Mot «Theotime» [479 fréquence]


04-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome IV-Vol.1-Traitte de l'amour de Dieu.html
  A004000150 

 Toutefois, pour imiter en cette occasion le grand Apostre qui s'estimoit redevable a tous, j'ay changé d'addresse en ce Traitté, et parle a Theotime: que si d'aventure il se treuvoit des femmes (or cette impertinence seroit plus supportable en elles) qui ne voulussent pas lire les enseignemens qu'on fait a un homme, je les prie de croire que le Theotime auquel je parle est l'esprit humain, qui desire faire progres en la dilection sainte, esprit qui est egalement es femmes comme es hommes..

  A004000182 

 Certes, Theotime, la beauté est sans effect, inutile et morte, si la clarté et splendeur ne l'avive et luy donne efficace, dont nous disons les couleurs estre vives quand elles ont de l'esclat et du lustre.

  A004000183 

 Ainsy, Theotime, parmi l'innumerable multitude et varieté d'actions, mouvemens, sentimens, inclinations, habitudes, passions, facultés et puissances qui sont en l'homme, Dieu a establi une naturelle monarchie en la volonté, qui commande et domine sur tout ce qui se treuve en ce petit monde; et semble que Dieu ait dit a la volonté ce que Pharao dit a Joseph: Tu seras sur ma mayson; tout le peuple obeira au commandement de ta bouche; sans ton commandement nul ne remuera.

  A004000189 

 C'est ainsy, Theotime, que Nostre Seigneur enseigne qu' il y a des eunuques qui sont telz pour le Royaume des cieux, c'est a dire qui ne sont pas eunuques d'impuissance naturelle, mais par l'industrie de laquelle leur volonté se sert pour les retenir dans la sainte continence.

  A004000189 

 Il ne faut pas, Theotime, commander a nos yeux de ne voir pas, ni a nos oreilles de n'ouïr pas ni a nos mains de ne toucher pas, ni a nostre stomach [26] de ne digerer pas, ni a nos cors de ne croistre pas ou de ne produire pas; car toutes ces facultés n'ont nulle intelligence, et partant sont incapables d'obeissance.

  A004000194 

 La volonté donques, Theotime, domine sur la memoire, l'entendement et la fantasie, non par force mais par authorité, en sorte qu'elle n'est pas tous-jours infalliblement obeie, non plus que le pere de famille ne l'est pas aussi tous-jours par ses enfans et serviteurs.

  A004000197 

 Et c'est affin d'exercer nos volontés en la vertu et vaillance spirituelle, que cette multitude de passions est laissee en nos ames, Theotime; de sorte que les Stoïciens, qui nierent qu'elles se treuvassent en l'homme sage, eurent grand tort; mays d'autant plus, que ce qu'ilz nioyent en paroles ilz le prattiquoyent en effect, au recit de saint Augustin qui raconte cette gracieuse histoire.

  A004000202 

 Theotime, de toutes autres passions ou affections, car elles proviennent toutes de l'amour comme de leur source et racine.

  A004000203 

 Saint Augustin, reduisant toutes les passions et affections a quatre, comme ont fait Boëce, Ciceron, Virgile et la pluspart de l'antiquité: «L'amour, » dit-il, «tendant a posseder ce qu'il ayme s'appelle convoitise» ou desir; «l'ayant et possedant, il s'appelle joye; fuyant ce qui luy est contraire, il s'appelle crainte: que si cela luy arrive et qu'il le sente, il s'appelle tristesse; et partant, ces passions sont mauvaises si l'amour est mauvais, bonnes, s'il est bon.» «Les citoyens de la Cité de Dieu craignent, desirent, se deulent, se res-jouissent, et parce que leur amour est droit, toutes ces affections sont aussi droites.» «La doctrine chrestienne assujettit l'esprit a Dieu, affin qu'il le guide et secoure, et assujettit a l'esprit toutes ces passions, affin qu'il les bride et modere, en sorte qu'elles soyent converties au service de la justice et vertu.» «La droite volonté est l'amour bon, la volonté mauvaise est l'amour mauvais;» c'est a dire en un mot, Theotime, que l'amour domine tellement en la volonté, qu'il la rend toute telle qu'il est..

  A004000204 

 Bref, Theotime, la volonté n'est esmeüe que par ses affections, entre lesquelles l'amour, comme le premier mobile est la premiere affection, donne le bransle a tout le reste, et fait tous les autres mouvemens de l'ame..

  A004000211 

 Et certes, Theotime, ilz n'eurent pas tort de vouloir qu'il y eust des eupathies et bonnes affections en la partie raysonnable de l'homme, mais ilz eurent tort de dire qu'il n'y avoit point de passions en la partie sensitive et que la tristesse ne touchoit point le cœur de l'homme sage; car, laissant a part que eux mesmes en estoyent troublés, comme il a esté dit, se pourroit-il bien faire que la sagesse nous privast de la misericorde, qui est une vertueuse tristesse laquelle arrive en nos cœurs pour nous porter au desir de delivrer le prochain du mal qu'il endure? Aussi, le plus homme de bien de tout le paganisme, Epictete, ne suivit pas cet erreur, que les passions ne s'eslevassent point en l'homme sage, ainsy que saint Augustin atteste, lequel mesme monstre encores que la dissension des Stoïciens [36] avec les autres philosophes en ce sujet, n'a pas esté qu'une pure dispute de paroles et desbat de langage..

  A004000226 

 Car je vous prie, Theotime, qu'est ce que le bien sinon ce que chacun veut? et qu'est ce que la volonté sinon la faculté qui porte et fait tendre au bien, ou a ce qu'elle estime tel? La volonté donques appercevant et sentant le bien par l'entremise de l'entendement qui le luy represente, ressent a mesme tems une soudaine delectation et complaisance en ce rencontre, qui l'esmeut et incline, doucement mays puissamment, vers cet object aymable, [40] affin de s'unir a luy; et pour parvenir a cette union, elle luy fait chercher tous les moyens plus propres..

  A004000229 

 Mais en fin pourtant, Theotime, la complaysance et le mouvement ou escoulement de la volonté en la chose aymable est, a proprement parler, l'amour; en sorte neanmoins que la complaysance ne soit que le commencement de l'amour, et le mouvement ou escoulement du cœur qui s'en ensuit soit le vray amour essentiel.

  A004000233 

 Ce n'est pas encor tout, Theotime, car il y a des desirs et souhaitz qui sont encor plus imparfaitz que ceux que nous venons de dire, d'autant que leur mouvement n'est pas arresté par l'impossibilité ou extreme difficulté, mais par la seule incompatibilité qu'ilz ont avec des autres desirs ou vouloirs plus puissans; comme quand un malade desire de manger des potirons ou melons, et quoy qu'il en ait a son commandement, il ne veut neanmoins pas en manger, parce qu'il craint d'empirer son mal: car qui ne voici deux desirs en cet [45] homme, l'un de manger des potirons, et l'autre de guerir? mays parce que celuy de guerir est plus grand, il estouffe et suffoque l'autre, l'empeschant de produire aucun effect.

  A004000244 

 Or, faysant parler l'Espouse la premiere, comme par maniere d'une certaine surprise d'amour, il luy fait faire d'abord cet eslancement: Qu'il me bayse d'un bayser de sa bouche! Voyes vous, Theotime comme l'ame en la personne de cette bergere ne pretend, par le premier souhait qu'elle exprime, qu'une chaste union avec son Espoux, comme protestant que c'est l'unique fin a laquelle elle aspire et pour laquelle elle respire; car, je vous prie, que veut dire autre chose ce premier souspir: Qu'il me bayse d'un bayser de sa bouche?.

  A004000253 

 Ce n'est pas, Theotime, qu'il n'y ait quelque sorte de passions en l'homme lesquelles, comme le guy vient sur les arbres par maniere d'excrement et de surcroissance, naissent aussi bien souvent parmi l'amour et autour de l'amour; mais neanmoins elles ne sont pas ni l'amour ni partie de l'amour, ains sont des excremens et superfluités d'iceluy, lesquelles non seulement ne sont pas prouffitables pour maintenir ou perfectionner l'amour, mais au contraire l'endommagent grandement, l'affoiblissent, et en fin finale, si on ne les retranche, le ruinent tout a fait; dequoy voyci la rayson..

  A004000253 

 Mais a quelle sorte d'union tend-il? N'aves-vous pas remarqué, Theotime, que l'Espouse sacree exprime son souhait d'estre unie avec son Espoux, par le bayser, et que le bayser represente l'union spirituelle qui se fait par la reciproque communication des ames? Certes, c'est l'homme qui ayme, mais il ayme par la volonté, et partant, la fin de son amour est de la nature de sa volonté: mais sa volonté est spirituelle, c'est pourquoy l'union que son amour pretend est aussi spirituelle; d'autant plus que le cœur, siege et source de l'amour, non seulement ne seroit pas perfectionné par l'union qu'il auroit aux choses corporelles, mays en seroit avili.

  A004000260 

 Vous voyés donques bien, Theotime que ces unions qui regardent les complaysances et passions animales, non seulement ne servent de rien a la production et conservation de l'amour, mais luy sont grandement nuisibles et l'affoiblissent extremement: aussi, quand l'inceste Ammon, qui pasmoit et perissoit d'amour pour Thamar, eut passé jusques aux unions sensuelles et brutales, il fut tellement privé de l'amour cordial, qu'onques plus il ne la peut voir, et la poussa indignement dehors, violant aussi cruellement le droit de l'amour comme il avoit violé impudemment celuy du sang..

  A004000266 

 Nous n'avons qu'une ame, Theotime, et laquelle est indivisible; mais en cette ame il y a divers degrés de perfection, car elle est vivante, sensible et raysonnable, et selon ces divers degrés elle a aussi diversité de proprietés et inclinations, par lesquelles elle est portee a la fuite ou a l'union des choses.

  A004000280 

 De sorte, Theotime, qu'en la partie superieure de la rayson il y a deux degrés; en l'un desquelz se font les discours qui dependent de la foy et lumiere surnaturelle, et en l'autre se font les simples acquiescemens de la foy, de l'esperance et de la charité.

  A004000281 

 Mais si la foy, l'esperance et la charité se forment par ce saint acquiescement en la pointe de l'esprit, comment est-ce qu'au degré inferieur se peuvent faire les discours qui dependent de la lumiere de la foy? Ainsy que nous voyons que les advocatz au barreau [69] disputent avec beaucoup de discours sur les faitz et droitz des parties, et que le Parlement ou Senat resoult d'en haut toutes les difficultés par un arrest, lequel estant prononcé, les advocatz et auditeurs ne laissent pas de discourir entr'eux sur les motifs que le Parlement peut avoir eu, de mesme, Theotime, apres que les discours, et sur tout la grace de Dieu, ont persuadé a la pointe et supreme eminence de l'esprit d'acquiescer et former l'acte de la foy par maniere d'arrest, l'entendement ne laisse pas de discourir derechef sur cette mesme foy ja conceue, pour considerer les motifs et raysons d'icelle; mais cependant, les discours de theologie se font au parquet et barreau de la portion superieure de l'ame, et les acquiescemens, en haut, au siege et tribunal de la pointe de l'esprit.

  A004000302 

 Ainsy, Theotime, nostre defaillance a besoin de l'abondance divine par disette et necessité, mays l'affluence divine n'a besoin de nostre indigence que par excellence de perfection et bonté: bonté qui neanmoins ne devient pas meilleure en se communiquant, car elle n'acquiert rien en se respandant hors de soy, au contraire elle donne; mays nostre indigence demeureroit manquante et miserable si l'abondance de la bonté ne la secouroit..

  A004000309 

 Il en est de mesme, Theotime, de nostre cœur; car quoy qu'il soit couvé, nourri et eslevé emmi les choses corporelles, basses et transitoires, et, par maniere de dire, sous les aysles de la nature, neanmoins, au premier regard qu'il jette en Dieu, a la premiere connoissance qu'il en reçoit, la naturelle et premiere inclination d'aymer Dieu, qui estoit comme assoupie et imperceptible, se resveille en un instant, et a l'improuveu paroist, comme une estincelle qui sort d'entre les cendres, laquelle touchant nostre volonté, luy donne un eslan de l'amour supreme deu au souverain et premier Principe de toutes choses.

  A004000313 

 Helas, Theotime, quelz beaux tesmoignages, non seulement d'une grande connoissance de Dieu, mays aussi d'une forte inclination envers iceluy, ont esté laissés par ces grans philosophes, Socrate, Platon, Trismegiste, Aristote, Hippocrate, Seneque, Epictete! Socrate, le plus loüé d'entr'eux, connoissoit clairement l'unité de Dieu, et avoit tant d'inclination a l'aymer que, comme saint Augustin tesmoigne, plusieurs ont estimé qu'il n'enseigna jamais la philosophie morale pour autre occasion que pour espurer les espritz, affin qu'ilz peussent mieux contempler le souverain bien qui est la tres unique Divinité.

  A004000315 

 N'est ce pas grande pitié, Theotime, de voir Socrate, au recit de Platon, parler en mourant des dieux comme s'il y en avoit plusieurs, luy qui sçavoit si bien qu'il n'y en avoit qu'un seul? N'est ce pas chose deplorable que Platon ayt ordonné que l'on sacrifie a plusieurs dieux, luy qui sçavoit si bien la verité de l'unité divine? Et Mercure Trismegiste n'est il pas lamentable, de lamenter et plaindre si laschement l'abolissement de l'idolatrie, luy qui en tant d'endroitz avoit parlé si dignement de la Divinité?.

  A004000317 

 En somme, Theotime, nostre chetifve nature, navree par le peché, fait comme les palmiers que nous avons de deça, qui font voirement certaines productions imparfaittes et comme des essais de leurs fruitz, mais de porter des dattes entieres, meures et assaisonnees, cela est reservé pour des contrees plus chaudes.

  A004000321 

 Mais si nous ne pouvons pas naturellement aymer Dieu sur toutes choses, pourquoy donq avons-nous naturellement inclination a cela? la nature est-elle pas vaine de nous inciter a un amour qu'elle ne nous peut donner? pourquoy nous donne-elle la soif d'une eau si pretieuse, puisqu'elle ne peut nous en abbreuver? Ha, Theotime, que Dieu nous a esté bon! La perfidie que nous avions commise en l'offençant meritoit certes qu'il nous privast de toutes les marques de sa bienveuillance, et de la faveur qu'il avoit exercee envers nostre nature, Ihors qu'il imprima sur elle la lumiere de son divin visage et qu'il donna a nos cœurs l'allegresse de se sentir enclins a l'amour de la divine Bonté, affin que les Anges, voyans ce miserable homme, eussent occasion de dire par compassion: Est-ce la, la creature de parfaite beauté, l'honneur de toute la terre?.

  A004000332 

 Theotime, le soleil n'est ni rouge, ni noir, ni pasle, ni gris, ni verd: ce grand luminaire n'est point sujet a ces vicissitudes et changemens de couleurs, n'ayant pour toute couleur que sa très claire et perpetuelle lumiere, laquelle, si ce n'est par miracle, est invariable; mays nous parlons de la sorte parce qu'il nous semble estre tel, selon la varieté des vapeurs qui sont entre luy et nos yeux, lesquelles le font paroistre de diverses façons..

  A004000336 

 Non, Theotime, nous ne pouvons jamais le comprendre, puisque, comme dit saint Jean, il est plus grand que nostre cœur.

  A004000341 

 Mays nous sommes forcés a cela, Theotime, par nostre imbecillité; car nous ne savons parler sinon selon que nous entendons, et nous entendons selon que les choses ont accoustumé de se passer parmi nous: or, d'autant qu'es choses naturelles il ne se fait presque point de diversité d'ouvrages que par diversité d'actions, quand nous voyons tant de besoignes differentes, une si grande varieté de productions, et cette multitude innumerable des exploitz de la puissance divine, il nous semble d'abord que cette diversité se fait par autant d'actes que nous voyons de differens effectz, et nous en parlons tout de mesme, pour parler plus a nostre ayse, selon nostre prattique ordinaire et la coustume que nous avons d'entendre les choses.

  A004000347 

 Cette parole donques, Theotime, estant tres simple et tres unique, produit toute la distinction des choses; estant invariable, produit tous les bons changemens, et en fin, estant permanente en son eternité, elle donne succession, vicissitude, ordre, rang et sayson a toutes choses..

  A004000348 

 Ainsy, Theotime, la nature, comme le peintre, multiplie et diversifie ses actes a mesure que ses besoignes sont differentes, et luy faut un grand tems pour faire des grans effectz; mais Dieu, comme l'imprimeur, a donné l'estre a toute la diversité des creatures qui ont esté, sont et seront, par un seul trait de sa toute puissante volonté, tirant de son idee, comme de dessus une planche bien taillee, cette admirable différence de personnes et d'autres choses qui s'entresuivent es saysons, es aages, es siecles, chacune en son ordre, selon qu'elles devoyent estre: cette souveraine unité de l'acte divin estant opposee a la confusion et au desordre, et non a la distinction ou varieté, qu'elle employe, au contraire, pour en composer la beauté, reduisant toutes les differences et diversités a la proportion, et la proportion a l'ordre, et l'ordre a l'unité du monde, qui comprend toutes choses creées tant visibles qu'invisibles; lesquelles toutes ensemble s'appellent univers, peut estre parce que toute leur diversité se reduit en unité, comme qui diroit unidivers, c'est a dire unique et divers, unique avec diversité et divers avec unité..

  A004000348 

 Mais d'autre costé, voyons un imprimeur d'images qui, ayant mis sa feuille sur la planche taillee du mesme mystere de la Nativité, ne donnera qu'un seul coup de presse: en ce seul coup, Theotime, il fera tout son ouvrage, et soudain il tirera son image, laquelle en belle taille douce representera tres aggreablement tout ce qui a deu estre imaginé selon l'histoire sacree; et bien qu'il n'ayt fait qu'un seul mouvement, son ouvrage toutefois portera [92] grande quantité de personnages et d'autres choses differentes, bien distinguees, chacune en son ordre, en son rang, en son lieu, en sa distance et en sa proportion; et qui ne sçauroit pas le secret, il seroit tout estonné de voir sortir d'un seul acte une si grande varieté d'effectz.

  A004000358 

 Dieu donques, Theotime, n'a pas besoin de plusieurs actes, puisque un seul divin acte de sa toute puissante volonté suffit a la production de toute la varieté de ses œuvres, a rayson de son infinie perfection: mais nous autres mortelz avons besoin d'en traitter avec la methode et maniere d'entendre a laquelle nos petitz espritz peuvent arriver, selon laquelle, pour parler de la Providence divine, considerons, je vous prie, le regne du grand Salomon, comme un modele parfait de l'art de bien regner..

  A004000360 

 Mais il ne s'arresta pas la, Theotime; car apres avoir fait son projet et deliberé en soy mesme des moyens propres pour en venir a bout, venant a la prattique, il crea tous les officiers selon qu'il avoit disposé, et, par un bon gouvernement, il fit faire toutes les provisions requises a leur entretenement et a l'execution de leurs charges: de sorte qu'ayant la connoissance de l'art de bien regner, il executa la disposition qu'il avoit fait a [95] part soy pour la creation de divers officiers, et mit en effect sa providence par le bon gouvernement dont il usa; et par ainsy, son art de regner, qui consistoit en la disposition et en la providence ou prouvoyance, fut prattiqué par la creation des officiers et par le gouvernement et bonne conduite.

  A004000361 

 Or maintenant, Theotime, parlans des choses divines selon l'impression que nous avons prise en la consideration des choses humaines, nous disons que Dieu ayant eu une eternelle et tres parfaite connoissance de l'art de faire le monde pour sa gloire, il disposa avant toutes choses en son divin entendement toutes les pieces principales de l'univers qui pouvoient luy rendre de l'honneur, c'est a dire la nature angelique et la nature humaine; et en la nature angelique, la varieté des hierarchies et des ordres que l'Escriture Sainte et les sacrés Docteurs nous enseignent; comme aussi entre les hommes, il disposa qu'il y auroit cette grande diversité que nous y voyons.

  A004000362 

 Et parce que ci apres je vous exhorteray, Theotime, a joindre vostre volonté a la providence divine, tandis que je suis sur le discours d'icelle je vous veux dire un mot de la providence naturelle.

  A004000363 

 Ainsy, cher Theotime, cette Providence touche tout, regne sur tout et reduit tout a sa gloire.

  A004000364 

 Voyes vous, Theotime, le monde eust appelle fortune [98] ou evenement fortuit ce que Joseph dit estre un projet de la Providence souveraine, qui range et reduit toutes choses a son service; et il en est ainsy de tout ce qui se passe au monde, et mesme des monstres, la naissance desquelz rend les œuvres accomplies et parfaittes plus estimables, produit de l'admiration et provoque a philosopher et faire plusieurs bonnes pensees, et, en somme, ilz tiennent lieu en l'univers comme les ombres es tableaux, qui donnent grace et semblent relever la peinture..

  A004000378 

 Or disant, Theotime, que Dieu avoit veu et voulu une chose premierement, et puis secondement une autre, observant ordre en ses volontés, je l'ay entendu selon qu'il a esté declaré cy devant; a sçavoir, qu'encor que tout cela s'est passé en un tres seul et tres simple acte, neanmoins par iceluy, l'ordre, la distinction et [102] la dependance des choses n'a pas esté moins observee que s'il y eust eu plusieurs actes en l'entendement et volonté de Dieu.

  A004000380 

 Et tant s'en faut que le peché d'Adam ayt surmonté la debonnaireté divine, que tout au contraire il l'a excitee et provoquee: si que, par une suave et tres amoureuse antiperistase et contention, elle s'est revigoree a la presence de son adversaire, et comme ramassant ses forces pour vaincre, elle a fait surabonder la grace ou l'iniquité avoit abondé; de sorte que la sainte Eglise, par un saint exces d'admiration, s'escrie, la veille de Pasques: «O peché d'Adam, a la verité necessaire, qui a esté effacé par la mort de Jesus Christ; o coulpe bien heureuse, qui a mérité d'avoir un tel et si grand Redempteur!» Certes, Theotime, nous pouvons dire comme cet ancien: « Nous estions perdus, si nous n'eussions esté perdus;» c'est a dire, nostre perte nous a esté a prouffit, puisqu'en effect la nature humaine a receu plus de graces par la redemption de son Sauveur, qu'elle n'en eust jamais receu par l'innocence d'Adam, s'il eust perseveré en icelle..

  A004000380 

 Mays donq maintenant, mon Theotime, qui doutera de l'abondance des moyens du salut, puisque nous avons un si grand Sauveur, en consideration duquel nous avons esté faitz, et par les merites duquel nous avons esté rachetés? Car il est mort pour tous, parce [103] que tous estoyent mortz; et sa misericorde a esté plus salutaire pour racheter la race des hommes, que la misere d'Adam n'avoit esté veneneuse pour la perdre.

  A004000385 

 Car, Theotime, il ne s'est pas contenté, en l'exces sacré de sa misericorde, d'envoyer a son peuple, c'est a dire au genre humain, une redemption generale et universelle, par laquelle un chacun peut estre sauvé; mais il l'a diversifiee en tant de manieres, que sa liberalité reluisant en toute cette varieté, cette varieté reciproquement embellit aussi sa liberalité.

  A004000393 

 Mais pourtant, Theotime, quoy que cette tres abondante suffisance de graces soit ainsi versee sur toute la nature humaine, et qu'en cela nous soyons tous esgaux qu'une riche abondance de benedictions nous est offerte a tous, si est-ce neanmoins que la varieté de ces faveurs est si grande, qu'on ne peut dire qui est plus admirable, ou la grandeur de toutes les graces en une si grande diversité, ou la diversité en tant de grandeurs.

  A004000395 

 Mais il se faut bien garder de jamais rechercher pourquoy la supreme Sagesse a departi une grace a l'un plustost qu'a l'autre, ni pourquoy il fait abonder ses faveurs en un endroit plustost qu'en l'autre: non, Theotime, n'entrés jamais en cette curiosité; car ayans tous suffisamment, ains abondamment, ce qui est requis pour le salut, quelle rayson peut avoir homme du monde de se plaindre, s'il plait a Dieu de departir ses graces plus largement aux uns qu'aux autres? Si quelqu'un s'enqueroit pourquoy Dieu a fait les melons plus gros que les frayses, ou les lys plus grans que les violettes, pourquoy le romarin n'est pas une rose, ou pourquoy l'œillet n'est pas un soucy, pourquoy le paon [110] est plus beau qu'une chauvesouris, ou pourquoy la figue est douce et le citron aigrelet, on se moqueroit de ses demandes et on luy diroit: pauvre homme, puisque la beauté du monde requiert la varieté, il faut qu'il y ait des differentes et inegales perfections es choses, et que l'une ne soit pas l'autre; c'est pourquoy les unes sont petites, les autres grandes, les unes aigres, les autres douces, les unes plus, et les autres moins belles.

  A004000399 

 En quoy il tesmoigne bien, Theotime, qu'il ne nous a pas laissé l'inclination naturelle de l'aymer, pour neant; car affin qu'elle ne soit oyseuse, il nous presse de l'employer par ce commandement general, et affin que ce commandement puisse estre prattiqué, il ne laisse homme qui vive auquel il ne fournisse abondamment tous les moyens requis a cet effect..

  A004000399 

 Hé, dit-il, je suis venu pour mettre le feu au monde, que pretens-je sinon qu'il arde? Mais pour declarer plus vivement l'ardeur de ce desir, il nous commande cet amour en termes admirables: Tu aymeras, dit-il, le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton ame, de toutes tes forces, c'est le premier et le plus grand commandement. Vray Dieu, Theotime, que le cœur divin est amoureux de nostre amour! Ne suffisoit-il pas qu'il eust publié une permission par laquelle il nous eust donné congé de l'aymer, comme Laban permit a Jacob d'aymer sa belle Rachel et de la gaigner par ses services? Mays non, il declare plus avant sa passion amoureuse envers nous, et nous commande de l'aymer de tout nostre pouvoir, affin que la consideration de sa Majesté et de nostre misere, qui font une tant infinie disparité et inegalité de luy a nous, ni autre pretexte quelconque, ne nous divertist de l'aymer.

  A004000399 

 Pour cela, Theotime, le doux Jesus, qui nous a rachetés par son sang, desire infiniment que nous l'aymions, affin que nous soyons eternellement sauvés, et desire que nous soyons sauvés, affin que nous l'aymions eternellement, son amour tendant a nostre salut et nostre salut a son amour.

  A004000400 

 Voyés donq, Theotime, si Dieu desire que nous l'aymions.

  A004000401 

 Mon cher Theotime, Dieu n'exerce pas donques une simple suffisance de remedes pour convertir les obstinés, mais employe a cela les richesses de sa bonté.

  A004000401 

 Or, qu'est ce a dire tout cela, Theotime, sinon que Dieu ne nous donne pas seulement une simple suffisance de moyens pour l'aymer, et en l'aymant nous sauver, mais que c'est une suffisance riche, ample, magnifique, et telle qu'elle doit estre attendue d'une si grande bonté comme est la sienne? Le grand Apostre, parlant au pecheur obstiné: Mesprises-tu, dit-il, les richesses de la bonté, patience et longanimité de Dieu? ignores-tu que la benignité de Dieu t'amene a penitence? Mays toy, selon ta dureté et ton cœur [113] impenitent, tu te fays un thresor d'ire au jour de l'ire.

  A004000405 

 Or, comme vous voyes, Theotime, ce n'a pas esté par aucun merite des œuvres que nous eussions fait, mais selon sa misericorde qu'il nous a sauvés, par cette charité ancienne, ains eternelle, qui a esmeu sa divine Providence de nous attirer a soy.

  A004000406 

 Il y a certains oyseaux, Theotime, qu'Aristote nomme apodes, parce qu'ayans les jambes extremement courtes et les pieds sans force, ilz ne s'en servent non plus que s'ilz n'en avoyent point: que si une fois ilz prennent terre, ilz y demeurent pris, sans que jamais d'eux mesmes ilz puissent reprendre le vol, d'autant que n'ayans nul usage des jambes ni des pieds, ilz n'ont pas non plus le moyen de se pousser et relancer en l'air; et partant, ilz demeurent la croupissans et y meurent, sinon que quelque vent propice a leur impuissance, jettant ses bouffees sur la face de la terre, les vienne saisir et enlever, comme il fait plusieurs autres choses; car alhors, si employans leurs aysles ilz correspondent a cet eslan et premier essor que le vent leur donne, [115] le mesme vent continue aussi son secours envers eux, les poussant de plus en plus au vol..

