001015 

 Si elles arrivoyent de vos fautes, encor ne faudroit-il pas pour cela s'en inquieter, mais avec une tres simple et douce humilité les rejetter, et puis vous remettre entre les mains de Nostre Seigneur affin qu'il vous en fist porter la peyne, ou qu'il vous les pardonnast, selon [85] qu'il luy plairoit.

  A015001037 

 Le souvenir de vos vertus m'est si aggreable qu'il n'a pas besoin d'estre nourri par la faveur de vos lettres; elles vous acquierent neanmoins une nouvelle obligation sur moy, puisque je reçois par icelles et beaucoup d'honneur et beaucoup de contentement, de voir que non seulement vous aves reciproquement memoire de moy, mais que vous l'aves aggreablement.

  A015001037 

 Soyés-le, Madame, de tout vostre cœur, car c'est le grand, ains l'unique bonheur qui vous puisse arriver; et si, monsieur le Senateur n'en aura point de jalousie, puisque vous n'en seres pas moins sienne, et en recevra de l'utilité, puisque vous ne sçauries donner vostre cœur a Dieu que le sien n'y soit engagé..

  A015001048 

 Mais, mon Dieu! gardes-vous bien d'entrer en aucune sorte de desfiance, car cette celeste Bonté ne vous laisse pas tomber de ces cheutes pour vous abandonner, ains pour vous humilier et faire que vous vous tenies plus serree et ferme a la main de sa misericorde..

  A015001079 

 Pour le reste, c'est un'œuvre de charité que l'accompaignement que vous alles faire, et bien que ce soit avec un peu de detraquement des sains exercices de devotion, si est ce que ce n'est pas avec aucune perte du service de Dieu..

  A015001100 

 En fin, quand les Rois et les Princes auront une mauvaise impression de leur Pere spirituel, comme s'il les vouloit surprendre et leur arracher leur authorité que Dieu, souverain Pere, Prince et Roy de tous, leur a donnee en partage, qu'en adviendra-il qu'une tres dangereuse aversion des cœurs? Et quand ilz croiront qu'il trahit son devoir, ne seront ilz pas grandement tentés d'oublier le leur?.

  A015001100 

 Non, je n'ay pas mesme treuvé a mon goust certains escritz d'un saint et tres excellent Prelat, esquelz il a touché du pouvoir indirect du Pape sur les Princes; [95] non que j'aye jugé si cela est ou s'il n'est point, mais parce qu'en cet aage ou nous avons tant d'ennemis dehors, je croy que nous ne devons rien esmouvoir au dedans du cors de l'Eglise.

  A015001101 

 Je n'ay pas voulu remarquer tout plein de choses qui me semblent devoir estre extremement addoucies, et me suis contenté de vous dire ainsy en gros et grossierement mon petit sentiment, ains, pour parler naïfvement, mon grand sentiment pour ce regard.

  A015001114 

 Je suis tous-jours attendant des nouvelles du succes de vostre voyage, que je me prometz avoir esté bon, mais non pas sans crainte pourtant, a cause de la foiblesse de vostre santé et l'excessive chaleur qui a regné quelques heures de ces jours passés; mais je veux croire qu'en ces heures-la vous aures sejourné, et aures employé les matinees et les soirs qu'il a tous-jours fait un peu de vent.

  A015001115 

 Et il vous suffira que, tout a la bonne foy, vous vous soyés essayee de reüscir, puisque Nostre Seigneur et la rayson ne requierent pas de nous les effectz et evenemens, mais nostre fidelle et franche application, employte et diligence; car ceci depend de nous, mays non pas les succes.

  A015001115 

 Si Dieu vous en donne l'issue, nous l'en benirons; s'il ne luy plaist pas, nous l'en benirons aussi.

  A015001116 

 Je renvoye ce jourd'huy nostre M. Michel aupres de nos filles, affin qu'elles ne demeurent pas tout a fait privees de quelqu'un en qui elles ayent confiance, j'escris a nostre Seur de Brechard une lettre pour toutes, affin de leur donner courage.

  A015001186 

 Or, je sçay bien que vous estes fort fidelle pour ce regard, et que si vous faites quelques petitz mauvais pas, soudain vous vous releves humblement, doucement et sans vous estonner; car il faut faire ainsy, ma chere Fille, pour devenir parfaitement sainte, qui est vostre pretention.

  A015001230 

 Neanmoins, s'il desire venir au concours de celle cy, ce sera le 4 e de ce mois suyvant qu'elle est assignee; marri que peut estre je ne pourray pas m'y treuver, si M. de Villette persevere de me sommer d'aller avec ses autres parens au commencement des obseques de feu M me de Villette environ ce tems-la..

  A015001250 

 Croyés le pauvre Pere: prenés du repos et du repas suffisamment; laissés amoureusement du travail aux autres et ne desirés pas d'emporter toutes les couronnes; le cher prochain sera tout ayse d'en avoir quelques unes.

  A015001261 

 Je dis presque, a cause de celuy qui dit: Cum his qui oderunt pacem eram pacificus; autrement, je pense que je ne l'eusse pas dit, car les chasseurs poussent par tout dans les buissons, et retournent souvent plus gastés que la beste qu'ilz ont cuidé gaster.

  A015001273 

 Plusieurs bourgeois et bourgeoises de Geneve qui estoyent venus aux vendanges, nous ont veu en cet exercice, et ont tesmoigné pour la pluspart d'en avoir pris bonne edification, et quelques uns qui m'ont voulu ouïr, ont esté estonnés dequoy leurs ministres leur descrivoyent nostre creance tout autrement que nous ne la preschons pas; chose....

  A015001287 

 De mesme: « In hac quaestione sunt tres sententiæ: prima sententia est, » etc. Car, ne suffit-il pas de commencer a capite le recit des sentences, avec un nombre precedent, en cette sorte: « 1.

  A015001288 

 Puis, au lieu de dire: « Respondendum est tribus conclusionibus, quarum prima sit, » ne suffit-il pas: « Jam ergo dico, primo, etc. 2.

  A015001290 

 Certes, il n'est pas grand besoin de sçavoir, « utrum Angeli sint in loco per essentiam, aut per operationem; utrum moveantur ab extremo ad extremum sine medio, » et semblables.

  A015001293 

 Or sus, mon cher Pere, que vous semble de mon cœur? va-il pas bien a la bonne foy envers le vostre? Mais croyés-moy, encores ne suis-je pas si simple, qu'avec un autre j'en usasse comme cela.

  A015001307 

 Maintenant que vous n'aves pas fait a beaucoup pres un si grand abandonnement et que vous aves reservé asses de liberté pour avoir [121] un soin moderé de vostre mayson et de vos enfans, parce que ce peu de retraitte que vous aves fait est pour Dieu, il se treuve des gens qui taschent de le faire estimer mauvais et contre le devoir..

  A015001307 

 Si ce n'est que la necessité du meilleur estat des biens, vous n'y estes pas voirement obligee; mais pourtant, si cette necessité estoit extreme et grande et qu'elle ne peust estre remediee que par vous, c'est a dire que vous ne puissies suppleer par autruy aux affaires, vous pourries librement arrester le tems requis a cela, que je remetz a vostre discretion et prudence, ne pouvant dissimuler avec vous qu'en cette occasion je ne voye quelque sorte de tentation.

  A015001308 

 Ce que je ne dis pas pour ce bon chevalier qui vous souhaitte aupres de soy, car vrayement il a rayson de desirer le bien de vostre conversation, qui ne peut que luy estre fort aggreable; mays pour ceux qui en parlent par maniere de conscience et de scrupule, qui, a mon advis, ne sont pas bien fondés en cela, bien qu'en la lettre de monsieur N. je les voye fort doctes et de grand esprit.

  A015001318 

 Ce que je dis, parce que madame de Chantal, peut estre, ne viendra pas avant Noël, puisqu'elle est resolue d'achever et demesler toutes ses affaires avant que de revenir, affin de n'avoir plus sujet de distraction..

  A015001382 

 Mays parce que je n'estois pas la, la proposition se fit en mon nom par un tres bon et digne Pere Capucin, originaire de Beugey, mays natif de Chamberi, qui neanmoins n'ayant point de procuration, promit de me faire ratifier..

  A015001383 

 J'espere neanmoins que dans bien peu de moys on me remettra tout le reste, ayant tant de rayson comme j'ay de mon costé; si bien que ce voyage n'aura pas esté infructueux..

  A015001383 

 Sur cela, estant adverti et conjuré par les Catholiques de me rendre en praesence pour un coup de si grande importance, j'y allay nuit et jour, et me treuvay asses tost pour une assemblee generale de tout ce païs-la, ou je refis a vive voix mes requisitions et m'essayay de respondre aux allegations des ministres, qui n'ont rien oublié de leur costé pour empescher le fruit de cette commission demandee imprudemment par leurs confreres, qui ne prirent pas garde que, si ailleurs l'execution de l'Edit leur estoit favorable, a Gex elle leur estoit extremement contraire.

  A015001400 

 Me voyci lautrefoys [de retour.] Je ne fus presque pas arrivé de la visite [en ce pays] de deça, quil me falut partir pour aller [par delà] le Rosne pour chose qui importoit au service de Dieu.

  A015001401 

 Mays voyla pas un bon exercice de mortification que Dieu vous donne, et lequel tant de Sains ont prattiqué par election? Or il n'en vaudra pas moins, ains davantage, quand il sera prattiqué par acceptation.

  A015001402 

 Néanmoins] cette nuit passee elle s'est si bien [reposée]... [que si ce n']est pas miracle, c'est au moins une speciale grace que [Dieu a] faitte aux prieres de ses cheres compaignes qui toutes estoyent des-ja en larmes; si bien qu'a mon jugement, il ni a plus rien a craindre pour ce coup.

  A015001403 

 M me de Chantal doit arriver pour Noüel, sinon que quelqu'affaire d'importance luy soit survenu; car je luy ay escrit qu'elle n'espargnast pas le tems pour bien conclure tout ce qui est requis, affin qu'apres son retour elle demeure en plus grand repos.

  A015001403 

 Mays il n'est pas requis que ceci se sache encor; c'est pourquoy je le dis a vous..

  A015001424 

 Certes, il n'y a pas moyen de tarder plus, parmi ces bonnes festes, d'aller saluer la tres chere Mere et Cousine et sçavoir comment elle se porte en ce grand froid.

  A015001470 

 Croyes que ce ne sera pas si tost que je le souhaite..

  A015001470 

 Mais ne laisses pas, ma chere Fille toute mienne, de me faire sçavoir comme vous vous portes cett'apres disner et apres souper, en peu de lignes, de peur de vous travailler.

  A015001484 

 Or sus, ma Fille, voyés-vous, je vous recommande a Dieu pour obtenir pour vous cette sacree patience, et n'est pas en mon pouvoir de luy proposer rien pour vous, sinon que tout a son gré, il façonne vostre cœur pour s'y loger et y regner eternellement; qu'il le façonne, dis-je, ou avec le marteau, ou avec le ciseau, ou avec le pinceau: c'est a luy d'en faire a son playsir, non pas, ma chere Fille? faut-il pas faire ainsy?.

  A015001486 

 Et bien, ma chere Fille, il n'est pas aussi requis que vous le fassies, ains que tout simplement vous esleviés, le plus frequemment que vous pourrés, vostre cœur a ce Sauveur et que vous fassies ces actions: premierement, d'accepter le travail de sa main, comme si vous le voyies luy mesme vous l'imposant et fourrant en vostre teste; secondement, vous offrant d'en souffrir encores davantage; troisiesmement, l'adjurant par le merite de ses tourmens, d'accepter ces petites incommodités en l'union des peynes qu'il souffrit sur la croix; quatriesmement, protestant que vous voules non seulement souffrir, mais aymer et caresser ces maux comme envoyés d'une si bonne et douce main; cinquiesmement, invoquant les Martyrs et tant de serviteurs et servantes de Dieu qui jouissent du Ciel pour avoir esté fort affligés en ce monde..

  A015001500 

 Ma chere Fille, nostre cher petit Jesus estoit tout plein du bausme de salut, mays on ne le connoissoit pas, jusques a tant qu'avec ce couteau doucement cruel on a ouvert sa divine chair; et lhors on a conneu qu'il est tout bausme et huyle respandu, et que c'est le bausme de salut.

  A015001523 

 J'ay esté si consciencieux que je n'ay pas osé le faire transcrire, parce que, quand vous me l'envoyastes, vous m'en parlastes comme chose qui estoit reservee pour encor a vostre Compaignie.

  A015001523 

 J'eusse pourtant bien desiré d'avoir une copie d'une histoire de si grande pieté et d'un Saint auquel, pour tant de raysons, je suis et dois estre affectionné; car c'est la verité que je n'ay pas la memoyre ferme pour les particularités de ce que je lis, ains seulement en commun.

  A015001523 

 Mais je veux croire qu'en fin la Compaignie se resoudra de ne faire pas moins d'honneur a ce [146] premier compaignon de son Fondateur qu'elle en a fait aux autres.

  A015001523 

 Que si bien sa vie, pour avoir esté courte et en un tems auquel on ne remarquoit si exactement toutes choses, ne peut pas tant fournir de matiere a l'histoire comme celle de quelques autres, neanmoins ce qu'elle donnera ne sera que miel et sucre de devotion..

  A015001549 

 Ah! ma Fille, nous en avons bien passé de plus aspres: pourquoy n'aurons-nous pas le cœur de surmonter encores cette difficulté?.

  A015001549 

 Cependant, ma bienaymee Fille, je ne laysse pas, dans le fond de mon esprit, de prendre des saintes esperances qu'apres que par ces petitz abandonnemens, Dieu nous aura espreuvé et exercé en la mortification interieure, il ne nous vivifie par ses consolations sacrees.

  A015001557 

 Je vois par vostre lettre, que [151] vous ne vous appuyés pas asses en la sainte providence divine.

  A015001557 

 Ma chere Fille, si elle retiroit vostre bonne seur, ce que nous devons esperer n'arriver pas si tost, vous ne laisseries pas pour cela d'estre sous la protection de ce tres bon Pere eternel qui vous couvriroit de ses aisles.

  A015001557 

 Mays avec cela, ma chere Seur, il ne se faut pas former des craintes inutiles; il suffira bien de recevoir les maux qui de tems en tems nous arrivent, sans les prevenir par l'imagination..

  A015001558 

 Pour la charge que vous aves, c'est une tentation de n'y avoir pas l'amour requis pour le tems auquel vous y seres.

  A015001560 

 Et quand la memoire de telle faute nous arrive apres la confession, il n'est pas requis de retourner vers le confesseur pour aller a la Communion; ains est bon de n'y retourner pas, mays le reserver a dire pour l'autre confession suivante, affin de le dire si on s'en souvient..

  A015001560 

 Quand les pensees nous arrivent du mal d'autruy et que nous ne les rejettons pas promptement, ains nous y amusons quelque peu, pourveu que nous ne facions pas un jugement entier, disant en nous mesmes: Il est vrayement ainsy, ce n'est pas peché mortel; quand bien nous dirions absolument: Il est ainsy, pourveu que ce ne fust pas en chose d'importance; car, quand ce dequoy [152] nous jugeons nostre prochain n'est pas chose griefve, ou que nous ne jugeons pas absolument, ce n'est que peché veniel.

  A015001561 

 Tandis que vostre seur n'a pas voulu recevoir vostre pension, il n'y a eu nulle faute pour vous; mais ce sera chose bonne qu'elle la manie..

  A015001562 

 Ma tres chere Seur, il ne faut point perdre courage; encor que vous ne prattiquiés pas si fidellement les resolutions que vous faites, vous deves fortifier vostre cœur pour en venir a l'execution.

  A015001576 

 J'ay receu toutes les lettres que vous me marques par celle quil vous pleut m'addresser par les mains de monsieur de Marillac, et m'estonne comm'il est arrivé que vous n'ayes pas eu mes responses que j'ay quelquefois dupliquees, de peur de manquer au devoir que je vous ay et pour l'extreme contentement que je prens en la prattique de vostre sainte amitié.

  A015001576 

 Mays, Monsieur, je voy bien que je n'auray pas ce bonheur d'y contribuer chose quelcomque, sinon mes bons souhaitz et mes vœux; car, quant a l'hostel de Nemours, il n'en faut nullement parler, puisque Monseigneur de [154] Nemours fait profession expresse, et de ne vouloir jamais se retirer du tout de France, et d'avoir cette commodité de mayson, plus praetieuse que tout'autre chose..

  A015001577 

 Mays l'homme qui la porta n'arriva pas asses tost pour treuver ledit seigneur de Marillac qui passoit en diligence; car cet amy a qui j'avois escrit, m'a veu despuis et m'a dit quil avoit parlé avec luy, sans que pourtant il tesmoignast d'avoir aucun'affaire de luy..

  A015001578 

 Si donques il se presentoit jamais occasion de vous rendre service, ne laisses pas, je vous supplie, de m'employer en qualité, Monsieur, de.

  A015001597 

 J'eusse desiré plus quil ne se peut dire, d'estre utile au service de la sainte Congregation qui esclost maintenant sous la direction de monsieur de Berulle, laquelle j'ay opinion devoir estre l'une des plus fructueuses qui ayt jamais esté a Paris; mais je ne puis en point de façon, Nostre Seigneur ne m'en treuvant pas digne, et l'affaire pour laquelle ledit seigneur Berulle m'escrivit, impossible, a laquelle neanmoins j'eusse volontier contribué tout mon pouvoir, sil y eut eu apparence de la voir reuscir..

  A015001613 

 Mays, avant que de passer plus outre, [158] penses bien derechef en vous mesme a l'importance de ce que vous entreprenes; car il seroit bien mieux de n'entrer pas parmi nous, qu'apres y estr'entrees donner quelqu'occasion de n'estre point receues aux oblations.

  A015001614 

 Et a cet effect, nous avons commis la peyne et le soin particulier de vous exercer et instruire a ma Seur de Brechard ci presente, a laquelle partant vous seres obeissantes, et l'escouteres avec respect et tel honneur, qu'on connoisse que ce n'est pas pour la creature que vous vous sous-mettes a la creature, mays pour l'amour du Createur que vous reconnoisses en la creature.

  A015001617 

 Or, je ne dis pas, ma chere Fille, que vous disies ni ces paroles, ni tout ceci, mays ce que vous verres a propos, plus pour l'edification et reveil des autres, que pour celle (sic) ci.

  A015001629 

 Ah! Dieu ne nous a pas forclos de la jouissance de sa douceur, il l'a seulement soustraite pour un peu, affin que nous vivions a luy et pour luy, et non pour ses suavités; affin que nos Seurs travaillees treuvent chez nous un secours compatissant et un support suave et amoureux; affin que, d'un cœur tant escorché, mort et matté, il reçoive l'odeur aggreable d'un saint holocauste..

  A015001649 

 Voyla vostre sacré remede que je puis dire m'avoir esté souverain, puisque Dieu a agi avec moy selon vostre foy, vostre esperance et vostre charité, et je dois confesser a la gloire de Jesus Christ et de sa sainte Espouse, que je ne croyois pas de pouvoir dire Messe aujourd'huy a cause de la grande enflure de ma jouë et du dedans de ma bouche; mais, m'estant appuyé sur mon prie Dieu et ayant posé la relique sur ma jouë, j'ay dit: « Mon Dieu, qu'il me soit fait comme mes filles le desirent, si c'est vostre sainte volonté; » et tout aussi tost, mon mal a cessé.

  A015001660 

 Vous aves bien fait d'obeir a vostre confesseur, soit qu'il vous ayt retranché la consolation de communier souvent pour vous espreuver, soit qu'il l'ayt fait parce que vous n'avies pas asses de soin de vous corriger de vostre impatience.

  A015001661 

 C'est le sentiment que vous pourrés faire, ma tres chere Fille, es jours que vous soulies communier et que vous ne communieres pas..

  A015001661 

 Demeurés pour un peu en la posture de la Chananee: Ouy, Seigneur, je ne suis pas digne de manger le pain des enfans; je suis vrayement une chienne qui rechigne et mords le prochain sans propos, par mes paroles d'impatience; mais si les chiens ne mangent le pain entier, au moins [ont-ilz] les miettes de la table de leurs maistres.

  A015001662 

 Les sentimens de l'orayson sont bons, mais il ne faut pas pourtant s'y complaire tellement, qu'on ne s'employe diligemment aux vertus et mortification des passions..

  A015001707 

 Ah! faut il qu'un filz empesche de vivre l'ame du pere de son cors? Nostre bonne malade donneroit de bon cœur la vie pour la santé spirituelle de son medecin, et moy, pauvre, chetif pasteur, que ne donnerois-je pas pour le salut de cette deplorable brebis! Vive Dieu, devant lequel je vis et je parle: je voudrois donner ma peau pour le vestir, mon sang pour oindre ses playes et ma vie temporelle pour l'oster de l'eternelle mort..

  A015001733 

 Mais quand sera-ce donq que j'auray ce contentement de vous revoir, ma tres chere Seur? car je me voy presqu'a la veille de mon despart pour Chamberi; et [171] apres Pasques, on ne quitte pas volontier les chaires.

  A015001768 

 Faites-nous donc cette grâce, Très Saint Père, et ne laissez pas plus longtemps sous le boisseau cette lampe allumée par le feu divin, mais placez-la sur le chandelier, afin qu'elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison. Sanctifiez le nom de celui qui a sanctifié le nom de Dieu avec tant de charité et l'a fait glorifier par tant de miracles; annoncez à toute l'Eglise qui est sur la terre que le Seigneur a exalté son Saint dans les Cieux, pour nous exaucer quand nous crierons vers lui.

  A015001779 

 Mays ce n'est pas cela que je vous veux dire, car j'ay d'autres choses a vous demander..

  A015001779 

 Nous parlons icy de vous si souvent et avec tant de playsir, ma chere Fille, que vous ne deves pas avoir soin [178] de nous en rafraichir la memoyre.

  A015001780 

 Dites moy donq vous mesme, ma chere Fille, le pauvre cœur bienaymé comme se porte-il? Est-il pas tous-jours vaillant et vigilant pour s'empescher des surprises de la tristesse? Je le vous recommande au nom de Nostre Seigneur, ne le tormentés point, je dis mesme quand bien il auroit fait quelque petit detour; mays reprenés le doucement et le ramenes en son chemin.

  A015001782 

 La belle seur est une perle; le frere est bienheureux de l'avoir treuvee et prise avant qu'ell'eut conneu nostre petite Congregation, car autrement ell'eut esté vostre seur, mais non pas vostre belle seur.

  A015001798 

 Car voyes-vous, Madame ma Mere, ne dois-je pas estre fort glorieux de me treuver maintenant receu en la bienveüillance de monsieur et de madame de Cerviere, [181] vos chers enfans, comme presque cet autre frere qui, impatient d'estre privé de la douceur de vostre presence, s'en reva si vitement aupres de vous, a laquelle il donnera, Dieu merci, des bonnes nouvelles de la santé de cette bonne seur, que je veux servir et honnorer de tout mon cœur en l'absence des autres meilleurs freres..

  A015001834 

 Faire discuter la question par d'habiles théologiens, ne paraît pas être le bon remède, car plus les débats seront brûlants, plus aussi les esprits s'échaufferont et la discorde ne fera qu'augmenter.

  A015001834 

 Il faut ajouter que les raisons des adversaires flattent l'oreille des grands, non pour leur justesse, mais parce qu'elles favorisent leurs vues; il ne manquera pas non plus de théologiens qui, pour diverses considérations, embrasseront le parti de la division..

  A015001836 

 Il eût été préférable aussi de ne pas en venir aux hypothèses, mais d'inculquer fortement les thèses où les hypothèses sont renfermées implicitement.

  A015001839 

 Pourvu que les thèses soient bien établies, la meilleure réponse qui se puisse faire aux importunités de ces esprits turbulents, est de ne pas les juger dignes de réponse.

  A015001840 

 Quant à ceux qui parlent en mauvaise part de l'autorité pontificale, on ne devrait pas leur répondre directement, mais indirectement; se plaindre de ce qu'ils font cela sans nécessité et avec la maligne intention de rendre odieux le Saint-Siège, lequel néanmoins n'a pour ce royaume que les sentiments d'une mère très douce et très aimante.

  A015001841 

 Cette union n'est pas si difficile à ménager, pourvu qu'on en fasse bien saisir l'importance à la reine, qu'on ait des hommes capables d'aider adroitement M gr le Nonce et de se familiariser les uns avec les autres.

  A015001856 

 Difficile, non pas certes en elle mesme, car au contraire, elle est fort aysee a rencontrer aux espritz qui la cherchent par le chemin de la charité; mays difficile, parce qu'en cet aage qui redonde en cervelles chaudes, aiguës et contentieuses, il est malaysé de dire chose qui n'offence ceux qui, faysant les bons valetz, soit du Pape, soit des Princes, ne veulent que jamais on s'arreste hors des extremités, ne regardant pas qu'on ne sçauroit faire pis pour un pere que de luy oster l'amour de ses enfans, ni pour les enfans que de leur oster le respect qu'ilz doivent a leur pere..

  A015001857 

 Il les ayme tous tendrement, il souhaitte la fermeté et stabilité de leurs couronnes, il vit doucement et amiablement avec eux, il ne fait presque rien dans leurs Estatz, non pas mesme en ce qui regarde les choses purement ecclesiastiques, qu'avec leur aggreement et volonté.

  A015001861 

 Et d'autant que les Chrestiens, Princes et autres ne sont pas alliés au Pape et a l'Eglise d'une simple alliance, mays d'une alliance la plus puissante en obligation, la plus excellente en dignité qui puisse estre; comme le Pape et les autres Prelatz de l'Eglise sont obligés de donner leur vie et subir la mort pour donner la nourriture et pasture spirituelle aux Rois et aux royaumes chrestiens, aussi les Rois et les royaumes sont tenus et redevables reciproquement de maintenir, au peril de leurs vies et Estatz, le Pape et l'Eglise, leur [193] Pasteur et Pere spirituel.

  A015001862 

 L'authorité de l'un n'est point contraire a l'autre, ains elles s'entreportent l'une l'autre; car le Pape et l'Eglise excommunient et tiennent pour heretiques ceux qui nient l'authorité souveraine des Rois et Princes, et les Rois frappent de leur espee ceux qui nient l'authorité du Pape et de l'Eglise, ou s'ilz ne les frappent pas, c'est en attendant qu'ilz s'amendent et humilient..

  A015001872 

 Mais Dieu vous benie, vous remplisse de graces; Dieu soit avec nous, ma tres chere Fille, car je n'ay pas davantage de loysir, grace a Nostre Seigneur, lequel nous fait la faveur de nous employer icy et la, a son tres saint service; car c'est a cela que je suis occupé en diverses sortes, de maniere que le cœur de ma tres chere Fille, comme le mien, en sera bien ayse..

  A015001902 

 Vous les aves pourtant et en fort bon estat, mais vous n'en jouisses pas, ains estes comme un enfant qui a un tuteur qui le prive du maniement de tous ses biens, en sorte que, tout estant vrayement a luy, neanmoins il ne manie et ne semble posseder ni avoir rien [197] que sa vie, et, comme dit saint Paul, estant maistre de tout, il n'est point different du serviteur en cela; car ainsy, ma tres chere Fille, Dieu ne veut pas que vous ayés le maniement de vostre foy, de vostre esperance et de vostre charité, ni que vous en jouissiés, sinon justement pour vivre et pour vous en servir es occasions de la pure necessité..

  A015001932 

 Ce porteur, qui est filz d'un tres bon pere et lequel est de mes meilleurs amis, n'a pas voulu retourner a Paris sans vous rapporter de mes lettres comm'il m'en avoit apporté des vostres, estimant que, comm'il desire, il vous en seroit plus aggreable.

  A015001933 

 Quant aux mariages, vous sçaves qu'en tems de Caresme ce n'en est pas la sayson; aussi n'en dit-on plus mot..

  A015001966 

 Seroit-il bien possible que mon esprit oubliast jamais les chers enfans de ses entrailles? Non, mes tres cheres Filles, ma chere joye et ma couronne, vous le sçavés bien, je m'en asseure; et vos cœurs vous auront bien respondu pouf moy que si je ne vous ay pas escrit jusques a present, ce n'est sinon parce que, escrivant a nostre tres unique et bonne Mere, je sçavois bien que je ne vous escrivois pas moins qu'a elle, par cette douce et salutaire union que vos ames ont avec la sienne; et encor, parce que le saint amour que nous nous portons reciproquement, est escrit, ce me semble, en si grosses lettres dans nos cœurs, qu'on y peut bien lire presque nos pensees de Neci jusques icy..

  A015001967 

 Je suis avec un peu plus de monde que quand je suis en nostre sejour ordinaire aupres de vous; et plus j'en voy de ce miserable monde, plus il m'est a contrecœur, et ne croy pas que j'y peusse vivre, si le service de quelques bonnes ames en l'advancement de leur salut ne me donnoit de l'allegement..

  A015002047 

 Ce livre la est bon, mais non pas pour l'affaire presente; nous en chercherons un autre plus court et le treuverons, Dieu aydant..

  A015002048 

 Cependant, ma tres chere Mere, reposés un peu bien, manges un peu de choses bonnes et ne mettes pas du tout tant d'eau au vin; car je voy que ces foiblesses proviennent d'abbatement d'estomach et de froideur de teste.

  A015002061 

 Je croy que l'on considerera qu'il n'y a pas de loy au monde qui m'ayt privé de l'usage de mon authorité ecclesiastique en la provision des benefices de mon diocese; et que, comme M. l'Archevesque de Lyon pourvoit en Bourgoigne Comté, M. l'Evesque de Grenoble en Savoye et a Chamberi mesme, non obstant leur residence au royaume, de mesme dois-je jouir de l'authorité de pourvoir dans le royaume, quoy que je sois habitant en Savoye..

  A015002080 

 Je les voy, certes, avec un cœur plein de pitié, quand je considere qu'ilz sçavent que Dieu merite d'estre preferé, et n'ont pas neanmoins le courage de le preferer quand il en est tems, crainte des paroles des mal advisés..

  A015002081 

 Cependant, affin que vostre mary ne croupisse pas en son peché et en l'excommunication, voyla un billet que je luy envoye pour se confesser et faire absoudre.

  A015002090 

 Or je ne doute point de cela, ma tres chere Fille, ma Niece, que ce mesme Sauveur qui vous a prise par la main ne vous conduise jusques a la perfection de son saint amour; car j'espere que vous ne vous secoueres point d'une si douce et suave conduite et n'abandonneres jamais Celuy qui, par son infinie bonté, n'abandonne jamais ceux qui ne veulent pas l'abandonner.

  A015002131 

 Il me semble qu'il ne faut pas estonner cette fille si ell'est tentee, ains seulement la bien examiner sur le desir d'estre de la Congregation, et si on la treuve foible, luy donner loysir d'y penser, affin qu'elle se resoulve sans præcipitation; car il m'est advis que ce soit une bonne fille, mais qui a repugnance a l'abjection, et par ce qu'ell'a l'esprit fort, elle ne peut bonnement le plier du tout pour encor..

  A015002142 

 Ah Dieu! ma chere Fille, les nostres y seront-ilz pas? Si seront, sans doute; car bien que nostre cœur n'a pas l'amour, il a neanmoins le desir de l'amour et le commencement de l'amour.

  A015002142 

 Et le sacré nom de Jesus n'est-il pas escrit en nos cœurs? il m'est advis que rien ne le sçauroit effacer.

  A015002143 

 Mays d'ou m'arrive-il que je n'ayme pas bien, puisque des maintenant je puis bien aymer? O ma Fille, prions, travaillons, humilions-nous, invoquons cet amour sur nous..

  A015002144 

 Jamais la terre ne vit le jour de l'eternité sur son rond jusques a cette sainte feste, que Nostre Seigneur, glorifiant son cors, donna, comme je pense, envie aux Anges d'avoir de pareilz cors, a la beauté desquelz les cieux et le soleil ne sont pas comparables.

  A015002166 

 De fait, en plusieurs circonstances, un grand nombre de personnes ont éprouvé l'efficacité de son intercession en faveur de ceux qui, avec une vraie confiance en Dieu, recourent à ses prières; d'autres cependant n'osent l'invoquer tant que la sainte Eglise ne l'a pas mis au nombre des Saints..

  A015002166 

 Mais, parce qu'il n'est pas canonisé, on ne lui rend pas cet honneur public et solennel qui est dû à l'éminence et à la réalité de [224] ses mérites.

  A015002267 

 M me de Chantal n'ayant nul loysir, vous bayse les mains de tout son cœur et n'oubliera pas de rendre le devoir a M me la chere defuncte..

  A015002344 

 Je prens a tant d'honneur la recherche quil vous a pleu de faire de mes predications pour l'Advent et Caresme prochain, que si vostre rang en l'Eglise et le merite de tant de personnages signalés desquelz vostre compaignie est composee ne m'avoit des-ja obligé a vous honnorer et respecter, je ne laisserois pas de l'estre extremement par cette favorable semonce que, de vostre grace, vous m'aves faitte, a laquelle je vous supplie de croire que j'ay fidellement correspondu par un sincere'desir d'y satisfaire.

  A015002378 

 La chere cousine est a Presle des il y a, je pense, dix ou douze jours, et je ne l'avois pas veu (sic) dix ou douze jours au paravant, de sorte quil y a long tems que je ne l'ay pas veüe; mays elle se porte pourtant [bien] et est tous-jours fort desireuse de s'avancer au service de Nostre Seigneur..

  A015002395 

 Faites moy ce bien, mon Reverend Pere, de m'escrire en quelz termes nous en demeurasmes a Chamberi, par ce que n'en ayant pas distincte memoire, selon mon imbecillité, je n'en puis pas si bien parler a ces Dames quil seroit requis..

  A015002395 

 La petitesse, neanmoins, du logis et l'incommodité des Filles de la Visitation ne permettront pas encor sitost qu'elle soit consolee.

  A015002412 

 Pour cela, je ne veux point cesser de recommander a sa divine Bonté vostre necessité; mays je ne veux pas aussi laisser de vous conjurer de la rendre utile a vostre avancement spirituel..

  A015002436 

 Mais parce que la pudeur est la compagne inséparable de ce sexe et de la virginité, elles n'ont pas eu la hardiesse de se présenter à vos pieds sans être introduites par quelque prêtre.

  A015002437 

 Je le fais avec de très instantes prières, mais on ne doit pas croire pour cela que je veuille marcher en grandeur: si je marche avec assurance, c'est que je marche avec simplicité, bien persuadé que ma requête sera appuyée par plusieurs intercesseurs très influents auprès de Votre Altesse.

  A015002446 

 Combien de douceurs en l'histoire de cette delivrance! car son ame en est tellement saysie qu'il ne sçait s'il songe ou s'il ne songe pas.

  A015002447 

 Ma chere Mere, aymons-nous pas le doux Sauveur? Ah! il sçait bien que si nous ne l'aymons, pour le moins desirons-nous de l'aymer.

  A015002448 

 Mays dequoy faut-il repaistre ces cheres brebiettes? [252] De l'amour mesme, car, ou elles ne vivent pas, ou elles vivent d'amour: entre leur mort et l'amour, il n'y a point d'entredeux.

  A015002449 

 Les jeunes apprentifz en l'amour de Dieu se ceignent eux mesmes: ilz prennent les mortifications que bon leur semble, ilz choisissent leur penitence, resignation et devotion et font leur propre volonté parmi celle de Dieu; mais les vieux maistres au mestier se laissent lier et ceindre par autruy et se sousmettent au joug qu'on leur impose, et vont par lès chemins qu'ilz ne voudroyent pas selon leur inclination.

  A015002449 

 Mais sçaves vous une jolie pensee? Nostre Seigneur va dire a son cher saint Pierre: Quand tu estois jeune, tu mettois ta ceinture et allois ou tu voulois; mais quand tu seras viel, tu estendras ta main, et un autre te ceindra et te menera ou tu ne veux pas.

  A015002461 

 Ceux de Geneve ont esté estonnés et marri (sic) qu'on ayt mis en compromis la restitution des biens quilz tiennent dans la souveraineté de France, et n'ont pas manqué d'avancer que Son Altesse les traittoit mieux pour ce regard..

  A015002493 

 Mays, Monsieur, n'auray je pas une immortelle obligation a la faveur qu'elle me faysoit, puisqu'en cette extremité de sa vie mortelle, elle a si souvent tesmoigné qu'elle avoit memoire de moy, comme de celuy qu'elle sçavoit luy estre tout dedié en Nostre Seigneur? Jamais cette souvenance ne sortira de mon ame, et ne pouvant luy offrir le service tres fidele que j'avois juré a sa vertu et devotion, je vous conjure, Monsieur, de l'accepter et recevoir avec celuy que l'honneur de vostre bienveuillance avoit des-ja acquis sur mes affections.

  A015002505 

 O mon Dieu! ma tres chere Mere, j'ay eü une speciale consolation de voir comme elle donna une belle robe d'une blancheur nompareille a son serviteur saint Hildephonse, Evesque de Tolede; car, pourquoy n'en donnera-elle pas une a nostre cher cœur? Voyes-vous, je retourne tous-jours a mes brebis..

  A015002518 

 C'est un' affaire, comme je pense, ordinaire et que je ne vous devrois pas donner la peyne de faire; mays vostre amitié en mon endroit est si universelle, que volontier elle me favorise en toutes occurrences, grandes et petites.

  A015002538 

 Je vous advertis que madamoyselle d'Escrilles est de la mesme parentee que M. de Corselles, affin que vous ne luy disies pas ce que nous dismes de la bisayeule.

  A015002571 

 Ce fut qu'elle desireroit bien d'avoir la volonté d'estre Religieuse a la Visitation, mays qu'elle ne pouvoit s'y resoudre, par ce qu'elle ne pouvoit se ranger a une si grande perfection et ne luy estoit pas advis qu'elle la puisse entreprendre.

  A015002571 

 Je croy bien que la pauvre petite ne pense nullement au mariage et qu'elle s'accommoderoit a une autre sorte de vie, pourveu qu'on n'observast pas une regie si absolue comm' on fait a la Visitation.

  A015002591 

 Je desesperois du voyage de Milan, par ce que je n'estimois pas avoir les finances requises; mays voyci que tout a coup, il m'arrive un'inopinee esperance d'avoir plus de moyens quil ne m'en faut, pourveu que je ne parte pas de troys semaines.

  A015002591 

 N'est ce pas le saint Archevesque que nous voulons aller reverer, qui a soin de ses devotz?.

  A015002610 

 Vous sçaures par cette si digne porteuse parmi quelle multitude de tracas je vous escris; qui me servira d'excuse si je ne vous parle pas si amplement comme je desirois..

  A015002636 

 Mays en l'occasion d'aller en nostre chaire de Saint Benoist, ce n'est pas vous, Monsieur, seulement qui n'en deves pas douter, c'est tous ceux qui s'entendent tant soit peu en mes inclinations..

  A015002638 

 Mays voyci que de toutes pars on m'asseure qu'elle vient dans peu de jours avec Monseigneur le Prince a Chamberi, et nostre monsieur le premier President Favre estime que sadite Altesse me retient de deça pour m'y treuver a sa venue: de sorte que me voyla en perplexité, car si le Pape mesme me commandoit d'aller, et Son Altesse, estant de deça, me retenoit avec promesses que le Pape n'auroit pas des-agreable, je serois bien en peyne, comme vous pouves penser.

  A015002639 

 Certes, si Son Altesse ne venoit point, l'authorité du Pape seroit toute [272] puissante, car j'employeroys son commandement sans prendre congé que par lettres; mais Son Altesse estant icy, j'aurois peyne a me desmesler des repliques qui me seroyent faites et ne croys pas que je le puisse.

  A015002640 

 Il faut confesser la verité, j'ay un'extreme passion en cet'occurrence, et ne sçais bonnement me resoudre sinon a ce point, que tout ce que vous me dires je le feray de tres bon cœur, quoy qu'il en doive arriver; et de plus, que si jamais je vay a Paris faire le Caresme, ce ne sera que pour vostre seule consideration, soit que vous ayes la charge de l'eglise ou que vous ne l'ayes pas..

  A015002641 

 Je vous asseure, Monsieur, que je vous escris sans sçavoir presque que je fay, tant il me fasche de ne pouvoir pas, avec entiere liberté, vous dire: Je vay.

  A015002660 

 Les parens aussi de M. Jean de Rua m'ont prié de le vous recommander; ce que je fay bien affectionnement, quoy que je ne doute pas que sil se comporte aussi modestement au college comm'il a fait tandis quil a esté icy, il ne vous soit asses recommandable de luy mesme, sans que j'y employe mon intercession..

  A015002692 

 Sachant bien que vostre si soudain despart ne peut estre que pour quelqu'affaire de grand'importance, [276] je prieray tant plus soigneusement Nostre Seigneur quil vous assiste de son saint esprit de conseil et de force, pour persuader les choses justes et convenables a ceux qui, peut estre, n'y sont pas beaucoup disposés..

  A015002712 

 Voyes vous pas, ma chere Fille, quil dit que l a paix de Dieu surpasse tout sentiment? C'est pour vous apprendre que vous ne deves nullement vous troubler de n'avoir point d'autre sentiment que celuy de la paix de Dieu.

  A015002728 

 Je vous fis response l'autre jour, ma chere Fille, sitost que j'eu leu vostre lettre; mais le garçon qui l'avoit apportee ne revint pas prendre la mienne, laquelle je vous envoye encores toute telle que je la fis..

  A015002729 

 Certes, j'ay esté en peyne de la pauvre chere Francine, laquelle j'espere devoir estre une bonne servante de Nostre Seigneur et qui ne laissera pas, moyennant la grace cæleste, d'aller au Ciel apres avoir rendu des bons services a Dieu entre les hazars de cette vie mortelle.

  A015002748 

 Je n'ay pas de quoy respondre aux paroles d'honneur extraordinaire que vous employés en ma faveur es deux lettres que, de vostre grace, j'ay receues de vostre part des que vous nous laissastes icy le desir de vostre presence.

  A015002756 

 J'envoyeray les lettres desquelles vous gratifiés ma seur de Mayrens et madame de Charmoysi, laquelle est aux chams, aussi bien que mon frere de Boysi, qui sera bien marri de ne s'estre pas treuvé icy pour vous remercier luy mesme.

  A015002767 

 Mais, ma tres chere Mere, vous m'espargnes un peu trop le nom de filz, qui est le [286] nom du cœur, pour me donner un nom respectueux, qui est bien aussi nom du cœur, mais non pas du maternel, qui est celuy de mes delices..

  A015002769 

 Je ne dis pas le total abandonnement, mais je dis la moderation; car par cette moderation, nous sçavons treuver les heures franches pour l'orayson, pour un peu de lecture devote, pour eslever a diverses rencontres nostre cœur a Dieu, pour reprendre de tems en tems le maintien interieur et la posture cordiale de la paix, de la douceur, de l'humilité.

  A015002769 

 Non, je vous supplie, ma chere Mere, car bien quil les faille rejetter et detester pour s'en amender, si ne faut-il pas s'en affliger d'une affliction fascheuse, mais d'une affliction courageuse et tranquille, qui engendre un propos bien rassis et solide [287] de correction; et ce propos, ainsy pris en repos et avec meureté de consideration, nous fera prendre les vrays moyens pour l'executer, entre lesquelz je confesse que la moderation des affections mesnageres est grandement utile.

  A015002807 

 Mais ne vous lasses pas..

  A015002820 

 A quoy ne [294] serviroit pas peu si monsieur Milletot, qui a si dignement prattiqué sa commission, avoit quelque charge particuliere d'ordonner et connoistre de tout ce qui en dependroit, par maniere de surintendance aux officiers de la justice; car iceux estans de contraire religion a la nostre, ce nous seroit un grand bien d'avoir qui eust un soin particulier de nous, comme auroit ledit sieur Milletot, qui certes a tesmoigné une grande prudence et bonn'affection en cette occurrence..

  A015002832 

 Nostre pauvre Gex est tous-jours presque en mesme [295] estat; ce quil y a de plus, ne sont que certaines dispositions qui nous font promesse de mieux a l'advenir, Mays il faut louer Dieu, car aussi bien ne meritons-nous pas quil face une transmutation momentanee de ces cœurs lâ, qui seroit un miracle en la grace, comme fut la transmutation de l'eau au vin, en la nature.

  A015002833 

 Juges je vous supplie, Monsieur, si cela est en la puissance ni des curés ni de moy; car, ou ces benefices estans enclavés au royaume sont par la en cette condition, et lhors, qu'est il besoin d'obtenir le [296] brevet mentionné? ou ilz ne le sont pas, et lhors, quelle temerité a des pauvres ecclesiastiques decousuz, de demander au Pape une chose de telle consequence? car vous sçaves, Monsieur, que les grans estiment leurs droitz cherement, et que ce n'est pas a des chetifs curés d'impetrer telles choses.

  A015002834 

 Car, Monsieur, ne pourroyent ilz pas playder, ou au petitoire, ou, pour les tiltres, devant mon official forain resident dans le royaume, ou devant Monsieur l'Archevesque de Vienne, nostre Metropolitain? Il m'est advis qu'en France les tribunaux ecclesiastiques ne sont pas inhabilités a decider de telles causes; neanmoins je ne le sçai pas bonnement.

  A015002835 

 Or, je vous represente l'un et l'autre, affin quil vous playse, Monsieur, si vous le juges raysonnable et que je ne me soys pas trompé en mon discours, d'oster l'un et l'autre, en sorte que les lettres puissent estr'utiles a ceux pour lesquelz vostre faveur les a obtenues; car il ne manquera pas d'entrepreneurs qui, par le manquement de l'execution de telles charges, attaqueront ces pauvres curés pour avoir leurs benefices, viande si friande en ce tems, que les plus incapables en veulent plus avoir..

  A015002836 

 Je ne dis pas cela, Monsieur, pour faire le refuseur, mays seulement pour dire avec, confiance de vostre amitié, que je ne seray jamais prætendeur.

  A015002837 

 Je ne laisse pas pourtant, Monsieur, de vous estre extremement obligé, et ne me puis empesché (sic) de desirer que je puisse un jour vous l'aller tesmoigner a Paris.

  A015002860 

 Ce n'est pas que j'espere rien de cette poursuite [299] en un siecle si plein de considerations humaines, mays au moins empescheray-je la præscription; et si Dieu nous envoye une sayson plus pieuse, ce sera tous-jours un advantage d'avoir demandé..

  A015002860 

 Je ne puis pas perdre cett'occasion de vous ramentevoir mon affection qui vous honnore au dessus de toutes les pensees que vous en sçauries jamais avoir.

  A015002861 

 Nos ambassadeurs de deça sont revenus de la diete de Bades, ou ilz pensoyent que l'authorité du Roy et l'entremise des Cantons catholiques auroyent disposé les Bernois a la restitution du païs de Vaux, ou au moins a convenir d'arbitres pour un journee amiable; mays ilz ont treuvé tout au contraire, car les Bernois n'ont quasi pas voulu entendre la proposition, et nul n'a parlé en nostre faveur.

  A015002862 

 Voyla nos nouvelles, et n'est pas besoin que je vous die que je ne desire pas que l'on sache que je les escrive, car aussi ne les escrirois-je pas a un autre qu'a vous, a qui je suis tout extraordinairement,.

  A015002867 

 Monsieur, je ne parle plus du deplaysir que j'ay eu de n'aller pas vers vous, mays je ne le puis oublier..

  A015002883 

 Je vous renvoye les papiers de devotion, que je treuve bien utiles; mays si on les imprimoit, je ne voudrois pas que vostre nom y fust descouvert, pour ne point donner lieu aux babillardz d'en parler, et sur tout l'œuvre estant si courte..

  A015002886 

 Selon mon jugement, ce n'est pas hazarder que de se confier un peu extraordinairement a Nostre Seigneur es desseins de son service..

  A015002917 

 Et ce pendant, vous sçaves bien que vous ne deves pas jeuner aujourdhuy, car nostre glorieuse Reyne et Maistresse a besoin de ce peu de forces qui vous restent pour d'autres services qu'elle veut des-ormais tirer de vous..

  A015002927 

 Mais il ne fut pas dit, ni ne le devoit estre, que les femmes n'entrassent pas au chœur; car, pour plusieurs occasions, il est raysonnable qu'elles y entrent, pourveu que ce soit avec la modestie que la sainteté du lieu requiert.

  A015002927 

 Prenés donq discrettement la place, pour vos prieres, qui vous sera plus propre, pourveu que ce soit sans banc; car je ne voudrois pas que vostre banc fust aupres de l'autel, a cause [de] la messeance.

  A015002942 

 Hier, monsieur le Comte de Saint Alban et madame la Contesse sa femme passerent icy, mays nous n'eusmes pas le bien de les voir..

  A015002977 

 Vous ne recevés pas vos remedes par vostre eslection ni par sensualité; c'est donq par obeissance et par rayson: y a-il rien de si aggreable au Sauveur?.

  A015002979 

 N'occupés pas vostre esprit [311] es affaires, et recevés humblement et amiablement les petitz traittemens que vostre infirmité requiert..

  A015002988 

 J'ay bien veu au sermon nostre bienaymee fille Françoise, mais je n'ay pas osé luy demander comme ma tres chere Mere se portoit; car il y avoit trop de gens qui m'eussent oüy, et eussent esté en peyne de curiosité pour sçavoir quell'estoit cette tres chere Mere, autre que Dieu et ses Anges et ses Saintz, et nostre cœur, ne sachant combien l'affection qui me rend pere, filz et une mesm'ame avec vous, est suffisante et plus que suffisante pour faire cela..

  A015002989 

 Mays pour ce qui nous regarde, vous sçaves que Dieu m'a osté a moy mesme, non pas pour me donner a vous, mais pour me rendre vous mesme.

  A015002991 

 Non, ce n'est pas le P. Archange du Tillet, c'est le P. Constantin de Chamberi qui sera nostre prædicateur le reste de cet Advent, et moy je seray souvent celuy de nos cheres Seurs, car ce n'est pas souvent, soit tous-jours, que je suis le vostre..

  A015003000 

 Sans doute, ma tres chere Seur, que je ne passeray jamais en Bourgoigne sans aller voir vostre ame bien-aymee, qui est tous-jours presente a la mienne; mais je ne suis pas prest pour aller en ces quartiers la.

  A015003001 

 Mais je ne sçai nulles nouvelles de vostre santé, c'est a dire de l'estat de vostre pauvre jambe, de laquelle vous ne me faites nulle mention, non plus que si vous n'esties pas ma chere Fille, et que cette jambe ne fust pas la meilleure des deux pour vous avancer en la perfection de l'amour divin.

  A015003002 

 M. l'Abbé de Saint Maurice ne donne pas la survivance pour le prieuré de Semur, ne le pouvant pas faire; mais en toute occurrence de vacance, je feray tout ce qui me sera possible pour monsieur vostre frere..

  A015003015 

 Faut-il pas louer Dieu de tant de graces que nous avons receuës, et le supplier de respandre le sang de sa Circoncision sur l'entree de l'annee prochaine, affin que l'Ange exterminateur n'ayt point d'acces en icelle sur nous? Ainsy soit il, ma chere Mere, et que, par ces annees passageres, nous puissions heureusement arriver a l'annee permanente de la tres sainte eternité..

  A015003047 

 Helas! donq, il n'est pas vray que vostre devotion soit malade quand vous l'estes.

  A015003047 

 Non certes, ma tres chere Fille, mais vous n'en sentes pas la consolation si souvent, et ne pouves pas faire les actions exterieures; en quoy ne consiste pas l'amour divin, mais en la resolution du cœur, qui veut a jamais et inseparablement demeurer uni de toutes partz a la volonté divine..

  A015003058 

 Ce n'est pas mal fait de trembler quelquefois devant Celuy en la presence duquel les Anges mesmes tremoussent quand ilz le regardent en sa majesté; a la charge toutefois que le saint amour, qui predomine en toutes ses œuvres, tienne aussi tous-jours le dessus, le commencement et la fin de vos considerations..

  A015003059 

 Corrigés-vous tous-jours de quelque chose; mais ne faites pas ce bon office par force, ains taschés d'y prendre playsir, comme font les amateurs des exercices champestres a esmonder les arbres de leurs vergers..

  A015003071 

 Il ne se peut faire que l'entendement ne face quelquefois des eslancemens pour s'appliquer, et il ne faut pas s'amuser a s'en tenir dessus sa garde, car cela serviroit de distraction; mais il faut se contenter que, vous en appercevant, vous retournies simplement aux actions de la volonté..

  A015003073 

 Dequoy sers tu la? quel proffit te revient il d'estre ainsy? [321] Ce n'est pas pour mon service que j'y suis, c'est pour servir et obeir a la volonté de mon maistre.

  A015003073 

 Mais ne voudrois tu pas bien avoir du mouvement pour aller plus pres de luy? Non pas, sinon qu'il me le commandast.

  A015003073 

 Mais tu ne le vois pas.

  A015003085 

 Tenés bien Jesus Christ crucifié entre vos bras, car l'Espouse l'y tenoit comme un bouquet de myrrhe, c'est a dire d'amertume; mais, ma tres chere Fille, ce n'est pas luy qui nous est amer, c'est luy seulement qui permet que nous, nous soyons amers a nous mesmes.

  A015003095 

 J'oubliay hier de vous reprendre dequoy vous ne recevies pas en simplicité la parole de Dieu, ains avies des aversions qui vous la rendoyent moins suave des uns que des autres.

  A015003103 

 Non, car il est bien juste et raysonnable que vous pleuries un peu; mais un peu, ma chere Fille, en tesmoignage de la sincere affection que vous luy porties, a l'imitation de nostre cher Maistre qui pleura bien un peu sur son amy le Lazare, et non pas toutefois beaucoup, comme font ceux qui, colloquans toutes leurs pensees aux momens de cette miserable vie, ne se resouviennent pas que nous allons aussi a l'eternité, ou, si nous vivons bien en ce monde, nous nous reunirons a nos chers trespassés pour ne jamais les quitter.

  A015003103 

 Nous ne sçaurions empescher nostre pauvre cœur de ressentir la condition de cette vie et la perte de ceux qui estoyent nos delicieux compaignons en icelle; mais il ne faut pourtant pas desmentir la solemnelle profession que [325] nous avons faitte de joindre inseparablement nostre volonté a celle de nostre Dieu..

  A015003103 

 O Dieu! je n'ay garde, ma tres chere Fille, de vous dire: Ne pleurés pas.

  A015003105 

 Il n'est pas besoin d'user de paroles mesme interieures; il suffit d'eslancer son cœur ou de le reposer sur Nostre Seigneur.

  A015003105 

 Ne vous mettes pas en peyne de vostre orayson ni de cette varieté de desirs qui vous viennent, car la varieté des affections n'est pas mauvaise, ni le desir de plusieurs vertus distinctes.

  A015003116 

 Ledit sieur Berthelot est un jeun'homme fort eveillé; mais il ne faut pas laisser de le traitter devotement et de l'entretenir selon le loysir que vous en aures.

  A015003117 

 Bonjour, ma tres chere Fille; pour ce jourdhuy je n'iray pas vers vous, voulant laisser le loysir a cet (sic) autre visite.

  A015003127 

 Je l'appellerois excessif, si je considerois seulement l'indignité de celuy qui le reçoit; mais je voy bien que la source d'ou il procede, Monsieur, ne permet pas que l'on puisse nommer ainsy cette faveur, quoy qu'elle excelle au dessus de toutes autres, puis que vous me favorisés selon ce que vous estes, Monsieur, et non selon ce que je suis, qui certes ne suis rien, sinon en l'affection avec laquelle je revere Vostre Grandeur, pour la prosperité de laquelle je respans plusieurs bons souhaitz devant ce grand Dieu du Ciel, qui gratifie volontier les grans de la terre qui gratifient les petitz [329] et qui leur sont doux, gracieux et favorables ainsy que vous m'estes, Monsieur, et que je vous supplie de m'estre tous-jours, me regardant comme.

  A015003151 

 Je vous asseure, ma tres chere Fille, que vostre affliction m'a touché vivement, ne doutant point qu'elle ne vous ayt esté fort rude, d'autant que vostr'esprit, comme celuy du reste des hommes, ne voyant pas la fin et intention pour laquelle les choses arrivent, il ne les reçoit pas en la façon qu'elles sont, mais en la façon quil les sent..

  A015003152 

 A vostr'advis, ma chere Fille, vos vœuz et vos devotions ne sont ilz pas bien recompensés? Vous les faysies pour luy, mais affin quil demeurast icy [331] avec vous, en cette vallee de miseres; Nostre Seigneur, qui entend mieux ce qui est [bon] pour nous que nous mesme, a exaucé vos prieres en faveur de l'enfant pour lequel vous les faysies, mais au despens des contentemens temporelz que vous en prætendiés..

  A015003152 

 Dites moy, je vous supplie, ne pouvoit-il pas devenir avec l'aage fort desbauché? Ne pouvies vous pas recevoir beaucoup de desplaysir de luy a l'advenir, comme tant d'autres meres en reçoivent des leurs? car, ma chere Fille, on en reçoit souvent de ceux desquelz on en attend le moins.

  A015003153 

 A la fin de nos jours, lhors que nos yeux seront desillés, nous verrons que cette vie est si peu de chose quil ne failloit pas regretter ceux qui la perdoyent bien tost: la plus courte est la meilleure, pourveu qu'elle nous conduise a l'eternelle..

  A015003153 

 En verité, j'appreuve bien la confession que vous faites, que c'est pour vos pechés que cest enfant s'en est allé, par ce qu'elle procede d'humilité; mais je ne croy pas pourtant qu'elle soit fondee en verité.

  A015003153 

 Non, ma chere Fille, ce n'est pas pour vous chatier, c'est pour favoriser cet enfant que Dieu l'a sauvé de bonn'heure.

  A015003174 

 Mays faut il pas que je vous die le desplaysir que j'eu hier de la nouvelle de la mort de nostre monsieur le baron de Lux, tué, comme l'on dit, d'un coup de pistolet [335] par le chevalier de Guyse.

  A015003188 

 Je ne suis pas d'advis que vous advertissies si tost le commis a Thueri, jusques a ce quil ayt rendu du [337] service a peu pres de l'argent quil a receu, car il n'a point quitté ces (sic) partis praecedens et tumbera tous-jours sur ses pieds; de sorte quil suffira de l'advertir quand on sera prest d'en colloquer un autre.

  A015003189 

 Nous attendrons les nouvelles apportees par le sieur de Farnex, et cependant espererons qu'elles sont bonnes, puisquil n'est pas empressé de les delivrer..

  A015003255 

 Et pour en retirer plus de gloire, je n'ay pas oublié d'en faire part a tous ceux de cette ville que j'estime capables de peser le bonheur que ce m'est destre aymé de vous, auquel ne pouvant donner avec contreschange, je fay pour le moins humble reconnoissance que mon devoir surpasse mes forces, les-quelles neanmoins vous les dedie toutes a l'honneur de vostre service..

  A015003258 

 Que si quelquefois, comme je n'en doute pas, vous me favorises de quelque mention de nous ensemblement, je vous conjure, Monseigneur, que ce soit comme de.

  A015003266 

 A la verité, je ne sçavois pas, ma tres chere Fille, que vostre affliction eust si violemment opprimé vostre cœur; mais quand je l'ay sceu, j'eusse volontier pris resolution d'aller vous porter le mien et, avec iceluy, toutes les consolations qu'il eust pleu a Dieu me fournir.

  A015003343 

 Mais dites moy, je vous prie, ma chere Fille, eussies [352] vous bien peu croire qu'une affection plantee de la main de Dieu, arrousee par tant d'obligations que je vous ay et a vostre Mayson, fut sujette a diminution ou esbranslement? Non certes, ma tres chere Seur, ma Fille, il n'est pas possible qu'une amitié vraye et solide puisse jamais cesser..

  A015003344 

 Quelle joye dequoy vostre Monastere va si bien et qu'il fait honneur, devant Dieu et ses Anges, a M. de Sauzea! Certes, je ne suis pas Ange, mais je l'en honnore davantage, et prie Dieu qu'il restablisse de plus en plus cette sainte famille en son amour.

  A015003346 

 Je dis, si vous venés, parce que, encor que ce me seroit un contentement extreme de vous voir a souhait en nos pauvres petites contrees, si est-ce que je ne voudrois pas tirer sur moy le contregré de messieurs vos proches, s'ilz en avoyent, en vous le conseillant, ni aussi prejudicier a ma consolation en ne vous le conseillant pas.

  A015003347 

 Mes freres sont tous vos serviteurs tres humbles, sur tout mon frere de Boisy, qui n'est pas present maintenant que j'escris; et si, je ne l'ay point adverti..

  A015003395 

 Conduisés-vous en la Communion au gré de vostre confesseur, car il luy faut donner cette satisfaction, et vous ne perdrés rien pour cela; car ce que vous n'aurés pas par la reception du Sacrement, vous le rencontreres en la sousmission et obeissance..

  A015003411 

 Et bien quil y eut quelque chose de ce qu'on dit des excommunications, je ne laisserois pas de m'acheminer, esperant qu'en toutes occasions Dieu me fera la grace de ne point m'oublier du devoir que j'ay a l'Eglise et au Prince..

  A015003412 

 Mays sur tout, ne manques pas de m'avertir au plus tost de ce que vos remonstrances auront operé; car selon l'advis que je recevray, je disposeray autrement de mon despart, et peut estre de la circonstance du voyage, d'aller a pied ou a cheval jusques a Thurin..

  A015003412 

 Somme toute, ne permettes pas que monsieur l'Abbé prenne cette si grande incommodité, et sur tout quil mette en compromis sa santé, car ce me seroit un'excessive peyne de le voir en peyne et un continuel mesayse de le voir en danger.

  A015003413 

 J'apprens que vous aussi et monsieur le Curé de Bons ne feres pas qu'avec incommodité ce voyage, et je vous prie, mais de tout mon cœur, de ne vous en incommoder nullement et de dissuader aussi ledit Curé de Bons; car plustost que d'incommoder mes amis en chose non necessaire, je romprois le voyage tout a fait.

  A015003433 

 Eusse-je pas esté mieux si mon bonheur eut permis l'effect de vostre volonté, et que j'eusse presché en vostre chaire et jouy de la douceur de vostre conversation et de la presence de Monsieur nostre Evesque qui est lâ? J'espere, dans le moys, partir pour Thurin, ou je feray tout ce qui me sera possible affin d'avoir ma liberté pour l'annee suivante; car le desir du bien que j'attens de vostre [363] veüe et du rencontre de tant de gens d'honneur qui, pour vostre consideration, me recevront en leur conversation, est extreme dedans mon cœur.

  A015003438 

 Monsieur, j'escris en sursaut, c'est pourquoy je ne vous envoye pas les papiers du conte fait entre mes freres et les agens de madame la Duchesse de Mercœur, comme je feray bien tost, puisque vostre bonté s'estend a vouloir en recevoir la peyne..

  A015003455 

 Je voudrois bien en cette occasion vous donner quelque sorte de bonne consolation, mays je n'ay pas dequoy.

  A015003502 

 Si madame la Comtesse nous envoye des bouteilles, on les emplira tant quil y aura du piqu'ardent, et si nous [371] eussions eü des ampolons a suffisance, nous n'eussions pas oublié de vous envoyer vostre part.

  A015003561 

 Dieu nous face brusler de son saint amour et mespriser tout pour cela; Nostre Seigneur soit le repos de nostre cœur et de nos cors! Tous les jours j'apprens a ne point faire ma volonté et faire ce que je ne veux pas.

  A015003571 

 Au demeurant, Disdiere n'est pas assez clairvoyante pour juger dignement de mes actions et beaucoup moins [377] de mes intentions, et partant vous aves bien fait, et tous mes amis aussi, de ne point la croire quand elle vous a dit que je m'estois destournee de la vraye foy en un seul Christ, pour adhserer aux fables, traditions et inventions des hommes.

  A015003573 

 Dont, comm'une pauvre petite brebiette esgaree qui retrouve en fin le trouppeau que par mesgarde ell'avoit laissé, je m'y suis librement, [379] volontairement et par franche election, remise et reunie, n'ayant pas voulu refuser au Saint Esprit l'exercice de sa grace en mon cœur, ni a la verité divine, l'hommage que mon entendement luy devoit; affin que les propheties, qui prædisent en tant d'endroitz le retour des ames a l'Eglise, fussent heureusement accomplies en moy et par moy, et qu'ayant esté une des estoiles errantes, desquelles parle saint Jude, en un ciel apparent et contrefait, je fusse meshuy un'estoile du vray firmament, qui est l'Eglise Catholique, en laquelle on ne connoist le grand dragon roux que pour le combattre et fouler aux pieds, ains escraser et exterminer par la force de la Parole de Dieu, pure, simple et entiere; Parole qui est la vraye espee et le vray bouclier des croyans, et a laquelle nul homme n'a touché pour en oster un seul mot, y adjouster un seul point, ou y broüiller le vray sens, que soudain il n'ayt esté repris, puis condamné par la mesme Esglise..

  A015003574 

 Comm'en effect, je ne m'espancherois pas mesme si avant a parler [380] de cette grace que j'ay receüe avec un'autre qu'avec vous qui m'aymes, et que je prie ne point communiquer la presente, pour ne me point rendre plus odieuse a ceux qui croyront que ce mien despart d'avec eux m'en rende digne, et lesquelz, non obstant cela, je ne laisseray neanmoins de cherir d'une vraye et sincere dilection, priant, etc..

  A015003574 

 Mais ce bon Dieu qui ne nous manque jamais es choses necessaires a nostre salut, m'a donné la lumiere requise pour le voir et l'embrasser, par ce que sans cela je me fusse perdue, et ne m'a pas donné le moyen de bien declairer ce que j'ay conneu et connois par cette lumiere, par ce que ce n'est pas a moy d'instruire ni enseigner.

  A015003585 

 Je ne respons encor pas aux articles quil vous a pleu me faire envoyer, par ce que je n'ay encor sceu retirer le double de la fondation de la Mayson de Thonon, qui estoit la principale piece que vous me commandiés de vous faire tenir.

  A015003633 

 N'entendant pas que la dite pension de trois cents florins et augmentation de quarante livres par cy apres, soient payez par nous lorsque le revenu de la cure sera reuny, comme il estoit anciennement..

  A015003633 

 Nous assurons que plusieurs curés n'en ont pas tant, et que la religion ne nous sauroit contraindre d'en donner davantage, d'autant que nous surpassons la portion congrue; et sommes mary ne pouvoir donner telle pension que celle de Cessy, selon qu'il est porté par la vostre, d'autant qu'il nous est impossible, [386] parce que le revenu n'est pas semblable, pour ce que ledit prieuré de Dyvonne est chargé de la troisiesme partie du revenu de pension annuelle au resignataire, par authorité du Saint-Siege, outre les pensions annuelles qu'il nous faut payer trois cent vingt livres, pour l'argent emprunté pour le remboursement du prix auquel on a esté condamné par arrest à Paris.

  A015003634 

 Si non, nous vous supplions ne pas trouver mauvais si nous maintenons nos privileges, que nous croyons que vous nous conserverez; qui nous fera sur ce vous baiser tres humblement les mains, et prier Dieu de vous conserver et vous donner santé longue et heureuse vie, nous qui sommes,.

  A015003653 

 Il est vray, Monseigneur, je ne suis qu'un pecheur et le dernier de nostre Compaignie; mais Dieu me donnoit des mouvemens si vifs d'asseurer madame de Chantal que le Ciel luy vouloit donner l'eau de la Samaritaine par le canal de vos levres, que si les Anges fussent venus troupes a troupes pour m'en dissuader, je ne crois pas qu'ilz l'eussent peu faire, parce que l'impression estoit du Roy des Anges..

  A015003655 

 N'ay-je pas donc sujet de dire: Benite soit la pierre, beni soit l'ouvrier, et beni soit eternellement l'Architecte celeste qui, dans son idee eternelle, avoit fait le projet de cet edifice? Il me semble, Monseigneur, que cette Congregation manquoit encor a l'Eglise, et que Dieu vous ait suscité en nos jours pour l'eriger.

  A015003656 

 Il me reste de recourir a vous pour cet effect, car je crois que madame de Chantal ne me refusera pas cette grace, puisqu'elle sçait mes besoins, et de plus, que je suis.

  A015003669 

 Je me condamnois neantmoins en ce que vostre bonté et courtoisie, joiend au soien quil vous plaist avoir de mon bien et salut, m'avoit prevenue, encore que la faute ne provenoit pas d'obliance ni moins de reconnoissance de mon devoir; car il y a plus de huict jours que j'avois dressé une lettre pour vous l'envoyer à la premiere comodité.

  A015003685 

 Les petits chiens, [qui] aiment grandement leurs maistres et que leurs maistres aiment bien, ne laissent pas de les importuner [390] quelquefois de leurs griffes, mesme en leur tesmoignant qu'ils les aiment et en les caressant.

  A015003717 

 Nous ne sommes pas icy, par la grace de Dieu, oisifz, mais nous n'advançons pas tant que nous voudrions bien.

  A015003920 

 Si ce feut esté pour une conference, ou bien une [413] assemblee pour disputer les droits de S. A. S., cela estoit bien, car trois sçavent plus que non pas un.


16-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XVI-Vol.6-Lettres.html
  A016000007 

 Pas être utilisés à des fins commerciales de toute nature!.

  A016000022 

 La clôture ne lui paraît pas conforme à l'esprit de cet Institut. 22.

  A016000023 

 — Les voies les plus faciles ne sont pas toujours les meilleures.

  A016000024 

 Une âme dévoyée: pourquoi les «Dames de la Visitation» ne sont pas répréhensibles de l'avoir assistée.

  A016000034 

 Saint François de Sales n'est pas insensible aux petites marques d'une sainte amitié.

  A016000044 

 — Pourquoi le Saint ne voulait pas d'abord et voulut ensuite que la Mère de Chantal fût «abeille». 39.

  A016000052 

 — Ne pas subtiliser, ne pas picoter sur sa conscience.

  A016000058 

 — Les «pauvres gens» servis comme frères et membres de Jésus-Christ, plus heureux que le «pauvre pere.» — Espérance qui consolait celui-ci de ne voir pas à son gré ses filles de la Visitation. 53.

  A016000094 

 — Pourquoi il ne veut pas qu'on demande de sa part du beau papier à M. Rolland. 86.

  A016000130 

 — Une amitié un peu forte ne doit pas être chatouilleuse.

  A016000132 

 — Propriétés de l'eau vive que l'on puise en Notre-Seigneur par la sainte oraison; erreur et malheur des familles religieuses qui ne s'appliquent pas à cet exercice.

  A016000136 

 Témoignages de sympathie à un ambassadeur qui n'avait pas réussi dans sa mission.

  A016000158 

 — Une besogne qui n'est pas déplaisante à son auteur.

  A016000164 

 — Un présent qu'il n'a pas reçu. 152.

  A016000169 

 — Les souffrances spirituelles de la Mère de Chantal ne troublent pas son saint Directeur. 156.

  A016000178 

 — Quels esprits ne sont pas bons à l'office de chapelain.

  A016000196 

 — Pourquoi les princes sont tenus en conscience de ne pas recevoir sans examen les accusations.

  A016000202 

 L'amour ne va pas toujours en ordre.

  A016000202 

 — Pourquoi, même à Sainte-Claire, François de Sales, en parlant de saint Joseph, n'a pas eu la ferveur qui lui est habituelle à la Visitation.

  A016000205 

 — Pourquoi le saint Evêque voudrait et ne voudrait pas châtier la mutinerie.

  A016000209 

 — Ne pas recevoir les postulantes avant l'âge requis.

  A016000268 

 Je vous escriray dans deux ou troys jours par M. de Vallon, et a tous mes amis, sinon que je fusse si heureux de pouvoir estre despeché pour aller moy mesme; mays ce tems de guerre ne me fait pas faveur pour cela.

  A016000291 

 Aussi, à l'avenir, Sérénissime César, je ne cesserai pas d'offrir [4] mes Sacrifices et mes prières, afin d'apaiser le Dieu tout bon et tout-puissant, pour qu'il vous envoie son secours d'en-baut et qu'il confirme entièremement votre pieux projet..

  A016000303 

 Je vous ay des-ja fait sçavoir que nous aurons madame la Duchesse de Mantoue, qui est la vertu mesme, pour nostre protectrice; mays il ne faut pas encor en faire du bruit, pour une rayson que je vous diray.

  A016000319 

 Je receu a Thurin vostre lettre du 30 mars, avec une extreme confusion d'y voir le remerciment que vous me faites de ma perseverance au desir de servir vostre parroisse le Caresme prochain; puisque ma volonté, [7] ma perseverance, mon esperance demeurent frustrees et inutiles, Son Altesse ne m'ayant pas voulu accorder que je sorte d'icy pour les praedications, avec des paroles tant honnorables que rien plus, mais nullement favorables a mon intention.

  A016000321 

 Hors le tiltre et l'obmission de l'Advant Propos, sans lequel ce livre semble un songe, je n'en serois pas si fasché, bien que tous-jours ce seroit un'incivilité commise en mon endroit.

  A016000344 

 Faites moy lhonneur, je vous supplie, de me continuer aussi au rang que vous m'aves donné en vostre bienveuillance, delaquelle je suis extremement jaloux et ambitieux, comme d'un bien que je ne merite pas et que neanmoins m'est assigné..

  A016000378 

 Toutefois, si l'assemblee est de telle qualité qu'elle puisse suffire, il ni aura pas grand hazard, puisque mesme ce [14] n'est que pour prendre un compromis.

  A016000389 

 Croyes, je vous supplie, que je ne suis pas si ingrat et nonchalant que d'avoir oublié ce devoir-la.

  A016000389 

 J'ay esté estonné quand j'ay sceu que vous n'avies pas receu le remerciment que je vous avois fait, pour l'honneur qu'il vous pleut me departir en m'escrivant.

  A016000389 

 Mays puisque cette action de grace ne vous est pas arrivee, je la refay maintenant de tout mon cœur, vous asseurant que c'est avec un grand surcroist de l'estime que j'avois de vostre bienveüillance, par la description plus particuliere que Madame de Baume m'a fait des qualités et conditions de vostre esprit, que j'ay treuvé extremement aymable, priant Dieu qu'il luy playse les affermir et accroistre de plus en plus.

  A016000404 

 A Milan, d'ou je viens, il y a quantité de Congregations, mais pas une n'observe la closture, ains sortent pour de certaines causes limitees et gaignent beaucoup en leurs sorties.

  A016000404 

 Or, pour le regard de l'advis que vous me demandes, je vous diray sans hesiter, que vous ne deves [18] nullement vous obliger a la closture; vostre Institut ne tend pas a cela.

  A016000412 

 Les voyes les plus faciles ne nous menent pas tous-jours plus droitement ni asseurement; on s'amuse quelquefois tant au playsir qu'on y a et a regarder de part et d'autre les veuës aggreables, qu'on en oublie la diligence du voyage..

  A016000413 

 Helas! ma tres chere Mere, que la vanité fait de tort a ces chetifz petitz espritz, qui ne se connoissent pas et se mettent entre les hazars! Mais pourtant, comme vous sçavés, en bien remonstrant, il faut user d'amour et de douceur; car les advertissemens font meilleure operation comme cela, et autrement on pourroit detraquer ces cœurs un peu foibles.

  A016000425 

 Je n'escris pas a M me la Generale, mais puis [22] qu'elle se confie en vous, vous luy dires que cette creature s'en est allee a Belley, et espere qu'elle ne reviendra plus que pour amasser ses hardes et se retirer du tout..

  A016000499 

 Le bonhomme monsieur du Noyeret a quelque opinion, et moy aussi, que Vostre Grandeur n'ayt pas receu la lettre de sousmission moyennant laquelle elle m'avoit gratifié de le vouloir eslargir, et ses enfans, puisqu'il n'a point encor la jouissance de cette faveur; c'est pourquoy il a derechef escrit la ci jointe, laquelle, en son nom, je presente a Vostre Grandeur, avec tres humble supplication que je vous fay, Monseigneur, de l'exaucer et moy aussi..

  A016000519 

 Vous aures les primices du vin grec de Monpelier, lesquelles, puysque j'avois destinees a monsieur le Marquis de Lans, nostre gouverneur general, se rencontreront a propos entre vos mains pour luy estre donnees, bien que je ne me veuille pas pour cela exempter de luy envoyer les secondes traittes, desquelles aussi, peut estre, reciproquement vous fera-il part..

  A016000521 

 A ce propos, on m'a dit que le sieur Bertelot avoit fait faire des grandes plaintes contre mon frere le chevalier a Son Excellence, mays il se treuvera que c'est a tort et pour des frivoleries: comme de ne le saluer pas, non plus qu'il n'est pas salué de luy, et semblables choses indifferentes et dont les plaintes peuvent estre reciproques, quoy que non egales en l'inegalité des personnes.

  A016000551 

 Je luy conferay ses derniers Sacremens, mais je n'eus pas la consolation de la voir expirer; et certes, c'eust esté avec suavité que j'eusse receu les derniers souspirs de cette premiere de mes filles qui est allee voir au Ciel ce que Dieu reserve et prepare aux autres..

  A016000560 

 O Dieu, quelle admirable pureté de cœur, quelle indifference a toutes choses en cet admirable ange humain, ou homme angelique, qui semble n'aymer quasi pas son Maistre pour l'aymer davantage et plus purement.

  A016000587 

 Ah! non, ma chere Fille, ne soyés pas si cruelle.

  A016000587 

 Tesmoignes luy du gré de sa venue, a ce pauvre jeune Celse Benine; il ne faut pas faire ainsy tout a coup, des si grans signes de cette mort de nostre naturelle passion..

  A016000588 

 Or sus, je vous iray voir, si je puis, mays sobrement; car aupres d'un objet si aymable, nous ne sçaurions pas bonnement estre visibles..

  A016000597 

 Je ne pouvois pas, ce me semble, vous offrir chose plus aggreable, Madame, ni qui tesmoignast mieux a Vostre Grandeur qu'en mon voyage j'ay eu memoire de recommander a la divine Majesté vos vœux et souhaitz par l'intercession de ce grand Serviteur de sa gloire..

  A016000631 

 Je n'ay pas eu loysir de voir nostre Visitation despuis vous, parce que M. d'Abondance ne fait que de partir tout maintenant, lequel a logé ceans..

  A016000668 

 Je ne prie point sans vous, je ne celebre point sans vous; et si, je ne le dis pas par vantance, car je m'y sens infiniment obligé..

  A016000681 

 Vostre Grandeur, qui est bonne, juste et douce a chacun, ne me sera pas, sil luy plait, ni aspre, ni rigoureuse.

  A016000694 

 Je n'estois pas present quand ceci se passa, mais je le sceu soudain..

  A016000711 

 Vous verres bien que, parmi tant de destours, nous ferons prou et que Nostre Seigneur nous conduira par les desertz a sa sainte terre de promission, et que de tems en tems il nous donnera dequoy priser les desertz plus que les fertiles campaignes, dans lesquelles les blés croissent en leurs saisons, mais la manne pourtant n'y tombe pas..

  A016000712 

 Mon Dieu, ma tres chere Mere, quand vous m'escrivistes que vous esties une pauvre abeille, je pensay que je ne le voudrois pas tandis que vos secheresses et afflictions interieures durent; car ce petit animal, qui en santé est si diligent et pressant, perd le cœur et demeure sans rien faire tout aussi tost qu'il est malade.

  A016000721 

 Il y a environ un moys seulement que je receu la lettre qu'il vous pleust de m'escrire le second du moys de julliet; despuis, j'ay tous-jours esté ou en voyage ou malade, et n'ay sceu vous rendre la response que vous desiriés, ou, pour mieux dire, la response que vous ne desiriés pas, si j'ay bien sceu connoistre l'inclination en laquelle vous esties lhors que vous me fistes la faveur de m'escrire..

  A016000732 

 Car ceux qui se confient dans le Seigneur prendront des ailes comme l'aigle; ils voleront et ne defailliront pas; ceux au contraire qui perdent courage, s'évanouiront comme la fumée.

  A016000732 

 Donc, s'exciter à mieux remplir sa tâche, puisqu'il vous semble ne l'avoir pas fait exactement jusqu'à ce jour, c'est bien mieux que de l'abandonner tout à fait.

  A016000732 

 Le soldat qui décampe tout tremblant, trouve sans doute le repos, mais pas autant de sécurité que celui qui combat..

  A016000732 

 Si la pensée ou le désir de quitter l'épiscopat ne constitue aucune faute, dans le sens que je viens de dire, un tel projet, la plupart du temps, n'est pas sans une grave tentation et, très fréquemment, le démon y a sa part.

  A016000732 

 Tel un homme qui songe à répudier sa femme; il ne s'inquiétera pas, en attendant, de l'aimer comme il devrait.

  A016000750 

 Beni soit Dieu eternellement de la bonte qu'il exerce envers vostre ame, Monsieur, l'inspirant si puissamment a la resolution de consacrer le reste de vostre vie mortelle au service de l'eternelle: vie eternelle qui n'est autre chose que la Divinite mesme, entant qu'elle vivifiera nos espritz de sa gloire et felicite; vie, seule vraye vie et pour laquelle seule nous devons vivre en ce monde, puisque toute vie qui n'aboutit pas a la vitale eternite est plustost une mort qu'une vie.

  A016000754 

 Mais c'est asses dit, Monsieur; l'influence celeste, vostre bon Ange et vostre generosité suppleeront a ce que mon insuffisance ne me permet pas de vous proposer.

  A016000766 

 Je veux bien que vous venies demain, si vous vous treuves asses forte, et croyes que si vous aves envie de me voir, je n'en ay pas moins de vous regarder.

  A016000791 

 Mays on pourra indirectement differer, sur ce que sa dote et les autres choses requises ne sont pas encor prestes, et on pourra les retarder par divers moyens; et pendant ce retardement, on taschera de donner ayde a son esprit pour le mieux disposer.

  A016000800 

 Or c'est la verité, que je n'entens pas si asseurement ce que vous me dites, que je n'aye quelque sorte de doute de me tromper; neanmoins il m'est advis que je vous entens suffisamment pour vous respondre..

  A016000801 

 C'est pour nous apprendre deux leçons signalees: l'une, que nous nous devons tous-jours desfier de nous mesme, cheminer en une sainte crainte, requerir continuellement les secours du Ciel, vivre en humble devotion; l'autre, que nos ennemis peuvent estre repoussés, mais non pas tués.

  A016000802 

 Certes, aussi seroit-ce chose digne d'estonnement que nous ne fussions pas sujetz aux attaques et miseres..

  A016000805 

 Reparés ce defaut par les frequens eslancemens de vostre cœur en Dieu, lisés souvent et peu a la fois quelque livre bien spirituel, faites des bonnes pensees en vous promenant, priés peu et souvent, offrés vos langueurs et lassitudes a Nostre Seigneur crucifié; et quand vous seres delivree, reprenés tout bellement vostre train et assujettissés-vous a suivre les matieres de quelque livre propre a cela, affin que [64] venant l'heure de l'orayson, vous ne demeuries pas esperduë comme celuy qui a l'heure du disner n'a rien de prest.

  A016000813 

 Que fusse je autant utile a vostre service comme je suis dedié a vostr' honneur! Au moins n'oublie-je pas de vous souhaiter souvent la paix et consolation celeste pour le bonheur de vostre vie, que Dieu face longue, au milieu de ces chers enfans et des enfans de vos enfans quil vous fait voir..

  A016000829 

 Je vay encor un peu traisnant, et ne suis pas si parfaitement remis que je ne porte les marques du mal passé; je le suis toutesfois assez pour faire mes exercices ordinaires..

  A016000830 

 Je ne vous dis pas que vous aymies ce que vous deves aymer, car je sçai que vous le faites; mais je vous dis que vous soyes esgale, patiente et douce.

  A016000830 

 Tenés ferme, ma chere Fille, entreprenés d'estre parfaitement, le plus que vous pourres, servante de Dieu, selon les advis du livre; car ce sera bien suffisamment pour attirer plus de perfection encor que je n'en ay pas sceu enseigner.

  A016000831 

 Que si vous n'aves pas bien correspondu jusques a present, il y a bon remede, car il faut bien correspondre d'ores-en-avant.

  A016000831 

 Vos miseres et infirmités ne vous doivent pas estonner: Dieu en a bien veu d'autres, et sa misericorde ne rejette pas les miserables, ains s'exerce a leur faire du bien, faysant le siege de sa gloire sur leur abjection..

  A016000832 

 Je sçai bien que de faire mal de guet a pens vous ne le voules pas; les autres maux ne servent qu'a nous humilier.

  A016000880 

 Vous ayant envoyé mon frere pour vous ramentevoir mon obeissance et service, je ne pensoys pas vous faire presenter si tost de mes lettres.

  A016000898 

 La playe de ma jambe s'est voirement agrandie, mais elle ne laisse pas d'estre plus douce et s'en va tout a fait guerie dans cinq ou six jours, comme j'espere..

  A016000899 

 Or sus, ma tres chere Fille, ne faites pas tant la discrette, sous pretexte du respect que vous me voules porter, que vous ne m'escrivies tous-jours quand vostre cœur le treuvera bon; car je vous asseure que le mien le treuvera tous-jours encor meilleur.

  A016000909 

 Certes, j'aymerois bien ce mal qui, estant si petit, m'apporteroit tant de consolation; je n'en voudrois vrayement jamais guerir a ce conte, non pas mesme quand ma Mere seroit venue et qu'elle vous auroit amenee avec elle..

  A016000910 

 Mays, ma tres chere Fille, comme vous sçaves, cela [76] ne doit pas estre ainsy, car encor que l'innocence de ces cœurs de pere et de fille n'ayent pas besoin en leur candeur de tant de retenue, si est ce qu'il faut souffrir celle que l'aigreur des autres cœurs requiert, et que le pauvre pere, tout pauvre pere qu'il est, demeure sans estre visité par ses filles, voire par sa tres chere Mere, sinon qu'il ayt quelque mal qui puisse, par sa grandeur, meriter ce grand bien.

  A016000937 

 Nous ne laisserons pas de sçavoir de vos nouvelles aux occurrences..

  A016000953 

 C'est pourquoy cela ne doit pas estre presenté dans le calice, mais dans un autre vase, ou de verre, ou autrement.

  A016000953 

 En sorte que ce qui se boit apres la Communion par le peuple, ce n'est pas le sang du Sauveur, mais seulement du vin qui se prend pour laver la bouche et faire plus entierement avaler le precieux cors et sang des-ja receu en la tressainte Communion.

  A016000954 

 Et quant au Mariage, il n'est pas raysonnable de le celebrer ailleurs que devant l'autel, puisque c'est un Sacrement si grand, et que ceux qui le reçoivent ne sont pas hors de l'Eglise, comme les petitz enfans qu'on apporte au Baptesme, ains sont des-ja baptizés et, par consequent, introduitz en l'Eglise et a l'autel..

  A016000965 

 Je ne sçai, ma tres chere Mere, si monsieur le premier President a traitté avec vous pour toute la somme que monsieur de Duzonche devoit, car je ne m'en resouviens pas; et neanmoins on me le demande de Foucigni, certains qui doivent traitter avec ledit sieur de Duzonche et a qui il importe..

  A016000991 

 Mays, Monseigneur, avant toutes choses, le bon playsir de Vostre Altesse est requis, lequel ledit Chapitre la supplie tres humblement de luy ouctroyer, comm'un'aumosne a des pauvres bannis et dejettés de leur siege par les ennemis de Dieu et de Vostre Altesse Serenissime; laquelle, certes, pour cela ne les rendra pas riches, puisque ledit prieuré n'est que de cent ducatons de revenu, mais elle les accommodera beaucoup, ce benefice estant en cette ville et [86] fort a la bienseance de cette compaignie qui ne cessera jamais, non plus que moy, de souspirer et aspirer devant la divine Majesté jusques a ce que, sous les auspices de Vostre Altesse, elle retourne en son ancien sejour..

  A016001042 

 Je ne treuveray neanmoins pas mauvays, ains bon, que vous luy parlies selon que Dieu vous le suggerera..

  A016001042 

 Mays, a parler de cœur a cœur entre nous deux, il a un esprit attaché a ses imaginations, qui sont trop grandes et disproportionnees a ses forces et a sa capacité, laquelle n'est pas de gouverner, mais d'estre gouverné.

  A016001043 

 La bonne M me de Chantal ne sçait pas que je vous escrive, car elle vous escriroit sans doute, ayant un'ame toute particuliere en vostre endroit.

  A016001057 

 Je ne l'ay encor pas quittee [92] du tout, mays ce tems pourtant, qui s'est si fort raffroydi, allentit aussi un peu cett'attente.

  A016001058 

 Je n'oublie pas de parler a mes freres de vostre desir, mais mon frere de Villaroget, qui doit adjuster l'affaire, est tous-jours long en toutes choses; je presseray neanmoins, affin que vous ayes le cœur content.

  A016001071 

 Cette seur ne s'en ira pas sans vous porter ce petit bon soir que je vous donne, ma tres chere Fille, avec tout mon cœur qui est tout vostre.

  A016001083 

 Et moy je voudrois bien porter tous-jours vos peynes et travaux, ou au moins vous ayder a les supporter; mais puisque la distance de nos sejours ne permet pas que je vous secoure d'autre sorte, je prie Nostre Seigneur quil soit le protecteur de vostre cœur et quil en bannisse toute tristesse des-ordonnee..

  A016001083 

 Je n'ay pas eü le bien de voir monsieur de Rogemont, mais je ne laisse pas de sçavoir que vous aves esté affligee [95] a rayson de certain pasquin qui a couru par dela.

  A016001086 

 Mays les ames qui, comme vous, n'ont pas cette commodité, peuvent prendre celle de quelqu'autre confesseur, le plus discret et sage qu'elles treuveront..

  A016001087 

 Par exemple: vous ne deves pas enquerir combien de fois vous seres tumbee en cholere, car peut estre y auroit il trop a faire; mais simplement vous dires si vous estes sujette a ce desreglement, si lhors quil vous arrive vous y demeurés engagee longuement, si c'est avec beaucoup d'amertume et de violence, et en fin quelles sont les occasions qui vous y provoquent le plus souvent: si c'est le jeu, la hautaineté ou orgueil, si c'est la melancolie ou opiniastreté.

  A016001087 

 Pour vostre seconde difficulté, je vous dis, ma tres chere Seur, quil n'est nullement besoin en vostre reveiie de marquer particulierement le nombre ni les menues circonstances de vos fautes, ains suffit de dire en gros quelles sont vos principales cheutes, quels vos particuliers detraquemens d'esprit, et non pas combien de fois vous y estes tumbee, mais si vous estes fort sujette et addonnee au mal.

  A016001088 

 De sorte que ces reveües annuelles sont grandement salutaires aux espritz qui sont encor un peu foibles; car si bien les premieres resolutions ne les ont pas du tout affermis, les secondes et troysiesmes les affermiront davantage, et en fin, a force de se resoudre souvent, on demeure tout a fait resolu.

  A016001088 

 Quant a la troysieme difficulté, quelques cheutes es pechés mortelz, pourveu que ce ne soit pas par dessein d'y croupir, ni avec un endormissement au mal, n'empeschent pas que l'on n'ayt fait progres en la devotion, laquelle, bien que l'on perde pechant mortellement, on recouvre neanmoins au premier veritable repentir que l'on a de son peché, mesme, comme je dis, quand on n'a pas longuement trempé au malheur.

  A016001096 

 Mays je viens d'apprendre de plus, que si vous n'acquiesces a cette volonté tant pressante de Monsieur, Son Altesse vous mandera et fera aller recevoir ses commandemens en Piemont, ou si je sçavois que vous peussies effacer les faux entendre sur lesquelz cette persecution vous est faitte, je serois bien ayse que vous allasies; mais je crains, qu'outre la despense, vous ne recevies des nouveaux desplaysirs, car homme d'honneur m'a dit, il ny a pas 24 heures, qu'il sçavoit fort bien qu'en cas que vous vous opposies davantage, on vous fera une nouvelle attaque sur le nom de Gex, lequel ilz presupposent avoir esté pris par vous, quoy que ce soit un nom de prince et d'une terre qui estoit dependante de la couronne de Savoÿe..

  A016001097 

 Mays il faudroit faire cela sans monstrer ni contre cœur ni desplaysir, car faysant cela, vous feries deux choses: l'une, que Monsieur connoistroit tant plus tost le tort qu'il permet vous estre fait par la trop grande creance quil a en vos hayneux; l'autre, que ceux qui vous pensent fascher n'en auroyent pas le goust qu'ilz s'en promettent, quand ilz verroyent que vous vous mocques et mesprises leurs attaques et les effets de leurs efforts.

  A016001098 

 Voyla mon advis, et vous asseure que si l'on faysoit le mesme tort qui vous est fait, a mes freres, je m'en rirois et voudrois [avoir] tant de courage que de mespriser le mespris et me moquer d'une si maigre vengeance; car en fin, tous les gens d'honneur voyent bien qu'on vous recherche par pure passion, et que le tems ne porte pas qu'on puisse treuver du remede a ce mal, et qu'en somme, il faut ceder aux volontés des puissances superieures, et qu'en somme, il ni va ni peu ni prou de vostre honneur.

  A016001099 

 Je vous escris sans loysir, mais non pas sans une tres grande affection de vous rendre du service, et vous supplie de prendre en bonne part mon advis.

  A016001113 

 Pour les hommes, ilz ne sont pas du comte ( sic ).

  A016001125 

 Vous n'aures pas peu gaigné, ma tres chere Fille, si vous aves reduit M. le Prieur de Blonnay a une vraye indifference, car jusques a present il a esté merveilleusement attaché a son projet.

  A016001127 

 Mon frere de la Thuille nous dira de vos nouvelles, puisque, comme vous m'escrives, il ne fera pas le voyage de M me l'espousee.

  A016001150 

 Les jeunes ne sortent jamais de la maison (les hommes n'y entrent pas), mais seulement les anciennes et mûres d'âge; et c'est pour secourir les malades, les femmes surtout.

  A016001150 

 Pour celles-ci, en effet, en cas de pauvreté, il y a beaucoup à pâtir dans cette ville, avec seulement un pauvre hôpital qui n'a pas le moyen de leur faire de grandes charités.

  A016001154 

 Cela est d'autant plus juste que la Congrégation ne mendie pas, mais [107] s'établit au contraire aux frais des Dames assemblées.

  A016001154 

 Elle ne prétend pas non plus avoir jamais de revenu, si ce n'est pour l'entretien des bâtiments, de la sacristie, de l'aumônier et pour payer le médecin, soit avec des rentes annuelles, soit par d'autres moyens qui ne chargent personne et qui n'apportent aucun empêchement aux impôts ou tailles du Sérénissime Duc.

  A016001192 

 Mais je dis plus, et le dis devant Nostre Seigneur: que quand j'aurois bien de l'interest d'un costé plus que de l'autre, j'espererois cette grace de la divine Majesté, de n'estre pas si passionné et desordonné en l'amour propre, que sçavoir mauvais gré a qui ne suivroit pas mon parti.

  A016001192 

 Non certes, je ne pense pas que ni mon sentiment, ni mes opinions, ni mes interestz doivent servir de regle a pas un homme du monde, et particulierement a mes amis; trop obligé que je leur seray si, reciproquement, ilz ne m'estiment rien moins leur affectionné et veritable amy quand je seray d'autre opinion qu'eux.

  A016001193 

 Mais ne vous parlay-je pas clair a vostre despart? Ce fut de bon [114] cœur que je dis alhors (je le repete maintenant et le diray encor ci apres): Unusquisque abundet in suo sensu, dummodo glorificetur Christus..

  A016001194 

 J'ay des-ja esté recusé par l'une des parties, qui se plaint de moy; il n'est pas a propos de me jetter les plaintes de l'autre sur les bras..

  A016001194 

 Tout le desplaysir que j'ay en ceci, c'est de ne vous pouvoir pas asses plaire et m'accommoder a vostre desir, mesmement en ce qui est d'escrire a Monseigneur le Cardinal Bellarmin.

  A016001196 

 Nostre amitié n'est pas fondee sur la reformation ni des unes ni des autres: c'est pourquoy je vous supplie de me bien conserver la vostre au travers de toute cette negociation, comme, de mon costé, je suis invariable en celle que par tant de respectz je vous dois.

  A016001202 

 J'ay sceu le peu de conte que l'on tint de l'Evesque du lieu au conseil de la N.; mais si, ne puis-je pas m'esmouvoir a rien faire qu'apres une meure deliberation, car il faut ne point faire de faute quand l'on s'oppose aux fautes.

  A016001207 

 Si fay, si fay de par Dieu, ma tres chere grande Fille, je sçay bien quel cœur vous aves en mon endroit; mais [117] ne voules vous pas que je prenne le tems et la saison pour y planter les plantes des vertus plus excellentes, desquelles le fruit est eternel? Or sus, je n'ay nul loysir, mais je vous dis en verité, que vostre lettre a embaumé mon ame d'un si delicieux parfum, que de long tems je n'avois rien leu qui m'eust donné une si parfaite consolation.

  A016001228 

 Je vous prie, reposés le plus doucement que vous pourres aupres du petit celeste Enfant; il ne laissera pas d'aymer nostre cœur bienaymé tel que vous l'aves, sans tendreté et sans sentiment.

  A016001228 

 Voyes-vous pas qu'il reçoit la haleine de ce gros bœuf et de cet asne, qui n'ont sentiment ni mouvement quelconque? Comme ne recevra-il pas les aspirations de nostre pauvre cœur, lequel, quoy que non tendrement pour le present, solidement neanmoins et fermement, se sacrifie a ses pieds, pour estre a jamais serviteur inviolable du sien et de celuy de sa sainte Mere et du grand gouverneur du petit Roy?.

  A016001248 

 Et quand le vostre luy parlera, n'oublies pas, ma chere Mere, de luy faire parler encor en faveur du mien, affin que sa divine et cordiale Majesté le rende bon, obeissant et fidele..

  A016001287 

 C'est, a la verité, une honte bien grande pour vous si les laïcs prennent la connoissance de la correction sur ceux du cors auquel on vous a donné pour chef; mais ce sera encor quelque sorte de reproche pour moy qui vous y ay porté, si je ne surveille pas a vous assister, et sembleray estre coulpable de tout ce qui s'y fera, avec vous, bien qu'en verité, ni vous ni moy ne puissions pas tout empescher..

  A016001296 

 Ce pauvre chantre devint, comme vous, sourd, et n'oyoit plus sa melodie; son maistre s'absentoit souvent, et il ne laissoit pas de chanter, parce qu'il sçavoit que son maistre l'avoit pris pour chanter..

  A016001307 

 C'est pour cela que nous n'avons pas la consolation que nous devrions avoir quand nous voyons les autres bien faire; car ce que nous ne voyons pas en nous ne nous est pas si aggreable, et ce que nous voyons en nous, nous est fort doux, parce que nous nous aymons tendrement et amoureusement.

  A016001307 

 L'amour propre peut estre mortifié en nous, mais il ne meurt point pourtant jamais; ains, de tems en tems et a diverses occasions, il produit des rejettons en nous, qui tesmoignent qu'encor qu'il soit couppé par le pied, si n'est il pas desraciné.

  A016001308 

 Ce mesme amour propre fait que nous voudrions bien faire telle et telle chose par nostre eslection, mais nous ne la voudrions pas faire par l'eslection d'autruy, ni par obeissance; nous la voudrions faire comme venant de nous, mais non pas comme venant d'autruy.

  A016001309 

 Sans doute, ma chere Fille, ce qu'on a repugnance a s'imaginer le rehaussement des autres, c'est parce que nous avons un amour propre qui nous dit que nous ferions encor mieux qu'eux, et que l'idee de nos bonnes propositions nous promet des merveilles de nous mesmes et non pas tant des autres..

  A016001310 

 C'est le seul remede qu'il y a, de desadvouer les sentimens, invoquant l'obeissance et protestant de la vouloir aymer non obstant toute repugnance, plus que non pas la propre eslection, louant Dieu par force du bien que l'on void en autruy et le suppliant de le continuer; et ainsy des autres..

  A016001325 

 Ma tres chere Seur, ces brouillardz ne sont pas si espais que le soleil ne les dissipe.

  A016001326 

 De cet homme sur lequel vous penses devoir estre jettee une partie de la faute, parlés en peu et consciencieusement; c'est a dire, ne vous estendes gueres en vos plaintes et n'en faites pas souvent; et quand vous en feres, n'asseures rien qu'a mesure que vous aures de la connoissance ou conjectures de la faute, parlant douteusement des choses douteuses, plus ou moins, selon qu'elles le seront..

  A016001337 

 Cependant, selon vostre conseil, je touche un mot, au dernier, d'encouragement a l'erection d'une mayson de la Congregation a Tours; Congregation que j'ay dedans le cœur, devant, je pense, que ni monsieur de Berule ni vous, mays Congregation dedans le cœur delaquelle je ne suis pas digne d'estre, et desirerois neanmoins bien d'avoir quelque place.

  A016001358 

 Sil vous plait donques respondre a la demande que vous ont faite de moy ces seigneurs de cette ville la, je vous supplie tres humblement de leur faire sçavoir que ce n'est ni faute d'estime que je face de leurs merites, ausquelz je ne sçaurois jamais correspondre, ni faute de pouvoir que vous ayes sur moy, qui suis tres entierement vostre, mays faute de pouvoir que j'aye moy mesme sur moy mesme, que je ne seconde pas leurs desirs, plus honnorables cent fois pour moy que je ne devrois praetendre..

  A016001359 

 Au demeurant, Monseigneur, quand vous seres avec le grand et parfait ami, resouvenes vous parfois de moy, car ce m'est un playsir incomparable de m'imaginer que ne pouvant jouir du bonheur de vostre presence, je ne laisse pas de vivre en vostre bienveuillance de tous deux..

  A016001386 

 Si vous n'aves pas du beau papier pour escrire, envoyes en prendre vers M. Rolland, mais a vostre nom, car si c'estoit au mien il se courrouceroit, parce que j'en ay trop despensé la semaine passee..

  A016001402 

 Mays demain, o c'est le jour de sainte Emerentienne et de la naissance de ma Mere; Dieu ne permettra pas que je sois ainsy retenu, car mesme j'ay a conferer avec elle de choses qui sont pour son Amour divin et asseurer la partie.

  A016001440 

 c'est que il faut que ladite dame de Gouffier soit delivree de l'obligation de sa profession, affin que, selon son desir, elle puisse estre receue en la Congregation de la Visitation, laquelle, bien que ce ne soit pas une Religion formelle, est neanmoins une mayson de fort bonne discipline et propre pour cette personne; puisqu'ell'est d'ailleurs de si petite complexion, qu'elle ne pourroit porter l'austerité ni de Sainte Claire ni des Carmelines, ni d'autres Religions formelles esquelles on fait des grandes veillees, des grandes abstinences et autres mortifications et aspretés corporelles qui requierent une entiere santé..

  A016001442 

 Encor qu'en la lettre de la [152] Congregation je parle quil seroit plustost expedient de changer le vœu, neanmoins je sçai bien que cela ne se fait pas; mais c'est pour monstrer la necessité de cett' ame, a laquelle il seroit expedient de plustost changer le vœu que de la laisser sans remede.

  A016001442 

 Vous mesnageres le tout, car j'ay escrit a la haste et a cause du passage du courrier, et en un langage que je ne possede pas trop bien.

  A016001458 

 Je vous escris subitement, ma tres chere Niece, sur le sujet que vous me touchastes dernierement, parce que n'ayant pas eu de porteur d'asseurance, je n'avois pas voulu vous faire responce a ce point la..

  A016001459 

 Cette pauvre miserable Bellot a une ame qui ne veut point estre corrigee par censures, car elles ne luy ont pas manqué au commencement de ses vanités, cause de sa ruine; et la bonne Mere de Chantal n'a rien espargné de ce qu'elle pouvoit penser estre propre pour l'en retirer, prevoyant bien que cette humeur vaine la porteroit plus loin que pour lhors elle ne s'imaginoit..

  A016001460 

 Neanmoins, on ne sçait pas les conseilz de Dieu, et ne faut jamais cesser de cooperer au salut du prochain en la meilleure façon que l'on peut.

  A016001460 

 Si donques vous pouvies parler a cette chetifve creature, la prenant un peu doucement et amoureusement, luy remonstrant combien elle seroit heureuse de vivre en la grace de Dieu, l'enquerant si, quand elle [y] a vescu lhors qu'elle vint en cette ville, elle n'estoit pas plus ayse que maintenant, et passant ainsy [155] tout bellement a luy representer son malheur, je pense que cela la pourroit toucher.

  A016001471 

 Je sçay que je ne pourray jamais luy rendre aucun service de l'espece de ce bon office quil m'a fait (aussi bien saint Paul dit que les enfans ne doivent pas thesaurizer pour les peres, ouy bien les peres pour les enfans ); mais si en quelque nature de service, et en celuy ci encor, je pouvois me revancher, je le ferois tres affectionnement..

  A016001479 

 Je n'ay pas escrit la lettre a monsieur l'advocat,.

  A016001505 

 C'est d'une tres profonde et particulière tristesse que mon âme a [158] été saisie et affligée à la mort de l'Illustrissime et Révérendissime M gr Adrien, votre prédécesseur, non seulement à cause de l'honneur que je portais à un tel Prélat et de la bienveillance dont il m'honorait en retour, mais principalement à cause de la perte prématurée que vient de faire, d'un si excellent Prince et Pasteur, la célèbre église de Sion et tout le pays de Valais, en un temps si fâcheux; car, selon nous, en fait de zèle et d'habileté pour défendre la religion des ancêtres et pour propager la foi catholique, l'Evêque défunt n'avait pas son pareil..

  A016001506 

 Nous rendimes à Dieu de grandes actions de grâces de ce qu'il n'avait pas laissé sa lampe s'éteindre en Jérusalem, et de ce qu'il avait remplacé le père par le fils, pour l'établir sur cette cité de Sedunum, que nous appelons Sion..

  A016001529 

 Mais en apprenant la promotion de Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime par un révérend chanoine de votre Eglise, qui nous a dit aussi de quels dons le Dieu tout-puissant a comblé abondamment votre Révérendissime personne, notre tristesse s'est changée en joie ou, afin de parler comme la Sainte Ecriture, en cythare, rendant à Dieu de grandes actions de grâces de ce qu'il n'avait pas éteint sa lampe en Jérusalem, mais de ce qu'il avait fait naître à la place des pères un fils, pour l'établir chef sur tout ce pays; en même temps, nous avons songé à vous adresser tous nos vœux de bonheur et de salut..

  A016001540 

 Je loüe Dieu dequoy vous viendres, car cela sera a propos pour arrester toutes choses avec le bon M. le Prieur, lequel ne desire pas retourner en Chablaix.

  A016001560 

 Mays pourtant, j'ay une telle aversion de telles affaires, que sinon quil y eut grande apparence et de la facilite, je ne voudrois pas y penser.

  A016001561 

 Je vous escrivis il ny a que trois jours, et a M me de Charmoysi, qui me retiendra de vous entretenir davantage, estant mesmement presse du depart de ce jeune gentilhomme qui, par sa courtoysie, m'offre bien de retarder, mais il n'est pas raysonnable.

  A016001576 

 Je croyois de vous les envoyer escrittes de ma main; mais, comme vous sçavés, je ne suis pas a moy.

  A016001577 

 Mais vous, ma Fille, qui ne pourrés pas chanter les louanges de ce Saint de nostre cœur, vous les ruminerés, comme l'Espouse, entre vos déns; c'est a dire, que vostre bouche estant close, vostre cœur sera ouvert a la meditation des grandeurs de cet Espoux de la Reyne de tout le monde, nommé Pere de Jesus, et son premier adorateur apres sa divine Espouse..

  A016001618 

 Vostre dortoir ne sera pas de plain pied, et en somme, il me semble qu'il y aura bien de la peyne d'egaler la bienseance et commodité de l'un des desseins a l'autre.

  A016001619 

 Toutefois il n'est pas raysonnable que mon opinion soit suivie, car je n'entens rien en tout cela; ouy bien a cherir pretieusement ma tres chere et tres bonne Mere comme moy mesme.

  A016001646 

 Et cela estant ainsy, quelle grace d'estre non seulement sous la croix, mais sur la croix, et au moins un peu crucifiee avec Nostre Seigneur! Ayes bien courage, ma chere Seur, convertisses la necessité en vertu, et ne perdes pas l'occasion de bien tesmoigner vostr'amour envers Dieu parmi les tribulations, ainsy quil tesmoigna le sien envers nous parmi les espines..

  A016001672 

 Ma tres chere Mere, le Prince Cardinal se cuyda fascher dequoy ma sueur degouttoit sur le saint Suaire de mon Sauveur; mais il me vint au cœur de luy dire que Nostre Seigneur n'estoit pas si delicat, et qu'il n'avoit point respandu de sueur ni de sang que pour les mesler avec les nostres, affin de leur donner le prix de la vie eternelle.

  A016001684 

 Je n'oublieray pas le rafraischissement de la recommandation que le cher mari desire..

  A016001695 

 Je vous remercie tous-jours parce que tous-jours vous me favorisés, et je vous remercieray encor tous-jours [180] parce que je ne veux estre tout a fait ingrat, ni je ne puis autrement tesmoigner que je ne [le] veux pas estre..

  A016001723 

 Nous pensons y avoir M. et M me de Charmoysi; car encor que mon frere ne le sçache pas, estant neanmoins tous les deux a Dalmaz pour les noces de madamoyselle de Dalmaz, il y a de l'apparence qu'ilz viendront a Presles, ou estant, il n'y auroit pas de l'apparence de ne les supplier pas, principalement parce que nous n'avons encor point veu la chere cousine..

  A016001736 

 Je ne pense pas qu'il y ait excommunication, [185] car il n'est venu a aucun effect porté par les Canons.

  A016001737 

 Que ne ferois-je pas pour obtenir que telles choses ne se fissent plus!.

  A016001738 

 Or, je ne dis pas cecy pour vous inquieter.

  A016001738 

 Procurés donq que le cher mari se confesse, car encor que je ne pense pas qu'il soit en excommunication, il est neanmoins en un terrible peché mortel, duquel il faut qu'il sorte soudain; car l'excommunication ne se contracte qu'avec les effectz, mais le peché se contracte par la volonté..

  A016001774 

 Le bien de la venue des Peres Barnabites en cette ville est de si grande consideration, que Vostre Altesse, [189] laquelle l'a si saintement desiré, le fera sans doute puissamment reüscir, non obstant les petites difficultés qui se presentent, qui ne procedent que d'une bonne affection, a laquelle Vostre Altesse donnera, sil luy plait, la mesure et discretion; en sorte que si le Pere General des Barnabites ne pouvoit ouctroyer la dispense qu'on requiert, sa Congregation ne laissast pas pour cela d'estre introduite dans ce college ou, en [190] tous evenemens, ell'apportera un'utilité incomparablement plus desirable que tout ce qui s'y est fait jusques a present..

  A016001788 

 Que je fus marri, ma tres chere Fille, quand a mon reveil je sceu que le cher mari m'avoit demandé, car j'avois bien envie de l'entretenir un peu; mays je n'avois pas peu dormir la nuit, pour le reste de quelques inquietudes corporelles que trois ou quatre jours de flux de ventre m'avoyent laissee ( sic ).

  A016001819 

 Et puis, [193] vous ne regardés pas, comme je pense, ma personne, mais cet Ordre sacré duquel elle est doüee, qui est le premier de tous les Ordres en l'Eglise, de laquelle vous aves cet incomparable honneur et bonheur d'estre un membre vivant, et non seulement vivant, mais animé de l'amour sacré, qui seul est la vie de nostre vie, comme vos bons desirs tesmoignent..

  A016001820 

 Mais son cher enfant Joseph, devenu vice roy en Egypte, il l'appella son filz avec un amour si plein d'honneur, que, pour ce grand honneur, il est dit que mesme il l'adora; car si bien ce fut en songe, ce ne fut pas en mensonge, mais en verité, que ce grand gouverneur d'Egypte avoit veu, lhors de son enfance, que son pere, sous le signe du soleil, luy faysoit une profonde reverence que l'Escriture Sainte appelle du nom d'adoration..

  A016001821 

 C'est pourquoy je n'adjousteray point au nom de Filz celuy de Monsieur, sinon quelquefois, parce qu'il n'en sera pas besoin, l'un estant plus exquisement compris en l'autre qu'il ne sçauroit estre exprimé..

  A016001834 

 Consideres donq, Monsieur, que les huguenotz non seulement ne sont pas du clergé, mais haïssent et le nom et la chose sacree quil signifie, et jamais ne fut veu que les ministres fissent cors a part en France.

  A016001834 

 Il n'est pas raysonnable de mettre Dagon sur l'autel avec l'Arche de l'alliance: Dieu l'a declaré..

  A016001856 

 Je le revoy maintenant, par ce qu'on le reimprime en petit volume, et j'y treuve infinité de fautes, partie de l'imprimeur, partie de l'autheur, que je corrige tendrement, ne voulant pas, sil se peut, qu'on connoisse sensiblement autre changement que celuy de la correction de l'imprimeur..

  A016001856 

 Je ne nie pas, certes, que le favorable tesmoignage que vous rendes a ce pauvre petit livret de l' Introduction ne m'ayt grandement encouragé, et plus en verité que celuy de plusieurs grans personnages qui, sans me connoistre, me l'ont beaucoup recommandé par lettres.

  A016001906 

 Non certes, Monsieur, je ne suis nullement delicat, amant les ceremonies, les complimens; non, pas mesme [203] les offences ne gastent rien avec moy, si elles ne sont faites et appostees expres pour ruiner l'amitié (je parle de l'amitié, et non de la commune charité que rien ne doit ruiner); car celles qui proviennent de negligence, de foiblesse, d'inconsideration, voire mesme de quelque soudaine passion d'ire, de courroux et de haine, il me semble qu'un'amitié un peu forte les doit supporter, en consideration de nostr'humanité qui est sujette a ces accidens..

  A016001908 

 Je prevoy que vous ne viendres pas si tost a cause de la longueur des demain de ce païs-lâ; neanmoins je [204] feray l'advertissement que vous me dites a madame de la Croix, ma cousine, que je treuve fort a propos, bien qu'il ny ait rien a craindre en effect.

  A016001908 

 Mays il est mieux de n'avoir mesmement pas a craindre les ombres en françois, comm'on ne les craint pas en espagnol..

  A016001932 

 Dieu sçait, ma tres chere Seur, quelz sont les monasteres esquelz ce saint exercice n'est point prattiqué; Dieu sçait quelle obeyssance, quelle pauvreté et quelle chasteté y est observee devant les yeux de sa divine Providence, et si les assemblees des filles ne sont pas plustost des compaignies de prisonnieres que de vrayes amoureuses de Jesus Christ.

  A016001932 

 Mais nous n'avons pas tant besoin de considerer ce mal la, que de peser au juste poids le grand bien que les ames reçoivent de la tressainte orayson.

  A016001932 

 Vous n'estes donq point trompees de l'avoir embrassee, mais trompees sont les ames qui, s'y pouvant appliquer, ne le font pas..

  A016001934 

 Je m'asseure que son Superieur ne [207] vous la refusera pas tandis que vous en useres avec discretion et sans luy donner trop de distraction..

  A016001940 

 Ma tres chere Seur, je vous escris sans loysir, mais non pas sars une infinie affection envers vous et toutes vos filles, que je supplie toutes de recommander mon ame a la misericorde de Dieu, comme de ma part je ne cesseray point de vous souhaitter benediction sur benediction, et que la source de toute benediction vive et regne a jamais au milieu de vos cœurs.

  A016001965 

 Helas, ma tres chere Fille, que dires vous de ce pere qui tarde tant a respondre? Certes, ce n'est pas faute de memoyre, et moins de volonté, mays j'ay un peu douté ou vous esties jusques des il y a trois jours, que je sçai que vous estes la..

  A016001983 

 Il est juste et equitable que ceux qui vivent ne vivent pas pour eux mesmes, mais pour Celuy qui est mort pour eux.

  A016001983 

 Une grande ame, Monsieur, pousse toutes ses meilleures pensees, affections et pretentions jusques dans l'infini de l'eternité; et puisqu'elle est eternelle, elle estime trop bas ce qui n'est pas eternel, trop petit ce qui n'est pas infini, et surnageant a toutes ces menues delices, ou plustost a ces vilz amusemens que cette chetifve vie nous peut presenter, elle tient les yeux fichés dans l'immensité des biens et des ans eternelz..

  A016001984 

 Ne sortés pas le matin que vous ne porties sur le cœur un epitheme du renouvellement de vos resolutions fait en la presence de Dieu.

  A016001992 

 Mays ce tems est [214] ainsy fait, il ne produit pas les choses bonnes et desirables qu'avec plusieurs travaux de ceux qui les entreprennent, et au contraire, le mal s'avance sans culture, par la propre malice de cet aage..

  A016002010 

 Ce n'est pas, non, avec un esprit d'impatience ni de murmuration que je dis cecy; car je me resouviens tous-jours que ista mala invenerunt nos quia peccavimus, injuste egimus..

  A016002012 

 Mon diocese est-il pas vostre, puisque je le suis si parfaitement? Populus tuus, populus meus..

  A016002042 

 Mais, graces a Dieu, nous resistons en fin finale, nous ne nous laissons pas emporter au mal; au moins, si nous sommes esbranlés, nous ne tumbons pas du tout.

  A016002043 

 Demeures donq ainsy en une sainte paix, et si M. vostre mary le treuve bon, ne laisses pas d'aller voir ces gens-la pour tesmoigner la charité; mais vous pourres bien estre courte en vostre visite.

  A016002043 

 Mon Dieu, je pense que si vous venies icy l'hiver vous auries bien plus de repos que lâ; mais je n'ay garde d'en plus parler, puisque tant d'autres considerations que je ne sçai pas, peuvent avoir rafroydy le dessein que vous en aviés.

  A016002058 

 Dieu neanmoins ne le voulant pas, puisqu'il permet que je sois attaché icy, ni vous, ni moy non plus ne le devons pas vouloir.

  A016002058 

 Mais pensés, je vous supplie, mon cher Filz, si ce ne m'eust pas esté un ayse incomparable de pouvoir aller moy mesme aupres de vous en l'occasion de ces Estatz, pour vous parler avec cette nouvelle confiance que ces noms de pere et de filz m'eussent donné.

  A016002068 

 Puisque le brevet requis pour la declaration de la nullité des vœux de madame de Gouffier vostre seur, est expedié en la sorte qu'elle a peu desirer, elle ne peut, ce me semble, mieux tesmoigner qu'elle n'a pas pourchassé sa liberté que pour la reengager plus heureusement a Dieu, qu'en s'approchant de vous pour prendre les resolutions convenables a son entiere retraitte, laquelle ayant choysie en ce lieu et en la compaignie qu'ell'a veüe et consideree plus d'un an, il m'est advis que je dois vous protester, Monsieur, que sa naissance, ses vertus [225] et ses saintes intentions luy ont acquis tout le service que je luy pourray rendre; et que si bien elle sera icy esloignee de la plus part de ses parens, elle sera neanmoins proche de plusieurs personnes qui les honnorent infiniment, et qui l'auront en une consideration si sainte et honnorable, que pour ce regard, Monsieur, vous n'aures nul sujet de blasmer son choix, auquel, puis qu'ell'a eu plus d'attention a contenter Dieu que de servir aux respectz humains, sa divine Majesté sans doute luy donnera toutes les benedictions qu'ell'en doit esperer, et en fera deriver sut vous quelque bonne part, si mes souhaitz sont exaucés: car je le ( sic ) feray toute ma vie pour vostre bonheur, et demeureray de tout mon cœur,.

  A016002084 

 Je serois allé moy mesme l'en supplier; mais je n'ay pas creu que cela fust bien, puisque je me fusse rendu soupçonné, et peut estre devray je en venir en cette bonne affaire comme mediateur avec messieurs du Conseil..

  A016002139 

 Non certes, ma chere Fille, je ne seray point en peyne de vostre conduitte si vous marches sur ce chemin la, car Dieu sera vostre guide, et puis vous ne manqueres pas de personnes qui vous donneront conseil pour cela..

  A016002153 

 Et maintenant, c'est par M. de Foras, qui me promet de faire seurement tenir la lettre, que j'employe pour vous annoncer la venue de vostre despeche de Romme, mais despeche si bien faite, que si nous l'avions faite nous mesme nous ne l'aurions pas faite autrement.

  A016002154 

 Le bon M. de Sainte Catherine m'escrit quil a un peu despensé gros, mais je ne sçai pas que c'est: si je puis, je l'apprendray pour vous en tenir avertie.

  A016002159 

 Mays n'oublies pas madame Vulliat; c'est une fille nouvelle que j'en ayme un peu tendrement..

  A016002172 

 Mais je ne laisse pas de l'aymer, car encor quil luy semble quelquefois qu'il va perdre courage pour des petites paroles et reprehensions qu'on luy fait, toutefois il ne l'a encor jamais perdu son courage, ce pauvre cœur; car son Dieu l'a tenu de sa main forte et, selon sa misericorde, il n'a jamais abandonné sa miserable creature.

  A016002173 

 Mais, non certes, ma pauvre chere Peronne Marie, cette mauvaise la n'est pas plus brave que vous, mais ell'est plus afficheuse, perverse, surprenante et opiniastre; et quand vous alles pleurer, ell'est bien ayse, par ce que c'est tous-jours autant de tems perdu, et elle se contente de vous faire perdre le tems quand elle ne vous peut pas faire perdre l'eternité.

  A016002174 

 Reveilles souvent vostre cœur affin quil soit un peu sur ses gardes a ne se laisser pas surprendre; soyes un peu attentive a cet ennemi; ou que vous mettres le pied, penses a luy, si vous voules, car cette mauvaise fille est par tout avec vous, et si vous ne penses a elle, elle pensera quelque chose contre vous.

  A016002175 

 Sachés que Nostre Seigneur et Nostre Dame vous ayant mis au tracas du mesnage, savent bien et voyent que vous y estes tracassee; mais ilz ne laissent pas de vous cherir, pourveu que vous soyes humble et confiante.

  A016002187 

 La mediocrité de nostre Visitation est propre pour estre grandement estendue et multipliee; les hautes et relevees Religions ne peuvent pas estre montees si aysement.

  A016002191 

 Quant a l'establissement des Carmelines, certes, il est desirable a Lion et en plusieurs lieux; mais pour cela, je ne voudrois pas ruiner l'autre dessein, et seroit mieux en faysant l'un de ne laisser pas l'autre.

  A016002201 

 Il ni a moyen quelcomque de faire autrement, et l'importance est, que je ne vous sçauray pas seulement dire un mot de tout ce que j'ay fait aujourdhuy, sinon que j'ay pourtant un peu escrit dans le livre, que j'acheve..

  A016002202 

 Je suis marri de n'avoir rien fait aujourdhuy pour les jardins, mais je ne sçai pas mesme si j'ay vescu..

  A016002203 

 Ces dames de Chamberi m'ont demandé permission; je leur ay dit qu'oüy, pourveu qu'elles ne trainassent pas leur grande quëue.

  A016002203 

 Elles n'ont jamais esté icy, et ne sont pas pour y revenir: un peu de devote caresse les edifiera.

  A016002213 

 Cependant, sil venoit quelque prestre, ne laisses pas de communier, car j'entens qu'hier vous fustes toute alangourie..

  A016002222 

 Mays puisque vous n'en aves pas le desir maintenant, elle vous voudroit prier de le loger au moins en quelqu'autre lieu ou il soit en bonne et vertueuse compaignie, au mieux quil vous sera possible; et croyant que j'aurois bien du credit envers vous, elle m'a conjuré de joindre ma priere a la sienne.

  A016002240 

 Cette touche, avec quelque sorte d'esperance que Vostre Grandeur me commanda de conserver de son prochain retour, m'ont fait penser plus d'une fois aux raysons qu'ell'auroit de revenir, pour aggrandir ce reste de consolation qu'elle m'avoit laissé, me signifiant que la privation de sa presence ne seroit peut estre pas de si longue duree, ains beaucoup plus courte que nostre desplaysir ne nous faysoit imaginer.

  A016002241 

 Ici, Vostre Grandeur a sa mayson paternelle et, sans comparayson, beaucoup mieux accompaignee des commodités requises a son sejour que pas une des autres, puisqu'ell'y peut fournir sans les autres, et pas une des autres sans celle ci..

  A016002243 

 Et donq, Vostre Grandeur ne seroit elle pas infiniment marrie de se treuver tant esloignee de Son Altesse et de ses Estatz? Ell'a voyrement commandé que le sieur de la Grange fit passer ses trouppes dela les montz, qui est un bon tesmoignage de la perseverance de Vostre [254] Grandeur au devoir qu'ell'a envers sadite Altesse; mais d'en esloigner sa personne tandis que la fievre de la guerre est en ses Estatz et qu'on ne sçait si Dieu permettra que nous y voyons arriver des acces perilleux, je ne sçai, Monseigneur, ce que l'on en pourra juger, au prejudice de l'affection que je sçai bien neanmoins estre immuable dans vostre cœur..

  A016002244 

 Je dirois encor, qu'estant icy pendant que cette guerre durera, quoy que Vostre Grandeur ne fut pas en l'armee, l'ennemy auroit tous-jours opinion ou qu'ell'y iroit en tems de necessité, ou qu'elle prsepareroit des nouvelles forces pour assister Son Altesse; et ces pensees ne pourroyent estre que fort utiles aux affaires d'icelle.

  A016002245 

 Au moins ne manquera-il pas d'espritz qui la conseilleront, et peut estre avec tant de couleurs et d'artifices, qu'ilz la rendront probable..

  A016002245 

 Je proteste, Monseigneur, que je n'en pensois pas tant dire, mais escrivant, la chaleur de ma fidelité envers Vostre Grandeur m'a emporté au dela des limites que je m'estois proposees; car en fin, je suis pressé de la crainte que le souvenir de cet abandonnement de Son Altesse en un tel tems, ne soit pour durer longuement et pour servir de motif a quelque reciproque separation qui ne pourra jamais estre avantageuse, et pourra, en cent occasions, estre desavantageuse a Vostre Grandeur.

  A016002253 

 Oseray-je, Monseigneur, supplier Vostre Grandeur de recevoir cette lettre comm'en confession, et si elle ne luy est pas aggreable, de la punir elle mesme par son exterminement, en conservant neanmoins son autheur, a cause de l'innocence et bonne foy avec laquelle il l'a escritte, en qualité d'invariable tres obeissant serviteur de Vostre Grandeur..

  A016002263 

 Mays que pourront ces orateurs mortz, en comparayson des harangueurs continuelz qui vivent, et soufflent perpetuellement dans les aureilles de ce Prince son esloignement de ce païs? Et puis, n'ont ilz pas des-ja fait la moytié de leur besoigne? [257] Et si nous n'avons sceu empescher le depart, quel moyen d'obtenir le retour? Melius non incipient quam desinent.

  A016002263 

 Or, j'ay escrit pour ne sembler pas avoir moins de desir que les autres pour un si grand bien; comm'en verité je l'aurois, ce desir-la, et plus grand et plus sincere que plusieurs autres, si je pensois que cela se peut faire, moralement parlant.

  A016002265 

 Je receu seulement hier le pacquet pour Neufville, lequel sil fut arrivé un peu plus tost, seroit maintenant acheminé; mais il ne tardera pas beaucoup entre mes mains..

  A016002310 

 Je vous supplie tres humblement d'interceder en ma faveur; mais ce que je ne desire pas que Monseigneur le Cardinal sçache, je vous-le diray confidemment.

  A016002313 

 Je vous confesse a vous, Monseigneur, que cette petite besoigne ne me desplait pas beaucoup; mays j'ay grand peur qu'elle ne reuscisse pas si heureusement que l'autre precedente, pour estre, a mon advis, un peu plus nerveuse et forte, quoy que j'aye tasché de l'adoucir et fuir les traitz difficiles.

  A016002338 

 C'est pourquoi, aussitôt que Votre Seigneurie Révérendissime m'aura fixé le jour, je ne manquerai pas de remplir très volontiers, dans la cérémonie de sa consécration, la fonction d'un promoteur [267] très aimant, et, je le désire, très aimé.

  A016002370 

 Je ne veux pas vous beaucoup entretenir maintenant par lettre, car en voyla une vivante qui vous va voir, [270] en laquelle vous lires plus de bien que je ne sçaurois vous en escrire..

  A016002371 

 J'espere de vous voir dans cet hiver, car vous ne le passeres pas sans rendre la pareille de cette visite que vous fait la chere cousine, principalement si monsieur vostre mari fait sejour dela les mons..

  A016002372 

 Helas! je n'ay pas seulement pensé a ce que vous m'escrives de Tharentayse; je fais trop d'estat dé la viduité pour me remarier jamais.

  A016002390 

 Et ce bon gentilhomme soüisse m'a commencé a dire que M. l'Evesque son frere n'avoit pas desiré ma presence a sa consecration seulement pour l'action, mais pour conferer avec moy de plusieurs choses d'importance pour l'entier restablissement de la sainte religion en ce pais-lâ.

  A016002405 

 Et par ce, Monseigneur, que le Valley estant si proche de Savoye et Piemont, ne peut estre qu'extremement utile aux affaires de Vostre Altesse, quand ell'en aura l'alliance et correspondance, j'ay pensé que cet advis estoit d'importance et que je le devois donner a Vostre Altesse, laquelle je supplie tres humblement de l'avoir aggreable, comm'encor que je luy die que ce jeune Prelat que nous venons de sacrer est de fort bonne esperance, devot, actif, de bon esprit et plus gentil que sa nation n'a pas accoustumé d'en produire, fort affectionné a Vostre Altesse, et qui attendoit avec honneur un anneau episcopal en present, de Monseigneur le Prince Cardinal, ainsy qu'on luy avoit fait esperer..

  A016002420 

 C'est pourquoy je la supplie d'envoyer ma lettre ci jointe au plus tost a sadite Altesse, a laquelle je ne dis pas que ces gens-la sont merveilleusement ombrageux et delicatz a entretenir, car elle le sçait bien; mays je luy eusse volontier dit qu'en suite de cela, ilz ont treuvé estrange que le seigneur Valdenghe n'ayt pas comparu au sacre de leur Evesque et a l'assemblee qui estoit assignee a ce jour la, puisque mesme on leur en avoit donné intention, comme aussi a Monseigneur de Syon que Monseigneur le Prince Cardinal luy envoyeroit son anneau episcopal.

  A016002421 

 Toutes les autres santés ne nous furent point presentees, mais elles ne demeurerent pas sans porteurs..

  A016002438 

 Je luy respondray que la vocation de cette fille n'est pas mon œuvre, ains de Dieu, comme je pense; que je ne n'oserois contribuer une seule parole pour la ruiner.

  A016002463 

 J'ay repensé, ma tres chere Mere, au desir que M me de Gouffier a de vous venir prendre, et l'ay conferé avec ses lettres; et m'est venu en l'esprit que peut estre il ne seroyt pas si hors de rayson quil me sembloit d'abord, puisqu'elle son esprit si embarrassé et plein de choses qui l'affligent.

  A016002497 

 Quel bonheur, ma chere Mere, d'estre tout a luy, qui, pour nous rendre siens, s'est fait tout nostre! Mais il faut pour cela crucifier en nous toutes nos affections, et specialement celles qui sont plus vives et mouvantes, par un perpetuel allentissement et attrempement des actions qui en procedent, affin qu'elles ne se facent pas par impetuosité, ni mesme par nostre volonté, mais par celle du Saint Esprit..

  A016002506 

 Ce m'a esté un honneur extremement sensible d'avoir receu de vostre part ces riches et devotz Theoremes que le Reverend Pere Ange Le Blanc m'a remis; et si j'avois le riche parfumier ou cabinet des unguens que cet ancien prince Alexandre le Grand destina pour la garde des livres et escritz d'Homere, je le destinerois aussi a la conservation de ce beau present, lequel m'est d'autant plus pretieux que je n'avois garde de l'oser [286] esperer, puisque je n'ay pas mesme pensé que vous eussies sceu que je fusse au monde, ou estant, de vray, si peu de chose, confiné en ce recoin de nos montagnes, je me tiens pour invisible.

  A016002507 

 Et pleust a Dieu que tant de poetes chrestiens qui ont en nostre aage si dignement tesmoigné comme vous, Monsieur, la beauté de leur esprit, eussent aussi, comme vous, fait paroistre la bonté de leur jugement au choix des sujetz de leurs poëmes! La corruption des mœurs ne seroit pas si grande; car c'est merveille combien les discours resserrés dans les lois des vers ont de pouvoir pour penetrer les cœurs et assujettir la memoire.

  A016002520 

 Et n'estoit que je sçai que vous aves peur que l'amour naturel ne soit trop rafroidy et presque tout esteint, je n'oserois pas vous donner cette atteinte pour le resveiller.

  A016002537 

 Mais ne laissés pas pour cela de recourir a sa sainte debonnaireté en toute confiance, sur tout maintenant, en ce tems auquel nous le nous representons comme il estoit, petit enfant en Bethlehem; car, mon Dieu, ma chere Fille, pourquoy prend il cette douce et amiable condition de petit enfant, sinon pour nous provoquer a l'aymer confidemment et a nous confier amoureusement en luy?.

  A016002537 

 Que s'il ne vous fait pas sentir la [290] douceur de son saint amour, c'est pour vous rendre plus humble et plus abjecte a vos yeux.

  A016002539 

 Pour vos petites choleres, elles passeront, ou si elles ne passent pas, ce sera pour vostre exercice et mortification.

  A016002552 

 Je luy respons en sorte que je luy donne courage de demeurer, ne m'estant pas advis quil fut bon a l'office quil recherche, d'autant que c'est un esprit foysonnant de conceptions et fort porté aux extremités..

  A016002553 

 J'ay remis la lettre a M me de Chantal sans la voir, par ce que je n'avois pas encor leu celle que vous m'escrivies.

  A016002553 

 On n'est encor pas venu de Lion; nous attendons aujourdhuy des nouvelles.

  A016002567 

 Certes, ma tres chere Fille, son esprit n'est pas pour supporter un si grand tracas; et je voy que non seulement cela, mais il est pour se retirer de Rumilly.

  A016002603 

 Nos Anges de deça tiennent les yeux sur vous et sur vostre petite trouppe et ne vous peuvent abandonner, puisque vous n'abandonnes pas le lieu de leur protection, ni les personnes de leur garde, que pour n'abandonner pas la volonté de Celuy pour la volonté duquel ilz s'estiment heureux d'abandonner maintes fois le Ciel.

  A016002647 

 Mays, ne disons plus rien de cela; car, ne suffit il pas que Dieu nous ayant rendus une mesme chose, nous soyons par tout nous mesmes tout siens?.

  A016002648 

 Elle me dit que nostre fille de Rabutin s'attristoit. et pleuroit pour n'avoir pas dequoy se faire brave; et je luy dis quil failloit luy faire faire un beau collet pour les festes, et cela suffiroit au vilage, en attendant mieux a vostre retour.

  A016002648 

 Je pense que cette fille croit que ce soit grand contentement d'avoir ces dentailles et ces colletz montans (vous voyes bien que j'en sçai quelque chose), et il la faut charger de cela; quand elle verra que cela n'est pas si grand feste, elle reviendra a soy.

  A016002653 

 4 febvrier 1615, a Chasteaufort, ou dame Jane n'est, pas..

  A016002665 

 Je vous ay envoyé le brevet pour le petit benefice de Gex, et ay eu nouvelles que Monseigneur l'Archevesque de Bourges n'estoit pas mort, ains guerissoit..

  A016002680 

 Mays j'ay jugé que le trespas dudit seigneur Ranze avoit esté cause de l'esgarement de ces pieces et de l'apparence, par conseuent, de la neligence delaquelle je n'avois pas commis la verité.

  A016002682 

 Vostre Altesse, Monseigneur, et en qualité de ce qu'ell'est de sa naissance et en qualité du rang qu'elle tient en l'Eglise, ne pourroit, a l'adventure, pas plus dignement loger son soin et son zele qu'en l'aggrandissement d'un œuvre si illustre, fructueux, saint et necessaire.

  A016002721 

 Certes, ma tres chere Mere, vous voyes que mon cœur et le vostre propre est plein de ce sentiment, puisqu'il verse ces paroles, quoy qu'il soit sans loysir et qu'il n'y eust pas pensé..

  A016002722 

 C'est pourquoy le grand Apostre s'escrie: Celuy qui se recommande soy mesme n'est pas appreuvé, mais celuy que Dieu recommande..

  A016002722 

 L'amour de nous mesme nous esblouit souvent: il faut avoir les yeux bien fermés pour n'estre pas deceuz a nous voir nous mesmes.

  A016002722 

 Ne pensés pas que pour estre a Lion vous soyes dispensee du pacte que nous avons fait, que vous series sobre a parler de moy, comme de vous mesme.

  A016002750 

 Et tandis, vous pourres, Monsieur, et elle aussi, user des viandes convenables a vostre santé, selon que monsieur Burin vous aura dit, puisque son filz est venu sans l'attestation mentionnee, laquelle aussi n'estoit pas necessaire..

  A016002772 

 C'est pourquoy les Princes ne se peuvent pas [318] dispenser de suivre cette methode, y estans obligés a peyne de la damnation eternelle..

  A016002774 

 Les grans Princes ne remettent jamais les places ni les charges qu'a des gens de foy et de confiance, mais ilz ne laissent pas d'estre fort souvent trompés, et ceux qui ont esté fideles hier peuvent estre infideles aujourd'huy; comme ceux qui ont accusé ces pauvres gens peuvent, par leurs deportemens precedens, avoir acquis la creance que Vostre Grandeur leur donne, laquelle ilz meritent de perdre dores-en-avant, puisqu'en abusant, ilz ont fait de si fauses accusations..

  A016002794 

 Mays si faut il que j'en face icy une protestation, ne m'estant pas advis que je la puisse faire en trop de façons, puisque je suis sans fin, ni reserve quelcomque,.

  A016002839 

 Je pensois vous faire cette supplication en presence, selon l'esperance que monsieur vostre mari nous en avoit fait concevoir; mais puisque ce bien ne nous est pas arrivé, estant pressé par ces pauvres desolees, je fay cet office en cette sorte, et vous conjurant de me conserver vostre bienveuillance et celle de monsieur vostre mari, je me nomme, comme je suis et seray pour jamais: c'est, Madame,.

  A016002850 

 Et je le veux bien, ma tres chere Mere, car l'amour ne va pas tous-jours en ordre; autrement, Nostre Seigneur eust commencé le soin qu'il eut en sa Passion, par sa Mere et son bienaymé saint Jean, dont je viens de parler a Sainte Claire sur le sujet de nostre grand saint Joseph, duquel j'ay fait le sermon et dit bien de bonnes choses, mais non pas avec la ferveur que j'ay tous-jours en parlant de cet admirable Papa de nostre Maistre.

  A016002850 

 Helas! ce n'est pas que je n'aye de fort bons desirs de bien servir cette bonne compaignie de servantes de Dieu; mais il faut que la divine Providence, qui m'a dedié a nostre chere Congregation, me donne quelques particuliers mouvemens quand je la sers.

  A016002851 

 Ce matin, en revenant du sermon, j'ay veu ma Seur Marie Magdeleine, que je n'avois encor pas saluee de vostre part.

  A016002867 

 Quoy que ce soit par nostre M. de Medio que je vous escris, ma tres chere Mere, si est ce que je vous escris [329] sans loysir et avec empressement, car sçachés que je ne pensois pas qu'il partist si tost; et outre cela, je suis tellement embesoigné du livre, que tout le tems que je puis gaigner bonnement, je l'employe la.

  A016002870 

 Or, quant a ma niece de Brechard, elle sçait bien que je suis vous mesme, car elle a veu des billetz qui contiennent cette verité la; mays pourtant, je ne luy ay pas voulu monstrer ces trois dernieres lettres, ni en tout, ni en partie.

  A016002871 

 Dedans les billetz de salutations, quand vous m'en escrires, il ne faut pas me dire: «mon Pere, mon amy,» car je les veux pouvoir monstrer pour la consolation de ceux que vous salueres..

  A016002873 

 C'est a dire, si un pere, si un frere desiroit d'estre visité, je voudrois que, selon la grandeur de la maladie, la distance du lieu, la qualité de la mayson, on advisast si on devra plusieurs fois visiter, si avec service et assistance, si en carrosse, ou en tems qu'on ne rencontre pas des gens, si c'est une mayson ou il y ayt grand abord, ou une mayson de devotion, et ainsy du reste.

  A016002873 

 Certes, en ces grandes villes, je ne voudrois pas ouvrir la porte aux visites des parens malades, pour en faire des sorties ordinaires; et si elles sont extraordinaires, [331] au moins faut il que le Pere spirituel sçache la necessité qu'il y a, comme aussi pour aller voir un monastere de filles, quand on en seroit recherché.

  A016002874 

 Ceux avec lesquelz on confere ou on se confesse ainsy quelquefois par occasion ou rencontre, ne sont ni confesseurs ordinaires ni extraordinaires, mais confesseurs de devotion: or, estans gens qualifiés, il n'est pas besoin de demander licence.

  A016002875 

 Je n'entens pas ce que vous me demandes quand vous me dites que je vous envoye une copie de l'establissement, auquel il faudra specifier les sorties.

  A016002887 

 En somme, il me semble que cette insolence est trop publique pour estre dissimulee, trop fascheuse pour demeurer impunie, trop dangereuse pour n'estre pas reprimee.

  A016002953 

 Pour ma tres chere Seur Marie Jeanne Elizabeth, je ne desappreuve pas son voyage, ni ne l'appreuve; mais il seroit utile que je commette quelqu'un pour ouÿr les tesmoins et recevoir authentiquement leurs depositions, et non seulement les tesmoins, mays Madame du Paraclet et ses Religieuses.

  A016002954 

 Si Monseigneur l'Archevesque veut, on pourra bien dispenser pour l'aage en la reception de ces damoyselles, en la contemplation des meres, qui pourront tenir place d'une partie de la resolution que l'aage ne permet pas aux filles.

  A016002955 

 Mays, pour me charger de soin quelcomque d'affaires, helas! vous sçaves comme moy mesme quel homme je suis pour cela: c'est a dire, que je ne suis pas homme pour cela.

  A016002956 

 On peut faire venir les damoyselles des Capucins pour essayer, et estant treuvees propres, ne les point renvoyer; car il n'y a pas grand hazard de les tenir en leur habit..

  A016002959 

 Nos Seurs ne sçavent pas que j'escris, car c'est par la voye de Chamberi.

  A016002971 

 ... qu'on ne reçoive pas avant l'aage..

  A016002982 

 Il ne faut pas s'amuser beaucoup a la recherche de la cause de nos secheresses et sterilités, car nous ne sçaurions la deviner; il suffit de nous humilier beaucoup et acquiescer a ce travail, soit que Nostre Seigneur l'ayt envoyé pour nous chastier de quelque defaut, soit qu'il l'ayt envoyé pour nous es-preuver et rendre plus purement siens..

  A016002983 

 Je n'ay pas receu des il y a quelque tems aucune lettre pour nostre Mere, pour vostre part; j'en attens des siennes aujourdhuy.

  A016002999 

 J'ay sceu vostre maladie, et n'ay pas oublié de rendre le devoir que j'ay a une si chere fille.

  A016003000 

 Ce n'est pas que je vous appelle sainte quand je vous parle d'accroissement de sainteté en vous; non certes, ma tres chere Fille, car il n'appartient pas a mon cœur de flatter le vostre.

  A016003000 

 Mays, encor que vous ne soyes pas sainte, vos bons desirs sont saintz, je le sçay bien, et je [349] souhaite qu'ilz deviennent si grans, qu'en fin ilz se convertissent en parfaitte devotion, en douceur, patience et humilité.

  A016003010 

 Ce que je dis par l'experience que j'ay, que l'infirmité, ne nous ostant pas la charité, nous oste neanmoins la suavité envers le prochain, si nous ne sommes fort sur nos gardes..

  A016003019 

 Au bout de la, je suis en verité si peu de chose, que je ne suis pas mesme sans honte de voir l'honneur auquel, vous, Monsieur, et celuy qui vous a fait la proposition, aves pensé pour moy.

  A016003021 

 Aussi n'a-ce pas esté sur ses livres que ce desir m'estoit venu, mays sur des autres, comme par exemple, de M. Valladier, qui a fait imprimer l'an passé ses Sermons sous un tel Privilege, et [353] de plusieurs autres; qui m'a fait estimer que ce n'estoit pas un Privilege tant special.

  A016003021 

 Je vous remercie encor, Monsieur, de la peyne qu'il vous a pleu de prendre pour sçavoir si je pourrois obtenir un Privilege pour l'impression de ces petites besoignes [352] que je pourrois faire dores-en-avant; et puisque M. le Chancelier ne treuve pas a propos de me l'accorder sinon pour le libraire que je luy nommeray, il me semble que je dois laisser ce soin la au libraire mesme, qui obtiendra le Privilege pour soy a l'accoustumee.

  A016003022 

 Je luy dis apres, qu'il avoit parlé avec beaucoup de hardiesse, et il me respondit qu'il ne failloit pas craindre en bien faysant.

  A016003022 

 Les Peres n'ont pas encor esté d'advis qu'on le mist aux mathematiques de quelques moys, et j'avois treuvé un de nos chanoines qui l'eust fort volontier enseigné.

  A016003023 

 Je suis marri que nostre College n'est encor pas en si bon terme comme la bonté et suffisance de ces Peres qui le gouvernent maintenant nous promet qu'il sera bien tost.

  A016003024 

 Il suffit qu'en ces trois ou quatre petites rencontres, Dieu a tous-jours favorisé la cause du plus foible; je pense que c'est pour advertir le plus fort de n'estre pas si vigoureux..

  A016003024 

 Son Altesse a battu ces jours passés les Espagnolz, mais non pas avec grande effusion de sang.

  A016003069 

 Mays je crains qu'on ne veuille vous arrester la, ce qui seroit une cogitation injuste [359] et que je ne pourrois ouÿr; je dis la cogitation, car de l'effect, il n'en faut pas parler.

  A016003094 

 Monsieur Grandis a eu peine a se resoudre d'aller, [362] par ce quil tenoit, d'un costé, la maladie n'estre pas dangereuse puisqu'elle est intermittente, et de l'autre, que les medecins de dela auroyent desja fait tous les remedes quand il arrivera.

  A016003095 

 Tout ce que Dieu ordonnera sera receu, moyennant sa grace, avec resignation; l'unité de mon ame avec celle de cette Mere n'est pas pour cette vie seulement, mais principalement pour l'autre..

  A016003121 

 Je ne veux pas nier que je ne sois marri de vostre fievre; mays ne vous mettes nullement en peyne de ma peyne, car vous me connoisses: je suis homme pour souffrir, sans souffrir, tout ce qu'il plaira a Dieu faire de vous comme de moy.

  A016003123 

 Je ne vous diray rien davantage, sinon que je me porte [365] mieux, et que mon cœur va mieux qu'il n'est pas allé il y a long tems; mais je ne sçai pas si sa consolation vient des causes naturelles ou de la grace..

  A016003130 

 J'avoys un grand desir de vous aller voir en presence, ma tres chere Fille, mais je n'ay pas ceans un prestre a mon commandement, et puis, j'ay un peu d'affaires, comme seroit de me praeparer au sermon que nous faysons demain pour recommencer les prieres et faire un'assemblee tantost pour l'ordre d'icelles.