  A004000407 

 Theotime, les Anges sont comme les oyseaux que, pour leur beauté et rareté, on appelle oyseaux de Paradis, qu'on ne vit jamais en terre que mortz; car ces espritz celestes ne quitterent pas plus tost l'amour divin pour s'attacher a l'amour propre, que soudain ilz tomberent comme mortz, ensevelis es enfers, d'autant que ce que la mort fait es hommes, les separant pour jamais de cette vie mortelle, la cheute le fit es Anges, les separant pour tous-jours de la vie eternelle.

  A004000409 

 Voyés, je vous prie, Theotime, le pauvre prince des Apostres tout engourdi dans son peché en la triste nuit de la Passion de son Maistre: il ne pensoit non plus a se repentir de son peché que si jamais il n'eust conneu son divin Sauveur; et comme un chetif apode atterré, il ne se fust onques relevé, si le coq, comme instrument de la divine Providence, n'eust frappé de son chant a ses oreilles, a mesme que le doux Redempteur, jettant un regard salutaire comme une sagette d'amour, transperça ce cœur de pierre qui rendit par apres tant d'eau, a guise de l'ancienne pierre lhors qu'elle fut frappee par Moyse au desert.

  A004000410 

 N'est-il pas donq vray, mon cher Theotime, que cette premiere esmotion et secousse que l'ame sent, quand Dieu, la prevenant d'amour, l'esveille et l'excite a quitter le peché et se retourner a luy, et non seulement cette secousse, ains tout le resveil se fait en nous et pour nous, mays non pas par nous? Nous sommes esveillés, mays nous ne nous sommes pas esveillés de nous mesmes; c'est l'inspiration qui nous a esveillés, [117] et pour nous esveiller, elle nous a esbranlés et secoués.

  A004000414 

 Oyés donq, je vous prie, Theotime, que les habitans de Corozaïn et Bethsaïda, enseignés en la vraye religion, ayans receu des faveurs si grandes qu'elles eussent en effect converti les payens mesmes, neanmoins ils demeurerent obstinés et ne voulurent onques s'en prevaloir, rejettant cette sainte lumiere par une rebellion incomparable.

  A004000414 

 Voyés donq derechef, Theotime, que ceux qui ont receu moins d'attraitz sont tirés a la penitence, et ceux qui en ont plus receu s'obstinent; ceux qui ont moins de sujet de venir, viennent a l'eschole de la Sagesse, et ceux qui en ont plus, demeurent en leur folie..

  A004000421 

 O Dieu, Theotime, si nous recevions les inspirations celestes selon toute l'estendue de leur vertu, qu'en peu de tems nous ferions de grans progres en la sainteté! Pour abondante que soit la fontaine, ses eaux n'entreront pas en un jardin selon leur affluence, mais selon la petitesse ou grandeur du canal par ou elles y sont conduites.

  A004000424 

 A quoy tient-il donques que nous ne sommes pas si avancés en l'amour de Dieu comme saint Augustin, saint François, sainte Catherine de Gennes, ou sainte Françoise? Theotime, c'est parce que Dieu ne nous en a pas fait la grace.

  A004000424 

 Mais pourquoy avons-nous abusé de nostre liberté? Theotime, il ne faut pas passer plus avant, car, comme dit saint Augustin, la depravation de nostre volonté ne provient d'aucune cause, ains de la defaillance de la cause qui commet le peché.

  A004000426 

 Vous voyés, Theotime, l'advis de cet homme, qui ne fut presque pas homme, ains un Seraphin en terre.

  A004000427 

 Pour certain, la faute n'est pas de la part de Dieu, car, puisque sa divine Majesté nous ayde et fait cette grace que nous arrivions jusques a ce point, je croy qu'il ne manqueroit pas de nous en faire encor davantage, si ce n'estoit nostre faute et l'empeschement que nous y mettons de nostre part.» Soyons donques attentifs, Theotime, a nostre avancement en l'amour que nous devons a Dieu, car celuy qu'il nous porte ne nous manquera jamais.

  A004000431 

 Je ne parleray point ici, mon cher Theotime, de ces graces miraculeuses qui ont presque en un moment transformé les loups en bergers, les rochers en eau et les persecuteurs en predicateurs.

  A004000432 

 Sans doute, Theotime, nous ne sommes pas tirés a Dieu par des liens de fer, comme les taureaux et les buffles, ains par maniere d'allechemens, d'attraitz delicieux et de saintes inspirations, qui sont en somme les liens d'Adam et d'humanité; c'est a dire proportionnés et convenables au cœur humain, auquel la liberté est naturelle.

  A004000433 

 En cette sorte donq, trescher Theotime, nostre franc arbitre n'est nullement forcé ni necessité par la grace; ains, nonobstant la vigueur toute puissante de la main misericordieuse de Dieu, qui touche, environne et lie l'ame de tant et tant d'inspirations, de semonces et d'attraitz, cette volonté humaine demeure parfaittement [126] libre, franche et exempte de toute sorte de contrainte et de necessité.

  A004000434 

 Voyés de grace, Theotime, le trait du Sauveur, quand il parle de ses attraitz: Si tu sçavois, veut il dire, le don de Dieu, sans doute tu serois esmeüe et attiree a demander l'eau de la vie eternelle, et peut estre que tu la demanderois; comme s'il disoit: Tu aurois le pouvoir [127] et serois provoquee a demander, et neanmoins tu ne serois pas forcee ni necessitee; ains seulement peut estre tu la demanderois: car ta liberté te demeureroit pour la demander ou ne la demander pas.

  A004000435 

 Theotime, [128] les inspirations nous previennent, et avant que nous y ayons pensé elles se font sentir, mais apres que nous les avons senties, c'est a nous d'y consentir pour les seconder et suivre leurs attraitz, ou de dissentir et les repousser: elles se font sentir a nous, sans nous, mais elles ne nous font pas consentir sans nous..

  A004000439 

 Ainsy, mon cher Theotime, quand l'inspiration, comme un vent sacré, vient pour nous pousser en l'air du saint amour, elle se prend a nostre volonté, et par le sentiment de quelque celeste delectation elle l'esmeut, estendant et despliant l'inclination naturelle, qu'elle a au bien, en sorte que cette inclination mesme luy serve de prise pour saisir nostre esprit: et tout cela, comme j'ay dit, se fait «en nous, sans nous,» car c'est la faveur divine qui nous previent en cette sorte.

  A004000439 

 Que si nostre esprit ainsy saintement prevenu, sentant les aysles de son inclination esmeües, despliees, estendues, poussees et agitees par ce vent celeste, contribue tant soit peu son consentement, ah, quel bonheur, Theotime; car la mesme inspiration et faveur qui nous a saisi, meslant [129] son action avec nostre consentement, animant nos foibles mouvemens de la force du sien, et vivifiant nostre imbecille cooperation par la puissance de son operation, elle nous aydera, conduira et accompaignera d'amour en amour, jusques a l'acte de la tressainte foy, requis pour nostre conversion..

  A004000440 

 Vray Dieu, Theotime, quelle consolation de considerer la sacree methode avec laquelle le Saint Esprit respand les premiers rayons et sentimens de sa lumiere et chaleur vitale dedans nos cœurs.

  A004000441 

 Helas, Theotime, le pauvre Pachome, quoy que de bon naturel, dormoit pour lhors dans la couche de son infidelité; et voyla que tout a coup, Dieu se treuve a la porte de son cœur, et par le bon exemple de ces Chrestiens, comme par une douce voix, il l'appelle, l'esveille et luy donne le premier sentiment de la chaleur vitale de son amour; car a peyne eut-il ouï parler, comme je viens de dire, de l'aymable loy du Sauveur, que tout rempli d'une nouvelle lumiere et consolation interieure, se retirant a part et ayant quelque tems pensé en soy mesme, il haussa les mains au ciel, et avec un profond souspir il se print a dire: «Seigneur Dieu, qui avés fait le ciel et la terre, si vous daignés jetter vos yeux sur ma bassesse et sur ma peyne et me donner connoissance de vostre Divinité, je vous prometz de vous servir, et d'obeir toute ma vie a vos commandemens.» Depuis cette priere et promesse, l'amour du vray bien et de la pieté prit un tel accroissement en luy, qu'il ne cessoit point de prattiquer mille et mille exercices de vertu..

  A004000443 

 Cependant voyes, je vous prie, Theotime, comme Dieu va doucement renforçant peu a peu la grace de son inspiration dedans les cœurs qui consentent, les tirant apres soy comme de degré en degré sur cette eschelle de Jacob.

  A004000448 

 Mais ne faut il pas qu'en effect je sois infiniment aymable, puisque les sombres tenebres et les espais brouillars entre lesquelz je suis, non pas veüe mais seulement entreveüe, ne me peuvent empescher d'estre si aggreable, que l'esprit, me cherissant sur tout, fendant la presse de toutes autres connoissances, il me fait faire place et me reçoit comme sa reyne, dans le trosne le plus relevé qui soit en son palais, d'ou je donne la loy a toute science et assujettis tout discours et tout sentiment humain? Ouy vrayement, Theotime, tout ainsy que les chefz de l'armee d'Israël se despouillans de leurs vestemens, les mirent ensemble et en firent comme un trosne royal sur lequel ilz assirent Jehu, crians: Jehu est roy, de mesme, a l'arrivee de la foy, l'esprit se despouille de tous discours et argumens, et les sousmettant a la foy, il la fait asseoir sur iceux, la reconnoissant comme reyne, et crie avec une grande joye: Vive la foy! Les discours et argumens pieux, les miracles et autres avantages de la religion chrestienne, la rendent certes extremement croyable et connoissable; mays la seule foy la rend creüe et reconneüe, faysant aymer la beauté de sa verité [134] et croire la verité de sa beauté, par la suavité qu'elle respand en la volonté et la certitude qu'elle donne a l'entendement.

  A004000448 

 Mon Dieu, Theotime, pourrois-je bien dire ceci? La foy est la grande amie de nostre esprit, et peut bien parler aux sciences humaines qui se vantent d'estre plus evidentes et claires qu'elle, comme l'Espouse sacree parloit aux autres bergeres: Je suis brune, mais belle.

  A004000449 

 Or en fin, Theotime, cette asseurance [135] que l'esprit humain prend es choses revelees et mysteres de la foy, commence par un sentiment amoureux de complaysance que la volonté reçoit de la beauté et suavité de la verité proposee: de sorte que la foy comprend un commencement d'amour que nostre cœur ressent envers les choses divines..

  A004000449 

 Vous aves ouy dire, Theotime, qu'es Conciles generaux il se fait des grandes disputes et recherches de la verité, par discours, raysons et argumens de theologie; mays la chose estant debattue, les Peres, c'est a dire les Evesques, et specialement le Pape qui est le chef des Evesques, concluent, resoulvent et determinent, et la determination estant prononcee chacun s'y arreste et y acquiesce pleinement, non point en consideration des raysons alleguees en la dispute et recherche precedente, mays en vertu de l'authorité du Saint Esprit qui, presidant invisiblement es Conciles, a jugé, determiné et conclu par la bouche de ses serviteurs qu'il a establis Pasteurs du Christianisme.

  A004000453 

 Mays quand la sainte foy a representé a nostre esprit ce bel object de son inclination naturelle, o vray Dieu, Theotime, quel ayse, quel playsir, quel tressaillement universel de nostre ame! laquelle alhors, comme toute surprise a l'aspect d'une si excellente beauté, s'escrie d'amour: O que vous estes beau, mon Bienaymé, o que vous estes beau!.

  A004000455 

 Ainsy, mon cher Theotime, nostre cœur ayant eu si longuement inclination a son souverain bien, il ne sçavoit a quoy ce mouvement tendoit; mais si tost que la foy le luy a monstré, alhors il void bien que c'estoit cela que son ame requeroit, que son esprit cherchoit et que son inclination regardoit.

  A004000462 

 Et comme l'oyseau auquel le fauconnier oste le chaperon, ayant la proye en veüe s'eslance soudain au vol, [139] et s'il est retenu par les longes se debat sur le poing avec une ardeur extreme, de mesme la foy nous ayant osté le voile de l'ignorance et fait voir nostre souverain bien, lequel neanmoins nous ne pouvons encor posseder, retenus par la condition de cette vie mortelle, helas, Theotime, nous le desirons alhors: de sorte que.

  A004000473 

 Ce desir est juste, Theotime, car qui ne desireroit un bien si desirable? mais ce seroit un desir inutile, ains qui ne serviroit que d'un continuel martyre a nostre cœur, si nous n'avions asseurance de le pouvoir un jour assouvir.

  A004000474 

 Ouy certes, Theotime, parce que l'asseurance que Dieu nous donne que le Paradis est pour nous, fortifie infiniment le desir que nous avions d'en jouir, et neanmoins affoiblit, ains aneantit tout a fait le trouble et l'inquietude que ce desir nous apportoit; de sorte que nos cœurs, par les promesses sacrees que la divine Bonté nous a faites, demeurent tout a fait accoisés.

  A004000475 

 Et de vray, Theotime, entre esperer et aspirer il y a seulement cette difference: que nous esperons les choses que nous attendons, par le moyen d'autruy, et nous aspirons aux choses que nous pretendons, par nos propres moyens, de nous mesmes; et d'autant que nous parvenons a la jouissance de nostre souverain bien qui est Dieu, premierement et principalement par sa faveur, grace et misericorde, et que neanmoins cette mesme misericorde veut que nous cooperions a sa faveur, contribuans la foiblesse de nostre consentement a la force de sa grace, partant, nostre esperance est aucunement meslee d'aspirement: si que nous n'esperons pas tout a fait sans aspirer, et n'aspirons jamais sans tout a fait esperer; en quoy l'esperance tient tous-jours le rang principal, comme fondee sur la grace divine, sans laquelle, tout ainsy que nous ne pouvon pas seulement [141] penser a nostre souverain bien selon qu'il convient pour y parvenir, aussi ne pouvons-nous jamais sans icelle y aspirer comme il faut pour l'obtenir. L'aspirement donques est un rejetton de l'esperance, comme nostre cooperation l'est de la grace: et tout ainsy que ceux qui veulent esperer sans aspirer seront rejettés comme couards et negligens, de mesme ceux qui veulent aspirer sans esperer sont temeraires, insolens et presomptueux.

  A004000475 

 Mais quand l'esperance est suivie de l'aspirement, et qu'esperans nous aspirons et aspirans nous esperons, alhors, cher Theotime, l'esperance se convertit en un courageux dessein par l'aspirement, et l'aspirement se convertit en une humble pretention par l'esperance, esperans et aspirans selon que Dieu nous inspire.

  A004000475 

 Tout y est d'amour, Theotime: soudain que la foy m'a monstre mon souverain bien, je l'ay aymé; et parce qu'il m'estoit absent, je l'ay desiré; et d'autant que j'ay sceu qu'il se vouloit donner a moy, je l'ay derechef plus ardemment aymé et desiré, car aussi sa bonté est d'autant plus aymable et desirable qu'elle est plus disposee a se communiquer.

  A004000479 

 L'amour que nous prattiquons en l'esperance, Theotime, va certes a Dieu, mays il retourne a nous; il a son regard en la divine Bonté, mays il a de l'esgard a nostre utilité; il tend a cette supreme perfection, mays il pretend nostre satisfaction: c'est a dire, il ne nous porte pas en Dieu parce que Dieu est souverainement bon en soy mesme, mais parce qu'il est souverainement bon envers nous mesmes; ou, comme vous voyes, il y a du nostre et du nous mesme; et partant, cet amour est voirement amour, mais amour de convoitise et interessé.

  A004000481 

 Ouy, sans doute, Theotime, car quand nous aymons Dieu comme nostre souverain bien, nous l'aymons pour une qualité par laquelle nous ne le rapportons pas à nous, mais nous a luy; nous ne sommes pas sa fin, sa pretention ni sa perfection, ains il est la nostre; il ne nous appartient pas, mais nous luy appartenons; il ne depend point de nous, ains nous de luy; et en somme, par la qualité de souverain bien, pour laquelle nous l'aymons, il ne reçoit rien de nous, ains nous recevons de luy; il exerce envers nous son affluence et bonté, et nous prattiquons nostre indigence et disett: de sorte que, aymer Dieu en tiltre du souverain bien, c'est l'aymer en tiltre honnorable et respectueux, par lequel nous l'advoüons estre nostre perfection, nostre repos et nostre fin, en la jouissance de laquelle consiste nostre bonheur..

  A004000483 

 Et notés, Theotime, qu'en cet amour ici, la rayson pour laquelle nous aymons, c'est a dire pour laquelle nous appliquons nostre cœur a l'amour du bien que nous convoitons, c'est parce que c'est nostre bien; mais la rayson de la mesure et quantité de cet amour, depend de l'excellence et dignité du bien que nous aymons.

  A004000483 

 Pourquoy donq aymons-nous Dieu, Theotime, de cet amour de convoitise? parce qu'il est nostre [145] bien.

  A004000491 

 Vous voyes donq bien, Theotime, que ce Philosophe, lhors encor payen, connoissoit que le peché offençoit Dieu, comme la vertu l'honnoroit, et que par consequent il vouloit qu'on s'en repentist, puisque mesme il ordonnoit que l'on fist l'examen de conscience au soir, en faveur duquel, avec Pitagore, il fait cet advertissement:.

  A004000496 

 Nous pouvons donq bien dire, mon cher Theotime, que la pœnitence est une vertu toute chrestienne, puisque d'un costé elle a esté si peu conneüe entre les payens, et de l'autre elle est tellement reconneüe parmi les vrays Chrestiens qu'en icelle consiste une grande partie de la philosophie evangelique, selon laquelle quicomque dit qu'il ne peche point est insensé, et quicomque croid de remedier a son peché sans pœnitence, il est forcené; car c'est l'exhortation des exhortations de Nostre Seigneur: Faites penitence.

  A004000503 

 Hé, ne voyes vous pas, Theotime, que toutes ces repentances se font pour l'interest de nostre ame, de sa felicité, de sa beauté interieure, de son honneur, de sa dignité, et, en un mot, pour l'amour de nous mesmes, mais amour neanmoins legitime, juste et bien reglé..

  A004000511 

 Theotime, parmi les tribulations et regretz d'une vive repentance, Dieu met bien souvent dans le fond de nostre cœur le feu sacré de son amour; puis cet amour se convertit en l'eau de plusieurs larmes, lesquelles, par un second changement, se convertissent en un autre plus grand feu d'amour.

  A004000514 

 Voyes, je vous prie, Theotime, la bienaymee Magdeleine comme elle pleure d'amour: On a enlevé mon Seigneur, dit-elle, toute fondue en larmes, et ne sçay ou on l'a mis; mais l'ayant treuvé par les souspirs et les pleurs, elle le tient et possede par amour.

  A004000515 

 Mais, ce me dires-vous, quelle vertu ou proprieté de l'amour peut avoir la repentance, si elle n'a pas l'action? Theotime, le motif de la parfaite repentance, c'est la bonté de Dieu laquelle il nous desplait d'avoir offencee; or, ce motif n'est motif sinon parce qu'il esmeut et donne le mouvement, mais le mouvement que la bonté divine donne au cœur qui la considere ne peut estre que le mouvement d'amour, c'est a dire d'union: c'est pourquoy la vraye repentance, bien qu'il ne soit pas advis et qu'on ne voye pas la propre action de l'amour, reçoit neanmoins tous-jours le mouvement de l'amour et la qualité unissante d'iceluy, par laquelle elle nous reunit et rejoint a la divine bonté.

  A004000515 

 Mays quelle difference y a-il, me repliqueres-vous, entre ce mouvement unissant de la penitence et l'action propre de l'amour? Theotime, l'action de l'amour est un mouvement d'union voirement, mais il se fait par complaysance: or, le mouvement d'union qui est en la penitence se fait, non par voye de complaysance, ains de desplaysir, de repentance, de reparation, de reconciliation; entant donq que ce mouvement unit, il a la qualité de l'amour, entant qu'il est amer et douloureux, il a la qualité de la penitence; et, en somme, de sa naturelle condition c'est un vray mouvement de penitence, mais qui a la vertu et qualité unissante de l'amour.

  A004000525 

 Voyes vous, Theotime, elle ne prieroit pas si elle n'estoit excitee, mais si tost qu'elle l'est et qu'elle sent les attraitz, elle prie qu'on la tire; estant tiree elle court, mays elle ne courroit pas si les parfums qui l'attirent, et par lesquelz on la tire, ne luy avivoient le cœur par la force de leur odeur precieuse; et comme elle court plus fort et qu'elle s'approche de plus pres de son celeste Espoux, elle sent tous-jours plus delicieusement les suavités qu'il respand, jusques a ce qu'en fin luy mesme s'escoule dedans son cœur par maniere de bausme respandu, si qu'elle s'escrie, comme surprise de ce contentement, non si tost attendu et inopiné: O mon Espoux, vous estes un bausme versé dans mon sein! ce n'est pas merveille si les jeunes ames vous cherissent.

  A004000526 

 En cette façon, trescher Theotime, l'inspiration celeste vient a nous et nous previent, excitant nos volontés a l'amour sacré.

  A004000530 

 Voyla donq en fin, mon cher Theotime, comme Dieu, par un progres plein de suavité ineffable, conduit l'ame qu'il fait sortir hors de l'Egypte du peché, d'amour en amour, comme de logement en logement, jusques a ce qu'il l'ayt fait entrer en la Terre de promission, je veux dire en la tressainte charité; laquelle, pour le dire en un mot, est une amitié et non pas un amour interessé, car par la charité nous aymons Dieu pour l'amour de luy mesme, en consideration de sa bonté tres souverainement aymable.

  A004000531 

 Et partant, Theotime, ce n'est pas un amour que les forces de la nature ni humaine ni angelique puissent produire, ains le Saint Esprit le donne et le respand en nos cœurs; et comme nos ames, qui donnent la vie a nos cors, n'ont pas leur origine de nos cors, mays sont mises dans nos cors par la providence naturelle de Dieu, ainsy la [164] charité, qui donne la vie a nos cœurs, n'est pas extraitte de nos cœurs, mays elle y est versee comme une celeste liqueur, par la providence surnaturelle de sa divine Majesté..

  A004000542 

 Allés donq, dit saint Bernard, allés, dis-je avec luy, allés, mon cher Theotime, et n'ayes point d'autres bornes que celles de vostre vie, et tandis qu'elle durera, courés apres ce Sauveur; mais courés ardemment et vistement, car, dequoy vous servira de le suivre, si vous n'estes si heureux que de l'aconsuivre? Escoutons le Prophete: J'ay incliné mon cœur a faire vos justifications eternellement; il ne dit pas qu'il les gardera pour un tems, mais pour jamais; et parce qu'il veut eternellement bien faire, il aura un eternel salaire.

  A004000550 

 Voyés-vous, Theotime, ce verre d'eau ou ce petit morceau de pain qu'une sainte ame donne au pauvre, pour Dieu: c'est peu de fait certes, et chose presque indigne de consideration selon le jugement humain; Dieu neanmoins le recompense, et tout soudain donne pour cela quelqu'accroissement de charité.

  A004000553 

 Theotime, les abeilles font le miel delicieux qui est leur ouvrage de haut prix, mays la cire, qu'elles font aussi, ne laisse pas pour cela de valoir quelque chose et de rendre leur travail recommandable: le cœur amoureux doit tascher de produire ses œuvres avec grande ferveur et de haute estime, afhn d'augmenter puissamment sa charité; mays si, toutefois, il en produit de moindres, il ne perdra point la recompense, car Dieu luy en sçaura gré, c'est a dire l'en aymera tous-jours un peu plus.

  A004000554 

 Certes, le sacré Concile de Trente parle ainsy: «Si quelqu'un dit que la justice receüe n'est pas conservee, et que mesmes elle n'est pas augmentee devant Dieu par bonnes œuvres, [172] mays que les œuvres sont seulement fruitz et signes de la justification acquise, et non pas cause de l'augmenter, anatheme.» Voyés-vous, Theotime, la justification qui se fait par la charité est augmentee par les bonnes œuvres, et, ce qu'il faut remarquer, c'est par les bonnes œuvres sans exception; car, comme dit excellemment saint Bernard sur un autre sujet, «rien n'est excepté ou rien n'est distingué.» Le Concile parle des bonnes œuvres indistinctement et sans reserve, nous donnant a connoistre, que non seulement les grandes et ferventes, ains aussi les petites et foibles, font augmenter la sainte charité; mais les grandes, grandement, et les petites, beaucoup moins..

  A004000559 

 Employons une parabole, Theotime, puisque cette methode a esté si aggreable au souverain Maistre de l'amour que nous enseignons.

  A004000560 

 Et tout cela, mon Theotime, Dieu le fait «en nous, sans nous,» par sa bonté toute aymable qui nous previent de sa douceur.

  A004000563 

 Ne voyons-nous pas, Theotime, que souvent les hommes sains et robustes ont besoin qu'on les provoque a bien employer leur force et leur pouvoir, et que, par maniere de dire, on les conduise a l'œuvre par la main? Ainsy, Dieu nous ayant donné sa charité, et par icelle la force et le moyen de gaigner païs au chemin de la perfection, son amour neanmoins ne luy permet pas de nous laisser aller ainsy seulz; ains il le fait mettre en chemin avec nous, il le presse de nous presser, et sollicite son cœur de solliciter et pousser le nostre a bien employer la sainte charité qu'il nous a donnee, repliquant souvent par ses inspirations les advertissemens que saint Paul nous fait: Voyés de ne point recevoir la grace celeste en vain; Tandis que vous aves le tems faites tout le bien que vous pourres; Courés en sorte que vous emporties le prix.

  A004000565 

 Pour ces grandes œuvres, Theotime, nous avons besoin non seulement d'estre inspirés, mays aussi d'estre fortifiés, affin d'effectuer ce que l'inspiration requiert de nous; comme encor es grans assautz des tentations extraordinaires, une speciale et particuliere presence du secours celeste nous est tout a fait necessaire.

  A004000594 

 Ainsy, trescher Theotime, nous devons, selon l'advis du saint Concile, «mettre toute nostre esperance en Dieu qui parachèvera nostre salut qu'il a commencé en nous, pourveu que nous ne manquions pas a sa grace.» Car il ne faut pas penser que celuy qui dit au paralitique: Va et ne veuille plus pecher, ne luy donnast aussi le pouvoir d'eviter le vouloir qu'il luy defendoit; et certes, il n'exhorteroit jamais les fideles a perseverer, s'il n'estoit prest a leur en donner le pouvoir.

  A004000604 

 Et alhors, cher Theotime, cette ame toute ravie d'amour pour son Bienaymé, se representant la multitude des faveurs et secours dont il l'a prevenue et assistee tandis qu'elle estoit en son pelerinage, elle bayse incessamment cette douce main secourable qui l'a conduite, tiree et portee en chemin, et confesse que c'est de ce divin Sauveur qu'elle tient tout son bonheur, puisqu'il a fait pour elle tout ce que le grand patriarche Jacob souhaittoit pour son voyage, lhors qu'il eut veu l'eschelle du ciel.

  A004000614 

 Dieu, sans doute, n'a preparé le Paradis que pour ceux desquels il a preveu qu'ilz seroyent siens; soyons donques siens par foy et par œuvre, Theotime, et il sera nostre par gloire.

  A004000615 

 Mays voyés, je vous prie, Theotime, de quelle ardeur Dieu desire que nous soyons siens, puisque a cette [186] intention il s'est rendu tout nostre, nous donnant sa mort et sa vie; sa vie affin que nous fussions exemptz de l'eternelle mort, et sa mort affin que nous puissions jouir de l'eternelle vie.

  A004000620 

 Mais voyés, Theotime, qu'elle ne pense rien moins, cette Espouse, que de tenir son Bienaymé a sa mercy comme un esclave d'amour; dont elle s'imagine que c'est a elle de le mener a son gré et l'introduire au bien heureux sejour de sa mere, ou neanmoins elle sera elle mesme introduite par luy, comme fut Rebecca en la chambre de Sara par son cher Isaac.

  A004000622 

 Il est vray, Theotime, qu'en attendant ce grand bayser d'indissoluble union, que nous recevrons de l'Espoux la haut en la gloire, il nous en donne quelques uns par mille ressentimens de son aggreable presence; car si l'ame n'estoit pas baysee, elle ne seroit pas tiree, ni ne courroit pas a l'odeur des parfums du Bienaymé.

  A004000627 

 Au Ciel, Theotime, l'attention amoureuse des Bienheureux est ferme, constante, inviolable, qui ne peut ni perir ni diminuer; leur intention est tous-jours pure, exempte du meslange de toute autre intention inferieure: en somme, ce bonheur de voir Dieu clairement et de l'aymer invariablement est incomparable.

  A004000634 

 Hé, n'allegués pas, je vous prie, que cette sainte Vierge fut neanmoins sujette au dormir; non, ne me dites pas cela, Theotime, car ne voyes-vous pas que son sommeil est un sommeil d'amour, de sorte que son Espoux mesme veut qu'on la laisse dormir tant qu'il luy plaira? Ah, gardés bien, je vous en conjure, dit-il, d'esveiller ma Bienaymee jusques a ce qu'elle le veuille.

  A004000634 

 Ouy, Theotime, cette Reyne celeste ne s'endormoit jamais que d'amour, puisqu'elle ne donnoit aucun repos a son pretieux cors que pour le revigorer, affin qu'il servist mieux son Dieu par apres; acte, certes, tres excellent de charité, car, comme dit le grand saint Augustin, elle nous «oblige d'aymer nos cors convenablement,» entant qu'ilz sont requis aux bonnes œuvres, qu'ilz sont une partie de nostre personne et qu'ilz seront participans de la felicité eternelle.

  A004000636 

 Et puis, mon cher Theotime, ne saves vous pas que les songes mauvais procurés volontairement par les pensees depravees du jour, tiennent en quelque sorte lieu de peché, parce que ce sont comme des dependances et executions de la malice precedente? Ainsy, certes, les songes provenans des saintes affections de la veille sont estimés vertueux et sacrés.

  A004000636 

 Mais si jamais elle songea, comme l'ancien Joseph, a sa grandeur future, quand au ciel elle seroit revestue du soleil, couronnee d'estoiles, et la lune a ses pieds, c'est a dire toute environnee de la gloire de son Filz, couronnee de celle des Saintz, et l'univers sous elle; ou que, comme Jacob, elle vid le progres et les fruitz de la Redemption faite par son Filz en faveur des Anges et des hommes, Theotime, qui pourroit jamais s'imaginer l'immensité de si grandes delices? Que de colloques avec son cher Enfant, que de suavités de toutes pars!.

  A004000636 

 Mon Dieu, Theotime, quelle consolation d'ouïr saint Chrysostome, racontant un jour a son peuple la vehemence de l'amour qu'il luy portoit! «La necessité du sommeil,» dit-il, «pressant nos paupieres, la tirannie de nostre amour envers vous excite les yeux de nostre esprit, et maintefois emmi mon sommeil il m'a esté advis que je vous parlois, car l'ame a accoustumé de voir en songe, par imagination, ce qu'elle pense parmi la journee: ainsy, ne vous voyans pas des yeux de la chair, nous vous voyons des yeux de la charité.» Hé, doux Jesus, qu'est-ce que devoit songer vostre tressainte Mere Ihors qu'elle dormoit et que son [193] cœur veilloit? Ne songeoit-elle point de vous voir encor plié dans ses entrailles, comme vous fustes neuf mois? ou bien pendant a ses mammelles et pressant doucement le sacré chicheron de son tetin virginal? Helas, que de douceurs en cette ame! Peut estre songea-elle maintefois que, comme Nostre Seigneur avoit jadis souvent dormi sur sa poitrine, ainsy qu'un petit aignelet sur le flanc mollet de sa mere, de mesme aussi elle dormoit dans son costé percé, comme une blanche colombe dans le trou d'un rocher asseuré.

  A004000644 

 Quel playsir pensés-vous, Theotime, qu'eussent ces anciens philosophes qui conneurent si excellemment tant de belles verités en la nature? Certes, toutes les voluptés ne leur estoyent rien en comparayson de leur bien-aymee philosophie, pour laquelle quelques uns d'entre eux quittèrent les honneurs, les autres des grandes richesses, d'autres leur païs; et s'en est treuvé tel qui, de sens rassis, s'est arraché les yeux, se privant pour jamais de la jouissance de la belle et aggreable lumiere corporelle, pour s'occuper plus librement a considerer la verité des choses par la lumiere spirituelle, car on lit cela de Democrite; tant la connoissance de la verité est delicieuse: dont Aristote a dit fort souvent que la felicité et beatitude humaine consiste en la sapience, qui est la connoissance des verités eminentes..

  A004000645 

 Mais lhors que nostre esprit, eslevé au dessus de la lumiere naturelle, commence a voir les verités sacrees de la foy, o Dieu, Theotime, quelle allegresse! L'ame se fond de playsir, oyant la parole de son celeste Espoux, qu'elle treuve plus douce et souefve que le miel de toutes les sciences humaines.

  A004000646 

 Ah, que belles et amiables sont les verités que la foy nous revele par l'ouïe! mais quand, arrivés en la celeste Hierusalem, nous verrons le grand Salomon, Roy de gloire, assis sur le trosne de sa sapience, manifestant avec une clarté incomprehensible les merveilles et secretz eternelz de sa verité souveraine, avec tant de lumiere que nostre entendement verra en presence ce qu'il avoit creu ici bas, oh alhors, trescher Theotime, quelz ravissemens! quelles extases! quelles admirations! quelles amours! quelles douceurs! Non jamais, dirons-nous en cet exces de suavité, non jamais nous n'eussions sceu penser de voir des verités si delectables.

  A004000650 

 Celuy qui jouissant plus pleinement du monde que jamais nul ne fit, en est toutefois si peu content qu'il pleure de tristesse dequoy il n'en peut avoir d'autres, que la folle persuasion d'un miserable cajolleur luy fait imaginer: dites-moy, je vous prie, Theotime, monstre-il pas que la soif de son cœur ne peut estre assouvie en cette vie, et que ce monde n'est pas suffisant pour le desalterer? O admirable, mays aymable inquietude du cœur humain! Soyes, soyes a jamais sans repos ni tranquillité quelcomque en cette terre, mon ame, jusques a ce que vous ayes rencontré les fraisches eaux de la vie immortelle et la tressainte Divinité, qui seules peuvent esteindre vostre alteration et accoiser vostre desir..

  A004000650 

 O Jesus! mon cher Theotime, quelle joye pour le cœur humain de voir la face de la Divinité, face tant desiree, ains face l'unique desir de nos ames! Nos cœurs ont une soif qui ne peut estre estanchee par les contentemens de la vie mortelle; contentemens desquelz les plus estimés et pourchassés, [198] s'ilz sont moderés, ilz ne nous desalterent pas, et s'ilz sont extremes, ilz nous estouffent.

  A004000651 

 Ce pendant, Theotime, imaginés-vous, avec le Psalmiste, ce cerf, qui mal mené par la meute n'a plus ni vent ni jambes, comme il se fourre avidement dans l'eau qu'il va questant, avec quelle ardeur il se presse et serre dans cet element: il semble qu'il se voudroit volontier fondre et convertir en eau, pour jouir plus pleinement de cette fraischeur.

  A004000657 

 Nous voyons et entendons ainsy, Theotime, tout ce que nous voyons ou entendons en cette vie mortelle, ouy mesme les choses de la foy: car, comme le miroüer ne contient pas la chose que l'on y void ains seulement la representation et espece d'icelle, laquelle representation arrestee par le miroüer en produit une autre en l'œil qui regarde; de mesme, la parole de la foy ne contient pas les choses qu'elle annonce, ains seulement elle les represente, et cette representation des choses divines, qui est en la parole de la foy, en produit une autre, laquelle nostre entendement, moyennant la grace de Dieu, accepte et reçoit comme representation de la sainte verité, et nostre volonté s'y complait et l'embrasse comme une verité honnorable, utile, aymable et tres bonne.

  A004000658 

 Mais au Ciel, Theotime, ah mon Dieu, quelle faveur! la Divinité s'unira elle mesme a nostre entendement, sans entremise d'espece ni representation quelconque; ains elle s'appliquera et joindra elle mesme a nostre entendement, se rendant tellement presente a luy, que cette intime presence tiendra lieu de representation et d'espece.

  A004000659 

 Bonheur infini, Theotime, et lequel ne nous a pas seulement esté promis, mais nous en avons des arres au tressaint Sacrement de l'Eucharistie, festin perpetuel de la grace divine; car en iceluy nous recevons le sang du Sauveur en sa chair et sa chair en son sang, son sang nous estant appliqué par sa chair, sa substance par sa substance, a nostre propre bouche corporelle, affin que nous sachions qu'ainsy nous appliquera-il son essence divine au festin eternel de la gloire.

  A004000663 

 O saint et divin Esprit, Amour eternel du Pere et du Filz, soyes propice a mon enfance! Nostre entendement verra donq Dieu, Theotime; mais je dis, il verra Dieu luy mesme, face a face, contemplant par une veüe de vraye et reelle presence la propre essence divine, et en elle ses infinies beautés: la toute puissance, la toute bonté, toute sagesse, toute justice, et le reste de cet abisme de perfections..

  A004000665 

 O Theotime, Theotime, quelle joye, quelle allegresse, de celebrer cette eternelle naissance qui se fait en la splendeur des Saintz, de la celebrer, dis-je, en la voyant, et de la voir en la celebrant!.

  A004000669 

 Helas, mais de grace, Theotime, si une vision mystique et imaginaire de la naissance temporelle et humaine du Filz de Dieu, par laquelle il procedoit homme de la femme, vierge d'une Vierge, ravit et contente si fort le cœur d'un enfant, hé, que sera-ce quand nos espritz glorieusement illuminés de la clarté bienheureuse, verront cette eternelle naissance par laquelle le Filz procede «Dieu de Dieu, lumiere de lumiere, vray Dieu d'un vray Dieu,» divinement et eternellement! Alhors donq, nostre esprit se joindra par une complaysance incomprehensible a cet object si delicieux, et par une invariable attention luy demeurera eternellement uni.

  A004000669 

 vision, Theotime, qui combla tellement le cœur amiable du petit Bernard, d'ayse, de jubilation et de delices spirituelles, qu'il en eut toute sa vie des ressentimens extremes; et partant, combien que depuis, comme une abeille sacree, il recueillit tous-jours de tous les divins mysteres le miel de mille douces et divines consolations, si est-ce que la solemnité de Noël luy apportoit une particuliere suavité, et parloit avec un goust nompareil de cette nativité de son Maistre.

  A004000674 

 Ouy, mon Theotime, car la bonté du Pere et du Filz n'estant qu'une seule tres uniquement unique bonté, commune a l'un et a l'autre, l'amour de cette bonté ne peut estre qu'un seul amour; parce qu'encor [206] qu'il y ayt deux amans, a sçavoir le Pere et le Filz, neanmoins il n'y a que leur seule tres unique bonté, qui leur est commune, laquelle est aymee, et leur tres unique volonté qui ayme, et partant il n'y a aussi qu'un seul amour, exercé par un seul souspir amoureux.

  A004000676 

 Or sus, Theotime, le roy David, descrivant la suavité de l'amitié des serviteurs de Dieu, s'escrie:.

  A004000689 

 Mais, o Dieu, si l'amitié humaine est tant agreablement aymable et respand une odeur si delicieuse sur ceux qui la contemplent, que sera-ce, mon bienaymé Theotime, de voir l'exercice sacré de l'amour reciproque du Pere envers le Filz eternel! Saint Gregoire Nazianzene raconte que l'amitié incomparable qui estoit entre luy et son grand saint Basile estoit celebree par toute la Grece, et Tertulien tesmoigne que les payens admiroient cet amour plus que fraternel qui regnoit entre les premiers Chrestiens: o quelle feste, quelle solemnité! de quelles louanges et benedictions doit estre celebree, de quelles admirations doit estre honnoree et aymee l'eternelle et souveraine amitié du Pere et du Filz! Qu'y a-il d'aymable et d'amiable si l'amitié ne l'est pas? et si l'amitié est amiable et aymable, quelle amitié le peut estre en comparayson de cette infinie amitié qui est entre le Pere et le Filz, et qui est un mesme Dieu tres unique avec eux? Nostre cœur, Theotime, s'abismera d'amour, en l'admiration de la beauté et suavité de l'amour que ce Pere eternel et ce Filz incomprehensible prattiquent divinement et eternellement.

  A004000694 

 Les plongeons, dit Pline, qui pour pescher les pierres precieuses s'enfoncent dans la mer, prennent de l'huyle en leur bouche, affin que le respandant ilz ayent plus de jour pour voir dedans les eaux entre lesquelles ilz nagent: Theotime, l'ame bienheureuse estant enfoncee et plongee dans l'ocean de la divine essence, Dieu respandra dans son entendement la sacree lumiere de gloire, qui luy fera jour en cet abisme de lumiere inaccessible, affin que par la clarté de la gloire nous voyions la clarté de la Divinité:.

  A004000694 

 Tout ainsy, donq, que Dieu nous a donné la lumiere de la rayson par laquelle nous le pouvons connoistre comme Autheur de la nature, et la lumiere de la foy par laquelle nous le considerons comme source de la grace, de mesme il nous donnera la lumiere de gloire, par laquelle nous le contemplerons comme fontaine de la beatitude et vie eternelle: mays fontaine, Theotime, que nous ne contemplerons pas de loin, comme nous faisons maintenant par la foy, ains que nous verrons par la lumiere de gloire plongés et abismés en icelle.

  A004000704 

 Non, Theotime, car Dieu estant tres uniquement un et tres simplement indivisible, on ne le peut voir qu'on ne le voye tout; et d'autant qu'il est infini, sans limite, ni borne, ni mesure quelcomque en sa perfection, il n'y a ni peut avoir aucune capacité hors de luy, qui jamais puisse totalement comprendre ou penetrer l'infinité de sa bonté, infiniment essentielle et essentiellement infinie..

  A004000704 

 Or, ce sera cette lumiere de gloire, Theotime qui donnera la mesure a la veüe et contemplation des Bien-heureux; et selon que nous aurons plus ou moins de cette sainte splendeur, nous verrons aussi plus ou moins clairement, et par consequent plus ou moins heureusement, la tressainte Divinité, qui, regardee diversement, nous rendra de mesme differemment glorieux.

  A004000705 

 La manne estoit savouree toute de quicomque la mangeoit, mais differemment neanmoins, selon la diversité des appetitz de ceux qui la prenoyent, et ne fut jamais savouree totalement, car elle avoit plus de differentes saveurs qu'il n'y avoit de varieté de gousts es Israelites: Theotime, nous verrons et savourerons la haut au Ciel toute la Divinité, mais jamais nul des Bienheureux ni tous ensemble ne la verront ou savoureront totalement; cette infinité divine aura tous-jours infiniment plus d'excellences que nous ne sçaurions avoir de suffisance et de capacité, et nous aurons un contentement indicible de connoistre, qu'apres avoir assouvi tout le desir de nostre cœur et rempli pleynement sa capacité en la jouissance du bien infini, qui est Dieu, neanmoins il restera encor en cette infinité des infinies perfections a voir, a jouïr et posseder, que sa divine Majesté entend et void, elle seule se comprenant soy mesme..

  A004000706 

 Ah, Theotime, nos espritz, a leur gré et selon toute l'estendue de leurs souhaitz, nageront en l'ocean et voleront en l'air de la Divinité, et se res-jouiront eternellement de voir que cet air est tant infini, cet ocean si vaste, qu'il ne peut estre mesuré par leurs aysles, et que jouissans sans reserve ni exception [212] quelcomque de tout cet abisme infini de la Divinité, ilz ne peuvent neanmoins jamais egaler leur jouissance a cette infinité, laquelle demeure tous-jours infiniment infinie au dessus de leur capacité..

  A004000707 

 O Dieu, que ce qu'ilz voyent est admirable! mais o Dieu, que ce qu'ilz ne voyent pas l'est beaucoup plus! Et toutefois, Theotime, la tressainte beauté qu'ilz voyent estant infinie, elle les rend parfaitement satisfaitz et assouvis; et se contentans d'en jouir selon le rang qu'ilz tiennent au Ciel, a cause de la tres aymable Providence divine qui en a ainsy ordonné, ilz convertissent la connoissance qu'ilz ont de ne posseder pas ni ne pouvoir posseder totalement leur object, en une simple complaysance d'admiration, par laquelle ilz ont une joye souveraine de voir que la beauté qu'ilz ayment est tellement infinie qu'elle ne peut estre totalement conneüe que par elle mesme: car en cela consiste la divinité de cette Beauté infinie, ou la beauté de cette infinie Divinité.

  A004000715 

 Helas, o Theotime, qui sera donq asseuré de conserver l'amour sacré en cette navigation de la vie mortelle, puisqu'en la terre et au Ciel tant de personnes d'incomparable dignité ont fait des si cruelz naufrages!.

  A004000717 

 Mon cher Theotime, les cieux mesmes s'esbahissent, leurs portes se froissent de frayeur, et les Anges de paix demeurent esperdus d'estonnement sur cette prodigieuse misere du cœur humain, qui abandonne un bien tant aymable pour s'attacher a des choses si deplorables.

  A004000720 

 En somme, Theotime, quand nous avons la charité nostre franc arbitre est paré de la robbe nuptiale, de laquelle comme il peut tous-jours demeurer vestu, s'il veut, en bien faisant, aussi s'en peut il despouiller, s'il luy plait, en pechant..

  A004000729 

 En fin, Theotime, nous disons de ceux qui ont la complexion fort foible, qu'ilz n'ont point de vie, qu'ilz n'en ont pas une once, ou qu'ilz n'en ont pas plein le [221] poing, parce que ce qui doit bien tost finir semble en effect n'estre plus; et ces ames faineantes, addonnees aux playsirs et affectionnees aux choses transitoires, peuvent bien dire qu'elles n'ont plus de charité, puisque si elles en ont, elles sont en voÿe de la perdre bien tost..

  A004000733 

 Quand donq nous n'usons pas de la charité qui est en nous, c'est a dire quand nous n'employons pas nostre esprit aux exercices de l'amour sacré, ains que le tenans diverti a quelque autre occupation, ou que paresseux en soy mesme il se tient inutile et negligent, alhors, Theotime, il peut estre touché de quelque object mauvais, et surpris de quelque tentation; et bien que l'habitude de la charité en mesme tems soit au fond de nostre ame et qu'elle face son office, nous inclinant a rejetter la suggestion mauvaise, si est-ce qu'elle ne nous presse pas ni nous porte a l'action de la resistance, qu'a mesure que nous la secondons, comme les habitudes ont coustume de faire: et partant, nous laissant en nostre liberté, il advient maintefois que le mauvais object ayant jetté bien avant ses attraitz dans nostre cœur, nous nous attachons a luy par une complaysance excessive, laquelle venant a croistre il nous est malaysé de nous en desfaire, et comme des espines, selon que dit Nostre Seigneur, [222] elle suffoque en fin la semence de la grace et dilection celeste.

  A004000734 

 Helas, Theotime, si nous ne nous amusions pas en la vanité des playsirs caduques, et sur tout en la complaysance de nostre amour propre, ains qu'ayans une fois la charité, nous fussions soigneux de voler droit, la part ou elle nous porte, jamais les suggestions et tentations ne nous attrapperoyent; mais parce que, comme colombes seduites et deceües de nostre propre estime, nous retournons sur nous mesmes et entretenons trop nos espritz parmi les creatures, nous nous treuvons souvent surpris entre les serres de nos ennemis, qui nous emportent et devorent..

  A004000736 

 Car de mesme, trescher Theotime, l'amour propre treuvant nostre foy hors d'attention et sommeillante, il nous presente des biens vains mais apparens, seduit nos sens, nostre imagination et les facultés de nos ames, et presse tellement nos francs arbitres qu'il les conduit a l'entiere revolte contre le saint amour de Dieu; lequel alhors, comme un autre David, sort de nostre cœur avec tout son train, c'est a dire avec les dons du Saint Esprit et les autres [224] vertus celestes, qui sont compaignes inseparables de la charité si elles ne sont ses proprietés et habilités; et ne reste plus en la Hierusalem de nostre ame aucune vertu d'importance, sinon Sadoc le voyant, c'est a dire le don de la foy qui nous peut faire voir les choses eternelles, avec son exercice, et encor Abiathar, c'est a dire le don de l'esperance avec son action, qui tous deux demeurent bien affligés et tristes, maintenans toutefois en nous l'Arche de l'alliance, c'est a dire la qualité et le filtre de Chrestien qui nous est acquis par le Baptesme..

  A004000737 

 Helas, Theotime, quel pitoyable spectacle aux Anges de paix, de voir ainsy sortir le Saint Esprit et son amour de nos ames pecheresses! hé, je croy certes, que s'ilz pouvoyent alhors pleurer, ilz verseroyent des larmes infinies, et d'une voix lugubre lamentans nostre malheur, ilz chanteroyent le triste cantique que Hieremie entonna, quand, assis sur le sueil du Temple desolé, il contempla la ruine de Hierusalem au temps de Sedecie:.

  A004000745 

 Ouy, Theotime, car en ce mespris de Dieu consiste le peché mortel, et un seul peché mortel bannit la charité de l'ame, d'autant qu'il rompt le lien et l'union d'icelle avec Dieu, qui est l'obeissance et sousmission a sa volonté; et comme le cœur humain ne peut estre vivant et divisé, aussi la charité, qui est le cœur de l'ame et l'ame du cœur, ne peut jamais estre blessee qu'elle ne soit tuee: ainsy qu'on dit des perles, qui conceües de la rosee celeste perissent si une seule goutte de l'eau marine entre dedans leur escaille.

  A004000746 

 Mais la charité, Theotime, que le Saint Esprit respand en un moment dans nos cœurs lhors que les conditions requises a cette infusion se rencontrent en nous, certes aussi en un instant elle nous est ostee, si tost que, destournans nostre volonté de l'obeissance que nous devons a Dieu, nous avons achevé de consentir a la rebellion et desloyauté a laquelle la tentation nous incite..

  A004000747 

 Et de mesme, Theotime, encores que le Saint Esprit ayant mis la charité en une ame luy donne sa croissance par addition de degré a degré et de perfection a perfection d'amour, si est ce toutefois, que la resolution de preferer la volonté de Dieu a toutes choses estant le point essentiel de l'amour sacré, et auquel l'image de l'amour eternel, c'est a dire du Saint Esprit, est representee, on ne sçauroit en oster une seule piece que soudain toute la charité ne perisse..

  A004000748 

 En somme, Theotime, comme la pierre pretieuse nommee prassius, perd sa lueur en la presence de quel venin que ce soit, ainsy l'ame perd [227] en un instant sa splendeur, sa grace et sa beauté, qui consiste au saint amour, a l'entree et presence de quel peché mortel que ce soit; dont il est escrit que l'ame qui pechera mourra..

  A004000752 

 En somme, Theotime, le Sauveur est une lumiere qui esclaire tout homme qui vient en ce monde..

  A004000753 

 Or dites, de grace, Theotime: ceux qui sont arrivés, ne devoyent-ilz pas sçavoir tout le gré de leur contentement au soleil, ou, pour parler chrestiennement, au Createur du soleil? Ouy certes, car ilz ne pensoyent nullement a s'esveiller quand il en estoit tems; le soleil leur fit ce bon office, et par une aggreable semonce de sa clarté et de sa chaleur, les vint aimablement resveiller.

  A004000754 

 Au contraire, ces pauvres errans n'avoyent-ilz pas tort de crier dans ce bois: Hé, qu'avons-nous fait au soleil pour quoy il ne nous a pas fait voir sa lumiere comme a nos compaignons, affin que nous fussions arrivés [229] au logis sans demeurer en ces effroyables tenebres? Car, qui ne prendroit la cause du soleil, ou plustost de Dieu, en main, mon cher Theotime, pour dire a ces chetifs malencontreux: Qu'est ce, miserables, que le soleil pouvoit bonnement faire pour vous, qu'il ne l'ayt fait? ses faveurs estoyent esgales envers tous vous autres qui dormiés: il vous aborda tous avec une mesme lumiere, il vous toucha de mesmes rayons, il respandit sur vous une chaleur pareille; et, malheureux que vous estes, quoy que vous vissiés vos compaignons levés prendre le bordon pour tirer chemin, vous tournastes le dos au soleil, et ne voulustes pas employer sa clarté ni vous laisser vaincre a sa chaleur..

  A004000755 

 Tenés; voyla maintenant, Theotime, ce que je veux dire.

  A004000765 

 Theotime, si nous avons quelqu'amour envers Dieu, a luy en soit l'honneur et la gloire, qui a tout fait en nous et sans lequel rien n'a esté fait, a nous en soit l'utilité et l'obligation; car c'est le partage de sa divine bonté avec nous: il nous laisse le fruict de ses bienfaitz, et s'en reserve l'honneur et la louange; et certes, puisque nous ne sommes tous rien que par sa grace, nous ne devons rien estre que pour sa gloire.

  A004000771 

 O Theotime mon ami, jamais, non jamais nous ne devons laisser emporter nostre esprit a ce tourbillon de vent follet, ni penser de treuver une meilleure rayson de la volonté de Dieu que sa volonté mesme, laquelle est souverainement raysonnable, ains la rayson de toutes [236] les raysons, la regle de toute bonté, la loy de toute equité.

  A004000775 

 Et d'autant qu'il n'estoit pas expedient pour nostre salut que nous eussions connoissance de ces secretz, ains nous estoit plus utile de les ignorer pour nous tenir en humilité, pour cela Dieu ne les a pas voulu reveler, et mesme le saint Apostre n'a pas osé s'en enquerir, ains a tesmoigné l'insuffisance de nostre entendement pour ce sujet, lhors qu'il s'est escrié: O profondité des richesses de la sapience et science de Dieu! » Pourroit on parler plus saintement, Theotime, d'un si saint mystere? Aussi, ce sont les paroles d'un tressaint et judicieux Docteur de l'Eglise.

  A004000775 

 Voyla, Theotime, la plus sainte façon de philosopher en ce sujet; c'est pourquoy j'ay tous-jours treuvé admirable et aymable la sçavante modestie et tres sage humilité du Docteur seraphique saint Bonaventure, au [239] discours qu'il fait de la rayson pour laquelle la Providence divine destine les esleuz a la vie eternelle.

  A004000779 

 Aymons donq et adorons en esprit d'humilité cette profondité des jugemens de Dieu, Theotime, «la-quelle,» comme dit saint Augustin, «le saint Apostre ne descouvre pas, ains l'admire, quand il exclame: O profondité des jugemens de Dieu!» «Qui pourroit compter le sable de la mer, les gouttes de la pluye, et mesurer la largeur de l'abisme?» dit cet excellent esprit de saint Gregoire Nazianzene, «et qui pourra sonder la profondité de la divine sagesse, par laquelle elle a creé toutes choses et les modere comme elle veut et entend? Car de vray, il suffit qu'a l'exemple de l'Apostre, sans nous arrester a la difficulté et obscurité d'icelle, nous l'admirions: O profondité des richesses de la sagesse et de la science de Dieu! o que ses jugemens sont inscrutables et ses voÿes inaccessibles! Qui a conneu le sentiment du Seigneur? et qui a esté son conseiller?» Theotime, les raysons de la volonté divine ne peuvent estre penetrees par nostre esprit, jusques a ce que nous voyons la face de Celuy qui atteint de bout a bout fortement, et dispose toutes choses suavement, faisant tout ce qu'il fait en nombre, poids et mesure, et auquel le Psalmiste dit: Seigneur, vous aves tout fait en sagesse..