  A016003140 

 Je prie Dieu quil vous conseille, monsieur mon tres cher Frere, en cett'occasion; et ce pendant, je ne laisse pas d'escrire a nostre tres chere mere sur ce sujet, affin que si vous juges a propos qu'elle le sache, elle voye quant et quand la contribution de mon desplaysir au sien.

  A016003140 

 Mays, de sçavoir comme on pourrait dextrement donner le coup de cette si estrange et fascheuse nouvelle au cœur de nostre pauvre chere mere sans esbranler extremement sa vie propre, je vous asseure, mon cher Frere, que je ne le sçai pas.

  A016003140 

 Mays, que ne voudrois-je pas faire pour secourir ce pauvre cœur maternel, quand il sera blessé de ce coup si rude! Releves ce pendant le vostre, mon tres cher Frere, vous qui estes masle, et vous disposes a l'ennuy de voir encor, pour surcroist de vostre perte et de la nostre, les desplaysirs d'une si bonne mere.

  A016003159 

 Mais n'est-ce pas une grande partie de la consolation que nous devons prendre maintenant, ma tres chere Mere? [370] car en verité, il semble que ceux desquelz la vie est si digne de memoire et d'estime, vivent encor apres le trespas, puisqu'on a tant de playsir a les ramentevoir et representer aux espritz de ceux qui demeurent,.

  A016003160 

 Cette sorte de fin est excellente, et ne faut pas douter que le grand Dieu ne la luy ayt rendue heureuse, selon que, des le berceau, il l'avoit continuellement favorisé de sa grace pour le faire vivre tres chrestiennement..

  A016003162 

 Vous estes quasi sur le despart pour aller ou est cet aymable enfant; quand vous y seres, vous ne voudries pas qu'il fust aux Indes, car vous verres qu'il sera bien mieux avec les Anges et les Saintz, qu'il ne seroit pas avec les tigres et barbares.

  A016003210 

 Des il y a long tems, vostre charité et pieté m'estant conneue par la reputation qu'elle s'est acquise en nostre [376] France, elle l'est maintenant beaucoup plus par lhonneur que Vostre Illustrissime Grandeur me fait en une affaire que la divine Majesté a permis, ou plustost ordonné, vous estre tumbee entre les mains, pour mon bonheur et advantage; puisque je ne pouvois rencontrer ni une plus grande, ni une plus utile et necessaire faveur que celle quil plaira a vostre bonté, Monseigneur, me departir, et laquelle me licentiant, ce me semble, de representer encor de rechef sur ce papier ma necessité, je ramenteveray en toute humilité a Vostre Illustrissime Grandeur, comm'il y a des-ja quelques annees, pendant son sejour en France, je m'essayay me rendre sous vostre authorité pour le sujet dont il est maintenant question; et sachant bien que de moy je ne meritois pas cet honneur, je fus favorisee de Monseigneur le Duc de Nevers, lequel vous fit offrir quelques supplications [377] pour moy.

  A016003210 

 Mais lhors, a cause de quelque consideration, Vostre Grandeur Illustrissime ne jugea pas a propos de m'accorder ce dont je la suppliois; et je connois par experience que Nostre Seigneur avoit ainsy disposé pour mon bien, me reservant vostre faveur, Monseigneur, jusques a ce tems auquel elle me sera plus utile a mon avancement spirituel, que peut estre elle n'eut pas esté lhors que je la pretendois..

  A016003236 

 Ayant conferé avec mes Freres de ce que vous m'aves communiqué pour le regard [des] habitz qui furent jadis a Ripaille, nous n'avons jamais sceu treuver qu'ilz ayent esté remis en depost ceans; et si, ne pouvons croire que s'ilz nous avoyent esté confiés, Son Altesse voulut, apres tant de tems, les nous oster, puisque l'eglise a laquelle ilz appartenoyent n'est point en estre pour les repeter, et que nous ne sommes pas moins ses tres humbles et tres obeissans orateurs qu'aucuns autres ecclesiastiques de ses Estatz.

  A016003269 

 Mais vous diray je pas encore que, quand vos cheres Filles m'eurent descouvert les leurs en confession, je m'escriay: Mon Dieu, si vos Anges avoyent des corps et des confessions a faire, ilz se confesseroyent de ce de quoy les Filles de ce grand Pasteur s'accusent! Continuez, mon unique Pere et Reverendissime Seigneur, a les faire croistre en la profondeur de leur humilité; car, ou mon genie me trompe, ou tout le monde sera trompé en l'admirable progrez que l'on verra faire a vostre Congregation..

  A016003270 

 Mais aussi ne le faut il pas dire la nuit, puisque sa Bonté le mettra bien tost au jour, et fera dire a plusieurs, voire a tous, ce que maintenant je dis avec le Prophete que vous aymez tant, Monseigneur: Tu m'as donné a conoistre les choses non sceuës et secrettes de ta sapience; voicy que la joye de mon salutaire m'est renduë, puis que tant d'ames seront confirmees de l'esprit principal dans la Visitation, que mon ame visite si souvent par ses souhaits a Dieu; car, Monseigneur, j'estime que si je pouvois servir ceste sainte Congregation, ce seroit vous tesmoigner que je suis.

  A016003293 

 Ne vous ennuiez pas de m'escrire, car je ne pense pas, emmy toutes les bonnes œuvres dont vous embaumez et le ciel et la terre, que vous en puissiez faire aucune plus signalée que celle de me conseiller, consoler et consolider.

  A016003296 

 Il ne pleut pas tousjours, tousjours le ciel n'est couvert de nuages;.

  A016003446 

 Si vous estes content, et ces Messieurs, qu'on despende, et qu'on ne laisse, a faute d'argent, de solliciter et plaider, escrivé le moy, et ordre a M. Gojon de fournir; car il a receu ordre de me bailler jusques a la somme de 60 florins, et il ne faudra pas [404] beaucoup que la somme sera des-ja achevee, car il ne touche pas terre, comme vous sçaves.

  A016003448 

 J'avois demandé qu'on la fit au Procureur general de Sainct Paul et au Dom Constantino, car c'estoit le mieux; car ce Procureur est un grand personnage qui, en brief, sera faict Abbé, et, a ce que j'ay conneu, il n'a pas gousté de se voir a la queue de deux autres Procureurs.

  A016003448 

 M. de Savigny a faict bonne procure, mais il n'y a pas mis tout ce qui est necessaire, car il nous commet en façon que l'un ne peut rien sans l'autre, et quod unus cœperit, alter prosequi poterit; et ny est pas aussy la... substitutionem.

  A016003451 

 Quant a la surprinse de laquelle vous me donnés advis, il ne faut doubter qu'il ( sic ) procureront de se justifier, voyant que par tant de memoriaux je les [406] ay accusé d'avoir mal supplié; mais je ne pense pas pour cela que l'on n'entende et voye mes attestations quand serons en lice.

  A016003456 

 Ne procurés pas, s'il vous plaict, qu'il me donne des commissions qui me puissent empescher en l'affaire principal, qui requiert totum bominem.

  A016003513 

 Et l'ay trouvé grandement offencé des manquemens de S. A. de Savoye, quil cache neantmoins, jugeant bien quil ne s'en peut aysement ressentir; et quant il l'auroit peu, il ne l'eust pas executé sans la permission de Leurs Magestez, en la bonne grace desquelz il veut vivre et mourir, et sous leur protection..

  A016003576 

 «Cette bonne Dame fut tellement touchée de cette lecture et conçut une si haute estime de l'auteur de ce livre, qu'ayant appris qu'il avait érigé une Congrégation en laquelle il avait donné des lois encore plus parfaites, elle fit vœu à Dieu de ne se point donner de cesse et d'employer toutes ses industries pour se faire conduire à Annecy auprès du saint Pasteur et de la nouvelle Congrégation.» Malgré les contradictions qui n'étaient pas pour faire fléchir une volonté tenace, en dépit d'une «petite complexion,» et indécourageable, elle put arriver à Lyon.

  A016003581 

 Il s'agissait d'«epier», disent les Annales du temps, «si c'etoit la terre que Dieu leur vouloit donner.» Cette décision n'était pas le fruit d'un enthousiasme irréfléchi ni d'une vaine curiosité.

  A016003585 

 Celui-ci, connaissant «le fond de cette grande ame,» ne se contenta pas d'encourager vivement son dessein, mais «luy ouvrit la pensée... d'oser quelque chose de plus avantageux pour la gloire de Dieu, par la fondation d'un nouveau Monastere» de la Visitation à Lyon même.

  A016003587 

 A l'imitation des anciens contradicteurs, qui disaient si Dieu ne parlait qu'à Moyse, ils dirent aussi... si Dieu ne faisait des merveilles que par l'Evêque de Genève; si d'autres Evêques ne pouvaient pas ériger des Congrégations autant parfaites et bien réglées que celle qui était établie à Annecy.

  A016003587 

 Les Chroniques nous parlent de sa grande piété, mais toutes aussi laissent comprendre que sa prudence n'égalait pas son esprit d'initiative et d'entreprise.

  A016003587 

 M me d'Auxerre se voyant pressée par une autorité supérieure, se soumit, mais ce ne fut pas sans un grand déplaisir intérieur de falloir renoncer à son cher projet..

  A016003594 

 Le bon Prélat, comprenant bien que les pauvres filles «ne s'êtoient rangées» à la Congrégation «que par pure obeyssance» et que leur désir ne venait pas d'inconstance, mais de l'esprit de Dieu, promit de leur donner toute satisfaction et d'en écrire lui-même à l'Evêque de Genève..

  A016003602 

 Les «damoyselles» de Valence et Boivin ne s'engagèrent pas dans la Congrégation, mais devinrent Religieuses du Tiers-Ordre de Sainte-Elisabeth, qu'elles contribuèrent [426] beaucoup à fonder à Lyon, et «où elles ont fort bien réussi;» tant il est vrai «qu'il y a diverses demeures en la maison de notre Père céleste, et que la paix de chaque âme consiste à connaître celle que la Providence lui a destinée.».


17-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XVII-Vol.7-Lettres.html
  A017000007 

 Pas être utilisés à des fins commerciales de toute nature!.

  A017000013 

 Le Saint n'agrée pas que ses amis se déchargent sur lui d'une responsabilité qui leur incombe.

  A017000019 

 Dans la correction des défauts, ne pas séparer la pratique de l'humilité de la fidélité envers Dieu.

  A017000019 

 — En quel cas le Bienheureux ne juge pas mauvais qu'on soit un peu privé de la sainte Communion.

  A017000028 

 — Ce qu'il faudra faire s'il ne persevère pas.

  A017000031 

 — Les mariages que l'Evêque de Genève ne voulait pas autoriser. 32.

  A017000038 

 — La science seule ne suffit pas à l'exercice du ministère pastoral.

  A017000050 

 Pourquoi les Pères Barnabites ne peuvent pas encore s'installer à Thonon.

  A017000088 

 — Pourquoi le Saint ne trouvait pas facilement un prédicateur pour Rumilly. 83.

  A017000101 

 Des racines qu'on ne peut arracher, mais qui ne doivent pas produire de fruits.

  A017000124 

 — Pourquoi François de Sales n'a pas publié les Indulgences déjà obtenues en leur faveur; celles qu'il désire.

  A017000140 

 Une rencontre qui ne serait pas à propos.

  A017000154 

 — Ne pas s'affliger de ce qui ne peut séparer de Notre-Seigneur.

  A017000169 

 La fidélité d'un porteur de lettrés qui ne doit pas être suspectée.

  A017000171 

 — Pourquoi le Fondateur ne veut pas multiplier les Maisons de sa Congrégation 166.

  A017000177 

 Un fermier qui promet ce qui n'est pas à lui.

  A017000207 

 — Sentir des répugnances à la vertu n'est pas manquer d'amour.

  A017000207 

 — Une prière que le Saint ne ferait pas.

  A017000210 

 — Raisons de sa persistance à ne pas multiplier les Maisons de sa Congrégation.

  A017000224 

 — La douceur et la tranquillité n'empêchent pas l'action, mais la font réussir.

  A017000231 

 — Est-ce hypocrisie « de ne pas faire si bien que l'on parle? » — Marcher « par le milieu des belles vertus, » et non « par les extremités » des subtilités.

  A017000269 

 En somme, je conclus a M. de Vallon qui m'apporta la lettre, qu'en leur absence et la vostre je prouvoirois aux enfans, quand je m'appercevrois quil y eust chose qui meritast que j'y misse la main, pour le devoir que [2] je leur avois a tous trois; mais que les peres et meres estans presens, c'estoit a eux de s'en accorder et de le faire; et que je m'en remettois a eux, puisque principalement monsieur de Charmoysi requeroit en la lettre que vous m'envoyastes, des conditions en un maistre qu'on ne treuve pas mesme es maistres ou precepteurs des Roys: un maistre qui n'eust rien a faire qu'apres les enfans, ni pour dire la Messe, ni pour estudier d'estude particulier.

  A017000269 

 Or en somme, il ne me sembloit pas raysonnable que les peres estans presens, je fisse rien en cela, n'y ayant rien qui pressast (que je sceusse), et le parti de M. Rosset estant defendu par tant de gens dignes de creance..

  A017000270 

 Certes, il ne faut pas craindre que les enfans perdent le tems en ce College, ou le P. Prefect mesme fait des repetitions particulieres, nommement aux vostres, desquelz il a un grand soin, et se contente fort de M. Rosset.

  A017000270 

 Il ne faut pas aussi tenir tous-jours pressé (sic) les enfans de besoigne nouvelle.

  A017000270 

 Je voy vos enfans qui se font gentilz, et ne me semble pas que vous en deves estre en peyne; outre que M. Rosset, qui s'est veu a la veille d'estre hors de sa condition avec quelque deshonneur, s'evertuera de faire tous-jours mieux.

  A017000270 

 [3] Et il m'a pleu de quoy il n'a pas nié l'accident qui luy arriva pour avoir mangé hors du logis..

  A017000331 

 Et quant aux distractions, pourveu qu'ell'ayt le desir de prier un peu ardent, elles cesseront petit a petit; et si elles ne cessent pas, l'orayson en sera d'autant meilleure, comme faite sans goust ni interest, pour le pur amour de plaire a l'Espoux..

  A017000348 

 Je vous escris sans aucun loysir, mais non pas sans beaucoup de desir de vous servir..

  A017000366 

 Je voy bien en la premiere, vostre cœur tous-jours plein de bons et vertueux desirs, car il est de naturel fort bon; mais, ce me dites vous, vous ne vous corriges pas asses puissamment de vos imperfections.

  A017000367 

 Et je ne treuve pas mauvais que vous soyes un peu privee de la tressainte Communion, puisque c'est l'advis de vostre confesseur, pour voir si le desir de retourner a la frequentation d'icelle vous fera point un peu prendre plus garde a vostre amendement.

  A017000367 

 Et tous-jours feres vous bien de vous humilier fort aux advis de vostre confesseur, qui void l'estat present de vostre ame, lequel, quoy que je m'imagine asses sur ce que vous m'en dittes par vos lettres, si est-ce qu'il ne me peut pas estre conneu si particulierement comme a celuy a qui vous en rendes conte.

  A017000367 

 Or j'entens, qu'encor que vous esloigneres un peu vos Communions, vous ne laisseres pas pour cela de bien suivre la frequence des confessions, car de celles ci, il n'y peut avoir aucune rayson de les esloigner; au contraire, elles vous seront utiles pour assujettir vostre esprit qui, de soy mesme, n'ayme pas la sujettion, et pour l'humilier et luy faire mieux discerner ses fautes..

  A017000383 

 Je respons a vostre derniere demande, en peu de paroles, que je n'ay pas changé d'advis despuis que j'escrivis l' Introduction a la Vie devote; au contraire, je me voy tous les jours affermi en mon sentiment pour ce qui regarde le support des injures.

  A017000383 

 La passion, a l'abord, nous fait tous-jours desirer des vangeances; mais quand nous avons un peu de crainte de Dieu, nous n'osons pas les appeller vangeances, ains nous les nommons reparations..

  A017000385 

 Or, je ne desappreuverois pas qu'il confessast sa faute, declairast son animosité et demandast l'oubly; car encor qu'il soit de peu d'authorité, ayant commis cet acte, si est ce pourtant que c'est tous-jours quelque sorte de lumiere pour l'innocence, de voir ses ennemis luy faire hommage.

  A017000418 

 Il ny a pourtant remede; on me dit quil faut que je presente le memorial, puys on me dit quil ne faut pas l'attendre.

  A017000443 

 Je croy qu'elle ne desireroit pas mieux, et sur tout, s'il vous plaisoit de l'asseurer que vous favoriseries sa bonne intention de quelque doux accueil et de quelque moderation en la penitence que.

  A017000456 

 En somme elle se remit tellement, qu'encor que je ne pense pas qu'elle la fasse longue, si est-ce que je pense qu'elle vivra encor plusieurs jours..

  A017000457 

 Elle se confessa derechef a moy, pour sa consolation et non par necessité, car elle avoit receu le jour precedent tous ses Sacremens, et mesme l'Extreme Onction, et fit la plus absolue indifference que j'aye jamais veuë; car ses domestiques et voysins la pressant de faire des vœux pour guerir, jamais elle ne voulut, mays dit que ce que Dieu feroit luy seroit le plus aggreable et qu'elle ne voudroit pas, par le moindre desir dû monde, demander a Dieu ni la vie ni la mort, luy laissant sans reserve sa vie entre ses mains, pour en faire a son gré; et ce qu'il [23] luy plairoit seroit aussi ce qu'elle vouloit.

  A017000471 

 Certes, ces grandes villes sont importunes pour cela, au moins pour les pauvres villageois comme moy, qui n'y sont pas accoustumés.

  A017000471 

 Mais, si je n'ay peu vous escrire, je n'ay pas laissé de parler souvent de vous avec ce digne Prelat, qui certes tesmoigne de vous honnorer et estimer grandement; en quoy je prenois grand playsir, comme vous pouves penser..

  A017000490 

 S'il persevere, nous aurons occasion de nous en contenter; s'il ne le fait pas, il faudra user de l'un de ces deux remèdes: ou bien le retirer dans un college un peu plus fermé que celuy ci, ou bien luy donner un maistre particulier, qui soit homme et auquel il rende obeissance.

  A017000491 

 Il ne se peut dire combien nous sommes grans amis, ni combien il me respecte: cela, avec un maistre particulier, suffira pour le bien conduire, si par adventure il ne perseveroit pas.

  A017000507 

 J'espere neanmoins que le benefice de nature qu'ell'a eü apres une si longue retention, luy sera salutaire et que, moyennant les remedes que ce bon medecin, qui est fort experimenté, luy appliquera, le mal ne passera pas le septiesme, Dieu aydant, lequel nous prierons ardemment pour elle..

  A017000524 

 Car, dequoy vous pourrois je entretenir maintenant? Chacun, en ce païs, se repose pour un peu, comme gens qui ne font que de sortir d'un grand travail, et tous-jours quelques uns prennent le repos final dans la sepulture, pour les extremes incommodités quilz ont souffertes en la guerre, en laquelle il semble quilz n'ont pas eu le loysir de mourir, et qu'au premier tems qu'ilz ont de relasche, ilz font ce devoir.

  A017000539 

 Que si ilz ne s'accommodent pas a mon desir, je vous prie de surseoir et me venir voir..

  A017000540 

 Et ne sert a rien de m'alleguer des exemples, car les Evesques qui les permettent peuvent avoir plus d'authorité que je n'ay pas; et comm'ilz ont, je m'asseure bien, dequoy respondre de leurs actions, aussi respondray-je, comme j'espere, des miennes.

  A017000540 

 Je ne doute point que les mariages des catholiques et hæretiques ne soyent bons quand ilz sont faitz; mais de les permettre et faire benir, le Pape mesme ne le fait pas.

  A017000557 

 De l'autre projet, certes, je ne voy nulle apparence que nous employons nos filles pour les monasteres du Tiers Ordre, car nous n'en avons pas de reste de filles qui puissent servir de conductrices.

  A017000557 

 Et puis, comme pourroyent elles servir en un Institut qu'elles [ne connaissent] pas? J'admire que cette bonne [dame refuse de convertir] ce dessein en Carmelines; car, pour [le dire à votre cœur] comme au mien propre, les Tiercelines... lesquelles le sont d'un seul Ordre et qui n'est encor [pas reconnu des] doctes, comme n'ayant que cinq ou six petitz monasteres..

  A017000558 

 Pour nostre Congregation, je ne voy pas qu'elle puisse tant faire tout a coup, ni mesme pour ce que nostre chere grande Seur propose pour Billon.

  A017000558 

 [Il m'est [36] avis que] ce seroit un bon expedient, que la Mere Elisabeth venant icy, amenast avec soy deux des plus capables de Tholouze et autres deux de Billon, qui, en quatre ou cinq moys, pourroyent estre suffisamment façonnëes pour retourner vers les autres et les mettre en train, avec l'assistence des lettres et des visites de monsieur l'Aumosnier ou de quelqu'autre avec lequel nous confererions; car en somme, je ne voy rien en cette ville que ma Seur de la Roche, pour le present, laquelle ne seroit encor peut estre pas bonne toute seule..

  A017000560 

 Si donq on ne veut pas prendre l'expedient d'envoyer icy les filles a l'apprentissage, et qu'on ne veuille pas attendre au moins un an et demi, il est mieux de refuser humblement ce qu'on ne peut pas bonnement entreprendre, que de l'entreprendre temerayrement.

  A017000569 

 Ce ne sera pas sans parler de nostre bastiment d'Annessi avec ce bon Abbé, si toutefois l'arrivee du Pere General des [38] Feüillans qui, comme moy, y doit estre pour le jour de saint Bernard, ne nous occupe en d'autres affaires que vous sçavés.

  A017000569 

 Je ne l'ay encor veu qu'une seule petite fois en commun, car, comme vous sçaves, je ne fay pas ce que je veux a voir mes filles, ni mesme, ce qui importe le plus, a voir ma Mere..

  A017000569 

 Le bon Frere Adrien part d'icy avec moy; mais luy, ma tres chere Mere, pour aller ou vous estes, et moy pour aller en Abondance, ou vous n'estes pas encor, mais ou vous seres quand j'y seray, puisque Dieu a voulu que nous ne fussions qu'une mesme chose en luy.

  A017000596 

 Je ne sçai rien de cette coustume, et nostre Mere, [42] ou je suis le plus trompé du monde, n'a pas eu intention en cela de se lier a faire ainsy toutes les annees, comme peut estre ell'a fait deux ou trois fois au plus.

  A017000596 

 Mays si quelques unes desirent de se confesser a quelque confesseur autre que l'ordinaire, elles le peuvent sans difficulté et sans que les autres qui n'ont pas ce goust-la soyent obligees a changer de confesseur.

  A017000596 

 O Dieu, qu'il est vray que la ferveur ne depend pas de la bouche des confesseurs differens, mays de la grace de Dieu et de la simplicité et humilité du cœur! Mays les Constitutions sont claires, qu'on peut appeller des confesseurs outre les quatre fois, pour la consolation de celles qui le desirent.

  A017000635 

 Mays cette dilation ne doit estre faite qu'a l'extremité, et sur la difficulté des-ja esmëue en l'assemblee, non pas sur l'apprehension de la difficulté.

  A017000637 

 Si le curé de Miouxi est decedé, on pourra bien [50] favoriser monsieur de Monfalcon, a la charge quil mettra des vicaires de poids, tandis que, pour la poursuite de ses estudes, il sera dispensé de sa residence, car il faut des meilleurs vicaires ou les curés ne resident pas; et le Chapitre mesme, comme y ayant interest, pourroit reserver qu'ilz fussent examinés expres pour cela.

  A017000661 

 Je sçai quil arrivera aussi quelque difficulté sur la [53] reception de monsieur Jay au concours, dautant que la rayson pour laquelle nous jugeasmes de le pouvoir excepter sans consequence de la regie des resignans leurs cures, semble manquer de fondement, puisque le bien publiq que nous desirions ne s'en est pas ensuivi.

  A017000674 

 Ni vous ne deves pas alleguer au contraire que vous n'aves pas la connoissance des choses des proces, car c'est la moindre des functions du grand vicaire, et pour le bon succes delaquelle il suffit quil ayt de la vigilance et du zele pour faire que les autres officiers facent bien leur devoir, et qu'il establisse un bon substitut et des bons assesseurs.

  A017000689 

 Au reste, mon cœur amoureux de la sainteté de vostre assemblee, quoy que je ne l'aye veuë qu'en passant, et plustost entreveuë que veuë, ne me permet pas de partir sans vous exhorter en Nostre Seigneur de poursuivre constamment l'execution de la sacree inspiration que Dieu vous a donnee, de perfectionner de plus en plus cette vertueuse compaignie par une pure et simple privation de toute proprieté, par les exercices de la sainte orayson mentale et par une fervente frequentation des divins Sacremens..

  A017000690 

 Vous luy pourres donq confidemment dire que vous m'aves touché un mot de vos affaires; car je [57] sçay bien qu'il ne le treuvera pas mauvais, estant, comme il est, de mes meilleurs amis, et qui sçait bien que je n'ay pas accoustumé de rien gaster et que je ne suis point un entrepreneur d'authorité, ains homme qui ne trouble rien; et pourres encor luy dire tout ce que je vous ay dit, dequoy, pour vous rafraischir la memoyre, je vous feray une repetition..

  A017000691 

 Et ne sert a rien de dire « nostre voile, nostre robbe, nos chemisettes, ou nos mutandes, » si en effect leur usage n'est pas indifferent et commun a toutes les Seurs, les paroles estans peu de chose si les effectz ne correspondent.

  A017000691 

 Premierement, que le renoncement de toute proprieté et l'exacte communauté de toutes choses est un point de tres grande perfection, et qui doit estre desiré en tous les monasteres et suivy par tout ou les Superieurs le veulent; car encor que les Religieuses qui n'en ont pas l'usage en leurs maysons ne laissent pas d'estre saintes, la coustume les dispensant, si est ce qu'elles sont en extreme danger de cesser d'estre saintes, quand elles contredisent a l'introduction d'une si sainte observance tant aymable et tant recommandee par le Pere saint François et la Mere sainte Claire, et qui rend les Religions riches en leur pauvreté et parfaitement pauvres en leurs richesses, le mien et le tien estans les deux motz qui, comme disent les Saintz, ont ruiné la charité.

  A017000692 

 Certes, qui est douillet [58] de porter un linge et un drap lavé parce qu'il a esté, auparavant le lavement, porté par son frere chrestien, je ne sçay pas comme il ose dire qu'il ayme son prochain comme soy mesme; et faut qu'il ayt un grand amour propre, qui le fasse estimer si net en comparayson des autres..

  A017000692 

 Or, j'ay veu en un monastere ou j'avois une fort proche parente, que toute la difficulté de cet article estoit en la douilletterie de quelques Seurs en ce qui regarde les chemisettes et les linges; et j'admiray que la lessive ne suffist pas pour ce sujet a des filles de celuy qui baysoit tendrement les ladres et de celle qui baysoit les pieds des Seurs revenantes de dehors.

  A017000694 

 Quant a l'orayson et a la frequence des Sacremens, il n'y a point de difficulté, ce me semble, sinon pour le dernier, de gaigner le Pere confesseur, affin qu'il ne se lasse pas de faire la charité aux Seurs, les oyant en confession quand il en sera requis par la Superieure..

  A017000695 

 Mays pour ce dernier point, il semble qu'il ne soit pas convenable de le demander, puisque l'ordre mis par le Concile suffit pour la satisfaction de vostre Congregation..

  A017000695 

 Or, il est requis quand la Superieure void des Seurs grandement troublees, et difficiles ou repugnantes a se confesser au confesseur ordinaire, pourveu que ce ne [59] soit pas tous-jours, ains parfois seulement et sans abus.

  A017000696 

 Ni il ne faut pas dire que vostre Ordre soit exempt des Constitutions du sacré Concile; car, outre que le Concile est sur tous les Ordres, s'il y a aucun Ordre qui doive obeir aux Conciles et a l'Eglise romaine, c'est le vostre, puisque le Pere saint François l'a si souvent inculqué..

  A017000697 

 Et en somme, cet inconvenient n'est pas comparable a mille et mille pertes d'ames que la sujettion de ne se confesser jamais qu'a un seul peut apporter, comme l'experience le fait connoistre; et en somme, c'est une presomption insupportable a qui que ce soit, de penser mieux entendre les necessités spirituelles des fideles et de s'imaginer d'estre plus sage que le Concile.

  A017000697 

 Il est vray que cela pourroit arriver; mays il est vray aussi qu'une fille qui sera si malheureuse que de faire des mauvaises confessions et des Communions indignes pour attendre l'extraordinaire, elle ne fera pas grand scrupule d'en faire plusieurs, et plusieurs mauvaises, pour attendre la mutation du confesseur ou la venue du Superieur.

  A017000697 

 Mais, ce dit-on, il se pourroit faire qu'une fille sçachant qu'elle pourra avoir un confesseur extraordinaire, elle gardera ses pechés jusques a sa venue, la ou, si elle n'avoit point d'esperance d'autre confesseur, elle ne les garderoit pas.

  A017000699 

 C'est grand cas comme c'est une subtile tentation! Nous voulons garder la liberté de la proprieté, qui est contre la perfection, et ne voulons pas recevoir la liberté des communications, laquelle estant bien entendue, nous ayde a la perfection.

  A017000700 

 Or, ces communications ne se doivent pas faire pour apprendre de diverses manieres de vivre en un monastere, mais pour apprendre a mieux et plus parfaitement [61] prattiquer celle a laquelle on est obligé; et si, elles n'empeschent point les conferences publiques, ains elles servent pour les mieux digerer et appliquer une chacune en son particulier..

  A017000701 

 J'avois oublié de dire que quand le confesseur extraordinaire vient, il faut que toutes les filles se confessent a luy, affin que celles qui en ont besoin ne soyent point descouvertes et que le malin ne seme point de reproches parmi la Mayson; mais celles qui ne veulent pas prendre confiance a l'extraordinaire, pourront, avant que de se confesser a luy, faire leur confession a l'ordinaire, et par apres dire seulement quelques pechés ja confessés, a l'extraordinaire, pour servir de matiere a l'absolution..

  A017000718 

 Or, Monseigneur, tous ses devanciers et son frere, ayant tous-jours esté tres affectionnés a l'obeissance de Vostre Altesse, il espere d'elle tout le soulagement qui luy est requis pour estre relevé non de l'indigence, car ayant choysi la profession ecclesiastique il ne pretend pas a cela, mais de la misere seulement..

  A017000794 

 Il suffit que tous les chrestiens damnés ne le seroit (sic) pas si ilz mouroyent apres le Baptesme; mays Nostre Seigneur laisse ordinairement que les choses d'icy bas aillent leur cour (sic) ordinaire et que nous usions de nostre libre arbitre a nostre gré.

  A017000794 

 [69] La question de M me de Mieudry et de vous est aysee a resoudre, mais il n'est pas si aysé d'appayser toutes les allegations et repliques qu'on a accoustumé de faire: c'est pourquoy je remettray cela pour quand nous aurons du loysir.

  A017000806 

 Vous estes raysonnable et n'attendres pas de moy, ma tres chere Mere, des grandes lettres en ce tems auquel j'ay tant d'affaires sur les bras, que je n'en puis pas porter davantage.

  A017000807 

 Que si il ny a pas tant de danger, vous la laisseres venir..

  A017000828 

 Ceignes vos reins de force et remplisses vostre cœur de courage, et puis, dites: Je feray prou, non pas moy, mais la grace de Dieu avec moy.

  A017000828 

 Il ne faut pas s'amuser a discourir quand il faut courir, ni a deviser [72] des difficultés quand il les faut devider.

  A017000828 

 Il ne faut pas, ma chere amie ma Fille, permettre a vostre esprit de se regarder soy mesme et de se retourner sur ses forces ni sur ses inclinations; il faut ficher les yeux sur le bon playsir de Dieu et sur sa providence.

  A017000828 

 Sil vous appelle (et il est vray quil vous appelle) a une sorte de service qui soit selon son gré, quoy que non selon vostre goust, vous ne deves pas moins avoir de courage, ains davantage que si vostre goust concouroit a son gré; car, quand il y a moins du nostre en quelqu'affaire, ell'en va mieux.

  A017000829 

 Ma tres chere Fille, salues tendrement ma chere Seur Peronne Marie, qui est certes toute dedans mon ame, et ma Seur Françoise Hieronime (je ne vay pas par ordre), et ma Seur Marie Renee et ma Seur Anne Marie, et toutes nos autres Seurs que je n'ayme pas moins pour ne les connoistre que pour estre des servantes de Dieu et filles [tres cheres] de Nostre Dame..

  A017000842 

 Monsieur Claude me promit de me venir voir et il ne le fit pas, car ce fut en la rue ou je le rencontray.

  A017000842 

 Vous aures fort a faire a vous defendre pour Contamine, et a la fin vous verres quil faudra donner une grosse pension; ce que je ne dis pas le sachant, mais le presageant..

  A017000860 

 Mays je ne pense pas que pour cela vous deussies attendre, si vous aves des affaires ailleurs, car peut estre ne repassera il pas vers vous, encor que vous demeureres..

  A017000875 

 Monseigneur l'Evesque de Saint Paul me conjure fort de vous supplier d'aggreer quil s'advoüe des vostres; dequoy je ne fay pas difficulté, puisqu'estant enfant d'une bonne famille, il ne luy arrivera point de necessité qui le puisse porter a vous donner aucune autre sorte d'importunité..

  A017000893 

 Mays sil arrive asses tost, ne laisses pas d'en manger; et je ne veux point que vous me respondies, ains seulement que je sache si vous vous portes bien..

  A017000903 

 Pauvres et chetifves creatures que nous sommes, en cette vie mortelle nous ne pouvons quasi rien faire de bon qu'en souffrant pour cela quelque mal; non pas mesme nous ne pouvons quasi pas servir Dieu d'un costé que nous ne le quittions de l'autre, et souvent il nous convient quitter Dieu pour Dieu, renonçant a ses douceurs pour le servir en ses douleurs et travaux..

  A017000906 

 Vous aves ci devant franchi plusieurs passages, et ç'a esté par la grace de Dieu; la mesme grace vous sera presente en toutes les occasions suivantes, et vous delivrera des difficultés et mauvais chemins l'un apres l'autre, quand il devroit envoyer un Ange pour vous porter es pas plus dangereux..

  A017000917 

 Certes, je vay a la bonne foy, et qui voudra m'estre si rigoureux que de remarquer mes imperfections et defautz, il ne m'aymera jamais guere longuement, sur tout mes manquemens es civilités, complimens et autres choses de bienseance; car, outre que j'ay l'esprit fort lourd, je l'ay encor si chargé d'occupations selon ses forces, que je ne voy pas tout ce quil faudroit..

  A017000934 

 Sur la recommandation qu'il a pleu a Vostre Altesse de me faire en faveur du sieur du Chatelard, qui me [83] tient lieu de commandement, j'eusse grandement desiré de le pouvoir prouvoir du benefice qu'il praetendoit; mays d'un costé, il n'estoit pas en moy d'en disposer, puisque le Chapitre de mon eglise en avoit la nomination, et d'autre part, tant ledit Chapitre que moy, ne pouvons en sorte quelcomque nous departir des ordonnances du Concile de Trente, que nous avons juré d'observer; et elles ne nous permetent pas de distribuer les benefices curés que par le concours au plus capable, et faysans le contraire, nous nous exposerions a la disgrace de Nostre Seigneur et a la damnation.

  A017000935 

 Certes, je souhaite tout bonheur audit sieur du Chatelard, qui fait profession d'aymer le service de l'Eglise; mais pour des benefices, je luy en desirerois d'autre nature que de ceux qui portent charge d'ames, et ilz ne luy manqueront pas, sii plait a Vostre Altesse le favoriser es occurrences..

  A017000972 

 En somme, puis que je n'ay pas le loysir de m'estendre davantage, je veux dire en un mot, que je vous cheris avec un honneur et respect tout parfait, et avec vous, tous messieurs mes freres et mesdames mes seurs, entre lesquelz je salue humblement ceux qui sont pres de vous.

  A017000993 

 Despuis, il a tous-jours continué a vouloir me faire cet honneur, auquel n'estimant pas que je me deusse laisser prevenir, puisqu'il est le premier des Evesques de France et moy le dernier de Savoye, je l'allay voir a Lion, comme Vostre Excellence sçait.

  A017000993 

 Et je ne sceu nullement d'asseurance sa venue, que le soir avant qu'il arrivast; car encor que six jours auparavant le sieur de Medio, originaire de ce païs, mais chanoine de l'eglise de Saint Nizier de Lion, m'eust escrit qu'il avoit quelque opinion que Monseigneur l'Archevesque estendroit sa visite jusques icy, si est ce que, n'y faysant pas fondement, j'envoyay un laquay pour le sçavoir, qui ne revint que le jeudy au soir avant le vendredy auquel Monseigneur l'Archevesque arriva..

  A017000995 

 Estant icy, je vous asseure que nous n'avons ni fait ni dit, non pas mesme pensé, aucun traitté, ni pour les choses du monde, qui, si je ne me trompe, nous sont a tous deux fort a degoust, ni pour les choses ecclesiastiques, n'ayans rien eu ni a demesler ni a mesler; mays seulement, purement et simplement, nous avons parlé des devoirs que nous avons au service de nos charges, de la façon des Offices ecclesiastiques et de telles choses entierement spirituelles..

  A017000996 

 Vostre Excellence ne m'obligera pas peu si elle en asseure Son Altesse, et je luy engage pour cela mon honneur et ma reputation, et a Dieu qui le sçait, ma conscience et mon salut..

  A017000997 

 Je ne sçay pas donq comme je puis jamais donner aucun ombrage, principalement ayant vescu comme j'ay fait..

  A017000998 

 Je me prometz de la faveur de Vostre Excellence que Son Altesse demeurera parfaitement satisfaitte, et que rien ne se sçaura de cet ombrage, qui affligeroit le bon Monseigneur de Lion beaucoup plus qu'il ne m'afflige pas moy, qui, par la suitte du tems et les evenemens, seray tous-jours reconneu tres asseuré et tres fidele serviteur de Son Altesse, a laquelle je souhaitte toute sainte prosperité.

  A017001018 

 Je croy bien quil ne treuvera pas trop de troys mille florins..

  A017001029 

 Nostre Mere et moy, qui ne sommes pas deux, vous cherissons comme nostre grande premiere fille, laquelle maintenant, moyennant la grace divine, en va faire d'autres pour l'eternité..

  A017001038 

 Je desirerois pouvoir escrire comme vous mesme, ma tres chere Mere, mais je ne sçauray pas le faire si le laquay part demain si matin, car je suis embarqué en un appointement et donn'a souper a monsieur de Talloyre.

  A017001048 

 Mays non, mon tres cher Frere, je ne dis pas sinon presqu'autant, car je confesse qu'apres que je vous ayme extremement, encor ne vous ayme-je pas asses selon vos merites..

  A017001061 

 J'ayme trop nostre pauvre seur affligee et ne suis pas si douillet pour pouvoir estre offencé de chose du monde de sa part.

  A017001061 

 Mays je tarde d'aller a Chamberi, pour voir si nous pourrions accomoder a l'amiable le différend criminel qu'elle et messieurs ses enfans ont avec Charriere, par ce qu'au prealable, je voudrois [97] qu'entre nous autres nous eussions pris les resolutions convenables a cela, affin qu'a faute de ce, je ne fusse pas contraint de demeurer longuement a Chamberi, ou je ne puis guere estre sans incommoder mes affaires.

  A017001062 

 Certes, je ne luy ay point fait de declaration, mais je ne laisse pas en mon ame de le hair a mort, par ce quil hayt a mort l'esprit de Dieu et les enfans du Crucifix.

  A017001062 

 Mays je ne veux pas laisser de vous dire que nostre pauvre Visitation va bien avoir du bruit pour ces deux [98] braves filles qui desirent, demandent et pressent d'y estre receües, et auxquelles sans doute on ne refusera pas la porte quand elles viendront, ainsy que l'on leur [a] promis fort saintement.

  A017001062 

 Or, puisque vrayement c'en sont, quel moyen y auroit il de n'estre pas bien ayse du bien de ces cheres ames et de l'avancement de la gloire dé Dieu? Et si, je confesse a ma tres chere Fille, quil y a un peu de la malice dans mon cœur; car je suis bien ayse encor que le monde soit trompé et que ces filles, qui sembloyent estre en ses bonnes graces, se moquent de luy, le quittent et le mesprisent, car en verité il le merite, d'autant quil ne vaut rien et quil mesprise Dieu.

  A017001074 

 Il y a aussi troys semaines que, pour moy, je vay trainant entre la santé et la maladie; mais ce n'est pas cela qui m'a empesché d'escrire, c'est que nulle commodité ne s'en est presentee, ni petite ni grande.

  A017001075 

 Mays vous, ma tres chere Fille, n'escrives pas tant de lettres a chasque fois; il suffira, quand vous aures bien tout escrit a la chere Mere, de faire un seul petit billet au pauvre Pere, qui ne die rien sinon quil est tout vostre..

  A017001081 

 Mays, ma tres chere Fille, ce n'est pas besoigne faite, bien qu'en verité toutes s'y acheminent.

  A017001085 

 Vostre renouvellement n'ayant pas esté fait le jour de la Presentation, vous le pourres faire le jour de l'an ou des Roys, ou comme Monseigneur l'Archevesque voudra; car je croy bien que vous voudres que ce soit luy qui le reçoive.

  A017001093 

 Le frere n'est pas dans cette ville..

  A017001102 

 L'excuse aussi n'estoit pas bonne de dire: Je n'ay pas des mammelles, je n'ay point de lait; car ce n'est pas de nostre lait ni de nos mammelles que nous nourrissons les enfans de Dieu; c'est du lait et des mammelles du divin Espoux, et nous ne faysons autre chose sinon les monstrer aux enfans et leur dire: Prenes, succes, tires et vives.

  A017001103 

 La paix n'est pas juste, qui fuit le labeur requis a la glorification du nom de Dieu..

  A017001114 

 Pleust a Dieu, Monsieur, qu'ilz eussent esté auditeurs des discours de Monseigneur de Lion et de moy! et ilz auroyent veu et sceu que nous n'avons pas, que je sçache, dit une parole qui ne tende a l'advancement de la gloire de Dieu dans nos troupeaux; et nous estimons les discours des capitaines et soldatz indignes d'occuper le tems des Pasteurs de la bergerie du Dieu vivant..

  A017001143 

 J'escris a Son Altesse la lettre ci jointe, et pour luy donner une plus seure addresse, je vous supplie tres humblement de la luy remettre, bien que je n'aye pas lhonneur d'estre conneu de vous, a qui neanmoins je suis de tout mon cœur,.

  A017001158 

 J'ay receu l'une et l'autre de vos lettres et ne pense pas avoir dit a M. le Curé quil ne reconneut pas, mais ouy bien quil ne reconneut pas sans me communiquer la forme de la reconnoissance qu'on luy demandoit, affin que je visse sil y avoit chose qui fut contre le droit divin ou humain, comme il me semble qu'il y auroit si elle estoit telle qu'il me la descrivoit.

  A017001158 

 Or, je n'escriray donq pas a monsieur vostre cher mari pour ce regard, comme M. le Prieur s'est imaginé, car je ne doute point que tous ces messieurs n'ayent et l'esprit et le cœur disposé a faire chose juste..

  A017001159 

 Et puisqu'elle ne peut pas aller a La Thuille, pour peu qu'elle nous en donne la commodité, nous ferons venir une partie de La Thuille icy; et je dis une partie, par ce que le petit enfant, qui est le plus beau garçon du monde, n'a garde de vouloir venir en ce tems..

  A017001159 

 J'attendray donq ma chere seur M me de Bressieu, qui ne m'oblige pas peu de venir, m'ostant par ce moyen de la necessité d'aller a Chamberi, ou je ne pouvois aller sans beaucoup [111] d'incommodité.

  A017001184 

 Tenes vous donq bien a luy, et regardes deux ou trois fois le jour si vostre main n'est pas tous-jours fermement attachee a la sienne..

  A017001187 

 Ne voyes vous pas, ma chere ame (car mon cœur me fait dire ainsy), que vostre petite Congregation est comme une fontaine sacree en laquelle plusieurs ames puiseront les eaux de leur salut, et que des-ja plusieurs, a l'imitation de la vostre, veulent eriger d'autres pareilles Congregations a la grande gloire de Dieu et a la grande facilité du salut pour plusieurs? Ne vous lassés donq nullement d'estre mere, quoy que les travaux et soucis de maternité soyent grans..

  A017001188 

 O ma Fille tres chere, que de benedictions mon ame souhaitte a la vostre! Je salue nos Seurs professes, du cœur qu'elles sçavent, et nos Novices, d'un cœur qu'elles ne sçavent pas.

  A017001200 

 Tenés vous aupres de cette Mere, ce pendant, et ne l'abandonnes pas d'un seul moment tandis qu'elle part de Nazareth et qu'elle va en Bethlehem; tandis que, sans empressement, mays non pas sans des ardens mouvemens, elle attend d'heure a autre de voir esclos de son sacré ventre le bel oyseau du Paradis.

  A017001211 

 Il est vray qu'en cela je ne voy pas grand peché, puisque c'est contre la volonté; mays il ne faut pas pourtant laisser cela sans quelque penitence.

  A017001211 

 Mais voyes vous, chere Fille de mon cœur, n'espouvantes pas ces bonnes filles; car d'une extremité, elles pourroyent passer a l'autre, ce qu'il ne faut pas..

  A017001211 

 Quand l'ennemy ne peut pas rendre nos ames Marion, il [117] rend nos cœurs Robin; et il ne s'en soucie pas, pourveu que le tems se perde, que l'esprit se dissipe et que tous-jours quelqu'un soit scandalizé.

  A017001212 

 Je ne vous dis pas encor mes pensees sur le sujet dont vous m'aves escrit, parce que c'est aujourd'huy Noël, jour auquel les Anges viennent chercher le Paradis en terre, ou certes aussi il est descendu en la petite spelonque de Bethlehem, dans laquelle, ma tres chere Fille, je vous treuveray tous ces jours suivans avec toutes nos cheres Seurs, qui sans doute feront leur residence, comme des sages abeilles, autour de leur petit Roy.

  A017001223 

 Je croy que vous ne tarderes pas a les rendre satisfaitz, et je passeray plus outre et vous contenteray..

  A017001223 

 Je fay en partie ce que M. le Superieur et vous aves desiré, et ne me fusse pas arresté la, n'eust esté qu'hier, ceux qui ont esté employés pour vostre affaire m'y vinrent obliger par leurs remonstrances.

  A017001267 

 J'apprends avec douleur que les habitants de Saint-Maurice sont affligés de la peste, et je ne manquerai pas de les aider des [122] prières de mes fidèles, selon la considération et l'affection que j'ai pour tous vos sujets..

  A017001282 

 Je luy dis que vous avies mesuré les affaires de vos enfans il y a long tems, et que de plus en plus vous treuvies quil ny avoit pas moyen de faire autrement.

  A017001293 

 Vives donq tous-jours en cette parfaite asseurance, que mon ame ne sçauroit pas seulement un seul moment oublier l'amour sacré et vrayement paternel qu'il a pour la vostre..

  A017001294 

 [125] Il est bon que nous ne soyons pas tous-jours attachés aux mammelles de nostre Dieu et que nous soyons un peu sevrés de sa douceur..

  A017001331 

 O combien de foys, Monsieur mon cher Filz, ce nom et ce cœur de pere que je porte envers vous me presse-il d'amour et de zele pour supplier la divine Bonté qui l'a volu comme cela, de combler vostre ame de sa sainte dilection, establissant son royaume celeste en vous! Je le sçai bien que les bons enfans pensent souvent en leurs peres; mays ce n'est pas souvent, c'est tous-jours que les peres ont leurs espritz en leurs enfans..

  A017001333 

 De faire des amas de paroles sur ce sentiment pour en [130] tesmoigner la grandeur, je n'en ay pas l'art, principalement escrivant avec ce cœur tout de bonne foy, a Vostre Grandeur, qui se contente de la realité de mon affection.

  A017001354 

 Ilz protestent fort de ne penser a point de mal, mais c'est en un langage qui ne veut pas du tout dire cela.

  A017001383 

 Je ne vous puis dire autre chose sur ce que vous m'escrives, sinon que Dieu fera plus que les hommes ne peuvent penser pour cette Congregation, et spirituellement et temporellement; et n'en avons nous pas d'asses bons gages jusqu'a present?.

  A017001385 

 Je compatis grandement a vostre peyne, quoy que je ne doute pas qu'elle ne soit aggreable a vostre esprit, qui l'accepte comme venant de ce Pere celeste, lequel donne les tribulations avec un amour nompareil aux enfans de sa providence.

  A017001397 

 Si moins, nous en prendrons icy quelqu'un, car nous en avons d'asses bons, pourveu qu'on ne fust pas si douillet comme l'on est en ce tems, auquel tant de gens sçavent bien dire et fort peu bien faire..

  A017001411 

 J'ay bien voulu essayer d'accommoder sa volonté avec celle du sieur de Barraux, mais ilz ont reciproquement refusé les ordonnances du medecin, disant qu'ilz n'estoyent pas malades; c'est a dire, ilz ont bien advoüé qu'ilz avoyent sujet de se vouloir l'un l'autre, mais qu'ilz n'avoyent nulle intention de se rechercher pour en tirer satisfaction, pour le respect qu'ilz devoyent a la vostre, laquelle je les exhorteray tous-jours de reverer comme le sanctuaire de leur bonheur.

  A017001422 

 Que dires vous, ma tres chere Fille, voyant si peu de lignes de ma part, apres en avoir si souvent receu de la [137] vostre beaucoup plus? Or, dites, et ce sera la verité, dites quil faut bien que le pauvre Pere ne puisse pas mieux faire; car il ayme si fort sa toute chere fille, que sil pouvoit, il ne se contenteroit pas de l'entretenir si peu..

  A017001424 

 Mays, puisque du bon accueil que Monseigneur l'Archevesque fera a cette Congregation en sa ville depend celuy qu'elle peut prætendre en toute la France, j'acquiesce que l'on en face une Religion formelle, a la reserve de ces deux pointz sus marqués, puisque, comm'il dit, on ne changera rien aux Regles, quil loue et proteste estre « excellentes », car c'est son mot, que le fruit de cette Congregation est admirable, mais que la racine n'en vaut rien; combien que Nostre Seigneur die qu' un mauvais arbre ne sçauroit produire bon fruit. Je voy aussi que, par ce moyen, on contentera une quantité de censeurs, et les peres et parens des filles qui ne les veulent pas donner a Dieu que pour gaigner les portions qu'elles emporteroyent silz les donnoyent a quelque chetif mari..

  A017001425 

 Et non seulement ma volonté, mais mon jugement a esté bien ayse de se sousmettre et rendre l'homage quil doit a celuy de ce digne Prælat; car, ma Fille, que prætens-je en tout ceci, sinon que Dieu soit glorifié et que son saint amour soit respandu plus abondamment dans le cœur de ces ames qui sont si heureuses que de se dedier toutes a Dieu? Les Congregations et les Religions [139] ne sont point differentes devant la divine Majesté, car, selon icelle, les vœux des unes sont aussi fortz que ceux des autres; et le tiltre de Congregation n'estant pas si specieux ni honnoré, m'en playsoit davantage.

  A017001426 

 Ne serois-je pas un chetif homme, si je voulois m'estimer et relever mon esprit en comparayson des autres?.

  A017001427 

 En Italie on n'en a pas tant besoin, ains nullement, car il y a tant de compaignies de femmes vefves, mariees, filles, ou les exercices se font; les maysons et quartiers de femmes, si retirés du reste de leur mesnage; plusieurs Congregations libres ou elles se retirent, et mille autres telles commodités.

  A017001427 

 Joint qu'en Italie, sur tout a Romme, l'esprit des femmes y est tellement soupçonné, que non seulement on ne permet pas aux hommes de parler aux Religieuses a la treille sans expresse et tres rigoureuse licence, mais mesme on ne le permet pas aux femmes sans cette mesme licence; on rie permet pas aux prestres, [140] quelz qu'ilz soyent, fussent ilz Jesuites, Capucins et tout ce qu'on voudra, d'y aller dire Messe, s'il n'a licence par escrit.

  A017001427 

 Or, de deça, les Carmelines mesme ne font pas ces misteres, par ce que les meurs et humeurs ne requierent pas tant de barricades ni de desfiances.

  A017001430 

 Il ny a pas grand hazard que le livre de l' Amour de Dieu soit retardé; je le fay cependant revoir..

  A017001474 

 Vous m'envoyeres donq les papiers et je vous renvoyeray ce que vous me marqueres, et l'assisteray en ce que je pourray, affin quil ne soit pas frustré de sa juste pretention.

  A017001475 

 Les sentimens de l'absence du defunct ne peuvent pas si tost passer; il suffit que, en la pointe de l'esprit, nous soyons bien resignés au bon playsir de Dieu, et que nous taschions de nous unir de plus en plus parfaitement au second Espoux.

  A017001491 

 Pour M. vostre mari et le reste, vous en feres ce que [147] vous estimerés a propos; je croy bien que ce ne sera pas trop de luy donner des conseilz, attendu quil craint Dieu, et quil faut avoir soin de bien nourrir ceux qui nourrissent bien cette sainte crainte, encor que ce soit avec imperfection..

  A017001492 

 Il se peut bien faire que j'aye mal fait en cela, et ce ne seroit pas un grand miracle; mais je ne le pense pas pourtant, a cause de la consideration pour laquelle je l'ay fait et la liberté que chacun a de se prsevaloir des autres prestres; outre que cela ne durera comme rien, Dieu aydant.

  A017001492 

 Le vicariat de Rumilly depend du curé; ce que j'ay fait pour condescendre a l'extreme instance qui m'a esté faite, c'est de luy permettre quil employast M. Nacot, si bon luy sembloit, sans pour cela empescher que l'on employast M. Charvet a cet exercice, pour ceux qui n'auroyent pas agreé l'autre.

  A017001492 

 Ne vous mettes nullement en peine de respondre a ceux qui m'en blasmeront; car encor que je ne le pense pas, peut estre ont ilz rayson.

  A017001530 

 Croyesmoy, ma chere Fille, j'ayme parfaitement nostre pauvre petite Congregation, mays sans anxieté, sans [150] laquelle l'amour n'a pas accoustumé de vivre, pour l'ordinaire; mays le mien, qui n'est pas ordinaire, vit, je vous asseure, tout a fait sans cela, et avec une tres particuliere confiance que j'ay en la grace de Nostre Seigneur, que sa main souveraine fera plus pour ce petit et humble Institut que les hommes ne peuvent penser.

  A017001554 

 C'est pourquoy je luy ay fait sçavoir quil ne revint pas qu'avec cette provision-la.

  A017001571 

 Ce college est extremement pauvre pour la grandeur des charges qui y sont; et si on ne le secourt par addition de quelques revenus, ces bons Peres y vivront avec tant d'incommodités, que non seulement ilz ny pourront pas faire les progres que leur pieté et les necessités de ce païs requierent..

  A017001572 

 Or, les moyens de leur accommodement seront fort aysés, pour peu quil playse a Vostre Altesse d'affectionner cette sainte œuvre; car nous avons icy deux prieurés ruraux, dont le plus grand n'excede pas la valeur de cent ducatz annuelz, par l'union desquelz ce college seroit fort soulagé.

  A017001615 

 Mays, ni le loysir ne le permet, ni, comme je pense, vostre necessité ne le requiert pas; car certes, ma tres chere Fille, la pluspart de ce que vous me marques n'a point d'autre remede ordinaire que la suite du tems et des exercices de la Regie en laquelle vous vives.

  A017001643 

 Ne faites pas semblant que je vous en aye adverti, mays je seray bien ayse que vous justifiies vostre bonne intention pour luy, attendu quil est si proche de vostre feu mari..

  A017001659 

 Ne pensés pas, je vous prie, ma tres chere Niece, ma Fille, que ç'ayt esté faute de souvenance ou d'affection si j'ay tant tardé a vous escrire; car, a la verité, le bon desir que j'ay veu en vostre ame de vouloir servir fort fidellement Dieu, en a fait naistre un extreme dans la mienne de vous assister et ayder de tout mon pouvoir, laissant a part le devoir que je vous ay d'ailleurs et l'inclination que j'ay tous-jours eu pour vostre cœur, a cause de la bonne opinion que j'en ay des vostre plus tendre jeunesse..

  A017001661 

 Et pour non seulement les conserver, mays les faire heureusement croistre, vous n'aves pas besoin d'autres advis que ceux que j'ay donné a Philothee dans le livre de l' Introduction, que vous aves; mais toutesfois, pour vous aggreer, je vous veux bien specifier en peu de paroles ce que je desire principalement de vous..

  A017001662 

 Or, je ne dis pas que si vous vous treuves en devotion pour communier tous les huit jours, vous ne le puissies faire, et sur tout, si vous remarques que par ce sacré mistere vos inclinations fascheuses et les imperfections de vostre vie s'aillent diminuant; mais je vous ay marqué de quinze en quinze jours affin que vous ne differies pas davantage..

  A017001671 

 Je ne voy pas pour le present que j'aye a vous dire autre chose, sinon que lhors que nous nous reverrons, vous me dires comme vous vous seres conduitte en ce chemin de devotion; et s'il y a quelque chose a adjouster, [168] je le feray.

  A017001684 

 Le seigneur Roc ne pense pas de vous y pouvoir servir, Monseigneur de Nemours son maistre ne prenant des chevaux que grandement praetieux; toutefois, il fait estat de vous aller voir au premier jour..

  A017001684 

 Sur ce point, il m'est venu en l'esprit d'ouvrir la lettre de M. de Vallon, et j'ay treuvé quil vous disoit du seigneur Roc ce que je vous allois escrire; de sorte quil ne sera pas besoin que vous envoyies encor a Grenoble pour cela.

  A017001716 

 Mays puis que cela n'a pas esté fait, je veux esperer en la bonté et equité de Vostre Altesse, que nous ne serons pas laissés en oubli pour la distribution des medailles.

  A017001853 

 J'ay receu la lettre de Son Altesse, par laquelle elle tesmoigne d'aggreer que je face les sermons du Caresme venant a Grenoble, et ay veu par celle qu'il vous a pleu m'escrire, le soin que vous aves eü de lire ce que j'escrivois a sadite Altesse sur le sujet de la venue de Monseigneur l'Archevesque de Lyon en cette ville; dont je vous rens graces, Monsieur, d'autant plus affectionnement et humblement, que ces bons offices n'ont origine que de vostre bonté et courtoysie, laquelle je vous supplie de vouloir exercer en toutes telles occasions qui m'arrivent plus souvent que je ne desirerois pas, plusieurs Praelatz de France me faysant l'honneur de m'aymer et de me vouloir visiter, encor qu'ilz ne me connoissent pas, ains peut estre par ce qu'ilz ne me connoissent pas..

  A017001854 

 Et en verité, onques il ne m'est advenu d'avoir esté seulement essayé par homme qui vive, ni qui ayt esté, de ce costé lâ; qui me rend d'autant plus estonné quand on me dit que les visites de ces seigneurs ecclesiastiques sont considerees comme suspectes, ne pouvant seulement deviner ni pourquoy ni en quoy, puisque mesme je suis en toutes façons savoyard, et de naissance et d'obligation, qui n'ay, ni n'eu jamais, ni pas un des [186] miens, ni office, ni benefice, ni chose quelcomque hors de cet Estat, et qui ay vescu tellement lié aux exercices ecclesiastiques, qu'on ne m'a jamais treuvé hors de ce train, et qui suis meshuy tantost envielly dans la naturelle et inviolable fidelité que j'ay voüee et juree a Son Altesse..

  A017001871 

 Vostre Grandeur jugera bien que je voudrois avoir un plus aggreable sujet d'implorer sa bonté; mays puisque celluy ci me presse, je ne laisse pas de me confier en elle que je ne seray pas esconduit, selon lhonneur que j'ay d'estre avoué,.

  A017001908 

 Les desirs de la premiere sorte s'expriment ainsy: Je desirerois de faire, par exemple, l'aumosne, mais je ne la fay pas, par ce que je n'ay pas dequoy.

  A017001909 

 Et ces desirs ne sont pas empeschés par l'impossibilité, mais par la lascheté, tiedeur et defaut de courage; c'est pourquoy ilz sont inutiles et ne sanctifient point l'ame, ni ne donnent nul accroissement de grace: dont saint Bernard dit que l'enfer en est plein..

  A017001909 

 Les desirs de la seconde sorte s'expriment ainsy: Je desirerois de faire l'aumosne, mais je ne la veux pas faire.

  A017001910 

 Par exemple, nul serviteur de Dieu ne peut estre sans ce desir: O que je desirerois bien de mieux servir Dieu! helas! quand le serviray-je a souhait? Et par ce que nous pouvons tous-jours aller de mieux en mieux, il semble que les effectz de ces desirs ne sont empeschés que faute de resolution; mays il n'est pas vray, car ilz sont empeschés par la condition de cette vie mortelle, en laquelle il ne nous est pas si aysé de faire que de desirer.

  A017001911 

 Mays quand en particulier il se presente quelque occasion de profiter, et en lieu d'en venir a l'effect on en demeure au desir, comme par exemple: il se presente occasion de pardonner une injure, de renoncer a la propre volonté en quelque particulier sujet, et en lieu de faire ce pardon ou renoncement, je dis seulement: Je voudrois bien pardonner, mais je ne sçaurois; je voudrois bien renoncer, mais il ny a moyen; qui ne void que ce desir est un amusement, ains quil me rend plus coulpable d'avoir une si forte inclination au bien et ne la vouloir pas effectuer? Et ces desirs ainsy faitz semblent estre de la premiere sorte, et sont de la seconde..

  A017001950 

 Ce matin le sieur Roch est parti de cette ville, ma tres chere Fille, et j'ay escrit par luy a M. Bonfilz, qui est a Lagnieu, pour vostre affaire, puisqu'il n'y a pas apparence de le voir si tost, et ledit sieur Roch m'a dit quil y contribueroit son credit..

  A017001951 

 Quand le sieur Guydeboix aura ses Bulles, vous accommoderes le reste, non pas aysement, mais tout bellement, selon vostre promesse, et on le rendra capable.

  A017002003 

 J'envoie à Votre Seigneurie le Mémoire touchant le mode qui me semble plus convenable pour obtenir la conversion des hérétiques; toutefois, comme il présuppose de toute façon que les princes jouissent [198] de la paix, ce n'est pas le moment de le proposer: aussi, je vous demande que jamais personne ne sache que ce Mémoire est venu de moi.

  A017002003 

 La chose n'est pas considérable en soi, mais à ce que l'on me dit, elle ne laisse pas d'être difficile..

  A017002003 

 Mais avec Votre Seigneurie je traite en toute confiance, je ne voudrais rien vous céler; car, bien que je ne vous connaisse pas personnellement, votre zèle pour la religion catholique est si pur que je ne puis douter de votre charité.

  A017002005 

 Or, Sa Sainteté a accordé à ces Dames et Sœurs certaines Indulgences, que je n'ai cependant pas voulu faire publier, parce qu'il [200] m'a semblé qu'elles avaient été concédées comme si cette Congrégation eût été une Association, Confrérie ou Compagnie de femmes vivant chacune dans sa maison; ce qui n'est pas, car elles demeurent au contraire toutes ensemble, avec une observance religieuse telle, qu'on ne saurait, même par la pensée, imaginer une fidélité plus pure et parfaite en chasteté, obéissance et pauvreté qui réduit tout en commun.

  A017002006 

 Dans ce but, je vous envoie une copie des Indulgences que je n'ai pas voulu faire publier et une copie de celles qu'on souhaite, avec un Mémoire de la fondation de cette pieuse Maison, afin que vous sachiez tout ce qui sera requis en cette affaire.

  A017002006 

 J'ajoute encore un point très important: cette [201] Congrégation, n'ayant pas les vœux solennels d'obéissance, chasteté et pauvreté, bien que ces trois vertus s'y observent strictement, n'est pas un Ordre religieux formel, mais une Congrégation d'Oblates.

  A017002010 

 Cependant, je ne vois pas qu'il y ait une cause légitime pour soulever ces difficultés; car, puisqu'on accorde si libéralement des Indulgences aux Associations pieuses, à plus forte raison devra-t-on les concéder à une Congrégation d'une si grande perfection..

  A017002023 

 De ceux ci il s'en faut servir, il les faut assujettir, et non pas vivre selon iceux; mais ces vertus spirituelles, il les faut servir et leur faire asservir tout le reste..

  A017002025 

 Le sens humain veut avoir part en tout ce qui se passe, et il s'ayme tant, qu'il luy est advis que rien n'est bon s'il ne s'en est meslé; l'esprit, au contraire, s'attache a Dieu et dit souvent que ce qui n'est pas Dieu ne luy est rien, et comme il prend part aux choses qui luy sont communiquees, par charité, aussi quitte-il volontier sa part es choses qui luy sont celees, par abnegation et humilité..

  A017002025 

 Voyes vous, ma Fille, le sens humain appuyé sur la chair fait que maintes fois nous ne nous abandonnons pas asses entre les mains de Dieu, nous estant advis que, puisque nous ne valons rien, Dieu ne doit tenir conte [205] de nous, parce que les hommes qui vivent selon la sagesse humaine mesprisent ceux qui ne sont point utiles; au contraire, l'esprit appuyé sur la foy s'encourage emmi les difficultés, parce qu'il sçait bien que Dieu ayme, supporte et secourt les miserables, pourveu qu'ilz esperent en luy.

  A017002027 

 Qui ne void que ce n'est pas vivre selon l'esprit? Non certes, ma chere Fille, car tandis que j'estois encor bien jeune et [206] n'avois pas encor d'esprit je vivois des-ja ainsy; mais, quoy que selon mon naturel je sois honteuse, craintifve, apprehensifve comme une taupe, neanmoins je me veux essayer de surmonter ces passions naturelles, et, petit a petit, faire tout ce qui appartient a la charge que l'obeissance procedante de Dieu m'a imposee.

  A017002028 

 Je suis triste, et partant je ne veux pas parler: les charretiers et les perroquetz font ainsy; je suis triste, mais puisque la charité requiert que je parle, je le feray: les gens spirituelz font ainsy.

  A017002061 

 Helas, que je la regrette si elle se laisse emporter a cette bouffee de tentation! Mays il ne se faut pas haster, ains il luy faut, sil se peut, laisser autant rouler dans son ame la tentation avant que de l'advoüer, comme on luy a laissé ruminer l'inspiration avant que de la recevoir; et faut en cela user de charité et de dexterité a ne faire pas semblant de se desfier de sa perseverance.

  A017002101 

 Encor ne faut il pas, s'il vous plaist, ma tres chere Mere, prendre aucune nourrice; ains, comme vous voyes, il faut quitter celle que neanmoins vous aures, et demeurer comme une pauvre petite chetifve creature devant le throsne de la misericorde de Dieu; et demeurer toute nue, sans demander jamais ni action ni affection quelcomque pour la creature, et neanmoins vous rendre indifferente a toutes celles qu'il luy plaira vous ordonner, sans vous amuser a considerer que ce sera moy qui vous serviray de nourrice; car, comme vous voyes, si vous prenies une nourrice a vostre gré, vous ne sortiries pas de vous mesme, ains auries tous-jours vostre conte, qui est neanmoins ce qu'il faut fuir sur toutes choses..

  A017002123 

 Ma tres chere Mere, il est vray, vostre imagination a tort de vous representer que vous n'aves pas osté et quitté le soin de vous mesme et l'affection aux choses spirituelles; car n'aves vous pas tout quitté et tout oublié? Dites ce soir que vous renonces a toutes les vertus, n'en voulant qu'a mesure que Dieu vous les donnera, ni ne voulant avoir aucun soin de les acquerir qu'a mesure que sa Bonté vous employera a cela pour son bon playsir..

  A017002132 

 Je n'escris pas, non, car apres le repas cela ne se doit pas, ma tres chere Mere; mais je vous donne tres affectionnement le bon soir, priant Dieu que, vous ayant reduit a l'amiable tressainte pureté et nudité des enfans, il vous prenne meshuy entre ses bras comme saint Martial, pour vous porter a son gré a l'extreme perfection de son amour.

  A017002140 

 Que s'il ne vous delivre pas si tost de vos imperfections, c'est pour vous en delivrer plus utilement et vous exercer plus longuement en l'humilité, affin que vous soyes bien enracinee en cette chere vertu..

  A017002152 

 En sorte que celles qui communient plus souvent n'estiment pas moins les autres qu'elles, puisqu'on s'approche maintes fois plus pres de Nostre Seigneur en s'en retirant avec humilité, qu'en s'en approchant selon nostre goust propre; et celles qui ne communient pas si souvent, ne se laissent point emporter en la vaine emulation.

  A017002152 

 Il est vray qu'il ne faut pas permettre que la Regie soit outrepassee, sinon rarement, et pour des sujetz pareilz a celuy cy..

  A017002152 

 Il les faut affermir, s'il est possible, a ne vouloir pas toutes faire tout ce que les autres font, ains seulement a vouloir tout ce que les autres veulent: c'est a dire, a ne faire pas toutes les mesmes exercices, fors ceux de la Regie, ains que chacune marche selon le [222] don de Dieu; mais que toutes ayent cette unique et simple pretention de servir a Dieu, ayant ainsy toutes une mesme volonté, une mesme entreprise, un mesme projet, avec une grande resignation d'y parvenir une chacune selon les moyens que la Superieure et le Pere spirituel jugeront expediens.

  A017002165 

 Ma tres chere Fille, il faut bien supporter le Pere qui ne fait pas trop bien son devoir paternel, quoy qu'il aye un cœur non pareil pour sa tres chere fille, a laquelle il souhaite toutes saintes benedictions..

  A017002166 

 Je m'asseure que nostre Mere vous escrira qu'il faut faire traitter Charles par les medecins, affin que l'enfleure de son ventre ne prenne pas suite; pour le reste, il se porte bien..

  A017002175 

 Et en ce cas, bien que je serois tous-jours marri de la voir un peu ravalee de son plus parfait dessein, si est ce que je ne laisserois pas de l'aymer tres cherement, et il me sera toute ma vie impossible de m'empescher de l'affectionner parfaitement en Nostre Seigneur..

  A017002175 

 Quant a la chere fille, je ne m'en metz pas fort en peine, quoy que je luy desire fort le bonheur auquel elle a esté appellee; car d'un costé, j'espere que Dieu luy redonnera le courage necessaire a l'execution de son inspiration, n'estant pas grande merveille que son ame se soit un peu ralentie parmi les tracas que les mondains luy ont donné, et qu'elle se soit ressentie de la commune condition de l'esprit humain, sujet a la tentation de varier et chanceler lhors quil donne loysir a l'ennemi de l'attaquer; et d'autre part, sil arrivoit que la tentation l'emportast, j'espere qu'elle ne l'emporteroit jamais du tout hors de la resolution qu'ell'a faite de servir fort affectueusement Dieu.

  A017002176 

 Mays, comme je vous dis, si les plus fortz espritz, lhors qu'ilz different beaucoup l'execution de leurs bonnes resolutions, sont tentés de les quiter, il ne faut pas s'estonner que cette chere fille ayt esté touchee de cette attaque, a laquelle j'ay neanmoins bonne esperance qu'elle ne cedera pas enfin; ains, ayant un peu repris haleyne, elle viendra plus forte, plus resolue et plus ardente que jamais.

  A017002207 

 Je ne pense pas quil fust a propos de faire cette premiere veuë ainsy courtement, outre que ces filles ne font quasi que de partir d'icy, ou elles ont demeuré 15 jours, et chacun voudroit sçavoir le pourquoy de leur retour; et puisque vous reviendres icy bien tost, nous en parlerons avec la Mere, et on verra ce qui sera plus expedient..

  A017002234 

 Penses, ma bien chere Mere, si je fus hier bien mortifié que n'eu pas seulement le loysir de vous envoyer un petit bon soir.

  A017002242 

 Vous n'aures pas si tost monsieur de Charmoysi, ma tres chere Fille, car il est si galleux et plein de foroncles [229] quil ne peut bouger.

  A017002272 

 Neanmoins, ma chere Seur, vous pourres utilement repeter souvent la priere de ce Penitent qui disoit: Seigneur, laves moy davantage de mon iniquité et me nettoyes de mon peché; pourveu que ce soit avec une vraye et simple confiance en cette souveraine Bonté, vous asseurant que sa misericorde ne vous manquera pas..

  A017002289 

 Mays pour celleci, il n'importe pas tant comme de celle des vers, a laquelle il faut tout a fait remedier.

  A017002290 

 Salues bien fort monsieur Rigaud, lequel, quoy que je desire bien de voir pour l'amitié quil me porte, neanmoins je ne voudrois pas d'ailleurs quil prit la peine de venir, de peur de son incommodité..

  A017002293 

 J'ay sceu la courtoysie que M. Rigaud use a l'endroit des serviteurs de ceans; cela m'oblige fort, mais j'ay peur quil n'en face trop, et cela me tiendra retenu a ne demander pas certains autres livres que je desirois, lesquelz je ne sçaurois pas cotter par ce que je ne sçai pas leur tiltre, dautant que ça esté le P. Grangier qui m'en a donné l'envie lhors quil passa icy..

  A017002296 

 Si monsieur de Medio n'avoit pas achetté les litz pour mes nieces, je le prie de ne les pas achetter encor jusques a ce que je luy escrive.

  A017002297 

 Je voudrois bien que l'on envoyast de ma part un livre a Monseigneur de Vienne, mon Archevesque, car il prendroit avec rayson en mauvaise part si, luy estant ce que je luy suis, je ne luy en offrois pas un.

  A017002333 

 Et, pour conclure d'un mot, elles me paraissent rappeler ces femmes dont saint Grégoire de Nazianze parle en termes si magnifiques à Hellénius, n'hésitant pas à les appeler de célestes et très belles étoiles du Christ.

  A017002333 

 Nous avons, tant ici qu'à Lyon, deux Congrégations de vierges [239] et de veuves qui, bien que méritant plus exactement le nom d'Oblates que celui de Religieuses ou de Moniales, ne laissent pas de pratiquer très saintement la chasteté et la céleste pureté, d'embrasser en toute simplicité l'obéissance et de suivre très religieusement la pauvreté.

  A017002334 

 Or, il n'y a pas bien longtemps, étant allé saluer M gr le Révérendissime Archevêque de Lyon, et nous étant tous deux entretenus de l'état de nos affaires ecclésiastiques, la conversation tomba, entre autres choses, sur ces deux Congrégations de femmes, qui sont en si bonne odeur dans l'un et l'autre diocèse, qu'il semblerait de toute importance de leur donner une constitution régulière..

  A017002337 

 En outre, ce petit Office de la Sainte Vierge est par elles récité avec une scrupuleuse observance des tons, accents et pauses, ce qu'elles ne pourraient absolument pas s'il leur fallait réciter un Office plus long.

  A017002337 

 Le premier point, c'est de n'être pas obligées à l'Office des clercs, à savoir au grand Office, mais seulement au petit Office de la Bienheureuse Vierge.

  A017002338 

 Un second point, c'est la permission qu'elles accordent à des veuves de venir, pendant des années parfois, habiter avec elles, en costume séculier, très modeste il est vrai, pour se livrer aux pieux exercices de la Congrégation; et cela, non pas sans doute à toutes les veuves, mais à celles-là seules qui, désireuses d'entrer en Religion, et, en attendant, songeant d'une manière sérieuse à donner congé au siècle et aux sollicitations matrimoniales, cherchent prudemment à cacher ce trésor de la chasteté, qu'elles portent dans des vases fragiles, de crainte que, le portant en leurs mains sous le regard des enfants des hommes, elles ne l'exposent à devenir la proie des voleurs.

  A017002340 

 Quels fruits abondants produit cette sainte et courte hospitalité, on ne saurait assez le dire; car ce n'est pas là seulement une question de repos, mais de condescendance au sentiment de pudeur, de réserve et d'honnêteté, naturel à leur sexe, que l'on ménage en les mettant en rapport avec leurs confesseurs par une petite fenêtre munie d'un treillis de fer, pratiquée tout exprès pour les confessions des Sœurs; là, elles reçoivent des enseignements salutaires qu'elles peuvent ensuite, avec quelqu'une des Sœurs, méditer à loisir..

  A017002374 

 Nous possédons ici une Congrégation de veuves et de vierges qui, bien qu'elles semblent être en vérité plutôt des Oblates que des Moniales proprement dites, respirent pourtant une telle piété, que je ne crains pas d'en dire ce que saint Grégoire de Nazianze affirmait jadis de leurs pareilles: N'ayant dans mon diocèse qu'un petit nombre de ces femmes, je suis tellement fier et joyeux de posséder ces célestes et très belles étoiles du Christ, que, pour l'excellence de la vertu, je ne redouterais pas la comparaison de ma petite troupe avec d'autres bien plus nombreuses..

  A017002375 

 Et elles embrassent [249] d'une telle ardeur la modestie, la réserve chrétienne que, bien que non obligées à la clôture par une Règle, elles n'en gardent pas moins, par suite de leur ferveur d'esprit, une clôture presque perpétuelle.

  A017002375 

 Le mien et le tien, — ces froides paroles — non seulement on ne les saisit pas sur leurs lèvres, mais elles n'arrivent pas à leur cœur.

  A017002379 

 Premièrement, elles admettent parfois chez elles des séculières, non pas toutes et au hasard, mais seulement celles qui, voulant faire des confessions générales et vaquer aux exercices qu'on appelle spirituels, ont besoin, dans ce but, de se retirer durant quelques jours dans un endroit éloigné des tracas du monde.

  A017002381 

 Le troisième point consiste en ce qu'elles ne récitent pas l'Office ecclésiastique, mais seulement celui de la Très Sainte Mère de Dieu: ce qu'elles font, parce qu'on reçoit fréquemment chez elles des sujets d'âge avancé, qui pourraient bien malaisément apprendre le grand Office.

  A017002431 

 C'est, en un mot, le grand mot de vostre affaire, de ne jamais employer vostre esprit pour disputer en faveur de la tentation du descouragement, sous quel pretexte que ce soit, non pas mesme quand ce seroit sous le specieux pretexte de l'humilité..

  A017002432 

 L'humilité, ma tres chere Fille, fait refus des charges, mais elle n'opiniastre pas le refus; et estant employee par ceux qui ont le pouvoir, elle ne discourt plus sur son indignité quant a cela, ains croit tout, espere tout, [259] supporte tout avec la charité; elle est tous-jours simple.

  A017002456 

 Et pour vous affermir en cette creance, a la fin de vostre exercice du matin, desadvoués par une courte et simple aversion toutes sortes de pensees qui sont contraires a l'amour celeste, comme disant: Je renonce a toutes cogitations qui ne sont pas pour vous, o mon Dieu; je les desadvoue et rejette a jamais.

  A017002482 

 Encor qu'en l'assemblee que nous avons tenue maintenant, le different que nous avons n'ayt pas esté du tout terminé, si est ce toutefois que l'accommodement en a esté tellement acheminé, qu'il sera aysé, au premier rencontre, de le parachever, ainsy que monsieur Pergod et le sieur Enpio vous en feront plus amplement le [265] recit.

  A017002519 

 Vous pourres venir icy a vostre gré, car nostre Mere n'aura point de plus grand playsir que de vous voir, et ne croy pas quil y ayt aucun danger en chemin; et ne faut non plus faire difficulté pour madamoyselle de Beaufort.

  A017002520 

 Je ne luy ay point parlé qu'une fois il y a trois semaines, mais je n'ay pas laissé de connoistre la bonté que Dieu exerce en elle.

  A017002521 

 Ce bon homme ne me voyoit point, des il y a quelque tems, et avoit protesté a Sessel de ne me vouloir jamais aymer, sans quil eut ni rayson ni sujet quelcomque de faire telle declaration; c'est pourquoy, quoy que diverses fois il fut venu icy, je n'avois pas eu moyen de luy parler de vostre affaire.

  A017002534 

 Je n'ay pas une si heureuse naissance, ma tres chere [270] Mere, que d'avoir paru en ce monde au jour auquel la tres sainte Vierge nostre Reyne parut au Ciel.

  A017002546 

 Il ne faut jamais, certes, Monsieur, puisque j'ay lhonneur que vous soyes mon tres cher filz, il ne faut point faire d'excuses quand vous ne m'escrives pas; car je ne puis non plus douter de vostre amour filial envers moy, que je ne puis vivre sans sentir continuellement dedans mon cœur les eslans de l'amour paternel envers vous.

  A017002548 

 Le libraire a laissé couler plusieurs fautes en cet œuvre, et moy aussi plusieurs imperfections; mays sil se treuve des besoignes parfaites en ce monde, elles ne doivent pas estre cherchees en ma boutique.

  A017002580 

 Il y a deux ans que ce porteur m'a communiqué un dessein qu'il a pour le service de Vostre Altesse, et sur la commodité de la presence de Monseigneur le Prince, il le luy a declaré; et croy que mesme il aura receu commandement de le representer a Vostre Altesse, bien qu'a mon advis il ne soit pas tems de rien toucher du costé auquel le dessein vise.

  A017002619 

 Mays j'apprens par lettres venues de Lyon, que vous estes malade, et un peu mesme estonnee de n'avoir pas [277] treuvé les choses en si bons termes comme nostre desir nous le faysoit imaginer.

  A017002620 

 Quand je voy deux Apostres se separer l'un de l'autre pour n'estre pas d'accord au choix d'un troisiesme compaignon, je treuve bien supportables ces petites repugnances, pourveu qu'elles ne gastent rien, comme cette separation-la qui ne troubla point la mission apostolique.

  A017002620 

 Si quelque chose de tel arrivoit entre vous deux, qui estes filles, cela ne seroit pas estrange, pourveu qu'il ne durast pas.

  A017002629 

 Cette grande chere Fille qui n'escrit point meriteroit qu'on la laissast aussi en son silence; mays mon affection ne le permet pas.

  A017002643 

 Pour moy, je treuve bon que vous voyies une fin de cette poursuite, et il ne tiendra pas aux prieres que j'en feray au P. Provincial et au P. Gardien..

  A017002658 

 Nous ferons parler aux scindiques, ma chere Mere; car, quant a Son Excellence, il ne faut pas, en cette [282] presse, l'incommoder.

  A017002669 

 Je l'ay donq fait fermer de mon cachet, affin que, si d'adventure le paquet s'ouvroit, comme fit celuy dans lequel elle me fut addressee, elle ne fust pas ouverte par le froissement du port; car c'est ainsy qu'elle fut declose, et non par la malice du porteur, qui me rendit tout le paquet debiffé, mais en sorte que je conneus quil ny avoit point touché..

  A017002670 

 On ne laisse pas pourtant de travailler a la reunion des Princes, sous le credit desquelz on nous dit que tout ce malheur nous est preparé.

  A017002686 

 Mays il y faut tant de secret, que je ne les veux pas escrire..

  A017002698 

 Or sus, embarqués pourtant que l'on est, il ne faut pas perdre courage, mais user de toute la dexterité possible pour empescher que nos imbecillités ni (sic) scandalisent point ceux du monde.

  A017002699 

 Si vous juges avec le P. Recteur quil soit expedient que vous venies vous mesme, nous vous verrons, et parlerons plus clairement des raysons que nous avons de ne vouloir pas meshuy multiplier les familles de cette Congregation, jusques a ce que nous ayons des meres de famille convenables.

  A017002765 

 Je ne suis pas homme de cérémonies, surtout avec Votre très Révérende Seigneurie qui, j'en suis sûr, m'aime sincèrement, de même que, de tout cœur, je désire la servir.

  A017002844 

 Reste que monsieur Boschiz nous gratifie aussi de son assistance, laquelle je requiers par vostre entremise, le saluant humblement de tout mon cœur; car, quant a vous, Monsieur, je ne veux pas, en cett' occasion, employer mes prieres pour impetrer vostre courtoysie, sçachant que l'amour du bien de la patrie vous donnera asses d'affection.

  A017002855 

 L'un a esté, que il y a environ sept a huit ans, que Sa Sainteté accorda a sadite Altesse la decime de six ans sur le clergé de ses Estatz, de laquelle comme Son Altesse n'a rien exigé, aussi ne nous l'a elle pas encor quitté; de sorte qu'a bon compte nous luy donnons celle ci, bien que nous ne l'ayons pas fait sonner, de peur que cela n'esmeut les humeurs de messieurs les financiers de vouloir ci apres exiger le reste, car ce sont des gens grandement esveillés pour telles occasions..

  A017002856 

 Joint qu'icy on ne traite pas d'imposer ni par voye de prest ni autrement, puisque ce n'est qu'un simple secours pour un cas particulier et qui ne tire nulle consequence..

  A017002856 

 de Immunitate Ecclesiarum, a ce qu'il n'opere pas es cas de quelque grande necessité publique; car alhors, les laicz estantz espuisés et ny ayant pas loysir [300] de recourir au Pape, l'Evesque peut ordonner une contribution aux clercz de son diocæse, ainsy que remarque Sylvester en sa Somme, verbo Immunitas, primo [cap.,] § 20, qui incipit: « Quartum.

  A017002857 

 Voyla donq nos fondemens, sur lesquelz nous avons accordé, contre nos propres commodités, ce que Son Altesse desiroit, et moy le premier ay payé ma quote en blé, quoy que je n'abonde pas..

  A017002858 

 Pour le reste, je ne manqueray pas de rendre aupres de Monseigneur le Prince, tesmoignage de l'estime que j'ay tous-jours faite de la grandeur de vostre vertu, lhors [301] que nous aurons le bien de l'approcher; car je suis d'un cœur entier, Monsieur,.

  A017002900 

 Encor ne vous escris je pas a loysir, ma tres chere Fille, bien que je responde tard a vostre lettre.

  A017002901 

 Et puis, si je ne me trompe, vostre humeur n'est pas faite pour la conteste.

  A017002901 

 Pour moy, je vous conseille de faire le plus doucement et sagement que vous pourres ce qui vous est recommandé, sans [305] jamais rompre la paix avec le pere et cette mere; car il vaut mieux que les affaires n'aillent pas si bien, et que ceux a qui l'on a tant de devoir soyent contens.

  A017002917 

 La derniere fois qu'elle me parla, vous voulant nommer et vostre nom ne luy venant pas en bouche: « La chere seur, » dit elle, « qui vous ayme si parfaitement.

  A017003002 

 Et par ce que vostre zele vous donnera asses de mouvement a ce bon œuvre, sans que j'y employe davantage de prieres, je ne m'estendray pas plus avant, ains vous asseurant de mon humble affection a vous honnorer, et [313] vous desirant mille et mille benedictions, je demeureray,.

  A017003042 

 Ce ne sont jamais que troys paroles de ce Pere; certes, ma tres chere Mere, il n'a pas de loysir pour plus.

  A017003076 

 » Vous luy en avies trop dit et il en a trop fait, et moy je suis demeuré court et n'en ay pas asses fait, faute certes d'avoir bien peu le faire..

  A017003124 

 Mays n'y ayant nulle apparence de faire reuscir sa praetention de ce costé la, je ne pense pas que cela vous doive plus arrester de nous donner, au lieu de vous que nous desirions (sic) plus que tous, quelqu'un qui, en quelque sorte, vous puisse dignement representer: dequoy donq je vous prie avec tout ce venerable Chapitre, ne doutant point que, selon vostre prudence, zele et pieté, vous ne vous disposies a suivre nos desirs..

  A017003124 

 Or, je croy que vous ne douteres pas que sil vous [326] playsoit de la garder et nous faire jouir du fruit de vostre residence, nous ne le souhaitassions plus que toute autre chose; mays puisque elle vous est tout a fait inutile, et a l'Eglise, presupposé la resolution que vous aves faite, je pense que vous treuveres bon nostre desir et le seconderes, comme juste quil est, selon Dieu et les loix.

  A017003157 

 Mays en particulier, Monseigneur, je vous en fay tres humble remerciment au nom de tous ceux qui, estans vos tres humbles et tres obeissans sujetz et serviteurs, sont mes diocæsains, ausquelz je ne manqueray pas de representer la singuliere redevance qu'ilz en auront a vostre pieté; non plus que ces bons Peres ne manqueront pas de rendre memorable a toute leur illustre et devote Congregation la grandeur des bienfaitz dont vous les aves favorisés, Monseigneur, qui n'aves pas seulement voulu les recevoir en vostre ville, qui est leur premier logement deça les mons, mais de plus, leur aures basti le lieu sacré qui sera le plus grand moyen de bien rendre le service auquel leur vie est destinee..

  A017003174 

 non seulement il ne croyoit pas que cette femme peut rien prætendre par rayson, mais tenoit pour certain qu'elle pourroit estre recherchee par justice, [332] d'avoir seduit et attiré un jeune garçon, enfant de telle famille, a des promesses si præjudiciables et conceües en termes si extravagans.

  A017003175 

 Celle ci, comme je m'asseure Vostre Altesse aura des-ja sceu, venoit de faire un enfant d'un estranger quand elle tira promesse de ce jeune gentilhomme; et bien que la charité ayt quelquefois porté des gens de qualité a prendre en mariage des femmes perdues pour les sauver, si est ce qu'il n'en faut pas tirer consequence pour ceux qui, n'estans pas a eux mesme (sic), sous prætexte de charité violeroyent la justice et l'equité, introduisans en leurs familles des personnes dangereuses contre le gré de ceux qui sont les peres et maistres de la famille, mays sur tout en un aage qui n'a pas ordinairement en consideration ni la charité, ni la prudence requise pour exercer une charité en laquelle il faut avoir egard a plusieurs circonstances..

  A017003210 

 M. l'Aumosnier m'escrit que Monseigneur l'Archevesque le vous oste; je croy que ce ne sera pas sans vous bien pourvoir.

  A017003211 

 Elle n'est pas sans affaires, mays bonnes et aggreables, ayant [335] madame la Comtesse de Tournon et ses deux filles, qui font les exercices et preparent leur confession generale..

  A017003211 

 Nostre Mere ne sçait pas que j'escrive.

  A017003213 

 La chere seur de la Valbonne pensoit venir, mais le frere n'a pas voulu.

  A017003231 

 Vous m'aves fait playsir en me faysant sçavoir que c'est aujourd'huy le jour de vostre naissance, car je n'y pensois pas.

  A017003240 

 Vous estes bonne, et vous m'excuseres bien, je m'en asseure, puisque ma faute ne procede pas de mon affection, [mais] de ma memoire, laquelle s'estant reservé ce devoir pour m'en faire souvenir a mon retour en cette ville, s'en oublia par la multitude du tracas qui m'accabla a mon arrivee..

  A017003241 

 Si, en la place du chasteau, il y a de l'eau et dequoy vous bien accommoder, je pense qu'il ne seroit pas difficile d'obtenir de Son Altesse ce que vous aves projetté; et pour moy, je vous serviray tres affectueusement en cela, comme en toutes autres occasions, esperant que si nous avons la paix, vous seres grandement soulagees du Prince, qui me le dit, estant icy.

  A017003242 

 Si j'eusse sceu ce qui arriva despuis, j'eusse fait du Jubilé selon vos souhaitz; toutefois, Dieu n'a pas laissé de vous bien consoler par autre voye.

  A017003243 

 Je les salüe toutes tres cordialement, et leurs noms sont escritz dans mon cœur: de ma Seur Beatrix, Anne, Marie Magdeleine, de ma Seur Symon, Pernette, Christine, de Blonay, Pernette; en somme, toutes, laissant a part ma Seur Claire, qui sçait bien que je luy escris, ni je n'oublie pas ma Seur Estienne.

  A017003257 

 Le Pater que vous dites pour le mal de teste n'est pas defendu; mays mon Dieu, ma Fille, non, je n'aurois pas le courage de prier Nostre Seigneur, par le mal qu'il a en la teste, de n'avoir point de douleurs en la mienne.

  A017003258 

 Ne manger point chose qui ait eu vie, les vendredis de Caresme, n'est pas mal fait non plus, mais cela tire un [340] peu a la vanité d'esprit, quand cela se fait par le rapport de ce qui l'a euë; mays quand cela se fait par mortification, cela est bon.

  A017003259 

 Chemines tous-jours en cette confiance; et, en observant une amoureuse fidelité et loyauté envers ce cher Sauveur, ne vous mettes point en crainte de ne pas asses bien faire: non, ma Fille; mays advoüant vostre bassesse et abjection, rejettes vostre soin spirituel en la bonté divine qui aggree nos petitz et chetifz effortz, pourveu qu'ilz soyent faitz avec humilité, confiance et fidelité amoureuse.

  A017003260 

 Cette chair est admirable a ne vouloir rien de piquant; mais la repugnance que vous aves ne tesmoigne pourtant point aucun manquement d'amour; car, comme je pense, si nous » croyions qu'estant escorchés il nous aymeroit plus, nous nous escorcherions, non pas sans repugnance, mays malgré la repugnance.

  A017003271 

 Je feray tout l'office qui sera requis pour tenir le sieur Doyen en devoir, affin quil ne mange pas le pain du saint autel, quil ne sert ni n'honnore nullement, ains quil mesprise et deshonnore, en tant quil le peut, extremement.

  A017003305 

 Mays j'impose silence a vostre esprit, ma tres chere Fille, et ne veux pas quil die, non pas mesme, s'il se peut, qu'il pense que ces advis luy soyent donnés avec aucun degoust, comme si je craignois que vous oubliassies ces choses.

  A017003321 

 Haussés vostre teste dans le Ciel; voyes que pas un des mortelz qui y sont immortelz n'y est allé que par des troubles et des afflictions continuelles.

  A017003360 

 Et sil y en a une, il faut bien considerer en quelz termes ell'est conceüe, et par apres on pourra la promulger (sic), [350] n'estant pas besoin d'autre (sic) monitions pour la promulgation des excommunications a jure.

  A017003380 

 En quoy, bien que je sois son parent, je ne me relascherois pas de le recommander si librement, si je ne voyois que cet honneur ne luy peut meshuy manquer sinon avec beaucoup de perte de sa reputation aupres de monsieur le Grand de France, monsieur d'Alincourt et plusieurs autres seigneurs du voysinage, qui, ayans sceu et luy ayans tesmoigné de se res-jouïr que Vostre Altesse l'en vouloit gratifier, attribueroyent le manquement a quelque degoust qu'il eut donné despuis en l'exercice de cet office, lequel au reste je m'asseure quil fera dignement et au gré de Son Altesse et de la Vostre, Monseigneur, si elle l'y establit.

  A017003412 

 Mays je suis asseuré, Monseigneur, que si Son Altesse sçavoit la qualité de l'homme, elle le renvoyeroit a son devoir, et ne voudroit pas que l'Ordre ecclesiastique fut violé a son occasion, puisque mesme il n'a rien de si recommandable en la profession militaire que Son Altesse en puisse attendre aucun notable service..

  A017003428 

 Ce ne sera qu'un billet, ma tres chere Mere, que vous recevres aujourd'huy de moy; Dieu me partage a mille choses et ne laisse pas de me tenir dans la sainte unité que sa main a faite en nous..

  A017003441 

 Vous ne manqueres pas de mortification pour le cœur, qui est le seul holocauste que Dieu desire de vous..

  A017003455 

 Si donq cette fille (que j'ayme neanmoins bien fort pour le bien que vous m'en dites) se veut perfectionner a sa guise, il la faut remettre a elle mesme; mais je ne croy pas, si elle est bien devote et qu'elle ayt le vray esprit d'orayson, qu'elle ne se sousmette a la pure obeissance..

  A017003540 

 [1.] Immolés donq souvent toutes vos affections a Dieu par le renouvellement de la resolution que vous aves faite, de ne vouloir pas employer un seul moment de vostre vie que pour le service de la sacree dilection de l'Espoux celeste..

  A017003541 

 Faites soigneusement l'exercice du matin qui est marqué au livre de l' Introduction; et bien que la vistesse de vostre esprit comprenne en un seul regard tous les pointz de cet exercice, ne laissés pas de vous y entretenir autant de tems comme il en faut pour dire deux fois le Pater, et apres cela, prononcés de bouche [367] cinq ou six paroles d'adoration, et ensuite vous dirés le Pater avec le Credo..

  A017003542 

 Mays si, estant en l'orayson, vostre cœur se sent attaché a la simple presence du Bienaymé, vous ne passeres point plus outre, ains vous vous arresteres a cette presence; que si, au contraire, vous ne vous sentes pas attachee a cette presence, bien que toutefois vous y soyes, vous mediteres doucement le point que vous aures disposé..

  A017003545 

 Or si, en faysant l'orayson, ou vous arrestant a la sainte presence, le sentiment se faysoit en la teste et qu'il en arrivast du travail et de la douleur en cette partie-la, il faudroit relascher l'exercice et n'appliquer pas l'entendement, ains, par des paroles interieures et affectionnees, appliquer le seul cœur et la volonté.

  A017003546 

 S'il vient des larmes, vous les respandres; mais si elles viennent souvent et avec trop de tendreté, vous releveres vostre esprit, si vous pouves, a gouster plus [368] paysiblement et tranquillement les misteres en la partie superieure de l'ame; non pas contraignant et serrant les souspirs ou sanglotz, ou les larmes, mays divertissant d'une heureuse diversion vostre cœur, en le relevant petit a petit a l'amour pur du Bienaymé par des doux eslans: O que vous estes aymable, mon Bienaymé! O que vous estes relevé en bonté et que mon cœur vous ayme! ou autrement, selon que Dieu vous tirera..

  A017003547 

 Et ne vous imagines pas que la douceur et tranquillité empesche la promptitude et l'œuvre, car au contraire, elle la fait plus heureusement reuscir..

  A017003548 

 Et qu'en cela vous allies trompant vostre naturel et le reduisant petit a petit a la sainte mediocrité et moderation; car a celles qui ont le naturel mol et paresseux, nous dirions: Hastes vous, d'autant que le tems est cher; mays a vous, nous vous disons: Ne vous hastes pas tant, d'autant que la paix, la tranquillité, la douceur d'esprit est pretieuse, et que le tems s'employe plus utilement quand on l'employe paysiblement..

  A017003549 

 Il faut que l'on demeure en la [369] barque en laquelle on est, pour faire le trajet de cette vie a l'autre, et que l'on y demeure volontier et amiablement; parce qu'encor que quelquefois nous n'y ayons pas esté mis de la main de Dieu, ains de la main des hommes, apres neanmoins que nous y sommes, Dieu veut que nous y soyons, et partant il faut donq y estre doucement et volontier.

  A017003552 

 Au reste, que la tressainte et divine humilité vive et regne en tout et par tout: les habitz, simples, mais selon la propre bienseance et convenance de nostre condition, en sorte que nous n'espouvantions pas, ains allechions les jeunes dames a nostre imitation; nos paroles, simples, courtoises, et neanmoins douces; nos gestes et nostre conversation, ni trop resserree et contrainte, ni trop relaschee et molle; nostre face, nette et decrassee; et en un mot, qu'en toutes choses la suavité et modestie regne, comme il est convenable a une fille de Dieu..

  A017003561 

 A cette premiere commodité que j'ay de vous escrire, je tiens ma promesse, et vous presente quelques moyens [371] par lesquelz vous pourres addoucir la crainte de la mort, qui vous donne de si grans effroys en vos maladies et enfantemens: en quoy, bien qu'il n'y ayt aucun peché, si est ce qu'il y a du dommage pour vostre cœur, lequel, troublé de cette passion, ne peut pas si bien se joindre par amour avec son Dieu, comme il feroit s'il n'estoit pas si fort tourmenté..

  A017003583 

 Ne permettes pas a vostre esprit d'entrer en ces defiances qui le rendent amer et triste.

  A017003587 

 Pour plusieurs bonnes raysons, je desire que vous ne venies point cett'annee, ou du moins pas si tost, puisqu'aussi bien, quant a Marie, elle ne peut en façon quelcomque estre receue avant l'aage.

  A017003602 

 Avec mille remercimens de la faveur de vos lettres, je vous donne le bonjour, et vous asseure que j'ay escrit pour la niece de monsieur Chanal, non seulement a nostre fille, dont il n'estoit pas besoin, mays aussi a Monseigneur l'Archevesque duquel tout depend..

  A017003659 

 Puisque le P. D. Fulgence se rend auprès de vous pour les affaires que je recommandai à Votre Paternité Révérendissime par la mienne dernière, il n'est pas besoin que j'ajoute autre chose.

  A017003659 

 Si toutefois ce Père avait par hasard la tentation de rester là-bas, je [381] supplie Votre Paternité, pour l'amour de Dieu, de n'y pas consentir; car, en ce commencement, la persévérance et la stabilité des Pères qui ont déjà appris la langue et contracté la sainte amitié requise au maniement des Maisons, sont absolument nécessaires..

  A017003677 

 Bien que je n'aye pas le bonheur d'estre conneu de vous, si est ce que je ne laisse pas de reconnoistre en vous les qualités par lesquelles vous merites d'estre honnoree de tous ceux qui font profession de l'honneur; dequoy madame la Baronne de Giez, ma cousine, se rendra, je m'asseure bien, ma caution.

  A017003679 

 Et peut estre que Sa Sainteté y fera adjouster quelque chose; ce que je ne pense toutefois pas devoir estre chose d'importance, puisque, comme nous escrit celuy qui a l'affaire en main, il ny a point d'autre difficulté sinon pour le regard de l'Office, que les messieurs qui ont l'intendance de cela veulent estre le grand Office du Breviaire; et nous desirerions que cette Congregation ne fut obligee qu'au petit Office, affin qu'elle continuast a le chanter avec la gravité, distinction, tranquillité et, pour le dire en un mot, avec la sainteté que ces ames le prononcent maintenant.

  A017003679 

 Et pour obtenir cette grace, nous employons la faveur de monsieur l'Ambassadeur qui, avec le nom de Madame la Serenissime Infante, fera a mon advis reuscir heureusement l'affaire; en quoy la signora Donna Genevra n'a pas peu de credit..

  A017003679 

 Or, voyla les Regles de la Visitation, esquelles neanmoins [383] on n'a pas estendu les derniers articles, par ce qu'ilz comprennent des formulaires asses longs et qui ne regardent pas tant les actions communes des Seurs, comme les particulieres des formes et ceremonies dont on use en leurs receptions seulement.

  A017003686 

 Madame de Bressieu, qui est la, m'a fait grandement presser d'envoyer ces Regles; c'est pourquoy je n'ay pas pris le loysir de les faire mieux escrire, dont je vous supplie de m'excuser..

  A017003695 

 Et ce n'est pas estre hipocrite de ne faire pas si bien que l'on parle, car, Seigneur Dieu! a quoy en serions nous? Il faudroit donq que je me teusse, de peur d'estre hipocrite, puisque si je parlois de la perfection il s'ensuivroit que je penserois estre parfait.

  A017003695 

 Non certes, ma tres chere Fille, je ne pense pas estre parfait parlant de la perfection, non plus que je ne pense pas estre Italien parlant italien; mais je pense sçavoir le langage de la perfection, l'ayant appris de ceux avec qui j'ay conversé qui le parloyent..

  A017003696 

 Il ne faut pas entortiller vostre esprit parmi ces toiles d'araignee.

  A017003696 

 Il ne faut pas estre si pointilleuse, ni s'amuser a tant de repliques ausquelles Nostre Seigneur n'a point d'egard.

  A017003697 

 Qu'elle ne perde pas le sermon ou quelque bonne œuvre faute de dire: Despechés! mais qu'elle le die doucement et tranquillement.

  A017003697 

 Sil ny a personne, qu'elle l'accompaigne, si, sans s'empresser, elle peut y estre asses tost; et puis, qu'elle retourne doucement prendre sa refection, car Nostre Seigneur ne vouloit pas mesme que Marthe le servit avec empressement..

  A017003701 

 Mais au premier cas, je vous laisseray mesnager l'affaire pour Lyon, non pas envers ma Seur Favre, qui sera tous-jours contente de ce que nous [388] ferons, estant si grandement nostre fille et seur comme ell'est; mais ailleurs, a Lion, ou vous sçaves.

  A017003701 

 Or, de ceci faites en la responce a M me de Boqueron, sil vous plait, en cas que je ne puisse pas luy escrire, car je suis fort pressé, certes, et par consequent ne sçaurois escrire a M me de Saint André pour ce coup.

  A017003705 

 Le President qui a tué sa femme estoit un bon homme, mais cholere; l'Abbé qui a esté blessé n'estoit pas prestre, ni ordonné es Ordres sacrés, mais possedoit le benefice de son abaye, pour estre de grande mayson.

  A017003720 

 Et neanmoins, il ne laisse pas de presser et molester ledit Chapitre, abusant ainsy du nom et de l'authorité de Son Altesse, laquelle sans doute n'a point de telle intention, puisque mesme cet homme ne la sert nullement a ses despens, et n'est pas capable de luy faire aucun service qui merite aucune consideration speciale, n'estant non plus bon soldat que bon prestre.

  A017003720 

 Qui me fait recourir a la providence de Vostre Altesse, affin qu'il luy playse de renvoyer ledit Choysi a sa residence pour y rendre son devoir, et declarer que, sans cela, il ne peut recevoir ni demander les fruitz [391] de sa præbende, et que ce n'est pas la volonté de Son Altesse qu'on se departe des loix et constitutions ecclesiastiques.

  A017003749 

 Certes, je ne pense pas [393] que le cousin ne se soit fort bien comporté en cette occasion, ainsy quil en rendra bon compte si l'on veut.

  A017003749 

 Le cousin auroit grand'envie de sçavoir si c'est Son Excellence qui a dit quii ne s'estoit pas voulu engager d'escrire a M. de Saint Damian pour ce mariage; par ce que si c'estoit elle, il faudroit en parler plus reservement, quoy qu'il n'en soit rien.

  A017003751 

 Je salue infiniment madamoyselle de Beaufort, que je cheris parfaitement; mays je n'ay pas du tems asses pour luy escrire..

  A017003754 

 M. de Torens n'est pas icy.

  A017003767 

 C'est la verité, Madame ma tres chere Fille, qu'entre les souvenirs que j'ay des ames que Dieu m'a fait aymer, [395] celuy de la vostre m'est de tres grande consolation; car j'ay veu un certain despouillement des creatures et de leurs vanités, qu'il m'est impossible de n'aymer pas passionnement..

  A017003768 

 Les enfans du monde confessent ordinairement en mourant que cette vie n'est pas considerable que pour l'eternelle; mais les enfans de Dieu touchent toute leur vie cette verité..

  A017003791 

 Déjà, des tentatives furent faites par M gr l'Evêque mon prédécesseur, de pieuse mémoire; mais il y rencontra tant de contradictions, [397] qu'il ne fut pas possible de les poursuivre, car il procédait par voie d'application des bénéfices, dont les hommes sont si avides que, pour en jouir en leur particulier, ils en empêchent de tout leur pouvoir l'union aux collèges et à telles autres œuvres de piété..

  A017003865 

 C'est un escholier qui parle a son maistre, un fils a son pere; il n'y fault pas plus de mystere..

  A017003866 

 Si quelqu'un l'eust deu veoir, il y a dedans des libertés qui n'y seroyent pas.

  A017003867 

 Selon que nous demeurerons d'accord de l'estoffe, sili y a quelques motz ou quelques periodes a changer en l'ouvrage, il n'y aura pas a travailler pour plus d'un jour.

  A017003875 

 Monseigneur, je ne vous renvoye point encor les Constitutions, pour ce quil ne semble pas que vous an ayes besoing pour vous resouldre sur l'Institut, lequel estant arresté, je vous renvoirey les dittes Constitutions afin que vous y metties la derniere main pour les faire imprimer..

  A017003893 

 Comme vous portez-vous, mon pauvre très unique Père? Tou jours mieux, moyennant la grâce de Dieu, non pas? Hé Dieu! oui, s'il vous plaît, mon bon Sauveur, et pour longtemps, je vous prie, que cette chère santé de mon Père soit bien établie.

  A017003894 

 Pourrai-je encore demeurer quelques jours en ma chère solitude, y continuant cette dernière affection? j'y aurais bien de l'inclination, pour un peu bien accoiser mon esprit en Dieu; car vraiment, j'ai été un peu distraite ces jours passés, et si bien votre mal ne m'a pas donné de l'inquiétude, il m'a donné de la douleur et de la distraction; à trois diverses fois, l'on en parla assez pour me toucher jusqu'au fond.

  A017003921 

 Dieu grâce, je ne suis pas pressée de regarder ce que j'ai dévêtu; je demeure assez simple, je le vois comme une chose éloignée, mais il ne laisse pas de me venir toucher; soudain je me détourne.

  A017003922 

 Je ne vous disais pas que je suis avec peu de lumière et de consolation intérieure; je suis seulement paisible partout, et semble même que Notre-Seigneur, tous ces jours passés, avait un peu retiré cette petite douceur et suavité que donne le sentiment de sa chère présence.

  A017003923 

 » Et vous me dites: « Ne vous l'avais-je pas bien dit, ma Fille, que je vous dépouillerais de tout? » O Dieu! qu'il est aisé de quitter ce qui est autour de nous! mais quitter sa peau, sa chair, ses os, et pénétrer dans l'intime de la moëlle, qui est, ce me semble, ce que nous avons fait, c'est chose grande, difficile et impossible, sinon à la grâce de Dieu.

  A017003934 

 Il ne reste donc plus que vostre permission, afin que ces devotes Dames viennent; dont je vous supplie derechef tres humblement, vous asseurant que je fais gloire que, du temps de mon gouvernement, le Bourbonnois soit des premieres provinces a recepvoir les Religieuses de vostre Ordre, n'ignorant pas quelle est [411] vostre reputation et le renom de vostre sainte vie et merite parmi la France; ce qui me faict desirer de donner une de mes filles a vos Religieuses, quand elles seront icy.

  A017003945 

 Ce n'est pas merveille, Monseigneur, que ce qui est sur les montagnes soit visible a tous; au contraire, je m'esbaÿs de l'admirable voile dont vostre humilité a sy longtemps couvert son ouvrage.

  A017003971 

 Les commencemens que je veoy icy sont si heureux, qu'il fault, Monseigneur, que je vous die ce que j'ay apris d'un bon medecin: qu'encor que l'on veuille faire nourrir les enfans par d'autres que par leur mere, il seroit a souheter, pour le proffit de l'enfant, que la vraye mere luy donnast le premier laict, par un secret de nature qui, donnant et faisant produire l'enfant, ne manque pas a fournir ce qui est pour son mieulx.

  A017003985 

 Et afin, Monseigneur, quil soit evident que ce ne sont pas parolles seulement et que vous en aiez pleine asseurance, outre l'obligation que j'y ay desja, j'ay faict vœu a Dieu, et le faicts encor maintenant en vostre presence, de quitter et abandonner tout pour me rendre à la sainte Eglise Catholicque; et ce, dedans brief temps et sans beaucoup temporiser par negligence.

  A017003986 

 C'est a elle que je vouë le service de tout le reste de ma vie, et si les forces estoint pareilles au courage, ce ne seroit pas pour petites choses mais pour grandes; toutefois, j'attendray la vocation de Dieu.

  A017003987 

 Il est vray que je ne sçay pas a quoy penche et incline cest affaire la, mais selon mon petit advis, c'est chose qu'il ne faut pas negliger..

  A017004043 

 Le desplaisir que je reseus de ne vous avoir encores trouvé a Nissy quant j'y arrivé, ne fut pas moindre que seluy que vous tesmoignes en avoir eu, car j'avois une estreme envie de vous voir et entretenir; mais je me consolle avec l'esperanse que j'ay d'avoir bien tost se contantement, que je desire passionnement, pour estre un des plus grans que je puisse recevoir.

  A017004064 

 Il a quitté la condition que l'on lui voulait donner, parce qu'il n'a pas eu le courage de nous quitter.

  A017004065 

 Nous n'en savons pas la raison.

  A017004065 

 Pour M me du Puits-d'Orbe, elle est revenue à son abbaye, là où on ne la voulait pas recevoir, et lui a-t-on fait la correction bien sèchement.

  A017004091 

 Nous avons donné à Monseigneur de Lyon celle qui s'adressait à lui; nous ne l'avons pas vu du depuis..

  A017004092 

 A la vérité, Monseigneur, son infirmité nous met un peu en peine, car elle est grande, bien que l'on dise que ce soit un mal qui n'ira pas en empirant, parce que ce n'est pas une défluxion, ains une incommodité que la vérole lui a laissée.

  A017004094 

 Monseigneur l'Archevêque dit qu'il ne veut pas que l'on en reçoive davantage que l'on ne sache la fin des affaires de Rome.

  A017004118 

 Nous vous demandons très humblement pardon si nous parlons de la sorte; nous savons bien le soin que votre bonté en a, mais mon affection s'échappe toujours un peu, et nous espérons que vous ne le trouverez pas mauvais..

  A017004166 

 J'ay veu, passant a Lyon, ceste grande et admirable Fille de vostre cœur, devuider ses affaires avec un si profond jugement, accompagné d'un recueillement si religieux et d'une douceur si atrayante et sans alteration, que si je n'eus pas sceu qui elle estoit, je n'aurois pas laissé de juger, par une consequence indubitable: Voyla la grande Fille de nostre tres debonnaire Pere, Monseigneur de Geneve..

  A017004176 

 J'ay leu aussi depuis un mois tout vostre Theotime, où j'ay appris que l'amour de nostre bon Dieu n'est pas de la nature de ceux du monde et de la Cour.

  A017004177 

 Au reste, je ne vous ferois pas cette demande, si je n'estois tres-assurée que Dieu vous a ouvert le livre des consciences, et qu'en vous declarant mon nom je vous découvre qui je suis et tout ce qui se passe dedans mon interieur.

  A017004177 

 De plus, je trouve vos pratiques et vostre devotion si ajustée à mon humeur et à la foiblesse de mon sexe, que je ne croy pas que vous me puissiés rien commander que je ne puisse tres-facilement accomplir.


18-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XVIII-Vol.8-Lettres.html
  A018000007 

 Pas être utilisés à des fins commerciales de toute nature!.

  A018000014 

 — Délicate charité de François de Sales à l'égard de ceux qui n'approuvent pas ses avis.

  A018000014 

 — Quand la perte des Communions n'est pas dommageable à l'âme. 16.

  A018000028 

 — Ne pas se contenter d'attendre les âmes, mais leur aller au-devant.

  A018000048 

 — Pourquoi son protégé n'a pas été pourvu au concours. 44.

  A018000051 

 Comment ne pas dévier du chemin des ordonnances divines. 48.

  A018000066 

 — François de Sales ne sait pas encore s'il prêchera à Paris ou à Grenoble.

  A018000086 

 — Un procédé que le monde n'approuve pas.

  A018000150 

 — Ne pas se mettre en peine après avoir fait ce que l'on a cru être bon. 141.

  A018000170 

 Affectueux reproches à un ami qui ne prend pas assez de soin de sa santé. 159.

  A018000176 

 Ne pas craindre d'écrire souvent.

  A018000198 

 Un novice qui ne sera pas profès.

  A018000206 

 Au milieu des affaires de la cour, François de Sales n'oublie pas la vocation de sa fille spirituelle.

  A018000220 

 — Pourquoi Dieu n'exauce pas tout de suite nos prières.

  A018000231 

 — Ne pas trop se charger d'austérités. 215.

  A018000235 

 Pourquoi on ne peut pas recevoir M me du Tertre à la Visitation de Paris.

  A018000246 

 — Ne pas se lasser ni lasser les autres par la longueur des exercices spirituels.

  A018000274 

 Ni ne veux pas croire quil soit si outrecuidé de dire, comme quelques uns, qu'il est en l'Eglise gallicane en laquelle les prestres sont privilegiés; car je pense qu'il sçait que l'Eglise gallicane est un membre de l'Eglise universelle, et que les anciens canons des Conciles y sont receuz, et que les Evesques ne sont pas moins Evesques en France qu'ailleurs, et, qu'en particulier, je ne suis rien moins dela le Rosne que deça, ains j'affectionne d'establir la discipline ecclesiastique de dela, et sur tout a Gex, avec plus de soin que de deça, par ce qu'icy les adversaires de l'Eglise sont moins puissans et moins præsens..

  A018000274 

 Que sil ne l'a pas fait il a tort, car il sçait bien ce que je luy en ay dit.

  A018000275 

 Toutefois, si ledit M. Jaquin n'avoit pas obtemperé et quil demandast quelques quinze jours de delay, vous le luy pourres donner..

  A018000276 

 Il n'est pas expedient pour encor que M. Jaquin aille faire residence; car, comme pourroit il faire [2] commodement la charge de l'œconome que vous luy aves remise? Il a promis de faire reparer la mayson presbiterale de sa cure et accommoder les choses requises a l'exercice, ce qu'attendant il pourra bien suppleer.

  A018000294 

 En cela, chacun a son goust particulier; mais pour vous, je vous asseure bien que vous ne perdres rien, car ce que vous ne gaigneres pas en la suavité de la Communion, vous le treuveres en l'humilité de vostre sousmission, si vous acquiesces simplement a leurs volontés..

  A018000294 

 Ilz ne sçavent peut estre pas aussi les miens, et c'est pourquoy ilz ne les jugent pas dignes d'estre suivis.

  A018000294 

 Je ne sçai leurs motifs en cela, et ne les sachant pas, il ne faut pas que j'en die autre chose.

  A018000294 

 Mais puisque le mary ni le confesseur ne l'ont pas treuvé bon, il faut demeurer en paix, comme aussi aux retranchemens des Communions.

  A018000295 

 Mays de cette crainte qu'on vous donne que vos frequentes Communions vous pourroyent tourner a mal, je pense que vous ne vous en deves point mettre en peine, et qu'on ne vous a pas dit cela par discernement de l'estat de vostre cœur, mays pour vous mortifier, ou peut estre simplement par maniere de desfaite, comme quelquefois il arrive aux personnes mesme fort sages de ne peser pas bien toutes choses..

  A018000306 

 Sans offencer ou quasi sans offencer une fille, on la jugeroit peu sage et n'avoir pas la cervelle bien arrestee si, au milieu de la ville, elle ouvroit son sein et exposoit ses mammelles a la veuë de chacun es rues et aux eglises; mais on ne murmurera jamais, et l'on ne le doit pas faire, de voir qu'une mere nourrice ouvre son sein, monstre et donne sa mammelle a son poupon, pour ce que l'on sçait bien qu'elle est nourrice, et que son devoir de mere nourrice l'oblige a donner le lait a son cher petit poupon en quel lieu et place qu'elle connoist qu'il en a de besoin..

  A018000309 

 Mays je vous supplie, quand il retournera a vous, embrassés-le de ma part, et luy donnes double charité, car je vous confesse qu'il n'a pas tout a fait tort.

  A018000309 

 Si celuy qui vous a fait un narré de ma cholere, n'en eust pas eu davantage que moy, vous ne series pas en peine de ce chetif Pere.

  A018000396 

 Or, penses, ma tres chere Fille, ou cette affliction me touche, et voyes si la mienne n'est pas surchargee de celle de sa pauvre petite et de nostre Mere, a qui il faut que ce matin j'aille oster le peu d'esperance qui leur estoit restee apres les premieres nouvelles de cet accident, sur lesquelles nous avons mille et mille fois adoré le decret de la Providence divine, et avons jetté nos cœurs entre les mains de Dieu avec esprit de sousmission, repetant: Ouy, Seigneur, car ainsy il a esté aggreable devant vous.

  A018000428 

 Certes, je croy bien que M. de Giez, mon cousin, M. le Baron de Bonvilaret et mon neveu du Vuaz auront ressenti grandement cette perte, comme sçachant que ce pauvre trespassé les cherissoit et honnoroit tres particulierement, selon que la nature et plusieurs considerations l'y obligeoyent; mais s'il leur manque, ce n'est pas par son eslection, ni par sa faute.

  A018000487 

 Sans doute, ma chere Dame, le plus grand desir que monsieur vostre trespassé eut a son depart fut que vous ne trempassies pas longuement dans le regret que son absence vous causeroit, mais que vous taschassies de moderer, pour l'amour de luy, la passion que son amour vous donnoit; et maintenant, en son bonheur dont il jouit, ou qu'il attend en asseurance, il vous souhaite une sainte consolation et que, moderant vostre tribulation, vous conservies vos yeux pour un meilleur sujet que les larmes, et vostre esprit pour des plus desirables occupations que celles de la tristesse..

  A018000488 

 Faites cela, Madame, pour l'amour de ce cher mari, et vous imagines qu'il vous en a prié a son depart et qu'il vous demande encor cet office; car en verité, il l'eust fait s'il eust peu, et il desire cela de vous a present: tout le reste de vos passions peut estre selon vostre cœur, qui est encor en ce monde, mais non pas selon le sien, qui est en l'autre..

  A018000532 

 Mais, comme me pourrois-je empescher d'estre en peine de ce que je suis la, quant a la santé? Pour Dieu, ne parles pas beaucoup, soulages vous, et vous tenés un peu tranquille tant d'esprit que de cors; car le premier accident vous arriva apres le traitté avec M. de la Roche, ou vous ne fustes pas sans parler avec affection, et puis le tracas des malades fit venir le second.

  A018000534 

 La conversion ne depend pas de la nature, mais de la grace.

  A018000564 

 Et pour vostre regard, ma chere Cousine, ma Fille, il ne faut perdre courage; car vous deves estre si amoureuse de Dieu, qu'encor que vous ne puissies rien faire aupres de luy et en sa presence, vous ne laissies pas d'estre bien ayse de vous y mettre pour seulement le voir et regarder quelquefois.

  A018000577 

 Je vous en dis quelque chose pendant ce Caresme, je ne sçai si vous y aures mis la main; mays je desirerois que vous n'y employassies pas sinon demi heure chasque jour et non plus, au moins de quelques annees; je pense que cela serviroit bien fort a la victoire de vos ennemis..

  A018000589 

 C'est une famille gastee et des ames perdues, et l'unique fille de cet homme-la, qui est une bonne fille, deshonnoree devant le monde, bien que devant Dieu, estant devote comme ell'est, elle ne laisse pas d'estre d'estime.

  A018000630 

 Reste le publiq lequel, je m'asseure, ne sera nullement scandalisé si, sur forces (sic) raysons justificatives d'un tel accusé, il plait a Son Altesse d'ouctroyer la grace, laquelle affin de pouvoir plus aysement obtenir, j'addresse a vostre charité, Monseigneur, cette tres humble requeste, fondee partie sur la justice, partie sur la misericorde; d'autant que, comme on ne peut pas nier qu'il ny ayt en cet accident quelque sorte d'apparence de coulpe, puisqu'il y a des mortz et blessés, aussi faut il confesser qu'il y a beaucoup d'innocence en effect, et plus de grande infortune que de grande iniquité.

  A018000643 

 Vous verres, sil vous plait, la lettre que j'escris et celles que j'ay receues, [46] par lesquelles, je pense, vous connoistrés que nous ne pouvons pas gauchir..

  A018000644 

 Dieu, ce crois-je, convertira ceci en bien, et si la fille sçait lire et escrire, et qu'elle soit si bien conditionnee qu'on dit, l'incommodité ne sera pas si grande.

  A018000645 

 Ma pauvre tres chere Mere, ma vie (je vous asseure que je pensois escrire ma mie, mais il ne va pas mal ainsy); je dis donq, ma tres chere Mere, escrives moy ce que je pourray et devray faire, a vostre advis..

  A018000646 

 Mays, mon Dieu, cette pauvre fille que j'ayme tant, a grand tort, ce me semble, d'avoir veu M. de Sauzea [47] a Lyon; car, quand il seroit un saint, puisque M. le Premier et M. le Baron d'Origni l'aborre (sic) si fort, ne failloit il pas s'abstenir de cette veüe? Or bien, il ny a remede; c'est pour cela que Dieu donne ces affections paternellement maternelles, affin qu'on se degouste point de servir ces enfans emmi leurs enfances..

  A018000649 

 On ne peut pas aymer sans travail, mais le travail est aymable quand on ayme..

  A018000662 

 Et bien que je sois attaché icy encor pour quelque jours, si n'avois-je pas laissé de donner ordre que vous fussies receu (sic) Annessi, comme vous seres, Dieu aydant, a vostre arrivee, laquelle je suis infiniment marri avoir esté retardee par cette ...ntion.

  A018000708 

 Vous pouves penser si nous avons souvent parlé de vous, mays non pas toutefois si souvent comme j'y ay pensé..

  A018000734 

 Mais je ne pense pas que demain je puisse ne me lever pas matin, car il y a trop de playsir a jouir de cette douce partie du jour; et puis, ne faut il pas aller dire vostre Messe, puisque le reste du jour sera pour l'Office de nostre grande feste? Aussi ay-je un desir extreme de vous revoir, et ma tres chere petite seur, avec nos Filles..

  A018000754 

 Je salue tres humblement ma tres chere niece, et me res-jouis avec elle, si elle se res-jouit de venir; et si elle ne se res-jouit pas, je m'en res-jouis neanmoins, augurant que tout son cœur, que vous aves et qu'elle a, s'en res-jouira quand elle y verra chacun en feste autour de vous et d'elle, pour le contentement general de vostre venue et de la sienne..

  A018000760 

 Je suis seulement en peine de la separation de monsieur vostre pere et de son petit Anthoyne François, si vous l'apportes, ou de celle de ma niece et de luy si vous ne l'apportes pas; mays vous l'apporteres, je m'asseure, car, comme separeroit-on ma niece de ses entrailles? et moy j'auray charge de le caresser souvent de la part de ce grand grand pere..

  A018000783 

 Reste qu'il vous playse de me faire [60] sçavoir si vous voudries accepter le parti, et si nous pourrions y avoir d'abord huit prestres, puisque la fondation requiert cela, et si il se pourroit pas faire que l'un des huit exerçast la charge des ames, aydé par les autres; car cela estant, je n'auray plus a faire que d'obtenir le consentement de Son Altesse qui, je m'asseure, l'accordera volontier..

  A018000813 

 Je le croy que cette bonne dame sera un peu brune sur moy, par ce que ell' affectionne fort les serviteurs de sa mayson, et l'un d'iceux s'estant presenté au concours dernierement sous sa recommandation, ne fut pas [63] prouveu, quoy qu'il soit certes fort capable.

  A018000813 

 Mays a la premiere commodité, je luy feray sçavoir qu'il m'est impossible de le gratifier tandis quil ne sera pas prestre ni lié aux Ordres sacrés; car, quelle apparence de donner les charges ecclesiastiques de telle consequence a un qui n'est encor point ecclesiastique, au præjudice de plusieurs honnestes ecclesiastiques qui ont des-ja fait longuement l'exercice et qui ont bien servi l'Eglise? Je laisse a part qu'il n'est pas du diocæse, car en cela je me puis dispenser.

  A018000830 

 Monsieur Garin vous dira toutes nos nouvelles et que nous renvoyons le jeune M. des Hayes doux, amiable, courtois, a M. son pere, mais non pas fort sçavant, ains seulement instruit d'un peu de latin et de quelques parties des mathematiques.

  A018000832 

 La femme du sieur Gautier m'a forcé par ses larmes de vous supplier, Monseigneur, de recommander sa misere a son mari, ou plus tost la misere de ses filles, car quant a la sienne, elle ne nie pas de l'avoir meritee.

  A018000833 

 Je le vis l'autre jour passant a Gex, et croyois, quelques jours apres, de les assembler, ouïr et accommoder, mays je ne fus pas si heureux de la voir ni le revoir; encor veux je pourtant m'en essayer.

  A018000854 

 Au reste, je vous supplie tres humblement de commander que nous soyons advertis de l'estat de la maladie de nostre Presidente, car en verité nous en sommes en [68] peine jusques a l'inquietude inclusivement, et les Dames de la Visitation n'oublient pas a prier Dieu, comme aussi que sa bonté vous veuille conserver.

  A018000886 

 J'ay esté sur le point de vous aller [voir] et dire la [70] Messe en vostre eglise; mais ce qu'on m'a dit [du] mauvais chemin m'a arresté, outre que j'ay quelque [opinion] que je ny doive pas aller encor maintenant.

  A018000941 

 Il m'estoit advis que mon frere ne fust pas du tout mort tandis que cette femme vivoit.

  A018000951 

 Au reste, que dires vous de nos afflictions domestiques? Ce n'est pas l'aymable belleseur de Thorens que vous avies veuë, c'est une seur toute autre que nous avons veu trespasser ces derniers jours; car, des un an en ça, elle estoit tellement perfectionnee qu'elle n'estoit plus connoissable, mais sur tout despuis sa viduité, qu'elle s'estoit voüee a la Visitation.

  A018000959 

 Ce n'est pas la madame de Thorens que vous aves veuë, quoy que celle-la fust fort aymable: c'est une madame de Thorens toute dediee a Dieu, toute relevee au desir de ne vivre qu'a Dieu, toute pleine de clarté es choses spirituelles et de la connoissance de Dieu et de soy mesme, et telle que l'on pouvoit esperer que dans peu de tems elle seroit une autre nostre Mere..

  A018000991 

 Mais il y a de longues années déjà que, converti au Christ, Evêque et Pasteur de nos âmes, il est venu, ou plutôt revenu, à sa très douce Epouse, l'Eglise catholique, dans la communion de laquelle il a été rétabli à [77] Rome même, et par l'ordre du bienheureux Pontife Clément VIII. Plus tard, il reçut de notre Très Saint-Père le Pape Paul V — que Dieu conserve! — un canonicat de notre Eglise de Genève, ainsi qu'une pension qui devait tant bien que mal subvenir à sa pauvreté; car, en ce qui concerne le canonicat, personne assurément, si économe soit-il, ne peut vivre de ses revenus: à peine s'élèvent-ils a quarante écus, et encore, le plus souvent, ils n'atteignent pas même vingt-cinq pièces d'or.

  A018000992 

 N'est-il pas permis de craindre, à un âge si avancé, après tant de labeurs supportés dès la jeunesse pour les intérêts de la chrétienté, qu'une pareille œuvre ne soit au-dessus, non de la vigueur de votre esprit, grâce à Dieu, mais de vos forces corporelles? Frayer cette voie nouvelle dans le champ des Ecritures, à la tête de jeunes recrues à peine en état de vous suivre, serait assurément une œuvre très utile..

  A018001008 

 Prenes courage, Dieu sera parmi vous, qui fera l'œuvre, si vous l'en supplies; il ne vous a pas donné cette bonne disposition, qu'il ne veuille vous acheminer a la perfection de l'œuvre..

  A018001032 

 A quoy elles perseverent, et prient lesditz Reverens Peres d'en venir a expedient amiable par les voyes qui seront advisees plus propres; et ce, en consideration de la charité religieuse qui doit regner entre des personnes qui, par commune vocation, ont quitté le monde pour servir Dieu, lesquelles se pouvant entr'ayder, le doivent faire, et non pas s'empescher l'une l'autre..

  A018001034 

 Et qu'il faut encor bien noter la difference qu'il y a entre le monastere et le jardin du monastere, sur tout en cette occurrence en laquelle le jardin est hors de l'enclos du monastere et de sa propre constitution, sujet a la veuë de tout le voysinage; de sorte que l'on n'empire pas sa condition, ains on l'ameliore, puisqu'on leur ostera la veuë des [femmes] qui seront la aux fenestres de..........

  A018001041 

 J'ay veu ce cher filz, mais si peu que c'est presque ne l'avoir pas veu, mesme aujourdhuy quil est venu tandis que j'estois en un appointement.

  A018001041 

 Je suis d'advis qu'il retourne a Lyon, puisque il s'y porte si bien et quil est de si bon naturel quil ne refuse pas l'estude auquel il commence a prendre goust, ainsy que son maistre m'a dit.

  A018001129 

 C'est pourquoi, à moins qu'elle ne le juge pas à propos pour [95] quelque raison que j'ignore, j'ose dire à Votre Paternité qu'il serait bon de le renvoyer ici; car ayant appris la langue et étant fort goûté en ces quartiers, il me semble qu'il s'y rendrait très utile.

  A018001148 

 J'ay receu une lettre de la premiere qui estoit addressee a Vostre Reverence, et en vostre absence, a moy, en laquelle j'ay plus de part que je ne merite; c'est pourquoy je ne vous la renvoye pas..

  A018001161 

 Mais me doutant que ces Peres de Saint Dominique ne voudront pas lascher ce dont nous avons besoin si on ne leur donne tout le susdit pré, je vous supplie de faire ce qui sera bonnement a faire, affin que Monsieur se contente que nous leur puissions donner le tout.

  A018001177 

 Je ne sçai, certes, comme les ames qui se sont donnees a la divine Bonté ne sont tous-jours joyeuses, car y a-il bonheur esgal a celuy la? Ni les imperfections qui vous arrivent ne vous doivent point troubler, car nous ne les voulons pas entretenir et ne voulons jamais y arrester nos affections.

  A018001199 

 Et je voy bien que dans peu de jours vostre bon naturel recevra une pareille attaque; car je vis hier madame nostre bonne Mere, et la trouvay sur les confins de cette vie mortelle, ou sa maladie, et principalement son aage, l'ont conduit, et a mon advis, pour lent que soit son passage, elle ne peut pas beaucoup tarder de l'achever.

  A018001199 

 Ma tres chere Seur, nous avons a remercier Dieu qui nous a si longuement laissé cette mere, et n'est pas raysonnable que nous treuvions mauvais sil la reprend, puis que c'est pour luy donner une meilleure vie..

  A018001215 

 Nous avons la paix, mais non pas encor les effectz de la paix, car l'execution du traitté est, ce dit on, en quelque sorte de difficulté.

  A018001230 

 Il pleut a Son Altesse, il y a plusieurs annees, d'ordonner quelques commodités au cappitaine Henry de la Rose, homme lequel meshuy n'est pas seulement viel, ains decrepite; et bien que la liberalité de saditte Altesse fut excitee par diverses considerations, si est ce que celle de la conversion de cette ame en fut le fondement.

  A018001283 

 Mays disons un mot de nos Barnabites, puisque je suis pressé et ne puis pas m'estendre.

  A018001283 

 Pour moy, je pense qu'ilz seront un jour de grand service a la France; car ilz ne font pas seulement proffit en l'instruction de la jeunesse (aussi n'est il pas si requis ou les Peres Jesuites font si excellemment), mais ilz chantent au chœur, confessent, cathechisent voire mesme es villages ou ilz sont envoyés, preschent et en somme font tout ce qui se peut desirer, et fort cordialement, et ne demandent pas beaucoup pour leur entretien.

  A018001283 

 Une chose leur manque, que nous supportons facilement icy: c'est qu'encor qu'ilz ayent des excellens praedicateurs, nous ne pouvons pas jouir pour encor de leur talent en cela, d'autant qu'ilz n'ont pas encor [112] l'usage parfait du langage françois, ains seulement autant quil faut pour se faire entendre es cathechismes, petites exhortations et conversations spirituelles; mays ilz le vont aquerant tous les jours.

  A018001283 

 Voyla ce que je vous puis dire, et ce qui me feroit desirer leur introduction es lieux ou les Peres Jesuites ne sont pas.

  A018001335 

 En effet, il a maintenant touché du doigt que j'ai raison; car, dans tout le jardin du collège, il n'est pas une place plus stérile et moins propre à la récréation: deux fenêtres des Pères Dominicains y ont vue directe, et le Père Prieur prétend bâtir son Noviciat contre le mur qui donne juste sur cet endroit-là, avec des fenêtres du même côté.

  A018001335 

 Mais, pour le dire librement et sincèrement, si le prix de cette place de l'étang est employé comme il convient, il sera bien plus utile au collège que la place elle-même; voilà pourquoi j'ai été étonné des préventions de nos Pères, [120] auxquels néanmoins je n'en ai point parlé; car voyant que la seule idée de cette affaire les refroidissait avec moi, je n'ai pas voulu passer outre.

  A018001335 

 Toutefois, bien qu'au commencement le Père Supérieur actuel fût prévenu par l'opinion des autres, je pensai que la chose le regardait comme chef du collège, et je me crus obligé de lui en parler, non pour lui persuader de se ranger à mon sentiment, mais seulement pour lui donner à entendre que mon avis n'était pas aussi extravagant que quelques-uns le disaient.

  A018001336 

 J'ajoute même que si on n'exhausse pas de ce côté les murs qui s'étendent vers l'autre partie du collège, celui-ci demeure presque tout entier découvert aux regards des Dominicains.

  A018001337 

 Et puisque je n'ai pas le temps d'écrire plus longuement, ou plutôt, ayant sujet de vous faire agréer mes excuses pour m'être trop étendu, je souhaite à Votre Paternité Révérendissime tout saint bonheur dans le service du Seigneur, et je demeure.

  A018001429 

 Ma tres chere Fille, ce malin ne se soucie point que l'on deschire le cors, pourveu qu'on face tous-jours sa propre volonté; il ne craint pas l'austerité, ains l'obeyssance.

  A018001430 

 Il est vray que vous y aves des grandes mortifications de cœur, vous y voyant si imparfaite et digne d'estre souvent corrigee et reprise; mais n'est-ce pas ce que vous deves chercher, que la mortification du cœur et la connoissance continuelle de vostre propre abjection?.

  A018001431 

 Mais, ce dites vous, vous ne pouves pas faire telle penitence que vous voudries.

  A018001441 

 Le vœu de chasteté est fondamental, selon les anciens Peres, es monasteres des femmes, et les autres ne laissent pas d'estre essentielz..

  A018001442 

 Il est vray, on peut estre dispensé des vœux simples, et des autres aussi; plus facilement toutefois de ceux la que de ceux ci, mais non sans grande occasion, et lhors qu'il est expedient: dont les Peres Jesuites se treuvent extremement bien, maintenant en partie le lustre de leur tres illustre Compaignie par ce moyen, lequel le monde n'appreuve pas, mays ouy bien Dieu et l'Eglise.

  A018001443 

 C'est une chose rigoureuse que pour ne vouloir pas observer le silence on mist une fille dehors.

  A018001443 

 Ce ne seroit pas faute d'observer le silence, mays pour vouloir obstinement troubler et renverser l'ordre et la Congregation, et mespriser le Saint Esprit qui a ordonné le silence es Maysons religieuses.

  A018001444 

 La prolongation du noviciat se faysant pour cause, n'est pas contraire au Concile, comme ont declairé ceux qui ont la charge des declarations d'iceluy, et les docteurs mesmes l'entendent ainsy.

  A018001445 

 Si ces bons Messieurs eussent autant estudié et pensé pour censurer comme nous avons fait pour establir, nous n'aurions pas tant d'objections.

  A018001456 

 Ne vous estonnes nullement de vos distractions, froideurs et secheresses, car tout cela se passe en vous du costé des sens et en la partie de vostre cœur qui n'est pas entierement en vostre disposition; mays, a ce que je voy, vostre courage est immobile et invariable es resolutions que Dieu nous a donné.

  A018001456 

 Vrayement, ma chere [135] Fille, il ne faut pas laisser la tressainte Communion pour cette sorte de mal; car rien ne ramassera mieux vostre esprit que son Roy, rien ne l'eschauffera tant que son soleil, rien ne le destrempera si souëfvement que son bausme..

  A018001457 

 Aussi n'est-il pas dit au passage que vous m'aves allegué, que le juste se voit ou sent tomber sept fois le jour, mais qu'il tombe sept fois; aussi il se releve sans attention a ses relevees.

  A018001457 

 Et ne vous troubles point dequoy vous ne remarques pas toutes vos menues cheutes pour vous en confesser; non, ma Fille, car, comme vous tombes souvent sans vous en appercevoir, aussi vous vous releves sans vous en appercevoir.

  A018001457 

 Ne vous mettés donq pas en peyne pour cela, mais allés humblement et franchement dire ce que vous aures remarqué; et pour ce que vous n'aures pas remarqué, remettes le a la douce misericorde de Celuy la qui met la main au dessous de ceux qui tombent sans malice, affin qu'ilz ne se froissent point, et les releve si vistement et doucement qu'ilz ne s'apperçoivent pas, ni d'estre tombés, parce que la main de Dieu les a recueillis en leurs cheutes, ni d'estre relevés, parce qu'elle les a retirés si soudain qu'ilz n'y ont point pensé..

  A018001458 

 A Dieu, ma tres chere Fille, ma Niece; conservés tous-jours bien vostre ame bienaymee, et ne tenes pas grand conte de ces annees qui passent, sinon pour gaigner la tressainte eternité..

  A018001513 

 [140] C'est pourquoy il est plus convenable que celles-ci qui, faute de forces corporelles, ne le pourroyent pas dire posement, ne disent que le petit Office..

  A018001515 

 Quatriesmement, les Seurs de la Visitation font plusieurs exercices spirituelz qu'elles ne pourroyent pas faire en disant le grand Office..

  A018001516 

 Il faut que je vous die que les Regles dont on demande l'approbation sont toutes conformes a la Regie de Saint Augustin, hormis en la clausure absolue, que saint Augustin n'avoit pas establie, a laquelle neanmoins les Seurs se veulent astreindre, selon le sacré Concile de Trente.

  A018001517 

 Je ne voy pas qu'il soit besoin de vous advertir d'autre [141] chose sur ce sujet, sinon que, quant au Monastere de cette ville, attendu que l'eglise d'iceluy est consacree sous le tiltre de la Visitation de Nostre Dame et du glorieux saint Joseph, il seroit desirable que l'on obtinst Indulgence pleniere pour ces jours la, et pour les jours des tiltres des autres Maysons et Monasteres de cette Congregation, outre l'Indulgence du jour de la Visitation, qui est le tiltre general de la Congregation..

  A018001519 

 Ce que je dis, parce que quelques ecclesiastiques austeres et exactz en leurs personnes ont rendu quelque signe qu'ilz n'estoyent pas satisfaitz dequoy en cette Congregation il y avoit si peu d'austerité et de rigueur de peynes; mais il faut tous-jours regarder a la fin, qui est de pouvoir recueillir les filles et femmes debiles, soit en aage, soit en complexion..

  A018001534 

 Je receu a Grenoble la lettre quil vous pleut m'escrire le 6 decembre 1617; mays que vous diray-je? Ni moy et tout je ne le croy pas que jamais vous puyssies entrer en opinion que je varie et chancele en la sincere et solide affection que j'ay de vous honnorer et cherir a jamais, sans reserve ni exception quelcomque.

  A018001534 

 Non, Monsieur montres cher Frere, vous n'aures jamais cette cogitation, et ce n'est pas cela qui vous fait demander une cedule de [143] moy pour vostre asseurance; car je suis certain que l'amitié dont vous me favorises est si parfaite qu'elle est au dessus de toute desfiance.

  A018001539 

 Vous l'aves conduit a præsjuger pour moy: et comme pourroit il autrement juger? Je n'ay pas le bonheur de le connoistre, mais ouy bien de connoistre sa Congregation que j'ay au milieu de mon cœur, et de laquelle je respecte et le General et plusieurs autres grans personnages qu'elle reunit, auxquelz donq je joindray celuy ci et le luy tesmoigneray a la premiere commodité qui s'en presentera.

  A018001541 

 Mays il est vray que ceux qui ont veu avec quel amour, quel honneur, quelle douceur cette pauvre fille estoit cherie de tous nous, ne treuvent pas si estrange qu'elle n'ayt pas volu tirer de nostre mayson que ce qu'elle y avoit apporté, sans que par autre voye nous luy ayons ni donné ni pensé a luy donner cette volonté..

  A018001542 

 Je n'ay sceu me retenir, Monsieur mon Frere, de vous dire ce petit mal de cœur, sachant a qui je le dis; car d'en escrire a M. de Bourges, qui ne m'en a point escrit, je ne le juge pas a propos, et me contente de sçavoir en mon ame que suis exempt de ces viles prattiques, ne sçachant mesme pas ce que les testemens de mes pere et mere contiennent, sinon pour rayson des legatz pieux.

  A018001566 

 Mays ce pendant je ne laisseray pas de vous avoir present a mon ame, ni de prier Nostre Seigneur qu'il vous comble, et madame ma seur, de toute sainte prosperité, qui suis,.

  A018001597 

 Si jamais ma bouche a refusé de vous nommer ma fille, ç'a esté sans le consentement de mon cœur, qui des le premier abord du vostre sentit bien que Dieu luy donnoit [151] une forte et invariable affection, toute vrayement paternelle pour vous; mais on n'ose pas tous-jours parler comme on desireroit, sur tout quand on doit du respect a ceux qui portent les mesmes tiltres que nous voudrions avoir.

  A018001598 

 Cependant il est fort certain, comme vous dites, que ce bon œuvre ne se fera pas sans quelques contradictions; car, comme seroit-il bon autrement? Mais pour cette dame, je ne croy pas qu'elle la face longue, puisqu'elle est vertueuse et de bon esprit; et puis, Dieu dissipe les cogitations humaines par sa science celeste..

  A018001600 

 Je ne suis pas hors d'esperance de vous revoir ce Caresme, et de vous dire de vive voix, comme je le dis de tout mon cœur, que je suis,.

  A018001613 

 Et parce que maintenant il n'y a pas suffisamment pour entretenir une seule personne, s'il plaisoit a Vostre Majesté leur ordonner les cent cinquante livres sur les tailles, que ledit Pere Provincial luy a demandees en aumosne, il pourrait par ce moyen y colloquer quelque habile et discret Religieux, qui, par les voyes ordinaires de la justice et des loix publiques, retireroit petit a petit les pieces esgarees dudit couvent, sans que pour cela aucun eust occasion de se plaindre, ni que personne en fust grandement incommodé..

  A018001614 

 Mais quant aux trois cens livres que ledit Pere Provincial demandoit sur les autres revenus ecclesiastiques remis entre mes mains pour le restablissement de l'exercice catholique es eglises du balliage dudit lieu, je ne voy pas que cela luy doive ni puisse estre accordé; veu que tout est requis pour estre employé aux services et offices divins et a l'entretien et reparation des edifices sacrés, sans qu'on en puisse rien oster, ainsy que j'ay clairement fait voir audit Pere Provincial par les contes de ceux qui, de la part de Vostre Majesté, ont esté establis et commis a la recette desditz revenus.

  A018001615 

 Et quant a ce que Vostre Majesté veut sçavoir, s'il seroit point plus a propos d'introduire en la ville dudit Gex quelque compaignie de Religieux reformés, je pense, Sire, qu'il n'y a point de doute, puisque les desvoyés ne sont pas moins attirés a la connoissance du bon chemin par les bons exemples que par les bonnes instructions.

  A018001652 

 En la vacance de la chapelle de Sainte Catherine par le trespas du bon et devot M. de Quoëx, j'ay rencontré par mon desir le choix que monsieur vostre mari et vous aves fait; et je n'avois garde de faillir, puisque monsieur le Doyen vous est si proche en toutes façons, que vostre bon naturel ne vous eut pas permis de faire autrement.

  A018001652 

 Il m'a dit tout ensemble, et l'obligation [158] qu'il vous en avoit, et la difficulté, ou plustost la consideration pour laquelle il n'avoit pas l'acte de la nomination: qui estoit que monsieur vostre mari auroit quelque sorte d'opinion de pouvoir un jour luy mesme la deservir..

  A018001653 

 Et la troysiesme, c'est que, si cette chapelle demeure quelque tems sans recteur, elle n'est pas si petite quil ne se treuve des courans qui l'impetreront a Rome; et elle sera bien impetree, attendu la negligence de ceux qui doivent nommer.