  A004000781 

 Theotime, nous voyons ainsy cet univers, et sur tout la nature humaine, comme un horologe composé d'une si grande varieté d'actions et de mouvemens que nous ne sçaurions nous empescher de l'estonnement.

  A004000783 

 Exclamons donques, Theotime, en toutes occurrences, mais exclamons d'un cœur tout amoureux envers la providence toute sage, toute puissante et toute douce de nostre Pere eternel: O profondeur des richesses de la sagesse et de la science de Dieu! O Seigneur Jesus, Theotime, que les richesses de la bonté divine sont excessives! Son amour envers nous est un abisme incomprehensible; c'est pourquoy il nous a preparé une [243] riche suffisance, ou plustost une riche affluence de moyens propres pour nous sauver, et pour les nous appliquer suavement il use d'une sagesse souveraine, ayant par son infinie science preveu et conneu tout ce qui estoit requis a cet effect.

  A004000784 

 Allons en paix, Theotime, au chemin du tres saint amour, car qui aura le divin amour en la mort, apres la mort il jouira eternellement de l'amour.

  A004000784 

 Car, qui peut penetrer le sens, l'intelligence et l'intention de Dieu? Qui a esté son conseiller pour sçavoir ses projetz et leurs motifs? ou qui l'a jamais prevenu par quelque service? N'est-ce pas luy, au contraire, qui nous previent es benedictions de sa grace pour nous couronner en la felicité de sa gloire? Ah, Theotime, toutes choses sont de luy qui en est le createur, toutes choses sont par luy qui en est gouverneur, toutes choses sont en luy qui en est le protecteur; a luy soit honneur et gloire es siecles des siecles, Amen.

  A004000788 

 Helas, que c'est un piteux spectacle, Theotime! Mais bien plus lamentable est l'estat d'une ame laquelle, ingrate a son Sauveur, va de moment en moment en arriere, se retirant de l'amour divin par certains degrés d'indevotion et de desloyauté, jusques a tant que, l'ayant du tout quitté, elle demeure en l'horrible obscurité de perdition.

  A004000795 

 Helas, mon Theotime, voyés, je vous prie, le pauvre Judas apres qu'il eut trahi son Maistre, comme il va rapporter l'argent aux Juifz, comme il reconnoist son peché, comme il parle honnorablement du sang de cet Aigneau immaculé: c'estoyent des effectz de l'amour imparfait que la precedente charité passee luy avoit laissé dans le cœur.

  A004000798 

 Or cet amour imparfait est bon en soy mesme, Theotime, car estant creature de la sainte charité et comme de son train, il ne se peut qu'il ne soit bon; et d'effect, a servi fidelement la charité tandis qu'elle a sejourné dedans l'ame, et est tous-jours prest de la servir si elle y retournoit.

  A004000808 

 Ainsy, mon cher Theotime, il n'est pas necessaire que nous ayons tous-jours le sentiment et mouvement du courage requis a surmonter le lion rugissant qui va ça et la rodant pour nous devorer; cela nous pourroit donner de la vanité et presomption: il suffit bien que nous ayons bon desir de combattre vaillamment, et une parfaite confiance que l'Esprit divin nous assistera de son secours lhors que l'occasion de l'employer se presentera..

  A004000821 

 O Dieu, quelle joye aurons nous au Ciel, Theotime, lhors que nous verrons le Bienaymé de nos cœurs, comme une mer infinie de laquelle les eaux ne sont que perfection et bonté! Alhors, comme des cerfs qui longuement pourchassés et malmenés, s'abouchans a une claire et fraische fontaine tirent a eux la fraischeur de ses belles eaux, ainsy nos cœurs, apres tant de langueurs et de desirs, arrivans a la source forte et vivante de la Divinité, tireront par leur complaysance toutes les perfections de ce Bienaymé, et en auront la parfaite jouissance par la res-jouissance qu'ilz y prendront, se remplissans de ses delices immortelles: et en cette sorte le cher Espoux entrera dedans nous comme dans son lit nuptial, pour communiquer sa joye eternelle a nostre ame; selon qu'il dit luy mesme, que si nous gardons la sainte loy de son amour, il viendra et fera son sejour en nous.

  A004000826 

 Nous nous paissons avec luy de sa douceur par le playsir que nous y prenons, et rassasions nostre cœur es perfections divines par l'ayse que nous en avons: et ce repas est un souper a cause du repos qui le suit, la complaysance nous faysant doucement reposer en la suavité du bien qui nous delecte et duquel nous repaissons nostre cœur; car, comme vous sçaves, Theotime, le cœur se paist des choses esquelles il se plaist, si que, en nostre langue françoise, on dit que l'un se paist de l'honneur, l'autre des richesses, comme le Sage avoit dit que la bouche des folz se paist d'ignorance; et la souveraine Sagesse proteste que sa viande, c'est a dire son playsir, n'est autre chose que de faire la volonté de son Pere.

  A004000827 

 Ainsy tirons nous le cœur de Dieu dedans le nostre, et il y respand son baume pretieux; et ainsy se prattique ce que la sainte Espouse dit avec tant d'allegresse: Le Roy de mon cœur m'a menee dans ses cabinetz; nous tressaillirons et nous res-jouirons en vous, nous ramentevans de vos mammelles plus aymables que le vin; les bons vous ayment. Car je vous prie, Theotime, qui sont les cabinetz de ce Roy d'amour, sinon ses tetins qui abondent en varieté de douceurs et suavités? La poitrine et les mammelles de la mere sont les cabinetz des tresors du petit enfant; il n'a point d'autres richesses que celles la, qui luy sont plus pretieuses que l'or et le topaze, plus aymables que le reste du monde..

  A004000829 

 Le vin, Theotime, est le lait des raysins, et le lait est le vin des tetins: aussi l'Espouse sacree dit que son Bienaymé est raysin pour elle, mais raysin cyprin, c'est a dire d'une odeur excellente.

  A004000829 

 Notés cependant, Theotime, que la comparayson du lait et du vin semble si propre a l'Espouse sacree, qu'elle ne se contente pas de dire une fois que les mammelles de [261] son Espoux surpassent le vin, mais elle le repete par trois fois.

  A004000844 

 Mais comme donq se peut il entendre que les Anges qui voyent le Redempteur, et en iceluy tous les mysteres de nostre salut, desirent neanmoins encor de le voir? Theotime, ilz le voyent, certes, tous-jours, mais d'une veüe si aggreable et delicieuse que la complaysance qu'ilz en ont les assouvit sans leur oster le desir, et les fait desirer sans leur oster l'assouvissement; la jouissance n'est pas diminuee par le desir, ains en est perfectionnee, comme leur desir n'est pas estouffé, ains affiné par la jouissance..

  A004000846 

 Imaginés-vous, Theotime, ceux qui tiennent en leurs bouches l'herbe scitique; car, a ce qu'on dit, ilz n'ont jamais ni faim ni soif, tant elle les rassasie, et jamais pourtant ilz ne perdent l'appeit, tant elle les sustente delicieusement.

  A004000851 

 En somme, Theotime, l'ame qui est en l'exercice de l'amour de complaysance crie perpetuellement en son sacré silence: Il me suffit que Dieu soit Dieu, que sa bonté soit infinie, que sa perfection soit immense; que je meure ou que je vive il importe peu pour moy, puisque mon cher Bienaymé vit eternellement d'une vie toute triomphante.

  A004000858 

 Mais qu'est-ce a dire, il revescut ou il resuscita? Theotime, les espritz ne meurent de leur propre mort que par le peché, qui les separe de Dieu lequel est leur vraye vie surnaturelle, mais ilz meurent quelquefois de la mort d'autruy; et cela arriva au bon Jacob duquel nous parlons, car l'amour, qui tire dans le cœur de l'amant le bien et le mal de la chose aymee, l'un par complaysance, l'autre par commiseration, tira la mort de l'aymable Joseph dans le cœur de l'amant Jacob; et par un miracle impossible a toute autre puissance qu'a celle de l'amour, l'esprit de ce bon pere estoit plein de la mort de celuy qui estoit vivant et regnant, d'autant que l'affection ayant esté trompee devança l'effect..

  A004000859 

 O Dieu, Theotime, quelle joye, et que ce viellard l'exprime excellemment! car, que veut-il dire par ces paroles: Maintenant je mourray content, puisque j'ay veu ta face, sinon que son allegresse est si grande qu'elle est capable de rendre joyeuse et aggreable la mort mesme, qui est la plus triste et horrible chose du monde?.

  A004000860 

 Dites-moy, je vous prie, Theotime, qui ressent plus le bien de Joseph, ou luy qui en jouit, ou Jacob qui s'en res-jouit? Certes, si le bien n'est bien que pour le contentement qu'il nous donne, le pere en a autant et plus que le filz; car le filz, avec la dignité de vice-roy qu'il possede, a par consequent beaucoup de soin et d'affaires, mais le pere jouit par complaysance et possede purement ce qui est de bon en cette grandeur et dignité de son filz, sans charge, sans soin et sans peyne.

  A004000866 

 Ce fut cet amour, Theotime, qui attira sur l'amoureux seraphique saint François les stigmates, et sur l'amoureuse angelique sainte Catherine de Sienne les ardentes blesseures du Sauveur: la complaysance amoureuse ayant aiguisé les pointes de la compassion douloureuse, ainsy que le miel rend plus penetrant et sensible l'amertume de l'absynthe, comme au contraire la souefve odeur des roses est affinee par le voysinage des aulx qui sont plantés pres des rosiers.

  A004000867 

 Il ne se peut dire, Theotime, combien le Sauveur desire d'entrer en nos ames par cet amour de complaysance douloureuse: Helas, dit-il, ouvre-moy, ma chere seur, ma mie, ma colombe, ma toute-pure, car ma teste est toute pleine de rosee, et mes cheveux des gouttes de la nuit.

  A004000875 

 Et Ihors, mon Theotime, nous ne desirons pas la complaysance pour le playsir qu'elle nous donne, mais parce seulement que ce playsir est en Dieu: car, comme nous ne desirons pas la condoleance pour la douleur qu'elle met en nos cœurs, mais parce que cette douleur nous unit et associe a nostre Bienaymé douloureux, ainsy n'aymons-nous pas la complaysance parce, qu'elle nous rend du playsir, mais d'autant que ce playsir se prend en l'union du playsir et bien qui est en Dieu; auquel pour nous unir davantage, nous voudrions nous complaire d'une complaysance infiniment plus grande, a l'imitation de la tressainte Reyne et Mere d'amour, de laquelle l' ame sacree magnifioit et aggrandissoit perpetuellement Dieu; et affin que l'on sceust que cet aggrandissement se faysoit par la complaysance qu'elle avoit en la divine Bonté, elle declare que son esprit avoit tressailli de contentement en Dieu son Sauveur.

  A004000885 

 L'honneur, mon cher Theotime, n'est pas en celuy que l'on honnore, mays en celuy qui honnore; car, combien de fois arrive-il que celuy que nous honnorons n'en sçait rien et n'y a seulement pas pensé? combien de fois louons-nous ceux qui ne nous connoissent pas ou qui dorment? Et toutefois, selon l'estime commune des hommes et leur ordinaire façon de concevoir, il semble que c'est faire du bien a quelqu'un quand on luy fait de l'honneur, et qu'on luy donne beaucoup quand on luy donne des tiltres et des louanges; et nous ne faysons pas difficulté de dire qu'une personne est riche d'honneur, de gloire, de reputation, de louange, encor qu'en verité nous sachions bien que tout cela, est hors de la personne honnoree et que bien souvent elle n'en reçoit aucune sorte de prouffit, suivant ce mot attribué au grand saint Augustin: «O pauvre Aristote, tu es loué ou tu es absent, et tu es bruslé ou tu es present.» Quel bien revient il, je vous prie, a Cesar et Alexandre le Grand, de tant de vaines paroles que plusieurs vaines ames employent a leur louange?.

  A004000896 

 Mais ce desir de loüer Dieu que la sainte bienveuillance excite en nos cœurs, Theotime, est insatiable; car l'ame qui en est touchee voudroit avoir des louanges infinies pour les donner a son Bienaymé, parce qu'elle void que ses perfections sont plus qu'infinies: si que, se treuvant bien esloignee de pouvoir satisfaire a son souhait, elle fait des extremes effortz d'affection pour en quelque sorte loüer cette bonté toute louable, et ces effortz de bienveuillance s'aggrandissent admirablement par la complaysance; car a mesure que l'ame treuve Dieu bon, savourant de plus en plus la suavité d'iceluy et se complaysant en son infinie beauté, elle voudroit aussi relever plus hautement les louanges et benedictions qu'elle luy donne.

  A004000898 

 O Dieu, mon Theotime, que le cœur ardemment pressé de l'affection de loiier son Dieu reçoit une douleur grandemént delicieuse et une douceur grandement douloureuse, quand, apres mille effortz de louange, il se treuve si court! Helas, il voudroit, ce pauvre rossignol, tous-jours plus hautement lancer ses accens et perfectionner sa melodie, pour mieux chanter les benedictions de son cher Bienaymé! A mesure qu'il lotie il se plait a louer, et a mesure qu'il se plait a loüer il se desplait de ne pouvoir encor mieux louer; et pour se contenter au mieux qu'il peut en cette passion, il fait toute sorte d'effortz, entre lesquelz il tombe en langueur: comme il advenoit au tres glorieux saint François, qui, emmi les playsirs qu'il prenoit a lotier Dieu et chanter ses cantiques d'amour, jettoit une grande affluence de larmes et laissoit souvent tomber de foiblesse ce que pour lhors il tenoit en main, demeurant comme un sacré philomele a cœur failli, et perdant souvent le respirer a force d'aspirer aux louanges de Celuy qu'il ne pouvoit jamais asses lotier..

  A004000899 

 Les cygales, Theotime, ont leur poitrine pleine de tuyaux, comme si elles [284] estoyent des orgues naturelles; et pour mieux chanter elles ne vivent que de la rosee, laquelle elles ne tirent pas par la bouche, car elles n'en ont point, ains la succent par une petite languette qu'elles ont au milieu de l'estomach, par laquelle elles jettent aussi, toutes, leurs sons avec tant de bruit qu'elles semblent n'estre que voix.

  A004000928 

 Car sachés, Theotime, qu' une voix sort du throsne divin, qui ne cesse de crier aux heureux habitans de la glorieuse Hierusalem celeste: Dites a Dieu louange, o vous qui estes ses serviteurs et qui le craignes, grans et petitz; a quoy toute cette multitude innombrable de Saintz, les chœurs des Anges et les chœurs des hommes assemblés, respond, chantant de toute sa force: Alleluia, loués Dieu.

  A004000931 

 Theotime, voyés de grace cet esprit qui, comme un celeste rossignol enfermé dans la cage de son cors, clans laquelle il ne peut chanter a souhait les benedictions de son eternel amour, sçait qu'il gazouilleroit et prattiqueroit mieux son beau ramage s'il pouvoit gaigner l'air, pour jouir de sa liberté et de la societé des autres philomeles entre les gaves et fleurissantes collines de la contree bienheureuse; c'est pourquoy il exclame: Helas, o Seigneur de ma vie, hé, par vostre bonté toute douce, deslivrés-moy, pauvre que je suis, de la cage de mon cors, retirés-moy de cette petite prison, affïn qu'affranchi de cet esclavage je puisse voler ou mes chers compaignons m'attendent la haut au Ciel, pour me joindre a leurs chœurs et m'environner de leur joye! la, Seigneur, alliant ma voix aux leurs, je feray avec eux une douce harmonie d'airs et d'accens delicieux, chantant, louant et benissant vostre misericorde..

  A004000932 

 Mon Dieu, Theotime, quelle douce et chere mort fut celle cy! mort heureusement amoureuse, amour saintement mortel.

  A004000937 

 Ainsy, Theotime, entre tous les chœurs des hommes et tous les chœurs des Anges, on entend cette voix hautaine de la tressainte Vierge, qui, relevee au dessus de tout, rend plus de louange a Dieu que tout le reste des creatures; aussi le Roy celeste la convie tout particulierement a chanter: [292] Monstre-moy ta face, dit-il, o ma Bienaymee, que ta voix sonne a mes oreilles; car ta voix est toute douce, et ta face toute belle..

  A004000938 

 Il passe donq plus avant, et invite le Sauveur de louer et glorifier son Pere eternel de toutes les benedictions que son amour filial luy peut fournir; et lhors, Theotime, l'esprit arrive en un lieu de silence, car nous ne sçavons plus faire autre chose qu'admirer.

  A004000938 

 Ouy, mon cher Theotime, toutes les benedictions que l'Eglise militante et triomphante donne a Dieu, sont benedictions angeliques et humaines, car si bien elles s'addressent au Createur, toutefois elles procedent de la creature; mais celles du Filz, elles sont divines, car elles ne regardent pas seulement Dieu comme les autres, ains elles proviennent de Dieu, car le Redempteur est vray Dieu.

  A004000940 

 O si nous oyions ce divin cœur comme il chante d'une voix d'infinie douceur le cantique de louange a la Divinité! quelle joye, Theotime, quelz effortz de nos cœurs pour se lancer au Ciel affin de le tous-jours ouïr! Il nous y semond certes, ce cher Ami de nos ames: Sus, leve-toy, dit-il, sors de toy mesme, prens le vol devers moy, ma colombe, ma tres belle, en ce celeste sejour ou toutes choses sont en joye et ne respirent que louanges et benedictions.

  A004000940 

 Ouy certes, Theotime, l'amour divin assis sur le cœur du Sauveur comme sur son throsne royal, regarde par la fente de son costé percé tous les cœurs des enfans des hommes; car ce cœur, estant le Roy des cœurs, tient tous-jours ses yeux sur les cœurs.

  A004000945 

 Ainsy, mon Theotime, a mesure que nous montons par bienveuillance vers la Divinité, pour entonner et ouïr ses louanges, nous voyons qu'il est tous-jours au dessus de toute louange, et finalement nous connoissons qu'il ne peut estre loué selon qu'il merite sinon par luy mesme, qui seul peut dignement esgaler sa souveraine bonté par une souveraine louange..

  A004000967 

 Mays dequoy devisons-nous en l'orayson? quel est le sujet de nostre entretien? Theotime, on n'y parle que de Dieu; car, de qui pourroit deviser et s'entretenir l'amour que du bienaymé? Et pour cela, l'orayson et la theologie mystique ne sont qu'une mesme chose.

  A004000971 

 Voyes-vous, Theotime, que le silence des amans affligés parle de la prunelle des yeux et par les larmes? Certes, en la theologie mistique [305] c'est le principal exercice de parler a Dieu et d'ouïr parler Dieu au fond du cœur; et parce que ce devis se fait par des tres secretes aspirations et inspirations, nous l'appelions colloque de silence: les yeux parlent aux yeux et le cœur au cœur, et nul n'entend ce qui se dit que les amans sacrés qui parlent..

  A004000978 

 Car, mon cher Theotime, si jamais vous y aves pris garde, les petitz des arondelles ouvrent grandement leur bec quand ilz font leur piallement; et au contraire les colombes, entre tous les oyseaux, font leur grommelement a bec clos et enfermé, roulant leur voix dans leur gosier et poitrine, sans que rien en sorte que par maniere de retentissement et resonnement: et ce petit grommelement leur sert egalement pour exprimer leurs douleurs comme pour declarer leurs amours.

  A004000979 

 Et tost apres: Ma colombe, monstre moy ta face, que ta voix resonne a mes oreilles, car ta voix est douce et ta face tres bien seante et gracieuse; il veut dire, Theotime, que l'ame devote luy est tres aggreable quand elle se presente devant luy et qu'elle medite pour s'eschauffer au saint amour spirituel, ainsy que font les colombes pour s'exciter, et leurs parons, a leurs amours naturelz.

  A004000985 

 Theotime, la contemplation n'est autre chose qu'une amoureuse, simple et permanente attention de l'esprit aux choses divines; ce que vous entendres aysement par la comparayson de la meditation avec elle..

  A004000987 

 Voyés la reyne de Saba, Theotime, comme considerant par le menu la sagesse de Salomon en ses responces, en la beauté de sa mayson, en la magnificence de sa table, es logis de ses serviteurs, en l'ordre que tous ceux de sa cour tenoyent pour l'exercice de leurs charges, en leurs vestemens et maintiens, en la [312] multitude des holocaustes qu'ilz offroyent en la mayson du Seigneur, elle demeura toute esprise d'un ardent amour qui convertit sa meditation en contemplation, par laquelle estant toute ravie hors de soy mesme, elle dit plusieurs paroles d'extreme contentement.

  A004000988 

 Il est vray, Theotime, que comme l'ancien Joseph fut la couronne et la gloire de son pere, luy donna un grand accroissement d'honneurs et de contentemens et le fit rajeunir en sa viellesse, ainsy la contemplation couronne son pere, qui est l'amour, le perfectionne et luy donne le comble d'excellence; car l'amour ayant excité en nous l'attention contemplative, cette attention fait naistre reciproquement un plus grand et fervent amour, lequel en fin est couronné de perfections lhors qu'il jouit de ce qu'il ayme.

  A004000992 

 Mais qui a plus de force, je vous prie, ou l'amour pour faire regarder le Bienaymé ou la veüe pour le faire aymer? Theotime, la connoissance est requise a la production de l'amour, car jamais nous ne sçaurions aymer ce que nous ne connoissons pas; et a mesure que la connoissance attentive du bien s'augmente, l'amour aussi prend davantage de croissance, pourveu qu'il n'y ayt rien qui empesche son mouvement.

  A004000995 

 Un bien petit sentiment eschauffe la meute a la queste; ainsy, cher Theotime, une connoissance obscure, environnee de beaucoup de nuages, comme est celle de la foy, nous affectionne infiniment a l'amour de la bonté qu'elle nous fait appercevoir.

  A004000996 

 A vostre advis, Theotime, qui aymeroit plus la lumiere, ou l'aveugle né qui sçauroit tous les discours que les philosophes en font et toutes les louanges qu'ilz luy donnent, ou le laboureur qui d'une veüe bien claire sent et ressent l'aggreable splendeur du beau soleil levant? Celuy-la en a plus de connoissance, et celuy-ci plus de jouissance; et cette jouissance produit un amour [316] bien plus vif et animé que ne fait la simple connoissance du discours, car l'experience d'un bien nous le rend infiniment plus aymable que toutes les sciences qu'on en pourroit avoir.

  A004001004 

 Voyes saint Bernard, Theotime; il avoit medité toute la Passion piece a piece, puis de tous les principaux pointz mis ensemble il en fit un bouquet d'amoureuse douleur, et le mettant sur sa poitrine pour convertir sa meditation en contemplation, il s'escria: Mon Bienaymé est un bouquet de myrrhe pour moy! Mays voyes encor plus devotement le Createur du monde, comme en la creation il alla premierement meditant sur la bonté de ses ouvrages, piece a piece, separement, a mesure qu'il les voyoit produitz.

  A004001012 

 Et lhors, Theotime, l'ame fait une certaine saillie d'amour, non seulement sur l'action qu'elle considere, mais sur Celuy duquel elle procede: Vous estes bon, Seigneur, et en vostre bonté apprenes moy vos justifications; Vostre gosier, c'est a dire la parole qui en provient, est très suave, et vous estes tout desirable; Helas, que vos paroles sont douces a mes entrailles, plus que le miel a ma bouche! Ou bien avec saint Thomas: Mon Seigneur et mon Dieu! et avec sainte Magdeleine: Rabboni! ha, mon Maistre!.

  A004001014 

 Theotime, hé! quand fut-ce, je vous prie, que Nostre Seigneur vint en son jardin, sinon quand il vint es tres pures, tres humbles et tres douces entrailles de sa Mere, pleynes de toutes les plantes fleurissantes des saintes vertus? Et qu'est-ce a Nostre Seigneur de moissonner sa myrrhe avec ses parfums, sinon assembler souffrances a souffrances jusques a la mort, et la mort de la croix? joignant par icelles merites a merites, tresors a tresors pour enrichir ses enfans spirituelz.

  A004001020 

 Je ne parle pas icy, Theotime, du recueillement par lequel ceux qui veulent prier se mettent en la presence de Dieu, rentrans en eux mesmes, et retirans, par maniere de dire, leur ame dedans leur cœur pour parler a Dieu; car ce recueillement se fait par le commandement de l'amour, qui, nous provoquant a l'orayson, nous fait prendre ce moyen de la bien faire, de sorte que nous faysons nous mesmes ce retirement de nostre esprit.

  A004001023 

 Imaginés vous, Theotime, la tressainte Vierge Nostre Dame lhors qu'elle eut conceu le Filz de Dieu, son unique amour.

  A004001024 

 Ou vous noteres soigneusement, Theotime, qu'en somme tout ce recueillement se fait par l'amour, qui sentant la presence du Bienaymé par les attraitz qu'il respand au milieu du cœur, ramasse et rapporte toute l'ame vers iceluy par une tres amiable inclination, par un tres doux contournement et par un delicieux repli de toutes les facultés du costé du Bienaymé, qui les attire a soy par la force de sa suavité, avec laquelle il lie et tire les cœurs, comme on tire les cors par les cordes et liens materielz..

  A004001031 

 Voyés-vous, Theotime, comme la sainte Sulamite se contente de sçavoir que son Bienaymé soit avec elle, ou en son sein, ou en son parc, ou ailleurs, pourveu qu'elle sache ou il est: aussi est elle Sulamite, toute paisible, toute tranquille et en repos..

  A004001033 

 Non, Theotime, l'ame ainsy tranquille en son Dieu ne quitteroit pas ce repos pour tous les plus grans biens du monde..

  A004001034 

 Voyes-la, je vous prie, Theotime: elle est assise en une profonde tranquillité, elle ne dit mot, elle ne pleure point, elle ne sanglotte point, elle ne souspire point, elle ne bouge point, elle ne prie point.

  A004001036 

 Quand donques vous seres en cette simple et pure confiance filiale aupres de Nostre Seigneur, demeurés-y, mon cher Theotime, sans vous remuer nullement pour faire des actes sensibles ni de l'entendement ni de la volonté; car cet amour simple de confiance et cet endormissement amoureux de vostre esprit entre les bras du Sauveur, comprend par excellence tout ce que vous alles cherchant ça et la pour vostre goust.

  A004001040 

 Mais apres que la fraicheur du lait a aucunement appaysé la chaleur appetissante de leur petite poitrine, et que les aggreables vapeurs qu'il envoye a leur cerveau commencent a les endormir, Theotime, vous les verries fermer tout bellement leurs petitz yeux et ceder petit e petit au sommeil, sans [333] quitter neanmoins le tetin, sur lequel ilz ne font nulle action que celle d'un lent et presqu'insensible mouvement de levres, par lequel ilz tirent tous-jours le lait qu'ilz avalent imperceptiblement: et cela ilz le font sans y penser, mais non pas certes sans playsir, car si on leur oste le tetin avant que le profond sommeil les ait accablés, ilz s'esveillent et pleurent amerement, tesmoignans par la douleur qu'ilz ont en la privation qu'ilz avoyent beaucoup de douceur en la possession.

  A004001040 

 N'aves vous jamais pris garde, Theotime, a l'ardeur avec laquelle les petitz enfans s'attachent quelquefois au tetin de leurs meres quand ilz ont faim? On les void grommelans, serrer et presser de la bouche le chicheron, sucçans le lait si avidement que mesme ilz en donnent de la douleur a leurs meres.

  A004001041 

 Mays dites moy, Theotime, l'ame recueillie en son Dieu, pourquoy, je vous prie, s'inquieteroit elle? n'a-elle pas sujet de s'accoiser et demeurer en repos? Car, que chercheroit elle? Elle a treuvé Celuy qu'elle cherchoit; que luy reste-il plus sinon de dire: J'ay treuvé mon cher Bienaymé, je le tiens et ne quitteray point.

  A004001047 

 Il y a bien de la difference, Theotime, entre s'occuper en Dieu qui nous donne du [336] contentement, et s'amuser au contentement que Dieu nous donne..

  A004001056 

 Imagines vous, Theotime, que le glorieux apostre saint Jean eust dormi d'un sommeil corporel sur la poitrine de son cher Seigneur en la sainte cene, et qu'il se fust endormi par le.

  A004001057 

 Mon cher Theotime, prenons encor la liberté de faire cette imagination.

  A004001058 

 Ouy certes, Theotime, car si nous l'aymons, nous nous endormons non seulement a sa veue mais a son gré, et non seulement par sa volonté mais selon sa volonté; et semble que ce soit luy mesme, nostre Createur et Sculpteur celeste, qui nous jette la sur nos litz, comme des statues dans leurs niches, affin que nous nichions dans nos litz comme les oyseaux couchent dans leurs nids; puis a nostre resveil, si nous y pensons bien, nous treuvons que Dieu nous a tous-jours esté present, et que nous ne nous sommes pas non plus esloignés ni separés de luy.

  A004001067 

 Car dites moy, je vous prie, Theotime, si une goutte d'eau elementaire jettee dans un ocean d'eau naphe, estoit vivante et qu'elle peust parler et dire l'estat auquel elle seroit, ne crieroit elle pas de grande joye: O mortelz, je vis voirement, mais je ne vis pas moy mesme, ains cet ocean vit en moy et ma vie est cachee en cet abisme..

  A004001067 

 Vous voyes donq bien, Theotime, que l'escoulement d'une ame en son Dieu n'est autre chose qu'une veritable extase, par laquelle l'ame est toute hors des bornes de son maintien naturel, toute meslee, absorbee et engloutie en son Dieu: dont il arrive que ceux qui parviennent a ce saint exces de l'amour divin, estans par apres revenuz a eux, ne voyent rien en la terre qui les contente, et vivans en un extreme aneantissement d'eux mesmes demeurent fort alangouris en tout ce qui appartient aux sens, et ont perpetuellement au cœur la maxime de la bienheureuse vierge Therese de Jesus: «Ce qui n'est pas Dieu ne m'est rien.» Et semble que telle fut la passion amoureuse de ce grand ami du Bienaymé, qui disoit: Je vis, mais non pas moy, ains Jesus Christ vit en moy; et: Nostre vie est cachee avec Jesus Christ en Dieu.

  A004001073 

 Certes, Theotime, l'amour est ainsy aigredoux, et tandis que nous sommes en ce monde il n'a jamais une douceur parfaittement douce, parce qu'il n'est pas parfait ni jamais purement assouvi et satisfait; et neanmoins il ne laisse pas d'estre grandement aggreable, son aigreur affinant la suavité de sa douceur comme sa douceur aiguise la grace de son aigreur.

  A004001074 

 Mays puisque l'amour est enfant de la complaysance, comme peut il blesser et donner de la douleur? Quelquefois l'objet bienaymé est absent; et lhors, mon [348] cher Theotime, l'amour blesse le cœur par le desir qu'il excite, lequel ne pouvant estre assouvi tourmente grandement l'esprit.

  A004001074 

 piqué un enfant, certes, vous auries beau luy dire: ah, mon enfant, l'abeille qui t'a piqué c'est celle la mesme qui fait le miel que tu treuves si bon; car, il est vray, diroit-il, son miel est bien doux a mon goust, mais sa piqueure est bien douloureuse, et tandis que son eguillon est dedans ma joüe je ne puis m'accoyser; et ne voyes vous pas que ma face en est toute enflee? Theotime, certes l'amour est une complaysance, et par consequent il est fort aggreable, pourveu qu'il ne laisse point dedans nos cœurs l'eguillon du desir; mais quand il le laisse, il laisse avec iceluy une grande douleur.

  A004001075 

 Mays, Theotime, parlant de l'amour sacré, il y a en [349] la prattique d'iceluy une sorte de blesseure que Dieu luy mesme fait quelquefois en l'ame qu'il veut grandement perfectionner: car il luy donne des sentimens admirables et des attraitz non pareilz pour sa souveraine bonté, comme la pressant et sollicitant de l'aymer; et lhors elle s'eslance de force comme pour voler plus haut vers son divin objet, mays demeurant courte parce qu'elle ne peut pas tant aymer comme elle desire, o Dieu! elle sent une douleur qui n'a point d'egale.

  A004001075 

 O miserable que je suis, disoit l'un de ceux qui ont experimenté ce travail, qui me delivrera du cors de cette mortalité? Alhors, si vous y prenes garde, Theotime, ce n'est pas le desir d'une chose absente qui blesse le cœur, car l'ame sent que son Dieu est present, il l'a des-ja menee dans son cellier a vin, il a arboré sur son cœur l'estendart de l'amour; mays quoy que des-ja il la voye toute sienne, il la presse, et descoche de tems en tems mille et mille traitz de son amour, luy monstrant par des nouveaux moyens combien il est plus aymable qu'il n'est aymé: et elle, qui n'a pas tant de force pour l'aymer que d'amour pour s'efforcer, voyant ses effortz si imbecilles en comparayson du desir qu'elle a pour aymer dignement Celuy que nulle force ne peut asses aymer, helas, elle se sent outree d'un tourment incomparable; car, autant d'eslans qu'elle fait pour voler plus haut en son desirable amour, autant reçoit-elle de secousses de douleur..

  A004001077 

 Vray Dieu, Theotime, que vay-je dire! Les Bienheureux qui sont en Paradis, voyans que Dieu est encor plus aymable qu'ilz ne l'ayment, pasmeroyent et periroyent eternellement du desir de l'aymer davantage, si la tressainte volonté de Dieu n'imposoit a la leur le repos admirable dont elle jouit; car ilz ayment si souverainement cette souveraine volonté, que son vouloir arreste le leur et le contentement divin les contente, acquiesçans d'estre bornés en leur amour par la volonté mesme de laquelle la bonté est l'object de leur amour.

  A004001082 

 C'est encor une autre blesseure d'amour, quand l'ame sent bien qu'elle ayme Dieu et que neanmoins Dieu la traitte comme s'il ne sçavoit pas d'estre aymé, ou comme s'il estoit en desfiance de son amour; car alhors, mon cher Theotime, l'ame reçoit des extremes angoisses, luy estant insupportable de voir et sentir le seul semblant que Dieu fait de se desfier d'elle.

  A004001083 

 Helas, [353] cette pauvre ame qui sent bien qu'elle est resolue de plustost mourir que d'offencer son Dieu, mais ne sent pas neanmoins un seul brin de ferveur, ains au contraire une froideur extreme qui la tient toute engourdie, et si foible qu'elle tumbe a tous coups en des imperfections fort sensibles, cette ame, dis-je, Theotime, elle est toute blessee, car son amour est grandement douloureux de voir que Dieu fait semblant de ne voir pas combien elle l'ayme, la laissant comme une creature qui ne luy appartient pas; et luy est advis qu'emmi ses defautz, ses distractions et froideurs, Nostre Seigneur descoche contre elle ce reproche: Comme peux-tu dire que tu m'aymes, puisque ton ame n'est pas avec moy? ce qui luy est un dard de douleur au travers de son cœur; mais un dard de douleur qui procede d'amour, car si elle n'aymoit pas elle ne seroit pas affligee de l'apprehension qu'elle a de ne pas aymer..

  A004001091 

 Certes, je sçai bien, Theotime, que Platon parloit ainsy de l'amour abject, vil et chetif des mondains, mays neanmoins ces proprietés ne laissent pas de se treuver en l'amour celeste et divin; car, voyes un peu ces premiers maistres de la doctrine chrestienne, c'est a dire ces premiers docteurs du saint amour evangelique, et oyes ce que disoit l'un d'entr'eux qui avoit le plus eu de travail: Jusques a maintenant, dit-il, nous avons faim et soif, et sommes nuds, et sommes souffletés, [356] et sommes vagabonds; nous sommes rendus comme les ballieures de ce monde et comme la racleure et peleure de tous.

  A004001093 

 Certes, Theotime, quand les blesseures et playes de l'amour sont frequentes et fortes, elles nous mettent en langueur et nous donnent la bien aymable maladie d'amour.

  A004001093 

 O Dieu, Theotime, si l'image d'Abraham [358] eslevant le coup de la mort sur son cher unique pour le sacrifier, image faite par un peintre mortel, eut bien le pouvoir toutefois d'attendrir et faire pleurer le grand saint Gregoire, Evesque de Nisse, toutes les fois qu'il la regardoit, hé, combien fut extreme l'attendrissement du grand saint François, quand il vid l'image de Nostre Seigneur se sacrifiant soy mesme sur la croix! image que non une main mortelle, mais la main maistresse d'un Seraphin celeste avoit tiree et effigiee sur son propre original, representant si vivement et au naturel le divin Roy des Anges, meurtri, blessé, percé, froissé, crucifié..

  A004001093 

 Theotime, j'ay souvent consideré cette merveille, et en ay fait cette pensee.

  A004001095 

 O vray Dieu, Theotime, que de douleurs amoureuses et que d'amours douloureuses! car non seulement alhors, mays tout le reste de sa vie, ce pauvre Saint alla tous-jours traisnant et languissant, comme bien malade d'amour..

  A004001097 

 Et en somme, comme penses-vous, Theotime, qu'une ame qui a une fois un peu a souhait tasté les consolations divines, puisse vivre en ce monde meslé de tant de miseres, sans douleur et langueur presque perpetuelle? On a maintefois ouy ce grand homme de Dieu, François Xavier, lançant sa voix au Ciel, lhors qu'il croyoit estre bien solitaire, en cette sorte: Hé, mon Seigneur, non, de grace, ne m'accablés pas d'une si grande affluence de consolations; ou si par vostre infinie bonté il vous plaist me faire ainsy abonder en delices, tirés-moy donq en Paradis, car, qui a une fois bien gousté en l'interieur vostre douceur il luy est force de vivre en amertume tandis qu'il ne jouit pas de vous.


05-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome V-Vol.2-Traitte de l'amour de Dieu.html
  A005000158 

 Or, alhors, Theotime, l'union est parfaitte, laquelle n'estant qu'une ne laisse pas de proceder de la mere et de l'enfant; en sorte neanmoins qu'elle depend toute de la mere, car elle a attiré a soy l'enfant, elle l'a premiere serré entre ses bras et pressé sur sa poitrine, et les forces du poupon ne sont pas si grandes qu'il eust peu se serrer et prendre si fort a sa mere.

  A005000159 

 Ainsy donq, Theotime, Nostre Seigneur monstrant le tres aymable sein de son divin amour a l'ame devote, il la tire toute a soy, la ramasse, et, par maniere de dire, il replie toutes les puissances d'icelle dans le giron de [6] sa douceur plus que maternelle; puis, bruslant d'amour il serre l'ame, il la joint, la presse et colle sur ses levres de suavité et sur ses delicieuses mammelles, la baysant du sacré bayser de sa bouche et luy faisant savourer ses tetins meilleurs que le vin.

  A005000174 

 O beau petit Martial, que vous estes heureux d'estre saisi, pris, porté, uni, joint et serré sur la poitrine celeste du Sauveur et baysé de sa bouche sacree, sans que vous y cooperies qu'en ne faisant pas resistance a recevoir ces divines caresses! Au contraire, saint Simeon embrasse et serre Nostre Seigneur sur son sein, sans que Nostre Seigneur fasse aucun semblant de cooperer a cette union, bien que, comme chante la [12] tressainte Eglise, «le viellard portoit l'Enfant, mays l'Enfant gouvernoit le viellard.» Saint Bonaventure, touché d'une sainte humilité, non seulement ne s'unissoit pas a Nostre Seigneur, ains se retiroit de sa presence reelle, c'est a dire du tressaint Sacrement de l'Eucharistie, quand un jour oyant Messe, Nostre Seigneur se vint unir a luy, luy portant son divin Sacrement: or cette union faite, hé Dieu, Theotime, pensés de quel amour cette sainte ame serra son Sauveur sur son cœur! A l'opposite, sainte Catherine de Sienne, desirant ardemment Nostre Seigneur en la sainte Communion, pressant et poussant son ame et son affection devers luy, il se vint joindre a elle, entrant en sa bouche avec mille benedictions.

  A005000177 

 Theotime, cette union sacramentelle nous sollicite et nous ayde a la spirituelle de laquelle nous parlons.

  A005000184 

 O Dieu, Theotime, combien plus doit estre attachee et serree l'ame qui est amante de son Dieu, quand elle est unie a la divinité de l'infinie Douceur et qu'elle est prise et esprise en cet object d'incomparables [16] perfections! Telle fut celle du grand vaysseau d'election qui s'escrioit: Affin que je vive a Dieu, je suis affigé a la croix avec Jesus Christ; aussi proteste-il que rien, non pas la mort mesme, ne le peut separer de son Maistre.

  A005000185 

 Voyes, je vous prie, Theotime, ce petit enfant attaché au tetin et au col de sa mere: si on le veut arracher de la pour le porter en son berceau, parce qu'il en est tems, il marchande et dispute tant qu'il peut pour ne point quitter ce sein tant amiable; si on le fait desprendre d'une main il s'accroche de l'autre, et si on l'enleve du tout il se met a pleurer, et tenant son cœur et ses yeux ou il ne peut plus tenir son cors, il va reclamant sa chere mere, jusques a ce qu'a force de le bercer on l'ayt endormi.

  A005000187 

 Imagines vous donques, que saint Paul, saint Denis, saint Augustin, saint Bernard, saint François, sainte Catherine de Gennes ou de Sienne sont encor en ce monde, et qu'ilz dorment de lassitude apres plusieurs travaux pris pour l'amour de Dieu; representes vous d'autre part quelque bonne ame, mais non pas si sainte comme eux, qui fust en l'orayson d'union a mesme tems: je vous [18] demande, mon cher Theotime, qui est plus uni, plus serré, plus attaché a Dieu, ou ces grans Saintz qui dorment, ou cette ame qui prie? Certes, ce sont ces admirables amans; car ilz ont plus de charité, et leurs affections, quoy qu'en certaine façon dormantes, sont tellement engagees et prises a leur Maistre qu'elles en sont inseparables.

  A005000187 

 Mays affin d'eviter tout equivoque, saches, Theotime, que la charité est un lien et un lien de perfection; et qui a plus de charité, il est plus estroittement uni et lié a Dieu.

  A005000187 

 Mays, ce me dires vous, comme se peut-il faire qu'une ame qui est en l'orayson d'union, et mesme jusques a l'extase, soit moins unie a Dieu que ceux qui dorment, pour saintz qu'ilz soyent? Voyci que je vous dis, Theotime: celle la est plus avant en l'exercice de l'union, et ceux ci sont plus avant en l'union; ceux ci sont unis et ne s'unissent pas, puisqu'ilz dorment, et celle la s'unit, estant en l'exercice et prattique actuelle de l'union..

  A005000193 

 Mais, mon cher Theotime, quant aux extases sacrees, elles sont de trois sortes: l'une est de l'entendement, l'autre de l'affection, et la troisiesme de l'action; l'une est en la splendeur, l'autre en la ferveur, et la troisiesme en l'œuvre; l'une se fait par l'admiration, l'autre par la devotion, et la troisiesme par l'operation.

  A005000199 

 Ce discours, Theotime, est presque tout composé des paroles du divin saint Denis Areopagite: et certes, il est vray que le soleil, source de la lumiere corporelle, est la vraye image du bon et du beau; car, entre les creatures purement corporelles, il n'y a point de bonté ni de beauté egale a celle du soleil.

  A005000205 

 En effect, Theotime, on a veu en nostre aage plusieurs personnes qui croyoient elles mesmes, et chacun avec elles, qu'elles fussent fort souvent ravies divinement en extase, et en fin, toutefois, on descouvroit que ce n'estoyent qu'illusions et amusemens diaboliques.

  A005000209 

 La mort fait que l'ame ne vit plus en son cors ni en l'enclos d'iceluy; que veut donq dire, Theotime, cette parole de l'Apostre: Vous estes mortz? C'est comme s'il eust dit: Vous ne vives plus en vous mesme ni dedans l'enclos de vostre propre condition naturelle, vostre ame ne vit plus selon elle mesme, mays au dessus d'elle mesme.

  A005000209 

 Nous en faysons de mesme, Theotime, si nous sommes spirituelz; car nous quittons nostre vie humaine pour vivre d'une autre vie plus eminente, au dessus de nous mesmes, cachans toute cette vie nouvelle en Dieu avec Jesus Christ, qui seul la void, la connoist et la donne.

  A005000213 

 Ainsy, Theotime, l'amour est le premier acte et principe de nostre vie devote ou spirituelle, par lequel nous vivons, sentons et nous esmouvons, et nostre vie spirituelle est telle que sont nos mouvemens affectifz; et un cœur qui n'a point de mouvement et d'affection, il n'a point d'amour, comme au contraire un cœur qui a de l'amour n'est point sans mouvement affectif.

  A005000214 

 Quand donques on void une personne qui en l'orayson a des ravissemens par lesquelz elle sort et monte au dessus de soy mesme en Dieu, et neanmoins n'a point d'extase en sa vie, c'est a dire ne fait point une vie relevee et attachee a Dieu, par abnegation des convoytises mondaines et mortification des volontés et inclinations naturelles, par une interieure douceur, simplicité, humilité, et sur tout par une continuelle charité, croyés, Theotime, que tous ses ravissemens sont grandement douteux et perilleux; ce sont ravissemens propres a faire admirer les hommes, mais non pas a les sanctifier.

  A005000215 

 Et qui ne void, Theotime, je vous prie, que c'est l'extase de la vie et operation de laquelle le grand Apostre parle principalement, quand il dit: Je vis, mais non plus moy, ains Jesus Christ vit en moy? car il l'explique luy mesme en autres termes aux Romains, disant que nostre viel homme est crucifié ensemblement avec Jesus Christ, que nous sommes mortz au peché avec luy, et que de mesme nous sommes resuscités avec luy pour marcher en nouveauté de vie, affin de ne servir plus au peché.

  A005000215 

 Voyla deux hommes representés en un chacun de nous, Theotime, et par consequent deux vies: l'une du viel homme, qui est une vielle vie, comme on dit de l'aigle qui estant devenue vielle va traisnant ses plumes et ne peut plus prendre son vol; l'autre vie est de l' homme nouveau, qui est aussi une vie nouvelle, comme celle de l'aigle laquelle deschargee de ses vielles plumes qu'elle a secouees dans la mer, en prend des nouvelles, et s'estant rajeunie vole en la nouveauté de ses forces..

  A005000221 

 Mais quelle resolution? Voyes, je vous prie, Theotime, comme il va gravement fichant et poussant sa conception dans nos cœurs: estimans ceci, dit il; et quoy? que si un est mort pour tous, donques tous sont morts; et Jesus Christ est mort pour tous.

  A005000221 

 Ouy, Theotime, rien ne presse tant le cœur de l'homme que l'amour.

  A005000221 

 Oyes, Theotime, je vous prie, soyes attentif et peses la force et efficace des ardentes et celestes paroles de cet Apostre, tout ravi et transporté de l'amour de son Maistre.

  A005000221 

 Si un homme sçait d'estre aymé de qui [32] que ce soit, il est pressé d'aymer reciproquement; mais si c'est un homme vulgaire qui est aymé d'un grand seigneur, certes il est bien plus pressé; mais si c'est d'un grand monarque, combien est-ce qu'il est pressé davantage? Et maintenant, je vous prie, sachans que Jesus Christ, vray Dieu eternel, tout puissant, nous a aymés jusques a vouloir souffrir pour nous la mort, et la mort de la croix, o mon cher Theotime, n'est ce pas cela avoir nos coeurs sous le pressoir et les sentir presser de force, et en exprimer de l'amour par une violence et contrainte qui est d'autant plus violente qu'elle est toute aymable et amiable? Mais, comme est-ce que ce divin Amant nous presse? La charité de Jesus Christ nous presse, dit son saint Apostre, estimans ceci.

  A005000222 

 Vray Dieu, Theotime, que cette consequence est forte en matiere d'amour! Jesus Christ est mort pour nous, il nous a donné la vie par sa mort, [33] nous ne vivons que parce qu'il est mort, il est mort pour nous, a nous et en nous: nostre vie n'est donq plus nostre, mais a Celuy qui nous l'a acquise par sa mort; nous ne devons donq plus vivre a nous, mais a luy; non en nous, mais en luy; non pour nous, mais pour luy..

  A005000224 

 Ah, Theotime, quel essor nous fait prendre cette aigle! Le Sauveur nous a nourris des nostre tendre jeunesse, ains il nous a formés et receus, comme une aymable nourrice, entre les bras de sa divine providence des l'instant de nostre conception:.

  A005000228 

 Hé, que reste-il donq? quelle conclusion avons-nous plus a prendre, mon cher Theotime, sinon que ceux qui vivent ne vivent plus a eux mesmes, ains a Celuy qui est mort pour eux? c'est a dire, que nous consacrions au divin amour de la mort de nostre Sauveur tous les momens de nostre vie, rapportans a sa gloire toutes nos proyes, toutes nos conquestes, toutes nos œuvres, toutes nos actions, toutes nos pensees et toutes nos affections.

  A005000228 

 Voyons-le, Theotime, ce divin Redempteur, estendu sur la croix, comme sur son bucher d'honneur ou il meurt d'amour pour nous, mais d'un amour plus douloureux que la mort mesme, ou d'une mort plus amoureuse que l'amour mesme: hé, que ne nous jettons-nous en esprit sur luy, pour mourir sur la croix avec luy, qui, pour l'amour de nous, a bien voulu mourir! Je le tiendray, devrions nous dire si nous avions la generosité de l'aigle, et ne le quitteray jamais; je mourray avec luy et brusleray dedans les flammes de son amour, un mesme feu consumera ce divin Createur et sa chetifve creature; mon Jesus est tout mien et je suis toute sienne, je vivray et mourray sur sa poitrine, ni la mort ni la vie ne me separera jamais de luy..

  A005000233 

 Or je dis ordinairement Theotime, parce que quelquefois l'amour sacré est bien si violent, que mesme par effect il cause la separation du cors et de l'ame, faisant mourir les amans d'une mort tres heureuse, qui vaut mieux que cent vies..

  A005000235 

 Mais, comme pouvoyent ilz deceder en l'amour de Dieu, puisque mesme ilz ne pensoyent pas en Dieu lhors de leur trespas? Les sçavans hommes, Theotime, ne perdent pas leur science en dormant, autrement ilz seroyent ignorans a leur resveil et faudroit qu'ilz retournassent a l'escole; or c'en est de mesme de toutes les habitudes de prudence, de temperance, de foy, d'esperance, de charité; elles sont tous-jours dedans l'esprit des justes, bien qu'ilz n'en fassent pas tous-jours les actions.

  A005000241 

 Tous les Martirs, Theotime, moururent pour l'amour divin; car, quand on dit que plusieurs sont mortz pour la foy, on ne doit pas entendre que ç'ait esté pour la foy morte, ains pour la foy vivante, c'est a dire animee de la charité.

  A005000242 

 Ainsy, mon cher Theotime, quand l'ardeur du saint amour est grande, elle donne tant d'assautz au cœur, elle le blesse si souvent, elle luy cause tant de langueurs, elle le fond si ordinairement, elle le porte en des extases et ravissemens si frequens, que par ce moyen l'ame presque toute occupee en Dieu, ne pouvant fournir asses d'assistance a la nature pour faire la digestion et nourriture convenable, les forces animales et vitales commencent a manquer petit a petit, la vie s'accourcit et le trespas arrive..

  A005000243 

 O Dieu, Theotime, que cette mort est heureuse! que douce est cette amoureuse sagette qui, nous blessant de cette playe incurable de la sacree dilection, nous rend pour jamais languissans et malades d'un battement de cœur si pressant qu'en fin il faut mourir! De combien penses-vous que ces sacrees langueurs et les travaux supportés pour la charité avançassent les jours aux divins amans, comme a sainte Catherine de Sienne, a saint François, au petit Stanislas Koska, a saint Charles et a plusieurs centaines d'autres qui moururent si jeunes? Certes, quant a saint François, des qu'il eut receu les saintes stigmates de son Maistre, il eut de si fortes et penibles douleurs, tranchees, convulsions et maladies, qu'il ne luy demeura que la peau et les os, et sembloit plustost une anatomie ou une image de la mort, qu'un homme vivant et respirant encores.

  A005000247 

 Tous les esleuz donq, Theotime, meurent en l'habitude de l'amour sacré; mays quelques uns, outre cela, meurent en l'exercice de ce saint amour, les autres pour cet amour, et d'autres par ce mesme amour.

  A005000248 

 Car, voyés, je vous supplie, Theotime, son trespas.

  A005000248 

 Qui ne void, je vous prie, Theotime, que cet homme seraphique, qui avoit tant desiré d'estre martyrisé et de mourir pour l'amour, mourut en fin d'amour, ainsy que je l'ay expliqué ailleurs?.

  A005000264 

 De mesme, Theotime, la Vierge Mere ayant assemblé en son esprit, par une tres vive et continuelle memoire, tous les plus aymables misteres de la vie et mort de son Filz, et recevant tous-jours a droit fil parmi cela les plus ardentes inspirations que son Filz, Soleil de justice, jettast sur les humains au plus fort du midi de sa charité, puis d'ailleurs faysant aussi de son costé un perpetuel mouvement de contemplation, en fin le feu sacré de ce divin amour la consuma toute, comme un holocauste de suavité; de sorte qu'elle en mourut, son ame estant toute ravie et transportee entre les bras de la dilection de son Filz.

  A005000269 

 On dit d'un costé que Nostre Dame revela a sainte Mathilde que la maladie de laquelle elle mourut ne fut autre chose qu'un assaut impetueux du divin amour; mais sainte Brigide et saint Jean Damascene tesmoignent qu'elle mourut d'une mort extremement paisible: et l'un et l'autre est vray, Theotime..

  A005000271 

 Ah non, Theotime, il ne faut pas mettre une impetuosité d'agitation en ce celeste amour du cœur maternel de la Vierge, car l'amour, de soy mesme, est doux, gracieux, paisible et tranquille: que s'il fait quelquefois des assautz, s'il donne des secousses a l'esprit, c'est parce qu'il y treuve de la resistance; mais quand les passages de l'ame luy sont ouvertz sans opposition ni contrarieté, il fait ses progres paisiblement, avec une suavité nompareille.

  A005000272 

 Je ne dis pas, Theotime, qu'en l'ame de la tressainte Vierge il n'y eut deux portions, et par consequent deux appetitz, l'un selon l'esprit et la rayson superieure, l'autre selon les sens et la rayson inferieure, en sorte qu'elle pouvoit sentir des repugnances et contrarietés de l'un a l'autre appetit; car ce travail se treuva mesme en Nostre Seigneur son Filz.

  A005000274 

 L'aymant, comme chacun sçait, Theotime, tire naturellement a soy le fer par une vertu secrette et tres admirable; mais pourtant, cinq choses empeschent cette operation: 1.

  A005000293 

 Mais notés, Theotime, que je ne traitte pas ici de l'obeissance qui est deüe a Dieu parce qu'il est nostre Seigneur et Maistre, nostre Pere et Bienfacteur; car cette sorte d'obeissance appartient a la vertu de justice et non pas a l'amour.

  A005000293 

 Voyons-nous pas, Theotime, qu'une fille, par une libre election qui procede de l'amour de bienveuillance, s'assujettit a un espoux, auquel, d'ailleurs, elle n'avoit aucun devoir? ou qu'un gentilhomme se sousmet au service d'un prince estranger, ou bien jette sa volonté es mains du superieur de quelqu'Ordre de Religion auquel il se rangera?.

  A005000310 

 Theotime, nous devons vouloir nostre salut ainsy que Dieu le veut: or il veut nostre salut par maniere de desir; et nous le devons aussi incessamment desirer en suite de son desir.

  A005000339 

 O Theotime, que cette volonté divine est aymable! o qu'elle est amiable et desirable! o loy toute d'amour et toute pour l'amour! Les Hebrieux par le mot de paix entendent l'assemblage et comble de tous biens, [77] c'est a dire la felicité; et le Psalmiste s'escrie: Qu'une paix plantureuse abonde a ceux qui ayment la loy de Dieu et que nul choppement ne leur arrive! comme s'il vouloit dire: O Seigneur, que de suavité en l'amour de vos sacrés commandemens! toute douceur delicieuse saisit le cœur qui est saisi de la dilection de vostre loy.