  A018001653 

 L'une est, que quand monsieur le Baron seroit en estat (dont Dieu le garde) de deservir cette chapelle, en estant le nominateur il ne pourroit pas la prendre pour soymesme, car nulle (sic) ne peut estre nominateur de soymesme.

  A018001670 

 Et ne faut point craindre que vos parens vous y faschassent, car y vivant en une bonne et sainte reformation, chacun vous y reverra avec un amour nompareil; et puis, il ne faut pas tant regarder a vostre personne particuliere qu'au public et a la posterité.

  A018001672 

 De renvoyer ce point a eux, il n'est pas raysonnable; il faut que ce soit vous qui commencies.

  A018001683 

 Vostre Baron ne me parla point de son cousin M. de Rabutin, ni moy a luy; mais je croy qu'il ne [162] desire pas que vous luy parlies, comme en effect, aussi bien sera-ce chose inutile, sinon en general, et dissimulant la particularité..

  A018001691 

 Si c'est sur luy, pourquoy pleurer, que nostre Frere est en Paradis ou les pleurs n'ont plus de lieu? Que si pour vous, n'y a-il point trop d'amour propre (je parle avec vous ainsy franchement), d'autant qu'on jugera que vous vous aymes plus que son bonheur, qui est incomparable? Et voudries vous que, pour vous, il ne fust pas avec Celuy in quo movemur et sumus, tous tant que nous sommes qui acquiesçons a son saint playsir et divine volonté?.

  A018001736 

 Je vous prie de voir que c'est et m'en tenir adverti, bien que je ne laisseray pas d'en parler avec monsieur de Blonnay, puisque il vient de deça, a ce quil m'escrit..

  A018001761 

 Ce m'eust esté une consolation sans pair de vous voir toutes en passant, mais Dieu ne l'ayant pas voulu, je m'arreste a cela; et ce pendant, ma tres chere Fille, tres volontier je lis vos lettres et y respons..

  A018001762 

 J'ay parlé de ceci au livre de l' Amour de Dieu, traittant de la mort de la volonté et des resignations; je ne me souviens pas en quel Livre..

  A018001762 

 Mays je sçai bien aussi que vous n'en doutes pas, ains seulement vous exprimes ainsy l'aridité, secheresse et insensibilité en laquelle la portion inferieure de vostre ame se treuve maintenant.

  A018001762 

 Vrayement, Dieu est en ce lieu, et je rien sçavois rien, disoit Jacob; c'est a dire, je ne m'en appercevois pas, je n'en avois nul sentiment, il ne me sembloit pas.

  A018001763 

 Et dites-moy, ma tres chere Fille, n'aves vous pas intention d'estre a Dieu? ne voudries vous pas le servir fidelement? Et qui vous donne ce desir et cette intention, sinon luy mesme en son regard amoureux? D'examiner si vostre cœur luy plaist, il ne le faut pas faire, mais ouy bien si son cœur vous plaist; et si vous regardes son cœur, il sera impossible qu'il ne vous plaise, car c'est un cœur si doux, si suave, si condescendant, si amoureux des chetifves creatures, pourveu qu'elles reconnoissent leur misere, si gracieux envers les miserables, si bon envers les penitens! Et qui n'aymeroit ce cœur royal, paternellement maternel envers nous?.

  A018001764 

 Mais, ma Fille, l'amour de Dieu ne consiste pas en consolation ni en tendreté; autrement, Nostre Seigneur n'eust pas aymé son Pere lhors qu'il estoit triste jusques a la mort et qu'il crioit: Mon Pere, mon Pere, pourquoy m'as-tu abandonné? Et c'estoit lhors, toutefois, qu'il faysoit le plus grand acte d'amour qu'il est possible d'imaginer.

  A018001765 

 Ainsy, comme la foiblesse et infirmité de l'enfant desplaist a sa mere, et pourtant, non seulement ne laisse pas pour cela de l'aymer, ains l'ayme tendrement et avec compassion, de mesme, bien que Dieu n'ayme pas nos imperfections et pechés venielz, il ne laisse pas de nous aymer tendrement; de sorte que David eut rayson de dire a nostre Seigneur: Aye misericorde, Seigneur, parce que je suis infirme..

  A018001765 

 Nos imperfections ne nous doivent pas plaire, ains nous devons dire avec le saint Apostre: O moy miserable! qui me delivrera du cors de cette mort? mais elles ne nous doivent pas ni estonner ni oster le courage.

  A018001765 

 Nous en devons voirement tirer la sousmission, humilité et desfiance de nous mesmes; mais non pas le descouragement ni l'affliction du cœur, ni beaucoup moins la desfiance de l'amour de Dieu envers nous; car ainsy Dieu n'ayme pas nos imperfections et pechés venielz, mais il nous ayme bien nonobstant iceux.

  A018001776 

 Dieu garde et benit les sorties aussi bien que les entrees de celles qui font toutes choses pour luy, et qui n'occasionnent pas leurs sorties par leurs mauvais deportemens.

  A018001776 

 Sa providence fait vouloir le sacrifice qu'elle empesche par apres [174] d'estre fait, comme on voit en Abraham; et me semble que je dis je ne sçay quoy de ceci au livre de l' Amour de Dieu, mais je ne me souviens pas ou..

  A018001778 

 Je ne dis pas ceci, non, ma chere grande Fille, vous tenant pour descouragee, mais vous tenant pour adoloree, et m'estant advis que je dois mesler mes souspirs avec les vostres, comme je sens mon ame meslee avec la vostre..

  A018001778 

 O ma tres chere Fille, vous estes espouse non pas encor de Jesus Christ glorifié, mais de Jesus Christ crucifié: c'est pourquoy les bagues, les carquans et enseignes qu'il vous donne et dont il vous veut parer sont des croix, des clouz, des espines, et le festin de ses noces est de fiel, d'hyssope, de vinaigre.

  A018001780 

 Mais pourtant, aymés moy bien, ma tres chere Fille, car Dieu ne laisse pas de m'aymer et de me donner des extraordinaires desirs de le servir et aymer purement et saintement.

  A018001805 

 J'ai dit peu de chose, parce que je n'ai pas eu le temps de voir [176] en lui la pratique des vertus en détail; Votre Paternité pourra allonger, corriger, abrég er et changer comme bon lui semblera..

  A018001805 

 Je regrette infiniment que Votre Paternité n'ait pas encore reçu l'éloge que j'ai fait en témoignage de l'estime en laquelle j'ai toujours tenu notre Révérendissime Monseigneur de Saluces, de très heureuse mémoire.

  A018001805 

 Voici donc que j'en envoie un double, sorti de mon lourd entendement, et écrit à la hâte; aussi ne sera-t-il pas digne d'être mis sous les yeux du public.

  A018001832 

 Je n'étais pas à Grenoble quand Son Excellence monsieur votre [177] père y vint, mais il ne laissa pas de m'envoyer à Annecy la lettre de Votre Seigneurie Illustrissime.

  A018001862 

 Nostre Seigneur permet qu'en ces petites rencontres nous demeurions courtz, affin que nous nous humiliions, et que nous sçachions que si nous avons surmonté certaines grandes tentations, ce n'a pas esté par nos forces, mais par l'assistance de sa divine Bonté..

  A018001862 

 Or, parlons un peu de ce cœur de ma tres chere Fille: s'il estoit a la veuë d'une armee d'ennemis, ne feroit-il pas des merveilles, puisque la veuë et le rencontre d'une petite fille maussade et escervelee le trouble si fort? Mais ne vous troubles pas, ma tres chere Fille, il n'est point d'ennuy si importun que l'ennuy qui est composé de plusieurs petites, mais pressantes et continuelles importunités.

  A018001863 

 La fille de saint Athanase eust acheté cette condition au prix de l'or, mais ma fille n'est pas si ambitieuse: elle aymeroit mieux que l'occasion luy fust ostee que d'entreprendre de la faire valoir.

  A018001863 

 Ne la corriges pas, si vous pouves, en cholere; prenes la peine qu'elle vous donne a gré, et me croyes tout vostre..

  A018001889 

 Mais toutefois, si vous voyes qu'on ne les puisse pas obtenir tous trois, qu'au moins on tienne bon en la poursuite de celuy du petit Office; car le grand Office dissiperoit et le lustre et la fin de cette Congregation, puisqu'on ne pourroit pas le dire avec la gravité requise, ni avec la bonne prononciation, et que plusieurs femmes et filles foibles de veüe ou d'estomac, quoy que grandement devotes d'ailleurs, ne pourroyent estre receües.

  A018001892 

 Je sçai que si Monseigneur de Lyon affectionne le bon evenement de cette negociation, il le fera reuscir heureusement; et bien que je ne luy escrive pas, respectant ses occupations, si ne laisse je pas de luy faire la reverence et vous supplier de l'asseurer de ma fidelité tres humble a son service.

  A018001908 

 Que si je n'ay pas escrit plus tost, ça esté sans ma coulpe, a cause de la multitude des bonnes occupations qui m'environnent, outre la principale des sermons..

  A018001926 

 Je n'ay point servi monsieur de Lescheraine vostre [190] filz, ains je ne l'ay mesme pas veu, ni hier quil prit la peine de venir ceans tandis que je me præparois au sermon, ni aujourd'huy qu'il m'a apporté vostre lettre, par ce qu'il n'a pas fait sçavoir son nom a celuy a qui il a parlé et que sa discretion a esté trop grande a s'en retourner, me sachant en occupation.

  A018001926 

 Mays, Madame, ne laisses pas, je vous supplie, pour cela de croire qu'en toutes occurrences je ne le serve de tout mon pouvoir avec particuliere affection, comme estant de tout mon cœur,.

  A018001961 

 Monseigneur de Bourges, a la verité, veut faire une Mayson a Bourges, mais ce ne sera pas si tost; cependant on en fait une en cette ville, ou nostre [193] Mere sera dans huit jours, et on travaille a Paris pour un'autre.

  A018001982 

 Je ne veux pas dire pourtant qu'il les faille descharger, sinon quand le Saint Siege, ayant compassion d'elles, le treuvera bon; mais je veux bien dire pourtant qu'il n'y a nul inconvenient, ains beaucoup d'utilité, a laisser le seul petit Office en la Visitation.

  A018001983 

 La deuxiesme responce est qu'en la Visitation il n'y a pas un seul moment qui ne soit employé tres utilement en prieres, examen de conscience, lecture spirituelle et autres exercices..

  A018001984 

 Je m'asseure que le Saint Siege favorisera cette œuvre, qui n'est ni contre les loix, ni contre l'estat religieux, et qui luy acquiert beaucoup de maysons d'obeissance en un tems et en un royaume ou il en a tant perdu; et puisque mesme il n'y a pas tant de considerations a faire pour des maysons de filles, d'autant qu'elles ne font nulle consequence pour les autres Ordres, ni ne peuvent estre occasion de plaintes aux autres fondees sous autres statutz.

  A018001984 

 Sera-ce pas une chose digne du Christianisme qu'il y ait des lieux ou retirer ces pauvres filles qui ont le cœur fort, et les yeux ou la complexion foible?.

  A018001998 

 Mais elle passe bien plus avant, car elle dit que je ne suis pas homme, mais quelque divinité envoyee pour se faire aymer et admirer, et, ce qui importe, elle dit qu'elle passeroit bien plus outre, si elle osoit..

  A018001999 

 Que dites vous, ma tres chere Fille? Vous semble-il qu'elle n'ayt pas tort de parler ainsy? Ne sont ce pas des paroles excessives? Rien ne les peut excuser que l'amour qu'elle me porte, lequel est certes tout saint, mais exprimé par des termes mondains.

  A018002039 

 Ma Seur Anne Marie est fort devotement sage, comme vous n'en doutes pas; ma Seur [201] Paul Hieronime, a ce qu'on me dit, fait merveille, et vostre Econome fait des miracles, hormis que ma Seur Anne Jacqueline luy parle tous-jours savoyard et de la monnoye de Savoye, et elle ne l'entend pas; il faut des truchemens..

  A018002040 

 Hier je permis a la Seur Louise Marie d'aller voir sa mere en compaignie de ma Seur Anne Marie, parce qu'on ne la pouvoit faire resoudre de se confesser, quoy qu'elle fust en tel danger que les medecins croyoient qu'elle deust mourir cette nuit; ce qu'elle n'a pas encor fait, bien qu'a ce qu'on dit elle ne puisse pas aller loin.

  A018002042 

 Le nous et nostre ne me deplaist pas, et toutefois il [202] faudra le moderer en sorte que par trop grande habitude de parler ainsy on ne rende pas les defautz, pechés, imperfections communs et les confessions inintelligibles aux confesseurs estrangers; et partant, il semble quil suffiroit de dire nous et nostre de tout ce qui est vrayement commun, comme: nostre chambre, nostre chapelet, nostre travail, nostre Seur, nostre Mere, nostre exercice; car on peut bien dire: Je n'ay pas fait nostre exercice du matin, je n'ay pas esté a nostre disner, j'ay pensé dans nostre lict, et semblables..

  A018002045 

 Et a propos de monsieur le premier President, madame la Premiere m'a fait entendre, en passant a Chamberi, quil desiroit bien que sa fille fust employee a Turin, si on la peut bonnement retirer de Lion; ce que je ne pense pas.

  A018002047 

 Je seray bien marry si le mariage de monsieur de Chantal ne reuscit au gré de ceux quil regarde, et ne m'estonne pas toutefois si la bonne madame Liotart va un peu moins rondement que nous n'avons pas fait de nostre costé, car elle n'a pas peut estre encor bien despouillé la robbe du monde, ni perdu la coustume de parler selon la sagesse du monde.

  A018002048 

 Je consens tres librement que nostre tres chere Seur Peronne Marie communie trois, voire quatre et plus encor de fois la semaine jusques a l'edition des Regles, et que tous-jours une des Seurs communie avec elle; et quand elle ne communiera pas, qu'une Seur communie, [205] en sorte que tous-jours quelque Communion se face tous les jours; car je me confirme tous-jours plus au desir que je vous ay communiqué, qu'en cette Congregation la Communion y soit quotidienne de quelques unes des Seurs a tour, pour le souhait que le sacré Concile de Trente fait de voir que quelqu'un communie a chaque Messe, ainsy que je le declareray plus a plein aux Regles..

  A018002049 

 Je croy fermement que ma Seur Barbe Marie, m'ayme singulierement, et n'a pas tort, ni aussi madame de Granieu, qui m'est a la verité precieuse..

  A018002057 

 Je ne vous envoye pas le contract, d'autant que je n'ay peu le faire copier, et si il me semble quil ne soit pas trop bien fait; mais je vous en escriray plus amplement.

  A018002072 

 Dites moy donq, je vous prie, que ne fera-il pas de nos afflictions, de nos travaux, des persecutions qu'on nous fait? Si donq il arrive jamais que quelque desplaysir vous touche, de quel costé que ce soit, asseures vostre ame que, si elle ayme bien Dieu, tout se convertira en bien.

  A018002072 

 Et quoy que vous ne voyes pas les ressortz par lesquelz ce bien vous doit arriver, demeures tant plus asseuree qu'il arrivera.

  A018002073 

 Et qu'aves vous a craindre, qui estes fille d'un tel Pere, sans la providence duquel pas un seul, cheveu de vostre teste ne tombera jamais? C'est merveille qu'estant filz d'un tel Pere, nous ayons ou puissions avoir autre soucy que de le bien aymer et servir.

  A018002073 

 La seconde maxime, c'est qu'il est vostre Pere; car autrement il ne vous commanderoit pas de dire: Nostre Pere qui estes au ciel.

  A018002074 

 Or sus donq, ma Fille, quand vous aves eu des afflictions, mesme du tems que vous n'avies pas tant de confiance en Dieu, estes vous perie dans l'affliction? Vous me dires: Non.

  A018002074 

 [210] Et pourquoy donq n'aures vous pas courage de reüscir de toutes les autres adversités? Dieu ne vous a pas abandonnee jusques a present; comme vous abandonnera-il des a present, que, plus qu'auparavant, vous voules estre sienne?.

  A018002076 

 Ma Fille, nous allons a l'eternité, nous y avons presque des-ja l'un des pieds; pourveu qu'elle nous soit heureuse, qu'importe-il que ces instans transitoires nous soyent fascheux? Est il possible que nous sçachions que nos tribulations de troys ou quatre jours operent tant d'eternelles consolations, et que nous ne veuillions pas les supporter? En fin, ma tres chere Fille,.

  A018002096 

 Quant au jardin, mon tres cher Pere, je n'y pense plus; non que je ne voye bien que le projet que nous avions fait n'incommodoit pas le [collège,] ains l'accommodoit par le moyen de la recompense que nous eussions donnee; mais, par la grace de Dieu, je n'eus jamais [212] desir de me rendre contentieux, ni de blesser l'esprit de personne..

  A018002097 

 Et puis, elles sçavent qu'il n'est pas hors de propos que les fideles espouses de Celuy qui n'eut jamais ni logis ni ou reposer son chef en ce monde ne soyent pas logees a leur commodité.

  A018002125 

 Ce pendant, le bon pere viendra icy faire les Rogations avec nous, et madame la Presidente et les freres, [215] ou nous ne serons pas sans parler de vous.

  A018002145 

 J'espere que, quant a moy, j'iray et vers vous et a Moulin, passant a Paris, puisque on tient asseuré le voyage du Prince Cardinal pour cet esté, lequel ne reuscissant pas, au moins iray je vers vous, prendre la consolation de vous voir, et vostre chere trouppe, exceller en la sainte devotion, comme l'on me dit que vous faites.

  A018002163 

 Vous vous resouviendres bien de ce que vous me dites de M. de Grenier et de ses lettres; j'ay sceu que c'est, et m'est advis que c'est si peu de chose, que si vous n'en pouves parler fort doucement et imperceptiblement, il ne seroit presque pas bon d'en rien dire, de peur d'effaroucher cette pauvre fille qui se promet tant de consolation de vostre veue; et peut estre les termes generaux suffiront, sil ne se presente d'autre biais bien propre pour venir aux particuliers..

  A018002166 

 Et puis, cette methode de se desfaire du gentilhomme que vous sçaves, engendrera elle pas indubitablement [220] des querelles, puisque il s'est declairé de sa pretention a M. de Chantal et a moy, a qui mesme il a monstré l'escrit? En somme, il arrive souvent en ce monde que les roses se convertissent en espines..

  A018002166 

 Que je suis en peine, ma tres chere Mere, de crainte que nostre mariage, dont nous nous promettions tant de consolation, ne se rompe; car de ne pas communiquer tres clairement et sans replys toutes les difficultés quil y a, a M. de Chantal et a Monseigneur de Bourges, il ny a point d'apparence; et de les leur communiquer, il y a toute apparence que Monseigneur de Bourges se rebutera de voir que cette terre dont on avoit parlé ne soit pas terre, ains une mayson seulement; que mesme on ne la veuille donner que pour apres le trespas, et non aux noces; que l'argent n'est pas exigeable pour estre colloqué a propos des affaires que l'on a, et que l'on veuille tant de pompe, que deux ou trois mille escus ne suffiront pas: de sorte que rien ne demeure qui puisse bien contenter son esprit que vous connoisses, sinon la fille, que tout le monde avoüe estre digne d'amour.

  A018002167 

 J'ay pensé que je devois escrire un mot a M me Lyotart, laquelle je ne nie pas qu'elle ne me dit qu'elle ne vouloit pas donner cette piece, qu'ell'appelloit terre, qu'hors du contract de mariage: dequoy je me remis, comme des autres particularités, a ce qui seroit avisé entre vous, comme peu expert en telles affaires.

  A018002225 

 Quelle apparence y auroit il de laisser partir ce porteur, de mes amis et confreres, sans luy donner ces quatre motz? car ne faut il pas, le plus souvent que l'on peut, ramentevoir cette juste et inviolable affection plus que fraternelle que mon cœur a envers vous? Il est vray, Monsieur mon tres cher Frere, plus l'honneur et le bien de vous revoir m'est differé, plus ce sentiment va croissant en moy..

  A018002226 

 Au reste, on nous a annoncé de toutes partz le mariage de Sa Grandeur; mais j'attens que vous me le facies sçavoir, avant que j'en tesmoigne ma joye, comme je dois, a sadite Grandeur, avec laquelle je me res-jouirois bien davantage si on ne nous asseuroit pas, par la mesme [225] nouvelle, qu'elle se resoult de ne venir plus icy.

  A018002289 

 Ce n'est pas escrire, ceci, ma tres chere Fille; c'est seulement, comme par un petit signe, vous faire sçavoir que ce cœur duquel vous estes la fille a receu vostre lettre avec beaucoup de joye et ne cesse point de vous desirer la perfection de l'amour caeleste.

  A018002305 

 Mais toutefois, Madame, je ne laisse pas d'esperer qu'apres tant de remises de vostre volonté a celle de Dieu, apres tant de considerations que vous aves faites sur la vanité de cette vie et sur la verité de la future, apres tant de protestations de vouloir estre irrevocablement attachee a la suite de la Providence celeste, vous ne treuvies une solide consolation au pied de la croix de Nostre Seigneur, ou la mort nous a esté rendue meilleure que la vie; et cette illusion de la vie de ce monde n'aura pas eu le credit, je m'asseure, de vous faire desmarcher des resolutions que Dieu vous fit prendre sur les evenemens d'autrefois..

  A018002307 

 Ces momens ne meritent pas qu'on y pense, sinon pour parvenir a ce bien..

  A018002307 

 Pour Dieu, ma tres chere Tante, et certes, pour parler selon mon cœur, ma tres chere Fille, ne vous laisses pas emporter au torrent des adversités, ains attachés vous aux pieds de Nostre Seigneur et dites luy que vous estes sienne; qu'il dispose de vous et de ce qu'il a voulu estre vostre, a son gré, en vous asseurant, et a vous et aux vostres, la tressainte eternité de son amour.

  A018002317 

 Je vous diray, Madame, mais aussi, s'il vous plait, ma tres chere Fille, qu'il est impossible de n'avoir pas des ressentimens de douleur en ces separations; car, encor qu'il semble que les unions qui ne tiennent qu'au cœur et a l'esprit ne soyent point sujettes a ces separations exterieures, ni aux desplaysirs qui en procedent, si est ce que, tandis que nous sommes en cette vie mortelle, nous les sentons, d'autant que la distance des lieux empesche la libre communication des ames, qui ne peuvent plus s'entrevoir ni s'entretenir que par cet office des lettres.

  A018002317 

 Mays pourtant, ma tres chere Fille, il y a bien dequoy vivre content en la tressainte dilection que Dieu donne aux ames unies a mesme dessein de le servir, puisque le lien en est indissoluble, et que rien, non pas mesme la mort, ne le peut rompre, demeurant eternellement ferme sur son immuable fondement, qui est le cœur de Dieu, pour lequel et par lequel nous nous cherissons..

  A018002352 

 Or sus, Dieu ne donne pas tant de desir a nostre tres unique cœur, qu'il ne nous veuille favoriser de quelque effect correspondant.

  A018002361 

 Nous sommes tous-jours esperant et attendant la reddition de nostre Verceil, laquelle devroit il y a long tems estre faite, selon la rayson et les promesses, mais qui ne devroit pas estre si tost attendue, selon l'honneur de celuy qui tient la ville, qui expres, dit on, ne la veut pas faire selon les articles et a point nommé, affin que l'on ne puisse pas dire que c'est par l'authorité du Roy qu'il fait ce dernier accomplissement de la paix.

  A018002362 

 Mais ne pouvant pas encor, je demeure, et suis de plus en plus desireux d'estre reconneu et advoué de vous,.

  A018002376 

 Neantmoins je ne voudrois certes pas, ma chere Fille, que pour cela vous laissassies de m'escrire quand il vous plaira; car la reception de vos lettres me delasse et me recree beaucoup.

  A018002425 

 Je croy que nostre seur qui est en Piemont n'eut pas fait ainsy, mays elle ne peut pas gouverner tout; la pauvre chere seur Religieuse a fait selon sa condition.

  A018002425 

 Pauvre fille, ell'est bien en peine, mais il n'y a pas de quoy, car elle a fait ce qu'ell'a cuydé estre bon.

  A018002450 

 Ce qui me fait vous supplier tres humblement, Monsieur mon Filz, d'avoir quelque soin de luy, affin que l'on voye que ceux qui abandonnent cette fause religion pour embrasser celle du Roy et du royaume, qui est la seule vraye religion, ne sont pas abandonnés de ceux qui tiennent les meilleurs rangs au service du Roy et de la coronne..

  A018002480 

 Dites a cette bonne ame qu'elle entre asseurement a Sainte Marie; bien qu'elle ne soit pas encor Religion, elle le sera bien tost, et j'oserois dire que, devant Dieu, elle l'a tous-jours esté, puisque, par sa grace, l'on y a tous-jours vescu religieusement.

  A018002494 

 Vray Dieu, ma tres chere Fille, que sera ce quand nous verrons aeternellement la face du Pere eternel en elle mesme, puisque le portrait mort et muët d'un chetif homme res-jouit le cœur d'une fille qui l'ayme? Mays, ce me dites vous, ce portrait n'est pas muët, car il parle a vostre esprit et luy dit des bonnes paroles.

  A018002496 

 Ne vous mettes nullement en peine de n'avoir pas la memoire si tenante en la recherche de vos fautes, car ce n'est pas le manquement de memoire qui desplait a Dieu, c'est le manquement de volonté; et, graces a sa Bonté celeste, vous ne manques pas en ceci..

  A018002497 

 Il est vray, je suis debiteur a monsieur d'Aoste et a [251] monsieur de la Gran de je ne sçai quoy que je leur promis, mais je ne tarderay pas de m'en aquiter a mon premier loysir..

  A018002514 

 Outre l'extreme desir que j'ay tous-jours eu de voir une resolution au maniment des affaires de la Sainte Mayson, par laquelle tous ceux qui y servent a Dieu puissent vivre avec plus de tranquillité qu'on n'a pas fait jusques a present, monsieur le Marquis de Lans me convie a m'employer a cela, s'offrant de son costé de contribuer toute son authorité et son pouvoir.

  A018002532 

 Et ne laisse pas d'admirer comm'ilz desirent que j'escrive au Roy de leurs affaires, moy que le Roy ne sçait pas estre au monde; car, quel credit puis je avoir en chose de cette consequence? Neanmoins, puis que le P. de Lesseau [254] le veut, je le feray et vous envoyeray la lettre par ma Seur Barbe Marie, nostre tres chere fille..

  A018002562 

 Je ne voy pas qu'il y ayt autre chose a dire en l'affaire de nostre chere Seur, sinon qu'il faut au plus tost faire le renvoy de cette pauvre fille.

  A018002562 

 Madame [de] Brochenu, sa tante, me dit a Grenoble qu'elle desiroit [qu'on] la renvoyast en la Mayson de Grenoble, estimant [que l'air] luy seroit plus propre; c'est pourquoy il ny [aura pas] grande difficulté de la renvoyer, en disant [que ce] n'est pas l'air, mais la volonté de cette fille [qui l']afflige.

  A018002563 

 [Ce n']est pas mauvais signe, mais bon, quand il se fait ainsy quelque petite purgation; et comme ce seroit [257] cruauté de renvoyer les filles par nos caprices, aversions ou inclinations, aussi seroit ce cruauté de les retenir contre les leurs, quand ilz ne sont pas guerissables..

  A018002614 

 Quand je vous escrivis que vous rendissies comte de tems en tems a vostre ancien confesseur, je ne voulois [261] pas dire que vous fissies des revëues, car il suffit que ce soit d'annee en annee a celuy que vous voudres; mais je voulois dire que vous allassies vous representer a luy pour luy faire connoistre la continuation de vostre sousmission, partie pour vous humilier, partie pour le consoler..

  A018002617 

 Je ne pense pas que nostre Mere d'icy vous escrive, mais elle vous a bien escritte au milieu de son cœur.

  A018002650 

 Je ne laisse pas cependant de voir que Votre Paternité pourra trouver à cela quelques difficultés..

  A018002651 

 Que la commune ne donne pas assez pour établir un nombre suffisant de Pères.

  A018002652 

 Toutefois, outre que nous avons l'exemple des collèges des Pères Jésuites, cette condition, loin de nous faire hésiter, doit au contraire nous exciter à accepter; car peut-être n'y a-t-il pas de voie plus facile pour convertir les hérétiques que celle-ci, et ce moyen employé avec adresse aura un merveilleux succès..

  A018002654 

 Si bien il semble dur à nos Pères que la commune veuille les astreindre à ne pas accepter d'autres classes en cette province dans un rayon de sept lieues autour de Chabeuil, cela ne me paraît pas un inconvénient; car la Congrégation peut s'étendre en prenant des églises pour les desservir.

  A018002697 

 Mays pour tout cela, non plus que pour trente pareilles promesses, rien ne se fait, ains finalement Son Excellence a declaré qu'il n'y avoit pas moyen; qui me fait de rechef hurter a la providence de sadite Altesse.

  A018002704 

 Monsieur, je n'ay pas creu de devoir importuner monsieur Boschiz par une lettre en cette occasion, estimant de devoir en cela espargner son loysir et me contenter de le supplier, par vostre entremise, de [me] tenir pour son tres obligé serviteur, qui se promet sa faveur et en cette occurrence et es autres, pour sa bonté..

  A018002750 

 Je chantay, l'autre jour, la victoire avant le triomphe, quand je vous escrivis que nous estions d'accord avec les Peres de Saint Dominique; car, comme le contract a esté dressé, il (sic) n'ont pas volu tenir parole, de sorte quil faudra marcher dans les termes de la justice, laquelle si ell'est un peu bien administree, ilz [274] se repentiront d'avoir refusé dix mille florins de ce qui n'en vaut pas cinq cens.

  A018002750 

 La rupture du contract se fit hier seulement, et je n'ay encor pas eu loysir de penser a ce qu'il faut faire sur cela; mays, y ayant pensé, je le vous escriray..

  A018002781 

 O mon cher Pere, vous aves donq esté malade deux fois en si peu de tems? C'est signe que vous n'aves pas asses soin de conserver vostre santé, et neanmoins vous estes obligé d'avoir ce soin la, pour servir tant mieux nostre grand Maistre et ses enfans, puisque vostre vocation vous y astreint.

  A018002789 

 Elle ne m'a pas [278] caché que la grace divine luy avoit fait remarquer que ces trois noms de Marie, Marguerite, Michel, luy imposoyent l'obligation destre une fille d'orayson, de mortification et de victoire.

  A018002797 

 Mays, qui vous a peu dire que nos bonnes Seurs de la Visitation ont esté traversees pour leurs places et bastimens? O mon cher Frere, Dominus refugium factus est nobis; Nostre Seigneur est le refuge de leurs espritz, ne sont elles pas trop heureuses? Et comme nostre bonne Mere, toute vigoureusement languissante, me dit hier, si les Seurs de nostre Congregation sont bien humbles et fideles a Dieu, elles auront le cœur de Jesus, leur Espoux crucifié, pour demeure et sejour en ce monde, et son palais celeste pour habitation eternelle..

  A018002831 

 Ni je ne vous remercieray pas du bon accueil que vous aves fait a monsieur le President Crespin, soit que vous l'ayes fait selon la generosité de vostre esprit, qui vous est naturelle, soit que vous l'ayes fait selon la bienveuillance que vous me portes, de laquelle l'habitude est passee meshuy en nature par la multitude de l'exercice que vous en faites continuellement.

  A018002831 

 On ne remercie pas le soleil dequoy il fait le jour, ni la lune dequoy elle esclaire la nuit, parce que c'est leur nature.

  A018002833 

 Nous sommes icy en paix, mays non pas du tout exemptz des ressentimens de la guerre passee; playse a Dieu qu'ilz ne degenerent pas en recheute..

  A018002908 

 Regardes donq si vos desirs ont du pouvoir sur mon esprit, que ne les sachant pas, je les seconde.

  A018002917 

 Qui auroit le loysir d'y mettre un autre rideau, il ne la connoistroit pas, ou bien qui en osteroit le boys pour la luy rendre plus portable.

  A018002928 

 Je voudrois donq que vous sceussies cela d'elle, mais il faudroit que ce fut dextrement, affin que, s'il n'estoit pas besoin, elle ne s'embarassast pas en cet article, et si elle en avoit besoin, qu'elle le dit, et vous me le feries sçavoir.

  A018002938 

 L'essay que je fis de vostre courtoysie il y a 20 ans que je fus a Rome, le recit que m'en fait monsieur le chanoyne Desplans, la consideration de lhonneur ou vos merites vous portent, m'obligent a vous offrir mon service, quoy qu'inutilement, puisque, estant si peu de chose comme je suis, je ne me puis pas promettre le pouvoir de vous en rendre..

  A018002939 

 Et bien que cette mesme consideration me deut retenir de vous importuner, si est ce qu'en l'occasion que ledit sieur Desplans vous represente pour le secours des Chanoynes de mon Eglise, je ne laisseray pas de vous supplier de nous estre favorable a tous, affin que les uns soyent aydés, et moy consolé de les voir un peu assistés et delivrés de pauvreté, vous asseurant, Monsieur, que vous obligeres force gens d'honneur et qui ont affection [292] de marcher de bien en mieux au service de Dieu; et en mon particulier, j'en demeureray a jamais,.

  A018002966 

 Si je puis trouver à Paris, où je vais accompagner le Prince cardinal de Savoie, quelque oraison funèbre de feu le cardinal du Perron, je ne manquerai pas d'en faire part à Votre Seigneurie Illustrissime, qui, je n'en doute point, aura pour agréable d'apprendre les particularités de la mort très heureuse et pleine de piété de ce grand homme et Prélat..

  A018002999 

 La Mère suivra, pour aller à Bourges, une route différente de la nôtre et demeurera dans cette ville tandis que je serai à Paris; mais je ne laisserai pas de vous faire part des progrès de notre Congrégation que Votre Seigneurie aime tant..

  A018003025 

 Toutefois je ne manquerai pas de vous envoyer en leur temps quelques remarques touchant cette histoire; peut-être pourront-elles être utiles à l'auteur..

  A018003116 

 Il me dit en chemin qu'il voulait me parler de ce qui concerne Votre Illustrissime Seigneurie, mais il ne l'a pas fait jusqu'à présent; je ne crois pas même qu'il le puisse de si tôt, occupé comme il l'est par les affaires qui toutes retombent sur ses bras et sur ceux de M. le Marquis votre frère..

  A018003117 

 Parfois même elle ramait et me faisait ramer avec elle, pensant d'abord que je ne savais pas cet art, dans lequel pourtant il s'est trouvé que j'étais déjà passé docteur..

  A018003121 

 A notre bon Père D. Juste mille et mille salutations; je ne manquerai pas, à l'occasion, de faire à sa Congrégation tous les bons offices que je pourrai.

  A018003126 

 De grâce, que Votre Illustrissime Seigneurie veuille bien saluer cordialement notre Père D. Juste, ... ces Sérénissimes... je ne manquerai pas d'offrir prières et Sacrifices....

  A018003138 

 Pour moy, je ne puis pas dire plus que jamais, mais s'il se pouvoit dire, certes, je dirois qu'inseparablement, plus que jamais, je suis.

  A018003160 

 Encor vous faut-il dire ce mot, ma tres chere Fille: si vous n'estes pas favorisee, aymés bien cette abjection.

  A018003202 

 Oüy, ma Fille, j'ay presché ce matin devant la Reyne et tout son beau monde; mais en verité, je n'ay pas presché avec plus de soin, plus d'affection ni plus de playsir qu'en ma pauvre petite Visitation.

  A018003215 

 Je voy les douleurs et estonnemens de vostre cœur, parmi lesquelz Dieu ne laisse pas de regner; c'est pourquoy vous ne deves pas vous en tourmenter..

  A018003216 

 Mais, en somme, je n'y ay pas mon devoir, ni mes cheres brebis..

  A018003226 

 Ne croyes pas, ma tres chere Mere, qu'aucune faveur de la cour me puisse engager.

  A018003228 

 Il est luy seul nostre paix, nostre consolation et nostre gloire: que reste-il, sinon que nous nous unissions de plus en [320] plus a ce Sauveur, affin que nous portions bon fruit? Ne sommes nous pas bien heureux, ma chere Mere, de pouvoir enter nos cœurs sur celuy du Sauveur qui est enté sur la Divinité? car ainsy, cette infiniment souveraine Essence est la racine de l'arbre, duquel nous sommes les branches, et nos amours les fruitz: ç'a esté le sujet de ce matin..

  A018003256 

 Et quant a elle, on conneut bien que non seulement elle ne trompoit pas malicieusement le monde, mais qu'elle estoit la premiere trompee, ny ayant de son costé aucune autre sorte de faute, sinon la complaysance qu'elle prenoit a s'imaginer qu'elle estoit sainte, et la contribution qu'elle faisoit de quelque simulation et duplicités pour maintenir la reputation de sa [325] vaine sainteté.

  A018003257 

 Et quant au bon Pere qui semble les approuver, il ne faut pas le rejetter ni disputer contre luy, ains seulement tesmoigner que, pour espreuver tout ce traffiq de revelations, il semble bon de le mespriser et n'en tenir conte.

  A018003257 

 Neanmoins, comme je vous ay dit, il ne faut pas pour cela mal traitter cette pauvre Seur, laquelle, comme je croy, n'a point d'autre coulpe en son affaire que celle du vain amusement qu'elle prend en ces vaines imaginations.

  A018003259 

 Il leur est souvent advis qu'elles voyent ce qu'elles ne voyent pas, qu'elles oyent ce qu'elles n'oyent point et qu'elles sentent ce qu'elles ne sentent point..

  A018003259 

 J'avois oublié de vous dire que les visions et revelations de cette fille ne doivent pas estre treuvees estranges, parce que la facilité et tendreté de l'imagination des filles les rend beaucoup plus susceptibles de ces illusions que les hommes: c'est pourquoy leur sexe est plus addonné a la creance des songes, a la crainte des espritz et a la credulité des superstitions.

  A018003261 

 La similitude apportee pour l'explication du mystere de la sainte Trinité est bien jolie, mays elle n'est pas hors de la capacité d'un esprit qui se complaist en ses propres imaginations..

  A018003274 

 Ce m'est un desplaysir sensible de voir un si grand manquement de douceur parmi messieurs nos ecclesiastiques de dela, et ne sçai ce que je ne ferois pas pour moderer leurs passions.

  A018003275 

 De sçavoir sil seroit expedient de le loger ou a Sessi, ou a Grilly, je n'en puis pas bien resoudre de si loin, encor que j'inclinerois plus tost a Grilly.

  A018003275 

 Je seray bien ayse que M. Jaquin soit en quelque lieu [328] ou il puisse s'exercer en sa vocation, puisqu'a Chevry il n'a pas la commodité, et comme quelques uns pensent, ni beaucoup de volonté, dautant qu'il ny a point encor fait de service.

  A018003277 

 Je ne suis pas prest a consentir qu'on oste le service de l'eglise de Gex, ni que M. Paris soyt maltraitté, car je l'estime trop.

  A018003300 

 De tout mon cœur, Madame, je me treuveray ou vous me marques et quand vous me marques, et ne refuse pas la commodité de vostre carosse, puisque je n'en ay point que de ceux qui me favorisent; parmi lesquelz vous estes, je vous asseure, l'une des ames a laquelle je souhaite plus cherement, tendrement et fortement toute sorte de sainte consolation, estant sans fin et sans reserve,.

  A018003314 

 En quelles occurrences pouvons nous faire les grans actes de l'invariable union de nostre cœur a la volonté de Dieu, de la mortification de nostre propre amour et de l'amour de nostre propre abjection, et en somme, de nostre crucifixion, sinon en ces si aspres assautz? Ma tres chere Mere, vous ay-je pas souvent intimé la nudité de toutes les creatures, pour se revestir de Nostre Seigneur crucifié? Or sus, Dieu sera au milieu de vostre cœur, qui vous affermira, et j'espere [332] qu'il conduira ce filz a bon port et que vous aurés encor la consolation interieure de le sçavoir..

  A018003314 

 Je suis grandement en peine de vostre affliction, bien que je n'en sache pas les particularités; mais je voy bien, par ce peu de paroles que vous m'escrivés, que vous la sentés vivement.

  A018003316 

 Je n'ay seulement pas loysir de revoir vostre lettre pour voir si j'y oublie rien.

  A018003317 

 J'avois grand desir de voir Monseigneur nostre Archevesque, mais puis qu'il ne vient pas, je me res-jouis en la consolation que vous aves de sa presence et luy bayse tres humblement les mains, et salue de tout mon cœur nos tres cheres Seurs; qui suis infiniment, ainsy que vous sçaves, ma tres chere Mere, vous mesme, en une façon incomparable tout vostre..

  A018003328 

 Mais voyes combien amoureusement il a escrit vostre nom dans le fond de son divin cœur, qui palpite la sur la paille pour la passion affectueuse qu'il a de vostre avancement, et ne jette pas un seul souspir devant son Pere auquel vous n'ayes part, ni un seul trait d'esprit que pour vostre bonheur.

  A018003328 

 Mays, qu'est ce qu'il ne nous dit pas en se taisant? Son petit cœur, pantelant d'amour [334] pour nous, devroit bien enflammer le nostre.

  A018003330 

 Combien de fois arrive il que nous disons des bonnes choses parce que quelque bonne ame nous les impetre? Ne presche elle pas asses, et avec cet advantage, que n'en sçachant rien elle ne s'en enfle point? Nous ressemblons aux orgues, ou celuy qui met le souffle fait en verité le tout et n'en porte point la louange.

  A018003358 

 M'en remettant à ce qu'on apprendra par lui-même, je dirai seulement à Votre Illustrissime Seigneurie, que je ne manquerai pas de faire tout ce qui me sera possible auprès de Son Excellence M. le Comte, afin qu'il seconde votre pieux désir.

  A018003359 

 Votre Seigneurie Illustrissime fait bien de remettre entre les mains de Dieu ce qui concerne le P. D. Juste; et puisqu'il n'est pas au courant du fait... S'il s'élevait quelque calomnie, la divine Providence la fera bientôt cesser, car c'est ainsi qu'elle agit d'ordinaire avec ses serviteurs..

  A018003360 

 De grâce, que votre chère âme ne se laisse pas troubler par des scrupules touchant le vœu que vous avez fait d'être Religieuse; car, qui ne diffère le paiement que pour payer en meilleure monnaie ne doit pas être appelé mauvais payeur, surtout lorsque le jour ni le temps n'ont pas été fixés.

  A018003361 

 Je ne sais encore quand je retournerai en Savoie, mais je sais bien [337] que, s'il plaît à Dieu, je ne tarderai pas d'aller à Turin, ou avec le Sérénissime Cardinal, ou avec le Sérénissime Prince..

  A018003379 

 Or sus, c'est Dieu qui veut ainsy mettre nostre cœur au sec; ce n'est donq pas une rigueur, c'est une douceur..

  A018003380 

 Voyla que je vous dis, ma tres chere Mere; et tout de mesme pour les nouvelles des desplaysirs de M. [de Chantal.] En fin, Nostre Seigneur, peut estre, nous veut ainsy conduire entre les espines desormais; et je confesse, pour le regard de moy mesme en moy, qu'il en est bien tems: en vous, je le supplie de toutes mes forces qu'il attrempe tous-jours doucement son calice; mais que nostre volonté ne soit pas faite, ains la sienne toute sainte.

  A018003389 

 Soit que nous allions, soit que nous revenions, soit que nous soyons en un lieu, soit que nous soyons en divers lieux, pourveu que nous soyons avec Dieu nous ne pouvons jamais estre separés; et mesme, si nous avons memoire de la parole de Nostre Seigneur quand il dit a sa tres chere Mere: Ne sçavies vous pas qu'il failloit que je fusse es affaires de mon Pere? car il veut dire que il importe peu ou que nous soyons, pourveu que nous vivions au service du Pere celeste.

  A018003390 

 quand vous desirastes d'estre ma fille; et il n'y a nul [mal] que vous ne sachies pas si bien exprimer en presence vos petites conceptions comme vous faites en absence.

  A018003391 

 J'ay prié Dieu pour cett'ame que j'honnorois beaucoup, mais je n'ay pas escrit a ce filz par ce que je n'ay sceu cett'affliction que tard et hors de sayson de consoler..

  A018003410 

 Que si j'ay retardé a vous escrire, attribués-le, je vous prie, a ce tracas insupportable parmi lequel il faut faire plus qu'on ne peut et qu'on ne veut, et ne faire pas ce que l'on veut, encor que l'on le peut..

  A018003413 

 Il sçait qui nous [343] sommes, et nous tendra sa main paternelle es mauvais pas, affin que rien ne nous arreste.

  A018003414 

 Il vous a gardee jusques a present; tenes vous seulement bien a la main de sa Providence, et il vous assistera en toutes occasions, et ou vous ne pourres pas marcher, il vous portera.

  A018003415 

 Que peut craindre l'enfant entre les bras d'un tel pere? Soyés bien un enfant, ma tres chere Fille; et, comme vous sçaves, les enfans ne pensent pas a tant d'affaires; ilz ont qui y pense pour eux; ilz sont seulement trop fortz s'ilz demeurent avec leur pere.

  A018003427 

 Nous ne vous envoyerons pas encor ni l'une ni l'autre de ces dames: l'une, qui est la mariee, par ce qu'elle ne [345] veut donner que cinq cens francz de pension, se sous-mettant, quant au reste, que sa fille de chambre estant espreuvee, si elle n'est propre a demeurer on la puisse chasser; et pour ses moyens, bien qu'elle ne se determine a rien, si me semble-il qu'elle se laissera conduire.

  A018003428 

 Ce sera eternellement mon sentiment qu'on ne laisse jamais de recevoir les filles infirmes en la Congregation, sinon que ce fut des infirmités marquees aux Regles, telle que n'est pas celle de [cette] fille qui n'a point d'usage de ses jambes, car, sans jambes, on peut faire tous les exercices essentielz de la Regie: obeir, prier, chanter, garder le silence, coudre, manger, et sur tout avoir patience avec les Seurs qui la porteront, quand elles ne seront pas prestes et promptes a faire la charité; car il faudra souvent qu'elle supporte celles qui la porteront, si l'esprit de dilection ne les porte.

  A018003429 

 Nostre M me de Gouffier ne s'en ira pas, et je vay espiant une bonne commodité pour revoir un peu son esprit..

  A018003430 

 En Piemont et Savoye on a fait des allegresses incroyables les festes de Noel, lors que le Prince eut receu les couleurs des faveurs ou les faveurs de couleurs de Madame; et le Prince publia un cartel pour un tournois general, auquel il invite toute l'Italie a venir voir mourir a ses pieds tous ceux qui diront que l'amarante n'est pas la plus belle de toutes les couleurs, et la Princesse qui favorise cette couleur, la plus digne qui est (sic) jamais esté, et quechevalier qui est son esclave n'est pas le plus heureux du monde.

  A018003430 

 Mais certes, je ne sçai pas trop bien l'histoire de ce cartel; aussi n'est elle pas trop propre pour estre leüe en [347] refectoir.

  A018003431 

 Mays ce que je crain, c'est que d'abord on ne le mettra pas en fortune, ains faudra qu'il la gaigne par la sujettion et par sa vertu, bien que, moyennant cela, il y a apparence qu'il la fera proportionnee a sa condition.

  A018003432 

 Ce qui tient en peine M. de Forax, c'est premierement qu'il ne sçait ou aller prendre la finale conclusion de son mariage, ou de sa prćtention, puisque madamoyselle de Chantal n'est pas aupres de vous, et que, ni elle sans vous, ni vous sans elle ne feres rien.

  A018003432 

 Et je vous asseure que le pauvre garçon n'en est guere plus grand docteur que moy, ouy bien en toute sorte de vertu, pieté et courtoysie; et luy est advis qu'encor qu'il n'espouseroit pas M lle de Chantal, laquelle pourtant il a bien envie d'espouser, il ne laisserait pas d'estre vostre filz..

  A018003433 

 Mon engourdissement de jambes n'est rien de douloureux, ni qui m'empesche de marcher des que j'ay fait dix ou douze pas.

  A018003454 

 Chacun n'est pas de la bonté de nostre Monseigneur l'Archevesque, car on veut reconsiderer nos Regles, et chacun y treuve son adire, qui d'une façon, qui d'un'autre.

  A018003454 

 Voyci maintenant mon [351] sens: je leur laisseray faire le projet, et si es particularités de la besoigne il y a chose qui repugne, on refusera; car ce sera asses tost quand ilz me parleront clair, ce que jusques a present ilz n'ont pas fait.

  A018003455 

 Faites bien mes excuses vers Monseigneur nostre Archevesque si je ne luy escris pas fort au long.

  A018003457 

 Je salue tres cherement ma Seur Anne Marie, ma Seur Marie Marthe, ma Seur Anne Catherine, ma Seur Helene, ma Seur... Je vous asseure que je ne treuve pas [352] maintenant les autres qui sont avec vous, car je les vis si vistement a Lyon que je ne l'observay pas.

  A018003467 

 Non, je vous prie, ne vous retenes point de m'escrire quand il vous plaira, car pourveu que vous ayes patience de ne recevoir des responses que quand j'auray la [353] commodité de les faire, je n'auray jamais que beaucoup de contentement d'avoir souvent de vos lettres; car si vous ne le sçaves pas, je vous annonce que vous estes bien ma tres chere fille..

  A018003468 

 Mais il faut que si les Seurs n'ont pas la confiance de demander a parler a luy, luy mesme l'ayt de demander de parler a elles quelquefois, et sil ne l'avoit pas, il faut que vous la luy donnies, si c'est un Pere qui la puisse recevoir; car, comme il faut pourvoir d'une juste liberté aux Seurs pour la communication, aussi les faut-il retenir dans la regie de la simplicité et humilité; et n'est pas raysonnable que la foiblesse de quelques unes face multiplier les confessions extraordinaires a toute la Congregation, et mette en tristesse et ennuy le pauvre confesseur ordinaire.

  A018003508 

 O Dieu, que sa foy est bonne et qu'ell' est grande! car si elle n'estoit grande et forte, elle ne feroit pas des repugnances si pressantes aux suggestions.

  A018003520 

 Dieu, qui voit que nous ne venons pas a Paris pour nous faire voir, mais affin de faire voir a sa Bonté plusieurs ames s'acheminer purement a son saint service, nous aydera.

  A018003547 

 Bien que je l'eusse vu quelques heures avant sa mort, je ne fus cependant pas présent au suprême passage, dont personne ne s'aperçut, sauf mon frère qui eut le bonheur de lui donner la dernière bénédiction..

  A018003548 

 Je ne sais pas les particularités du testament, quoique j'aie été témoin de l'approbation qui en fut donnée par le notaire..

  A018003549 

 Enfin, ajoute Son Altesse, il faut avoir un peu de patience, et si Votre Seigneurie s'inquiète et ne veut pas attendre, qu'elle vienne à Annecy.

  A018003549 

 On lui écrit de Piémont, que cette affaire est en bonne voie, dit-il; mais quand il n'en serait pas ainsi, il arrangera toutes choses à son retour.

  A018003550 

 Je n'écrirai pas à notre Père D. Juste, cet homme selon mon cœur; mais il sait bien que je l'aime et révère de toute mon âme.

  A018003604 

 Si nostre Dieu ne nous donne pas tous-jours ce que nous luy demandons, c'est pour nous retenir aupres de luy et nous donner sujet de le presser et contraindre par une amoureuse violence, ainsy qu'il fit voir en Emmaus, avec ces deux pelerins avec lesquelz il n'arresta que sur la fin de la journee, et bien tard, et quand ilz le forcerent.

  A018003607 

 Je ne manqueray pas d'imprimer un singulier amour pour vostre personne en cette Congregation, specialement au cœur de madame de Chantal, vous asseurant que je desire grandement que vous soyes toute comblee de cette pure charité qui vous rende a jamais aymable a Dieu et a toutes les creatures qui le servent.

  A018003619 

 Mays prenes garde, neanmoins, qu'on ne luy desrobe pas ses tapisseries..

  A018003620 

 Ne voyla pas une bonne negociation? Or sus, Dieu soit au milieu de nostre cœur, ma tres chere Mere..

  A018003630 

 Tesmoignes luy beaucoup d'obligation, et si d'aventure il parloit de la charge des Pœnitentes, ne le rebuttes pas, ains dites simplement que pour maintenant vous [373] n'aves point de personnes capables de cela, et que si Dieu en envoye a l'advenir, ce sera aux Superieurs d'en disposer selon que Dieu les inspirera; car en ce pais il faut grandement estre en respect..

  A018003649 

 Je pense toutefois que si on prioit M me de Royssieux, peut estre vous envoyeroit elle bien le sien, ou madame la Contesse de Joigni; et je m'advise que celuy de M me de Royssieux n'est pas a elle, mais a son beaufrere..

  A018003661 

 Et neanmoins, j'espere que le coup que M. le Collateral recevra ne sera pas si grand comme l'apprehension..

  A018003661 

 Les tribulations ne seroyent pas tribulations si elles n'affligeoyent, et les [376] serviteurs de Dieu n'en sont gueres exempts; leur bonheur est reservé pour la vie future.

  A018003662 

 Je vous prie de prendre la peine de les instruire de mon droit, comme encor de ne vous lasser pas a bien conduire par vos advis l'affaire que j'ay avec M. de Marcossey..

  A018003679 

 Et ne croyés nullement que j'aye cette cogitation que vous recherchies l'excellence du personnage, car, bien que cette sorte de pensee est grandement convenable a ma misere, si est ce qu'en telles rencontres elle ne me vient pas; ains au contraire, il n'y a peut estre rien qui soit plus capable de m'acheminer a l'humilité, admirant que tant de serviteurs et servantes de Nostre Seigneur ayent une si grande confiance en un esprit si imparfait comme est le mien.

  A018003679 

 Il est vray, sans doute, ma tres chere Seur, que si je ne fusse pas venu en cette ville, malaysement eussies-vous peu communiquer vos affaires spirituelles avec moy; mais puisqu'il a pleu a la Providence celeste que j'y sois, il n'y a nul inconvenient que vous employes cette occasion, si vous penses qu'il soit a propos.

  A018003681 

 C'est pourquoy il n'est pas requis que nous marchions tous-jours contre nos inclinations, quand elles ne sont pas mauvaises et qu'ayant esté examinees elles ont esté treuvees bonnes..

  A018003681 

 Il est malaysé, ma tres chere Seur, de treuver des espritz universelz qui puissent esgalement bien discerner en toutes matieres: aussi n'est il pas requis d'en avoir de telz pour estre bien conduit, et n'y a point de mal, ce me semble, de recueillir de plusieurs fleurs le miel qu'on ne peut pas treuver sur une seule.

  A018003681 

 Il suffit, ma tres chere Seur, de se sousmettre aux advis, et n'est pas ni necessaire ni expedient de les desirer contraires a nos inclinations, ains seulement de les vouloir conformes a la loy et doctrine celeste.

  A018003681 

 Ma chere Seur, je ne voy pas qu'il y ayt grand danger en cela, puisque vous ne voules pas suivre vos inclinations qu'elles ne soyent appreuvees; et quoy que vous cherchies des juges favorables, si est ce toutefois que, les prenant bons, sages et doctes, vous ne sçauries mal faire de suivre leurs opinions, bien que desirees par vous, pourveu qu'au reste vous proposies naifvement vos affaires et les difficultés que vous aves.

  A018003681 

 Pour moy, je pense que nous ne devons pas appeller les amertumes en nos cœurs comme fit Nostre Seigneur, car nous ne les pouvons pas gouverner comme luy; il suffit que nous les souffrions patiemment.

  A018003682 

 Il n'y a pas grand mal d'ouyr les personnes et les affaires du monde quand c'est pour y mettre du bien, et ne faut pas estre pointilleuse en l'examen qu'on en fait; car c'est chose moralement impossible de demeurer beaucoup au fin point de la moderation.

  A018003682 

 Mays, ma tres chere Seur, je ne voudrois pas que vous manquassiés a l'orayson, au moins de demi heure, sinon que ce fust pour des occasions violentes, ou quand l'infirmité corporelle vous tient.

  A018003683 

 Alhors donq nous parlerons a souhait de vostre conduitte et de tout ce qu'il vous plaira me proposer, sans que je m'excuse de rien, sinon quand je n'auray pas la lumiere requise pour vous respondre.

  A018003714 

 Pour Samoen, je ne voy pas que pour le present cela se puisse.

  A018003715 

 Quant a M. Meynier, Monseigneur le Prince n'estant pas icy, ains a la cour, a Tours, je ne voy pas qu'on y puisse faire autre chose.

  A018003735 

 C'est peu de chose de plaire a Dieu en ce qui nous plaist: la fidelité filiale requiert que nous luy voulions plaire en ce qui nous desplaist, nous remettans devant les yeux ce que le grand Filz bienaymé disoit de soy mesme: Je ne suis pas venu pour faire ma volonté, mays pour faire la volonté de Celuy qui m'a envoyé; car aussi n'estes vous pas chrestienne pour faire vostre volonté, mais pour faire la volonté de Celuy qui vous a adoptee pour estre et sa fille et son heritiere eternelle..

  A018003757 

 De vous dire que vous en facies de [388] mesme, je ne le feray pas; car s'il plait a Dieu, il vous l'inspirera, et je ne puis douter qu'il ne le face..

  A018003757 

 Et je dis ainsy hardiment, que Dieu a voulu estre entre nous, parce que je le sens puissamment, et ne croy pas que ce sentiment puisse venir d'ailleurs.

  A018003761 

 Et quand je dis grave, je ne dis pas morne, ni affectee, ni sombre, ni desdaigneuse, ni altiere, mais je veux dire sainte et charitable..

  A018003761 

 S'il vous sembloit qu'il vous portast hors de la [389] sainte allegresse que je vous conseille si fort, croyes que ce n'est pas sa pretention, ains seulement de rendre serieuse et grave cette joye, comme aussi faut il qu'elle soit.

  A018003762 

 Je ne dis pas que peut estre il ne se passast quelques coulpes venielles; mais je dis qu'elle ne les pouvoit remarquer en son examen, ni moy reconnoistre en sa confession, et que partant j'avois rayson de luy faire repeter l'accusation de quelque coulpe ancienne..

  A018003762 

 Le bon Pere a une opinion, fondee en sa vertu et humilité, qu'on ne puisse pas passer un jour sans peché veniel, dont on se puisse accuser en confession.

  A018003763 

 Outre que je ne sçai pas comme il aura touché cet article, ne l'ayant pas leu en son livre, que je n'ay point veu encor, ains seulement le luy ayant ouy dire; et je parle a vostre cœur confidemment..

  A018003763 

 Vous ne dires point ceci a personne, s'il vous plait, ma tres chere Fille; car je revere si hautement ce bon Pere et tout ce qu'il dit, que je ne voudrois pas qu'il sceust qu'en ceci mesme je me retirasse de luy.

  A018003764 

 Ne vous charges pas de trop de veilles ni d'austerités (et croyés moy, ma tres chere Fille, car j'entens bien ce que je dis en ceci), mais alles au Port Royal de la vie religieuse par le chemin royal de la dilection de Dieu et du prochain, de l'humilité et de la debonnaireté..

  A018003765 

 Je ne sçay pourquoy je vous escris si largement; c'est mon cœur qui ne se lasse pas de parler au vostre, mais il faut [390] que je finisse pour entrer au bain, puisque je suis entre les mains du medecin..

  A018003775 

 La bonne madame de Saint George fait elle mesme par lettre ses excuses a Vostre Altesse, dequoy elle ne s'est [391] peu mettre en chemin pour suivre Madame; mays elle n'a pas l'asseurance de nommer la cause de son retardement, par ce qu'elle est extraordinaire pour elle qui, n'ayant peu devenir grosse en tant d'annees de son mariage, a rencontré ce contentement en celle ci, comme plus heureuse pour la benediction des noces.

  A018003788 

 Et bien que je nomme ces deux lieux, ce n'est pas pour prsevenir vostre volonté, ains seulement pour tesmoigner qu'y ayant en l'un et en l'autre des gens dignes de creance, il sera peut estre plus a propos d'y faire venir des parties qui ont besoin d'estre rangees par l'advis de juges de qualité, et sur tout par vostre commandement..

  A018003819 

 Voyla en substance ce que j'en appris hier de la Mere Superieure, laquelle me nomma son autheur, bien digne de foy; mais parce qu'il n'est pas du Conseil, je m'addressay hier a M. de Pierrevive, qui, je m'asseure, me donnera plus de clarté..

  A018003830 

 Je ne vous escris pas, ma tres chere Fille, car je n'en ay pas le loysir ce matin, un'ame pressee de retourner aux chams et venant faire sa confession generale a la desrobee m'ostant cette commodité.

  A018003833 

 Et nous, que ne devons nous pas faire affin quil nous possede, quil nous manie, quil nous masche, quili nous avale et ravale, qu'il face de nous a son gré?.

  A018003870 

 Mais toutefois, je ne laisse pas de croire fort asseurement et de dire constamment que, nonobstant cette admirable et amiable clarté de l'Escriture es choses necessaires a salut, l'esprit humain ne treuve pas tous-jours le vray sens d'icelle, ains peut errer, et d'effect erre tres souvent en l'intelligence des passages les plus clairs et les plus necessaires a l'establissement de la foy: tesmoins les erreurs lutheriennes et les livres calvinistes, qui, sous la conduitte des peres de la pretendue reformation, demeurent en une contention irreconciliable sur l'intelligence des paroles de l'institution de l'Eucharistie; et se vantant l'un et l'autre parti d'avoir soigneusement et fidelement examiné le sens de ces paroles par le rapport de la conference des autres passages de l'Escriture, et le tout adjusté a l'analogie de la foy, demeurent neanmoins contraires en l'intelligence des paroles de si grande importance..

  A018003871 

 La methode susmentionnee est tres bonne, mais l'esprit humain n'en sçait pas user.

  A018003916 

 nulle consequence, la clemence des grans Princes, ni mesme l'equité, ne permet pas a leur justice d'user d'autre correction que de celle d'une reprehension et d'un advertissement.

  A018003931 

 Despuis, je me porte bien, non pas pour aller faire encor de grans effortz, mais pour me renforcer de jour en jour..

  A018003932 

 Si je puis, je vous iray voir cet apres disner, non toutefois pour vous entretenir, mays c'est apres avoir confessé des dames qui n'attendent que cela pour s'en aller aux chams; et je ne voy pas que passé cela je me treuve fort occupé que pour aller dire mes adieux tout bellement..

  A018003942 

 La lettre que Vostre Altesse a escrit a Monsieur le Duc de Nemours a esté receue par luy trois jours avant que la copie m'ayt esté remise en main, de sorte que des-ja il m'avoit parlé sur le sujet d'icelle, non sans se douloir du retardement pour l'article qui regarde son payement, deu par le sieur Bonfilz des il y a long tems, a ce qu'il dit, et par le manquement duquel toute sa mayson et ses affaires sont extremement incommodés; dont il ne peut esperer le remede que de la [410] promesse qu'il a pleu a Vostre Altesse de luy faire, d'avoir du soin et de la bienveuillance pour luy qui, a la verité, n'est pas sans beaucoup d'inquietude parmi la necessité en laquelle il se treuvé (sic), ayant si peu de revenuz de deça, ou ses terres sont presque toutes engagees, et ne jouissant de celuy qu'il [a] en Savoye, qui est son fond principal.

  A018003957 

 Vous recevres cette lettre, Dieu aydant, par les mains [411] de madamoyselle du [Tertre], grandement bien apparentee en cette ville, laquelle estant demeuree vefve despuis peu et s'estant resolue a ne plus rentrer dans les liens du mariage, a creu de ne pouvoir mieux conserver sa resolution que dans l'estat religieux, auquel neanmoins ne sentant pas pour encor une si forte affection qu'elle souhaiteroit pour pouvoir d'abord s'y engager, elle a nonobstant un desir si grand de s'y voir arrestee, qu'elle veut rechercher cette grace de Dieu es lieux ou elle espere qu'elle luy sera plus facilement accordee.

  A018003958 

 Mais je vous diray celle ci, que vous ne croiries pas si aysement de sa bouche: c'est que nous desirons grandement qu'elle soit conduitte a la vraye connoissance et prattique de la vie devote.

  A018003987 

 Es conversations, ma tres chere Fille, soyes en paix de tout ce qu'on y dit et qu'on y fait; car s'il est bon, vous aves dequoy louer Dieu; et s'il est mauvais, vous aves dequoy servir Dieu en destournant vostre cœur de cela, sans faire ni l'estonnee ni la fascheuse, puisque vous n'en pouves mais et n'aves pas asses de credit pour divertir les mauvaises paroles de ceux qui les veulent dire, et qui en diront encor de pires si on fait semblant de les vouloir [416] empescher; car ainsy faysant, vous demeureres toute innocente parmi les sifflemens des serpens, et, comme une aymable fraise, vous ne contracteres aucun venin par le commerce des langues veneneuses..

  A018004051 

 Ce mot est pour vous saluer en toute humilité et nous plaindre de ce que nous n'aurons point l'honneur de vous voir selon que nous le croyions, ma sœur Barbe Marie nous assurant que vous n'allez pas à Paris, ains à Grenoble.

  A018004124 

 Quant a celles qui ont les biens venduz ou alienéz, et ce pendant il est requis d'y establir des ecclesiastiques, comme Sacconex, Ornex, Thoiry, voisines des autres, Matigni, Vernier et Meirin, il serait expedient, voire necessaire, sçavoir a quoy monte tout le revenu des biens ecclesiastiques de ce Bailliage generalement, et, selon la porté desdicts biens, les distribüér a chasque cure comme l'ont recognoistroit estre de besoing, et non pas demembrér le corps de l'ceconomie pour accommoder un particulier.

  A018004125 

 Au reste, il en a pris la gardiature et charge dy faire le service divin, de quoy monsieur Cheynel n'en est pas [427] autrement content.

  A018004127 

 M. Paris n'en a pas esté content, ne regardant qu'a son profit particulier; lequel ne m'en veut point du bien, ne m'ayant jamais voulu rendre les clefz de ma cure, dans la quelle je l'avoys logé gratuitement pour luy faire du bien, luy ayant encor accomodé d'un jardin 3 ou 4 annees.

  A018004148 

 Mais aussi, ce sera un œuvre digne d'un grand Prelat comme vous estez, de prendre en main la cause d'un vostre tres humble serviteur que l'impieté a opprimé, et duquel vous ne recevrez pas moins de gloire devant les hommes que devant Dieu, que je prie de tout mon cœur de me faire la grace que je puisse un jour vous randre preuve certeine de l'affection avec laquelle je me recognoy,.

  A018004153 

 Que sil a esté exceder (sic), il le doibt rapporter a sa perfidie et a son imprudence, car sil se fust bien informé de moy, il heust sceu que je n'estoy pas si lasche que de souffrir une si grande injure sans en faire demonstration et ressentiment..

  A018004163 

 Il n'est pas croyable comme leurs saintes mœurs, leur pureté de vie et leur céleste conversation attirent les cœurs et l'estime de tout le monde.


19-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XIX-Vol.9-Lettres.html
  A019000007 

 Pas être utilisés à des fins commerciales de toute nature!.

  A019000022 

 — Ne pas examiner son oraison d'une manière curieuse.

  A019000030 

 — Pourquoi François de Sales n'écrit pas longuement.

  A019000031 

 — Ne pas être prompte à promettre, mais agit avec conseil.

  A019000053 

 Requête au nom d'un Monastère qui fleurit «en veritable devotion.» — Un Mémoire dont la lecture n'est pas «hors de sayson» pendant les fêtes de Noël. 56.

  A019000069 

 Les solitaires que Dieu n'aime pas et avec lesquels il ne veut point d'union.

  A019000077 

 — Faire toutes choses «tout bellement,» et ne pas se mettre en peine des saillies sans volonté.

  A019000082 

 — Trois sortes de gens qui ne témoignent pas de joie de la promotion de Jean-François à la coadjutorerie.

  A019000085 

 — Confiance en Dieu, et nous ne serons pas confondus. 86.

  A019000106 

 — Ne pas regarder en arrière.

  A019000107 

 Des raisons qui ne satisfont pas l'esprit de François de Sales.

  A019000119 

 Les fautes involontaires n'empêchent pas la marche vers la perfection.

  A019000121 

 A quelles conditions on peut recevoir à la Visitation des aspirantes qui n'ont pas encore l'âge d'entrer au noviciat.

  A019000131 

 — Coupable qui ne veut pas reconnaître ses torts.

  A019000137 

 — Cinq cents écus qu'on n'arrive pas à retirer.

  A019000148 

 — Pourquoi l'Evêque ne l'a pas rompu.

  A019000160 

 — Ne pas «espier» les sentiments de son âme.

  A019000178 

 — Dieu ne laisse pas d'agréer les actes de l'esprit faits avec peine et sans joie sensible.

  A019000190 

 On peut dire son mal, mais il ne faut pas s'en plaindre.

  A019000194 

 — Les filles ineptes ne doivent pas être reçues.

  A019000196 

 La cure de Rumilly étant désormais unie au Chapitre des Altariens, les poursuites du Prieur contre le Curé n'ont pas de raison d'être. 203.

  A019000199 

 La Visitation n'est pas instituée pour l'éducation des petites filles.

  A019000199 

 — Ne pas prêter facilement les Constitutions jusqu'à ce qu'elles soient corrigées.

  A019000199 

 — Pour quelle raison admettre les postulantes riches; pourquoi les pauvres ne doivent pas être rejetées.

  A019000213 

 — Quand on est bien, ne pas chercher le mieux, de peur de trouver le mal.

  A019000243 

 Voyla, ma tres chere Fille, pour la bonne madame de Vaugrenant, a laquelle j'ay beaucoup de compassion, [1] la considerant ainsy environnee d'affaires, elle qui, a mon advis, n'est pas accoustumee a cela.

  A019000281 

 Non, ne dites pas encor l'Office, mais si vous pouves bien descendre pour la Messe, je le veux bien; et tenes vous assise le plus que vous pourres, et en lieu ou ce grand vent qui tire dans le chœur ne vous frappe point..

  A019000289 

 Je ne doute pas pourtant que vous ne pensies bien et soyes tres asseuree que cette separation ne soit pas de longue duree, puisque tous nous allons a grans pas ou ce filz se retreuve: entre les bras, comme nous devons esperer, de la misericorde de Dieu.

  A019000312 

 Seulement j'adjouste en particulier, que vous deves apprendre a faire vos exercices courtz, d'autant que vous n'aves pas tous-jours le loysir requis pour vous dilater en iceux..

  A019000313 

 Quand vous pourres ouÿr la sainte Messe, faites le; quand vous ne pourres pas l'ouÿr, faites une demi heure de priere, unissant vostre esprit a la tressainte Eglise en l'adoration de ce saint Sacrifice et du Redempteur de nos ames qui y est contenu.

  A019000330 

 Qui n'est qu'a Dieu ne cherche que luy; et parce qu'il n'est pas moins en la tribulation qu'en la prosperité, on demeure en paix parmi les adversités.

  A019000342 

 Je ne dis pas: Tenes le en paix; mais je dis: Tasches de le faire; que ce soit vostre principal souci, et gardes bien de prendre occasion de vous troubler dequoy vous ne pouves si soudainement accoyser la varieté des sentimens de vos humeurs.

  A019000344 

 O ma Fille, soyes bien cela, et ne tenes conte de tout ce que l'amour propre vous dira au contraire; mays prenes doucement, amiablement et amoureusement cette resolution: Ou mourir, ou guerir; et puisque je ne veux pas mourir spirituellement, je veux guerir; et pour guerir, je veux souffrir la cure et la correction, et supplier les medecins de ne point espargner ce que je dois souffrir pour guerir..

  A019000358 

 J'espere que Dieu vous fortifiera de plus en plus; et a la pensee, ou plustost tentation, de tristesse sur la crainte que vostre ferveur et attention presente ne durera pas, respondes une fois pour toutes, que ceux qui se confient en Dieu ne seront jamais confondus, et que, tant selon l'esprit que selon le cors et le temporel, vous aves jetté vostre soin sur le Seigneur, et il vous nourrira.

  A019000359 

 J'espere que j'entendray bien ce que vous me dires de vostre orayson, en laquelle pourtant je ne desire pas que vous soyes curieuse de regarder vostre procedé et façon de faire; car il suffit que tout bonnement vous m'en fassies sçavoir les mutations plus remarquables, selon que vous en aves souvenance apres l'avoir faite.

  A019000362 

 J'eusse voulu que vous ne vous fussies pas raillee et mocquee de ces gens la, mais qu'avec une modeste simplicité vous les eussies edifiés par la compassion dont ilz sont dignes, selon que Nostre Seigneur nous a enseigné en sa Passion.

  A019000362 

 Pour la seconde lettre: Ne falloit il pas que vous fussies espreuvee en ce commencement de plus grande pretention? Or sus, il n'y a rien en cela que des traitz de la providence de Dieu, qui a abandonné cette pauvre creature affin de faire que ses pechés soyent plus fortement chastiés, et que par ce moyen elle revienne a soy et a Dieu, duquel il y a si long tems qu'elle s'est departie.

  A019000374 

 Mays je ne veux pas m'arrester sur ce sujet.

  A019000404 

 Ce sera, Dieu aydant, demain; mais en attendant, faut-il pas que mon cœur salue le vostre?.

  A019000405 

 Je sceu a mon depart de Paris que vous esties rentree dans Maubuisson avec vostre petite chere troupe, mays je n'ay peu sçavoir si vous avies treuvé vos papiers, vos meubles de devotion et vostre argenterie sacree; car celle qui s'est elle mesme desrobee a Dieu, pourquoy ne desroberoit-elle pas toute autre chose?.

  A019000419 

 Je ne desirois pas moins de vous voir que je faysois de voir les deux cheres Seurs que j'ay maintenant veües, [23] l'une a Paris au petit Couvent, l'autre icy.

  A019000419 

 Mays il n'a pas pleu a Nostre Seigneur qu'aucune occasion se soit presentee d'aller du costé d'Amiens pendant mon sejour en ces quartiers, d'où partant tout presentement pour me retirer en mon diocsese, duquel je n'ay esté que trop absent, je vay en esprit aupres de vous, et vous envoye ce billet qui vous dira de ma part que toute ma vie j'ay cheri vostre ame de tout mon cœur, et me suis consolé de sçavoir que la divine Majesté vous avoit retiree a son service en une si [sainte] vocation comm'est celle [24] en laquelle vous vivés, et que j'honnore parfaitement, et en laquelle je prie Dieu, et ne cesseray point, que vous perseveries heureusement, faysant des continuelz progres en.......................................

  A019000448 

 Que vous diray-je, ma Fille, vous voyant parmi ces amertumes? Oh! courage, je vous prie; l'Espoux que vous aves choisi des que vous estes separee de celuy qu'on vous avoit choysi, est un faisceau de myrrhe: quicomque l'ayme ne peut n'aymer pas l'amertume; et ceux [27] qu'il favorise de son plus estroit amour sont tous-jours piqués de tribulations.

  A019000450 

 Et moy, ma tres chere Fille, j'espere que Dieu ayant receu en sacrifice de suavité l'acquiescement de ce pere et le vostre, et celuy du grand pere et de la grand mere, et des tantes, il ne permettra pas que la tribulation face plus de progres: ainsy je l'en supplie, et qu'il vous face sainte..

  A019000452 

 Salues la cherement de ma part, je vous supplie, et l'asseures que je ne passeray pas Bourges, ou nous nous acheminons demain matin, sans que je luy envoye une de mes lettres.

  A019000472 

 Mais j'admire bien plus que vous ayant escrit de Chatres ( sic ), d'Orleans, de Tours, [31] d'Amboyse, vous n'en ayes encor receu pas un seul mot.

  A019000473 

 Ell'a eu rayson de dire que c'estoit elle qui avoit fait le mariage, car je ny ay, pour moy, contribué que ce que je ne pouvois pas refuser a la verité des qualités de M. de Forax et que je ne devois pas denier a son amitié..

  A019000474 

 De leurs nouvelles, je vous en escriray par chemin entre ci et Moulins, comme des nouvelles de celles [32] de Moulins entre Moulins et Lyon; car en ces villes ou on fait les complimens a Madame, il ny a nul moyen d'escrire qu'aux heures esquelles vous ne voules pas que j'escrive..

  A019000489 

 Je retourne en arriere vous revoir en esprit et saluer vostre chere ame par ce billet, ne me pouvant contenter [33] de cet a Dieu si court que je fus forcé de vous dire, m'estant demeuré sur le cœur que je ne vous parlay pas asses clairement sur le sujet de vostre conduitte en l'administration de vostre charge, selon que je m'estois proposé de vous en entretenir un peu plus amplement, si j'en eusse eu le loysir.

  A019000491 

 Ne soyes pas prompte a promettre, mays demandes du loysir pour vous resoudre es choses de quelque consequence; cela est propre pour bien asseurer nos affaires et pour nourrir l'humilité.

  A019000494 

 Et affin qu'en toutes façons vostre douceur ne ressemble point a la timidité et ne soit point traittee comme cela, quand vous verries une Seur qui feroit profession de n'observer pas le respect, il faudroit, doucement et a part, vous mesme luy remonstrer qu'elle doit honnorer vostre office et cooperer avec les autres a conserver en dignité la charge qui lie toute la Congregation en un cors et en un esprit..

  A019000494 

 Sil y a quelque Seur qui ne vous traitte pas avec asses de respect, faites le luy sçavoir par celle des autres [35] que vous jugeres la plus propre a cela, non comme de vostre part, mais de la sienne.

  A019000496 

 Quand je vous dis: ne monstres pas cette lettre, je veux dire: ne la monstres pas indifferemment; car si c'est vostre consolation de la monstrer a quelqu'une, je le veux bien..

  A019000511 

 J'en conferay avec M. de Berule et avec mon parfait ami M. des Hayes, duquel, quand il viendra a Paris, vous pourres sçavoir plus entierement la chose; car je luy escriray quil vous en parle, bien que nous fussions demeurés d'accord que nul n'en sceut chose du monde, d'autant que je pensois vous le pouvoir escrire au long; ce que je voy maintenant n'estre pas possible ni asseuré.

  A019000511 

 L'affaire n'est pas encor preste, ni ne le sera pas si tost; et tandis, nous escouterons ce que Dieu en ordonnera, a la plus grande gloire duquel je veux tout reduire et sans laquelle je ne veux rien faire, moyennant sa grace, ainsy que je fis entendre a mondit seigneur le Cardinal d'abord, et le luy repliquay de rechef estant a Amboyse, ou il m'en parla encor plus cordialement; et Monsieur le Cardinal de la Rochefocaut m'en tendit un mot devant M. le Prince, mais en sorte que cela ne fut [39] point consideré.

  A019000516 

 Non pas certes pour celleci, car tout y va presque selon Dieu; et c'est une grande consolation de voir nostre petite Madame si gave et toute bonne, et Madame de Vandaume, qui est un ( sic ) parfaite bonté, et tout son train si bien rangé et vertueux..

  A019000517 

 A Bourges, je treuvay la pauvre Superieure entre les mortifications continuelles qu'on luy fait sur ce qu'elle n'est pas habile aux choses du monde et trop facile a la reception des filles et a la conduite des Seurs.

  A019000517 

 Je luy parlay et a l'Assistente ensemblement, et dis qu'elle ne s'obligeast nullement a faire tous-jours venir l'Assistente au parloir avec elle; mays qu'es affaires de consequence, apres avoir ouy ce qu'on propose, elle prit loysir d'en conferer avec elle et les Coadjutrices, par ce qu'en cette sorte elle conservera la dignité de Superieure et la bonne conduite des affaires ensemblement; et non pas avec cette timidité avec laquelle elle n'osoit venir au parloir sans l'Assistente, de peur qu'on ne luy parlast d'affaires temporelles: en quoy elle se tenoit trop sujette, et privoit les Seurs de deux presences, [42] dont l'une pour le moins est requise pour tenir en devoir les Novices.

  A019000518 

 Mays quant a madame leur bonne protectrice, elle ne sera pas satisfaite si on ne met un'autre Superieure; car, dit elle, cette fille est faite pour estre un ( sic ) tres excellente Directrice, et c'est dommage de la divertir au soin du temporel auquel elle ne sçauroit reuscir.

  A019000554 

 Si je n'esperois d'escrire a la Visitation de Paris et a Maubuisson bien tost, je vous supplierois de commander a M. Jantet qu'il fit mes honneurs en ces deux [47] Maysons; mays puisque dans deux ou trois jours je les feray moymesme par lettres, je me contenteray, sil vous plait, quil asseure monsieur et madame de Saint Bonet de mon humble obeissance; et quand j'escriray par dela, je n'oublieray pas de rendre mon devoir a madame de Herce..

  A019000574 

 Je voy clairement cette formiliere d'inclinations que l'amour propre nourrit et jette sur vostre cœur, ma tres chere Fille, et sçai fort bien que la condition de vostre esprit subtil, delicat et fertile contribue quelque chose a cela; mays pourtant, ma tres chere Fille, en fin ce ne sont pour tout que des inclinations, desquelles puisque vous sentes l'importunité et que vostre cœur s'en plaint, il n'y a pas de l'apparence qu'elles soyent acceptees par aucun consentement, ou du moins par consentement deliberé.

  A019000574 

 Non, ma tres chere Fille; vostre chere ame ayant conceu le grand desir que Dieu luy a inspiré de n'estre qu'a luy, ne vous rendes pas aysee a croire qu'elle preste son consentement a ces mouvemens contraires.

  A019000576 

 Ma Fille, estre en ce monde et ne sentir pas ces mouvemens de passions sont choses incompatibles.

  A019000577 

 Saint Bernard les sentant un jour qu'elles le faschoyent tandis qu'il preschoit: « Retire-toy de moy, Satan, dit il; je n'ay pas commencé pour toy, et nefiniray pas pour toy.» [51].

  A019000577 

 Voyes vous, ma Fille, ces inclinations d'orgueil, de vanité et de l'amour propre se meslent par tout, et fourrent insensiblement et sensiblement leurs sentimens presque en toutes nos actions; mays pour cela ce ne sont pas les motifs de nos actions.

  A019000578 

 Es discours, certes, quelquefois l'affectation passe si insensiblement qu'on ne s'en apperçoit presque pas; mais si pourtant on s'en apperçoit, il faut soudain changer le stile.

  A019000579 

 Au reste, ma tres chere Fille, je ne doute point que parmi cette si grande quantité de tours et de retours de cœur, il ne se glisse par ci par la quelques fautes venielles; mais pourtant, comme estans passageres, elles ne nous privent pas du fruit de nos resolutions, ains seulement de la douceur qu'il y auroit de ne point faire ces manquemens, si l'estat de cette vie le permettoit..

  A019000591 

 O ma Mere, il ne se faut pas estonner de cela: toutes les ames n'ont pas la grace de joindre l'actif au passif, et de passer, sans prejudice interieur, de l'un a l'autre..

  A019000618 

 Mays on ne peut croire que ces lettres soyent selon l'intention de sadite Altesse, puisque elles sont contraires a la resolution prise avec tant de consideration, delaquelle il se peut faire que la souvenance ne soit pas tous-jours presente a Son Altesse; puysque mesme, en attendant qu'on obtienne de Rome le pouvoir d'appliquer plus fructueusement ces praebendes, on les employe a reparer les domiciles necessaires et entretenir la sacristie de ladite eglise..

  A019000670 

 Je ne puis n'aymer pas vostre ame que je connois estre bonne, et ne puis ne luy souhaiter le tres desirable amour de la genereuse perfection, me resouvenant des larmes que vos yeux respandirent lhors que, vous disant adieu, je vous desirois a Dieu, et que, pour estre plus a Dieu, vous dissies adieu a tout ce qui n'est pas pour Dieu..

  A019000693 

 La dispense pour le mariage de madamoyselle vostre fille est arrivee, et neanmoins il reste encor a vuider un empeschement mis au greffe de l'evesché par M. de Paumier, et je voy monsieur du Boys aucunement disposé a l'oster par le moyen de quelque somme d'argent; mays je ne sçai pas si elle sera telle que les parties s'en contentent d'abord.

  A019000726 

 Permettes moy, je vous supplie, Monsieur, de soulager mon ame en me plaignant a vous mesme de vos plaintes, [65] lesquelles a la verité m'affligent et m'estonnent, ne croyant pas d'en avoir donné aucune occasion; puisque, hors le veritable tesmoignage que j'ay rendu une seule fois des merites et bonnes qualités du gentilhomme, et une autre fois de sa religion, je n'ay nullement cooperé a cette alliance que peut estre par la recommandation que j'en ay faite a Dieu, si elle devoit estre a sa gloire; et tout ce qui se dit de plus n'est qu'exageration..

  A019000727 

 Pouvois je refuser de telz offices a de telles personnes? Non plus que celuy que je fis envers vous, Monsieur, qui, ce me semble, ne me fistes pas sçavoir que vous eussies une si puissante aversion pour ce mariage, que de la j'eusse peu inferer cet ardent mescontentement que vous aves, ce me dit on....................................................................................

  A019000734 

 Je voudrois bien pourtant regaigner la bonne grace de ces messieurs en faveur de mon ministere; si je ne puis, je ne laisseray pas de marcher en iceluy per infamiam et bonam famam, ut seductor et verax.

  A019000747 

 Mais, a ce propos de conserver les bienveuillances, on m'escrit que je suis presque privé de celle de M. de Montholon pour le sujet du mariage de M. de [Foras.] Et encor faut il que je vous rende conte de ceci, puisque vous estes celuy qui me l'avies procuree; et en un mot, je puis dire avec verité que, hors les veritables tesmoignages que j'ay rendus une seule fois a madame de [Vaulgrenant] de la vertu et bonnes qualités de son mari, je n'ay rien cooperé a ce mariage, sinon qu'apres avoir veu et sceu les fortes et vehementes liaisons d'affections, avec des grandes promesses reciproques d'un futur mariage entre ces deux parties, faites pendant que j'estois a Maubuisson, et de plus, la damoyselle se promettre fort asseurement que madamoyselle de [Sanzelles] appreuveroit tout, je dis alhors, qu'encor que je ne doutasse point de leur discretion a la suite de leurs affections, neanmoins je leur conseillois de ne pas beaucoup tarder leur mariage; conseil conforme aux decretz de l'Eglise, et que je donnay ne regardant qu'au plus grand bien et a la plus entiere asseurance de ces ames, et a l'observance des commandemens de Dieu..

  A019000760 

 Je viens d'escrire troys grandes lettres, que je vous envoye ouvertes, affin que vous les voyes, et en icelles plusieurs choses qu'il faudroit que je vous escrivisse; et je n'en ay pas le loysir, estant bien tard..

  A019000761 

 Si le monde ne treuvoit a redire sur nous, nous ne serions pas bonnement serviteurs de Dieu..

  A019000763 

 O ma Mere, il ne faut pas estre si tendre sur moy, il faut bien vouloir qu'on me censure: si je ne le merite pas d'une façon, je le merite de l'autre.

  A019000776 

 O ma Fille, non, je vous prie, ne croyes pas que l'œuvre que nous avons entrepris de faire en vous puisse estre si tost faite.

  A019000777 

 Ne serois je pas un desloyal arrogant si je ne la regardois en douceur parmi les effortz qu'elle fait de s'affermir en la douceur, en l'humilité, en la simplicité? Qu'elle continue donq fidelement ses poursuites, et je continueray sans cesse de souspirer et respirer pour son bien et avancement.

  A019000780 

 Non, ma Fille, ne laisses pas l'oraison que pour des occasions qu'il est presque impossible de recouvrer.

  A019000781 

 Helas! la pauvre N. perdra elle ainsy le fruit de sa vocation? O mon Dieu, ne le permettes pas.

  A019000782 

 O non, car Dieu protegera cette chere ame et ne permettra pas qu'une si rude tempeste la vienne accabler.

  A019000783 

 Quant a la C., il ne faut pas treuver estrange le [76] refus qu'on en a fait: le bien qui en doit reuscir est trop grand pour n'avoir point de difficulté et de contradiction.

  A019000792 

 M. le Doyen ne veut point aller a la cour, sa devotion le tirant ailleurs, ou il pretend se rendre dans six semaines ou deux mois; mays il desire qu'on ne le sache pas, ne s'en estant descouvert qu'a moy et au Superieur claustral du lieu ou il aspire, sur le rivage de ce lac..

  A019000793 

 Reste M. Favre, qui desire d'attendre M. de [Charmettes.] Si quelqu'un de vostre connoissance vouloit entrer au premier quartier, en m'advertissant dans quinze ou dix huit jours affin que je n'en fisse pas tenir prest l'un des susnommés, cela seroit bon, comme je pense.

  A019000795 

 M. Favre m'escrit que M. de Foras n'est pas encor [79] hors de prison, par l'opiniastreté des parens qui font le pis qu'ilz peuvent.

  A019000796 

 Je ne sçavois pas que les livres de Visites fussent a Paris, car on me l'a celé; mais il y a apparence que monsieur le President en aura soin.

  A019000798 

 C'est que Monsieur le Reverendissime du Montdevis a, ce dit [80] on, un prieuré pres de [Belley], qui s'appelle Consieu, duquel s'il vouloit se desfaire en faveur de nostre Eglise, on luy asseureroit une bonne pension, pourveu qu'elle n'excedast pas tous les fruitz; et apres on pourroit traitter avec le Chapitre de Belley, du doyenné de Seyserieux.

  A019000798 

 Vous verres que nous n'avons pas oublié nostre Eglise, pour laquelle il se presente encor une occasion dont le Chapitre m'a prié de vous donner advis, affin que dextrement vous sachies si on en pourroit reuscir.

  A019000800 

 Il y a apparence qu'ilz feront ce qu'ilz pourront pour [81] ravaler le peu de faveur qu'ilz voyent naistre pour nous; mais il ne faut pas que vous vous en remuies, ains que vous respondies seulement par bienfaitz a leur mesdire.

  A019000802 

 M. de Leaval s'estoit chargé de retirer le depesche du sieur Menyer; s'il ne va pas bien tost en Piemont, madame de Charmoysi vous prie de procurer qu'on le face, et de donner advis de l'argent qu'il faut pour le retirer, affin qu'on l'envoye soudain.

  A019000849 

 Que de joye, ma chere Fille, que mon cœur reçoit de voir la franchise et rondeur du vostre a ce commencement! Non, ne vous estonnes point de ces larmes; car, bien qu'elles ne soyent pas bonnes, elles viennent neanmoins de bon lieu.

  A019000849 

 Si nos resolutions estoyent petites et revocables, nous n'aurions pas ces sentimens en ces abnegations et hautes conclusions que nous avons prises.

  A019000850 

 Et moy, ne croyes vous pas que mon cœur s'attendrisse sur le vostre? Si fait, je vous asseure, mais attendrissement doux et suave, pour voir que vos douleurs sont des presages de plusieurs faveurs que Dieu vous fera, si constamment et fidellement vous perseveres en cette entreprise, la plus digne, la plus genereuse, la plus utile que vous pouvies jamais faire..

  A019000857 

 Mais affin que vous vous entretenies de nouvelles reciproquement, entretenes les comme venant de l'autre monde, et elles vous entretiendront comme venans du monde; car si vous leur parles le langage de leurs lieux, ce ne leur sera pas grande nouvelle.

  A019000857 

 Soyes courte la ou vous ne profiteres pas..

  A019000868 

 Vives joyeuse et courageuse, ma chere Fille, (je dis en la portion superieure de vostre ame) car l'Ange qui preconise la naissance de nostre petit Maistre annonce en chantant, et chante en annonçant, qu'il publie une joye, une paix, un bonheur aux hommes de bonne volonté, [91] affin que personne n'ignore qu'il suffit, pour recevoir cet Enfant, d'estre de bonne volonté, encor que jusqu'icy on n'ayt pas esté de bon effect; car il est venu benir les bonnes volontés, et petit a petit il les rendra fructueuses et de bon effect, pourveu qu'on les luy laisse gouverner, comme j'espere que nous ferons les nostres, ma tres chere Fille.

  A019000906 

 Ne permettes plus tant a vostre esprit de faire des reflexions sur vostre misere et sur vostre incapacité; car, a quoy est bon tout cela? Dépendes vous pas de la Providence de Dieu en tout et par tout? Or, celuy qui habite dans le sejour du Seigneur demeurera en sa protection..

  A019000930 

 Helas! ma Fille, si nous n'avons pas correspondu ci devant a l'amour de ce gratieux Sauveur par une sainte et inseparable union de nos affections a sa sainte volonté, faisons maintenant en sorte qu'au bout de cette annee nous puissions estre appellés enfans d'un an..

  A019000932 

 Mais n'est ce pas, donq, ma Fille, dores-en-avant nous ne serons plus ces vieux nous mesmes que nous avons esté devant; nous serons des nous mesmes qui, sans exception, sans reserve, sans condition, serons a jamais sacrifiés a Dieu et a son amour, et, comme de petitz phœnix, nous serons renouvellés de ce feu de la dilection divine pour laquelle, avec un irreconciliable divorce, nous avons pour jamais abandonné et rejetté le monde et toute sorte de vanité.

  A019000960 

 La Seur N. nous a donné de l'exercice et ne veut encor pas cesser; car elle a un moule a part, auquel elle fait [100] des pechés mortelz, et opiniastre qu'elle ne peut se communier pour cette occasion.

  A019000962 

 O ma Mere, soit que la providence de Dieu me face changer de sejour, soit qu'elle me laisse icy (car cela m'est tout un), ne seray-je pas mieux de n'avoir pas tant de charge, affin que je puisse un peu respirer en la Croix de Nostre Seigneur et escrire quelque chose a sa gloire?.

  A019000985 

 Quatre bonnes fois, pour le moins, j'ay presché a Paris pour la reception des Religieuses, qu'un simple prestre a fait l'Office; une fois j'ay fait la reception, qu'un Pere Jesuite a presché; et en l'une et l'autre façon je ne laissois pas d'estre ce que je suis.

  A019000985 

 Quicomque presche, il tient le lieu et fait la fonction de l'Evesque: c'est pourquoy, si le bon monsieur [d'Ulme] fait l'Office, je ne voy pas [103] qu'un autre ne puisse prescher, quel qu'il soit.

  A019000986 

 Il sera donq a propos que si nostre bon M. [d'Aoste] peut faire que messieurs ses parens ne le treuvent pas mauvais, ce soit luy qui face l'exhortation; et je ne puis deviner quelle rayson ilz peuvent avoir de le treuver mauvais, estant une chose si bonne et honnorable.

  A019000986 

 Mays avec cela, je confesse aussi que c'est une vraye humanité au bon monsieur [d'Ulme] de croire qu'il importe a sa reputation qu'il face ou ne face pas l'Office, et mesme n'ayant pas le talent de la predication; et croy, quant a moy, que ce soit au contraire.

  A019000986 

 Que si cela ne se peut, il faudra prier quelque Pere Religieux; car, que faire parmi ces imaginations? Le jour est court, et de disposer Monseigneur a autre chose il n'y a pas de l'apparence.

  A019000992 

 Puys, ne vous amuses pas a penser quelles sont les pensees de vostre esprit pour cela, puisque de toutes ces pensees il n'y en a point qui soit vostre pensee que celle que, deliberement et volontairement, vous aures acceptee, qui est de faire la Communion pour l'union et comme une union de vostre cœur a celuy de l'Espoux..

  A019001001 

 La necessité des moliniers de cette ville et l'utilité de la continuation de leurs ouvrages, me donnent la confiance de vous supplier de donner permission au Frere Adrien pour un voyage jusques a Lyon, auquel il se comportera selon les loix et conditions qu'il vous plaira de luy prescrire, ainsy qu'il m'asseure de vouloir faire en toutes autres occurrences; autrement, certes, je ne serois pas de ses confederés, ne pouvant jamais estimer les vocations extraordinaires, sinon quand elles sont sousmises et correspondantes aux ordinaires..

  A019001002 

 Mays, mon Reverend Pere, n'est ce pas pitié du tres-pas du bon P. Constantin? Je l'ay regretté, et luy rendray, comme j'ay commencé, mon devoir es saintz [107] Sacrifices.

  A019001015 

 Ces saillies de l'amour propre doivent estre negligees; pour les desadvouer deux ou trois fois le jour, on en est quitte; il ne faut pas les rejetter a force de bras, il suffit de dire un petit non..

  A019001015 

 O ma Fille [108] veritablement toute bienaymee de mon cœur, faites bien ainsy: ne permettes pas a vostre esprit de considerer ces miseres; laisses faire a Dieu, il en fera quelque chose de bon.

  A019001016 

 Si nostre abjection sert a sa gloire, ne devons nous pas estre glorieux d'estre abjectz? Je me glorifie, disoit l'Apostre, e n mes infirmités, affin que la vertu de Jesuschrist habite en moy.

  A019001031 

 Il n'y a point d'entredeux entre vostre sortie et vostre perte; [110] car ne voyes vous pas que vous ne sortiries jamais que pour vivre a vous mesme, de vous mesme, par vous mesme et en vous mesme? et ce d'autant plus dangereusement, que ce seroit sous pretexte d'union avec Dieu, qui toutefois n'en veut point avoir ni n'en aura jamais point avec les solitaires retirés, particuliers et singuliers, qui quittent leurs vocations, leurs vœux, leurs Congregations par amertume de cœur, par chagrin, avec depit et par degoust de la societé, de l'obeyssance des Regles et sainte observance..

  A019001031 

 La cogitation de sortir a toutes les plus veritables marques de tentation qu'on sçauroit treuver; mays Dieu soit loué dequoy en cet assaut le donjon n'est pas encor rendu ni, comme je pense, prest a se rendre.

  A019001032 

 Oh! ne voyes vous pas saint Simeon Stilite, si prompt a quitter sa colomne sur l'advis des anciens? Et vous, ma tres chere Fille, vous ne quitteres pas vos abstinences sur l'advis de tant de gens de bien, qui n'ont nul interest de vous les faire quitter que pour vous faire rendre quitte et exempte de vostre propre amour? Or sus, ma tres chere Fille, chantes meshuy le cantique de l'amour: O que c'est une chose douce et bonne de voir les Seurs habiter ensemble! Traittés rudement vostre tentation; dites luy: Tu ne tenteras point le Seigneur ton Dieu; Va en arriere, Satan; tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et a iceluy seul tu serviras..

  A019001042 

 Mays pourtant, bien que la douleur ne puisse pas estre si tost tout a fait appaysee, nous devons neanmoins l'adoucir le plus qu'il nous sera possible, par toute sorte de bonnes et veritables considerations..

  A019001043 

 En somme, il faut donner passage aux afflictions dedans nos cœurs, mais il ne leur faut pas permettre d'y sejourner..

  A019001043 

 Or, qu'elle soit trespassee, c'est un accident si commun, si general et si inevitable, que ce seroit ne connoistre pas ce que vous estes et la fermeté de vostre esprit, que de vous vouloir donner du secours pour vostre consolation en cela.

  A019001084 

 Quand les Peres Barnabites allerent a Paris pour obtenir du Roy leur entree au college de Beaune, je les recommanday a Vostre Grandeur comme Religieux grandement estimables, fructueux et sinceres; mays je ne laisse pas, en confirmant cette creance, de repeter maintenant ma supplication pour leur rendre tesmoignage de l'affection que je leur dois, et non par aucune defiance que j'aye que vous ne leur facies ressentir vostre bonté et pieté en ce qui sera de vostre pouvoir.

  A019001103 

 Mays qu'un prestre, sans tiltre ni vray ni coloré, se tienne dans une cure par force, ne veuille reconnoistre l'authorité de l'Evesque, rejette l'œconome qui est legitimement envoyé, empesche que l'Evesque ne face inventaire de ce qui est dans une mayson presbiterale, appelle comme d'abus d'une tres legitime authorité, tout ainsy que si du moins le soin des benefices de ma charge, tandis qu'ilz sont vacans et jusques a tant qu'ilz soyent prouveuz, ne m'appartenoyt pas: tout cela, je ne le puis ni treuver bon, ni civil, ni supportable..

  A019001104 

 Que s'il est permis, sur des patentions, d'esloigner les justes et ordinaires procedures [119] des Praelatz par voye de fait, quelz inconveniens n'en verrons nous pas? Je me demettray quand il en sera tems; mays quant a present, je ne puis, ni ne dois, ni par consequent je ne veux point ceder mon droit de donner tel ordre que bon me semblera a ce benefïce vacant, en attendant qu'il soit prouveu; et ne veux nullement que ceux qui s'ahurtent y administrent les Sacremens, ayant deputé un prestre qui ira demain, pour empescher que ce peuple ne demeure pas desprouveu de ce qui luy sera necessaire de ce costé la..

  A019001106 

 Tout mon desplaysir seroit si en cela je vous desplaysois aucunement; mays je ne le croyray pas ni ne le sçaurois croire, puisque mon intention est bonne et sans fiel, et vous m'aymes constamment, qui suis aussi invariablement,.

  A019001138 

 Je n'en doutois pas, ma tres chere Fille, que Dieu n'eust soin de vostre cœur en ces occurrences, et que s'il le blessoit d'une main, il n'appliquast son bausme de l'autre.

  A019001140 

 De M. d'Andilly et de M. Arnauld mon filz, il n'en faut pas douter.

  A019001140 

 Mais, ma Fille, et nos Seurs Catherine de Sienne, Anne et Marie, que font elles, les pauvres filles? Elles sont constantes, n'est ce pas? car elles sont nos seurs.

  A019001141 

 Il est vray, je suis merveilleusement accablé d'affaires; mais vos lettres, ma Fille, ne sont pas des affaires, ce sont des rafraischissemens et allegemens pour mon ame: cela soit dit pour une bonne fois..

  A019001144 

 Or, je sçai bien que parmi tout cela vous feres mille eschappees le jour, et que tous-jours ce naturel si actif fera des saillies; mais il ne m'en chaut pas, pourveu que ce ne soit pas vostre volonté, vostre deliberation, et que tous-jours vous appercevant de ces mouvemens, vous taschies de les appayser..

  A019001146 

 Mais, ma Fille, cet amour de la propre excellence n'est [125] il pas gratieux en cette fille que je vous ay tant recommandee et qui en verité m'est chere comme mon ame? Car, qu'y a il de plus gentil que cette petite aversion, laquelle [provient] d'estre appellee fille de cette pauvre Mere? Mays demandes luy, je vous prie, si elle a encor point de sentiment dequoy je l'appelle ma Fille, et si elle voudroit point que je l'appellasse ma Mere? O vray Dieu, qu'il luy a cousté d'effortz pour me dire cette petite niaiserie! Certes, ma Fille, je ne sçai pas combien il luy couste, mais je ne voudrois pour rien du monde qu'elle ne me l'eust dit, puisqu'en cela elle a prattiqué une si profonde resignation et confiance envers moy..

  A019001147 

 Au reste, ma tres chere Fille, je ne sçai pas ce que cette fille m'a fait, mais je treuve ses miseres, qu'elle me descrit si naïfvement, si bien remarquees que rien plus.

  A019001147 

 Or dites luy qu'elle m'escrive tous-jours simplement, et qu'encor qu'estant la aupres d'elle, elle ne m'eust jamais monstré des lettres qu'elle escrivoit a ses seurs, maintenant, si j'y estois, elle n'en feroit nulle difficulté; car elle me connoist bien mieux qu'elle ne faysoit pas, et sçait bien que je ne suis pas d'humeur mesprisante..

  A019001148 

 Mays voyes vous, ne vous estonnes pas de ces distractions: Si j'estois sainte, si je parlois au Pape, et semblablables; car, pour estre fort vaines, elles n'en sont que plus parfaitement distractions, et n'y faut nul autre remede que de ramener doucement le cœur a son object..

  A019001149 

 Je sçai qu'il est tellement a Nostre Seigneur, que non pas mesme ce rude coup n'a sceu luy oster la paix interieure; mays son ennuy et ses apprehensions auront esté grandes.

  A019001161 

 Ce n'est pas pour vous separer de monsieur vostre cher mari, que je vous escris separement et a l'un et a l'autre, Madamoyselle ma tres chere Fille, mais c'est par ce que l'inscription seroit trop grande si je la faysois a tous deux ensemble..

  A019001180 

 Mais je parle mal sans y penser, ma tres chere Fille: ce n'est pas vostre cœur qui est alangouri, c'est vostre cors; et a cause de la liayson qui est entre eux, il semble au cœur qu'il a le mal du cors.

  A019001194 

 Et si, il faut que je vous le die, mon tres cher Frere, (et ne voules vous pas ce tiltre cordial?) que cette pauvre me fait un peu de pitié, comme la voyant la es chams, un peu trop tristement solitaire.

  A019001194 

 Mais, c'est son calice; ne faut il pas qu' elle le boive? Et puis, je m'imagine que vous luy escrives souvent, et alleges son tendre cœur par la communication des sentimens du vostre..

  A019001195 

 Mais n'attendes pas, mon cher Frere, que je vous face le remerciement que je devrois de vostre boëte toute pleine de parfums sacrés: seulement je vous asseure que j'estime plus ce present que l'or et le topaze, car il vient de vostre dilection et ne rend que devotion..

  A019001213 

 Cependant, madame de Chevron, ma bonne tante, a pensé jusques a present que j'avois esté l'autheur de cette retraitte; qui a esté la cause que je ne suis point allé voir madame de Boege, en attendant que, par mesme voye, allant visiter l'une de ses ( sic ) dames, je puisse aussi visiter l'autre, estant si voysines comme elles sont; et lhors je n'oublieray pas ce quil vous a pleu de me recommander, Dieu aydant, ayant tous-jours un desir invariable de vous pouvoir, par quelque preuve, asseurer,.

  A019001232 

 C'est la verité qu'il est expedient que je n'aille pas a Turin qu'apres Pasques et le Sinode, s'il se peut, et particulierement s'il faut que l'information super vita et moribus se face en cette ville.

  A019001232 

 Je voudrois bien sçavoir, s'il se peut, en quoy Son Altesse me veut employer, selon que monsieur Cavoret vous a dit; mais si vous le pouves tirer, quand vous m'escrires il ne sera pas besoin de me marquer sinon en tierce personne, comme par exemple: L'amy sera employé en telle et telle chose..

  A019001234 

 Presque tout le monde icy tesmoigne de la joye de vostre promotion, et ceux qui ne la tesmoignent pas sont de trois sortes: les uns, parce qu'ilz ont opinion que c'est tout a fait pour m'oster d'icy, et ilz nous voudroyent tous deux; les autres, parce que cela leur est tellement [137] inopiné, qu'a l'abord ilz ont eu peine de le croire; et les autres, qui sont fort peu et si peu que ce n'est rien, par envie, jalousie et amertume de cœur.

  A019001235 

 Il n'est point besoin de placet a Rome, la lettre de Son Altesse a l'Ambassadeur suffit; mais il le faut avoir pour la possession, que le Senat ne permettroit pas sans cela..

  A019001285 

 Je n'ay encor point parlé a monsieur N.; mais, a veuë de païs, je ne laisse pas de vous dire, ma tres chere Fille, que vous tenies la teste hautement relevee en Dieu et les yeux dans l'eternité bienheureuse qui vous attend.

  A019001296 

 Il est vray, vous l'aves desiré et je l'ay accepté: vous estes ma tres chere Fille, et j'en ay de la consolation, estimant que vos bons souhaitz devant Dieu ne serviront pas peu pour impetrer sa misericorde sur mon ame, laquelle aussi reclame souvent cette mesme Bonté sur la vostre, affin qu'elle soit toute sainte, et qu'en verité elle marche en douceur, humilité et simplicité interieure, qui sont les trois vertus colombines que le divin Espoux Jesus Christ recherche en ses amantes.

  A019001297 

 Je vous escris ces motz sans loysir ni haleine, pour la multitude des responses quil faut que je face; mais je ne [144] les envoye pas sans un'extreme affection que j'ay pour vous, puisqu'il plait a Celuy, ma tres chere Fille, qui m'a rendu, en son divin bon playsir,.

  A019001320 

 Et de plus, s'il se treuve quelque ame, voire mesme au noviciat, qui craigne trop d'assujettir son esprit aux exercices marqués, pourveu que cette crainte ne procede pas de caprice, outrecuydance, desdain ou chagrin, c'est a la prudente Maistresse de les conduire par une autre voye, bien que pour l'ordinaire celle ci soit utile, ainsy que l'experience le fait voir..

  A019001331 

 Et mesme que monsieur de Menthon, de la nomination duquel est ladite chapelle, praeferera aussi celluy-la a quicomque pourroit venir, puisqu'il luy est aussi proche qu'a vous, Monsieur, qui sous la faveur de Son Altesse ne tarderes pas, comme j'espere, beaucoup sans avoir des autres bonnes commodités pour monsieur vostre filz; et moy, je desireray tous-jours le bonheur de m'y pouvoir employer..

  A019001348 

 Demain je luy parleray, mais non pas seul, affin qu'elle ne dise pas que je la flatte.

  A019001348 

 Elle est veritablement hors de sens, mais non pas tant qu'elle soit excusable en ses fautes.

  A019001356 

 Et l'excellence du fait, c'est que, ni directement ni indirectement, j'e n'ay demandé ni procuré ce bienfait, qui n'est pas grand, a la verité, quant aux moyens, mais bien grand quand a lhonneur et la façon encor plus honnorable de le conferer.

  A019001356 

 Or ne sçai-je pas si avec cela ilz accroistront point la pension de six cens escus, c'est a dire 300 pistoles, qu'ilz nous ont accordé et delaquelle nous sommes entrés en payement des le quartier d'octobre, novembre et decembre passés.

  A019001357 

 Or, je vous dis ceci: premierement, affin que vous le sachies; secondement, pour m'excuser si je ne vous escris pas, ni a monsieur des Hayes, si amplement que je desirerois, ni a personn'autre qu'a vous deux, car il me faut tant escrire a la cour, a tous ces Princes et Princesses, des lettres de remerciement, et a Rome des lettres de supplications, que j'en suis tout es [soufflé]; tiercement, affin que vous demeuries en paix, avec asseurance que je ne feray point de changement en mes adventures que quand je verray une signalee occasion du service de Dieu et digne d'estre suivie, toutes choses laissees.

  A019001363 

 Mays a la bonne madame de Villesavin, que ne luy suis-je pas? Je recommande sa grossesse et sa famille, de tout mon cœur, a la divine Majesté..

  A019001364 

 Si l'affaire de Valence est si bien disposé comme vous l'escrivés, car voyla la premiere nouvelle, je pense qu'il ne seroit pas mal a propos qu'il y eut une Mayson, car ce quartier la est peuplé en noblesse; mais il faudroit bien adjuster l'affaire.

  A019001367 

 La Seur Jeanne Françoise me vient de promettre des merveilles; car saches que le porteur qui me pressoit tant hier n'estant pas parti, j'ay adjousté ces deux motz..

  A019001368 

 Il ny a pas moyen; ce sera bien tost.

  A019001391 

 Quicomque me connoistra, dira tout aussi tost qu'il ne faut pas croire de moy des duplicités.

  A019001391 

 Si j'avois cette pensee, de procurer vostre enfermement, je l'aurois dit; je m'en serois declairé, je ne dis pas a vous, qu'en vraye verité j'estime correspondre a mon affection, mais a madame l'Abbesse et autres qui m'ont parlé confidemment, tant je vay loyalement en semblables occasions.

  A019001391 

 Vous verres si je suis doux en cela, et si c'est vous loger au sepulchre! Non, je n'ay pas voulu, en un Monastere ou j'avois toute authorité, les enfermer, parce que les filles n'y avoyent pas inclination; et ay tous-jours dit que ces grans traitz dependoyent de l'inspiration et non de l'authorité exterieure, laquelle peut bien faire des enfermees, mais non pas des Religieuses..

  A019001392 

 Et pour les autres, Dieu les assistera, [158] s'il veut que je les serve; et s'il ne le veut pas, sa volonté soit faite.

  A019001399 

 Il vint icy les festes de Noël, renvoyé, ainsy qu'il me dit, par son Pere confesseur qui, ne se pouvant pas bien resoudre sur sa vocation, me l'addressa affin qu'il en conferast avec moy.

  A019001400 

 Mays quant au point de procurer un benefice au college de Chamberi, jusques a la concurrence de ce que Son Altesse contribue, affin qu'on n'ayt rien a faire avec les tresoriers et financiers, je l'appreuverois grandement, voire mesme quand la concurrence ne seroit pas du tout egale.

  A019001400 

 Que si monsieur de Saunas ne donne pas son prieuré, il y en a d'autres aupres de Chamberi, comme Saint Bardot, et quelques autres petitz qui pourroyent servir a cela.

  A019001429 

 Pour cela, Monseigneur, je ne destine pas ces lignes au tres humble remerciment que je devrois faire a Vostre Altesse pour la grace qu'il luy a pleu d'exercer envers mon frere et moy, le nommant a ma succession en cet Evesché; mais je luy en fay seulement tres humblement la reverence, pour tesmoignage qu'en cette nouvelle obligation je renouvelle et confirme l'hommage et la fidele obeissance que je doy a la bonté de Vostre Altesse, la suppliant en toute humilité de continuer, comme ell'a commencé, de me proteger tous-jours avec mes freres sous la douceur de sa debonnaireté, puisque nous ne respirerons jamais si cherement et cordialement autre chose quelcomque de ce monde, que l'inviolable devoir par lequel nous sommes si heureux que d'estre et vivre en la sujettion de Vostre Altesse, a laquelle souhaitant incessamment le comble de toute sainte prosperité, je suis,.

  A019001489 

 Et j'ay un si grand playsir de sçavoir cela, que je n'ay pas voulu laisser partir cette Seur Jeanne sans luy donner ce billet, par lequel je vous remercie de tout mon cœur et vous asseure que reciproquement je vous honnore passionnement, et voudrois bien estre si heureux que de vous rendre quelque service.

  A019001517 

 O ma tres chere Fille, je vous escriray de rechef bien tost, mais j'ay creu que je ne devois pas tarder davantage de faire ce billet.

  A019001530 

 J'ay grand desir de sçavoir ce que Monseigneur l'Archevesque fera pour l'execution du Bref Apostolique, et espere [171] que l'humilité et douceur ne vous manqueront pas en toutes occurrences..

  A019001548 

 Pour moy, je n'y suis nullement, non pas mesme par la pensee, car mon ame est toute contournee a la vie contraire, et ne sçauroit s'amuser a la consideration d'un objet qui luy revient si peu..

  A019001558 

 C'est la verité, ma tres chere Fille, que mon ame vous cherit tres parfaitement; et m'est impossible, quand je pense en vous, qui n'est pas peu souvent, que je ne ressente un eslan d'affection fort particuliere..

  A019001560 

 Que cette chere Mere soit Superieure, j'y consens sans difficulté; mays que cela se puisse faire si absolument [174] comme vous m'en parles, je n'en sçay pas les moyens, ni il ne dependra pas de moy, qui suis fort peu de chose icy et rien du tout ailleurs: seulement je repete que pour mon consentement je le donne, et contribueray, de plus, ce que je pourray bonnement faire a vostre intention..

  A019001561 

 Mais, ma tres chere Fille, ne sommes nous pas enfans, adorateurs et serviteurs de la celeste Providence et du cœur amoureux et paternel de nostre Sauveur? n'est ce pas sur ce fonds sur lequel nous avons basti nos esperances? Faites ce qu'il vous a inspiré pour sa gloire, et ne doutés nullement qu'il ne face pour vostre bien ce qui sera le meilleur.

  A019001562 

 Donq, ma Fille, pour conclure, je feray pour vostre petit contentement tout ce que je pourray, qui est peu; de dela, je m'asseure qu'on fera de mesme; mais au Ciel on fera tout, on vous comblera de consolations par les moyens que la Sagesse supreme connoist et void, et que nous ne sçavons pas..

  A019001573 

 Je suis certes marri, ma tres chere Fille, que nostre bon monsieur d'Ulme se retire ainsy; les raysons qu'il allegue ne sont pas selon le goust de mon foible esprit.

  A019001573 

 Si Monseigneur de Grenoble l'eut commis pour faire l'office de Pere spirituel, je l'eusse treuvé bon; mays cela ne l'eut pas contenté, car je voy que tous-jours il eut volu estre en asseurance de parti, ce qui ne se peut ni doit faire, a cause de la consequence..

  A019001574 

 Et je croy bien que jamais rien ne fut survenu du costé de monsieur d'Ulme qui eut apporté du changement, mais tous-jours ne pouvoit on pas donner une totale asseurance.

  A019001574 

 On ne doit pas estre variable a vouloir changer, sans grande rayson, de confesseur, mays on ne doit pas aussi estre tout a fait invariable, y pouvant survenir des causes legitimes de changement; et les Evesques ne se doivent pas lier les mains, qu'ilz ne peussent, quand il sera expedient et sur tout quand les Seurs de commun sentiment le requerront, changer de Pere spirituel.

  A019001593 

 Ne prenes pas garde, je vous supplie, a ce que j'ay tant tardé de vous escrire, car vous auries grand tort si vous [177] pensies que pour cela j'aye jamais cessé de vous cherir et honnorer tendrement et tres partialement, et d'autant plus, certes, que je vous sçavois estre en peine sous la persecution que l'on faysoit a vostre personne et a mon nom; mais j'avois quelque desfiance que mes lettres n'eussent pas esté ni utiles ni a propos, si l'on eust sceu que vous les eussies receuës.

  A019001594 

 On m'escrit que vostre amitié nuptiale est si entiere et parfaite que rien plus: et n'est ce pas cela la veritable et certaine marque de la benediction de Dieu sur un mariage? Et ce que Dieu benit, qu'importe-il que les hommes le censurent? Continues seulement en cette benediction, et nourrisses soigneusement ce bonheur par une perseverante fidelité au service de la divine Majesté; et que tout le monde parle tant qu'il voudra.

  A019001704 

 Néanmoins, je ne laisserai pas de dire à Votre Paternité Révérendissime, comme très désireux du bien et de l'honneur de sa Congrégation, qu'il serait aussi très à propos d'envoyer avec eux un des Pères anciens, dont l'âge inspirerait plus de respect encore [186] pour ces collèges récemment fondés qui s'augmenteront peut-être bientôt d'un troisième pour le Noviciat; ainsi, par la présence et l'autorité d'un si vénérable personnage, toutes ces Maisons recevraient leur entier perfectionnement..

  A019001717 

 O ma tres chere Mere, si je revenois au monde avec mes sentimens presens, je ne croy pas que toute la prudence de la chair et des enfans de ce siecle me peust esbransler en la certitude que j'ay que cette prudence est une vraye chimere et une toute veritable niaiserie.

  A019001726 

 J'eusse desiré que le sieur Grassi se fut contenu dans les termes du respect et de la verité a Vienne, et que monsieur Gariod n'eut pas fait l'esclat qu'il a fait a Chamberi (sur lequel monsieur le Marquis de Lans m'a escrit que le service de Son Altesse requeroit qu'on donnat la cure de Villy aux doctes, et monsieur le procureur general a appellé comme d'abus, et le Senat a tesmoigné de l'affection a la conservation du concours), ou qu'il eut eu encor un peu de courage pourvoir sortir les effectz de sa requeste et de son bon droit, affin que l'equité estant victorieuse et l'authorité des Evesques maintenue, on eut par apres plus honnorablement et courtoysement accommodé toute cette affaire en la façon mesme qu'il a, comme je voy, acceptee.

  A019001727 

 Pour l'autre chef, les Hermites seront contens en l'accomodement quilz ont fait, et, comme j'espere, encor monsieur de Boege; mays je ne sçai pas encor les particularités, cela s'estant passé par l'advis de monsieur le Prevost mon cousin, monsieur Jai, M. Questan, M. Rosetain que j'avois commis pour cela..

  A019001740 

 Non veritablement, ma tres chere Fille, il n'est pas vray que je vous puisse dire de quel cœur je vous cheris et honnore, ni par consequent que jamais je vous puisse obliger en vous escrivant le plus souvent que je puis; quoy que je le fay avec bien plus de douceur, sachant que vous aymes a recevoir ce petit tesmoignage de mon infinie affection, que vous ne pouves guere connoistre humainement d'autre sorte, et de laquelle en suite vous auries bien sujet de douter si Dieu, qui en est l'autheur, ne vous en donnoit la certitude dans le fond de vostre ame, comm'au milieu de la mienne il a planté un invariable sentiment de ce que vous m'estes et de ce que vostre cœur est au mien.

  A019001741 

 Je pense, pour moy, que je ne bougeray point de ce païs avant la Feste Dieu, et ne suis pas certain si encor, apres cela, j'iray en aucun autre lieu, n'estant guere plus certain de l'employ de ma vie que de l'heure de ma mort, tant je suis maintenant engagé dans la volonté d'autruy.

  A019001758 

 Voyla mon frere Evesque; cela ne m'enrichit pas, il est vray, mais cela m'allege et me donne quelque esperance de me pouvoir retirer de la presse: cela vaut mieux qu'un chapeau de Cardinal..

  A019001759 

 Et puis, deux ou trois mille escus, ni quatre mesme, ne me donneroyent pas dequoy les secourir, sans diminution de la reputation d'une prelature en laquelle il faut tant d'aumosnes, d'œuvres pies, et de frais justes et requis..

  A019001759 

 Ma Mere, je considere qu'ilz ne le sont pas des-ja tant comme ilz estoyent quand ilz nasquirent, car ilz nasquirent nuds.

  A019001770 

 Pour tout ce que vous m'escrives en trois de vos lettres, ma tres chere Fille, je ne laisse pas d'avoir une tres parfaite confiance que la fille que je vous ay tant recommandee, et qu'en verité j'ayme comme mon ame propre, reuscisse une grande servante de Dieu; car elle ne fait point de faute a dessein, ni pour aucune volonté qu'elle ayt de nourrir ces inclinations revesches, vaines et un peu mutines.

  A019001771 

 Partant, vous luy dires de ma part, que son soin principal soit a tenir son esprit dans la modestie, douceur et tranquillité, et pour cela, que mesme elle allentisse toutes ses actions exterieures: son port, son pas, sa contenance, ses mains, et s'il luy plait, encor un peu sa langue et son langage; et qu'elle ne treuve point estrange [195] si cela ne se fait point en un instant.

  A019001771 

 Pour mettre un jeune cheval au pas et l'asseurer sous la selle et la bride, on employe des annees entieres..

  A019001772 

 Dites luy que, pour toute broncharde qu'elle pourroit estre, jamais elle ne s'estonne, ni ne despite contre soy mesme; qu'elle regarde plustost Nostre Seigneur qui, du haut du Ciel, la regarde comme un pere fait son enfant qui, encor tout foible, a peyne d'asseurer ses pas, et luy dit: Tout bellement, mon enfant; et s'il tombe, l'encourage, disant: Il a sauté, il est bien sage, ne pleures point; puis s'approche et luy tend la main.

  A019001772 

 Si cette fille est un enfant en humilité et qu'elle sache bien qu'elle est enfant, elle ne s'estonnera point d'estre tombee, car elle ne tombera pas aussi d'en haut..

  A019001774 

 Et quant a vous, ma tres chere Fille, comme n'aymeres vous pas Dieu qui vous ayme tant? Quel tesmoignage de son amour, ma Fille, en cet heureux trespas de ce bon pere auquel vous aves tant souhaité une telle fin! Certes, j'en suis ravi..

  A019001784 

 Croyes moy, ma tres chere Fille, ne faites point la discrette avec moy pour ne m'oser pas escrire tous les jours quand vous voudres; car jamais je ne verrav de vos let tres qu'avec tres grande consolation pour moy.

  A019001785 

 Je treuveray fort bon que vous venies un peu a l'advantage icy, pour plusieurs raysons, et que vous passies a Grenoble, puisque mesme, ainsy faysant, vous gaigneres le passage de Chamberi quand vous ires a Turin; d'autant qu'y ayant esté en venant, et veu monsieur vostre pere, vous n'aures pas sujet de vous destourner pour y repasser, ains ires le droit chemin et avanceres d'une [197] journee.

  A019001799 

 Il faut donq balancer: est il mieux qu'en nostre jardin il y ayt des espines pour y avoir des roses, ou de n'avoir point de roses pour n'avoir point d'espines? Si cette fille apporte plus de bien que de mal, il sera bon de la recevoir; si elle apporte plus de mal que de bien, il ne la faut pas recevoir..

  A019001801 

 Or, si vous receves celle que vous dites, il est vray qu'il ne la faut pas lier aux exercices, car cela la pourroit rebuter en cette si tendre jeunesse, qui ne peut encor savourer ce que c'est de l'esprit, pour l'ordinaire.

  A019001801 

 Pour l'habit, je ne pense pas qu'il le luy faille donner avant l'aage, mais ouy bien luy en procurer un fort simple, et [201] une petite escharpe qu'elle tienne sur sa teste; en sorte qu'elle ressemble en quelque sorte a une Religieuse.

  A019001802 

 J'en dis de mesme pour la petite Lambert; et ce sera comme une petite preparation a l'habit, lequel, es filles bien disposees, on peut bien donner quelques mois avant le tems, mais non pas la qualité de Novice, comme on a fait a la Seur Jeanne Marguerite; et toutefois, il me semble qu'il ne le faille pas faire, sinon pour des occasions pressantes..

  A019001804 

 Ces bonnes filles n'ayment pas la pauvreté necessiteuse, et nous, certes, n'en sommes pas non plus ravis d'amour.

  A019001805 

 C'est pourquoy l'on n'a pas marqué les exercices qu'il leur faut donner en lieu de l'Office au chœur; car, selon leur infirmité, il'les faut pourvoir.

  A019001823 

 Quelques uns de mes amis me conseillerent de demander a Son Altesse, quand ell'estoit icy, la nomination au prieuré de Ripaille, vacant par le trespas de Monseigneur de Saint Paul; et je le fis, en sorte qu'elle me fut accordee fort favorablement, la consequence de cette [204] nomination me pouvant estre utile par ce que, du revenu de ce benefice, a esté erigee une commenderie de Saint Lazare, delaquelle, par ma naissance, je suis capable, et, venant a vaquer, ce ne me seroit pas une petite ouverture de la demander quand j'aurois des-ja le tiltre du prieuré.

  A019001851 

 Dieu, par sa bonté, ne permette pas que nous en ayons jamais d'autre que de le servir et aymer eternellement..

  A019001851 

 Si madame la Comtesse n'est pas partie, je vous supplie de luy donner asseurance de mon humble service, et a madame de la Croix, laquelle, a mon advis, ne sera pas sans souci de demeurer ainsy seule en l'incertitude de ses pretentions.

  A019001872 

 Ce porteur mesme me remit une lettre de Vostre Excellence, addressee a monsieur de la Feuge, colomnel de la ville dAnnessi; et j'ay eu peine a me resoudre si je [209] la luy envoyerois, puisque il y a long tems quil n'est plus colomnel de cette ville, monsieur de Villette l'ayant esté l'annee passee, et mon frere le Chevalier l'estant celle ci, lequel, n'estant pas a present icy, j'eusse adverti promptement d'y venir, si ce n'eut esté que, par un bruit commun, j'ay sceu que Vostre Excellence avoit donné tout le commandement et du chasteau de cette ville et des compaignies de la ville mesme a monsieur de Monthouz, en sorte que mondit frere ne semble y avoir plus rien a faire.

  A019001883 

 Soyes humble, et Dieu sera pour vous et appuyera vostre bonne volonté, vous donnant a luy sans deguisement et sans reserve, luy disant du fond de vostre cœur que si jusques a present vous ne l'aves pas asses bien servi, qu'il ayt la bonté de vous pardonner et fortifier dans la resolution que vous aves prise de vous destacher de toutes les affections du monde, et de ne vous attacher a rien sinon a l'amour de Dieu et, de tout vostre cœur, a le servir fidelement..

  A019001884 

 Nous ne devons pas nous troubler pour nos offences; car souvent ce divin Esprit est plus liberal de ses dons a ceux qui luy ont esté plus avares de leur cœur et de leurs affections..

  A019001885 

 La terre, au contraire, avoit ce pain sacré dont elle faysoit ses delices et sa joye; elle n'avoit pas ce vin si suave et si brillant du Saint Esprit, qui devoit enivrer nos ames et les combler de joye..

  A019001885 

 Mais, ma tres chere Fille, il faut que nous tesmoignions a Jesus Christ toute nostre confiance, avec les saintz Apostres et disciples, sur lesquelz il ne voulut pas envoyer le Saint Esprit qu'apres estre monté au Ciel.

  A019001886 

 Et voyci cette admirable induction de Jesus Christ, remonstrant a ses Apostres qu'il n'estoit pas juste de garder l'humanité de Jesus Christ et de prendre encor ce vin admirable du Ciel.

  A019001895 

 Mays, ma Fille, que ferons nous donq de cette liberté que nous avons? Nous la voulons, sans doute, toute immoler a Celuy de qui nous la tenons; car cette resolution est invariable, que, sans reserve ni exception quelcomque, non pas mesme d'un seul moment, nous ne voulons vivre que pour Celuy lequel, pour nous faire vivre de la vraye vie, voulut bien mourir sur la croix..

  A019001897 

 Mais, ma tres chere Fille, il ne m'a pas esté besoin d'une clarté extraordinaire pour discerner auquel des deux je vous dois conseiller de vous ranger; car, ainsy que vous me le descrives clairement et que vous me l'aves des-ja fait connoistre tandis que j'avois le bien de vous ouyr parler confidemment de vostre ame a la mienne, le sentiment que vous aves contre le mariage provient de deux causes, dont l'une presque suffiroit pour se resoudre a ne s'y point engager: une puissante aversion, un degoust tout entier, une repugnance tres forte.

  A019001897 

 O ma Fille, c'est bien asses, il n'en faut pas parler davantage.

  A019001898 

 Certes, les Apostres ayant ouy parler une fois Nostre Seigneur de l'indissoluble lien du mariage, luy dirent: Seigneur, s'il en va de la sorte, il n'est donq pas expedient de se marier? Et Nostre Seigneur appreuvant leur opinion, leur respondit: Tous ne comprennent pas ce mot; qui le peut comprendre, qu'il le comprenne.

  A019001898 

 Ma chere Fille, et moy, apres vous avoir ouy parler et veu vostre lettre sur ce sujet, je vous parle hardiment et vous dis: Certes, ma Fille, puisqu'il est ainsy, il n'est pas expedient de vous marier; et bien que tous [215] ne comprennent pas, c'est a dire n'embrassent pas, n'empoignent pas cette parole, n'en entendent pas le bonheur, ne s'en prevalent pas, si est ce que, quant a vous, ma chere Fille, vous vous en pouves aysement prevaloir, vous pouves facilement atteindre a ce bien la, et comprendre et savourer ce conseil: et faites le donq.

  A019001899 

 Et Nostre Seigneur commande en sa parabole a son serviteur: Contrains les d'entrer; et pas un de ceux qui furent contraintz ne dit: Laisses moy, vous me blesses.

  A019001900 

 Penses vous que Dieu donne tous-jours la vocation de la Religion, ou bien de la parfaite devotion, selon les conditions naturelles et les inclinations des espritz qu'il appelle? Non certes, ma Fille, ne croyes pas cela: la vie religieuse n'est pas une vie naturelle, elle est au dessus de la nature, et faut que la grace la donne et soit l'ame de cette vie.

  A019001901 

 Celuy qui crioit si lamentablement: Le bien que je veux, je ne le fay pas, mais le mal que je ne veux pas est en moy; c'est a dire: En ma chair n'habite pas le bien; car le vouloir est attaché a moy, mais je ne treuve point le moyen de le parfaire.

  A019001944 

 Je ne sçai pourtant pas encor s'il le voudra, mais je le sçauray bien tost.

  A019001949 

 Je m'essayeray donq d'en escrire aujourdhuy a sadite Altesse; mays elle ne m'entendra pas si Monseigneur le Prince ne luy remet en memoire le sujet..

  A019001950 

 O mon Dieu, quel bonheur si on peut restablir le service de sa divine Majesté en toutes ces provinces! Mays pour Ripaille et pour la Congregation de Thonon, il n'est pas grand besoin que de l'authorité de Son Altesse; car en l'un il ny a personne, et en l'autre on ne change rien, la Bulle de Clement ordonnant que cette Congregation soit des Prestres de l'Oratoire.

  A019001952 

 Mays je vous suplie, faites quil me pardonne si je ne luy escris pas pour ce coup, car je n'en puis plus..

  A019001953 

 Hier la tres bonne M me de Granieu arriva, et sera icy ces deux jours suivans; ce n'est pas sans parler de vous avec affection..

  A019001956 

 M. de Brescieu a desiré que le curé de Bellecombe l'accompaignast, et je n'ay pas eu grande difficulté a le luy accorder, car, jusques a ce que ce curé change d'humeur, son absence sera plus utile que sa presence..

  A019002000 

 Il faut attendre en patience, et deux ni trois moys ne sont pas considerables sur une affaire de telle qualité..

  A019002000 

 Je croy que ce petit ahurtement (que l'on mette dans vos Bulles: «la nomination de Son Altesse») ne sera pas de duree, puisque [232] on ne l'a jamais mis.

  A019002001 

 Je voy bien le voyage de Rome incertain, mais il ny a pas moyen de mesnager entre la volonté de Son Altesse que je le face, en cas quil se face, et la qualité de la chaire de Lyon qui ne peut demeurer en attente d'estre prouveue; de sorte que j'ay fait mes excuses..

  A019002003 

 Vous aures sceu la blesseure du sieur Bonfilz, qui est grande a ce qu'on dit, mais je ne croy pas quil en ayt autre chose que le mal..

  A019002005 

 J'ay parlé a monsieur le Prieur de Mesme, qui se sent obligé et desire grandement lhonneur; et ne croy pas que nous puissions mieux rencontrer, tant pour la mine que pour le jeu.

  A019002020 

 Nous ferons partir nos Seurs au plus tost, mais non pas, a l'aventure, si tost que vous desireries; car nous n'en voudrions pas faire deux trouppes, et il en faut pour Paris, et Orleans encores.

  A019002021 

 Je seray bien en peine si M. le Mareschal de Saint Gerand m'escrit, ce quil n'a pas fait jusques a present; Dieu me donnera la response, s'il luy plait..

  A019002022 

 Encor qu'es Regles de saint Augustin il y en ayt qui ne sont pas pour ce tems, il ny a point de danger de les lire, tant pour la reverence du Saint, que pour les bonnes consequences qu'on en peut tirer..

  A019002023 

 Je ne croy pas qu'on vous [237] y veuille faire des ceremonies; mays si on le veut, vous feres la guerre a l'œil, et l'esprit de conseil vous enseignera ce qui sera requis..

  A019002023 

 Sil est possible, faites vous porter en carosse jusques a la porte de vostre monastere a Nevers; et quoy qu'on vous aille au rencontre, ne descendes pas, et vous excuses sur ce que la barque sur l'eau, ou le carrosse sur terre sont vos monasteres portatifz.

  A019002025 

 O ma Fille, il ny a pas moyen d'escrire davantage, non pas mesme a ma tres chere grande fille de Paris, a laquelle neanmoins je dis icy qu'il faut qu'elle ne desire plus la Profession avant l'annee, par ce que cela est impossible.

  A019002039 

 Car, je vous prie, ma tres chere Fille, comme vous pourrois je conseiller de demeurer au monde? Avec ce tres bon naturel que veritablement je connois en vous dans le fond de vostre cœur, mays accompaigné d'une si forte inclination a la hauteur et dignité de vie, et a la prudence et sagesse naturelle et humaine, et de plus, d'une si grande activité, subtilité et delicatesse d'entendement, que je craindrois infiniment de vous voir dans le monde! n'y ayant point de condition plus dangereuse en cet estat-la que le bon naturel environné de telles qualités; auxquelles si nous adjoustons cette incomparable aversion a la sousmission, il n'y a plus rien a dire, sinon que, pour aucune consideration, quelle qu'elle soit, il ne faut pas que vous demeuries au monde..

  A019002040 

 Mais d'ailleurs, comme pourrois je vous conseiller d'entrer en Religion, tandis que non seulement vous ne le desires pas, mais aves un cœur tout a fait contrariant a ce genre de vie?.

  A019002041 

 On pourra bien, ce me semble, obtenir que vous puissies avoir l'entree en quelque Mayson de la Visitation, pour vous recueillir souvent en cette façon de vie, et que neanmoins vous n'y demeuries pas attachee, ains ayes un logis proche pour vostre retraitte, avec la seule sujetion de quelques exercices de devotion propres a vostre bonne conduitte; car ainsy vous aures la commodité de contenter vostre esprit, qui hait si estrangement la sousmission et liayson a l'obeissance, qui a tant de peine a rencontrer des ames faites a son gré, et qui est si clairvoyant a treuver les a dire et si douillet a les ressentir..

  A019002044 

 Ne veuilles pas estre riche, ma tres chere Fille; ou du moins, si vous ne le pouves estre que par ces miserables voyes de proces, soyes pauvre plustost, ma tres chere Fille, que d'estre riche aux despens de vostre repos..

  A019002046 

 Mays il ne m'est pas loysible d'escrire davantage, ravi par les affaires, pressé par le depart de ce porteur.

  A019002054 

 En somme, toutes choses bien considerees, il ny en a pas un qui, a tout prendre, puisse mieux, ni certes si bien reuscir en cette charge; car, a ce qu'on me dit, monsieur de Montouz est desiré en la Chambre, et ne veut pas prsetendre ailleurs pour encor..

  A019002054 

 Et ainsy semblables choses, lesquelles sont fort veritables; de sorte que, sans doute, il ny en [a] pas un au Senat qui peut mieux [242] succeder que luy; car les uns sont si vieux quilz n'en peuvent plus, les autres sont bas de naissance et fort peu bien disans, les autres n'ont pas tant d'estude ni tant d'habilité.

  A019002058 

 Monsieur le President d'Hostel, qui me tesmoigne de l'amitié autant que jamais, me dit qu'a l'advenir on sera payé annee par annee, mais que pour le passé il faut treuver quelque moyen, que pourtant il ne void pas.

  A019002061 

 Voyla un livre de l' Introduction en françois; le P. Antoniotti l'a bien mieux traduit qu'on n'a pas fait a Rome..

  A019002062 

 O mon Dieu, que Monseigneur le Serenissime Prince aura de benedictions si la reformation se fait! Toutes ces bonnes Religieuses sont alarmees de ce que M. l'Abbé de [246] Ceyserieu a dit a son retour qu'on les vouloit regler; les unes veulent prevenir en apparence, mays n'ayant pas des Superieurs reformés, je ne sçai comme elles pourront faire.

  A019002076 

 La Superieure de Sainte Marie de Moulins m'escrivit, il y a quelque tems, que ce n'estoit pas pour aucune infirmité corporelle que la niece que je luy avois tant recommandee luy sembloit ne devoir pas estre retenue, ains pour l'extreme aversion qu'ell'avoit a tous les exercices de Religion, laquelle aversion elle ne vouloit nullement surmonter, ains s'y laissoit tout a fait aller.

  A019002077 

 Certes, j'apprehenderois plus cent fois vostre desplaysir que le mien propre, car je suis parfaitement tout dedié a vostre bienveuillance et a celle de madamoyselle ma [248] fille, a laquelle je n'escriray pas pour cette fois, puis que j'ay des-ja trop retenu ce porteur qui devoit partir hier matin si j'eusse peu escrire.

  A019002096 

 Ce ne fut pas sans vous que nous celebrasmes cette sainte feste de la Pentecoste; car je me souviens fort de la sainte devotion que vous aves a cette solemnité..

  A019002102 

 Mais je ne sçay pas encor comme nous ferons pour aller prendre la vostre.

  A019002103 

 Il ne faut pas treuver estrange qu'elle ne soit pas si exacte a faire ce qu'elle fait; car cela arrive souvent aux personnes qui sont attachees a l'interieur, et ne se peuvent tout a fait si bien ranger en toutes choses.

  A019002106 

 De sçavoir quand, es contratz, il est requis que le Pere spirituel soit present ou non, cela depend de la nature des contratz, car il y en a ou cela est requis, et des autres ou cela n'est pas requis; comme l'Evesque en quelques contratz a besoin de la presence de son Chapitre, en des autres non.

  A019002108 

 J'ay veu des femmes Religieuses, non pas de la Visitation, qui, ayant leu les livres de la Mere Therese, treuvoyent par leur conte qu'elles avoyent tout autant de perfections et d'actions d'esprit comme elle, bien qu'elles en fussent bien esloignees; tant l'amour propre nous trompe..

  A019002108 

 On peut laisser lire le livre de la Volonté de Dieu jusques au dernier, qui, estant asses inintelligible, pourroit estre entendu mal a propos par l'imagination des lectrices, lesquelles, desirant ces unions, s'imagineroyent aysement de les avoir, ne sachant seulement pas que c'est.

  A019002111 

 Si je vay a Rome, je procureray la clausure pour la Mayson de Grenoble, c'est a dire l'establissement en tiltre de Monastere, bien que il ne soit pas absolument necessaire, car Monseigneur de Grenoble pourra l'establir quand il luy plaira, puisque la Mayson d'Annessi, delaquelle est derivee celle la, l'est.

  A019002114 

 Vostre chemin est tres bon, ma tres chere Fille, et ny a rien a dire, sinon que vous alles trop considerant vos pas, crainte de choir.

  A019002114 

 [254] Marches simplement, ne desires pas tant le repos d'esprit, et vous en aures davantage..

  A019002116 

 N'examines pas tant vostre ame de ses progres, ne veuilles pas estre si parfaite; mays, a la bonne foy, faites vostre vie dans vos exercices et dans les actions qui occurrent de tems en tems.

  A019002116 

 Ne vous empresses point pour luy, car il a dit a Marthe quil ne le vouloit pas, ou du moins quil treuvoyt meilleur qu'on n'eut point d'empressement, non pas mesme a bien faire.

  A019002133 

 Et de plus, mon Official et luy eurent une petite prise inopinement, sur ce qu'il s'estoit presenté aux Ordres non tondu ni tonsuré, ni barbe a la façon d'icy, qui l'a fait retourner un peu mescontent; non pas qu'il me l'ayt tesmoigné a moy, mais il le tesmoigna a d'autres en partant.

  A019002133 

 Je suis marri dequoy je ne caressay pas asses le filz [256] de monsieur d'Argenson, mais la presse des Ordres ne me le peut permettre.

  A019002134 

 Nous envoyerons sur le commencement du mois prochain, 7 ou huit Seurs en France, lesquelles, comme je pense, passeront a Grenoble; et voyla une mortification pour elles dequoy elles ne vous y treuveront pas, et particulierement pour la Seur Claude Agnes, qui en vain s'en res-jouissoit grandement..

  A019002136 

 Je ne me souviens pas du reste.

  A019002136 

 de ne point endommager le prochain, n'estant pas raysonnable que qui que ce soit prenne la recreation au despens d'autruy, et sur tout en foulant le pauvre paisan, des-ja asses martirisé d'ailleurs et duquel nous ne devons mespriser le travail ni la condition.

  A019002163 

 Il est vray, Madame ma tres chere Mere, que feu monsieur le Marquis vostre frere avoit desseigné de me faire une entiere confession generale de toute sa vie, pour prendre de moy les advis convenables pour en employer le reste plus ardemment au service de Dieu; mais je ne revins pas asses tost pour luy rendre cet office, puisque Dieu l'appella avant mon depart de Paris, avec la grace qu'il luy fit de bien recevoir ses divins Sacremens..

  A019002164 

 O ma tres chere Mere, que c'est une diligence bienheureuse que celle que l'on prend de se bien disposer au depart de cette vie, puisque le tems en est incertain! et quand l'estat religieux n'apporteroit aucun autre bien que celuy la, d'une continuelle preparation au trespas, ce ne seroit pas une petite grace..

  A019002167 

 Et faut que j'adjouste que cette coadjutorie a esté donnee a mon frere sans que je l'aye demandee ni fait demander, ni d'une façon ni d'autre; ce qui ne m'est pas une petite consolation, parce que, n'y ayant rien du mien que le consentement, j'espere que Nostre Seigneur l'aura plus aggreable..

  A019002177 

 Ce que vous dites pour sauver un peu de bien temporel ne fut pas un mensonge, ains seulement un'inadvertence, de sorte que tout au plus ce ne peut estre qu'un leger peché veniel; et, comme vous m'escrives, encor y a-il de l'apparence qu'il ny en eut point du tout, puisque il ne s'en ensuivit aucune injustice contre le prochain..

  A019002178 

 Ne faites nul scrupule, ni petit ni grand, de communier avant que d'avoir ouy la Messe, et sur tout quand il y aura une si bonne cause que celle que vous m'escrives; et quand il ny en auroit point, encor ni auroit pas seulement une veritable ombre de peché.

  A019002194 

 Cette commodité d'escrire vous semblera grande, ma veritablement et uniquement tres chere Mere, et neanmoins elle ne l'est pas; car il m'a fallu faire tant de despeches et escrire a tant de Praelatz pour Lyon, Nevers, Orleans, Clermont, quil me faut bien haster pour vous rendre mon devoir, ma tres chere Mere; je dis, selon que je le puis rendre..

  A019002199 

 Mon Dieu, que nostre grande Fille est admirable! Ell'a regardé ma lettre d'un biays duquel je ne l'ay pas escrit.

  A019002203 

 Mais si je ne puis, faites luy bien mes honneurs et ne craignes point d'en trop dire, car les paroles de qui que ce soit n'egaleront pas ce que j'en sens..

  A019002207 

 Il est vray, j'ay prié nos Seurs de garder cette grande Peronne, esperant que si les projetz de la reformation de plusieurs Monasteres en ce pais reuscit ( sic ), je pourray treuver quelque moyen de la faire retirer, et l'oster de l'eminent peril d'estre perdue auquel elle seroit si on la renvoyoit a son pere, qui ne menasse de rien moins que l'envoyer parmi les huguenotz, et qui est homme si terrible, que, puisqu'il le dit, on ne luy fait pas tort d'en douter et le craindre.

  A019002207 

 Je treuveray, Dieu aydant, quelque retraitte pour cette fille avec un peu de loysir, et ce pendant, n'ayant pas l'habit on n'en peut pas faire grande consequence..

  A019002207 

 On fait beaucoup de choses pour sauver une ame, et je n'apprens pas que celle ci face de si grans maux que pour cela on ne puisse luy faire la charité.

  A019002233 

 Ce n'est pas escrire que d'escrire si peu, ma tres chere Fille; mais c'est pourtant faire en partie ce que l'on doit quand on fait ce que l'on peut.

  A019002233 

 Et imagines vous que M. [de Belley] ayant demeuré icy huit jours, ce n'a pas esté sans faire mention de vous, mais non pas certes asses selon mon gré..

  A019002234 

 Or, je ne crains point toutes ces miseres dont vous m'escrives que vous estes accablee, tandis que, comme vous faites et feres tous-jours, vous ne les aymeres pas et ne les nourrires pas; car petit a petit vostre esprit se fortifiera contre vostre sens, la grace contre la nature et vos resolutions sacrees contre vos indignations.

  A019002244 

 Ma tres chere Fille donq, je ne vous ay point escrit; mais dites moy, je vous prie, et vous, m'aves vous escrit despuis mon retour en ce païs? Mais pour cela vous ne m'aves pas oublié.

  A019002245 

 O je voy, ma tres chere Fille, dedans vostre lettre, un grand sujet de benir Dieu pour une ame en laquelle il tient la sainte indifference en effect, quoy que non pas en sentimens.