  A005000342 

 Hé, voyés, je vous prie, Theotime, quelle ardeur de ces chevaliers au service et contentement de leur maistre! ilz volent et fendent la presse des ennemis, avec mille dangers de se perdre, pour assouvir un seul simple souhait que le Roy leur tesmoigne.

  A005000347 

 Pour cela le grand saint Bernard escrivant au glorieux saint Guarin, abbé d'Aux, duquel la vie et les miracles ont tant rendu de bonne odeur en ce Diocese: «L'homme juste,» dit il, «ne dit jamais c'est asses, il a tous-jours faim et soif de la justice.» Certes, Theotime, quant aux biens temporelz, rien ne suffit a celuy auquel ce qui suffit ne suffit pas; car, qu'est ce qui peut suffire a un cœur auquel la suffisance n'est pas suffisante? Mais quant aux biens spirituelz, celuy n'en a pas ce qui luy suffit auquel il suffit d'avoir ce qui luy suffit, et la suffisance n'est pas suffisante, parce que la vraye suffisance es choses divines consiste en partie au desir de l'affluence.

  A005000348 

 Or, je ne dis pas, non plus que saint Bernard, que ce soit peché de ne prattiquer pas les conseilz: non certes, Theotime, car c'est la propre difference du commandement au conseil, que le commandement nous oblige sous peyne de peché, et le conseil nous invite sans peyne de peché.

  A005000353 

 Si vous aves la migraine et [84] que l'odeur du musque vous nuyse, laisseres vous pour cela d'avouer que cette senteur soit bonne et aggreable? Si une robbe d'or ne vous est pas avenante, dirés vous qu'elle ne vaut rien? Si une bague n'est pas pour vostre doigt, la jetteres vous pour cela dans la boüe? Loues donq, Theotime, et aymes cherement tous les conseilz que Dieu a donné aux hommes.

  A005000354 

 Res-jouissons nous, Theotime, quand nous verrons des personnes entreprendre la suite des conseilz que nous ne pouvons ou ne devons pas observer; prions pour eux, benissons-les, favorisons-les et les aydons, car la charité nous oblige de n'aymer pas seulement ce qui est bon pour nous, mais d'aymer encor ce qui est bon pour le prochain..

  A005000356 

 Vous n'estes pas obligé de rechercher celuy qui vous a offencé, car c'est a luy de revenir a soy et venir a vous pour vous donner satisfaction, puisqu'il vous a prevenu par injure et outrage; mays alles neanmoins, Theotime, faites ce que le Sauveur vous conseille, prevenes-le au bien, rendes-luy bien pour mal, jettes sur sa teste et sur son cœur un brasier ardent de tesmoignages de charité, qui le brusle tout et le force de vous aymer.

  A005000364 

 Theotime, Eliezer ne se laisse entendre de desirer de l'eau que pour sa personne, mais la belle Rebecca, obeissant a l'inspiration que Dieu et sa debonnaireté luy donnoyent, s'offre d'abbreuver encor les chameaux; pour cela elle fut rendue espouse du saint Isaac, belle fille du grand Abraham et grand mere du Sauveur.

  A005000376 

 Il se faut donq comporter ainsy, Theotime, es inspirations qui ne sont extraordinaires que d'autant qu'elles nous incitent a prattiquer avec une extraordinaire ferveur et perfection les exercices ordinaires du Chrestien; mais il y a d'autres inspirations que l'on appelle extraordinaires, non seulement parce qu'elles font avancer l'ame au dela du train ordinaire, mais aussi parce qu'elles la portent a des actions contraires aux lois, regles et coustumes communes de la tressainte Eglise, et qui partant sont plus admirables qu'imitables..

  A005000386 

 Mays voyés, Theotime, je vous prie, comme ces anciens et saintz anachoretes, en leur assemblee generale, ne treuvent point de marque plus asseuree de l'inspiration celeste, en un sujet si extraordinaire comme fut la vie de ce saint Stylite, que de le voir simple, doux et maniable sous les lois de la tressainte obeissance [102].

  A005000393 

 Mais, Theotime, je vous advertis d'une tentation ennuyeuse qui arrive maintefois aux ames qui ont un grand desir de suivre en toutes choses ce qui est le plus selon la volonté de Dieu.

  A005000405 

 Considerons en bloc, Theotime, tout ce qui a esté, qui est et qui sera; et, tous ravis d'estonnement, nous serons contrains d'exclamer a l'imitation du Psalmiste: O Seigneur, je vous loueray parce que vous estes excessivement magnifié; vos œuvres sont merveilleuses, et mon ame le reconnoist trop plus; Vostre [109] science est admirable au dessus de moy, elle prevaut, et je ne puis y atteindre.

  A005000413 

 Theotime, nous devons avoir une extreme complaysance de voir comme Dieu exerce sa misericorde par tant de diverses faveurs qu'il distribue aux Anges et aux hommes, au Ciel et en la terre, et comme il prattique sa justice par une infinie varieté de peynes et chastimens; car sa justice et sa misericorde sont egalement aymables et admirables en elles mesmes, puisque l'une et Vautre ne sont autre chose qu'une mesme tres unique Bonté et Divinité..

  A005000414 

 Chose estrange mais veritable, Theotime: si les damnés n'estoyent aveuglés de leur obstination et de la hayne qu'ilz ont contre Dieu, ilz treuveroyent de la consolation en leurs peynes, et verroyent la misericorde divine admirablement meslee avec les flammes qui les bruslent eternellement.

  A005000433 

 Si le grand Abraham eust veu la necessité de tuer son filz hors la volonté de Dieu, pensés, Theotime, combien de peynes et de convulsions de cœur il eust souffert; mais la voyant clans le bon playsir de Dieu, elle luy est toute d'or, et l'embrasse tendrement.

  A005000437 

 Or, voyla toutefois le grand Job, comme roy des miserables de la terre, assis sur un fumier comme sur le throsne de la misere, paré de playes, d'ulceres, de pourriture, comme de vestemens royaux assortissans a la qualité de sa royauté, avec une si grande abjection et aneantissement que, s'il n'eust parlé, on ne pouvoit discerner si Job estoit un homme reduit en fumier, ou si le fumier estoit une pourriture en forme d'homme; or, le voyla, dis-je, le grand Job, qui s'escrie: Si nous avons receu des biens de la main de Dieu, pourquoy n'en recevrons nous pas aussi bien les maux? O Dieu, que cette parole est de grand amour! Il pese, Theotime, que c'est de la main de Dieu qu'il a receu les biens, tesmoignant qu'il n'avoit pas tant estimé les biens parce qu'ilz estoyent biens, comme parce qu'ilz provenoyent de la main du Seigneur: ce qu'estant ainsy, il conclud que donques il faut supporter amoureusement les adversités, puisqu'elles procedent de la mesme main du Seigneur, esgalement aymable lhors qu'elle distribue les afflictions comme quand elle donne les consolations.

  A005000443 

 Il est ainsy, Theotime: l'ame est quelquefois tellement pressee d'afflictions interieures, que toutes ses facultés et puissances en sont accablees, par la privation de tout ce qui la peut alleger, et par l'apprehension et impression de tout ce qui la peut attrister; si que, a l'imitation de son Sauveur, elle commence a s'ennuyer, a craindre, a s'espouvanter, puis a s'attrister d'une tristesse pareille a celle des mourans, dont elle peut bien dire: Mon ame est triste jusques a la mort; et du consentement de tout son interieur elle desire, demande et supplie que, s'il est possible, ce calice soit esloigné d'elle, ne luy restant plus que la fine supreme pointe de l'esprit, laquelle, attachee au cœur et bon playsir de Dieu, dit par un tres simple acquiescement: O Pere eternel, mais toutefois ma volonté ne soit pas faite, ains la vostre.

  A005000444 

 Job en ses travaux fait l'acte de resignation: Si nous avons receu les biens, dit il, de la main de Dieu, pourquoy ne soustiendrons nous les peynes et travaux qu'il nous envoye? Voyés, Theotime, qu'il parle de soustenir, supporter et endurer.

  A005000469 

 Voyes, je vous prie, Theotime, comme la vie des Apostres estoit affligee, selon le cors par les blesseures, selon le cœur par les angoisses, selon le monde par l'infamie et les prisons.

  A005000478 

 Mais notés, Theotime, un trait de la parfaite union d'un cœur indifferent avec le bon playsir divin.

  A005000479 

 Ouy, Theotime, car Dieu bien souvent, pour nous exercer en cette sainte indifference, nous inspire des desseins fort relevés, desquelz pourtant il ne veut pas le succes; et lhors, comme il nous faut hardiment, courageusement et constamment commencer et suivre l'ouvrage tandis qu'il se peut, aussi faut il acquiescer doucement et tranquillement a l'evenement de l'entreprise, tel qu'il plaist a Dieu nous le donner.

  A005000481 

 Mais si cela est ainsy, il ne faudra donq rien affectionner, ains laisser les affaires a la mercy des evenemens? Pardonnés-moy, Theotime, il ne faut rien oublier de tout ce qui est requis pour faire bien reuscir les entreprises que Dieu nous met en main, mais a la charge que si l'evenement est contraire nous le recevrons doucement et tranquillement; car nous avons commandement d'avoir un grand soin des choses qui regardent la gloire de Dieu et qui sont en nostre charge, mais nous ne sommes pas obligés ni chargés de l'evenement, car il n'est pas en nostre pouvoir.

  A005000489 

 Helas, mon Theotime, les ames qui sont en Purgatoire y sont sans doute pour leurs pechés, pechés qu'elles ont detesté et detestent souverainement; mais quant a l'abjection et peyne qui leur en reste, d'estre arrestees en ce lieu la et privees pour un tems de la jouissance de l'amour bienheureux du Paradis, elles la souffrent amoureusement, et prononcent devotement le cantique de la justice divine: Vous estes juste, Seigneur, et vostre jugement equitable.

  A005000490 

 Et cependant, Theotime, ce n'est pas l'amour celeste qui fait ce trouble, car il ne se fasche que pour le peché; c'est nostre amour propre, qui voudroit que [131] nous fussions exemptz de la peyne et du travail que les assautz de l'ire nous donnent: ce n'est pas la coulpe qui nous desplait en ces eslans de la cholere, car il n'y a du tout point de peché; c'est la peyne d'y resister qui nous inquiete..

  A005000498 

 Que si le pecheur s'obstine, pleurons, Theotime, souspirons, prions pour luy, avec le Sauveur de nos ames, qui, ayant jetté maintes larmes toute sa vie sur les pecheurs et sur ceux qui les representoyent, mourut en fin les yeux couvertz de pleurs et son cors tout detrempé de sang, regrettant la perte des pecheurs.

  A005000514 

 Voyés, je vous prie, Theotime, ce que je veux dire: les jeunes petitz rossignolz s'essayent de chanter au commencement pour imiter les grans; mais estans façonnés et devenus maistres, ilz chantent pour le playsir qu'ilz prennent en leur propre gazouillement, et s'affectionnent si passionement a cette delectation, ainsy que j'ay dit ailleurs, qu'a force de pousser leurs voix leur gosier s'esclatte, dont ilz meurent.

  A005000518 

 Vous connoistres bien cela, Theotime: car si ce rossignol mystique chante pour contenter Dieu, il chantera le cantique qu'il sçaura estre le plus aggreable a la divine Providence; mais s'il chante pour le playsir que luy mesme prend en la melodie de son chant, il ne chantera pas le cantique qui est le plus aggreable a la Bonté celeste, ains celuy qui est plus a son gré de luy mesme, et duquel il pense tirer plus de playsir.

  A005000521 

 Pourquoy penses vous, Theotime, qu'Ammon, filz de David, aymast si esperdument Tharaar que mesme il cuyda mourir d'amour? estimes vous que ce fut elle mesme qu'il aimast? Vous verres bien tost que non; car soudain qu'il eut assouvi son execrable desir, il la poussa cruellement dehors et la rejetta ignominieusement.

  A005000521 

 Vous verres, Theotime, cet homme qui prie Dieu, ce vous semble, avec tant de devotion et qui est si ardent aux exercices de l'amour celeste; mais attendes un peu, et vous verres si c'est Dieu qu'il ayme.

  A005000529 

 Or alhors, Theotime, nous travaillons non seulement sans playsir, mais avec un extreme ennuy, ne voyans ni le bien de nostre travail, ni le contentement de Celuy pour qui nous travaillons..

  A005000531 

 O Dieu, mon cher Theotime, mais c'est alhors qu'il faut tesmoigner une invincible fidelité envers le Sauveur, le servant purement pour l'amour de sa volonté, non seulement sans playsir, mais parmi ce deluge de tristesses, d'horreurs, de frayeurs et d'attaques, comme fit sa glorieuse Mere et saint Jean au jour de sa Passion, qui, entre tant de blasphemes, de douleurs et de detresses mortelles, demeurerent fermes en l'amour, lhors mesme que le Sauveur, ayant retiré toute sa sainte joye dans la cime de son esprit, ne respandoit ni allegresse ni consolation quelcomque en son divin visage, et que ses yeux alangouris et couvertz des tenebres de la mort ne jettoyent plus que des regards de douleur; comme aussi le soleil, des rayons d'horreur et d'affreuses tenebres.

  A005000536 

 Or il en est de mesme, Theotime, d'une ame qui est grandement chargee d'ennuis interieurs; car bien qu'elle ait le pouvoir de croire, d'esperer et d'aymer Dieu, et qu'en verité elle le fasse, toutefois elle n'a pas la force de bien discerner si elle croid, espere et cherit son Dieu, d'autant que la detresse l'occupe et accable si fort qu'elle ne peut faire aucun retour sur soy mesme pour voir ce qu'elle fait: et c'est pourquoy il luy est advis qu'elle n'a ni foy, ni esperance, ni charité, ains seulement des fantosmes et inutiles impressions de ces vertus la, qu'elle sent presque sans les sentir, et comme estrangeres, non comme domestiques de son ame.

  A005000544 

 Helas, Theotime, que le pauvre cœur est affligé quand, comme abandonné de l'amour, il regarde par tout et ne le treuve point, ce luy semble.

  A005000545 

 Car ainsy ce divin Sauveur, proche de sa mort et jettant les derniers souspirs, avec un grand cri et force larmes: Helas, dit-il, o mon Pere, je recommande mon esprit en vos mains; parole, Theotime, qui fut la derniere de toutes, et par laquelle le Filz bienaymé donna le souverain tesmoignage de son amour envers son Pere.

  A005000545 

 Mais que peut donq faire l'ame qui est en cet estat? Theotime, elle ne sçait plus comme se maintenir entre tant d'ennuis, et n'a plus de force que pour laisser mourir sa volonté entre les mains de la volonté de Dieu, a l'imitation du doux Jesus, qui, estant arrivé au comble des peynes de la croix que le Pere luy avoit prefigees, et ne pouvant plus resister a l'extremité de ses douleurs, fit comme le cerf qui hors d'haleyne et accablé de la mutte, se rendant a l'homme, jette les derniers abboys, la larme à l'œil.

  A005000550 

 Imaginés-vous, Theotime, le glorieux et non jamais asses loué saint Louys qui s'embarque et fait voyle pour aller outre mer; et voyes que la Reyne, sa chere femme, s'embarque avec sa Majesté.

  A005000551 

 Certes, si on demande a quelque serviteur qui est a la suite de son maistre, ou il va, il ne doit pas respondre qu'il va en tel ou tel lieu, ains seulement qu'il suit son maistre, car il ne va nulle part par sa volonté, ains seulement par celle de son maistre; ainsy, mon Theotime, une volonté resignee en celle de son Dieu ne doit avoir aucun vouloir, ains suivre simplement celuy de Dieu.

  A005000554 

 Et nous autres, Theotime, comme petitz enfans du Pere celeste, nous pouvons aller avec luy en deux sortes: car nous pouvons aller, premierement, marchans des pas de nostre propre vouloir, lequel nous conformons au sien, tenans tous-jours de la main de nostre obeissance celle de son intention divine et la suivant par tout ou elle nous conduit; qui est ce que Dieu requiert de nous par la signification de sa volonté, car puisqu'il veut que je fasse ce qu'il m'ordonne, il veut que j'aye le vouloir de le faire.

  A005000556 

 Theotime, nous devons estre comme cela, nous rendans pliables et maniables au bon playsir divin, comme si nous estions de cire, ne nous amusans point a souhaiter et vouloir les choses, mais les laissant vouloir et faire a Dieu pour nous ainsy qu'il luy plaira, jettans en luy toute nostre sollicitude, d'autant qu'il a soin de nous, ainsy que dit le saint Apostre.

  A005000557 

 O Theotime, que cette occupation de nostre volonté est excellente, quand elle quitte le soin de vouloir et choisir les effectz du bon playsir divin, pour louer et remercier ce bon playsir de telz effectz..

  A005000564 

 Or dites moy maintenant, mon ami Theotime, cette fille ne tesmoigna elle pas un amour plus attentif et plus solide envers son pere que si elle eust eu beaucoup de soin de luy demander des remedes a son mal, de regarder comme on luy ouvroit la veyne ou comme le sang couloit, et de luy dire beaucoup de paroles de remerciment? Il n'y a, certes, doute quelcomque en cela; car, si elle eust pensé a soy, qu'eust elle gaigné sinon d'avoir du souci inutile, puisque son pere en avoit asses pour elle? regardant son bras, qu'eust elle fait sinon recevoir de la frayeur? et remerciant son pere, quelle vertu eust elle prattiquee sinon celle de la gratitude? N'a elle pas donq mieux fait de s'occuper toute es demonstrations de son amour filial, infiniment plus aggreable au pere que toute autre vertu? [157].

  A005000567 

 Mays voyes, je vous prie, Theotime, que tout ainsy que nostre Sauveur, apres l'orayson de resignation qu'il fit au jardin des Olives et sa prise, se laissa manier et mener au gré de ceux qui le crucifierent, avec un abandonnement admirable de son cors et de sa vie entre leurs mains, aussi mit-il son ame et sa volonté, par une indifference tres parfaite, es mains de son Pere eternel.

  A005000571 

 L'amour fit tout cela, Theotime: et c'est l'amour aussi qui, entrant en une ame affin de la faire heureusement mourir a soy et revivre a Dieu, la fait despouiller de tous les desirs humains et de l'estime de soy mesme, qui n'est pas moins attachee a l'esprit que la peau a la chair, et la desnue en fin des affections plus aymables, comme sont celles qu'elle avoit aux [160] consolations spirituelles, aux exercices de pieté et a la perfection des vertus, qui sembloyent estre la propre vie de l'ame devote..

  A005000571 

 Representons-nous le doux Jesus, Theotime, chez Pilate, ou, pour l'amour de nous, les gens d'armes, ministres de la mort, le devestirent de tous ses habitz l'un apres l'autre, et non contens de cela luy osterent encor sa peau, la deschirans a coups de verges et de foüetz; comme par apres son ame fut despouillee de son cors et le cors de sa vie par la mort qu'il souffrit en la croix: mais trois jours passés, par sa tressainte Resurrection, l'ame se revestit de son cors glorieux, et le cors de sa peau immortelle, et s'habilla de vestemens differens, ou en pelerin, ou en jardinier, ou d'autre sorte, selon que le salut des hommes et la gloire de son Pere le requeroit.

  A005000572 

 Alhors, Theotime, l'ame a rayson de s'escrier: J'ay osté mes habitz, comme m'en revestiray? j'ay lavé mes pieds de toutes sortes d'affections, comme les souillerois-je derechef? Nue je suis sortie de la main de Dieu, et nue j'y retourneray; le Seigneur m'avoit donné beaucoup de desirs, le Seigneur me les a ostés, son saint nom soit beni.

  A005000572 

 Ouy, Theotime, le mesme Seigneur qui nous fait desirer les vertus en nostre commencement et qui nous les fait prattiquer en toutes occurrences, c'est luy mesme qui nous oste l'affection des vertus et de tous les exercices spirituelz, affin qu'avec plus de tranquillité, de pureté et de simplicité, nous n'affectionnions rien que le bon playsir de sa divine Majesté.

  A005000575 

 Theotime, quicomque a tout quitté pour Dieu ne doit [162] rien reprendre que comme Dieu le veut: il ne nourrit plus son cors sinon comme Dieu l'ordonne, affin qu'il serve a l'esprit; il n'estudie plus que pour servir le prochain et sa propre ame, selon l'intention divine; il prattique les vertus, non selon qu'elles sont plus a son gré, mais selon que Dieu le desire..

  A005000584 

 En cela, Theotime, consiste la grandeur et primauté du commandement de l'amour divin que le Sauveur nomme le premier et le tres grand commandement.

  A005000585 

 Mais voyés, Theotime, combien cette loy d'amour est aymable! Hé, Seigneur Dieu, ne suffisoit il pas qu'il vous pleust de nous permettre ce divin amour, comme Laban permit celuy de Rachel a Jacob, sans qu'il vous pleust encor de nous y semondre par exhortations, de nous y pousser par vos commandemens? Mais non, Bonté divine, affin que ni vostre grandeur, ni nostre bassesse, ni pretexte quelcomque ne nous retardast de vous aymer, vous nous le commandés.

  A005000585 

 O vray Dieu, si nous le sçavions entendre, mon cher Theotime, quelle obligation aurions-nous a ce souverain Bien qui non seulement nous permet, mais nous commande de l'aymer! Helas, o Dieu, je ne sçay pas si je dois plus aymer vostre infinie beauté qu'une si divine bonté m'ordonne d'aymer, ou vostre divine bonté qui m'ordonne d'aymer une si tres infinie beauté! O beauté, combien estes vous aymable, m'estant octroyee par une si immense bonté! o bonté, que vous estes amiable de me communiquer une si eminente beauté!.

  A005000594 

 Hé, vray Dieu, combien est desirable la suavité de ce commandement, Theotime, puisque si la divine volonté le faysoit aux damnés ilz seroyent en un moment delivrés de leur plus grand malheur, et que les Bienheureux ne sont Bienheureux que par la prattique d'iceluy! O amour celeste, que vous estes aymable a nos ames! et que benie soit a jamais la Bonté laquelle nous commande avec tant de soin qu'on l'ayme, quoy que son amour soit si desirable et necessaire a nostre bonheur que sans iceluy nous ne puissions estre que malheureux! [168].

  A005000598 

 Si aucune loy n'est imfosee au juste, parce que, prevenant la loy et sans avoir besoin d'estre sollicité par icelle, il fait la volonté de Dieu par l'instinct de la charité qui regne en son ame, combien devons nous estimer les Bienheureux de Paradis libres et exemptz de toute sorte de commandemens, puisque, de la jouissance en laquelle ilz sont de la souveraine beauté et bonté du Bienaymé, coule et procede une tres douce mais inevitable necessité en leurs espritz, d'aymer eternellement la tressainte Divinité? Nous aymerons Dieu au Ciel, Theotime, non comme liés et obligés par la loy, mais comme attirés et ravis par la joye que cet object si parfaittement aymable donnera a nos cœurs; alhors la force du commandement cessera pour faire place a la force du contentement, qui sera le fruit et le comble de l'observation du commandement.

  A005000604 

 Et ne faut pas non plus, Theotime, que pendant l'enfance de nostre vie mortelle, nous laissions de faire ce qui est en nous, selon qu'il nous est commandé; puisque non seulement nous le pouvons, mais il est tres aysé, tout ce commandement estant de l'amour, et de l'amour de Dieu, qui, estant souverainement bon, est souverainement aymable.

  A005000610 

 Certes, Theotime, la haut en Paradis Dieu se donnera tout a nous, et non pas en partie, puysque c'est un tout qui n'a point de parties; mais il se donnera pourtant diversement, et avec autant de differences qu'il y aura de Bienheureux: ce qui se fera ainsy, parce que, se donnant tout a tous et tout a un chacun, il ne se donnera jamais totalement ni a pas un en particulier, ni a tous en general.

  A005000611 

 Theotime, non seulement entre ceux qui ayment Dieu de tout leur cœur il y en a qui l'ayment plus et les autres moins, mais une mesme personne se surpasse maintefois soy mesme en ce souverain exercice de la dilection de Dieu sur toutes choses.

  A005000612 

 Voyes donq, Theotime, je vous prie, voyes comme David, Ezechias et Josias aymerent Dieu de tout leur cœur, et que neanmoins ilz ne l'aymerent pas tous troys egalement, puisque aucun de ces troys n'eut son semblable en cet amour, ainsy que dit le sacré Texte.

  A005000615 

 De sorte, Theotime, que le prix de l'amour que nous portons a Dieu depend de l'eminence et excellence du motif pour lequel et selon lequel nous l'aymons, en ce que nous l'aymons pour sa souveraine infinie bonté, comme Dieu et selon qu'il est Dieu.

  A005000623 

 Ces ames donq, Theotime, ayment voirement trop ardemment et avec superfluité, mais elles n'ayment point les superfluités, ains seulement ce qu'il faut aymer.

  A005000627 

 Et ces ames, comme vous voyes, Theotime, ayant si grande union avec l'Espoux, elles meritent bien de participer a son rang, et d'estre reynes comme il est Roy, puisqu'elles luy sont toutes dediees, sans [181] division ni separation quelcomque, n'aymans rien hors de luy et sans luy, ains seulement en luy et pour luy..

  A005000629 

 Car, je vous prie, Theotime, que devoit estre celuy qui de tout son cœur chantoit a Dieu:.

  A005000641 

 Or, ne voyes vous pas, Theotime, que quicomque ayme Dieu de cette sorte, il a toute son ame et toute sa force dediee a Dieu? puisque tous-jours et a jamais, en toutes occurrences, il preferera la bonne grace de Dieu a toutes choses, et sera tous-jours prest de quitter tout l'univers pour conserver l'amour qu'il doit a la divine Bonté.

  A005000641 

 Vous sçaves, Theotime, qu'il y a plusieurs especes d'amour: comme, par exemple, il y a un amour paternel, filial, fraternel, nuptial, de societé, d'obligation, de dependence, et cent autres, qui tous sont differens en excellence, et tellement proportionnés a leurs objectz qu'on ne peut bonnement les addresser ou approprier aux autres.

  A005000646 

 Lhors que le saint et brave gentilhomme Joseph conneut que l'amour de sa maistresse tendoit a la ruine de celuy qu'il devoit a son maistre: Ah, dit il, Dieu m'en garde de violer le respect que je dois a mon maistre qui se confie tant en moy! comment donq pourrois-je perpetrer ce crime et pecher contre mon Dieu? Tenes, Theotime, voyla trois amours dans le cœur de l'aymable Joseph, car il ayme sa dame, son maistre et Dieu; mais lhors que celuy de sa dame s'oppose a celuy de son maistre, il le quitte tout court et s'enfuit, comme il eust aussi quitté celuy de son maistre s'il eust esté contraire a celuy de son Dieu.

  A005000649 

 Il est vray, Theotime, vous verres une mere tellement embesoignee de son enfant qu'il semble qu'elle n'ayt aucun autre amour que celuy la: elle n'a plus d'yeux que pour le voir, plus de bouche que pour le bayser, plus de poitrine que pour l'allaiter, ni plus de soin que pour l'eslever, et semble que le mari ne luy soit plus rien au prix de cet enfant; mais s'il failloit venir au choix de perdre l'un ou l'autre, on verroit bien qu'elle estime plus le mari, et que si bien l'amour de l'enfant estoit le plus tendre, le plus pressant, le plus passionné, l'autre neanmoins estoit le plus excellent, le plus fort et le meilleur.

  A005000653 

 O mon cher Theotime, que la force de cet amour de Dieu sur toutes choses doit donq avoir une grande estendue! Il doit surpasser toutes les affections, vaincre toutes les difficultés et preferer l'honneur de la bienveuillance de Dieu a toutes choses; mais je dis a toutes choses absolument, sans exception ni reserve quelconque.