  A019002246 

 Il suffit que nous ne consentions pas d'un consentement voulu, deliberé, arresté et entretenu, et cette vertu de l'indifference est si excellente, que nostre viel homme, en la portion sensible, et la nature humaine, selon les facultés naturelles, n'en fut pas capable non pas mesme [272] en Nostre Seigneur, qui, comme enfant d'Adam, quoy qu'exempt de tout peché et de toutes les appartenances d'iceluy, en sa portion sensible et selon ses facultés humaines n'estoit nullement indifferent, ains desira ne point mourir en la croix; l'indifference estant toute reservee, et l'exercice d'icelle, a l'esprit, a la portion superieure, aux facultés embrasees de la grace et en somme a luy mesme, en tant qu'il estoit le nouvel homme..

  A019002247 

 Il ne faut pas ni rompre les cordes, ni quitter le luth quand on s'apperçoit du desaccord; il faut prester l'oreille pour voir d'ou vient le detraquement, et doucement tendre la corde ou la relascher, selon que l'art le requiert..

  A019002274 

 A propos de ces affaires, je n'omettrai pas de dire à Votre Seigneurie Illustrissime que, de Paris, on me fait savoir qu'à la grande satisfaction du Roi, de la Reine, de toute la cour et de tous les honnêtes gens de la ville, le vieux Doyen de Saint-Germain [275] Autissiodorensis (appelé l'Auxerrois) a résigné son doyenné en faveur de Monseigneur l'Evêque de Belley.

  A019002296 

 Elle m'a demandé de vostre part, que je luy marquasse les imperfections que j'aurois remarquees en vostre ame; mais je n'ay pas eu asses de tems pour bien considerer ce qui pourroit estre a dire sur ce sujet.

  A019002296 

 Et si j'eusse eu dequoy luy parler en cela, je l'eusse fait, non seulement pour vous contenter, mais satisfaire a la fidelité que je vous dois; vous asseurant en toute verité, ma tres chere Fille, qu'encor que j'ayme vostre ame d'un amour extraordinaire et lequel est si fort quil ne peut estre dissimulé, si est ce qu'a mon advis, il ne m'aveugle pas pour m'empescher de voir vos tares, si j'avois la commodité de les observer..

  A019002296 

 Voyla cette chere et bienaymee Mere Peronne Marie qui s'en reva dans son nid, sur ses œufs; je ne l'ay pas veüe a mesme de ce que j'eusse desiré.

  A019002310 

 Et je dis ainsy, par ce que [280] n'ayant pas l'honneur d'estre conneu de ce Prelat, je ne pense pas que ma lettre puisse adjouster aucun degré de chaleur a son saint zele..

  A019002350 

 Mais ceux qui la font sont dignes de si grand respect et ont tant de merite sur vostre Mayson et sur toute la Congregation, et ont tant de bon zele et de pieté, qu'encor qu'a la rigueur elle ne soit pas bien forte, il faut, ce me semble, la faire valoir pour une partie, selon l'advis du Reverend P. Recteur, qui, comme m'escrit madamoyselle du Tertre, estime que la moytié suffira pour commencer la fondation, et l'autre moytié pour bien accommoder la Mayson de Moulins..

  A019002351 

 Que si ilz ne le veulent pas, il faudra envoyer ma Seur Paule Hieronime avec deux ou troys qu'elle choisiroit, et faire le mieux qu'on pourroit, pourveu qu'on fist le partage sus escrit; car ma Seur Paule Hieronime a asses de courage et de capacité de bien faire, moyennant la grace de Dieu, pour reuscir en cette entreprise..

  A019002352 

 Certes, il ne faut vouloir que Dieu absolument, invariablement, inviolablement; mais les moyens de le servir, il ne les faut vouloir que doucement et foiblement, affin que si on nous empesche en l'employte d'iceux, nous ne soyons pas grandement secoués.

  A019002352 

 Il faut peu vouloir, et petitement, tout ce qui n'est pas Dieu..

  A019002354 

 Mays si d'adventure ces Messieurs de Moulins ne vouloyent pas entendre au parti duquel le P. Recteur et moy sommes d'advis, que feroit on? O certes, je ne me puis imaginer cela; mais en ce cas, il faudroit avoir bien soin de nostre Seur Paule Hieronime et de sa compaignie, et advertir nostre Mere, qui peut estre a quelque autre [287] fondation par les mains, ou elle pourroit estre employee.

  A019002356 

 En somme, bienheureux sont ceux qui ne font pas leur volonté en terre, car Dieu la fera la haut au Ciel.

  A019002364 

 Ce chevalier part avec tant de presse que je ne puis quasi pas vous escrire, ayant esté forcé d'escrire a Moulins des grandes lettres sur le sujet de la difficulté qu'on y a fait naistre pour la fondation de Nevers.

  A019002364 

 Je dis que l'on partage ces benitz moyens, car il y aura dequoy commencer la fondation de 15000 francz (on n'en eut pas tant ni icy, ni a Lyon, ni a Grenoble), et que ma Seur Jeanne Charlotte y meine et assiste pour un moys ma Seur Paule Hieronime, puisqu'on ne peut mieux faire..

  A019002366 

 Nous n'avons pas oublié celuy de ma Seur Anne Catherine, puisque c'est aujourdhuy la feste de sainte Anne, 26 julliet 1620..

  A019002379 

 Certes, je ne voudrois nullement estre en estime d'un homme qui attire l'argent et l'or, non pas mesme pour les œuvres pies, car [je ne suis pas appellé a cela.

  A019002379 

 Mais il me suffit de vous avoir dit] ces quatre paroles, pour justifier le consentement que j'avois donné a vostre dessein pour Nevers; en quoy il ne me semble pas que j'aye rien commis digne de censure..

  A019002380 

 En quoy vostre conscience demeurera du tout accoysee sur la plus grande gloire de Dieu qui] reuscira de ce partage, par le moyen duquel vous servires Dieu au monastere dans lequel vous demeureres, en vostre propre personne et par vos propres actions, et en celuy auquel vous ne seres pas, en la personne des Seurs qui, par vostre moyen, y seront assemblees..

  A019002380 

 Mays la consideration de vostre vœu me fait adhaerer au conseil du R. P. Recteur, qui porte, comme vous m'escrivés, que vous [fassies l'un et ne laissies pas l'autre; puisque, comme il est presupposé, il y a suffisamment pour ayder puissamment la fondation de la Mayson de Nevers et pour appuyer et secourir celle de Moulins.

  A019002381 

 Voyla tout ce que je vous puis dire, ma tres chere Fille, demeurant au reste plein d'une sainte satisfaction et, sil est permis de le dire, tout glorieux dequoy on m'asseure si fort que vous faites des merveilles en pieté, et dautant plus que c'est madame la Mareschale de Saint Geran, laquelle est, graces a Dieu, sçavante en ce saint mestier; car je croy que vous ne doutes pas que la tres sincere et invariable dilection que Nostre Seigneur m'a donnee pour vostre ame, me face aymer, cherir et sentir tres passionnement vostre establissement et progres au saint service de sa divine Majesté.

  A019002397 

 Mays elle portera, je m'asseure, ce tesmoignage a la verité, que jamais je ne luy fis aucune sorte de persuasion, non pas mesme indirectement, pour le choix de sa vocation ni pour l'emploite de ses moyens, l'un estant, a mon advis, perilleux, et l'autre, tout esloigné de la condition de mon esprit.

  A019002398 

 Et moy, qui ne pouvois nullement deviner qu'on eut fait dessein pour Moulins sur ses moyens, veu que je ny avois pas mesme pensé que sous une condition tres incertaine et indefinie, je ne peu treuver que bonne son election, comm'en effect elle l'estoit.

  A019002398 

 Et sur cela, estant averti que j'envoyasse une couple de filles, je les ay envoyees, a la verité sans beaucoup de consideration, n'ayant pas preveu que jamais personne deut attribuer a injustice la sortie d'une personne d'un lieu ou elle n'estoit pas obligee de demeurer, ni la translation d'un'autre, pourveu qu'elle laissat en sa place une qui succedat avec suffisante capacité d'exercer sa charge.

  A019002399 

 Je n'ay rien a dire sur cela, ne tenant pas les resnes de sa volonté, ne pretendant rien en la disposition de ses moyens, et ne voulant nullement examiner l'advis de conscience qu'ell'a receu de ceux a qui je ne suis veritablement pas comparable en la connoissance requise a telles decisions.

  A019002400 

 Et pour finir et vous dire, Monsieur, ce que j'escris a l'une et a l'autre de ces filles: j'escris a M lle du Tertre, qu'elle face ce que le P. Recteur luy dira pour sa conscience; et a ma Seur de Brechard, qu'ell'endure tout ce qui reuscira de ce conseil, qu'elle reçoive en patience cett'abjection, et qu'elle se resouvienne que les piqueures des avettes sont plus sensibles que celles des mouches, et qu'a cause de leur miel on ne laisse pas de les aymer, encor qu'elles piquent.

  A019002431 

 Non, ne craignes pas que vos sentimens me facent rien faire; car encor que je vous cheris tres parfaitement toutes, si est ce que je sçai bien que vos sentimens ne sont pas vous mesmes, encor qu'ilz soyent en vous..

  A019002434 

 Que si je ne vous ay pas fait voir ces lettres, c'est que je n'y ay pas seulement pensé; comme a la verité, cette multitude et varieté d'affaires m'oste la memoire de la pluspart des choses..

  A019002436 

 Demeurés en paix, ma tres chere Fille, et n'espies pas si particulierement les sentimens de vostre ame; mesprises les, ne les craignes point, et releves souvent vostre [297] cœur en une absolue confiance en Celuy qui vous a appellee dans le sein de sa dilection..

  A019002448 

 Je voy vostre cœur assis et affermi sur cette verité; c'est pourquoy, bien que d'un costé je ne puisse [298] pas m'empescher de compatir avec vous, puisque veritablement vous estes ma Fille, d'autre part je me glorifie avec vous en la Croix de Nostre Seigneur, puisque vous estes si heureuse que d'y participer; et ne cesseray jamais de prier le Saint Esprit qu'il establisse de plus en plus le vostre en son obeissance [et en son] tres pur et tressaint amour..

  A019002461 

 Mais je sens bien que je ne la suis pas.

  A019002462 

 Il ne faut pas tant subtiliser, il faut marcher rondement; et comme il vous a chargee de ses ames, charges le de la vostre, affin qu'il porte tout luy mesme, et vous et vostre [300] charge sur vous.

  A019002463 

 Et pour bien couper chemin a tant de repliques que la prudence humaine, sous le nom d'humilité, a accoustumé de faire en telles occasions, souvenes vous que Nostre Seigneur ne veut pas que nous demandions nostre pain annuel, ni mensuel, ni hebdomadal, mais quotidien.

  A019002463 

 Tasches de faire bien aujourd'huy, sans penser au jour suivant; puis, le jour suivant, tasches de faire de mesme; et ne penses pas a ce que vous feres pendant tout le tems de vostre charge, ains alles de jour en jour passant vostre office, sans estendre vostre souci, puisque vostre Pere celeste qui a soin aujourd'huy, aura soin demain et passé demain de vostre conduitte, a mesure que, connoissant vostre infirmité, vous n'espereres qu'en sa providence..

  A019002464 

 Il m'est advis, ma tres chere Fille, que je vay bien a la bonne foy avec vous de vous parler ainsy, comme si je ne sçavois pas que vous sçaves mieux que moy tout ceci; mays il n'importe, car cela fait plus de coup quand un cœur ami le nous dit..

  A019002475 

 Je n'escriray donq qu'a vous, et encor bien peu, a la charge neantmoins que vous n'en tireres pas consequence que je veuille vous retrancher vos longueurs es lettres, car elles me sont tres agreables, pourveu qu'elles ne vous nuisent pas.

  A019002494 

 Je ne sçai pas encor quand Monsieur le R me de Belley voudra que je luy aille rendre mon devoir, et croy qu'il vous estime si entierement que mon entremise sera superflue.

  A019002526 

 J'ay receu vostre grande lettre, a laquelle je ne me suis pas hasté de respondre par ce que des-ja j'avois respondu a tout ce qu'elle contient par la lettre que j'escrivis et a vous et a M lle du Tertre, que je mis dans un paquet que j'addressay a monsieur le Mareschal par monsieur des Hayes qui, revenant de Constantinople, alloit en poste au Roy; et je m'asseure que vous l'aures receue..

  A019002527 

 Il me dit que, dans l'interest de Dieu et le mien, je devois me tenir en cette ville, mais neantmoins ayder l'establissement de la Mayson de Nevers, et quil me feroit voir par ses livres que c'estoit avec des tres bonnes raysons quil me disoit que je pouvois transmuer mon dessein.» Sur cela, je luy escrivis, et a vous, qu'elle [307] devroit suivre l'advis de ce Pere, qui ne peut estre que grave personnage, et donner une partie de ses moyens pour Nevers, gardant l'autre pour Moulins, en sorte qu'en faisant l'un elle n'abandonnast pas l'autre..

  A019002527 

 Voyci les propres paroles de la lettre que M lle du Tartre ( sic ) m'avoit escritte: «Je ne fus pas asses satisfaite d'avoir consulté les Capucins; je desiray voir le bon P. Recteur, auquel je vous puis asseurer, Monsieur, que je dy tout l'engagement, et de la mesme sorte que je vous l'ay escrit.

  A019002528 

 Le vœu n'est pas demeuré entre Dieu et M lle du Tertre; la promesse est passee jusques a Nevers et ell'y a esté acceptee, et en suite de l'acceptation, on a acchepté places, mayson et meubles jusques a dix mille francz, par commission donnee de la part de madamoyselle du Tertre.

  A019002528 

 Mays on ne m'avoit pas dit tout, et je viens de l'apprendre tout maintenant.

  A019002530 

 Il n'est pas besoin de se mettre en souci si celles ci ou celles-la y entreront; [308] Dieu, duquel la providence a fait ce buisson, sçait bien quelz oyseaux y doivent chanter ses louanges..

  A019002532 

 Si celle qui luy succede aupres de vous ne fait pas tant de besoigne, il faut avoir patience; on ne peut pas avoir toutes choses a souhait.

  A019002548 

 N'attendes nullement de moy une grande lettre, ma tres chere Mere, car j'ay tant escrit que je n'en puis plus, ayant esté contraint de faire de rechef des lettres pour Moulins et Nevers, plus longues beaucoup que l'ordinaire, pour m'esclarcir sur les responses que j'avois faites, car on ne m'avoit pas dit tout et je n'avois pas respondu tout..

  A019002549 

 Les biens qui se font sans contradiction ne semblent pas estre de la race des biens des anciens Chrestiens.

  A019002551 

 Ne vous empresses nullement pour vostre retour; ces fondations de dela sont de si grande importance quil ny faut pas espargner le tems.

  A019002569 

 Or, ma Fille certes toute tres chere, cela ne se fait pas en un jour, et Celuy qui vous a fait la grace de faire le premier coup, fera luy mesme avec vous les autres deux; et parce que sa main est toute paternelle, ou il le fera insensiblement, ou, s'il vous le fait sentir, il vous donnera la constance, ains la joye qu'il donna au Saint duquel nous faysons la feste, sur la grille.

  A019002629 

 Une seule chose me donne à réfléchir: c'est que quelques personnages italiens disent que les chapitres où je traite des jeux, des bals, des amourettes et de semblables amusements et passe-temps, comme aussi celui De l'honnêteté du lit nuptial et la comparaison de la princesse sollicitée, qui se trouve dans le traité des Tentations, conviennent à la légèreté et liberté de la nation française; mais que la retenue et la gravité naturelle des Italiens n'ont pas besoin qu'on parle de tels sujets.

  A019002630 

 J'ai corrigé beaucoup d'endroits où l'imprimeur de Lyon avait fait des fautes, et quelques-uns où les mots français n'avaient pas été bien compris, comme: «austruches,» qui ne signifie par tartaruche (tortues), mais struzzi; «detraquer,» sconcertare; «détraqué,» sconcertato; «goderon,» lattuca; et quelques autres du même genre, peu nombreux et aussi de peu d'importance..

  A019002631 

 J'envoie à Votre Paternité la feuille ci-jointe, où elle verra les textes de saint Grégoire de Nazianze, et un passage du chapitre De l'honnêteté du lit nuptial, où peut-être sera-t-il bon de ne pas exprimer si ouvertement la comparaison.

  A019002633 

 Ce n'est pas, certes, faute de sujet; car j'aurais beaucoup à écrire de l'amour du prochain et des choses que j'ai prêchées en trois ou quatre mille sermons faits depuis vingt-huit ans, qui, de l'avis de plusieurs, seraient utiles au bien public.

  A019002633 

 Si la divine Majesté le veut, elle m'en donnera le loisir; et si elle ne le veut pas, je ne dois pas le vouloir non plus..

  A019002654 

 En d'autres, la force des mots français n'avait pas été bien saisie, et ceux-ci sont en fort petit nombre; je ne me rappelle même pas qu'il y en ait plus de trois ou quatre.

  A019002654 

 Goderon est la fraise qu'on porte autour du cou; et tels autres mots, comme les défenses du sanglier, qui sont les dents qui sortent de sa gueule, lesquelles en français ne s'appellent pas dents, mais seulement défenses; et encore venaison, qui est la graisse et l'embonpoint des cerfs..

  A019002655 

 D'autre part, il faut, dit-on, parler très prudemment de ce qui touche la pudeur, afin de ne pas éveiller l'impression des vices contraires.

  A019002655 

 Les uns disent que les chapitres où je traite des jeux, des bals et de semblables passe-temps, et ceux où il est parlé des amourettes et de l'honnêteté du lit nuptial, comme aussi la comparaison de la princesse sollicitée que je fais dans les chapitres sur la tentation ne sont pas à propos pour l'Italie; car la retenue et la prudence naturelle de cette nation ne permettent pas qu'on fasse de telles choses.

  A019002664 

 Les nouvelles asseurees de la pacification en France m'ostent tout a fait du doute auquel j'estois du voyage [326] de Monseigneur nostre Prince Cardinal, ains me mettent en quelque opinion que si elles arrivent a Son Altesse avant son depart pour l'abbouchement qu'elle devoit faire avec M. de Lesdiguiere, elle en desfera le dessein; et si elle vient, ce sera pour si peu, que je ne croy pas que sans importunité je luy puisse faire la reverence..

  A019002666 

 Si je sçavois qu'on ne mit pas la main a la reforme generale des Monasteres, selon le projet de Monseigneur le Serenissime Prince, je supplierois Monseigneur le Cardinal de la procurer pour son abbaie d'Aux, ou neantmoins je ne croy pas qu'on la puisse faire de duree sans mutation d'Ordre ou de Congregation.

  A019002690 

 Vous aves le courage trop bon pour ne faire pas parfaitement ce qu'il faut faire pour l'amour de Celuy qui ne veut estre aymé que totalement.

  A019002691 

 Ayes patience d'aller le petit pas, jusques a ce que vous ayes des jambes a courir, ou plustost des aisles a voler.

  A019002692 

 Mais, ma tres chere Fille, ne dites pas comme le jeune filz de cet homme: J'iray travailler, qu'avec un ferme desir d'y aller..

  A019002714 

 Vous la verres, ma tres chere Mere, et si vous sçaves quelque chose sur ce sujet avant que Monseigneur de Bourges m'escrive, vous ne laisseres pas de me l'envoyer..

  A019002718 

 Demain je vay voir M. de Belley son frere, que je treuve tous-jours plus aymable; mais je ne voy pas comme on puisse luy persuader de quitter ces gestes immoderés de la praedication, ni arrester le cours de sa plume, comme vous m'avies escrit que c'estoit le desir de plusieurs gens de bien.

  A019002719 

 De luy escrire il ny a pas moyen, car voyla le sire Pierre qui presse.

  A019002719 

 Elle l'est a mon gré tout a fait, non obstant tout ce qu'elle dit contre elle mesme, qui [est] voyrement veritable, mais qui est contrechangé par une si bonne et franche volonté que cela ne tient point de place, et sur tout par ce qu'elle ne l'ayme pas et que un jour tout cela s'esvanouira devant la grace de Dieu.

  A019002719 

 Mays Dieu sçait des choses que nous ne sçavons pas: sil est expedient pour sa gloire, il fera possible ce qui nous semble ne le pouvoir pas estre, et s'il laisse cette fille la, il fera pour elle, la, tout ce que nous pourrions desirer.

  A019002761 

 Mays tout cela ne prejudicie nullement aux actes de l'esprit, de cette pointe superieure, autant aggreables a Dieu comme ilz sçauroyent estre parmi toutes les gayetés du monde, ains certes, plus aggreables, comme faitz avec plus de peine et de conteste; mais ilz ne sont pas si aggreables a la personne qui les fait, parce que, n'estant pas en la partie sensible, ilz ne sont pas aussi sensibles ni delectables selon nous..

  A019002761 

 Un cors delicat estant appesanti par le faix d'une grossesse, debilité par ce travail du port d'un enfant, incommodé de plusieurs douleurs, ne peut pas permettre que le cœur soit si vif, si actif, si prompt en ses operations.

  A019002762 

 Ma tres chere Fille, il ne faut pas estre injuste, ni exiger de nous que ce qui est en nous.

  A019002763 

 Or, ma chere Fille, vostre enfant qui se forme au milieu de vos entrailles sera une image vivante de la divine Majesté; mais ce pendant que vostre ame, vos forces, vostre vigueur naturelle est occupee a cet œuvre, elle ne peut qu'elle ne se lasse et fatigue, et vous ne pouves pas en mesme tems faire vos exercices ordinaires si activement et gayement.

  A019002764 

 En somme, je ne sçai pas ce que mon ame ne pense pas et ne desire pas pour la perfection de la vostre, laquelle, puisque Dieu l'a voulu et le veut ainsy, est certes au milieu de la mienne.

  A019002799 

 Mais quand on est venu au fait et qu'on a demandé au porteur de la lettre de fournir une pièce authentique qui le constituât votre chargé d'affaires, une Bulle ou un Bref, ou une copie de la concession des Indulgences, il a répondu qu'il n'en avait pas.

  A019002799 

 [346] La prudence même, confirmée par de nombreuses expériences, nous apprend à ne pas ajouter foi au premier venu, quand il se dit chargé de recueillir des aumônes au nom des établissements de piété, et de ne pas lui accorder ce qu'il demande.

  A019002811 

 Ce n'est pas que cela ne se soit fait et ne se fasse encor a present loüablement en plusieurs lieux; mays c'est qu'il seroit encor plus louable s'il se faysoit autrement: sur quoy il y auroit plusieurs choses a dire..

  A019002822 

 Ma tres chere Fille, vous faites bien de les renvoyer a l' Introduction, ou je declare suffisamment tout cela en une sorte que si elles le veulent considerer, pour peu qu'on les ayde (si elles sont si rudes ou simples qu'elles ne l'entendent pas), elles le pourront entendre utilement; car vostre vocation et la qualité de fille ne vous permet pas de leur rendre ce service en autre façon..

  A019002833 

 Et de tout cela, je l'en supplie tres humblement, comm'aussi de commander que les pauvres cures d'Armoy et de Draillens soyent assistees de l'argent que tant de foys Vostre Altesse leur a ordonné; n'estant pas en nostre pouvoir, ni par prieres, ni par sousmissions, ni par [351] importunité d'en rien avoir, des cinq ou six ans en ça, sinon 50 escus, sans plus.

  A019002845 

 Que de desirs de vous pouvoir bien et longuement escrire, ma tres chere Mere, sur le sujet que vos deux dernieres lettres m'en fournissent! mays certes, il ny a pas moyen, car, sil plait a Dieu, il faut que j'escrive encor a Moulins..

  A019002846 

 Mays a la Reyne Mere, certes, je ne le feray pas si tost, car il faut bien du sujet pour escrire a ces Majestés.

  A019002846 

 Or sus, il est certain que je feray le voyage de France, mais non pas si tost: dont je suis bien ayse, car cependant il se pourra faire que le Roy ira a Paris, unique moyen de nous y faire aller aussi.

  A019002847 

 Quelle consolation de la guerison de la petite Seur de Saint Bonet, et de l'autre que je ne connois, ce me semble, pas..

  A019002878 

 Ne vous estonnes nullement de ce que vous n'aves pas les sentimens de devotion pendant vos langueurs, puisque les consentemens et au bien et au mal peuvent estre sans sentiment, et le sentiment sans le consentement.

  A019002896 

 Je voy dans vostre lettre le desir que vous aves de sortir promptement du monde, auquel je ne veux nullement contredire, puisque mesme vostre retraitte n'empeschera pas l'execution de vostre dessein.

  A019002896 

 Mays en tout ce qui se pourra bonnement, il faut donner satisfaction au bon oncle, qui vous a tous-jours aymé, et je voy que vous ne laisseres pas, estant dans l'Oratoire, de bien le contenter.

  A019002905 

 Il faut souffrir cette incommodité de l'amour de nos parens qui ne pensent pas qu'il y ayt de la comparayson entre la satisfaction d'estre chez eux et celle que l'on prend au train du service de Dieu.

  A019002915 

 C'est cela que dit la Mere Therese; car se plaindre, ce n'est pas dire son mal, mais le dire avec des lamentations, doleances et tesmoignages de beaucoup d'affliction.

  A019002915 

 Dites le donq naïfvement et veritablement, sans nul [361] scrupule; mais que ce soit en sorte que vous ne tesmoignies point de ne vouloir pas y acquiescer doucement, car aussi faut-il y acquiescer de tres bon cœur..

  A019002917 

 VIVE JESUS! N'est ce pas nostre mot de guet? Non, rien n'entrera dans nos cœurs qui ne die en verité: VIVE JESUS! Il sçait, ce doux Sauveur, que je suis en verité tout vostre..

  A019002936 

 Mays je ne laisseray pas de rendre ce veritable tesmoignage pour luy, qu'en toutes les occurrences esquelles il a esté employé au service de Vostre Altesse, il a rendu toutes les preuves qu'on sçauroit desirer, de probité, fidelité et constance, comm'un vray et tres asseuré sujet doit faire; qui me fait tres humblement supplier Vostre Altesse de le vouloir gratifier de son bon œil..

  A019002950 

 Mais puisqu'il le desire, je ne laisseray pas [364] de rendre veritable tesmoignage a Vostre Altesse, qu'il est tous-jours luy mesme en probité, fidelité et constance pour cette affection, et certes, digne d'estre confidemment employé..

  A019002958 

 Vous pourres ce pendant respondre a Monseigneur l'Evesque, que ces bonnes filles de Moulins, comme vous aussi, n'estes la que pour faire le service de la fondation, et que quand le Monastere sera establi, vous pourres [retourner] en vos Maysons de profession, ou [l'on vous recevra]; et que partant, il ne faut rien demander pour ces [filles] la a la Mayson de Moulins, qui demeure oblig[ee de les] recevoir quand elles retourneront.....Il semble qu'il n'est pas [a propos de presser] nostre Seur Marie Aymee de Morville; ains qu'elle mesme laisse librement les dix mille francz..

  A019002990 

 Mays cependant, en un'assemblee que les ecclesiastiques de Rumilly et les scindiques firent devant moy, monsieur le Prieur traitta de toutes ses pretentions, en cas de l'union de la cure, laquelle est a la veille d'estre faite, puisque je n'attens que le commandement de Monseigneur le Serenissime Prince qui ne doit pas tarder.

  A019003042 

 Si elles desirent par apres de prendre l'habit, ce n'est pas par le vray et pur motif que requiert la sainteté de l'Institut..

  A019003042 

 Vous pouvés, avec la permission de Monseigneur [374] l'Evesque, recevoir la petite fille qui est d'un naturel si bien conditionné, selon que vous me dites, que l'on doit esperer qu'il n'en arrivera point d'inquietude a la Religion; mais, ma tres chere Fille, il faut tout a fait eviter de recevoir des autres filles avant l'aage, car Dieu n'a pas esleu vostre Institut pour l'education des petites filles, ains pour la perfection des femmes et filles qui, en aage de pouvoir discerner ce qu'elles font, y sont appellees.

  A019003043 

 Et ne s'ensuit pas que ce qui s'est fait pour cette fois [375] il le faille faire pour des autres, non plus qu'il ne s'ensuit pas qu'un homme s'estant chargé d'une juste charge pour un amy, il doive se surcharger d'une seconde charge pour un autre amy; et ceux qui le seront aussi de vostre Institut auront patience jusques a ce que les enfans soyent d'aage convenable.

  A019003047 

 Je ne pense pas qu'on puisse rien demander pour les Seurs qui vous ont accompagné de Moulins, pour la rayson que je vous ay escritte, l'autre jour que je respondis a cet article..

  A019003048 

 Il ny a nul mal de demander aux Novices comm'elles se portent; mais quand elles marquent des maux de nulle consequence, il ne faut pas les attendrir, ains simplement leur dire: Vous seres bien tost guerie, Dieu aydant; puisque, a la verité, le sexe est merveilleusement enclin a se plaindre ou a desirer d'estre plaint, et c'est la verité que ces tendretés prennent leur source de paresse et amour propre.

  A019003049 

 Ma chere Fille, il ne faut pas que vous autres qui fondes des Maysons, facies ces pensees, si vous reviendres ou non, avant quil en soit tems.

  A019003049 

 Or, il n'en est pas tems au commencement de vostre besoigne.

  A019003050 

 Nous n'avons encor pas pensé sil faudra les garder un'annee ainsy, mais nous y penserons bien tost..

  A019003052 

 Il n'en faut pas remplir la mayson, de telles filles, mais prenes celle la; car il se treuve si peu de personnes en ce sexe, sans fantasie et malice et bigearrerie, que quand on en treuve on les doit recueillir.

  A019003054 

 Il ne faut pas donner promesse a point de fille de la recevoir, sinon en cette façon: Nous vous recevons en ce qui nous regarde, mais il faut que Monseigneur l'Evesque le treuve bon; et faire tous-jours conferer avec le Pere spirituel, car il sçaura tous-jours bien les defautz, sil y en a..

  A019003056 

 Il ne se faut pas laisser peindre, si Monseigneur l'Evesque ne le commande ou vostre Pere spirituel, auquel vous pouves obeir en cela comm'es autres choses indifferentes, c'est a dire qui ne sont pas contre l'Institut.

  A019003056 

 J'en dis de mesme des autres Seurs, ausquelles il faut pourtant bien donner des remedes contre la vanité, delaquelle toutefois il ny a pas grand sujet d'estre peint sur de la toile, puisque il ny en doit point avoir d'estre peint en nostre propre personne a l'image de Dieu..

  A019003058 

 Il ne faut pas dire au Confiteor: et beatum Augustinum, par ce que vostre Congregation est sous le tiltre de Sainte Marie de la Visitation, quoy que sous la Regle de saint Augustin.

  A019003059 

 Il n'est pas necessaire de donner les Constitutions aux praetendentes qu'en les leur expliquant.

  A019003061 

 La fille au bras court doit estre receue, si elle n'a pas la cervelle courte; car ces deformités exterieures ne sont rien devant Dieu..

  A019003062 

 Vostre sentiment est le mien: il ne faut pas recevoir les riches au choeur par ce qu'elles sont riches, mais par ce qu'elles ont le talent d'y servir; et si elles ne l'ont pas: qu'elles soyent des Associees si elles sont foibles, ou vielles, ou maladives; si elles sont fortes, qu'on les puisse employer au service de la Mayson, ou du moins a cooperer aux Domestiques si quelque consideration les fait mettre parmi les Associees, comme seroit leur delicatesse, ou la bonté de leur esprit qui les rendra habiles a servir de Superieure ou aux autres offices, hors celuy d'Assistente.

  A019003063 

 En vostre chapelle, vos fenestres doivent estre voylees [379] affin qu'on ne vous puisse pas voir distinctement; mays avec cela, il faut ouir le sermon le voyle de vos faces levé..

  A019003064 

 On peut recevoir Associees les femmes et filles qui ne sçavent pas lire, car tout ce qui est dit de la lecture s'entend pour celles qui sçavent lire..

  A019003066 

 Ne receves pas legerement les filles: mais selon que la prudence vous enseignera, ou de differer ou de se haster, faites le; si elles s'en vont ailleurs, Dieu les veuille conduire et en soit loué..

  A019003084 

 Voyla pas une ame bien aymee de Dieu?..............................................

  A019003092 

 Et cependant, apres avoir crié qu'il ne failloit pas que le supreme Pasteur, officier en l'Eglise, entreprist de delivrer les sujetz de l'obeissance du supreme Prince de la Republique, pour aucun mal qu'il fist: luy mesme, pour des abus pretendus, se va rendre rebelle a ce supreme Pasteur, ou, pour parler selon son langage, a tous les Pasteurs de l'Eglise en laquelle il a esté baptizé et nourri! Luy qui ne treuvoit pas asses de clarté, disoit il, es passages de l'Escriture, pour l'authorité de saint Pierre sur le reste des Chrestiens, comme s'est il allé ranger sous l'authorité ecclesiastique d'un Roy duquel l'Escriture n'a jamais authorisé la puissance que pour les choses civiles? S'il treuvoit que le Pape excedoit les bornes de son pouvoir, entreprenant quelque chose sur le temporel des Princes, comme ne treuve-il pas que le Roy sous lequel il est allé vivre excede les limites de son authorité, entreprenant sur le spirituel?.

  A019003092 

 Voyla une lettre que j'ay ouverte sans m'appercevoir qu'elle n'estoit pas pour moy.

  A019003111 

 Or il ne sçait pas pourtant le projet, sinon par conjecture quil tire de l'entree que fit, il y a dix jours, monsieur de Saunaz en l'Oratoire de Lyon, d'ou il m'a escrit avec beaucoup de tesmoignage de consolation..

  A019003112 

 Pour Ripaille, je ne pense pas que Son Altesse y puisse loger plus a propos aucuns Religieux que les Chartreux, en se reservant ce quil luy plaira pour y bastir son palais..

  A019003119 

 Mon tres cher Frere, je vous prie de ne point encor dire la fascheuse nouvelle de la lettre ci jointe, laquelle [386] vous garderes, car il me semble a propos de ne la pas perdre.

  A019003128 

 [Or sus, je ne desespere pas] de le voir un jour repasser la mer et venir au port, [mais je pleure sur luy de tout mon cœur.].

  A019003159 

 O que ces pierres qui semblent si dures sont pretieuses! Tous les palais de la Hierusalem celeste, si brillans, si beaux, si aymables, sont faitz de [390] ces materiaux, au moins au quartier des hommes; car en celuy des Anges les bastimens sont d'autre sorte, mais aussi ne sont ilz pas si excellens.

  A019003160 

 Ma chere Fille, si vous ne faites pas des grandes oraysons parmi vos infirmités et celles de monsieur vostre mary, faites que vostre infirmité soit une orayson elle mesme, en l'offrant a Celuy qui a tant aymé nos infirmités, qu' au jour de ses noces et de la res-jouissance de son cœur, comme dit l'Amante sacree, il s'en couronna et glorifia: faites ainsy..

  A019003161 

 Ne vous assujettissés pas a un mesme confesseur, tandis que, pour gaigner tems, il sera requis d'aller au premier rencontre..

  A019003163 

 Il n'est pas infidele, ma tres chere Fille, mays il est un peu foible quelquefois, et un peu assoupi.

  A019003163 

 Ma tres chere Fille, ne me dites pas tant [de mal] de vostre cœur, car je l'ayme tant que je ne veux point qu'on parle ainsy.

  A019003184 

 L'aspreté du tems et la grandeur des neiges ont retenu comme par vive force le bon M. l'Abbé [jusques] a present, mon tres cher Frere; et ce qui me desplait en ceci, c'est qu'il n'arrivera pas asses tost pour vous donner la commodité de nous faire jouir de vostre chere presence pour ces premieres festes.

  A019003189 

 Mes freres sont tous-jours apres a faire descombrer la [394] mine de laquelle plusieurs ont une grande opinion; mais Dupra n'en peut rire, craignant qu'une si bonne mine ne soit pas accompaignee de bon jeu..

  A019003195 

 M. l'Abbé de Six est en fin trespassé, et on m'a dit que M. l'Esleu ne demeure pas sans affaires avec les Religieux qui ne le veulent pasreconnoistre, parce qu'ilz croyent qu'il n'a pas ses permissions de Rome..

  A019003196 

 Je ne vous entretiendray pas davantage, ains me rapportant a la suffisance de M. le porteur, je vous salue tres humblement, et, si vous estes consacré, je vous bayse les mains et la cime de vostre teste parfumee de l'onction sacree, que je supplie Nostre Seigneur de faire saintement descouler jusques a la robbe de cette Eglise, et que la rosee de vostre Hermon soit heureusement transportee jusques en nostre sein.

  A019003238 

 Despuys, on a de beaucoup amoindris les moyens qui y devoyent estre employés et, pour un seul coup, on a osté le prieuré de Nantua, qui sont mille escus de revenu, et environ deux mille ducatons que Son Altesse par sa liberalité y a destinés, ne sont pas touchés a commodité.

  A019003255 

 J'ay accommodé les Constitutions le plus que j'ay sceu, au gré du tres bon P. Binet et au vostre, et ne voy pas que pour des Constitutions on y puisse guiere plus rien adjouster.

  A019003258 

 Mais il ne faut pas qu'elle nomme la Religion en laquelle elle se veut retirer, ains seulement qu'elle die qu'ayant la licence elle se retirera en un Monastere, pour y faire profession, auquel l'observance est en vigueur.

  A019003258 

 Que ne ferois-je pas pour contenter son cœur! Voyci mon advis: puysque elle n'a jamais peu croire que ce fut la volonté de Dieu qu'elle demeurast en cet Ordre, et que parmi toutes ses actions de vœux, de Profession, de susception de charge ell'a tous-jours excepté devant Dieu de se retirer dudit Ordre a la premiere bonne occasion, je pense qu'elle fera donq bien de faire un essay pour cela, et de faire escrire a Rome pour avoir dispense, laquelle, si ell'exprime bien son intention, ne sera pas, si je ne me trompe, difficile d'estre obtenue; car quand elle dira que ce n'est pas pour retourner au monde, mais pour se retirer en une Religion en laquelle l'observance religieuse est en vigueur, il ny aura rien a dire.

  A019003271 

 Ce pendant je me vay preparant, affin de n'estre pas tout a fait surpris; que si je puis vous laisser icy en ma place, je m'en iray bien plus joyeux.

  A019003271 

 Je n'ay encor point receu de commandement de Son Altesse pour le voyage de France, Monsieur mon tres cher Frere, ni ne sçai encor pas quel nombre de personnes je pourray mener.

  A019003274 

 Et bien que je ne sçai pas si ces paroles ont esté preuvees, si sçai-je bien qu'elles furent dites..

  A019003276 

 Mays tout ceci, mesnages-le selon que vous jugeres a propos, car il ne faut pas de lite facere lites, ni rien dire ou faire qui puisse ennuyer monsieur le Marquis de Saint Damien, puis que il nous fait lhonneur de nous [406] aymer et qu'il oblige chacun, par sa vertu, a lhonnorer.

  A019003297 

 Vos Superieurs modernes ont tant travaillé pour vous: cela ne merite-il pas que vous les reveries comme vos Peres, puisque mesme s'ilz ne sont Carmelites d'habit, ilz le sont en effect par le zele et la pieté d'Helie? O combien de Carmelites y aura-il au monde qui n'ont receu que le manteau d'Helie, et non son esprit au double! et combien de prestres seculiers qui, sans le manteau, auront receu son esprit! Combien de Theresiennes sans l'habit, combien de Theresiennes sans l'esprit de la Mere Therese!.

  A019003307 

 Vous devries pleurer si on vous les vouloit oster.» Ce n'est pas que je veuille faire l'arbitre en un differend porté de part et d'autre de tant de gens; mais je vous parle comme a mon ancienne et cordiale fille, en toute confiance..

  A019003318 

 Je connois l'esprit de madame l'Abbesse, elle ne fera pas la moytié des choses que sa repugnance de maintenant luy suggere.

  A019003318 

 Nous ne sommes pas de mesme humeur, elle et moy; mais je ne laisse pas d'esperer qu'elle ne quittera pas tout a fait ma conduitte, que j'essayeray de rendre bonne, douce et juste.

  A019003318 

 Voyes vous, ma Fille, l'esprit humain ayme ses ayses et son propre jugement; ainsy, il ne faut pas treuver estrange si on reçoit avec contradiction les conceptions d'autruy, quelque saintes qu'elles soyent.

  A019003328 

 Je voudrois bien me courroucer avec vous, mais je ne le puis, parce que je ne suis pas en humeur de le faire..

  A019003419 

 Il ne vous escrit pas, estant asseuré que vous vous contenteres de luy pour ce coup s'il vous salue de tout son cœur par nostre entremise, estant occupé aupres de cette bonne dame, qui l'a tout a fait guery; de quoy je benis Nostre Seigneur, comme aussi de vostre santé, laquelle il faut conserver pour faire le voyage allegrement..

  A019003564 

 La Mère de Chantal savait de quels ménagements il fallait user avec une âme qu'on voulait sauver à tout prix; elle connaissait d'ailleurs l'incomparable condescendance de François de Sales, et, sans craindre de trop l'engager, elle écrit à M me du Tertre le 24 mars 1620: «Ne doutez point que notre bon Père ne vous concède votre désir selon toute l'étendue de son pouvoir, qui est toujours de plusieurs années.» Avec prudence, la Fondatrice ajoute: «Mais nous nous assurons que Dieu vous ayant confirmée en son saint amour pendant plusieurs années, vous fera aimer la conservation des Règles.» La réponse de l'Evêque de Genève est identique: «Que celte chere Mere soit Superieure, j'y consens sans difficulté; mays que cela se puisse faire si absolument comme vous m'en parles, je n'en sçay pas les moyens... Mais... faites ce que» Dieu «vous a inspiré pour sa gloire, et ne doutés nullement qu'il ne face pour vostre bien ce qui sera le meilleur.».

  A019003564 

 Manœuvrant par dessous main, elle donna promesse en bonne forme de trente mille francs à M. Bonsidat, avec facilité d'en toucher le tiers sans retard; elle se constituait ainsi fondatrice temporelle d'une Maison dont — elle n'en doutait pas — la Mère de Bréchard serait la pierre fondamentale.

  A019003564 

 Telle n'était pas pourtant la décision prise; le Monastère de Moulins avait encore besoin de sa vénérée fondatrice; il fut donc résolu que la Supérieure de Nevers viendrait d'Annecy avec les Sœurs destinées à Paris et à Orléans.

  A019003565 

 M me du Tertre ne songeait qu'à se préparer à revêtir l'habit de la Visitation; ses parents, enchantés de sa résolution d'être Religieuse, lui faisaient pour le temporel «un bon parti,» non toutefois sans trainer en longueur les préliminaires du contrat, sans «faire des grandes assemblées de parents et de grands mystères,» qui ne plaisaient pas trop à la Mère de Chantal.

  A019003568 

 François de Sales, si éloigné des considérations humaines et des questions d'intérêt, ne comprenait pas bien qu'on pût «attribuer a injustice la sortie d'une personne d'un lieu ou elle n'estoit pas obligee de demeurer, ni la translation d'un'autre, pourveu qu'elle laissat en sa place une personne qui luy succedat avec suffisante capacité d'exercer sa charge.» Il envoya, en juillet, la Sœur Paule-Jéronyme de Monthoux pour remplacer à Moulins la Mère de Bréchard, avec la Sœur Françoise-Jacqueline de Musy pour compagne.

  A019003568 

 Peut-être ces arrêts n'étaient-ils pas tout à fait contre le gré de la prisonnière! — «J'eusse grandement souhaité qu'elle n'eût bougé de notre maison,» écrivait la Sainte à M. de Palierne, «assuré que l'on doit être que c'est un lieu où l'on ne force personne; mais bien, puisque Dieu a permis cela, patience! Nous vous supplions toutefois que, puisqu'elle est résolue de continuer sa bonne volonté, elle y retourne au plus tôt.».

  A019003570 

 Les amis du Monastère de Moulins, par un zèle qui n'avait rien de désintéressé, n'entendaient pas qu'on portât ailleurs ces ressources, et M me du Tertre écoutait volontiers de tels conseillers.

  A019003573 

 La seconde, qu'on n'attendait pas à Nevers, fut accueillie très froidement par Messieurs de la Ville.

  A019003574 

 François de Sales conseille à la Mère de Bréchard de relire «le chapitre De la Patience, de Philothee.» A la Mère de Monthoux, la Sainte répète: «Mon Dieu, ma très chère Fille, pourquoi [435] vous étonnez-vous de toutes les petites contradictions? N'en ayez pas la moindre émotion du monde.

  A019003575 

 Le Saint, averti plutôt que consulté par la dame bienfaitrice, déclare que son vœu subsiste; et la Mère de Chantal multiplie ses lettres pour parer le coup qu'elle redoute: «Il faut, s'il vous plaît, contenter Monseigneur de Genève et le croire,» écrit-elle à M me du Tertre, «car pour nous, nous ne voulons avoir ni débat, ni procès; nous quitterions plutôt cent fois autant que ce que vous donnez, estimant incomparablement davantage la paix avec la sainte pauvreté, que tous les biens du monde et le moindre trouble... Or sus donc,... qu'il ne se parle plus de tout cela, s'il vous plaît, puisque vous avez le sentiment de Monseigneur de Genève et son avis; car nos pauvres Sœurs des deux Maisons sont affligées d'entendre parler de choses qu'elles n'ont pas accoutumé d'ouïr.» Et quatre jours après, elle expose les choses avec sa logique et sa clarté ordinaires à M. de Palieme, soutient le conseil donné par le Saint, supplie d'accepter ce moyen terme, et conclut: «Si après toutes ces raisons et prières très humbles, M me du Tertre et ceux de Moulins veulent agir contre ceux de Nevers, qu'elle fasse ce qu'il lui plaira; mais pour nous, nous n'attaquerons ni ne nous défendrons.


20-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XX-Vol.10-Lettres.html
  A020000007 

 Pas être utilisés à des fins commerciales de toute nature!.

  A020000059 

 » — Nulle obligation de justice pour M me de Dalet de soutenir sa maison paternelle; en quels cas elle doit ou ne doit pas le faire.

  A020000096 

 — La charitable réception des infirmes ne restera pas sans récompense. 95.

  A020000130 

 Défaut de surnaturel dans les « meres temporelles, » — Ne pas regarder ses pensées.

  A020000131 

 — Ne pas établir son cœur sur les choses de ce monde.

  A020000147 

 Pourquoi ne faut-il pas accueillir facilement la calomnie.

  A020000159 

 — Devoir auquell'Evêque ne manque pas. 156.

  A020000160 

 — Un porteur de lettres pas encore en route.

  A020000163 

 — Des âmes qui n'eussent pas été bonnes pour le mystère de la Purification.

  A020000173 

 Un prédicateur qu'il ne faut pas « divertir » et qu'on salue sans vouloir de retour.

  A020000175 

 L'imperfection du motif de la part de la créature n'empêche pas la réalité de l'appel de Dieu.

  A020000198 

 — Son avis sur la réforme du Bréviaire cistercien; pourquoi il ne le fît pas prévaloir par un coup d'autorité. 191.

  A020000198 

 — Une question que l'Evêque de Genève n'a pas voulu trancher.

  A020000200 

 — Quand Dieu parle, il ne faut pas contester, mais regarder l'Evangile et en suivre les maximes.

  A020000207 

 — La seule impuissance de méditer n'exclut pas du cloître — Ce n'est pas sans raison ni pour fâcher le père que la Supérieure se décide à ne pas recevoir la fille. 202.

  A020000209 

 — « Les defautz qui arrivent en une bonne œuvre n'en gastent pas la bonté essentielle.

  A020000210 

 » — Les effets du sens humain.— Ne pas recevoir des bienfaitrices qui exigent trop de conditions.

  A020000216 

 Ce qu'il faut faire pour ne pas rendre inutile cette faveur de Son Altesse. 212.

  A020000345 

 Or, il souhaite extrêmement pouvoir entrer dans votre Congrégation, et craint néanmoins de n'être pas reçu, étant eunuque dès le sein de sa mère; c'est pourquoi il veut que je supplie Votre très Révérende Paternité d'être favorable à ses pieux désirs.

  A020000362 

 Je m'asseure qu'il se comportera si bien, que ni vous n'aures pas sujet d'estre marri de l'avoir accompagné de vostre benediction, ni moy de vous en avoir prié, qui suis de tout mon cœur,.

  A020000375 

 Certes, ma tres chere Fille, je ne sçai pas sur quel fondement madame la Comtesse bastit son esperance; je la verray en passant, et confereray du vœu qu'elle devra faire.

  A020000390 

 Je suis encor icy, ma tres chere Fille, et ne sçai encor point quand je feray le despart; au moins croys-je que ce ne sera pas de cette semaine.

  A020000392 

 J'attens mon frere pour la fin de ce moys, et il m'escrit qu'il pense demeurer quelques jours avec moy [10] avant mon despart, de sorte qu'il croit que le voyage ne se fera pas si tost..

  A020000406 

 Mais de ne vous point escrire du tout, il ne m'est pas possible.

  A020000416 

 Il a rayson de m'aymer, non pas que je le merite, mais par ce que Nostre Seigneur le veut et le commande, et que, de ma part, je le cheris beaucoup.

  A020000434 

 Je vous juge digne de compassion, ma tres chere Fille, vous voyant agitee de tant de sortes d'afflictions; mays vous series bien plus a plaindre si Dieu ne vous tenoit de sa tressainte main dans la resolution en laquelle il vous a mise de vouloir a jamais estre toute sienne; car sans cela, ma tres chere Fille, vostre ame ne seroit pas seulement agitee, ains elle seroit tout a fait submergee sous l'effort de tant d'adversités, et les eaux de la tribulation vous auroyent des-ja ensevelie dedans leurs ondes.

  A020000447 

 En fin, Monsieur mon tres cher Frere, voyla, comme je pense, l'esperance de nostre voyage, ou plustost de [15] nostre conversation au voyage, tout a fait dissipee; mais, quel remede? Demeures en paix, mon tres cher Frere, et demeurons, malgré la distance des lieux, tous-jours tres unanimement serrés ensemble par ce lien indissoluble de nostre sainte amitié, que Dieu a fait et a rendu exempt de tout le dechet que la distance et absence a accoustumé de faire sur les amitiés humaines et transitoires: n'est ce pas, mon tres cher Frere?.

  A020000515 

 Si faut, ma tres chere Mere, il faut redire les Pseaumes qui se seront ditz tandis que vous dormies, et se confesser dequoy vous ne les aves pas reditz; car ce sont des parties notables de l'Office que vous estes obligee de dire, mais non pas sil ny avoit que trois ou quatre versetz..

  A020000528 

 Quelles chimeres de nouvelles! moy? qu'on m'ayt voulu tuer? Les bons ne me tueront pas, parce qu'ilz sont bons; ni les mauvais, parce que je ne suis pas bon.

  A020000550 

 Mais je sçai bien aussi que Dieu, qui par sa divine providence vous a dediee a cette sorte de vie en [24] ce monde, ne manque pas de vous fournir des saintes inspirations qui vous sont requises pour vous y comporter saintement..

  A020000551 

 Et pour moy, je ne sçai pas ce que je ne voudrois pas faire pour contribuer a vostre consolation; mais, ma Fille, troys choses me divertissent de vous escrire si souvent que je faysois au commencement de nostre connoissance.

  A020000551 

 Il me semble qu'il n'en est pas tant de besoin maintenant que vous estes tant accoustumee a la croix; et moy, je suis chargé d'aage, et, pour le dire a vous, d'incommodités qui m'empeschent de pouvoir ce que je veux, et de plus, la multitude des correspondances que j'ay acquises depuis ce tems la, fait que j'escris moins aux uns et aux autres.

  A020000694 

 Mais il ne faut pas les employer qu'avec discretion et reserve, comme encor M. le chevalier de Lescheraine, qui, en cas de besoin, suppliera Monseigneur le Prince Cardinal de favoriser cette affaire..

  A020000694 

 Vous ne laisseres pas pourtant de voir au plus tost le [39] Pere Diegue et le Pere Dom Sens de Sainte Catherine, jadis General des Feuillans, auquel vous remettres la lettre qui est pour Monseigneur le Cardinal de Sainte Suzanne, car je m'asseure que tant ledit Pere Dom Sens que le Pere Diegue s'employeront volontier pour l'affaire des Seurs de la Visitation, selon que je les en supplie.

  A020000726 

 Mays ce n'est pas la seule preuve que j'ay eüe de vostre bienveuillance en mon endroit, y ayant si long tems que vous m'aymes et que j'ay esté obligé a vous honnorer pour la pieté et probité, jointes au zele et a la prudence dont Dieu vous a doué, me resouvenant fort bien de ce que vous aves fait pour le service de l'Eglise et le bien de vostre païs en toutes les occurrences.

  A020000747 

 Nous roulons icy sans avoir pour encor nouvelles de la resolution que M. de Menthon prendra, en attendant la venue de Monseigneur le Prince Thomas qui aura charge de faire achever cett' affaire, ainsy que Monseigneur le Prince dit a nostre frere, M. de Calcedoine; [45] mays je ne laisseray pas de presser un peu tout bellement..

  A020000777 

 En somme, ma tres chere Fille, il est vray, ainsy que je vous ay souvent dit, que la discretion est une vertu sans laquelle, au rapport de saint Anthoine, nulle vertu [48] n'est vertu, non pas mesme la devotion, si toutefois la devotion veritable peut estre sans une veritable discretion..

  A020000778 

 Voyes, ma tres chere Fille, de contribuer au contentement de cette mere ce que vous pourres aupres de cette fille, laquelle a la verité est obligee a quitter, je ne dis pas un peu, mais beaucoup de ses consolations, pour spirituelles qu'elles soyent, pour en laisser beaucoup a sa mere..

  A020000781 

 Mais je ne sçai non plus que dire sur cela, ne sachant pas quell'est la vocation du Ciel et voyant les enfans de M me de Dalet si petitz..

  A020000797 

 Quant au premier, je ne suis pas pour interposer mon jugement si le vœu que vous aves fait vous oblige a ne point desirer dispense, bien qu'elle allegue une grande precipitation qui peut prevenir la juste consideration; car veritablement la pureté de la chasteté est de si haut prix, que quicomque l'a vouee est tres heureux de la garder, et n'y a rien a preferer que la necessité de la charité publique..

  A020000799 

 Entre les ennemis, l'extreme necessite rend toutes choses communes; mais entre les amis, et entre de telz amis comme sont les filles et les meres, il ne faut pas attendre l'extreme necessité, car le commandement de Dieu nous presse trop.

  A020000799 

 Je cuyde bien entrevoir quelque rayson pour laquelle il semble qu'une telle fille, chargee d'enfans, puisse garder sa bourse, mais je ne sçai pas si vous l'aves; et si, je pense [53] qu'il faut que cette rayson soit grande et grosse, pour le faire voir et considerer tout a fait.

  A020000802 

 Et moy, j'ay tort de vous entretenir si longuement, mais j'ay un peu de complaysance de parler avec une ame pure et chaste, et de laquelle il n'y a aucune sorte de plainte que pour l'exces de devotion; tare si rare et si aymable, que je ne puis n'aymer pas et n'honnorer pas celle qui en est accusee, et n'estre pas a jamais, Madame,.

  A020000814 

 Il n'estoit pas besoin, pour me faire affectionner vostre [55] desir, que les Reverens Peres Coton et Duchesne, que j'honnore infiniment, employassent leur persuasion, car vostre seul nom me faisoit asses connoistre ce que je vous dois; et ma Seur Favre m'avoit, des le commencement qu'elle fut a Montferrand, si vivement exprimé la consideration qu'elle fait de vos dignes qualités, que je ne pourrois pas n'avoir du sentiment de vos afflictions quand vous me les eussies proposees, et mesme avec cette vivacité d'eloquence que vous aves tesmoignee en vostre lettre, capable d'esmouvoir un cœur de pierre..

  A020000816 

 Nous n'avons pas laissé de conferer [de] vostre lettre, le Pere Bonaventure de Lyon, que nous avons le bonheur d'avoir Gardien icy, et moy.

  A020000846 

 Je ne me sçaurois determiner, ma tres chere Fille, sur la demande que vous me faites de l'opinion que j'ay, s'il est a propos qu'on retienne ou qu'on renvoye cette fille, [59] parce que je ne la connois pas asses.

  A020000846 

 Que si de son costé elle ne coopere pas en s'humiliant, se sousmettant, renonçant a son esprit et suivant celuy de l'Institut auquel elle aspire, ce sera son dam et sa coulpe seule..

  A020000848 

 Et comme, en certaine façon, nostre ame est tellement en nostre cors qu'elle ne laisse pas d'estre hors de nostre cors, n'estant pas contenue en iceluy, puisqu'elle void, elle entend, elle oyt, elle fait ses operations hors de nostre cors et au dela de nostre cors, ainsy Dieu est tellement au monde qu'il ne laisse pas d'estre hors du monde et au dela du monde et de tout ce que nous pouvons penser.

  A020000849 

 O ma Fille, c'est un abisme! C'est l'Esprit qui vivifie tout, qui cause tout, qui conserve tout, duquel toutes choses ont besoin pour estre; et luy, n'a besoin de nulle chose, n'ayant jamais esté que tres infini en tout ce qu'il est, et est tres heureux, ne pouvant ni commencer d'estre ni finir, parce qu'il est eternel et ne peut n'estre pas eternel.

  A020000850 

 Je n'ay pas dit ceci pour vous dire ce que c'est, mais pour vous faire tant mieux entendre que je ne le puis ni sçay dire, et que je ne sçay que confesser que je suis un vray neant devant luy, que j'adore tres profondement, comme aussi l'humanité de nostre Sauveur a laquelle il s'est uni, affin qu'en icelle nous le puissions aborder, et le voir en nos sens et sentimens au Ciel, et en nos cœurs et en nos cors icy en terre au divin Sacrement de l'Eucharistie.

  A020000877 

 Voyci la question que vous me faites: Vostre cœur n'aymera-il pas le mien tous-jours et en toutes saysons? Et voyci ma response: O mon tres cher Frere, c'est une maxime de trois grans amans, tous trois saintz, tous trois Docteurs de l'Eglise, tous trois grans amis, tous trois grans maistres de la theologie morale: saint Ambroyse, saint Hierosme, saint Augustin: Amicitia quæ desinere potuit, nunquam vera fuit..

  A020000902 

 Ce porteur, le sieur d'Areres, mon proche voysin et grand ami, allant pour voir, s'il peut, la fin d'un affaire qu'il a devant la cour, je l'accompaigne de ma tres humble supplication, que je vous fay, de le proteger en son bon droit qui ne m'est pas moins cher que si c'estoit le mien propre, pour l'obligation d'amitié que je luy ay.

  A020000919 

 Puysque la Sainte Mayson n'employe pas a present les outilz qu'ell'a pour un martinet, et que mesme les Peres Chartreux ne s'en servent point, je vous prie de les faire prester a mon frere de Thorens, qui fait dresser maintenant un martinet.

  A020000937 

 Je ne vous dis point l'amour plus que paternel, certes, que mon cœur a pour vous, ma tres chere Fille, car je pense que Dieu mesme qui l'a creé vous le dira; et s'il ne le vous fait entendre, il n'est pas en mon pouvoir de le faire.

  A020000937 

 Mais pourquoy vous dis je cela? Parce, ma tres chere Fille, que je ne vous ay pas escrit si souvent que vous eussies peut estre desiré, et que quelquefois on fait jugement des affections plus par les feuilles de papier que par les fruitz des veritables sentimens interieurs, qui ne paroissent qu'es occurrences rares et signalees, et qui sont plus utiles..

  A020000938 

 Vous desires que s'il n'est pas entre nos mains, on envoye vistement pour en avoir un pareil de Romme.

  A020000939 

 Jusques a quand sera ce, ma tres chere Fille, que vous pretendres d'autres victoires sur le monde et l'affection a ce que vous y pouves avoir, que celles que Nostre Seigneur en a remportees et a l'exemple desquelles il vous exhorte en tant de façons? Comment fit-il, ce Seigneur de tout le monde? Il est vray, ma Fille, il estoit le Seigneur legitime de tout le monde: et plaida il jamais pour avoir seulement ou recliner sa teste? On luy fit mille tortz: quel proces en eut il jamais? devant quel tribunal fit il jamais citer personne? Jamais, en verité, ains non pas mesme il ne voulut citer les traistres qui le crucifierent devant le tribunal de la justice de Dieu; au contraire, il invoqua sur eux l'authorité de la misericorde.

  A020000942 

 Mays escoutes, ma Fille, escoutes le sentiment et le conseil de cet homme qui ne vivoit plus en luy mesme, mais Jesus Christ vivoit en luy: Pourquoy, adjouste il, pourquoy n'endures vous pas plustost qu'on vous de fraude? Et notes, ma Fille, qu'il parle non a une fille qui aspire d'un air particulier, et apres tant de mouvemens, a la vie parfaitte, mais a tous les Corinthiens; notes qu'il veut qu'on souffre le tort; notes qu'il leur dit qu' il y a de la coulpe pour eux de plaider contre ceux qui les trompent ou defraudent.

  A020000942 

 Notes de rechef, dit saint Augustin, la leçon de Nostre Seigneur: il ne dit pas: A qui te veut oster une bague, donne luy ton carcan, qui sont l'un et l'autre superflus; mais il parle de la tunique et du manteau, qui sont choses necessaires.

  A020000943 

 Mais, ce me dira la prudence humaine, a quoy nous voules vous reduire? Quoy? qu'on nous foule aux pieds, qu'on nous torde le nez, qu'on se joue de nous comme d'une marotte, qu'on nous habille et deshabille, sans que nous disions mot? Ouy, il est vray, je veux cela; et si, je ne le veux pas moy, ains Jesus Christ le veut en moy.

  A020000944 

 Ce n'est pas tout a coup, certes; car des que j'eus la grace de sçavoir un peu le fruit de la Croix, ce sentiment entra dans mon ame et n'en est jamais sorti.

  A020000944 

 Je ne fay pas l'examen de conscience, mais, selon que je voy en gros, je croy que je dis vray; et tant plus inexcusable suis-je..

  A020000944 

 Que si je n'ay pas vescu conformement a cela, ç'a esté par foiblesse de cœur, et non par sentiment; le clabaudement du monde m'a fait faire exterieurement le mal que je haïssois interieurement.

  A020000946 

 Mais en fin, que vous veux je dire? J'escris avec impetuosité cette lettre que j'ay esté forcé de faire a deux fois; et l'amour n'est pas prudent et discret, il va de force et devant soy.

  A020000946 

 Vous aves la tant de gens d'honneur, de sagesse, d'esprit, de cordialité, de pieté; ne leur sera il pas aysé de reduire madame de C. et madame de L. a quelque parti dans lequel vous puissies avoir une sainte suffisance? Sont elles des tigres, pour ne se laisser pas sagement ramener a la rayson? N'aves vous pas la M. N., en la prudence duquel tout ce que vous estes et tout ce que vous pretendes seroit tres bien asseuré? N'aves vous pas M. N., qui vous fera bien cette charité de vous assister [71] en cette voye chrestienne et paysible? Et le bon Pere [Binet] ne prendra il pas playsir a servir Dieu en vostre affaire, qui regarde a peu pres quasi le salut de vostre ame, et du moins tout a fait vostre advancement en la perfection? Et puis, madame de Chantal ne doit elle pas estre creuë? car elle est voirement, certes, je ne dis pas tres bien bonne, mais elle est encor asses prudente pour vous bien conseiller en ceci..

  A020000948 

 Certes, en somme, nous n'aymons pas les croix, si elles ne sont d'or, emperlees et esmaillees.

  A020000948 

 Il est vray, il est difficile a l'homme, mais non pas au Filz de Dieu, qui le fera en vous..

  A020000948 

 Mays si je n'estois pas Religieuse de clausure, ains seulement associee a quelque Monastere, je n'aurois pas dequoy me faire appeller Madame sinon par une ou deux servantes.

  A020000949 

 Mais n'est ce pas une bonne chose d'avoir le sien pour l'employer a son gré au service de Dieu? — Le mot a son gré fait l'esclaircissement de nostre differend.

  A020000949 

 Non, non, il n'est pas difficile a Dieu de faire autant avec cinq pains d'orge, comme Salomon avec tant de cuisiniers et de pourvoyeurs..

  A020000963 

 Que pense elle? Quatre vies des siennes ne suffiroyent pas pour terminer son affaire par voye de justice.

  A020000976 

 Je suis marri dequoy nous n'avons pas eu le bien de vous voir au Sinode, mais sur tout dequoy ça esté pour estre indisposé de santé..

  A020000998 

 Apres donq avoir invoqué son Saint Esprit, je vous dis que je ne voy nulle juste occasion en tout ce que vous me dites et que madame vostre mere me dit, pour laquelle vous devies violer le vœu que vous aves fait de vostre chasteté a Dieu; car la conservation des maysons n'est pas considerable sinon pour les princes, quand leur posterité est requise pour le bien publiq.

  A020001000 

 Au contraire, s'il est veritable que vous ruineries vos enfans et ce qui est a eux, et que vous vous ruineries vous mesme si vous vous chargies des affaires de vostre mayson paternelle, sans pour cela l'empescher de se ruiner, vous estes obligee, du moins par charité, de ne le faire pas; car a quel propos ruiner une mayson pour en laisser encor ruiner une autre, et donner des remedes contre un mal irremediable, aux despens de vos enfans? Si donq vous sçaves que vostre secours sera inutile au soulagement de monsieur vostre pere, vous estes obligee de ne l'y point employer au prejudice des affaires de vos enfans..

  A020001002 

 Et quand mesme vous incommoderies vos affaires pour contenter madame vostre mere, pourveu que ce ne fut pas avec trop de perte de vos enfans, encor me sembleroit il que vous le devries faire, pour le respect et l'amour que vous estes obligee de luy porter..

  A020001003 

 Et veritablement, ne vous voulant pas ranger a un second mariage, ni ne pouvant pas seconder le courage que je voy en cette dame a tenir grand train et portes ouvertes a toutes sortes d'honnestes conversations, je ne voy comme ce ne seroit pas plus a propos que vous demeurassies a part, n'y ayant rien d'esgal a la separation des sejours pour conserver l'union des cœurs entre ceux qui sont de contraires, quoy que bonnes humeurs et pretentions..

  A020001004 

 Oh! s'il eust pleu a Dieu que je vous eusse veuë a Lyon, que de consolation pour moy, et combien plus certainement et plus clairement j'eusse peu vous expliquer mon sentiment! Mais puisque cela n'a pas esté, je m'attendray a recevoir vos repliques, s'il vous semble que j'aye manqué a comprendre le fait que vous m'aves proposé, et je m'essayeray a reparer les manquemens.

  A020001032 

 Ayant receu le commandement de Vostre Altesse pour m'acheminer a la Sainte Mayson, je ne manqueray pas de me rendre a Thonon au premier jour, et de luy rendre compte de tout ce que j'y auray fait et treuvé, puisque je suis, de Vostre Altesse Serenissime,.

  A020001057 

 Bien qu'il semble qu'il n'importe pas beaucoup de sçavoir a qui les prieurés et abbayes que l'on veut unir appartiennent, puisque on ne pretend pas d'unir les portions des Abbés et Prieurs, ains seulement celles des moines, si est ce que, pour obeir a Son Altesse, je marque icy les noms des possesseurs des dittes abbayes et des prieurés: [82].

  A020001103 

 Et si Vostre Altesse l'a aggreable, tandis que son filz sera la, il employera les heures qui luy resteront apres ses affaires aux exercices convenables a sa condition, affin qu'a son retour il ne soit pas treuvé moins capable de l'honneur et du bonheur qu'il a d'estre tous-jours au service particulier de la personne de Vostre Altesse..

  A020001152 

 Je les tiendray tous-jours courtes, reservant beaucoup de [93] choses pour mettre au livre des Advertissemens, la briefveté estant requise en semblables affaires; et quand on escriroit trente ans, on n'empescheroit pas qu'il ne demeurast tous-jours quelque doute pour les espritz delicatz et barguignans.

  A020001191 

 En somme, tout se raccommode avec le tems et l'entremise des amis aupres de ce grand Prince, et je ne doute point qu'ainsy encor se remettront les affaires de tous les autres que Sa Grandeur avoit soubçonnés de ne luy estre pas si utiles serviteurs.

  A020001252 

 Mays premierement: l'eglise n'est pas entretenüe proprement, ni assortie des meubles convenables, par ce que lesditz prestres tirans un chacun son gage a part, il ny a pas dequoy fournir aux necessités communes, lesquelles ensuite sont negligees.

  A020001252 

 Quartement, le revenu de laditte Congregation n'est pas bien ramassé, parce que chascun y estant a gage particulier, nul ne fait le mesnage commun, ains donnent tout le bien a cense, et l'admodiateur gaigne une grande partie, de laquelle, par consequent, la Congregation est privee..

  A020001252 

 Secondement, l'Office des Heures canoniales n'y est pas fait avec la bienseance et devotion exterieure qu'il seroit requis, lesditz ecclesiastiques n'estans pas duitz et nourris a cela, ains seulement assemblés sous la condition des gages.

  A020001252 

 Tiercement, les maysons sont en mauvais estat, par ce que ladite Congregation n'en a point de soin, et ce, dautant [101] que tout le revenu d'icelle s'employe a l'entretenement des personnes et payement des gages; de sorte que l'argent de Son Altesse manquant, il ny a pas ou prendre les commodités requises aux reparations.

  A020001254 

 Et neanmoins, il est gentilhomme de bon lieu et duquel la parentee a beaucoup souffert pour le service de Son Altesse; il est tres homme de bien et bon ecclesiastique, mais non pas propre pour la charge des ames.

  A020001297 

 Mais comme il n'a pas l'âge pour être prêtre dans le courant de l'année, la dispense Apostolique lui est nécessaire; on l'espère en faveur des fondateurs ses prédécesseurs dont ce Barthélemy est issu.

  A020001309 

 Mais, ma tres chere [107] Fille, de mettre la main a vostre cœur et d'entreprendre de le guerir, il ne m'appartient pas, et sur tout le mien estant certes des plus affligés de toute nostre parentee, comme celuy qui cherissoit passionnement ce cher oncle, qui m'honnoroit reciproquement, avec beaucoup d'affection, de sa digne et aymable bienveuillance..

  A020001309 

 Mon cœur ayme trop le vostre, Madame ma tres chere Cousine, ma Fille, pour ne voir pas et ne sentir pas sa douleur en cette si recente et veritablement grande perte que nous venons tous de faire.

  A020001310 

 Je prie donq Dieu, ma chere Cousine, qu'il vous soulage luy mesme de sa sainte consolation, et qu'il vous face ramentevoir, en cette occasion, de toutes les resolutions qu'il vous a jamais donnees d'acquiescer en toutes occurrences a sa tressainte volonté, et de l'estime que sa divine Majesté vous a donnee de la tressainte eternité a laquelle nous devons esperer que la chere ame de celuy de qui nous ressentons la separation est arrivee; car, helas! ma chere Cousine, nous n'avons de vie en ce monde que pour aller a celle de Paradis, a laquelle nous nous avançons de jour en jour, et ne sçavons pas quand ce sera le jour de nostre arrivee.

  A020001310 

 Or sus, vostre pere est hors du pelerinage plein de tant de travaux; il est arrivé au lieu de son asseurance, et s'il ne possede pas encor la vie eternelle, il en possede la certitude, et nous contribuerons nos prieres a l'acceptation de son bonheur perdurable..

  A020001336 

 Mays ce pendant, monsieur de la Pesse m'ayant communiqué la prætention qu'il a de perseverer au service qu'il a exercé ci devant en vostre Conseil de ce pays, je me sens obligé de recommander a Vostre Grandeur sa tres humble supplication, non seulement par ce qu'il est fort homme de bien, mais par ce qu'il s'est tres affectionnement employé en sa charge en un tems difficile et pour des occasions esquelles on ne pouvoit pas nier qu'il ne fallut qu'il eüt du zele et du courage; et peut on dire que sans la fermeté et la diligence [111] de monsieur le collateral Floccard son beaufrere, et la sienne, le sieur Bonfilz, qui avoit une grande industrie et un grand support, ne fut jamais venu au compte auquel l'authorité de Son Altesse l'a reduit.

  A020001353 

 Ce porteur va de la part de M. de Chalcedoine et du Chevalier, mes freres, comme aussi de la mienne, pour vous offrir nostre service en cette occasion de la perte que vous aves faite, laquelle, comme elle est extreme, aussi nous la ressentons vivement avec vous; et ne laissons pas pourtant de vous prier de soulager vostre cœur de tout vostre pouvoir, en consideration de la grace que Dieu vous a faite, et a tous ceux qui ont le bien de vous appartenir, vous ayant laissé la jouissance de ce bon pere a longues annees, ne l'ayant retiré qu'a l'aage apres lequel cette vie ne pouvoit plus guere durer sans beaucoup de peines et de travaux qui accompaignent ordinairement la viellesse..

  A020001365 

 Hé! que je desire que nostre vie ne vive pas en nous, mais en la vie de Jesus Christ Nostre Seigneur! Et que puis je desirer de mieux pour nostre cœur?.

  A020001368 

 Ouy, je dis qu'il faut tenir bon dans l'enclos de nos Regles et de nostre Institut, car Dieu ne l'a pas produit pour neant, ni ne l'a pas fait desirer en tant de lieux pour estre changé.

  A020001379 

 Il n'a pas tout a fait son air, mais seulement un peu, et la forme de son visage: si vous en desires un, je vous le feray faire par nostre peintre..

  A020001380 

 O que je fis une grande faute de ne pas faire mon profit de sa tres-sainte conversation! car elle m'eust tres volontier communiqué toute son ame; mays l'infini respect que je luy portois me retenoit de l'enquerir.

  A020001387 

 Je crains en fin, si nous demeurons ainsy sans dire mot, ma tres chere Fille, que vostre cœur n'apprenne petit a petit a me des-aymer, et certes je ne le voudrois pas, car il me semble que la chere amitié que vous aves [117] euë pour moy n'ayant pris ni peu prendre source que de la volonté de Dieu, il ne la faut pas laisser perir; et quant a celle que Dieu m'a donnee pour vostre ame, je la tiens tous-jours vive et imperissable en mon cœur..

  A020001400 

 Je suis grandement consolé de sçavoir que vous estes arrestee plus particulierement au service de Nostre Seigneur en la Mayson de sa tressainte Mere, en une condition que j'estime de grand proffit: J'ay choisi d'estre abject, dit le Prophete, en la mayson de mon Dieu, plus que d'habiter les tabernacles des grans, qui souvent ne sont pas si pieux..

  A020001411 

 Certes, vous estes grandement ma tres chere fille; or, penses donq si mon cœur n'est pas touché de tendreté sur l'apprehension que vous me tesmoignes par vostre derniere, du retour de nostre tres chere Mere de Sainte Marie en ce païs.

  A020001412 

 O que si cela estoit convenable, que volontier je desirerois de la voir un peu en ces desers! Mays il ne faut pas seulement [121] y penser.

  A020001412 

 Une chose vous puis je dire: que cette tant chere Mere differera sa venue jusques a l'extremité, quoy qu'elle soit grandement desiree et requise icy; mays nous nous promettons aussi que le tems estant venu, vous recevres doucement la separation de cette ame, laquelle ne sera pas une mort comme l'est la separation que l'ame fait de son cors, car le Saint Esprit, qui est la vie de nos cœurs, vous animera tous-jours de son saint amour, et vous tiendra de plus en plus unie a nous et nous a vous..

  A020001458 

 Or ne faut il pas croire, Madame, que l'amour des meres envers les enfans ne puisse estre de mesme; ains, il l'est d'autant plus librement qu'il semble qu'il le soit loysiblement, avec le passeport, ce semble, de l'inclination naturelle, et l'excuse de la bonté du cœur des meres..

  A020001459 

 Et en somme, je veux dire en un mot, que vous aves tant de puissance a mouvoir les cœurs, que le mien ayant sceu les traitz de vostre esprit, en estant tout espris, vous n'aves pas besoin d'estre aydee pour mouvoir celuy de madame de [Dalet] a tout ce qu'il vous plaira; m'asseurant qu'apres les forces de l'Esprit de Dieu, auquel il faut que tout cede, les vostres seront en toutes occurrences les plus grandes..

  A020001469 

 Si celuy qui doit porter ces lettres part, comm'il dit, demain de grand matin, certes, ma pauvre tres chere Mere, il n'y a pas moyen de vous envoyer les Constitutions jusques a la semaine suivante; car il faut que je les revoye, ayant des-ja, des le commencement, treuvé des fautes en l'escriture.

  A020001471 

 Je suis bien marry dequoy nostre fille a perdu son filz, et ne laisse pas pour cela d'esperer qu'elle portera plus heureusement ceux que Dieu luy donnera ci apres..

  A020001472 

 Quand il sera tems de vous envoyer un ecclesiastique pour vous accompaigner au retour, vous m'advertires, et je vous envoyeray ou M. Michel, ou M. Rolland qui a une affaire par dela, laquelle il pourroit peut estre bien faire en ce tems la, et vous serviroit bien au voyage pour tout le tems que vous desireries, puisqu'il n'est plus chanoine de Nostre Dame, ayant quitté cette place pour avoir plus de commodité de faire ce que je desire de luy; mays il ne faut encor pas faire bruit de ceci..

  A020001473 

 Nous attendons le P. [D.] Juste, pour Saint Laurent, et nous sçaurons ce que l'on devra attendre du Monastere de Turin; et en cas qu'on n'y aille pas, au moins si tost, on pourroit laisser davantage nostre grande Fille a Montferrand, ou l'employer ailleurs, sil estoit treuvé expedient..

  A020001474 

 Ces deux grandes Filles de Montferrand et d'Orleans sont un peu de l'humeur de leur Pere, elles sont un peu penchantes du costé de la condescendance et complaysance au parloir; mais il sera aysé de les moderer en bonne partie, car du tout, il ny a pas moyen.

  A020001475 

 Ma tres chere Mere, si vous connoissies qu'il fust plus utile que vous demeurassies la encor quelque tems, quoy que mes sens y repugnent, ne laisses pas de demeurer doucement, car je me plais a gourmander cet homme [128] exterieur; et j'appelle l'homme exterieur mon esprit mesme, entant qu'il suit ses inclinations naturelles.

  A020001479 

 Je suis de l'advis du P. Binet pour nostre seur de Gouffiez, et neanmoins je voudrois bien regaigner son cœur, car il me semble qu'elle n'en treuvera pas un qui soit plus pour elle que le mien; et il n'est pas bon d'abandonner les amitiés que Dieu seul nous avoit donnees.

  A020001479 

 Mais de l'inviter a venir, il ne le faut pas faire, si Dieu ne nous fait expressement connoistre qu'il le veuille; il luy faut laisser faire ce coup purement a luy, selon sa douce Providence..

  A020001496 

 Dieu soit loüé du contentement que vous aves de la suffisance qu'il vous a donnee! Et continues bien a luy en rendre graces; car c'est la vraye beatitude de cette vie temporelle et civile, de se contenter en la suffisance, parce que, qui ne se contente de cela ne se contentera jamais de rien, et, comme vostre livre dit (puisque vous l'appelles vostre livre), a qui « ce qui suffit ne suffit pas, rien ne » luy suffira jamais.

  A020001497 

 Qui dit qu'il a bruslé une mayson, il n'est pas requis qu'il die ce qui estoit dedans par le menu; ains suffit de dire s'il y avoit des gens dedans, ou s'il n'y en avoit point..

  A020001497 

 Qui dit: J'ay tué un homme, il n'est pas besoin qu'il die qu'il a tiré son espee, ni qu'il a esté cause de plusieurs desplaysirs aux parens, ni qu'il a scandalizé ceux qui l'ont veu, ni qu'il a troublé la ruë en laquelle il l'a tué; car tout cela s'entend asses sans qu'on le die; et suffit seulement de dire qu'il a tué un homme par cholere, ou de guet a pend par vengeance, qu'il estoit homme simple ou ecclesiastique: et puis, laisser le jugement a celuy qui vous escoute.

  A020001499 

 Ce qui vous estonne, c'est que vous voudries estre tout a coup telle qu'elle prescrit; et toutefois, ma tres chere Fille, cette mesme Introduction vous inculque que de composer vostre vie a ses enseignemens n'est pas la besoigne d'un jour, ains de toute nostre vie, et que nous ne nous devons nullement estonner des imperfections qui nous arrivent parmi les [132] exercices de nostre entreprise.

  A020001499 

 Ma Fille, la devotion n'est pas une piece qu'il faille avoir a force de bras: il faut voirement y travailler, mais la grande besoigne depend de la confiance en Dieu; il y faut aller bellement, quoy que soigneusement..

  A020001518 

 O mon Dieu, ma chere Mere, que j'ay esté ayse ce matin de treuver mon Dieu si grand que je ne pouvois seulement pas asses imaginer sa grandeur! mais puisque je ne le puis magnifier ni aggrandir, je veux bien, Dieu aydant, annoncer par tout sa grandeur et immensité.

  A020001523 

 Mon solliciteur dit que l'on a tort de recourir a Rome pour les choses esquelles on s'en peut passer, et des Cardinaux l'ont dit aussi: car, disent ilz, il y a des choses qui n'ont point besoin d'estre authorisees parce qu'elles sont loysibles, lesquelles quand on veut authoriser sont examinees diversement; et le Pape est bien ayse que la coustume authorise plusieurs choses qu'il ne veut pas authoriser luy mesme, a cause des consequences.

  A020001590 

 Et je ne doute point qu'il ne represente a Vostre Altesse, qu'entre tous les remedes par lesquelz on peut le mieux empescher la decadence de ce lieu de pieté, l'introduction des Peres de l'Oratoire seroit le plus propre, ainsy qu'estans a Tonon ensemblement nous l'avions jugé; dont j'ay des-ja donné advis [à] Vostre Altesse Serenissime, laquelle je supplie tres humblement de proteger tous-jours cette Sainte Mayson, comme un œuvre de grande qualité pour la gloire de Dieu et le lustre du nom de la serenissime Mayson de Son Altesse, de la main delaquelle est sortie cette piece de devotion, affin qu'elle ne [140] perisse pas, ou du moins qu'elle ne perde pas, faute de bon ordre, la grande reputation sous laquelle ell' a esté fondee contre l'heresie et pour l'accroissement de la sainte religion catholique..

  A020001610 

 Je ne croy pas que monsieur le Curé de Saint Paul vous face aucune sorte d'ennuy, puisqu'il n'y a point de Religion qui porte tant de respect aux curés que la vostre, ni qui ayt tant de convenance avec l'estat ordinaire de l'Eglise..

  A020001612 

 Je suis bien ayse aussi que vous aymies les boiteuses, les bossues, les borgnes et mesme les aveugles, pourveu qu'elles veuillent estre droittes d'intention; car elles ne laisseront pas d'etre belles et parfaites au Ciel.

  A020001620 

 Vostre lettre que M. Crichant m'a rendue m'est de grande consolation, ma tres chere Fille, estant ayse de voir que, comme je n'oublie point vostre cœur, il n'oublie pas nomplus le mien..

  A020001621 

 Ce n'est pas certes moy qui ay præfigé l'aage auquel il faut que les filles soyent Religieuses, ains le sacré Concile de Trente.

  A020001622 

 Apres l'enfant, Dieu ouvrira la porte a la mere; et il n'est pas defendu de cuire, au sacrifice, la brebis au lait de la brebiette..

  A020001652 

 Faites en seulement souvent de ces plaintes, ma tres chere Fille, affin qu'autant de foys que vous feres semblant de ne croire pas que vous estes ma tres particulierement tres chere fille, je proteste de mon costé que vous l'estes et le seres a jamais invariablement; car j'ay un extreme playsir a repeter cette verité..

  A020001652 

 Non, non, ma Fille, n'ayes pas crainte de me surprendre, j'entens tres bien vostre langage: vos plaintes ne sont pas aigres, ce sont des douceurs d'un enfant envers son pere; si elles sont apprestees au verjus, ce n'est que pour leur donner le haut goust.

  A020001669 

 Dieu a caché dans le secret de sa providence la marque du tems auquel il vous veut exaucer et la façon en laquelle il vous exaucera; et peut estre vous exaucera il excellemment en ne vous exauçant pas selon vos pensees, mais selon les siennes..

  A020001669 

 Et ne vous estonnes nullement si vous ne voyes pas encor beaucoup d'avancement, ni pour vos affaires spirituelles, ni pour les temporelles.

  A020001669 

 Tous les arbres, ma tres chere Fille, ne produisent pas leurs fruitz en mesme sayson; ains, ceux qui les jettent meilleurs demeurent aussi plus long tems a les produire, et la palme mesme cent ans, a ce qu'on dit.

  A020001700 

 Vous aves donq esté bien malade, puysque vostre cœur n'a pas peu dissimuler qu'il ne pouvoit pas donner asses de force a vostre cors pour aller a Bourges.

  A020001701 

 Si moins, je vous laisseray encor la en paix, quoy qu'avec quelque sorte d'impatience de vous revoir de deça, puisque, comme vous m'escrives, l'air de Paris ne vous est pas salutaire.

  A020001705 

 Je ne pense pas qu'il faille pour encor employer vostre argent en des chandeliers; j'en diray la rayson a M. Crichant, si je m'en resouviens tantost qu'il va partir..

  A020001706 

 M. Jantet ne part pas encor, et je reserveray a ce [152] tems-la d'escrire a beaucoup de dames ausquelles il ne m'est pas possible de faire response maintenant.

  A020001710 

 Je n'ay point veu madame de Royssieux, ni ne sçai pas ou elle est, bien que par la lettre de madame la Premiere il semble qu'elle ne soit plus a Dijon.

  A020001711 

 Il sembleroit bon que l'on mist es Constitutions que la Superieure puisse changer les officieres a son gré parmi l'annee, mais je n'ay pas eu le loysir de l'inserer: faites le, s'il vous plait, a l'endroit le plus convenable..

  A020001713 

 Il ne tiendra pas a moy que je ne soys longuement vieux..

  A020001713 

 Nous vivons de regie quant au manger, et je n'escris plus le soir, parce que mes yeux ne le peuvent pas porter, ni certes mon estomach.

  A020001742 

 Je suis consolé de la consolation que vous prenes en la reception du tres divin Sacrement, mais je n'ay pas eu le loysir de parler au bon P. Recteur du desir que vous auries de communier plus souvent; et de plus, je n'eusse pas osé, n'estant pas la rayson que je donne la leçon a des si braves maistres.

  A020001758 

 Je vous envoye le Memoire requis pour retirer les fruitz que, par artifice, on veut celer appartenir a la cure [158] de Rumilly, et avec cela le double de la response que Monseigneur le Prince a fait a la lettre par laquelle je luy ramentevois le desir qu'il a eu de l'introduction des RR. PP. de l'Oratoire en l'eglise de ce lieu la; et lundi prochain je luy envoyeray les Memoires qu'il demande, affin quil ne tienne pas a moy que sa commission [d'] institution ne soit bien tost executee..

  A020001759 

 Je vous prie de saluer madame de la Flechere, qui m'excusera bien si je ne luy escris pas, n'en ayant nul loysir.

  A020001835 

 Et par ce que ma charge ne me permet pas d'y rendre mon devoir par ma presence, non plus que mon insuffisance d'y estre utile, je remercie en toute humilité Vostre Altesse dequoy elle aggree que l'un des enfans de feu mon frere entre au nombre des pages de Madame, pour apprendre en son enfance les premiers elemens de ce service auquel sa naissance l'oblige de faire l'employ de toute sa vie; tenant lieu d'une marque visible que Vostre Altesse me fait lhonneur de m'advouer,.

  A020001861 

 Il y a un peu de l'extraordinaire en l'action de cette fille, et peut estre encor en sa reception; mays ce n'est pas merveille qu'une eguille non engraissee, non distante, non frottee d'ail, non empeschee par le diamant, s'attache si promptement et si puissamment a son aymant.

  A020001874 

 Certes, je voudroys bien vous faire mention de ce que vous m'escrivites la derniere foys que vous pristes la peyne de me faire sçavoir de vos nouvelles; mays il ny a pas moyen..

  A020001875 

 La chere seur de Cernex fut icy l'autre jour et me dit qu'elle y vouloit prendre mayson; ce ne sera donq pas sans parler de vous.

  A020001891 

 Dieu sçait pourquoy il permet que tant de bons desirs ne reuscissent pas qu'avec tant de tems et tant de peyne, et que mesme quelquefois ilz ne reuscissent point tout a fait.

  A020001905 

 Il ny a pas grande ceremonie a faire la reverence a Monseigneur le Prince pour le filz, puisque [171] il n'a rien pour le present a traitter avec luy.

  A020001906 

 Le Pape commit la dispense de M. de Cormand a l'Officiai de Belley; mais je ne croys pas qu'aucun prestre l'ayt celebré dans mon diocæse sans qu'il m'en ayt adverti.

  A020001922 

 Il ny a remede, ma tres chere Fille, il faut suivre les loix du monde, puisque on y est, en tout ce qui n'est pas contraire a la loy de Dieu..

  A020001922 

 Mais maintenant il faut que je me courrouce un peu [172] avec vous, par ce que mon neveu n'est pas habillé convenablement ni a sa qualité, ni au service auquel il est; et outre que cela luy detraque l'esprit, voyant tous ses compagnons beaucoup mieux que luy, cela est blasmé par ses amis, desquelz quelques uns m'en ont parlé avec zele.

  A020001928 

 Je ne sçai pas encor quand il partira..

  A020001939 

 Mais je suis marry de l'allarme que vous aves prise pour l'estat de nos affaires de deça, qui, graces a Dieu, jusques a present n'a rien d'extraordinaire, sinon que ceux de Geneve, s'estant mis en extreme defiance, font contenance de se preparer a la guerre; mais on ne croid pas pourtant qu'ilz veuillent commencer, puisque s'ilz l'entreprenoyent sans le commandement du Roy, ilz seroyent tout a fait ruynés, et l'on ne peut se persuader que Sa Majesté les veuille porter a ce dessein: de sorte que nous [174] dormons les nuitz entieres, et fort doucement, sous la protection de Dieu..

  A020001941 

 Madame de Royssieu m'a dit que monsieur le premier President avoit quelque amertume contre moy a [176] rayson de ce qui s'est passé de la part de monsieur de Sauzea; en quoy, sil est vray, il a un tort tres grand, car non seulement je n'envoyay pas monsieur de Sauzea au Puis d'Orbe, mais, avec toute la dexterité qui me fut possible, je m'essayay de divertir la poursuite que l'on faisoit pour l'y attirer, comme sachant bien que son courage estoit trop fort et trop verd pour la conduite d'une telle Mayson que je voyois devoir estre conduite doucement et avec respect.

  A020001943 

 Je ne me resouviens pas d'avoir jamais veu cette dame qu'une fois chez madame de Guise, ou je ne luy parlay presque point, et un'autre fois chez monsieur de Montelon, ou je l'entretins environ une heure; mais je confesse la verité, que je treuvay son ame tellement a mon gré, que je ne puis ne la cherir pas et ne l'estimer pas autant qu'il m'est possible; et je luy escrirois fort volontier pour le luy tesmoigner, si ce n'estoit la pensee que j'ay que vous feres aussi bien cest office pour moy comme moy mesme, puisque vous connoisses mon cœur comme le vostre, lequel je vous prie de luy offrir avec mon tres humble service.

  A020001944 

 De sorte qu'a mon advis, Monsieur de Langres pourra prendre resolution sur cela, qui suffit es occasions de grande pieté qui tiennent lieu de necessité morale, et qui, a mon advis, n'a pas deu estre exprimé, pour eviter la censure de tant de gens qui ont tant de complaysance a contreroller semblables choses, selon le zele quilz se forment en leur rigueur..

  A020001944 

 Et a ce propos, ma tres chere Mere, je ne fay nulle difficulté que les Evesques et, en leur absence, les Peres spirituelz des Maysons de la Visitation, ne puissent, ains ne doivent charitablement faire entrer les dames en telles occurrences, sans quil soit besoin quelconque que cela soit [178] declaré dans les Constitutions, par la douce et legitime interpretation de l'article du Concile de Trente qui est mis en la Constitution De la Clausure, car on le pratique bien ainsy en Italie et par tout le monde, mesme pour des moindres occasions: car je vous laisse a penser, si l'on fait bien entrer des jardiniers, des jardinieres, non seulement pour l'ageancement necessaire des jardins, mais aussi pour les embellissemens non necessaires, ains seulement utiles a la recreation, comme sont les berceaux, les palissades, les parterres, les entrees de telles gens estant jugees necessaires non par ce que ce quilz font soit necessaire, ains seulement par ce que ces gens la sont necessairement requis pour faire telle besoigne, si nous ne pourrons pas justement estimer l'entree des dames desolees par quelque evenement inopiné estre necessaire, quand elles ne peuvent pas aysement treuver hors du monastere les soulagemens et consolations si convenables.

  A020001952 

 M me de Villeneuve ne m'escrit nullement de l'affaire de nostre chere Seur Helene Angelique, ni de rien qui en approche; mais M. Crichant m'escrit bien que monsieur et madamoyselle d'Interville desireroyent extremement que vous fussies presente a la Profession de cette tres chere fille, a la consolation de laquelle je ne sçay ce que je ne voudrois pas contribuer.

  A020001953 

 Certes, et moy aussi desirerois bien fort de revoir la bonne madame la Presidente Amelot, mais je ne le desire pas pourtant, puisque je ne voy rien qui me puisse [182] faire esperer ce contentement en ce monde; il faudra donq attendre apres cette vie.

  A020001964 

 Avec mille actions de graces de la peine que vous aves prise a m'escrire, je vous diray pour response, qu'estant [183] a Paris, je ne voulus jamais acquiescer au desir que Madame de Port Royal me tesmoigna de se retirer de l'Ordreauquel elleavoit si utilement vescu jusques alhors, et veritablement, je n'apportay en ce païs non pas mesme aucune cogitation de cela; mais, coup sur coup, je receu par lettres force bonnes remonstrances par lesquelles elle m'excitoit a treuver bonnes ses pensees et appreuver ses souhaitz.

  A020001964 

 Je m'abstins donq de la conseiller, et luy escrivis que, puisque son cœur ne treuvoit pas du repos en tout ce que je luy avois dit et escrit, elle pourroit faire faire la sollicitation de ce qu'elle desiroit.

  A020001966 

 Je confesse bien que j'ay une particuliere dilection pour l'Institut de la Visitation; mais madame de Chantal, vostre chere fille et la mienne, vous dira que pour cela je ne voudrois pas avoir fourvoyé la plus excellente creature du monde et la plus accreditee, de sa juste vocation, encor qu'elle deut devenir sainte canonizee en la Visitation.

  A020001966 

 L'inconstance des filles est a craindre, mais on ne peut pas deviner; et la constance en celle cy est esgalement, ains advantageusement, a bien esperer..

  A020001989 

 Monsieur, il y a la un fort honneste advocat de ce païs, [186] nommé M. Monet, qui a quelque envie de pouvoir, es occasions, entrer au service de Monseigneur de Nemours es offices de robbe longue; en quoy je confesse qu'il ne suit pas mon sentiment, car il y a trop d'agitations en ce tems ci; mays il est mon ami, et je le sers selon son goust, vous suppliant, en ce qui se pourra bonnement faire, de le favoriser..

  A020002004 

 Or sus, bien que vostre grossesse vous incommode un peu sensiblement tous deux, ma fille qui la sent, et mon tres cher frere qui la ressent, il me semble toutefois que je vous voy tous deux avec deux cœurs si contens et si courageux a bien servir Dieu, que ce mal mesme que vous sentes et ressentes vous console; comme marque que, n'ayant pas exemption entiere de toute affliction en ce monde, vostre parfaite felicite vous est reservee au Ciel, ou je m'asseure que vous aves vos principales pretentions..

  A020002021 

 Je ne manqueray pas de respondre a tous les articles que vous m'aves envoyé, au premier loysir que j'en auray, vous remerciant tres humblement des bonnes nouvelles que vous m'envoyes des Seurs de Valence, ausquelles je souhaitte toute sainte consolation.

  A020002023 

 Et pour le point duquel vous m'escrives, de la reception au voyle noir de ceste Novice, il me semble que vous deves humblement et respectueusement accepter la permission que monsieur de Saint Nizier vous donne, puisque, comme vous m'escrives, la chose a esté arrestee du temps de monsieur l'Abbé de Mauzac; sinon que l'occasion se presentast de procurer que Monseigneur l'Archevesque en escrivist ou a monsieur de Saint Nizier ou a vous, lequel M. de Saint Nizier, peut estre, ne veut pas assister cest'action seulement en consideration de ce qu'elle n'a pas esté arrestee de son temps.

  A020002040 

 Nostre Mere ne peut encor pas bonnement partir de Paris; or, vous estes sa seconde en l'Institut, et sa premiere fille: nous ne voyons pas moyen de vous exempter de la peine de cette fondation.

  A020002040 

 Or je ne vous plains pas, car c'est un grand bien de travailler beaucoup pour Dieu; mais je plains nostre tres chere madame de Dalet, qui peut estre en souffrira dans son cœur, et je la cheris et honnore si fort, que cela me fait bien de l'apprehension.

  A020002063 

 Mais ses amis et parens ayant desiré que je vous le recommandasse, je le fay volontier, avec esperance que vous ne le prendres pas a importunité, puisque cette mienne recommandation, comme toutes les miennes, se fait tous-jours avec la condition et reserve que vous n'en ayes aucune incommodité..

  A020002075 

 Selon vostre lettre, ma tres chere Fille, du 14 e novembre, nous avions des-ja pensé de choisir icy une Superieure pour Valence; mais Dieu soit loué dequoy pour maintenant vous n'en aures pas besoin, puisque par sa [193] misericorde celle qui y est est hors de danger, ainsy que vous nous escrives du 19 de ce mesme moys; et je suis grandement consolé de ce que vous me dites, qu'elle et ses compaignes sont si bien disposees a souffrir pour Nostre Seigneur, qui ne leur aura pas donné ce courage qu'avec plusieurs autres vertus.

  A020002077 

 Les verités de la foy sont quelquefois aggreables a [194] l'esprit humain, non pas seulement parce que Dieu les a revelees par sa parole et proposees par son Eglise, mais parce qu'elles reviennent a nostre goust, et que nous les penetrons bien, nous les entendons facilement, et sont conformes a nos inclination s. Comme, par exemple: qu'il y ayt un Paradis apres cette vie mortelle, c'est une verité de la foy que plusieurs treuvent bien a leur gré, parce qu'elle est douce et desirable; que Dieu soit misericordieux, la pluspart du monde le treuve fort bon et le croit aysement, parce que la philosophie mesme nous l'enseigne: cela est conforme a nostre goust et a nostre desir.

  A020002077 

 Or, toutes les verités de la foy ne sont pas de la sorte: comme, par exemple, qu'il y ayt un enfer eternel pour la punition des meschans, c'est une verité de la foy, mais verité amere, effroyable, espouvantable et laquelle nous ne croyons pas volontier, sinon par la force de la parole de Dieu..

  A020002078 

 Et maintenant, je dis premierement: que la foy nue et simple est celle la par laquelle nous croyons les verités de la foy sans consideration d'aucune douceur, suavité et consolation que nous ayons en icelles, par le seul acquiescement que nostre esprit fait a l'authorité de la parole de Dieu et de la proposition de l'Eglise; et ainsy nous ne croyons pas moins les verités effroyables que les verités douces et aymables.

  A020002080 

 Et c'est le mensonge auquel vivent tous ceux qui n'adherent pas avec simplicité et nudité de foy a la parole de Nostre Seigneur, mais qui veulent vivre selon la prudence humaine, qui n'est autre chose qu'une fourmiliere de mensonges et de vains discours.

  A020002080 

 Et vivre selon ces choses la, c'est vivre en mensonge, ou du moins en un perpetuel hazard de mensonge (mais vivre selon la foy nue et simple, c'est vivre en verité): ainsy qu'il est dit du malin esprit, qu' il ne s'arresta pas en la verité, parce qu'ayant eu la foy au commencement de sa creation, il s'en escarta, voulant discourir sans la foy sur sa propre excellence, et voulut faire le fin soy mesme, non selon la foy nue et simple, mais selon les conditions naturelles, qui le porterent a l'amour desmesuré et desreglé de soy mesme.

  A020002082 

 Je voy bien qu'il n'y aura pas loysir d'escrire a nostre Seur Colin; c'est pourquoy je vous prie de la saluer cordialement de ma part, et de me recommander a la [196] misericorde de Nostre Seigneur, puisque je suis de tout mon cœur, parfaitement et tout a fait invariablement tout vostre, qui salue toutes nos Seurs et M. Brun..

  A020002132 

 Et de plus encor, ilz ne sont pas exemptz de la jurisdiction des Evesques, ains demeurent en leur sujettion comme les curés; de sorte qu'on n'a pas besoin, en cas de desordre, de sortir du païs pour les ramener au devoir.

  A020002132 

 Il n'est pas croyable combien de peine cette petite trouppe ainsy composee m'a donné de peine (sic) des 20 ans en ça, a cause des continuelz proces et altercatz que les uns ont eu perpetuellement les uns (sic) avec les autres, avec un extreme scandale du peuple.

  A020002132 

 Or, par l'introduction des Peres de l'Oratoire, cette eglise demeure toute unie, et administree par un mesme esprit de paix et de douceur; car les Peres de l'Oratoire ne sont pas comme les autres Religieux, qui ne peuvent pas avoir la charge des parroisses.

  A020002134 

 Comm' aussi, le prieuré de Chindrieu depend de Cluni, et bien que le Prieur moderne n'ayt pas esté institué de la part de monsieur de Cluni, ça esté par une grace speciale que fit le Pape Clement a ce jeune gentilhomme, qui estoit lors un enfant, a ma remonstrance et supplication, en consideration de la mort du pere qui mourut a moytié martir dans Geneve; en faveur dequoy Sa Sainteté se contenta de donner ce morceau de pain en commende, pour cette fois tant seulement..

  A020002148 

 Mais Dieu est bon, il void la grandeur de ma charge et la vanité de mes forces; c'est pourquoy je dis comme saint Ambroyse: Je ne crains pas d'une crainte qui oste le courage, par ce que j'ay un bon Maistre..

  A020002156 

 Helas! ces pauvres meres temporelles ne regardent pas asses leurs enfans comme ouvrages de Dieu, et les regardent trop comme enfans de leur ventre; elles ne les considerent pas asses comme enfans de la Providence eternelle et des ames destinees a l'eternité, et les considerent trop comme enfans de la production temporelle et propres au service de la republique temporelle.

  A020002156 

 Je compatis infiniment a cette bonne dame; elle n'est que de trop bon naturel, ou du moins, son bon naturel n'est pas asses dompté par le surnaturel en elle.

  A020002159 

 [Je ne treuve non plus rien a redire pourquoy l'autre fille ne doive estre receuë, je dis tres amoureusement.] O quand les filles ont le cœur bon et le desir bon, encor qu'elles n'ayent pas ces grandes ardeurs de resolution, il n'importe.

  A020002170 

 Il ne faudroit pas vous avoir au milieu de mon cœur, ma tres chere Fille, pour ne pas avoir avec vous part a vos afflictions; mays il est tout vray, qu'estant ce que je vous suis, et a vostre mayson, je compatis grandement a toutes vos afflictions, et de madame de la Baume, vostre seur.

  A020002230 

 Me treuvant dans ces bonnes festes environné de mille affaires, il ne m'est presque pas bien possible de vous aller visiter, ma tres chere Fille.

  A020002244 

 Je suis bien ayse que nos Filles de Sainte Marie soyent [213] en leur monastere; ce ne sera pas un petit attrait a plusieurs ames pour se retirer du monde, puisque l'on est si miserable en ce siecle que l'on ne regarde pas tous-jours le celeste Espoux au visage, ains a ces ageancemens exterieurs, et que souvent nous estimons les lieux plus devotieux que les autres, a cause de leur forme..

  A020002256 

 Et bien que vous ayes veu que, nonobstant toutes vos resolutions, [214] vous estes demeuree engagee en vos imperfections, vous ne deves pas pour cela laisser d'entreprendre un bon amendement, et l'appuyer sur l'assistence de Dieu.

  A020002268 

 Mais neanmoins, j'ayme les ames independantes, vigoureuses et qui ne sont pas femelles; car cette si grande tendreté brouille le cœur, l'inquiete et le distrait de l'orayson amoureuse envers Dieu, empesche l'entiere resignation et la parfaitte mort de l'amour propre.

  A020002312 

 Si nous avons une fille, par exemple, que la prudence humaine dicte devoir estre colloquee en Religion pour quelques raysons de l'estat de nos affaires, or sus, nous dirons en nous mesmes (je ne dis pas devant les hommes, mais devant Dieu): O Seigneur, je vous veux offrir cette fille, parce que, telle qu'elle est, elle est vostre; et bien que ma prudence humaine m'incite et incline a cela, si est ce, Seigneur, que si je sçavois que ce ne fust pas aussi vostre bon playsir, malgré ma prudence inferieure je ne le ferois nullement, rejettant en cette action ladite prudence que mon cœur sent, mays a laquelle il desire ne [222] point consentir, et embrassant vostre volonté que mon cœur n'apperçoit pas selon son sentiment, mais a laquelle il consent selon sa resolution..

  A020002313 

 Et a chaque pas, presque, il nous faut faire la resignation que Nostre Seigneur nous a enseignee: Non ma volonté, mais la vostre, o Pere eternel, soit faite.

  A020002313 

 Nous ne sommes pas plus saintz que l'Apostre saint Paul, qui sentoit deux volontés au milieu de son ame: l'une qui vouloit selon le viel homme et la prudence mondaine, et cette cy se faisoit plus sentir; et l'autre qui vouloit selon l'esprit de Dieu, et celle cy estoit moins sensible, mais laquelle pourtant dominoit, et selon laquelle il vivoit; dont d'un costé il s'escrioit: O moy miserable homme, qui me delivrera du cors de cette mort? et d'autre part il s'escrioit: Je vis, non plus moy mesme, mais Jesus Christ vit en moy.

  A020002327 

 De mesme aussi, comme chaque seigneur et chaque gentilhomme est un petit monarque en sa mayson, ilz ne doivent pas s'oublier de ces paroles de l'Apostre: Vous qui estes maistres, faites a vos serviteurs ce qui est juste et convenable, vous souvenans que vous aves un autre Maistre au Ciel et des Rois sur la terre, de qui vous dependes.

  A020002327 

 Ilz ne doivent donq pas faire chez eux comme des lions, et revolter leurs domestiques, et opprimer leurs serviteurs; mais leur pieté doit estre genereuse, et leur courage plein de clemence et de bonté.

  A020002368 

 Trois jours avant l'arrivee en cette ville de ce bon Frere hermite que je treuve bien a mon gré, j'eus des-ja quelque advis de cette fascheuse affaire qu'il m'a communiquee de vostre part; et comme apres avoir eu une bonne impression d'une personne qualifiee, j'ay beaucoup de difficulté a m'en desprendre, je ne permis pas a cette relation si mauvaise d'entrer dedans mon esprit, ains je l'arrestay a la porte, suyvant l'ancien advis:.

  A020002374 

 Voicy mon advis: Premierement, puisqu'ainsy que me dit ce porteur et que vostre lettre me signifie, la calomnie n'est pas encor entree dans la foule du peuple, et qu'au contraire les plus apparens et les plus dignes juges des actions humaines de ce païs la sont tout a fait resolus en l'opinion de vostre probité, je prefere la dissimulation au ressentiment; car nous sommes au cas de l'ancien sage:.

  A020002378 

 Neanmoins, il faudroit oster de devant les yeux des malins tout ce qui les peut provoquer et qui n'est pas du service de Dieu..

  A020002389 

 L'ennemy, qui a veu que c'estoit tout de bon que ce petit Institut s'augmentoit pour la gloire de Dieu, a suscité cette bourrasque, et encor une autre contradiction de la part de certaines servantes de Dieu, que j'honnore infiniment; et croy que leur rare pieté ne leur permettra pas de vivre longuement sans se remettre sur le train d'une pure et simple dilection de Dieu et du prochain.

  A020002390 

 Sa divine Bonté nous veuille a jamais defendre de la prudence et sagesse, et des saillies de l'esprit humain, et nous face tout a fait vivre en la suite de l'esprit du saint Evangile, qui est simple, doux, amiable, humble, et qui ayme le bien en tous, pour tous, et par tout ou il est; et qui nous fait tellement aymer nostre vocation que nous n'en aymons pas moins les autres, et qui nous fait parler avec veritable sentiment d'honneur, de respect et d'amour de tout ce que Dieu veut estre en son Eglise pour le bien de ses enfans et pour son service..

  A020002405 

 Mondon, present porteur, est veritablement l'un de ceux la, grandement vexé pour le crime d'autruy, ains pour le fait d'autruy qui n'est pas tout a fait crime, ainsy que Vostre Grandeur, Monsieur, pourra mieux discerner que nul autre, sil vous plait d'oüir le discours de cet accident.

  A020002420 

 Ce pendant l'œil de la Providence eternelle, qui regarde vostre cœur, ne laissera pas de vous tenir au nombre de ses espouses, puisque si vous n'estes pas encor Religieuse par effect vous l'estes en affection, et ne differes de l'estre que pour l'estre mieux..

  A020002434 

 Il faut que je vous die naivement et comm'a vous, que je n'ay nulle authorité es Maysons qui ne sont pas en mon diocsese, ni sur les personnes, ni sur les dependences, ormis sur les Seurs qui sont sorties d'icy, qui, selon leurs vœux et la reciproque obligation qu'elles ont a ce Monastere duquel elles sont tous-jours, et le Monastere envers elles pour les recevoir a toutes bonnes occurrences, demeurent tous-jours membres inseparables de cette Mayson, delaquelle elles ne sont nullement privees, puisque elles n'en sont point dehors sinon par obeissance et selon l'Institut..

  A020002438 

 Mays j'appreuverois merveilleusement que l'on ne se hastat pas tant de faire le Monastere de Riom, non seulement pour donner du tems aux autres Institutz des filles, Carmelites, Urselines et autres qui y sont, mays principalement pour en donner a vostre Monastere de Montferrant de se bien establir, sur tout en personnes; car c'est cela que j'apprehende en toutes les fondations, qu'elles ne se facent sans filles bien formees et solides [238] en cette vertu religieuse que l'Institut requiert autant ou plus qu'aucun autre Institut qui soit en l'Eglise, puisque dautant plus qu'il y a moins d'austerité exterieure il faut quil y ayt de l'esprit interieur.

  A020002439 

 Je croy que nostre Mere ira la; et avec ces dames [239] du païs et elle, vous pourres prendre meilleur advis par l'opinion de vos bons Peres spirituelz que vous aves-la, et vos amis, que non pas par la mienne qui ne void pas des icy ce qui pourroit estre plus a propos.

  A020002441 

 Et certes, il n'est pas convenable que l'on engage ces si jeunes filles a l'habit, car il y [a] bien plus de peine a oster l'habit a une fille qu'a la renvoyer avant qu'elle l'ayt (sic) pris l'habit..

  A020002442 

 Je ne voy pas quil y ayt aucun inconvenient que madame de Dalet entre es monasteres de cette province-la; au contraire, il me semble que la gratitude et bienseance requierent qu'elle y entre..

  A020002443 

 Je treuve que c'est une grande Providence de Dieu que [240] les Supperieurs, en ce commencement, ne soyent pas trop empressés de vostre conduite; elle se fera plus suavement par les advis des amis que vous employerés..

  A020002456 

 Bien que je n'eusse pas eu le bonheur de vous connoistre quand j'eu la premiere nouvelle de vostre desplaysir, si [241] est ce que je ne laissay pas d'estre vivement touché de compassion pour vostre cœur, m'imaginant combien forte avoit esté cette inopinee secousse; et si mes souhaitz eussent esté autant pleins d'efficace comm'ilz le furent d'affection et de tendreté, je croy que des lors vous eussies ressenti quelque sorte de veritable alegement.

  A020002459 

 Regardes bien a l'eternité a laquelle vous tendes; vous treuveres que tout ce qui n'appartient pas a cette infinie duree ne doit point mouvoir nostre courage.

  A020002518 

 Je ne sçay pas bonnement combien il y a de Moulins a Montferrant, mais si cela est asses commode, je pense que ce seroit de la consolation a ces filles que vous allassies prendre leur Superieure pour Dijon, laquelle, comme je prevoy, il y aura peine de tirer, selon que vous verres par la lettre qu'elle m'escrit, ci jointe.

  A020002520 

 Et partant, il faut bien advertir cette chere fille qu'elle n'use pas de la vivacité de son esprit pour repliquer et respondre, et qu'au moins en cela elle suive l'Institut de la Visitation.

  A020002520 

 J'ay veu l'histoire de la consultation faite pour nostre tres chere fille madame de Port Royal, sur laquelle il n'y a rien a dire sinon que je voy un examen merveilleusement ponctuel, en ce que on y a pensé que, [à cause de] la longueur du tems et [de] la multitude des actions de superiorité, nonobstant la protestation et le continuel [249] desadveu interieur, cette fille soit tellement obligee de demeurer qu'elle ne puisse pas faire autrement; car bien que cela soit probable en terme de conscience, si est ce que cela n'est pas advoüé de tous, et de plus, le Pape en peut dispenser.

  A020002521 

 Si vous sçavies, ma chere Mere, combien il m'arrive de destours en cette ville du depart de M. Rolland, vous ne series pas estonnee si je n'escris pas aux cheres ames que la mienne et la vostre ayment tant.

  A020002530 

 Je ne dis pas, ma Fille, que vous soyes flatteuse, cajoleuse et rieuse, mays douce, suave, amiable, affable.

  A020002543 

 Je le dois, je le sçai bien: aussi ne le vous dis je pas, ma tres chere Fille, pour m'en vanter, mays pour la complaysance que j'ay a le penser, et a croire que je vous fay playsir de vous en asseurer.

  A020002543 

 Mays seroit il bien possible que je ne luy donnasse pas cette petite marque visible de la verité du desir que j'ay de vivre invisiblement en vostre chere ame, Madame ma chere Commere et ma Fille tres aymee? Je ne cesse point, je vous asseure, et ne celebre jamais le saint Sacrifice que je ne presente vostre cœur a Dieu, et n'invoque sa protection et faveur sur vostre chere famille.

  A020002559 

 Si faut il pourtant que je vous die que rien ne me pouvoit estre plus doux et aggreable en vostre lettre, que la bonne nouvelle que vous me donnés de la favorable souvenance que Monseigneur l'Evesque d'Orleans a de moy; et bien que je sache que ce bien provienne de son bon naturel, qui est franc et genereux, si ne laisse je pas de le reconnoistre de Dieu, qui, m'ayant donné une singuliere affection envers ce Prælat, a voulu quil y eut en luy cette aggreable correspondance et qu'il eut une bonne inclination pour moy.

  A020002560 

 Nostre chere et cordiale Seur Prieure des Carmelites recevra, je m'asseure, le chapelet et ma lettre par monsieur Jantet, a qui, si je m'en souviens bien, je remis le tout; et n'estant pas encor parti de Beley, ce n'est pas merveille si ni elle ni vous ne l'aves encor pas receu.

  A020002589 

 Que vous puis je dire en cette occasion, ma tres chere Fille, sinon qu'entre les consolations que j'attens bien grandes de revoir nostre bonne Mere, celle de l'ouyr parler de vostre cœur en est une? Mais je ne veux pas dire, pourtant, que je veuille attendre son retour pour en apprendre des nouvelles, de ce cher cœur.

  A020002602 

 Je pense que ces filles ainsy faites n'eussent pas esté bonnes pour celebrer le mystere du jourd'huy, car si Nostre Dame leur eust donné Nostre Seigneur entre leurs bras, jamais elles ne l'eussent voulu rendre; mais saint Simeon tesmoigne bien que, selon son nom, il avoit la parfaite obeissance, recevant cette douce charge si doucement et la rendant si joyeusement..

  A020002615 

 Je suys tous-jours attendant les despeches necessaires pour remettre l'eglise de Rumilly entre les mains des Peres de l'Oratoire, bien en peyne dequoy je n'ay plus que seze jours de loysir pour disposer de la cure vacante, apres quoy elle vaquera en Cour de Rome, sans que j'y puysse plus mettre la main; et c'est sans doute qu'il ne manquera pas d'impetrans, qu'il sera par apres malaysé de ranger au salutaire dessein de Vostre Altesse..

  A020002616 

 Que si Elle me permet de joindre a cette remonstrance un mot pour la Mayson de Thonon, je luy diray qu'elle n'a pas moins besoin de la venue des mesmes Peres de l'Oratoire que l'eglise de Rumilly, par ce que, sans cela, tout ce qui regarde l'eglise de Nostre Dame et les bastimens qui en dependent s'en va ruiné, ainsy que messieurs les deputés de la Chambre ont reconneu et ont tesmoigné a Vostre Altesse, la providence et pieté delaquelle je reclame en toute humilité, qui suis,.

  A020002632 

 Je respons a nostre chere Seur Superieure de Montferrant sur ce que vous me proposes par vostre lettre, bien marri que, pour ce qui regarde sa personne, je ne puis pas seconder le desir de madame de Chazeron; car, quant au vostre, Madame, je sçai bien les limites dans lesquelles vous le contenes affin que le service de Dieu soit en toutes occasions purement prattiqué: c'est pourquoy je ne vous fay point d'excuse..

  A020002634 

 Ma tres chere Fille, les suggestions de vantance, ouy mesme d'arrogance et outrecuydance, ne peuvent nuire a une ame qui ne les ayme pas, qui tous les jours dit souvent a son Dieu, avec le Roy David: Seigneur, je suis fait comme un néant devant vous, et je suis tous-jours [267] avec vous.

  A020002647 

 J'attens demain ou passé demain des nouvelles de M. de Saunaz, et au cas qu'il ne vienne pas, je prie M. Billet [268] de venir prendre la cure, pour la garder jusques a ce que le Pape ou moy en disposions autrement.

  A020002661 

 Quant aux papiers que vous avés desirés de mes freres pour les affaires qu'ilz ont eü avec feu monsieur de Treverney, puisque ilz ne les treuvent pas, il vous plaira d'en faire dresser telle declaration pour l'aquit que vostre conseil jugera convenable, et ilz la passeront; vous suppliant de croire que l'egarement a esté fait sans dol ni dessein, par seule inadvertence.

  A020002714 

 J'avoys pensé de vous escrire un'asses longue lettre, en response de celle que j'ay receüe de vous; mays puisque, comme monsieur le Baron de Vallon m'a dit, on a mis remede a tout ce que vous craignies, il ne me reste a vous dire sinon que tous-jours je feray tout ce que je pourray pour le bien de ce cher filz et le contentement de ma tres chere fille, sa mere, laquelle pourtant il faut que j'advertisse d'avoir soin de sa santé: car on me dit, certes de tres bon lieu et de tres bon cœur, que vous ne prenes pas asses de soulagement pour la conserver et que vous n'espargnes pas autant quil est necessaire vostre force et complexion, et, plus quil ne faudroit, les moyens.

  A020002714 

 Mays ce qui est l'importance, c'est qu'on me dit qu'on n'ose pas vous le dire.

  A020002738 

 Il ny a nulle difficulté qu'on ne puisse, ains qu'on ne doive recevoir madamoyselle de Pressin, ma tres chere Fille, si son esprit est appellé, ainsy que vous me dites; car encor bien qu'ell'eut fait promesse de mariage, et de plus encor, bien qu'ell'eut contracté et celebré le mariage en la face de la tressainte Eglise, pourveu qu'elle ne l'eut pas consommé, il est constant entre les docteurs tant des loix que de la theologie, qu'elle ne laisseroit pas de pouvoir entrer en Religion, et que par sa Profession elle rendroit le contract annullé et de nul effect.

  A020002738 

 Il se [276] faut arrester en cette affaire a la determination de l'Eglise, declaree par le Concile de Trente en ces motz: « Si quelqu'un dit que le mariage fait, appreuvé et confirmé, mais non pas consommé, n'est pas dirimé et annullé par la solemnelle profession de Religion, qu'il soit anatheme.

  A020002738 

 » De sorte, ma tres chere Fille, qu'en cela il ny a seulement pas aucune apparence de doute; et je vous ay ainsy marqué le Concile de Trente, affin que si vous voules conferer de cett'affaire avec quelqu'un, il n'ayt pas occasion de faire difficulté..

  A020002757 

 Nostre Pere Dom Eustache de Saint Paul me dit expres en sa lettre, que je vous addresse celle qu'il desire de moy, et je l'ay fait tout a fait tres volontier, puisque ainsy j'ay un juste sujet de vous saluer, protestant que je ne pretens pas le reciproque de vostre part tandis que vous estes en exercice de ceux auxquelz il fut dit: Neminem per viam salutaveritis..

  A020002788 

 Mais Dieu ne tire pas avec esgalité de motifz tous ceux qu'il appelle a soy, ains il s'en treuve peu qui viennent tout a fait a son service seulement pour estre siens et le servir..

  A020002790 

 Ceux qui furent contraintz d'entrer au festin nuptial de l'Evangile ne laisserent pas de bien manger et de bien boire.

  A020002790 

 Il est tout certain, ainsy que on raconte l'histoire, que cette pauvre fille de laquelle nous parlons, n'avoit pas asses de generosité pour quitter l'amour de celuy qui la recherchoit en mariage, si la contradiction de ses parens ne l'y eusse contrainte; mais il n'importe, pourveu qu'elle ayt asses d'entendement et de valeur pour connoistre que la necessité, qui luy est imposee par ses parens, vaut mieux cent mille fois que le libre usage de sa volonté et de sa fantasie, et qu'en fin elle puisse bien dire: Je perdois ma liberté si je n'eusse perdu ma liberté..

  A020002790 

 Il ne faut pas vouloir que tous commencent par la [282] perfection: il importe peu comme l'on commence, pourveu que l'on soit bien resolu de bien poursuivre et de bien finir.

  A020002792 

 Je dis qu'a mon advis, il ne faut pas l'esconduire tout a fait, si ell'est grandement desiree; mais pour le commencement, il faut gauchir et biayser le refus.

  A020002795 

 Quant a ce que le monde dira de cette vocation, il n'y faut faire nulle sorte de reflexion, car ce n'est pas aussi pour luy qu'on l'accepte.

  A020002796 

 Mais gardes vous bien de luy dire cette mauvaise pensee qui me vient en l'esprit; car, au reste, c'est une bien brave Seur que j'ayme parfaitement, parce que, comme je m'asseure, elle ne vit pas selon ses sentimens, ses aversions et inclinations, qui luy font desirer l'esclat et la gloire de son Monastere, ains plustost selon l'esprit de la Croix de Nostre Seigneur, qui luy fait perpetuellêment renoncer aux saillies de l'amour propre..

  A020002832 

 Si elles sont inspirees de faire un couvent de Chartreux, il ne faut pas qu'elles veuillent qu'on y face les escholes comme aux Jesuites; si elles veulent faire un college de Jesuites, il ne faut pas qu'elles veuillent qu'on y observe la solitude et le silence..

  A020002833 

 Si cette bonne dame, que vous ne me nommes point, veut faire un monastere de Religieuses de la Visitation, il ne faut pas qu'elle les charge de grandes prieres vocales, ni de plusieurs exercices exterieurs; car ce n'est pas vouloir des Filles de la Visitation.

  A020002834 

 De charger les Monasteres de la Visitation des pratiques qui divertissent de la fin pour laquelle Dieu les a disposés, je ne pense pas qu'il le faille faire.

  A020002835 

 Mais nous avons beau dire: Bienheureux sont les pauvres; la prudence humaine ne laissera pas de dire: Bienheureux sont les Monasteres, les Chapitres, les maysons riches.

  A020002847 

 Et par ce que nous vous envoyons ma Seur Paule Hieronime Favrot qui de jour a autre attendoit de faire la Profession, affin de ne l'envoyer pas novice nous la recevons a Profession ce mattin; et soudain la ferons partir avec les autres troys, puisque il ny a pas lieu dans la carrosse pour plus de filles que pour 4.

  A020002882 

 Dieu n'est il pas bon, ma tres chere Fille, d'avoir ainsy explané le chemin de la retraitte a cette chere ame, laquelle, comme vous sçaves, je ne connois pas; mais j'ay certain secret instinct pour elle, qu'il ne se peut dire combien elle m'est chere.

  A020002926 

 Monseigneur, Puysque ça esté l'intention de Son Altesse que la Sainte Mayson de Thonon servit de refuge a ceux qui, [300] de l'heresie, se convertiroyent a la sainte religion catholique, et que pour cela ell'a commandé par lettre expresse, et par mon entremise, encor, que, des revenuz d'icelle Sainte Mayson, fussent donnés cinquante escus d'or de pension annuelle au sieur de Corsier, gentilhomme bien nay qui, despuys sa conversion qu'il fit entre mes mains, a tous-jours vescu fort vertueusement en bon ecclesiastique, apres avoir perdu tous ses biens, il recourt a Vostre Altesse Serenissime, affin qu'il luy playse de luy faire effectivement joüyr de ce bienfait que la Sainte Mayson ne nie pas luy estre deu, mays qu'elle dit ne pouvoir payer, parce que les deniers que Son Altesse luy a assignés pour sa fondation manquent..

  A020002942 

 Je n'ose et ne doy pas aussi oser escrire a Vostre Altesse Reverendissime que pour des occasions pressantes..

  A020002960 

 Et les Constitutions, qui renvoye (sic) a un Pere spirituel, ne disent pas qu'il ny en ayt qu'un, mays seulement quil y en ayt un; mays, quand elles le diroit (sic), il faudroit doucement aquiescer a ce qu'un si grand et si favorable Prælat desireroit..

  A020002962 

 Je n'ose pas escrire a madame la Marquise de [304] Menelay si souvent; il suffit qu'ell'ayt aggreable que ce soit de tems en tems..

  A020003013 

 Les affaires qui se sont passees au Languedoc des quelque tems en ça m'ont osté les commodités de vous escrire si souvent comme je soulois et devroys faire; et bien qu'en cela il n'y ayt point de coulpe de mon costé, je ne laisse pas d'en sentir de la pœnitence, puisque veritablement ce m'est une tres grande consolation quand je puys me ramentevoir en vostre chere souvenance et vous rafraichir les offres de mon inviolable affection a vostre service.

  A020003014 

 Or, monsieur de Bellecombe est l'un des principaux suivans ordinaires de Son Altesse et son maistre d'hostel actuellement servant maintenant; chevallier que je regarde avec un honneur extreme, non seulement par ce qu'il est serviteur d'un si grand Prince et qu'il est de mes principaux amis, mais aussi par ce que veritablement il est plein de tant de vertu et de merite qu'il est impossible de le connoistre et ne l'affectionner pas ardemment.

  A020003031 

 Je confesse, ma tres chere Fille, que je ne suis pas satisfait de vous avoir si peu veuë, mais je le suis grandement de vous avoir si bien veuë, puisque j'ay veu vostre cœur bienaymé et, au milieu de vostre cœur, nostre cher Redempteur qui y a rallumé le feu sacré de son amour celeste.

  A020003032 

 Je le veux bien, ma tres chere Fille, puisque vous en aves du desir, que vous facies la sacree Communion tous les huit jours; m'asseurant qu'a mesure que vous approcheres plus souvent de ce divin Sauveur, vous tascheres [310] de luy rendre aussi plus d'amour et de fidelité en son service, et que le jour de vostre Communion vous vous garderes de donner sujet a ceux avec lesquelz vous converseres de penser que vous n'estimes pas asses l'honneur de la reception de vostre Salut..

  A020003059 

 Toutefois, comme le Père Général doit se rendre à Rome au mois de septembre, on a décidé que le Prieur élu de Saint-Bernard ne prendrait pas possession de sa charge jusqu'à ce que le Général lui-même ait présenté ses hommages à Votre Seigneurie Illustrissime et reçu ses ordres; de sorte que, en qualité de protecteur des Feuillants, Elle pourra alors, si bon lui semble, transférer l'élection de ce [313] français faite en Chapitre, au Prieur de Sainte-Pudentienne, qui est italien.

  A020003127 

 J'asseure donc Vostre Seigneurie Illustrissime que toutes choses s'y sont passées avec une si estroicte union d'esprit, de paix et de pieté, que ces nobles qualitez n'y [322] pouvoient pas estre desirées en un plus excellent degré: de sorte que je puis dire ma presence y avoir esté tres-inutile, n'ayant eu autre exercice pendant cest employ, sinon de gouster en moy-mesme la douceur et la consolation en la veuë de tant de modestie et de tant de vertu.

  A020003128 

 Et pour moy, je ne trouve en tout cecy qu'une chose à redire: c'est qu'il me semble que ce n'est pas un detriment de peu d'importance au public, qu'un personnage d'une condition si eminente et qui a escrit tres-elegamment pour le service de l'Eglise, se trouve neantmoins maintenant occupé ès affaires qu'apporte la charge et la Superiorité qu'on luy a imposée, encore que ceste charge soit sur des personnes religieuses et qui font profession de la perfection monastique.

  A020003158 

 Ce n'est pas seulement un homme d'une érudition remarquable et vraiment éminente, par la variété de ses pieux écrits et par de brillants travaux (il a en effet illustré l'Eglise, il l'a défendue contre les hérétiques), c'est encore un homme d'une prudence très avisée et fort exerce aux affaires; enfin, ce qui est capital, il est versé dans la piété et dans la science de l'apostolat.

  A020003159 

 Toutefois je n'ai pas cru devoir trancher la question; il m'a paru préférable de la soumettre à votre sagesse Apostolique.

  A020003197 

 Je ne vous diray donq pas autre chose sur le dessein que madame [de Dalet], vostre fille, a de se retirer dans le monastere, sinon que je croy fermement que c'est une veritable inspiration divine, ne voyant tout a fait aucune rayson au contraire, puisque, graces a Dieu, elle a de si justes et dignes garens de la personne et biens de ses enfans, pourveu qu'il vous playse, et a monsieur [votre mari], de vous charger de cette peine.

  A020003198 

 Je voy bien qu'il y a plusieurs repliques a ce que je dis; mais je croy bien aussi qu'en ces occurrences il n'est pas question de contester et de disputer, ains de considerer les maximes de l'Evangile, qui sans doute nous conduisent au parfait despouillement, et au mespris de la sagesse temporelle qui ne s'arreste a la sagesse de la vertu que requiert l'excellence et l'eminence de l'amour celeste..

  A020003199 

 Mais, Madame, si cette chere fille de vostre cœur s'arreste dans les bornes que vostre authorité luy préfixé, de n'estre au monastere que comme fondatrice, sans changement d'habit ni de condition exterieure, je ne croy pas que la plus sage sagesse humaine puisse sagement gronder, ni, je m'asseure, probablement murmurer.

  A020003210 

 Ce n'est pas peu que d'estre dans les porches de la mayson du Seigneur..

  A020003210 

 Vous ne vivres pas moins au gré de l'Espoux celeste, qui ne prend pas garde a l'exterieur et duquel vous ne seres pas moins [bien] veuë en verité, bien que l'apparence sera moindre.

  A020003212 

 Je n'ay pas voulu respondre a toutes les plaintes maternelles pour ne point m'embarrasser, ormis sur celle de madamoyselle vostre fille, que je consens estre remise a cette bonne mere, attendant qu'elle puisse faire choix de sa vocation.

  A020003225 

 Mays par ce que, d'un costé vous m'escrivies d'une sorte [334] qu'il sembloit que vous n'avies pas faite une resolution finale, et que d'ailleurs il se sousmettoit a l'examen de la cause, je luy dis que, estant arrivé, nous considererions de rechef son affaire, et que si ce n'estoit point chose contraire a l'equité, nous aurions soin de ne point le precipiter dans la demission de sa charge..

  A020003227 

 Il ne sera, je pense, pas besoin d'envoyer a Louvain, puisque Son Altesse prendra les moyens convenables pour accoyser'ces messieurs les Proviseurs, et que le Pape interviendra en cett'affaire.

  A020003276 

 C'est pourquoi j'espère, Madame, que vous daignerez m'excuser et que vous n'attribuerez pas à présomption cette marque de confiance..

  A020003276 

 Je ne parlerai pas à Votre Altesse des faveurs reçues de leur bonté; mais je dirai bien que celle que me fait la Sérénissime Infante Françoise-Catherine en m'ordonnant de saluer ainsi par écrit et à la hâte Votre Altesse, est une des plus grandes et précieuses que je [339] pusse attendre en ce monde.

  A020003317 

 Neantmoins, Monsieur, ( scientibus legem loquor ), je doys limiter mon vouloir par mon pouvoir, qui ne s'estend pas hors de mon diocæse sinon par maniere d'intercession.

  A020003319 

 Et de plus, Monsieur, bien que l'exercice de la meditation soit grandement desirable es Monasteres, si est ce que, quand toutes les autres qualités se treuvent en un esprit, j'ay tous-jours jugé que celle de n'estre pas propre a former les meditations n'estoit pas suffisante pour forclorre un'ame du cloistre.

  A020003319 

 Et quant aux fraitz que vous aures faite pour l'essay, qui n'auront pas esté employés pour la personne propre de celle qui l'a fait, je croy que vous n'en aures pas du refus..

  A020003353 

 Et nous faut prendre garde de ne permettre pas a nostre propre interest ou amour d'employer nostre propre prudence contre la volonté de l'Espoux celeste.

  A020003353 

 Mon inclination estoit que l'on attendist de faire celuy ci jusques a ce que l'ordre en fust venu de Rome, affin qu'il y eust moins de resistance; la ferveur de la charité de quelques unes ou, si vous voules, l'ardeur de la propre volonté des autres, a fait choisir un autre moyen qui leur sembloit plus court; il ne faut pas pour cela le rejetter, ains il faut y contribuer tout ce que la sainte, sincere et veritable charité nous suggerera.

  A020003353 

 Qu'il se soit passé quelques impatiences, quelques immortifications, quelques fiertés, quelques desobeissances, quelques amours propres, quelques imprudences, certes il ne se peut pas nier; mais, pour tout cela, le fond de l'affaire ne laisse pas d'estre bon et selon la volonté de Dieu.

  A020003353 

 Tous les defautz qui arrivent en une bonne œuvre n'en gastent pas la bonté essentielle: d'ou que le bon vienne, il le faut aymer.

  A020003369 

 [350] Monsieur Sanguin m'escrit une grande lettre et m'a fait escrire par Monsieur le Duc de Nemours sur les difficultés que l'on fait a sa fille; mais je n'ay rien a respondre sinon que les Superieurs qui sont sur les lieux doyvent decider ce fait, et non moy, qui ne puis estre instruit que par le recit des parties et qui, au reste, ne suis pas juge competant..

  A020003370 

 Est il possible que des filles nourries en l'escole de la folie de la Croix, soyent tellement affectionnees a la prudence du monde que ny l'une ny l'autre ne veuille point ceder et que chacune sache tant alleguer de termes de justice? Il faudra tascher pourtant d'arrester celle qui aura moins de rayson, pourveu qu'encores l'esprit du monde luy permette de se laisser condamner; mais je ne croys pas que cela se puisse faire avant vostre venue.

  A020003373 

 Je vous ay escrit cy devant sur le sujet des bienfaitrices, lesquelles, comme vous, je ne voudrois pas estre en grande quantité; mais pourtant cela se doit ordonner par la charité et par la discretion.

  A020003373 

 Quant a madamoyselle de Vigny, puisque c'est un si bon esprit comme vous m'escrives, on pourra luy permettre ce qu'elle desirera; [352] mais dores-en avant il ne faut pas recevoir de ces bienfaitrices qui desirent tant de conditions..

  A020003375 

 J'ay un grand desir d'escrire a ses deux filles sur ce sujet, mais maintenant je n'ay pas la commodité, non plus que d'escrire a monsieur le premier President; en lieu dequoy je prie Dieu pour leur consolation et pour le repos de l'ame de cette chere personne que j'aymois et honorois de tout mon cœur, et de l'absence de laquelle je serois bien affligé davantage si je ne prenois asseurance en la misericorde [353] de Dieu qu'elle jouit des a present du bien auquel elle a tous-jours aspiré..

  A020003376 

 En somme, il n'est pas en nostre pouvoir de garder les consolations que Dieu nous a donnees, sinon celle de l'aymer sur toutes choses, qui est aussi la benediction souverainement desirable..

  A020003398 

 En charges vous vos pere et mere? Non, vous ne les charges pas tant que vous les descharges, puisque c'est selon leur gré et a leur souhait que cela se fait..

  A020003398 

 Quelle plus legitime descharge pouves vous faire de la personne et des biens de vos enfans, que de les remettre entre les mains de monsieur vostre pere et de madame vostre mere? Et n'est ce pas un trait visible et palpable de la Providence divine pour ce sujet, que cela se puisse faire avec l'aggreement, ains avec le desir de cette mere, jadis si jalouse de vostre presence au monde? Il m'est [356] advis, certes, ma tres chere Fille, que Dieu luy mesme jette des fleurs et des parfums aux chemins de vostre retraitte, affin qu'elle se face avec plus de douceur et que les plus coquilleux l'appreuvent et benissent; car, que peut on dire? Que vous laisses vos enfans? Ouy; mais ou les laisses vous? Entre les bras de leur [premier] pere et de leur premiere mere.

  A020003399 

 Dieu employe bien souvent l'education pour la vocation; [357] mais quand l'education ne previent pas, il ne laisse de faire son benefice puissamment et suavement.

  A020003400 

 Je dis donq simplement que je ne voy rien qui vous doive retenir au monde, non pas mesme le presage de la future vocation de vostre fille, qui, estant encor incertain, ne doit pas estre preferé a la certitude de vostre appel, lequel vous deves donq suivre soigneusement, fortement, diligemment, mais sans empressement et sans inquietude..

  A020003414 

 Le malin esprit fait des effortz parce qu'il void que ce [359] petit Institut est utile au service et a la gloire de Dieu, et il le hait particulierement parce qu'il est petit et le moindre de tous; car cet esprit est arrogant et hait la petitesse parce qu'elle sert a l'humilité, luy qui a tous-jours aymé la hauteur, la fierté et l'arrogance, et qui, pour n'avoir pas voulu demeurer en sa petitesse, a perdu sa grandeur.

  A020003432 

 Je ne croy pas qu'il faille recevoir dans les monasteres de la Visitation toutes les filles repentantes, mais je ne croy pas aussi qu'il les faille esconduire toutes.

  A020003464 

 Puis donq que vous aves l'obedience de vos Superieurs, vous n'aves [365] pas dequoy apporter du retardement a son execution.

  A020003524 

 J'ay demeuré troys moys en Piemont pendant lesquelz on a receu icy et gardé vos lettres, de sorte que ce n'est pas merveille si vous n'en aves pas eu de moy, ni la response, ni le remerciment que je vous en doys.

  A020003525 

 Monsieur mon tres cher Frere, les premieres nouvelles du trespas de monsieur le Comte de Rossillon me furent donnees a Turin, mais avant (sic) tant d'incertitude, [371] que ny madame la Marquise de Saint Damien, ni madamoyselle de Tornon, ni M. le Baron de Tornon ne m'en oserent pas asseurer.

  A020003542 

 Que si nous n'y avions pas pensé, nous devons advoüer nostre tort et nous en repentir, car le nom que nous portons tous de mortelz nous rend inexcusables..

  A020003543 

 Ne nous faschons pas, ma Fille; nous serons bien tost tous reunis.

  A020003544 

 Si, selon icelle, je puis faire selon vostre desir, ce sera mon contentement; si je ne puis en l'occasion presente, ce porteur ne perdant point courage et s'avançant aux lettres et en la vertu, comme je pense qu'il a fort bien commencé, il ne manquera pas d'autres occurrences ou il treuvera vostre recommandation utile..

  A020003545 

 Au demeurant, je ne vous asseureray pas de mon service fidele en cette occasion: il vous a esté dedié une fois pour toutes fort entierement, et je vous supplie de n'en jamais douter, non plus que du soin que j'auray d'assister des Sacrifices que je presente a Dieu l'ame de ce digne chevalier, les merites duquel je veux a jamais honnorer, avec tout ce qu'il a laissé de plus cher icy bas..

  A020003558 

 Tous ensemble, avec la cure, pourront valoir 700 escus annuelz; mays ilz ne sont pas encor vacans maintenant.

  A020003585 

 La cour ne manque pas d'occupations et de divertissemens..

  A020003641 

 Je vous supplie de saluer vos bonnes vefves; je ne sçay pas leur nom.

  A020003650 

 Je remettray toutes les affaires a l'assemblee que Monseigneur le Prince Thomas doit faire expres pour terminer tous les differens de la Sainte Mayson, puisqu'il faut que je parte passé demain pour aller en Provence, d'ou je ne sçai pas quand je reviendray, bien que j'espere que ce sera bien tost..

  A020003705 

 Pensés si je suys pressé, puisque je ne m'ose pas dispenser d'un demi jour pour prendre le loysir de bayser les mains a Monsieur l'Archevesque, mon superieur, ni a monsieur le Gouverneur, a qui je suis tant obligé, ni a madame de Pezieu, ma chere seur..

  A020003719 

 Vous croires aysement que ce n'a pas esté sans parler souvent de vous, non sans beaucoup de consolation que j'ay receuë de sçavoir que vous vivies tous-jours dans la crainte de Dieu, avec desir de faire progres en la devotion.

  A020003720 

 Comme vous sçaves, je ne suis nullement scrupuleux, et n'appelle pas amusement de vanité sinon la volontaire inclination que nous nourrissons aux choses qui veritablement nous divertissent des pensees et deliberations que nous devons avoir pour la tressainte eternité..

  A020003747 

 Je ne pars pas encor de cette ville et, comme je pense, j'auray encor la consolation de vous escrire.

  A020003759 

 Il explique son indigence en sa requeste, laquelle si vous ne treuves pas convenable d'exaucer, il en præsente une autre, Monsieur mon Filz: c'est qu'il playse a vostre bonté de luy donner une place es gardes du sel, ou en Forest, d'ou il est, ou ailleurs sous vostre authorité..

  A020003815 

 Et encore l'autre jour, sortant du parloir où sa passion maternelle avait assez paru, elle me voulut toucher la main et dit: Je ne m'étonne pas que ma fille de Dalet aime cette fille de Monseigneur de Genève, mais je me passionne de ce qu'elle aime plus le cloître que moi, qui suis sa mère..

  A020003873 

 Je l'ai vu, mais à dire vrai, non pas tout lu.

  A020003891 

 Il n'en est pas ainsi des miennes, mais vous me pardonnerez volontiers, voyant que la nécessité me rend importun pour cette fois.

  A020003905 

 O Dieu, en vous admirant, j'ai bien quelque disposition d'en tirer des bons désirs; mais je n'ai pas la force de les mettre en effet, jusques à ce que vox Domìni præparantis cervos tonne en mon âme et lui donne puissance d'enfanter tout ce qu'elle conçoit, pour conduire dans la vraie perfection ce qu'il vous a plu de me conseiller quelquefois..


21-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XXI-Vol.11-Lettres.html
  A021000007 

 Pas être utilisés à des fins commerciales de toute nature!.

  A021000022 

 — Il n'est pas besoin de sentir toujours de la force et du courage.

  A021000024 

 Une liberté que le saint Evêque n'a pas.

  A021000038 

 — Ne pas s'attrister des répugnances, mais les surmonter.

  A021000043 

 — Etre doux et paisible ce n'est pas être insensible.

  A021000054 

 — Ne pas souhaiter les persécutions, mais exercer sa fidélité dans les occasions présentes. 41.

  A021000064 

 L'amour pour leur Ordre ne doit pas empêcher les Religieux de reconnaître les défauts qui s'y trouvent.

  A021000064 

 — Dieu n'abandonnera pas ses servantes, si elles observent la pauvreté qu'elles ont vouée.

  A021000064 

 — Sans la pauvreté, pas de vrai Religieux.

  A021000064 

 — Une bonne méthode, mais qui n'est pas celle de François de Sales.

  A021000083 

 — Pourquoi il ne se décourage pas.

  A021000088 

 — Pourquoi elle ne doit pas s'attrister. 73.

  A021000096 

 — Rien ne nuit à ceux qui veulent aimer Dieu « sur toutes choses et en toutes choses, » pas même leurs défauts. 77.

  A021000097 

 Ne pas tourmenter son cœur, ni s'attendrir sur soi-même.

  A021000117 

 MMLXI. L'âme qui ne veut pas offenser Dieu ne doit pas pointiller autour de ses actions.

  A021000122 

 — Dieu répond à tous ceux qui lui demandent conseil; d'où vient que beaucoup n'entendent pas sa réponse? — Le serviteur fidèle.

  A021000133 

 MMLXXVII. Ne pas vouloir sentir l'amour.

  A021000142 

 MMLXXXVI. Pas de « tendreté », ni de souci du lendemain.

  A021000179 

 Or, la gloire de ce saint amour consiste a brusler et consumer tout ce qui n'est pas luy mesme, pour reduire et convertir tout en luy.

  A021000209 

 Je dirai en confiance à votre charité, que si je soupçonnais qu'il y eût dans mon cœur un seul mouvement d'amour qui ne tendît pas à Dieu, ou qui fût consacré à un autre amour qu'à l'amour divin, ce sentiment infidèle et illégitime de mon cœur, je ferais tout pour l'arracher avec mes entrailles, et je ne le tolèrerais pas un seul instant....

  A021000221 

 Premierement, que vous retranchies quelques satisfactions sensuelles que vous pourries autrement prendre sans offencer Dieu, et que, pour cela, vous vous levies tous-jours a six heures du matin, soit que vous ayes bien dormi ou mal dormi, pourveu que vous ne soyes pas malade, car alhors il faudroit condescendre au mal; et pour faire quelque chose de plus les vendredis, vous vous levies a cinq heures.

  A021000223 

 Davantage, que vous renoncies aux playsirs du goust, mangeant les viandes que vous pourres avoir a table lesquelles vous seront les moins aggreables, pourveu qu'elles ne soyent pas malsaines, et laissant celles ausquelles vostre goust aura plus d'inclination.

  A021000227 

 Faites les passetems qui seront plus vigoureux, comme de monter a cheval, sauter et autres telz, et non pas les molletz, comme de jouer aux cartes et danser.

  A021000235 

 Et quant a moy, qui l'estimois et avois une particuliere dilection pour elle, je n'ay pas manqué ni ne manqueray de la recommander souvent a Nostre Seigneur, comme aussi tout ce qu'elle a laissé de plus cher en ce miserable monde..

  A021000260 

 Mais, Monsieur, il faut que je vous parle un peu cœur a cœur, et que je vous die que quicomque a un vray desir de servir Nostre Seigneur et fuir le peché ne doit nullement se tourmenter de la pensee de la mort, ni des jugemens divins; car encor que l'un et l'autre soit a craindre, si est ce que la crainte ne doit pas estre de ce naturel terrible et effroyable qui abat et deprime la vigueur et force de l'esprit, ains doit estre une crainte tellement meslee avec la confiance en la bonté de Dieu, que par ce moyen elle en devienne douce..