  A005000656 

 Histoire effroyable et digne d'estre grandement pesee pour le sujet dont nous parlons; car aves vous veu, mon cher Theotime, ce courageux Saprice comme il estoit hardi et ardent a maintenir la foy, comme il souffre mille tourmens, comme il est immobile et ferme en la confession du nom du Sauveur tandis qu'on le roule et fracasse dans cet instrument fait a mode de vis, et comme il est tout prest de recevoir le coup de la mort pour accomplir le point le plus eminent de la loy divine, preferant l'honneur de Dieu a sa propre vie? Et neanmoins, parce que d'ailleurs il prefere a la volonté divine la satisfaction que son cruel courage prend en la hayne de Nicephore, il demeure court en sa course, et lhors qu'il est sur le point d'aconsuivre et gaigner le prix de la gloire par le martyre, il s'abbat malheureusement et se rompt le col, donnant de la teste dans l'idolatrie..

  A005000657 

 Il est donq vray, mon Theotime, que ce ne nous est pas asses d'aymer Dieu plus que nostre propre vie, si nous ne l'aymons generalement, absolument et sans exception quelconque, plus que tout ce que nous affectionnons ou pouvons affectionner.

  A005000657 

 Mais, ce me dires vous, Nostre Seigneur a-il pas assigné l'extremité de l'amour qu'on peut avoir pour luy, quand il dit que plus grande charité ne peut-on avoir que d'exposer sa vie pour ses amis? Il est certes vray, Theotime, qu'entre les particuliers actes et tesmoignages de l'amour divin il n'y en a point de si grand que de subir la mort pour la gloire de Dieu; neanmoins il est vray aussi que ce n'est qu'un seul acte et un seul tesmoignage, qui est voirement le chef d'œuvre de la charité, mais outre lequel il y en a aussi plusieurs autres que la charité [195] requiert de nous, et les requiert d'autant plus ardemment et fortement que ce sont des actes plus aysés, plus communs et ordinaires a tous les amans, et plus generalement necessaires a la conservation de l'amour sacré.

  A005000662 

 Vous sçaves, Theotime, quelles furent les amours de Jacob pour sa Rachel; et que ne fit il pas pour en tesmoigner la grandeur, la force et la fidelité, des lhors qu'il l'eut saluee aupres du puitz de l'abbreuvoir? Car jamais onques plus il ne cessa de mourir d'amour pour elle; et pour l'avoir en mariage il servit avec une ardeur nompareille sept ans entiers, luy estant encor advis que ce ne fut rien, tant l'amour adoucissoit les travaux qu'il supportoit pour cette bienaymee, de laquelle estant par apres frustré, il servit derechef encor sept ans durant pour l'obtenir, tant il estoit constant, loyal et courageux en sa dilection.

  A005000663 

 Car dites la verité, Theotime; fut-ce pas une estrange et tres volage legereté en Rachel, de preferer un bouquet de petites pommes aux chastes amours d'un si aymable mari? Si c'eust esté pour des royaumes, pour des monarchies; mais pour une chetifve poignee de mandragores! Theotime, que vous en semble?.

  A005000665 

 Theotime, les pompes, richesses et delectations mondaines peuvent-elles estre mieux representees? Elles ont une apparence attrayante, mais qui mord dans ces pommes, c'est a dire, qui sonde leur nature, n'y treuve ni goust ni contentement; neanmoins elles charment et endorment a la vanité de leur odeur, et la renommee que les enfans du monde leur donne estourdit et assomme ceux qui s'y amusent trop attentivement ou qui les prennent trop abondamment.

  A005000667 

 En somme, Theotime, je vous dis ce mot digne d'estre noté.

  A005000673 

 Mais en cette vie mortelle, Theotime, nous ne sommes pas necessités de l'aymer si souverainement, d'autant que nous ne le connoissons pas si clairement.

  A005000674 

 Hé, de grace, Theotime, la volonté toute destinee a l'amour du bien, comme en pourroit elle tant soit peu connoistre un souverain, sans estre de mesme tant soit peu inclinee a l'aymer souverainement? Entre tous les biens qui ne sont pas infinis, nostre volonté preferera tous-jours en son amour celuy qui luy est plus proche, et sur tout le sien propre; mais il y a si peu de proportion entre l'infini et le fini, que nostre volonté qui connoist un bien infini est sans doute esbranlee, inclinee et incitee de preferer l'amitié de l'abisme de cette bonté infinie a toute sorte d'autre amour et a celuy la encor de nous mesme..

  A005000677 

 Mais quant a nous, Theotime, mon cher ami, nous voyons bien que nous ne pouvons pas estre vrays hommes sans avoir inclination d'aymer Dieu plus que nous mesmes, ni vrays Chrestiens sans prattiquer cette inclination: aymons plus que nous mesmes Celuy qui nous est plus que tout et plus que nous mesmes.

  A005000681 

 Car c'est en cette qualité-la, Theotime, que nous appartenons a Dieu d'une si estroitte alliance et d'une si aymable dependance, qu'il ne fait nulle difficulté de se dire nostre Pere et nous nommer ses enfans; c'est en cette qualité que nous sommes capables d'estre unis a sa divine essence par la jouissance de sa souveraine bonté et felicité; c'est en cette qualité que nous recevons sa grace et que nos espritz sont associés au sien tressaint, rendus, par maniara de dire, participans de sa divine nature: comme dit saint Leon.

  A005000681 

 Pourquoy aymons nous Dieu, Theotime? «La cause pour laquelle on ayme Dieu,» dit saint Bernard, «c'est Dieu mesme;» comme s'il disoit que nous aymons Dieu parce qu'il est la tres souveraine et tres infinie bonté.

  A005000682 

 Theotime, aymer le prochain par charité c'est aymer Dieu en l'homme ou l'homme en Dieu; c'est cherir Dieu seul pour l'amour de luy mesme, et la creature pour l'amour d'iceluy.

  A005000683 

 Et pourquoy donq? O Theotime, pour l'amour de Dieu qui l'a formee a son image et semblance, et par consequent rendue capable de participer a sa bonté en la grace et en la gloire; pour l'amour de Dieu, dis-je, de qui elle est, a qui elle est, par qui elle est, en qui elle est, pour qui elle est, et qu'elle ressemble d'une façon toute particuliere.

  A005000683 

 Hé, vray Dieu, Theotime, quand nous voyons un prochain creé a l'image et semblance de Dieu, ne devrions-nous pas dire les uns aux autres: Tenes, voyes cette creature, comme elle ressemble au Createur? ne devrions-nous pas nous jetter sur son visage, la caresser et pleurer d'amour pour elle? ne devrions-nous pas luy donner mille et mille benedictions? Et quoy donq? pour l'amour d'elle? Non certes, car nous ne sçavons pas si elle est digne d'amour ou de hayne en elle mesme.

  A005000694 

 Dieu donques est jaloux, Theotime: mais quelle est sa jalousie? Certes, elle semble d'abord estre une jalousie de convoytise, telle qu'est celle des maris pour leurs femmes; car il veut que nous soyons tellement siens, que nous ne soyons en façon quelconque a personne qu'a luy: Nul, dit-il, ne peut servir a deux maistres.

  A005000695 

 Voyés un peu, Theotime, je vous prie, comme ce divin Amant exprime delicatement la noblesse et generosité de sa jalousie: Ilz m'ont laissé, dit-il, moy qui suis la source d'eau vive; comme s'il disoit: Je ne me plains pas dequoy ilz m'ont quitté, pour aucun dommage que leur abandonnement me puisse apporter; car quel dommage peut recevoir une source vive si on n'y vient pas puiser de l'eau? laissera-elle pour cela de ruisseler et flotter sur la terre? mais je regrette leur malheur, dequoy m'ayant laissé, ilz se sont amusés a des puitz sans eaux.

  A005000696 

 Si jamais vous y aves pris garde, vous aures veu, Theotime, que ce debonnaire animal, revenant de l'essor et treuvant sa partie avec ses compaignons, il ne se peut empescher de ressentir un peu de desfiance qui le rend aspre et bigearre; de sorte que d'abord il la vient environner, grommelant, [211] morguant, trepignant et la frappant a trait d'aisles, quoy qu'il sçache bien qu'elle est fidelle et qu'il la voye toute blanche d'innocence..

  A005000698 

 Mais, Theotime, qui veut voir cette jalousie delicatement et excellemment exprimee, il faut qu'il lise les enseignemens que la seraphique sainte Catherine de Gennes a faitz pour declarer les proprietés du pur amour, entre lesquelles elle inculque et presse fort celle-ci: que l'amour parfait, c'est a dire l'amour estant parvenu jusques au zele, ne peut souffrir l'entremise ou interposition, ni le meslange d'aucune autre chose, non pas mesme des dons de Dieu, voire jusques a cette rigueur, qu'il ne permet pas qu'on affectionne le Paradis sinon pour y aymer plus parfaitement la bonté de Celuy qui le donne; de sorte que les lampes de ce pur amour n'ont point d'huile, de lumignon ni de fumee, elles sont toutes feu et flamme que rien du monde ne peut esteindre; et ceux qui ont ces lampes ardentes en leurs mains, ont la tressainte crainte des chastes espouses, non pas celle des femmes adulteres.

  A005000699 

 Or, comme le zele est une ardeur enflammee ou une inflammation ardente de l'amour, il a aussi besoin d'estre sagement et prudemment prattiqué; autrement, sous pretexte d'iceluy, on violeroit les termes de la modestie ou discretion, et seroit aysé de passer du zele a la cholere et d'une juste affection a une inique passion: c'est pourquoy, n'estant pas ici le lieu de marquer les conditions du zele, mon Theotime, je vous advertis que pour l'execution d'iceluy vous ayes tous-jours recours a celuy que Dieu vous a donné pour vostre conduite en la vie devote.

  A005000703 

 Theotime, qui veut bien voir quel zele ou quelle jalousie nous devons avoir pour Dieu, il ne faut sinon bien exprimer la jalousie que nous avons pour les choses humaines, et puis la renverser; car telle devra estre celle que Dieu requiert de nous pour luy..

  A005000704 

 Imagines vous, Theotime, la comparayson qu'il y a entre ceux qui jouissent de la lumiere du soleil et ceux qui n'ont que la petite clarté d'une lampe: ceux la ne sont point envieux ni jaloux les uns des autres, car ilz sçavent bien que cette lumiere la est tres suffisante pour tous, que la jouissance de l'un n'empesche point la jouissance de l'autre, et que chacun ne la possede pas moins, encor que tous la possedent generalement, que si un chacun luy seul la possedoit en particulier; mays quant a la clarté d'une lampe, parce qu'elle est petite, courte et insuffisante pour plusieurs, chacun la veut avoir en sa chambre, et qui l'a est envié des autres.

  A005000705 

 Mays en quoy donq consiste le zele ou la jalousie que nous devons avoir pour la divine Bonté? Theotime, son office est premierement de haïr, fuir, empescher, detester, rejetter, combattre et abbattre, si l'on peut, tout ce qui est contraire a Dieu, c'est a dire a sa volonté, a sa gloire et a la sanctification de son nom.

  A005000705 

 Voyes, je vous prie, Theotime, ce grand Roy, de quel zele il est animé, et comme il employe les passions de son ame au service de la sainte jalousie: il ne hait pas simplement l'iniquité, mays il l'abomine, il seche de detresse en la voyant, il tumbe en defaillance et definement de cœur, il la persecute, il la renverse et l'extermine.

  A005000706 

 Cette jalousie, Theotime, faisoit mourir et pasmer tous les jours ce saint Apostre: Je meurs, dit-il, tous les jours pour vostre gloire; Qui est infirme, que je ne sois aussi infirme? qui est scandalisé, que je ne brusle? Voyés, disent les Anciens, voyés quel amour, quel soin et quelle jalousie une mere-poule a pour ses poussins (car Nostre Seigneur n'a pas estimé cette comparayson indigne de son Evangile).

  A005000712 

 Certes, Theotime, la cholere est un serviteur qui, estant puissant, courageux et grand entrepreneur, fait aussi d'abord beaucoup de besoigne; mais il est si ardent, si remuant, si inconsideré et impetueux, qu'il ne fait aucun bien que pour l'ordinaire il ne face quant et quant plusieurs maux.

  A005000715 

 Mais oyes, Theotime, ce que Dieu fit pour corriger l'aspreté de la passion dont le pauvre Carpus estoit outré.

  A005000715 

 Or considerés, je vous prie, mon Theotime, la violence de la passion de Carpus; car, comme il racontoit par apres luy mesme a saint Denis, il ne tenoit compte de contempler Nostre Seigneur et les Anges qui se monstroyent au Ciel, tant il prenoit playsir de voir en bas la detresse effroyable de ces deux miserables chetifs, se faschant seulement de ce qu'ilz tardoyent tant a perir, et partant s'essayoit de les precipiter luy mesme.

  A005000716 

 Theotime, le saint homme Carpus avoit rayson d'entrer en zele pour ces deux hommes, et son zele avoit justement excitee la cholere contre eux, mays la cholere estant esmeüe avoit laissé la rayson et le zele en derriere; outrepassant toutes les bornes et limites du saint amour, et par consequent du zele qui en est la ferveur, elle avoit converti la hayne du peché en hayne du pecheur, et la tres douce charité en une furieuse cruauté.

  A005000720 

 Il est vray certes, mon ami Theotime, que Moyse, Phinees, Helie, Mathathias et plusieurs grans serviteurs de Dieu se servirent de la cholere pour exercer leur zele en beaucoup d'occasions signalees: mays notes, je vous prie, que c'estoyent aussi des grans personnages, qui sçavoyent bien manier leurs passions et ranger leurs choleres; pareilz a ce brave capitaine de l'Evangile qui disoit a ses soldatz: Alles, et ilz alloyent; venes, et ilz venoyent.

  A005000721 

 Saint Denis, parlant a ce Demophile qui vouloit donner le nom de zele a sa rage et furie: Celuy, dit il, qui veut corriger les autres, doit premierement «avoir soin d'empescher que la cholere ne deboute la rayson de l'empire et domination que Dieu luy a donné en l'ame, et qu'elle n'excite une revolte, sedition et confusion dans nous mesmes; de façon que nous n'appreuvons pas vos impetuosités poussees d'un zele indiscret, quand mille fois vous repeteries Phinees et Helie, car telles paroles ne pleurent pas a Jesus Christ quand elles luy furent dites par ses Disciples, qui n'avoyent pas encor participe de ce doux et benin esprit.» Phinees, Theotime, voyant un certain malheureux Israëlite offencer Dieu avec une Moabite, il les tua tous deux; Helie avoit predit la mort d'Ochosias, lequel, indigné de cette prediction, envoya deux capitaines l'un apres l'autre, avec chacun cinquante soldatz pour le prendre, et l'homme de Dieu fit descendre le feu du ciel qui les devora.

  A005000722 

 C'est cela donq, Theotime, que veut dire saint Denis a Demophile qui alleguoit l'exemple de Phinees et d'Helie; car saint Jean et saint Jaques, qui vouloyent imiter Helie a faire descendre le feu du ciel sur les hommes, furent repris par Nostre Seigneur, qui leur fit entendre que son esprit et son zele estoit doux, [224] debonnaire et gracieux, qui n'employoit l'indignation ou le courroux que tres rarement, lhors qu'il n'y avoit plus esperance de pouvoir profiter autrement.

  A005000726 

 O excellence de courage et de ferveur d'esprit incroyable! il imite Jesus Christ qui pour nous fut fait malediction, qui prit nos infirmités et porta nos maladies; ou, affin que je parle plus sobrement, luy le premier apres le Sauveur ne refuse pas de souffrir et d'estre reputé impie a leur occasion.» Ainsy donq, Theotime, comme nostre Sauveur fut fouetté, condamné, crucifié, en qualité d'homme voué, destiné et dedié a porter et supporter les opprobres, ignominies et punitions deues a tous les pecheurs du monde, et a servir de sacrifice general pour le peché, ayant esté fait comme anatheme, separé et abandonné de son Pere eternel, de mesme [227] aussi, selon la veritable doctrine de ce grand Nazianzene, le glorieux Apostre saint Paul desira d'estre comblé d'ignominie, crucifié, separé, abandonné et sacrifié pour le peché des Juifz, affin de porter pour eux l' anatheme et la peine qu'ilz meritoyent.

  A005000731 

 La charité de Jesus Christ nous presse, dit [229] le grand Apostre: ouy certes, Theotime, elle nous force et violente par son infinie douceur, prattiquee en tout l'ouvrage de nostre redemption, auquel s'est apparue la benignité et amour de Dieu envers les hommes; car, qu'est-ce que ce divin Amant ne fit pas en matiere d'amour?.

  A005000734 

 En fin, Theotime, ce divin Amoureux mourut entre les flammes et ardeurs de la dilection, a cause de l'infinie charité qu'il avoit envers nous et par la force et vertu de l'amour; c'est a dire, il mourut en l'amour, par l'amour, pour l'amour et d'amour.

  A005000735 

 Mays, Theotime, gardés bien pourtant de dire que cette mort amoureuse du Sauveur se soit faite par maniere de ravissement; car l'object pour lequel sa charité le porta a la mort n'estoit pas tant aymable qu'il peust ravir a soy cette divine ame, laquelle sortit donq de son cors par maniere d'extase, poussee et lancee par l'affluence et force de l'amour, comme l'on void la myrrhe pousser dehors sa premiere liqueur par sa seule abondance, sans qu'on la presse ni tire aucunement, selon ce que luy mesme disoit, ainsy que nous avons remarqué: Personne ne m'oste ni ravit mon ame, mais je la donne volontairement.

  A005000735 

 O Dieu! Theotime, quel brasier pour nous enflammer a faire les exercices du saint amour pour le Sauveur tout bon, voyans qu'il les a si amoureusement prattiqués pour nous qui sommes si mauvais! Cette charité donq de Jesus Christ nous presse..

  A005000743 

 Les payens, quoy qu'ennemis de sa divine Majesté, prattiquoyent parfois quelques vertus humaines et civiles desquelles la condition n'estoit pas au dessus des forces de l'esprit raysonnable: or, vous pouves penser, Theotime, combien cela estoit peu de chose.

  A005000745 

 Voyes-vous donq, Theotime, combien il est vray que Dieu fait estat des vertus, encor qu'elles soyent prattiquees par des personnes qui sont d'ailleurs mauvaises? S'il n'eust aggreé la misericorde des sages femmes et la justice de la guerre des Babyloniens, eust-il pris le soin, je vous prie, de les salarier? et si Daniel n'eust sceu que l'infidelité de Nabuchodonosor n'empescheroit pas que Dieu n'aggreast ses aumosnes, pourquoy les luy eust il conseillees? Certes, l'Apostre nous asseure que les payens, qui n'ont pas la foy, font naturellement ce qui appartient a la loy: et quand ilz le font, qui peut douter qu'ilz ne fassent bien et que Dieu n'en fasse conte? Les payens conneurent que le mariage estoit bon et necessaire, ilz virent qu'il estoit convenable d'eslever les enfans es artz, en l'amour de la patrie, en la vie civile, et ilz le firent: or je vous laisse a penser si Dieu ne treuvoit pas bon cela, puisqu'il avoit donné la lumiere de la rayson et l'instinct naturel a cette intention..

  A005000747 

 Non, Theotime, le pecheur en ce monde n'est pas ainsy: il est la, emmi le chemin entre Hierusalem et Hierico, blessé a mort, mais non pas encor mort, car, dit l'Evangile, il est laissé a moitié vivant; et comme il est a moitié vif, il peut aussi faire des actions a moitié vives.

  A005000752 

 Telles sont donques les vertus humaines, Theotime, lesquelles, quoy qu'elles soyent en un cœur bas, terrestre et grandement occupé de peché, elles ne sont neanmoins aucunement infectees de la malice d'iceluy, estant d'une nature si franche et innocente qu'elle ne peut estre corrompue par la societé de l'iniquité, selon qu'Aristote mesme a dit «que la vertu estoit une habitude de laquelle aucun ne peut abuser.» Que si les vertus, estant ainsy bonnes en elles mesmes, ne sont pas recompensees d'un loyer eternel lhors qu'elles sont prattiquees par les infideles ou par ceux qui sont en peché, il ne s'en faut nullement estonner: puisque le cœur pecheur duquel elles procedent n'est pas capable du bien [239] eternel, s'estant d'ailleurs destourné de Dieu, et que l'heritage celeste appartenant au Filz de Dieu, nul n'y doit estre associé qui ne soit en luy, et son frere adoptif; laissant a part que la convention par laquelle Dieu promet le Paradis ne regarde que ceux qui sont en sa grace, et que les vertus des pecheurs n'ont aucune dignité ni valeur que celle de leur nature, qui par consequent ne les peut relever au merite des recompenses surnaturelles, lesquelles pour cela mesme sont appellees surnaturelles, d'autant que la nature et tout ce qui en depend ne peut ni les donner ni les meriter..

  A005000755 

 Et notés, Theotime, que toute œuvre vertueuse doit estre estimee œuvre du Seigneur, voire mesme quand elle seroit prattiquee par un infidele: car sa divine Majesté dit a Ezechiel que Nabuchodonosor et son armee avoyent travaillé pour [241] luy, parce qu'ilz avoyent fait une guerre legitime et juste contre les Tyriens; monstrant asses par la que la justice des injustes est sienne, tend a luy et luy appartient, bien que les injustes qui font la justice ne soyent pas siens, ne tendent pas a luy et ne luy appartiennent pas.

  A005000760 

 Ainsy toutes les vertus reçoivent un nouveau lustre et une excellente dignité par la presence de l'amour sacré; mais la foy, l'esperance, la crainte de Dieu, la pieté, la penitence et toutes les autres vertus qui d'elles mesmes tendent particulierement a Dieu et a son honneur, elles ne reçoivent pas seulement l'impression du divin amour, par laquelle elles sont eslevees a une grande valeur, mais elles se penchent totalement vers luy, s'associant avec luy, le suivant et servant en toutes occasions: car en fin, mon cher Theotime, la Parole sacree attribue une certaine proprieté et force de sauver, de sanctifier et de glorifier, a la foy, a l'esperance, a la pieté, a la crainte de Dieu, a la penitence; qui tesmoigne bien que ce sont des vertus de grand prix, et qu'estant prattiquees en un cœur qui a l'amour de Dieu, elles se rendent excellemment plus fructueuses et saintes que les autres, [243] lesquelles de leur nature n'ont pas une si grande convenance avec l'amour sacré.

  A005000761 

 C'est pourquoy, Theotime, entre toutes les actions vertueuses nous devons soigneusement prattiquer celles de la religion et reverence envers les choses divines, celles de la foy, de l'esperance et de la tressainte crainte de Dieu; parlans souvent des choses celestes, pensans et aspirans a l'eternité, hantant les eglises et services sacrés, faysans des lectures devotes, observans les ceremonies de la religion chrestienne: car le saint amour se nourrit a souhait parmi ces exercices, et respand sur iceux plus abondamment ses graces et proprietés qu'il ne fait sur les actions des vertus simplement humaines; ainsy que le bel arc-en-ciel rend odorantes toutes les plantes sur lesquelles il tumbe, mais plus que toutes incomparablement celles de l'aspalatus.

  A005000766 

 Je vous dis maintenant, mon cher Theotime, que la charité et dilection sacree, plus belle cent fois que Rachel, mariee a l'esprit humain, souhaite sans cesse de produire des saintes operations: que si au commencement elle n'en peut enfanter elle mesme de sa propre extraction par l'union sacree qui luy est uniquement propre, elle appelle les autres vertus, comme ses fïdeles servantes, et les associe a son mariage, commandant au cœur de les employer, affin que d'elles il fasse naistre des saintes operations; mais operations qu'elle ne laisse pas d'adopter et estimer siennes, parce qu'elles sont produites par son ordre et commandement et d'un cœur qui luy appartient, d'autant que, comme nous avons declairé ailleurs, l'amour est maistre du cœur, et par consequent de toutes les œuvres des autres vertus faites par son consentement.

  A005000767 

 Ainsy donques, Theotime, les actions vertueuses des enfans de Dieu appartiennent toutes a la sacree dilection: les unes, parce qu'elle mesme les produit de sa propre nature; les autres, d'autant qu'elle les sanctifie [246] par sa vitale presence; et les autres, en fin, par l'authorité et le commandement dont elle use sur les autres vertus, desquelles elle les fait naistre: et celles ci, comme elles ne sont pas, a la verité, si eminentes en dignité que les actions proprement et immediatement issues de la dilection, aussi excellent-elles incomparablement au dessus des actions qui ont toute leur sainteté de la seule presence et societé de la charité..

  A005000768 

 Ainsy, entre toutes les vertus, mon cher Theotime, la gloire de nostre salut et de nostre victoire sur l'enfer est deferee a l'amour divin, qui, comme prince et general de toute l'armee des vertus, fait tous les exploitz par lesquelz nous obtenons le triomphe: car l'amour sacré a ses actions propres, issues et procedees de luy mesme, par lesquelles il fait des miracles d'armes sur nos ennemis; puis, outre cela, il dispose, commande et ordonne les actions des autres vertus, qui pour cette cause sont nommees actes commandés ou ordonnés de l'amour; que si en fin quelques vertus font leurs operations sans son commandement, [247] pourveu qu'elles servent a son intention, qui est l'honneur de Dieu, il ne laisse pas de les advoüer siennes.

  A005000768 

 Mais tous-jours reciproquement aussi, apres qu'on a eslevé ces vertus particulieres, il faut rapporter tout leur honneur a l'amour sacré, qui a toutes donne la sainteté qu'elles ont: car, que veut dire autre chose le glorieux Apostre, inculquant que la charité est benigne, patiente, qu' elle croid tout, espere tout, supporte tout, sinon que la charité ordonne et commande a la patience de patienter, et a l'esperance d'esperer, et a la foy de croire? Il est vray, Theotime, qu'avec cela il signifie encor que l'amour est l'ame et la vie de toutes les vertus; comme s'il vouloit dire, que la patience n'est pas asses patiente, ni la foy asses fidele, ni l'esperance asses confiante, ni la debonnaireté asses douce, si l'amour ne les anime et vivifie: et c'est cela mesme que nous fait entendre ce mesme vaysseau d'election, quand il dit que sans la charité rien ne luy proffite, et qu'il n'est rien; car c'est comme s'il disoit que sans l'amour il n'est ni patient, ni debonnaire, ni constant, ni fidele, ni esperant ainsy qu'il est convenable pour estre serviteur de Dieu, qui est le vray et desirable estre de l'homme.

  A005000772 

 «J'ay veu a Tivoli,» dit Pline, «un arbre enté de toutes les façons qu'on peut enter, qui portoit toutes sortes de fruitz; car en une branche on treuvoit des cerises, en une autre des noix, et es autres des raysins, des figues, des grenades, des pommes, et generalement toutes especes de fruitz.» Cela, Theotime, estoit admirable, mais bien plus encor de voir en l'homme chrestien la divine dilection sur laquelle toutes les vertus sont entees: de maniere que, comme l'on pouvoit dire de cet arbre qu'il estoit cerisier, pommier, noyer, grenadier, aussi l'on peut dire de la charité qu'elle est patiente, douce, vaillante, juste, ou plustost, qu'elle est la patience, la douceur et la justice mesme..

  A005000773 

 Or, les fruitz des arbres entés sont tous-jours selon le greffe, car si le greffe est de pommier il jettera des pommes, s'il est de cerisier il jettera des cerises, en sorte neanmoins que tous-jours ces fruitz-la tiennent du goust du tronc: et de mesme, Theotime, [249] nos actes prennent leur nom et leur espece des vertus particulieres desquelles ilz sont issus, mais ilz tirent de la sacree charité le goust de leur sainteté; aussi, la charité est la racine et source de toute sainteté en l'homme.

  A005000774 

 Ainsy, mon Theotime, si avec une egale charité l'un souffre la mort du martyre, et l'autre la faim du jeusne, qui ne void que le prix de ce jeusne ne sera pas pour cela egal a celuy du martyre? Non, Theotime; car, qui oseroit dire que le martyre en soy mesme ne soit pas plus excellent que le jeusne? Que s'il est plus excellent, la charité survenante ne luy ostant pas l'excellence qu'il a, ains la perfectionnant, luy laissera par consequent les avantages qu'il avoit naturellement sur le jeusne.

  A005000775 

 On peut souffrir la mort et le feu pour Dieu sans avoir la charité, ainsy que saint Paul presuppose et que je declaire ailleurs; a plus forte rayson, on la peut souffrir avec une petite charité: or je dis, Theotime, qu'il se peut bien faire qu'une fort petite vertu ait plus de valeur en une ame ou l'amour sacré regne ardemment, que le martyre mesme en une ame ou l'amour est alangouri, foible et lent.

  A005000776 

 Ainsy, Theotime, les petites simplicités, abjections et humiliations esquelles les grans Saintz se sont tant pleus pour se musser et mettre leur cœur a l'abri contre la vayne gloire, ayant esté faites avec une grande excellence de l'art et de l'ardeur du celeste amour, ont esté treuvees plus agreables devant Dieu que les grandes ou illustres besoignes de plusieurs autres, qui furent faites avec peu de charité et de devotion..

  A005000781 

 Mays, ce me dires vous, quelle est cette valeur, je vous prie, que le saint amour donne a nos actions? O mon Dieu, Theotime! certes, je n'aurois pas l'asseurance de le dire si le Saint Esprit ne l'avoit luy mesme declaré en termes fort expres par le grand apostre saint Paul, qui parle ainsy: Ce qui a present est momentanee [252] et leger de nostre tribulation, opere en nous sans mesure en la sublimité un poids eternel de gloire.

  A005000782 

 Mays qui peut donner tant de vertu a ces momens passagers et a ces tribulations si legeres? L'escarlatte et la pourpre, ou fin cramoysi violet, est un drap grandement pretieux et royal, mais ce n'est pas a rayson de la laine, ains a cause de la teinture: les œuvres des bons Chrestiens sont de si grande valeur que pour icelles on nous donne le Ciel; mays, Theotime, ce n'est pas parce qu'elles procedent de nous et sont la laine de nos cœurs, ains parce qu'elles sont teintes au sang du Filz de Dieu; je veux dire, que c'est d'autant que le Sauveur sanctifie nos œuvres par le merite de son sang.

  A005000783 

 Recompense magnifique et qui ressent la grandeur du Maistre que nous servons, lequel, a la verité, Theotime, pouvoit, s'il luy eut pleu, exiger tres justement de nous nostre obeissance et service sans nous proposer aucun loyer ni salaire; puisque nous sommes siens par mille tiltres tres legitimes, et que nous ne pouvons rien faire qui vaille qu'en luy, par luy, pour luy et qui ne soit de luy.

  A005000784 

 Mays ne penses pas pourtant, Theotime, qu'en cette promesse il ayt tellement volu manifester sa bonté qu'il ayt oublié de glorifier sa sagesse, puisque au contraire il y a observé fort exactement les reges de l'equité, meslant admirablement la bienseance avec la liberalité: car nos œuvres sont voirement extremement petites et nullement comparables a la gloire, en leur quantité, mais elles luy sont neanmoins fort proportionnees en qualité, a rayson du Saint Esprit qui, habitant dans nos cœurs par la charité, les fait en nous, par nous et pour nous, avec un art si exquis, que les mesmes œuvres qui sont toutes nostres sont encor mieux toutes siennes, parce que, comme il les produit en nous, nous les produisons reciproquement en luy, comme il les fait pour nous, nous les faysons pour luy, et comme il les opere avec nous, nous cooperons aussi avec luy..

  A005000785 

 Or le Saint Esprit habite en nous si nous sommes membres vivans de Jesus Christ, qui a rayson de cela disoit a ses Disciples: Qui demeure en moy et moy en luy, iceluy porte beaucoup de fruit; et c'est, [255] Theotime, parce que qui demeure en luy il participe a son divin Esprit, lequel est au milieu du cœur humain comme une vive source qui rejaillit et pousse ses eaux jusques en la vie eternelle.

  A005000786 

 Mays, o Dieu, Theotime, que cette bonté est misericordieuse sur nous en ce partage! nous luy donnons la gloire de nos louanges, helas, et luy nous donne la gloire de sa jouissance, et en somme, par ces legers et passagers travaux nous acquerons des biens perdurables a toute eternité.

  A005000791 

 Voyés-vous, Theotime, toutes les vertus sont vertus par la convenance ou conformité qu'elles ont a la rayson; et une action ne peut estre dite vertueuse si elle ne procede de l'affection que le cœur porte a l'honnesteté et beauté de la rayson.

  A005000792 

 Je vous prie, Theotime, quelle prudence peut avoir un homme intemperant, injuste et poltron, puisqu'il choisit le vice et laisse la vertu? Et comme peut-on estre juste sans estre prudent, fort et temperant, puisque la justice n'est autre chose qu'une perpetuelle, forte et constante volonté de rendre a un chacun ce qui luy appartient, et que la science par laquelle le droit s'administre est nommee jurisprudence, et que pour rendre a chacun ce qui luy appartient il nous faut vivre sagement et modestement, et empescher les desordres de l'intemperance en nous, affin de nous rendre ce qui nous appartient a nous mesmes? Et le [259] mot de vertu ne signifie-il pas une force et vigueur appartenante a l'ame en proprieté, ainsy que l'on dit les herbes et pierres pretieuses avoir telle et telle vertu ou proprieté? Mais la prudence est-elle pas imprudente en l'homme intemperant? La force sans prudence, justice et temperance n'est pas une force, mais une forcenerie; et la justice est injuste en l'homme poltron, qui ne l'ose pas rendre, en l'intemperant, qui se laisse emporter aux passions, et en l'imprudent, qui ne sçait pas discerner entre le droit et le tort.

  A005000793 

 Il est bien vray, Theotime, qu'on ne peut pas exercer toutes les vertus ensemble, parce que les sujetz ne s'en presentent pas tout a coup; ains il y a des vertus que quelques uns des plus saintz n'ont jamais eu occasion de prattiquer: car saint Paul premier hermite, par exemple, quel sujet pouvoit il avoir d'exercer le pardon des injures, l'affabilité, la magnificence, la debonnaireté? Mais toutefois, telles ames ne laissent pas d'estre tellement affectionnees a l'honnesteté de la rayson, qu'encor qu'elles n'ayent pas toutes les vertus quant a l'effect, elles les ont toutes quant a l'affection, estant prestes et disposees de suivre et servir la rayson en toutes occurrences, sans exception ni reserve..

  A005000802 

 Certes, mon Theotime, Dieu a respandu en nos ames les semences de toutes les vertus, lesquelles [263] neanmoins sont tellement couvertes de nostre imperfection et foiblesse qu'elles ne paroissent point, ou fort peu, jusques a ce que la vitale chaleur de la dilection sacree les vienne animer et resusciter, produisant par icelles les actions de toutes les vertus: si que, comme la manne contenoit en soy la varieté des saveurs de toutes les viandes, et en excitoit le goust dans la bouche des Israëlites, ainsy l'amour celeste comprend en soy la diversité des perfections de toutes les vertus, d'une façon si eminente et relevee qu'elle en produit toutes les actions en tems et lieu, selon les occurrences.

  A005000818 

 Pour Dieu, Theotime, je vous prie, quelle vertu pouvoyent avoir ces gens-la qui volontairement, et comme a prix fait, renversoyent toutes les lois de la religion? Seneque avoit fait un livre Contre les superstitions, dans lequel il avoit repris l'impieté payenne avec beaucoup de liberté: Or «cette liberté,» dit le grand saint Augustin, «se treuva en ses escritz et non pas en sa vie,» puisque mesme il conseilla «que l'on rejettast de cœur la superstition, mais qu'on ne laissast pas de la prattiquer es actions; car voicy ses paroles: Lesquelles superstitions le sage observera comme commandees par les lois, non pas comme aggreables aux dieux.» Comme pouvoyent estre vertueux ceux qui, comme rapporte saint Augustin, estimoyent «que le sage se devoit tuer quand il ne pouvoit ou ne devoit plus supporter» les calamités de cette vie? et toutefois ne vouloyent pas advouer que les calamités fussent miserables, ni les miseres calamiteuses, ains maintenoyent que le sage estoit tous-jours heureux et sa vie bien heureuse.

  A005000821 

 O vray Dieu, Theotime, quelz vertueux voyla! et quels sages pouvoyent estre ces gens qui enseignoyent une si cruelle et brutale sagesse? Helas, dit le grand Apostre, croyans d'estre sages ilz ont esté faitz insensés, et leur fol esprit a esté obscurci; gens abandonnés au sens repreuvé.

  A005000822 

 Quelle vanité, je vous prie! Estant sur le point de mourir il dit a ses amis qu'il n'avoit peu jusques a l'heure les remercier asses dignement, et que partant il leur vouloit laisser un legat de ce qu'il avoit en soy de plus aggreable et de plus beau, et que s'ilz le gardoyent soigneusement ilz en recevroyent de grandes louanges; adjoustant que ce magnifique legat n'estoit autre chose que «l'image de sa vie.» Voyes-vous, Theotime, comme les abboys de cet homme sont puans de vanité?.

  A005000825 

 Je veux bien, Theotime, qu'il y eust quelque fermeté de courage en Caton, et que cette fermeté fust louable en soy: mais qui veut se prevaloir de son exemple, il faut que ce soit en un juste et bon sujet; non pas se donnant la mort, mais la souffrant lhors que la vraye vertu le requiert, non pour la vanité de la gloire, mais pour la gloire de la verité: comme il advint a nos Martyrs, qui, avec des courages invincibles, firent tant de miracles de constance et valeur, que les Catons, les Horaces, les Seneques, les Lucreces, les Arries ne meritent certes nulle consideration en comparayson.

  A005000829 

 Non, Theotime, sans la charité, dit l'Apostre, tout cela ne serviroit de rien, ainsy que nous monstrons plus amplement ailleurs..

  A005000829 

 Theotime, il n'y a que les enfans, c'est a dire les actes, de la tressainte charité qui soyent heritiers de Dieu, coheritiers de Jesus Christ, et les enfans ou actes que les autres vertus conçoivent et enfantent sur ses genoux, par son commandement, ou au moins sous les aisles et la faveur de sa presence.

  A005000832 

 O Dieu, Theotime, quel malheur! Si le juste se destourne de sa justice et qu'il face l'iniquité, on n'aura plus memoire de toutes ses justices, il mourra en son peché, dit Nostre Seigneur en Ezechiel: de sorte que le peché mortel ruine tout le merite des vertus; car, quant a celles qu'on prattique tandis qu'il regne en l'ame, elles naissent tellement mortes qu'elles sont a jamais inutiles pour la pretention de la vie eternelle; et quant a celles que l'on a prattiquees avant qu'il fust commis, c'est a dire tandis que la dilection sacree vivoit en l'ame, leur valeur et merite perit et meurt soudain a son arrivee, ne pouvans conserver leur vie apres la mort de la charité qui la leur avoit donnee..

  A005000833 

 O Dieu, nullement, Theotime: car non seulement le peché est une œuvre morte, mays elle est tellement pestilente et veneneuse, que les plus excellentes vertus de l'ame pecheresse ne produisent aucune action vivante; et quoy que quelquefois les actions des pecheurs ayent une grande ressemblance avec les actions des justes, ce ne sont toutefois qu'escorces pleines de vent et de poussiere, regardees voirement et mesme recompensees par la Bonté divine de quelques presens temporelz, qui leur sont donnés comme aux enfans des chambrieres, mais escorces pourtant qui ne sont ni ne peuvent estre savourees ni goustees par la divine justice, pour estre salariees de loyer eternel.

  A005000834 

 De sorte que nous pouvons tous lancer cette veritable voix, a l'imitation du saint Apostre: Sans la charité je ne suis rien, rien ne me profite; et celle cy, avec saint Augustin: Mettes dans un cœur «la charité, tout proffite; ostés du cœur la charité, rien ne proffite.» Or je dis, rien ne proffite pour la vie eternelle, quoy que, comme nous disons ailleurs, les œuvres vertueuses des pecheurs ne soyent pas inutiles pour la vie temporelle; mays, Theotime mon amy, que proffite-il a l'homme s'il gaigne tout le monde temporellement et qu'il perde son ame eternellement? [279].

  A005000842 

 Que les iniquités et œuvres malignes puissent revivre apres que par la penitence elles ont esté noyees et abolies, certes, mon Theotime, jamais l'Escriture ni aucun theologien ne l'a dit, que je sache; ains le contraire est authorisé par la sacree Parole et par le commun consentement de tous les docteurs.

  A005000848 

 Prenons donq bien garde, Theotime, de ne point changer les motifs et la fin de nos actions qu'avec avantage et proffit, et de ne rien faire en ce traffiq que par bon ordre et rayson.

  A005000854 

 Purifions donq, Theotime, tant que nous pourrons, toutes nos intentions: et puisque nous pouvons respandre sur toutes les actions des vertus le motif sacré du divin amour, pourquoy ne le ferons nous pas? rejettans es occurrences toutes sortes de motifs vicieux, comme la vayne gloire et l'interest propre, et considerans tous les bons motifs que nous pouvons avoir d'entreprendre l'action qui se presente alhors, affin de choisir celuy du saint amour, qui est le plus excellent de tous, pour en arrouser et detremper tous les autres.

  A005000855 

 Vous voyes bien, mon cher Theotime, qu'en ce retour d'esprit nous parfumons tous les autres motifs, de l'odeur et sainte suavité de l'amour, puisque nous ne les suivons pas en qualité de motifs simplement vertueux, mais en qualité de motifs voulus, aggreés, aymés et cheris de Dieu.

  A005000857 

 En cette sorte faut il animer toutes nos actions de ce bon playsir celeste, aymant principalement l'honnesteté et beauté des vertus parce qu'elle est aggreable a Dieu: car, mon cher Theotime, il se treuve des hommes qui ayment esperdument la beauté de quelques vertus, non seulement sans aymer la charité, mais avec mespris de la charité.

  A005000858 

 L'amour, Theotime, est l'estendart en l'armee des vertus, elles se doivent toutes ranger a luy; c'est le seul drapeau sous lequel Nostre Seigneur les fait combattre, luy qui est le vray general de l'armee.

  A005000863 

 Ainsy, Theotime, le Saint Esprit qui habite en nous, voulant rendre nostre ame souple, maniable et obeissante a ses divins mouvemens et celestes inspirations, qui [291] sont les loix de son amour, en l'observation desquelles consiste la felicité surnaturelle de cette vie presente, il nous donne sept proprietés et perfections, pareilles presque aux sept que nous venons de reciter, qui, en l'Escriture Sainte et es livres des theologiens, sont appellees dons du Saint Esprit.

  A005000864 

 Ainsy, Theotime, la charité nous sera une autre eschelle de Jacob, composee des sept dons du Saint Esprit comme autant d'eschellons sacrés, par lesquelz les hommes angeliques monteront de la terre au Ciel pour s'aller unir a la poitrine de Dieu tout puissant, et descendront du Ciel en terre pour venir prendre le prochain par la main et le conduire au Ciel.

  A005000870 

 Imagines vous, Theotime, une espouse de cœur colombin, qui ayt la perfection de l'amour nuptial: son amour est incomparable, non seulement en excellence, mais aussi en une grande varieté de belles affections et qualités qui l'accompaignent.

  A005000872 

 Ouy de vray, Theotime, car les craintes d'estre damné et perdre le Paradis sont effroyables et angoisseuses; et comme sçauroyent elles demeurer avec la sacree dilection, qui est toute douce, toute suave? [296].

  A005000872 

 Vous verres toutefois, Theotime, une honneste dame, qui, ne voulant pas manger son pain en oysiveté, non plus que celle que Salomon a tant loüee, couchera la soye en une belle varieté de couleurs sur un satin bien blanc, pour faire une broderie de plusieurs belles fleurs, qu'elle rehaussera par apres fort richement d'or et d'argent selon les assortissemens convenables.

  A005000876 

 De mesme, Theotime, tandis que la Providence divine fait la broderie des vertus et l'ouvrage de son saint amour en nos ames, elle y laisse tous-jours la crainte servile ou mercenaire, jusques a ce que la charité estant parfaite, elle oste cette eguille piquante, et la remet, par maniere de dire, en son peloton.

  A005000884 

 Car l'ame, quoy que juste, se void maintefois attaquee par des tentations extremes, et l'amour, tout courageux qu'il est, a fort a faire a se bien maintenir, a rayson de la condition de la place en laquelle il se treuve, qui est le cœur humain, variable et sujet a la mutinerie des passions; alhors donq, Theotime, l'amour employe la crainte au combat, et s'en sert pour repousser l'ennemy.

  A005000898 

 Mays il y a une «autre crainte, qui prend origine de la foy, laquelle nous apprend qu'apres cette vie mortelle il y a des supplices effroyablement eternelz ou eternellement effroyables, pour ceux qui en ce monde auront offencé la divine Majesté et seront decedés sans s'estre reconciliés avec elle; qu'a l'heure de la mort les ames seront jugees du jugement particulier, et a la fin du monde tous comparoistront resuscités pour estre derechef jugés du jugement universel: car ces verités chrestiennes, Theotime, frappent le cœur qui les considere d'un espouvantement extreme.

  A005000906 

 Mays voyes, Theotime, que ce divin Apostre contant ces douze fruitz du Saint Esprit, il ne les met que pour un seul fruit; car il ne dit pas: les fruitz de [305] l'Esprit sont la charité, la joye, mais seulement: le fruit de l'Esprit est la charité, la joye.

  A005000909 

 De sorte, Theotime, qu'en somme la tressainte dilection est une vertu, un don, un fruit et une beatitude [307].

  A005000915 

 Non vrayement, Theotime; qui aura l'amour de Dieu un peu abondamment, il n'aura plus ni desir, ni crainte, ni esperance, ni courage, ni joye que pour Dieu, et tous ses mouvemens seront accoysés en ce seul amour celeste..

  A005000917 

 O quand sera-ce donques que l'amour sensuel servira l'amour divin? Ce sera lhors, Theotime, que l'amour armé, parvenu jusques au zele, asservira nos passions par la mortification, et bien plus, lhors que la haut au Ciel l'amour bienheureux possedera toute nostre ame en paix..

  A005000931 

 La tristesse du monde opere la mort, dit l'Apostre: Theotime, il la faut donq bien eviter et rejetter, selon nostre pouvoir.

  A005000944 

 Seulement, Theotime, je dirois volontier a tous les hommes: O mortelz, si vous aves le cœur enclin a l'amour, hé, pourquoy ne pretendes vous au celeste et divin? mays si vous estes rudes et amers de cœur, helas, pauvres gens, puisque vous estes privés de l'amour naturel, pourquoy n'aspires vous a l'amour surnaturel, qui vous sera amoureusement donné par Celuy qui vous appelle si saintement a l'aymer? [320].

  A005000948 

 Un thresor ne suffit pas au gré de ce divin Amant, ains il veut que nous ayons tant de thresors que notre thresor soit composé de plusieurs thresors; c'est a dire, Theotime, qu'il faut avoir un desir insatiable d'aymer Dieu, pour joindre tous-jours dilection a dilection.

  A005000949 

 O Dieu, qui nous fera la grace, Theotime, que nous bruslions de ce desir, qui est le desir des pauvres et la preparation de leur cœur, que Dieu exauce volontier! Qui n'est pas asseuré d'aymer Dieu, il est pauvre; et s'il desire d'aymer, il est mendiant, mais mendiant de l'heureuse mendicité de laquelle le Sauveur a dit: Bienheureux sont les mendians d'esprit, car a eux appartient le Royaume des deux..

  A005000949 

 Theotime, de sçavoir si nous aymons Dieu sur toutes choses il n'est pas en nostre pouvoir, si Dieu mesme ne le nous revele, mais nous pouvons bien sçavoir si nous desirons de l'aymer, et quand nous sentons en nous le desir de l'amour sacré, nous sçavons que nous commençons d'aymer.

  A005000951 

 Crions nuit et jour, Theotime: «Venes, o Saint Esprit, remplisses les cœurs de vos fidelles, et allumes en iceux le feu de vostre amour,» O amour celeste, quand combleres vous mon ame! [322].

  A005000955 

 Pourquoy penses-vous, Theotime, que les chiens en la sayson primtaniere perdent plus souvent qu'en autre tems la trace et piste de la beste? C'est parce, disent les chasseurs et les philosophes, que les herbes et fleurs sont alhors en leur vigueur; si que la varieté des odeurs qu'elles respandent estouffe tellement le sentiment des chiens, qu'ilz ne sçavent ni choisir ni suivre la senteur de la proye entre tant de diverses senteurs que la terre exhale.

  A005000962 

 La curiosité, l'ambition, l'inquietude, avec l'inadvertence et inconsideration de la fin pour laquelle nous sommes en ce monde, sont cause que nous avons mille fois plus d'empeschemens que d'affaires, plus de tracas que d'oeuvre, plus d'occupation que de besoigne; et ce sont ces embarrassemens, Theotime, c'est a dire les niaises, vaynes et superflues occupations desquelles nous nous chargeons, qui nous divertissent de l'amour de Dieu, et non pas les vrays et legitimes exercices de nos vocations.

  A005000970 

 Je sçay bien, Theotime, l'advis des sages:.

  A005000985 

 Lhors que la peste affligea le Milannois, saint Charles ne fit jamais difficulté de hanter les maysons et toucher les personnes empestees: mais, Theotime, il les hantoit aussi et touchoit seulement et justement autant que la necessité du service de Dieu le requeroit; et pour rien il ne fust allé au danger sans la vraye necessité, de peur de commettre le peché de tenter Dieu.

  A005000991 

 Quelle suavité, Theotime, de cet Espoux celeste envers cette douce et fidele amante! Mais vous voyes cependant que les occupations necessaires a un chacun selon sa vocation ne diminuent point l'amour divin, ains l'accroissent, et dorent, par maniere de dire, l'ouvrage de la devotion.

  A005000998 

 Ces condescendances aux humeurs d'autruy, ce support des actions et façons agrestes et ennuyeuses du prochain, ces victoires sur nos propres humeurs et passions, ce renoncement a nos menues inclinations, cet effort contre nos aversions et repugnances, ce cordial et doux aveu de nos imperfections, cette peyne continuelle que nous prenons de tenir nos ames en egalité, cet amour de nostre abjection, ce benin et gracieux accueil que nous faysons au mespris et censure de nostre condition, de nostre vie, de nostre conversation, de nos actions: Theotime, tout cela est plus fructueux a nos ames que nous ne sçaurions penser, pourveu que la celeste dilection le mesnage.

  A005001007 

 Il est donq vray, Theotime, que, comme nous avons dit ailleurs, tout ainsy que l'olivier planté pres de la [332] vigne luy donne sa saveur, de mesme la charité se treuvant aupres des autres vertus, elle leur communique sa perfection.

  A005001011 

 Mais de grace, Theotime, quelle difference y a-il entre celuy qui offre cent escuz a Dieu et celuy qui luy offre toutes ses actions? Certes'il n'y en a point, sinon que l'un offre une somme d'argent, et l'autre une somme d'actions.

  A005001018 

 Mais, Theotime, il ne se faut pas arrester la: ains, pour faire un excellent progres en la devotion, il faut non seulement au commencement de nostre conversion, et puis tous les ans, destiner nostre vie et toutes nos actions a Dieu, mais aussi il les luy faut offrir tous les jours, selon l'exercice du matin que nous avons enseigné [335] a Philothee; car en ce renouvellement journalier de nostre oblation nous respandons sur nos actions la vigueur et vertu de la dilection, par une nouvelle application de nostre cœur a la gloire divine, au moyen dequoy il est tous-jours plus sanctifié..

  A005001022 

 O Dieu, Theotime, que de tresors en cette prattique!.

  A005001026 

 Quelle abnegation, Theotime! quel renoncement! On ne peut aymer Dieu parfaitement si l'on ne quitte les affections aux choses perissables..

  A005001028 

 Theotime, qui void la femme de son prochain pour la convoiter, il a des-ja adulteré en son cœur; et qui lie son filz pour l'immoler, il l'a des-ja sacrifié en son cœur.

  A005001030 

 D'autre part, neanmoins, ne voyes vous pas, Theotime, qu'Abraham remasche et roule plus de trois jours dans son ame l'amere pensee et resolution de cet aspre sacrifice? N'aves vous point de pitié de son cœur paternel, quand, montant seul avec son filz, cet enfant plus simple qu'une colombe luy disoit: Mon pere, ou est la victime? et qu'il luy respondoit: Dieu y prouvoyra, mon filz.

  A005001031 

 Theotime, nostre franc arbitre n'est jamais si franc que quand il est esclave de la volonté de Dieu, comme il n'est jamais si serf que quand il sert a nostre propre volonté: jamais il n'a tant de vie que quand il meurt a soy mesme, et jamais il n'a tant de mort que quand il vit a soy.

  A005001046 

 O Dieu, mon Theotime, quelle asses digne dilection pourrions nous avoir pour l'infinie bonté de nostre Createur, qui de toute eternité a projetté de nous creer, conserver, gouverner, racheter, sauver et glorifier tous en general et en particulier? Hé! qui estois-je lhors que je n'estois pas? moy, [343] dis-je, qui estant maintenant quelque chose, ne suis rien qu'un simple chetif vermisseau de terre.

  A005001047 

 Il faut considerer les bienfaitz divins en leur seconde source meritoire; car ne sçaves vous pas, Theotime, que le grand Prestre de la Loy portoit sur ses espaules et sur sa poitrine les noms des enfans d'Israël, c'est a dire, des pierres pretieuses esquelles les noms des chefs d'Israël estoyent gravés? Hé, voyes Jesus, nostre grand Evesque, et regardes-le des l'instant de sa conception; consideres qu'il nous portoit sur ses espaules, acceptant la charge de nous racheter par sa mort, et la mort de la croix.

  A005001047 

 O Theotime, Theotime, cette ame du Sauveur nous connoissoit tous par nom et par sur-nom; mais sur tout au jour de sa Passion, lhors qu'il offroit ses larmes, ses prieres, son sang et sa vie pour tous, il lançoit en particulier pour vous ces pensees de dilection: Helas, o mon Pere eternel, je prens a moy et me charge de tous les pechés du pauvre Theotime, pour souffrir les tormens et la mort affin qu'il en demeure quitte et qu'il ne perisse point, mais qu'il vive.

  A005001058 

 Sur le Calvaire on ne peut avoir la vie sans l'amour, ni l'amour sans la mort du Redempteur: mais hors de la, tout est ou mort eternelle, ou amour eternel, et toute la sagesse chrestienne consiste a bien choisir; et pour vous ayder a cela j'ay dressé cet escrit, mon Theotime..

  A005001058 

 Theotime, le mont Calvaire est le mont des amans.

  A005001068 

 Ces choses, Theotime, qui par la grace et faveur de la charité ont esté escrittes a vostre charité, puissent tellement s'arrester en vostre cœur que cette charité treuve en vous le fruit des saintes œuvres, non les feuilles des loüanges.


17-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XVII-Vol.7-Lettres.html
  A017002547 

 Et moy ce pendant, Monsieur mon tres cher Filz, affin de suppleer en quelque sorte les defautz que le manquement de commodités me pourroyent (sic) faire faire de vous escrire souvent, je vous envoye le livre de l' Amour de Dieu que j'ay n'a guere exposé aux yeux du monde; et vous supplie que si quelquefois l'affection que vous aves pour moy, vous donnoyt quelque desir d'avoir de mes lettres, vous prenies ce Traitté et en lisies un chapitre, vous imaginant que s'il y a point de Theotime au monde auquel s'addresse (sic) mes paroles, vous estes celuy entre tous les hommes, qui estes mon plus cher Theotime..

  A017004176 

 J'ay leu aussi depuis un mois tout vostre Theotime, où j'ay appris que l'amour de nostre bon Dieu n'est pas de la nature de ceux du monde et de la Cour.

  A017004176 

 Je m'en vais donc tascher de mouler ma vie sur celle de vostre Philothée, et n'aimer avec Theotime rien que Dieu, ou pour luy, et selon sa tres aimable volonté..


19-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XIX-Vol.9-Lettres.html
  A019001148 

 Pour l'orayson, ma tres chere Fille, je treuve bon que vous lisies un peu dans vostre Theotime, affin d'arrester vostre esprit, et que de tems en tems, a mesure que vous appercevres que vous estes en distraction, vous disies tout bellement des paroles contraires a Nostre Seigneur.





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