  A021000261 

 C'est un sentiment meilleur de se desfier de pouvoir resister aux tentations, que non pas celuy de s'en tenir pour asseuré et asses fort, pourveu que ce qu'on n'attend pas de ses forces on l'attende de la grace de Dieu: en sorte que plusieurs qui, avec grande consolation, se sont promis de faire des merveilles pour Dieu, quand c'est venu au point ont manqué; et plusieurs qui [12] ont eu grande desfiance de leurs forces et une grande crainte qu'a l'occasion ilz ne manquassent, sur le champ ont fait merveilles, parce que ce grand sentiment de leur foiblesse les a poussés a rechercher l'ayde et le secours de Dieu, a veiller, prier et s'humilier pour ne point entrer en tentation..

  A021000261 

 Et ne faut pas, Monsieur, que nous revoquions en doute si nous sommes en estat de nous confier en Dieu, quand nous sentons des difficultés a nous garder du peché, ni quand nous avons desfiance ou peur qu'es occasions et tentations nous ne puissions pas resister.

  A021000261 

 Oh! non, Monsieur, car la desfiance de nos forces n'est pas un manquement de resolution, ains une vraye reconnoissance de nostre misere.

  A021000262 

 Et Dieu, qui ne fait rien en vain, ne nous donne pas ni la force ni le courage quand il n'est besoin de l'employer, mais es occasions jamais il ne manque; et partant il faut tous-jours esperer qu'en toutes occurrences il nous aydera, pourveu que nous le reclamions.

  A021000262 

 Et n'est pas besoin qu'on sente en soy aucun signe ni aucune marque qu'on aura ce courage la, ains il suffit qu'on espere que Dieu nous aydera.

  A021000262 

 Je dis, qu'encor que nous ne sentions en nous ni force, ni mesme courage quelcomque pour resister a la tentation si elle se presentoit maintenant a nous, pourveu que nous desirions neanmoins de resister, et esperions que si elle venoit Dieu nous ayderoit et luy demanderions son secours, nous ne devons nullement nous contrister, d'autant qu'il n'est pas besoin de sentir tous-jours de la force et du courage, et suffit qu'on espere et desire d'en avoir en tems et lieu.

  A021000263 

 Et bien donq, puisque vous desires d'estre tout a Dieu, pourquoy craindres vous vostre foiblesse, en laquelle, aussi bien, vous ne deves pas mettre aucune sorte d'appuy? N'esperes vous pas en Dieu? Et qui espere en luy sera il jamais confondu? Non, Monsieur, jamais il ne le sera..

  A021000264 

 Il ne faut pas craindre la crainte.

  A021000264 

 Je vous conjure, Monsieur, d'appayser toutes les repliques qui se pourroyent former en vostre esprit, ausquelles il n'est besoin de respondre autre chose sinon que [13] vous desires d'estre fidele en toutes occurrences, et que vous esperes que Dieu fera que vous le seres, sans qu'il soit besoin d'essayer vostre esprit s'il le seroit ou non, car ces essays sont trompeurs, et plusieurs sont vaillans quand ilz ne voyent point l'ennemi, qui ne le sont pas en sa presence; et au contraire, plusieurs craignent avant l'escarmouche, ausquelz le danger present donne le courage.

  A021000293 

 Quand je commence a vous escrire, je ne pense pas a ce que je vous escriray; mais ayant commencé, j'escris tout ce qui me vient, pourveu que ce soit quelque chose de Dieu, car je sçay que tout vous est aggreable, ayant de beaucoup fortifié l'entiere confiance que mon cœur avoit au vostre en ce dernier voyage, ou je vis bien, ce me semble, que vous avies toute asseurance en moy..

  A021000312 

 Je participe, par compassion, a tant d'aigres douleurs que vous souffres, et ne laisse pas de recevoir beaucoup de consolation dequoy vous les souffres en esprit de resignation.

  A021000322 

 Vous deves faire cette entreprise de vous bien commander en cela, et vous en souvenir cent fois le jour, recommandant a Dieu ce bon dessein; car je ne voy pas que vous ayes beaucoup a faire pour bien assujettir vostre ame a la volonté de Dieu, sinon de l'addoucir de jour en jour, mettant vostre confiance en sa bonté..

  A021000349 

 Madame, je ne vous diray pas que vous ne regardies point vos afflictions, car vostre esprit, qui est prompt a repliquer, me diroit qu'elles se font bien regarder par l'aspreté de la douleur qu'elles donnent; mais je vous diray bien que vous ne les regardies pas qu'au travers de la Croix, et vous les treuveres ou petites, ou du moins si aggreables, que vous en aymeres plus la souffrance que la jouyssance de toute consolation qui en est separee.

  A021000368 

 Il n'est pas bon, vrayement, d'aller sur le bout du pied, ni d'esprit ni de cors; car si on choppe, la cheute en est plus rude.

  A021000368 

 Je ne suis pas satisfait de ce que je vous dis l'autre jour, sur vostre premiere lettre, de ces reparties mondaines et de cette vivacité de cœur qui vous pousse.

  A021000394 

 Or, je ne sçai pas comme ces choses passent par dela, ou souvent on ne suit pas les regles que nous avons en nos affaires ecclesiastiques..

  A021000394 

 Sur la premiere partie de la lettre que vous aves escritte a madame N., et que vous aves desiré m'estre [26] communiquee, ma tres chere Fille, je vous diray que si monsieur N. ne vous faysoit point d'autres allegations que celle que vous marques et [s'] il avoit affaire devant nous, nous le condamnerions a vous espouser sous des grosses peynes; car il n'y a pas rayson que, pour des considerations qu'il a peu et deu faire avant sa promesse, il veuille maintenant rompre parole.

  A021000395 

 Au demeurant, ma tres chere Fille, le desir que j'ay eu de vous dissuader [de] la poursuitte de ce mauvais proces n'avoit pas son origine de la desfiance de vostre bon droit, mays de l'aversion et mauvaise opinion que j'ay pour tous les proces et toutes les contentions.

  A021000397 

 Avec tout cela, neanmoins, ce sont mes sentimens generaux, lesquelz peut estre ne sont pas propres pour l'estat particulier auquel vos affaires se treuvent; et suivant un bon conseil pris sur la consideration des particulieres circonstances qui se presentent, vous ne pouves pas faillir.

  A021000433 

 Je veux bien que vous pleuries pour cette perte, car c'est la rayson; mais je desire bien aussi que vous ne pleuries pas desordonnement, et qu'en cette occasion vous tesmoignies que vous aves des-ja tant proffité en la vertu, que vous aves plus de fondement sur l'eternité que sur l'image de ce monde.

  A021000433 

 Voyes cette si soudaine mort, qui n'a pas donné le loysir a la deffunte [31] de dire les adieux d'honneur a ceux qu'elle cherissoit; et, en esperant qu'elle est passee en la grace de Nostre Seigneur, disons nos adieux de bonne heure, renonçant affectionnement au monde et a toute sa vanité, et colloquons nos cœurs en la bienheureuse eternité qui nous attend..

  A021000441 

 Helas! ce sont des accidens naturelz que l'apoplexie et cheute de catarrhe; et Nostre Seigneur, voyant arriver nostre fin, nous prepare doucement par ses inspirations affin que nous ne soyons pas surpris, ainsy qu'il a fait cette bonne seur..

  A021000442 

 Je ne m'estonne point que vous ayes esté estonnee et que vous n'ayes pas si tost sceu retreuver vostre cœur pour le rapporter a son Sauveur.

  A021000450 

 Je ne veux pas, ma chere Fille, que vous desiries nullement la mort, car vous n'estes plus vostre, ains a Celuy qui, pour vous avoir faite sienne, s'est rendu [33] tout vostre; et partant il ne vous appartient pas de desirer ni de sortir de ce monde, ni d'y demeurer, ains vous deves laisser ce soin au Seigneur..

  A021000451 

 Que si, selon la fragilité de cette vie, elle a besoin de suffrages, ma chere Fille, elle n'en manquera pas, Dieu aydant..

  A021000461 

 Mais quand je dis qu'il est doux et paysible, je ne veux pas dire qu'il n'ayt point de douleur ni de sentiment d'affliction.

  A021000461 

 Non certes, ma chere Fille, je ne dis pas cela; mais je dis que les souffrances, les peines, les tribulations sont accompaignees d'une si forte resolution de les souffrir pour Dieu, que toute cette amertume, pour amere qu'elle soit, est en paix et tranquillité..

  A021000462 

 Je vous escris bien pressé et avant qu'avoir veu pas un de messieurs vos parens; et ce sera presque ordinairement que je vous escriray de mesme façon, puisque je ne veux perdre l'occasion.

  A021000469 

 O vive Jesus! il n'y a pas dequoy en ce monde pour faire souhaiter que les amis y demeurent beaucoup..

  A021000470 

 Eh bien, ma chere Fille, n'estoit ce pas une disposition que la bonté de Dieu faisoit en elle pour la tirer une annee apres a soy? Gloire soit donq au Pere et au Filz et au Saint Esprit..

  A021000471 

 Ouy, tres chere Fille, pleurés un peu sur cette trespassee, car et Nostre Seigneur pleura bien un peu sur son cher Lazare; mais que ce ne soyent pas des larmes de regret, mais d'une sainte compassion chrestienne et d'un cœur qui, comme celuy de Joseph, pleure de tendreté, et non pas de fierté comme celuy d'Esaü.

  A021000482 

 Il y a sans doute des chemins plus excellens, mais non pas pour vous; et l'excellence du chemin ne rend pas excellens les voyageurs, ains leur vistesse et agilité.

  A021000482 

 Mais vous, ma tres chere Fille, vous aves un grand sujet de louer Dieu qui, avec une providence fort speciale, ne vous a pas seulement donné la volonté de rapporter vos jours mortelz a celuy de l'immortalité, mais vous a marqué le lieu, les moyens et la façon avec laquelle vous deves appliquer le reste de ces momens perissables a la conqueste de la tressainte eternité.

  A021000491 

 Mays puisque vostre esprit n'est nullement en l'indifference, ains totalement penché au choix du mariage, et que nonobstant que vous ayes recouru a Dieu vous vous y sentes encor attachee, il n'est pas expedient que vous facies violence a une si forte impression par aucune sorte de consideration; car toutes les circonstances, qui d'ailleurs seroyent plus que suffisantes pour me faire conclure avec la chere cousine, n'ont point de poids au prix de cette forte inclination et propension que vous aves; laquelle, a la verité, si elle estoit foible et debile, [39] seroit peu considerable, mais estant puissante et ferme, elle doit servir de fondement a la resolution..

  A021000493 

 Je suis fort pressé, ma chere Fille, et ne puis pas vous dire beaucoup de choses.

  A021000524 

 Vous aves rayson: puisqu'une fois pour toutes vous aves declairé les resolutions invariables de vostre esprit, et qu'il fait le fin a ne les vouloir pas advoüer, ne respondes plus pas un seul mot jusques a ce qu'il parle autrement; car il n'entend pas le langage de la Croix, ni nous aussi celuy de l'enfer..

  A021000526 

 La vraye paix ne gist pas a ne point combattre, mais a vaincre: les [44] vaincus ne combattent plus, et neanmoins ilz n'ont pas la vraye paix.

  A021000527 

 L'Enfant qui nous va naistre n'est pas venu pour se reposer ni avoir ses commodités, ni spirituelles ni temporelles, ains pour combattre et pour se mortifier et mourir.

  A021000535 

 Si Nostre Seigneur vous donne quelque contentement, ma tres chere Fille, en la veritable et nompareille dilection qu'il a mise dans mon cœur pour le vostre, j'en benis son saint nom et en remercie sa Providence, vous asseurant fort fidelement que ce m'est une consolation toute particuliere de sçavoir que, reciproquement, vostre ame cherisse puissamment la mienne de cet amour sacré que la divine Bonté peut donner; et si, pour tout cela, je ne [45] veux pas vous prier de le me continuer, sçachant bien qu'il est imperissable, comme le motif duquel il prend sa force..

  A021000536 

 Il n'est pas des rosiers spirituelz comme des corporelz: en ceux ci, les espines durent et les roses passent; en ceux la, les espines'passeront et les roses demeureront..

  A021000536 

 Or sus, mais parmi tout cela, je ne suis pas sans estre touché de sçavoir que vous n'estes pas sans varietés d'amertumes interieures, bien que je sache aussi, qu'estant ce que vous estes a Nostre Seigneur, vostre amertume ne peut estre qu' en paix et que l'amour soulage vostre douleur; car vrayement j'ay un certain cœur de pere, mays qui tient un peu du cœur de mere.

  A021000546 

 Ne vous mettes point en peyne dequoy vous n'aves pas les sentimens de devotion et consolation presentement; car le courage fort que vous aves vaut mieux que tout cela.

  A021000546 

 Penses vous pas que la pauvre jeune et belle Rebecca pleura bien fort lhors qu'elle se separa de son pere, sa mere et son païs? mais, parmi tout cela, elle ne laissa pas de dire courageusement: J'y iray; et elle fut digne d'estre espouse d'Isaac.

  A021000566 

 Car le Pere n'est pas le Filz, ni le Filz n'est pas le Saint Esprit: d'autant que, encor que le Pere ne soit pas un autre Dieu que le Filz et le Saint Esprit, il est neanmoins une autre Personne; et de mesme, le Filz n'est pas un autre Dieu que le Pere et le Saint Esprit, ains seulement une autre Personne; et le Saint Esprit n'est pas un autre Dieu que le Pere et le Filz, ains seulement une autre Personne..

  A021000566 

 Le second article principal, c'est que ce seul vray Dieu est Pere, Filz et Saint Esprit: dont le Pere est la premiere Personne de la tressainte Trinité, le Filz la seconde et le Saint Esprit la troysiesme; en sorte que les troys Personnes ne sont pas plusieurs dieux, ains un seul vray Dieu, bien que l'une des Personnes ne soit pas l'autre.

  A021000567 

 Et bien que l'une des puissances ne soit pas l'autre, si est ce que toutes troys ne sont qu'une seule ame: l'entendement estant ame, la memoire ame, la volonté ame, et non troys ames, ains une ame; et bien que ce ne soit qu'une ame, si est ce que cette ame, en tant qu'entendement n'est pas memoire, en tant que memoire n'est pas volonté..

  A021000567 

 Vostre entendement n'est pas memoire, car il y a beaucoup de choses que vous entendes, desquelles vous ne vous resouvenes pas quelque [49] tems apres; vostre entendement et vostre memoire ne sont pas vostre volonté, car il y a beaucoup de choses que vous entendes et desquelles vous aves memoire, lesquelles vous ne voules pas, comme sont les pechés, que vous detestes.

  A021000568 

 Ainsy, il n'y a qu'un seul Dieu en troys Personnes, desquelles troys l'une n'est pas l'autre, et toutes troys ne sont qu'un seul Dieu; en sorte que le Pere est Dieu, le Filz est Dieu, le Saint Esprit est Dieu, et non troys dieux, mais un seul Dieu; parce que, encor qu'il y ayt troys Personnes, toutes troys ensemble n'ont qu'une seule et unique Divinité: comme, encor qu'il y ayt troys puissances en nostre ame, toutes troys neanmoins ne sont qu'une seule ame..

  A021000569 

 Comme si je disois que vostre ame a pris la connoissance d'escrire, je ne dirois pas pour cela que c'est vostre volonté qui a pris cette connoissance, car ce n'est pas la volonté qui connoist, c'est l'entendement; et neanmoins, l'entendement et la volonté ne sont qu'une seule ame.

  A021000569 

 Et encor que ce ne soit qu'une seule ame, neanmoins l'une des facultés agit en un endroit ou l'autre n'agit pas.

  A021000572 

 Et comme le fer ne laisse pas d'estre fer, et pesant, et massif, et ferme, et dur, pour estre enflammé, et que le feu ne laisse pas d'estre feu, chaud, lumineux, ardant, pour estre enferré, ainsy l'humanité de Nostre Seigneur ne laissa pas d'estre petite, et tendre, et gemissante, et frileuse en la cresche de Bethlehem, encor qu'elle fust jointe a la Divinité; et la Divinité ne laisse pas d'estre toute puissante, toute glorieuse, pour estre jointe a l'humanité..

  A021000572 

 Mais il y a de plus: c'est que vous consideries Nostre Seigneur en tant qu'homme, et, en cette sorte, il est vrayement different d'avec le Pere en nature; car le Pere n'est pas homme, ains seulement Dieu.

  A021000573 

 Ma chere Fille, je ne pense pas, non, vous avoir declairé l'affaire; car c'est un abisme lequel il faut regarder simplement et humblement, sans se beaucoup tourmenter pour l'entendre.

  A021000573 

 Si vous n'entendes pas cette lettre, ne vous fasches pas: je l'ay seulement escritte pour vous donner un peu de jour, et non pas le jour du midy que nous aurons en Paradis..

  A021000580 

 Cela ne vient pas de nostre faute le plus souvent, mays de la providence de Dieu, qui nous veut faire faire nostre chemin par terre et par desert, et non par eaux, et veut que nous nous accoustumions au travail et a la dureté..

  A021000580 

 Je ne dis rien, ma bonne Fille, de vostre cœur en ce que vous n'aves pas des larmes.

  A021000580 

 Non, ma Fille, car le pauvre cœur n'en peut mais, puisque cela n'arrive pas faute de resolutions et vives affections d'aymer Dieu, mays faute de sensible passion, laquelle ne depend point de nostre cœur, mais d'autre sorte de dispositions que nous ne pouvons procurer; car tout ainsy, ma chere Fille, qu'en ce monde il n'est pas possible que nous puissions faire pleuvoir quand nous voulons, ni empescher qu'il ne pleuve quand nous ne voulons pas qu'il pleuve, aussi n'est il pas a nostre pouvoir de pleurer quand nous voulons, par devotion, ni de ne pleurer pas aussi quand l'impetuosité nous saysit.

  A021000581 

 Tenés vostre bouquet en main, mais s'il se presente quelque autre odeur souëfve et profitable par rencontre, ne laissés pas de l'odorer avec action de grace; car le bouquet ne se prend sinon que pour ne vous laisser pas le long du jour sans confort et playsir spirituel.

  A021000582 

 Pour tout, ne souhaites pas des persecutions pour l'exercice de vostre fidelité, car il vaut mieux attendre celles que Dieu vous envoyera que d'en desirer; et si, vostre fidelité a mille sortes d'autres exercices: en l'humilité, douceur, charité au service de vostre pauvre malade, mays [53] service cordial, amoureux et affectionné.

  A021000588 

 Dieu vous est donq bon, ma chere Fille, n'est il pas vray? mais a qui ne l'est il pas, ce souverain Amour des cœurs? Ceux qui le goustent ne s'en peuvent assouvir, et ceux qui s'approchent de son cœur ne peuvent contenir les leurs de le benir et loüer a jamais..

  A021000598 

 Que si neanmoins Dieu nous tire, au commencement de l'orayson, a la simplicité de sa presence et que nous nous y treuvions engagés, ne la quittons pas pour retourner a nostre point; estant une regie generale que tous-jours il faut suivre ses attraitz et se laisser aller ou son Esprit nous mene..

  A021000618 

 Ah! qui nous fera la grace que nos cœurs le soyent aussi un jour! Mais ce Simeon n'est il pas bien glorieux d'embrasser cet Enfant divin? Ouy, mais je ne luy peux sçavoir gré du mauvais tour qu'il nous vouloit faire, car estant hors de soy mesme, il le vouloit emporter avec soy en l'autre monde: Maintenant, dit il, laisses aller vostre serviteur en paix.

  A021000620 

 Je ne vay pas, ma tres chere Fille, la part ou l'on vous avoit dit, car je vis encor en obedience qui m'est imposee, non de la part de Dieu, mais du monde, permise neanmoins de sa divine Providence: c'est pourquoy j'y acquiesce..

  A021000632 

 Et, a parler realement, encores aves vous quelque devoir de priser l'affection que j'ay, aussy grande que la valeur des plus grans, de meriter d'estre ce que ne pouvant meriter je ne laisse pas,.

  A021000632 

 Je ne vivrois pas a mon gré par deça si je ne vis par dela en vostre souvenance.

  A021000713 

 Ce n'est pas bien d'être tellement affectionné à son Ordre que l'on en perde les yeux pour voir les choses évidentes.

  A021000713 

 Est-il quelqu'un qui puisse justement se fâcher contre celui qui lui dit de se laver après avoir été quelque temps sans le faire? Pourquoi ne pourra-t-on pas dire: réformez-vous, à une Maison qui a passé bien des années depuis sa dernière réforme? On se garde bien de laisser longtemps une maison sans l'approprier extérieurement; pourquoi n'en fera-t-on pas de même à l'intérieur?.

  A021000713 

 L'amour mondain est aveugle, et s'il ne [66] l'était pas, il n'aimerait pas le monde qui n'a rien de beau ou de bon; mais l'amour céleste n'est pas aveugle, car il a des lampes et des flammes brillantes, comme dit le Cantique, parmi lesquelles il donne l'esprit de discernement pour séparer le bien du mal.

  A021000713 

 Les abeilles aiment leurs ruches, mais elles ne laissent pas pour cela de remarquer par le menu ce qui s'y trouve, et de les nettoyer et purger.

  A021000714 

 Ce fut un amour excessif en David de ne pas vouloir qu'on tuât Absalon, quoiqu'impie et rebelle.

  A021000714 

 Certes, l'on ne doit pas, sans quelque utilité, dire les manquements qui se voient dans les Maisons, ni [67] les publier; mais, de ne pas vouloir les reconnaître ni confesser à qui peut y appliquer les remèdes, c'est une passion et un amour désordonné.

  A021000714 

 L'Epouse au Cantique confesse sans crainte ses imperfections en disant: Je suis noire, encore que belle; et ailleurs: Ne prenez pas garde à ce que je suis brune.

  A021000714 

 Pourquoi donc ne tâcherez-vous pas de lui rendre son ancien lustre, afin que son Epoux puisse dire: Vous êtes toute belle? Quand les défauts sont momentanés et passagers dans une Maison, c'est bien fait de les dissimuler; mais quand ils sont à demeure et permanents, il faut les chasser, et meme à cor et à cri s'il en est besoin.

  A021000716 

 Faisons ce que nous devons, et Dieu ne nous manquera pas.

  A021000716 

 Mais pourquoi les nourrit-il, sinon parce que, par la condition de leur nature, ils ne reçoivent pas leur pâture de leurs père et mère qui ne prennent aucun soin de leurs fruits? Ainsi pourvoira-t-il bien plus ses servantes qui, par la condition de leur profession, se sont vouées à la pauvreté et communauté, sans l'entremise de ces moyens contraires à la pauvreté et à la parfaite communauté.

  A021000716 

 Ne croyez pas à moi, [69] croyez à Notre-Seigneur: si vous abandonnez ces petites pensions particulières et les rendez communes, vous ne mourrez point; il vous semblera mourir, mais cela ne sera pas; en échange d'une pension, Dieu vous en donnera cent en ce monde, dit la divine Parole, et la vie éternelle en l'autre.

  A021000717 

 Je loue leur méthode parce qu'elle est bonne, bien que ce ne soit pas la mienne, surtout à l'endroit des esprits nobles et bien élevés comme sont les vôtres.

  A021000717 

 Peut-être est-ce aussi un empêchement à votre réforme qu'elle ait été entreprise trop âprement par ceux qui, jusqu'à présent, vous l'ont proposée, et qui n'ont pas manié doucement la plaie.

  A021000718 

 Rappelez-vous que votre Monastère ne fut pas commencé avec ces pensions, ains avec une très exacte pauvreté.

  A021000719 

 Il est aisé de détourner les petits fleuves où nous voulons, mais les grands ne se laissent pas dompter..

  A021000720 

 Il ne vous semblera pas qu'il en soit ainsi; c'est cependant la vérité. Vous serez moins dignes d'excuse si vous n'êtes pas fidèles dans les petites choses: soyez fidèles dans la réforme de ces petits défauts, et vous serez établies sur beaucoup de choses.

  A021000720 

 Or, pendant qu'Ismaël, c'est-à-dire le désir et la sollicitude, n'attaque pas votre vœu, bien qu'il demeure en votre Maison, j'en suis content, et Dieu ne se tiendra pas pour offensé.

  A021000720 

 Sara fut sage quand elle jugea qu'il ne fallait pas laisser grandir Ismael avant de le chasser; aussitôt qu'elle le vit combattre contre Isaac, elle le chassa de la maison d'Abraham.

  A021000721 

 Considérez néanmoins soigneusement ce qui se passe en votre Maison, et vous ne trouverez pas le mal aussi petit que vous le pensez. Appelez-vous petit un mal qui gâte une partie noble de votre corps, savoir la sainte pauvreté? On peut être Religieux sans chanter au chœur, sans porter tel ou tel habit, sans s'abstenir de tel ou tel aliment; mais sans la pauvreté, nul ne peut être Religieux.

  A021000722 

 Ce proverbe est connu: « Le moine ne vaut pas une obole s'il possède une obole.

  A021000722 

 Je le vois aussi, mais je vois en même temps un grand mal, car elles ne passent pas; au contraire, elles s'y arrêtent comme mortes, elles y sont entretenues et conservées.

  A021000722 

 Si elles ne font que passer sur le baume, bien qu'elles le sucent, elles ne le gâtent pas, mais oui bien si elles y meurent.

  A021000790 

 Me voyci de retour a Neci ou il me semble que je ne suis qu'en songe, puisque vous n'y estes pas; et neanmoins, la solemnelle coustume d'attendre vos entrees en robbe rouge, que vous aves si religieusement observé ci devant, ne me laisse null' esperance de vous voir de je ne sçai combien de jours..

  A021000791 

 Mais je me flatte bien d'un' asseurance que je prens de vous tenir si serré, quand je vous auray, que vous ne m'eschapperes pas pour un seul jour de tout cet hiver.

  A021000810 

 Ce pauvre homme me parle de chose que je ne connois pas.

  A021000810 

 Pour ce qui me regarde, je m'accommoderay a ce que vous treuveres raysonnable, et ne veux pas quil tienne a moy quil ne soit deschargé de la somme d'avoyne quil a perdue par le feu.

  A021000848 

 Il ne m'est pas advis, ma chere Fille, que ce soit vous escrire quand je vous escris si peu, mais il faut que je m'accommode a la necessité..

  A021000850 

 Et vous, ma chere Fille, n'estes vous pas toute pleyne d'esperance, mais d'un'esperance vive et qui dilate le cœur, le renforçant contre les difficultés du chemin? Si faut, ma Fille, il faut avoir un cœur grand, bien large et bien estendu, affin de recevoir la celeste rosee que le [83] petit Agnelet d'innocence secouera sur nos ames a cette Circoncision, et dont sa blanche layne, sa toyson et son humanité est toute detrempee; car bien que les goutes soyent encor toutes petites, si ne sont elles receües que par les cœurs fort ouvertz du costé du Ciel.

  A021000904 

 Encor ne sçai je pas, ma tres chere Seur, ma Fille, si je vous escriray trop amplement, car monsieur vostre cher neveu m'avoit dit ce matin quil ne partiroit qu'apres demain, et voyla que son homme fait sa valise et dit que, despuis, il a resolu de partir demain mattin; qui m'a fait rompre le dessein d'aller visiter le bon M. Nouvelet, qui sort d'une grande maladie, pour venir vitement escrire le plus que je pourray..

  A021000906 

 Or, attendre en attendant, c'est de ne s'inquieter point en attendant; car il y en a plusieurs qui en attendant n'attendent pas, mais se troublent et s'empressent..

  A021000906 

 Vostre cœur dira-il point, peut estre: Ardé comme cet homme va tous-jours esloignant l'affaire! O ma Fille, croyes que [90] le mien attend le jour de vostre consolation avec autant d'ardeur que le vostre; mais il faut que je face ainsy pour des raysons lesquelles il n'est pas expedient que je vous escrive.

  A021000908 

 C'est, ce me semble, comme le guy, qui croist et paroist sur un arbre et en un arbre, bien que non pas de l'arbre ni par l'arbre.

  A021000908 

 Mais, ma Fille, comme donq se peut il faire que sur une telle volonté tant d'imperfections [91] paroissent et naissent en moy? Non certes, ce n'est pas de ma volonté ni par ma volonté, quoy qu'en ma volonté et sur ma volonté.

  A021000908 

 Que si j'estois aussi vivement et fortement joint a Dieu comme je suis absolument dis-joint et aliené du monde, mon cher Sauveur, que je serois heureux! et vous, ma Fille, que vous series contente! Mais je parle pour l'interieur et pour mon sentiment; car mon exterieur et, ce qui est le pis, mes deportemens sont pleins d'une grande varieté d'imperfections contraires, et le bien que je veux je ne le fay pas; maisje sçai pourtant bien que, en verité et sans feintise, je le veux, et d'une volonté inviolable.

  A021000911 

 Je vous escrivis la derniere fois asses longuement, et vous disois l'estat des affaires de nostre nouveau Monastere, qui estoit que l'esperance que nous avions de treuver des justes moyens pour l'eriger, nous estoit demeuree partagee par la moytié, et que neanmoins nous perseverions, sur la resolution que celles qui contribuent font de se retirer la, et au moins, si elles ne peuvent faire selon leur project premier, s'addonner entr'elles au service de Dieu et des pauvres malades; mais cela vient de leur esprit, et le tout, disent elles, attendant que Dieu dispose autrement: si que vous ne seres pas seule a ce conte lâ.

  A021000912 

 Il y a long tems que je n'ay pas parlé a la chere seur, mais je sçai bien pourtant qu'elle se fait tous-jours meilleure, car je connois les gens a les voir; j'entens ceux qui me sont si proches selon l'esprit.

  A021000912 

 Je vous envoye un livre, mais ce n'est encor pas le beau, par ce que je me reserve a le vous donner apres la troysiesme edition, laquelle j'espere rendre fort entiere et correcte; car en celle ci je fus si pressé que quelques chapitres entiers y manquent, comme celuy Des habitz et Quil faut avoir l'esprit juste et raysonnable: dequoy je ne m'estois apperceu qu'avant hier.

  A021000916 

 Il ne se peut faire que l'entendement ne face quelquefois des eslancemens pour s'appliquer, et il ne faut pas s'amuser a s'en tenir dessus sa garde, car cela serviroit de distraction; mais il faut se contenter que, vous en appercevant, vous retournies simplement aux actions de la volonté.

  A021000918 

 De quoy sers tu lâ? quel proffit te revient il d'estre ainsy? Ce n'est pas pour mon service que j'y suis, c'est pour servir et obeir a la volonté de mon maistre.

  A021000918 

 Mais ne voudrois tu pas bien avoir du mouvement pour aller plus pres de luy? Non pas, sinon quil me le commandast.

  A021000918 

 Mais tu ne le vois pas.

  A021000953 

 Aussi, voyant qu'une occasion s'offre à eux d'être aidés quelque peu par l'union du prieuré de Saint-Paul et de l'église paroissiale d'Arthaz, ils recourent à la providence et clémence de notre Saint-Père, afin qu'il daigne leur accorder cette faveur complètement, d'autant que [99] la même pauvreté qui les presse ne leur permet pas de l'obtenir par de l'argent..

  A021000953 

 Quant à la pauvreté, elle est telle, qu'entre les distributions et les prébendes, ils n'ont pas de quoi vivre convenablement trois mois de l'année; car les Genevois les ont d'abord dépouillés de la plus grande partie de leurs biens, et ensuite, les guerres qui se sont succédé ont presque épuisé le reste.

  A021000973 

 Au demeurant, j'ay esté grandement consolé de voir cett' ame bonne et vrayement chrestienne de monsieur l'Aumosnier de Belleville, lequel je n'eu pas loysir de beaucoup entretenir, par ce quil pressoit son retour; mais en ce peu de tems, je vis en luy beaucoup de bonne et sainte affection pour vous et vostre Mayson, a laquelle il ne peut estre que fort utile..

  A021000974 

 Tout ce qui vous honnore de deça se porte bien, notamment la chere seur de Sainte Catherine, laquelle je n'ay pas veu il y a fort long tems, mais delaquelle j'ay souvent des nouvelles et que je verray dans trois jours.

  A021000975 

 Sur tout, n'oublies pas les affaires interieures pour les exterieures, mais donné tous-jours des parties plus prætieuses de vos jours et de vostre tems a Celuy qui vous veut donner son eternité..

  A021000990 

 Si vous estes a table, ne m'escrives point, car cela vous incommode trop; et si vous n'estes pas a table, escrives moy bien peu, et cela de nostre chere santé..

  A021001011 

 Je n'ay pas plus tost sceu vostre maladie que vostre guerison.

  A021001030 

 Voyla la response de monsieur de Charmoysi, lequel m'ayant fait sçavoir le sujet d'icelle, je ne me suis pas hasté de vous l'envoyer, l'ayant receue avant-hier, parce que le retour de monsieur de Vaudrey m'a [107] fait sçavoir aussi que tout ce mauvais bruit estoit effacé par les paroles qu'il avoit soustenues devant [Sa Grandeur.].

  A021001069 

 Me representant le sentiment que vous aves eu de monsieur vostre filz par le ressentiment que j'en ay eu, je [111] m'imagine qu'il a esté extreme; car c'est la verité que me resouvenant du contentement que vous preniés a me parler l'autre jour de cet enfant, j'entray en une grande compassion quand je me representay combien vostre regret seroit douloureux a la nouvelle de son deces; mais je n'osay pourtant vous tesmoigner ma condoleance, ne sachant pas ni que la perte fust certaine, ni qu'elle vous eust esté annoncée..

  A021001070 

 Nostre siecle n'est pas si aggreable, que ceux qui en eschappent doivent estre beaucoup lamentés; ce filz, pour luy, a, ce me semble, beaucoup gaigné d'en sortir avant presque d'y estre bonnement arrivé..

  A021001071 

 Et ce n'est pas bien parler entre nous autres Chrestiens, car il faudroit dire: Vostre filz, ou vostre pere s'est retiré en son païs et au vostre; et parce qu'il le failloit, il est passé par la mort, en laquelle il n'a point arresté.

  A021001071 

 Je ne sçai pas, certes, comme nous pouvons en bon jugement estimer nostre patrie ce monde, auquel nous ne sommes que pour si peu, en comparayson du Ciel, auquel nous devons estre eternellement.

  A021001086 

 Or, estant encor surpris de ce second depart, comme n'ayant pas sceu jusques a present le retour du porteur, je n'adjousteray rien autre, sinon que j'ay donné un livre en main propre audit sieur de la Bretonniere; si que les trois seront pour ceux quil vous plaira..

  A021001141 

 Je ne dirais pas cela à Votre Paternité si les [117] Pères de ce collège n'en témoignaient le désir et si je ne voyais que lui-même, ayant appris la langue, incline à servir ce pays, auquel il se rendra d'autant plus utile qu'il aura reçu les instructions de Votre Révérendissime Paternité.

  A021001152 

 Que mon ame me fit grand playsir de ne les vouloir pas seulement regarder, et de ne tenir non plus de conte de cela que si j'eusse esté en l'article de la mort, auquel tout le monde ne semble qu'une fumee!.

  A021001163 

 Je dois, par tous moyens, chercher à le faire pour ne pas offenser Dieu, car j'entends chaque jour des nouvelles qui m'affligent beaucoup; de sorte que, à cause du relâchement du Clergé, je vois que ma présence est nécessaire en l'évêché de Genève..

  A021001184 

 Les bonnes Religieuses d'Evian ont desiré que je vous les recommandasse en l'affaire qu'elles envoyent solliciter aupres de Son Altesse; mays elles ont tort, ce me semble, car n'ont elles pas avec elles la devote et bienaymée Seur Beatrix, apres l'intercession de laquelle la mienne ne doit point tenir de rang devant vous? [122] Et neanmoins, puisqu'elles le veulent, je vous supplie donq, Monsieur, de les assister; comm' aussi de perseverer a m'aymer par vostre bonté, ainsy que vous aves tous-jours fait ci devant, et de croire que je vous veux tres affectionnement honnorer toute ma vie,.

  A021001219 

 Et comment? que j'eusse retenu nostre Seur Superieure de Grenoble par surprise? Vrayment, je ne suis pas de ces gens-la; je ne frappe point sans dire: Garde! Or sus, vous l'aves donq, et vous n'en doutes plus..

  A021001221 

 Au demeurant, vous estes tellement et si veritablement ma plus que tres chere fille, que si j'eusse remarqué en vous quelque defaut je vous l'eusse dit ingenuement; mays en si peu de tems on ne les peut pas discerner.

  A021001221 

 Ceux que vous ne connoisses pas ne vous nuiront pas, puisque vous voudries bien sincerement les [125] connoistre; ceux que vous connoistres ne vous nuiront pas, puisque cordialement vous desires de vous en corriger.

  A021001248 

 Et puisque monsieur le Marquis de Lulin, qui l'a recueilly fort charitablement, le presentera a Vostre Altesse, je ne m'estendray pas davantage en cette supplication, sachant combien Vostre Altesse prend de playsir a bien faire..

  A021001248 

 Mays comm' il a quitté son pere pour Dieu, il a quant et quant quitté tous les moyens de sa mayson; et si ceux que Vostre Altesse donne a la Sainte Mayson de Nostre Dame de Compassion de Tonon pour le refuge des convertis estoyent effectivement receuz selon son [128] intention, j'eusse procuré qu'il en eut eu sa part; mays cela n'estant pas, je supplie tres humblement Vostre Altesse de le gratifier de sa providence paternelle, affin que par sa liberalité, ou par l'employ de la personne d'iceluy, il puisse subsister.

  A021001248 

 Me resouvenant avec extreme consolation du grand zele que Vostre Altesse tesmoigna a la conversion des huguenotz a Thonon, il y a 25 ans, et sur tout du soin qu'elle prit pour le sieur Depréz, l'un des plus obstinés d'entre eux et qui, par son malheur, ne sceut pas faire son proffit de la debonaireté de son Prince souverain, [127] je prens une sainte confiance en la pieté de Vostre Altesse, Monseigneur, pour la supplier qu'en lieu du pere il luy playse recevoir le filz, qui, ayant tres bien estudié es loix et se treuvant fort estimé parmi les heretiques, apres avoir meurement examiné les raysons catholiques, avec un courage que Dieu seul peut donner, a la veüe de son pere et de tous ceux de ce malheureux parti, et, s'il se peut dire ainsy, les foulant saintement aux pieds, fit la profession publique de la foy catholique il y a justement un moys; et apres avoir soustenu une rude batterie de convices, injures, reproches et calomnies, qui sont les armes des hæretiques, en fin s'est retiré, comme au port, dans les Estatz de Vostre Altesse delaquelle il est nay sujet et vassal, dont il s'estime fort heureux.

  A021001277 

 Et puisque vous le voules ainsi, comme fils (et fils unique, puisque Dieu ne s'est point servi de mon ministere pour consacrer aucun autre Evesque que vous), à raison de la grace que Dieu a respanduë en vostre ame par l'imposition de mes mains; grâce que je ne vous conjure pas de resusciter en vous, car je suppose qu'elle n'y est jamais morte, mais de ne la laisser point vuide, c'est a dire inutile, mais de l'employer utilement au service de nostre grand Maistre, selon les talens qu'il a pleu a sa bonté vous communiquer.

  A021001286 

 Je vous avouë donc, que, comme l'on appelle martyrs ceux qui confessent Dieu devant les hommes, c'est a dire qui rendent tesmoignage par leurs souffrances à la verité de la foy, il n'y auroit pas grand danger quand on appelleroit ceux la encore martyrs, en quelque maniere, qui confessent les hommes devant [133] Dieu, voire quand on les nommeroit confesseurs et martyrs tout ensemble..

  A021001303 

 Vrayement, vous avez bonne grace de me consulter sur ce que des soldats mangeront en Caresme, comme si la loy de la guerre et celle de la necessité n'estoient pas les deux plus violentes de toutes les loix et par delà toute exception! N'est-ce pas encore beaucoup que ces bonnes [135] gens se sousmettent à l'Eglise et luy deferent à respect, de demander son congé et sa benediction? Certes, ils font mentir celuy qui a chanté que.

  A021001305 

 Dieu vueille qu'ils ne fassent rien de pis que de manger des œufs ou des bœufs, des fromages ou des vaches; s'ils ne faisoient point de plus grands desordres, il n'y auroit pas tant de plaintes contre eux..

  A021001329 

 est pas treuvé.

  A021001418 

 Mays prenes garde que ce soyent des vertus de cœur, vous resouvenant de ce que je vous ay dit: que c'est un des grans artifices du diable de faire que plusieurs s'amusent a dire des parolles et faire des gestes exterieurs des vertus, lesquelz, n'examinant pas les affections de leur cœur, pensent estre humbles et doux, et ne le sont neanmoins point en effect..

  A021001433 

 Les amitiés cimentees au sang de l'Aigneau n'ont pas besoin de tant de ceremonies..

  A021001454 

 Je n'appreuve nullement que l'on se serve des prestres comme des valetz de mayson, pour le seul trafiq [146] des choses temporelles; car encores que quelquefois la pauvreté le leur permette et face desirer, veu qu'ilz sont rustiques et gens de peu, si est ce qu'il ne faut pas que nous perdions le respect deu a leur qualité et caractere.

  A021001466 

 » Plusieurs personnes demandent conseil a Dieu de diverses choses; il respond a tous par une seule response et tout a coup, par parole ouverte et claire; mais ilz ne l'entendent pas tous-jours, bien qu'il ayt parlé clairement, car ilz s'addressent a luy pour demander conseil de ce qu'ilz veulent, et ilz n'ont pas tous-jours ce qu'ilz demandent.

  A021001468 

 Saint Pierre dit: Purifies vos ames en l'obeissance laquelle ne procede pas de la seule necessité, ains d'une franche volonté et desir de plaire a Dieu.

  A021001482 

 C'est grand cas! je suis tous-jours apres ces choix que je voudrois que nous n'eussions point, pas mesme parmi les hommes; combien moins avec Dieu..

  A021001497 

 On n'a jamais sceu d'asseurance de quel bois la Croix de Nostre Seigneur fut faite; c'est, je pense, affin que nous aymassions esgalement les croix qu'il nous envoyeroit, de quel bois qu'elles fussent composees, et que nous ne dissions pas: cette croix ou celle-ci n'est pas aymable parce qu'elle n'est pas de tel ou de tel bois..

  A021001507 

 Converses tous-jours humblement avec tous, ne tenes conte d'estre reputee et loüee, mais desirés d'estre mesprisee et rebutee; et jusques a ce que vous soyes parvenue a ce degré d'abjection, ne penses pas avoir prouffité.

  A021001508 

 » Celuy qui desire beaucoup de graces doit sentir humblement de soy et ne se pas eslever..

  A021001536 

 Il [l'amour] ne consiste pas aux plus grans goustz et sentimens, mais en la plus grande et ferme resolution et [153] desir de contenter Dieu en tout, et tascher, autant que nous pouvons, de ne l'offenser point, et de prier que la gloire de son Filz aille tous-jours augmentant.

  A021001536 

 Nous ne sçavons pas que c'est d'aymer Dieu.

  A021001549 

 Il se faut attacher a la fin, qui est Dieu, et a sa volonté, et non pas aux moyens; il s'y faut bien affectionner, mais non pas en sorte que si Dieu les oste il s'en faille troubler.

  A021001549 

 N'alles pas examinant tant de petites choses; que vostre cœur soit fort resolu.

  A021001552 

 Feres-vous pas en fin?.

  A021001567 

 Si par la prattique d'une seule vertu l'on peut parvenir a la perfection? — Il y en a certaines que l'on peut avoir en perfection sans estre parfait, parce qu'elles ne sont pas vertus essentielles: comme la virginité, l'aumosne et autres semblables.

  A021001611 

 Que nous doit il chaloir si nous sentons ou ne sentons pas l'amour? puisque nous ne sommes pas plus asseurés de l'avoir en le sentant qu'en ne le sentant pas, et que la plus grande asseurance consiste en cet entier, et pur, [160] et irrevocable abandonnement de nous mesme entre les bras de sa divine Majesté, sans reserve de consolation ou desolation, affin que, d'un cœur tout escorché, mort et maté, il reçoive l'odeur aggreable d'un saint holocauste, et affin que nos Seurs travaillees treuvent chez nous un cœur compatissant et un support suave et amoureux..

  A021001612 

 Ne veuilles pas penser si vous aves des sentimens, ni pourquoy vous n'en aves point.

  A021001642 

 Elle n'est croix que parce que nous ne la voulons pas; et si elle est de Dieu, pourquoy donq ne la voulons nous pas?.

  A021001642 

 La croix est de Dieu, mais elle est croix parce que nous ne nous joignons pas a elle; car, quand on est fortement resolu de vouloir la croix que Dieu nous donne, ce n'est plus croix.

  A021001647 

 Alles souvent en esprit aux pieds de la grandeur divine et dites luy: O Seigneur, je ne vous offre qu'une pauvre chetifve vefve, une pauvre chetifve Religieuse, [163] toute chetifve et vile; n'estes vous pas bien bon de regarder une si petite creature, ains un si petit rien comme je suis?.

  A021001689 

 Quand Nostre Seigneur nous a donné ses clartés et la connoissance de sa divine volonté une fois, il faut conserver cette connoissance et la memoyre en doit estre fidellement gardee, affin de demeurer en sa volonté et la suivre estant en secheresse comme durant ses visitations; car Nostre Seigneur se contente bien souvent de nous monstrer une fois, ou plusieurs, ce qu'il veut que nous fassions, et l'ayant veu, il faut demeurer ferme la, comme ont fait tous les Saintz, auxquelz il n'a pas non plus continué tous-jours ses clartés..

  A021001699 

 Ne respondés pas promptement, ains tardifvement, doucement, humblement, sans toutesfois se relascher de la justice et rayson..

  A021001706 

 Ah, vive Dieu! tout ce qui n'est pas Dieu ne m'est rien; mon Dieu m'est tout en toutes choses..

  A021001721 

 Je ne me soucie pas que vous me delaissies quelque tems pour m'espreuver, pourveu que ce ne soit pas tant que je succombe.

  A021001721 

 Puis, prenes les armes de l'orayson; quand ce ne seroit que de bouche, dites avec David: Seigneur, je suis resolue d'observer vos commandemens, quelque contraste ou tentation qui se puisse opposer; neanmoins, Seigneur, ne m'abandonnes pas du tout.

  A021001737 

 Jesus vous tienne saintement esclave de sa sainte Croix et desnuee de tout ce qui n'est pas luy mesme.

  A021001743 

 Je n'ayme pas les tendretés, ains cet amour royal, pareil a celuy des Bienheureux qui ayment tant et ne pleurent jamais.

  A021001743 

 La robe de laquelle on s'est despouillé ne nous doit pas mettre en sollicitude.

  A021001752 

 Il faut tous-jours estre contente de ce que Nostre Seigneur voudra faire de nous, car cela est l'humilité, et non pas vouloir choysir.

  A021001771 

 Encor qu'estant de la race de David et Salomon selon la chair, il est neanmoins extremement rejetté en la ville de David et gist en une souveraine pauvreté en la cresche, et sa Mere ne treuve pas seulement qui daigne le loger.

  A021001771 

 Ne vous disois-je pas, ma chere Fille, que ce seroit une belle chose d'estre pauvre pour l'amour de Nostre Seigneur, pourveu qu'on n'en receust aucune incommodité et qu'on eust a souhait tout ce qui seroit requis pour toutes nos affaires, et encor pour nous faire estimer et estre plus honnorés du monde? Certes, ma chere Fille, ce seroit une brave pauvreté, mais le mal seroit qu'on ne vous la laisseroit pas si elle estoit ainsy.

  A021001791 

 La plus grande asseurance que nous pouvons avoir en cette vie consiste en ce pur et irrevocable abandonnement de tout son estre entre les mains de Dieu et en l'absolue resolution de ne jamais vouloir, pour chose que ce soit, consentir a faire volontairement aucun peché grand ni petit; car nous ne sommes pas plus asseurés quand nous sentons l'amour de Dieu que quand nous ne le sentons pas.

  A021001802 

 Que s'il estoit a nostre pouvoir de nous faire quittes de cette croix, il ne le faudroit pas faire..

  A021001836 

 Mais, helas! ce que je sçay qu'il veut que je face, je ne le sçay pas faire.

  A021001872 

 La vraye sainteté gist en la dilection de Dieu, et non pas a faire des niaiseries d'imaginations de ravissemens qui nourrissent l'amour propre, dissipent l'obeissance et l'humilité.

  A021001881 

 Le tresor des ames nettes ne consiste pas a avoir des biens et faveurs de Dieu, ains a le rendre content, ne voulant ni plus ni moins que ce qu'il donne..

  A021001888 

 II faut beaucoup ressentir les fautes du prochain, mays il faut sçavoir en mesme tems que la charité s'exerce a les supporter et non pas a s'en estonner.

  A021001893 

 C'est le grand mot de nostre repos, de souvent prevoir l'empirement de nos affaires et travaux et nous y disposer, et quand les accidens arrivent, user de la domination que nostre volonté superieure a sur l'inferieure; car d'empescher que cette partie inferieure ne gronde et chagrine, il n'est pas possible; mais il la faut laisser faire, et mettre la superieure en son estre, acceptant de bon cœur ce que Dieu veut ou permet nous arriver, a la façon que Nostre Seigneur fit dans son agonie: Mon ame est triste jusqu'a la mort.

  A021001893 

 Mays, o Seigneur, devons-nous dire, n'ayes point d'esgard aux inclinations et rebellions de cette partie inferieure, et ne laysses pas, de grace, d'exercer vostre volonté sur moy qui suis trop heureuse dequoy vous me visites et me despouilles de moy mesme pour me revestir de vous mesme.

  A021001898 

 Il faut assujettir la nature a la grace, et ne s'estonner nullement pour les difficultés que l'on rencontre; car tous-jours il faut faire estat de commencer a s'aneantir, perseverant en cet exercice jusqu'a l'extremité de nostre vie, a laquelle nous treuverons nostre besoigne faite, si nous perseverons, mays non pas plus tost; car il faut coudre nostre perfection piece a piece, parce qu'il ne s'en treuve point de toute faite, sinon que, par une grace miraculeuse, Nostre Seigneur peut donner une habitude en un instant, comme il fit a saint Paul.

  A021001900 

 Que s'il plaist a Dieu que nous ayons l'amour de leurs cœurs, c'est une grande consolation et benediction de Dieu; que s'il ne plaist pas a sa Bonté, nous nous devons contenter de l'amour du cœur de Nostre Seigneur, et c'est bien asses..

  A021001900 

 Que vous doit il importer si on vous ayme ou non? Que [188] si vous rencontres des occasions qui vous font sembler qu'on ne vous ayme pas, il faut passer outre en vostre chemin, sans vous amuser a les considerer.

  A021001946 

 M. de Bérulle ne trouve pas bon que l'on parle encore au Roi de la proposition, parce qu'elle s'éventerait et serait traversée par plusieurs..

  A021001966 

 O ma Mere, soit que la Providence de Dieu me face changer de sejour, soit qu'elle me laisse icy (car cela m'est tout un) n'auray-je pas mieux, de n'avoir pas tant de charge, à fin que je puisse un peu respirer en la Croix de nostre Seigneur, et escrire quelque chose à sa gloire? Cependant nous escouterons, ce que Dieu ordonnera, à la plus grande gloire duquel je veux tout reduire, et sans laquelle je ne veux rien faire, moyennant sa grace: car vous sçavez, ma [194] tres-chere Mere, quelle fidelité nostre cœur luy a voué.


22-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XXII-Vol.1-Opuscules.html
  A022000007 

 Pas être utilisés à des fins commerciales de toute nature!.

  A022000082 

 Mesures à prendre à l'égard des habitants du Chablais et de Ternier qui ne professent pas la vraie foi.

  A022000082 

 — Ne pas détourner les catholiques de l'assistance aux Offices.

  A022000087 

 — Les raisons qu'elle apporte ne doivent pas en retarder l'exécution.

  A022000087 

 — Pourquoi elle n'avait pas le droit d'être consultée avant que le Bref fût rendu.

  A022000094 

 — Pourquoi certaines appréhensions n'ont pas de fondement.

  A022000105 

 — Une requête à laquelle ils n'ont pas fait droit.

  A022000197 

 Je n'estimeray pas legitime empeschement de ceste sainte devotion toute sorte d'incommodité, mays seulement celle qui sera telle qu'avec icelle on ne puysse communier; sçachant que ce n'est pas grand service celuy que l'on faict seulement quand on en a commodité, par maniere d'inadvertance et occurrence..

  A022000198 

 Que si je ne puys, par quelque legitime empeschement, aller a la table de Nostre Seigneur et me refectionner de ceste sainte viande quand sera le tems ordinaire, je feray quelque extraordinaire bonne œuvre en contreschange: comme sera quelque effort de prieres, de misericorde tant spirituelle que corporelle, d'austerité, d'humilité et abjection, et autres semblables; imitant en cecy ceux lesquelz en hyver n'ont pas du feu pour se garder du froid, qui s'advisent de fayre d'autant plus d'exercices et mouvemens: ainsy, ne pouvant m'approcher du Saint Sacrement, qui est le feu que Nostre [12] Seigneur vint mettre au monde, je feray d'autant plus d'exercice et mouvement en la vertu, a fin que le froid et vent de bize a quo omne malum panditur, qui est le peché, ne me gele interieurement; et particulierement je feray a la façon des François, qui passent la faim en chantant, car je passeray la faute de ce Pain celeste faysant d'autant plus de prieres..

  A022000225 

 C'est pour cela que nous ne craindrons pas, tandis que la terre sera bouleversée et que des montagnes seront transportées au cœur des mers..

  A022000230 

 Exaucez-moi, Seigneur, parce que votre miséricorde est bienfaisante; selon la multitude de vos bontés, jetez un regard sur moi et ne détournez pas votre face de votre serviteur; parce que je suis tourmenté, exaucez-moi promptement.

  A022000230 

 Qu'une tempête d'eau ne me submerge pas, qu'un abîme ne m'engloutisse pas, qu'un puits ne referme pas sa bouche sur moi.

  A022000230 

 Retirez-moi de la fange afin que je n'y demeure pas enfoncé; délivrez-moi de ceux qui me haïssent, et du fond des eaux.

  A022000232 

 C'est vous qui êtes mon aide et mon libérateur; Seigneur, ne tardez pas..

  A022000233 

 Ne livrez pas aux bêtes féroces mon âme qui vous loue; et l'âme de votre pauvre serviteur, ne l'oubliez pas à jamais.

  A022000235 

 C'est en vous, Seigneur, que j'ai espéré; je ne serai pas confondu a jamais..

  A022000235 

 Est-ce que mon âme ne sera pas soumise à Dieu? car c'est de lui-même que vient mon salut, car lui-même est mon Dieu et mon Sauveur; mon soutien, je ne serai plus ébranlé.

  A022000235 

 Parce que lui-même est mon Dieu et mon sauveur; mon aide, je n'émigrerai pas.

  A022000243 

 Et jamais donques je ne seray faict participant de cest immense benefice de la Redemption?... Et mon doux Jesus n'est il pas mort aussi bien pour moy que pour les [18] autres?... Ah! quoy qu'il en soit, Seigneur, pour le moins que je vous ayme en ceste vie, si je ne puis vous aymer en l'eternelle, puysque personne ne vous loüe en enfer..

  A022000254 

 Quoi qu'il arrive, Seigneur, vous qui tenez tout dans votre main, et dont toutes les voies sont justice et vérité; quoi que vous ayez arrêté à mon égard au sujet de cet éternel secret de prédestination et de réprobation; vous dont les jugements sont un profond abîme, vous qui êtes toujours juste Juge et Père miséricordieux, je vous aimerai, Seigneur, au moins en cette vie, s'il ne m'est pas [19] donné de vous aimer dans la vie éternelle; au moins je vous aimerai ici, ô mon Dieu, et j' espérerai toujours en votre miséricorde, et toujours je répéterai toute votre louange, malgré tout ce que l' ange de Satan ne cesse de m'inspirer là-contre.

  A022000254 

 Si, parce que je le mérite nécessairement, je dois être maudit parmi les maudits qui ne verront pas votre très doux visage, accordez-moi au moins de n'être pas de ceux qui maudiront votre saint nom.

  A022000263 

 C'est pourquoy, apres avoir discrettement conjecturé les divers labirinthes ou aysement je m'esgarerois et courrois risque de me perdre, je considereray diligemment et rechercheray les meilleurs moyens pour esviter les mauvais pas; je disposeray aussy et ordonneray a part moy de ce qu'il me conviendra fayre, de l'ordre et de la façon qu'il faudra observer en telz et telz negoces, de ce que je diray en compaignie, de la contenance que je tiendray, de ce que je fuyray ou rechercheray..

  A022000264 

 Pour [24] ceste fin je me serviray des parolles du Prophete royal David: Nonne Deo subjecta eris, anima mea? ab ipso enim salutare meum; eh bien, mon ame, n'obeyres vous pas de bon cœur aux saintes volontés de Dieu, veu que de luy depend vostre salut? Ah, que c'est une grande lascheté de se laisser persuader et conduire a mal fayre, contre l'amour et desir du Createur, par crainte, amour, desir et hayne des creatures, quelles qu'elles soyent! Certainement, ce Seigneur d'infinie majesté estant reconneu de nous digne de tout honneur et service, ne peut estre mesprisé qu'a faute de courage.

  A022000287 

 Or, tout ainsy que par le sommeil corporel toutes les operations corporelles se resserrent tellement dans le cors qu'elles ne s'estendent rien pour tout au dela [28] d'iceluy, aussy donneray je ordre que mon ame, en ce tems la, se retire tout a faict en soy mesme, et qu'elle ne face autre fonction que de ce qui luy touchera et appartiendra, obeyssant humblement au dire du Prophete: Surgite postquam sederitis, qui manducatis panem doloris; O vous qui manges volontier le pain de douleur, ou en la doleance de vos fautes, ou en la condoleance de celles du prochain, ne vous leves pas, n'alles pas aux occupations exterieures de ce siecle laborieux, que vous ne vous soyes au prealable suffisamment reposés en la contemplation des choses eternelles..

  A022000290 

 Illumines tellement mon pauvre aveuglé cœur des beaux rayons de vostre grace, que jamais il ne s'arreste en façon quelcomque en la mort du peché; hé, ne permettes pas, je vous prie, que mes ennemis invisibles puissent dire: Nous avons eu barre dessus luy.

  A022000291 

 D'abondant, je me serviray de ces saintes parolles de David: Dominus illuminatio mea et salus mea, quem timebo? qui est autant que si on disoit: Le soleil ny ses rayons ne sont pas ma lumiere principale, ny la compaignie ne me sauve pas, [32] mays Dieu seul, lequel m'est aussy propice la nuict comme le jour..

  A022000302 

 Dominus illuminatio mea et salus mea, quem timebo? comme disant: Le soleil [32] ny ses rayons ne sont pas ma lumiere principale, ny la compaignie ne me sauve pas, mays Dieu seul, qui m'est aussy propice la nuict comme le jour..

  A022000310 

 Troysiesmement: je me reposeray tout doucement en la consideration de la laydeur, de l'abjection et de la deplorable misere qui se retrouve au vice et au peché, et aux miserables ames qui en sont obsedëes et possedëes; puys je diray, sans me troubler et inquieter aucunement: Le vice, le peché est chose indigne d'une personne bien nëe et qui faict profession de merite, jamais il n'apporte contentement qui soit veritablement solide, ains seulement en imagination; mais quelles espines, quelz scrupules, quelz regretz, quelles amertumes, quelles inquietudes et quelz supplices ne traisne il quant et soy! Voire, et quand tout cela ne seroit pas, ne nous doit il pas suffire qu'il est desaggreable a Dieu? Oh, cela doit estre plus que suffisant pour le nous faire detester a toute outrance..

  A022000311 

 Mays quelles consolations, quelles delices, quelz honnestes playsirs ne luy donne elle pas en tout tems! Ah, c'est la chrestienne vertu qui le sanctifie, qui le change en ange, qui en faict un petit dieu, qui luy donne des icy bas le Paradis..

  A022000313 

 Sixiesmement: je peseray attentivement la rigueur de la divine Justice laquelle, sans doute, ne pardonnera pas a ceux qui se trouveront avoir abusé des dons de nature et de grace; telles gens doivent concevoir une tres grande apprehension des divins jugemens, de la mort, du Purgatoire et de l'enfer.

  A022000336 

 Au rencontre, la compaignie n'est pas de durëe, on ne s'y familiarise gueres, on ne s'y engage trop d'affection; mays en la conversation on se void souvent, on use de privauté, on s'affectionne aux personnes choysies, on les frequente pour vivre loüablement et s'entretenir ensemblement.

  A022000339 

 Et puys, a quel propos descouvrir les imperfections? ne les voit on pas asses? ne se descouvrent elles pas asses d'elles mesmes? Il n'est [40] donques nullement expedient de les manifester, mays il est bon de les advoüer et confesser.

  A022000341 

 — Si la necessité me force de converser avec les grans, c'est alhors que je me tiendray soigneusement sur mes gardes, car il faut estre avec eux comme avec le feu: c'est a dire, qu'il est bien bon parfoys de s'en approcher, mais ne faut pas aussy que ce soit de trop pres; partant, je me comporteray en leur presence avec beaucoup de modestie, meslëe neantmoins d'une honneste liberté.

  A022000373 

 — Finalement, quand je me sentiray sec et aride a la sainte Communion, je me serviray de l'exemple des pauvres, quand ilz ont froid; car, n'ayant pas dequoy fayre du feu, ilz marchent et font de l'exercice pour s'eschauffer: je redoubleray mes prieres et la lecture de quelque traitté du tressaint Sacrement que, tres humblement et d'une ferme foy, j'adore.

  A022000401 

 Car dès cette époque, en m'y affermissant, j'ai médité tout ce qui paraît serrer de près la question; mais dans ces études spéculatives, il arrive souvent en un instant ce qui n'était pas arrivé en un an.

  A022000401 

 J'ai noté ceci avec crainte et tremblement, l'an 1590, le 15 décembre, pour ne pas avoir peut-être à en regretter la perte, si dans la suite cette façon de penser, dans laquelle je me suis affermi quand j'eus atteint l'adolescence et quand j'eus acquis plus d'expérience par l'âge et par la science, continue à paraître vraie selon le jugement et la décision de l'Eglise, comme elle m'a paru vraie alors, dans mon enfance.

  A022000418 

 Cependant, comme je peux me tromper, de telle sorte que ce qui paraît ne soit pas, je me remets en tout à l'Esprit Paraclet qui gouverne les intelligences par notre Eglise.

  A022000418 

 Que ces choses soient ainsi, si elles sont conformes à la foi de la sainte Eglise Romaine; sinon, que ces écrits périssent et ne soient pas conservés avec les autres.

  A022000419 

 Or, Dieu lui-même est le Père de toute consolation, et nous ne devons pas nous glorifier comme si quoi que ce soit venait de nous comme de nous, puisque, comme je l'ai montré ailleurs, toute notre suffisance vient de Dieu; car si la doctrine de la prédestination dit que nos actions sont prévues, ce n'est pas au préjudice de la grâce du libre arbitre, mais il est toujours besoin de la prévision de la grâce du Seigneur, par la miséricorde de qui nous irons dans sa maison, si, en cette vie, nos pieds ont été dans tes parvis, Jérusalem, car, sans le Christ, nous ne pouvons rien faire..

  A022000420 

 «Vous, Roi de gloire, ô Christ; vous êtes le Fils éternel du Père; afin de revêtir la nature de l'homme pour le délivrer, vous n'avez pas dédaigné le sein d'une Vierge;» ô Jésus, fils de David, hosanna, hosanna.

  A022000448 

 En outre, Tartaretus cite en faveur de cette thèse Henri, in Reportatis, et aussi [52] Occam, et il affirme que cette opinion est probable et ne contredit pas Scot.

  A022000449 

 En effet, dans l'opinion contraire, la damnation n'est pas la fin et n'est pas voulue absolument pour elle-même, mais elle est un moyen pour châtier les méchants, et est voulue pour des êtres supposés méchants.

  A022000449 

 Exemple: Je veux absolument un remède; s'il était défendu à quiconque n'est pas malade de recevoir un remède, je devrais vouloir la maladie comme moyen d'avoir ce remède: sans quoi, je ne le veux pas efficacement.

  A022000449 

 Si cependant quelqu'un ne voulait pas d'une manière absolue le remède, mais le voulait seulement pour regagner la santé, il ne serait nullement nécessaire qu'il voulût la maladie en vue du remède, car il voudrait plutôt le remède à cause de la maladie.

  A022000450 

 De son côté, Je Psalmiste dit: Ce ne sont pas les morts, Seigneur, qui vous loueront, ni tous ceux qui descendent en enfer..

  A022000450 

 Deuxième preuve: La damnation ou réprobation ne plaît pas à Dieu comme telle, surtout en tant qu'elle dit privation, mais elle lui plaît seulement en tant qu'elle est juste; par ailleurs, elle ne peut évidemment être juste sans relation avec la faute.

  A022000451 

 En troisième lieu, [ces textes]: Ta perte vient de toi-même, ô Israël; J'ai planté une vigne, j'attendais qu'elle porterait des raisins, elle a donné des fruits sauvages; Il fit appeler tout le monde au festin; Il veut que tous soient sauvés; Venez à moi, vous tous, sont certes des expressions qui ne peuvent être proprement et convenablement comprises, si l'on suppose que Dieu avait tout d'abord déterminé de ne pas accorder la gloire à certains individus: ce serait, en effet, se moquer de quelqu'un que de l'inviter à un repas de noces, tout en ayant résolu de l'exclure à cause de l'absence de mérites de sa part.

  A022000451 

 Enfin, Dieu n'a-t-il pas créé l'homme [55] pour jouir de sa vue? pourquoi donc a-t-il pu déterminer qu'il ne le verrait pas, et cela en dehors de toute cause préalable? En outre, toutes les fois que deux causes sont en de telles relations entre elles que l'une étant posée elle ne peut obtenir son effet en l'absence de l'autre, celui qui n'a pas l'une des deux en son pouvoir ne peut être dit en mesure d'obtenir l'effet voulu, et celui qui écarte l'une d'elles écarte par le fait même l'effet voulu.

  A022000451 

 Et puis, que signifie cet adage: Dieu ne te fait pas défaut si tu ne te fais pas défaut? En vérité, pourrait-on dire, il m'a fait défaut au commencement, alors que je ne pouvais ni m'être utile, ni m'être nuisible, si nous supposons que l'opinion ci-dessus, plus dure que le fer, est vraie.

  A022000451 

 Tandis que dans notre opinion ce raisonnement n'a pas de force, attendu que nous ne supposons pas le refus de la volonté de Dieu avant la prévision de nos péchés..

  A022000452 

 Exemple: si un roi voulait mettre à mort un individu et ne voulait cependant pas le faire injustement, il faudrait, ou qu'il prévît sa faute, ou qu'il l'obligeât à la commettre, sans quoi il se mettrait dans le cas de ne pas faire mourir justement, comme il l'avait décidé, l'individu en question.

  A022000452 

 Or, tout cela est blasphématoire; donc, Dieu ne réprouve pas en dehors de la prévision des péchés.

  A022000453 

 Au sujet de la même opinion, il faut noter: Premièrement, [57] cette opinion, étant que la prédestination a lieu sans la prévision des œuvres, mais non la réprobation, pourrait peut-être s'expliquer en ce sens que Dieu tout d'abord donne à tous les hommes un secours suffisant; qu'ensuite, voyant que beaucoup n'en usent pas, il réprouve ceux-ci, et que les autres, soit qu'ils usent, soit qu'ils n'usent pas de ce secours, il les sauve par des moyens efficaces: en sorte que parmi ceux qui n'usent pas du secours suffisant, Dieu en damne certains, et les autres, il les retire efficacement du chemin de damnation où ils se précipitent.

  A022000454 

 Mais il faut remarquer, en second lieu, que l'opinion des adversaires ne s'accorde pas avec cette parole du Seigneur: Est-ce que si tu fais le bien, tu n'en recevras pas la récompense? car il faudrait [58] plutot dire: Est-ce que, si tu reçois la recompense, tu ne feras pas le bien?.

  A022000455 

 Comme, en effet, elle doit s'accorder avec 1'autorite de Paul dans son Epitre aux Romains et que cette autorite ne prouve pas davantage une these que l'autre, il faut avouer qu'elle ne favorise directement ni l'une ni l'autre des deux theses..

  A022000458 

 Comment peut-il y avoir prix, salaire, récompense, triomphe, sans relation avec un travail accompli? Ce sera de la libéralité, mais non un prix, et nos travaux seraient une compensation offerte à la munificence de Dieu, mais ne seraient pas proprement méritoires..

  A022000459 

 Cela convient, en effet, à la bonté de Dieu (bien qu'il ne convienne pas à la justice de Dieu de damner quelqu'un en lui refusant les moyens, à lui, dis-je, nécessaires: en effet, qu'importe si ces moyens suffisent à d'autres, non à ceux dont il s'agit? Cela ne convient pas davantage à sa puissance, attendu que la puissance de Dieu se manifeste tout autant, et même davantage, en sauvant qu'en damnant).

  A022000459 

 Il est probable que Dieu, dans sa très grande bonté, en a ordonné plusieurs à la gloire en leur accordant un moyen plus puissant, lesquels, s'il leur en avait concédé seulement un moindre et ordinaire, n'auraient pas agi convenablement.

  A022000461 

 Or, le P. Gesualdi, de l'Ordre des Mineurs Conventuels, homme savant et pieux, a [61] enseigné que la damnation n'a pas lieu sans la prévision des péchés.

  A022000461 

 Si, en effet, il est vrai que les hommes ne sont pas damnés en dehors de la prévision [de leurs démérites], comme d'un autre côté il faut, [pour les adversaires,] pouvoir répondre à l'autorité tirée de l'Epître aux Romains, il reste que l'opinion que nous avons énoncée est inébranlable.

  A022000476 

 Il y a un passage quelque part dans l'Ancien Testament, où le Prophète, prédisant la future rédemption du Christ, affirme qu'il [63] ne faudra plus dire alors que les pères ont mangé de mauvais raisins et que les dents des fils en ont été agacées; parce que, dit-il, le Christ arrivant, le fils ne portera pas l'iniquité du père, mais c'est l'âme pécheresse qui mourra d'elle-même..

  A022000479 

 Courage, petit serviteur, indigne certes, mais fidèle; puisque tu as espéré en moi, ayant confiance en ma miséricorde, et p arce que tu m'as été fidèle en peu de choses (à savoir, en me glorifiant par la souffrance et par la damnation, s'il me plaisait ainsi), je t'établirai sur beaucoup; et parce que tu as voulu glorifier mon nom, même en souffrant, s'il en était besoin (bien qu'en cela, cette glorification et l'exaltation de mon nom qui n'est pas «damnateur», mais «SAUVEUR», soient petites), je t'établirai sur beaucoup, afin que tu me loues dans la perpétuelle béatitude où la gloire rendue à mon nom est abondante.

  A022000479 

 En effet, quoique je ne doute pas que les choses que j'ai écrites ne soient vraies, parce que je n'y vois rien qui puisse former un doute solide au sujet de leur vérité; cependant, parce que je ne vois pas tout et qu'un mystère si profond est trop brillant [64] pour pouvoir être regardé en face par mes yeux de chouette, si, dans la suite, le contraire apparaissait (ce qui, je pense, n'arrivera jamais); bien plus, si je me savais damné (que cela n'arrive pas, Seigneur Jésus!) par cette volonté que les thomistes placent en Dieu afin que Dieu montre sa justice, frappé de stupeur et levant les yeux vers le Juge suprême, volontiers je dirais avec le Prophète: Mon âme ne sera-t-elle pas soumise à Dieu? Amen, Père, parce qu' il vous paraît bon ainsi; que votre volonté soit faite.

  A022000479 

 Et je dirais cela tant de fois dans l'amertume de mon cœur, jusqu'à ce que Dieu, changeant ma vie et sa sentence, me réponde: Aie confiance, mon fils, je ne veux pas la mort du pécheur, mais plutôt qu'il se convertisse et qu'il vive.

  A022000479 

 Les morts ne me loueront pas, ni tous ceux qui descendent dans l'enfer.

  A022000479 

 Par moi-même j'ai juré: parce que tu as fait cela, c'est-à-dire, parce que tu as préparé ton cœur à obéir à ma justice, et que tu ne t'es pas épargné, acquiesçant à ma volonté, même jusqu'à la géhenne à cause de moi, je te bénirai d'une perpétuelle bénédiction, et tu entreras dans la gloire de ton Seigneur..

  A022000479 

 Tu n'es pas mort, mais tu dors; ton infirmité n'a pas pour but la mort, mais que, converti, tu glorifies Dieu.

  A022000479 

 Tu ne descendras pas, mais tu monteras à la montagne du Seigneur, au tabernacle du Dieu de Jacob.

  A022000480 

 Alors non plus je ne devrai pas répondre autrement qu'auparavant [66]: Amen, Père, parce qu' il vous paraît bon ainsi.

  A022000480 

 Mon âme ne vous sera-t-elle pas soumise? car c'est de vous que vient mon salut.

  A022000480 

 O Seigneur, parce que je suis votre serviteur, qu'il me soit fait selon votre parole: Je ne veux pas la mort du pécheur, mais plutôt, qu'il se convertisse et qu'il vive.

  A022000514 

 En ce qui concerne la cohabitation, il est très difficilement dissous, parce que ce qui était un pur contrat chez ces nations qui n'ont pas connu Dieu et n'ont pas invoqué le saint nom de Dieu, et ce qui n'était consenti que par un simple engagement, est aujourd'hui un très auguste Sacrement par le Christ notre Seigneur, à qui, ainsi qu'au Père et à l'Esprit-Saint, soit louange, honneur, puissance; et à notre Bienheureuse Dame la Vierge Marie, Mère de Dieu, aux saints Apôtres Pierre et Paul, dont aujourd'hui même la mémoire est célébrée dans toute l'Eglise, à raison de la chaire de [69] saint Pierre [à Antioche]; aux saints Fabien et Sébastien, martyrs; aux saints Joseph, François et Bonaventure, confesseurs.

  A022000565 

 Cherchez donc d'abord le royaume de Dieu, et tout vous sera [74] donné par surcroît, afin qu'un roi soit établi par Dieu sur la sainte montagne de Sion, un roi qui proclame sa loi, qui croie en son nom et ne soit pas né de la chair, mais de Dieu..

  A022000565 

 Pourquoi aimez-vous la vanité, disant: Qui nous montre le bien? Je ne suis pas le renardeau qui saccagera les vignes.

  A022000565 

 Qui n'est pas avec moi est contre moi; et Bélial n'est pas avec moi.

  A022000595 

 Il est permis, en effet, de disserter sur les mystères de la religion avec humilité et soumission, même quelquefois en public, dans des conférences contre les hérétiques, dans des discussions et cours publics; car cela n'est pas mettre la foi en cause, mais échanger ses pensées pour éclairer la foi..

  A022000595 

 Quant à ces paroles ajoutées: «QUE PERSONNE NE SE PERMETTE D'EN DISCUTER EN PUBLIC,» voici comment il faut les entendre: il n'est pas permis de discuter de la foi, puisqu'il nous est défendu d'être contentieux, c'est-à-dire de nous attacher à notre opinion personnelle avec obstination et verbeusement.

  A022000598 

 Or, les mots de l'Empereur: «Lui que nous espérons et que nous recevons du souverain Père de toutes choses,» ne confirment pas cette opinion des Grecs, que le Saint-Esprit procède du Père seulement, puisqu'elle n'est apparue que plusieurs siècles après; mais il parle de la réception de la grâce du Saint-Esprit, car il est dit ainsi, que l'Esprit-Saint est donné aux hommes par le Père au moyen du Fils, que le Père enverra en mon nom.

  A022000603 

 «Il est juste que» ceux qui n'obéissent pas aux décisions du Souverain Pontife «soient considérés par l'Eglise comme bannis;» cependant, «l'Eglise ne ferme jamais son sein à ceux qui reviennent.» (L. VI.).

  A022000638 

 Car il ne semble pas assez respectueux de peindre un signe si grand, à savoir la Sainte Croix, et de le représenter en un endroit où il pourrait être foulé aux pieds.

  A022000657 

 Bien que je me rende assez compte en moi-même de quelle importance il est pour ma réputation de vous adresser autant que je le puis les très vifs remerclments qu'exige de moi le saint et sacré bienfait que vous m'accordez aujourd'hui, Révérendissime Vicaire général, vénérable Prieur, Pères conscrits: [82] cependant, ne me sentant pas capable de vous les présenter tels qu'il le faudrait et connaissant les graves occupations qui vous empêchent d'y prêter une longue attention, plus soucieux de vos intérêts que de ma propre renommée, je me serais volontiers abstenu de ce devoir de reconnaissance.

  A022000658 

 En effet, les autres avantages ne sont que les ornements de la fortune ou de la personne; mais seul celui du doctorat est l'ornement du mérite [83] lui-même, qui d'ailleurs est, de soi, fort glorieux; et j'estime cet honneur d'autant plus grand et éclatant que ce n'est pas seulement une couronne de laurier que ce Collège m'a conférée, mais le laurier lui-même: car il ne m'a pas fait docteur seulement, mais il m'a rendu digne de le devenir et d'en porter le titre..

  A022000662 

 J'ai donc reçu deux bienfaits de cette école, et je ne sais quel est le plus grand, mais je n'ignore pas que tous deux sont très grands; c'est à savoir, que je suis docteur et que j'ai eu le moyen de le devenir..

  A022000697 

 C'est pourquoi, obligés de retourner, au port de Césène nous apprîmes, au milieu des applaudissements universels, bien que la nouvelle ne fut pas encore certaine, l'élection au souverain Pontificat, du Cardinal des Quatre-Couronnés, ou Facchinetti, bolonais.

  A022000697 

 En effet, n'ayant plus à craindre de souverain ni de maître, une foule infâme de brigands se leva furieuse, et l'élection du nouveau Pontife ne paraissait pas devoir se produire bientôt; aussi fallut-il penser au retour.

  A022000698 

 Le peuple et le royaume qui ne le serviront pas périront..

  A022000721 

 La femme ne reçoit pas de secours [du Sénatusconsulte Velléien] si elle paye pour autrui sans s'être obligée; Loi 1 re.

  A022000721 

 Or, elle n'est pas obligée, même pour son fils, le Sénatusconsulte Velléien ne lui permettant pas de s'obliger; Loi III. Elle n'en reçoit pas non plus de secours quand elle promet de doter sa fille; Loi XII. C'est cette Loi que, par voie de tirage au sort, m'attribua pour mon examen solennel le Collège de Padoue, en cette année, le 5 septembre, messire Quarantotto étant Prieur..

  A022000728 

 MAIS IL FAUT ECRIRE EN LETTRES MAJUSCULES CE QUI EST DIT DANS LA 1 re Loi: «DANS CES CHOSES MEMES OU NOUS INTRODUISONS UNE REFORME DES MŒURS, NOUS NE DEVONS PAS TENIR COMPTE DE LA QUESTION D'ARGENT.» L'observation de cette Loi n'est pas d'une nécessité urgente aujourd'hui, car les usuriers et les prêteurs à gages les plus sordides, lorsqu'ils ont réduit à l'indigence une province jusqu'alors intacte, s'ils se laissent saisir, tous leurs biens reviennent au fisc; pour quelle raison, je l'ignore, car ces biens ne sont pas ceux des usuriers, mais ceux des débiteurs pauvres.

  A022000762 

 C'est ce qu'avait fait pour moi ma très bonne et très chère mère lorsqu'elle n'avait encore que moi comme seul et unique fils; dans la suite, pourtant, cette donation fut révoquée, non par une diminution de son amour maternel, mais parce qu'il m'était survenu des frères, que Dieu bénisse: notre commune et très sage mère a jugé que, de même qu'elle ne les préférait pas à moi, ainsi elle ne me préférait pas à eux..

  A022000951 

 Sa ceinture pourra estre de soye, non pas toutesfois pretieuse, et en icelle il portera son chappelet attaché.

  A022000968 

 Le tems de ceste recollection ne peut pas bonnement estre determiné, sinon que les semaynes de carnaval semblent y estre propres, tant pour n'estre pas tesmoin de l'insolence et dissolution du peuple, que pour sortir du desert a la predication et aux grandes œuvres, a l'imitation de nostre Sauveur et Redempteur Jesuschrist et de son Precurseur saint Jean Baptiste.

  A022000990 

 Que si, en ce tems-la, ladite sainte religion ny est pas restablie, j'ordonne que mon cors soit enterré au milieu de la nef de l'eglise de la Visitation que j'ay consacree en cette ville; sinon que je mourusse hors de mon diocaese, auquel cas je laisse le choix de ma sepulture a ceux qui lors seront aupres de moy, a ma suite.

  A022001035 

 Que si en ce tems laditte sainte religion n'y est pas restablie, Nous ordonnons que nos cors soyent enterrés au milieu de la nef de l'eglise de la Visitation (que Nous, Evesque de Geneve, avons consacree en cette ville); [134] sinon que nous mourussions hors du diocese, auquel cas Nous laissons le choix de nostre sepulture a ceux qui pour lhors seront aupres de Nous, a nostre suitte..

  A022001056 

 Mays le fruict que jusqu'a praesent ilz y ont faict n'a esté que de consoler le peu de Catholiques qui y estoyent et donner a penser a la plus part des autres, qui ne croyoyent pas que personne parlast ou entendist la rayson de l'Escriture que les ministres huguenotz; n'ayant peu reduire que cinq personnes, entre lesquelles il y a un advocat nommé Pierre Poncet, le mieux entendu de tout le balliage..

  A022001057 

 Outre ce, que ne voyant rien d'estably pour ce peu de gens d'Eglise qui reside, on ne leur peut pas lever l'opinion que ce ne soit une boutade de l'Evesque pour aggrandir son authorité, sans aucun adveu ou volonté du Prince..

  A022001058 

 Si donq il playsoit a Son Altesse favoriser cest œuvre d'une sienne lettre addressee a la ville de Thonon, par laquelle elle declarast son desir en ce faict, il ne faut pas douter qu'une grande partie des bourgeois et habitans ne vint a la praedication, ou peu a peu ilz se pourroyent instruire de la verité.

  A022001061 

 Que s'il playsoit, outre ceste vostre, en faire une autre a monsieur le Baron d'Hermance, gouverneur du duché de Chablaix, et une troysiesme a monsieur le Juge maje de Thonon, par lesquelles il leur fut commandé de remonstrer en une generale assemblee de Ville l'obligation que tout le pais a de seconder une si douce et charitable invitation de son Prince, il y a dequoy esperer en Dieu que bien tost tout le Chablaix, et peu a peu tout l'entour de Geneve, se reunira a l'Eglise catholique: qui ne sera pas peu de chose, ny de peu d'importance, ad laudem Christi Dei totiusque cœlestis Curiae.

  A022001081 

 Or, ne s'estant delivré de ladicte somme que 12 couppes ou environ, il s'en est ensuivy: premierement, que les habitans n'ont pas voulu croire que lesdits praedicateurs fussent la au sceu de Leurs Altesses, ne voyant point d'entretenement pour eux; secondement, que ces deux se sont reduitz a un, de peur de charger trop les particuliers qui avançoyent les frais.

  A022001097 

 Au reste, il y avoit parmi les huguenotz un Consistoire, composé pour le plus et presque tout de gens laicz, ou praesidoit un homme laiz et assistoit un des seigneurs officiers de Son Altesse, sans y avoir voix decisive; et la estoyent corrigés, repris et censurés de paroles et de quelque legere peyne, les vices que le magistrat n'a pas accoustumé de punir: comme ivroigneries, jeuz, noyses, luxures; en quoy le peuple se tenoit en discipline, non sans autant de fruict que le mauvais fondement de leur religion le peut permettre.

  A022001105 

 Il y a parmi les huguenotz un Consistoire, composé pour la pluspart et quasi tout de gens laicz, ou praeside un homme laiz et y assiste l'un des seigneurs officiers de Son Altesse, sans y avoir aucune voix decisive; et en ce Consistoire sont corrigés, repris et censurés de paroles et de quelque legere peyne, les vices desquelz le magistrat n'a pas coustume de chastier: comme ivroigneries, exces de balz, danses, jeuz, vestemens, banquetz, noyses entre mary et femme, desobeyssance du filz au pere, mauvais traittemens du pere au filz, luxures, adulteres, parolles deshonnestes, chansons lascives, juremens et blasphemes, et telles desbauches de jeunes gens; en quoy le peuple se tient en discipline, non sans autant de fruict que le mauvais fondement de la religion [155] sur laquelle ilz s'appuyent le peut permettre.

  A022001108 

 Et tel est l'estat de vostre Chablais, Monseigneur: quand je diray que c'est une province ruinée, je ne mentiray pas.

  A022001108 

 ce n'est pas trop grand cas des autres; mais je prie Dieu qu'il nous baille une meilleure fortune.

  A022001116 

 Si Vostre Altesse ne le sçavoit pas, je luy raconterois les miseres que ces pauvres Chanoines souffrent tous les jours.

  A022001123 

 Et ainsy ce seroit une bonne forteresse de laquelle on combattroit vaillamment, comme a l'opposite, contre les insolentes attaques de Geneve et de Lausanne: car la ville de Thonon est entre l'une et l'autre, de sorte que, s'il y avoit un soldat qui peust jouer de la droitte et de la gauche, il combattroit facilement l'une et l'autre; outre qu'elle n'est pas beaucoup esloignee de la forteresse des Alinges, suffisante pour soustenir le siege d'une armee royale, affin qu'en cas de necessité elle peust servir de refuge aux Peres.

  A022001127 

 Que s'il ne veut pas respondre, il faudra derechef escrire aux scindiques de la ville; et si ceste conference se fait, il faudra obtenir de la ville un sauf conduit pour les Peres, docteurs, secretaires et tesmoins.

  A022001157 

 En l'Eglise Romaine, dit-on, la règle en usage est celle-ci: Avec les hérétiques, on n'est pas tenu à garder [169] sa parole; invention vraiment diabolique pour empêcher les âmes de s'élancer vers le Christ..

  A022001157 

 Or, nous souhaitons ardemment que beaucoup d'autres viennent également à pénitence; mais nous avons appris avec un profond étonnement qu'un grand nombre sont retenues dans l'erreur par la fausse crainte et la vaine frayeur de ne pas être en assurance pour leur vie et leurs personnes parmi les catholiques, malgré les absolutions données par l'autorité du Siège Apostolique.

  A022001248 

 Mais ce n'est pas seulement la provision pour les théologaux qui est nécessaire; il faut aussi donner aux curés moyen de vivre et de desservir convenablement leurs paroisses, puisque ce sont eux qui portent le poids du jour et de la chaleur.

  A022001249 

 Parce que parmi les corps [ecclésiastiques] nécessaires à un diocèse, le Chapitre cathédral est un des principaux, [on représente] que les chanoines de la Cathédrale de Genève étant tous, [183] d'après leurs Statuts, ou docteurs, ou nobles, et leurs canonicats n'excédant pas soixante ducats, ils ne peuvent en aucune façon, en ces temps malheureux surtout, vivre avec bienséance, et selon leur qualité.

  A022001249 

 Sans l'autorisation désirée, les chanoines, n'ayant pas de quoi vivre, se disperseront, non sans grand préjudice du diocèse qu'ils servent par leurs prédications et en prêtant leurs concours aux affaires de l'évêché..

  A022001250 

 Partant, on supplie Sa Sainteté de l'exempter de tout payement des décimes concédées au Duc de Savoie, reportant la part qui lui échet sur d'aures bénéficiers de Savoie qui n'ont pas tant de charges et sont plus à leur aise..

  A022001255 

 Par suite des guerres passées, nombreux sont les hérétiques, même relaps, qui, originaires ou habitants de ce diocèse, désirent rentrer dans le sein de l'Eglise; toutefois, ils ne peuvent s'y résoudre, surtout les femmes, les vieillards, les domestiques et tels autres, parce qu'ils ne veulent pas se rendre chez l'Evêque.

  A022001323 

 Expose très humblement à Votre Sainteté Claude de Granier, Evêque de Genève: A cause de la pauvreté de la province et de la modicité des fruits des prébendes théologales, on ne trouve pas de théologiens qui veuillent les accepter; néanmoins, pour répandre la semence de la parole divine dans ce diocèse, ils seraient très nécessaires..

  A022001324 

 Supplie donc Votre Sainteté qu'Elle daigne concéder la permission de supprimer une prébende monacale dans les monastères et prieurés conventuels de son diocèse, vacante ou à vaquer, en sorte qu'il puisse assigner à chaque théologien deux prébendes, selon [192] qu'il paraîtra expédient; et, à défaut de prébendes, de pouvoir supprimer quelques bénéfices simples des églises dans lesquelles sera constituée une prébende de cette sorte, et d'en appliquer les fruits à cette théologale; puisque, par ce moyen, dans lesdits monastères, prieurés et églises le culte divin ne sera pas du tout diminué, mais au contraire prendra de jour en jour un nouvel accroissement..

  A022001333 

 Expose très humblement ledit Evêque, qu'en plusieurs lieux de son diocèse les habitants ont des liens de consanguinité et d'affinité; et cependant, parce qu'ils sont très pauvres et qu'ils n'ont a attendre que des dots très modiques, ne peuvent que très difficilement contracter mariage au dehors, car il leur faudrait prendre sur cette dot exiguë pour faire des visites à l'épouse et pour supporter les charges des noces; et d'autre part, ils n'ont pas moyen de recourir à Rome pour obtenir dispense du Siège Apostolique..

  A022001338 

 Expose très humblement, comme il y a dans son diocèse [194] beaucoup de luthériens, de calvinistes, ou de relaps, qui, désirant revenir à la lumière de la vraie foi, diffèrent une œuvre si pieuse et si salutaire parce qu'ils ne veulent pas venir devant l'Evêque:.

  A022001339 

 Supplie Votre Sainteté qu'Elle daigne concéder non seulement à lui-même et à son Vicaire général, mais encore à dix ou douze hommes doctes et habiles, qu'il aura à choisir, la permission d'absoudre de toute hérésie ces hérétiques ou ces relaps; et pour cet effet, et afin de répondre à leurs objections, la faculté pour ces prêtres de pouvoir posséder et lire, sans scrupule de conscience, les livres défendus, et surtout ceux que chaque jour les hérétiques mettent en lumière; attendu qu'on ne peut pas si facilement les convaincre autrement.

  A022001348 

 Autrement, il arrivera que ces chanoines se disperseront et cesseront de travailler à la vigne du Seigneur, parce qu'ils n'ont pas de quoi vivre..

  A022001348 

 Supplie très humblement Votre Sainteté Claude de Granier, Evêque de Genève, qu'Elle daigne en ce qui concerne les chanoines de son Eglise cathédrale, accorder dispense pour qu'ils puissent obtenir et retenir, avec leurs canonicats, des églises paroissiales, en y mettant des vicaires capables et suffisants pour exercer charge d'âmes; attendu que tous sont ou nobles ou docteurs, et ne [196] peuvent avec les revenus de leur canonicat, qui ne dépassent pas la somme de soixante ducats, vivre décemment, ni ne peuvent aspirer à d'autres bénéfices, puisque presque tous sont soumis au droit de patronage et ne sauraient, par conséquent, être obtenus sans la présentation du patron.

  A022001380 

 Mais ils n'ont pas de quoi vivre décemment, car aucun de leurs canonicats n'atteint soixante ducats.

  A022001407 

 De plus, l'évêché de Genève a un grand nombre de sujets appelés taillables, qui sont astreints à beaucoup de servitudes barbares, telles que celles-ci: lorsqu'ils meurent sans enfants, ils ne peuvent tester ni disposer de ce qui leur appartient, pas même en faveur des pauvres, des églises, de leurs femmes ou de leurs frères, ni en autre façon quelconque, mais tous leurs biens meubles et immeubles passent à l'Evêque; item, ils doivent imposer silence aux grenouilles pendant que l'Evêque dort, et choses semblables.

  A022001408 

 Si donc Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime n'a pas encore reçu l'ordre requis pour cette affaire, Elle est suppliée de la [208] rappeler à M. le Cardinal, afin que l'Evêque jouisse des effets de la faveur accordée par le Saint-Siège..

  A022001409 

 On n'a pas répondu d'une manière absolue à cette requête, mais le décret en est demeuré en suspens.

  A022001410 

 Comme les moines ne vivent ni en communauté ni en clôture, ils n'exercent pas ces emplois; dès lors, on en distribue les prébendes à de simples laïques qui habitent en dehors et souvent loin des monastères.

  A022001435 

 Et si l'experience avoit apprins qu'il en fallust davantage, faudroit il l'empescher? on ne peut pas accorder tout a coup toutes choses.

  A022001435 

 Mays on ne le surpasse pas, et a malepeyne y aura il qui suffise.

  A022001439 

 Quant aux revenuz, il n'y en a pas asses pour faire ce qu'il faudroit.

  A022001443 

 Pas un particulier n'en prend pour soy, ni Monsieur de Geneve, ni moy.

  A022001458 

 De n'outrepasser pas le nombre juste et competent des personnes necessaires a l'œuvre, lequel neanmoins ne se peut pas precisement determiner sans particuliere connoissance des lieux et des personnes.

  A022001495 

 Les prébendes de l'Eglise cathédrale consistent en distributions quotidiennes qui n'excèdent pas, une année dans l'autre, soixante écus; c'est pourquoi il serait nécessaire de joindre à la prébende théologale une prébende monacale du prieuré de Talloires.

  A022001496 

 La Collégiale d'Annecy mérite elle aussi un chanoine théologal, comme principale église de cette ville, populeuse, capitale du Genevois et siège du tribunal de justice de la province; mais les revenus de ces canonicats n'atteignent pas les cinquante écus.

  A022001496 

 On pourrait y joindre une prébende, s'entend la première vacante, des douze des Chanoines réguliers de Saint-Augustin du prieuré du Sépulcre d'Annecy, et une de Bellevaux, de l'Ordre de Cluny, où vaque une prébende; les deux ensemble ne monteront pas à soixante-dix écus annuels.

  A022001497 

 Ces deux prébendes monacales n'arriveront pas à cent vingt écus avec celle de Sallanches.

  A022001498 

 A Entremont il y a une prébende vacante, mais non pas à Contamine..

  A022001498 

 Ses prébendes [226] n'atteignant pas les vingt-cinq écus par an, on pourrait leur en ajouter une de l'abbaye d'Entremont, ou Intermontium, des Chanoines réguliers blancs, qui n'existent pas, que je sache, en Italie, et une autre du prieuré de Contamine, de l'Ordre de Cluny; ces deux prébendes montent à cent écus.

  A022001499 

 Bien qu'il n'y ait pas d'église collégiale à Evian, mais seulement deux églises [227] paroissiales, le Saint-Siège jugea néanmoins à propos de lui accorder un théologal aux frais de cette abbaye..

  A022001502 

 J'ai quelque doute pour celle de l'Ouvrier, parce qu'il n'était pas seul quand il commit le crime [dont j'ai parlé]; d'autres moines employés au même office étaient avec lui..

  A022001502 

 Quant au prieuré de Talloires, il me reste seulement à dire que si on ne juge pas à propos de traiter de la prébende de [229] l'Ouvrier, on pourrait songer à la première vacante ou à vaquer.

  A022001503 

 Toutes ne peuvent pas être canonicales, car il n'y a dans le diocèse que cinq églises avec des chanoines séculiers; et encore n'a-t-on pas fait mention de l'une d'elles, comme n'étant pas très nécessaire.

  A022001561 

 On ne doit pas redouter [242] les séditions, soit parce que, la plus grande partie de la noblesse étant catholique, les magistrats sont des hommes de marque, soit parce qu'il n'y a aucune forteresse ni aucun château-fort..

  A022001561 

 Quant à la première, il ne peut y avoir de difficulté du côté des habitants du pays; l'exercice de leur culte demeurant libre et assuré, ils n'auront pas à se plaindre si on établit le culte catholique pour ceux qui ne voudront pas du leur.

  A022001562 

 A plus forte raison ne se soulèveront-ils pas contre Sa Majesté, à qui ils ne sauraient songer à faire la loi sur le mode de gouverner les sujets du royaume.

  A022001562 

 Il est vrai qu'ils désirent voir leur religion s'étendre et se conserver; mais ce désir n'est pas digne de considération, puisque, au contraire, les Bernois eux-mêmes qui savent combien vivement Sa Majesté souhaite la propagation de la foi catholique, l'entravent néanmoins, et tâchent de faire surgir des obstacles non seulement parmi leurs sujets, mais encore parmi les sujets des autres.

  A022001562 

 Il ne faut pas craindre que pour cela ils se révoltent; le duc de Savoie a bien établi le culte catholique dans les autres bailliages, et cependant ils n'ont pas bougé, quoique, [243] pressés par leurs ministres, ils s'en soient plaints.

  A022001562 

 Les Bernois et Genevois n'ont rien à voir en cette affaire, car Sa Majesté n'est pas obligée de contraindre les sujets de la Couronne à vivre de la même manière qu'eux.

  A022001566 

 Touchant ces derniers, toute la difficulté consiste en ce que les Genevois seraient mécontents et auraient de la peine si on en faisait justice; mais jamais on ne fait justice sans causer du mécontentement à la partie qui a tort, et l'on ne doit pas avoir moins d'égard à l'injure qui se ferait à l'Eglise refusant de lui rendre justice, qu'au déplaisir qui reviendrait aux détenteurs en la lui rendant..

  A022001624 

 En [260] quoy, aucun n'aura rayson de se lamenter, puisque ce sera traitter ledit balliage comme tous les autres sujetz du royaume, le laissant en mesme liberté; n'estant raysonnable que les pretenduz reformés d'iceluy soyent plus respectés que les autres, et que ce seul coin du royaume soit excepté de la regle generale de l'Edit, tous traittés faitz au contraire ayans esté cassés par les guerres subsequentes; n'y ayant mesme pas si long tems que l'exercice de la sainte religion y a esté, d'autant que l'an 1590 il y fut restably par le Duc de Savoye, apres que les Bernois eurent violé le traitté fait avec le pere dudit Duc.

  A022001626 

 Autres sont possedés par ceux de Geneve, mays en tiltre de souveraineté; et de ceux ci on n'en parle point, puisque, bien qu'ilz soyent riere les terres du Roy, si [261] ne sont ilz pas sous son obeyssance.

  A022001637 

 A quoy Sa Majesté inclinant, remit l'execution de ceste requeste a monsieur le Baron de Lux, son lieutenant general audit balliage de Gex, lequel neanmoins, l'on ne sçait pourquoy, ne fit qu'entamer et donner commencement a ce saint œuvre, renvoyant le surplus a Sa Majesté et a Messieurs de son Conseil; mondit sieur de Lux s'estant contenté de restablir seulement l'exercice de la religion Catholique en la ville de Gex et es parroisses des vilages de Farges et Asserens, quoy que ces trois lieux ne facent pas la dixiesme partie du balliage.

  A022001638 

 Et par [ce] que quelques uns de Messieurs du Conseil ont objecté que ledit balliage de Gex estant au Duc de Savoye il ni auroit pourtant pas restabli l'exercice de la religion Catholique, l'on respond que la verité est telle; mays il faut entendre pourquoy:.

  A022001709 

 Et si bien les Bernois en avoyent osté l'exercice, cela n'est pas considerable en cest endroit, d'autant que les articles de paix ne regardent pas leur guerre (de laquelle ilz s'estoyent accommodés auparavant, sans rien excepter, au prejudice de la religion Catholique), mais ont lieu seulement pour la guerre faitte entre les deux Princes qui faisoyent la paix; si que Sa Majesté ayant uni et incorporé ledit balliage au royaume, il n'y a rien qui puisse empescher que les Editz de pacification n'y soyent executés pour ce qui concerne l'exercice catholique et les biens ecclesiastiques..

  A022001710 

 Dequoy non contente l'audace d'iceux, ilz ont despuys peu fait saysir les revenuz ecclesiastiques de Gex et Asserens appliqués aux gens d'Eglise, pour suppleer certaines pensions qu'ilz estiment n'estre pas asses grasses; dequoy s'ensuyt un proces entre l'Evesque de Geneve et eux par devant la cour de Bourgoigne..

  A022001710 

 Despuys, en quattr' autres parroisses du mesme balliage: Peron, Sessy, Versonnex et Challex, plusieurs habitans demanderent l'exercice catholique par requestes addressees a Sa Majesté, laquelle le leur ouctroya, et renvoya l'execution [282] au seigneur Baron de Lux; laquelle neanmoins n'a pas esté faitte, et ainsy tous les revenuz ecclesiastiques des cures, si ce n'est de ces trois premieres, sont appliqués a l'entretenement des adversaires de l'Eglise, et outre cela, encor prennent ilz des portions sur les prieurés et autres benefïces dudit balliage.

  A022001783 

 Attendu que pour le present il n'y a pas de tumbes et sepultures de memoire d'homme dans le ci-metiere, on fera un respons devant le maistre autel; et pour le reste, appreuvé.

  A022001983 

 Et pour les villes, si nombreuses, pour les républiques entières, où il n'est pas permis aux prédicateurs catholiques de se faire entendre, ni de demeurer et parler, [303] quel moyen de les ramener à la foi? Car désormais, chez nous autres Suisses et en toute l'Allemagne, voire même dans plusieurs parties de la France, des villes entières sont hérétiques et l'hérésie passe en raison d'Etat; on ne voit pas le moindre espoir de leur conversion; les choses vont même si avant, que les hérétiques ne sont pas inquiétés le moins du monde, et c'est sans remède.».

  A022001983 

 Pendant le voyage il parla presque toujours avec moi et me dit entre autres choses: «Monsieur, vous avez fait ce qui ne s'était pas fait dans la ville de Sion depuis bien des années; car il n'a jamais été permis aux prédicateurs catholiques de traiter en chaire d'aucune matière de controverse.

  A022001984 

 Et comme «on ne se passionne pas pour les choses devenues familières,» ainsi, en vieillissant, cette hérésie à la vérité, ne fera pas plus de progrès, mais, ce qui importe, elle ne diminuera pas non plus et demeurera comme une paralysie incurable dans ces très nobles parties de l'Europe.

  A022001985 

 J'ai pensé à beaucoup de choses, et je n'ai trouvé que ce seul moyen: Il faudrait que notre Très Saint Père et Seigneur, ou le Saint-Siège Apostolique, engageât tous les princes catholiques et toutes les républiques non pas à prendre les armes extérieures, mais les intérieures; c'est-à-dire, à proposer la réunion des hérétiques à la sainte Eglise.

  A022001988 

 Dans ces conciles, il ne faudrait pas l'autorité Apostolique antécédente, mais seulement conséquente; c'est-à-dire, pour ne pas engager le Saint-Siège, ils ne devraient pas se tenir en son nom, mais ils devraient promettre la ratification des résolutions prises..

  A022001990 

 Item, ou encore, en laissant aux princes et aux républiques la nomination aux bénéfices les plus considérables, voire même à [306] tous, comme on laisse au Roi de France celle des plus importants; et il n'y aurait pas en cela, semble-t-il, plus de danger de mauvaises conséquences qu'en la coutume de France..

  A022001992 

 Mais si, par hasard, on trouvait que les conciles nationaux ne sont pas à propos, les princes pourraient alors convoquer seulement quelques Prélats et quelques hommes de bon jugement pour traiter de cette sainte affaire en exposant leurs pensées.

  A022001993 

 Et quand même ce remède ne devrait avoir autre résultat que d'ébranler les esprits et d'être comme un moyen d'empêcher les hérétiques d'alléguer le soi-disant droit qu'ils s'attribuent de n'être pas appelés et sommés de venir à résipiscence, l'avantage ne serait pas petit..

  A022001994 

 Mais si l'on ne jugeait pas à propos de tenter cette entreprise dans tous les pays excommuniés, divisés ou séparés de la sainte Eglise, il conviendrait au moins de le faire pour les Suisses hérétiques, et on pourrait y employer l'autorité de l'Espagne, de l'Empereur, du Roi de France, du sérénissime Duc de Savoie, leur voisin, avec l'action et l'industrie des cantons catholiques, même du Valais.

  A022002118 

 Il est bien vray que Nous estimions que ce deubst estre par le [324] moien de bonnes exortations et par la voye des presches, et non par commination ny menaces, pour ne donner aulcun subject d'ombrage aux circonvoisins, ny subject d'alteration ausdictz de Thonon, bien sacheantz que la conjuncture du temps present ne portoit pas que l'on procedast aultrement, et que la procedure rigoureuse estoit mal convenable a la disposition des aultres affaires que Nous avons sur les bras, encores que bien deue a l'obstination de quelques particuliers dudict Thonon qui se rendent les plus difficiles.

  A022002119 

 Et cependant, en vous laissant dextrement entendre a ces gens que Nostre intention n'est pas de les forcer ny contrevenir aux provisions quilz disent avoir de feu nostre S r et Pere et de Nous, vous ne lairrez de les induire et persuader, en tant que vostre pouvoir se pourra estendre, dé Nous donner ceste satisfaction que d'ouyr et frequenter les presches qui peuvent servir a les desabuser de leur faulce opinion,............................................................................

  A022002293 

 Ce n'est pas peu qu'en une si malheureuse conjoncture, une partie, et la principale, se face bien, et qu'une autre fois l'autre se face, et que, des a present, ceux la mesme qui [342] ne favorisent guere l'affaire en donnent presque asseurance.

  A022002293 

 Mais j'espere que Dieu le favorisera de telle sorte, quil surmontera en ce voyage non pas peut estre toutes les difficultés, mais du moins un bonne partie, et quil s'en retournera pour le moins a demy content, si son contentement n'est du tout empeché par le desplaysir quil aura de n'avoir pas entierement satisfaict a ce que vous desirez.


23-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XXIII-Vol.2-Opuscules.html
  A023000007 

 Pas être utilisés à des fins commerciales de toute nature!.

  A023000151 

 La prédestination n'est donc pas, d'après saint Thomas, la volonté et l'élection se rapportant d'abord à la grâce, ensuite et conséquemment à la gloire, comme vous l'imaginez afin de vous soustraire à nos arguments; mais au contraire, elle consiste plutôt à vouloir accorder la gloire aux uns de préférence aux autres, et à la refuser à ceux-ci: par conséquent, à refuser aux derniers les moyens efficaces, et à les donner aux premiers.

  A023000151 

 Mais il ne prouve pas que la volition efficace de la fin soit antérieure à la volition efficace des moyens, non pas efficaces, mais suffisants: ce qui serait contre nous.

  A023000152 

 En quatrième lieu, la première proposition des adversaires est en contradiction avec leur quatrième, car il n'y a presque personne (surtout parmi les chrétiens) qui, dans toute la série ou économie de la grâce, n'ait pas en partage une grâce plus que suffisante qui le justifie, lui fasse concevoir de bons désirs; et cependant, dans la quatrième proposition il est dit que les réprouvés reçoivent la seule grâce suffisante: ce qui est faux, attendu que de nombreux réprouvés se trouvent être des chrétiens, lesquels ont plus que la grâce suffisante..

  A023000153 

 Or, d'après vous, ils ne se servaient pas déjà de la grâce suffisante qui était prévue devoir leur être donnée.

  A023000154 

 En effet, si Dieu aime dans l'hypothèse qu'ils ont fait usage de la grâce, et si cet usage est cause de sa dilection, il n'aimera pas dans l'hypothèse qu'ils n'en ont point fait usage, et cette omission sera cause de sa non dilection.

  A023000154 

 Par suite, si Dieu les a haïs, c'est-à-dire ne les a pas aimés (selon l'interprétation même des adversaires), s'est qu'ils n'ont pas employé cette grâce.

  A023000155 

 Augustin ne nie pas qu'en Dieu soit la volonté de sauver [5] tous les hommes; eux le nient.

  A023000155 

 Et Augustin est bien moins sévère qu'eux, car il n'admet pas que quelqu'un soit rejeté sans faute, mais il donne comme cause juste à cette réprobation le péché originel; eux, au contraire, prétendent qu'innombrables sont les réprouvés, sans relation aucune à une faute ou à un péché quelconque, et que seulement quelques-uns sont sauvés.

  A023000155 

 La seule chose qu'ils adoptent de celui-ci, c'est qu'ils nient comme lui la prévision [des mérites et des démérites]; mais ce qu'il entend et prétend par cette négation, c'est ce dont ils ne s'embarrassent pas.

  A023000171 

 L'homme peut connaître séparément, soit telle vérité spéculative, soit telle vérité d'ordre pratique, parce que cela n'est pas hors de proportion objective avec la force naturelle; parce que cela est indiqué [par l'Ecriture]: Romains, 1, Ps.

  A023000172 

 Toutefois les empêchements ci-dessus, quoique extrinsèques par rapport à l'intelligence humaine, ne sont pas extrinsèques, mais bien intrinsèques à l'homme, parce qu'il est mortel..

  A023000172 

 [Autre raison:] parce que l'erreur est la peine du péché originel; Clément d'Alexandrie (lib. V Strom.) présente cette [8] preuve en s'attachant aux empêchements extrinsèques, à savoir la brièveté de la vie, etc. Par ailleurs, les vérités en question ne sont pas en dehors de l'objet proportionné à l'intelligence humaine, mais il faudrait, pour les connaître, une vie d'une durée infinie et une mémoire également d'une étendue infinie.

  A023000184 

 [Dernier argument scripturaire:] Matt., V: Est-ce que les payens ne font pas cela?.

  A023000185 

 Si donc l'homme connaît Dieu et rapporte son acte à Dieu, cet acte sera bon, bien que non d'une bonté parfaite; s'il ne connaît pas Dieu, et qu'il fasse telles œuvres parce qu'honnêtes et conformes [9] à la raison, alors ces œuvres de par leur nature même sont rapportées à Dieu..

  A023000221 

 Ensuite, ce qu'elle avance est tout à fait impossible; car si Dieu ne détermine pas la volonté à l'acte mauvais, il permet nécessairement que l'homme, s'il le veut, puisse faire un acte bon au moment où il en fait un mauvais..

  A023000221 

 L'opinion de Grégoire, [docteur] de Rimini, sur le concours de Dieu donné aux actes mauvais au moyen d'une influence s'unissant à la volonté qui se détermine, et aussi sur son concours aux actes bons au moyen d'une prédétermination de la volonté, cette opinion, dis-je, ne me satisfait pas, parce qu'elle supprime presque la liberté dans les actes bons, comme nous le dirons mieux plus loin.

  A023000222 

 Dans le second cas, elle ne doit pas toujours être mise en ligne de compte; dans le premier, il devient nécessaire pour nous, en son absence, de faire le mal, au moins si nous agissons.

  A023000222 

 Je l'explique autrement: ou bien la détermination en question est tout à fait nécessaire pour que nous fassions un acte bon, ou bien elle ne l'est pas.

  A023000222 

 Par suite, ce ne serait pas Seulement une permission que nous aurions à l'égard du mal à accomplir; car la permission est indifférente aux deux termes de l'opposition, et toutes les fois qu'il est [11] en notre pouvoir de nous déterminer à un acte mauvais, il est aussi en notre pouvoir de nous déterminer à un acte bon..

  A023000244 

 BERNARD — Ce sont les mauvais Chrestiens, qui ont la foy et le nom, mays qui ne font pas ce qu'ilz croyent..

  A023000246 

 BERNARD — Il n'y a pas moyen, s'ilz ne font une entiere penitence..

  A023000297 

 Moi GABRIEL DE SAINT-MICHEL, je reconnais et confesse, de coeur contrit et humilié, devant la Très Sainte Trinité et toute la Cour céleste, et vous autres témoins, que j'ai gravement péché en adhérant aux hérétiques et en croyant leurs diverses hérésies, surtout celles-ci: que le saint Corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ n'est pas vraiment, réellement et substantiellement dans le très auguste Sacrement de l'Eucharistie; qu'il n'est pas un vrai et [16] propitiatoire Sacrifice pour les vivants et les morts, lorsque, d'une manière non sanglante, il est offert à la Messe par les prêtres; qu'il n'existe aucun feu purificatoire après cette vie; que les Saints et les Bienheureux qui sont dans les Cieux ne doivent pas être invoqués; que l'Eglise Catholique visible peut errer et se tromper; et autres très nombreuses..

  A023000306 

 Et quoy? disois je, ceste sacree parolle qui est sur le commencement de ce Symbole, ne suffiroit elle pas, quand il n'y auroit autre, pour rompre tous les effortz de ces seditieux? JE CROY: c'est le mot que j'ay ja prononcé des mon Baptesme par la bouche de ceux qui m'y presenterent; je suis donques croyant et fidelle, non pas entendeur ou compreneur, et partant, plus on me rend ce Sacrement malaysé a entendre et comprendre, plus on me le rend croyable et venerable.

  A023000310 

 N'y a il pas troys Personnes, Pere, Filz et Saint Esprit, en une mesme, simple et seule essence? La foy qui a digeré ceste sauveraine difficulté, quelle peyne peut elle avoir a croyre qu'un seul cors soit en plusieurs lieux? Dieu ne veuille que je face comme ces rebelles qui mesdisoyent de sa divine Majesté, disant: Pourra il nous dresser une table au desert? Ce que je ne pourray mascher de cest Aigneau paschal, je le jetteray dans le feu du pouvoir infiny de ce Pere tout puyssant auquel je croy.

  A023000321 

 N'est il pas bien croyable? L'amour des meres ne se contente pas d'avoir produit l'enfant de la substance d'icelles s'il ne l'en faict encor nourrir, Et pour vray, apres tant d'exquises representations de ceste Passion desquelles ont esté repeuz les serviteurs, comme ont esté l'aigneau paschal, la manne et plusieurs autres, c'eust esté une trop maigre et froide commemoration d'icelle, pour les enfans, de n'y employer autre que du simple pain et du vin.

  A023000331 

 Ainsy, n'estant pas sujet a lieu, ni place, ni pesanteur, il comparoistra en l'air au dernier jour avec ses Saintz, visible a tous les hommes ou qu'ilz soyent, quoy qu'avec divers effectz; non sans aussy grand miracle que celuy par lequel il est invisible en ce grand Sacrement.

  A023000332 

 De quelle viande fut il jamais dict que qui la mangeroit indignement estoit coulpable du Cors de Jesuschrist, sinon de celle cy, laquelle estant reellement le Cors de Jesuschrist, rend aussy reellement coulpables d'iceluy ceux qui en abusent et ne le discernent point? On n'avoit pas rendu un si severe arrest pour la manne et l'aigneau paschal, quoy qu'en iceux on mangeast, par foy et spirituellement, Jesuschrist mesme..

  A023000336 

 Le Saint Esprit a dicté les Saintes Escritures; eust il mis en icelles des parolles si expresses et vives comme sont celles cy: Cecy est mon cors, si ce n'estoit le vray Cors de Nostre Seigneur? N'y eust il pas faict mettre quelque declaration de son intention, s'il l'eust eu autre que ces parolles ne portent en leur sens propre et premier? Et luy, qui est Docteur en l'Eglise, l'eust il laissee aller, en un article si important, a l'erreur et mensonge? l'eust il abandonnee si longuement?.

  A023000339 

 Et pour vray, comment pourroit on appeller l'Eglise sainte (qui n'est qu'une seule universelle), si elle n'eust [23] maintenu la verité tant en ce faict comme es autres, en tous teins, en tous lieux et parmy toutes nations? Ce qu'elle n'auroit pas faict si le vray Cors de Nostre Seigneur n'estoit en ce Sacrement..

  A023000350 

 La manne, quoy que vraye figure de vostre Cors, ne pouvoit pas tant; il faut une viande plus solide et moëlleuse, pour une telle vie.

  A023000357 

 Livre qui n'a pas encore esté mis en lumiere, composé lors qu'il estoit à Tonon pour la conversion des Heretiques, escrit en partie de sa main propre.

  A023000358 

 Ce qui fut cause que le Bien-heureux François, voyant que chacun se tenoit en silence, prit la liberté, non pas d'agir, mais de parler;... et escrivit un livre de la Demonomanie, ou bien des Energumenes, lequel toutesfois il n'a pas mis en lumiere, quoy qu'il soit parfaict; et ne sçait-on pas pourquoy.» Le biographe donne ensuite les titres des neuf chapitres de ce Traité et un sommaire de l'ensemble.

  A023000361 

 De même que M. de Cambis, les historiens de l'Evêque de Genève n'ont fait que répéter l'assertion de Charles-Auguste; l'avocat Alibrandi, défendant en Cour de Rome la cause du Doctorat de notre Saint, n'hésita pas à classer ce Traité dans la liste de ses Œuvres; D. Mackey lui-même, s'appuyant sur le témoignage du biographe, témoignage irréfragable, lui semblait-il, a maintenu cette opinion dans son Introduction générale (tome I er de la présente Edition, note (88), p. LXXXV).

  A023000361 

 Je m'asseure qu'il l'aura veu diligemment, car il me le promit, et je sçay qu'il desiroit extrêmement de le voir.» (Tome XI, pp. 194 et 426.) — Qu'était ce «traitté»? s'agit-il ici de celui des Energumènes? Le savant Bénédictin l'a cru; mais ne pourrait-on pas voir plutôt dans ces lignes une allusion à quelque partie des Controverses?.

  A023000363 

 — Charles-Auguste n'est pas un témoin infaillible; ce ne serait pas la première fois qu'il aurait attribué à son saint onclè un écrit qui n'est pas de lui.

  A023000365 

 — Habert ( La Vie du Cardinal de Berulle, Paris, Camusat et Le Petit, 1646), pariant des ouvrages du fondateur de l'Oratoire, dit: «Le premier a esté celuy de l' Abnegation interieure... En suite on le pressa d'escrire celuy... des Energumenes, pour deffendre, à propos d'une possedée qu'il exorcisoit, la verité des possessions en general... Il est vray que ce traité, qui peut passer pour une merveille d'esprit, de doctrine et d'éloquence, ayant esté imprimé sans nom, a esté attribué au Bien-heureux Evesque de Sales... Une copie que M. de Berulle avoit envoyée A ce Bien-heureux Prelat pour luy en demander son sentiment, s'estant trouvée apres sa mort parmy ses papiers, avec quelques remarques faites de sa main, donna sujet de croire que l'original estoit à luy... Mais le digne neveu et successeur de ce grand Prelat, M. de Geneve que nous avons aujourd'huy, ne s'est pas plutost apperceu de cette erreur, que par une lettre escrite au Reverend Pere Gibieuf, il a renoncé pour son Bien-heureux Oncle à ce bien qui s'estoit trouvé dans sa succession; il a voulu, pour user de ses propres tomes, faire restitution à nostre saint Cardinal pour cét autre Saint, quoy qu'il n'en fust pas besoin entre deux grands hommes à qui toutes choses avoient esté communes par l'amitié.» (Liv. III, chap. XII, pp. 818, 819.) — Ainsi, Charles-Auguste lui-même se serait dédit plusieurs années après la publication de son Histoire du Bien-Heureux François de Sales, parue en 1634..

  A023000366 

 Quelques-uns de ceux-ci, dans leurs dépositions au II d Procès de Genève, empruntent parfois leurs témoignages au neveu et successeur du Bienheureux; leur silence au sujet du livre sur la Démonomanie semble prouver qu'on avait alors reconnu, malgré les affirmations du biographe, que sa composition ne devait pas être attribuée au Serviteur de Dieu..

  A023000369 

 On pourrait objecter, au sujet de l'envoi fait par Pierre de Bérulle à François de Sales: Se connaissaient-ils déjà en 1600? leurs relations ne datent-elles pas de 1602? — L'on ne rencontre, en effet, aucune trace de relations antérieures; Bérulle était de huit ans plus jeune que notre Saint, et quand il entra au collège de Clermont, le gentilhomme savoyard avait quitté Paris.

  A023000370 

 La question reste donc désormais tranchée: saint François de Sales n'est pas l'auteur du Traité des Energumenes; et lors même qn'il aurait, en 1597, composé un petit écrit touchant les possessions diaboliques, si fréquentes en Chablais à cette époque, le sommaire qu'en donnent Charles-Auguste et Cambis n'est certainement pas celui de cet écrit, mais bien celui de l'ouvrage de Pierre de Bérulle, puisqu'on y retrouve le même nombre de chapitres et les mêmes divisions..

  A023000377 

 Voyci l'une de vos propositions: Estre faict de la semence de la femme, porté en son ventre l'espace accoustumé [30], estre nourry de sa propre substance, n'est pas estre faict outre tout ordre de nature.

  A023000378 

 Il a esté donq faict semblable a nous, mays non pas sinon pendant quil luy a pleu..

  A023000378 

 La proposition de saint Pol, que Jesuschrist a esté faict semblable a nous en tout et par tout, hormis le peché, n'est veritable au sens que vous la proposes contre l'intention de l'autheur, car voyci des instances inevitables: Jesuschrist a esté faict en tout et par tout semblable a nous; nous ne sommes point nés d'une vierge, ne marchons dessus les eaux, n'entrons pas en aucun heu les portes fermëes; donques, ni Jesuschrist.

  A023000378 

 Qui ne voit ceste absurdité? Il faut donques entendre la generale proposition de saint Pol avec ces deux declarations: l'une, que Nostre Seigneur a esté faict semblable a nous, mays non pas en semblable façon; car il a esté faict par l'operation surnaturelle du Saint Esprit, et nous par l'operation naturelle de l'homme.

  A023000379 

 Cependant, la piece que vous attaques de ceste mienne Consideration n'est pas mienne, mays de saint Ambroyse, lequel vous attaques sous mon nom: «Liquet igitur,» ce dict il, «quod praeter naturae ordinem Virgo generavit, et hoc quod conficimus corpus ex Virgine est; quid hic quaeris naturae ordinem in Christi corpore, cum praeter naturam sit ipse Dominus Jesus partus ex Virgine?» Voyla mon garand, duquel la citation est a la marge; mays peut [32] estre que la chaleur du desir de reprendre vous aura empesché de la voir..

  A023000381 

 Ce n'eust pas esté chose [33] rare d'enfanter vierge apres avoir conceu vierge, si elle eust enfanté avec ouverture a la façon des autres; de quoy eust il servy de noter si particulierement la virginité de ceste Mere en l'enfantement, s'il n'y eust rien eu de singulier et extraordinaire?.

  A023000381 

 Quand vous dites que si le cors de Nostre Seigneur n'occupa point de place sortant du ventre de sa Mere, il n'en occupa donques point estant dans iceluy, d'autant que la virginité n'est non plus lezee par l'un que par l'autre, il semble que vous ne consideries pas bien en quoy gist la parfaitte virginité.

  A023000385 

 Et le dire de Nostre Seigneur: Touches et voyes, n'y est point contrayre; car je ne dis pas que Nostre Seigneur fut tousjours invisible et imperceptible, mays confesse que, comme il a esté visible et perceptible, il a aussy esté invisible et imperceptible quand il luy a pleu: l'un n'empeschoit point l'autre, non plus que d'estre mortel et immortel en divers tems.

  A023000385 

 Le «tangere vel tangi nisi corpus, nulla potest res,» n'est pas a propos, car on ne dict pas qu'autre que le cors soit palpable, mais on dict que le cors peut estre parfois impalpable..

  A023000385 

 Quand Nostre Seigneur s'esvanouït devant les deux disciples (en S. Luc, 24, verset 31), ne se rendit il pas invisible et imperceptible? Item, se representant au milieu des Disciples, n'entra il pas imperceptiblement, impalpablement et sans occuper place? puysque, comme dict [35] saint Jan, chap. 20, verset 19, il entra les portes fermëes.

  A023000386 

 Certes, c'est chose bien aysëe de trouver des difficultés es misteres de nostre sainte foy, mays cela ne suffit pas pour les rejetter.

  A023000386 

 La rayson humaine a bien tousjours dequoy debattre contre la foy, mays elle n'a pas asses dequoy l'abbattre..

  A023000387 

 Si vous n'aves les livres que je cite, venes, et je les vous ferav voir, et peut estre vous leveront ilz la honte de vous repentir quand vous verres de n'avoir pas tant contredit a ma Consideration qu'a la doctrine de l'ancienne Eglise..

  A023000397 

 Et quand l'Escriture dict que Nostre Seigneur est descendu d'Abraham et de David selon [la] chair, ce n'est pas a dire selon l'ordre naturel, mais selon la nature humaine, d'autant que selon la divine il n'est filz d'Abraham ni de David.

  A023000398 

 Ce n'est pas aussy un argument a causa non clausa de dire que la virginité, pour estre en sa perfection, consiste en deux choses: l'une, l'integrité des parties genitales; l'autre, n'avoir jamais eu connoissance d'homme.

  A023000399 

 Mais cela destruit bien la consequence que vous tiries de saint Pol, disant Jesuschrist avoir esté faict semblable en tout et par tout a nous, hormis le peché, dont vous faisies conclusion: donques il n'a pas esté faict outre l'ordre naturel; car ces instances monstrent evidemment quil faut entendre le texte de saint Pol comme je vous ay declairé..

  A023000402 

 Or, saint Pierre, assisté de la vertu divine, marchoit sur les eaux, et neanmoins occupoit place; aussi ne dis je pas qu'un cors eslevé par la vertu divine n'ayt jamais occupé place, mays seulement quil peut estre sans l'occuper, asçavoir estant assisté et eslevé a cest effect, qui n'est aucunement possible..

  A023000403 

 Et quand vous me dites que peto principium, vous me faites juger que vous me croyes du tout ignorant a la maniere de raysonner, comme si je ne sçavois pas que petitio principii est argumentantis, non respondentis or, je suis respondant.

  A023000403 

 Or, vous le faites avec ces repetitions: «Le cors humain doit occuper place, le cors qui n'occupe place n'est pas naturel; si le cors de Nostre Seigneur n'occupe place, il est phantastique.».

  A023000403 

 Vous attaques mes theses; demeurer en son principe est vice a vous, mays non pas a moy.

  A023000405 

 Il y a donques plusieurs choses surnaturelles au cors de Nostre Seigneur, particulierement maintenant quil est triomphant; et si ne laisse pas d'avoir esté faict en tout et par [40] tout semblable aux nostres, quoy quil n'ayt pas tousjours demeuré en mesme façon..

  A023000405 

 Le cors de Nostre Seigneur est cors humain; le cors de Nostre Seigneur n'a pas tousjours occupé place, donques tout cors humain n'occupe pas tousjours place.

  A023000406 

 Il n'est vrayement pas necessaire que copula et partus concurrat ad violationem virginitatis, car l'un des deux suffit; qui est ce que je dis, et que les Anciens ont soustenu contre Jovinien.

  A023000407 

 Et quand a advoüer que la Mere de Dieu soit vierge pour n'avoir point eu connoissance d'homme, cela ne me suffit pas, puysqu'il ne suffit pas aux Anciens pour ne tenir Jovinien haeretique..

  A023000411 

 Ainsy est il dict d'Anne, que Dominus concluserat vulvam ejus, non pas certes a l'endroit du mary, cui satis aperta erat, mais eo quod non conciperet.

  A023000414 

 Estre parfois impalpable et invisible, ce n'est pas n'estre point cors parfois, mais seulement avoir des qualités surnaturelles; non plus qu'estre immortel ou cors spirituel, comme parle saint Pol, n'est pas n'estre point cors, mais estre cors accompaigné de conditions spirituelles et glorieuses..

  A023000426 

 Pourquoy donques est ce que ces pretenduz reformateurs ont laissé les anciens et accoustumés noms de ce Sacrement pour luy imposer celuy de Cene? Ne monstrent ilz pas en cela un'extreme affectation de nouveauté? Que s'ilz estiment que saint Pol aye employé le mot de cent pour signifier l'Eucharistie, quand il reproche aux Corinthiens la façon de faire leurs cenes, ne sont ilz pas ineptes? veu que l'Apostre declaire qu'il parle d'une cene en laquelle on s'enyvroit, ou s'avançoit on de manger son souper en particulier, [que] les riches en avoyent plus que les pauvres, et qu'on pouvoit faire chacun chez soy: ce qui ne peut arriver en la manducation de la sacree viande.

  A023000438 

 Quelle asseurance donques peuvent avoir les ministres, qu'il faille employer, en l'usage du calice, le vin pur plustost que l'eau, ou la cervoise, ou le vin attrempé par l'eau? Si cela revient plus a leur goust, si n'est il pas pourtant plus commandé [45] en l'Escriture.

  A023000450 

 Et que dires vous a ce que le mesme saint Augustin escrit: Que cest adversaire de la Loy et des Prophetes demeure «en arriere avec ses semblables, qui dirent: Ceste parolle est dure, et qui la peut ouyr? Car nous autres, d'un cœur fidele et de la bouche, nous recevons Jesuschrist nous donnant sa chair a manger et son sang a boire, encores qu'il semble plus horrible de manger la chair humaine que de la massacrer, et de boire le sang humain que de le respandre.» Voyla comme saint Augustin ne çourt pas soudain aux figures, et dict aussi qu'on reçoit «d'un cœur fidele et de bouche» les choses qui, de prime face, semblent absurdes..

  A023000456 

 Or, la loy de nature n'a pas esté abolie, ains consolidëe par l'Evangile: pourquoy donques ne veulent les ministres recevoir en leur religion aucun sacrifice exterieur?.

  A023000493 

 Et partant, le mot d'adoration ne signifie pas seulement la reverence ou hommage que la creature doit a son Dieu immediatement, mais aussi l'honneur ou veneration qu'on porte aux creatures superieures ou qui ont rapport aux superieures; si que l'Escriture et tous les anciens Peres [50] employe ( sic ) le mot d'adorer ores pour la reverence faitte a Dieu, ores pour celle qu'on fait aux creatures..

  A023000494 

 Et neanmoins, qui considerera de plus pres l'Escriture et les Anciens, trouvera que le mot d'adorer panche un peu plus a l'honneur deu a Dieu seul que non pas a l'autre; de façon que l'hors que le mot d'adorer est seul en l'Escriture, il s'entend ordinairement de l'adoration de latrie.

  A023000552 

 Dit premierement: Que la matiere de la conference de laquelle a esté traicté cy devant ne peut estre le livre des Articles de la confession des esglises pretendues reformees dont on luy a exibé l'exemplaire, dautant que l'on n'est pas en different de tous lesditz articles; mais il faudroit premierement conferer ensemble pour choisir ceux tant seulement desquelz on est en controverse.

  A023000554 

 Que ce moyen empeche beaucoup le fruict de la dispute, puisque l'experience monstre que, quoy qu'on aye tant escrit de part et d'autre, on est aussi frais de recommencer telle maniere de dispute qu'au commencement, et que ceste procedure a besoing de tout l'aage d'un homme, encor ny suffiroit il pas.

  A023000555 

 Ce moyen est trop adventageux pour les ministres, non pour la substance du moyen, car elle n'est pas autre que celle de celluy de la conference reduicte par escrit, [62] mais pour plusieurs circonstances; car les ministres sont tousjours en grand nombre, dans Geneve, ensemble, pour s'entraider et entreprester la main les uns aux autres, la ou, de nostre cousté, nous ne pouvons demeurer longuement plusieurs ensemble.

  A023000592 

 Nous laissons de côté les autres nombreux, pour ne pas dire innombrables, démons de moindre importance.

  A023000593 

 Du reste, les édits de nos Princes et les nombreux décrets de notre Sénat touchant la religion (édits et décrets que nous n'avons pas [69] jugé à propos de transcrire ici, parce qu'ils ont été imprimés) flétrissent et poursuivent non seulement les luthériens et les calvinistes, mais tous les autres hérétiques, comme sont évidemment tous ceux qui, sous un nom quelconque, ont abandonné la sainte Eglise Catholique, Apostolique et Romaine, et dont les erreurs ont été frappées d'un très juste anathème par le saint Concile de Trente agissant sous l'impulsion du Saint-Esprit..

  A023000595 

 Nous laissons à dessein le reste aux théologiens qui ont traité en si grand nombre et si bien ces matières ex professo.] Nous citerons les paroles mêmes de Luther et de Calvin, afin que n'aient pas le droit de se plaindre d'une invention ou d'un changement de notre part, ceux qui croiront difficilement cette chose en vérité incroyable, qu'un esprit humain ait pu imaginer des impiétés si absurdes et si clairement diaboliques, et des absurdités si impies qui ont cependant réussi à gagner tant d'adeptes.

  A023000595 

 [Nous parlerons seulement de quelques-unes de ces caractéristiques et dirons peu de chose de chacune, pour ne pas avoir l'air de prétendre au rôle de théologien avec les savetiers luthériens [70] et calvinistes, nous qui faisons profession de juriste et de rien autre.

  A023000595 

 [Toutefois, nous prions tout d'abord les lecteurs catholiques et pieux de ne pas se scandaliser à notre sujet, comme si nous avions lu, contre les décisions de la sainte Eglise, des livres défendus.

  A023000723 

 Aussi est-il clair qu'ils sont du nombre de ceux dont Tertullien a écrit, à propos de tous les hérétiques: «Tout en croyant, ils ne croient pas.» Ils ne sont pas en cela semblables aux païens qui, comme dit le même auteur, «tout en ne croyant pas, croient.» Et je ne vois pas à qui mieux qu'à eux puisse convenir le nom d'άρυοΰμαι ( je nie ), que plusieurs grands écrivains ont estimé être le nom de l'Antéchrist, car la coutume habituelle de tous les antéchrists, c'est-à-dire des hérétiques, est d'établir presque toute leur doctrine sur la négation.

  A023000723 

 Il signifie par là que les hérétiques ne construisent presque rien, mais détruisent tout; n'affirment rien, nient tout; sont tels enfin que, s'il faut les appeler chrétiens, il faut les dire chrétiens négativement, non pas affirmativement.

  A023000723 

 La première caractéristique de nos hérétiques, caractéristique qui, à mon jugement, ne manque pas d'importance, c'est qu'ils nient presque tout, n'affirment presque rien, si ce n'est qu'ils affirment la plupart du temps en niant, et nient en affirmant.

  A023000723 

 Mais être chrétien négativement, n'est-ce pas, je le demande, ne pas être chrétien du tout?.

  A023000727 

 Comme l'a écrit élégamment Tertullien contre Praxéas: «Dieu a pu (qu'on me fasse grâce!) donner des ailes à l'homme, comme il en a donné aux milans; cependant, de ce qu'il l'a pu, il ne l'a pas fait nécessairement.

  A023000727 

 Il a pu détruire Praxéas» (ajoutons, si cela vous plaît, Luther et Calvin) «et tous les hérétiques; cependant, de ce qu'il l'a pu, il ne s'ensuit pas qu'il l'ait fait.» Or, ce n'est pas d'une puissance ordinaire que Dieu a pu tout cela, car autre a été l'ordre suivant lequel les choses ont été arrêtées et exécutées; c'est donc d'une puissance absolue, [74] c'est-à-dire d'une puissance libre de toute loi promulguée et de l'ordre de choses établi.

  A023000727 

 Il ne s'agit pas cependant d'une puissance absolue, dans le sens de puissance affranchie de l'équité et de la justice, comme l'interprète à tort Calvin; car l'équité et la justice sont la loi intrinsèque de Dieu: loi qui n'est pas autre chose que Dieu lui-même, lequel étant sa loi à lui-même, aussi ne peut-il en aucune façon s'écarter de la loi et de l'équité..

  A023000727 

 Quelqu'un d'esprit sain ne niera pas davantage que Dieu ait le pouvoir de faire ce dont il menace: par exemple, la destruction de Ninive, et une infinité d'autres choses du même genre, que cependant Dieu n'a jamais ou faites ou voulu faire.

  A023000735 

 Voici, en effet, les paroles mêmes de Calvin: «Augustin n'est pas lui-même exempt parfois de cette superstition, comme lorsqu'il dit que l'endurcissement et l'aveuglement n'appartiennent pas à l'opération, mais à la prescience de Dieu; pourtant, un grand nombre de textes scripturaires ne supportent pas ces arguties,» etc. A cette négation on peut opposer ce qu'affirme çà et là la Sainte Ecriture, à savoir que Dieu a prévu la trahison de Judas, le reniement de Pierre, l'aveuglement des Juifs; toutes choses que le Christ a prédites et prévues, sans cependant les vouloir ou les faire..

  A023000739 

 Qui donc peut, en effet, comprendre par un effort de son esprit ou de sa pensée, que celui qui est et est appelé Fils, n'ait pas son essence ou sa nature [76] de celui dont il est le Fils? Qu'a donc pu avoir le Fils du Père, sinon la Divinité? Qu'y a-t-il de commun entre le Père et le Fils en dehors de l'essence? Qu'a donc communiqué le Père au Fils, si ce n'est l'essence même? C'est pourquoi les Ecritures, les Conciles, les Pères, enfin tout l'univers chrétien, proclament que le Fils est «Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu.» Par conséquent, Dieu le Père possède la véritable essence divine, qu'il n'a ni de lui-même, contrairement à l'expression peu prudente de Calvin, ni de quelque autre, mais tout à fait de personne, l'essence n'engendrant pas et n'étant pas engendrée.

  A023000743 

 Quelle n'est pas l'audace de ces hérétiques de dire que rien n'eût été fait par la mort du Christ, alors que, à cause de la dignité infinie de Celui qui l'a subie, la plus petite goutte de son sang royal et divin eût suffi à racheter des mondes innombrables!.

  A023000747 

 Voici, en effet, les paroles de Luther: «Il faut que tu saches ce qu'est en définitive le Christ: or, le Christ en définitive n'est pas Législateur.» Et aussitôt, il traite de «pestilentielle» la doctrine du Christ Législateur.

  A023000751 

 Et les autres Apôtres n'ont pas une doctrine différente, eux qui d'une voix unanime prêchent que le Christ jugera les vivants et les morts..

  A023000755 

 Et en réalité, quelle sera la certitude et l'autorité des Saintes Ecritures, si l'on supprime la Tradition, puisque cette certitude et cette autorité peuvent se prouver non par le témoignage de l'Ecriture, mais seulement par la Tradition? Pourquoi appellerons-nous Livres canoniques les Evangiles de Matthieu et de Luc, plutôt que ceux de Thomas et de Nicodème? Et si quelqu'un se met à nier cela et à rejeter, avec nos hérétiques, la Tradition non écrite, comment arriverons-nous à trouver une preuve contre lui? En outre, où étaient donc l'Eglise et la foi de l'Eglise pendant tous les siècles où les matières de foi étaient traitées, non par l'écriture, mais seulement par la parole? Est-ce que l'Eglise n'a pas été antérieure aux Ecritures? Dans quel endroit de l'Ecriture trouveront-ils quelque chose qui nous oblige à croire qu'il faut ajouter foi seulement à ce qui est écrit? Que dire du Baptême des enfants; du Dimanche à sanctifier, de préférence à tout autre jour, en remplacement du Sabbat juif; de la création des Anges, et de tant d'autres choses du même genre dont la croyance est très certaine dans l'Eglise, et même parmi tous les [80] hérétiques, mais dont la preuve par l'Ecriture est tout à fait inexistante? C'est bien autrement, et magnifiquement comme toujours, que parle Augustin: «Je ne croirais pas à l'Evangile, si» l'Eglise ne me disait que c'est l'Evangile..

  A023000759 

 Ils nient que, parmi les Livres de la Sainte Ecriture, ceux de Judith, de Baruch, de la Sagesse, de l'Ecclésiastique, des Machabées et de Tobie aient une autorité canonique, attendu qu'ils n'appartiennent pas au Canon des Juifs; comme s'il fallait attribuer une autorité plus grande à la Synagogue juive qu'à l'Eglise Catholique universelle, laquelle, d'un consentement unanime, a toujours tenu ces Livres pour canoniques.

  A023000759 

 Quelques-uns, parmi ceux-ci, n'ont été écrits qu'après la fixation du Canon des Juifs: qui s'étonnera donc de ne pas les voir insérés dans ce Canon, si ce n'est celui qui, par ignorance de la chronographie, ne sait pas que c'est là une impossibilité? [81].

  A023000763 

 Je laisse de côté, en effet, que plusieurs affirment avec grande probabilité que cette Epître n'est pas de l'Apôtre Jacques, ni digne de l'esprit apostolique, bien que par l'usage elle ait obtenu de l'autorité, quel que soit par ailleurs son auteur.

  A023000763 

 Toutefois, même si elle était de l'Apôtre Jacques, je dirais qu'il n'appartient pas à un Apôtre d'instituer un Sacrement de sa propre autorité.».

  A023000764 

 Voyez-vous l'audace et l'impudence de cet homme qui, non content d'avoir détruit autant qu'il l'a pu l'autorité de l'Epître apostolique, accuse encore l'Apôtre d'arrogance, si c'est lui qui a écrit [82] l'Epître, en s'attribuant le droit d'instituer un Sacrement! L'insensé apostat ne voit pas que l'Apôtre agit comme il le fait, non pour instituer le Sacrement de l'Extrême-Onction, mais pour exhorter les fidèles à en user; ce qu'il n'aurait certes pas fait, si le Christ n'avait lui-même institué ce Sacrement..

  A023000772 

 Si cela était, pourquoi le Christ notre Seigneur l'aurait-il comparée à une ville située sur une montagne, à un festin, à un bercail, à un édifice construit sur le roc? Pourquoi, en outre, nous renverrait-il à l'Eglise par ces paroles de l'Evangile: Dis-le à l'Eglise? Ne rendent-ils pas le Christ ridicule et imposteur, lui qui nous renvoie à l'Eglise, si celle-ci est invisible et si l'on ne peut l'apercevoir?.

  A023000776 

 Et effectivement, si l'on nous traitait d'une manière assez funeste et inhumaine pour que l'Eglise universelle pût errer en matière de foi et au sujet du vrai sens à attribuer à la Parole de Dieu, quel homme, je le demande, croirait qu'il ne peut errer? Mais celui qui croit qu'il peut errer, comment peut-il être certain de ne pas errer? Ce sera ainsi une conséquence nécessaire, que tous devront marcher dans l'incertitude au sujet de la foi et du sens à attribuer aux Saintes Ecritures.

  A023000776 

 Où se rencontrera donc ce qui doit être pour nous tellement certain et assuré, que si un Ange du ciel voulait nous enseigner le contraire nous ne devrions pas le croire? Et, en effet, qui ne devrait plutôt croire à un Ange du ciel qu'à soi-même, si d'un autre côté l'autorité et la certitude de foi de l'Eglise était supérieure à l'autorité contraire de n'importe quel ange, en admettant, par impossible, qu'il puisse jamais exister une telle autorité contraire?.

  A023000781 

 Et s'ils ont ce droit parce que chrétiens, est-ce que les Pontifes, les Pères, les Docteurs ne sont pas aussi chrétiens? Ils l'auront en tant que brebis, non en tant que pasteurs.

  A023000781 

 Je vous le demande, qui que vous soyez qui lisez ces phrases, a-t-on jamais rien écrit de plus arrogant et de plus impudent? Ce ne sont pas les Conciles, les Pontifes, les Pères, les Docteurs qui ont le droit de connaître et de juger des doctrines, mais le seul Luther; bien mieux, le premier venu de la lie du peuple, pourvu qu'il soit luthérien (car j'imagine que c'est là le sens de Luther; autrement c'en serait fini de lui et de tous les luthériens, s'ils avouaient qu'il faut croire à Calvin et aux calvinistes au sujet de l'interprétation des Ecritures).

  A023000782 

 Qui le nie? Toutefois, est-ce parce qu'il veut que chacun juge de leur doctrine, comme le pense Luther? Pas le moins du monde; mais parce que chacun peut facilement se rendre compte de leur personne (comme nous le faisons, pour notre trop grand malheur, à l'égard des luthériens et des calvinistes) [87] au moyen de leurs fruits et de leurs œuvres; car ils viennent et ne sont pas envoyés, ils dispersent les brebis et divisent le troupeau, en sorte que, malgré leurs apparences de brebis, il est facile de reconnaître qu'ils sont au-dedans des loups ravisseurs..

  A023000786 

 Mais les Grecs n'ont pas eu honte d'employer une expression beaucoup plus arrogante, en parlant de pouvoir propre, comme si l'homme conservait le pouvoir sur lui-même,» etc. Luther, de son côté, avec une audace non moins grande, a intitulé un de ses livres: Du serf arbitre.

  A023000787 

 Contre cette erreur, le bienheureux Augustin a déjà écrit autrefois abondamment, ex professo et en nombre d'endroits, mais toujours pour en revenir à la doctrine qu'il a une fois exposée en ces mots résumant bien sa constante et persévérante pensée: «Il y a donc un libre arbitre, et celui qui le nie n'est pas Catholique.».

  A023000791 

 Ils nient que les fidèles puissent pécher mortellement, parce que, dit Calvin, «les péchés des fidèles sont véniels; la raison en est que, grâce à la miséricorde divine, il n'y a pas de condamnation pour ceux qui sont dans le Christ Jésus, leurs péchés ne leur sont pas imputés, ils sont effacés par le pardon.» Comme si les imprécations et les reniements de Pierre à l'égard de son Maître, l'adultère et l'homicide de David, bien mieux, la désobéissance d'Adam et d'Eve n'avaient pas été des péchés mortels! Qu'a donc voulu dire celui qui, dans l'Apocalypse, a adressé ces paroles à l'Evêque: Tu as un nom de vivant, et tu es mort? Pourquoi donc David a-t-il, au prix de tant de larmes, de tant de sanglots, demandé que son péché fût effacé, qu'un cœur nouveau fût créé en lui, qu'il fût lavé de son iniquité, purifié de son péché, si, puisqu'il était [89] fidèle, il n'avait à craindre aucune condamnation, aucune imputation de péché?.

  A023000799 

 S'il faut, en effet, en croire Calvin, l'eau du Baptême n'opère pas «notre ablution et notre salut,» ne contient [90] pas «en soi la vertu de purifier, de régénérer et de renouveler.» Tout ceci cependant est affirmé très clairement par l'Apôtre Paul dans son Epître à Tite, lorsqu'il dit que le Christ nous a sauvés par le bain de la régénération.

  A023000803 

 Personne ne doute que Paul, et encore moins le roi David, n'aient été engendrés par des parents fidèles; et cependant ils n'hésitèrent pas à se confesser, le dernier, conçu dans le péché, le premier, enfant de colère par nature.

  A023000803 

 Sur ce sujet il existe une importante déclaration de saint Augustin: «Celui qui dit que dans le Christ sont vivifiés même les enfants qui quittent la vie sans avoir reçu le Sacrement, celui-là va certainement contre la prédication des Apôtres, et condamne toute l'Eglise, à laquelle on s'empresse de courir pour faire baptiser les enfants, précisément parce qu'on croit sans hésitation qu'ils ne peuvent en aucune antre façon être vivifié» dans le Christ.» De même saint Jérome écrit, après Tertullien: «On ne naît pas chrétien, on le devient.».

  A023000803 

 Voici, en effet, ce que dit Calvin: «L'enfant d'un fidèle, dès le sein, de sa mère est compris dans l'alliance par droit héréditaire, selon la formule de la promesse.» Comme si vraiment l'Apôtre ne s'écriait pas: Ce ne sont pas les enfants de la chair qui sont enfants de Dieu, mais ce sont les enfants de la promesse qui sont regardés comme la postérité.

  A023000810 

 Ceci ne s'est pas produit sans un jugement admirable et profondément sage du Dieu très bon et très grand: il fallait, en effet, que ceux qui ont osé, par cette épouvantable négation allant à l'encontre de la parole divine, violer et profaner un si grand Sacrement, un si parfait symbole d'unité, fussent précipités par là même dans un abîme de division..

  A023000810 

 Quant aux sacramentaires, qui se croient d'autant plus subtils qu'ils sont en fait plus impudents, bonté de Dieu! à quelle abondance follement variée d'opinions et d'expressions ne se sont-ils pas laissés aller lorsqu'ils se sont efforcés d'expliquer les paroles du Christ! Ici la confusion a été plus grande, semble-t-il, que celle que nous lisons avoir régné parmi les bâtisseurs de la tour de Babylone.

  A023000810 

 Si on y joint toutes celles qui ont été surajoutées depuis, on n'en trouve pas moins de deux cents, et [94] non seulement diverses, mais aussi, ce qui ne peut manquer d'arriver dans un mensonge de cette importance, presque toutes se contredisant mutuellement.

  A023000811 

 L'autre est celle qui, pour ne pas avoir l'air de s'écarter même matériellement des paroles du Christ, admet que son vrai corps se trouve dans le Sacrement de l'Eucharistie, mais par la foi, non par une présence réelle et corporelle qui précéderait la manducation; en somme, [95] qu'il s'y trouve sans s'y trouver, et que cette présence n'est vraie qu'en imagination.

  A023000812 

 Cela admis, il reste en outre certainement manifeste que l'addition du verbe grec substantif ( est ), faite d'un commun accord par tous les autres Evangélistes et par [96] saint Paul (celui-ci d'après l'enseignement, non de ses collègues en apostolat, mais du Seigneur déjà monté au Ciel), que cette addition, disons-nous, n'a pas été, faite dans le but d'aplanir la voie à l'interprétation mensongère ci-dessus et de faire croire qu'ils voulaient donner au verbe est le sens de signifie; mais pour exprimer plus ouvertement le même sens que saint Matthieu a exprimé dans la langue maternelle du Christ.

  A023000813 

 Ajoutons ces paroles si fortes de saint Paul: Car celui qui mange [97] ou boit indignement, mange et boit sa propre condamnation, en ne discernant pas le corps du Seigneur.

  A023000813 

 Qu'a-t-on pu écrire de plus clair, soit pour exclure le sens mensonger de simple figure et signification, soit pour éliminer l'autre interprétation qui met la vérité du corps du Christ dans la foi du communiant, non dans la vérité du Sacrement, et attribue ainsi plus de valeur à la foi du communiant qu'à la puissance de Celui qui a institué le Sacrement? Comment, en effet, communier plus indignement qu'en ne croyant point à la présence du corps du Christ? Or, même celui qui mange et boit indignement, ne mange et boit sa propre condamnation que parce qu' il ne discerne pas le corps du Seigneur.

  A023000817 

 Je laisse de côté l'annonce faite par le Prophète Malachie, d' une oblation pure qui serait offerte dans le monde entier; j'omets bien d'autres très solides arguments scripturaires que les théologiens, eux, n'omettent pas.

  A023000817 

 Notre foi est surabondamment établie par la parole ci-dessus, prononcée par la bouche du Seigneur, qui prouve avec la plus grande force et évidence que l'Eucharistie n'est pas uniquement un Sacrement devant nous être présenté, mais encore un Sacrifice devant être offert pour nous..

  A023000817 

 Quoi de plus clair, en eflet, que ces paroles: Ceci est mon corps qui est donné pour vous; Ceci est mon sang qui est répandu pour vous et pour plusieurs en rémission des péchés? Sans nul doute, ce corps très saint est donné, non pas seulement à nous en Sacrement, mais aussi pour nous en Sacrifice.

  A023000817 

 Tous les hérétiques de ce temps sont d'accord sur cette négation, et pensent avoir pleinement atteint leur but s'ils enlèvent à notre religion un sacrifice, sans lequel cependant la religion ne peut pas plus subsister que sans Dieu.

  A023000818 

 Ils en déduisent qu'il n'est pas besoin que le Christ s'offre plus souvent.

  A023000818 

 Tant est juste ce que Tertullien a écrit: «Le démon a varié ses moyens pour attaquer la vérité; il a parfois affecté de la défendre pour l'abattre.» Pareilles sont ces autres conclusions de nos hérétiques: La foi justifie, donc la charité ne justifie pas; la justice du Christ nous est imputée, donc il n'y a en nous aucune justice; le Christ a mérité pour nous, donc nous n'avons aucun mérite; le Christ est souverain Pontife, donc il n'y a dans l'Eglise aucun souverain Pontife, vicaire du Christ; le Christ est l'unique médiateur de rédemption, donc il n'existe aucun médiateur d'intercession; le Christ a jeûné pour nous, donc nous ne devons pas jeûner; enfin, pour ne pas tout énumérer, le Sacrement est un signe, donc dans le Sacrement il n'y a aucune réalité.

  A023000819 

 Mais auprès des savants et de ceux qui sont davantage versés dans la connaissance, soit de la théologie, soit de la logique, tous ces raisonnements sont parfaitement ridicules; car les gens instruits savent qu'il nous faut, au contraire, raisonner ainsi: La foi justifie, donc bien plus la charité justifie, elle sans laquelle la foi est morte; la justice du Christ nous est inciputée, donc une réelle et vraie justice est produite en nous; le Christ a mérité pour nous, donc nous avons des mérites que nous ont valus les mérites du Christ; le Christ est souverain Pontife, donc parmi ceux qui pour le moment le remplacent, il faut qu'il y en ait un qui soit souverain Pontife; le Christ est l'unique médiateur de rédemption, donc il peut et il doit y avoir de nombreux médiateurs d'intercession, qui, avec nous et pour nous, implorent de lui qu'il nous applique le prix et l'efficacité de sa rédemption; le Christ a jeûné pour nous, donc à plus forte raison devons-nous jeûner à son exemple et imitation; le Christ est ressuscité et monté aux cieux, donc nous aussi, si nous sommes non pas seulement fidèles, mais aussi élus, nous ressusciterons et monterons aux cieux, selon le raisonnement de Paul dans son Epître aux Thessaloniciens; enfin, il y a un signe dans le Sacrement, donc il faut que la chose signifiée y soit aussi.

  A023000820 

 Il est très vrai que par le sacrifice de la Croix tout a été consommé et qu'il n'est nul besoin d'une nouvelle oblation; toutefois il n'est pas moins vrai que l'Eucharistie est un sacrifice: il n'y a pas, en effet, deux sacrifices, celui de la Croix et celui de l'autel, mais un seul, parce que, d'un côté comme de l'autre, c'est une même chose qui est offerte, par un même sacrificateur, à une même fin et au même Père.

  A023000820 

 La fin pour laquelle il est offert est la même des deux côtés: à savoir, la rémission des péchés; mais elle n'est pas atteinte de la même façon dans l'un [103] et l'autre cas, attendu que sur la croix la rémission se fait par une rédemption, satisfaction et réparation sans bornes, tandis que sur l'autel, elle se fait par l'usufruit et l'application de cette rédemption, de cette satisfaction, de cette réparation.

  A023000821 

 Il n'est pas tant la répétition de l'offrande faite sur la croix, que sa continuation et sa reproduction persévérante, puisque l'acte de volonté, par lequel le Christ Rédempteur s'est offert et s'offre pour toujours au Père, est unique, perpétuel et très constant.

  A023000821 

 Par suite, le sacrifice de la Messe n'est pas différent, mais est le même que celui de la Croix, bien loin de lui être contraire.

  A023000822 

 Cependant, lorsqu'ils passent au sacrifice de la Croix, ils lui enlèvent toute force et vertu, en affirmant, comme nous l'avons dit ci-dessus, que rien n'a été fait par lui, et ils réduisent toute l'œuvre de notre rédemption à je ne sais quels supplices de l'enfer dont il n'est pas fait la moindre mention dans l'Ecriture tout entière.

  A023000838 

 «Qui donc,» écrit Calvin, «a-t-il révélé qu'ils aient des oreilles assez longues pour écouter nos voix?» Qu'il me soit plus justement permis de m'écrier: Qui donc pourrait croire que Calvin ait une âme assez méchante et assez stupide, pour mesurer l'ouïe des esprits bienheureux à la longueur de leurs oreilles? Le Christ n'a-t-il pas lui-même révélé que même les Anges dans le ciel se réjouissent du repentir des pécheurs? Mais comment peuvent-ils s'en réjouir s'ils ne le connaissent pas? Et s'ils le connaissent, avec quelles oreilles l'ont-ils appris? C'est, en effet, avec [108] les mêmes oreilles que les âmes des Saints perçoivent nos voix, étant égaux aux Anges quant aux oreilles, aux yeux, aux mains et aux pieds, selon cette parole du Christ notre Seigneur: Ils seront semblables aux Anges de Dieu..

  A023000842 

 Il n'aurait pas parlé ainsi, s'il n'y avait eu certains péchés qui sont aussi remis dans le siècle futur, chose que même le païen Platon n'a pas ignorée, lui qui, à la seule lumière de la raison naturelle, a admis le Purgatoire.

  A023000937 

 L'art de nier leur plaît tellement, que même en affirmant ils nient et, suivant la parole de Tertullien rapportée plus haut, «tout en croyant, ils ne croient pas.» Je vais exposer séparément quelques-uns des points qui s'offrent à nous..

  A023000941 

 Et Calvin [110] ne rougit pas de taxer saint Augustin de superstition, parce qu'il rapporte à la seule «prescience» et permission «de Dieu l'aveuglement et l'endurcissement» du pécheur.

  A023000941 

 J'avoue,» dit-il, «que tous les fils d'Adam sont tombés dans ce malheur,» (il parle du péché) «et cela doit être en définitive, comme je le disais en commençant, attribué au seul libre arbitre de la volonté divine.» Tout aussitôt il attaque ceux qui «ne veulent pas attribuer à un décret divin la perte d'Adam par suite de sa défection.» Parlant ensuite des damnés: «C'est de la prédestination de Dieu,» dit-il, «que dépend leur perdition.» De nouveau: «L'homme tombe, la providence de Dieu en ordonnant ainsi.» Bien plus, il appelle «œuvre de Dieu» l'inceste commis par [111] Absalon et les mauvais traitements infligés aux Juifs par les Chaldéens.

  A023000942 

 Saint Augustin a cette belle expression: «Affirmer que la divine providence ne s'étend pas jusqu'aux choses de ce bas monde, ou que tous les maux sont commis par la volonté de Dieu, sont deux propositions impies; mais la seconde l'est davantage.» Quant à saint Basile, il a prononcé un discours entier sur ce sujet: «Dieu n'est pas l'auteur des maux.» [112].

  A023000946 

 Comme si le Christ ne détruisait pas, mais recouvrait seulement nos iniquités du manteau de son innocence et de sa justice; de même que Rachel ne se défit pas de l'idole de son père, mais, en s'asseyant dessus et en l'entourant de son vêtement, la couvrit et la conserva.

  A023000946 

 Il faut donc qu'il le couvre en l'effaçant et en le lavant, car rien ne peut être caché à Dieu ou passer inaperçu à ses yeux, si ce n'est ce qui n'existe pas du tout.

  A023000946 

 Ils affirment que la rémission des péchés se fait par simple non-imputation, ce qui n'est pas autre chose que nier la vraie rémission des péchés.

  A023000946 

 Ils ne veulent pas, en effet, que les péchés soient effacés, lavés, éloignés de nous, chassés; que l'âme soit purifiée, blanchie, lavée, illuminée; que le cœur soit nettoyé, créé, renouvelé (toutes choses que l'Ecriture affirme si souvent): mais ils veulent que les péchés restent, sans être cependant imputés; qu'ils soient couverts, non effacés; cachés, non enlevés.

  A023000946 

 Mais si le Père a horreur du péché, le Fils n'en a pas moins horreur; si le Père ne peut le tolérer et le voir sans s'irriter, le Fils non plus ne peut le cacher ou le couvrir par sa justice.

  A023000950 

 Et l'invité qui a été chassé, l'a été, non parce que l'époux ou le fils du roi était dépourvu de la robe nuptiale, mais parce que lui-même ne l'avait pas; quant à l'enfant prodigue, le père ne s'est pas contenté de le couvrir de sa propre robe, mais il lui en a donné une neuve; et les Saints se promènent [114] [au Ciel] en vêtements blancs, non pas simplement parce que l'Agneau est blanc, mais parce qu' ils ont blanchi leurs robes dans le sang de l'Agneau..

  A023000950 

 Par cette affirmation ils nient la force et l'efficacité de la justice du Christ, qui se montre surtout en ce qu'elle nous est utile non seulement par son imputation, mais par une dérivation et une infusion d'une justice formelle dans nos cœurs, en sorte que, non seulement n ous soyons appelés enfants de Dieu, mais aussi que nous le soyons; que, par conséquent, nous ne soyons pas seulement justes de nom et de réputation, mais en réalité et en effet.

  A023000954 

 De nouveau Luther, au même endroit, se plaît dans ce délicieux argument, qui montre quel bon logicien il était: « La loi ne vient pas de la foi; or, la loi n'ordonne pas autre chose que la charité; donc la charité ne vient pas de la foi, mais est en combat avec elle.» Que répondez-vous à cela, grand Paul? Quand j'aurais une foi assez grande pour transporter les montagnes, si je n'ai pas la charité, cela ne me sert de rien.

  A023000955 

 Aussi est-ce avec raison que Luther s'étonne de lui-même et s'exclame ainsi: «Cette théologie, qui est la nôtre, contraire à la raison, est étonnante et absurde, à savoir que je ne sois pas seulement sourd à la loi et délivré d'elle, mais que j'y sois entièrement mort.» Et un peu après: «Nous répondrons avec Paul que nous méritons le nom de justes par la seule foi dans le Christ, non par les œuvres de la loi ou la charité.» Où donc Paul a-t-il ajouté les mots: «ou la charité», que tu ajoutes de toi-même, ô Luther? [116].

  A023000959 

 Et pour empêcher quelqu'un qui aurait meilleure opinion de la bonté morale d'appliquer cette proposition aux simples actions moralement bonnes, Luther l'a expliquée par ces paroles plus claires: «Toute œuvre bonne est un péché dans les saints tant qu'ils sont viateurs.» Calvin, de son côté, soutient dans le même sens «que pas un seul acte n'est produit par les saints qui, s'il est examiné en soi, ne mérite une juste punition.» Ailleurs il ajoute: «Toute action d'un homme pieux, si elle était examinée au sévère jugement de Dieu, serait condamnable.».

  A023000961 

 Que répondront nos hérétiques, si je leur demande non par quelle croyance, mais par quelles actions je mériterai de posséder la vie éternelle? Répondront-ils par la parole du Christ au docteur de la loi: Tu aimeras ton Seigneur, etc.; fais cela, et tu vivras? Ils devront plutôt répondre: Ne fais rien, et tu ne pecheras pas.

  A023000961 

 Si, en effet, il vaut mieux «travailler à son aise que de ne rien faire du tout,» comme disait Pline, n'est-il pas beaucoup plus sûr de ne rien faire que de mal agir et de pécher? Ici, qui n'aperçoit dans cette espèce d'hommes une envie extraordinaire et continuelle de contredire? Le bien, disent-ils, est le mal; la lumière se confond avec les ténèbres, le chaud avec le froid.

  A023000970 

 Et, d'un autre côté, comment peuvent concorder entre elles ces propositions de Luther: «Tout? œuvre bonne, même d'un croyant, même d'un juste, est un péché;» et: «Aucun acte du juste, si ce n'est l'incrédulité, n'est un péché»? Car si toute action bonne est un péché, comment aucune action mauvaise n'est-elle pas un péché?.

  A023000970 

 «Le Christ,» dit Luther, «a ainsi ordonné les choses, qu'il n'existe aucun péché en dehors de l'incrédulité, et aucune justice si ce n'est la foi.» Ailleurs, il soutient âprement cette proposition: «Le baptisé, même en le voulant et au prix des plus grands péchés, ne peut perdre son salut, à moins qu'il renonce à la foi, parce que,» dit-il, «la foi enlève tous les péchés et empêche de pécher celui qui le voudrait.» Par [120] cette affirmation ils nient de toute évidence que les impudicités les homicides, les parjures, les blasphèmes soient des péchés; et cependant, c'est là une telle absurdité, que si quelqu'un ne la voit pas, jamais il ne trouvera quoi que ce soit d'absurde.

  A023000974 

 La voie est étroite, il faut y entrer seul si tu veux y passer et pénétrer dans le rocher; ceux qui sont tout garnis de leurs œuvres, comme les pèlerins de saint Jacques de leurs coquilles, n'y peuvent pénétrer; si tu es chargé des lourdes pierres de tes œuvres, tu ne passeras pas avant de t'être déchargé de ton fardeau.» [121] Et ailleurs: «La justice de la loi, même du Décalogue, est impure et abolie par le Christ.» Qui t'a donc révélé, ô Luther, ces paroles du Christ? Car tu ne les as pas trouvées dans l'Evangile, où rien n'est si fort recommandé par le Christ que l'observation des commandements, si nous voulons entrer dans la vraie vie, et où il promet de donner une récompense, non aux croyants, mais aux ouvriers..

  A023000978 

 Luther, en effet, défend cette proposition parmi celles qu'il considère comme très certaines: «Les circonstances des péchés, qu'il s'agisse des personnes (mères, filles, sœurs, parentes), du jour, du lieu, ou de tout ce qui est extérieur, sont égales et ne méritent pas qu'on s'en occupe.» Par quelle belle raison? «Parce que le Christ n'a rien ordonné là-dessus dans ses lois.» Et ailleurs: «Pour les chrétiens, une seule circonstance compte, celle d'avoir péché contre son frère.» Par cette affirmation ils nient l'inégalité des péchés, au moins dans le même genre de fautes.

  A023000978 

 Qui donc, [122] cependant, admettra une identité de malice pour la violation du lit nuptial du prochain, ou pour celle du lit nuptial paternel? Faudra-t-il conclure que tuer son père ne soit pas plus grave que tuer son domestique, que vendre des colombes à un prix excessif dans le temple ne soit pas plus grave que de le faire sur la place publique? Pourquoi donc saint Paul fait-il tant de cas de la fornication de ce Corinthien, fornication si grave qu' il ne s'en rencontrerait pas de semblable même chez les gentils, puisqu'il s'agissait de quelqu'un qui osait violer la femme de son père?.

  A023000986 

 Ils affirment que tous les Pasteurs de l'Eglise sont égaux, qu'aucun d'eux n'est supérieur à un autre, de telle sorte qu'il n'y a pas du tout lieu, entre eux, à distinction et à hiérarchie.

  A023000990 

 Par cette affirmation, ils nient l'enseignement de toute l'Ecriture, à savoir, que nous devons faire notre salut avec crainte et tremblement, nous efforcer de rendre certaine notre vocation par les bonnes œuvres, et ne pas être sans crainte au sujet du péché même pardonné.

  A023000994 

 Mais que répondront-ils à cette parole d'Ezéchiel: Si le juste se détourne de sa justice et commet l'iniquité, toute sa justice on ne s'en souviendra plus? Que signifie ce que le Christ ordonne d'écrire à l'Evêque de Philadelphie: Tiens ce que tu as, de peur qu'un autre ne reçoive ta couronne? Quant à l'Apôtre Paul, bien que fidèle, et même très fidèle, que ne fait-il pas pour qu'après avoir prêché aux autres, il ne soit lui- même réprouvé!.

  A023000995 

 Dans les premières, en effet, non seulement il est affirmé que «le royaume des Cieux ne peut, pas plus nous manquer» qu'au Christ, ce que porte expressément la dernière édition, mais que nos péchés [127] ne peuvent pas plus nous faire condamner qu'ils ne peuvent faire condamner le Christ lui-même.

  A023000995 

 Mais écoutons, je vous prie, au moyen de quelle belle et juste comparaison Calvin explique sa doctrine: «Il suit de là que nous» devons «nous promettre avec certitude que la vie éternelle est [126] nôtre, puisque» le Christ «en a hérité, et que le royaume des Cieux, où il est déjà entré, ne peut pas plus nous manquer qu'à lui-même.

  A023000999 

 Ce n'est pas chez eux manque d'audace (il y a certes plus d'audace à se prétendre juste qu'à se confesser timoré), c'est plutôt honte, non évidemment de mentir, mais de s'exprimer en telle sorte que, par un mensonge sur le point en question, ils aient l'air de dire la vérité..

  A023000999 

 «Grégoire,» dit Calvin, «a fait chose très mauvaise et pernicieuse en assurant, dans son homélie XXXVIII e, que nous sommes seulement sûrs de notre vocation, non de notre élection, et en exhortant, par conséquent, tout le monde à la crainte et au tremblement.» Par cette affirmation ils nient que l'espérance et la crainte puissent se trouver chez les prédestinés; car, qui peut craindre la perte d'un bien qu'il est sûr de ne pouvoir perdre? En nous exhortant à la crainte et au-tremblement, que fait le grand et jamais assez loué saint Grégoire, si ce n'est de nous donner le même [128] conseil que nous donnent à chaque page les Saintes Ecritures? Car, pourquoi pensons-nous que l'Evangile loue Siméon, non seulement de ce qu'il était juste, mais aussi de ce qu'il était timoré, sinon pour nous faire comprendre que la justice doit avoir pour compagne continuelle cette crainte sainte, non celle qui est servile, mais celle qui est filiale? Aussi, que nos hérétiques mentent tant qu'ils voudront en s'appelant justes; il suffit pour faire apparaître leur mensonge, qu'ils ne veuillent pas se dire timorés, même au prix d'un mensonge.

  A023001000 

 Qu'est-ce donc qui peut rendre plus certains ces derniers que le premier, qui autrefois fut très certain? Si la voix céleste du premier l'a trompé, parce qu'elle exprimait le bavardage de Calvin au lieu de la voix de l'Esprit-Saint, pourquoi la voix céleste des autres ne les trompera-t-elle pas aussi?.

  A023001004 

 Calvin, en effet, avance ouvertement que le Christ a craint pour le salut de son âme; et ce n'est pas en passant, mais ex professo, qu'il soutient cela.

  A023001008 

 Aussi, après saint Jérôme, disons-nous que dans le Christ il n'y a pas eu des passions, mais des «propassions»..

  A023001008 

 Que cet enseignement soit faux au delà de tout ce qu'on peut dire, cela apparaît d'abord très clairement du simple énoncé ci-dessus, mais aussi de ce fait que le bienheureux Jean l'Evangéliste, dans le récit de la résurrection de Lazare, assure que le Christ s'est troublé lui-même: il convenait, en effet, que Celui qui n'était pas moins vrai Dieu que vrai homme, excitât volontairement en lui-même les craintes, les angoisses et les sentiments de cette sorte avant d'être excité par eux.

  A023001012 

 Il n'a pas, en effet, cessé d'être le Verbe [la Parole de Dieu], même lorsqu'il ne proférait pas de parole, ou de posséder la sagesse, même lorsqu'il ne montrait pas cette sagesse dans ses paroles; notre foi croit qu'il fut, dès le premier instant de sa conception, compréhenseur en même temps que viateur..

  A023001012 

 Nous avouons, en vérité, que le Christ enfant, pour ce qui regarde l'exercice et les œuvres externes, a grandi en sagesse [132] et en grâce; toutefois nous affirmons, en outre, qu'en lui étaient les trésors de la sagesse, même lorsqu'il ne les montrait pas encore, et qu'il les conservait pour lui-même, avec l'intention de les dévoiler, en son temps, devant le peuple de Dieu.

  A023001016 

 Ils affirment que les enfants, avant leur Baptême, croient et ont la foi, qu'ils ne possèdent pas seulement l' habitus de la foi, ni ne croient pas seulement par la foi de l'Eglise, mais ont l'acte de foi et la foi proprement dite.

  A023001043 

 Ils couraient, dit Dieu par la bouche d'Ezéchiel, en parlant des faux prophètes, et je ne les envoyais pas.

  A023001044 

 Cependant, la fonction elle-même, je l'appelle extraordinaire, parce qu'elle n'existe pas dans les églises bien constituées.».

  A023001044 

 «Je ne nie pas,» dit-il, «que Dieu ait envoyé parfois plus tard des apôtres, ou au moins, à leur place, des évangélistes, comme cela s'est produit de notre temps; car ils étaient nécessaires pour retirer l'Eglise de la défection de l'Antéchrist.

  A023001045 

 Luther, au contraire, avoue ouvertement avoir été appelé par une vocation, non extraordinaire, mais ordinaire et médiate: [135] «Nous sommes donc,» dit-il, «appelés, nous aussi, non pas, à la vérité, immédiatement par le Christ comme les Apôtres, mais par un homme.» Et lorsqu'il explique de quelle manière il a été appelé par un homme, il dit ceci: «Quand un prince ou un autre magistrat m'appelle, je puis me glorifier avec certitude et confiance d'être, par la voix d'un homme, appelé sur l'ordre de Dieu; c'est là, en effet, le commandement de Dieu par la bouche du prince, qui m'assure de la vérité et de la divinité de ma vocation.» Ailleurs il enseigne que «l'appel autrefois était fait par les Apôtres, qui ont choisi leurs successeurs, comme,» dit-il, «ces successeurs sont encore appelés, même par les puissances charnelles et les magistrats, ou par les communautés.» Vous voyez ainsi Luther affirmer de sa vocation qu'elle n'est pas, comme celle des Apôtres et des Evangélistes, extraordinaire, mais ordinaire et médiate, et qu'elle dérive, non des Evêques ou des personnes ecclésiastiques, mais «des magistrats charnels;» c'est là sa propre expression..

  A023001046 

 Quant à Philippe du Plessis-Mornay, dans son traité français De l'Eglise, qui plaît tant aux calvinistes, il soutient que la [136] vocation de Luther, de Zwingle et des autres fameux hérétiques de notre temps, ne provient pas de Dieu immédiatement et extraordinairement, comme le pense Calvin, ni médiatement «des magistrats charnels,» comme l'enseigne Luther, mais médiatement des Evêques catholiques.

  A023001047 

 Qui ne rira de la folie de ces hommes qui ne conviennent même pas entre eux du fondement de leur vocation? Qui n'admirera l'esprit ingénieux de du Plessis, qui estime connaître mieux que Calvin le fondement de la vocation de Calvin? mieux que Luther le fondement de la vocation et de l'autorité de Luther? Séparez-les l'un de l'autre, et je les jugerai, dit Daniel des faux témoins; et il dit à l'un: Sous quel arbre les as-tu vus? Il répondit: Sous [137] un lentisque.

  A023001053 

 Effectivement, non seulement ils ne s'entendent pas sur l'origine de leur vocation, mais aussi, qui plus est, ils sont d'un avis unanime sur la vocation légitime de nos Evêques.

  A023001053 

 Et à la vérité, nous sommes forcés d'avouer que le ministère ordinaire est de leur côté; mais comme ils ont abusé de leur pouvoir, nous pouvons nous moquer de leurs prétentions.» Quant à Mornay, puisqu'il fait dériver de nos Evêques la mission de Luther et de ses disciples, ne reconnaît-il pas par là très ouvertement la vocation de nos Evêques? Aussi Calvin avait-il raison, plus même qu'il ne le croyait, lorsqu'il disait que «dans les églises régulièrement constituées» il n'y a pas place pour sa mission ni celle des siens..

  A023001054 

 C'est le cas d'interpeller nos réformateurs apostats avec les paroles de Tertullien: «Qui êtes-vous,» vous autres, et «d'où venez-vous?» Qui vous a envoyés évangéliser? «Qu'ils montrent les origines de leurs églises,» ajoute-t-il, «qu'ils déroulent la filière de leurs évêques.» Bien mieux, servons-nous des expressions mêmes de Luther parlant du mode d'appel institué par les Apôtres: «Il ne faut donc pas mépriser la vocation, car il ne suffit pas d'avoir la parole et la pure doctrine, il faut aussi que la vocation soit certaine; celui qui s'ingère sans elle, vient pour égorger et perdre, Dieu ne bénissant jamais le travail de ceux qui ne sont pas appelés.

  A023001054 

 Ceci étant admis, on nous permettra de raisonner ainsi: L'Eglise du Christ a été une fois pour toutes constituée de telle manière [139] que les portes de l'enfer ne puissent jamais prévaloir contre elle; donc, il ne peut y avoir en elle de vocation extraordinaire, si ce n'est en tant qu'approuvée par l'ordinaire, le Christ n'étant pas divisé.

  A023001066 

 Bien plus, il se dit ailleurs prêt à ne pas croire à l'Evangile, si l'autorité de l'Eglise n'était pas là pour le pousser à y croire.

  A023001066 

 Et de nouveau, en un autre endroit, à propos du Baptême qui ne doit pas être réitéré aux hérétiques, il écrit ces paroles: «Quoique les Ecritures canoniques ne nous offrent pas d'exemple à ce sujet, c'est cependant encore la vérité de ces Ecritures que nous suivons, lorsque nous agissons selon la volonté de l'Eglise universelle, Eglise qui s'appuie sur l'autorité des Ecritures.» L'Apôtre Paul n'a pu louer plus ouvertement l'autorité de l'Eglise, qu'en l'appelant colonne et base de la vérité.

  A023001066 

 Et, en effet, si le [141] Christ a voulu que l'Eglise, son épouse très chère, fût la mère de tous les chrétiens, comment peut-on la mépriser sans mépriser le Christ lui-même? «Le Christ,» dit saint Augustin, «rend témoignage à l'Eglise... Si tu résistes, ce n'est pas à moi ou à un autre homme, mais au Sauveur lui-même que tu résistes le plus malheureusement du monde, à l'encontre de ton propre salut, car tu ne veux pas croire à la nécessité pour toi d'être admis en la manière qu'admet l'Eglise; or, à cette Eglise rend témoignage Celui auquel, de ton propre aveu, on ne peut sans crime refuser de croire.».

  A023001066 

 Si quelqu'un, dit le Christ, n'écoute pas l'Eglise, qu'il soit pour toi comme un païen et un publicain.

  A023001067 

 Quant à Calvin, combien de fois n'a-t-il pas soutenu ex professo que l'Eglise peut errer!.

  A023001067 

 Tout aussitôt il insulte ainsi les catholiques en manière de triomphe: «S'il vous fallait soutenir les chocs du [142] démon, vous ne chanteriez pas longtemps votre refrain sur l'Eglise et les anciennes coutumes.» Ailleurs il se glorifie d'avoir, lui tout seul, combattu contre l'Eglise dès le commencement.

  A023001079 

 La quatrième caractéristique des hérétiques est le mépris des Conciles généraux, dont cependant l'autorité a toujours été si grande, que saint Grégoire de Nazianze n'a pas hésité à affirmer que ceux-là ne sont pas hérétiques, qu'un Concile catholique a approuvés, et que ceux-là sont hérétiques que n'admet pas un Concile catholique.

  A023001099 

 La cinquième caractéristique des hérétiques est le mépris du Siège Apostolique, point où excelle Luther qui, dans un certain endroit, après avoir dit que tout ce qui se fait contre l'Eglise Romaine tend à la gloire de Dieu, ajoute: «Etant moi-même un des antipapes, appelé par révélation divine à dissiper, perdre et détruire ce royaume [de malédiction], je remplis cette mission avec passion et plaisir, comme je l'ai fait jusqu'ici.» Ailleurs tout en soutenant que la guerre contre les furcs est illégitime, il dit ceci: «Combien mieux n'agirait-on pas si l'Empereur et les Princes empêchaient l'idole Romaine de perdre les âmes! car, s'il m'est [144] permis de prophétiser une fois ce que je sais, au risque de n'être pas écouté, je dirai que c'en est fait du Christianisme, si le Pontife Romain n'est pas mis à la raison... La Papauté ne peut rien produire, si ce n'est péché et perdition... Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende, et s'abstienne de faire la guerre aux Turcs tant que le nom du Pape se fait entendre sur terre.

  A023001100 

 Et puisque le même Christ a confié ses brebis à la garde de Pierre, elle n'est pas brebis du Christ celle qui ne veut pas avoir Pierre pour pasteur.

  A023001100 

 Par suite, celui-là n'appartient pas à l'Eglise qui ne s'appuie pas sur la pierre que la bouche du Christ a si grandement magnifiée.

  A023001101 

 Aussi est-ce avec pleine vérité que saint Cyprien écrit: «Il n'y a pas d'autre cause aux hérésies et aux schismes que le manque d'obéissance au Prêtre de Dieu, parce qu'on ne considère pas comme tenant la place du Christ celui qui seul est pour un temps Prêtre et Juge dans l'Eglise.

  A023001101 

 Et saint Jérôme n'écrit pas différemment à Damase, Pontife Romain: «Ne reconnaissant comme premier Pasteur que le Christ, je m'unis de communion à Ta Béatitude, c'est-à-dire à la Chaire de Pierre: je sais que c'est sur elle qu'a été bâtie l'Eglise.

  A023001101 

 Que les hérétiques ne viennent pas, après cela, prétendre que le Pontife Romain n'est pas le successeur de Pierre, ou que l'autorité accordée à Pierre n'a pas été transmise au Pontife Romain; car cette autorité ayant été conférée à Pierre pour le bien commun de l'Eglise, elle n'a pas dû cesser avec Pierre, lequel devait disparaître par la mort au bout de peu d'années, mais durer autant que l'Eglise militante, qui demeurera jusqu'à la fin du monde: par conséquent, l'Eglise doit avoir un successeur revêtu de l'autorité même dont jouissait Pierre.

  A023001101 

 Quiconque mange l'agneau hors de cette demeure, est un profane; quiconque ne se trouvera pas dans l'arche de Noé, périra quand le déluge se déchaînera; qui n'amasse pas avec toi, disperse: en un mot, celui qui n'est pas avec le Christ est avec l'antéchrist.».

  A023001104 

 Ce n'est pas que je ne le sache bien plus récent; mais c'est que les calvinistes ont l'audace, à la suite de Calvin lui-même, de louer ce Docteur comme un contempteur du Siège Apostolique.

  A023001105 

 Et Calvin lui-même ne peut s'empêcher d'avouer et de reconnaître que dès le temps du grand Athanase, tous les gens pieux ont accordé volontiers à l'Eglise Romaine le plus possible d'autorité: «Mais,» dit-il, «tout cela n'avait pas d'autre sens que d'estimer à un grand prix sa communion, et de considérer comme une injure d'être excommunié par elle.» Pourquoi donc, ô Calvin, n'avais-tu pas, et tous les tiens aussi, l'obligation de faire de même, s'il vous restait une étincelle de la piété antique? [149].

  A023001107 

 Contre tous ces contempteurs de la Chaire Apostolique de Rome, il convient d'employer les expressions dont s'est servi autrefois saint Augustin contre Pétilien, et d'apostropher Luther et Calvin, au cas où quelqu'un voudrait répondre en leur nom: «Que» vous s a fait la Chaire de l'Eglise Romaine, où Pierre a siégé, où siège aujourd'hui Anastase? Pourquoi» appelez-vous « chaire de pestilence la Chaire Apostolique? Si c'est à cause des hommes que» vous supposez «enseigner la loi sans la pratiquer, est-ce que le Christ, à cause des pharisiens dont il a dit: Ils disent et ne font pas, a injurié la chaire où ils siégeaient? N'a-t-il pas honoré la chaire de Moïse, et repris les pharisiens sans toucher à l'honneur de la chaire même? Si vous pensiez à cela, vous ne blasphémeriez pas, à cause des personnes que vous décriez, la Chaire Apostolique, avec laquelle vous n'êtes pas en communion.

  A023001107 

 Qu'est-ce que tout ceci, [150] sinon ne pas savoir que dire, et cependant ne pouvoir se tenir de mal dire?».

  A023001120 

 Et ailleurs dans la Sainte Ecriture: Ne laisse pas échapper ce que racontent les anciens, car ils ont appris de leurs pères.

  A023001121 

 Si quelqu'un s'écarte de leur sentiment commun, qu'il écoute cette parole de l'Apôtre: Dieu n'est pas un Dieu de dissension, mais de paix.» Et un peu après: «Il est de première nécessité désormais à tous les catholiques qui s'efforcent de se montrer les fils légitimes de notre mère l'Eglise, qu'ils s'attachent à la sainte foi des saints Pères, y restent étroitement unis et y meurent.».

  A023001121 

 Vincent de Lérins s'exprime mieux que personne lorsqu'il traite [151] de l'autorité des anciens Pères: «Celui,» dit-il, «qui méprise ces Pères, que Dieu a répartis à travers les temps et les lieux, lorsque, au sujet du sens à attribuer à un dogme catholique, ils sont d'accord dans le Christ sur un point, celui-là ne méprise pas l'homme, mais Dieu.

  A023001139 

 La divine Majesté me met dans la disposition de ne pas me troubler si mille Augustin, si mille Cyprien m'attaquaient; Augustin et Cyprien, comme tous les élus, ont pu errer, et ont erré.» Et à la fin: «Je ne cherche pas ce que disent Ambroise, Augustin, les Conciles et la tradition des siècles; je n'ai pas eu non plus besoin d'avoir le Roi Henri pour m'enseigner toutes ces choses, que je connaissais fort bien, au point de les avoir même attaquées.

  A023001139 

 Luther s'exprime ainsi quelque part: «Je veux d'abord qu'ils [153] sachent bien, et je les prends à témoins, que je ne veux céder en aucune façon à l'autorité d'un Père, pour saint qu'il soit.» Ensuite, comme entrant en lutte avec tous les Pères, il tâche de les secouer en tous sens pour les jeter bas: «Que d'erreurs n'a-t-on pas rencontrées dans les écrits de tous les Pères! Que de fois ne diffèrent-ils pas d'opinion entre eux! que de fois ne sont-ils pas d'avis différent les uns d'avec les autres! Quel est celui d'entre eux qui n'ait plusieurs fois détourné les Ecritures de leur sens? Chaque fois qu'Augustin se contente de disputer, il ne définit rien; Jérôme, dans ses Commentaires, ne formule presque aucune affirmation positive.» Il conclut enfin: «Que personne ne m'oppose l'autorité d'un Pape ou d'un Saint quelconque, si elle n'est appuyée sur les Ecritures.» Et quelle superbe dans son livre Contre le Roi d'Angleterre! «La Parole de Dieu,» écrit-il, «est au-dessus de tout.

  A023001140 

 Celui qui ne fera pas cette distinction, ne pourra rien avoir de précis en matière de religion, ces saints hommes ayant ignoré beaucoup de choses, ayant été en lutte les uns avec les autres, parfois même s'étant contredits eux-mêmes.».

  A023001141 

 Et cela, non en matière légère, [155] mais à propos des plus graves articles de notre foi: pax exemple, au sujet de la question du libre arbitre, sur laquelle il dit que les Latins ont parlé avec arrogance, «mais les Grecs avec plus d'arrogance encore;» relativement à la question de la personne du Médiateur, question où il soutient que l'erreur des Anciens est inexcusable; par rapport à la question de la concupiscence, où, après avoir dit qu'à lui seul le témoignage d'Augustin contient le sens de toute l'antiquité, il avoue bientôt après qu'il n'est pas de son avis.

  A023001142 

 Lorsqu'il traite de l'Eglise Romaine, il s'exprime ainsi: «Je veux commencer par dire que je ne nie pas le grand honneur que rendent les Anciens à l'Eglise Romaine, et la façon respectueuse dont ils parlent d'elle.» Et un peu plus loin: «L'opinion, répandue je ne sais comment, que cette Eglise a été fondée et constituée par le ministère de Pierre, avait pour résultat de procurer à cette Eglise une faveur et une autorité considérables; c'est pourquoi en Occident elle s'appelait, par honneur, le Siège Apostolique.» Or, au même endroit il méprise, autant qu'il le peut, l'Eglise Romaine, et nie qu'elle ait été fondée par Pierre.

  A023001143 

 De même il reconnaît que dans l'Eglise antique les moines ont été en grand honneur, surtout à l'époque d'Augustin lequel, comme il l'observe, oppose, «dans son livre De moribus Ecclesiæ Catholicæ, [157] la sainteté de la profession monastique aux calomnies des Manichéens.» Et cependant, il n'en méprise pas moins les moines, et non seulement ceux de notre temps, mais les anciens si loués par saint Augustin.

  A023001144 

 A propos des cérémonies du Baptême, il convient qu'elles sont d'une origine très antique, mais il ajoute aussitôt: «Il m'est cependant permis, et à toutes les personnes pieuses, de repousser tout ce que les hommes ont osé ajouter à l'institution du Christ.» Dans la question du Sacrement de l'Autel conservé comme viatique des malades, question de grande importance pour confirmer la foi en la présence réelle du corps du Seigneur, il se fait cette objection: «Mais ceux qui agissent ainsi suivent l'exemple de l'ancienne Eglise.» Il y répond en ces termes: «J'avoue qu'en une matière si grave, et où l'erreur n'est pas sans grand danger, rien n'est plus sûr que de suivre la vérité.» Comme si l'Eglise ancienne avait suivi la fausseté! Et ailleurs, à propos des cérémonies de la Messe: «Si quelqu'un veut défendre des inventions de cette sorte en se basant [158] sur leur antiquité, je n'ignore pas qu'assez près de l'âge apostolique la Cène du Seigneur a été couverte de rouille; mais c'est là un effet de l'audace qu'a l'homme se fiant à lui-même.» Dans un autre endroit il avoue que les anciens Docteurs ont d'ordinaire employé le mot de Messe «au pluriel».

  A023001144 

 Et ailleurs: «Je vois aussi que ces Anciens ont détourné ce mémorial [de la Passion du Seigneur] vers un autre sens que celui qui convenait à l'institution du Seigneur.» Et un peu plus loin: «Je ne pense pas qu'on puisse les excuser d'avoir, dans une certaine mesure, péché quant à leur manière d'agir.» De nouveau: «C'est avec raison qu'on leur reproche d'avoir trop incliné vers les ombres de la Loi.» Enfin, pour ne pas énumérer en particulier tous les écrits de cette sorte, ce qui serait un travail presque sans fin, disons que le même Calvin avoue que l'usage de la Confession est très antique, et cependant il le méprise..

  A023001183 

 Contre eux s'applique bien ce passage de Vincent de Lérins: «Evite les nouveautés profanes de langage,» dit saint Paul, «nouveautés que les catholiques n'ont jamais reçues ni suivies, tout au rebours de ce qu'ont toujours fait les hérétiques...C'est en quelque sorte la grande loi de presque toutes les hérésies, d'avoir du goût pour les nouveautés profanes, du dégoût pour l'antiquité, et de faire naufrage dans la foi à cause des oppositions qu'ils lui font, sous prétexte d'une science qui n'en mérite pas le nom.

  A023001183 

 Leur septième caractéristique est non seulement de ne pas vénérer et révérer l'antiquité, mais de s'attacher de toutes leurs forces à la nouveauté.

  A023001185 

 Dans ce combat nous avons commenté nombre de textes scripturaires, et si nous n'avions pas ainsi ouvert la voie, il est à croire qu'ils n'auraient compris rien du tout au Christ ou à l'Evangile, tant s'en faut, je pense, qu'ils eussent pu par leurs propres efforts secouer le joug pontifical; ou bien, s'ils en avaient trouvé le moyen, la force d'âme leur eût tout à fait manqué.

  A023001185 

 «Tout d'abord,» dit Luther, «j'étais seul, et certes tout à fait dépourvu d'aptitude et de science pour traiter de si grandes choses.» Et peu après: «Tous les allemands, l'esprit en suspens, attendaient l'issue d'une si grande affaire, que personne auparavant, ni évêque, ni théologien, n'avait osé entreprendre.» Cependant le même Luther, peu après le début de la Défense des paroles de la Cène, parlant des sacramentaires, s'exprime ainsi: «Rien n'aide autant cette hérésie que sa nouveauté; car nous autres allemands sommes ainsi faits, que nous nous attachons avec avidité à ce qui est nouveau pour nous.» Et dans sa Réponse au méchant écrit du Roi d'Angleterre, toujours à propos des sacramentaires: «Je n'ai pas jusqu'ici rencontré d'ennemis plus acharnés que ces bons frères, collègues, amis, que nous avons élevés comme [161] des fils dans notre sein, docteurs de sectes nouvelles, j'entends les sacramentaires et autres fanatiques; vois de quelle façon ils nous récompensent.» Et un peu plus loin: «Nous autres au commencement nous nous sommes mis à affirmer et à revendiquer la liberté et l'honneur du Christ, et à foncer sur la tyrannie pontificale.

  A023001190 

 Il faut, en effet, ajouter ceci: dans la dernière édition latine, qui est de l'année 1602, on trouve non pas «résidence,» mais «subsistance», pour signifier la personne; par conséquent, comme je le suppose, les disciples de Calvin, avertis par ceux de notre religion, ont eu honte de cette nouvelle théologie, et ont jugé à propos de corriger ainsi leur docteur.

  A023001191 

 Enfin Luther s'exprime ainsi à propos de ce mot, consubstantiel: «Rien ne sert de m'objecter l'όμοούσιον employé contre les Ariens; ce mot n'a pas été employé par beaucoup, ni par de très illustres personnages.» Et peu après il dit qu'il faut pardonner aux Pères qui, à un moment donné, se sont servis du mot consubstantiel, dont nous nous occupons, mot profane, étranger à l'Ecri ture.

  A023001191 

 «Si je hais cette expression,» ajoute-t-il ensuite, «et que je me refuse à m'en servir, je ne suis pas pour cela hérétique; car, qui peut me forcer à l'employer, pourvu que je tienne la chose elle-même que le Concile a définie d'après les Ecritures? Quoique les Ariens aient erré dans la foi, cependant (que ce soit avec une bonne ou une mauvaise intention) ils ont très bien fait d'empêcher qu'il fût loisible d'introduire dans les règles de la foi un terme profane et nouveau.» Que peut-on imaginer, je le demande, de plus impudent que ce charlatan? Les Pères antiques et catholiques ont combattu près de trois cents ans pour maintenir ce mot très vénérable de consubstantiel, dont la prononciation diverse faisait reconnaître les hérétiques des catholiques, et voici que ce [168] novateur et mauvais plaisant l'appelle un mot nouveau et profane! Aussi, rien d'étonnant que parmi ses disciples et sectateurs, il s'en soit trouvé qui ont substitué, par une souveraine perfidie, «semblable en substance» à consubstantiel; dignes disciples, à la vérité, de Cet apostat et déserteur de la foi qui, après treize cents ans, accuse de profanation le Concile de Nicée, le plus auguste de tous ceux qui eurent jamais lieu, tout en attribuant aux Ariens un zèle pieux.

  A023001197 

 J'en appelle ici à vous, ô Pères, non en tant que Docteurs et illustres interprètes de la Sainte Ecriture, mais en tant que témoins tout à fait dignes de foi de ce qui se passait dans l'Eglise au temps où vous en étiez les chefs; en sorte que si les adversaires n'ont pas honte de vous traiter de docteurs ignorants et faibles d'esprit, ils admettent au moins vos paroles et vos écrits comme ceux de témoins fidèles et probes.

  A023001198 

 Donc, de peur de ne pas en finir si nous énumérons les textes des anciens Pères qui se présentent de côté et d'autre sur notre sujet, bornons-nous au seul Augustin, que Luther reconnaît pour le [170] meilleur Docteur après les Apôtres, et Calvin, pour un fidèle interprète de la vérité.

  A023001198 

 En outre, dans saint Augustin n'examinons pas tout, mais un seul chapitre: le huitième du Livre XXII e de La Cité de Dieu.

  A023001199 

 Vous y verrez qu'Augustin lui-même et Alypius n'étaient pas encore clercs: cette remarque d'Augustin veut dire qu'alors les clercs étaient distingués des laïques.

  A023001206 

 Il est par suite étonnant que de ce seul chef tous les luthériens et calvinistes ne se sentent vaincus et convaincus, et ne considèrent Luther et Calvin comme des imposteurs, eux qui confessent l'état très pur de l'Eglise à l'époque d'Augustin, et qui d'autre part, ne tiennent pas pour un menteur ce dernier qui rapporte comme très vraies et très certaines toutes les choses racontées plus haut..

  A023001206 

 Ne voyez-vous pas les clercs, les diacres, les prêtres, les évêques? Ne remarquez-vous pas le Sacrifice du Corps du Christ, l'autel, la dédicace de l'église, les Religieuses, la bénédiction de l'huile et la bénédiction épiscopale, les corps des Saints conservés précieusement et glorifiés par tant de miracles, et leurs tombeaux placés dans les églises? Avez-vous entendu le récit de la femme guérie par le signe de la Croix, du pauvre vêtu à l'invocation des Saints, la terre des Lieux Saints tenue en vénération, les reliques transportées avec honneur, et cela par les évêques, les Religieuses chantant des hymnes et des oraisons? Qu'y a-t-il de semblable, je le demande, dans les synagogues de Calvin ou de [176] Luther? Ces derniers se moquent de tout cela, comme si c'étaient des coutumes introduites abusivement et superstitieusement, aux siècles derniers, dans l'Eglise de Dieu.

  A023001207 

 En vérité, quels réformateurs, bon Dieu! sont ces gens qui ont méprisé et repoussé comme profanes toutes les pratiques, toutes les œuvres de l'Eglise, tout ce dont celle-ci se parait à son époque de pureté et de sainteté! N'est-ce pas plutôt le nom de déformateurs qui leur convient, et ne doivent-ils pas être considérés, hués et chassés par tout le monde comme d'ineptes et impudents novateurs? Déjà autrefois Tertullien avait écrit ces belles paroles: «Nous avons coutume de récuser les hérétiques comme de date récente.» Pourquoi donc ne récuserions-nous pas aussi les nôtres?.

  A023001235 

 Après en avoir énuméré six, il ajoute: «A ceux-ci en succèdent d'autres, pour achever le nombre septénaire, lesquels prétendent qu'il ne s'agit pas ici d'un article de foi; de sorte qu'il est libre à chacun de penser ce qu'il veut.

  A023001236 

 Pendant ce temps, les soldats mes compagnons, mes frères, à l'intérieur oppriment la patrie, portent le fer et le feu partout, exercent une boucherie cruelle et horrible parmi leurs propres concitoyens.» Et peu après, à propos de Carlostadt ou de Zwingle: «Mon Absalon, qui a chassé son père, après l'avoir dépouillé de son royaume et de sa gloire; mon Judas, qui a trahi son maître et a dispersé le groupe des pieux disciples, n'avaient pas encore formé le même projet contre moi aussi.».

  A023001237 

 C'est là la guerre des Madianites, et, comme l'écrit ailleurs Luther lui-même, Dieu a tout arrangé pour que les impies se confondent toujours eux- mêmes, et pour que les mensonges ne concordent pas entre eux, mais se dévoilent eux-mêmes.

  A023001244 

 Il arrive alors ce que dit Augustin: «Les Ecritures, bonnes en soi, sont mal comprises;» et Hilaire: «La façon de comprendre constitue l'hérésie; c'est le sens qu'on lui donne, non le texte lui-même, qui amène le crime d'hérésie;» et Jérôme: «La valeur des Ecritures ne consiste pas dans leur simple lecture, mais dans la manière de les comprendre;» et ailleurs: «Le démon emploie les Ecritures, et toutes les hérésies s'en font des oreillers qu'elles mettent sous le coude des gens de tout âge, selon l'expression d'Ezéchiel.» Mais entre tous, Vincent de Lérins s'exprime avec le plus de clarté et de justesse, si bien qu'il semble avoir voulu dépeindre les mœurs et la tournure d'esprit des hérétiques de notre temps: «Lisez,» dit-il, «les opuscules de Paul de Samosate, de Priscillien, d'Eunomius, de Jovinien et des autres auteurs pestilentiels» (les luthériens et les calvinistes eux-mêmes considèrent tous ces personnages comme des hérétiques): «examinez l'interminable liste des exemples apportés, et vous verrez qu'il n'y a presque aucune page qui ne soit fardée et colorée au moyen de phrases du Nouveau ou de l'Ancien Testament.» Et peu après: «Qu'est-ce que les vêtements de brebis, sinon les oracles [183] des Prophètes et des Apôtres? Que signifient les loups dévorants, sinon les interprétations cruelles et délirantes des hérétiques? etc..

  A023001245 

 Et cependant il nous faut continuellement lutter avec lui.» Et un peu après, à propos de Satan: «Il trouvera le moyen de faire naître par l'Ecriture tant et de si grandes sectes turbulentes, que tu ne sauras plus retrouver l'Ecriture, la foi, le Christ et toi-même.» Et aussitôt, revenant à la même pensée: «Quoique le démon soit forcé de nous laisser tranquilles, cependant il n'a pas oublié ses artifices; car à la dérobée il a semé dans nos assemblées la zizanie, je veux dire les faux frères qui ont embrassé notre doctrine et nos paroles, non pour nous aider à propager l'Ecriture, mais pour attaquer par derrière notre armée, au moment où nous combattons en première ligne, afin d'exciter les foules et nous faire une guerre furieuse.» Et peu après: «Mais il ne cessera pas; il ira plus loin dans une occasion si favorable, et attaquera plusieurs articles de foi.

  A023001245 

 Un peu plus haut, en parlant des sacramentaires et de leur hérésie, il avait dit: «En cette partie, il [le démon] a fait par l'Ecriture une dizaine de brèches environ et s'est préparé des échappatoires, si bien que je ne sache pas qu'il ait jamais existé une hérésie plus difforme, ni qui dès son origine ait eu tant de chefs, tant de sectes différentes, tant d'opinions discordantes, tendant toutefois finalement au même but, qui est de poursuivre le Christ.» Jusqu'ici Luther..

  A023001246 

 Toutefois, pour ne pas manquer de se montrer hérétique même ici, Luther fait un beau mensonge en appelant «moyens humains de défense» les Conciles; car elle est divine, non humaine, l'assemblée qui commence ses décrets par ces mots: Il a paru bon à l'Esprit-Saint et à nous. S'il s'agit ici d'un moyen de défense purement humain, où en trouvera-t-on un, je le demande, qui sera divin? Et s'il existe quelque part un autre moyen divin de défense, pourquoi donc Luther fait-il de si grands efforts pour éviter les moyens humains, pouvant s'en procurer de divins et, par le fait même, évidemment meilleurs et plus sûrs que les humains? En vérité, quelqu'un peut-il croire que le Dieu très bon et très grand n'ait pas songé à fournir pour le besoin en question le moyen de défense voulu, moyen, par suite, totalement divin, destiné à conserver l'union et la paix de toute son Eglise? [187].

  A023001296 

 Aussi saint Augustin définit-il avec raison l'hérétique: celui qui, «ayant une intelligence erronée des Ecritures, affirme avec entêtement ses fausses opinions, opposées à leur vérité.» Et ailleurs: «Les hérésies ne sont nées que parce que les Ecritures, bonnes en soi, sont mal comprises, et que ce qui en est mal compris est affirmé avec témérité et audace.» Et de nouveau [188] en un autre endroit: «Ceux qui, dans l'Eglise, ont des manières de voir mauvaises et malsaines, et qui, si on les reprend pour les amener à des manières de voir bonnes et saines, résistent avec obstination, ne veulent pas corriger leurs dogmes pervers, mais persistent à les défendre, ceux-là deviennent hérétiques.».

  A023001296 

 Ce sont des murmurateurs, des gens qui se plaignent sans cesse, qui vivent au gré de leurs convoitises, et leur bouche profère des paroles d'orgueil. Et saint Paul: Si quelqu'un veut contester, pour nous, nous n'avons pas cette habitude, non plus que l'Eglise de Dieu.

  A023001297 

 Que celui qui aura le premier dompté l'autre, soit le vainqueur; qu'il vous soit fait selon votre désir.» Et dans le même livre: «Nous n'appartenons pas au Pape, mais le Pape nous appartient; à nous de ne pas être jugés par lui, mais de le juger lui-même: car l'homme spirituel n'est jugé par personne, et juge tout le monde.» [190].

  A023001298 

 Lui-même, du reste, ne le nie pas, car répondant par lettre à un certain ami: «Tu me rappelles avec raison à la modestie,» dit-il; «je sens cela moi-même, mais je ne suis pas en pleine possession de moi, je suis entraîné par je ne sais quel esprit Tout en ayant conscience de ne vouloir du mal à personne, je suis poussé à bout furieusement par mes ennemis, à tel point que je ne traite pas l'adversaire avec la convenance voulue.».

  A023001299 

 Mais je me vois pris; nulle voie pour m'échapper.» Et peu après: «Si encore aujourd'hui quelqu'un pouvait me prouver, par un témoignage solide des Ecritures, que dans le Sacrement de l'Eucharistie il n'y a que du pain et du vin, il ne serait pas nécessaire de m'entreprendre à ce sujet sur un ton si mordant; car je suis, hélas! porté plus qu'il ne faut de ce côté, autant que je puis connaître la nature de l'Adam qui est en moi.» Peut-on imaginer, je le demande, un esprit plus contentieux que celui de cet homme, qui ne cherche pas, selon ses propres expressions ce qui est vrai ou faux, mais ce qui peut ennuyer le Pape ou l'Eglise, et étudie, non par amour et désir de la vérité, mais par haine de la Papauté?.

  A023001301 

 Bien qu'il ne parle pas expressément de Calvin, qui du vivant de Luther n'était encore ni tellement décrié, ni tellement fameux, cependant ce qu'il dit des autres chefs des sacramentaires ne s'applique-t-il pas parfaitement à Calvin, d'autant plus orgueilleux et arrogant que les autres qu'il est venu après eux? Si, en effet, Carlostadt et Zwingle ont été arrogants en contredisant leur père Luther, plus arrogant certes a été Calvin en contredisant Luther, Zwingle et tous les chrétiens de tous les âges.

  A023001308 

 Or, c'est précisément au sujet de l'Ecriture que nous discutons, et elle nous donne très manifestement raison, puisque l'Apôtre a écrit justification et non pas manifestation de la justification.

  A023001308 

 Quant à Calvin, il répondra que les paroles de saint Jacques ne regardent pas la justification, mais la manifestation de cette dernière.

  A023001309 

 Il n'y a pas à sortir de là.

  A023001309 

 Ne voyez-vous pas l'entêtement? Il exige les Ecritures, nous les fournissons; il les détourne par une interprétation fuyante.

  A023001309 

 Nous [195] lui opposons la vraie, l'authentique, celle qui ressort proprement de la force et de la signification des mots; il ne l'admet pas.

  A023001309 

 On demande qui de nous interprète plus justement, car il n'est pas admissible que quelqu'un soit témoin et juge dans sa propre cause; lui, pour ne pas sembler vaincu, pour en imposer aux vieilles femmes et au vulgaire, il en appelle à l'Ecriture.

  A023001309 

 Pourquoi avez-vous le droit d'examiner leur sentence et leur interprétation, plutôt qu'eux ou nous celui d'examiner la vôtre, et qui sera juge en face d'un droit égal pour tous? S'ils se trompent dans leur interprétation, parce qu'ils ont été hommes, comme vous objectez, pourquoi ne pouvez-vous vous tromper vous-même? N'êtes-vous pas aussi un homme, [ou tout au moins une bête]? Je n'imagine pas, en effet, que vous soyez un ange ou un dieu, ou quelque chose d'inanimé.

  A023001310 

 Que faire avec ces impies qui toujours marchent en louvoyant, et reviennent sans cesse à l'endroit d'où on les a souvent chassés? Quelle obstination plus impudente que celle de ne pas s'en tenir au jugement de l'Eglise, des Pères, des Conciles? Comment finir une discussion d'une telle importance, si personne ne peut trancher le litige et n'a l'autorité de définir en dernier ressort la question? Sans aucun doute le désir de disputer sera sans fin.

  A023001318 

 Or, nous citons un passage plus remarquable, où Augustin lui-même invoque le bienheureux Cyprien en présentant ainsi son désir: «Puisse-t-il nous aider par ses prières, afin que, par la grâce du Seigneur, nous imitions ses vertus autant que nous le pouvons.» C'est là peu de chose, [199] disent-ils, car Augustin ne s'arrête pas longtemps à ces prières.

  A023001320 

 Ainsi donc, de ce que la manne n'a pas la saveur d'un pain céleste pour les rebelles et les méchants, faudra-t-il dire que la manne cessera d'être un pain descendu du ciel? Parce que le soleil ne luit pas au profit du hibou, ne luira-t-il pas à notre profit? A ce compte-là, c'en est fait de toute l'Ecriture, comme notre Augustin l'a savamment montré autrefois contre Faustus lequel, avec l'insolence habituelle des hérétiques, prétendait non authentiques, mais falsifiés, les passages de la Sainte Ecriture qui lui étaient opposés..

  A023001320 

 Attendez-vous encore ou exigez-vous, vous tous luthériens et calvinistes, que nous vous présentions quelque chose de plus clair? Nous avouons ingénûment que nous n'avons rien et ne pouvons rien imaginer, même si vous nous donniez ce que nous ne demandons pas, le droit d'imaginer à notre fantaisie.

  A023001320 

 Mais que répondez-vous? Ce sermon, disent-ils, n'est pas d'Augustin.

  A023001320 

 Quel a pu être, en effet, le motif de Luther [201] en condamnant l'Epître de saint Jacques? «C'est,» dit-il, «qu'elle ne respire pas l'esprit apostolique.» Pourquoi Calvin condamne-t-il les Livres des Machabées? Parce que, dit-il, ils ne respirent pas l'esprit divin.

  A023001320 

 Si vous demandez pourquoi: parce que, répondent-ils, il n'est pas dans la manière d'Augustin.

  A023001321 

 Un catholique ayant cité le texte ci-dessus, et ayant interrogé le ministre en ces termes: «Que répondez-vous à cela, monsieur le grand docteur?» celui-ci, tout d'abord hésitant et paraissant surpris, reprit ensuite courage et, comme s'il allait dire quelque chose [202] de remarquable et d'élégant, avec un air de suprême réformateur de l'Eglise, prononça ces paroles: «C'est là une tache sur un beau corps.» Que pouvait faire le pauvre catholique avec ce charlatan, sinon demander à Dieu de ne pas lui imputer ce péché, parce qu'il ne savait ni ce qu'il disait ni ce qu'il faisait? [Va donc te faire pendre avec tes taches et tes sornettes!] Ne pouvais-tu dire avec plus de vérité que la tache se trouve dans l'opinion de ton Calvin rejetant témérairement l'intercession de la Bienheureuse Vierge et des Saints? Rien n'empêche, en effet, que des taches ne se trouvent [203] sur un corps difforme, pour le rendre d'autant plus laid, qu'elles eussent rendu plus séduisant un corps déjà beau..

  A023001323 

 Evêque d'Evreux et ce misérable qu'on a honte de nommer, [quand ce ne serait que parce qu'il n'a pas honte de vivre après tant et de si évidentes, non seulement hérésies, mais faussetés,] dont il fut convaincu en la présence très auguste du Roi très chrétien et dans une immense assemblée où la France entière était représentée..

  A023001330 

 Ainsi nous disons que les ombrages et les tentes tiennent le milieu entre nous et le soleil, bien que non seulement ils ne soient pas à mi-distance, mais qu'ils soient avec nous à une des extrémités.

  A023001330 

 Aussi ne reconnaissons-nous pas les Saints comme médiateurs, c'est-à-dire comme se tenant entre Dieu et nous, à la manière du [207] Christ, qui est en effet entre Dieu et nous, parce qu'il participe à la fois à la nature divine et à la nature humaine, étant Fils de Dieu et fils de l'homme; mais nous invoquons les Saints, pour que ceux-ci coopèrent aux prières que nous adressons par l'intermédiaire du seul Jésus-Christ notre Seigneur.

  A023001330 

 Nous répondons en termes on ne peut plus clairs et précis que nous ne donnons de coadjuteurs, ni à Dieu que nous prions, car nous savons fort bien qu'il n'a pas besoin de coadjuteurs pour faire miséricorde, ni au Christ par qui nous prions, attendu que nous savons que son intercession auprès du Père est toute-puissante; mais c'est à nous qui prions, que nous donnons des coadjuteurs, en ce sens que nos prières sont aidées par celles de nos frères, les pieux et les saints surtout, pour que Dieu les exauce par le seul Christ.

  A023001330 

 Si quelqu'un ne se contente pas de cette réponse, quel genre d'esprit peut-on lui supposer, sinon celui d'un entêté et d'un disputeur?.

  A023001331 

 Celle-ci enseigne et a toujours enseigné que tout homme pieux et bon chrétien doit éviter l'excommunication, même injuste, parce que, si elle ne fait pas perdre actuellement le salut éternel, elle amène avec soi cependant, un danger très actuel de perdre ce salut.

  A023001331 

 Que ce seul exemple nous dispense d'en apporter beaucoup d'autres, car le plan que nous nous sommes tracé ne nous permet pas de nous appesantir davantage sur ce point.

  A023001346 

 Bonté divine! de quelle impudence n'use-t-il pas envers le Souverain Pontife, envers le Roi d'Angleterre, envers le corps épiscopal, envers les académies de Paris et de Louvain! La moindre des injures qu'il lance contre eux, c'est de les traiter de «porcs, d'ânes, de très sots satellites de Satan,» et autres choses de ce goût.

  A023001346 

 En ce qui regarde Luther, il a mené sa campagne avec tant de pétulance et d'injures, que Bèze ne craint pas de le lui reprocher.

  A023001346 

 Mais qu'avons-nous besoin du témoignage de Bèze? Le coupable lui-même avoue qu'il a agi et écrit d'une manière inconvenante, de la manière, dit- il, qui convient à quelqu'un qui ne se possède pas.

  A023001347 

 Mais pourquoi énumérer trois ou quatre Pontifes, comme si ce qu'ont professé il y a déjà longtemps et professent encore de nos jours, en matière de religion, les Pontifes avec tout le Collège des Cardinaux, était chose douteuse? Car le premier point de la théologie cachée qui a cours parmi eux, c'est qu'il n'y a pas de Dieu; le second, c'est que tout ce qui a été écrit et qui est enseigné du Christ n'est que mensonge et fable.

  A023001347 

 Quoique ceci soit très notoire pour tous ceux qui connaissent Rome, les théologiens de Rome ne cessent [210] pas,» etc. Qui, je vous prie, n'aura honte d'un menteur et d'un imposteur de cette virulence? Et cependant, ce qui rend cette impudence intolérable, c'est que, au même endroit, Calvin affirme qu'il ne parle pas des personnes, mais de la Chaire de Rome; de sorte qu'on peut lui objecter la parole d'Augustin rapportée ci-dessus: «Que» t'a «donc fait la Chaire de Pierre?».

  A023001348 

 Ecoutez Calvin: «Nous concluons que les papistes ne laissent rien au Christ, eux qui ne comptent pour rien son intercession, si elle n'est pas accompagnée de celle de Georges, d'Hippolyte ou de semblables fantômes.» Ailleurs il ment avec la plus grande effronterie, en accusant les catholiques de ne faire «aucune mention du Christ dans toutes leurs Litanies, Hymnes et Proses où ils ne refusent aucun honneur aux Saints défunts.» Quant à Luther, il fait si bien, dans un certain passage, le procès du bienheureux Thomas d'Aquin, qu'il n'a pais honte de dire de lui qu'il est probablement damné! En somme, ces hérétiques n'ont rien respecté, ni au Ciel ni sur terre; et vraiment il était juste qu'ils [211] n'épargnassent pas le Docteur Angélique, eux qui n'ont épargné ni les Anges ni Dieu lui-même..

  A023001348 

 Et ces hérétiques ne se contentent pas de charger de tant d'injures l'Eglise militante de Dieu; c'est encore peu pour eux, s'ils ne lancent les flèches de leurs injures même contre les citoyens de l'Eglise triomphante.

  A023001380 

 Pour Luther, il est vrai, c'est une gloire dont il se pare d'avoir le premier et seul excité des troubles; car il se félicite de ce que «les allemands, l'esprit en suspens, attendaient» quelle serait l'issue de la lutte provoquée par lui, et «que personne auparavant,» dit-il, «ni évêque, ni théologien n'avait osé entreprendre.» Pour lui, cette gloire hérétique était d'un si grand prix, qu'il se considérait comme offensé si l'on disait qu'il avait emprunté à d'autres ses opinions; et parce que la plupart le considéraient comme un hussite, il réclamait par cette exclamation: «C'est faux de m'appeler hussite! Hus n'est pas de mon avis; mais s'il a été hérétique, je le suis dix fois plus que lui, car il a dit bien moins de choses que moi, et de moindre importance.».

  A023001381 

 Il est évident que ce n'est pas sous l'impulsion divine qu'il a commencé toute l'affaire (bien qu'il se vante ailleurs, comme le font tous les hérétiques, d'avoir été appelé par Dieu), mais que ç'a été par un entraînement [213] humain et tout à fait charnel: «C'est,» dit-il lui-même, «par hasard, non volontairement et à dessein, que je me suis jeté dans ces agitations; j'en atteste Dieu lui-même.» Qu'y a-t-il de plus opposé à une impulsion divine que ce qui arrive par hasard? Quoi de plus clair, d'après les paroles ci-dessus, que notre apostat s'est jeté, non dans la prédication pacifique de l'Evangile, mais dans les agitations? Et il n'est pas le seul à affirmer cela; Philippe Mélanchton, fameux luthérien, s'exprime ainsi: «Tels ont été les commencements de cette controverse dans laquelle Luther, ne soupçonnant ou ne rêvant rien au sujet du changement futur des rites, ne répudiait pas même absolument les Indulgences, mais y réclamait seulement de la modération.

  A023001382 

 Voici, en effet, ce qu'il écrit de lui-même: «Je haïssais ce mot: Justice de Dieu, que, par suite de l'usage de tous les docteurs, j'avais appris à comprendre philosophiquement de la justice formelle et active de Dieu, par laquelle Dieu est juste et punit les [214] pécheurs et les coupables.» Et peu après: «Je n'aimais pas, bien plus, je haïssais un Dieu juste et punissant les pécheurs, et je m'indignais contre lui en silence; ce qui, si ce n'était un blasphème, était certes un grand murmure.» Et ailleurs, expliquant ce texte de saint Paul: La justice de Dieu est révélée dans l'Evangile, il dit que tous les Docteurs, à l'exception d'Augustin, l'ont interprété dans le sens de justice punissante de Dieu.

  A023001384 

 En second lieu, que Luther ne s'amenda pas après avoir lancé son hérésie, mais persista dans cette haine exécrable: «Car,» dit-il, «qui peut aimer un Dieu qui s'irrite, qui juge, qui condamne?» Par ces paroles, non seulement il affirme sa haine de Dieu, mais aussi son impossibilité passée et présente d'aimer Dieu.

  A023001384 

 Telle n'est pas, certes, la disposition d'esprit de celui qui chante avec joie: Le Seigneur est juste et aime la justice; son visage considère l'équité.

  A023001385 

 En effet, même en laissant de côté Chrysostôme et Théodoret, certainement Thomas et Nicolas de Lyre (ce [216] dernier est entre les mains de tous) interprètent ouvertement notre texte dans le sens de la justice par laquelle Dieu nous justifie, bien que l'opinion contraire ne soit pas entièrement improbable..

  A023001387 

 Mais, peu de temps après, le Roi d'Angleterre ayant une seconde fois écrit contre lui, de nouveau il attaque le Roi avec des injures beaucoup plus atroces encore, se repent d'avoir écrit sa lettre, s'efforce par tout moyen d'excuser l'hypocrisie avec laquelle il avait promis de chanter la palinodie, et montre qu'il lui a écrit la lettre en question pour [218] l'attirer à son hérésie: «Tout plein de mes convictions,» dit-il, «j'ai fait cette prière, et écrit cette lettre vainement suppliante, que ces porcs traitent indignement et déchirent.» Peu après il dit avoir usé du même stratagème à l'égard de Georges, duc de Saxe; quelques mots plus loin il affirme de nouveau qu'il ne se repent pas de ses stratagèmes, ayant agi pour propager l'Evangile, et n'a pas honte d'appeler zèle pieux et honnête de telles fictions et hypocrisies.

  A023001394 

 Que Luther s'avance donc, et qu'il ne rougisse pas de dire quel docteur il a suivi au début, en s'efforçant de renverser la Messe! notre Droit, en effet, a sagement pourvu à ce que l'origine et le début de chaque chose soient examinés..

  A023001394 

 Qui le croira? Personne évidemment, si Luther [220] lui-même ne le dit pas.

  A023001395 

 Et malgré l'objection qu'il se fit, à savoir que le diable, étant menteur, ne méritait pas d'être cru, il ne put se persuader de triompher des arguments du démon, dont il exalte grandement la force et la fougue dans la façon de disputer.

  A023001395 

 S'adressant alors aux catholiques: «Si vous deviez soutenir les chocs du démon, et écouter ses argumentations, vous ne chanteriez pas longtemps votre refrain sur l'Eglise et les anciennes coutumes; car Satan, en un clin d'oeil, remplit [221] de terreurs et de ténèbres l'esprit tout entier.» Ensuite, pour répondre au nom du diable à l'objection qu'il avait faite, il s'efforce de montrer par beaucoup de raisons que parfois le diable lui-même enseigne la vérité, et ment de telle sorte que son mensonge est mélangé de vérité.

  A023001464 

 Ainsi on ne doutera pas que ces novateurs ne soient hérétiques tout autant en matière politique qu'en matière religieuse.

  A023001470 

 Lorsque nous parlons de monarchie avec louange, et cela même en présence de magistrats représentant la démocratie ou l'aristocratie, le même danger n'est pas à craindre, parce qu'il n'en saurait résulter aucune occasion de trouble, le désir de dominer ou de gouverner empêchant le grand nombre de ceux qui sont au pouvoir de souhaiter la monarchie..

  A023001470 

 Notre homme, en effet, qui a voulu passer pour un grand politique, n'a pas ignoré que rien n'est plus dangereux que d'exciter le peuple et la partie dirigeante du peuple, par l'espérance d'un gouvernement meilleur, à ambitionner ou désirer le pouvoir; car, après l'avoir ambitionné ou désiré, ils peuvent chercher à le capter.

  A023001477 

 La seconde proposition est celle de Luther, que nous avons déjà rapportée plus haut: «Il n'y a absolument aucune distinction à [226] faire entre les diverses circonstances que l'opinion commune de tous les hommes considère comme aggravant les péchés;» de sorte que l'inceste commis par un individu avec sa fille ou sa sœur n'est pas plus grave que s'il était commis avec une veuve étrangère ou avec une courtisane; de sorte aussi que l'homicide d'un ennemi est l'égal de celui d'un père, d'une mère ou du prince.

  A023001481 

 Qu'il ne faut pas combattre contre les Turcs.

  A023001483 

 Faudra-t-il ne pas combattre la peste par les remèdes, la famine par les approvisionnements de diverses sortes, uniquement parce que, au moyen de ces afflictions, Dieu, non seulement nous visite et nous châtie, mais nous éprouve, nous traite comme siens et nous perfectionne? Pourquoi donc le prince porte-t-il le glaive et le soldat les armes, si ce n'est pour réprimer les attaques des ennemis et chasser les envahisseurs de la République? C'est pour cela, sans aucun doute, que les soldats sont loués, même dans l'Evangile, parce qu'ils peuvent être justes, comme Corneille, ce noble centurion dont il est question dans les Actes des Apôtres; c'est pour cela aussi qu'ils reçoivent l'approbation de Jean-Baptiste lui-même, non s'ils quittent la milice, mais s'ils ne frappent personne, s'ils ne font pas de calomnie et s'ils se contentent de leur solde.

  A023001483 

 Le roi, dit saint Paul, ne porte pas le glaive sans cause, car il est le ministre de Dieu, le vengeur de sa colère.

  A023001487 

 Les lois des Princes n'obligent pas la conscience des sujets.

  A023001491 

 N'a pas agi ainsi avec son ennemi Priam.».

  A023001492 

 Que réponds-tu à cela, Calvin? Ne vois-tu pas que nos consciences ont aussi affaire avec les hommes, à savoir avec ceux qui tiennent la place de Dieu dans l'administration du pouvoir ecclésiastique ou politique? Combien la proposition de Calvin diminue l'autorité des princes et des lois, chacun peut le voir, et les princes eux-mêmes peuvent le sentir et l'expérimenter [230], s'ils permettent à ces enseignements impies et séditieux de prendre racine dans leurs Etats..

  A023001492 

 Saint Paul a vécu en un temps où les princes et les empereurs, non seulement ne suivaient pas, mais poursuivaient le Christ et s'étaient ligués contre le Seigneur et contre son Christ.

  A023001496 

 Que les sujets ne doivent pas souhaiter la puissance de leurs Princes.

  A023001498 

 La cinquième proposition, dont je ne sais dire si elle est plus jolie ou plus dangereuse, est celle-ci de Calvin encore: Les sujets ne doivent pas souhaiter la puissance de leurs princes.

  A023001505 

 La sixième proposition est de Luther (nous parlons indifféremment de Luther et de Calvin, parce que nous ne croyons pas que leur enseignement soit fort dissemblable): «Aucun état n'est heureusement administré par des lois.» Et lorsque nos docteurs [232] catholiques eurent tiré cette proposition des assertions de Luther et la lui eurent opposée comme une très absurde erreur, lui, non seulement ne la nia pas, mais l'affirma expressément et en donna la raison par ces paroles: «C'est là un fait d'expérience.» Quelle expérience, ô Luther? As-tu connu, peut-être, de tes yeux, par ouï dire, ou par tes lectures, un état monarchique, aristocratique ou démocratique, qui ne soit régi et dirigé par des lois? Es-tu par hasard meilleur politique et plus prudent que le Dieu très bon et très grand, ou mieux exercé dans l'art d'administrer heureusement un état? Or, à son peuple d'Israël, Dieu a proposé et ordonné des lois à observer, non seulement morales et cérémonielles, mais aussi politiques et judiciaires.

  A023001512 

 Est-ce que jamais la République chrétienne a été plus heureusement administrée que sous Constantin, Théodose l'ancien, Honorius, Théodose le jeune, Justinien, Charlemagne, Louis, nos Amédée [de Savoie.] tous empereurs, rois et princes très pieux? C'est pourquoi, comme il convenait à un si grand Prophète de Dieu, Isaïe a dit, en parlant du Christ et de l'Eglise: La nation et le royaume qui ne te servira pas, périra.

  A023001512 

 Et si le Christ po rte écrit sur sa cuisse: Roi des rois et Seigneur des seigneurs, ce n'est pas pour autre chose que pour apprendre aux rois qu'ils ne peuvent régner d'une manière plus heureuse et meilleure qu'en étant fidèles au Christ, à l'Evangile et à la piété, car le Christ est la Sagesse qui dit dans les Proverbes: C'est par moi que règnent les rois.

  A023001517 

 Il n'a pas honte, en effet, de qualifier tous les rois et les princes de «puissants chasseurs,» comme parle l'Ecriture au sujet de Nemrod: C'est faire trop d'honneur et donner trop de gloire, dit-il, «à la Papauté, que de dire qu'elle est la grande chasse de l'Evêque Romain»; «et cet exemple de Nemrod convient aussi à toutes les puissances séculières, auxquelles cependant Dieu veut que nous soyons soumis, en les honorant, les bénissant et priant pour elles.» Or saint Jérôme explique ainsi quel a été Nemrod et ce qui lui a valu le nom de «puissant chasseur»: c'est parce que, le premier, il s'empara d'un pouvoir tyrannique sur le peuple.

  A023001517 

 Mais quelqu'un dira peut-être que Luther n'a pas eu cette pensée en disant que tous les princes sont semblables à Nemrod.

  A023001518 

 Cependant, parmi ceux qui consentirent à avouer ou à supporter cela, tu ne pourras compter tous ces rois, ducs et princes chrétiens et catholiques, qui, de même qu'ils condamnent comme impies tes autres enseignements, aussi ne craignent-ils pas de taxer de témérité et d'impudence ta sotte et injurieuse dernière proposition.

  A023001520 

 Si cela était permis, je souhaiterais d'être anathème pour eux, afin qu'ils viennent à résipiscence et ne se laissent pas effacer du Livre de vie..

  A023001521 

 Autrement, c'était le mahométisme et le Coran, et non pas l'Eglise Romaine, qu'il fallait réformer, si vous ne cherchiez que la multitude des abus et la réforme d'une fausse Eglise.

  A023001521 

 Combien n'avez-vous pas d'exemples de ceux qui avaient été des vôtres, et parmi les plus illustres, et qui, après être retournés à l'Eglise de Dieu, se sentaient seulement couverts de confusion d'avoir fait trop tard ce qu'ils auraient dû faire plus tôt! Vous ne niez pas que cette Eglise, dont vous vous dites les réformateurs, est à la fois la nôtre et l'Eglise Romaine; vous avouez donc que c'est la vraie.

  A023001521 

 Qui croira jamais que vous avez été d'assez grands jurisconsultes pour pénétrer tous les textes les plus obscurs et les plus cachés de Papinien, et que cependant vous, même avertis et éclairés par tant de livres de nos théologiens, vous n'avez pas su percer à jour leurs inepties si sottes et puériles, si éloignées du sens commun? Revenez, je vous en prie, à l'Eglise de Dieu qui vous a reçus avec bonté à votre naissance dans le bain de la régénération, et qui, pour vous recevoir de nouveau, toute vénérable par ses soupirs et ses larmes, va au-devant de votre conversion.

  A023001521 

 Si donc vous en créez une nouvelle, confessez qu'elle est fausse; si vous conservez la nôtre, c'est donc de la nôtre que Paul a dit qu'elle est la colonne de vérité, en union avec laquelle, par conséquent, vous ne pouvez pas plus errer que demeurer dans la vérité en vous en éloignant.

  A023001522 

 Pour finir, je vous demande, dans la charité de Dieu et avec le respect que je professe pour vous, que si vous estimez que j'aie dit quelque chose de trop acerbe contre les hérésies ou les hérésiarques, vous croyiez que ce n'est pas pour vous offenser comme des adversaires que je l'ai dit et écrit, mais pour vous faire sortir, comme des amis, de votre sommeil léthargique.

  A023001574 

 De même, le terme disparité, pour ne pas nier l'égalité; les termes étrangers et différents..

  A023001575 

 Eviter le terme singularité, pour ne pas nier leur propriété de communication; le terme unique, pour ne pas nier le nombre des personnes; le terme confondus, pour ne pas nier l'ordre de nature..

  A023001594 

 Monsieur de Geneve m'a dit, qu'il ne voudroit, pour chose quelcomque, nier la verité de ses manquemens; et qu'il est [246] donq vray qu'au rencontre quil eut chez madame la Mareschale de Fervasq, il commit un defaut de memoire, ne treuvant pas, en l'ancienne version latine de la Bible, un mot en l'endroit ou il pensoit le treuver, bien qu'il soit plusieurs foys ailleurs, en la mesme version, pour le mesme sujet.

  A023001605 

 Or, cecy n'est pas un affaire d'Estat ou il y aille aulcun hasard de perdre aulcune place; mais il est question de maintenir par dispute, publiquement, la doctrine de laquelle on faict profession, afin de desabuser ceux qui nous tiennent pour heretiques et de raffermir les infirmes en la foy et qui s'esbranlent par la veue d'une doctrine contraire; car les escripts de nos docteurs ne peuvent estre leus ni entendus du peuple, qui veut estre esclaircy par une conference faicte par vive voix, joint que tels escripts n'ont point de replicque.

  A023001605 

 Que si l'on se veut excuser sur Messieurs de Berne, c'est aultant a dire que nous ny voulons pas entendre, d'aultant qu'eux aussi ne veulent pas entrer en jeu; mais ils ny ont pas si grand interest que vous, car ils n'ont envoyé personne et n'en ont faict aulcun semblant.

  A023001606 

 Mais d'aultre costé, je m'esbahis de messieurs vos Ministres qui semblent ne vouloir incliner a ce party, soubs pretexte de certaines considerations humaines: comme s'il estoyt question de fere un gros d'armee pour assaillir ou defendre quelque place! Que pleut a Dieu l'on n'eusse pas esté si prompts a eschauffer les cueurs des Princes pour s'entreliguer a la guerre! nous ne serions pas a ceste heure en peyne de ceste dispute, jouïssantz auparavant de libre exercice de nostre religion aultant paisiblement que point de nos voysins.

  A023001615 

 Je ne parle plus par cueur; mon apprehension n'est pas une terreur panique, vous en voyez les effects.

  A023001630 

 Dieu vueulle pardonner a ceux qui n'auront pas rendu leur debvoir a secourir ceux qui, perissants, ont imploré l'aide des spectateurs de telles tragedies..

  A023001631 

 Christ n'est pas divisé: il faudroict donc tascher a reunir ses membres et oster toute occasion de schisme et division en l'Eglise de Dieu, puis qu'ainsi est qu'hors d'icelle il ny a point de salut.

  A023001631 

 Si les Apostres se feussent voulu contenter d'estre enfermés dans des chambres a leur aise, et enseigner le peuple par escript sans oser soustenir leur doctrine de vive voix, ils n'eussent pas donné grand avancement au regne de Jesus Christ, lequel estant establi par ce moyen, doibt estre conservé de mesme.

  A023001651 

 Ceste union doibt estre recerchee plus soigneusement que nous ne faisons pas quand, au heu de nous approucher pour entrer en conference, nous reculions.

  A023001651 

 Les determinations des anciens Conciles n'ont pas esté prinses entre des absents, mais entre des presens, apres que les doubtes ont esté debattues d'une part et d'aultre.

  A023001653 

 Messieurs, si je parle si franchement a ceux a qui je doibs tout honneur et respect; mais le zele de lhonneur de Dieu et la ruïne de nos eglises me contrainct a vous dire ce que vous entendes mieux que moy, mais vous n'en sentes pas peut estre les aigullions qui alterent nos ames.

  A023001750 

 Le signe de la cloche estant donné, le Portier ouvrira l'eschole ou l'eglise, disposera les bancs et attendra a la porte ceux qui viendront; introduira les enfans et leur enseignera la façon de saluer, affin qu'ilz sçachent dire: Dieu nous donne sa paix, et former le signe de la Croix avec l'eau benite, comme aussi de reciter l'Orayson Dominicale et la Salutation Angelique; ou s'ilz ne sont pas capables, il taschera pour le moins qu'ilz fassent la genuflexion au tressaint Sacrement devant le grand autel.

  A023001754 

 Et prenant occasion de ce qui aura esté recité, il fera un brief discours et abbregé, affin que tous puissent mieux imprimer ceste doctrine en leurs espritz; et s'il ne peut pas le faire, il en priera quelqu'un des maistres ou officiers..

  A023001773 

 Souvenes vous que les pauvres penitens au commencement de leurs confessions vous nomment Pere, et qu'en effect vous deves avoir un cœur paternel en leur endroict, les recevant avec un extreme amour, supportant patiemment leur rusticité, ignorance, imbecillité, tardiveté et autres imperfections; ne vous lassant jamais de les ayder et secourir tandis qu'il y a quelque esperance d'amendement en eux, suyvant le dire de saint Bernard: La charge des Pasteurs n'est pas des ames fortes, mays des foibles et debiles, car les fortes font asses d'elles mesmes, mays il faut porter les foibles.

  A023001774 

 Si donques, par exemple, vous le voyes travaillé de honte et de vergogne, donnes luy asseurance et confiance, luy remonstrant que vous n'estes pas ange, non plus que luy; que vous ne trouves pas estrange que les hommes pechent; que la confession et penitence rend infiniment plus honnorable l'homme que le peché ne l'avoit rendu blasmé; que Dieu premierement, ni les confesseurs n'estiment pas les hommes selon qu'ilz ont esté par le passé, mais selon ce qu'ilz sont a present; que les pechés, en la confession, sont ensevelis devant Dieu et le confesseur, en sorte que jamais ilz ne soyent rememorés..

  A023001776 

 Si vous le voyes craintif, abbattu et en quelque desfiance d'obtenir le pardon de ses pechés, releves le en luy monstrant le grand playsir que Dieu prend en la penitence des grans pecheurs; que nostre misere estant plus grande, la misericorde de Dieu en est plus glorifiee; que Nostre Seigneur pria Dieu son Pere pour ceux qui le crucifioyent, pour nous faire connoistre que, quand nous l'aurions crucifié de nos propres mains, il nous pardonneroit fort librement; que Dieu fait tant d'estime de la penitence, que la moindre penitence du monde, pourveu qu'elle soit vraye, luy fait oublier toute sorte de peché, de façon que si les damnés et les diables mesmes la pouvoyent avoir, tous leurs pechés leur seroyent remis; que les plus grans Saintz ont esté grans pecheurs: saint Pierre, saint Matthieu, sainte Magdeleine, David, etc.; et en fin, que le plus grand tort qu'on peut faire a la bonté de Dieu et a la Mort et Passion de Jesus Christ, c'est de n'avoir pas confiance d'obtenir le pardon de nos iniquités, et que, par article de foy, nous sommes obligés de croire la remission des pechés, affin que nous ne doutions point de la recevoir lhors que nous [282] recourons au Sacrement que Nostre Seigneur a institué pour cest effect..

  A023001777 

 Si vous le voyes en perplexité pour ne sçavoir pas bien dire ses pechés, ou pour n'avoir sceu examiner sa conscience, promettes luy vostre assistance, et l'asseures que, moyennant l'ayde de Dieu, vous ne laisseres pas pour cela de luy faire faire une bonne et sainte confession..

  A023001788 

 Vous feres que vostre penitent tourne son visage a costé du vostre, en sorte qu'il ne vous voye pas, ni ne vous parle pas droit dans l'oreille, ains a costé d'icelle.

  A023001794 

 Il faut, apres cela, sçavoir s'il n'a pas intention de bien s'accuser de toutes ses fautes, sans rien celer a son escient; comme aussi de quitter et detester entierement le peché, et de faire ce qui luy sera enjoint pour son salut.

  A023001794 

 Que s'il n'a pas ceste volonté, il faut s'arrester la et l'y disposer, si faire se peut; que s'il ne se peut faire, il le faut renvoyer, apres luy avoir fait entendre le dangereux et miserable estat auquel il est..

  A023001800 

 Il ne suffit pas que le penitent accuse seulement le genre de ses pechés, comme seroit a dire, d'avoir esté homicide, luxurieux, larron; mais est requis qu'il nomme l'espece, comme par exemple: s'il a esté meurtrier de son pere ou de sa mere, car c'est une espece d'homicide different des autres et s'appelle parricide; s'il a tué dans l'eglise, car en cela il y a sacrilege; ou bien s'il a meurtry un ecclesiastique, car c'est un parricide spirituel et est excommunié.

  A023001802 

 Il est vray que celuy qui a confessé une action mauvaise n'a besoin de confesser les autres qui sont necessairement requises pour faire celle la: ainsy, celuy qui s'est accusé d'avoir violé une fille une seule fois, il n'est pas obligé de dire les baysers et attouchemens qu'il a faitz parmi cela et a ceste occasion; car cela s'entend asses sans qu'on le die, et l'accusation de telles choses est comprinse en la confession de l'action finale du peché..

  A023001805 

 C'est tout de mesme de celuy qui, volontairement, pour prendre playsir, s'amuse et prend contentement aux pensees et imaginations des voluptés charnelles; car il peche interieurement contre la chasteté, dont il se doit confesser, d'autant qu'encores qu'il n'a pas voulu appliquer son cors au peché, il a neanmoins appliqué son cœur et son ame.

  A023001805 

 J'ay dit, a son escient, d'autant que les mauvaises pensees qui nous arrivent contre nostre gré ou sans que nous y prenions entierement garde ne sont nullement peché, ou ne sont pas peché mortel..

  A023001816 

 Les ecclesiastiques mal pourveuz de leurs benefices, ou qui en ont des incompatibles sans legitime dispense, ou qui ne resident pas sans suffisante excuse, ou qui font mestier de ne point dire l'Office et ne se vestir ecclesiastiquement; tous ceux la ne doivent estre absous qu'ilz ne promettent d'y mettre ordre et corriger tous ces defautz..

  A023001824 

 Mais quant aux usures, faux proces et autres semblables embrouillemens de conscience, il est besoin d'en ordonner les reparations avec une exquise prudence, de laquelle si le confesseur ne se trouve pas prouveu suffisamment, il doit doucement demander au penitent quelque loysir pour y penser; puys, s'addresser aux plus doctes, comme sont les deputés des quartiers, lesquelz, si le cas le merite, prendront Nostre advis, ou de nostre Vicaire general.

  A023001829 

 Or, les cas reservés a Sa Sainteté sont en asses grand nombre, mais neanmoins la pluspart sont telz qu'ilz n'adviennent presque point deça les monts; et quant a ceux qui peuvent arriver, ilz ne sont pas de grand nombre.

  A023001845 

 C'est de consoler les penitens qui les auront commis et ne point les desesperer, ains les renvoyer doucement a ceux ausquelz Nous avons donné le pouvoir, que Nous avons mis en grand nombre en tous les endroitz du diocese; car encores qu'ilz ne puissent pas absoudre des cas reservés au Pape, si est ce neanmoins qu'ilz leur donneront tousjours addresse pour obtenir l'absolution..

  A023001846 

 Et de plus, on doit absoudre celuy lequel, bien qu'il n'aye pas [292] demandé le prestre, le voyant neanmoins et l'escoutant, donne signe de vouloir l'absolution..

  A023001851 

 Et neanmoins, il ne faut pas oublier de faire connoistre au penitent que, selon la gravité de ses pechés, il meriteroit une plus forte penitence, affin qu'il face ce qu'on luy enjoint plus humblement et devotement..

  A023001851 

 Le confesseur doit imposer la penitence avec des parolles douces et consolatoires, sur tout quand il voit le pecheur bien repentant, et luy doit tousjours demander s'il le fera pas volontier; car en cas qu'il le vid en peyne, il feroit mieux de luy en donner une autre plus aysee, estant beaucoup meilleur, pour l'ordinaire, de traitter les penitens avec amour et benignité (sans toutesfois les flatter dans leurs pechés) que non pas de les traitter asprement.

  A023001852 

 Car il arrive deux inconveniens de cest amas d'actions ou d'oraysons: l'un, que le penitent s'en oublie, et plus, demeure en scrupule; l'autre, c'est qu'il pense plus a ce qu'il a a dire ou a faire que non pas a ce qu'il dit ou qu'il fait, et ce pendant qu'il va cherchant en sa memoire ce qu'il doit faire, ou dedans ses Heures ce qu'il doit dire, la devotion se refroidit.

  A023001852 

 Et mesme il sera bon de donner quelques unes de ces choses en penitence: comme, de lire un tel ou tel livre qu'on juge propre pour ayder le penitent, de se confesser tous les moys un an durant [293], de se mettre d'une Confrerie, et semblables actions lesquelles ne servent pas seulement de punition pour les pechés passés, mais de preservatif contre les pechés futurs..

  A023001852 

 Il est donques mieux d'enjoindre des prieres tout d'une mesme sorte, comme tout des Pater, ou tout des Psaumes qui soyent de suitte et qu'il ne faille pas aller chercher ça et la les uns apres les autres.

  A023001852 

 Pater, une hymne, les oraysons des Collectes, d'antiennes, de Psaumes: ni ne doit pas estre donnee en varieté d'actions: comme par exemple, de donner troys jours l'aumosne, de jeusner troys vendredis, de faire dire une Messe, de se discipliner cinq foys.

  A023001858 

 Cela fait, avant que de donner la sainte absolution, vous demanderes au penitent s'il ne requiert pas humblement que ses pechés luy soyent remis, s'il n'attend pas ceste grace du merite de la Mort et Passion de Nostre Seigneur, s'il n'a pas volonté de vivre des-ormais en la crainte et obeissance de Dieu..

  A023001866 

 Dieu ne veut pas cela; il se plaint que nos humeurs trop severes rendent ses autelz desertz et ses sacrifices sans victimes: Parce que vous commandes, dit nostre Seigneur parlant a nous autres prestres, dans un pouvoir si absolu, mes pauvres brebis s'en sont fuyes de crainte..

  A023001866 

 Prenes garde sur tout de ne pas user de parolles trop rudes a l'endroit des penitens; car nous sommes quelques-fois si austeres en nos corrections que nous nous monstrons en effect plus blasmables que ceux que nous reprenons ne sont coulpables.

  A023001868 

 Je n'entens pas cette compassion qui pose un oreiller au vice et un carreau pour mettre le peché a son ayse; non, j'entens seulement que nous nous accommodions a la portee de chascun, donnant quelque chose, non pas a la malice, mais a l'infirmité.

  A023001868 

 Les espritz ne veulent pas estre rudoyés, mais ramenés doucement; tel est le naturel de l'homme.

  A023001876 

 On y trouve la pensée de saint François de Sales et les mesures prises par lui pour le bon gouvernement de son diocèse, mais exprimées dans un style qui, souvent, n'est pas de lui; pour cette raison, nous croyons devoir renvoyer ces documents à l'Appendice I.) [298].

  A023001886 

 Ne pas quitter l'exercice des vertus pour les difficultés qui s'y rencontrent, est encor le signe d'une ame dont le sacrifice est aggreable a Dieu; parce que cette Bonté infinie ne presente point d'espees flamboyantes pour empescher l'entree de son Paradis a ceux qui le cherchent purement, et bien qu'il permette que ses esleuz soyent dans les rigueurs, dans les souffrances et dans les croix, il les remplit de tant de grace, de force et de douceur, qu'ils s'estiment tres heureux et advantagés de patir pour l'amour de luy.

  A023001893 

 Saint Jean Chrisostome dit qu'a la verité Dieu fit entendre aux Hebreux ses commandemens avec de grans effroys et plusieurs bruitz de tonnerres, mays il le failloit pour espouvanter des gens qui ne se fussent pas rendus a composition que par crainte; et que, d'autre part, nostre Seigneur vint doucement a ses Apostres, qui estoyent plus dociles et moins ignorans des misteres divins.

  A023001899 

 Je vous puis dire avec verité qu'il n'y a pas grande difference entre l'ignorance et la malice; quoy que l'ignorance soit plus a craindre, si vous consideres qu'elle n'offence pas seulement soy mesme, mais passe jusques au mespris de l'estat ecclesiastique..

  A023001900 

 C'est par la que nostre miserable Geneve nous a surpris, lhors que, s'appercevant de nostre oysiveté, que nous n'estions pas sur nos gardes et que nous nous contentions de dire simplement nostre Breviaire, sans penser de nous rendre plus sçavans, ilz tromperent la simplicité de nos peres et de ceux qui nous ont precedés, leur faisant croire que jusqu'alhors on n'avoit rien entendu a l'Escriture Sainte: ainsy, tandis que nous dormions, l'homme ennemy sema l'ivraye dans le champ de l'Eglise, et fit glisser l'erreur qui nous a divisés et mis le feu par toute ceste contree; feu duquel vous et moy eussions esté consumés avec beaucoup d'autres, si la bonté de nostre Dieu n'eust misericordieusement suscité ces puissans espritz, je veux dire les Reverens Peres Jesuites, qui s'opposerent aux heretiques et nous font en nostre siecle glorieusement chanter: Misericordiae Domini quia non sumus consumpti.

  A023001913 

 Que s'il s'en treuvoit quelques uns qui ne voulussent pas se communier de la main de leurs curés, ilz seront tenus de les en advertir et de leur demander licence d'aller ailleurs, laquelle leur sera donnee par le curé sans s'informer autrement de l'occasion; et les mesmes parroissiens rapporteront attestation, dans huit jours apres Pasques, du prestre qui les aura communiés, a peyne d'estre tenus pour heretiques..

  A023001914 

 Pour ce qui est de ceux qui frequentent parmi les terres des heretiques, voysins de Nostre diocese, ou bien qui sont contraintz d'y demeurer pour gaigner leur vie, Nous avons donné pouvoir a tous curés et autres qui ont permission de confesser, de les ouyr en confession, et absoudre de n'avoir pas celebré les festes commandees par nostre Mere la sainte Eglise, de n'avoir pas jeusné les jours de Veille, de [307] Quatre Tems et de Caresme; comme aussi d'avoir mangé de chair ces mesmes jours, excepté les vendredis et samedis; et pareillement, d'avoir esté aux presches des ministres, pourveu qu'ilz n'ayent pas pris la Cene..

  A023001916 

 Et advenant que l'on ne face pas dire les Messes le lendemain, ilz ne seront nullement tenus de representer le luminaire..

  A023001918 

 Ayant reconneu qu'il y a plusieurs chappelles de peu de revenu et chargees par la fondation de grand service, auquel les recteurs ne peuvent pas satisfaire, Nous avons ordonné que le recteur d'une chappelle qui n'aura, pour exemple, que dix florins de revenu, ne sera obligé de dire que vingt Messes par an, a rayson de six solz pour Messe, et ainsy des autres; n'entendant pas, toutesfois, d'obliger ceux qui possedent des chappelles de bon revenu a plus de service qu'elles ne se treuvent chargees par leur fondation..

  A023001920 

 Nous estant venu a notice que plusieurs curés et autres possedans des benefices riere Nostre diocese intentent des proces contre leurs parroissiens, quelquefois plustost par animosité que pour zele qu'ilz ayent de maintenir les biens de leurs eglises et benefices, et lesquelz il seroit facile d'appointer au commencement: Nous avons defendu a tous curés et autres beneficiers d'intenter par cy apres des proces avec leurs parroissiens qu'au prealable ilz n'en ayent conferé avec leur Surveillant, lequel ayant entendu les parties, taschera de les mettre d'accord; que s'il voit le tort estre du costé des parroissiens et qu'ilz ne veuillent pas se mettre a la rayson, il sera permis aux curés de poursuivre leur droict par justice..

  A023001969 

 Les revenus de la mense épiscopale sont très restreints: à peine arrivent-ils à la somme de mille écus d'or; [en sorte que, après avoir défalqué les honoraires des officiers de l'évêché, il ne reste pas de quoi entretenir décemment l'Evêque et sa famille domestique.

  A023001969 

 Mais celui qui n'a pas appris à être dans l'abondance, doit apprendre à supporter la pauvreté.].

  A023001976 

 Or, déduction faite des charges et dépenses nécessaires, la part qui revient à chaque chanoine n'arrive pas à quarante écus d'or par an; c'est là une prébende tout à fait insuffisante à entretenir le moindre individu.

  A023002041 

 La mense épiscopale, en effet, est trop faible pour qu'on puisse rien en retrancher; la mense capitulaire est très pauvre et ne suffit pas à nourrir les chanoines, comme d'ailleurs les autres églises collégiales.

  A023002045 

 Mais ces deux chanoines, ne pouvant être sustentés sur leurs prébendes, qui ne montent pas à quarante écus par an, ne peuvent remplir convenablement leurs fonctions.

  A023002050 

 Le premier remède est très facile; le troisième est très utile et, vu les besoins de cette province, serait excellent pour procurer la plus grande gloire de Dieu; le second est très difficile et très incertain, car ce qui s'obtient par la force est presque comme n'existant pas..

  A023002062 

 Dès que j'arrivai, tout le [330] monde, hommes et femmes, du premier au dernier du pays, de s'écrier: Comment se fait-il que nous respections tous les droits ecclésiastiques, que nous payions les dîmes et les prémices, et qu'aucun curé ne nous soit accordé, mais que nous soyons au contraire comme des béliers qui ne trouvent pas de pâturages? Tout, en effet, était touché par l'Abbé le plus voisin..

  A023002062 

 Or, un seul et unique curé administrait les deux églises et célébrait la Messe aux jours de fête dans l'une et l'autre, au prix de quelle peine, de quel péril, de quelle inconvenance, je n'ai pas à le dire, surtout l'hiver, lorsque tout est couvert de glace et de neige dans ces parages.

  A023002063 

 D'abord, des procès s'entament devant des laïques pour le possessoire; ou bien, dans [331] le cas contraire, ils font tomber sur celui qui a osé prendre une décision toutes sortes d'appels, dont ils abusent plutôt qu'ils n'usent: n'étant pas chargés d'un grand poids, ils en font peser un sur autrui, comme dit saint Bernard.

  A023002106 

 Elle ne possède rien d'autre, pas même une modeste maison où puisse habiter l'Evêque..

  A023002116 

 On ne renouvelle pas ces livres chaque année, mais au moins tous les trente ans..

  A023002121 

 Aussi, le très saint Concile de Trente ayant décidé qu'aucune [337] pension ne devait être imposée aux Evêques dont la mense n'excéderait pas la valeur de mille ducats par an, il n'est pas équitable que l'Evêque de Genève soit obligé à payer un droit de décime, posé que..

  A023002166 

 Affin que les peuples qui Nous sont commis ne perdent point la favorable occasion de prendre les graces du saint Jubilé qui se celebre maintenant en cette ville de Thonon, ainsy que ci devant il a esté publié, Nous ordonnons par ces presentes que vous ayes a repeter la publication d'iceluy, exhortans de rechef un chacun d'employer cette benediction [342] au proffit et salut de son ame, asseurans de Nostre part qu'en laditte ville de Thonon ni es lieux circonvoysins il ni a aucune sorte, pas mesme de soupçon, de maladie contagieuse, ni incommodité qui puisse empescher le libre et desirable acces a cette sainte devotion..

  A023002191 

 C'est pourquoy les susditz ecclesiastiques la supplient? tres humblement de les relever de tant d'ennuis par une favorable, mais tres juste et tres equitable declaration, suyvant les Articles ci jointz, affin qu'avec plus de tranquillité ilz puissent s'acquitter de leurs devoirs spirituelz envers Dieu et le peuple; continuant d'implorer la souveraine bonté de Dieu pour la prosperité et benediction de la couronne de Vostre Altesse, laquelle ne les obligera pas moins en la grace qu'Elle leur fera de les rendre paysibles en la jouissance de leurs revenuz, que ses Serenissimes praedecesseurs ont fait leur en donnant les droitz et tiltres..

  A023002243 

 Ce qu'Holopherne imagina, Frères très chers, lorsqu'il assiégeait Béthulie et qu'il fit couper et occuper de toutes parts son aqueduc et toutes ses fontaines, afin qu'il ne restât pas la moindre goutte d'eau pouvant étancher la soif des assiégés: c'est ce que reproduisent tous les hérétiques qui combattent l'Eglise, surtout ceux de notre temps.

  A023002246 

 Quoique, en effet, parmi nos populations, personne ne professât ouvertement l'hérésie, quelques-uns toutefois ne jugeaient pas le crime d'hérésie aussi exécrable qu'il l'est en réalité: hommes non pas froids à l'égard de la foi, il est vrai, mais sans doute non plus bien chauds.

  A023002247 

 En effet, tout ce que nous voyons dans ce diocèse qui ne soit pas à regretter, tout [353] cela à peu près, il est juste que nous le reportions avec simplicité à ce remarquable Prélat.

  A023002248 

 Or, parmi les projets qu'il avait formés dans ce but, je n'estime pas qu'il faille mettre au dernier rang celui d'une nouvelle et exacte édition du Rituel, sur le modèle de celui de la sainte Eglise Romaine.

  A023002248 

 S'il existe, en effet, de nombreux exemplaires de Rituels dont le titre annonce au lecteur l'ordre et la série des rites de l'Eglise Romaine, on n'en rencontre presque pas qui répondent au titre et tiennent ce que celui-ci promettait.

  A023002251 

 Il ne paraissait pas, en effet, qu'on pût désirer autre chose touchant le sujet qui Nous occupe, sinon ces exhortations catéchistiques et familières sur les Sacrements et autres principaux points de la religion, que la plupart d'entre vous m'ont souvent demandées.

  A023002251 

 Vous verrez alors, je pense, que ce travail ne devait pas être uni au Rituel, mais qu'il requiert un volume entier à part.

  A023002401 

 Nous prierons de mesme, comme conseille saint Paul, pour tous Princes et magistratz chrestiens, et particulierement pour Sa Majesté et pour la Reyne regente et pour [367] Messeigneurs les Princes du sang; et non seulement pour eux, mays pour tous ceux qu'ilz ont ordonnés pour gouverner de leur part, affin qu'il playse a Dieu leur donner le don de force et de conseil pour nous maintenir en sainte paix et tranquillité, et administrer droittement la justice, affin que, sous leur obeissance, «nous passions tellement par les biens temporelz, que nous ne perdions pas les eternelz.».

  A023002433 

 S'il y a quelque feste de devotion, il dira: Vous aves (tel jour) la feste de N., laquelle n'est pas de commandement, mays seulement de devotion, pour ceux qui la voudront garder..

  A023002635 

 Les provisions de ceux qui n'ont pas [été] enregistrés..

  A023002662 

 Ce que les chanoines séculiers touchent par des distributions journalières, eux ont coutume de le toucher par des prébendes, et, après les avoir touchées, ils assistent aux Offices quand cela leur plaît; s'ils n'y assistent pas, ils n'en sont pas plus pauvres.

  A023002662 

 Pourquoi donc ne sont-ils pas transformés en chanoines séculiers, bien plus utiles à la république chrétienne? D'autant plus qu'il y a ici en Savoie une multitude de gens nobles, sans revenus suffisants, dont les fils, parmi ceux qui suivent la profession ecclésiastique, pourraient de cette manière être commodément pourvus.

  A023002663 

 Mais il ne conviendrait pas du tout qu'une telle visite fût faite par les Supérieurs de leurs Ordres; car les moines et les Abbés de Cluny, de Savigny et de Saint-Ruf ne savent pas même ce que c'est que réforme.

  A023002665 

 J'avoue que le premier et le second remèdes semblent devoir être très utiles, tandis que le troisième est très difficile et très [386] incertain; car ce qui s'obtient par la force est presque comme n'existant pas..

  A023002697 

 Les Surveillants estants es heux de leurs surveillances appelleront a eux tous les confesseurs extraordinaires, a sçavoir ceux qui ne sont pas curés, pour voir leurs admissions et r'envoier ceux qui n'en ont poinct.

  A023002793 

 Ils ne donneront pas touttesfois ce congé, si bon ne leur semble, pour la saincte Communion..

  A023002810 

 Je distribuerois les dignités a ceux qui les fuyent, et non pas a ceux qui les suivent; mais je n'advancerois pas, comme fit un Roy de France, un prestre qui dormiroit en l'eglise.

  A023002810 

 Tous ces poursuivans qui recherchent leur fortune au domaine de Jesus Christ tesmoignent manifestement qu'ilz en sont incapables, et coulpables d'ambition; ilz n'y recherchent pas, dit saint [399] Paul aux Romains, la justice de Dieu, mais leurs interestz propres..

  A023002811 

 Ceux qui dient qu'il faut remplir les sieges vacans et donner leurs places aux doctes, n'en disent pas asses s'ilz n'y adjoustent: et humbles; car la science enfle et ne doit estre estimee qu'autant qu'elle est fructueuse a salut..

  A023002814 

 C'est que les bons curés ne sont pas moins necessaires que les bons Evesques, et les Evesques travaillent en vain s'ilz ne sont soigneux de pourvoir leurs eglises parroissiales de curés devotz, de vie exemplaire et de suffisante doctrine, parce que ce sont les pasteurs immediatz qui doivent marcher devant les brebis, leur enseigner le chemin du Ciel et leur donner l'exemple qu'elles doivent suivre.

  A023003011 

 Quant aux Rogations, a esté dict quil les faut fere, car l'on est [obligé de] les fere suivant ce qu'est pourté au Missel; mais non pas fere feste, car il ny a poinct de commandement..


24-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XXIV-Vol.3-Opuscules.html
  A024000007 

 Pas être utilisés à des fins commerciales de toute nature!.

  A024000284 

 [4] Il ne convient pas, en effet, que quelqu'un se tienne à l'écart d'une aussi grandiose profession de la religion catholique, pour célébrer en particulier cette fête où l'on honore ce Sacrement que Notre-Seigneur a laissé à son Eglise comme un symbole de l'unité qu'il veut voir régner parmi tous les chrétiens..

  A024000285 

 Pour établir cet ordre il ne faut pas néanmoins s'en rapporter à chacun, mais à cet Esprit qui est répandu dans tout le corps de l'Eglise et qui manifeste ses volontés par les Conciles, surtout par les Conciles généraux, et par les Souverains Pontifes du Siège Apostolique, vicaires de Jésus-Christ..

  A024000304 

 Cela ne sera pas sans exemple, puisque feu vostre predecesseur (cujus memoria in benedictione est) l'avoit ainsi faict et practiqué anterieurement.

  A024000311 

 Et avons demandé audict sieur Doien de Nostre Dame sil ne la Nous avoit pas appourté et rendue de main en main de la part de Monseigneur l'Archevesque; lequel l'ayant veue, a faict response l'avoir appourté en la presence et assistence de R dz sieurs Barthollomé Floccard et Jacquiert, Chanoennes de ladicte eglise [10] de Nostre Dame, Dimenche dernier, cinquiesme de ce mois; lequel dict quil a un commandement particulier, non par lettre mais verbalement, de donner la main droicte a messieurs de Sainct Pierre et d'officier ensemblement et marcher en cest ordre de procession..

  A024000323 

 Et mesme il ny a pas long temps qu'a l'action de grace que fust faicte en vostre Eglise pour la naissance du Prince d'Hespagne, que on logea leurs [14] chantres au pres des nostres et chanterent le Te Deum laudamus alternativement, protestant neantmoins que telle permission ne deroge a leur droict, estant faicte comme courtoysye..

  A024000324 

 « Et quant a l'exemple de vostre predecesseur susmentionné, si celuy qui a informé n'eut pas teuct le vray et parlé contre verité a dessaing (parlant civilement), ains eut dict que Monseigneur vostre predecesseur eut esté condamné de telle procedure et le degout que le Pape [en] avoit receu, nous tenons pour bien asseuré que Monseigneur l'Archevesque ne vous eut faict telle priere, comme se void par ces motz de la lettre: « Ayant esté adverty » et: « m'a occasionné, » etc. Par ou l'on void que l'advertissement estant faulx, il n'a heu volonté de fere telle pretendue priere..

  A024000326 

 Et par [ce que] lesdictz sieurs Doyen et Chanoennes et Chappitre de Nostre Dame en persistant estre dudict ordre ordonné jouxte et a forme de ladicte missive de mondict Seigneur le R me de Vienne, et respondu ne l'avoir pas poursuivi, mais seulement demandé l'ordre a debvoir tenir en la procession future, et son intention, puis que le proces est pendant par devant luy:.

  A024000387 

 On ne réunira pas de Chapitre extraordinaire, le Doyen étant dans la ville ou les faubourgs, sans le consentement de ce Doyen, à moins qu'il ne fallût traiter une question regardant le Doyen lui-même, et qu'il ne dût pas assister aux débats..

  A024000443 

 Et pour que de la chapelle on puisse voir commodément le maître-autel, le fondateur demande d'ouvrir deux des arcs fermés du côté droit, et de les munir de plaques et comme de grilles de fer, en sorte que l'accès ne soit pas libre ni d'un côté ni de l'autre.

  A024001072 

 En lui faisant baiser Notre vêtement, Nous lui donnons l'investiture, et l'instituons par les présentes, en lui assignant pour son entretien tous les fruits qui appartiennent à la susdite église paroissiale, pourvu qu'ils n'excèdent pas la portion congrue..

  A024001165 

 Nous donc, qui, parmi les autres obligations de Notre charge, n'estimons pas de mince importance celle-ci (c'est-à-dire l'accroissement du culte divin et la consolation spirituelle des paroissiens), et croyons qu'elle sera agréable au Dieu très bon et très grand: Nous montrant favorable à la requête du patron et des habitants de Sales, après avoir fait une enquête sur la vérité des choses y contenues et pris connaissance du consentement de Notre administration [113] fiscale, de par Notre autorité ordinaire, Nous dissolvons et révoquons, dès maintenant et pour toujours, l'union, jadis faite par Nous, des églises paroissiales de Cranves et de Sales.

  A024001260 

 Comm'encor, qu'ez grosses festes esquelz (sic) multitude de peuple vient a la saincte Communion, le sieur Curé et son Vicayre ne peuvent suffire a recevoir les confessions des penitentz ainsy qu'il seroit requis, et les autres ecclesiastiques se trouvantz absentz, ou ne se tenantz pas obligé a la charge pastoralle, plusieurs ames demeurent frustrés (sic) de leurs bons désirs et en la reception des saincts Sacrements..

  A024001313 

 Nous permettons la celebration de la sainte Messe en l'oratoire basti au pied de la montaigne, en la parroisse de Moÿ, par le sieur Thomasset; commettans pour la benediction du lieu le sieur Prieur de Rumilly ou le P. Gardien des Peres Capucins de Rumilly; a la charge que ledit sieur Thomasset ne laissera pas pour cela de rendre son devoir en l'eglise parroissiale du lieu, et que ladite celebration ne se fera en icelle chapelle les festes de commandement et jours dominicaux, sinon par le gré du sieur Curé du lieu..

  A024001465 

 Nous ayant esté remonstré de la part de messire Pierre Rouffille, prebstre, quil auroit cy devant faict permutation de la cure d'Arit, de laquelle il estoit paisible pocesseur et laquelle il avoit descervy l'espasse de trente cinq ans, a une chappelle a luy remise en eschange par messire Jehan Claude Blanc, prebstre et curé moderne dudict Arit, et que depuis ladicte permutation, a raison d'une maladie, joincte a son vieil aage, qu'il luy seroit survenue, il auroit faict despence de toute l'espargne qu'il avoit faict en son jeune aage; si que maintenant il ne luy reste plus aucun moien de pouvoir s'entretenir et secourir en ceste extremité de sa vie, sinon qu'il luy soit par Nous prouveu, attendu que la chappelle sus mentionnee n'est pas de revenu suffisant pour ce faire:.

  A024001623 

 C'est pourquoi, parmi mes frères dans le sacerdoce il est à propos d'en choisir quelques-uns que je sais avoir, comme il fut dit à Moïse, la sagesse et l'expérience des vieillards, pour qu'ils portent avec moi la charge du peuple, et que moi, si faible, je ne sois pas seul à en être accablé..

  A024001625 

 En outre, vous pourrez absoudre les pénitents des cas à Nous réservés; dispenser de l'observation des fêtes et du jeûne quadragésimal quand il y aura nécessité ou toute autre cause légitime; commuer les vœux, mais non cependant en dispenser; bénir et consacrer les ornements, vases, corporaux et autres objets à dédier à Dieu, quand le saint chrême ne sera pas nécessaire..

  A024001648 

 C'est pourquoi, parmi mes frères dans le sacerdoce, il est à propos d'en choisir quelques-uns que je sais être, comme il fut dit à Moïse, des anciens dans le clergé, par la maturité et l'expérience, afin qu'ils portent avec moi la charge du peuple et que moi, si faible et infirme, je ne sois pas seul à en être accablé..

  A024001651 

 Vous pourrez aussi consacrer et bénir les ornements, vases et autres objets à dédier à Dieu, dans la bénédiction desquels n'intervient pas l'usage du saint chrême, et même les corporaux..

  A024001709 

 Quoique M. Gaspard ait un pied endommagé, il ne boite cependant pas au point que sa démarche soit difforme et incompatible avec la dignité abbatiale..

  A024001800 

 Claude Boucard, de Verdun, ayant, par suite de la faiblesse de l'esprit humain, abandonné, il y a quelques années, la religion catholique pour l'hérésie de Calvin, fut enfin retrouvé par Celui qu'il ne cherchait pas, et prévenu des bénédictions de sa douceur, en sorte que, touché dans son cœur d'une salutaire douleur, il se mit, il n'y a pas longtemps, à méditer sérieusement son retour dans le sein de l'Eglise Catholique.

  A024001800 

 Or, ses pensées ne furent pas des pensées humaines, mais celles mêmes de ce Père qui pense des pensées [175] de paix et non d'affliction.

  A024002065 

 Le vénérable couvent de Saint-Dominique de cette ville d'Annecy, dans Notre diocèse, couvent de l'Ordre des Frères Prêcheurs, ayant la coutume d'envoyer toujours quelqu'un de ses Religieux pour recueillir, suivant la Règle et l'usage de l'Ordre, les aumônes des fidèles, et l'état de ce diocèse et de tout le pays étant tel qu'on n'arrive pas à subvenir aux besoins des mendiants du Christ qui l'habitent: Nous signons de Notre main et munissons de Notre sceau ces lettres en faveur de Notre bien aimé dans le Christ, le Frère Jacques Chappaz, convers dudit Ordre, que le Révérend Frère Prieuret le vénérable Couvent de Saint-Dominique de [203] Notre diocèse ont décidé d'envoyer même hors de celui-ci, c'est-à-dire dans le pays de Fribourg et autres parties de la Suisse, pour implorer le secours des gens pieux, afin de pourvoir à l'entretien de la communauté et de réparer les ruines déjà subies dans leurs édifices.

  A024002152 

 Ce temps écoulé, s'ils n'ont pas obéi (à Dieu ne plaise) à Notre commandement, ou s'ils ne Nous ont pas fait connaître la cause pour laquelle ils ne sont pas tenus d'obéir, qu'ils se sachent frappés d'une sentence d'excommunication à encourir ipso facto.

  A024002173 

 Nous en tenant à Nos précédents commandements, par lesquels Nous avions averti qu'Antoine Garcia, espagnol, arraché à l'église par la violence, devait être rendu à l'église, ou que ceux à qui il appartenait devaient dire pourquoi ils n'étaient pas tenus à cette restitution: Maintenant, après avoir attentivement examiné toutes les circonstances de l'homicide commis, et les raisons sur lesquelles [213] s'appuyait Son Excellence don Alphonse Carrillo, docteur et auditeur de la milice du Roi Catholique, demeurant actuellement dans ces régions, pour refuser de rendre à l'église le susnommé Garcia; par Notre sentence définitive Nous avons prononcé et prononçons ce qui suit:.

  A024002174 

 Nous avons enjoint à tous les juges séculiers et autres personnes à qui il appartiendra, de ne pas faire entourer l'église où sera réintégré ledit [214] Antoine Garcia, et de ne pas y mettre des gardes sous quelque prétexte que ce soit, par où l'immunité de l'église serait directement ou indirectement violée et le même Garcia s'en verrait privé..

  A024002304 

 Et pour esclarcir plus entierement ce qui est de ses affaires, fera voir encor le contract de mariage de madame de Chantal sa mere, laquelle, en cas que par son testament elle n'eut pas disposé en faveur de son filz de ses biens, en disposera par le contract du mariage de son dit filz, pour avoir plus de force, sil est ainsy advisé..

  A024002304 

 Le seigneur Baron de Chantal asseure qu'il a... mille escus de revenu, et fera voir par les testemens de messieurs ses grand pere et pere et par celuy de madame sa mere, que les terres qui luy font ce revenu-la ne sont point engagees en substitutions, et qu'il ny a pas d'autres debtes en sa mayson que ceux que madame de Chantal sa mere a declarés par sa lettre escritte a madame la Presidente Liotart.

  A024002387 

 Pour le sieur de Vallon: une lettre a messieurs du Conseil de Genevois, affin que s'ilz treuvent que les armoiries quil avoit fait graver en l'eglise de Samoens, ne fussent pas en lieu qui peut praejudicier a l'authorité de Sa Grandeur, ilz ordonnent qu'elles y soyent remises..

  A024002418 

 Non pas que les dicts sieurs suppliants se doubtent de l'integrité dudict sieur Roges, mais pour les causes susdictes le supplient de s'abstenir de la congnoissance de la mattiere..

  A024002518 

 Les auditeurs apporteront leur attention, leur pensée et leur soing à ce que l'on enseignera; et s'il y a quelque chose qu'ils n'entendent pas, ils en feront des interrogats aprés que la leçon sera faicte..

  A024002558 

 6° Ilz vivront dans une amitié fraternelle; s'ilz ont entre eux quelque differend, ilz tascheront qu'il ne transpire pas en public, crainte de le scandaliser.

  A024002693 

 Toutefois, par la présente union Nous n'entendons pas priver l'église en question des services dus, mais les charges habituelles en seront, comme il convient, supportées par le Collège.

  A024002712 

 Et ne croyons pas qu'il se faille arrester a ce qu'en ladite Visite sont estes adjoustés par apostille ces motz: de la præsentation du sieur Baron de Menthon, puisque elle n'a esté appreuvé par Nous, et que pour avoir treuvé, appres que le livre de Visite nous a esté des-ja diverses fois representé, qu'elle avoit esté moins soigneusement et exactement redigee par escrit, Nous ny avons pas cy devant adjousté foy telle qu'est deüe aux actes publicz, mais seulement Nous en sommes servi par forme de memoyres et instructions; aussy ne l'avons Nous voulu ny signer ny appreuver nulle part..

  A024002824 

 Un vicaire forain, établi seulement pour les choses qui regardent le for contentieux, n'a pas l'autorité suffisante pour maintenir le peuple dans le respect et les ecclésiastiques dans leur devoir; sans compter qu'il doit très souvent recourir à Grenoble pour apprendre l'intention de l'Evêque, recours qui présente dans les cas urgents de grandes incommodités.

  A024002827 

 De plus, l'Evêque de Grenoble étant le chef et le président des comices et des assemblées séculières et temporelles du Dauphiné, s'il surgit quelque dissentiment entre les couronnes de France et de Savoie, ou même entre les gouverneurs de Savoie et du Dauphiné, les relations entre les deux peuples deviennent très difficiles et le passage de l'Evêque sujet à de graves soupçons de part et d'autre; [290] car alors il n'est pas regardé comme le Pasteur commun de l'un et de l'autre peuple, mais comme un homme exclusivement dévoué et lié au pays où il réside et exerce la prééminence..

  A024002829 

 Enfin, on peut croire que le Révérendissime Evêque de Grenoble songe à désirer d'être déchargé de cette partie de son diocèse, afin qu'il puisse, avec plus de facilité et d'exactitude, s'occuper du reste de sa charge qui sera encore bien grande, pour ne pas dire très grande.

  A024002853 

 Les évêques, en effet, étant, au dire [292] du grand Pontife Grégoire de Nazianze, les peintres de la vertu, qui est la chose la plus belle, et devant, par leurs paroles et leurs actes, retracer avec art et, autant que possible, exactement une chose si excellente, je ne doute pas que nous ne devions contempler en notre très illustre et distingué Juvénal l'image parfaite de la justice chrétienne, c'est-à-dire de toutes les vertus..

  A024002855 

 J'admirais qu'à une telle érudition et à une science si variée il joignît [293] un si grand mépris de soi-même; à une si grande gravité de paroles et de mœurs, une si grande grâce et modestie; à un tel souci de la piété, une telle urbanité et suavité; car il ne cherchait pas, comme il arrive à beaucoup, à vaincre le faste par un autre faste, mais par une vraie humilité; il ne donnait pas pour base superbe à sa charité la science qui enfle, mais il fortifiait sa science par la charité qui édifie: aimé à la fois de Dieu et des hommes, lui qui avait pour Dieu et les hommes une très pure dilection.

  A024002860 

 Lui aussitôt: « L'affaire, » dit-il, « doit être traitée avec plus d'attention, nous n'aurions pas le temps de le faire maintenant que le jour est à son déclin; si donc demain vous venez me trouver, nous nous occuperons plus opportunément de toute cette question.

  A024002861 

 Et voici que s'offre à vous la Congrégation des Clercs réguliers de Saint-Paul, où la discipline de la perfection religieuse est en grand honneur, et où cependant l'on n'est pas accablé par les austérités corporelles, tellement que à peu près tout homme peut, avec la grâce de Dieu, observer très facilement ses coutumes et Constitutions.

  A024002864 

 Et ils ne se lassaient pas d'exprimer par leurs paroles et leurs visages joyeux l'allégresse que leur faisait concevoir la présence d'un tel Pontife, tandis que lui, par une très noble affabilité et une très suave bienveillance envers tous, fixait les yeux et les cœurs de tous, et, comme un Pasteur excellent et bienfaisant, appelait par leur nom ses brebis aux pâturages verdoyants, et de ses mains pleines du sel de la sagesse, les attirait, ou mieux, les entraînait après lui.

  A024002865 

 Pour tout dire en un mot absent d'envie: il ne me souvient pas d'avoir jamais vu un homme plus abondamment et splendidement orné des qualités que l'Apôtre désirait tant voir chez les hommes apostoliques.

  A024002937 

 5° Item, que le jour de la Feste Dieu, l'assemblee se faisant en ladicte esglise de Saint Mauris, l'on en usera de mesme, et se donnera le signe au son de la cloche si a propos que ladicte Esglise cathedrale puisse arriver a la fin de la Grande Messe, pour commencer la procession immediatement; avec declaration, que si mondict Seigneur le Reverendissime Evesque estoit absent, ou bien, estant present, il ne luy plairoit pas de porter le Saint Sacrement, cest honneur appartiendra a ladicte Esglise cathedrale.

  A024002973 

 Mais ceux quy ne seront pas confessés, pourveu quilz soyent contritz et qu'ils ayent la volonté de ce (sic) confesser au temps requis, gaigneront deux centz jours d'Indulgence..

  A024002995 

 La ou estant, mesmes au devant ladicte chappelle mentionnee par la Requeste susdite, je l'ay trouvee situee touchant le grand chemin dudict village tendant de Salanche a Magland, distante des maysons d'icelluy environ vingt pas d'un coste et trente d'un aultre.

  A024003023 

 Dict et respond qu'il y a environ demy lieue de distance et qu'il y a trois nantz a passer en chemin; l'un desquelz est plus proche dudict village des Vorziers, appellé nant de Dyere, qui vient fort grand et impeteux en temps de pluye, tenant mesme de gravyne [318] en largeur, en temps sec, environ trente pas, et que deça dudict nant, proche dudict village des Vorziers, sont buissons, bourses et pierres environ deux centz pas de chemin..

  A024003032 

 Dict et respond qu'il estime y avoir environ une bonne demy lieue de chemin, touttesfois tout a plain, auquel se trouve, au sortir des possessions dudict village, des isles plaines d'espines, buissons et pierres, contenant de chemin environ douze vingtz pas, dans lesquelles isles se trouvent souvent, mesmes en hyver, des loupz et aultres bestes; dela desquelles est la riviere appellé le nant de Diere, fort impetueux en temps de pluye et difficile a passer, et encoures de la ledit nant s'en trouve ung aultre dict le nant de la Croix, et plus oultre, tendant contre Salanche, distant du precedent environ deux centz pas, un aultre appellé nant de Lespignier, lesquelz touttesfois ne viennent si impetueux ny grandz que le premier..

  A024003039 

 Apres l'audition des susnommés, je me suis mis en chemin pour retourner a Salanche avec ledict M e Ramus, ayant au preallable remarqué audit village des Vorsiers, de costé et d'aultre, plusieurs possessions, champ et verdiers, au but desquelles, du costé de Salanche et environ cent pas loing dudict village, j'ay remarqué les isles playnes d'haliers, pierres et espines, tenant de chemin jusques au nant de Dyere environ trois centz pas; puis j'ay trouvé ledict nant, appellé Diere, descendant d'une haulte montagne, demonstrant d'estre impetueux et dangereux a passer en temps de pluye et neige, et qui couvre de gravine et pierre environ quarante pas de largeur de terre; et environ demi quart de lieue de la d'icelluy j'ay trouvé le second nant, puis, un peu dela, le troisiesme, desquelz les tesmoins ont fait mention en leurs depositions; ayant recognu lesdictz nantz et isles estre fort correspondantes a ce que lesdictz tesmoings m'en avoient dict..

  A024003085 

 Cela n'est il pas suffisant pour faire mourir d'honte nos imposteurs? Voyez l'imprimé des motifs [323] de l'impugnation de l'article que je vous envoye, et le communiquez aux catholiques.

  A024003086 

 Qu'ilz s'attendent maintenant de ravoir nos eglises; mais plus tost qu'ilz se preparent a la restitution de tout ce qu'ilz y ont desrobé, et seront sages, car on ne les espargnera pas.

  A024003105 

 Ils ont faict response aux vostres, mais n'ayant pas receu les nostres, ny les leurs par mesme moyen..

  A024003427 

 Il est admirable le signe de la Croix, source de vie, sur le bois de laquelle Notre Seigneur Jésus-Christ, pour le salut du genre humain, [339] n'a pas refusé de subir la mort pour nous rappeler de la mort à la vie; signe qui « apparaîtra dans le ciel lorsqu'il viendra nous juger; » étendard qui protège la religion catholique, et que le semeur de zizanie, l'antique ennemi du genre humain a en horreur; qui, dès les premiers siècles, a valu de nombreuses victoires et de grands triomphes, non seulement aux saints Pères, pour repousser les tentations, mais aussi aux empereurs, rois et princes, pour combattre les infidèles et vaincre les hérétiques..

  A024003429 

 En outre, les « glorieux Princes de la terre, » les très saints Pierre et Paul, Apôtres de notre Dieu et Seigneur Jésus-Christ, dont le second est le Docteur des nations et le premier, le Prince des Apôtres, [340] Vioaire du même Jésus-Christ, fondement de l'Eglise et celui dont la foi ne défaille pas, ont tous deux illustré par leur mort la sainte Eglise Romaine, tête et maîtresse des autres Eglises, et, comme Patrons titulaires de la vénérable Eglise de Genève, l'ont conservée, ainsi que sa cité, son diocèse et leur peuple, à l'abri de toute hérésie et dans la profession de la foi orthodoxe.

  A024003459 

 Toutefois, bien que la majesté du très saint Corps de Notre Seigneur Jésus-Christ ainsi exposé publiquement demande que tous les confrères passent humblement là toute la journée en louanges, prières et saintes méditations, cependant, la fragilité humaine des confrères, non encore exercés à une telle assiduité dans ces œuvres de piété, ne permettant pas cette action commune; pour que la prière ne cesse pas à l'intérieur de l'oratoire et que la Confrérie elle-même professe, à l'égard de ce très saint Sacrement de l'Eucharistie, un hommage de sa servitude: nous statuons et ordonnons que tous les jours où il sera exposé publiquement sur l'autel de l'oratoire, deux confrères, choisis par le Prieur et ses Assesseurs [353] ci-dessous nommés, pour se partager alternativement les heures, devront passer jusqu'à Vêpres, à genoux, avec l'habit ci-dessous prescrit, une heure entière en saintes prières et divines méditations, en particulier et selon la dévotion personnelle, pour notre très Saint-Père le Pape, pour tous les Prélats de l'Eglise et tout le clergé, pour la tranquillité de la république chrétienne, la sauvegarde de la foi catholique, la paix et la concorde entre les Princes et les peuples chrétiens, la conservation et l'accroissement de notre Confrérie, enfin l'augmentation chaque jour des fruits spirituels qu'elle produit.

  A024003471 

 Cependant, pour ne pas sembler imposer un joug impossible à supporter à nous-mêmes et aux confrères, nous statuons et déclarons qu'il sera permis, à quiconque sera légitimement empêché de recevoir la sainte Eucharistie une des fêtes et des dimanches susmentionnés, de satisfaire au statut précédent un autre jour de n'importe quel mois, pourvu qu'il avertisse de son empêchement le Prieur soussigné, qui y pourvoira pour le mieux..

  A024003479 

 Il ne suffit pas, pour atteindre notre but pieux et obtenir les fruits spirituels attachés à notre Confrérie, que la Messe se célèbre une fois par mois dans son oratoire, où plus se multiplie la digne réception [357] de la sainte Eucharistie, plus aussi deviennent abondants les bienfaits spirituels et temporels.

  A024003495 

 Il ne faut pas non plus omettre une chose à laquelle sont poussés non seulement ceux qui portent le nom de chrétiens, mais même ceux qui Suivent la seule loi de nature, à savoir la visite des prisonniers et des malades, accompagnée de paroles de consolation, qui, bien qu'elles ne guérissent ni ne délivrent, cependant apaisent et adoucissent les peines et les douleurs.

  A024003503 

 Aussi, pour ne paraître manquer à un devoir si pieux et nécessaire, le dernier qui est dû à nos confrères défunts, nous statuons et ordonnons que, dès l'annonce faite au Prieur du décès d'un de nos confrères de l'un ou l'autre sexe, la bannière attachée à la Croix de la Confrérie soit mise, revêtue de noir, à la porte de l'oratoire, avec l'indication écrite de l'heure et de l'église où se feront les funérailles, pour que les autres confrères, s'ils ne sont pas absolument empêchés, se sachent tenus d'accompagner le corps du confrère défunt à l'enterrement, priant tous dévotement Dieu pour le salut de l'âme du défunt; nous les obligeons expressément à une œuvre si pieuse.

  A024003507 

 L'âme étant plus noble que le corps mérite d'être aidée avec plus de soin, aussi bien en ce monde qu'en l'autre, où elle a souvent besoin des suffrages des fidèles; et malgré la multiplicité des moyens d'obtenir cet effet, il n'en est pas de plus efficace que le Sacrifice de la sainte Messe, étant ordonné par le Christ pour les vivants et les morts.

  A024003516 

 Plus le vêtement est humble, plus aussi il est agréable à Dieu; et il avertit ceux qui le portent et ceux qui le voient de ne pas s'enorgueillir, mais de servir Dieu en toute humilité, dans les larmes, la cendre, le cilice, les jeûnes, les veilles, les prières et autres pénitences.

  A024003516 

 Quoique, selon le proverbe, l'habit ne fasse pas le moine, cependant l'habit extérieur a coutume d'indiquer la disposition de l'âme, en sorte que ce n'est pas en vain que nos anciens pères ont déterminé un vêtement à porter dans l'église.

  A024003520 

 Ce serait peu de chose si la Confrérie ne comprenait que les seuls chanoines de l'Eglise cathédrale sus nommée, lesquels, par ailleurs, faisant un corps à part, sont unis entre eux, surtout pour ce qui regarde le culte de Dieu; car la cause de l'érection de la Confrérie qui vise au bien public, ne produirait pas du tout le fruit désiré.

  A024003524 

 Quant aux absents qui désirent entrer dans la Confrérie, et qui sont dans l'impossibilité de se présenter immédiatement et en personne à l'oratoire, pour qu'ils ne soient pas empêchés dans leur dessein si pieux: nous statuons et ordonnons qu'ils puissent être reçus et qu'ils le soient par un procureur légitime, ayant pour acela [368] un mandat spécial dont il rendra compte, et qui fasse la profession 4 e foi et la promesse sus mentionnées et sous insérées; cela aura le même effet que si les récipiendaires se présentaient personnellement..

  A024003552 

 Il ne remettra pas le livre de cet office sans l'avoir signé..

  A024003564 

 Il ne sera pas permis de traiter d'affaires étrangères, ou de dire ou faire quoi que ce soit de vilain ou de scandaleux, ni de se retirer avant la fin sans l'expresse licence du Supérieur..

  A024003747 

 Clément VIII, Pontife suprême de l'Eglise Catholique, par un motu proprio, attacha et préposa, il n'y a pas longtemps, François de Sales, Prévôt de l'Eglise de Genève, à la Maison de Notre-Dame des Sept-Douleurs de Thonon..

  A024003813 

 Le Plebain sera esleu par le concours comme les autres curés du diocæse a la forme du sacré Concile de Trente; auquel neanmoins seront preferés, cæteris paribus, les prestres de la Congregation, a laquelle sera tenu, celuy qui sera esleu, se ranger, sil n'en estoit pas auparavant..

  A024003821 

 Or, pour oster et deposer lesdits prestres, suffira que le Conseil assemblé en juge par la pluralité des voix; mais pour la deposition du Præfect il sera requis que cela se face par les deux tiers des voix du Conseil, auquel entreviendra tous-jours le Conservateur, lequel n'estant pas au lieu, sera attendu jusques a deux moys et non plus.

  A024003910 

 Les mandatz qui n'excederont la somme de dix escuz d'or se feront par le seigneur Conservateur et par le sieur Praefect conjointement; et en cas quilz ne soyent pas d'accord a le faire, le Conseil sommayrement appellé determinera.

  A024003933 

 Ne pourra neanmoins faire mandatz, ains seront faitz par le Conseil, en presence d'iceluy assistant, qui aura une voix [consultive, mais non pas] deliberative en ladite absence du Conservateur.

  A024003949 

 Et en cas quilz ne soient [414] pas de mesm'advis pour ce regard, le Conseil, sommairement appelle, en determinera..

  A024003956 

 Et outre celâ, sera requis que pour oster tant les uns que les autres, le Conservateur entrevienne au Conseil; que sil n'est pas present, il soit attendu jusques a deux mois, le tout neanmoins par connoissance sommaire et sans figure de proces..

  A024003980 

 Ni a-il pas d'asses gens de bien en l'estat ecclesiastique pour la conduite de cette barque, sans y employer ces messieurs destinés a la conduite des armees navales contre les Turcz? Si c'est pour amplifier l'authorité de leur Religion, ce ne leur sera pas grand honneur de s'amuser a regler sept ou huit prestres.

  A024004001 

 Attendu que l'intention de nostre Saint Pere le Pape Clement huitiesme, declairee en la Bulle de l'institution de [423] la Sainte Mayson, fut que les prestres de l'Oratoire d'icelle se conformassent au plus pres que faire se pourroit a l'institut de la Congregation de l'Oratoire de Rome, et que neanmoins la diversité qui est entre cette ville et celle la et la consideration de plusieurs circonstances ne permettent pas qu'il y ayt une parfaitte similitude, pour accommoder la necessité avec la bonne volonté, ont esté dressees les presentes Constitutions..

  A024004028 

 Ceux la seront tenus pour absens qui ne se treuveront a l'Office a la fin du premier Psalme d'iceluy et devant l'entonation du second, ou qui ne perseverera pas en iceluy [427] jusques a la fin.

  A024004028 

 Seront toutes-fois tenus pour presens ceux qui pour l'administration des Sacremens et pour des autres fonctions necessaires, ou quelques autres necessités, ne se treuveront pas en l'Office, ou y estant en sortiront, moyennant qu'ilz ayent adverti celuy qui pour lhors preside, ou, ne le pouvant faire, qu'ilz facent paroistre de la necessité qu'ilz ont a s'absenter..

  A024004040 

 Au reste, tous seront entablés, chacun en son tour, pour la celebration des Messes tant basses que chantees, sans exception, non pas du Prefect mesme..

  A024004159 

 Es jours solemnelz, quicomque n'assistera pas a Matines perdra six solz; a la Messe, troys; a Vespres, troys.

  A024004160 

 Quicomque, ayant esté assigné pour celebrer les Messes, ne les celebrera pas ou ne les fera pas celebrer, perdra pour chacune, si c'est une petite, un florin, et si c'est une grande, vingt troys solz..

  A024004163 

 Quicomque ne se trouvera pas pour le moins a [la] fin du premier Psalme et devant que l'on commence le second, ou qui ne perseverera pas jusques a la fin de l'Office, sera tenu pour absent.

  A024004163 

 Quicomque, [427] a la Messe, n'aura pas ouy le commencement de l'Epistre ou qui n'attendra pas la benediction sera pareillement tenu pour absent.

  A024004170 

 Les jours solemnelz de la premiere classe et les festes de Nostre Dame, le Praefect celebrera; en son absence, le Plebain, et si le Plebain n'y est pas encor, le plus ancien selon l'ordre de reception.

  A024004180 

 Il corrigera et admonestera les defaillans; lesquelz estans rebelles, il les appellera en Chapitre et les chastiera, s'il est de besoin, apres avoir pris les voix, par quelque penitence salutaire, voire mesme pecuniaire, applicable aux œuvres pies, qui toutesfois n'excedera pas la somme de cinq florins.

  A024004197 

 Toutesfois, la Congregation en sera au prealable advertie, affin que plusieurs n'absentent pas tout en un tems et que le divin Office ne soit diminué.

  A024004204 

 Que s'ilz ne viennent pas, il faudra avoir quatre regens, sans celuy qui apprendra a lire aux enfans.

  A024004287 

 L'Abbé répondit qu'il l'ignorait, attendu qu'il n'avait pas vu depuis longtemps les Bulles de sa provision, produites à Chambéry dans un procès; que cependant le suprême Sénat de Savoie lui avait interdit la correction des Religieux, comme s'il n'était pas titulaire; ce pourquoi il ne devait pas porter l'habit des Religieux.

  A024004293 

 Enfin, certains autres titres dont il ne se souvient pas assez, acquis par son travail et industrie, et dont il fera un inventaire..

  A024004296 

 Les autres affirmèrent qu'ils n'avaient à part eux et ne savaient pas exister auprès d'autres personnes des titres se rapportant au Monastère..

  A024004303 

 Le Révérendissime Seigneur visiteur, voyant que la chose n'était pas facile à arranger, renvoya à une autre date la décision à prendre, c'est-à-dire jusqu'au moment où il verra clairement que les revenus sont suffisants..

  A024004333 

 Pour le moment cependant, que les femmes ne soient pas admises à l'intérieur de l'enceinte formée soit par les murs en ruines, soit par la trace de ces murs..

  A024004334 

 Qu'aucun Religieux dorénavant ne quitte le lieu de Sixt, sous aucun prétexte, sans la licence du Prieur, et, pour le Prieur, sans avoir averti de son départ le Religieux le plus ancien, bien qu'il n'ait pas de permission à recevoir ou à demander..

  A024004336 

 De même, à propos de la façon expresse d'émettre les vœux, la question fut laissée sans être traitée, parce que le Visiteur ne se trouve pas assez informé sur la Règle et les Constitutions; il verra cependant à ce que plus tard cela puisse se faire et il s'occupera de le faire faire..

  A024004440 

 Comme aucun des vénérables Chanoines actuellement vivants n'a émis de Profession expresse, avant toutes choses, pour obéir à l'esprit et aux termes du saint Concile de Trente, Nous déclarons et décrétons que tous les vénérables Chanoines sont tenus d'émettre cette Profession expresse, et Nous fixons à tous et à chacun de ceux qui portent maintenant l'habit du Monastère une année qui soit considérée comme année de probation; après laquelle ils [456] devront aussitôt ou émettre la Profession susdite, ou Nous exposer les raisons, s'ils en ont, pour ne pas vouloir la faire..

  A024004441 

 Si cependant, après l'année de probation, il n'est pas encore jugé digne de faire Profession, et que néanmoins il y ait espérance probable qu'il le devienne en le retenant dans le Monastère un peu plus, ou même une année entière, la Congrégation cardinalice du Concile a répondu que cela serait licite, attendu que le décret du Concile touche les idoines, non les autres..

  A024004451 

 S'il s'agit de faire ou d'ordonner quelque chose d'important, et qu'il n'y ait pas péril en la demeure, que le Prieur ne change ou décrète quoi que ce soit sans en avoir conféré avec son Chapitre.

  A024004473 

 Aussi [461] ordonnons-Nous plus sévèrement, en vertu de la sainte obéissance et sous peine de l'excommunication majeure, à tous et chacun que cela concerne, que toutes les femmes absolument soient par eux écartées, chassées et expulsées, s'il s'en trouve maintenant, et qu'ils ne les admettent jamais, ni elles ni d'autres, et ne leur permettent pas de séjourner dans l'enclos du Monastère..

  A024004473 

 Toute la législation proclame ce que Nous avons décrété dans Notre dernière Visite de ce Monastère, à savoir que les femmes ne doivent pas habiter ou demeurer, même pour peu de temps, à l'intérieur de l'enceinte et des murs extérieurs du Monastère.

  A024004532 

 Tout cela ne pouvant s'effectuer qu'après un long espace de temps, si l'on se contente des revenus du monastère, qui ne dépassent pas la valeur de douze cents écus d'or, qui sont grevés de nombreuses charges ordinaires et extraordinaires, ainsi que d'une pension accordée et à fournir à l'Illustrissime et Sérénissime Charles-Emmanuel, duc de Savoie: Nous accordons, en vertu de la susdite autorité Apostolique, au Révérend seigneur Abbé, ou commendataire perpétuel de la Bienheureuse Marie d'Abondance actuellement en charge, ou à son légitime procureur, de louer et donner à cens, pour seize ans, à n'importe quelles personnes, même laïques, le membre de Présinges, d'une valeur annuelle de cent [469] écus, à compter du jour de l'accensement, au prix de mille écus à payer en argent comptant et par anticipation; ou bien d'hypothéquer et de céder à un juste prix à ces dites personnes le même membre, toujours pour l'espace de seize ans; en outre, d'hypothéquer d'autres biens du monastère avec tous et chacun des contrats, conventions, commissions, obligations, soumissions, clauses de renonciation et précautions nécessaires et ayant coutume de figurer dans les actes; ainsi que d'exiger de ces mêmes personnes les sommes dues et de leur donner quittance pour celles reçues; enfin, de placer ces sommes sur un édifice sacré ou chez une personne digne de confiance et pouvant répondre, dans le but de faire le plus tôt possible la construction en question, nonobstant la Constitution de Paul II, d'heureuse mémoire, et autres ordonnances.

  A024004608 

 A fin de mortiffier l'esprit par le corps, tous les vendredis, en l'hermitage, l'oraison matutine achevee, durant le recit du Psaulme Miserere mei, en penitence de leurs pechés et diminution des peynes des ames du Purgatoire, a l'honneur et commemoration de la discipline de nostre paix avec la justice de Dieu, volontairement soufferte par Nostre Seigneur et Redempteur Jesus Christ, les Peres hermites se la donneront aussi volontaire et par leur arbitre et mesure a leurs forces; si mieux n'aime qui ne la pourra tolerer, porter la haire ou cilice de crin trois jours de la sepmaine, ou jeusner au pain et a l'eau le vendredy, et comme les veilles le samedy, veu que a tous toutte penitence et austerité n'est pas convenable, aucune bien souvent plus contraire qu'utile au progres de la perfection.

  A024004660 

 Et parce qu'ilz ne sont pas de nature angelique ains humaine (de quoy chascun se souviendra pour moderer tout zele indiscret), ilz recreeront et delasseront leurs esprits et corps environ trois quarts d'heure appres le disner; car appres le souper ilz n'auront rien de plus empreint en leur memoire que les tenebres de la mort par celles de la nuict, leur vive image, y attendant en bons serviteurs l'evenement tant incertain et redoutable du Seigneur..

  A024004791 

 Voulant, avec son accoustumée saigesse, Monseigneur Reverendissime faire preuve de la devotion et constance desdictz Hermites durant deux années en l'exacte observation desdictes Reigles, pour en pouvoir appres utilement lascher ou tirer la bride selon l'exigence colligée de leur evenement, et pour ce, commandant qu'ilz ne s'obligent pas de vœu privé ny solemnel, mais seulement en leur ame de propos muable a son jugement:.

  A024004828 

 Mays si quelquefois ilz ne se treuvent pas en nombre suffisant pour chanter, alhors, si le restant est prestre, il dira a haute voix les Litanies des Saintz; si c'est un Frere laïc, il recitera les Litanies de Nostre Dame, lesquelles, a tout le moins, ne s'omettront jamais et que tous seront obligés de sçavoir par cœur..

  A024004858 

 Les femmes neanmoins y pourront entrer par tout, mays non pas coucher dans le dortoir.

  A024004860 

 Le jardin proche du logis de madame l'Abbesse peut encor servir a cela, et l'eglise du costé de l'autel, selon la diversité des occurrences, en observant tous-jours la bienseance de n'estre pas seules en un lieu, bien que seules elles parlent a ceux qui les viennent voir, pendant que celles qui viendront avec elles s'entretiendront a part avec toute modestie..

  A024004864 

 Elle tiendra tous-jours le premier rang apres l'Abbesse, en l'absence de laquelle toutesfois elle ne se mettra pas en sa place, mays en la premiere apres celle de l'Abbesse..

  A024004864 

 Que si les Religieuses n'en vouloyent pas faire d'eslection, madame l'Abbesse la pourra establir sans leur eslection.

  A024004888 

 Mais pour éviter les contestations, il sera mieux que ces Supérieurs ne sachent pas d'où est venu l'avis à la sacrée Congrégation des Réguliers..

  A024004929 

 Il y a, de plus, des Monasteres de Chanoines reguliers de Saint Augustin qui n'ont pas moins besoin d'estre reformés; ce que malaysement se pourra faire, sinon par changement d'Ordre.

  A024004929 

 Mais quant aux Monasteres de l'Ordre de Cisteaux, je ne voy pas qu'aucune reformation s'y puisse faire, sinon y mettant des Religieux Feuillans, comme on a fait a la Consolata de Thurin, a Pignerol et en [511] Abondance.

  A024004938 

 Il seroit requis qu'on retirast les troys Monasteres de Cisteaux dans les villes, affin que les (sic) deportemens fussent veus journellement, qu'elles fussent mieux assistees spirituellement et qu'elles ne demeurassent pas exposees aux courses des ennemis de la foy ou de l'Estat, a l'insolence des voleurs et au desordre de tant de visites vaynes et dangereuses des parens et amis.

  A024004938 

 Joint que de les [513] enfermer aux chams, esloignees d'assistance, c'est les faire prisonnieres miserables, mais non pas Religieuses ainsy que l'on pretend de faire par les bonnes exhortations qu'elles recevront dans les villes.


25-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XXV-Vol.4-Opuscules.html
  A025000007 

 Pas être utilisés à des fins commerciales de toute nature!.

  A025000306 

 Or, presque toutes, tant les unes que les autres, mais [4] notamment celles de la premiere bande, qui vivoyent en congregation, estoyent consacrees par des vœux publiqs et grandement celebres; car, qu'est ce que saint Ambroise ne dit pas a la vierge descheüe sur ce sujet? Et ne tesmoigne-il pas que sa seur sainte Marceline fut consacree par le Pape Libere en l'eglise de Saint Pierre de Rome, et le propre jour de Nouel? Certes, c'estoyent ordinairement les Evesques qui celebroyent ces consecrations, comme il est ordonné au Concile de Cartage, auquel le grand saint Augustin assista, et par saint Leon le premier, escrivant aux Evesques d'Allemaigne et de France; et est commandé dans le Pontifical que l'on ne les face qu'es jours de feste ou de Dimanche..

  A025000307 

 Mays quand je dis qu'elles estoyent consacrees par des vœux celebres et publiqs, je ne veux pas pourtant dire qu'ilz fussent solemnelz de la solemnité dont les scholastiques et canonistes parlent, par laquelle les mariages contractés par les Religieuses sont totalement invalides; car encor que d'un commun consentement de tous les saintz Peres, et selon la parole du grand Apostre, les vierges et vefves qui par vœu et profession publique estoyent sacrees a Dieu, ayent tous-jours esté tenues en execration l'ors qu'elles rompoyent et violoyent leur vœu, si est ce que, comme dit clairement saint Augustin au livre Du bien de la viduité, leurs mariages subsistoyent; l'invalidité de telles noces ayant seulement esté introduite, premierement par l'authorité ordinaire de quelques Evesques en leurs diocœses, puis par le Concile general tenu a Rome environ l'an 1136 ou 1139 sous Innocent second.

  A025000311 

 Comme par exemple: cette Regle commande qu'on vaque soigneusement aux prieres, et les Constitutions particularisent le tems, la quantité et la qualité des prieres qu'il faut faire; la Regle ordonne qu'on ne regarde pas indiscrettement les hommes, et les Constitutions enseignent comme, pour executer cette Regle, il faut tenir la veüe basse, et le voyle sur le visage en diverses occurrences: de sorte que, pour le dire en un mot, la Regle enseigne ce qu'il faut faire, et les Constitutions comme on le doit faire.

  A025000314 

 Or, bien que cette Regle soit visiblement tressainte et que, comme appreuvee de l'Eglise, elle doive estre hors de toute censure, ains que le seul nom de celuy qui l'escrivit la deust rendre venerable a tous ceux qui portent [10] le tiltre de chrestien, si est-ce que la folle temerité des enfans du monde ne laisse pas de vouloir y treuver je ne sçay quoy a dire, par maniere d'affectee curiosité.

  A025000315 

 Ce que le glorieux Pere commande: «Avant toutes choses, que l'on ayme Dieu et le prochain,» n'est pas mis en sa Regle comme pour vouloir faire penser qu'il soit l'autheur de ces commandemens; car, qui ne sçait que non seulement ilz sont de Dieu, ains qu'ilz sont le suc, la moelle et l'abregé de toute la loy de Dieu? Mays ce que Dieu a commandé, ce sien serviteur le recommande comme la fin et prœtention unique pour laquelle il a dressé sa Regle et sa Congregation, et a laquelle tout se rapporte..

  A025000316 

 Ce qu'il dit: «Ce sont icy les choses que nous vous commandons a ce que vous les observies,» ne doit donner aucun scrupule aux Seurs, comme si cette Regle obligeoit en tous les articles sous peyne de peché; car cela n'est pas, ainsy que, apres le grand saint Thomas, les Docteurs plus asseurés ont observé.

  A025000316 

 Et de fait, la parole latine de praecepte, dont saint Augustin use, ne porte pas tous-jours force de commandement absolu, ains fort souvent signifie la methode, le moyen, la maniere, l'instruction et l'art pour bien faire quelque chose; voyre mesme elle est prise quelquefois pour un simple advis de ce qui est expedient.

  A025000317 

 Et certes, puisqu'aussi bien faut: il ordinairement que les Superieurs moderent ou aggravent les loix punitives par la consideration des diverses circonstances qui accroissent ou diminuent les fautes, n'est-il pas bon de laisser les impositions des pœnitences a leur jugement et prudence?.

  A025000318 

 Il y a voirement en cette Regle quelques articles qui semblent n'avoir plus aucun usage: comme par exemple, de n'aller aux bains que tous les moys et que les Seurs ne sortent pas qu'accompagnees; car on ne doit plus sortir maintenant que pour des causes si grandes, si necessaires et rares qu'on peut dire en verité que les Seurs observantes ne sortent jamais.

  A025000319 

 En l'article qui dit: «Domtés vostre chair par jeusnes et abstinences selon que vostre santé le permet,» le bienheureux Pere ne donne pas liberté pour cela a chasque Religieuse de faire des austerités de sa teste, ni de discerner ce que sa santé luy permet; car au contraire, comm'il est porté en un autre article, c'est a la Superieure de faire distribuer les vivres, non egalement a toutes, mais a chacune selon quil est expedient.

  A025000320 

 Mais par ce que ces motz ne sont pas usités, on les a peu et deu changer en ceux de Mere, ou Abbesse, ou bien Prieure, ou Superieure; et par ce que le dernier et le premier de ceux ci sont plus simples et signifient la mesme chose que celuy de Praeposee, il a esté treuvé bon que vous les retinssies, notamment celuy de Mere, dautant que le saint Pere dit en fin: «Que les Seurs obeissent a la Superieure comme a leur Mere.».

  A025000321 

 Il est dit au bout de la Regle: «Que l'on obeisse a la Superieure, et beaucoup plus au Prestre qui a soin de toutes.» Mays, qui est donq ce «Prestre qui a soin de toutes»? Certes, dautant qu'en la Regle des Freres aussi bien qu'en celle des Seurs cett'obeissance au Prestre est souvent inculquee, ceux que j'ay veu des interpretes de cette Regle ont creu que c'estoyt l'Evesque; «dautant [13],» dit un d'entre eux, qui a fait de bonnes et belles remarques sur icelle, «que les Chanoynes reguliers en dependoyent; mays despuis que les Evesques et leur clergé se sont, par dispense apostolique, secularisés, cest ordre n'est plus gardé.» Or, a la verité dire, quant a ce point je ne puis consentir a cette interpretation; car encor qu'au commencement de l'Eglise les noms de praestre et d'Evesque fussent souvent confondus et passassent l'un pour l'autre, ainsy qu'il est aysé a voir es Actes et es Epitres des saintz Apostres, si est ce que du tems de saint Augustin ces motz n'estoyent plus en cet usage et n'appelloyt on pas les prestres Evesques, ni les Evesques simplement prestres, comme luy mesme le tesmoigne en l'epistre [14] quil a escrite a saint Hierosme; et ne me souviens pas que jamais saint Augustin en ayt usé autrement.

  A025000322 

 Mais pour tout cela il ne s'ensuit pas que les [16] Evesques soyent ou fussent les Prestres de ces Monasteres, ains ilz en ont ou avoyent seulement la surintendance et jurisdiction generale, comme des autres eglises non exemptes, de leurs diocaeses..

  A025000324 

 Ce qui est defendu que l'on ne porte pas les voyles si desliés qu'on puisse voir, a travers, la coeffeure, c'est parce qu'en Afrique, païs extremement chaud, les filles et femmes ne plioyent leurs cheveux qu'avec des petites coeffes de filet qu'on appelle en latin retiola, comme petitz retz et filetz, et en françois «du lacis», comme petitz laqs ou lacetz.

  A025000324 

 Mais de deça, les coeffeures des Religieuses observantes sont d'autre sorte, outre qu'elles se tondent; et toutefois ne laissent pas de devoir observer que leurs voyles ne soyent pas transparens..

  A025000325 

 Je n'ay pas estendu au long ce que le saint Pere met en l'article par lequel il defend l'amitié sensuelle entre les Seurs; d'autant que, selon la necessité de ce tems la et de la province en laquelle il vivoit, il marque certaines particularités peu conneues es contrees de deça, et dont la malice porte quant et soy tant d'horreur qu'il n'est pas besoin d'en exprimer plus clairement la prohibition..

  A025000326 

 Ce que porte la Regle de demander «tous les jours les livres a l'heure assignee,» regarde ce tems la, auquel l'imprimerie n'estant pas encor exercee, on ne pouvoit pas [18] avoir les livres a commodité, ains estoit requis de les lire l'un apres l'autre..

  A025000327 

 Donq ce n'est pas merveille s'il les permet aux Seurs, selon que la coustume de ce païs-la et le conseil des medecins le requeroit; puisque principalement il advertit si soigneusement qu'on n'en use pas pour playsir, ains seulement ou pour la netteté, ou pour la santé..

  A025000328 

 Certes, saint Policarpe, disciple des Apostres, au recit de saint Irenee a tesmoigné que le glorieux saint Jean Evangeliste entrant en un bain a Ephese pour se laver, et y treuvant Cerinthus, haeresiarque, dit a ceux qui estoyent avec luy: «Retirons nous hastivement d'icy, de peur que nous ne soyons accablés de la cheute de cette estuve en laquelle est l'ennemi de la verité.» Ce grand Disciple bien-aymé de Nostre Seigneur ne faysant donq point de difficulté [19] d'aller aux bains, qui pourra, je vous prie, censurer la douceur de saint Augustin s'il en permet l'usage aux Seurs de son Ordre? Je voy que quelques uns ont attribué cette action de saint Jean a une speciale inspiration, comme s'il fut allé aux bains pour avoir sujet de dire la celebre parole qu'il y dit contre Cerinthus; et je voys quant et quant que ce sentiment merite voyrement de n'estre pas mesprisé, a cause du credit que les autheurs d'iceluy ont justement merité parmi les amateurs des Lettres sacrees.

  A025000330 

 Car, quant a moy, je l'avois des-ja bien veue en la belle epistre 109 de saint Augustin; mais, ni je n'en avois [21] pas la memoire presente, ni je ne dressay pas ces Constitutions selon mon seul entendement, ains beaucoup plus selon la devote inclination des ames qui furent si heureuses d'estre appellees par l'Esprit de Dieu pour commencer cette si pieuse maniere de vie.

  A025000331 

 Mais a la verité, voyant vostre Congregation petite en nombre au commencement, et toutefois grande en desir de se perfectionner de plus en plus au tressaint amour de Dieu et en l'abnegation de tout autre amour, je fus obligé de l'assister soigneusement; me resouvenant bien que Nostre Seigneur, ainsy qu'il dit luy mesme, vint en ce monde pour le bien de ses brebis, non seulement affin qu'elles eussent la vraye vie, ains aussi affin qu'elles l'eussent plus abondamment; et que, pour la leur faire avoir plus abondante, il ne faut pas seulement les induire a l'observance des commandemens, mais encor a celle des conseilz; et qu'en cela ceux de ma condition doivent rendre fidele service a ce divin Maistre, puisque, comme dit saint Ambroyse, ç'a tous-jours esté une particuliere grace aux Evesques de semer les graines de l'integrité et d'exciter es ames le desir et le soin de la virginité, comme firent jadis les premiers et plus grans serviteurs de Dieu et Pasteurs de l'Eglise.

  A025000343 

 Et il ny a point de doute pour ceux qui ont tant soit peu hanté les escritz des anciens Peres, que toutes ces Congregations de femmes ne fussent establies par des vœux publiqs et grandement celebres; car, qu'est ce que S t Ambroyse ne dit pas sur ce sujet a la vierge decheue? Et ne tesmoigne-il pas que sa seur S te Marcelline fut consacree le jour de Noel, en l'eglise de S t Pierre, par le Pape Liberius?.

  A025000344 

 Mays, pour parler avec les scholastiques et canonistes, ilz n'estoyent pas pourtant marqués de la marque de solemnité que despuis on y a adjousté, par laquelle les mariages contractés par les Religieuses professes sont invalides; car encor que d'un commun consentement de tous les saintz Pere ( sic ) et selon l'expresse parole du saint Apostre, les vierges ou vefves qui par vœu et profession publique estoyent consacrees, ayt ( sic ) tous-jours esté tenues en execration lors qu'elles rompoyent et violoyent leurs vœux, ou par mariage ou autrement, [26] si est ce que, comme dit clairement S t Augustin au livre Du bien de la viduité, leurs mariages subsistoyent; l'invalidité d'iceux ayant seulement esté introduite par droit ecclesiastique, et premierement par authorité de quelques Evesques en leurs dioceses, puis par le Concile general tenu a Rome l'an 1139, sous Innocent second.

  A025000349 

 En l'article qui dit aux Seurs: «Domtes vostre chair par jeusnes et abstinence de manger et boire autant que vostre santé le permet,» S t Augustin ne donne pas pour cela liberté a chasque Religieuse de faire des austerités a son gré, ni de discerner quand sa santé luy permet de jeusner ou ne jeusner pas; car il est porté en un autre article, que c'est a la Superieure de faire distribuer les vivres, non egalement a toutes, mais a chacune selon quil est requis.

  A025000354 

 Il faut neantmoins confesser qu'en ces contrees de deça il n'est pas si necessaire de parler clairement de ce malheur qui ny est aussi pas maintenant si frequent..

  A025000354 

 Mays par ce qu'en ce tems le nom de telz pechés n'est jamais tant censuré qu'estant prononcé par ceux qui ne les nomment que pour les reprendre, corriger et detester, je n'ay pas estendu au long tout ce qu'en escrit le s t Pere; quoy que devant toute sorte de juste juge on deut pouvoir parler en asseurance apres un maistre de telle authorité.

  A025000373 

 Et que vous ne disies pas que quelque chose soit a vous en proprieté, mais que toutes choses vous soyent communes..

  A025000377 

 Et que ce qui est requis pour la nourriture et les vestemens soit distribué a une chacune d'entre vous par vostre Superieure, non pas egalement a toutes, parce que vous n'estes pas toutes de mesme complexion, mais a une chacune [32] selon qu'il sera besoin; car ainsy lises vous es Actes des Apostres (chapitres 2 et 4), que toutes choses leur estoyent communes et qu'on distribuoit a un chacun en particulier selon sa necessité..

  A025000378 

 Et toutefois, qu'on baille ce qui est necessaire pour leur infirmité, quoy que leur pauvreté n'eust pas peu mesme treuver les choses qui leur estoyent necessaires tandis qu'elles estoyent au siecle; et que, pour cela, elles ne pensent pas d'estre heureuses si elles ont treuvé la nourriture et les vestemens telz qu'elles ne les eussent peu treuver dehors..

  A025000378 

 Que celles qui avoyent quelque chose au siecle lhors de leur entree au monastere, veuillent librement que cela soit commun; mais celles qui n'avoyent rien, qu'elles ne recherchent pas au monastere ce que mesme elles n'ont pas peu avoir hors d'iceluy.

  A025000382 

 Et qu'elles ne levent point la teste pour estre associees a celles qu'elles n'osoyent pas approcher au siecle, mais qu'elles levent leur cœur en haut et ne cherchent point les biens terriens, affin que les monasteres ne deviennent utiles aux riches et non aux pauvres, si les riches y sont humiliees et les pauvres y sont enflees.

  A025000387 

 Quand vous pries Dieu par Psalmes et cantiques, que ce que vous prononces de voix soit pareillement en vostre cœur; et ne chantes sinon ce que vous lises devoir estre chanté; mays ce qui n'est pas escrit pour estre chanté ne le chantes pas..

  A025000391 

 Or, quand quelque une ne peut porter le jeusne, que toutefois elle ne mange pas hors le repas, sinon qu'elle fut malade..

  A025000395 

 Venant a table, oyes sans bruit ni contention ce que selon la coustume on lira, jusques a ce que vous vous levies; et que vostre gosier seul ne reçoive pas la viande, mais que vos oreilles reçoivent pareillement la parole de Dieu..

  A025000396 

 Et qu'elles ne les estiment pas plus heureuses dequoy elles mangent ce qu'elles mesmes ne mangent pas; mais que plus tost elles se res-jouissent en elles mesmes de ce qu'elles sont plus robustes qu'icelles et peuvent ce qu'icelles ne peuvent pas..

  A025000396 

 Si on traitte differemment en viandes celles qui sont [34] delicates par l'accoustumance passee, cela ne doit pas fascher les autres qui par une autre accoustumance sont rendues plus fortes, ni ne leur doit pas sembler injuste.

  A025000397 

 Et celles ci qui sont plus vigoureuses ne se doivent pas troubler si elles voyent que, plus tost par support et compassion que par honneur, celles-la reçoivent des meilleures portions, affin que cette detestable perversité n'advienne, qu'au monastere ou, tant qu'il se peut, les riches sont rendues laborieuses, les pauvres soyent faites delicates..

  A025000397 

 Et si on donne quelque chose en viandes, en habitz, en lit, en couvertes, a celles qui viennent d'entre les delicatesses du monde au monastere, de plus qu'on ne donne aux plus robustes, et par consequent plus heureuses, celles ci auxquelles on ne donne pas ces particularités doivent penser combien celles la se sont demises de leur vie mondaine pour venir a la monastique, quoy que elles ne puissent pas arriver jusques a la sobrieté et frugalité des autres qui sont de plus forte complexion.

  A025000401 

 Celles-la se doivent estimer plus riches qui sont plus robustes pour supporter l'abstinence; car il est mieux de n'avoir pas besoin de beaucoup que d'avoir beaucoup..

  A025000405 

 Que vostre habit ne soit point remarquable et n'affectes pas de plaire par les habitz du cors, mais par les habitudes du cœur; et que vos voyles ne soyent pas si rares que vos coeffeures puissent paroistre au dessous.

  A025000410 

 Et celle qui arreste son œil sur un homme et ayme qu'iceluy arreste aussi son œil en elle, ne doit nullement penser de n'estre pas veue en cett'action: certes, ell' est regardee, et par ceux qu'elle ne pense pas.

  A025000410 

 Et ne dites pas que vostre intention est pudique si vous aves les yeux impudiques; car l'œil impudique est messager du cœur impudique.

  A025000410 

 Mays, soit que nul ni prenne garde: comme se cachera elle de ce Spectateur d'en haut auquel rien ne peut estre caché? Doit on, je vous prie, estimer qu'il ne void pas nos actions par ce qu'il les void dautant plus patiemment qu'il les void plus sagement? Qu'a Celuy la donq la femme sainte craigne de desplaire, affin qu'elle ne veuille meschamment plaire a l'homme.

  A025000410 

 Si vous jettes vos yeux sur quelqu'un, ne les arrestes toutefois sur aucun, car allant dehors il ne vous est pas defendu de voir les hommes; mais de les convoyter, ou [36] vouloir estre convoitee par iceux, c'est une faute criminelle; ni ce n'est pas seulement par le toucher, mais aussi par l'affection et par le regard que la femme est convoytee et convoyte.

  A025000415 

 Car si vostre Seur avoit un ulcere au cors qu'elle volut estre celé, crainte qu'on ne luy fit quelque incision, ne series vous pas cruelle en vous taysant et benigne en le revelant? Combien plus donq deves vous manifester l'ulcere spirituel, affin qu'il ne pourrisse plus dangereusement au cœur..

  A025000415 

 Et ne juges pas qu'en descouvrant ce mal vous commetties aucune malveillance; car plus tost estes vous coulpables lors que en accusant les fautes de vos Seurs vous les pouves faire amender, et en vous taysant vous permettes qu'elles perissent.

  A025000419 

 Mays avant qu'on face prendre garde de la faute aux autres, par lesquelles, en cas qu'elle la nie, elle puisse estre convaincue, si apres la premiere admonition elle ne se corrige pas il faut premierement advertir la Superieure, affin que, sil se peut, estant plus secretement corrigee, il ne soit besoin que les autres le sachent.

  A025000423 

 Et ceci ne se fait pas avec cruauté, mais avec misericorde, affin que par une pestilente contagion elle ne perde plusieurs autres Seurs.

  A025000431 

 Et s'il se peut faire, ne prenes point garde a ce que l'on vous donnera a vestir, [39] selon les saysons, pour voir si l'on vous donnera les habitz que vous avies posés et remis, ou bien si l'on vous donne ceux qu'un'autre avoit portés, pourveu que ce qui est necessaire a une chacune ne luy soit pas refusé.

  A025000431 

 Que si pour ce sujet naissent entre vous des contentions et murmurations, quelqu'une par aventure se plaignant d'avoir des vestemens pires qu'elle n'avoit pas remis et d'estre tenue indigne de porter des habitz aussi bons qu'un'autre Seur, apprenes de cela combien vous estes mal en point es saintes habitudes interieures du cœur, qui estrives et debattes pour les habitz externes du cors..

  A025000438 

 Le lavement des cors et l'usage des bains ne soit pas frequent, ains soit accordé selon les intervales de tems accoustumés, c'est a dire une fois le moys.

  A025000438 

 Mays celle dont la necessité de maladie requiert qu'elle se baigne, qu'on ne retarde pas davantage, ains que cela se face sans murmuration, par l'advis du medecin, en sorte que, quand mesme elle ne le voudrait pas, il soit fait ce quil faut faire pour sa santé.

  A025000438 

 Que si elle veut le bain et qu'il ne soit pas expedient pour sa santé, que l'on ne seconde pas en cela son affection; car quelquefois ce qui delecte semble estre profitable, encor qu'il nuyse..

  A025000439 

 Si ce n'est pas chose asseuree, qu'on s'en conseille au medecin..

  A025000440 

 Et que les Seurs n'aillent point aux bains ni ailleurs, ou qu'il soit requis qu'elles aillent, moins de trois ensemble; et que celle qui a besoin d'aller en quelque part ny aille [41] pas avec celles qu'elle voudra, mais devra aller avec celles que la Superieure ordonnera..

  A025000445 

 Mays quant aux habitz et soliers, que celles qui les ont en garde ne different pas de les donner a celles qui en ont a faire..

  A025000449 

 Que vous n'ayes aucun proces, ou qu'au plus tost vous le terminies, affin que l'ire croissant ne se convertisse en hayne et face un poutre d'un festu, et ne face l'ame homicide; car ce n'est pas les hommes seulz que regarde ce qui est escrit: Celuy qui hait son frere est homicide; ains, au sexe des masles que Dieu crea le premier, le sexe des femmes a aussi receu ce commandement.

  A025000452 

 Celle qui ne veut pardonner a sa Seur ne doit point esperer de recevoir le fruit de l'orayson; mais celle laquelle ne veut jamais demander pardon ou qui ne le demande pas de bon cœur, est en vain dans le monastere, quoy qu'on ne la rejette pas d'iceluy.

  A025000452 

 Or, celle-la est meilleure laquelle, bien qu'elle soit souvent tentee de courroux, se haste toutefois d'impetrer le pardon de celle a laquelle elle connoist d'avoir fait l'injure, que n'est pas celle qui est plus tardifve a se courroucer et plus malaysement aussi se laisse persuader de demander pardon.

  A025000456 

 Mays quand la necessité de la correction vous pousse de dire des paroles aspres pour reprimer les inferieures, si en cela vous aves outrepassé la rayson on ne requiert pas de vous que vous leur demandies pardon, affin que, prattiquant une trop grande humilité envers celles qui doivent estre sujettes, on n'esnerve pas l'authorité de gouverner.

  A025000468 

 Or, affin que toutes ces choses soyent gardees et que si quelque chose n'est pas observee elle ne soit pas pourtant negligee, ains qu'on ayt soin de reparer et corriger le defaut, cela est principalement de la charge de la Superieure; en sorte qu'en ce qui est extraordinaire et qui excede sa capacité, elle s'en rapporte au Prestre qui a soin de vous..

  A025000471 

 Mays quant a elle, qu'elle ne s'estime pas heureuse pour l'authorité et maistrise qu'elle a, mays pour le devoir qu'elle a de rendre service aux autres avec charité..

  A025000473 

 Et que, bien que l'un et l'autre soit necessaire, que toutefois elle affectionne plus d'estre aymee que d'estre redoutee de vous, pensant tous-jours qu'elle doit rendre conte de vous a Dieu; et partant, obeyssant de plus en plus, n'ayes pas seulement pitié et compassion de vous mesmes, mays aussi d'elle, qui est en un peril dautant plus grand parmi vous qu'elle est en une charge plus relevee..

  A025000485 

 C'est assurément cette copie que le Fondateur revoyait lorsque, le 7 août 1621, il écrivait à la Sainte: «Il n'y a pas moyen de vous envoyer les Constitutions jusques a la semaine suivante; car il faut que je les revoye, ayant des-ja, des le commencement, treuvé des fautes en l'escriture.» (Tome XX, p. 127.) En effet, à la sixième page nous remarquons à la Constitution De l'obeissance deux corrections de sa main.

  A025000488 

 Cette copie est postérieure à celle de la Sœur Favrot, car toutes les modifications faites à cette dernière y figurent non pas en sur [47] charge ou dans les interlignes, mais dans le texte même.

  A025000488 

 «Voyla les Constitutions,» écrit le Fondateur à la Mère de Chantal le 21 septembre 1621 (tome XX, p. 152); et vers la fin de la lettre il ajoute: «Il sembleroit bon que l'on mist es Constitutions que la Superieure puisse changer les officieres a son gré parmi l'annee, mais je n'ay pas eu le loysir de l'inserer: faites le, s'il vous plait, a l'endroit le plus convenable.» (Page 155; cf. ibid., p. 142.) L'addition indiquée se trouve à la fin de la Constitution XLVII e, De l'election de la Superieure et autres Officieres; la Sainte l'a écrite sur une bande de papier, épinglée ensuite au commencement de la page où se termine cette Constitution dans le Manuscrit qui nous occupe..

  A025000491 

 Les approbations de Robert Berthelot, évêque de Damas, de Nicolas Ménard, chanoine de Saint-Nizier à Lyon, et la permission du Vicaire général, Thomas de Meschatin La Faye, qui autorisèrent l'impression de 1619, n'y sont pas reproduites; la seule Approbation de saint François de Sales, 9 octobre 1618, y est insérée..

  A025000496 

 Au sujet de ce titre qui manque au Manuscrit, sainte Jeanne-Françoise de Chantal écrivait à la Mère Favre le 17 octobre 1618 ( Lettres, vol. I, p. 282): «Demandez à notre très cher Père, Monseigneur, s'il ne faut pas mettre un titre au fin premier chapitre de nos Constitutions: De la fin pour laquelle elles ont été dressées; et comme il le vous dira vous l'y ferez mettre lorsque nous vous envoierons les Règles.» La Mère Favre était alors à Lyon, où saint François de Sales devait s'arrêter avec l'ambassade du prince cardinal Maurice de Savoie; mais cet arrêt fut si court qu'il eut à peine le temps de voir ses Filles.

  A025000496 

 L'ordre suivi n'est pas celui qui fut adopté pour l'imprimé; les Constitutions ne sont pas numérotées, sauf les trois premières, auxquelles le Saint a ajouté en marge des chiffres arabes.

  A025000496 

 — La première Constitution, De la fin pour laquelle cette Congregation a esté erigee, n'a pas de titre, tandis qu'elle en a un dans l'édition de 1619 où elle est donnée sans numéro d'ordre.

  A025000507 

 Plusieurs filles et femmes, divinement inspirees, aspirent bien souvent a la vie religieuse, qui toutefois, ou par imbecillité de leur complexion naturelle, ou pour estre des-ja affoiblies par l'aage, ou en fin pour n'estre pas attirees a la prattique des austerités et rigueurs exterieures, ne peuvent pas entrer es Religions esquelles on est obligé a des grandes penitences corporelles, comme sont la pluspart des Congregations reformees qu'on void par deça; et par ce moyen sont contraintes de s'arrester emmi le tracas ordinaire du monde, exposees aux continuelles occasions de pecher, ou du moins de perdre la ferveur de la devotion.

  A025000515 

 Les Seurs de la Congregation seront de trois rangs: les unes seront Choristes, c'est a dire employees a l'Office sacré du chœur pour y chanter les Heures; les autres seront les Seurs Associees, c'est a dire, lesquelles n'ayant pas les forces et les talens de dire et chanter les Offices, sont neanmoins admises en la Congregation pour y prattiquer les autres exercices spirituelz et tout le reste de la vie religieuse; les autres sont les Seurs Domestiques..

  A025000516 

 Quant aux Seurs Associees, elles ne laisseront pas d'estre capables de toutes les charges du Monastere, excepté celle de l'Assistente, et auront voix active et passive tout de mesme que les Seurs Choristes.

  A025000517 

 Quant a celles qui pour leur long travail, ou pour avoir quelque infirmité d'aage ou de maladie devront estre soulagees, et neanmoins ne seront pas propres pour les autres rangs, on leur prouvoira de repos et de consolation en leur condition.

  A025000524 

 La clausure s'observera selon les propres termes du sacré Concile de Trente qui sont telz: «Qu'il ne soit loysible a aucune Religieuse, apres la Profession, de sortir du monastere, non pas mesme pour quelque tems, pour court et brief quil puisse estre, ni pour aucun praetexte que ce soit, si ce n'est pour quelque cause legitime qui doit estre appreuvee par l'Evesque.

  A025000534 

 Que si par quelque soudain et impreveu accident, ou faute d'attention, la Superieure ne commet pas la charge, celle des Seurs Surveillantes qui sera la plus ancienne en Religion l'exercera..

  A025000539 

 Puysque la pudicité est l'honneur du sexe feminin, et que le vœu de chasteté a tous-jours esté estimé fondamental es Congregations des filles et femmes, il n'est pas besoin de declarer combien les Seurs y sont obligees; car en somme, elles ne doivent vivre, respirer ni aspirer que pour leur Espoux caeleste, en toute honnesteté, pureté, netteté et sainteté d'esprit, de paroles, de maintien et d'actions, par une conversation immaculee et angelique.

  A025000596 

 Les Seurs demeureront ensemble es recreations et, faysant leurs ouvrages, s'entretiendront de quelques propos aggreables et saintement joyeux, avec paix, douceur et simplicité; et pourront mesme parler les unes avec les autres en particulier, en telle sorte neanmoins qu'elles ne soyent pas moins de quatre ou cinq qui se puissent entendre les unes les autres, sans toutefois dire des choses messeantes et inciviles, ni raillier ou dire paroles de mespris sur le sujet des nations, provinces ou naissances..

  A025000623 

 Chasque Seur lira sa semaine a table en son rang, et tour a tour, hormis la Superieure, sauf si quelqu'une, pour avoir la voix foible ou pour ne sçavoir pas convenablement lire doive estre pour cela exceptee.

  A025000647 

 Et tant pour l'election comme pour la deposition, on rapportera a l'Evesque ou a son Vicayre general ce qui aura esté fait, affin qu'il l'appreuve, et qu'en cas que le Pere spirituel et la Superieure ne fussent pas de mesme advis, il determinast l'election ou la deposition par son authorité..

  A025000653 

 Or, ledit Confesseur prendra garde, tout de mesme que l'ordinaire, de ne point imposer de penitences ni donner aucun advis qui puisse contrarier a l'ordre ou a l'esprit de cet Institut: comme seroit s'il leur imposoit ou qu'il leur conseillast de demeurer en priere pendant les assemblees, de se lever avant l'heure, ou de veiller et de demeurer en quelque exercice apres l'heure ordinaire de [76] la retraitte, ou de ne point se recreer au tems des recreations, ou de jeusner plus souvent que les autres, ou de caresmer es tems esquelz la Congregation ne caresme pas..

  A025000669 

 La Superieure tiendra par tout le premier rang et l'Assistente le second, comme vicaire de la Superieure; mais elles ne laisseront pas pour cela de s'exercer aux offices de l'humilité, comme de ballier, laver les escuelles, nettoyer les malades une chacune a son tour.

  A025000679 

 Qu'elles ne contestent point, non pas mesme en choses legeres..

  A025000695 

 Que si la faute estoit d'importance et secrette, celle qui l'aura apperceue fera doucement et amiablement la correction fraternelle, selon l'Evangile, jusques a trois foys; apres quoy, si la defaillante persevere en ses fautes, elle sera deferee a la seule Superieure, affin que par tous les moyens possibles elle y remedie; mays si la faute n'est pas secrette, elle en advertira la Superieure d'abord.

  A025000728 

 Elle eslevera avec un amour paternel les Seurs qui, comme petitz enfans, seront encor foibles en la devotion, se resouvenant de ce que dit saint Bernard a ceux qui servent les ames: «La charge des ames,» dit il, n'est pas des ames fortes, mais «des infirmes; car si quelqu'un te secourt plus qu'il n'est secouru de toy, reconnois que tu es non son pere, mais son pair.» Les justes et parfaitz n'ont point besoin de superieur et conducteur; ilz sont eux mesmes leur loy et leur direction, par la grace de Dieu, et font asses sans qu'on leur commande.

  A025000728 

 La Superieure, donq, doit estre principalement pour les imbecilles et debiles, bien qu'aussi elle ne doive pas abandonner les parfaites, affin qu'elles perseverent sans se relascher..

  A025000729 

 Et partant, qu'elle prenne garde aux necessités des Seurs selon la sincerité de la dilection chrestienne et non selon les inclinations naturelles, et sans avoir esgard a l'extraction ou origine des filles, a la gentillesse de leurs espritz, bonnes mines et autres telles conditions attrayantes [88]; et qu'elle ne familiarise pas en telle sorte avec les unes que cela puisse servir de tentation d'envie aux autres..

  A025000731 

 Qu'elle ne concede point aysement a pas une l'usage des Sacremens plus frequent que celuy qui est porté par les Constitutions, de peur qu'en lieu d'une amoureuse et respectueuse Communion, il ne s'en face plusieurs par imitation, jalousie, propre estime et vanité..

  A025000743 

 Et neanmoins, bien qu'elle ne soit pas obligee de suivre le conseil, si est ce qu'elle doit l'escouter avec [91] tranquillité et suavité, sans tesmoigner aucun mespris ni desdain, affin de laisser la liberté et confiance aux Seurs de dire ce qui leur semblera bon..

  A025000743 

 Or il ne s'ensuit pas pourtant que la Superieure doive tous-jours suivre le conseil des dites Seurs; ains suffit qu'elle l'entende pour mieux se resoudre elle mesme a ce que, selon Dieu, elle estimera estre plus convenable, apres avoir bien consideré et pesé ce que lesdites Seurs auront allegué et remonstré.

  A025000745 

 Or, en toutes occurrences esquelles le Pere spirituel et la Superieure ne se treuveront pas de mesme advis, on recourra a l'Evesque ou a son Vicayre general, qui marquera ce qui devra estre suivi et determiné..

  A025000755 

 En toutes les occasions esquelles la Superieure ne pourra pas estre presente, l'Assistente tiendra le pouvoir et le lieu d'icelle (horsmis au chœur, ou elle se tiendra en sa place, qui sera tous-jours la premiere et la plus honnorable apres celle de la Superieure), et par consequent elle sera soigneuse de se treuver par tout ou les Seurs seront assemblees, pour les tenir en respect et faire observer la Regle..

  A025000758 

 Elle deputera toutes les semaines les lectures, tant pour la premiere que seconde table, et corrigera les defautz de celles qui liront, si elles lisent trop precipitamment, ou qu'elles ne prononcent pas bien, ou qu'elles facent quelque autre manquement; mays elle fera elle mesme la lecture qui se fait le soir pour la meditation du lendemain, ou bien la fera faire par quelque Seur qui lise bien et clairement..

  A025000760 

 S'il se presente quelque affaire duquel on ne puisse differer la resolution, Ihors que la Superieure empeschee de maladie ou autrement n'y pourra pas prouvoir, elle s'en resoudra elle mesme avec l'advis des Seurs que la Superieure employe pour se conseiller, en advertissant par apres la Superieure si tost qu'il se pourra bonnement faire..

  A025000767 

 De la bonne nourriture et direction des Novices depend la conservation et le bonheur de la Congregation: et partant, la Directrice qui en doit avoir le soin ne doit pas seulement estre discrette, douce et devote, mays elle doit estre la douceur, sagesse et devotion mesme, pour, avec un amour plus que maternel, eslever ses Novices de degré en degré a la perfection religieuse, comme des futures espouses du Filz de Dieu..

  A025000769 

 Et ne fera pas moins, en tout ce qui a esté dit, pour les Seurs Domestiques et Associees que pour les autres, en ce que leur capacité pourra porter..

  A025000778 

 Or, bien qu'elle puisse diversifier les exercices spirituelz selon les occurrences, elle ne pourra neanmoins en admettre [98] de nouveaux et extraordinaires sans l'advis du Pere spirituel et de la Superieure; et qu'elle prenne garde a ce que les Novices ne soyent pas chargees d'exercices, soit spirituelz, soit temporelz..

  A025000793 

 La Superieure choysira a son gré une des Seurs qui aura charge de l'admonester des fautes qu'elle commettra, et a laquelle toutes les Seurs s'addresseront pour faire faire la correction par icelle a la Superieure, affin que la Superieure, qui doit ayder et corriger toutes les autres, ne demeure pas elle seule privee du bien d'estre aydee et corrigee.

  A025000819 

 La Portiere doit estre grandement discrette pour faire sagement les responces et messages qui viennent en la Mayson et en sortent, pour faire doucement attendre les personnes auxquelles on ne peut pas donner satisfaction sur le champ..

  A025000838 

 Elle ira le matin, avant que sonner l'orayson, par toutes les cellules des Seurs pour voir si quelqu'une, par incommodité, ne peut pas venir a l'Office; et si elle en treuve, elle en advertira la Superieure..

  A025000871 

 Les Seins employees a la cuysine et autres services du mesnage le feront avec allegresse et consolation, se resouvenant que sainte Marthe le fit, se representant les petites mays douces meditations que faysoit sainte Catherine de Sienne, laquelle, parmi des semblables exercices, ne laissoit pas d'estre ravie en Dieu.

  A025000884 

 Elles observeront les jeusnes comme les autres et communieront tous les Dimanches et bonnes festes; diront tous les jours le Chapelet, feront l'examen qui se fait apres Matines; les Dimanches et festes, ne se treuvans pas occupees, elles assisteront a Vespres.

  A025000885 

 En tout, la [110] Superieure leur commandera avec amour, et les Seurs les nommeront seurs, se resouvenant que, quoy qu'elles servent a l'exterieur, elles ne laissent pas, selon l'interieur, d'estre filles de Dieu, coheritieres de Jesus Christ, esgales en nature et en la praetention de la grace et de la gloire aux plus grandes du monde; et qu'en fin, comme dit saint Paul, elles et nous n'avons qu'un seul Maistre, Jesus Christ, esgalement Seigneur et Sauveur des unes et des autres..

  A025000888 

 Elles ne doivent entrer en aucune mayson ni manger dehors sans l'avoir demandé a la Superieure, sinon qu'il y eust quelque necessité qu'elles n'eussent pas peu prevoir avant que sortir; ni ne parleront ni s'amuseront par les rues, sinon pour les affaires qu'elles y auront..

  A025000900 

 Et ce pendant, on la fera preparer par meditations et oraysons a faire une bonne confession generale, sinon qu'elle l'eust des-ja faite, en sorte que le Pere spirituel et la Superieure jugeassent qu'il ne fust pas expedient de la refaire encor une foys; auquel cas on luy fera seulement faire une confession despuis la generale qu'elle aura faite.

  A025000919 

 S'il y a des Seurs qui ne sçachent pas escrire, il les fera venir au parloir et luy mesme escrira leurs billetz.

  A025000922 

 Et s'il n'y en a pas au Monastere, on en pourra eslire une des autres Monasteres du mesme Institut de la Visitation; ou du moins faudra-il que celle qui sera esleuë ayt cinq ans de Profession et trente ans d'aage, selon que le sacré Concile l'ordonne..

  A025000928 

 Mays s'il arrivoit, ce que Dieu ne veuille jamais permettre, que quelqu'une se rendist tout a fait incorrigible et incurable en son obstination, alhors il faudroit assembler le Chapitre devant le Pere spirituel pour prouvoir de remede; et s'il estoit expedient, on en conferera non seulement avec le Pere spirituel, mays aussi avec l'Evesque, s'il est au lieu, ou s'il n'y est pas, avec son Vicayre general, pour prendre tous les moyens requis et convenables affin de remedier a ce mal.

  A025000940 

 Mays, comme il appert, ce n'est pas la Regle ni les Constitutions qui en ces cas causent le peché, ains les circonstances qui de leur nature le causeroyent en toutes autres occasions; car ce seroit tous-jours peché aux seculiers mesme de faire ce qui est peché en soy, de laisser ce qui est requis au salut, d'enfreindre quelque loy par mespris, de violer les vœux, de scandaliser le prochain, de se relascher a quelque passion desordonnee..

  A025000940 

 Quand on fait quelque manquement en la Regle par quelque desordonnee passion: comme, par exemple, de [120] n'aller pas au chœur aux heures marquees par une grande negligence et paresse; de manger hors du repas par une grande avidité et friandise; de rompre le silence, par cholere, et autres semblables, bien que telz pechés ne soyent pas souvent mortelz.

  A025000960 

 Ces Regles dressees par ceste grande lumiere de l'Eglise sainct Augustin, et les Constitutions y adjointes par une autre grande lumiere de ce siecle, sont autant de rayons qui, faisants jour aux ames assizes en tenebres et a l'ombre du monde, addressent leurs pas au chemin de la paix et du repos interieur, les conduisant efficacement à la perfection religieuse apres les avoir souefvement introduictes à la vie devote et faict savourer le sacré miel de l'amour de Dieu.

  A025000982 

 Quel mal y aurait-il qu'elles y assistassent, encore qu'elles n'y chanteraient pas, ou comme elles pourraient? car au moins seraient-elles en la Communauté..

  A025000997 

 P. B. — Page 137: J'ôterais ce mot de «dormir demi heure», non qu'elles ne le puissent faire, mais afin que les séculiers ne s'en édifient pas mal: en France ce n'est pas la coutume..

  A025001038 

 Je crois qu'il serait aussi à propos de dire un mot aux Religieuses quelle est la confiance et obéissance qu'elles lui doivent, parce qu'à l'ordinaire on ne lui parle pas de l'intérieur..

  A025001052 

 Il n'a pas égard que l'Institut a commence à Annecy.

  A025001060 

 P. B. — Page 234: Le Confesseur y peut-il pas bien servir, puisque le secret de la confession lui donne tant d'avantage et de liberté? [130].

  A025001070 

 Tout ceci ne seroit pas receu en Italie..

  A025001089 

 Le lieu d'impression n'est pas indiqué, mais il est évident qu'elle se fit dans la capitale, où la Mère gouvernait le second Monastère..

  A025001090 

 Plusieurs réimpressions du Directoire, cependant, ont omis le membre de phrase indiqué; il faut croire que les éditeurs n'avaient pas connaissance de la lettre de la Mère de Chantal.

  A025001091 

 En 1633, Vincent de Cœursilly, à Lyon, fit une nouvelle édition de la Regle... et Constitutions et Directoire, avec les trois Souhaits et l' Exercice de l'union; mais le premier article: Intentions generales pour les Sœurs, n'y est pas donné.

  A025001092 

 Pour «ageancer» ce qui n'était pas coordonné, sainte Jeanne de Chantal [133] y mit-elle parfois du sien? Il est permis de le croire, quand on voit l'addition de fragments considérables qui n'existent pas dans le Directoire manuscrit; mais il est certain qu'elle a toujours interprété la pensée de son Bienheureux Père, si elle n'en a pas reproduit textuellement les paroles..

  A025001115 

 O vray Dieu, mais qui me fera tant de grace que le Tout Puissant escoute mon desir, et que luy mesme escrive ce livre, affin que je le porte sur mes espaules, et que je m'en environne comme d'une couronne, et que je le prononce a chasque pas, et que je le luy offre comm' a un Prince? [135].

  A025001116 

 Ouy, Seigneur JESUS, escoutes l'exclamation que mon cœur fait pour vos servantes: escrives vous mesme en ce livre, et ne permettes pas qu'aucune y mette jamais son nom que par vostre inspiration et mouvement, affin que ce volume soit un manteau d'honneur sur mes espaules et une couronne de gloire sur ma teste.

  A025001132 

 D'autres fois: En ce jour la, o mon Dieu, vous m'appelleres et je vous respondray; vous donneres vostre dextre a l'ouvrage de vos mains; vous aves conté tous mes pas..

  A025001134 

 Hé, mon Dieu, ne permettes pas que je paroisse nue de bonnes œuvres devant vostre face.

  A025001142 

 Comme aussi elles pourront tenir cette methode en tous leurs autres exercices, affin qu'elles portent a chacun d'iceux l'esprit qui leur convient; car il ne faut pas une mesme action et contenance au chœur qu'a la recreation.

  A025001147 

 Mays la principale attention et le plus grand soin que doivent avoir les Seurs qui ne sont pas encor habituees a l'Office, c'est de bien prononcer, faire les accens, pauses, mediations, de prevoir ce qu'elles ont a dire selon les charges qui leur sont donnees, se tenir prestes pour commencer, et faire les ceremonies avec gravité et bienseance, sans exceder en la crainte de faillir non plus qu'en la presomption de bien faire.

  A025001164 

 Si en s'examinant elles ne peuvent rien remarquer, qu'elles s'abbaissent profondement devant Dieu et luy rendent graces, confessant neanmoins qu'elles ont fait plusieurs fautes dont elles n'ont pas memoyre ni connoissance..

  A025001166 

 En l'examen du matin il n'est pas requis d'y apporter [143] tant de formalités, ains seulement, apres le Pater, Ave Maria et Credo, il faut dire le Confiteor, et regarder un peu comme l'on s'est comporté la matinee es Offices et oraysons; puis, si on treuve quelque faute, l'adjouster aux precedentes et faire l'acte de contrition avec le ferme propos de s'amender..

  A025001172 

 Que les Seurs n'aillent pas au refectoir seulement pour manger, ains pour obeir a Dieu et a la Regle, ouyr la sainte lecture, dire les coulpes, recevoir les advertissemens et faire les mortifications qui y sont pour l'ordinaire prattiquees; et que, partant, elles y entrent avec gravité et modestie, les robbes abattues et les yeux en terre.

  A025001182 

 Qu'elles ne sortent point de table sans s'estre mortifiees en quelque chose; et que neanmoins elles usent sans scrupule ni ceremonie des viandes qui leur seront donnees pour le soulagement de leur infirmité, prenant indifferemment de la main de Nostre Seigneur, tant pour les viandes que pour toutes autres choses, ce qu'elles aymeront comme ce qu'elles n'aymeront pas; voire mesme en l'infirmerie, ou elles se rendront douces, patientes et obeissantes a l'Infirmiere [146], et recevront ce qui leur sera donné avec action de graces, reconnoissant qu'elles ne meritent pas un si bon et charitable traittement..

  A025001187 

 Les Seurs Domestiques et Despensiere qui auront des coulpes a dire les diront au mesme tems, puis se retireront; et la semainiere commencera le De profundis, que toutes poursuivront alternativement, et apres, les Seurs, deux a deux, une de chasque chœur, s'advanceront l'une aupres de l'autre, au droit de leur place, pour faire l'enclin a la Superieure, et s'en iront en silence jusques au lieu de la recreation, excepté la lectrice de la seconde table qui rentrera et commencera sa lecture, et la finira de mesme qu'a la premiere table, ne relisant pas ce qui a esté leu..

  A025001190 

 Les jours de festes et de Chapitre on ne dira point de coulpes ni on ne fera point d'advertissemens au refectoir, comme aussi quand la Superieure ni l'Assistente ne s'y treuveront pas, sinon que [la Supérieure] nomme une Seur pour les recevoir..

  A025001196 

 Si quelques unes estoyent sujettes a parler d'elles mesmes, a faire des esclatz de rire, parler trop haut et fort, et telles autres immodesties, qu'elles fassent en entrant un petit regard sur cette imperfection et se resolvent d'estre sur leur garde affin de n'y pas tomber, invoquant pour cela la grace du Saint Esprit et le secours de leurs bons Anges..

  A025001197 

 Qu'elles n'estiment pas que ce soit peu de vertu de faire la recreation comme il faut, et que, partant, elles n'y viennent par coustume et par maniere d'acquit, ains avec preparation et devotion..

  A025001254 

 Qu'elles soyent tres exactes a garder l'honnesteté et sainte pudeur, ne se descouvrant en aucune façon, ni regardant leur cors nud; et soyent soigneuses qu'on ne les voye point en se couchant lhors qu'elles n'auront pas chacune leur chambre..

  A025001269 

 Comme aussi, leur estant enjointes quelques penitences extraordinaires et hors du train de la Communauté, elles diront: Mon Pere, je supplie tres humblement Vostre Reverence de me changer cette penitence, car je ne pourrois pas bonnement l'accomplir..

  A025001270 

 Si les Confesseurs les enquierent de quelque chose qui ne soit pas de la confession, comme par exemple, de quelque tentation, exercice ou difficulté, elles pourront, si elles veulent, respondre en ce qui les touche seulement; mais si elles ne desirent pas d'en parler avec eux, elles diront: Mon Pere, excuses moy, s'il vous plaist; je crains de m'embrouiller l'esprit en parlant de cela; je n'en ay, graces a Dieu, aucun scrupule ni remords de conscience..

  A025001275 

 Les Seurs oyant sonner la Confession, se rendront si a propos au lieu que la Superieure ordonnera, que l'on n'aye pas la peyne de les aller chercher ailleurs..

  A025001280 

 Or, pour s'y mieux preparer, le soir devant que de la [159] faire, il sera bon en l'orayson et en son recueillement de dresser quelque peu sa pensee a Nostre Seigneur en ce saint Sacrement, excitant en son ame une sainte reverence et joye spirituelle de devoir estre si heureuse que de recevoir nostre doux Sauveur; et alhors il faut faire nouvelle resolution de le servir fervemment, laquelle elles pourront reconfirmer l'ayant receu, non pas par vœu, mais par un bon et saint propos..

  A025001297 

 Quand la Superieure communiera extraordinairement, cela n'empeschera pas que troys Seurs ne communient avec elle, excepté quand ce sera a son tour de la Communion journaliere..

  A025001299 

 On ne dit rien de l'orayson, parce que l' Introduction a [164] la Vie devote suffit pour y dresser les ames qui n'en ont pas encor l'usage, et le Traitté de l'Amour de Dieu et plusieurs autres livres qui traittent de cette matiere, avec les Entretiens, fourniront suffisamment de lumiere et d'addresse aux plus advancees; et qu'en fin, le Saint Esprit est le vray Directeur en ce chemin, quoy qu'il faille tous-jours marcher appuyees sur le conseil de la Superieure, laquelle, autant qu'il luy sera possible, doit ayder et advancer les ames en cet exercice, comme tres important et utile en la vie spirituelle..

  A025001302 

 Et de plus, s'il se treuve [165] quelques ames, voire mesme au Novitiat, qui craignent trop d'assujettir leur esprit aux exercices marqués, pourveu que cette crainte ne procede pas de caprice, outrecuidance, desdain ou chagrin, c'est a la prudente Maistresse de les conduire par une autre voye, bien que, pour l'ordinaire, celle ci soit utile, ainsy que l'experience le fait voir..

  A025001307 

 Mais quand elles seront aux assemblees ou la Superieure sera presente, il ne sera pas besoin qu'elles se levent lhors que la Directrice entrera ou sortira, ains seulement elles feront l'enclin de la teste.

  A025001315 

 Les Novices ne lairront pas de faire leurs ouvrages au novitiat en tous tems, excepté lhors que la Directrice [167] leur parlera a toutes en commun le mercredy matin, apres les coulpes.

  A025001331 

 Or, ce n'est pas a dire que les Seurs puissent d'elles mesmes donner aucune chose, car il ne leur est pas seulement loysible de se prester ou [171] donner les unes aux autres chose quelconque sans licence.

  A025001364 

 Et quand celuy qui fera l'action ne fera pas le sermon, on mettra deux chaires: l'une pour le celebrant, l'autre pour le praedicateur; et le predicateur, s'il n'est Evesque, prendra la benediction du celebrant..

  A025001387 

 Que s'il ny a pas suffisamment de clercz pour faire cet office-la, on mettra lesditz voyles et habitz sur une petite table aupres de l'autel, avec l'eau benite, le tout bien ageancé et accommodé.

  A025001422 

 Ce qui se fera le plus vistement qu'on pourra, affin de ne pas faire beaucoup attendre le Celebrant, lequel aussi, de son costé, s'estant retiré dans la sacristie des Prestres, se preparera pour venir dire la sainte Messe a mesme tems que les Seurs avec la nouvelle Novice seront retournees au chœur, et auront achevé de chanter, ou tous, ou partie des Psaumes marqués pour cet effect..

  A025001429 

 La Messe estant dite, si l'exhortation n'a pas esté faitte au commencement, elle se pourra faire immediatement apres l'Evangile de saint Jean.

  A025001433 

 Et si elles sont deux ou plusieurs, l'une commencera a la Superieure et l'autre a l'Assistente, et poursuivront chacune son chœur jusques a la fin, qu'elles feront la genuflexion contre l'autel et reviendront ensemblement faire l'enclin a la Superieure, poursuivant de donner le bayser de paix chacune du costé ou elle ne l'avoit pas donné: [183] en sorte que celle qui avoit commencé a la Superieure reviendra a l'Assistente, poursuivant son chœur de cet endroit la; et celle qui avoit commencé par l'Assistente recommence a la Superieure, en poursuivant aussi jusques a la fin de ce chœur la, ou se rencontrans, elles feront derechef la genuflexion ensemblement contre l'autel, et se donneront le bayser de paix l'une a l'autre..

  A025001447 

 La Novice, donq, estant a genoux au milieu du chœur, a trois pas de la grille, ayant a ses costés la Superieure et l'Assistente, dira en voix intelligible:.

  A025001606 

 Il est a noter que tandis qu'on fait le sermon, les Seurs devront estre assises de chœur en chœur en leurs sieges, excepté la Novice et les assistentes, qui sont sur des sieges a trois ou quatre pas de la grille, eslevés..

  A025001651 

 F n'en parle pas..

  A025001654 

 G ne se contredisent pas; la question du vocable ayant été assez débattue dès les débuts de la fondation, notre Saint put se décider et en parler à la Mère de Chantal avant le 1 er juillet, voire même rédiger le premier article des Constitutions avant cette date, tout en se réservant d'annoncer ce jour-là à ses Filles la résolution prise..

  A025001667 

 Des retouches ne furent pas faites au Manuscrit après janvier 1611; plusieurs preuves pourraient être alléguées, mais nous n'en citerons que deux:.

  A025001668 

 Or, comme nous l'avons remarqué ci-dessus, le premier article des Constitutions désigne sous le titre de «Bienheureux» l'Archevêque de Milan, et n'a pas été corrigé par le Fondateur qui, cependant, a fait sur la même page deux modifications..

  A025001668 

 — Le décret de Canonisation de saint Charles Borromée fut rendu le 1 er novembre 1610; la nouvelle ne dut pas trop tarder à arriver à Annecy.

  A025001676 

 Avant d'aborder la question de la date, quelques observations ne seront pas inutiles..

  A025001681 

 C'est quelques jours avant l'«Oblation» des trois premières Mères que fut réglée la manière d'arranger le voile; elle est indiquée, avec le reste du costume religieux, dans le Manuscrit qui nous occupe, tandis qu'il n'en est pas question dans le Ms.

  A025001682 

 D'autre part, ce Manuscrit est antérieur au mois de décembre 1614, car le voile blanc n'y est pas encore prescrit pour les Novices; et, en effet, les premières voilées furent les Sœurs Paule-Jéronyme de Monthoux et Jeanne-Marie de la Croix, dont la vêture eut lieu le 27 décembre 1614.

  A025001685 

 b) Une autre addition, article 3, pour l'entrée des «peres, filz, freres,... oncles», en cas de très grave maladie, n'aurait-elle pas été motivée par les grandes maladies de la Mère de Chantal et par celle de Sœur Claude-Françoise Roget qui mourut en juin 1613? (Voir tomes XV, note (307), p. 106, et XVI, Lettre DCCCXCII).

  A025001688 

 Ne serait-ce pas à la suite de ces faits que le Saint aurait écrit dans ses Constitutions: «Et bien que l'on pourra visiter et servir les malades riches, et principalement les dames et bourgeoises qui seront devotes et affectionnees a la Congregation...»?.

  A025001688 

 e) Au mois de janvier 1612 commença la visite des malades, mais l'article qui concerne l'élection des visiteuses n'était, peut-être, pas encore rédigé.

  A025001706 

 En quoy il y a beaucoup de perte et de sujetz de compassion; car, qui n'auroit pitié d'une ame bien vertueuse, laquelle ayant un extreme desir de se perfectionner et vivre toute a Dieu, ne peut neanmoins le faire qu'avec mille difficultés et mille peynes, faute d'avoir un cors asses fort et une complexion saine, la poursuite qu'elle desire faire de la sainteté, estant retardee par le manquement de la santé? Et n'est ce pas dommage de voir une vefve, laquelle n'aura peut estre bonnement d'affaires domestiques qu'elle ne puisse despecher en huit ou quinze jours chasqu'annee, pour ces huit ou quinze jours croupir et tremper toute l'annee dans les embarrassemens et inquietudes du mesnage, avec beaucoup de danger de perdre l'affection qu'ell'aura a sa viduité et a la continence viduale? [212].

  A025001706 

 Plusieurs femmes et filles vertueuses desirent bien souvent de consacrer tous les momens de leur vie a l'amour et service de Dieu; lesquelles neanmoins, pour l'imbecillité de leur complexion corporelle, ou pour estre des-ja affaiblies par l'aage, ou mesme pour avoir urgente obligation d'ordonner de tems en tems des affaires de leur mayson, ou bien, en fin, pour n'estre pas disposees ni inspirees [211] d'embrasser une vie austere et rigoureuse, né peuvent pas entrer es Religions formelles, et par consequent sont contraintes d'arrester au monde emmi les tracas ordinaires d'iceluy, exposees aux perpetuelles distractions et aux dangers et occasions de pecher et vivre sans devotion.

  A025001708 

 Il est vray que les Congregations erigees par saint Charles Borromee n'obligent pas des filles a se retirer ensemblement dans une mayson, bien que plusieurs neanmoins l'ayent fait avec une tres grande utilité et edification dans la ville de Milan, ou il y a plusieurs telles Congregations retirees ensemblement dans les maysons; ains et seulement [à] s'assembler de tems en tems pour rendre conte de leur vie et s'unir en leur entreprise.

  A025001719 

 Plusieurs femmes et filles ont souvent des grans desirs de servir purement et particulierement a Nostre Seigneur en luy dediant et consacrant tout leur estre et tous les momens de leur vie, lesquelles neanmoins, ou pour l'imbecillité de leur [santé et] complexion corporelle, ou pour estre des-ja trop aagees, ou [bien encor] pour avoir des urgentes [necessités] obligations de revoir a certains tems les choses de leurs maysons, ou en fin pour [n'avoir pas l'esprit disposé a vouloir...] n'estre pas inspirees ni disposees a embrassé [211] ( sic ) un Institut austere, ne [pourroyent] peuvent pas entrer en une Religion formelle.

  A025001723 

 On pourra donq recevoir en cette Congregation les vefves desquelles les enfans sont dehors de leurs maysons [214], comme aux estudes, aux cours et ailleurs, bien qu'elles fussent obligees d'avoir le soin general d'iceux et de leurs affaires; pourveu que tel soin ne les oblige pas a resider en leur mesnage, ains puisse estre executé en peu de jours, comme seroit de faire rendre conte a ceux qui manient leurs affaires une foys l'annee, et telles autres occurrences; car pour cet effect telles vefves pourront aller ou il sera requis, sous les conditions qui seront dittes ci apres..

  A025001725 

 Or, sur toutes les qualités requises a celles qui entreront, on doit rechercher qu'elles ayent une tres profonde resolution [215] de mespriser le monde, vivre humblement, doucement et avec une parfaitte obeissance; car cette Congregation n'ayant pas beaucoup d'austerités ni des liens si indissolubles comme les Religions formelles et Congregations regulieres, il faut que la ferveur de la charité et la force d'une tres intime resolution suppleent a tout cela et tiennent heu de loix, de vœux et de jurisdiction, affin qu'en cette Congregation soit verifié le dire de l'Apostre qui asseure que le lien de la charité est le lien de la perfection..

  A025001733 

 Sur toutes les qualités requises a celles qui entreront, on doit rechercher l'humilité et soupplesse de cœur; car cette Congregation [215] n'ayant pas beaucoup d'austerités, ni des regles si fortes comme celles des Religions, il faut que la douceur et bonté du cœur supplee a tout cela, et qu'elles [y soyent comme ces petitz enfans qui se layssent conduire par la main en toute simplicité...] servent de [murailles], loix, de vœux et de jurisdiction..

  A025001740 

 Que sil se peut bonnement faire, telz parens n'entreront qu'avec le medecin ou Confesseur, affin qu'on ne multiplie pas les entrees.

  A025001756 

 On excepte neanmoins les femmes estrangeres qui en autre tems n'auroyent pas commodité, lesquelles pourront estre consolees; comme aussi celles de la ville en cas que quelque urgente necessité spirituelle le requist..

  A025001778 

 Si les Dames de cette Congregation observent tant de discretion et de bon ordre a l'entree des personnes de dehors en leur Mayson, elles en doivent encor plus avoir es sorties qu'elles feront, afïin que, comme le monde n'entre point en leur Mayson encor que les personnes du monde y entrent, on puisse aussi dire qu'elles ne vont pas au monde encor qu'elles aillent parmi les lieux et personnes du monde, et qu'elles soyent comme l'huyle qui, passant entre les autres liqueurs, n'est pourtant jamais confuse, meslee ou alteree entre icelles..

  A025001795 

 [Cette Congregation estant erig...] Les Dames de la Congregation observant tant de discretion et de bon ordre en ce qui regarde l'entree des personnes de dehors vers elles, n'en doivent pas moins observer es sorties qu'elles feront, affin que, comme par les regles sus escrittes on empesche que le monde n'entre en leur Mayson avec les personnes [mondaines] du monde, aussi, par autres regles, on puisse les empescher d'entrer au monde lhors qu'elles sortiront et seront parmi les personnes du monde; [ains que, comm'un huile sacré, elles se meslent tellement...] car, comme l'huyle [se meslant avec...] passant entre les autres liqueurs n'est jamais pourtant confus ni meslé avec icelles, ainsy [doivent] les ames de cette Congregation [avoir un cœur si bien fait et des si bonnes...] doivent sortir emmi le monde sans s'affectionner au monde, ni s'infecter du monde..

  A025001810 

 Et quant aux sermons, les Seurs y pourront aller tantost les unes, tantost les autres, principalement a certains sermons signalés, n'estant pas expedient qu'elles viennent communement, tant pour eviter une trop grande distraction que pour garder la bienseance de leur retraitte.

  A025001814 

 Elles pourront aussi sortir pour quelques grandes et extraordinaires œuvres de pieté, comme pour gaigner les Jubilés, esquelz il est porté que toutes personnes qui n'observent pas la rigoureuse clausure soyent tenues, pour gaigner l'Indulgence, de visiter les eglises.

  A025001821 

 Et la Superieure dira: Treuves vous pas [qu'il est juste] que je sois du nombre de celles qui exerceront cette charité, avec la Seur Assistente et la Seur Directrice?.

  A025001830 

 Quant aux hommes, elles ne les visiteront point que pour des maladies griefves et fortes, et lhors qu'ilz commenceront a se remettre elles cesseront de les visiter, ne laissant pas, en ce qu'elles pourront, de leur procurer du soulagement sans y venir elles mesmes; mays quant aux femmes, elles les assisteront tandis qu'elles auront besoin, sans tant de considerations.

  A025001832 

 Si quelqu'un apres estre gueri veut remercier celles qui l'auront assisté, on ne le permettra pas, si quelque speciale consideration n'invite a cela; ains la Superieure, ou telle autre des Seurs qu'elle treuvera mieux, ira recevoir les remerciemens au nom de la Superieure, le plus court oysement que se pourra, sans affectation.

  A025001871 

 Que si celle qui aura charge de lire prend le soin de prevoir la lecture qu'elle devra faire, pour la rendre plus fructueuse, ce sera chose fort aggreable a Dieu, et imitera le grand saint Thomas d'Acquin lequel, quoy quil fust le plus docte homme qui aye jamais esté despuis saint Augustin, ne laissoit pas de prevoir tous-jours la Messe avant que la dire..

  A025001880 

 Elles pourront es recreations s'entretenir toutes ensemble (sinon que la Superieure les dispensast de se separer de ce que bon leur semblera, faysant neanmoins quelque besoigne legere qui ne requiere pas beaucoup d'attention, et laquelle puisse estre faitte negligemment et avec interruption..

  A025001893 

 Mays touchant le vœu de pauvreté, elles ne le feront pas quant a la proprieté sinon pour les biens qu'elles ou leurs parens auront volontairement donnés a la Congregation; car quant aux autres, elles ne feront ledit vœu sinon pour l'usufruit et l'usage, lequel elles sousmettront a la disposition de la Congregation, comme font [les] Oblatz de Saint Ambroyse.

  A025001897 

 Et affin que toute affection qui pourroit naistre dans le cœur des Seurs soit retranchee et qu'on voue en la Congregation une parfaitte abnegation des choses exterieures et de toute proprieté, on ne servira pas une des Seurs de ce qu'elle aura apporté en la Mayson ou de ce qu'on aura donné a sa contemplation, ains indifferemment.

  A025001900 

 En fin, si ce n'estoit qu'a cause de la diversité des statures et tailles on ne peut pas se servir les unes des robbes des autres, on en feroit de mesme des robbes et de tous autres habitz, pour lesquelz neanmoins, estans tous de mesme façon et de vile estoffe, il n'y a pas de l'apparence qu'aucune doive avoir de particuliere affection..

  A025001903 

 La Superieure sera par tout la premiere, et ne laissera pourtant pas de faire les exercices communs de l'humilité et les services de la Mayson a son tour comme les autres: comme de ballier, laver les escuelles, nettoyer les malades [248] et autres.

  A025001913 

 Aux portes, neanmoins, et es autres occasions qui ne regardent pas les seances, les jeunes s'humilieront beaucoup devant les vielles, encor que les vielles fussent [249] arrivees en la Mayson les [dernières]; et les vielles ne mespriseront point la jeunesse des jeunes, ains toutes, avec une genereuse et noble humilité, se previendront les unes les autres en honneur et respect, ainsy que l'Apostre l'ordonne..

  A025001918 

 Mays si la faute n'est pas secrette, elle en advertira la Superieure.

  A025001938 

 Quand il plaira a Nostre Seigneur que les Seurs ayent un lieu propre, elles s'essayeront d'attirer, les festes et Dimanches, les filles et femmes de la ville au lieu praeparé a cela, et qui ne sera pas dedans [le cours des] chambres et offices des Seurs, affin de les enseigner des exercices de pieté: comme de l'examen de conscience, de la preparation du matin, de la façon de dire le chapelet et la couronne, de se confesser et communier, et de bien faire l'orayson vocale..

  A025001953 

 C'est pourquoy il faut sçavoir que ces Constitutions et regles, ni mesme les commandemens de la Superieure, ou du Pere spirituel et de l'Evesque, n'obligent point a aucun peché ni mortel ni veniel, sinon quand on contreviendroit par mespris, ou quand la Superieure, ou le Pere spirituel, ou l'Evesque, es cas esquelz la direction leur appartient, commanderoit [en vertu...] sous peyne d'encourir la deobeissance, [car alhors on ne pourroit pas des-obeir sans vray mespris...] ou que la chose commandee seroit de grand'importance..

  A025001956 

 [257] Or, la Superieure n'ordonnera pas cela qu'avec prudence et discretion, et se gardera bien de faire reprendre publiquement de chose qui peut infamer et qui d'ailleurs ne soit pas conneue..

  A025001961 

 Et ce respect amoureux qu'elles se doivent rendre requiert qu'elles ne s'interrompent point les unes les autres lhors qu'elles parleront, specialement quand on rapporte les lectures, que l'on parle de choses bonnes; et qu'elles ne contestent point, non pas mesme en chose legere..

  A025001968 

 Les [259] festes et Dimanches, si elles ne sont pas occupees, elles assisteront a Vespres et a la lecture qui se fait devant Vespres.

  A025001975 

 En toutes les occasions esquelles la Superieure ne pourra pas estre presente, l'Assistente tiendra le pouvoir et la place d'icelle, et par consequent sera soigneuse de se treuver par tout ou les Seurs seront assemblees, pour les tenir en respect et faire observer la Regle..

  A025002035 

 Ainsy doivent elles, tant qu'il leur sera possible parmi leur petit labeur, tenir leurs cœurs recueillis et eslevés en Dieu, et par ce moyen elles n'auront pas moins aggreable leur service fait par l'action que si elles estoyent tous-jours en contemplation.

  A025002035 

 Les Seurs qui seront employees en cet office de la cuysine doivent estre contentes et consolees de rendre aux espouses de Nostre Seigneur le mesme service que sainte Marthe, qui estoit une grande dame, luy rendoit, apprestant les viandes pour luy et pour ses Apostres; se souvenant aussi des petites meditations que faysoit sainte Catherine de Sienne, laquelle en semblable exercice ne laissoit pas d'estre ravie en extase.

  A025002043 

 Elle eslevera avec un amour maternel les filles qui, comme petitz enfans, sont encor foibles en la devotion, se resouvenant de ce que dit saint Bernard a ceux qui servent aux ames: «La charge des ames,» dit il, n'est pas des ames fortes, mays «des ames infirmes; car si quelqu'un te donne plus de secours quil n'en reçoit de toy, reconnois que tu es non pere, mais pair en son endroit.» Les justes et les parfaitz n'ont point besoin de superieur et de conducteur; ilz se servent de loy a eux mesmes et font asses sans qu'on leur commande.

  A025002043 

 La Superieure, donq, et guide de cette Congregation, doit estre principalement pour les debiles et foibles, comme les medecins pour les malades; bien qu'aussi ne doit elle pas abandonner les parfaittes, affin qu'elles ne se relaschent..

  A025002064 

 La reception des Novices se fera par [les Dames, en sorte que [273] les...] la Superieure, si, ayant pris les voix des Dames dediees, la plus part d'icelles y consent; [mais tous-jours pourtant avec l'advis du P. spirituel qui sera... lequel ne...] mais si la plus part consent a la reception et la Superieure ne consent pas, la Novice ne doit pas estre receiie, sinon que les deux partz des trois faysantes le tout ne consent.

  A025002068 

 Celle qui pretend entrer ayant asseurance de sa reception, entrera avec ses habitz ordinaires en la Mayson, et se praeparera par meditations et oraysons a une bonne confession generale, sinon qu'elle l'eust des-ja faite auparavant, en sorte que le Pere spirituel jugeast quil ne fust pas expedient de la refaire une autre foys..

  A025002075 

 Puis fera une entiere confession generale, sinon qu'elle l'eut faitte auparavant, en sorte que [la Superieure] le P. spirituel jugeat quil ne fut pas besoin de la faire un'autre fois..

  A025002080 

 On pourra donq ainsy retarder encor pour un'annee, apres laquelle, s'il se treuve quil ny aye point d'amendement ni volonté de s'amender, on luy donnera congé, la priant de se retirer en paix; mais si l'on void en elle une bonne volonté de s'amender, encor que pour son infirmité [277] elle ne soit pas du tout amendee, on luy donnera encor quelque tems, ou bien un'annee entiere, pour parachever son amendement..

  A025002084 

 Et la Superieure appellant a part soy celle de laquelle il s'agit, luy pourra dire a quoy il tient qu'on ne l'a pas receüe a l'offrande, par telles ou semblables paroles:.

  A025002086 

 Mays si l'on void en elle une bonne volonté de s'amender, encor que pour son infirmité elle ne se soit pas du tout amendee des fautes qu'on luy aura [277] marquees, on luy donnera encor quelques moys, ou mesme un'annee entiere pour parachever son amendement, l'encourageant a cela par paroles et promesses de l'ayder avec toute charité et confiance; et si, avec humilité, elle continue en son amendement, la Superieure la fera recevoir a l'offrande au tems qu'elle luy aura marqué..

  A025002148 

 Et neanmoins on procurera qu'au plus tost, et avec le moins de bruit que faire se pourra, elle sorte et s'en aille, avec ce qu'ell'aura apporté en la Mayson, selon ce qui est contenu en l'article De la pauvreté, ci-dessus; a quoy il faudra prouvoir de bon'heure, et qui neanmoins ne sera pas pour l'ordinaire si malaysé, puisque si on ne peut luy rendre l'argent, on luy rendra le bien qu'on en aura acheté, ou, en attendant, la cense convenable, jusques a ce qu'on ayt commodité de rendre le fond et principal..

  A025002150 

 Si donq une des Seurs, ce qu'a Dieu ne plaise, ne vouloit pas vivre selon la Regle, ains vouloit obstinement perseverer a la rompre, refusant les corrections et tesmoignant de ne vouloir point s'amender, en fin, apres qu'on auroit essayé par toutes voyes, et mesme avec du loysir, de la reduire a son devoir, si elle continuoit au mespris et s'obstinoit en son malheur, on la pourroit et devroit expulser et rejetter comme scandaleuse; car encor que le peché auquel elle s'obstineroit ne seroit pas scandaleux, l'obstination neanmoins seroit scandaleuse..

  A025002152 

 Mays si les deux tiers des voix ne concouroyent pas, on [289] delibereroit alhors des remedes propres a la correction de l'accusee, et pourroit on quelque tems apres remettre en deliberation son expulsion, en cas qu'elle perseverast en son mal..

  A025002160 

 Je ne voudrois pas que la femme die: Je suis infirme et d'imbecille condition.

  A025002164 

 La presumption et importune arrogance de plusieurs enfans de ce siecle, qui font profession de blasmer tout ce qui n'est pas selon leur esprit, blasphemans, comme dit un Apostre, tout ce qu'ilz ignorent, me donne occasion, ains me force de faire [291] cette Praeface, mes tres cheres Seurs, pour armer et mettre en defence vostre sainte vocation contre la pointe de leurs langues empestees; affin que les bonnes et pieuses ames, qui sans doute affectionneront vostre tant aymable et honnorable Institut, treuvant icy dequoy repouser ces traitz et fleches de la temerité de ces bigearres et insolens censeurs..

  A025002167 

 Ce sont les paroles du grand saint Basile, qui ne nie pas que la femme ne doive reconnoistre en l'homme l'advantage de la superiorité et praeeminence, trait de la ressemblance divine que l'homme a de plus que la femme, laquelle estant extraite de l'homme, est aussi faite pour luy; mais il veut bien pourtant qu'en tout le reste la femme est egale a l'homme, et sur tout en la prœtention de la grace et de la gloire, qui est le fruit de l'honneur que la nature humaine possede d'avoir esté faite a l'image et semblance de son Createur.

  A025002177 

 Le quatriesme rang est de certains Ordres que le Saint Siege a receu et appreuvé en tiltre de Religion, encor qu'ilz ne facent pas tous les vœux essentielz, et que, de plus, ilz ne facent que des vœux imparfaitz en comparayson des autres Religieux; d'autant qu'ilz ne vouent ni la chasteté absolue, ni la pauvreté entiere, ni l'obeissance que pour certaines actions.

  A025002178 

 En quoy il ny a rien de reprehensible, puisque le simple peuple n'est pas obligé de sçavoir les distinctions dont on use parmi ceux qui manient les affaires..

  A025002178 

 Et bien que anciennement, du tems de saint Augustin et de saint Hierosme, et en tous ces premiers siecles despuis les Apostres on appellast indistinctement Moynesses, Religieuses et Sanctimoniales toutes les femmes et filles qui se dedioyent a Dieu, ou en Congregation ou hors de Congregation, si est ce que maintenant [299] on ne parle pas comme cela selon le stile present de la Cour Romaine (qui en cecy doit estre suivi), ne plus ne moins qu'on n'appelle plus les Evesques Papes, tressaintz Peres, tres heureux Peres, Vostre Sainteté, Vostre Beatitude; qui sont neanmoins les tiltres ordinaires desquelz l'antiquité les honnoroit; l'usage, qui a toute authorité sur les paroles, ayant reservé ces eloges et appellations d'honneur au seul Evesque Romain qui tient la primauté de saint Pierre.

  A025002178 

 Le cinquiesme rang appartient a toutes les autres Congregations, tant d'hommes que de femmes, esquelles on s'oblige, soit par vœu simple, soit par oblation, soit par simple protestation et declaration publique, a la prattique des conseilz evangeliques; lesquelles, bien qu'elles soyent de beaucoup plus grande perfection que celles des Chevaliers mentionnés, quant a la prattique, ne sont pas neanmoins si avant dans l'estat de la perfection selon la police exterieure de l'Eglise, ni ne portent pas le tiltre de Religion entre ceux qui manient les affaires ecclesiastiques, puisque le Saint Siege ne leur donne pas ce nom, ains les laisse sous le simple nom de Congregations pieuses et devotes, comme tesmoigne le docteur Navarre en deux conseilz donnés pour les Dames oblates de la Tour des Mirouërs de Rome.

  A025002181 

 Certes, presque toutes les Religions, despuis plusieurs centaines, d'annes, praetendent tous-jours de se pouvoir estendre en [300] toute l'Eglise, sous l'obeissance d'un General qui gouverne par tout leurs Congregations, sans dependance de la jurisdiction ordinaire des Evesques: ce qui ne se peut faire que par la puissance generale du Saint Siege Apostolique, estant raysonnable qu'un Ordre qui se respand sur tout le cors de l'Eglise en ayt le congé du directeur universel d'icelle; car une Congregation dilatee parmi le Christianisme sous un chef extraordinaire, ne devroit elle pas estre appellee faction, monopole ou sedition, plustost que Religion, sinon qu'elle fut appreuvee de l'Eglise?.

  A025002182 

 Or, il ne suffirait pas pour cela qu'elle fut appreuvee par aucun Evesque particulier, car l'authorité des Evesques particuliers ne s'estend pas sur toute l'Eglise.

  A025002183 

 Elles n'ont point de jurisdiction ni aucune puissance qui s'estende hors d'une seule mayson; de sorte que, comme elles n'ont point de dependance hors des diocaeses esquelles elles sont, aussi l'Eglise les a tous-jours tenues pour suffisamment authorizees et canoniquement instituees quand elles ont esté erigees et appreuvees par l'authorité des Evesques des lieux ou elles se treuvent instituees, ne plus ne moins que les societés et autres confrairies pieuses; les Ordinaires demeurans, quant a cela, en leur ancienne authorité, puisqu'elle ne leur a esté limitee que pour le regard des Congregations lesquelles, selon le stile de ce tems, portent le tiltre de Religion, et qu'il ne faut pas estimer que le Saint [302] Siege ayt jamais voulu lier les mains aux inferieurs Prelatz, en ce qui ne regarde que leurs troupeaux particuliers et qui est convenable a l'avancement des ames en la perfection chrestienne..

  A025002188 

 En quelques Congregations on ne s'astreint pas par vœu, ains seulement par oblation et publique protestation: comme on fait a Romme en celle de sainte Françoise, ditte de la Tour des Mirouërs, et en la Congregation des Oblatz susmentionnés, en laquelle, bien qu'on puisse faire les vœux, comme il est porté au livre de leur Institut, si est ce que pour estre receu en icelle il suffit de faire l'oblation simple..

  A025002189 

 Or, l'oblation ou offrande n'oblige pas si fort que le vœu, quoy qu'elle oblige grandement; car le vœu estant une legitime et sainte promesse faite a Dieu, ceux qui le font [307] sont liés en trois façons: premierement, en vertu de la verité qui est tous-jours violee quand on rend volontairement fause la parole qu'on a donnee; secondement, en vertu de la bonne foy et loyauté qui est violee quand on trompe celuy a qui l'on a promis, ou que l'on fait ce que l'on peut pour le tromper; tiercement, en vertu de l'honneur et du respect que l'on doit a la souveraine majesté de Dieu, a laquelle on fait un mespris extreme de fauser la foy et loyauté que l'on luy doit, rendant la parole qu'on luy a donnee fause et mensongere.

  A025002190 

 Mais en l'offrande ou oblation, on ne promet rien expressement, ains seulement on declare et asseure l'affection que l'on a de servir Dieu; et partant, quand on manque, on ne peche pas contre la verité ni contre la loyauté, ains seulement contre la fermeté que l'on doit avoir en ses justes affections et contre la reverence que l'on doit a celuy a qui on s'est offert, quand il est personnage de respect.

  A025002191 

 Qu'elles ne sortent jamais, voire mesme pour un peu de tems, si ce n'est pour quelque cause legitime qui soit appreuvee par l'Evesque; 2. et que nul, quel qu'il soit, non pas mesme les femmes, ne puissent entrer en leurs monasteres sans la licence de l'Evesque ou du Superieur, obtenue par escrit, laquelle ne doit estre donnee que pour des cas necessaires..

  A025002192 

 Ce sont donq les deux articles necessaires de la closture des monasteres, qui, comme a sagement remarqué le docteur Navarrus, n'obligent que les Congregations qui sont erigees en tiltre de Religion; entre lesquelles ce decret neanmoins est diversement observé par l'introduction de diversité de clausures, toutes utiles, toutes selon Dieu, toutes tressaintes, d'autant que selon la varieté des lieux, des nations, des vocations on a jugé les causes des sorties et des entrees estre necessaires et legitimes en certains Monasteres et non pas es autres.

  A025002193 

 Du tems de sainte Claire, les Seurs converses entroyent et sortoyent librement pour le service des Monasteres: tesmoin celle laquelle, lhors que la Sainte luy lavoit les piedz, la blessa au visage, et l'advertissement qu'elle leur donne en la Regle de ne rapporter pas des nouvelles de dehors; comme aussi le glorieux saint Charles, avec les Evesques de sa province, permettent les entrees et sorties des dites converses selon les occurrences.

  A025002194 

 Certes, la clausure absolue, perpetuelle, rigoureuse et si estroitte, que plusieurs estiment estre la seule vraye clausure, ne fut jamais guere en usage parmy les anciens, desquelz la bienheureuse simplicité ne requeroit pas une si exacte rigueur; ains ilz se contentoyent d'une clausure moderee, qui avoit pour bornes la bienseance de la vocation [311] religieuse: en sorte que les hommes n'entrassent jamais es lieux des Religieuses sans cause tres urgente, et avec une circonspection qui ostast le juste sujet de tout sinistre soupçon, et que d'ailleurs les Religieuses ne sortissent non plus jamais que pour des bonnes et saintes occasions, avec tant de bienseance que nul ne peust avec rayson les blasmer.

  A025002194 

 Et par ainsy, cette absolue et rigoureuse clausure n'estoit pas jugee necessaire, laquelle neanmoins a despuis esté tres utilement introduite en plusieurs couvens..

  A025002196 

 Quand vous alles dehors, on ne vous defend pas de voir les hommes; mais de les desirer ou vouloir estre desirees d'eux, c'est un grand crime.».

  A025002197 

 Au cinquiesme Concile d'Orleans, celebré il y a plus de mille ans sous le Pape Virgile, il est ordonné que les filles qui entrent es Religions esquelles elles ne demeurent pas perpetuellement recluses, demeurent troys ans a faire leur probation en leur habit seculier..

  A025002197 

 Saint Bernard escrit un traitté De la façon de bien vivre a sa seur Religieuse, ou il tesmoigne clairement, par les advertissemens qu'il luy fait, qu'elle ne vivoit pas en l'extremité de la rigoureuse clausure.

  A025002197 

 Sainte Scholastique, seur de saint Benoist, ayant institué une Congregation de Religieuses, alloit toutes les annees visiter son frere; et la derniere fois qu'elle y fut, advint le miracle de la pluye et tempeste que Dieu fit venir expres pour arrester le glorieux patriarche saint Benoist qui ne vouloit pas demeurer davantage avec sa chere et sainte seur, ainsy que saint Gregoire et les autres autheurs ecclesiastiques racontent.

  A025002198 

 Car il faut considerer qu'a mesure que les Religions et Congregations des femmes sont dediees aux exercices de la vie contemplative, elles ont aussi besoin d'une plus estroitte clausure; de maniere qu'estant receues par l'Eglise a cette intention, et ayant d'ailleurs solemnisé le vœu de leur sousmission et obeissance pour tout ce qui est requis a l'exacte pratique de leur vocation speciale, c'est avec juste rayson qu'on leur impose une clausure exacte, quoy que non pas egalement rigoureuse a toutes, selon ce qui a esté dit ci dessus..

  A025002198 

 Que si la clausure moderee et terminee par la sainte bienseance de la vocation religieuse a esté suffisante et suffit encor pour maintenir en discipline reguliere plusieurs Congregations, et que le Concile de Trente estant [314] sainement entendu n'oblige pas a la plus rigoureuse, certes, a plus forte rayson les pieuses et devotes Congregations, qui ne sont point erigees en tiltre de Religion, seront tres suffisamment acheminees a la perfection de la vie chrestienne si elles observent fidelement une moyenne clausure, une chacune selon sa vocation.

  A025002199 

 Mays les simples Congregations n'estant pas instituees pour les seulz exercices de l'orayson, ains encor pour plusieurs autres, et estant introduites en l'Eglise pour des louables et sacrees retraites esquelles on ne solemnise [315] point les vœux, ains on les y fait simplement pour ce seul genre de vie, que le docte et pieux Navarrus appelle saint, certes il leur suffit de garder la clausure necessaire pour la bienseance de leur vocation; laquelle au reste les oblige estroit'tement de ne permettre non plus d'acces aux hommes en leurs maysons qu'on en permet es plus estroittes Religions, d'autant que cet article est essentiel a la conservation de la pudeur et chasteté des femmes consacrees a Dieu, et a tous-jours esté observé en toute Congregation de femmes; lesquelles, par la condition de leur propre estat, doivent estre separees d'habitation d'avec les hommes, sans leur permettre aucune entree que par une tres, urgente necessité.

  A025002202 

 Dieu a disposé plusieurs estages en sa mayson, et la hauteur et dignité des uns n'empesche pas l'utilité des autres.

  A025002202 

 Il y a beaucoup de gens qui, feignans de ne se pouvoir pas bien retirer du monde s'ilz sont quelque chose moins que Chartreux ou anachoretes, demeurent sous ce pretexte et se perdent emmi le monde.

  A025002204 

 Il arrive quelquefois que pour eviter un danger present, nous employons des remedes qui en engendrent de plus grans a l'advenir; l'esprit humain se contente maintesfois plus a se desfaire promptement des affaires que de demeurer longuement a les bien faire, et semble que le mal n'est pas mal quand il ne paroist pas..

  A025002205 

 En somme, si l'esprit de devotion regne dans les Congregations [319], une mediocre clausure suffira pour y faire des bonnes servantes de Dieu; s'il n'y regne pas, la plus estroitte clausure du monde ne suffira pas.

  A025002213 

 Or, une Congregation de cette sorte ne pourroit estre appreuvee par aucun Evesque particulier; car l'authorité des Evesques particuliers ne s'estend pas sur toute l'Eglise.

  A025002224 

 En quelques unes on ne s'astraint pas par vœu, ains seulement par oblation et publique protestation: comme on fait a Romme en la Congregation de sainte Françoise, ditte de la Tour des Mirouërs, et en la Congregation des Oblatz de S t Ambroyse a Milan, en laquelle, bien qu'on puisse faire les vœux, comm'il est porté en leur Institut, si est ce que pour estre receu en icelle il suffit de faire l'oblation simple..

  A025002225 

 Or, l'oblation ou offrande n'oblige pas si fort que le vœu; car au vœu il [y] a trois nœuds qui nous obligent: la verité, foy et loyauté que nous devons avoir en nos paroles, nous obligent d'observer nos legitimes promesses a un chascun, mais sur tout a [307] Dieu tout puissant auquel devans, outre cela, porter un souverain respect, c'est un acte d'irreverence extreme de ne point tenir les promesses et vœux que nous luy faysons.

  A025002226 

 Premierement, par la vertu de la vérité, qui est tous-jours violee quand volontairement on rend faulse sa parole; et partant, qui ne garde pas sa promesse, il viole la vertu de verité rendant sa parole fause.

  A025002227 

 De sorte que le lien de l'oblation est de grand'importance, quoy quil ne soit pas si fort comme celuy du vœu..

  A025002227 

 De sorte que, par l'oblation que l'on fait de soy mesme pour vivre en quelque Institut et Congregation, on ne fait pas a proprement parler une promesse, mais on donne neanmoins asseurance que l'on y vivra; et partant, de contrevenir a son oblation, c'est violer la fermeté que l'on doit avoir en ses bonnes resolutions et le respect que l'on doit a celuy auquel on s'est offert.

  A025002227 

 Mays en l'offrande ou oblation, par ce qu'on ne promet rien expressement, ains seulement on declare et asseure l'affection que l'on a de servir Dieu, quand on manque contre l'oblation on ne peche pas contre la verité ni contre la loyauté, ains seulement contre la fermeté en ses justes affections, et contre la reverence que l'on doit a celuy auquel on s'est offert, si c'est une personne digne de respect.

  A025002233 

 Et telle est la clausure de plusieurs Religieuses en divers endroitz du Christianisme, a laquelle quelques unes ont adjousté de ne lever jamais leurs voyles et de n'estre jamais veues, non pas mesme au travers des treilles..

  A025002233 

 L'autre partie de cette si estroitte clausure est que non seulement nul homme, mais non pas mesme aucune femme, pour quelqu'occasion que ce soit, ne puisse entrer dans le monastere, si ce n'est pour quelque necessité violente qui ne puisse estre evitee: comme pour reparer les edifices, medicamenter les malades, les confesser, communier, oindre de l'Extreme Unction et ensevelir.

  A025002234 

 Et par ainsy, cett'absolue et si rigoureuse clausure qui a, despuis peu, esté tres utilement introduite en plusieurs monasteres, n'estoit pas estimee essentiellement necessaire es Congregations anciennes, comme mesme elle n'est pas observee maintenant en plusieurs saintes Religions et Congregations ou la discipline religieuse ne laisse pas de fleurir grandement..

  A025002234 

 Or, cette clausure si estroitte estoit peu en usage parmi les anciens, desquelz la bienheureuse simplicité ne requeroit pas une si grande rigueur.

  A025002236 

 S t Augustin, en l'epistre cent et neufviesme, parlant a des Religieuses de son diocsese: «Quand vous alles dehors, on ne vous defend pas de voir les hommes; mais de les desirer ou vouloir estre desirees d'eux, c'est un grand crime.

  A025002243 

 A mesure que les Religions et Congregations des filles et femmes sont plus dediees aux exercices de la vie contemplative, elles ont aussi besoin d'une plus estroitte clausure, pour n'estre du tout point diverties; et d'autant qu'elles sont appreuvees par l'Eglise a cette seule intention, et que d'ailleurs elles ont solemnisé le vœu de leur sousmission pour tout ce qui est requis a l'exacte observance de leur vocation, c'est avec juste rayson que l'on leur impose a toutes une clausure exacte, quoy que non pas egalement rigoureuse, ainsy qu'il a esté dit ci dessus..

  A025002244 

 Mays les Congregations simples n'estant pas instituees pour les seulz exercices de l'orayson, ains pour ceux encor de la charité envers le prochain, estant receues et appreuvees de l'Eglise pour des simples, louables et saintes retraites esquelles d'ailleurs [315] on ne fait les oblations ou vœux a Dieu que pour cette seule vocation et genre de vie que le sçavant et tant pieux Navarrus, appelle saint, partant la bienseance de leur vocation les obligent ( sic ) a quelque sorte de clausure, ne permettant non plus d'acces aux hommes en leurs maysons qu'on en permet aux plus estroittes Religions, car cet article icy est essentiel a la bienseance de leur vocation, Mays quand au reste, demeurant en liberté de sortir et de laisser entrer les filles et femmes seculieres, pour plusieurs autres raysons, outre celles pour lesquelles la sortie ou l'entree des femmes est permise aux Religions reformees..

  A025002246 

 Dieu a disposé plusieurs estages en sa mayson, et la hauteur ou dignité des uns n'empesche pas l'utilité des autres.

  A025002246 

 Et comme les petites simples Congregations ne doivent pas entrer en comparaison d'egalité avec les Religieuses, aussi les Religieuses ne doivent pas entrer en preference de mespris sur ces petites assemblees qui, selon leur condition, s'essayent de servir Dieu devotement..

  A025002246 

 Ou ilz veulent estre au monde, ou n'estre rien moins que Chartreux, qu'anachoretes; et pour n'avoir pas asses de courage pour entreprendre une vie si relevee, plus tost que d'en choisir une moins retiree, ilz demeurent emmi la foule du monde, affoulés de leur vanité.

  A025002248 

 Quelques Ordres ne veulent pas que leurs Religieux preschent ni confessent, et disent quilz s'en treuvent mieux; les autres aussi font ces offices avec beaucoup d'utilité.

  A025002248 

 Souvent pour eviter un danger present, on employe des remedes qui en engendrent de plus grans a l'advenir; mais l'esprit humain se contente, pourveu qu'il se desface des affaires, et luy est advis que le mal n'est pas mal, pourveu quil ne paroisse pas..

  A025002249 

 En somme, si l'esprit de devotion regne dans les Congregations, [319] une mediocre clausure suffit pour faire des bonnes servantes de Dieu; s'il ne regne pas, la plus estroitte du monde ne suffit pas.

  A025002254 

 L'une est qu'il y a pour les filles du regret et du desplaysir qu'elles ayent les obligations essentielles de la Religion et qu'elles n'en ayent ny le nom, ny le merite, ny la perfection, ny les Indulgences; et que les liens qui les tiendront en cete Congregation ne soyent pas si fermes et indissolubles qu'elles ne puissent craindre de veoir, sinon an ces premices de l'esprit de devotion, au moins dans quelques annees et par succession des temps, des tentations et des desordres parmy elles..

  A025002256 

 Et si quelques unes y entrent, voyla des proces, et la Congregation a la censure du Parlement, qui sans doute n'approuvera pas cela, et renversera tout l'Institut comme des choses nouvelles et contrayres aulx coustumes du royaume..

  A025002258 

 Donc, pour se recueillir, les parens dient qu'ils ne veoyent pas vollontiers entrer leurs parentes an cete Congregation, d'aultant qu'ils ne sçavent si elles sont Religieuses ou seculieres, si elles persevereront ou non, si elles partageront avec leurs freres et sœurs ou si elles demeureront contentes de la dot qui leur aura esté attribuee; et cete incertitude est aussi longue que la vie de la fille..

  A025002259 

 Et a la verité, quand il n'an seroit point question, la prudence doit aprendre aux Prelatz et Superieurs de ces Maisons, qu'ils prenent soigneusement garde a ne laisser pas des portes ouvertes par lesquelles le peché et l'inquietude puyssent entrer an l'ame des Sœurs, le desordre et la honte dans les Maisons, et le scandale dans le monde..

  A025002259 

 Or, ce n'est point une speculation des plus sçavans, mais une plainte fort ordinaire et qui s'entend tous les jours en cete ville, an laquelle les parens ne sont pas fort portés a consacrer leurs filles au service de Dieu, hors du monde; et quand ils s'y laissent aller, il y a bien souvent beaucoup de considerations temporelles.

  A025002262 

 Et au reste, de deux fins aulxquelles l'institut de la Visitation jette son dessein, cet expedient an embrasse une, qui est d'ouvrir une porte par laquelle puissent passer au service de Nostre Seigneur les personnes desja aagees ou foibles, ou qui ne se sentent pas appellees aulx rigueurs des Religions plus estroittes..

  A025002265 

 Les principaulx docteurs de la Sorbonne n'ont ils pas resolu que la marquise de Magneley seroit mieulx au monde qu'an Religion? Et le Pape, an suite de cete resolution, ne luy a il pas commandé par son Nonce qu'elle demeurast au monde? Sera il dict que pour une veufve qui paroistra au monde comme un phœnix an un siecle, il faille tenir un bon nombre de filles an des Congregations, plus tost que dans le nom et la profession d'une Religion?.

  A025002266 

 Je ne sçaurois que dire de celles qui sont hors de Romme, sinon que, par les petitz livres que nous an avons, il se peult colliger que les dictes Congregations sont instituees principalement pour recueillir les pauvres filles qui n'ont pas les moiens qu'il fault pour entrer an Religion.

  A025002268 

 Et bien qu'an toutes les villes de cete province l'on erige continuellement de nouveaux Monasteres de filles, l'on ne veoyt point qu'on an aye erigé un aultre comme celuy cy, parce que l'on ne l'auroyt pas permis.

  A025002269 

 De plus, il fault penser au jugement du monde, et s'imaginer que ceulx qui verront cete Sœur de la Congregation par les chams et dans les villes, n'auront pas tous veu le conseil de Navarre, et ne sçauront pas les distinctions subtiles entre Religion et Congregation.

  A025002269 

 Si donc les occasions des veufves devotes et necessairement attachees au monde sont fort rares, et si leurs sorties sont fort dangereuses, il semble plus expedient de les exhorter qu'elles demeurent a servir Dieu dans le monde, combattant vertueusement par sa grace, qui suffit a toutes nos necessités et tribulations et infirmités de leur vie, que non pas, an les retirant dans des Congregations, donner occasion a toutes les incommodités susdictes..

  A025002270 

 Il y a de plus, qu'elle tolere bien souvent ce qu'elle ne peult empescher; oultre que, pour se servir de sa tolerance, il la fault avoir an un cas du tout semblable au nostre, et ne fault pas mettre an une seule Congregation ce que l'on trouve toleré an diverses; car Sa Saincteté souffrant les choses singulieres, l'on ne peult pas inferer qu'elle les veuille souffrir toutes ensemble..

  A025002271 

 Il y a plus de la part des Religieux ou casuistes qui, entendant parler de cete Congregation, an louent grandement les exercices, et admirent la pieté de l'Instituteur et sa charitable prevoyance, deferant infiniment a sa suffisance et a la lumiere que le Ciel luy donne; neantmoings, quand il est question d'accorder ces vœux et ces sorties, et ces aultres inconveniens sus allegués, chacun subsiste; et si l'on les proposoit sans alleguer l'autheur, beaucoup diroyent qu'an cete saison et an ce pais cela est fort dangereux; et ne croit on pas qu'il se puysse trouver aultre exemple d'aulcune Congregation religieuse an laquelle il entre des femmes encor chargees d'affaires, qui, an habit de Religieuse, an sortent de fois, a aultre pour pourveoir aulx dictes affaires..

  A025002273 

 Et il ne fault pas dire qu'an cela le Sainct Siege fasse prejudice aulx Ordinaires; car nous sommes tous d'accord qu'il leur laisse ce qui leur appartient, et qu'ils peuvent eriger des Congregations et Confreries seculieres tant qu'ils vouldront.

  A025002273 

 Et ne semble pas asses asseuré de recourir a la distinction des vœux solemnels et simples, et des Congregations et Religions; car, oultre que ce seroyt eluder l'intention desdicts Conciles, qui a esté d'empescher les nouveautés et diversités an l'Eglise (et ces Congregations sont les vrays moiens de les introduire, estant certain que jamais deux Evesques ne seront du mesme advis), il est apparent que cete prohibition s'estend aulx Congregations que vouldroyent introduire les Evesques, puisqu'elle requiert l'approbation Apostolique.

  A025002273 

 Mais nous disons qu'ils ne peuvent pas, soubs le nom de Congregation ou College, eriger des assemblees qui ayent toutes les, marques et l'essence encor des Religions, an sorte qu'il n'y aye a dire que le nom: les trois vœux, la communauté, l'eglise, Sacrement, le chœur, chanter tous les jours les divins Offices; et que? peult on avoir plus que cela an la Religion?.

  A025002276 

 Bien est vray qu'il seroyt a propos de laisser cete oblation avec ces trois vœux, si l'on le peult faire canoniquement; car cela consoleroit fort et les Sœurs qui entreront an la Congregation, et leurs parens, attendu que chacun n'entend pas ces distinctions des vœux simples et solemnels, et pourtant sembleroit aulx uns et aulx aultres que ce soyt vrayement Religion: qui ne seroyt qu'un bon et pieux equivoque.

  A025002276 

 Mais si cela ne se peult faire canoniquement, il fauldra se restreindre au vœu de chasteté et au ferme propos et establissement du reste; et possible seroyt il a propos de le concevoir ainsy: «Je, N., fais vœu a Dieu de le servir en perpetuelle chasteté, et de vivre et mourir en la Congregation de ceans, selon les Regles et Constitutions d'icelle.» Et dans les Regles on expliquera que l'on ne fait pas vœu expres de pauvreté et d'obeissance, mais que les Sœurs observeront pourtant l'un et l'aultre volontairement et pour l'amour de Dieu, avec aultant de fidelité et de courage que si elles y estoyent liees et obligees par des vœux les plus solemnels du monde..

  A025002276 

 Quoy qu'il an soit, cete oblation avec les vœux est jugee perilleuse, et il fauldroit avant s'informer si elle se prattique an quelque lieu soubs la simple authorité des Ordinaires, pour ne pas commencer cela sans quelque grand exemple.

  A025002279 

 Tousjours faudra-il mettre quelques gloses qui expriment que telles veufves ne seront pas receues indifferemment, mais quand il y aura de grandes raisons qui convient la Congregation a leur user de cete charité.

  A025002280 

 Or, il se fault determiner de tout cecy et an demeurer d'accord uniformement, s'il est possible; car il fault prendre garde que dans les Constitutions qu'on fera imprimer, on ne doibt pas dire que les Evesques, selon les necessités de leur diocese, pourront faire cecy ou cela.

  A025002281 

 An tout cas, pourtant, quand il faudroit venir a faire des Regles separees, on a l'exemple des Evesques d'Italie, lesquels, an la province mesme de Milan, ne se sont pas entierement accommodés ny avec leur Archevesque, ny les uns avec les aultres..

  A025002281 

 Davantage, les Constitutions sont faictes non pas pour donner loy aulx estrangers, mais pour la donner aulx sujetz.

  A025002281 

 Que si l'on ne peult pas demeurer d'accord, Monseigneur de Geneve disposera des siennes comme il luy playra et l'Archevesque de Lyon disposera des siennes comme il jugera a propos, soit an terme de Congregation, soit de Monastere, a quoy il incline bien fort, principalement s'il se fault diversifier an quelque chose de mondict Seigneur de Geneve; ce qu'il ne vouldroit an façon quelconque, et ne le feroyt jamais, qu'avec un regret extreme.

  A025002288 

 Aussi, en l'affaire de M me de Gouffiers, on exprima qu'elle estoit en la May son de la Congregation des Oblates d'Annessi, et ni le nom, ni la chose ne fut point treuvee estrange: signe manifeste qu'elle est de l'espece des Institutz qui sont suffisamment appreuvés quand ilz sont erigés par les Evesques, desquelz les actions n'ont pas besoin d'approbation speciale, sinon es cas que le Saint Siege s'est expressement reservé..

  A025002288 

 Secondement, on en fit parler a Sa Sainteté, laquelle tesmoigna de la treuver bonne, accorda des Indulgences et benedictions sur un sommaire escrit qui luy fut fait par [333] le R. P. François de Beugey, Commissaire de la Province de la Mission des Peres Capuçins; bien que le seigneur Cobellutio ne voulut pas se departir du formulaire ordinaire lhors qu'il fit dresser le Brief desdites Indulgences.

  A025002289 

 De sorte qu'il suffit de sçavoir que telles Congregations sont en usage en l'Eglise de Dieu entre les Pasteurs les plus reformés et dignes d'imitation, et qu'elles peuvent estre establies sous [334] differentes Constitutions, selon que les lieux, les occasions et les fins qu'on praetend le requierent; estant au reste tres certain que non seulement a Milan, mais en la province de Milan, telles Congregations ont eglise, Messe, Sacremens, chœur, bien que non pas toutes.

  A025002290 

 Et quant a dire l'Office ensemble, a la verité l'Evesque de Geneve n'a pas encor certitude si cela se fait es eglises de Milan, mais ouy bien que la permission de le dire n'est point du genre des choses prohibees aux Evesques, qui le permettent en Italie aux Confrairies des Pœnitens ou Disciplinanti, sans reprehension de personne; et ces Confrairies, composees de gens mariés, imitent en cela les Religieux [336] et le Clergé d'une bonne imitation.

  A025002291 

 Et en ces Congregations-la vivoyent et fleurissoyent les grans Saintz et grandes Saintes qui faysoyent leurs vœux en grande celebrité, mais sans solemnité; ainsy que font encor a present les estudians des Jesuites, lesquelz, s'ilz sortent sans congé apres leurs vœux simples, sont voyrement apostatz, puisqu'ilz sont tenus pour Religieux, mais les mariages qu'ilz contractent ne sont pourtant pas invalides, puisque en cela seulement consiste la solemnité du vœu de chasteté, laquelle n'a jamais esté en leur vœu..

  A025002291 

 Mays, que non seulement elles soyent loysibles, ains aussi utiles au salut des ames et gloire de Dieu, il est advis qu'on n'en puisse pas douter sans blasmer ces bons Evesques d'Italie, qui, avec beaucoup de soin, les erigent, dressent et instruisent; laissant a part que la chose parle d'elle mesme.

  A025002300 

 Or, la fin de la Congregation sera aysee a conserver dans la Religion, pourveu que cette fin soit aymee, aggreée et favorisee autant qu'elle le merite et qu'en ces quartiers des Gaules la necessité du bien des ames le requiert; car, quand mesme il faudroit avoir approbation expresse du Saint Siege, estant bien remonstré que les vefves en ces païs de deça, pour resolues qu'elles soyent, ne peuvent demeurer en leurs maysons sans des continuelles sollicitations au mariage, sans estre attaquees, courtisees et exposees a mille incommodités a cause de la grande liberté qui regne entre les deux sexes, il n'est pas croyable qu'il ne soit treuvé bon qu'on les retire dans cette Congregation en leurs habitz, et a la charge qu'y estant, elles se conforment aux Regles et usages d'icelles, observant la clausure au plus pres quil se pourra..

  A025002301 

 Mais sur tout, si on remonstre un peu fermement la difference qu'il y a entre la France et l'Italie, et qu'en Italie les femmes et filles ont mille commodités es Compaignies, Societés et Congregations de prattiquer la devotion de plus qu'en France; car il semble qu'il n'y peut avoir aucune replique a ces remonstrances, et que si l'on prouvoit aux jeunes filles de retraitte pour les faire instruire dans les monasteres, on doit aussi prouvoir aux vefves, filles infirmes et aux femmes mesme mariees, de cette commodité, pour leur establissement et advancement en la devotion; les autres plus rigoureuses Religions n'y servant pas convenablement, puisqu'elles ne donnent que le mouvement d'admiration et estime, mais non pas celuy de prattique et d'imitation..

  A025002304 

 Reste qu'il playse donq a Monseigneur de Lyon de conclure toute cette affaire, afïin que, sans plus de delay, on puisse faire l'establissement en l'une des deux façons: d'autant que les Regles sont demandees de toutes partz et la Congregation desiree en plusieurs endroitz, et mesme en ce païs de Savoye; a quoy il n'est pas expedient de respondre ni correspondre que tout ne soit arresté.

  A025002305 

 Si par adventure on retenoit la Congregation, il sembleroit a propos de faire faire les vœux les plus expres qu'il se pourrait, pour exciter les ames a plus grande reverence envers les Regles, puisque en Italie on les fait ainsy; et les paroles: «selon les Regles et Constitutions,» limitent les vœux de pauvreté et obeissance, non pas celuy de chasteté; et semble qu'es formulaires d'Italie on ayt eu esgard a cela..

  A025002321 

 A Lyon, la rénovation des vœux n'eut pas lieu, en 1615, le 21 novembre (voir tome XVII, lettre du 13 décembre à la Mère Favre, p. 104); il est bien permis de supposer que les dernières dispositions furent prises trop tard à Annecy pour que la Supérieure de Lyon en pût être avertie à temps; autrement, elle n'eût pas manqué de se conformer à la première Maison de la Congrégation..

  A025002328 

 (Ibid., p. 92.) Enfin, le jour même de Pâques elle mande à sa grande fille: «Vous les aurez, ces chères Règles, sans faillir, Dieu aidant, à la première commodité; mais non pas polies, car le bon Père n'en peut sitôt prendre le loisir, et je pense encore que pour nous reculer, il lui vient un ouvrage sur les bras du côté de Thonon.

  A025002328 

 Il y mettra pourtant les choses nécessaires, essentielles, selon le Mémoire que vous avez vu.» (Ibid., p. 98.) Le 14 avril, les Constitutions étaient entre les mains de la Mère Favre, comme l'indique encore une lettre de la Sainte: «Voyez celle que j'écris à ma Sœur de Gouffier, puis fermez-la bien, et lui envoyez la Règle que vous ferez pour cela copier en toute diligence... Si ces gens d'Auvergne vous la demandent, envoyez-la-leur, avec conjuration qu'ils n'en fassent aucune copie, à cause que la dernière main du maître n'y a pas passé; mais rien pourtant ne s'y changera de l'essentiel, ni de tous les exercices.» (Ibid., p. 99.).

  A025002332 

 Ces corrections ne paraissent pas être de la Mère de Chantal; elles sont faites, toutefois, par une femme.

  A025002336 

 c) A l'article 2, on remarquera la longue addition concernant la réception des veuves: recevoir seulement celles qui n'auront «pas des affaires qui tirent» à la longue et qui ne demandent pas «des frequentes sorties»; — essai de six semaines avant de «tirer les voix»; — si elles ont le consentement de la Supérieure et des Sœurs, on leur fera écrire leur admission, elles prononceront «le vœu de chasteté et de demeurer en la Congregation,» puis on les remettra pour une année à la Directrice, sans pourtant qu'elles «soyent tenues pour estre du cors de la Congregation, bien qu'elles soyent obligees d'en observer toutes les regles et coustumes»; — à la fin de l'année, si leurs affaires ne sont pas encore réglées, elles sortiront du Noviciat jusqu'à ce qu'elles soient «prestes a prendre [346] l'habit,» qu'on ne leur donnera point pendant qu'elles «ne pourront pas s'exempter de sortir,» et, par conséquent, elles ne seront pas «receues a l'establissement solemnel.» C'est encore ce que M gr de Marquemont avait demandé dans son Mémoire (voir ci-dessus, pp. 330, 331)..

  A025002340 

 Saint François de Sales ayant prêché à Grenoble l'Avent de 1616 et le Carême de 1617 ne put certainement pas s'occuper des «Regles» pendant ces stations; aussi reste-t-il que la révision, commencée au mois d'août 1616, si elle n'était pas terminée avant la fin de novembre de la même année, dut s'achever en janvier de la suivante.

  A025002344 

 En quoy, outre la perte qu'elles souffrent, elles sont dignes de grande compassion; car, qui n'auroit pitié d'une ame genereuse, laquelle ayant un extreme desir de se perfectionner et de vivre toute a Dieu, ne peut neanmoins presque bonnement le faire, faute d'avoir un cors asses fort et une complexion saine, la poursuitte qu'elle voudroit faire de la sainteté estant empeschee par le manquement de la santé? Et n'est ce pas grand dommage de voir une vefve qui n'aura peut estre d'affaires domestiques que pour ou huit ou quinze jours chasqu'annee, croupir toutefois et tremper tout le reste de sa vie dans les inquietudes d'un mesnage, emmi les perilz de perdre a chasque moment l'affection qu'elle aura a sa viduité? Et n'est ce pas un secours fort a propos pour celles qui sont avancees en aage, de leur presenter une retraitte en laquelle elles se puissent mieux preparer pour estre retirees eternellement au Ciel? [348].

  A025002344 

 Plusieurs femmes et filles vertueuses, divinement inspirees, bien souvent aspirent a la perfection de la vie chrestienne par le desir de consacrer tous les momens de leur vie a l'amour et service de leur Redempteur; lesquelles neanmoins, ou pour l'imbecillité de leur complexion corporelle, ou pour estre des-ja affoiblies par l'aage, ou pour avoir des urgentes obligations d'ordonner de tems en tems les affaires temporelles de leur mayson, ou bien en fin pour n'estre pas poussees et incitees a la recherche d'une vie rigoureuse, ne peuvent pas entrer es Religions austeres, et par consequent sont contraintes d'arrester au monde, emmi le tracas ordinaire d'iceluy, exposees aux perpetuelles distractions, et aux occasions et dangers de pecher ou vivre sans devotion.

  A025002349 

 On pourra donq recevoir en cette Congregation les vefves desquelles les enfans sont hors de leurs maysons, comme aux estudes, aux cours et ailleurs, ou a l'education desquelz elles peuvent bien et deüement pourvoir par autruy, quoy que d'autre part elles fussent obligees d'avoir le soin general d'iceux et de leurs affaires, pourvu que tel soin ne requiere pas leur residence en leurs mesnages, [349] ains puisse estre prattiqué et executé en peu de jours; car, pour cest effect, telles vefves pourront prendre les commodités requises, avec le moins de distraction que faire se pourra..

  A025002350 

 Faudra soigneusement prendre garde que telles vefves soyent bien appellees de Dieu et fort propres pour son service; qu'elles n'ayent pas des affaires qui tirent beaucoup en longueur ni qui requierent des frequentes sorties; que l'on leur face faire l'essay de six semaines avant que tirer les voix, au bout desquelles, si elles sont treuvees capables et qu'elles ayent le consentement de la Superieure et des Seurs, on leur fera escrire comme elles ont esté admises, ainsy qu'il sera marqué ci apres.

  A025002350 

 Que si dans cette premiere annee leurs affaires ne sont expediees, on les retirera du Novitiat jusques a ce qu'elles soyent prestes a prendre l'habit, que l'on les y remettra pour encor un an; car tandis qu'elles ne pourront pas s'exempter de sortir quelquefois pour le reglement des affaires de leur mayson temporelle, elles ne prendront point l'habit de la Congregation, ains demeureront en l'habit de leur viduité ordinaire, mais grandement modeste et simple; ni ne seront point, par consequent, receuës a l'establissement solemnel de la Congregation jusques a ce qu'elles soyent en liberté d'y demeurer et vivre sans sortir, comme les autres.

  A025002352 

 Or, sur toutes les qualités requises a celles qui entreront, on doit rechercher qu'elles ayent une tres profonde resolution de mespriser le monde et de vivre humblement et doucement, avec une parfaite obeissance; car cette Congregation n'ayant pas beaucoup d'austerités, ni des lienssi indissolubles comme beaucoup d'autres, il faut que la ferveur de la charité et la force d'une tres intime resolution [351] supplee a tout cela, affin qu'en cette Congregation soit verifié le dire de l'Apostre qui asseure que le lien de la charité est le lien de la perfection..

  A025002357 

 Mais sil ne se peut pas faire aysement, on observera a leur entree et visite ce qui a esté dit des entrees des confesseurs et medecins; et que ce ne soit qu'une seule fois a chaque maladie que lesditz parens puissent entrer seulz, combien qu'avec le medecin et confesseur ilz puissent entrer plusieurs fois, ainsy qu'on le jugera expedient.

  A025002357 

 Or, outre ceux-la qui pour telles urgentes necessités pourront entrer dans la Mayson, pour la consolation des plus proches parens des Seurs et attendu qu'il n'y peut avoir aucune apparence de mal, les peres et les filz pourront entrer pour visiter leurs filles et meres, quand toutefois elles seront tellement malades qu'elles ne pourront descendre au parloir et qu'on jugera leurs maladies devoir estre perilleuses; et s'il se peut bonnement faire, telz parens n'entreront qu'avec le confesseur ou medecin, affin qu'on ne multiplie pas les entrees.

  A025002361 

 Ce n'est pas un point essentiel de la closture des Maysons des servantes de Dieu que les autres femmes ne puissent pas entrer, comme il a esté declaré en la Praeface.

  A025002367 

 On excepte neanmoins les femmes estrangeres qui en autre tems n'auroyent pas commodité de venir, comme aussi toutes les autres en cas de necessité spirituelle requise..

  A025002369 

 Au demeurant, on doit observer de n'en recevoir pas tant en mesme tems qu'elles apportassent de l'empeschement.

  A025002380 

 La clausure n'exclud pas les Seurs de sortir dans le chœur des prestres pour parer l'autel, a condition quil ny ayt personne estrangere, et que la porte de la nef soit [358] bien fermee; laquelle nef, comme aussi la grande treille et le parloir se fermeront en dehors par les Seurs Servantes qui en apporteront tous les soirs les clefz a la Superieure..

  A025002410 

 Chacune lira et servira a la table a son tour, voire mesme la Superieure, sauf si quelqu'une pour avoir la voix foible ou pour ne sçavoir pas promptement lire semble devoir estre exceptee.

  A025002425 

 Que si quelque Seur vouloit les monstrer, il faut que ce soit en sorte que les autres ne s'en apperçoivent pas, affin de ne tenir point leurs espritz en contrainte..

  A025002438 

 Ce qui ne s'entend pas pour l'eglise, laquelle pourra estre ornee et embellie autant que les moyens et facultés des Maysons le porteront; lesquelles Maysons on ne devra beaucoup enrichir, ains tesmoigner l'amour de la sainte pauvreté, mesme es rentes, revenus et bastimens..

  A025002439 

 Et affin que toutes affections qui pourroyent naistre dans le cœur des Seurs soyent retranchees, et qu'on vive en la Congregation avec une parfaite abnegation des choses exterieures et de toute proprieté, on ne servira pas une Seur de ce qu'elle aura apporté en la Mayson ou de ce qu'on auroit donné a sa contemplation; ains indifferemment, sans distinction quelcomque, on distribuera les robbes, voyles, linges et toutes autres choses selon le rencontre et sans faire aucun choix, ni entrer en consideration quelcomque sinon de la necessité de chacune des Seurs.

  A025002442 

 En fin, si ce n'estoit qu'a cause de la diversité des statures et tailles on ne se peut pas servir des robbes de mesme grandeur, il seroit expedient qu'on en fist de mesme comme des chapeletz et croix; neanmoins, tous les habitz estans sans façon et tous d'estoffes viles, il n'y a pas de l'apparence qu'aucune y doive avoir de la particuliere affection..

  A025002443 

 Et pour oster le scrupule des reliques, les Seurs doivent croire qu'elles serviront de protection pour toutes estans communes entre toutes; et celles d'un Saint qu'une Seur portera, n'auront pas moins de vertu pour toutes les Seurs que si une chacune les portoit, puisque celle qui les porte les a de la part de toutes et pour le bonheur de toutes.

  A025002446 

 La Superieure aura par tout le premier rang, mays elle ne laissera pas pourtant de faire tous les exercices communs de l'humilité en tous les services de la Mayson, balliant et lavant les escuelles, nettoyant les malades a son tour comme les autres.

  A025002459 

 Escrivant aux Prœlatz elles mettront: Vostre tres humble et tres obeissante fille et servante en N. S.; et a tous les prestres: Vostre humble fille et servante en N. S.; et aux autres Religieux ou ecclesiastiques qui ne sont pas prestres: Vostre humble seur et servante en N. S..

  A025002486 

 Le dernier alinéa, qui n'est pas donné dans le Ms.

  A025002492 

 (La suite est conforme au texte définitif, Constitution XXVII e, sauf que les mots: «lequel estat...Visite» de l'avant-dernier alinéa de celle-ci ne se trouvent pas dans les Mss.

  A025002529 

 Qu'elle ne concede pas aysement a pas une un usage plus frequent des Sacremens que celuy qui est porté par la Regle, de peur qu'en lieu d'une amoureuse et respectueuse Communion, il ne s'en face plusieurs par imitation, jalousie, propre estime et vanité..

  A025002530 

 Qu'elle ayt un grand soin de faire continuer toute la Congregation a dire l'Office tres devotement et a faire les exercices spirituelz de l'orayson, meditation, examen de conscience, preparation du matin, oraysons jaculatoires, lecture et continuelle presence de Dieu, affin que la reformation de l'homme exterieur ne soit pas sans celle de l'homme interieur, et que la Congregation connoisse tous-jours que l'union des ames avec Dieu est sa principale fin, les filles d'icelle ne se retirans pas du monde seulement pour fuyr les peynes et travaux, perilz et dangers de damnation qui y sont, mais aussi, et principalement, pour estre tirees, jointes et unies de plus pres et plus fortement a leur Sauveur et Createur.

  A025002540 

 En toutes les occasions esquelles la Superieure ne pourra pas estre presente, l'Assistente tiendra le pouvoir et la place d'icelle, et par consequent sera soigneuse..................................

  A025002545 

 Que s'il y a des livres qui ne soyent pas propres a la Congregation, elle en advertira la Superieure affin que l'on s'en desface.

  A025002546 

 Elle deputera toutes les semaines les lectrices et celles qui serviront, tant a la premiere que seconde table, et corrigera les defautz de celles qui liront, si elles lisent trop precipitamment, ou qu'elles ne prononcent pas bien, ou qu'elles facent quelqu'autre manquement; mays elle fera la lecture de la meditation du lendemain, qui se fait le soir, elle mesme..

  A025002566 

 Et ne fera pas moins en tout ce qui a esté dit pour les Seurs Servantes que pour les autres, autant que leur capacité le permettra.

  A025002581 

 La Portiere doit estre grandement discrette pour respondre sagement a ceux qui viennent a la porte, pour faire les responses et messages qui viennent en la Mayson et en sortent, pour faire doucement attendre les personnes auxquelles on ne peut pas donner satisfaction sur le champ et pour conduire les femmes qui entreront, en sorte que les Seurs en soyent le moins incommodees que faire se pourra..

  A025002588 

 Quand l'aumosne se donnera, elle procurera que ce soit promptement; et quand elle ne se donnera pas, elle renvoyera les pauvres avec humilité et charité..

  A025002630 

 Elle ira le matin, avant que de sonner l'orayson, par toutes les celles des Seurs pour voir si quelqu'une, par [395] incommodité, ne peut pas venir a l'Office; et si elle en treuve, elle en advertira la Superieure..

  A025002668 

 Les festes et Dimanches ne se treuvant pas occupees, elles assisteront a Vespres.

  A025002669 

 Et tant la Superieure que les autres leur commanderont avec amour et les appelleront leurs Seurs, se resouvenant que, quoy qu'elles servent a l'exterieur, elles ne laissent pas, selon l'interieur, d'estre filles de Dieu, coheritieres de Jesus Christ, esgales en nature et en la praetention de la grace et de la gloire aux plus grandes dames du monde; et qu'en fin, comme dit saint Paul, elles et nous n'avons qu' un seul Maistre, Jesus Christ, esgalement Seigneur et Sauveur des unes et des autres..

  A025002697 

 Comme encor on se gardera, tant qu'il sera possible, de prendre celles qui sont trop adonnees a la tendreté et compassion sur elles mesmes; car, pour dire un mot de ce malheur qui est souvent secret, telles femmes remplissent ordinairement une mayson de pleurs, de plaintes, de doleances, et font a tous propos des mines melancholiques et despiteuses et se treuvent fort souvent descouragees au bien, leur estant advis que les difficultés soyent des impossibilités et que tout ce qui n'est pas a leur goust est insupportable; et pour maintenir leur cause, forment quantité de tristes et scandaleuses raysons contre la Regle ou contre la conduitte de ceux qui gouvernent.

  A025002747 

 Mais si l'on void en elle une bonne volonté de s'amender, encor que pour son infirmité elle ne se soit pas du tout amendee, on luy donnera encor quelque tems, ouy mesme, sil est besoin, une annee entiere pour parachever son amendement, l'encourageant et l'aydant a cela avec toute charité et confiance..

  A025002749 

 On traittera de mesme les Seurs Servantes au bout de leurs deux annees, hormis que si elles ne sont pas amendees elles n'auront plus qu'une annee de delay pour faire leur amendement..

  A025002816 

 Elles ne vont pas les premieres a la Communion ni ailleurs; et l'on va par apres escrire leur Oblation..

  A025002817 

 Mays si on reçoit les Seurs Servantes a part et qu'elles ne sachent pas lire, la Superieure dira tout pour elles en [412] nombre pluriel, horsmis la demande, qu'elle fera en cette sorte:.

  A025002827 

 Et quant aux Seurs Servantes qui ne sçauront pas lire, elles ne diront que ces motz:.

  A025002834 

 Et neanmoins, le mesme saint Augustin, en l'epistre cent et neufviesme, ordonne a la Congregation a laquelle il escrit, que si une Seur se rend incorrigible, on la chasse et mette dehors de la Congregation, n'estant pas raysonnable de mettre toute une compaignie en danger de se perdre y voulant conserver une personne scandaleuse..

  A025002838 

 Que si les deux tiers des voix ne concouroyent pas a l'expulsion, on delibereroit alhors des moyens propres a la correction; et pourroit on quelque tems apres remettre en deliberation l'expulsion, si la delinquante persistoit en son obstination.

  A025002839 

 Et avant toutes choses, on ne parlera point d'expulsion, pour ce qui regarde la contumace, qu'on n'ayt essayé toutes [416] sortes de moyens pour reduire la Seur a son devoir; car autrement, on ne pourroit pas estre esclarci qu'il y eust de la contumace, laquelle presuppose une desobeissance incorrigible.

  A025002839 

 Or cette contumace peut estre grande, bien que le peché sur lequel elle arrive soit petit, comme par exemple: une Seur qui ne voudroit pas s'assujettir au silence, ains le romprait obstinement a la table, au choeur et ailleurs, elle pourroit et devrait estre rejettee comme scandaleuse; car encor que le peché ne seroit pas grand de sa nature, l'obstination neanmoins et volontaire continuation seroit grandement scandaleuse.

  A025002885 

 Les uns ne laissent pas pour cela les occupations et vacations exterieures du monde, entre lesquelles ilz ne peuvent eviter plusieurs empeschemens, destourbiers et tracas grandement contraires a leurs bonnes intentions et resolutions; de sorte que c'est avec grand'peine et perpetuelz dangers qu'ilz se maintiennent au train de la perfection et de la suite de Nostre Seigneur.

  A025002889 

 Nostre Seigneur nous offre la tressainte aeternité, affin qu'en icelle nous jouissions d'une jouissance parfaite de sa fœlicité; n'est il pas donq bien raysonnable que nous luy offrions les momens du tems que nous avons a vivre, et que nous le rendions, le plus parfaitement qu'il nous sera possible, jouissant de nostre estre, qui n'est qu'une vraye misere, sans que nous nous en reservions un seul moment, ni aucune partie de nostre vie, ni une seule de nos actions? Helas! qu'est ce que nous offrons a Dieu en eschange des choses qu'il nous offre? [430].

  A025002892 

 Or, cela arriva d'autant que les anges malins ne voulurent pas se dedier et offrir au service de Dieu, mais voulurent dependre d'eux mesmes et avec une fause liberté.

  A025002923 

 meditation sera de l'offre que Nostre Seigneur nous fait de son Paradis et de son aeternité bienheureuse, affin qu'a jamais nous jouissions parfaitement de son infinie fœlicité; car n'est il pas donq reciproquement convenable que nous luy consacrions et donnions les petitz et chetifz momens de cette vie mortelle, et que nous le rendions, le plus parfaitement qu'il nous sera possible, [430] jouissant de nous mesme et de nostre estre qui n'est en effect qu'une veritable misere? Helas! qu'offrirons nous a Dieu en contrechange de la sainte œternité de son Paradis qu'il nous offre?.

  A025002926 

 Or, cela arriva dautant que les anges malins ne voulurent pas se dedier ni s'offrir a Dieu par la profession et determination de leur volonté a l'amour et service aeternel de sa divine Majesté, ains voulurent dependre d'eux mesme ( sic ) et avoir tous-jours leur fause liberté, sans s'astreindre a la volonté de Dieu et a sa sainte obeissance.

  A025002942 

 Il n'est pas besoin de mettre en veue les habitz du monde. c.

  A025002954 

 Si ne cera pas bien que les Seurs die ausi le De profundis?.

  A025002973 

 Liberté pour les ouvrages, qu'on ne soit point reprise si on ne fait pas beaucoup, a cause qu'on a eu besoin de se promener, ou lire a cause des tentations.

  A025003007 

 (Il n'est pas vray.).

  A025003018 

 En suite dequoy il a voulu que les Seurs de la Visitation n'eussent aucun General ni Generale, sinon Jesus Christ, le Seigneur de tous, et son Vicaire nostre Saint Pere; d'autant, me dit il, «que la conservation de l'Institut et le bonheur des Religieuses ne depend pas d'estre rangees sous un chef, ains de la fidelité que chasque Seur aura en son particulier et que toutes auront en general de s'unir a Dieu par l'exacte observance des Regles, Constitutions et Coustumes establies en leur Ordre.».

  A025003022 

 Neanmoins, l'intention de nostre tres honnoré Pere et Instituteur n'estoit pas que ce Visiteur eust aucune authorité sur les Monasteres, ains seulement pour voir si les Maysons conservent l'uniformité entre elles par l'exacte observance; et desiroit qu'il rendist un tres grand honneur et respect aux Prelatz, et que des choses ausquelles [444] il ne pourroit remedier doucement, avec leur faveur et authorité, il en fit son rapport a nostre Saint Pere ou a Monseigneur le Nonce pour y estre pourveu..

  A025003039 

 Elle aura soin de bien conserver les livres, et advertira la Superieure s'il s'en treuve quelqu'un qui ne soit pas de devotion, pour les faire vendre ou changer.

  A025003041 

 Elle commettra une Seur des le soir pour avoir le soin des choses requises a la ceremonie, qu'elle ne pourra pas faire: comme de distribuer les cierges aux Seurs, commencer les Psalmes, et autres choses..

  A025003048 

 Voire mesme quand elle verroit clairement que quelqu'une manqueroit de confiance en son endroit, elle doit, sans luy en faire aucun semblant, s'essayer de gaigner son cœur par toutes sortes de demonstrations de bienveuillance, prenant garde toutesfois que la Novice ne puisse pas descouvrir qu'on a reconneu son defaut.

  A025003053 

 Elle doit donq employer l'annee de probation selon la sainte intention pour laquelle elle est ordonnee; c'est a dire, qu'elle exerce les Novices convenablement, pour essayer et reconnoistre leur vocation (car il ne seroit pas a propos d'attendre de les espreuver apres la Profession), observant neanmoins la discretion en telle sorte que les espreuves n'excedent pas la portee des espritz..

  A025003057 

 Qu'on ne leur face pas estudier le latin et le françois tout de suite, ains l'un le matin et l'autre l'apres disnee, de peur qu'elles ne s'embrouillent l'esprit..

  A025003064 

 Elle devra aussi estre fort advisee a distribuer aux Novices les livres pour la lecture ordinaire qui soyent de prattique et qui enseignent les bonnes et solides vertus, comme l' Imitation de Nostre Seigneur et de Nostre Dame; Gerson de la Perfection Religieuse; le Chemin de Perfection; l' Introduction a la Vie devote, en leur marquant neanmoins les chapitres qui ne leur conviennent pas, et semblables.

  A025003079 

 Qu'elles entendent bien tout le Coustumier, les Directoires et les choses desquelles elles auront a parler es conferences; et ne se hastent pas trop de dire leurs opinions, ains, apres avoir invoqué Dieu, qu'elles dient ce qu'elles sçauront et ce dont elles seront requises, briefvement..

  A025003079 

 Qu'elles soyent grandes amatrices du bien commun, pour bien faire leurs charges; qu'elles n'abondent pas en leur propre sens, ains marchent sincerement selon [456] l'esprit de Dieu et de leur vocation, en toute pureté d'intention, disant leurs advis avec modestie.

  A025003096 

 On achetera les provisions au lieu ou elles seront establies, si elles s'y peuvent treuver, encor qu'elles deussent couster un peu plus cher, affin de ne pas surcharger les Maysons qui sont aux grandes villes; l'Œconome doit estre fort attentive sur ce point..

  A025003102 

 Au commencement de chasque annee elle fera un extraict ou roolle de tout l'argent et rentes qui sont deuës au Monastere, tant en blé, vin, qu'autres choses, supputant ce que doivent ceux qui n'ont payé annuellement, le mettant bien au clair, et remettra ledit bordereau et extraict a la Seur Œconome, pour solliciter et faire payer ceux qui doivent, ainsy qu'il est marqué en son Directoire, et luy en baillera toute l'intelligence necessaire, affin que tous-jours l'on se [460] paye des fruitz escheus avant que de recevoir les sommes principales; et avant que de parler a ceux qui doivent, elle soit instruite de ce qu'ilz sont redevables, affin de ne se pas embrouiller et que rien ne se perde par sa faute..

  A025003136 

 Les plus beaux pourront estre gardés un an empesés, ne les faysant servir que fort rarement; elle n'y mettra pas de trop grandes dentelles.

  A025003136 

 Qu'elle ayt soin de bien empeser les corporaux sur des mestiers, tant qu'il se pourra, et a sayson propre, qui est des le moys de may jusques en octobre; mais elle ne les doit pas empeser tous a la fois.

  A025003137 

 Qu'elle ayt un grand soin de monstrer son luminaire a la Superieure (ou a l'Assistente en son absence) et a l'Œconome un peu avant les grandes festes, affin qu'elles voyent s'il en faudra acheter; et qu'elle en soit grandement soigneuse, les serrant en lieu qui ne soit pas trop sec, advertissant pour en faire la provision en tems convenable.

  A025003140 

 Et en toutes ces grandes solemnités, si c'est la coustume du lieu et le tems des fleurs, elle y fera des guirlandes; observant que les cierges des festes cy dessus nommees et autres principales ne soyent pas usés plus du tiers ou de la moytié, et qu'ilz soyent de cire blanche, s'il se peut, tant pour Vespres que pour la Messe, mais ilz pourront estre un peu moindres pour la vigile..

  A025003145 

 Qu'elle tienne les chasubles tout de leur long et large, et du linge ou du papier deslié dans celles ou il y a de l'or ou de l'argent, comme aussi dans les paremens, pavillons et voyles de calice, observant de ne les pas charger, de peur que l'or ne se coupe.

  A025003147 

 Qu'elle mette une fois l'annee tous les ornemens a l'air, mais non pas au soleil, et qu'elle laisse quelquefois la chambre ou l'on les tient, ouverte..

  A025003179 

 La Seur Infirmiere escrira les remedes que le medecin ordonnera, si luy mesme ne le fait, ou que la chose fust si facile qu'il n'en fust pas besoin..

  A025003187 

 Et qu'elle ne mette point devant elles toutes leurs portions, si elle juge qu'elles ne les desirent, ains les servira a mesure qu'elles mangent, n'estant pas aussi necessaire, quand il y a plusieurs malades, de faire a chacune leurs portions, ains on doit mettre pour toutes ensemble; et elle les servira [471] chacune selon leurs besoins, si ce n'est qu'il faille quelque viande plus particuliere a quelques unes: dequoy elle en advertira des le soir la Despensiere et de ce qu'il faut pour leur dejeusner et disner; et des la recreation d'apres le disner ce qu'il faut pour leur gouster et souper, quand elle jugera que quelque chose de particulier leur sera necessaire, sans pourtant exceder aux diversités des choses qui peuvent trop surcharger celles qui apprestent, sinon lhors que le medecin aura reglé leur manger..

  A025003196 

 Qu'elle tienne des voyles de reserve pour en donner a celles qui auront besoin de les changer aux grandes festes, ou quand on reçoit des Religieuses; comme aussi des bandeaux, desquelz elle changera aux Seurs tous les moys en hyver et l'esté tous les quinze jours, prenant garde que l'estamine dequoy elle les fera soit espaisse, en sorte que l'on ne voye pas la doubleure, et les fasse estroitz..

  A025003199 

 Qu'elle marque les chausses, affin de ne les pas changer..

  A025003215 

 Qu'elle ne donne pas des linges qui seront de la derniere lessive tandis qu'elle en aura de la precedente, prenant garde de ne les enfermer qu'ilz ne soyent bien secs.

  A025003261 

 Que si elle est du chœur, devant la lecture elle pourra faire la demi heure d'orayson; si elle n'en est pas, elle la pourra faire pendant Vespres..

  A025003265 

 Les ouvrages que les Seurs ne sçauront pas faire elle leur monstrera avec douceur et humilité, ou leur fera monstrer.

  A025003276 

 Elles feront demie heure de lecture a mesme tems que la Communauté, si leurs affaires le permettent aysement; et si quelqu'une ne sçait pas lire, elle entendra l'une de ses [482] compaignes qui luy fera cet office de charité.

  A025003290 

 Les testes, celles qui n'ont pas l'office de la cuysine y seront employees tour a tour, affin que celles qui y sont d'ordinaire soyent aussi soulagees l'une apres l'autre, si la Superieure le juge a propos..

  A025003298 

 Qu'elles soyent douces, humbles et affables envers ceux qui viendront, faysant sagement les responses pour faire doucement attendre les personnes ausquelles on ne peut pas donner satisfaction sur le champ..

  A025003526 

 Mais comme la Congrégation de ces femmes demandait très humblement au Saint-Siège Apostolique que, même transformée et érigée en Monastère, elle ne fût pas davantage pour cela tenue de réciter les Heures canoniques de l'Office qu'on appelle le grand Office, qu'elle ne l'était auparavant, mais qu'il plût au même Saint-Siège de lui accorder que les Sœurs du Monastère érigé, en récitant chaque jour le petit Office de la Très Sainte Vierge Marie au chœur, sérieusement, gravement, lentement, dévotement et religieusement, comme elles avaient jusque-là coutume de le faire, fussent [512] délivrées et exemptées de l'obligation de réciter un autre Office; le même Souverain Pontife leur accorda ce privilège pour sept ans, assurant de vive voix que, s'il était toujours en vie, il accorderait ensuite facilement ce privilège à perpétuité (au témoignage du R, P. Don Juste Guérin, Supérieur des Clercs réguliers de Saint-Paul de Turin, lequel poussait alors cette affaire, et, de plus que, s'il était mort à ce moment, son successeur ferait de même volontiers; mais, s'agissant d'une chose peu usitée jusque là, il ne voulait pas la concéder à perpétuité pour commencer et de prime abord..

  A025003529 

 Mais pour qu'elles récitent convenablement et dévotement l'Office, il importe beaucoup qu'elles récitent toujours le même: elles prononcent, en effet, plus clairement, plus distinctement et avec plus de sûreté ce qu'elles ont coutume de prononcer si souvent, et elles ne mettent pas toute leur attention à la lecture et bonne prononciation: ce qui leur est nécessaire si chaque jour il leur faut dire du nouveau et de l'inattendu..

  A025003532 

 De fait, elles prononcent et chantent avec tant de dévotion, de précision et de gravité ces Heures de la Bienheureuse Vierge, [514] bien que brèves, qu'elles n'emploient pas moins de temps à cette récitation que les autres Moniales à chanter le grand Office..

  A025003534 

 Enfin, la plupart des vierges et aussi des veuves d'âge avancé n'arrivent presque jamais à apprendre exactement à réciter le grand Office; pour cela, le plus souvent, elles ne peuvent entrer en Religion: c'est pour elles un avantage si cet Institut de la Visitation de la Bienheureuse Vierge Mère de Dieu, de l'Ordre; de Saint-Augustin, n'est pas tenu désormais à d'autre Office qu'au petit, récité convenablement.

  A025003535 

 Du reste, la récitation du grand Office n'est pas inséparable de l'état religieux; car, sans parler de l'illustre et très célèbre Compagnie [515] de Jésus, ni des Ordres militaires, il y a en France des Monastères de femmes, par exemple le Monastère de l'Ordre de Saint-Augustin de Pontoise, où les Moniales ne sont tenues qu'à la récitation au chœur du petit Office de la Bienheureuse Vierge; de sorte qu'accorder ce privilège aux Monastères de femmes, est une chose qui, tout en n'étant pas très usitée, n'est pas totalement nouvelle, et d'ailleurs à désirer pour de nombreuses et très graves raisons.

  A025003569 

 Plusieurs femmes et filles vertueuses desirant bien souvent de consacrer touts les moments de leur vie a l'amour et service de Dieu, lesquelles neantmoins pour l'imbecillité de leur complexion corporelle, ou pour estre ja affoiblies par l'aage, ou mesme pour [521] avoir des urgentes obligations [d'] ordonnés de temps en temps des affaires de leur maison, ou bien, enfin, pour n'estre pas inspirés ny disposés, ne peuvent pas entrer ez Religions esquelles on mene une vie austere et rigoureuse, et par consequent sont contraintes de s'arrester au monde parmi les tracas ordinaires d'iceluy, exposés aux perpetuelles distractions et grands dangers et occasions de toute sorte de pechés et vivre sans devotion: en quoy il y a beaucoup de perte et compassion..

  A025003615 

 Ce qui a esté dict que toutes se treuvent couchés a dix heures n'empesche pas qu'elles ne se puissent coucher incontinant apres la retraicte, ains sera expedient que celles qui sont subjectes au someil le fassent de bon cœur, pour estre plus prompte et agile au lever..


26-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XXVI-Vol.5-Opuscules.html
  A026000007 

 Pas être utilisés à des fins commerciales de toute nature!.

  A026000034 

 — Considérons nos propres défauts, et nous ne verrons pas les vices du prochain. 54.

  A026000035 

 — Ne pas négliger le bon exemple.

  A026000051 

 — Erreur de ceux qui se préparent aux grandes épreuves et qui ne savent pas supporter les petites.

  A026000051 

 — Pour les actions de peu d'importance et auxquelles on n'est pas obligé, considérer avec liberté d'esprit ce qui tend davantage à la gloire de Dieu et se résoudre.

  A026000057 

 — Ce qu'il ne faut pas prévoir pendant l'oraison. 102.

  A026000062 

 — Ce que le Saint n'approuve pas.

  A026000062 

 — Les « affections » ne doivent pas « estre a l'abandon, mais resserrees et couvertes ».

  A026000062 

 — Ne pas disputer avec l'ennemi.

  A026000076 

 Ne pas faire de réflexions sur les choses qui arrivent.

  A026000104 

 — Quitter tout ce qui déplaît à Dieu et ne pas « s'embesoigner » de notre avancement spirituel. 135.

  A026000106 

 — Leur préparation n'est pas longue ni empressée, mais fidèle et amoureuse.

  A026000106 

 — Ne pas faire des retours sur soi-même.

  A026000150 

 Chaque jour, au réveil, dire la parole de saint Bernard: « Qu'es tu venu faire ceans? » — Ne pas subtiliser, mais avoir une intention droite de tout faire pour Dieu.

  A026000154 

 — Les prétendantes opiniâtres et négligentes ne doivent pas être reçues.

  A026000154 

 — Ne pas s'exempter facilement de l'Office.

  A026000157 

 — Ce n'est pas « nostre mal qui nous fait mal », c'est l'amour-propre.

  A026000158 

 — L'affabilité ne doit pas empêcher l'exercice de l'autorité.

  A026000158 

 — Ne pas cacher le bien qui se fait à la Visitation.

  A026000159 

 — Ne pas insulter notre cœur et ne pas trop le presser.

  A026000159 

 — Ne pas quitter la sainte Communion pour les distractions et aridités.

  A026000159 

 — Ne soyons pas des anges, mais de petits poussins.

  A026000159 

 — Nos misères ne nous doivent pas accabler ni étonner.

  A026000159 

 — Nous n'avons pas à craindre le jugement du monde.

  A026000160 

 — Dans les choses qui ne sont pas clairement manifestées, interroger nos Supérieurs et suivre leurs avis.

  A026000160 

 — Dieu n'est pas comme les hommes.

  A026000272 

 Et il leur dit: Mon âme est triste, etc. Asseyez-vous ici et veillez. Matt.: Demeurez ici et veillez avec moi. Luc: Et priez, afin de ne pas entrer en tentation.

  A026000281 

 c) Tourné vers elles: Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi, etc. [6].

  A026000283 

 e) mais l'ayant goûté, il ne voulut pas boire.

  A026000286 

 h) Toi qui détruis le temple, etc.; sauve-toi toi-même; si tu es le Fils de Dieu, etc... Si le Christ est l'élu de Dieu, roi [7] d'Israël, qu'il descende de la croix... Ne crains-tu donc pas Dieu, etc... Souvenez-vous de moi.

  A026000296 

 Et je ne pense pas contrevenir à ses intentions en le publiant; car, quoy qu'il l'aye tenu long-temps secret, estant un des premiers exercices de sa plume, il est neantmoins bien croyable que si la mort n'eust prevenu le dessein qu'il avoit de donner d'autres piec.es au public, non moins utiles que celles qui paroissent maintenant par tout avec tant de fruict et d'approbation, sa charité incomparable l'auroit porté à vous le presenter luy-mesme, mais sans cloute avec plus d'ornement et de perfection..

  A026000297 

 Cependant, le voilà tout tel qu'il est sorty de sa main et qu'il a esté trouvé apres son decez; lequel en avoit rendu depositaires des personnes lesquelles, soit pour leur consolation particuliere, ou pour quelque autre bonne consideration, n'avoient pas jugé à propos de le publier plus tost.

  A026000309 

 Neanmoins, le sujet de ce Livre ne comprend pas la demande ni les deux seules considerations affectives, ni mesme la devotion, laquelle n'est ni meditation ni contemplation, mais en est l'effect, n'estant autre chose qu'une vertu generale, contraire a la paresse spirituelle, qui nous rend prompts au service de Dieu.

  A026000310 

 Salomon a pour fin en ce Livre la devotion, mais pour sujet l'orayson mentale prise pour la meditation et contemplation, non pour la pensee, ni pour l'estude, ni pour la demande, ni pour la devotion, ni mesme pour la consolation et le goust que l'on a en l'orayson, lequel ne s'y trouvant pas tous-jours est distingué d'ieelle; ains arrive souvent que ce goust n'estant pas en l'orayson des bons, se trouve en celle des grans pecheurs.

  A026000312 

 Ainsy, le pecheur n'a pas de soy la possibilité a servir Dieu meritoirement: estant en grace, il a la possibilité, avec resistance et sans facilité; apres avoir continué, il le sert facilement; apres qu'il est devot, il le sert promptement; s'il est contemplatif, il le sert allegrement: la grace donnant la possibilité, la charité donnant la facilité, l'orayson mentale la promptitude et devotion, la multitude des goustz la gayeté..

  A026000312 

 Resusciter un enfant mort n'est pas en la possibilité de la mere; le guerir estant extremement malade, est chose possible, mais non pas facile; mettre le feu a sa playe par ordonnance du medecin est possible et facile, mais non pas avec promptitude, ains avec resistance et frayeur; rafraischir son appareil se fait facilement, possiblement, promptement, mais non allegrement; mays apres qu'il est gueri, le recevoir et accueillir entre ses bras, se fait possiblement, facilement, promptement et gayement.

  A026000314 

 Comme, par exemple, devotion, goust, allegresse, ravissement, extase et choses semblables, ne s'y treuvent jamais; mays a chaque pas, sommeil, songe, enyvrement, langueur, defaillance et choses pareilles.

  A026000334 

 Le foyer du peché en la concupiscence y apporte du deschet, mays sans quil luy puisse estre reproché ni imputé a peché: Ne prenes donq pas garde a ce que je suis brune, car mon Soleil m'a voulu ainsy laisser en ceste guerre: le soleil m'a donné le teint que j'ay, et ne m'est pas advenu par ma faute, mais par celle des premiers enfans de la nature humaine, ma mere.

  A026000334 

 Les filz de ma mere ont combattu contre moy, ce fut par leur peché que je fus mise en necessité de prendre tant de soins et garde a moy mesme comme si j'estois a garder une vigne: ilz m'ont mise a garder les vignes contre les assautz de la concupiscence, et tout cela, helas! non par ma faute propre et actuelle, mays par celle d'autruy, dont je puis dire: La vigne que j'ay gardee n'estoit pas a moy..

  A026000339 

 Elles ne se sont pas faittes elles mesmes; elles ne sont pas sans quelque principe qui les a faittes et qui est leur fin derniere, qui les conserve, qui les garde.

  A026000340 

 Si tu n'as pas encores une entiere connoissance, o la plus belle des femmes, parce que tu es encores commençante, sors de la souvenance des playsirs passés, et va suyvant les pas de tes troupeaux; cherche mes sentiers en toutes les creatures, laisse-toy guider et mener la par ou elles mesmes retournent, et tu trouveras qu'elles iront reposer aux pasturages de leur premier berger: Fais paistre tes chevreaux pres les loges des pasteurs..

  A026000349 

 Et lhors, nostre Espoux nous parle et vient a nous, mais non pas pour y demeurer et reposer, ains il vient par sautz et eslancemens: C'est la voix de mon Bienaymé, le voyla qui vient aux montaignes, saillant et traversant les collines.

  A026000353 

 Or, il ne faut pas s'ennuyer demesurement en ces distractions, car elles sont conjointes a nostre nature, et nous n'en pouvons estre repris si elles ne viennent de nostre faute.

  A026000360 

 Au precedent degré il semble qu'on ne trouve pas Dieu, encor qu'on l'ayt trouvé; [22] mais en celuy ci on reconnoist incontinent qu'on l'a trouvé: La nuict, en mon lict (c'est a dire es cors humains, qui sont les lictz des ames), j'ay cherché Celuy que mon ame ayme, et je ne l'ay point trouvé.

  A026000360 

 Je me leveray, et tourneray la cité de ce monde; et courant tantost par les cors terrestres, tantost par les celestes, je l'ay cherché, et ne l'y ay point trouvé; au moins les distractions ont esté si grandes qu'a peyne me semble-il de l'avoir rencontré: Je chercheray par les rues et par les places Celuy que mon ame ayme; je l'ay cherché, et ne l'ay pas trouvé..

  A026000379 

 Les sens doivent estre gardés comme en prison, ainsy que les dens sous les levres, ou comme brebis nouvellement lavees; et leurs jumeaux, c'est a dire l'apprehensive et l'appetitive, se doivent tenir rangees et reglees: Tes dens sont comme troupeaux de brebis fraischement tondues qui retournent du lavoir, chacune avec deux jumeaux, et pas une d'elles n'est sterile..

  A026000383 

 En fin l'Espoux qui, des son Ascension, est allé a la montaigne de la mirrhe et a la colline de l'encens, au Ciel, a la dextre du Pere, comme il l'avoit predit (Devant que le jour decline et que les ombres s'abbaissent, j'iray a la montaigne de la mirrhe et a la colline de l'encens), il loüera l'ame, disant: Tu es toute belle, o ma bienaymee, et il n'y a pas une petite tache en toy; et l'invitera de passer de la Hierusalem militante a la triomphante, disant: [26] Viens du Liban, mon espouse, viens du Liban, viens, et promettra les couronnes et sieges dont furent chassés les demons: Tu seras couronnee du haut du mont Amana, du coupeau de Sanir et d'Hermon, des sieges des lions, des montaignes des leopars..

  A026000394 

 Elle essaye a trouver goust au premier degré de consideration par le moyen des choses sensibles; mais le travail ne permet pas qu'elle y en puisse trouver: Je l'ay cherché et ne l'ay point trouvé; je l'ay appelle, et ne m'a point respondu.

  A026000399 

 Lhors elle propose Jesus Christ si bien au naturel qu'il n'est pas possible de le mieux representer.

  A026000405 

 Elle n'a plus besoin d'autre chose que de s'entretenir avec luy, disant: O Seigneur, quand vous pourray je plaire par ma beauté, douceur, bonne grace, force, innocence, devotion et discretion? Quand sera ce donq que vous me dires: O ma bienaymee, tu es belle, douce et de bonne grace comme Hierusalem, forte comme une armee bien rangee? Des-ja, Seigneur, vous m'aves monstré par mille signes que mes œillades vous ont blessé, c'est a dire que mes intentions ne vous sont pas desplaysantes: Destournes vos yeux de moy, car ilz m'ont fait sortir de moy mesme; que mes cheveux, c'est a dire mes desirs, sont purs et netz: Tes cheveux sont comme un troupeau de chevreaux qui paissent sur le mont de Galaad; que mes sens, ainsy que troupeaux, ont esté fidellement gardés: Tes dens sont comme troupeaux de brebis qui sortent du lavoir, chacune ayant deux petitz, et nulle d'icelles n'est sterile; [32] et que mes forces de la partie concupiscible, desirant le bien et fuyant le mal sans dissimulation, comme deux joües bien colorees, vous sont cheres et aggreables: Tes joües sont comme une grenade entamee, sans ce qui est caché au dedans.

  A026000405 

 Et si les personnes avec qui elle est veulent poursuivre et luy disent: Ou est allé vostre Espoux, o la plus belle entre toutes les femmes? ou s'est il destourné? et nous le chercherons avec vous, elle ne veut plus les entretenir; mays, reconnoissant qu'encores que les travaux luy fissent sembler que son Espoux se fust retiré bien loin, neanmoins il ne s'en estoit pas allé, au contraire, il estoit tous-jours demeuré avec elle comme en son jardin ou comme en un cabinet de parfums; et, tirant de la plus grande occasion de inerite, elle peut dire qu'il en a cueilli des lys tres odoriferans: Mon Bienaymé est venu en son jardin, au parterre des fleurs aromatiques, pour repaistre aux jardins et y cueillir des lys.

  A026000407 

 Mais, outre cela, l'ame adjouste: Ou aves vous esté, mon Seigneur, qu'il m'a semblé que vous m'avies laissee, quand le travail et la fatigue ne me permettoit pas que j'eusse du goust? — J'ay esté, respond il, en toy mesme qui es mon jardin, et y ay esté avec plus de prouffit pour toy que je n'y eusse esté si, du premier coup, je t'eusse donné des goustz, te donnant occasion de meriter, dont j'ay tiré de mon jardin un plus grand fruict de merite: Je suis descendu au jardin des noyers pour voir les pommiers des vallees, et regarder si la vigne estoit fleurie et si les grenades avoyent germé..

  A026000413 

 Et ce n'est pas asses que la personne spirituelle extenue ce qui est en soy: Que voyes vous en ceste Sulamite, sinon compaignies d'armees? car, ce nonobstant, ceux qui la voyent, la louent de ses pieds et façons de marcher, c'est a dire de l'obeyssance avec laquelle ilz voyent que ceste ame garde les commandemens de Dieu: Que tes pas sont beaux en leur chausseure, o fille de prince! de sa chasteté spirituelle, qui fait reconnoistre que Dieu y coopere: Les jointures de tes cuisses sont comme joyaux mis en œuvre de la main d'un bon ouvrier; d'une riche pauvreté, qui n'a jamais besoin d'aucune chose: Ton nombril est comme un hanap rond, qui n'a jamais besoin de breuvages; des jeusnes qui, remplissans le ventre de pain seulement, couronnent l'ame de beaux et riches lys: Ton ventre est comme un monceau de froment environné de lys; de l'estude des deux Testamens: Tes deux mammelles sont comme deux faons jumeaux d'une chevre; de la force: Ton col est comme une tour d'ivoyre; de la prudence: Tes yeux sont comme les piscines d'Hesebon qui sont a la porte de la fille de la multitude; d'une justice exacte: Ton nez est comme la tour du Liban qui regarde vers Damas; de la maistrise des affections et conformité a la volonté de Dieu, conneüe par les canaux de la revelation: Ton chef est comme le mont Carmel, et tes tresses [34] comme pourpre royale qui n'est pas encor tiree de la teinture..

  A026000428 

 En fin, l'ame est parvenue a une si grande perfection de devotion que nul playsir du monde ne l'esmeut, nul fantosme ne la destourne, nulle louange ne l'affoiblit, nul travail ne la fait craindre, nul respect humain ne la retient; mais, a la veüe de tout le monde, elle caresse librement son Espoux et danse devant l'Arche, ne se souciant pas que la sagesse du monde, apres luy avoir dit: Qui est celle ci qui monte du desert, affluente en delices? la suive encor pour la reprendre de ce qu'elle se tient appuyee sur son Bienaymé.

  A026000429 

 Les flammes et les feux sont glacés au prix de son amour: Ses lampes sont lampes de flammes et de feux; la mer ne les sçauroit esteindre: Toutes les eaux ne sçauroyent esteindre la charité, ni tous les fleuves ne la noyeroyent pas.

  A026000431 

 Et moy, dit l'ame, je n'ay point affaire de tant de choses: Ma vigne est devant moy autant que mille pacifiques; au contraire, je veux encor donner deux cens pour aumosne a ces pauvres, qui, avec leurs oraysons, nous gardent nos biens: et deux cens a ceux qui gardent les fruictz d'icelle; au reste, estant abstraitte de toutes les choses sensibles, je ne veux que pas une d'elles puisse me distraire ou me troubler..

  A026000432 

 Et finalement, si nous voulons passer aux playsirs mondains: Je sçay, dit l'ame, que mon Espoux ne veut endurer des compaignons, et qu'avec les consolations qu'il me donne [38] il ne veut pas que je mesle les consolations qu'autres que luy me pourroyent donner; ains il me commande que, me resveillant, et me resignant du tout a luy avec une claire et ouverte protestation, je renonce a tous autres espoux: Toy qui habites es jardins, tes amys t'escoutent; fais moy ouÿr ta voix.

  A026000451 

 On ne lira pas sans intérêt, peut-être aussi avec une sorte de pieuse indignation, une partie de l' Avertissement que Blaise a mis en tête de ce « Fragment » et que les éditeurs suivants ont reproduit en entier.

  A026000453 

 M. l'évêque ne rejeta pas cette prière, mais demanda quelque temps pour la satisfaire, attendu la rareté toujours croissante des écrits originaux tracés de la propre main du Saint.

  A026000455 

 Le possesseur du fragment ne s'en regardant plus dès lors que comme le dépositaire, ne tarda pas à remplir les vues du donateur..

  A026000458 

 278, 422): le présent travail n'est donc pas antérieur.

  A026000458 

 D'autre part, la première rédaction du Traitté de l'Amour de Dieu fut achevée vers la fin de 1614 (voir notre tome IV, Introduction, pp. XI, XII); il convient, par conséquent, de ne pas reculer au delà de cette année celle des pages qui nous occupent.

  A026000465 

 de sorte que mesme ce n'est pas chose resolüe si l'amitié est vertu, bien que je le croye, quand elle est un peu bien formee et que sa communication est honneste..

  A026000472 

 Et d'autant que ces vertus qui fluent de la charité comme de leur source sont superieures aux quatre vertus cardinales, si elles les rencontrent en quelqu'ame elles les reduysent a l'obeissance de la charité, se meslent avec elles et les perfectionnent, comme le vin perfectionne l'eau avec laquelle il se mesle. Que si elles ne treuvent point de vertus naturelles en l'ame ou la charité les produit, elles suppleent a leur defaut; y ayant cette difference entre le meslange du vin et de l'eau et celuy des vertus infuses et acquises, que le vin seul est meilleur que l'eau, ou les vertus infuses estans seules, ne sont pas si bonnes comme quand elles sont meslees avec les acquises, la grace ne destruisant point la nature, ains la perfectionnant sans qu'elle perde rien de sa force.

  A026000482 

 Or, les degrés de la prudence de la chair sont: l'astuce, qui n'est autre chose qu'une habileté pour faire, imperceptiblement et par des moyens inconneus ou conneus, reuscir les mauvais desseins (Ne cheminans pas en astuce, dit le saint Apostre, II Cor., IV, apres qu'il avoit dit: Ayant rejette les cachettes de honte, c'est a dire honteuses, parce que l'astuce use de certaines cachettes et secrettes menees, lesquelles estans descouvertes sont honteuses a ceux qui les employent, leur ostent tout credit et authorité); le dol ou tromperie, qui est l'effect et execution de l'astuce, [et] s'appelle fraude quand il est commis par voye d'oeuvre; l'empressement apres les biens mondains et la sollicitude des moyens de vivre a l'advenir..

  A026000483 

 Ce serpent se fourre ça et la dans la terre, il se glisse partout; quand il ne peut mordre, il pique de la queue; il va en l'eau et en la terre, il va tous-jours en biaysant; les gens voués a Dieu n'en sont pas exemptz, ni les Israelites au desert.

  A026000484 

 Or vous connoistres si la prudence est prudence de la chair, en ce qu'elle eschauffe et donne des ardeurs cuysantes [48] et pressantes: ainsy, les serpenteaux qui piquoyent les Israelites es desertz, estoyent des serpens enflammés, c'est a dire desquelz les piqueures donnoyent des inflammations mortelles a ceux qui en estoyent blessés. Mays la prudence de l'amour sacré est douce, tranquille, et tellement meslee de simplicité qu'il n'y a rien en elle d'empressé ni d'affecté; et en somme, qui veut guerir de toutes les ardeurs du soin, de la sollicitude immoderee et de la precipitation, il faut regarder l'image du serpent eslevé au desert, c'est a dire Nostre Seigneur, qui n'est pas pecheur, mays qui porte l'image du pecheur, sur la croix, et estre prudent de sa divine prudence..

  A026000485 

 L'amour employe la prudence, mays il la tempere tellement, qu'il ne veut point qu'elle le distraye ni divertisse, parce qu'il ne veut estre prudent que pour mieux aymer, et parce que l'amour divin n'est pas comme l'amour humain.

  A026000485 

 L'amour ne tendant qu'en Dieu a une prudence simple, innocente et toute pure, car en toutes ses affaires il met sa confiance en son Sauveur qui le deslivrera; il ne mesprise pas les moyens humains, mays il ne se confie nullement en iceux.

  A026000486 

 Voyes la prudence de Nathan, et comme finement il surprend David; et n'osant pas luy donner le coup du rasoir de la correction, il le luy fait prendre a luy mesme de sa propre main, puis, le poussant, le luy fait entrer bien avant dans la poitrine de son peché, dont il guerit.

  A026000488 

 Certes, Isaie voulant exalter l'admirable prudence de Nostre Seigneur, il ne la colloque pas tant en la connoissance des yeux comm'en celle du goust: Il mangera, dit il, le beurre et le miel, en sorte quil sache repreuver le mal et choysir le bien. En quoy, Philothee, vous voyes quil y a deux prudences, selon deux connoissances: une prudence qui consiste en une science, ou [connaissance] par science, discours et sçavoir; l'autre, qui est une connoissance par goust, experience et savourement.

  A026000490 

 Il ne faut pas grand artifice a ceux qui ont une grande force, ni beaucoup de finesse a ceux qui ont un grand credit.

  A026000490 

 Les enfans de Dieu sont comme cela: leur sagesse est toute simple, ronde, franche, car l'amour qui les gouverne ayant reduit toutes choses a son obeissance les fait marcher selon luy; et, comme dit saint Hierosme, Nostre Seigneur veut que nous soyons prudens non pas pour l'offensive, mais pour la defense: prudens comme le serpent, pour n'estre point deceuz; simples comme la colombe, pour ne point tromper personne..

  A026000495 

 En somme, ou la prudence est amour, ou elle depend de l'amour et est servente de l'amour qui la fait marcher devant la trouppe de toutes les vertus; comme nostre Seigneur, qui estoit assis sur le propitiatoire, c'est a dire sa majestueuse presence, faysoit marcher la colomne de nuee et de feu devant le peuple d'Israel comm'une guide, ainsy que nous voyons les grans faire porter les flambeaux devant a (sic) eux a leurs pages, pour servir de guide a leurs pas et de ceux qui les suivent, et le phanal aux navires..

  A026000498 

 De sorte que la charité n'est autre chose qu'une justice surabondante, car apres que l'amour a fait rendre a chacun ce quil luy doit, il passe plus outre et donne plus quil ne doit selon la rigueur de la justice; et fait comme son Maistre, qui ne se contente pas de donner la bonne mesure des recompenses, mais la donne bien comble, bien pressee et sureffluente..

  A026000500 

 C'est cette crainte chaste et sainte qui persevere es siecles des siecles; car si bien les saintz ne craignent pas d'offencer Dieu, car ilz sont asseurés de vivre a jamais en sa bienveuillance, si est ce que l'inestimable estime quilz font de l'excellence divine fait qu'ilz reverent sa divine Majesté, et ont un'aggreable et amoureuse apprehension de sa grandeur, qui les tient en une continuell'attention soigneuse et leur donne un soin perpetuellement attentif a bien exalter la divine Bonté: qui est la crainte dont il est dit que « les puissances tremblent » devant sa Majesté, c'est a dire, elles ont un soin de l'honnorer et l'estiment avec tant d'admiration et de vive attention comme si elles craignoyent de mesprendre; car, autant que sa bonté les asseure que jamais ilz ne manqueront, sa majesté les provoque a l'attention et au soin et reverence.

  A026000500 

 Car c'est elle qui fit prendre le soin a saint Abel de prendre le meilleur de ses trouppeaux pour offrir a Dieu, comme la nonchallance contraire fit que Cain choysit le moindre; [56] c'est elle qui fit tumber en terre Daniel et les autres Prophetes a moytié mors devant la majesté de Dieu; c'est elle qui fait qu'emmi les tressaillement et plus grandes consolations nous tremblons et craignons d'estre devant une si grande majesté; c'est elle qui fait que les Seraphins mesme voylent leurs yeux et leurs pieds, comm'indignes de regarder Dieu et de s'arrester pres de luy; c'est elle qui fait dire a David: Te decet hymnus silentium in Syon, car la grand'estime de la perfection divine fait qu'on n'ose pas en parler, crainte d'en parler peu convenablement.

  A026000500 

 La reverence, qui est un des actes procedans de la religion, et n'est autre chose qu'une certaine vive apprehension et juste crainte de ne se pas bien comporter, et manquer d'honneur et de respect envers Dieu et les choses divines; et de cett'apprehension procede un soin particulier de rendre le plus exactement quil se peut toute sorte de tesmoignage de l'estime que nous faysons de la majesté et eminence de Dieu et de nostre vileté et bassesse, et de la disproportion quil y a entre nous et Dieu.

  A026000503 

 Les autres le font par des vœux qui sont voirement appreuvés de l'Eglise, mais non pas pourtant acceptés [ni] appliqués pour mettre la personne qui les fait en l'estat que l'on appelle regulier: telz sont tous les vœux qui se font par les personnes seculieres, voire mesme ecclesiastiques, encor bien que ce seroyent les vœux de pauvreté, chasteté et obeissance, quand ilz sont faitz sans estre acceptés par quelqu'Ordre qui ayt le pouvoir ou l'establissement de rendre ses membres reguliers.

  A026000504 

 Or est il vray que tous les vœux, autant les simples que les solemnelz, ceux qui se font en la profession reguliere et ceux qui se font hors d'icelle, obligent egalement devant Dieu, sans qu'il y ait nulle difference; en sorte que qui viole les vœux simples il est autant perfide et sacrilege, a rayson du vœu, comme celuy qui viole les vœux solemnelz. Mais pourtant, ceux qui violent les vœux solemnelz, ou simples, mais de Religion, pechent plus griefvement que les autres, a rayson du scandale qui s'en ensuit, [qui] est plus grand: outre que, par l'establissement du droit, ilz peuvent estre apprehendés et chastiés, ne pouvans ni contracter legitimement ni rien acquerir entre les hommes, tandis quilz sont dans les liens du vœu; la ou ceux qui ont fait les vœux purement simples ne sont pas rendus inhabiles a contracter et acquerir entre les hommes, quoy que devant Dieu et en conscience ilz soyent autant perfides en ce faysant que les autres..

  A026000506 

 Comm'aussi celles qui par des vœux particuliers et purement simples se sont liees devant Dieu a l'obeissance, pauvreté et chasteté; car si bien elles ne sont pas moins liees devant Dieu que les Religieux, neanmoins, en la police exterieure de l'Eglise et en ce qui en depend, les Religieux le sont beaucoup davantage.

  A026000506 

 Et quant aux autres personnes qui ne sont liees que par les simples oblations (qui est un lien de reverence, respect et verité; car c'est un'irreverence de ne point observer ce que l'on a protesté, quoy que non voué de faire, devant un si grand Roy et pour son service, bien que ce ne soit pas contre la fidelité, n'y ayant eu aucune promesse), elles ne sont pas appellees Religieuses si absolument, ains seulement devotes et dediees a Dieu.

  A026000508 

 Mays je demande a un homme qui ne me doit rien, ni service ni chose quelconque, quil me donne de l'argent, quil me preste son [61] cheval, ou quil me donn'a manger ou a boire, a cett'heure-la je ne puis user d'autre sorte de demande que de celle de la priere; et si c'est une personne qui soit relevee au dessus de moy en quelque eminente qualité, je ne prie pas seulement, mais adjoustant avec l'humilité la reverence, je supplie..

  A026000509 

 L'isle Halonesus avoit esté aux Atheniens, mais les pirates la leur occuperent; sur lesquelz Philippe, Roy de Macedoine, l'ayant prise, les Atheniens la luy demanderent, et il consentit de la leur donner, mais non pas de la rendre; au contraire, les Atheniens ne la vouloient pas prendre, mais reprendre.

  A026000509 

 Or, Dieu ne nous doit rien, Philothee, a tous tant que nous sommes, pour nostre regard et pour nostre consideration; car, qu'avons nous pour l'obliger de quoy il ne nous ayt premierement obligés? Nous ne luy sçaurions jamais rien donner, car si nous luy presentons quelque chose, l'ayant premierement receue de luy, c'est rendre, non pas donner; c'est payer, non pas obliger; nous ne l'obligeons pas, mais nous nous acquitons de la dette.

  A026000510 

 Ce n'est pas, Philothee, que Nostre Seigneur ne se soit constitué debteur envers nous des recompenses immortelles, si nous observons ses commandemens, et quil ne die souvent que non seulement il nous les donnera, mais quil les nous rendra: Mon Pere, dit il a celuy qui priera en son nom, te le rendra; et l'Apostre, parlant de la coronne de gloire: laquelle, dit il, en ce jour la advenir le juste Juge me rendra.

  A026000510 

 Or, despuis neanmoins quil s'y est obligé par misericorde, il le fait par justice; dont il dit quil rendra, par ce que s'estant engagé de parole il est constitué debteur de justice, comme par ce qul ne s'est engagé que par misericorde il est donateur de liberalité: il donne, par ce quil ne s'est pas obligé par justice, ains liberalement et de grace; il rend pourtant, par ce quil doit, et il doit par ce quil s'est obligé..

  A026000510 

 Ouy, en verité, Philothee, nos bonnes œuvres faites en la grace de Dieu meritent recompense, et Nostre Seigneur s'oblige de la rendre, comme toute l'Escriture tesmoigne; mays ce n'a pas esté par [62] droit de justice que Nostre Seigneur s'est obligé de nous rendre recompense, ça esté par pure misericorde, selon la grandeur de laquelle il nous a voulu sauver.

  A026000511 

 Et bien que nous ayons [63] promesse expresse d'obtenir tout ce que nous demanderons au nom de Nostre Seigneur, cela neanmoins s'entend sous cette condition, que nous soyons enfans de Dieu et que nous ayons l'esprit d'adoption qui nous donne la hardiesse de crier: Abba Pater, ou convenablement disposés pour le devenir; dequoy n'estant pas asseurés, nous ne pouvons jamais demander qu'en grace pour nostre regard..

  A026000511 

 Mays outre cela, il ne nous considere pas en nous mesme, ains en Nostre Seigneur son Filz, sur lequel nous sommes entés comme des greffes sur un noble tige; et partant, en qualité de membres d'un tel chef, au nom duquel nous demandons toutes choses, il nous rend ce qui luy est deu.

  A026000512 

 En quoy les uns et les autres ont eu rayson: car il demande sans doute a son Pere les benedictions que nous recevons, et sa demande n'est pas priere quant a ce quil demande, car ce quil demande luy est deu par justice; mais elle ressemble pourtant a la priere, par ce qu'il ne demande [64] pas avec moins de reverence, d'humilité et de sousmission que si ce qu'il demande ne luy estoit pas deu..

  A026000512 

 Or, par ce que ses demandes sont fondees en droit et justice, plusieurs grans personnages (Greg. Naz., Orat. 36, 53 et 54) ont dit qu'a proprement parler Nostre Seigneur ne prioit plus maintenant quil est au Ciel, selon que luy mesme l'affirme disant: Je ne dis pas que je prieray mon Pere; mays par ce que neanmoins il demande en qualité d'advocat et que, comme les advocatz, il demande avec un infini respect et une reverence incomparable, plusieurs aussi ont dit quil prioit.

  A026000516 

 Nous prononçons telles ou semblables paroles, du plus profond de nostre esprit, ou si nous ne les prononçons pas, nous en avons le sentiment: Saint, Saint, Saint, le Seigneur Dieu des armées.

  A026000522 

 Et par ainsy, les enfans sortent des Religions, quoy quilz soyent profes, pour secourir leurs peres et meres quand ilz sont, je ne dis pas en extreme, mais en grande necessité, quand sans sortir ilz ne peuvent leur procurer d'ayde et de soulagement..

  A026000522 

 Or, le devoir de pieté s'estend a tous les offices qui se peuvent legitimement rendre, soit en honneur, soit en service, mais sur tout a sustenter et servir nos pere et mere en leurs necessités: obligation qui passe si avant, que nous ne pouvons pas mesme faire aucun vœu qui nous puisse empescher de rendre ce devoir; et si nous l'avons fait, il ne nous tient pas liés de ce costé la, ains, nonobstant iceluy, nous pouvons et devons rendre ce devoir originaire de pieté auquel la nature nous oblige.

  A026000524 

 Car un œuvre que nous n'estions pas obligé de faire avant quil fut commandé, soudain quil est commandé nous sommes obligés de le faire, et d'œuvre simple elle devient debte ou devoir pour nous, le commandement liant et obligeant nostre volonté avec cett'œuvre: et partant, l'obeissance est la vertu par laquelle nous rendons aux superieurs ce que leur authorité nous oblige de faire par leur commandement..

  A026000525 

 C'est pourquoy elle est meilleure que les victimes par ce que les victimes sans obeissance ne sont pas aggreables a Dieu, oui bien l'obeissance sans victimes, et par ce que les victimes ne sont aggreables sinon comm'elles sont commandees.

  A026000526 

 Aussi ay je dit quil failloit rendre bien fait pour bien fait: or, ce n'est pas un bien fait sii ne procede d'un esprit aymant, doux, aggreable, officieux, et sil ne regarde plus l'affection du bienfacteur que le bien fait.

  A026000526 

 C'est pourquoy il faut rendre, sil se peut, plus que l'on n'a pas receu, comme font les chams fertiles qui produisent plus de graines incomparablement qu'on n'en a jetté dedans leur sein: car si vous ne rendes que le mesme, c'est plustost une restitution de rigueur qu'une gratitude d'affection et d'amour; et en cela vous ne rendes pas bienfait pour bienfait, car si vous ne rendes que ce que vous aves receu, il [70] n'y a point de bienfait de vostre part.

  A026000526 

 La debte de gratitude doit estre aggreable, et ne se doit pas payer par ce quil nous deplait de devoir, mais par ce quil nous plait et aggree de rendre le reciproque.

  A026000529 

 Ainsy, si j'ay quelqu'aversion et repugnance a mon prochain, pourveu que, selon ma volonté et resolution, je sois deliberé de l'aymer, non seulement je dois luy tesmoigner de l'amour, mais je ne dois nullement luy tesmoigner mon aversion, car cette aversion n'est pas'volontaire et si, [71] elle seroit scandaleuse; et en verité je l'ayme, puisque je l'ayme selon la partie maistresse et regente de mon ame..

  A026000529 

 Or, quand nous disons nos sentimens, nous n'entendons pas parler des sentimens involontaires que nous avons quelquefois contre nos prochains, mays de vrays sentimens que nous avons selon nostre volonté superieure.

  A026000530 

 Car si je veux affirmer une chose de grande consequence, je suis obligé d'avoir un grand soin pour sçavoir la verité; si c'est une chose indifferente, il n'est pas requis de me mettre en peyne pour m'asseurer de la verité, ains suffit que je die simplement ce que je croy estre veritable d'abord.

  A026000530 

 Si je raconte comme un seigneur ou une dame estoit (sic) vestus en telles occasions, pourveu que je die selon ce quil m'en semble il suffit; mays si je raconte leurs actions, par lesquelles on peut discerner silz ont esté vertueux ou non, je dois estre plus discret et parler avec plus d'asseurance de la verité: car le mensonge n'a jamais aucun juste usage, c'est tous-jours un abus, pour utile qu'en soit la consequence; et n'en est pas de mesme comme de l'hellebore, car bien que nos cors puissent estre gueris par le tourment des medicamens, les espritz le doivent voirement estre par le tourment de la tristesse et repentance, mais non jamais par la coulpe.

  A026000533 

 Certes, l'avarice ne proffite a personne, non pas mesme a l'avare, auquel le bien quil a luy defaut et est autant inutile comme celuy quil n'a point.

  A026000533 

 affection des richesses, ne permettant pas qu'on les prise plus quil ne faut, et par consequent nous porte a les despenser et employer volontier et librement quand il est convenable, affin que d'un costé nous ne soyons pas avares, soyt a ramasser et acquerir trop ardemment les biens de ce monde, soit a les retenir trop chichement, et que d'autre part nous ne soyons pas prodigues, donnant a gens indignes, comme sont les flateurs, bouffons, joüeurs, ni pour choses frivoles et vaines.

  A026000534 

 Il faut rendre a chacun ce qui luy appartient: rendes donc a ce furieux son espee, et il en tuera quelqu'un sur le champ! Non, Philothee, cela ne se doit pas faire; car bien quil faille rendre a chacun ce qui est a luy, cela s'entend quand il n'en abuse pas au plus grand dommage du prochain, et l'equité nous enseigne cela.

  A026000534 

 La loy dit: Chommés les jours de feste, ouyes la sainte Messe; le fœu cependant se prend a la mayson, ne l'esteindray-je donq pas? Si faites, car la loy n'a pas entendu de vous obliger en ce cas la; vous feres bien un autre jour la feste et ouires bien un autre jour la Messe, mays vous ne sçauries eviter ce grand dommage si vous n'y travailles maintenant.

  A026000534 

 Mays sur tout ce qui regarde la justice, il y a une vertu que nous appelions œquité, qui empesche que la justice ne soit pas injuste et que le droit ne se change pas en injure; c'est cette prudence qui modere les loix inferieures par les superieures, en sorte que une loy cede a l'autre selon que la rayson requiert et que le legislateur mesme le diroit sil voyoit l'estat present des affaires.

  A026000539 

 Et en fin, nous evitons la pusillanimité ou decouragement, par lequel [75] nous fuyons les grandes actions, les grans honneurs et les grans offices pour la trop grande apprehension que nous avons de la grandeur, n'estimans pas nos forces asses dignement et selon leur mesure; car, comme les presomptueux entreprennent indiscrettement outre leur pouvoir, les pusillanimes n'entreprennent pas selon leur pouvoir, ains laissent une partie de leurs forces inutiles, faute de cœur pour les employer..

  A026000540 

 De la magnanimité depend la magnificence, qui nous porte non aux actions grandes des vertus, mays aux grans et somptueux ouvrages qui requierent force despence; car cette vertu nous les fait entreprendre genereusement, destournant d'un costé une certaine sotte affection de despence par laquelle on fait des frais inutiles et outre la bienseance, et d'autre costé une certaine vileté d'esprit par laquelle on n'esgale pas la despence a la dignité et bienseance de l'ouvrage qu'on entreprend..

  A026000542 

 Or, quand, outre le mal que nous endurons avec moderation, nous devons l'avoir longuement: c'est a dire, [76] qu'outre le mal nous devons supporter une longue duree du mal, qui est une grandeur en duree et estendile de continuation, nous n'avons pas seulement besoin de patience, mays de longanimité, qui est la vertu par laquelle nous supportons ou une longue attente du bien, ou une longue duree du mal.

  A026000543 

 Je ne dis pas le don de perseverance, car c'est une grace toute divine dont nous avons parlé, en passant, ailleurs; mays la perseverance qui est une vertu par laquelle nous continuons et poursuivons un bien jusques a la fin, contre la difficulté et l'ennuy que la longueur et duree d'un affaire ou entreprise peut apporter.

  A026000553 

 Mays, Philothee, cela ne s'entend pas en sorte que les personnes mariees ne puissent pas estre tout entierement a Dieu aussi bien que les continens et vierges: car [combien de mariés] y a-il eu en l'Eglise, d'une tres eminente sainteté, [plus grande même que celle de] beaucoup de vierges et continens?.

  A026000554 

 C'est ce que veut dire l'Apostre, selon que saint Augustin mesme l'a remarqué au livre Du bien de la viduité, quand il dit quil exhorte a ce qui est honeste et bienseant; car il ne veut pas dire que le saint mariage ne soit honneste et bienseant, mais il advertit que l'estat de continence et vierginité est plus seant et plus honneste, au moins de l'honnesteté exterieure..

  A026000555 

 Ah! non, c'est une vertu hardie, genereuse, active, ains qui fait une continuelle guerre contre le plus fascheux ennemi qu'on ayt, duquel elle reprime voirement les actions, mais non pas .......................................................................................

  A026000555 

 La chasteté n'est pas une vertu oysivete (sic) et qui consiste en la cessation des actions.

  A026000557 

 Vertu marque de naturel honneste, qui ne peut pas mesmement souffrir les signes de la deshonnesteté ni en soy ni es autres.

  A026000560 

 Et tous-jours faut il prendre garde au bien publiq, selon lequel c'est quelquefois une grande clemence d'user de rigueur et severité, quand le chastiment des meschans est requis pour tenir les autres en bride et les gens de bien en asseurance: dont saint Thomas dit que la severité n'est pas contraire a la clemence, ains est une vertu qui sert a la rayson quand il n'est pas convenable d'user de clemence..

  A026000560 

 La clemence est proprement es superieurs, pour moderer la punition quilz doivent faire des criminelz, affin que autant que la justice le permet, on n'use pas de toute la rigueur, ains on addoucisse la peyne; car, comme Dieu punit tous-jours moins que nous ne meritons et [84] recompense tous-jours plus que nous ne meritons, aussi la clemence punit non selon la rigueur et severité, mais avec douceur, moderation et temperament: en sorte neanmoins qu'evitans la cruauté, ilz ne tumbent pas en la lascheté et exces de douceur.

  A026000563 

 C'est pourquoy le grand Apostre, qui ne s'estime pas digne d'estre appelle apostre en considerant ses defautz, veut estre estimé de tout homme comme serviteur, officier de Dieu et dispensateur de ses misteres.

  A026000563 

 Et je dis que nous reconnoissons et faisons cette profession de nostre neant en ce qui est de nous mesme, parce qu'en ce qui est en nous de Dieu nous ne laissons pas, pour l'humilité, d'avoir un extreme courage et une sainte hauteur d'esprit, l'humilité n'estant nullement contraire a la magnanimité; car l'humilité fait une juste estime de ce qui est de nous en nous, comme la magnanimité de ce qui est de Dieu en nous.

  A026000563 

 Je ne dis pas une connoissance, mais une reconnoissance et profession cordiale et volontaire; parce que plusieurs connoissent quilz ne sont rien, qui ne le veulent pas reconnoistre, advouer, ny professer.

  A026000566 

 La vileté nous demet et nous laisse sans cœur, sans mouvement, et, pour nous faire fuir l'estime de nostre propre excellence, ne veut pas que nous considerons (sic) l'excellence de Dieu en nous.

  A026000567 

 Et quant a nous, il ny a pas besoin de commandement, pour la mesme [raison qu'] il n'y a pas besoin de commander nostre estime, ni d'y appliquer la vertu..

  A026000567 

 Mais par ce que la sainte humilité est une vertu qui nous regarde principalement, nous pratiquons l'humilité seulement en nous mesme et sur nous mesme; car, quant aux autres, nous la prattiquons envers eux et non en eux ni sur eux: c'est pourquoy nous ne regardons pas en eux ce quilz sont d'eux mesme, mais ce quilz sont en Dieu, et partant nous les estimons grandement, et non pas nous.

  A026000568 

 Certes, comme il y a une temperance pour le goust corporel, aussi en faut il une pour le goust de l'esprit: dont le grand Apostre a dit, Ro., 12, quil ne failloit pas plus sçavoir quil estoit requis de sçavoir, mais sçavoir a sobrieté on selon sobrieté; comme [88] sil vouloit dire quil [y] a une sobrieté pour l'esprit comm'il y en a une pour le cors..

  A026000568 

 Il y a encor une vertu qui range nostre esprit en l'estude et appetit de connoistre les choses, affin que nous ne desirions sçavoir que ce qui est convenable, comm'il est convenable et autant quil est convenable, et pour la fin convenable, en sorte que nous evitions d'un costé, la curiosité qui nous porte au desir [de] sçavoir ce qui ne nous appartient pas, ou d'autre façon quil n'appartient, ou plus qui' n'appartient, ou pour autre intention quil n'appartient, et d'autre part, la negligence qui, par une contraire extremité, nous destourne d'apprendre ce qui nous est necesre et convenable.

  A026000570 

 Et outre cela, le grand saint Thomas adjouste la simplicité, qui non seulement modere ces choses, mais contient nostre soin, affili quil ne s'espanche pas trop en ces choses exterieures.

  A026000574 

 C'est une verité, que qui ne se sauvera pas par Marie perira, comme tout ce qui estoit hors de l'arche de Noë fut a perdition; non que Marie soit cause absolue de la redemption, car c'est Jesus, son adorable Filz, mais elle est le moyen duquel ce Redempteur s'est voulu servir en prenant d'elle son humanité.

  A026000580 

 Si la femme de l'Evangile crioit dans les places publiques ou Jesus passoit: Beni soit le ventre qui vous a porté et les mammelles qui vous ont allaité, devons nous pas donner des benedictions perpetuelles au sacré cœur de Marie qui a tant aymé Jesus? O Vierge glorieuse, vous aves receu le Verbe en vostre cœur avant que de le recevoir [90] en vostre sein, et vous estes plus heureuse de l'avoir aymé souverainement et sans intermission que de l'avoir porté corporellement en vostre sein et entre vos bras; et c'est ce que Nostre Seigneur nous vouloit signifier quand il a dit: Mays plustost bienheureux sont ceux qui font la volonté de mon Pere qui est aux Cieux, c'est a dire qui n'ont qu'un mesme esprit et qu'un mesme cœur avec Dieu.

  A026000611 

 Vient d'une charité qui n'est pas veritable..

  A026000614 

 Qui ne regardera pas son prochain saintement, charitablement et avec pitié, ou avec le respect qu'il luy doit comme chrestien, par ce commencement il gastera toutes les parties de son ame: de la il deviendra superbe, insolent, envieux, barbare, et ne retiendra plus aucun trait de l'image de Dieu..

  A026000614 

 Si tost qu'on vist le pourtrait d'Antigone, qu'Apelles avoit tiré obliquement et de sorte que l'incommodité de son œil perdu estoit couvert par un trait de pinceau, il fut importuné de tout le monde qui luy demandoit pourquoy il ne l'avoit pas peint comme il estoit: Ou est l'autre œil? luy disoit on.

  A026000631 

 Il vaudroit mieux n'avoir que deux Maysons en tout l'Ordre, que de les estendre avec des voyes de prudence humaine; car tost ou tard les fondemens qui sont sur le sable et ne seront pas en la pierre de Jesus Christ, feront tomber tout l'edifice..

  A026000691 

 La pierre theamedes, qui croit es montaignes d'Etiopie non pas loin de la montagne de l'Aymant, a la vertu du tout contraire, car si on luy approche du fer, incontinent elle le rejette et chasse.

  A026000734 

 Les éperviers ne chassent pas tous de la même manière: les uns prennent la colombe quand elle est posée à terre, mais jamais quand elle vole; les autres, quand elle vole, et jamais quand elle pose à terre; les autres, ni quand elle est posée à terre, ni quand elle vole, mais quand elle se pose sur les arbres ou sur les lieux élevés.

  A026000735 

 Quand l' épervier voit la proie et ne désire pas s'en emparer, c'est signe qu'il est trop gras..

  A026000737 

 [Le diamant] placé sur l'aimant, ne lui permet pas d'attirer le fer..

  A026000781 

 Noé ne prie pas pour le monde détruit, mais Moïse prie pour le peuple: Pardonne à ton peuple, ou efface-moi du livre de vie... Oublie-moi, parce que de ce peuple sortira le Messie..

  A026000785 

 Comme Dieu voulait inviter son peuple à vivre vertueusement, il le menace, si ce peuple n'obéit pas, de toutes les malédictions écrites dans ce livre, et toutes les nations diront: Pourquoi le Seigneur a-t-il fait ces choses? etc. Mais ce livre-ci est le livre des bénédictions..

  A026000790 

 L'aurore approchant: Je ne te laisserai pas partir..

  A026000805 

 Ayant donq souvent osté les couleurs quil avoit assisses avec un'esponge, voyant quil ne luy succedoit pas, il jetta l'esponge contre le lieu du tableau qui luy desplaisoit; et icelle estant pleyne des couleurs qu'ell'avoyt prinses et ostees du tableau, elle les rendit en ce lieu la, et se treuverent [114] assisses si a propos que l'escume fut faitte comm'il desiroit. Heu! quam sæpe Deus nostros conatus ad bonum dirigit, nobis aliud cogitantibus! Sic... velut sp... et recte illis cecidi ..........................................................

  A026000862 

 Il n'est frauduleux ni soupçonneux et ne regarde jamais personne de travers; aussi ne prent il pas playsir qu'on l'y regarde.

  A026000892 

 Le serpent catablepa fait mourir tous ceux qui le regardent, [131] voire a la distance de mille pas.

  A026000913 

 Mathioli, sur le c. 93, dit que c'est si les pailles sont frottees d'huile, et dit que ce qu'on dit quil n'attire pas l'hissope est faux. Anima comedit et attrahit vilia quæque et stipulis quæ vertuntur ante faciem venti; sed id non facit si linita sit gratia et charitate, tunc enim cessant rerum inutilium desideria..

  A026000914 

 Les chevaux morduz du loup sont plus vistes; mais silz marchent sur les pas du loup, les jambes s'engourdissent et ammortissent.

  A026000963 

 Frelons et guespes, bastars des mouches a miel, leur font la guerre; ilz font la cire, mais non pas le miel; 24 et 19. Hæretici, infesti Catholicis, faciunt ore ceram, id est promunt corticem litteræ; nam et cera continet mel, mel autem minime.

  A026001024 

 IX].) Les ministres voudroyent faire croire quilz sont enfans des Apostres, mais ilz n'en ont pas la mine.

  A026001024 

 Ilz ne prisent pas le jeune, la virginité, la pauvreté, etc.; ilz ressemblent plus tost au Turc et leurs eglises aux mosquees..

  A026001100 

 Et y a difference entr'un homme de bien et homme devot, car cestuy-la est homme de bien qui garde les commandemens de Dieu, encor que ce ne soit pas avec grande promptitude ni ferveur; mais celuy-la est devot qui non seulement les observe, ains les observe volontier, promptement et de grand courage..

  A026001101 

 Secondement, il faut oster tout ce qui peut embarasser « les piedz » de nostre ame, qui « sont les affections, » lesquelles il faut retirer et desprendre de tout object non seulement mauvais, mais de celuy qui n'est pas bien bon, car un cheval entravé ou piqué ne peut courir..

  A026001106 

 Ne manques jamais [de] communier tous [les] pre[miers] Dimanches du moys, outre les bonnes festes, et le so[ir] devant, confessés vous et excites en vous une sainte reverence et joÿe spirituelle de devoir estre si heureuse] que de recevoir vostre doux Sauveur; et faittes alhors nouvelle resolution de le servir fervemment, laquelle [167] l'ayant receu, il faut confirmer, non pas par vœu, mais par un bon et ferme propos.

  A026001112 

 Tenes-vous courte avec les conversations mondaines et ne permettes pas, que le moins que vous pourres, qu'elles soyent en vostre chambre particuliere, pour, petit a petit, procurer que le dortoir des Dames en soit entierement exempt; ce qui seroit bien requis, et vostre exemple en est un grand moyen..

  A026001124 

 Demandes luy avec humilité pourquoy il vous y a mise, et consideres que ce n'est pas pour aucun besoin qu'il eust de vous, mais affin d'exercer en vous sa liberalité et bonté; car c'est pour vous donner son Paradis.

  A026001127 

 Helas, ce dires vous, que pensois je quand je ne pensois pas en vous? O Seigneur, dequoy me resouvenois je quand je vous avois oublié? Qu'aymois je quand je ne vous aymois pas? N'estois je pas miserable de servir la vanité au lieu de la verité? Helas, le monde, lequel n'est fait que pour me servir, dominoit et maistrisoit sur mes affections.

  A026001184 

 Est ce donques, ce dis-je, ce grand Jesus qui a tant fait de miracles, de sermons et d'actes vertueux tout le tems de sa vie? Est ce pas la le Filz de Dieu æternel, qui est Maistre du Ciel et de la terre? et comment donques est-il pendu en croix? Ne pouvoit-il pas mourir de mille sortes de mortz plus honnestes, plus doulces et supportables, puis qu'il vouloit mourir? O quil faut bien dire que cette mort a quelque secrette beauté, puisqu'elle a esté choysie par le Filz de Dieu mesme! O quelle admiration sera ou peut estre digne de cette merveille?.

  A026001186 

 Ce n'est pas faute d'haleyne, car il en a bien pour souspirer; ce n'est pas faute de sujet, car il a bien dequoy se plaindre; ce n'est pas faute d'auditeurs, car il en est environné; ce n'est pas faute d'estre interrogés (sic), car un chacun crie apres luy, qui ceci, qui cela.

  A026001190 

 O saint enfant d'obeissance, o obeissance vrayement filiale! Helas, comme suis-je si presumptueux et temeraire d'apeller Pere celuy auquel je n'ay jamais bien obei, et comm'obeirois-je jusques a la mort, moy qui n'obeis pas seulement jusques a la souffrance d'une petite parole fascheuse ou d'un regard traversé?.

  A026001192 

 O Dieu, que vos peynes sont bien contraires aux miennes! Vous patisses pour me sauver, et jusques a present, pourquoy ay-je souffert que pour me perdre? Helas, si j'ay couru, si j'ay veillé, si j'ay eu aucun soin cuysant, n'a ce pas esté pour la vanité, pour l'ambition, pour la vengeance?.

  A026001212 

 Hé donques, mon ame, n'auras tu pas compassion de ton Sauveur qui souffre tant? Si jamais tu fus touchee de commiseration sur la nudité d'aucun pauvre emmi la rigueur de l'hyver, ne dois tu pas [181] compatir a ce pauvre Roy, qui est exposé tout fin nud sur cet arbre? Si jamais quelque pauvre ulceré te fit pitié, regarde, je te prie, celuy-la, auquel tu ne verras, de la plante des pieds jusques a la teste, aucun lieu qui ne soit tout gasté de coups.

  A026001212 

 Hé, je vous prie, de grâce, mes amis, releves bellement cette croix, et fiches la si doucement, que ses playes ne s'agrandissent point et que la secousse n'en soit pas si grande.

  A026001212 

 Hé, vois ce cœur affligé de tant de pechés que le peuple commet; et si ton cœur ne s'afflige avec luy, il faut que tu ne l'ayes pas de chair, mais de pierre, et plus [dur] que le diamant mesme..

  A026001215 

 O qui me donnera la grace que je puisse en quelque façon donner allegement a mon Sauveur affligé! Hé, que ne m'est-il loysible de prendre mes habitz plus prætieux pour couvrir vostre nudité! que n'ay je du bausme excellent pour en oindre vos play es! que ne suis je pres de vous sulla croix pour soustenir vostre cors en mes bras, affin que la pesanteur ne dechirast pas si fort les playes de vos pieds et de vos mains! Mais sur tout, que ne puis je empescher les pecheurs de tant offenser vostre cœur, qui ne feroit que se jouer de toutes les peynes de vostre cors, si pour icelles les pecheurs pouvoyent estre amendés! Que ne suis je quelque excellent et fervent predicateur pour leur annoncer la penitence! O comme ne dirois je aux iniques: Ne veuilles plus vivre iniquement; et aux delinquans: Ne relevés plus les cornes de vostre fierté et felonie!.

  A026001216 

 Mais, o Seigneur, pourquoy m'amuse-je a ces desirs, desquelz je n'ay la force d'en prattiquer un seul? Comme vous donnerois je mes habitz prætieux, moy qui n'en donnay jamais un vil et usé a vos pauvres? Sur la croix vous ne me les demandes pas, et je vous les offre; en vos pauvres vous me les demandes, et je les refuse! O vaynes et miserables offres qui ne se font qu'en apparence, et en effect ne sont que mocqueries.

  A026001234 

 O obeissance admirable et filiale! Mais quel effronté suis-je, d'oser appeller Dieu mon Pere, auquel je n'ay jamais porté le respect filial; et comme obeirois-je jusques a la mort, que je ne le puis pas mesme jusques a la souffrance d'une petite parole fascheuse et d'un regard traversé? Mais doresnavant, venes, o tribulations et desplaysirs; que venant de la part du Pere eternel, je vous recevray de bon cœur, et beniray le calice d'obeissance..

  A026001249 

 Que si elle n'est pas de grande importance, aussi ne faut il pas une grande sollicitude, ains, apres une petite consideration, il se faut resoudre; et si par apres l'action, la resolution ne semble pas bonne et qu'on se soit trompé, on ne s'en doit nullement affliger ni troubler, ains s'humilier et mocquer de soi mesme..

  A026001250 

 Et si par leur defaut la resolution n'est pas la meilleure en soy, elle ne laissera pas d'estre la plus utile et meritoire pour vous, car Dieu la rendra fructueuse.

  A026001259 

 Neanmoins, selon la commune façon d'entendre, on n'appelle pas parfaitz tous ceux qui ont la charité, ains seulement ceux qui l'ont en un degré sublime et eminent; c'est a dire ceux qui ont un amour de Dieu et du prochain fort excellent..

  A026001270 

 degré, c'est d'obeyr aux conseilz, chacun selon sa vocation: comme de demeurer vefve quand on l'est; de rechercher celuy qui nous a offencés, par caresses et courtoysies; d'ayder ceux qui en ont quelque besoin, encores qu'ilz ne soyent pas en grande necessité.

  A026001273 

 est lhors qu'on nous commande quelque chose aggreable, comme seroit de ne point travailler les festes, de chanter en musique, ou quelque autre chose semblable, laquelle de soy mesme nous est aggreable; et en cela il n'y a pas grande vertu en obeyssant, mais il y a bien du grand vice en des-obeyssant.

  A026001280 

 Vous aves conté mes pas; mais pardonnes moy mes offenses..

  A026001313 

 Hé, qui sera ce tigre qui ne fondra en larmes sur ce jeune Roy, le plus doux de tous les hommes, vray Filz de Dieu, et qui est si mal traitté? Helas, nul n'est si denaturé qui voyant un criminel sur la roue, pour criminel qu'il soit, n'en ayt compassion: hé donques, mon ame, mourras tu point de compassion de voir ton Sauveur qui souffre tant? Voy ce cœur tant affligé pour les pechés du monde; et si ton cœur ne s'afflige avec luy, faut il pas qu'il soit plus dur qu'un diamant?.

  A026001314 

 O qui me fera la grace que je puisse en quelque façon soulager mon Sauveur en cette affliction? Hé, que ne m'est [196] il permis de le couvrir de quelque habit praetieux, de respandre sur ses playes quelque bausme excellent et supporter entre mes bras la pesanteur de ce cors! Et vous qui releves cette croix, alles y tout bellement, je vous supplie, et ne la rejettes pas si rudement dans le creux, affin que la secousse ne soit pas si grande pour ce pauvre Patient.

  A026001315 

 Mais, o mon Dieu, pourquoy m'amusé-je a ces desirs, moy qui n'ay presque pas la force d'en prattiquer un seul? Vous ne me demandes pas sur la croix mes vestemens, et je vous les offre; vous me les demandes en vos pauvres qui sont vos membres, et je vous les refuse.

  A026001319 

 Ne cesseray je pas en fin de vous estre infidelle, mon Sauveur et mon Dieu? O non, ce ne seront plus des-ormais d'inutiles desirs, ce seront des effectz; ce ne seront plus des paroles, ce seront des œuvres.

  A026001335 

 O obeissance admirable et vrayement filiale! O que vous merites bien d'avoir un tel Pere, puisque vous luy rendes une telle obeissance! Mais ne suis-je pas bien effronté d'appeller ce mesme Dieu mon Pere, luy estant si desobeissant? Et comment obeirois-je jusques a la mort, puisque je n'obeis pas mesme jusques a la souffrance d'une petite parole fascheuse et d'un regard de travers? O je veux changer d'humeur, et pour l'amour de mon Sauveur je veux boyre cy apres tous les calices qu'il me presentera..

  A026001337 

 O donques, que son amour est grand! Helas, Seigneur, je ne sçay pas si j'ay aucun amour; mais si j'en ay, il est si miserable qu'il s'assouvit d'une seule larme, et il croit s'estre bien fait paroistre quand il a jetté quelques souspirs.

  A026001352 

 Encor que vous ayes preparé plusieurs considerations, toutesfois si une suffit pour vous entretenir pendant vostre demy heure, ne passes pas plus avant; et si vous ne treuves pas en l'une d'icelles dequoy eschauffer vos affections, faites les suivantes l'une apres l'autre, jusques a ce que vous ayes treuvé la veine des affections..

  A026001353 

 Le premier, c'est d'ouvrir la porte aux paroles, vous lamentant de vous mesme a Nostre Seigneur, confessant vostre indignité, le priant qu'il vous soit en ayde, baysant le Crucifix, si vous l'aves devant vous, et disant mesme de bouche au Sauveur: Si ne vous lairray-je pas; je me tiendray icy aupres de vous, et n'en partiray point que je n'aye eu vostre benediction.

  A026001355 

 Que si apres tout cela vous demeures encor en secheresse et sans consolation, mesme en telle sorte que vous ne puissies proferer aucune parole ni interieurement ni exterieurement, ne laisses pas pour cela de [202] vous tenir en une contenance devote, sans vous inquieter ni troubler, vous resouvenant qu'il y a deux fins principales pour lesquelles on se met en la presence de Dieu et en orayson: l'une est pour exciter son affection en l'amour de Dieu, et lhors que nostre affection n'y est point vivement excitee nous disons que nostre ame est en secheresse; l'autre est de rendre hommage a Dieu, protestant qu'il est nostre souverain Createur et Seigneur: et cette fin est extremement noble, parce qu'il y a moins de nostre interest.

  A026001355 

 Que si, venant a l'orayson, nous ne pouvons pas faire le premier, il se faut contenter du second, qui est tous-jours beaucoup, encor que nous ne puissions parler a Dieu et qu'il semble qu'il ne nous parle point. Combien y a-il de courtisans qui vont cent fois l'annee en la chambre du Roy et en sa presence, non pour luy parler ni pour l'ouyr, mais simplement pour estre veus de luy et tesmoigner par cette assiduité qu'ilz sont ses serviteurs.

  A026001365 

 Vous aves conté tous mes pas; mays pardonnes moy mes offenses..

  A026001378 

 Il ne reste que la consideration des dispositions et affaires de la journee, qui ne se doit pas faire parmi la meditation, parce qu'elle regarde trop par le menu nos occupations, nostre mesnage, nos rencontres des personnes avec qui nous avons a traitter, avec leurs conditions: comme si elles sont choleres, despiteuses et semblables, et tout cela nous distrairoit trop.

  A026001387 

 A la Communion, si on ne la fait pas reellement, il la faut faire spirituellement, s'approchant de Nostre Seigneur par un saint desir d'estre unie a luy et le recevoir en son cœur..

  A026001402 

 Je ne veux point que vostre meditation soit de plus que d'une grosse demie heure ou trois quartz d'heure, et quand vous ne la pourres faire le matin ou devant le disner, je ne voudrois pas que ce fust sinon pour le moins quattre bonnes heures apres le disner, c'est a dire, un petit avant le souper.

  A026001403 

 Donques, pour le reste du tems de la Messe auquel je n'ay pas dit ce qu'il failloit faire, ou bien il faut continuer les affections que je vous ay marquees chacune en son ordre: comme, par exemple, celle de la contrition jusqu'a l'Evangile; celle de protestation de foy jusqu'a la Preface, et ainsy des autres.

  A026001403 

 Et si vous ne le pouves pas tout dire en une fois, dites le en deux, et l'Office de Nostre Dame aussi; dequoy vous ne deves faire nul scrupule, ains il y a de la superstition a croire que pour de legitimes interruptions il faille recommencer, car cela est sans nulle rayson, ni apparence de pieté: nostre Dieu ne regardant qu'a la devotion avec laquelle on prie, et non pas si c'est a deux fois ou a troys.

  A026001403 

 Pour le regard de la Messe, je n'ay pas voulu particulariser sur tous les misteres d'icelle, pour vous instruire comme il y faut correspondre par le menu avec des oraysons et des pensees, d'autant que cela charge tant la me [209] moyre que la volonté n'a pas ses affections libres.

  A026001403 

 Que si c'est le Chapelet, vous ne laisseres pas, en le disant, de faire presque tout ce que j'ay marqué; l'un n'empeschera pas l'autre.

  A026001410 

 C'est a Dieu d'avoir le soin de le faire, nous n'avons pas besoin de nous en empescher; c'est a nous seulement d'avoir le soin de le bien croire et de nous en prevaloir..

  A026001412 

 O que vous estes incomprehensible, et que je suis joyeuse dequoy vous l'estes! Non, je ne voudrois pas vous pouvoir comprendre, car vous seriés trop petit si une si petite et chetifve capacité vous comprenoit.

  A026001412 

 Puis, se retournant a son propre entendement: Et quoy, petit mouscheron, nourri parmi la pourriture de ma chair, voules vous brusler vos aisles a cest immense feu de la puissance divine, laquelle consumeroit et devoreroit les Seraphins, s'ilz se vouloyent fourrer en telles curiosités? Non, petit papillon, il vous appartient seulement d'adorer cet abisme, et non pas de le sonder.

  A026001412 

 Tu trompas ainsy la pauvre Eve, luy voulant apprendre a sçavoir autant que Dieu; mais tu ne m'attrapperas pas: je veux croire, et ne rien sçavoir..

  A026001416 

 En figure dequoy les Israelites ne demanderent pas comme la manne se faysoit, mais la voyant toute faitte, ilz demandoyent [213] ce que c'estoit.

  A026001416 

 Et qu'est ce qu'il faut considerer? Il ne faut pas considerer comme ce Sacrement se peut faire, car ce seroit nous perdre; mais il faut bien considerer ce que c'est que ce Sacrement.

  A026001416 

 Mais cela ne suffit pas; car il le faut encor parer et orner d'une autre chose: il le faut tapisser de considerations.

  A026001423 

 Il la faut purger des affections desreglees et desordonnees, mesme des choses bonnes; c'est pourquoy ceux qui mangeoyent l'aigneau paschal devoyent avoir des souliers en leurs piedz, affin qu'ilz ne touchassent point la terre des piedz; car « les piedz de l'ame sont ses affections », qui la portent par tout ou elle va, dit saint Augustin, et ses affections ne doivent pas toucher la terre ni estre a l'abandon, mais doivent estre resserrees et couvertes en mangeant le vray Aigneau paschal, qui est le tressaint Sacrement.

  A026001430 

 Combien que la tentation ne cesseroit point, ne laissés pas de communier; car si vous laissies pour cela, vous donneries gain de bataille a vostre adversaire.

  A026001434 

 Pour la memoire, il est bon de donner ordre le plus qu'il se pourra, que sur tout despuis souper vous ne soyes occupee ni d'esprit ni de cors a aucune affaire esloignee du dessein de la Communion, mais que vous fassies une particuliere retraitte de vostre esprit et de tous vos sens en vostre interieur, pour attendre l'Espoux avec les lampes en main, et que l'huile n'y manque pas; et pour cest effect, que la recreation de l'apres souper soit un peu plus devote et de propos de charité, et le souper plus sobre, sans tristesse neanmoins, ni trop d'austerité..

  A026001435 

 Cela s'entend du jour anniversaire; cela ne se rencontreroit pas tous-jours, mais quelquefois..

  A026001436 

 Car a cette intention Nostre Seigneur vient a nous, affin que nous soyons tous en luy et a luy; ce que nous ne sommes pas si nous nourrissons des affections desordonnees, voire es choses de soy bonnes et legitimes..

  A026001440 

 Je n'appreuve pas aussi que l'on estende la langue hors des levres, ni que l'on ouvre si peu la bouche quil soit malaisé d'y mettre la sainte hostie, ni que l'on s'avance en quelle façon que ce soit pour la prendre, puisque celuy qui la presente ne se rencontrant pas avec la bouche de celuy qui s'avance, il se pourroit faire de l'irreverence.

  A026001440 

 Je n'appreuve pas nomplus le souspir en cet instant, car il peut faire du scandale remuant les hosties qui sont dans la petene ou vase de Communion.

  A026001440 

 Je n'appreuve pas que sur le point on die aucun'orayson vocale, sinon le: [218] Seigneur, je ne suis pas digne et le Confiteor.

  A026001451 

 Vous treuveres peut estre aussi bien longue cette instruction, mais il faut que vous sçachies deux choses: l'une, que vous ne deves pas faire tout ceci tout a coup, mays seulement vous en servir a mesure que vous connoistres en avoir besoin, et en prendre ce qui vous aydera; l'autre, c'est que je vous ay couché cette preparation si au long, affin que vous en puissies ayder les autres qui en auront necessité..

  A026001453 

 Et s'il vous survient quelque doute et que vous n'entendies pas bien ce que j'ay dit, vostre Pere Confesseur extraordinaire vous esclarcira, ou moy, si vous me l'envoyes..

  A026001454 

 J'avois oublié de vous resouvenir que ce Sacrement ne nous unit pas seulement avec Nostre Seigneur, mais avec nos prochains, avec lesquelz, participant a mesme viande, nous sommes rendus une mesme chose.

  A026001460 

 Je ne dis pas qu'elle pense cela, mais je dis qu'elle s'empresse comme si elle le pensoit, et cela provient de ce que, ne rencontrant pas de premier abord la delivrance de son mal, elle entre en de grandes inquietudes et impatiences.

  A026001460 

 Voyla donques l'inquietude arrivee, et peu apres arrive, quatriesmement, une extreme tristesse, parce que l'inquietude n'ostant pas le mal, ains au contraire l'empirant, l'on tumbe en une angoisse desmesuree, avec une defaillance de force et troublement d'esprit si grand, [225] qu'il luy semble ne pouvoir jamais en estre quitte; et de la elle passe a un abisme de tristesse qui luy fait abandonner l'esperance et le soin de mieux faire..

  A026001461 

 Vous voyes donques que la tristesse, qui de soy n'est pas mauvaise en son commencement, engendre l'inquietude, et que, reciproquement, l'inquietude engendre une autre tristesse, qui de soy est tres dangereuse..

  A026001467 

 C'est pourquoy, estans tumbés clans les filetz de quelques imperfections, nous n'en sortirons pas par l'inquietude, au contraire nous nous embarrasserons tous-jours davantage.

  A026001467 

 Il faut donq rasseoir nostre esprit et jugement, et puis tout bellement y mettre ordre; je ne veux pas dire negligemment, mais sans empressement, trouble, ni inquietude.

  A026001468 

 Nostre Seigneur ne voulut point que son Temple fust edifié par David, roy tressaint, mais belliqueux, ni qu'en l'edification fust ouy aucun marteau, ni aucun fer; mais par Salomon, roy pacifique: signe qu'il ne veut pas que nostre edification spirituelle se fasse sinon en tres grande paix et tranquillité, laquelle il faut tous-jours demander a Dieu, comme enseigne le roy David: Demandes, dit il, ce qu'il faut pour la paix de Hierusalem.

  A026001476 

 Dont le roy David ne se plaint pas seulement de la tristesse, disant: Pourquoy es tu triste, o mon ame? mais encores du troublement et inquietude, adjoustant: Et pourquoy me troubles-tu? Mais la bonne tristesse laysse une grande paix et tranquillité en l'esprit; c'est pourquoy Nostre Seigneur, apres avoir predit a ses Apostres: Vous seres tristes, il adjouste: Et que vostre cœur ne soit point troublé, et n'ayes point de crainte, etc. Voicy que ma tres amere amertume est en paix..

  A026001478 

 Et Nostre Dame ayant perdu son Filz fut bien triste, mais elle ne laissa pas de le chercher diligemment; comme fit aussi la Magdeleyne, sans s'arrester a lamenter et pleurer inutilement..

  A026001478 

 La bonne tristesse donne force et courage, et ne laisse point, ni n'abandonne un bon dessein; comme fit la tristesse de Nostre Seigneur, laquelle, quoy que si grande qu'il n'en fust jamais de telle, ne l'empescha pas de prier et d'avoir soin de ses Apostres.

  A026001486 

 Il la faut recevoir avec patience, comme une juste punition de nos vaynes joyes et allegresses; car le malin, voyant que nous en ferons nostre prouffit, ne nous en pressera pas tant; bien qu'il ne faille pas avoir cette patience pour en estre delivré, mais pour le bon playsir de Dieu, et la prenant pour le bon playsir de Dieu, elle ne layssera pas de servir de remede..

  A026001487 

 Il faut contrevenir vivement aux inclinations de la tristesse et forcer ses suggestions; et bien qu'il semble que tout ce qui se fait en ce tems-la se face tristement, il ne faut pas laisser de le faire, car l'ennemy, qui pretend de nous allentir aux bonnes œuvres par la tristesse, voyant [230] qu'il ne gaigne rien et qu'au contraire nos œuvres sont meilleures estans faites avec resistance, il cesse de nous plus affliger..

  A026001488 

 Il n'est pas mauvais, quand il se peut, de chanter des cantiques spirituelz; car le malin a souvent cessé son operation par ce moyen, pour quelque cause que ce soit: tesmoin l'esprit qui agitoit Saul, duquel la violence estoit attrempee par la psalmodie..

  A026001492 

 Et les faut employer bon gré mal gré la tristesse, a laquelle il ne faut point donner d'audience ni de credit, pour vous empescher de proferer et eslancer ces parolles de confiance et d'amour; et bien qu'il semble que ce soit sans fruit, il ne faut pas laisser de continuer, et attendre le fruit qui ne laissera pas de paroistre apres un peu de contention..

  A026001492 

 Il faut tous-jours s'addresser en ce tems-la a sa divine bonté par des invocations pleines de confiance, ce que l'on ne fait pas quand on est dans le tems de la joye et hors de la tristesse, ou l'on peut croire que l'on a plus de besoin d'exciter en son cœur les sentimens de crainte; par exemple, ceux ci: O Seigneur tres juste et terrible, o que vostre souveraine Majesté me fait trembler! et semblables.

  A026001492 

 Je ne veux pas dire qu'il faille faire en ce tems-la de plus longues meditations, mais je veux dire qu'il faut faire de frequentes [231] demandes et repetitions a Dieu.

  A026001495 

 Dieu, au contraire, demande pour la premiere condition, la discretion; ne voulant pas a la verité que l'on descouvre indiscrettement ses graces et faveurs, mais bien que l'on les descouvre avec prudence et selon les regles d'une humble discretion aux personnes de qualités requises.

  A026001521 

 Par exemple, s'il faut prier, donner aux pauvres, conseiller quelqu'un, estre solitaire, entrer en conversation, souffrir quelque travail, souvenes vous que Nostre Seigneur en diverses occasions fit tout cela; et par apres, excitant vostre ame: Hé! [237] ce dires vous, quand il n'y auroit point d'autre rayson pour prier, pour faire l'aumosne, pour consoler les affligés, pour demeurer en solitude, pour acquiescer a cette souffrance, pour m'arrester en cette conversation, ne me suffit il pas que mon cher Maistre m'en ayt monstré le chemin? Et cela se peut faire par un simple regard et unique souspir: Ouy, Seigneur, je suis avec vous..

  A026001550 

 Ceux qui courent la bague ne pensent pas a la compaignie qui les regarde, mais a bien courre pour l'emporter.

  A026001566 

 Il se faut accuser non seulement du genre du peché que l'on a commis, mais aussy de l'espece: donc, il ne suffit pas de dire que l'on a esté homicide, luxurieux ou larron, mais il faut encore nommer l'espece de l'homicide, de la luxure et du larcin que l'on a commis.

  A026001569 

 Non seulement on se doit accuser des especes des pechés que l'on a commis, mais aussy du nombre d'iceux, disant combien de foys on a commis tel ou tel peché, au plus pres que l'on peut, selon la souvenance que l'on a; et si l'on n'a pas souvenance de la quantité des pechés, il suffit de dire combien plus ou moins environ; que si mesme on ne peut bonnement se resoudre de l'environ, il suffit de dire [245] combien de temps on a perseveré au peché et si on y est fort addonné..

  A026001573 

 Il est vray que celuy qui a confessé une action mauvaise n'a pas besoing de dire les autres actions qui sont ordinairement requises pour faire celle la: ainsy, celuy qui s'est accusé d'avoir commis adultere une fois n'est point obligé de dire les baisers et attouchemens quil a faict parmy cela, car cela s'entend asses sans qu'on le die, et l'accusation de telle chose est comprise en la confession de l'acte principal duquel les autres ne sont que les accessoires..

  A026001576 

 C'est pourquoy il faut particulariser, tant qu'il se peut bonnement faire, la qualité de l'objet ou de la matiere par le moyen delaquelle la malice du peché peut croistre ou descroistre; car il ne suffiroit pas a celuy qui auroit empoisonné un flaccon de vin, de dire qu'il a empoisonné du vin pour faire mourir des personnes, mais faudrait dire combien de personnes; car encor que l'empoisonnement se fist par une seule action, neammoins il se termineroit a la mort de plusieurs personnes, et bien que l'action fust unique, la nuysance neammoins seroit de grande quantité..

  A026001579 

 Le desir est un degré du peché, et la resolution d'exequuter en est un autre dont il se faut confesser, bien que par appres on ne vienne point a l'exequution; car qui desire et beaucoup plus qui se resoult de pecher, il a formé le peché dans son cœur, suyvant le dire de Nostre Seigneur: Qui regardera la femme pour la convoiter, il a desja adulteré en son cœur, et s'il n'a pas peché par effet, il a peché par affection.

  A026001579 

 Mais cela s'entend des desirs qui sont formés, et non pas de certaine sorte de mouvemens interieurs qui, de sursaut, a l'improuveüe et sans nostre consentement, [247] passent par nostre cœur, pendant lesquelz mesmement, qui nous interrogeroit sy nous voudrions les choses ausquelles ces mouvemens semblent nous porter, nous dirions indubitablement que non; car par la on void bien que ces desirs sont des actions de nostre nature et non pas de nostre franc arbitre..

  A026001582 

 Par exemple, celuy qui prend plaisir a penser en soy mesme a tuer, ruiner et maltraitter son ennemy, encor qu'il ne desire point d'en venir aux effetz, neammoins, sil a volontairement et a son escient pris delectation et res-jouissance en telles imaginations et pensées, il s'en doit accuser rigoureusement; comm'aussy celuy qui, pour prendre plaisir, s'amuse a penser, imaginer et se representer les voluptés charnelles, car il peche interieurement contre la chasteté, d'autant qu'encor qu'il n'ait pas voulu appliquer son cors au peché, il y a neammoins appliqué son cœur et son ame.

  A026001585 

 Ainsy, celuy là ne se confesseroit pas bien, qui ayant derobé une bourse en laquelle il n'y avoit que demy douzaine de jettons lesquels il pensoit estre des escus, ne s'accuseroit que d'avoir derobé des jettons; car encor qu'en effet il n'ayt derobé que des jettons, en affection neammoins il a derobé des escus..

  A026001585 

 Il y a mesme certaines actions lesquelles semblent estre meslées de peché mortel et de veniel, esquelles quelquefois on est grandement trompé: comme, par exemple, une personne grandement en cholere aura voulu donner un grand coup a quelqu'un qui, gauchissant, se sera eschappé; et par ce que l'effect de sa mauvaise volonté ne sera pas ensuivy, il tiendra l'offence pour petite, bien que reellement son intention de frapper rudement la fasse fort grande.

  A026001590 

 Premierement: le blaspheme, qui n'est autre chose qu'une mesdisance de la divine Majesté faite par mauvaise affection; comme quand on dit que Dieu n'est pas bon, qu'il n'est pas juste, qu'on le renie, qu'on le maugrée, qu'on le despite et, enfin finale, toutes fois et quantes que volontairement et a nostre escient nous parlons de Dieu [249] incivilement, ainsy que l'on fait quand on dit: Aussy vray comme Dieu est; un tel est vilain comme Dieu est noble; Dieu ne se soucie pas de ce que nous faisons; laissons Dieu en Paradis et demeurons icy; et semblables impertinences..

  A026001594 

 Violer les vœux que l'on a fait, ou bien faire des mauvais vœux: comme par exemple, de tuer quelcun, ou de ne faire pas quelque bien..

  A026001599 

 Dire des mauvaises parolles contre Dieu, les Saintz et l'Esglise; disputer curieusement et temerairement des choses de la foy; disputer ou faire des persuasions que les commandemens de Dieu n'obligent pas les personnes, qu'il ne faut pas craindre de les rompre, et semblables choses que des jeunes gens font quelquefois, ou pour pervertir l'esprit des filles, ou pour faire les gallans en matiere du peché de la chair.

  A026001601 

 Ne prier pas Dieu le soir et le mattin, ne faire point l'honneur et la reverence deüe aux choses sacrées, ne benir ou faire benir la table, ne dire ou faire dire Graces appres le repas..

  A026001601 

 Ne sçavoir pas les choses requises au bon chrestien, comme sa creance, le Patenostre, la Salutation angelique, les Commandementz de Dieu et de l'Esglise.

  A026001605 

 Jurer contre la justice, c'est a dire contre la raison: comme font ceux qui jurent de faire le mal ou de ne faire pas le bien; car c'est mespriser grandement Dieu que de l'appeller a tesmoin d'une action mauvaise, comme fit Herodes, jurant de faire trancher la teste a saint Jean Baptiste, auquel sont semblables ceux qui jurent de battre, de couper le nez, de ruiner, de tuer et autres..

  A026001612 

 Or, quant a la chasse ou tournois loisibles et autres exercices appertenentz principalement a la noblesse, ilz ne sont pas prohibés es jours de festes en qualité d'oeuvre servile, et partant, la Messe estant oüye, on peut loisiblement s'y appliquer es ditz jours de festes; mays ce seroit neammoins un'irreverence trop grande d'y vacquer és grands jours solennelz esquelz, tant qu'il est possible, un chacun doit assister non seulement a la Messe, mais aux autres services chrestiens.

  A026001615 

 Leur defaillir en leurs necessités, ne les consolant pas ny secourant selon son pouvoir..

  A026001616 

 Item, les peres, meres et superieurs des maisons, villes et republiques offencent Dieu contre ce commandement, traittans indignement et outrageusement leurs femmes, enfans, sujetz et inferieurs; n'aiant pas soin de les advancer [253] en la vertu; ne les assistant pas és choses requises, selon leur pouvoir; les scandalisant par mauvais exemple..

  A026001617 

 Enfin, les enfans, heritiers et legataires qui n'accomplissent pas les volontés de leurs bienfacteurs, dont ilz sont chargés..

  A026001620 

 (Je dis par hayne, parce que de desirer la mort ou a soy ou au prochain pour la gloire de Dieu, pour son salut et pour autres telles bonnes occasions, quand la hayne de la personne ne s'y mesle point, il n'y a pas peché.) Haïr quelcun; desirer de s'en venger; se res-jouir du mal d'autruy; se contrister de son bien; se mutiner contre luy et ne luy vouloir point parler a cett'intention.

  A026001622 

 C'est aussi peché de ne l'aider pas au bien, la conseillant, admonestant et corrigeant quand on le peut bonnement faire..

  A026001625 

 Muguetter, cajoller, donner de l'amour, et toutes sortes d'amourettes, bien que d'abord il ne semble pas que l'intention soit tout a fait charnelle.

  A026001629 

 N'empescher pas les larcins, concussions et autres dommages du prochain.

  A026001633 

 Par imposture, qui n'est autre chose que de jetter sur une personne un crime ou un vice qui n'est pas en luy; par aggrandissement du vice ou du peché qui se treuve en quelcun; par revelement d'un crime secret de quelqu'un; par mauvaise interpretation de l'intention de quelcun, detournant en mauvais sens les bonnes actions d'autruy; niant le bien estre en une personne, lequel y est, ou ravallant la juste estime que l'on doit avoir d'une personne; se taisant lorsque l'on peut justement deffendre de blasme une personne..

  A026001634 

 Faire lire, avoir, reciter des pasquins qui ne sont pas publiquement connus.

  A026001645 

 L'orgueil n'est autre chose qu'une volonté desordonnée d'une grandeur disproportionnee a celuy qui la veut, et partant c'est peché d'orgueil de s'attribuer le bien que l'on a d'autruy comme sy on l'avoit de soy mesme; penser meriter les biens et les graces que l'on a, encor qu'il n'en soit rien; s'attribuer des biens et des graces que l'on n'a pas; se preferer aux autres es choses esquelles on ne se doit pas preferer. Or, l'orgueil est peché mortel quand on ne veut pas reconnoistre de Dieu ce que l'on a; quand, pour maintenir sa vaine estime, on est prest a violer les commandemens de Dieu et quand, pour s'exalter, on deprime et mesprise on le prochain en chose notable..

  A026001646 

 A l'orgueil est attachée la vaine gloire, qui est se glorifier de ce que l'on n'a pas, ou de choses qui ne le meritent pas, ou de choses qui ne nous appertient (sic) pas, ou de choses mauvaises; ou vouloir avoir la gloire du bien que l'on a, sans reconnoissance de Dieu duquel il vient..

  A026001649 

 La curiosité appertient aussy a l'orgueil, qui n'est autre chose qu'un desir immoderé de sçavoir et connoistre les choses qui ne sont pas de nostre profession, ou qui sont dangereuses, ou qui sont deffendues..

  A026001651 

 De tout cela naist la presomption, par laquelle on entreprend de faire, dire, paroistre et estre plus qu'il ne nous appartient: comme quand on veut parler de choses qu'on n'entend pas, ou faire un art que l'on ne sçait pas, ou paroistre plus que l'on n'est pas, ou qu'on veut estre plus que l'on ne peut pas.

  A026001659 

 Or, l'appetit est desordonné, ou parce qu'il veut prendre le plaisir sur un sujet qui n'est pas a [259] nous, comm'il advient en la fornication et en l'adultaire; ou parce qu'il le veut prendre contre l'ordre estably par la nature; ou parce quil le veut prendre contre la fin et l'intention pour laquelle ce plaisir est destiné.

  A026001681 

 Elle produit le decouragement, par lequel on n'ose pas entreprendre le bien qui nous est conseillé; l'engourdissement d'esprit, par lequel on est empesché de se mouvoir a bien faire; l' aigreur malicieuse, par laquelle on hait la perfection chrestienne; la rancune et desgoust contre les personnes spirituelles, parce qu'ilz nous provoquent au bien; l' inadvertance aux choses bonnes; le desespoir, comme sy c'estoit chose impossible de garder les commandemens de Dieu et de se sauver..

  A026001684 

 On peche contre le premier commandement de l'Esglise, [261] violant le Caresme, les vendredis, samedis, vigiles et Quattre Tems quant a l'usage des viandes prohibées, ou bien ne jeusnant pas; ce qui s'entend, sinon que quelque legitime occasion nous empesche..

  A026001685 

 On peche contre le second commandement, n'oyant pas la Messe entiere és jours de Dimanche et de feste, sinon aussy que quelque legitime raison excuse.

  A026001685 

 Or, celuy est estimé ouïr la Messe entiere qui oyt presque toute la Messe, encor qu'il ne l'oye pas exactement toute: ainsy, celuy qui arriveroit quand on dit l'Epistre, oyant tout le reste de la Messe, satisferoit au commandement, l'Esglise n'ayant pas intention d'obliger plus rigoureusement que cela..

  A026001687 

 On peche contre le quatriesme, ne se communiant pas a Pasques.

  A026001688 

 On peche contre le cinquiesme commandement, ne payant pas la disme et autres devoirs ordinaires qu'on est obligé de rendre a l'Esglise..

  A026001691 

 C'est pourquoy, tout ce qui est contraire a l'amour de Dieu et a l'amour du prochain, sy la contrarieté est parfaite, doit estre estimé peché mortel; mais sy la contrarieté n'est pas parfaite ni accomplie, ains imparfaite et non accomplie, il n'y a que peché veniel..

  A026001693 

 Premierement: de la part de nostre volonté, lorsque nostre liberté n'est pas parfaite et que, par consequent, [262] nostre volonté n'agist pas avec pleine deliberation ny avec un total usage de son franc-arbitre: comm'il arrive quelque fois que nous dirons un'injure a quelqu'un par une si soudaine surprise de colere, que nous l'avons plus tost dite que pensée; car alors, bien que d'injurier le prochain soit ordinairement un peché mortel, toutesfois, a raison de ce que l'acte de la volonté a esté fort imparfait et indeliberé, ce n'est qu'un peché veniel, parce que la contrarieté a l'amour de Dieu en cet acte de la volonté n'a pas esté une pleine et accomplie contrarieté, ains une contrarieté sortie par surprise et inadvertence et la volonté n'estant pas pleynement a soy mesme..

  A026001694 

 Ainsy, celuy qui derobe une pomme, une poire, un liard ne peche que veniellement, parce qu'il offence fort peu le prochain et par consequent ne contrarie pas parfaitement a l'amour qui luy est deu; de mesme les coleres legeres, petitz chagrins, ou quelque legere et imparfaite caresse a l'endroit de la femme d'autruy ne seront pas estimés peché mortel..

  A026001694 

 Secondement: la contrarieté a l'amour de Dieu et du prochain est quelquefois imparfaite a raison de la petitesse de la matiere en laquelle ell'est commise: comme, par exemple, derober c'est un peché mortel, parce que le larcin contrarie a la charité du prochain; mais pourtant, ce que l'on derobe peut estre sy peu de chose, que la nuysance qui s'en ensuit contre le prochain est si extremement legere qu'elle n'est point considerable, et par consequent la contrarieté de cette action là a l'amour du prochain n'est pas une parfaite contrarieté, mais plustost comm'un commencement de contrarieté.

  A026001695 

 De mesme, joüer plus longuement qu'il ne faut par recreation c'est une chose qui n'est point louable, mais elle n'est pas de soy contraire a l'amour de Dieu et a l'amour du prochain; car, comme il appert, en cela il ny a point de meschanceté, mais seulement de l'inutilité..

  A026001695 

 Or je dis neammoins que la perfection de la charité est violée, parce que la perfection de la charité ne requiert pas seulement que nous ne nuysions pas au prochain, mais aussy que nous ne le frustrions pas de ses justes desirs et que nous ne nous contrarions pas nous mesmes: or, chacun desire naturellement de sçavoir la verité des choses qui luy sont representées, et nous nous contrarions nous mesmes quand nous parlons contre nostre pensée.

  A026001695 

 Tiercement: la contrarieté a l'amour de Dieu et du prochain est imparfaite a raison de la nature mesme de l'action que nous prattiquons, laquelle de soy n'est pas parfaitement mauvaise, mais seulement a quelque sorte de defaut en soy, lequel defaut ne la rend pas contraire a l'amour de Dieu et du prochain, ains seulement a la perfection de l'amour.

  A026001733 

 Bienheureux sont ceux qui ne veulent pas tous-jours faire, voir, considerer, discourir!.

  A026001734 

 [270] Que s'ilz n'ont pas la satisfaction de voir leurs progres, ilz ne doivent pas pour cela s'alangourir, car ilz sont certains qu'ilz ne laissent pas de s'advancer..

  A026001749 

 Helas! nos satisfactions et consolations ne satisfont pas aux yeux de Dieu, ains elles contentent seulement ce miserable amour et soin que nous avons de nous mesme, hors de Dieu et de sa consideration..

  A026001752 

 Et si, ces simples colombes n'employent pas un soin ni fort long, ni aucunement empressé a se laver et parer; car la confiance que leur amour leur donne d'estre grandement aymees, quoy qu'indignes (je dis la confiance que leur amour leur donne en l'amour et en la bonté de leur Amant), leur oste tout empressement et desfiance de ne pas estre asses belles; outre que le desir d'aymer, plustost que de se parer et præparer a l'amour, leur retranche toute curieuse sollicitude et les fait contenter d'une douce et fidele preparation faite amoureusement et de bon cœur..

  A026001752 

 Mays n'est ce pas un amour bien pur, bien net et bien simple, puisque elles ne se purifient pas pour estre pures, elles ne se parent pas pour estre belles, ains seulement pour plaire a leur Amant, auquel si la laydeur estoit aussi aggreable, elles l'aymeroyent autant que la beauté.

  A026001788 

 Premièrement tu dois demander à ton très cher Seigneur s'il trouvera à propos que tu renouvelles tous les ans, aux reconfirmations, entre ses mains, tes vœux, ton abandonnement general et remise de toi-même entre les mains de Dieu; spécifie particulièrement [279] ce qu'il jugera qui te touche le plus, pour enfin faire cet abandonnement parfait et sans exception, en sorte que je puisse vraiment dire: Je vis, non pas moi, mais Jésus-Christ vit en moi.

  A026001789 

 Devant disner, devant souper et le soir s'allant coucher, examines si, selon vos actions du tems precedent, vous pouves dire sincerement: Je vis moy, mays non pas moy, ains Jesuschrist vit en moy..

  A026001791 

 Si l'âme étant ainsi remise, ne se doit pas, tant qu'il sera possible, oublier de toute chose pour le continuel souvenir de Dieu, et en lui seul se reposer par une vraie et entière confiance?.

  A026001792 

 Ouy, vous deves tout oublier ce qui n'est pas de Dieu [280] et pour Dieu, et demeurer totalement en paix sous la conduite de Dieu..

  A026001794 

 Mais je ne suis pas maîtresse de mon esprit, lequel, sans mon congé, veut tout voir et ménager.

  A026001794 

 Si l'âme ne doit pas, spécialement en l'oraison, s'essayer d'arrêter toute sorte de discours, industrie, replique, curiosité et semblables, et au lieu de regarder ce qu'elle a fait, ce qu'elle fera ou qu'elle fait, regarder à Dieu; et ainsi simplifier son esprit et le vider de tout et de tout soin de soi-même, demeurant en cette simple vue de Dieu et de son néant, tout abandonnée à la sainte volonté dans les effets de laquelle il faut demeurer contente et tranquille, sans se remuer nullement pour faire des actes de l'entendement, ni de la volonté.

  A026001798 

 Je retourne donc à demander à mon très cher Père si l'âme étant ainsi remise ne doit pas demeurer toute reposée en son Dieu, lui [281] laissant le soin de tout ce qui la regarde tant intérieurement qu'extérieurement, et demeurant, comme vous dites, dans sa providence et volonté, sans soin, sans attention, sans élection, sans désir quelconque, sinon que Notre-Seigneur fasse en elle, d'elle et par elle sa très sainte volonté, sans aucun empêchement ni résistance de sa part.

  A026001801 

 Si Notre-Seigneur n'a pas un soin particulier d'ordonner tout ce qui est requis et nécessaire à cette âme ainsi remise?.

  A026001804 

 Si elle ne doit pas recevoir toute chose de sa main, je dis jusque aux moindres petites, et lui demander aussi conseil de tout, de tout?.

  A026001805 

 Il faut seulement prendre garde de ne faire pas des attentions superflues, s'enquerant de la volonté de Dieu en toutes particularités des actions menues ordinaires et inconsiderables..

  A026001807 

 Si ce ne sera pas un bon exercice de se rendre attentive, sans attention pénible, de demeurer tranquillement dans la volonté de Dieu en tant de petites occasions qui nous contrarient et voudraient fâcher (car pour les grosses on les voit de loin): comme d'être détournée de cette consolation qui semble être utile ou nécessaire; être empêchée de faire une bonne action, une mortification, ceci ou cela, quel qu'il soit, qui semble être bon, et, au lieu, être divertie par des choses inutiles et quelquefois dangereuses et mauvaises?.

  A026001814 

 Il faut dire a la bonne foy ce que l'on sent, mais en telle sorte que cela n'oste pas le courage de repliquer a ceux qui soignent de nous.

  A026001828 

 Que l'ame s'arreste aux misteres en la façon d'orayson que Nostre Seigneur luy a donnee; car les prædicateurs et livres spirituelz ne l'entendent pas autrement.

  A026001839 

 Je ne veux pas dire pourtant que vous vous bandies continuellement l'esprit pour vous tenir en cette paix; car il faut que tout cecy se fasse avec une simplicité de cœur tout amoureuse, vous tenant aupres de Nostre Seigneur comme un petit enfant aupres de son pere.

  A026001840 

 Cecy doit estre vostre exercice continuel; car cette simplicité de cœur vous empeschera de penser distinctement (car nous ne sommes pas maistres de nos pensees, pour n'en avoir que celles que nous voulons) qu'a ce que vous aures a faire et a ce qui vous est marqué, sans espancher vostre ame ni a vouloir, ni a desirer autre chose; et fera que toutes ces pretentions de plaire et ces craintes de desplaire a nostre Mere, s'esvanouiront, reservant le seul desir de plaire a Dieu, qui est et sera l'unique objet de nostre ame..

  A026001841 

 Et si bien vostre partie inferieure s'esmeut et se trouble, ne vous en mettes pas en peyne, taschant a garder la paix emmi la guerre; car peut estre ne sera-il jamais en vostre pouvoir de n'avoir pas du sentiment estant reprise.

  A026001841 

 Lhors qu'il vous arrivera de faire quelque chose qui pourroit fascher ou mal edifier les Seurs, si c'estoit chose d'une grande importance, excuses vous, en disant que vous n'aves pas eu mauvaise intention, s'il est vray; mais si c'est chose legere et qui ne tire point de consequence, ne vous excuses point: observant tous-jours de faire cela avec douceur et tranquillité d'esprit, comme aussi de recevoir les advertissemens.

  A026001841 

 Mais vous sçaves tres bien que les sentimens, non plus que toute autre tentation, ne nous rendent pas moins aggreables a Dieu, pourveu que nous n'y consentions pas..

  A026001844 

 Que si neanmoins il vous arrive de le faire, nonobstant vostre resolution, ne vous fasches pas pourtant, ains remettes vous en tranquillité tout aussi tost que vous vous en appercevres, et tous-jours de la mesme façon que je vous ay dit, tout simplement, sans effortz ni secousse d'esprit..

  A026001845 

 Et ne penses pas que cecy soit un exercice de quelques jours; oh! non, car il y faut bien du tems et du soin pour parvenir a cette paix.

  A026001845 

 Il vous sera difficile, d'autant que vous aves l'esprit vif, et qu'il s'arreste et s'amuse a chaque objet qu'il rencontre; mais la difficulté ne vous doit pas faire entrer en descouragement, pensant de ne pouvoir parvenir au but de vostre pretention.

  A026001849 

 Rendes vous donq bien indifferente, si on vous accordera ou non ce que vous demanderes, et ne laisses pas de demander tous-jours avec confiance; et demeures en l'indifference d'avoir des biens spirituelz ou non.

  A026001851 

 Je ne veux plus que vous soyes si tendre, ains que, comme une fille forte, vous servies Dieu avec un grand courage, ne regardant que luy seul; et partant, quand ces pensees, si l'on vous ayme ou non, vous arrivent, ne les regardes pas seulement, vous asseurant que l'on vous aymera tous-jours autant que Dieu le voudra, et que cela vous suffise.

  A026001853 

 Et quand vous seres reprise ou corrigee de quelque chose, essayes-vous tout doucement d'aymer la correction; et ne vous fasches pas si la partie inferieure s'esmeut, mais faites regner la partie superieure, affin que vous fassies ce que l'on veut de vous en cette occasion..

  A026001856 

 Travailles fidelement pour cela, bandes toutes les forces de vostre esprit pour l'acquerir, et prenes garde que la mortification [289] reluise en vostre exterieur; en sorte que les seculiers treuvent plus de sujet de l'observer, que non pas de bonne mine, ni de bonne façon..

  A026001857 

 Mais ressouvenes vous de ce que j'ay dit en l'Entretien de l'Humilité; et toutes fois et quantes qu'elle ne produit pas ce fruit, elle est suspecte et indubitablement fause.

  A026001885 

 Si vous voules avancer au chemin de la vertu, ne regardes pas au visage de ceux qui vous commandent, parce que si vous les consideres il vous arrivera tous-jours de la difficulté a obeir et sousmettre plustost a cette Superieure qu'a une autre, si elle estoit en charge.

  A026001886 

 Il ne luy dit point le chemin qu'il tiendra, ni Abraham ne luy dit point: Seigneur, de quel costé vous plaist il que je sorte? Si vous ne me dites par quelle porte je dois sortir, je ne sçay pas ou aller.

  A026001888 

 C'est un grand moyen d'avancer en la vertu et en l'amour de Dieu quand nous avons des Superieures qui ne nous ayment pas et que nous n'aymons pas aussi.

  A026001888 

 Il ne faut pas estre tendre comme les petitz enfans..

  A026001888 

 Il ne se faut pas descourager ni entrer en desfiance pour cela, bien que les Superieures n'en doivent [293] donner aucun sujet.

  A026001891 

 Il ne faut jamais rien faire contre l'obeyssance, specialement quand il nous vient en l'esprit que cela n'est pas bien, et que le scrupule nous prend ou que nous ne voudrions pas que nos Superieures le sceussent..

  A026001895 

 Si on vous fait la mine, il ne la faut pas faire; saint Paul dit qu'il faut rendre bien pour mal..

  A026001914 

 Selon les occasions, retires vous en vous mesme, par des retours de vostre esprit en Dieu; il ne faut pas que vous soyes trop retiree, car ce n'est point vostre humeur..

  A026001927 

 Je n'attens pas de vous que vous n'ayes point de sentimens; ouy bien que vous les combatties, vainquies et surmonties avec douceur et patience..

  A026001927 

 Quand les mouches nous piquent, il ne faut que tout simplement les oster; ainsy, quand il nous vient des contradictions, il ne faut que tout simplement les oster, c'est a dire s'en destourner et non pas s'en occuper.

  A026001928 

 Quand vous n'aures pas de croix, demeures tranquille; Nostre Seigneur vous en envoyera bien quand il luy plaira..

  A026001932 

 Et pour vous oster la crainte que vous ne faites pas ce que vous leur dites, pensés que vous leur parles comme messagere et envoyee de la part de Dieu; et quand il vous vient de prendre de la vanité de ce que vous leur dites, penses en vous mesme que ce que vous dites n'est pas de vous, mais de Dieu, et vous humilies..

  A026001936 

 La perfection ne consiste pas a parler, mais a faire.

  A026001938 

 Mais quand vous les escouteres par curiosité, alhors il se faut mortifier et ne les pas ouyr.

  A026001940 

 Et de [se] la faire, c'est une grande prattique de vertu, et de ne la pas faire, c'est la perdre..

  A026001940 

 Ne vous estonnes point de ces bouleversemens de cœur et aversions au prochain; pourveu que vous ne les nourrissies pas volontairement il n'y aura point de peché.

  A026001940 

 — Il n'y a pas moyen, ma chere Fille, de le faire comme si on les aymoit bien, sinon qu'on se fist une grande violence.

  A026001940 

 — Mais vous ne leur parles pas de bon cœur.

  A026001943 

 Ne faites pas comme les petitz enfans: quand ilz sont tombés, ilz s'amusent a regarder si quelqu'un les a veus.

  A026001943 

 Ne vous estonnes pas de vos cheutes et imperfections; qu'elles ne vous fassent entrer en aucun descouragement, car cela est contraire a la perfection que nous desirons..

  A026001945 

 Encor que je die le petit pas, ce n'est pas que je n'aye un grand desir de vostre avancement a la perfection.

  A026001945 

 Je me prometz beaucoup de vostre bon cœur, ma chere Fille; ne me trompes pas, car je veux que vous soyes la fille forte de ceans, la plus courageuse, douce et humble [302] de toutes, parce que vous estes nee entre mes bras.

  A026001945 

 Marches tous-jours vostre petit pas, apres les autres.

  A026001945 

 N'ayes pas tant de soin de vous mesme et de ce que vous deviendres.

  A026001947 

 Il ne se faut pas estonner de se voir tous-jours faillir et tomber en des fautes; et comme il faut avoir un grand courage pour se relever quand on a failli, il le faut encor plus grand pour se supporter se voyant tomber souvent dans les mesmes fautes.

  A026001947 

 Nostre Seigneur dit a ses Apostres: Receves le Saint Esprit et le Sanctificateur, mais parce qu'ilz estoyent sur la terre ilz ne pouvoyent pas s'empescher de crotter leurs piedz marchant dans la boue.

  A026001949 

 Au reste, il ne faut pas [303] aller dire ses troubles sur le champ, quoy qu'ilz nous pressent bien; il faut attendre qu'ilz soyent un peu passés..

  A026001953 

 S'il y avoit une personne qui fust punaise et qu'il la fallust servir et qu'elle ne se contentast jamais de nos services, il ne faudroit pas pour cela laisser un brin du service qu'on luy doit.

  A026001959 

 Il ne faut pas plus penser au lendemain pour l'esprit que pour le cors..

  A026001960 

 Ainsy ceux qui commencent la perfection d'un jour a l'autre, ne laissent pas, en leur resolution, d'estre parfaitz aussi bien que les autres qui en font la resolution determinee tout en un coup, pour toute leur vie.

  A026001960 

 Ce que le Combat spirituel veut dire, ma chere Fille, que ce n'est pas si grande vertu et perfection de se resoudre pour tout un jour comme pour toute sa vie? — Sçachés, ma Fille, qu'il y a deux sortes de perfection: par exemple, une personne sera tentee de la tentation de la chair; elle n'y fait point de faute, elle est parfaitte en cela.

  A026001962 

 Quand nous voyons que nous ne sommes pas si parfaitte que nous voudrions, il se faut humilier devant Dieu et luy dire: Seigneur, vous voyes ce que je suis; je voudrois bien estre plus parfaitte pour mieux vous plaire et aymer..

  A026001962 

 [305] Il ne faut pas estre tant rude a soy mesme.

  A026001966 

 Il ne s'ensuit pas que vous facies comme elles.

  A026001968 

 Ce n'est pas aller droit de penser beaucoup a ses fautes, et aussi si les Superieures nous ayment.

  A026001968 

 Il faut estre bien ayse si elles nous ayment, parce que cela donne courage a s'avancer; mais ce n'est pas marcher droit de penser beaucoup a cela..

  A026001968 

 Il faut faire comme ceux qui vont par un beau chemin, rempli de belles fleurs: [ils] ont beaucoup de sujetz de s'amuser par le chemin; ilz ne s'amusent a rien, pas seulement a cueillir ni sentir ces belles fleurs, ilz font leur chemin droit.

  A026001968 

 Il ne faut pas estre marrie si elles ne nous ayment et ne tesmoignent point d'affection a nostre avancement; il suffit qu'elles l'ayent devant Dieu.

  A026001968 

 Si elles nous negligent et nostre avancement, il ne faut pas se negliger soy mesme, ni perdre courage a s'avancer.

  A026001974 

 Quand il n'y auroit que Dieu et vous au monde, seroit-ce pas asses, sans vouloir tant de creatures et vous amuser a tant de [307] tricheries qui passent par vostre esprit? Resouvenes vous souvent de Dieu par des frequentes aspirations en luy..

  A026001975 

 Il ne se faut fascher si on n'est pas tous-jours en la presence de Dieu.

  A026001975 

 Je ne dis pas seulement cecy des actions pieuses d'elles mesmes, mais aussi des indifferentes, comme d'aller se coucher, se reposer, quand il le faut.

  A026001979 

 Il ne faut pas seulement se disposer a ne pas negliger l'innocent, mais il se faut joindre avec luy pour la defence de sa cause.

  A026001979 

 Ne vous estonnes pas si vostre amour n'est pas tendre, tant a l'endroit de Dieu comme a l'endroit des creatures; pour estre fort, il en est meilleur.

  A026001980 

 Et pourquoy ne recevrons nous pas les sacrees inspirations de nostre divin Espoux, qu'il nous envoye avec tant d'amour?.

  A026001982 

 Laisses vous gouverner de luy, a son gré; encor qu'il ne soit pas selon le vostre, il sera tous-jours bien selon le sien.

  A026001985 

 L'amour propre n'est pas si satisfait, car nous voudrions tous-jours avoir des goustz, des satisfactions et consolations, ou autrement tout est perdu.

  A026001988 

 Demeures donq simplement en cette resolution, sans regarder ni a droitte ni a gauche, et quand l'ennemi vous mettra cette tentation au cœur, que vous ne persevereres pas, dites en vous mesme: Si ferons, s'il plaist a Dieu; Celuy qui a commencé l'œuvre la parachevera.

  A026001989 

 Et ainsy pour la sainte Communion: quand il vous viendra des desgoustz, ne laisses pas de communier, mais alles tout simplement et amoureusement recevoir vostre Createur, vous imaginant de le recevoir avec la Sainte Vierge..

  A026001993 

 Et que vous doit il importer d'en avoir ou non, pourveu que vous ne les suivies et que vous ne les nourrissies pas volontairement? Il n'est pas en nostre pouvoir de n'avoir point de tentations et sentimens, mais ouy bien de n'y point consentir et y faire des fautes en suite.

  A026001994 

 De mesme a l'aversion, quand elle ne presse pas trop, soyes soigneuse de faire des actes positifs.

  A026001995 

 Et ne feres vous pas bien ce que je vous diray? [311].

  A026001995 

 Ne penses pas, ma Fille, que je voulusse trahir vostre ame; o non, car elle m'est aussi pretieuse que la mienne mesme.

  A026001996 

 Ne perdes pas ces occasions que vous aves de vous avancer en l'amour de Dieu..

  A026001997 

 Quand elle n'est pas si forte, il se faut surmonter.

  A026002000 

 Ne sçaves vous pas que le throsne de sa misericorde c'est nostre misere?.

  A026002001 

 Ne laisses pas un brin de vos exercices, pour tout ce que la tentation vous dira de contraire: il les faut redoubler, j'entens au moins les oraysons jaculatoires, et les faire avec ferveur, et tout le reste des exercices autant qu'il vous sera possible, en despit de vostre degoust.

  A026002001 

 — Il vous semble que vous ne pouves pas.

  A026002001 

 — Si fait, mais c'est que vous ne le voules pas, parce que vous y aves de la peyne et que vous n'y aves point de satisfaction.

  A026002003 

 Et ne sçaves vous pas Jesus Christ crucifié? vous sçaves bien cela, c'est asses; vous sçaves plus que vous ne faites.

  A026002004 

 Nos saintz Peres ont eu des sentimens; vous n'estes pas plus qu'eux..

  A026002010 

 Ne laisses pas de dire vos pensees a la Superieure; encor qu'elle vous mortifiera et fera la mine, il faut croire qu'elle [314] dit la verité et que vous vous trompes.

  A026002017 

 Prenes soigneusement un point et vous mettes [315] en la presence de Dieu avec le plus d'humilité qu'il vous sera possible; tasches de faire vos considerations, si vous pouves, et si Nostre Seigneur vous tire et empesche par son attrait et inspiration de faire des considerations pour vostre amendement, ne les faites pas, vous les feres apres l'orayson si vous pouves; mais laisses aller vostre ame aux affections ou Dieu l'attire, sans vous rechercher ni regarder ce qui se passe en vous, mais soyes fidele a suivre l'attrait de Dieu..

  A026002018 

 Il faut estre grandement pure; puisque Nostre Seigneur vous fait ce don, il ne vous le donne pas pour vos beaux yeux, mais affin que vous le servies mieux et le prochain aussi.

  A026002019 

 Il se faut surmonter pour Nostre Seigneur et ne se pas laisser emporter a la negligence de combattre le sommeil et les distractions.

  A026002019 

 Quand on ne peut pas faire des considerations par secheresse, il faut faire ses resolutions et affections selon la partie superieure, sans se desgouster ni quitter l'orayson; mais quand il vient des pesanteurs, sur tout aux oraysons extraordinaires, vous vous pouves bien un peu divertir, comme pendant la lecture et autres qui ne sont pas d'obligation.

  A026002020 

 C'est comme si un seigneur vous appelloit pour vous parler, et que vous n'y voulussies pas aller et que vous dissies: J'ayme mieux parler a ses valetz.

  A026002020 

 Ne faites pas cela; gardés vous de le plus faire, car c'est resister au Saint Esprit et luy faire la loy et vouloir se gouverner soy mesme.

  A026002020 

 Nostre Seigneur nous attire a luy, nous voulant donner ses graces, et nous resistons! Il est bien employé [316] qu'il nous laisse la tout imparfaitz, puisque nous ne voulons pas recevoir la grace et l'honneur qu'il nous fait avec tant d'amour, sans que nous l'ayons merité.

  A026002021 

 Quand on n'a pas bien fait l'orayson, il le faut reparer par des oraysons jaculatoires.

  A026002021 

 Que vostre principal exercice soit de vous tenir tous-jours aupres de Nostre Seigneur, mais tranquillement; et ne laisses pas plus dissiper vostre esprit hors de l'orayson qu'en l'orayson, et soyes telle hors d'icelle comme vous voudries estre en la faysant.

  A026002022 

 C'est comme une eau qui est tant agitee des vens qu'elle ne represente pas l'image de l'homme, d'autant qu'elle est troublee; et bien qu'elle soit claire, les parties du cors y paroissent comme desunies les unes des autres.

  A026002022 

 Il n'est pas possible que l'ame qui au tems de la meditation est occupee de quelqu'autre affection ou desir, puisse estre attentive a ce qu'elle medite, pour bien recevoir en soy mesme l'image de Dieu auquel elle cherche de se transformer par l'orayson.

  A026002022 

 Tout de mesme l'ame qui est agitee des vens contraires des passions n'est pas propre pour recevoir en soy l'image de Dieu..

  A026002022 

 Toute l'immortification qu'ont aucunes fois les Religieux provient de ce qu'ilz ne s'addonnent pas a la meditation, laquelle est le chemin raccourci de la perfection.

  A026002023 

 Je sçay bien, ma Fille, que la perfection ne consiste pas a l'orayson, mais a l'humilité.

  A026002024 

 Il ne faut pas servir Dieu ni les saintz Protecteurs par fantaisie, ni se gouverner soy mesme.

  A026002024 

 Un des preceptes de la vie spirituelle est de prendre deux ou trois Saintz et les prier qu'ilz intercedent pour nous vers Nostre Seigneur; mais s'ilz ne nous impetrent pas ce que nous voulons et desirons d'eux, il ne les faut pas quitter.

  A026002065 

 Ne se point estonner de nos cheutes, puisque ce n'est pas chose admirable que l'infirmité soit infirme et la foiblesse foible; et en fin nous humilier de toutes nos fautes generalement, soyent elles grandes ou petites; mettre cela devant Dieu par une humble reconnoissance de nostre misere, puis nous relever tout doucement..

  A026002083 

 Ne point contester, ni parler avec empressement; ne pas rire ni parler trop haut, ni faire des gestes en parlant, des mains ni de la teste, ni des autres membres du cors..

  A026002110 

 Se mortifier es choses que l'on doit faire par obligation, comme de manger, se recreer et tel autre exercice auquel on prend playsir, disant avant que de les faire: Je ne veux pas faire cela pour mon playsir, ains parce que mon Dieu le veut..

  A026002113 

 Ne donner aucun signe d'impatience quand il (le prochain) ne prend pas bien ce que nous faisons ou avons en charge.

  A026002152 

 Ne se point fascher si d'abord nous ne marchons pas si fermement et fidellement comme nous voudrions, ains nous contenter de marcher le petit pas a nos commencemens, pour puis apres courir et marcher a grande course..

  A026002153 

 Ne point vouloir attirer les autres a nostre train, ni les mesestimer si elles ne font pas ce que les autres font, ains estimer tout ce qu'elles font..

  A026002174 

 I er Point de l'obeyssance est que nous devons croire et tenir pour asseuré que Dieu a establi toute sorte de Superieures et que ce ne sont pas les hommes qui les eslisent, c'est Dieu mesme..

  A026002177 

 C'est qu'il ne faut jamais regarder au visage des Superieurs ni dire: Sont ilz propres pour nous? commanderont ilz bien? ains obeyr a l'aveugle en tout ce qu'ilz nous commandent, car ce ne seront pas les Superieures qui nous rendront parfaittes, mais la sousmission et obeyssance que [327] nous leur rendrons.

  A026002195 

 Nous ne sommes pas Econnome ni Superieure des talans et dons que Dieu a mis en nous, mais seulement Depenciere, pour les distribuer aux autres, pourtant l'esprit de la Visitation par tout afin de le repandre au prochain; [329] tachant de polir, purifier et formé les esprits de celles que Nostre Seigneur nous commettra, qui se treuveront fort divers, esquels il faudra que nous exercions une grande douceur, simplicité, suport et patience pour les voir cheminer le petit pas et tousjours commettre des imperfections; inculquant en ces ames là la vraye humilité, generosite, douceur et charité, qui est le vray esprit de nos Regles, afin que par ce moyen elles parviennent a la perfection de l'amour sacré et a l'union de leurs ames avec sa divine Majesté, qui est la fin pour laquelle elle les a apellé a la Religion..

  A026002210 

 Car ainsi ces sacrees parolles, filees, coulees et distilees par la pointe de nostre esprit en la mesme pointe de nostre esprit, la penetreront et detremperont plus intimement et fortement qu'elles ne feroyent pas si elles estoyent dittes par maniere d'eslans, d'orayson jaculatoyre et de saillie d'esprit.

  A026002226 

 Ayes une devotion particuliere a Nostre Dame et vostre bon Ange; puis, ma Fille, souvenes vous qu'il faut avoir plus d'humilité pour commander que non pas pour obeir.

  A026002226 

 Mais prenes garde aussi de ne pas tant subtiliser sur tout ce que vous feres.

  A026002227 

 De plus, il faut que vous fassies grande attention sur cette parole que j'ay mise dans les Constitutions, sçavoir, que la Superieure n'est pas tant pour les fortes que pour les foibles, bien qu'il faille avoir soin de toutes, affin que les plus avancees ne retournent point en arriere.

  A026002237 

 Trois vertus vous sont cherement recommandees: la debonnaireté tres humble, l'humilité tres courageuse, la parfaitte confiance a la providence de Dieu; car quant a l'esgalité de l'esprit et mesme du maintien exterieur, ce n'est pas une vertu particuliere, mais l'ornement interieur et exterieur de l'espouse du Sauveur.

  A026002260 

 Quand les filles n'ont que 14 ans, il y a peu a dire pour les recevoir, si d'ailleurs elles sont bien conditionnees; et quand les filles ont fait leur essay dans la Maison on ne les fait pas sortir pour leur donner l'habit, ains tout cela se fait a la grille, parce qu'il a esté treuvé plus a propos pour eviter la presse et se conformer aux autres..

  A026002262 

 Faire le tout prudemment et suavement; la Constitution n'est-elle pas pour cela, affin de rompre les affections et attachemens aux charges?.

  A026002263 

 Pour les meres et filles qui sont Religieuses, je vous respons en un mot qu'elles se doivent appeller Seurs tout ainsy comme les autres; mais je ne treuve pas bon qu'on en reçoive facilement ensemble, si ce n'estoyent filles ou femmes extraordinaires et de grande consideration..

  A026002264 

 Et faut qu'en l'infirmerie l'ordre soit de lire au tems de la lecture au moins un quart d'heure; non pas que les malades le facent, si cela les incommode, mais quelqu'autre en leur presence.

  A026002264 

 Pour les malades qui semblent ne prendre playsir a parler des choses bonnes, il faut en cela suivre la discretion, car il ne les faut pas importuner, mais suavement leur dire de tems en tems quelque chose de bon, sans faire des longs discours.

  A026002265 

 Pour les recevoir, il leur faut faire poser leur habit et les faire habiller honnestement et modestement selon leur qualité; on n'y doit point faire de difference, voire mesme il les faut mieux espreuver que pas un'autre..

  A026002265 

 Suit maintenant vostre demande, ma Seur, si on peut recevoir des Religieuses d'un autre Ordre? Il est certain qu'on le peut, pourveu qu'elles ne soyent pas Professes; si elles le sont, on ne le peut sans dispense de Rome.

  A026002266 

 Il ne faut pas appeller le medecin que pour la vraye necessité et tous-jours avec dispense pour chaque malade, si ce n'est que l'on fust bien pressé; l'on ne leur doit parler des filles que fort discrettement et en sorte que la modestie y soit observee..

  A026002268 

 Et si l'on vous remet a vostre choix, prenés le jeusne, car il est mieux de ne flatter pas le cors que de l'attendrir, si ce n'est pour les raysons suivantes: si le jeusne vous rend chagrine ou donne des estourdissemens de teste, ou bien si l'on est [341] travaillé de quelque douleur, il n'y a point de doute que l'on ne doit pas jeusner si cela accroist la douleur; car l'Eglise ordonne le jeusne pour macerer' un peu ceux qui sont sensuelz et pour faire pœnitence; mais ceux qui en reçoivent de l'incommodité qui empesche l'esprit de ses fonctions, l'on en peut dispenser, mais non pas de soy mesme.

  A026002268 

 Il y a plus de perfection a demander ses necessités que de se laisser a la providence des Superieurs, qui ne doivent pas se lasser a observer celle ci et celle la.

  A026002268 

 Mais de manger autant pesant que feroit une poire, il ne seroit pas a propos, d'autant qu'un œuf est fort leger; si ce n'est que l'on ne se peust pas passer a si peu, car alhors l'on peut manger davantage: la discretion doit gouverner le tout.

  A026002270 

 Quand les seculiers parlent a la Superieure de sa charge, il ne faut pas qu'elle dise beaucoup de paroles d'humilité, mais seulement qu'elle seroit bien ayse qu'on luy enseignast et que l'on ne l'y a mise que pour apprendre..

  A026002272 

 Il faut que la Superieure ayt une grande discretion pour ne pas s'exempter des Offices, estant au parloir, si ce n'est qu'elle soit avec des personnes de respect, ou affligees, ou quelque affaire de la Mayson; alhors il faudroit patienter; mais les autres, il leur faut dire humblement que c'est l'heure de l'Office; hors de ce tems la, il s'y faut assujettir autant que l'on le requerra.

  A026002273 

 Il ne faut pas que la Superieure s'informe des pechés particuliers lhors que les pretendantes luy rendent conte de l'histoire de leur vie; la Directrice leur doit apprendre de le rendre ainsy: J'ay esté autrefois adonnee a la vanité, ayant beaucoup perdu de temps a cela; j'ay esté sujette a la cholere ou a l'humeur melancholique.

  A026002273 

 La Maistresse doit tout dire a la Superieure, quoy que la pretendante ne voulust pas; mays la Superieure ne doit en façon quelconque en donner rien a connoistre a la Novice de le sçavoir..

  A026002276 

 La Superieure doit escouter les peynes abjectes des Seurs comme celle qui n'y pense pas, et pour les Seurs qui en sont en peyne et celles qui ne les disent pas, il faut charitablement leur aller au devant; tout de mesme a celles qui sont trop tardifves a rendre conte, les attirer doucement..

  A026002277 

 L'on ne doit laisser lire des livres ou sont des autres Regles, affin que cela ne serve de tentation; mesme il y en a qui ne permettent pas de lire les Chroniques de saint François a cause de cela..

  A026002292 

 Observes ses voyes et non les vostres, soustenant fortement son attrait dans chacune, en leur aydant a le suivre avec humilité et sousmission, non a leur façon, mais a celle de Dieu que vous connoistres mieux qu'elles tant que l'amour propre ne sera pas aneanti, car il fait souvent prendre le change, et tourner l'attrait divin a nos manieres et suites de nos inclinations..

  A026002294 

 Mais si quelques unes se rendoyent contraires a cette conduite, vous pourries, prenant sujet de les y exercer, leur faire voir leur ignorance, leur peu de rayson et de jugement de s'amuser aux presomptions et fauses imaginations que produit la nature depravee; combien l'esprit humain est opposé a Dieu, dont les secretz ne sont revelés qu'aux humbles; qu'il n'est pas question, en la Religion, de philosophes et de beaux espritz, mays de graces et de vertus, non pour en discourir, mais pour les prattiquer humblement; leur faysant faire et ordonnant des choses difficiles a faire et comprendre et qui soyent humiliantes, pour les destacher insensiblement d'elles mesmes et les engager a une humble et parfaitte sousmission a l'ordre des Superieures, lesquelles aussi doivent avoir une grande discretion a bien observer le tems, les circonstances et les personnes.

  A026002303 

 Bref, si la tentation est d'une rose, il faut parler d'une violette, et ne point s'estonner de la varieté des pensees, puisqu'il n'est pas requis de les combattre l'une apres [l'autre], ains seulement de les maistriser et desdaigner toutes par un simple retour du cœur a Dieu, a la Majesté duquel on recourt par prieres; par exemple, de luy dire, en se retournant vers luy: Je suis vostre, mon Dieu; hé, que vous estes aymable! Jesus est bon; VIVE JESUS! et semblables paroles.

  A026002312 

 Tout ce qui n'est pas Dieu ne luy est rien; son cœur n'est point sujet au change, car elle rencontre les Anges, elle les quitte sans s'arrester avec eux, pour chercher son Bienaymé crucifié.

  A026002314 

 Mais, ce me dires vous, que desiray je sinon luy? — Escoutes, ma Fille, et consideres le premier point de la simplicité celeste, qui consiste a ne chercher Dieu que par le [352] chemin qu'il nous a marqué; car qui ne veut pas aller par ou Dieu le conduit ne le treuvera jamais, d'autant qu'il ne le cherche pas simplement.

  A026002315 

 Nous avons passé plusieurs jours d'extreme ennuy du tems que nous n'estions pas tant a Dieu que nous devions estre, mays nous y remedierons, moyennant son ayde, et commencerons ainsy:.

  A026002315 

 O combien de gens changeroyent volontier la leur a la nostre! Ce n'est pas tant nostre mal qui nous fait mal, comme c'est nostre amour propre qui s'aigrit et inquiete a tout ce qu'il a a contre cœur.

  A026002318 

 Et en suite de cela, il est a noter que nous ne sommes pas obligés sous peyne de peché mortel ni mesme veniel d'ouyr la Messe, si ce n'est les jours de festes et Dimanche, non plus que d'ouyr les prieres extraordinaires du soir; * nous ne sommes point obligés d'ouyr Vespres ni de dire le Benedicite entrant a table, ni Graces en sortant, sous peyne de peché; et pourtant, quand nous faysons ces actes de religion et de devotion, nous sommes obligés de les faire serieusement et avec reverence.

  A026002318 

 Il vaudroit mieux n'ouyr qu'une Messe et l'ouyr reveremment, que d'en ouyr plusieurs ayant l'esprit distrait, sans attention ni reverence, n'estant pas loysible d'omettre le respect es exercices de religion, pour petitz qu'ilz soyent.

  A026002325 

 Si vous estes imparfaitte, humilies vous au fond de vostre cœur et n'en parles point; car cela n'est que l'orgueil, qui fait que vous penses en dire beaucoup, affin que l'on n'en treuve pas tant que vous en dites.

  A026002326 

 Ayes un grand soin de maintenir vostre exterieur parmi vos filles en telle mediocrité entre la gravité et la douceur et l'humilité, que l'on reconnoisse que si bien vous les aymes tendrement, que vous estes aussi la Superieure; car il ne faut pas que l'affabilité empesche l'exercice de l'authorité.

  A026002327 

 Il ne faut pas entendre par cette gravité qu'il faille estre severe ou renfrognee; car il faut conserver tous-jours une gracieuse serenité.

  A026002327 

 Je ne dis pas la vostre, ains celle de vostre Institut, non en paroles, que fort simplement, ne le louant que comme on parle un chacun de soy mesme, ou de ses parens, c'est a dire courtement et simplement..

  A026002328 

 Loües grandement les autres Ordres et Religions, et le vostre au dessous des autres choses, bien que vous ne devies pas cacher que vous vives paisiblement, et disant, quand l'occasion s'en presente, le bien qui se fait, simplement..

  A026002331 

 Ne soyes pas du tout tant retenue a relever le voile comme les Seurs Carmelites, mais pourtant uses de discretion pour cela, faysant voir, quand vous le leveres, que c'est pour gratifier ceux qui vous parlent; observant de ne gueres vous avancer des treilles, ni moins d'y passer les mains que pour certaines personnes de qualité qui le desirent..

  A026002334 

 Et il ne faut pas tous-jours croire les jeunes filles qui ne font que d'entrer en Religion, quand elles disent qu'elles ont de si grandes choses; car bien souvent ce n'est que tromperie et amusement.

  A026002337 

 J'ay grandement envie que l'histoire de Jacob soit tous-jours devant vos yeux, affin de faire comme luy, qui ne vouloit pas seulement s'accommoder au pas de ses enfans, mais encor a ceux-la mesme de ses aigneletz..

  A026002340 

 Il ne me semble pas que vous devies maintenant faire plus d'attention sur aucune autre prattique que sur celle de la tres sainte charité a l'endroit du prochain, en le supportant doucement et le servant amoureusement; mais en sorte que vous observies tous-jours de conserver l'authorité et gravité de Superieure, accompagnee d'une sainte humilité..

  A026002341 

 Je ne dis pas que vous soyes tous-jours attentive a la presence de Dieu, mais que vous multipliies le plus qu'il se pourra les retours de vostre esprit en Dieu.

  A026002346 

 Faites comme ces enfans qui veulent marcher; mais des aussi tost qu'ilz font quelque faux pas, ilz courent a leurs meres, ilz se jettent entre leurs bras et sur leur sein et s'y tiennent attachés..

  A026002346 

 Ma Fille, demeures en paix devant Nostre Seigneur, ne [360] vous embarrasses pas.

  A026002346 

 Pourveu que vous marchies dans le chemin de la vertu, quoy que lentement, vous ne laisseres pas d'arriver a vostre but.

  A026002348 

 Ne veuillons pas estre trop tost des anges; soyons de petitz poussins sous l'aisle de nostre mere, car nous ne sçaurions pas encores voler.

  A026002348 

 Prattiquons les petites vertus qui nous sont propres et qui n'ont pas tant d'esclat; resjouissons nous de nostre propre abjection.

  A026002349 

 Il ne faut pas aymer nos imperfections, ouy bien l'humiliation qu'elles nous causent.

  A026002349 

 Il ne faut pas se laisser troubler et accabler dans nos miseres, il faut tascher d'en sortir avec paix.

  A026002349 

 Mais qu'est ce que nous portons quand nous nous portons nous mesme? C'est rien qui vaille; il ne faut pas que cela nous estonne.

  A026002350 

 Tenons nous dans cette disposition devant Dieu; ne luy parlons que de nos miseres, allons a son temple sacré luy exposer ce que nous sommes, mais ne nous abbattons pas..

  A026002351 

 Marches donq simplement, et vous marcheres avec joye et confiance; tenes vostre cœur au large, et ne le presses pas trop.

  A026002351 

 Ne presses pas vostre cœur, tenes le au large, puisqu'il aymeroit mieux mourir que d'offenser son Dieu.

  A026002351 

 Soyes juste envers vostre ame, pour ne la pas accuser ni excuser trop legerement: l'un pourroit la rendre orgueilleuse, et l'autre la faire devenir pusillanime..

  A026002352 

 Et tant que ce sentiment sera bien gravé dans nostre cœur, pourquoy nous tourmenter? Ne voyes vous pas que c'est l'amour propre qui se mesle subtilement de nous donner la torture? Je vous exhorte encor une fois de tenir vostre cœur au large; Dieu mercy, il se porte bien, puisque l'amour l'anime et quil veut tous-jours aymer..

  A026002355 

 Ne quittes donq pas vos Communions pour les peynes et foiblesses que vous sentes, quoy que vous soyes distraitte et que vous soyes en secheresse.

  A026002356 

 Ne vous esloignes pas de vostre Soleil si vous voules estre esclairee.

  A026002365 

 Croyes moy, que dans la mayson du Seigneur les emplois les plus vilz ne sont pas les moins advantageux; mais le cœur qui est indifferent dit mesme qu'il ne peut pas envisager les advantages qui s'y trouvent.

  A026002365 

 Je veux luy obeir dans ce qu'il me demande, mais pour connoistre sa volonté dans une infinité de choses qui ne me sont pas clairement manifestees, je ne veux point donner la torture a mon pauvre cœur, ni les examiner avec scrupulosité; je m'en tiendray a ce que me diront ceux que Dieu a establis pour me conduire et, en paix, je tascheray a suyvre ses inspirations..

  A026002365 

 Si je tombe, je ne m'abattray pas, car le Tout Puyssant me peut relever; si je suis dans l'obscurité, le Seigneur est ma lumiere, que craindray-je? En fin, ni le ciel, ni la terre, ni mesme l'enfer ne me peuvent oster mon Dieu.

  A026002366 

 Ne sçaves vous pas, ma Fille, que nostre Dieu est le veritable Salomon qui veut se reposer dans nostre cœur? Il est bon; si nous pouvons le placer dans le Ciel, nous ne nous troublerons pas des accidens de cette vie..

  A026002367 

 Ne nous affligeons pas si nous sommes appesantis par le poids de nos mauvaises inclinations; aymons l'abjection [365] qui nous en revient.

  A026002367 

 Vous ne sçaves pas la force de l'humilité qui change en or tres pur le plomb de nos infirmités, laquelle sainte metamorphose opere dans l'ame cette vertu.

  A026002368 

 Ayes soin de mesnager les petites rencontres que Dieu vous presente, mettes en cela vostre vertu, et non pas a desirer de grans travaux; car souvent on se laisse abbattre par un mouscheron quand on combat des monstres par imagination..

  A026002369 

 Ne vous inquietes point dans la veuë des maux et des peynes qui vous peuvent arriver; car le Seigneur ne permettra pas qu'ilz vous arrivent, ou il vous donnera la force de les porter, s'il vous les envoye.

  A026002370 

 Nous croyons, parce que nous ne valons rien, que le Seigneur n'aura point soin de nous: ne voyes vous pas la finesse de la prudence humaine qui nous trompe en nous faysant sortir de l'estat d'une parfaitte confiance? Ne faysons point ce [tort] a sa divine Majesté de raysonner si bassement; Dieu n'est pas comme les hommes, qui ne font cas que de ce qui peut leur estre utile.

  A026002384 

 La seule humilité de cœur est cause que l'ame ne se fie pas en elle mesme; [368] mais, la tenant en abandon, se retire au desert, se reposant toute sur son Bienaymé..

  A026002393 

 L'indifference consiste a n'incliner pas plus d'un costé que d'autre; de sorte que le parfait obeissant, encor qu'il soit resolu d'accomplir tout ce qui sera de precepte, de Regie, d'ordonnance, il est indifferent a tout le reste, ayant tous-jours au cœur et en la bouche: Seigneur, que voules vous que je face?.

  A026002409 

 Consideres premierement, que Nostre Seigneur ayant peu obliger ses creatures a toutes sortes de services et obeissances envers luy, il ne l'a pas neanmoins voulu faire, ains s'est contenté de nous obliger a l'observation de ses Commandemens; de maniere que s'il luy eust pleu d'ordonner que nous jeusnassions toute nostre vie, que nous fissions tous vie d'hermites, de Chartreux, de Capucins, encor ne seroit ce rien au respect du grand devoir que nous luy avons: et neanmoins, il s'est contenté que nous gardassions simplement ses Commandemens..

  A026002419 

 Ou sont les superbes edifices que l'ambition du monde esleve pour l'habitation des vilz et detestables pecheurs? Ah! quel mespris des grandeurs du monde nous a enseigné ce divin Sauveur! Que bienheureux sont ceux qui sçavent aymer la sainte simplicité et moderation! Miserable que je suis, il me faut des palais, encor n'est ce pas asses; et voyla mon Sauveur sous un toit tout percé, et sur du foin, pauvrement et piteusement logé..

  A026002601 

 Que Votre Excellence considère que ce grand Père a voulu communiquer à tous cette très excellente dignité; c'est pourquoi il ne dit pas qu'il est Père des riches et des seigneurs, mais nôtre, c'est-à-dire de tous, même des pauvres: comme le soleil, qui darde ses rayons, sa lumière et sa splendeur sur la plus petite plante, sur la plus petite fleur qui se trouve sur une grande montagne, et sur la montagne même.

  A026002609 

 Pour que je comprenne bien que mon âme ne doit pas embrasser la terre, mais le Ciel; qu'elle ne doit plus cheminer ayant l'affection aux choses basses et transitoires, mais s'élever aux choses du Ciel, afin que notre conversation soit dans les Cieux, où nous avons pour Père Dieu lui-même.

  A026002627 

 Que votre volonté soit faite, afin que nous imitions le Christ qui a dit: Non pas ma volonté, mais la vôtre soit faite.

  A026002653 

 Mais parce que je ne suffis pas à cela, je prie les Anges de m'aider à louer et remercier continuellement votre Majesté..

  A026002654 

 Père, je dois confesser deux choses: l'une, que ce don et ce grand bienfait vient de votre bonté infinie et de l'amour infini que vous avez pour moi; l'autre, que ce mot de Père sied bien sur les lèvres de votre Fils unique mon Seigneur Jésus-Christ, qui est votre Fils par une étemelle et consubstantielle génération, mais sur les miennes, moi qui suis un si grand pécheur, il ne sied pas, il ne convient pas, je ne mérite pas, Seigneur, un si grand bien.

  A026002655 

 Quel fils ingrat peut-on trouver au monde, qui ayant un Père bon, saint, doux, glorieux et aimant comme vous l'êtes, il ne l'aime pas? O Père, où trouverons-nous quelqu'un qui soit aussi bon, aussi saint, aussi doux et aimant que vous l'êtes? Donc, Père, que de mon cœur soit chassé tout autre amour, qu'il soit enflammé, afin qu'entre vous, mon Père, et moi votre enfant il y ait un continuel amour réciproque..

  A026002656 

 Les besoins ne me manquent pas: je suis blessé par beaucoup de péchés, il me faut des remèdes; vous, Père, vous êtes le médecin qui [388] guérit toute langueur et soigne toute infirmité.

  A026002658 

 Et si je ne m'amende pas, appesantissez, [389] ô Père, votre sainte main et frappez-moi plus fort avec des tribulations, des maladies, des afflictions et des angoisses.

  A026002658 

 Le père frappe le fils quand il s'égare, afin qu'il se corrige, parce qu'autrement, s'il ne le frappait pas, il ferait pire, et parfois serait même pendu.

  A026002660 

 Vous ferez entendre à mon cœur des paroles de joie et d'allégresse, et mes os humiliés exulteront, disait le saint Prophète; et cependant, ce nom de Père, ne lui était pas encore [390] révélé.

  A026002662 

 Et maintenant, me souvenant des fautes passées, je cours vers vous, Père, et je dis: Père, j'ai péché contre le ciel et contre vous, je ne suis pas digne d'être appelé votre fils; traitez-moi comme l'un de vos mercenaires. Ou bien, Père, parce que je connais votre miséricorde et l'amour que vous me portez, venez à ma rencontre, ouvrez les bras de votre miséricorde, embrassez cet enfant prodigue, donnez-moi la robe d'innocence, l'anneau de la foi vive, les souliers des exemples de vos Saints que je dois imiter.

  A026002667 

 Vous êtes, Seigneur, notre Père: qu'elle est grande votre bonté! Vous ne vous contentez pas de communiquer ce nom de Père à vos Anges et à vos Saints qui sont dans votre maison, mais vous voulez aussi le communiquer à ceux qui sont dans ce monde, et non seulement [393] aux riches et aux puissants, mais aux plus pauvres bergers qui, sur les ponts et dans les forêts, dorment sur la terre nue.

  A026002669 

 Vous êtes notre Père, parce que vous nous avez créés: Vos mains Seigneur, m'ont formé; N'abandonnez pas l'ouvrage de vos mains. Vous êtes notre Père parce que vous nous avez achetés avec le précieux sang de votre Fils, l'Agneau immaculé, notre Christ Jésus, avec qui nous avons été adoptés pour vos enfants.

  A026002674 

 Quand sera-ce, ô Père, que mon âme sera comme un ciel, élevée de la terre par la force de l'amour; ornée d'autant de vertus que le ciel contient d'astres et d'étoiles; ferme et forte en votre service, sans jamais tomber, ainsi que les cieux qui ne tombent pas, afin qu'elle soit toute belle et agréable devant votre face et que vous, Père, daigniez y habiter comme en un ciel très beau? je vous demande encore, ô Père, qu'afin que mon âme soit un ciel et la demeure de votre très souveraine Majesté, elle puisse se mouvoir comme les cieux, selon le mouvement du premier moteur.

  A026002677 

 Si le pèlerin, quand il marche, a le corps sur la route et l'âme en la douce patrie, chaque heure lui semblant mille ans pour le désir qu'il a de l'atteindre et de voir son cher père et ses très doux frères, pourquoi n'en sera-t-il pas ainsi de moi? Pourquoi, notre Père, mon âme ne converse-t-elle pas dans les Cieux comme l'âme de votre saint Apôtre qui disait: Notre conversation est dans le Ciel, et pourquoi chaque heure de cet exil ne me semble-t-elle pas mille ans? pourquoi ne désiré-je pas voir mes chers frères, qui sont [398] les Anges et les Saints? pourquoi, Père, ne réputé-je pas toutes les choses de cette vie, basses, viles et indignes d'y attacher mon cœur, puisque je suis créé pour posséder les biens du Ciel? Il est hors de doute, ô Père, que ce serait un grand déshonneur pour le fils d'un grand prince ou d'un roi d'étriller de ses mains les chevaux ou, avec les mêmes mains, ramasser les immondices et le fumier dans les rues; mais c'est un bien plus grand déshonneur pour moi de ce que sachant, ô Père céleste, que vous m'avez adopté pour votre fils et que vous me préparez des biens infinis, des richesses inestimables et même le royaume du Ciel, je m'abaisse et me rende méprisable en recherchant les choses viles et basses de ce monde.

  A026002682 

 Ne tenez pas caché, ô Père, un si riche trésor aux âmes auxquelles vous avez imprimé votre image et ressemblance.

  A026002692 

 Vous êtes juste, Seigneur, vous serez trouvé juste dans votre sentence. Vous nous avez promis votre royaume; je vous prie donc humblement de ne pas regarder nos démérites, mais le sang précieux de votre Fils bien aimé Jésus-Christ Notre-Seigneur: Regardez, Père, la face de votre Christ, et que par votre Christ votre règne arrive.

  A026002694 

 Dans ce royaume vous voulez régner; je vous le rends, ô Père, je vous le donne, qu'il soit bien vôtre, puisqu'en réalité il est vôtre; que je ne l'usurpe pas, que je ne le livre plus au démon, au monde ni à la chair, qui sont de très cruels tyrans, mais à vous qui en êtes le vrai Seigneur.

  A026002699 

 Je dirai, ô Père, avec votre Fils bien aimé Notre-Seigneur Jésus-Christ: Père, non pas ma volonté, mais la vôtre soit faite; Père, non ce que je veux, mais ce que vous voulez; [406] Père, que votre volonté soit faite sur la terre comme au Ciel..

  A026002708 

 Oui, Père, les enfants ont besoin de pain; ne nous le refusez pas, de peur que nous ne mourions.

  A026002711 

 Faites, ô Père, que mon oraison ne soit pas aride et sèche, mais douce et suave, avec le pain de vos consolations et de vos visites..

  A026002716 

 Quel est le père qui ne remettrait pas à son fils tombé en grande pauvreté n'importe quelle dette, si humblement il le lui demandait? Et qui donc, ô Père saint, est un fils plus pauvre et plus chargé de dettes que moi? Voici que, comme un autre publicain, humblement je vous prie: remettez-moi tant de dettes de péchés par lesquels je vous ai offensé; « O Dieu, dont le propre est de faire toujours miséricorde et de pardonner, » ayez pitié de ce pauvre enfant et remettez-moi toutes mes dettes.

  A026002717 

 Vous n'êtes point changé; vous étiez autrefois le Dieu très miséricordieux, vous ne l'êtes pas moins maintenant; vous êtes le même Dieu que jadis, votre miséricorde n'est pas finie puisqu'elle est infinie; elle ne s'est point arrêtée puisqu'elle n'a point d'arrêts et que, plutôt, on fermerait le Ciel; elle n'a pas cessé, puisque de même que le feu opère toujours tant qu'il y a de la matière à consumer, ainsi votre miséricorde, tant qu'il y a des péchés à brûler et des dettes à remettre.

  A026002722 

 O Seigneur, que cette pauvre âme a besoin de votre grâce, de votre secours, de votre assistance pour ne pas succomber aux tentations! Une petite brebis [415] au milieu des loups se perd si le berger ne la sauve; ainsi, Père, cette âme au milieu de tant de loups qui l'assaillent dans un monde où elle est sollicitée par mille occasions de péchés, avec la chair qui continuellement la combat, que fera-t-elle sans votre secours?.

  A026002723 

 Je ne demande pas que vous me délivriez des tentations, ô Père, mais je vous demande la grâce et la force pour résister et combattre énergiquement.

  A026002723 

 Ne nous induisez donc pas en tentation, ô Père, afin que nous n'offensions pas une telle Majesté..

  A026002723 

 Par amour pour vous, je veux bien avoir des tribulations et des angoisses en ce monde, pourvu que dans les tribulations mon âme ne défaille pas.

  A026002723 

 Père saint, quand donc ferez-vous justice de ceux qui me persécutent? Faites justice, Seigneur, de ceux qui cherchent la mort de mon âme, donnez-moi cependant votre aide pour ne point tomber, pour ne pas vous offenser.

  A026002723 

 Qu'elle ne soit pas comme la paille qui, par manque de force, se laisse brûler et consumer par [416] le feu.

  A026002727 

 Qu'ils sont nombreux, Père, ceux qui ont encouru ce malheur! Ils avaient commis moins de péchés que moi; et combien, parce qu'il ne leur fut pas donné, comme à moi, le loisir de faire pénitence, moururent misérablement dans leurs péchés et se perdirent! Je vous en prie, ô Père, délivrez-moi désormais de toute faute, afin que j'échappe aux peines de l'enfer; faites, Seigneur, que je ne vous offense plus; vous avoir offensé dans le passé est bien suffisant.

  A026002727 

 Que mes péchés, Seigneur, ne se multiplient pas comme le sable de la mer et les étoiles du ciel; que l'enfer ne m'engloutisse pas et que la fosse ne se ferme pas sur moi.

  A026002730 

 Ne me regardez pas, ô Père, moi qui suis le plus grand de tous les pécheurs, mais regardez votre Fils très saint et béni, le plus grand de tous les Saints, voire le Sanctificateur d'eux tous; et par l'amour que vous lui portez, accordez-moi ce qu'il m'a ordonné de vous demander..

  A026002731 

 Je me souviens aussi, Père, qu'il n'était pas permis aux fils de Jacob de paraître une seconde fois en présence de Joseph s'ils ne conduisaient avec eux leur frère cadet Benjamin; et à nous il n'est pas permis de paraître en votre présence sans notre frère aîné, qui est votre Fils unique Jésus-Christ.

  A026002757 

 Mon Seigneur Jesus Christ, qui aves voulu estre conduit comme un criminel a la maison d'Anne, faites moy la grace de ne pas estre [422] attiré au peché par l'esprit malin, ou par les hommes pervers, mais d'estre guidé par vostre Saint Esprit a tout ce qui est aggreable a vostre divine volonté.

  A026002769 

 Mon Seigneur Jesus Christ, qui estant en la presence d'Herode aves souffert les fauses accusations sans repliquer un seul mot, donnes moy la force d'endurer courageusement les injures des calomniateurs, et de ne pas publier aux indignes les sacrés mysteres.

  A026002772 

 Mon Seigneur Jesus Christ, qui aves souffert d'estre renvoyé d'Herode a Pilate, qui devinrent amis par ce moyen, faites moy la grace de ne pas craindre les conspirations que les meschans font contre moy, mais d'en tirer du proffit, affin d'estre digne de vous estre conforme.

  A026002775 

 Mon Seigneur Jesus Christ, qui aves voulu estre despouillé de vos habitz et cruellement fouetté pour mon salut, faites moy la grace de me descharger des pechés par une bonne confession, affin de ne pas paroistre devant vos yeux despouillé des vertus chrestiennes.

  A026002790 

 Mon Seigneur Jesus Christ, qui aves voulu, quoy qu'innocent, estre condamné pour moy au supplice de la croix, donnes moy la force de soustenir la sentence d'une mort cruelle pour vostre amour, et de ne redouter pas les faux jugemens des hommes et de ne juger personne injustement.

  A026002853 

 Ne me dites pas que vous ne deves, car vous estes la commune Mere de tous les pauvres humains, et singulierement la mienne.

  A026002853 

 Ne me dites pas, gracieuse Vierge, que vous ne pouves, car vostre bienaymé Filz vous a donné toute puyssance, tant au Ciel comme en la terre.

  A026002853 

 Si vous n'esties ma Mere, avec rayson je patienterais disant: Elle est bien asses riche pour m'assister, mais helas! n'estant pas ma Mere elle ne m'a.yme pas..

  A026002870 

 Toutes les éditions des Œuvres de saint François de Sales, à commencer par celle in-folio de 1637, p. 1033, donnent une pièce intitulée: Maniere devote pour celebrer avec fruict le tres-sainct Sacrifice de la Messe. On nous permettra de l'écarter de notre Edition, comme n'ayant aucune preuve d'authenticité; on n'y retrouve ni les pensées du Saint, ni son style, mais un amas de considérations qui suffoquent l'esprit, au lieu de le recueillir; plusieurs mots y sont employés qui ne se rencontrent pas dans ses écrits..

  A026002872 

 » A noter qu'il ne dit pas « sa ferveur », mais « la ferveur ».





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